Ced 1003
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Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/ced/1003
DOI : 10.4000/ced.1003
ISSN : 2551-6116
Éditeur
Presses universitaires des Antilles
Référence électronique
Rodica Ailincai, Zehra Gabillon et Séverine Ferriere, « Des éléments de corpus pour comprendre les
représentations sur le numérique en contexte polynésien : préalables à la conception d’un dispositif de
formation des enseignants du 1er degré », Contextes et didactiques [En ligne], 11 | 2018, mis en ligne le
15 juin 2018, consulté le 31 janvier 2020. URL : http://journals.openedition.org/ced/1003 ; DOI :
10.4000/ced.1003
La revue Contextes et didactiques est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative
Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale.
Revue « Contextes et Didactiques », n°11, Juin 2018
Résumé
Les recherches dans le champ de l’éducation et la formation soulignent que les
bénéfices apportés par le numérique dépendent essentiellement des conditions
préalables que sont les représentations (positives ou négatives) des enseignants en
général, du statut du numérique à l’école et de la nature des compétences enseignantes.
Ces réflexions conduisent à considérer les représentations comme une construction
importante à étudier par rapport à l’impact ultérieur sur les comportements et les
pratiques enseignantes, ainsi que sur la conception des programmes de formation initiale
et continue, en présentiel et à distance, des professeurs des écoles. Cette étude décrit la
première partie d’une recherche longitudinale visant à recueillir les représentations des
enseignants du premier degré sur l’utilisation des outils numériques dans le contexte de
la Polynésie française. La méthodologie se base sur la théorisation ancrée, utilisant le
codage manuel axial et la saturation théorique des données. Les analyses tentent de
trouver des réponses aux questions de recherche suivantes : dans quelle mesure les
outils numériques sont-ils connus par les enseignants ? Comment les mobilisent-ils dans
leur formation et dans la classe ? Quel est le ressenti des professeurs par rapport à
l’utilisation de ces outils dans leur enseignement ? Quelle utilisation font-ils des
environnements numériques d’apprentissage et/ou l’apprentissage en ligne ?
Mots-clés
Représentations, enseignants, technologies éducatives, numérique, premier degré,
formation.
Abstract
Research in the field of education and teacher training emphasizes that the benefits of
digital technology depend especially on preconditions, which are teacher representations
(positive or negative), the status of digital technology at school, and the nature of
teachers’ skills. These reflections led us to consider representations as an important
construct to study with regard to their subsequent impact on the teachers’ attitudes and
classroom practices, as well as their possible influence on the design of preservice and
in-service teacher training programs. This study describes the first part of a longitudinal
research work, which aimed at collecting a group of primary school teachers’
representations on the use of digital tools in the French Polynesian context. The research
methodology was based on grounded theory and employed the axial manual coding and
theoretical saturation techniques. The study used inductive and iterative analysis
processes and attempted to find answers to the following research questions: To what
extent do the teachers know and use digital tools? How do they make use of them in
their personal development and in the classroom? What do the teachers feel about the
use of digital tools in their teaching? How do they make use of digital learning
environments and /or online learning environments?
Keywords
Representations, teacher, educational technology, digital, elementary education, training.
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1. Introduction
L’objectif de cet article est de présenter la phase exploratoire d’une étude des représentations
des enseignants du primaire envers le numérique en contexte polynésien. Il semble que ce soit
l’obstacle majeur : la diffusion et l’adoption dans les pratiques, qui peuvent être freinées par
des représentations plus ou moins fondées. Les entretiens semi-directifs menés permettront de
mettre en avant les ressemblances et dissemblances contextuelles vis-à-vis du numérique et
son utilisation dans les situations d’enseignement/apprentissage, afin de fournir des éléments
profitables à la conception des programmes de formation initiale et continue des professeurs
des écoles à long terme.
1
Le socle commun de connaissances, de compétences et de culture - introduit par la loi n° 2005-380 du 23 avril
2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école - fixe un ensemble de connaissances, compétences et
attitudes fondamentales que tout élève doit acquérir à la fin de la scolarité obligatoire, à 16 ans. Ce socle fut
stabilisé et complété par loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation
de l'école de la République) : une attention particulière a été accordée aux compétences liées au numérique.
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depuis 20122, l’Internet haut débit est actuellement présent dans une grande partie des foyers
de l’archipel de la Société. Les établissements scolaires polynésiens sont de plus en plus dotés
de matériel numérique et les professionnels se préoccupent de son utilisation à bon escient.
2
Sont reliées par le câble optique Honotua les îles Tahiti, Bora Bora, Raiatea, Huahine et Moorea, de l’archipel
de la Société. Les autres archipels (Les Marquises, Le Gambier -Tuamotu, les Australes) disposent des
connexions satellitaires.
3
La Polynésie française est une collectivité d'outre-mer de 270 500 habitants, régie par l’article 74 de la
Constitution. Son statut est défini par la loi organique du 27 février 2004. « L’organe délibérant est l’assemblée
de la Polynésie française, élue au suffrage universel direct tous les cinq ans. Le président de la Polynésie
française, élu par cette dernière, dirige l’action du gouvernement et de l’administration et promulgue les lois du
pays. Le gouvernement de Polynésie française, constitué de sept à dix ministres, est chargé de conduire la
politique de la collectivité. L’éducation est prise en charge au sein du gouvernement par un ministre. » (Cour des
comptes, 2014 : 284)
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Un nombre important des recherches souligne que les bénéfices apportés par les outils et les
technologies numériques dépendent en grande partie des conditions préalables, et plus
particulièrement des représentations et des compétences des enseignants sur le numérique
(Balanskat et Blamire, 2007 ; Harrison et al., 2002 ; Kennisnet ICT op School, 2006 ;
Machin, McNally et Silva, 2006).
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Dans le cadre du numérique, envisagé comme novateur et dont l’enjeu est une intégration
dans les pratiques professionnelles, un grand nombre d’études s’accordent sur le fait que les
comportements des enseignants seraient plus influencés par les représentations qu’ils ont du
numérique que par les compétences elles-mêmes (Ertmer, 2005 ; Pajares, 1992 ; Prestridge,
2012). Se pose donc la question de l’intégration d’un objet nouveau dans un réseau de
pratiques préexistantes. Envisagées comme un phénomène mental plus ou moins conscient,
les représentations sociales se transforment dans l’interaction avec les objets, le(s)
contexte(s), les sujets, etc.
Se référant à l’objet de notre étude, nous pouvons considérer que les représentations sociales
concernant le numérique évoluent dans l’interaction de l’enseignant avec les artefacts
numériques, interactions elles-mêmes déterminées par les représentations que l’enseignant va
avoir de l’objet (du contexte, du sujet, etc.). Ainsi, l’utilisation qui en sera faite dépendra des
représentations que l’individu se fait de l’artefact en question. Par ailleurs, cette dynamique et
ces influences réciproques entre représentations et interactions génèrent des évolutions
conjointes (Saint-Arnaud, 1992 ; Schön, 1987), à considérer comme des points d’ancrage et
d’objectivation, d’intégration ou de résistance à la nouveauté.
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D’autres études, à caractère plutôt qualitatif, basées sur l’analyse compréhensive d’entretiens
et d’observations en classe, se sont intéressées aux effets des représentations des enseignants
sur l’utilisation du numérique et à la façon dont le numérique agissait à son tour sur les
pratiques enseignantes (Castillo, 2006 ; Cox et Webb, 2004 ; Drent, 2005 ; Law et Plomp,
2003 ; Somekh, 1995). Les résultats de ces recherches révèlent une forte corrélation entre
l’utilisation du numérique et les représentations des enseignants (Riel et Becker, 2008). Ainsi,
au sujet de l’usage des ordinateurs en classe, ils ont mis en évidence que si les enseignants
estiment que leur rôle est de favoriser l’apprentissage collaboratif et le travail individuel des
élèves, sur des sujets d’intérêt personnel, ils ont tendance à utiliser plus fréquemment les
ordinateurs. À l’inverse, lorsqu’ils se considèrent dans l’obligation d’utiliser des outils
informatiques du fait des programmes scolaires, qu’ils ne s’estiment pas compétents et
n’estiment pas avoir une bonne maîtrise de ces derniers, ils ont plutôt tendance à en éviter
l’usage (Becker et Ravitz, 2001).
