Fre o
Fre o
Fre o
1 Suicide ou survie?
2 Biologique et éthique. Réflexions sur un colloque de l'Unesco, par Bruno Ribes
3 L'apartheid : pouvoir et falsification historique, par Marianne Cornevin
4 L a violence et ses causes
L a violence
et ses causes
Jean-Marie Domenach
Henri Laborit
Alain Joxe
Johan Galtung
Dieter Senghaas
Otto Klineberg
James D . Halloran
V . P . Shupilov
Krzysztof Poklewski-Koziell
Rasheeduddin K h a n
Pierre Spitz
Pierre Mertens
Elise Boulding
mre9œ
\ — ,
Publié en 1980 par l'Organisation
des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture,
7, place de Fontenoy, 75700 Paris
Imprimerie des Presses Universitaires de France, Vendôme
I S B N 92-3-201809-8
Édition anglaise : 92-3-101809-4
© Unesco 1980
Préface
Introduction générale 9
Transdiscipline et hiérarchie
des systèmes violents
C'est pour ses vertus transdisciplinaires que cette consultation
est importante, et pourtant la transdiscipline en question
n'est pas encore née, et la théorie de la violence qui relèverait
de cette transdisciplinarité est encore dans les limbes. C'est
sur ce paradoxe que repose cet ouvrage et sur cette émergence
qu'on veut donner à réfléchir.
L a violence est forcément « violence de » et « violence
contre ». Violence de l'individu, violence du groupe, violence
de l'institution, violence des classes sociales, violence de
l'Etat, violence d u système international. Ces génitifs hié-
rarchisés d u « microcosme » au « macrocosme » sont déjà
des postulats sur des niveaux de causalité. E n effet, s'il y
a violence « de » l'individu, il faut bien qu'un certain type
de détermination de cette violence trouve son origine o u d u
moins sa forme dans l'individu lui-même, c o m m e unité.
D'autre part, la violence « de » l'individu ne préoccupe
l'environnement que dans la mesure où elle s'exerce « contre »
un niveau supérieur d'organisation et la recherche sur ses
causes s'accompagne naturellement d'une préoccupation
curative, exprime la finalité d u groupe de supprimer ces
causes. Si l'on en reste à ce niveau microsociologique, o n
voit que l'étude des causes de la violence individuelle qui se
situe au niveau biologique et génétique procède nécessai-
rement d'une demande médicale (eugénique, thérapeutique,
euthanasique). O n peut remonter de la base au s o m m e t de
cet échelonnement en faisant le m ê m e genre de remarque.
S'il y a violence « d u » groupe — éventuellement pour
contrôler la violence de l'individu — il faut bien que l'étude
de cette violence s'établisse à partir du postulat sur l'existence
d'une détermination de cette violence trouvant son origine
ou du moins sa forme dans le groupe lui-même c o m m e unité,
et les recherches sur les causes de la violence d u groupe
procèdent d'une demande policière (prévention, surveillance,
punition) et plus généralement institutionnelle. S'il y a vio-
14 Alain Joxe
M o d e s d'intervention
Système Causalité Pratique
(unités) (discipline) de contrôle 1 2 3
Violence et informatique :
centralisme contre autogestion
Violence hégémonique
et non-violence coercitive
C e que Gramsci appelait « hégémonie » de classe se référait
à u n pouvoir de classe non violent, diffus dans l'ensemble
de la société civile, basé sur un consensus des classes domi-
nées à leur propre domination et donc la présence objec-
tive de certains intérêts c o m m u n s aux exploiteurs et aux
exploités sur un horizon déterminé, déterminé naturellement
par la classe dominante. Cette « hégémonie » gramscienne
recouvrait c o m m e concept u n ensemble de pratiques très
largement décentralisées, qui s'institutionnalisaient, sans
doute dans certains appareils d'États centraux, mais dans
leur essence se déployaient de façon libre dans les relations
sociales, les entreprises, les corporations, les églises, les
écoles et les partis, leur valeur en terme de pouvoir n'étant
assurée que tant que leur reproduction était prise en charge
localement et de manière autonome.
