Culture: Une Notion Polémique?: Jean-Jacques Chalifoux
Culture: Une Notion Polémique?: Jean-Jacques Chalifoux
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Service social
Éditeur(s)
École de service social de l'Université Laval
ISSN
1708-1734 (numérique)
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Jean-Jacques CHALIFOUX
Professeur
Département d’anthropologie
Université Laval
INTRODUCTION
La notion anthropologique de culture a connu un développement contra-
dictoire et conflictuel. D’une part, le savoir considérable que la définition d’un
domaine «culturaliste» a permis d’accumuler n’a pas entraîné une contrepartie
théorique équivalente. La notion de culture est demeurée plutôt imprécise, in-
tuitive et, en théorie, correspond à un pré-concept soumis à de multiples cri-
tiques. D’autre part, cette notion a une histoire qui émerge des rapports so-
ciaux où les différences de pouvoir et de rapport de force sont déterminantes.
La diffusion interdisciplinaire d’une telle notion peut avoir des effets
réducteurs, surtout lorsque sa pertinence est préférablement évaluée de façon
essentiellement positiviste par la recherche de moyens pour décrire et mesu-
rer d’une manière supposément « scientifique » le monde social afin de le
comprendre et de le modifier. Signe de l’incontournable nécessité d’élabo-
rer de nouveaux moyens de communication dans le contexte de la mon-
dialisation et signe de l’exigence industrielle moderne d’une nouvelle forme
de cohésion sociale, l’usage utilitaire de la notion de culture vise-t-il autre
chose qu’à définir des territoires d’experts en relations interculturelles ?
Cette question est d’autant plus pertinente que la notion de culture
apparaît de plus en plus comme un illusoire terrain neutre. Chaque catégorie
sociale, chaque groupe social posséderait une différence culturelle qu’il suffit
de comprendre et de relativiser pour agir de façon cohérente afin de résoudre
les problèmes sociaux.
Le choix pragmatique d’une approche n’implique pas nécessairement
une décision rationnelle du chercheur qui aurait pondéré sa valeur scien-
tifique relative. La perspective choisie est généralement un effet du milieu
social et intellectuel où il baigne, de la tradition qu’on lui a enseignée. Seule
une réflexion théorique peut permettre de développer un point de vue cohé-
rent et réfléchi. C’est dans le but d’engager de façon préliminaire cette
réflexion critique qu’il faut lire ce petit texte qui n’a pour prétention que de
présenter quelques éléments critiques de la définition ainsi que la portée
sociale de la notion de culture.
Dans un premier temps, nous ferons un rapide survol des principales
perspectives anthropologiques sur la culture afin d’indiquer quel est l’éven-
tail des choix d’outils théoriques qui se présentent.
Dans un second temps, quelques éléments historiques auront pour but de
montrer que la notion de culture est paradoxale et qu’elle a une valeur sociale
idéologique. En effet, nous verrons d’une part qu’en anthropologie la notion de
culture est à la fois un concept et une chose. Ce double sens engendre une
certaine confusion et quelques débats théoriques visant à définir un niveau
d’analyse pertinent. Enfin, nous indiquerons comment l’application naïve de
la perspective culturaliste à l’hétérogénéité ethnique peut être réductionniste
si elle ne tient pas compte des contextes sociaux plus larges.
ment pour ce qu’elle était : une approche superficielle fondée sur des préju-
gés ethnocentriques.
Cette critique a mis en valeur la nécessité d’aborder les différences
culturelles d’une façon globale dont la condition méthodologique préalable
est de considérer chaque culture selon ses propres termes, c’est-à-dire selon
ses valeurs et ses représentations. Cette approche relativiste repose sur le désir
et la volonté d’acquérir une connaissance interculturelle qui permet de se
décentrer pour adopter le point de vue de l’autre, afin de construire des ponts
de compréhension mutuelle. Cela permet au relativisme culturel de postuler
à la fois que chaque culture est unique et que, pour comprendre les cultures,
il est possible d’établir un certain degré de similarité au connu.
La définition de la culture comme un tout « superorganique » avait pour
objectif méthodologique de permettre cette comparaison qui se heurtait à
plusieurs obstacles idéologiques difficiles à surmonter, le principal étant le
lien causal postulé entre « la race, la langue et la culture ». Tant que les dif-
férences culturelles humaines s’expliquaient par la seule hypothèse des dif-
férences raciales et linguistiques, les comparaisons demeuraient impossibles,
puisque que les différences étaient incommensurables. Le postulat de la dis-
continuité entre la race, la langue et la culture a permis de dépasser les abus
de l’idéologie raciste et de promouvoir l’idée de l’unité psychique de l’huma-
nité. Ainsi, l’étude comparative des cultures devenait possible, car celles-ci
échappaient au déterminisme racial auquel se réduisait autrement l’anthro-
pologie.