Du côté des représentations des enseignants, concernant leurs profils de compétences relatifs
à l’ordinateur, Desjardins (2005) a élaboré un modèle global de classification des outils, des
usages, des connaissances et des compétences liées à l’intégration des TIC en éducation. Dans
un premier temps l’auteur propose un modèle basé sur les relations que peut réaliser le sujet
lors de l’utilisation de l’objet technologique selon quatre modalités : (1) Sujet - objet
technologique ; (2) Sujet - objet technologique – autre sujet ; (3) Sujet - objet technologique –
objet d’information et (4) Sujet - objet technologique – outil cognitif. Dans un second temps il
a identifié quatre catégories de compétences : d’ordre informationnel (I), technique (T), social
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(S) et épistémologique (E). Desjardins a mis à l’épreuve son modèle à travers une étude
quantitative basée sur 637 questionnaires auprès d’enseignants en Ontario et suggère un profil
prédominant I-T-S-E. Si les compétences d’ordre informationnel (I) et technique (T) sont les
plus citées, les compétences d’ordre épistémologique (E) se retrouvent au dernier plan. Parmi
les compétences d’ordre épistémologique, l’auteur cite la maîtrise de l’épistémologie
disciplinaire et la structure et les commandes du logiciel utilisé. Ces résultats méritent une
attention particulière, notamment de la part des concepteurs au regard des programmes de
formation initiale et continue, les compétences d’ordre épistémologique (E) étant nécessaires,
voire indispensables à l’utilisation à bon escient des outils et des savoirs incorporés dans les
logiciels. Ces aspects ont également intéressé Law (2008), qui souligne l’importance des
représentations épistémologiques sur les choix et les orientations pédagogiques de
l’enseignant.
Enfin, si les représentations et les compétences des enseignants ont une importance majeure
dans l’utilisation du numérique en classe, bien d’autres facteurs déterminent l’engagement ou
le choix de l’introduction des technologies dans les pratiques pédagogiques, le processus
enseignement/apprentissage étant un processus situé (Lave et Wenger, 1991), qui s’organise
dans l’interaction de plusieurs facteurs. On citera au niveau macro les contextes sociaux,
culturels, organisationnels (niveau local, ou ministériel), et au niveau micro des facteurs
immédiats, quotidiens, liés à la classe, aux projets d’établissement, aux exigences des parents
(Bronfenbrenner, 1979). Ainsi, l’initiative de l’utilisation du numérique est déterminée au
niveau macro par une dynamique systémique d’ensemble et, au niveau micro, elle est motivée
par les valeurs pédagogiques individuelles des enseignants. Les résultats de Becker (2000),
dans une enquête réalisée aux États-Unis, mettent en évidence que les enseignants qui
utilisaient le numérique en classe étaient ceux qui adhéraient aux idées socioconstructivistes
dans la perspective de Bruner (1996), convaincus qu’enseigner est un processus de
construction de connaissances avec les apprenants.
4
Fenua signifie en tahitien pays, territoire et désigne Tahiti et les îles avoisinantes.
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Pour répondre à ces questions, nous avons réalisé une étude exploratoire basée sur des
entretiens compréhensifs auprès des enseignants du primaire : professeurs des écoles titulaires
(PE) et stagiaires (PES), conseillers pédagogiques (CP), inspecteurs de l’éducation nationale
(IEN). Dans cet article nous rendons compte des premiers résultats, référant aux PE et CP.
Il s’agissait de recueillir, d’une part, les représentations des enseignants sur le numérique, son
utilisation en classe, l’impact du numérique sur les interactions à visée d’apprentissage et,
d’autre part, leurs ressentis et les représentations sur la formation aux technologies éducatives.
3. Méthodologie
Notre recueil de données consiste en l’étude qualitative descriptive, par entretiens semi-
dirigés, d’enseignants du premier degré de la Polynésie française, l’échantillonnage étant
réalisé selon le principe de la saturation empirique et de la variation maximale, avec
triangulation écologique5 auprès des interviewés.
L’enquête combine des questions ouvertes avec des questions semi-dirigées, généralement
des relances, sur la base d’un canevas d’entretien commun, évolutif, le chercheur devant
adapter ses interventions selon le discours des interviewés. Pour éviter les variables
supplémentaires liées à l’enquêteur (comme l’expérience et la personnalité), tous les
entretiens ont été menés par le même chercheur. En termes de technique, le chercheur expert,
habitué à ce type de recueil des données, a laissé l’interviewé s’exprimer librement, selon une
logique discursive propre ; seuls les aspects non abordés étaient suggérés par des questions
ouvertes ou parfois même par des mots clés. Les entretiens ont été réalisés à l’université (pour
la majorité des enseignants) ou à l’extérieur, dans un cadre convivial (pour seulement quatre
enseignants).
D’une manière générale, les questions étaient organisées autour du canevas suivant : après
l’ouverture de l’entretien (présentation de deux locuteurs, de l’objet de l’entretien, du
consentement de l’enregistrement audio des données), la première question avait comme
objectif de lancer l’interviewé sur le thème de l’étude : « Quand avez-vous utilisé la dernière
fois le numérique ? » En fonction de la réponse, des précisions étaient apportées concernant le
lieu, s’il s’agissait de l’utilisation du numérique en classe ou ailleurs, la durée, pour quoi faire
(besoins personnels ou professionnels), etc.
5
Le terme triangulation écologique est emprunté à Stéphane Martineau, qui suggère de mettre les analyses et les
interprétations à la vérification auprès des sujets participants à la recherche
(http://propossurlemonde.blogspot.com/2012/02/triangulation-en-recherche-qualitative.html) ; pour notre part,
dans un premier temps, nous avons demandé aux interviewés de vérifier les transcriptions et de confirmer leur
exactitude ; dans un second temps nous leur avons présenté nos interprétations.
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Une question concernait les éventuels effets du numérique sur les interactions en classe
(professeur-élèves et élèves-élèves), sur les types de tutelles (étayage du professeur, co-
apprentissage entre élèves) et/ou de médiations (humaines et/ou techniques).
Les autres questions étaient focalisées sur le ressenti de l’enseignant par rapport à l’usage du
numérique dans son enseignement et sa formation (« Est-ce que vous aimez utiliser le
numérique dans vos enseignements ? » ; « Avez-vous participé à des formations,
manifestations professionnelles qui utilisaient le numérique ? Si oui, qu’en avez-vous
pensé ? ») et à sa valeur instrumentale (« Selon vous, la maîtrise du numérique est-elle
nécessaire pour faire classe ? »).
Les données factuelles, relatives aux renseignements généraux (âge, sexe, fonction,
ancienneté, lieux d’exercice) ont été abordées selon la situation, au moment le plus naturel de
l’entretien, pour détendre l’atmosphère et créer un climat d’échange confiant et agréable.
La capture audio a été réalisée avec un enregistreur professionnel, doublé d’un smartphone
pour sécuriser le corpus recueilli et éviter les éventuels problèmes d’ordre technique. Les
enregistrements, d’une durée de 45 à 70 minutes, ont été intégralement retranscrits et soumis à
une triangulation écologique auprès des enseignants interviewés, afin qu’ils vérifient et
confirment leurs propos avant les premières interprétations ; ces dernières leur ont été
présentées dans un second temps.
3.2. Population
Pour affiner la composition d’un groupe, en référence aux recherches sur les représentations
d’une population sur un objet, Doise et al. (1992) proposent quatre critères (suite à sa
théorisation des quatre niveaux d’analyse) : « les processus intra-individuels » ; « les
processus interindividuels » ; « le positionnement social » ; et « le positionnement
idéologique ». Selon cet auteur, un groupe est bien circonscrit s’il répond à au moins trois des
quatre critères. Au regard de notre population et selon ces exigences, nous avons quatre sous-
groupes d’enseignants (processus interindividuel), ayant plus de dix ans d’expérience et
appartenant au corps des enseignants du premier degré (positionnement social), habitant et
exerçant à Tahiti et ayant reçu la même formation initiale (l’école normale de Tahiti)
(positionnement idéologique).
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d’exclusion de cette recherche ont été les suivants : moins de dix ans d’expérience
d’enseignement, les enseignants du 2nd degré et les animateurs TICE (enseignants chargés de
l’intégration du numérique dans l’enseignement). Le tableau 1 présente la synthèse des
caractéristiques de la population interviewée.