A l'inverse, le concept de « coercition » ou de « dictature
de classe », autre face de la domination de classe chez
Gramsci, se réfère aux pratiques des organisations centra-
lisées du pouvoir coercitif de classe, au recours à la violence
et généralement aux forces militaires des États, au cas o ù
le système non violent et décentralisé d u pouvoir hégémo-
nique entrerait en crise.
O r il se trouve que le développement des forces produc-
tives, et plus particulièrement de l'électronique, permet
aujourd'hui, d'une part, l'apparition de pratiques hégémo-
niques centralisées (essentiellement la télévision) et, d'autre
part, l'apparition de pratiques coercitives décentralisées
(guerres par délégation, répression par délégation de l'État
à des milices plus ou moins privées, centralement informées).
L a violence devient u n instrument détailliste de pouvoir,
joue donc un rôle « hégémonique » et l'action politique non
22
Transdisciplinarité et totalitarisme
Transdisciplinarité
et causalité multiple
O n a placé en tête de ce recueil u n certain nombre de
contributions qui abordent la question générale de la trans-
disciplinarité et de la causalité multiple dans une théorie de
la violence.
L a violence demeure soumise à l'enquête philosophique,
c o m m e toute interrogation sans réponse définitive quant à la
condition humaine. C'est ce qu'indique Jean-Marie D o m e -
nach en dialoguant avec quelques h o m m e s illustres d'Anaxi-
mandre à Heidegger et de Diderot à Sartre; pour lui il ne
fait aucun doute que la définition d u dictionnaire philo-
sophique de Lalande, « Violence : emploi illégitime, o u d u
moins illégal, de la force », ne peut apparaître qu'avec le
progrès de l'esprit démocratique. C'est u n phénomène
contraire à la liberté et au bonheur et qui doit être combattu.
Mais cela reste une conduite humaine, n o n animale, parfois
l'ultime recours contre la violence elle-même. Pour l'abolir,
alors que son contrôle traditionnel par le sacré, par les reli-
gions, disparaît, il reste que, dans son excès m ê m e , le progrès
des moyens de destruction a conduit la violence dans une
impasse, ce qui m è n e l'auteur à cette conclusion d'un opti-
misme modéré pour notre époque de violence nucléaire « que
l'idéalisme devient nécessaire lorsqu'il converge avec l'impé-
ratif de la survie ».
Les progrès très rapides de l'analyse fonctionnelle des
centres nerveux supérieurs, liés aux progrès de la biochimie
cellulaire et à l'émergence de la théorie des systèmes, per-
mettent déjà, c o m m e le fait Henri Laborit, de former des
hypothèses et de défendre des thèses sur une causalité systé-
mique des comportements violents au niveau de la structure
du cerveau.
O n lira cette mise au point qui manifeste, c o m m e d'autres
écrits de Laborit, une recherche constante des points d'arti-
27
Jean-Marie D o m e n a c h
Notes
1. Hegel, Phénoménologie, I.
2. P . Ricœur, Histoire et vérité, Paris, Le Seuil.
3. René Girard, La violence et le sacré, Paris, Grasset.
Les mécanismes biologiques
et sociologiques de l'agressivité
Signification fonctionnelle
des centres nerveux supérieurs
O n peut considérer que le système nerveux possède essen-
tiellement pour fonctions :
L a captation des variations énergétiques survenant dans
l'environnement grâce aux organes des sens : sa sensi-
bilité dépendra de la structure de ces derniers et variera
avec les espèces.
L a conduction des informations ainsi captées vers les
centres supérieurs où conflueront également des signaux
internes, résumant l'état d'équilibre ou de désé-
quilibre dans lequel se trouve l'ensemble de Porga-
Les mécanismes biologiques et sociologiques de l'agressivité 47
légende
/ N S N Modifications positives o u
' Déséquilibre interne { ~\~ ) ( — ) négatives de l'environnement
\ / \ ^ y (y compris du milieu intérieur)
Localisation du processus
neurologique
i Stimulus hypothatamique
n Comportement
Mécanisme neuro-hormonal
associé
0
4
i
-© Récompense
i
• Mise en œuvre du P V S (" MFB ^ ) - • Mise en oeuvre d u M F B
(Periventricular System). (Median Forebrain Bundle):
Système cholinergique : apprentissage limbique.
le médiateur chimique Système
de l'influx nerveux catécholaminergique :
est t'ACh. . le médiateur chimique de
l'influx nerveux est la C A .