En situant la culture comme ensemble, la définition de Tylor se rappro-
che de l’idée moderne de système. Elle permet de définir les contextes des
actions humaines de façon cohérente en partant du postulat que la vie
quotidienne forme un tout organisé qui permet aux personnes de prévoir les
comportements les uns des autres. L’organisation des cultures suit donc une
logique d’ensemble qui leur donne une certaine cohérence malgré les
multiples variations et disparités des conduites sociales de la vie quotidienne.
Cette vision de la culture comme totalité a eu plusieurs avantages scienti-
fiques, ne serait-ce que l’idée de chercher la causalité dans les liens qui
unissent le particulier au tout.
En mettant l’accent sur l’apprentissage, cette définition souligne que la
discontinuité de l’organique et du culturel implique que la culture est acquise
et non pas innée. Le culturalisme repose donc sur une théorie de l’impact de
la culture sur l’individu. Celui-ci peut même apparaître comme la créature de
la culture. Plusieurs auteurs (Benedict, Herskovitz, Kardiner, Linton) ont pensé
que la culture était, en tant que réalité externe aux personnes, déterminante
de l’expérience individuelle.
La transmission culturelle ou enculturation se fait par la communication
entre individus de différentes générations. Les nouveaux membres d’un
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CULTURE ET VALEURS
La réduction de la culture aux valeurs s’est particulièrement développée sous
l’influence de la pensée fonctionnaliste, en particulier celle de T. Parsons
(1968).
L’approche culturaliste a tendance à voir une correspondance univo-
que entre les valeurs et les institutions sociales et à minimiser l’impact de l’hé-
térogénéité sociale. On peut facilement reconnaître qu’il n’y a pas qu’un seul
système de valeurs partagé par les membres d’une société ou d’un groupe,
mais plusieurs qui se contredisent, s’opposent et renferment chacun une
multitude d’interprétations variables en fonction des positions sociales tant
d’âge, de sexe que de statut social, tant des acteurs que des observateurs. Ces
sous-groupes peuvent contester, critiquer, redéfinir ou manipuler les
significations culturelles dans des luttes parfois récupérées par la dynamique
sociale, mais engendrant parfois, également, des transformations radicales.
CULTURE : UNE NOTION POLÉMIQUE ? 17
CULTURE ET ETHNICITÉ
Le principal problème de l’approche culturaliste est la difficulté de définir les
frontières sociales des cultures en tant qu’objets, de même que des groupes
qui en sont porteurs. Le culturalisme transforme l’identification par les
différences (nous nous définissons différents des autres) en différences par
identification (eux, ils sont différents des autres). Cette démarche fait apparaî-
tre un monde composé de cultures qui ne se comparent que pour dévoiler
leurs différences qui sont telles qu’elles apparaissent comme des univers clos
(Dumont, 1978).
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CONCLUSION
La notion de culture a été définie comme un univers clos, utile pour décrire
et expliquer les écarts par leurs contenus objectifs, c’est-à-dire par des critères
renvoyant à des faits différentiels observables dont le répertoire est
pratiquement illimité : cuisine, pratique religieuse, etc. Ces descriptions
holistes des cultures sont le résultat d’un travail de synthèse et de construc-
tion du chercheur qui leur donne ainsi une substance particulière. Cependant,
les cultures décrites ne deviennent pas des choses, car elles ne sont pas le
point de départ de l’analyse, mais son résultat.
Nous avons vu que dans le contexte colonial de son origine, l’anthro-
pologie fut façonnée par les luttes entre les racistes et les antiracistes et entre
les relativistes et les universalistes. On pourrait démontrer que le relativisme
culturel même fut développé dans le contexte des luttes amérindiennes contre
l’intervention administrative en Amérique ou que la guerre du Vietnam, par
exemple, a permis le développement de perspectives critiques et d’inspiration
marxiste. De même, les conflits contemporains entre les genres introduisent
des perspectives féministes, tandis que la mondialisation des rapports sociaux
influe sur les approches dites postmodernes. Il n’y a donc pas d’évolution du
savoir anthropologique, mais seulement des savoirs plus ou moins pertinents
selon les contextes sociopolitiques.
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Références bibliographiques