Les entretiens se sont déroulés entre avril et juin 2017. La taille de l’échantillon a été établie a
posteriori par le principe de la saturation empirique des données. Selon ce principe, l’analyse
des données se fait au fur et à mesure de leur transcription, le recueil étant interrompu quand
les derniers entretiens n’apportent plus de nouvelles informations (Pires, 1997). Nous avons
documenté systématiquement le degré de saturation à travers une analyse thématique,
organisée en catégories et sous-catégories, que nous allons détailler dans la partie suivante.
Après le 11e entretien, nous n’avons plus trouvé de nouvelle catégorie. Toutefois, pour
pouvoir procéder à des analyses comparatives plus fines, nous avons augmenté le corpus à 16
entretiens, en équilibrant les sous-groupes PE/CP et H/F.
L’analyse des données se base sur la méthode de la théorisation ancrée (Paillé, 1994 ; Paillé et
Mucchielli, 2003) avec un codage manuel axial et une triangulation avec la littérature
scientifique. Cette méthode qualitative, inspirée par la grounded theory de Glaser et Strauss
(1967), consiste en la conceptualisation des phénomènes étudiés (qu’ils soient sociaux,
culturels ou psychologiques), par des mises en relations itératives entre les données
empiriques et l’analyse progressive du phénomène étudié. La méthode présente six étapes
(codification, catégorisation, mise en relation, intégration, modélisation et théorisation), « la
catégorie » étant désignée comme l’outil principal pour articuler les données empiriques et la
théorisation. Le terme « théorisation » est utilisé par Paillé dans un sens plus modeste que
dans la grounded theory, sans prétendre à la production d’un modèle théorique ou d’une
théorie, l’objectif principal de la méthode étant la compréhension des discours et des faits
déclarés par les interviewés.
l’aide à la mise en place des enseignements, l’assistance des professeurs titulaires en faisant ponctuellement
classe à leur place afin que ces derniers puissent mieux observer leurs élèves (BO n°30 23 juillet, 2015).
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Nous n’avons pas tenté de modélisation et théorisation des phénomènes observés (étapes non
obligatoires dans la théorie de Paillé), d’autant plus que cet article ne rend compte que des
premiers résultats de notre recherche.
Nous avons organisé la présentation des résultats autour des catégories et sous-catégories,
issues de l’application de la théorisation ancrée à notre corpus. Les macro-catégories
identifiées ont été établies selon les questions initiales de la recherche : (1) les représentations
des enseignants sur le numérique en général ; (2) les représentations sur les pratiques
déclarées ; (3) les représentations sur le ressenti des enseignants par rapport au numérique.
Elles regroupent les propos des interviewés, codés et ordonnés en sous-catégories, par la mise
en relation et l’intégration des données de l’ensemble des 16 entretiens, que nous illustrerons
par des extraits de verbatims, afin de présenter une analyse fine, détaillée et contextualisée.
Les représentations des enseignants sur la notion du « numérique » ont été examinées d’une
part à partir des réponses à la question portant spécifiquement sur cet aspect (« que signifie
pour toi "le numérique" » / « que mets-tu derrière le mot "numérique" ») et, d’autre part, à
partir des discours des enseignants faisant référence à cette notion pendant toute la durée de
l’entretien. D’une manière globale, les réponses renvoient aussi bien au matériel utilisé (les
outils, les logiciels ou encore le système d’exploitation), qu’à des concepts liés à internet et
aux enjeux du numérique :
« (…) l’ordinateur, la tablette… Ça peut être un rayon laser pour calculer des mesures, ça
peut être un code-barre (…) puisque j’ai mis l’application sur mon téléphone. L’appareil
photo aussi. (…) J’utilise beaucoup mon téléphone (…) il y a énormément d’applications
que l’on utilise avec les enfants. » (E9)
Nous avons enregistré des différences entre les réponses des interviewés, la majorité des
enseignants répondant par des mots clés, d’autres développant leurs réponses. Par ailleurs
certains enseignants se sont limités seulement au numérique dont ils faisaient usage dans un
cadre privé ou professionnel, alors que d’autres ont fait référence au numérique en général.
Nous avons organisé leurs réponses en quatre catégories hiérarchisées (pour détail des
catégories et sous-catégories, voir Annexe 1).
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Revue « Contextes et Didactiques », n°11, Juin 2018
On note que les notions les plus citées sont celles liées au matériel et plus exactement aux
outils. Plus minoritairement, quelques enseignants ont mentionné d’autres termes comme les
moteurs de recherche, les systèmes d’exploitation, et les navigateurs web par un enseignant.
En outre, la méthode de l’entretien compréhensif ne se base pas sur le nombre de fois qu’une
notion apparaît, une seule apparition est suffisante pour être prise en compte. Cependant, aller
au-delà de la saturation des données (les nouveaux entretiens ne présentent plus de nouvelles
catégories), permet de stabiliser et consolider les catégories identifiées et de déterminer celles
qui sont les plus prégnantes. Enfin, plus de la moitié des interviewés ont accompagné les
notions liées au numérique à des propos liés à la démarche pédagogique et à l’utilisation des
outils à bon escient :
« (…) j’englobe dans le numérique tous les matériels informatiques. (…) Ensuite, derrière
le matériel il y a aussi la démarche qu’on doit utiliser pour l’enseignement. On ne l’utilise
pas comme sur un enseignement traditionnel (…) la démarche, ça permet de construire la
posture professionnelle avec le numérique (…) sans oublier aussi toute la partie
responsabilité éthique par rapport à ces usages. » (E12)
Dans cette macro-catégorie, nous avons regroupé aussi bien les discours portant sur les outils
que l’impact de ces derniers sur les pratiques et l’organisation pédagogique des activités
utilisant le numérique (voir Annexe 2 pour la synthèse des catégories et sous-catégories se
référant aux pratiques déclarées).
Les discours relatifs à l’usage du matériel dans et hors la classe permettent de dégager une
première catégorie concernant la dotation des écoles et des élèves, en lien avec les dimensions
géographiques inhérentes à la Polynésie et les enjeux associés à l’isolement. Il est question de
l’équipement, par des outils fixes ou mobiles :
« Chaque école a une salle informatique. En revanche dans les salles informatiques, bon ce
sont des dinosaures, ce sont des postes fixes qui ne fonctionnent plus parce qu’il n’y a pas
eu un entretien régulier. » (E9)
« On a la possibilité d’aller 2 heures en informatique dans l’école puisqu’il y a une salle
(…) ils (les élèves) sont tous capables de faire une présentation avec un diaporama, tous
hein. Ils sont capables aussi d’insérer des vidéos et des captations, enfin autre chose que du
texte. » (E2)
« Maintenant elle (la salle informatique) est de moins en moins utilisée parce qu’on a des
appareils nomades et qu’on se rend bien compte que l’utilisation du numérique ne peut pas
se faire sur des créneaux définis dans les emplois du temps. (…) Et l’inconvénient des
salles informatique, avec le recul qu’on a, c’est que quand on se déplace, on ne se déplace
pas avec l’environnement de la classe. Les affichages, les référentiels tout ça reste en
classe. Et si on en a besoin, ben… Elles seront amenées à disparaître ces salles hein. »
(E11)
Il ressort de ces discours des limites organisationnelles, qui peuvent être palliées en partie par
l’informatique mobile, ainsi que l’évoque l’enseignant 11, point repris par d’autres
enseignants :
« En général les écoles vont s’équiper en ayant un lot d’ordinateurs voire une douzaine
d’ordinateurs ou une douzaine de tablettes (…) Donc ça nécessite bien sûr pour l’école ben
une certaine organisation pour pouvoir répartir et utiliser le matériel au quotidien dans la
classe et sur toute la semaine. » (E12)
« Non, ce n’est pas chaque classe. C’est l’école qui a 10 tablettes (…) il faut faire un
planning ou bien sur projet. » (E9)
« (…) dans nos écoles des séries de huit hein. C’est un travail en petits groupes et avec des
roulements » (…). « La salle informatique nécessite une organisation au niveau de l’école.
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Ne peut y aller que la classe indiquée dans le planning. Donc c’est rythmé par un planning.