• Inefficace
<±> • Efficace
Les agressivités
Conclusions
Notes
Quelques principes
L'individu réifié
Types d'impasses
Notes
T A B L E A U 1. U n e première typologie.
Mais c'est là une vue trop étroite qui ne met pas en évidence
les relations entre les auteurs en tant que source possible
de violence, ni m ê m e la violence en soi et pour elle-même.
Examinons maintenant deux autres approches également
fort connues, mais tout aussi peu satisfaisantes. Elles sont
neutres par rapport au premier critère, car elles ne visent qu'à
l'établissement d'une typologie et n o n à la définition de la
violence, mais elles ne sont ni neutres ni utiles pour ce qui
est de la formulation d'une théorie.
L a première consiste à opérer une distinction qui a
d'ailleurs eu u n certain poids dans les premiers travaux de
recherche sur la paix entre diverses conceptions de la vio-
lence (ou de la paix, d u conflit, etc.) selon qu'elles émanent
du psychologue, d u sociopsychologue, d u sociologue, de
l'économiste, de l'anthropologue, d u spécialiste des sciences
sociales o u des relations internationales, de l'historien, d u
spécialiste de droit international, du criminologiste, d u mili-
taire, etc. Le fait que deux types de violence diffèrent parce
que l'un relève de la discipline A et l'autre de la discipline B
(telles la guerre et la violence criminelle en droit interne) ne
permet nullement de formuler un jugement d u genre : « D
existe entre le type A et le type B le rapport suivant... » D
s'agit d'une typologie n o n de la violence mais des sciences
sociales, et d'une collection de concepts incompatibles. Aussi
l'écartons-nous d'emblée.
L a seconde typologie, qui n'est d'ailleurs pas sans rapport
avec la précédente, est plus raffinée et elle a joué encore u n
rôle considérable : elle concerne le « niveau » d'organisation
sociale auquel se situe la violence : violence intrapersonnelle;
violence interpersonnelle; violence inter-groupes (cas parti-
culier : inter-classes); violence inter-sociétés (cas particulier :
inter-nations).
Le concept de « conflit intrapersonnel » ne pose pas de
problème, mais celui de « violence intrapersonnelle » semble
plus contestable. N o u s plaiderons cependant en faveur de
son inclusion, surtout si nous considérons la violence c o m m e
quelque chose qui peut être évité et qui fait obstacle à l'épa-
nouissement de l'être humain ou, si l'on préfère, au « déve-
loppement personnel ». Si nous avons retenu ce cas, c'est
aussi parce qu'il montre bien la relation entre conceptuali-
sation et formulation d'une théorie : dès lors que nous
incluons la violence intrapersonnelle, nous pouvons formuler
un ensemble d'hypothèses de base tel que celui-ci : a) « la
90
Notes
1. Telle est la formule utilisée dans m o n article « Violence, peace and peace
research », Essays in peace research, vol. I, p . 109-134.
2. Voir J. Galtung et al., Measuring world development (World Indicators
Program, n° 2), et Johan Galtung et Andera Wirak, Human needs,
human rights and the theory of development (World Indicators Program,
n° 10), Université d'Oslo, 1974 et 1976.
3. L'autre école est celle de VEigendynamik, fondée sur l'idée que la course
aux armements a son origine dans le pays m ê m e ; conception associée en
particulier aux nombreuses et excellentes études de Dieter Senghaas.
4. Johan Galtung, « A structural theory of imperialism », Journal of peace
research, 1971, p . 81-117.
5. Johan Galtung, « A structural theory of aggression », Journal of peace
research, 1964, p . 95-119 ; et A structural theory of revolution, Rotterdam,
University Press, 1974.
6. Johan Galtung, Social imperialism and sub-imperialism: Continuities in the
structural theory of imperialism, Université d'Oslo, 1975. (Multigraphié.)
7. Johan Galtung, « Is peace possible? », Essays in Peace research, vol. I,
Copenhague, Christian Ejlers, 1975, p. 140-149.
8. Ces termes se retrouvent dans un document des Nations Unies, voir la
Déclaration de Cocoyoc, 1974.