Alors que le fait d’équiper les classes, on peut le faire à tout moment. » (E10)
L’équipement dans les îles repose sur les convictions relatives à une plus-value du numérique,
qui permet une intégration des nouvelles technologies sur les sites isolés :
«… à Puka Puka, donc c’est pareil hein, c’est un vol toutes les trois semaines, il y a 61
habitants. Et là, c’est une nouvelle directrice, très convaincue du numérique, avec beaucoup
d’ordinateurs qui ne fonctionnaient pas. Donc c’est son mari hein, qui est un bricoleur, qui
a passé du temps à réparer des ordinateurs (…) maintenant je pense qu’ils doivent en avoir
entre 5 et 10 qui doivent fonctionner. » (E5)
Par rapport à l’intégration du numérique dans leur enseignement, les interviewés ont souligné
d’une part les exigences auxquelles le professeur doit faire face pour une utilisation à bon
escient et, d’autre part, les aspects qui conduisent à une modification des interactions
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La dimension technique est également évoquée par la nécessité de connaître les intentions des
concepteurs, comme l’exprime cet enseignant au sujet du logiciel Tacit :
« Il faut bien analyser le logiciel pour savoir dans quel état d’esprit il a été conçu, et
comment il fonctionne. Je crois que trop souvent, beaucoup d’enseignants peut-être, font
confiance au programme qui est présenté sans avoir fouillé ce qu’il y a derrière… les
intentions. Pour Tacit le principe est simple. C’est d’améliorer les compétences en
compréhension, et en compréhension fine. Donc tout ce qui est inférences et tous les types
d’inférences. En fait, Tacit entraîne l’élève à faire des inférences et à répondre à un
questionnaire à choix multiples. Mais à aucun moment, il ne s’intéresse à, si j’ai coché une
bonne réponse, c’est en quoi elle est bonne, quelle est la justification, quel est le processus
cognitif qui m’a permis d’y répondre ou le processus linguistique parce qu’il y a des
inférences syntaxiques. Voilà. Tout ça, Tacit ne le fait pas donc l’enseignant il doit à un
moment donné poser, voir ce que l’élève a fait, les réussites, les erreurs et les reprendre
pour lui expliquer. Parce que le programme ne pourra pas lui expliquer. » (E14)
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comprendre les procédures métacognitives, s’il n’y a pas l’enseignant qui lui permet de
mettre en évidence ça, c’est pas l’outil numérique qui va le faire seul. En l’état actuel des
choses. » (E14)
En tant qu’outil, le numérique est envisagé comme une aide dans l’apport d’informations :
« (…) par exemple si tu dois voir le fonctionnement d’un microscope. Tu as une activité en
science, comment tu fais ? Sur YouTube, ils ont la vidéo, le microscope fonctionne de telle
manière (…), ils pratiquent tout de suite. » (E12)
« (sans le numérique) (…) les élèves se déplacent aux dictionnaires, ça fait désordre en
classe… tu as le chahut. Et les enseignants n’aiment pas trop les déplacements en classe,
les chahuts en classe (…) Alors que sur l’ordinateur tu as accès à tout. Tu as accès au
dictionnaire, tu as accès à YouTube (…). » (E12)
Enfin, l’autonomie des élèves provoquée par le numérique modifie les pratiques enseignantes
et la gestion :
« Quand on est en salle informatique et que tout est clair, (l’enseignant) n’intervient
normalement pas. Il est un guide juste il est une aide, voilà c’est tout. Alors qu’en classe,
on est moins une aide. L’élève va toujours avoir tendance à regarder l’enseignant en disant
qu’est-ce que je dois faire ? Dans la salle informatique, il ne regarde pas le maître, il nous,
enfin il m’oublie. » (E1)
« Des fois je les oublie. Après ça sonne. Ben maîtresse on a tout répondu, on a éteint, on a
rangé, voilà. Oui, ils sont très disciplinés on va dire. » (E2)
Le travail en groupe peut être occasionné par le logiciel, suite aux évaluations, mais
également décidé par l’enseignant, selon ses objectifs pédagogiques, ou encore imposé par les
contraintes matérielles. Les groupes peuvent être organisés pour permettre un travail
collaboratif entre élèves, ou pour distinguer le sous-groupe avec l’ordinateur (en autonomie)
et un autre en tutorat avec l’enseignant ou vice-versa.
Sur les dimensions évaluatives, les logiciels peuvent être utilisés pour un travail de
différenciation ou en ateliers composés par l’enseignant :
« (...) ils travaillent par groupes de niveau parce que l’ordinateur les range
automatiquement (…) ils ont eu une évaluation diagnostique (faite par le logiciel) et ils
travaillent en autonomie. (…) il y a 6 ou 8 ordinateurs, donc les autres élèves sont sans
numérique, aussi en lecture, en compréhension… avec un texte. On s’occupe d’un petit
groupe dans la classe. Mais ça tourne vite. On a paramétré pour dix textes de lecture très
courts mais très intenses. Et en dix minutes ils répondent. » (E9)
« Un groupe est sur le programme à s’entraîner avec une série de questions qui est
paramétrée par l’enseignant hein ? Un groupe est avec l’enseignant sur... ils reviennent sur
les erreurs qu’ils ont produites à l’occasion des entraînements, sur les erreurs pour un
étayage (…) chacun pouvait avoir sa machine. Mais l’intérêt justement de mettre en place
ce dispositif (logiciel Tacit), c’est qu’on peut fonctionner par ateliers. Et ça permet,
puisqu’à un moment donné il y a un fonctionnement en autonomie face à la machine,
l’enseignant peut être avec un groupe justement pour cet étayage pédagogique. Et donc
l’intérêt c’est pas forcément de mettre tous les élèves sur les machines, mais c’est de
pouvoir faire des ateliers, des groupes de besoins qui, voilà, qui rentabilisent au maximum
ce qu’on peut faire grâce à ce programme. » (E14)
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Revue « Contextes et Didactiques », n°11, Juin 2018
Enfin, sont questionnées les modalités de tutorat entre pairs avec le numérique comme outil,
et le tutorat enseignant-élève par l’accompagnement dans la réalisation de la tâche :
« Mais ça peut être des groupes de niveau, ça peut être des groupes en tutorat, c’est-à-dire
qu’il va y avoir un enfant, par exemple en maths, qui va être en tutorat avec quelqu’un
d’autre. Le numérique n’est qu’un outil là. Mais c’est...au niveau de la mise en pratique
c’est pareil qu’une séance avec plusieurs groupes ou ateliers en classe. » (E4)
« … Par exemple, si je veux qu’ils produisent un livre numérique sur une période d’une
semaine je serai davantage avec ceux qui utilisent du numérique. Par contre, si je cherche
davantage à interagir avec les élèves, qu’on communique, qu’on mette en place des
situations communicationnelles (inaud), je serai plutôt avec les élèves qui n’ont pas l’outil
numérique. » (E6)
Nous avons distingué dans le corpus les discours se référant aux usages du numérique par les
élèves, les instruments et les outils utilisés en classe, les activités, projets et tâches proposées,
ainsi que sur l’intérêt du numérique pour les élèves (Voir Annexe 3 pour les catégories).
Un certain nombre d’exemples d’activités et d’outils sont évoqués par les enseignants, dans
les champs littéraciques et mathématiques :
« L’outil numérique c’est plus un réinvestissement, sur une notion qu’ils ont déjà abordée.
Pour laquelle je vais les laisser pour de l’entraînement (…) dans la classe de CM2, on
utilise la compréhension en passant par une application qui est " Tacite"" (…) c’est une
application pour travailler les inférences, la compréhension et le vocabulaire avec les
enfants. Mais ils sont obligés d’aller se connecter en ligne. » (E9)
« …dans la répartition des groupes de besoins en lecture, pour améliorer les compétences
en compréhension. » (E14)
« (…) avec Geogebra ils (les élèves) font de la géométrie (…) dans le tracé de figure ils
peuvent très bien extraire une nouvelle notion qui est mise en évidence dans la figure. »
(E10)
Des utilisations sont également réalisées dans d’autres matières, selon différents usages tels
que la recherche documentaire en histoire ou le développement d’un regard critique sur ces
propres performances EPS :
« (…) les films en histoire (…) je les ai filmés, ils se filment aussi en EPS, j’ai une GoPro.