L'apport spécifique des
recherches sur la paix à l'analyse
des causes de la violence sociale :
transdisciplinarité
Professeur à l'Université de Dieter SengliaaS
Brème (République fédérale
d'Allemagne)
Perspectives de recherches
Conclusions méthodologiques
Individus et sociétés :
sciences sociales et disciplines
normatives sur la violence
D a n s la deuxième partie de cet ouvrage, nous avons voulu
grouper quatre études qui réunissent deux à deux des mises
au point de spécialistes à deux niveaux des sciences sociales
(psychosociologie et sociologie de la communication) et à
deux niveaux des disciplines normatives (criminologie et
défense sociale) qui leur sont associées. L e thème général
de cette partie pourrait être : « C o m m e n t décider prati-
quement où c o m m e n c e la violence condamnable. » D e s
désaccords subtils sur le rôle des mass media et la prédomi-
nance des déterminations historiques o u psychosociolo-
giques se font jour naturellement entre les auteurs.
L a psychologie sociale, présentée ici par Otto Klineberg,
est elle-même de nature interdisciplinaire. L a mise au point
qu'il présente ici n'est pas faite pour clore les débats ouverts :
m ê m e s'il y prend parti, Klineberg précise d'abord la défini-
tion de la « violence » par rapport à celle de 1' « agressivité ».
Il écarte les thèses de Lorenz sur le caractère inévitable
de la violence qui s'appuie sur l'argument de la continuité
biologique avec les animaux. Les animaux ne sont pas
aussi violents que l ' h o m m e et l'apprentissage est un facteur
humain d'autant plus important dans le cas de la violence
que l ' h o m m e tire plus facilement des leçons de ses succès
que de ses échecs (ce qui rend illusoire la notion de châti-
ment exemplaire). L a violence s'acquiert; elle s'entretient
par sa représentation au niveau des médias, elle peut se
constituer en sous-culture (machisme, vendetta); on a montré
sa relation avec le phénomène de la frustration et surtout de la
« privation relative », c'est-à-dire relative à une autre
société, à une autre époque ou m ê m e aux espérances futures.
Le grand nombre de ces corrélations et u n certain nombre
d'autres qui ont pu être établies au niveau de la psychologie
sociale montrent, selon Klineberg, qu'on peut parler de
113
Introduction
N o s contemporains ont généralement le sentiment de vivre
une époque de violence, d'assister à un déchaînement excep-
tionnel de comportements violents dans le m o n d e entier. Il
suffit cependant de jeter u n bref regard sur le passé pour
constater que les générations antérieures auraient été tout
aussi fondées à tirer la m ê m e conclusion. Cette constatation
a au moins le mérite de replacer notre situation dans une
perspective historique plus claire1.
L'élément nouveau réside peut-être dans le fait que ce
problème retient de plus en plus l'attention des spécialistes
des sciences sociales, parfois à la demande d'organismes
nationaux ou internationaux, parfois pour répondre i m m é -
diatement à la pression des événements. L a présente étude
est u n aperçu critique des efforts déployés dans le domaine
de la psychologie sociale.
U n e observation liminaire sur le terme de violence nous
paraît utile. C o m m e on le sait, la notion connexe d'agres-
sivité a fait l'objet de réunions nombreuses et de longues
discussions, et l'accord n'a pas encore p u se faire sur sa défi-
nition. L'Unesco a également orienté ses travaux dans ce
sens et sa publication sur le thème « Comprendre l'agres-
sivité ». L e neurologue José Delgado* affirme que l'agres-
sivité humaine est une attitude qui se caractérise par l'exercice
de la force contre des personnes ou des biens dans le dessein
de blesser ou de nuire. L e sociologue Hinde 3 estime utile de
réserver l'usage de l'expression « comportement agressif »
au comportement dicté par la volonté de causer u n d o m -
m a g e corporel. E n revanche, pour le Soviétique Kovalsky 4 ,
« le concept d'agression ne recouvre pas l'emploi de la force
par les peuples dépendants dans l'exercice de leur droit
116 Otto Klimberg
U n e agressivité innée?
Violence instrumentale
Il est inutile d'avoir une formation de psychologue pour se
rendre compte que la tentation sera forte de recourir à la
violence si elle se révèle efficace. Les autorités sont placées
devant u n dilemme déchirant : faut-il faire droit aux exi-
gences de la violence ou doit-on laisser mourir les otages?
Je ne puis répondre à cette question mais, en m a qualité de
psychologue, je dois ajouter que le renforcement positif
(récompense en cas de réussite) semble beaucoup plus effi-
cace que le renforcement négatif (châtiment en cas d'échec)
et que l'exemple de la violence qui parvient à ses fins paraît
porter bien davantage que celui de l'échec entraînant des
conséquences négatives. O n tire plus facilement des leçons d u
succès que de l'échec. Cela nous amène au problème plus géné-
ral de la violence en tant que forme de comportement acquis.
Violence acquise
M ê m e si d'autres facteurs interviennent, il n'y a pas de
doute que l'apprentissage de l'agressivité joue un rôle prédo-
minant. U n jeune garçon s'identifiera à son père et l'imitera :
de nombreuses études montrent que l'identification au père et
à ses valeurs constitue u n élément important de l'appren-
tissage de types de comportements agressifs. Cela vaut en
particulier pour les cultures o u sous-cultures (voir plus loin)
où le « machisme », o u caractère dominateur d u mâle, est
considéré c o m m e normal, et m ê m e idéalisé. U n certain
nombre d'autres facteurs d' « apprentissage » peuvent entrer
en ligne de compte.
L'hypothèse frustration-agression
D'après une théorie psychologique qui a suscité u n grand
intérêt lorsqu'elle a été énoncée, il y a u n certain nombre
d'années, mais dont la formulation initiale est aujourd'hui
considérée c o m m e trop schématique, l'agressivité serait
toujours due à une frustration et la frustration conduirait
toujours à l'agressivité17. Cette théorie a donné lieu au
rassemblement d'un arsenal impressionnant de faits, tirés
notamment du comportement animal, de l'ethnologie, d'expé-
riences réalisées avec des enfants, de phénomènes relevant
des préjugés et de la discrimination, de la criminalité et de
la délinquance. E n ce qui concerne le sujet qui nous inté-
resse, la démonstration la plus probante établissait u n lien
entre la frustration économique, représentée par le niveau
des salaires réels et le volume de la récolte de coton, et la
fréquence des actes de violence commis par des Blancs sur
des Noirs au sud des États-Unis18. A une baisse de la valeur
d u coton correspondait une augmentation d u nombre des
lynchages. C e phénomène relèverait davantage de l'agres-
sivité réactionnelle que de l'agressivité instrumentale; cette
forme de violence ne se traduisait par aucun avantage
matériel.
L a plupart des spécialistes de psychologie sociale recon-
naîtraient que la frustration rend effectivement plus vraisem-
blables les risques de violence, que le passage à l'acte violent
dépend aussi d'un certain nombre d'autres facteurs. N o u s
devons à Berkowitz19 une intéressante analyse fondée sur
des observations étendues et des recherches approfondies.
Il fait une importante distinction, par exemple, entre deux
notions souvent confondues, celles de frustration et de pri-
vation. « Je dirai qu'il y a privation lorsqu'une personne
n'a pas à sa portée u n objet généralement considéré c o m m e
agréable ou souhaitable, et qu'il y a. frustration uniquement
quand l'individu ne peut tirer de cet objet le plaisir qu'il
en escomptait20. » C e phénomène est en rapport étroit avec
ce que les sociologues ont appelé « la révolution due à la
montée des espérances ». L'impatience augmente lorsque les
choses commencent à s'améliorer, car le progrès paraît trop
lent et trop irrégulier.