Ensuite ils le regardent comme ils font enfin, les différents gestes à faire ou à ne pas
faire. » ; « (…) on faisait une recherche sur les rois de France. Donc ils avaient une fiche
guide et ils devaient naviguer pour répondre à des questions. » (E2)
« (…) l’utilisation de la vidéo en l’EPS. On met les élèves dans une situation de jeu, un
élève filme. Ensuite en autonomie les élèves re-visionnent le film. Et après, c’est tout un
travail qu’il faut avoir avec eux, où on a un tableau avec des critères où on va observer les
rôles de chacun, les réussites, comment est-ce qu’ils ont fait pour réussir. Et on développe
cette observation, on développe l’apprentissage aussi ben, du geste ou de la technique ou de
la tactique de jeu, qui se fait justement à travers la vidéo. » (E15)
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Revue « Contextes et Didactiques », n°11, Juin 2018
Ainsi que le résume cet enseignant, les activités peuvent être envisagées de façon
disciplinaires ou pluridisciplinaires :
« il y a, en gros de manière très globale, deux types d’activités. Donc il y a l’utilisation du
numérique pour s’exercer, donc entraîner les élèves pour qu’ils puissent consolider les
compétences (soit en français, soit en mathématiques, etc.) (…). Et l’autre type d’activité
c’est intégrer le matériel numérique dans un projet pluridisciplinaire… avec pour finalité
une production numérique… une vidéo à plusieurs, à la suite d’une sortie (…) où on va
fédérer plusieurs disciplines, le français, les mathématiques, les sciences etc. Dans ces deux
types d’activités il peut y avoir aussi des recherches sur internet qui sont faites. » (E12)
L’intérêt pour les élèves est une catégorie importante dans le discours des enseignants, en
termes d’attraction et de motivation, d’autonomie et de statut de l’erreur, mais également en
termes d’ouverture socioculturelle et d’enjeu sociétal majeur. Certains d’entre eux soulignent
la facilité avec laquelle le numérique engage l’élève dans la tâche :
« (…), il n’y a pas plus simple que de leur dire qu’on va travailler avec des outils
numériques (…) ils entrent facilement dans la tâche. (…) le numérique motive plus l’enfant
à s’engager dans la tâche. » (E12)
« Celui qui est avec une tablette (…) il est plus motivé, on le voit tout de suite (…) ils
veulent la tablette, ils ne veulent pas le papier (…) c’est très ludique et interactif (…) c’est
ça qui les attire. » (E9)
« C’est une source de motivation (pour les élèves), ils trouvent cela ludique, ils ont
l’impression de ne pas travailler. Comme je te disais, c’est bien mais bon il faut garder du
recul sur les activités proposées, les jeux du commerce des éditeurs » ; « (…) les élèves
trouvent que c’est plus attractif, plus ludique, donc ça c’est intéressant. » (E13)
« ils (les élèves) adorent ça. Ils adorent ça, mais parce que c’est pas scolaire (…) c’est un
amusement. Ils n’ont pas d’ordinateur chez eux. Ils ont une télé, ils ont des téléphones,
mais ils n’ont pas de iPad, pas souvent, et en tout cas pas d’ordis et pas Internet. Donc
arriver en classe et avoir l’ordinateur, c’est une séance de jeu. C’est pour ça que ça part, si
on ne cadre pas avant d’arriver en salle informatique, ça part dans tous les sens. » (E1)
Les modalités organisationnelles et matérielles sont également envisagées comme des plus-
values pour les élèves, à l’égard de l’investissement, de la motivation et de la collaboration
entre eux :
« si je les mets en groupes en classe, sans ordinateur, avec un manuel ou avec des fiches
que j’aurais préparées, il va y avoir bagarre. (…) ils vont attendre que les autres fassent,
(…). Alors que sur l’ordinateur, ils vont tous vouloir toucher, même ceux qui n’ont pas
beaucoup de courage et qui n’aiment pas faire d’effort en général, là ils ont envie de
toucher, ils ont envie de taper le .com, ils ont envie de taper le nom de la planète (…) ils
aiment quand l’image apparaît (…) et j’ai pas de bagarre en salle informatique. J’ai du
bruit, mais je n’ai pas de bagarre, donc ça change les relations entre les enfants. » (E1)
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Revue « Contextes et Didactiques », n°11, Juin 2018
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Revue « Contextes et Didactiques », n°11, Juin 2018
« Il peut avoir accès hein, l’élève au bilan. Donc pour voir comment est-ce qu’il pourrait
s’améliorer. » (E12)
L’analyse des occurrences discursives lors des étapes de la mise en relation et de l’intégration
(cf. théorisation ancrée) a permis de dégager plusieurs classes de discours. Si 36% de ces
occurrences discursives sont favorables au numérique (ressenti positif, plus-value pour les
élèves et les enseignants), 64% d’occurrences discursives portent sur des ressentis et des
difficultés (pour une synthèse du ressenti des professeurs sur le numérique par rapport à leur
pratique privée et professionnelle voir Annexe 4).
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Revue « Contextes et Didactiques », n°11, Juin 2018
« … le logiciel propose des évaluations qui sont très bien faites (…) le numérique permet à
l’enseignant de ne plus avoir à... gérer toutes les tâches qui sont complexes et laborieuses
(…) à corriger toutes ses copies, à faire ses groupes de besoins (…) ça le libère de ça pour
se consacrer au plus près de l’élève. » (E14)
« … l’enseignant qui maîtrise les contenus didactiques, les enjeux, et qui sait utiliser à bon
escient le numérique, forcément les séances qu’il propose aux élèves apportent une plus-
value. » (E 13)
« C’est intéressant avec les élèves parce que ça apporte quelque chose de dynamique dans
les cours (…) ça mobilise l’attention des élèves (…) c’est plus facile à captiver les élèves
avec un support numérique vidéoprojeté. » (E2)
« Ça modifie forcément la façon d’enseigner. L’avantage que pourrait en retirer
l’enseignant, après tout dépendra de la situation, tout dépend de ce que l’élève a à faire et
de comment il va utiliser l’outil et pourquoi il va utiliser l’outil. Parce que si l’élève utilise
l’outil, et que l’enseignant a la possibilité d’avoir un retour sur la démarche qu’a pu avoir
l’élève, c’est quelque chose qu’il pourra ré-exploiter mais de manière collective parce que
ben c’est… » (E11)
Il permet une adaptation aux élèves, à leur quotidien, tout en développant l’autonomie :
« (…) oui, ah oui, le numérique ‘oui’. Je pense à la sphère privée (…) mon fils a
commencé à écrire comme ça, avec les iPad. (…) Pour peu qu’il soit performant, que ça
fonctionne bien, et que les élèves soient habitués à travailler avec et que les parents soient
d’accord. » (E1)
« Si en tant qu’élève, tu es devant un logiciel, le professeur t’explique peut-être quelle est
la consigne. Mais si le logiciel est bien fait, il guide l’élève, donc il fait l’étayage. » (E14)
« Première chose, c’est au niveau de la motivation des élèves. C’est fondamental parce que
j’ai rarement vu des élèves comme ça, qui sont face à l’écrit hein on est en lecture. (…) Ils
peuvent rester, dans les séances d’entraînement près d’une heure à s’entraîner, et à même
échanger pour savoir ce que l’autre a répondu. » (E14)
« Parce que déjà la jeune génération a changé. Eux ils sont obnubilés par les images qui
bougent (…) on va utiliser ça pour faire passer des savoirs, des connaissances. Donc il faut
passer par le numérique. » (E12)
« …avec les générations d’aujourd’hui (…) ils ont une certaine aisance vis-à-vis de l’outil
avant même d’entrer à l’école hein. Parce que ça fait partie de leur environnement. » (E11)
Enfin, le numérique est envisagé comme une ouverture sur le monde ainsi que ressources pour
les enseignants :
« C’est un moyen supplémentaire pour véhiculer des connaissances ; quand on est
enseignant c’est bien. » (E2)
« oui je suis tout à fait convaincue de l’intérêt de tous les outils du numérique, surtout chez
nous. Enfin, on est loin de tout, enfin en Polynésie c’est un peu particulier mais on est
isolés de tout, donc forcément ça permet des liens, des ponts avec le monde. Donc ça, on
peut pas faire l’économie de cet avantage, de l’intérêt que ça peut nous apporter au niveau
de la communication, au niveau de l’information. Et puis même, je pense qu’on peut
travailler de nombreuses compétences à partir du numérique (…). » (E4)
Les ressentis négatifs portent sur les dimensions matérielles et de gestion, mais également sur
des aspects moins issus du terrain et plus en lien avec des représentations que l’on pourrait
qualifier de générationnelles.