Berkowitz souscrit à ce qui a été dit plus haut au sujet
du rôle majeur de l'apprentissage dans l'apparition de la
violence, mais soutient à juste titre qu'il ne faut pas négliger
122 Otto Klineberg
L'éthique de la violence
U n e conclusion évidente
Notes
Notes
Notes
Notes
Violence économique
et sociale
D a n s son étude sur la relation entre la violence et le déve-
loppement économique et social, Rasheeduddin K h a n rap-
pelle d'abord quelles sont les principales théories sur les
causes de la violence mises en place sur la base de l'héritage
de Weber et Parsons et il fait la critique d u point de vue
d'une analyse des mouvements de libération nationale et,
d'une façon générale, des mouvements sociaux, des abus d u
concept de « modernisation » qui ne permet pas, par exemple,
de traiter d u rôle de la politique d'intervention des États-
Unis c o m m e facteur de violence. Il dresse ensuite une
typologie des corrélations entre la violence, les systèmes
économico-politiques et le contexte situationnel, en clas-
sant sous cette catégorie des processus concrets tels que
les différents types de décolonisation et de construction
du socialisme. Reprenant ensuite les différentes approches
qui associent la violence et le changement et de toute
façon le conflit (violent ou non violent) aux changements,
Rasheeduddin K h a n propose à son tour une typologie des
modes d'utilisation de la force par les États liée à deux paires
conceptuelles : accumulation/distribution (dimension éco-
nomique), bureaucratie/mobilisation (dimension politique).
E n ce qui concerne la violence dans les pays en dévelop-
pement, il précise que ce ne sont pas le sous-développement
ni le développement en soi qui sont causes de violence, mais
le « mal-développement » qui aboutit à la transformation
d'élites traditionnelles tribales o u féodales en nouvelles
classes exploiteuses qui renforcent les inégalités. Citant la
conclusion d'une étude empirique récente qui établit que
« l'inégalité économique implique la violence politique »,
il conclut que la cause principale de la violence dans les
pays sous-développés d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine
se situe dans le système politico-économique.
173
Professeur de Rasheeduddin K h a n
science politique
à la Jawaharlal Nehru
University
Typologie de la violence
:. Intentionnelle 5 Manifeste
Violence
: Involontaire : :. Latente ;
\ /...
Motivée Sans motif
Décolonisation et violence
Modèle 1 : libérât-moderniste
Accumulation d'abord Distribution ensuite
Bureaucratie d'abord Mobilisation ensuite
Coopération d'abord Autonomie ensuite
Modèle 2 : radical-nationaliste
Accumulation d'abord Distribution ensuite
Bureaucratie d'abord Mobilisation ensuite
Autonomie d'abord Coopération ensuite
Conclusion : le « mal-développement »
cause de violence
O n peut analyser la violence structurelle dans chacun des
systèmes socio-économiques et dans chacune des situations
que nous avons mentionnés, en tenant compte des facteurs
La violence et le développement socio-économique 195
Notes
Notes
Violence politique
Violence intellectuelle
L a répression de la violence
contre-institutionnelle
L a fonction juridique
L a répression du « terrorisme »
L a torture en démocratie
Conclusion
Notes
Pour victimes qu'ils soient, les êtres humains sont des sujets
en m ê m e temps que des objets et contribuent au maintien
des structures m ê m e s qui les oppriment. C'est ainsi que
les femmes, dans leurs rôles d'épouses et de mères, apportent
aux structures militaires u n soutien essentiel en préparant
pour la société desfilsprêts au combat et desfillesdociles.
C o m m e les garçons passent une grande partie de leur vie
d'avant la puberté avec leur mère, on ne saurait minimiser
le rôle des mères dans le développement de l'agressivité chez
ces mâles au coup de poing facile et prêts au viol. E n contrai-
gnant les garçons à réprimer leurs larmes o u autres expres-
sions de souffrance ou d'émotion, les mères contribuent
directement à l'infantilisme émotionnel de l ' h o m m e adulte,
qui a dû ainsi grandir sans le secours d'aucun m o y e n d'ap-
prendre à assumer ses sentiments23. Il existe des méthodes
« d'endurcissement » des garçons dans toutes les sociétés.
U n exemple tout récent donne une idée de ces pratiques
vieilles c o m m e le m o n d e : les journaux ont raconté que
pendant la guerre du Liban, à l'automne de 1976, des mères
libanaises emmenaient leurs enfants au front de la mort,
à Beyrouth, pour y voir des soldats décharger et brûler des
cadavres. U n pédiatre de la m ê m e ville raconte que les
parents venant voir leurs enfants hospitalisés pour des bles-
sures par balle ou éclat d'obus leur apportaient, c o m m e
jouets, pour leur remonter le moral, des fusils Kalachnikoff
et des pistolets en bois. O n notera, à ce propos, que la
campagne contre les armes-jouets organisée pendant les
années cinquante21 par les mères européennes et américaines
a fait long feu.
Historiquement, la pression exercée sur les femmes
par leur situation d'objet s'est traduite chez elles par une
tendance à traiter leurs enfants c o m m e des objets. UHistory
of childhood de D e Mause 2 6 cite de nombreux cas de cruauté
des mères et des pères envers leurs enfants depuis l'Anti-
quité. L'infanticide est u n crime généralement commis par
une mère. Mais il se peut que la femme s'attaque à son
258
Conclusion
Notes
1. Colin Turnvill, The forest people, N e w York, Simon and Schuster, 1968 ;
Richard B . Lee et Irven DeVore (dir. publ.), Man the hunter, Chicago,
Aldin, 1968.
2. James Robertson, Money, power and sex, Londres, Marion Boyars,
1976.
3. L e mélange des religions matriarcales méditerranéennes de tendance
mystique avec les religions patriarcales (Dieu, père et héros) introduites
en Grèce par les guerriers achéens dont Homère a chanté les exploits,
a engendré des anomalies intéressantes dans la mythologie grecque. Le
viol est automatiquement la prérogative du guerrier vainqueur, mais
il est redéfini en termes plus nuancés dans de nombreux mythes grecs,
celui de Léda et du cygne par exemple, ou encore celui d'Europe et du
taureau.
4. L a nature de ce problème conceptuel est abordée notamment dans des
études de Bruno Bettelheim, Symbolic wounds: Puberty rites and the
envious male, Glencoe (IU.), The Free Press, 1954, et de Mary Jane
Sherfey, The nature and evolution of female sexuality, N e w York,
R a n d o m House, 1972, qui traitent respectivement des p rspectives mas-
culines et féminines de la sexualité.
5. Alan Berg, The nutrition factor, Washington, D . C . , The Brookings
Institution, 1973.
6. Ester Boserup, Woman's role in economic development, N e w York,
St. Martin's Press, 1970 ; Elisa Boulding, The underside of history:
A view of women through time, Boulder (Colorado), Westview Press,
1977.
7. Les conséquences d'un souci de modernisation se sont parfois révélées
particulièrement épouvantables, c o m m e le montre le cas des interven-
tions soviétiques des années vingt dans les républiques islamiques de la
Russie d'Asie. Les tentatives de réformes visant à abolir les pratiques
traditionnelles selon lesquelles les femmes étaient voilées, vivaient en
recluses et étaient parfois soumises à des brutalités, ont déclenché une
série d'émeutes, accompagnées de viols, de mutilations et de meurtres de
femmes russes et musulmanes. Ces émeutes sont décrites en détail par
Gregory J. Massell, The surrogate proletariat: Moslem women and
revolutionary strategies in Soviet Central Asia, 1919-1929, Princeton
(N.J.), Princeton University, 1974.
8. Tibamanya M w e n e Mushanga, « The victimisation and victimology of
wife in some of the East and Central African communities », paper
prepared for the Second International Symposium on Victimology,
Boston (Mass.), septembre 1976.
9. Boulding, Elise, Women in the Twentieth Century World: International
Women's Year Studies on Woman as a Resource, Beverly Hills (Calif.),
Sage Publications, 1976.
262
Réunion interdisciplinaire
d'experts sur l'étude
des causes de la violence
I. Introduction
Cadre général
Ouverture
Déroulement et clôture
Causalités
Transdisciplinarité
Historicité
Définition de la violence
Thèmes disciplinaires
Membres d u Secrétariat
Amnesty International.
Association internationale de recherche sur la paix.
Centre international d u film pour l'enfance et la jeunesse.
Comité consultatif mondial de la Société des amis.
Comité de coordination du Service volontaire international.
Commission internationale des juristes.
Confédération mondiale des organisations de la profession
enseignante.
Conseil international du cinéma et de la télévision.
Conseil mondial de la paix.
Fédération internationale des femmes diplômées des uni-
versités.
Fédération internationale des fonctionnaires supérieurs de
police.
Fédération mondiale de la jeunesse démocratique.
Fédération pour le respect de l'homme et de l'humanité.
Internationale des résistants à la guerre.
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Délégations