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Revue « Contextes et Didactiques », n°11, Juin 2018
Lorsque les enseignants utilisent des outils en classe, la question de la gestion de classe
émerge :
« ils sont toujours très dissipés. Quand on a eu les tablettes (…) c’était l’enfer parce qu’ils
voulaient jouer, enfin tu vois. Du coup je n’arrivais plus à canaliser j’ai dit non non on a
quelque chose de bien précis à faire (…) quand ils sont devant un ordinateur où c’est un
peu plus facile à cadrer, donc ils s’investissent plus. » (E2)
Des expériences pas toujours concluantes et la rapidité des évolutions sont des facteurs qui
peuvent être décourageants :
« Le progrès va tellement vite que… je me sens toujours un peu dépassé… tout avance...
j’ai une tablette, j’ai un ordinateur, le smartphone… Et là… on est déjà à des outils de
programmation de petits robots. Moi j’y suis pas encore (…) ça va vite. Ça va trop vite. »
(E8)
« J’aime pas le numérique. (…) J’ai fait l’effort mais je ne comprends rien, ça va trop vite.
Je ne suis pas, je pense que je ne suis pas de la génération du numérique. Et en plus je
panique vite. » (E3)
Ces réticences sont liées à un décalage générationnel, entre l’enseignant et l’élève, mais
également au sein du corps des enseignants :
« (…) nous, dans mon école, nous ne sommes pas très ‘numérique’ on va dire. Mais les
élèves (…) dans ma classe, ils sont très à la page. (…) ils ont 9-10 ans et ils connaissent
YouTube, ils savent télécharger, regarder des tutoriels sur YouTube, ils savent naviguer
facilement. Ils ont tous une tablette, tous. » (E2)
« Certains n’aiment pas du tout le numérique. Ça dépend des générations. On a des
enseignants qui n’y arrivent pas. Ils ne l’utilisent pas, mais ça ne fait pas d’eux des mauvais
enseignants. » (11)
« Nous ne sommes que 2 sur 6 à utiliser de manière récurrente l’outil numérique (…) les
autres, non, c’est difficile, parce qu’ils sont quand même âgés, donc ils ont du mal à se
remettre dans le bain. D’autres c’est plus complexe parce qu’il va falloir que je revoie ma
manière de faire. » (E6)
« Mais c’est soit ils ont pas été formés, soit ils sont réfractaires. Ils ont pas envie. Il y en a
plein qui m’ont dit moi je suis à quatre années de la retraite, je vais pas m’embêter avec vos
logiciels et vos ordinateurs, et j’ai pas envie de changer ma pratique quoi. Moi ça fait des
années que j’enseigne comme ça, je n’ai pas envie de changer. J’ai pas envie de m’embêter
avec, moi ça me donne beaucoup plus de boulot, et puis de toute façon je ne comprends pas
et j’ai pas envie. » (E4)
4.5. Discours sur les difficultés selon les deux catégories d’enseignants, PE et CP
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Revue « Contextes et Didactiques », n°11, Juin 2018
Au-delà des problèmes techniques éventuels, ils peuvent être mis en difficulté dans
l’élaboration, par les difficultés techniques dans la maîtrise des logiciels, mais également dans
le suivi du raisonnement des élèves ou l’analyse des erreurs :
« J’ai vu déjà des enseignants utiliser des tablettes où ils avaient fabriqué un livre interactif
eux-mêmes, avec des images et tout, en tahitien, et donc les élèves de CM2 étaient obligés,
quand ils avaient un texte, à lire. (…), ils devaient faire play pour entendre le texte et puis
ils pouvaient lire tout seuls et il y avait des mots fléchés, enfin indiqués, qui étaient censés
être difficiles ou inconnus des élèves, donc en cliquant dessus ils avaient une fenêtre qui
apparaissait et qui donne la définition. (…) Moi j’ai toujours voulu essayer de faire ça, de
fabriquer ça, mais j’ai jamais réussi. Et la personne qui fabrique ça ben elle me dit que ça
lui prend autant de temps (…) j’ai fait des formations sur des MOOC pour arriver à utiliser,
enfin le logiciel en question, mais je n’ai pas réussi (…) je n’ai pas les compétences pour
fabriquer un support comme ça. Donc je me sens très limitée par rapport à ce que je peux
faire. » (E2)
« L’enseignant se doit de tout anticiper… qu’il anticipe la panne possible d’un de ses
outils, et qu’il puisse se rabattre sur un autre outil qui sera forcément l’outil papier. » (E7)
La question des compétences et des difficultés liées à la formation est également évoquée,
croisant les difficultés plus techniques et organisationnelles :
« je n’ai pas bénéficié des formations. (…) j’avais demandé (à la conseillère pédagogique
spécialiste en numérique) de venir dans ma classe justement me montrer des logiciels
qu’on peut faire sur iPad et tout, comment télécharger… enfin moi je ne suis vraiment pas
une As en numérique hein, mais… Donc je lui ai demandé de l’aide, elle m’a dit oui oui, je
viens tel jour, elle est jamais venue. Je l’ai relancé, elle n’est jamais venue hein… » (E3)
« je ne me souviens même pas des noms des logiciels dont on m’avait parlé hein. Mais,
voilà, on fait une formation, il faut qu’au préalable on nous ait donné les moyens de
pouvoir l’expérimenter tout de suite en classe. » (E8)
« On a eu, l’année dernière, une formation sur justement l’utilisation du numérique. (…) Ils
nous ont donné plein de trucs, ils nous ont montré les capsules documentaires sur comment
on pourrait utiliser les iPad en classe, comment on pourrait utiliser les ordis en salle
informatique, qu’est-ce qu’on peut faire avec. C’est très bien, c’était génial, mais nous on
ne peut pas, on n’a pas les outils, on n’a pas les logiciels, on n’a pas le droit d’installer les
logiciels si ce n’est pas la mairie qui les installe. Donc c’est très bien de nous faire des
formations, on a passé deux bonnes journées. Mais au retour, personne n’a installé les
logiciels dont on nous avait parlé, et les ordis ne fonctionnaient pas. » (E1)
Ces expériences conduisent à des représentations négatives, qui peuvent mener à un manque
de confiance, des craintes :
« (je n’utilisais pas trop)… quand j’étais en CM1-CM2. On avait la petite tortue, qu’il
fallait... faire le programme. Et moi je suis très mal à matérialiser, enfin...et pour moi c’est
vraiment un mauvais souvenir hein. » (E5)
« Tout le monde a les outils, mais pas forcement utilisé par tous. Je dirais que la moitié des
enseignants ne l’utilisent pas (…) en général, c’est ceux qui sont plus âgés qui n’utilisent
pas parce qu’ils ne maîtrisent pas eux-mêmes. Ils ne se sentent pas compétents dans
l’utilisation du numérique et ils ne sont pas familiers à l’outil. Et du coup, il y a plein de
choses qui leur paraissent complètement étrangères. Et du coup comment enseigner
quelque chose qu’on en maîtrise pas soi-même, c’est un peu compliqué. Parfois aussi ils
sont presque même réfractaires… Ou un peu démoralisés. » (E4)
« Mais il y en a aussi qui ne veulent pas hein, parce qu’ils voient le numérique presque
comme un ennemi. Que le numérique va venir leur voler leur place. » (E4)
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Revue « Contextes et Didactiques », n°11, Juin 2018
il y a des gens qui ne savent pas utiliser. (…) c’est bien d’utiliser le numérique, mais
après...voilà, moi c’est pas trop mon truc. » (E2)
Comme nous l’avons mentionné, les difficultés relèvent majoritairement du matériel, dans
certains cas par un défaut de dotation ou des procédures laborieuses pour en obtenir :
« Je pense que c’est bien (le numérique) mais on manque d’outils. (…) je n’ai pas trouvé
une seule salle informatique avec la totalité du parc qui fonctionnait. Donc en fait on arrive
en salle informatique, sur 14 ordinateurs il en reste 10, donc déjà il y a 8 élèves qui sont
obligés de se rabattre sur des petits groupes pour reformer les groupes. Donc ça change les
consignes, ça change l’organisation du groupe. Ce n’est pas évident (…) ; Ils (les élèves)
ont un ordinateur pour 3 en moyenne. » (E1)
« Il faut vraiment monter un projet, il faut que ce soit un projet exceptionnel pour qu’ils
payent des ordinateurs ou des iPad. (…) Mais par exemple l’école où je travaillais l’année
dernière, n’avait aucun ordinateur, aucun iPad. » (E3)
« J’ai acheté le logiciel personnellement (…) si je veux le faire (travailler avec un logiciel)
je suis obligée… autrement je peux monter un projet et puis le soumettre à la DGEE, qui
peut envisager des fonds pour ça (…) et si la réponse est positive (…) on s’adresse à la
directrice qui passe par la mairie ensuite pour installer (…) c’est long. » (E2)
On observe que les difficultés identifiées par les PE sont similaires selon les CP, qui ont un
rapport au numérique un peu différent, puisqu’ils accompagnement les enseignants. Les
questions relatives au manque de matériel ou la vétusté, la connexion et le financement sont
évoquées :
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Revue « Contextes et Didactiques », n°11, Juin 2018
« Il y a 6 ordinateurs portables (…) parce que l’école n’a pas les moyens, il faut
tourner… » (E16)
« (…) les techniciens qui passent ou qui ne passent pas (pour vérifier le matériel), le
matériel vieillit vite (…) Ça c’est l’aspect matériel, les difficultés qu’ont les enseignants. »
(E12)
« (avec ‘Tacite’) comme c’est une connexion qui se fait qu’en ligne, ça veut dire que c’est
immédiat les réponses. À chaque fois qu’un enfant répond, ça apparaît automatiquement
sur la courbe sa réussite. On est obligé de passer en ligne à chaque fois sur une plateforme
(…) il faut avoir une connexion mobile parce que la connexion de l’école n’est pas
efficace, n’est pas assez puissante. Donc on a demandé à avoir un abonnement. » (E9)
« (…) je vais essayer de lui remontrer un autre projet sur le paiement, comment on va faire.
(…) À partir de la rentrée de 2017 ce sera 2 euros par élève, c’est une licence par élève
maintenant. Donc on m’a demandé de voir un plan de financement que je vais devoir
présenter au directeur, les convaincre du bien-fondé de l’utilisation de cette application. »
(E9)
« L’échéance pour remplir le LSU (le livret scolaire unique) est vendredi, donc on doit
renseigner les livrets avant vendredi. (…) mais il n’y a pas de connexion. » (E10)
« (…) les enseignants renseignent le LSU avant d’aller en ligne, parce que dès qu’ils sont
en ligne il faut que ça aille vite parce que si ça traîne il y a coupure. Comme ils sont direct
sur le serveur national, ils ne peuvent pas rester longtemps. Un temps d’inactivité et le
serveur met fin au travail. » (E10)
Ce conseiller pédagogique fait le lien entre ces obstacles et la fracture du numérique sur le
territoire polynésien :
« Le fossé qui se creuse au niveau des résultats, on le voit socialement, on le voit au niveau
de la fracture du numérique, c’est le reflet de la fracture sociale (…) il y a un enjeu
fondamental à ce que les politiques essayent de rétablir l’égalité des chances d’accès au
numérique (…). Tacit par exemple je l’ai expérimenté à Raiatea au fin fond de... Ben ça
bloque tout le temps donc voilà. Ces élèves-là ne sont pas sur le même pied d’égalité sur
l’accès de la connaissance par le numérique. Alors il faut trouver une autre voie, mais
quand on sait que le numérique peut apporter une plus-value, on se dit ben que ces élèves-
là ne peuvent pas en bénéficier parce que techniquement, voilà (…). » (E14)
Les difficultés sont associées à un manque d’implication ou d’initiative dans certains cas, ou à
la résistance au numérique, ainsi que l’écart générationnel :
« (oui, difficultés avec le matériel) mais c’est aux enseignants et à l’école de trouver des
moyens pour renouveler le stock de matériel. Parce qu’il y a des enseignants qui restent sur
ce constat, donc ils ne font pas de numérique. Et des enseignants qui vont monter des
projets pour récolter des fonds et s’équiper en tablettes tactiles pour les classes (…) je
pense que cette posture est intéressante parce qu’avec l’évolution de la technologie, il faut
faire du numérique en classe. » (E12)
« Toutes les écoles (de la vallée X) ont des tablettes numériques maintenant. Et j’ai vu que
dans une école pendant un an ils ne l’ont pas utilisé parce que le directeur pensait qu’il
fallait d’abord que les enseignants maîtrisent (…) il faut aussi qu’ils manipulent sinon ils
ne vont jamais les maîtriser (…) Ils sont 16 là-bas (dans une école X) et une seule
enseignante voulait (…) utiliser (…) des questions des directeurs d’école… où est l’intérêt
de la tablette ? Du numérique, il est où l’intérêt du numérique ? Donc on est obligé de
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Revue « Contextes et Didactiques », n°11, Juin 2018
Le numérique est aussi associé au métier, qui peut être vécu comme une obligation
chronophage, ou bien comme un usage superficiel :
« utilisation du numérique c’est quelque chose entre guillemets d’obligatoire dans
l’enseignement (…) les élèves doivent être attestés au niveau des compétences, du coup
l’enseignant n’a pas le choix. Même s’il n’est pas à l’aise. L’enseignant qui n’est pas à
l’aise se fait aider, ou peut faire des échanges de service. » (E11)
« Il y a d’abord la question de la polyvalence du PE, avec des exigences où on est très
centré sur les fondamentaux. Lire, écrire, compter, les mathématiques qui demandent
beaucoup de temps quand même de préparation. » (E13)
« Non, ils (les PE titulaires) ne l’utilisent pas (le numérique) souvent (…) on a beaucoup
investi ces deux-trois dernières années, sur du matériel. Un vidéoprojecteur accroché au
plafond, parfois même un tableau blanc interactif, mais jamais on le voit fonctionner (…)
Parce que pour eux c’est... une charge de travail supplémentaire. C’est sûr que passer au
numérique, ça nécessite de s’approprier soit les applications, soit le matériel. Et après
quand on se les est appropriés, il faut concevoir avec (…) (en fait) ils n’ont pas compris
qu’ils pouvaient gagner aussi du temps avec le numérique. » (E15)
« Ils (les enseignants) sont surtout sur l’utilisation de vidéoprojecteur, d’ordinateurs, mais
on n’a pas vraiment changé encore de posture chez les enseignants (…) on n’est pas dans le
développement vraiment d’un apprentissage avec les élèves. On est surtout dans
‘l’enseigner’ avec un outil. Mais pas dans apprendre. » (E15)
« on peut avoir des dérives. on se centre sur l’utilisation de l’outil, le numérique, et pas
suffisamment sur le contenu, donc on peut aussi passer à côté des apprentissages.
Quelquefois la plus-value de l’outil est difficile à dégager sur certaines séances. Tu vois les
élèves utiliser le numérique, tu te dis quelquefois ok si on enlève le numérique, qu’est-ce
que le numérique a apporté en plus ? C’est pas toujours facile à évaluer. » (E13)
Enfin, la formation est un obstacle, aussi bien dans la mise en place que face à un certain
désintérêt de la part des enseignants :
« Il (le directeur) demande toujours il faut des formations pour les enseignants, et puis les
enseignants ils ont du mal à mettre en place (la formation) ... ils savent pas comment il faut
tourner avec les enfants. » (E9)
« Oui il faut se former c’est ça. Mais ils veulent que tous les modules se fassent pendant le
temps scolaire et on n’a pas beaucoup de temps. (…) on leur envoie des tutoriels mais c’est
pas évident. » (E9)
« Ils (les enseignants) disent qu’on ne les a pas formés et ils ne veulent pas. (…) on a même
essayé de mettre en place des formations sur le temps scolaire, mais ils ne viennent pas. »
(E9)
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Revue « Contextes et Didactiques », n°11, Juin 2018
Le recensement des besoins et l’adaptation pour une exploitation sur le terrain sont également
d’autres obstacles :
« Ils (les enseignants) veulent beaucoup de produits clés en main. Mais des fois les
clés en main ne répondent pas au profil de leur classe (…). » (E9)
« (les PE n’appliquent pas en classe) même s’ils sont formés. Pendant la formation
ils vont te dire oui d’accord, oui c’est bien, c’est pratique, ah oui c’est pas mal.
Parfois, quand la formation le permet, ils vont exprimer le fait que pour eux c’est
compliqué. Autrement, ils vont dire oui oui, c’est super. Et à la fin de la formation
il n’y a rien qui se passe, il n’y a rien qui a changé. » (E10)
En résumé, parmi les difficultés liées à l’usage du numérique rapporté par les deux catégories
PE et CP (pour une synthèse voir Annexe 5), on peut noter un accord attaché aux
représentations, à la résistance générationnelle, la charge de travail et des entraves matérielles.
En revanche, on observe que si les PE trouvent difficile d’obtenir du matériel et estiment que
les formations ne correspondent pas à une demande de terrain (sur un sujet ciblé, sur le
contenu de la formation et les outils en classe ou sur l’exploitation de la formation), les CP
font état d’un certain désintérêt de la part des PE (pour les projets et les formations), une non-
exploitation sur le terrain des formations, ainsi qu’une difficulté à identifier leurs besoins. Il
s’agit de pistes intéressantes à approfondir en termes de formations, puisque bien souvent ce
sont les conseillers pédagogiques qui sont en charge des formations continues. Les points
d’accord et de désaccord peuvent alors être envisagés comme des leviers pour aborder les
résistances et les représentations négatives.
Les réponses à nos questions initiales et la confrontation aux recherches sur le sujet du
numérique permettent d’observer des convergences, mais également quelques divergences
intéressantes. En effet, l’analyse du discours de notre corpus a fait ressortir un certain nombre
de points déjà soulignés au sujet des représentations du numérique et des pratiques, sous
l’influence de représentations sociales et professionnelles. Cuban (1999) faisait déjà état d’un
décalage entre la fréquence de l’utilisation des TICE dans la sphère privée et dans la sphère
scolaire. Notre recherche confirme les obstacles communément identifiés : le manque de
fiabilité des technologies, les pressions extérieures (par exemple la réalisation d’un projet
pour obtenir un financement), les difficultés inhérentes au métier d’enseignant (la polyvalence
du PE, le temps de préparation, etc.), les décisions politiques liées à la dotation et à la gestion
du matériel (par la mairie). Ces obstacles peuvent être associés à des dimensions techniques et
matérielles, mais également à une crainte, une peur ou encore un défaut de confiance en ses
capacités (Carugati et Tomasetto, 2002 ; Karsenti et Lira-Gonzales, 2011 ; Ferrière, Cottier,
Lacroix, Lainé et Pulido, 2013).
À notre question « Quel est le ressenti des enseignants par rapport à l’utilisation de ces outils
dans leur enseignement ? », cinq interviewés ont déclaré un ressenti positif et tous ont fait
part des difficultés liées au numérique, sans toutefois manifester de rejet ou de refus, mais
plutôt en argumentant les raisons de la non-utilisation. Malgré le pourcentage élevé des
difficultés rapportées, les interviewés ne semblent pas remettre en question l’intérêt du
numérique en classe, envisagé comme une ouverture et un enjeu sociétal. De même, à la
question « Quelle utilisation des environnements numériques d’apprentissage et/ou
l’apprentissage en ligne ? », tous utilisent des modules de formation à distance, tant en
situation d’autoformation que pour la préparation des cours. Ces constats sont donc un point
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d’entrée pour penser le sujet de la formation, car malgré des réticences qui trouvent souvent
leur origine dans des expériences négatives, les enseignants ne sont pas dans une posture de
rejet.
En ce qui concerne les appartenances groupales, selon le sexe et l’âge au regard de « fractures
numériques » genrées et générationnelles fréquemment évoquées, nous observons des
variations. Une comparaison des représentations selon le sexe des interviewés a mis en
évidence un équilibre entre les deux catégories vis-à-vis de l’utilisation pédagogique en
classe : quatre hommes et quatre femmes utilisent le numérique en classe (dont trois
régulièrement et cinq ponctuellement) ; quatre hommes et quatre femmes utilisent rarement le
numérique avec les élèves (dont une femme jamais). Si la littérature scientifique sur les
différences selon le sexe des enseignants souligne une distanciation de la part des femmes au
sujet du numérique et ses outils (Cohoon et Aspray, 2008 ; Ferrière et Collet, 2016), en lien
avec les stéréotypes de sexe associant le numérique au masculin, il semble que ce ne soit donc
pas le cas dans notre échantillon. Au sujet de l’âge, Huberman (1989) a dégagé des périodes
qui jalonnent la carrière : de 1 à 3 ans d’expérience « l’entrée, le tâtonnement » ; de 4 et 6 ans
la « stabilisation et la consolidation d’un répertoire pédagogique » ; de 7 à 25 ans la
« diversification, l’activisme, ou la remise en question » et de 25 à 35 ans la « distance
affective, conduisant au désengagement serein » ou « le conservatisme, puis le
désengagement amer ». Les interviewés, dont les résultats sont présentés dans cette étude,
pourraient être assimilés aux catégories d’enseignants ayant le plus d’expérience, l’un des
critères pour l’échantillonnage étant d’avoir au moins 10 ans d’expérience. Les attitudes des
enseignants envers le numérique ne semblent pas correspondre à l’étape définie par
Huberman (1989). En effet, la majorité des enseignants se situe dans le groupe de 7 à 25 ans
d’expérience, et n’utilise pas le numérique, avec un discours majoritairement axé sur les
difficultés. De même, les trois enseignants les plus investis dans l’utilisation du numérique en
classe sont positionnés dans la tranche d’âge de 25 à 35 ans d’expérience, caractérisé selon
Huberman par une distance affective ou un conservatisme. Ces premiers résultats illustrent
donc que les fractures genrées et générationnelles ne seraient pas à l’œuvre dans notre
échantillon, ce qui ouvre là encore des perspectives intéressantes.
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6. Conclusion
L’objectif spécifique de cette étude empirique est d’offrir un état des lieux des représentations
et des pratiques autour du numérique en Polynésie française. L’étude étant en cours de
réalisation, nous avons présenté dans cet article les premières analyses, en nous appuyant sur
des extraits de corpus du premier échantillon interviewé composé de 16 enseignants de l’école
primaire, professeurs des écoles et conseillers pédagogiques. Connaître les représentations des
enseignants permet d’envisager le déploiement d’une recherche-action, afin de proposer des
dispositifs de formation, en présentiel et à distance, basés tant sur les conceptions que sur les
éléments de contexte et de culture identifiés dans les discours.
Les réflexions et analyses menées dans cette étude nous amènent à prendre en considération
les représentations comme genèse et comme construction impactant ultérieur sur les
comportements et les usages (« le comment » de l’intégration du numérique dans les
pratiques). Ces représentations fournissent également des éléments profitables pour la
conception de programmes de formation initiale et continue des professeurs des écoles de la
Polynésie française.
En termes de limites, les résultats présentés dans cet article ne sont qu’une partie de
l’échantillon de la population interviewée et n’offrent donc pas encore une variabilité
maximale. Le corpus est en train d’être complété avec des entretiens auprès d’enseignants
stagiaires et d’Inspecteurs de l’Education Nationale du premier degré, dans la perspective
d’une prise en compte des dynamiques systémiques. Pour cette même raison nous n’avons pas
abordé les dernières étapes de la « méthodologie ancrée » de Paillée (1994), notamment la
modélisation et la théorisation des résultats, qui pourraient être le point de départ pour la
conception d’un dispositif de formation des enseignants, à et par le numérique, en formation
initiale et continue.
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Dans cette perspective, nous espérons fédérer la recherche en éducation sur le thème du
numérique dans les Outre-mer, et envisageons une étude comparative des corpus au regard de
similarités dues au contexte éducatif postcolonial, aux curricula, aux environnements
numériques d’apprentissage, ainsi que des différences dues aux spécificités contextuelles des
territoires, aux politiques éducatives menées ainsi qu’à la diversité culturelle.
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Annexes
Annexe 4 : Synthèse du ressenti des professeurs sur le numérique par rapport à leur
pratique privée et professionnelle
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Annexe 5 : Extraits des accords et désaccords sur les difficultés rapportées dans
l’utilisation du numérique en classe
Désaccord Désaccord
Procédure laborieuse pour obtenir du Désintérêt pour les projets qui leur sont proposés
matériel Désintérêt des PE pour formations liées au
Difficulté d’avoir une formation numérique,
personnalisée à la demande Difficulté à recenser les besoins des PE en formation
Difficulté à exploiter les formations au numérique,
Décalage entre la formation et les outils à non-exploitation de la formation reçue sur le terrain
disposition
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