Fiche 6
Fiche 6
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FICHE N° 6
Les mesures de police peuvent avoir de graves conséquences sur l’exercice des droits des administrés.
C’est la raison pour laquelle elles sont encadrées par la loi, la jurisprudence, la constitution et même
certains traités. Il s’agit de faire en sorte que l’Administration puisse rechercher le meilleur équilibre
possible entre l’exercice des droits et les nécessités de l’ordre public. Ainsi, qu’elles interviennent en temps
normal ou en période de crise, les mesures de police sont assujetties au respect de certaines règles dont
le contrôle revient au juge.
Cette séance permettra de voir jusqu’où peuvent aller les autorités de police dans leur mission de maintien
de l’ordre, sans porter atteinte à l’exercice des droits des administrés. Il s’agira également d’initier les
étudiants à la méthodologie du commentaire d’arrêt.
Le commentaire d’arrêt est un exercice de type pratique. Il consiste, pour celui qui s’y livre, à appliquer
son raisonnement, ses connaissances et son sens critique à une décision de justice qu’il est appelé à
présenter en faisant ressortir sa portée.
1. Compréhension de l’arrêt
Comme en matière de commentaire de texte, une seule lecture ne saurait suffire à épuiser la matière
d’une décision jurisprudentielle. Plusieurs lectures permettront de cerner les problèmes essentiels que pose
la décision. Une fois celle-ci comprise, il faut faire la liste des connaissances nécessaires à l’explication
de chaque problème soulevé. Il ne faut retenir de ces connaissances que ce qui est strictement nécessaire
au commentaire de la décision. Pour une décision portant sur la notion de contrat administratif par
exemple, il est inutile de se focaliser sur le régime juridique de ce dernier. De même, si la décision rendue
annule une mesure de police, il est hors de propos de réciter une partie du cours sur la police
administrative. A l’inverse, il ne serait pas opportun de rester collé à la décision au point de se contenter
de la paraphraser. Cet équilibre est le point délicat de tout commentaire de décision.
Il va sans dire qu’une bonne compréhension du sujet implique de saisir le raisonnement du juge, de
percevoir les enseignements que l’on peut tirer de l’arrêt (portée), et de fournir un effort d’appréciation
personnelle de la solution donnée par le juge. Dans la dernière occurrence, il faut se poser un certain
nombre de questions. Par exemple : la réponse du juge est-elle adéquate ? Permet-elle une lisibilité du
droit ? Peut-on s’attendre à des évolutions futures ? En bref, l’appréciation personnelle permettra
d’exercer son sens critique tout au long du commentaire, mais sans excès de zèle. C’est la compréhension
du texte qui va dicter le choix du plan.
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2. Composition du commentaire d’arrêt
2-1. L’introduction
2-2. Le développement
Le commentaire d’arrêt ne fait pas appel au simple savoir mais au savoir-faire. En l’occurrence, la
principale difficulté est de comprendre et d’exposer l’intérêt de la décision à commenter. C’est pourquoi,
il faut d’abord rechercher la signification de la décision (première partie) avant d’apprécier cette
dernière en faisant appel aux connaissances acquises pour déterminer s’il y a confirmation d’une
jurisprudence existante, revirement ou évolution (deuxième partie). On remarquera seulement que les
revirements et innovations jurisprudentiels sont rares et qu’il ne faut pas les chercher là où elles ne sont
visiblement pas.
Dans la première partie, il faut reconstituer le raisonnement que le juge a suivi pour parvenir à la réponse
donnée au problème juridique. Pour ce faire, il faut s’appuyer sur les motifs de la décision et fournir un
effort de réflexion.
Dans la deuxième partie, c’est la portée qui doit retenir l’attention. La portéé se rattache à l’influence
de l’arrêt, c'est-à-dire la tendance jurisprudentielle ou doctrinale dans laquelle s’inscrit celui-ci. Autrement
dit, il s’agit, en puisant dans ces connaissances, de poser les solutions antérieures et/ou postérieures (en
fonction de la date de l’arrêt), puis de les confronter à la solution à commenter. Le but de la manœuvre
étant de relever et formuler les avancées, les reculs, la permanence des solutions ou au contraire les
revirements jurisprudentiels.
Il faut garder présent à l’esprit que le plan adéquat est celui qui permet de relier la solution prononcée
par le juge au problème juridique de l’espèce. Le plan du commentaire doit comporter des parties
nettement séparées, aussi bien par la logique que par la présentation de la copie. Les titres doivent
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correspondre aux développements qu’ils appellent, être qualifiés (proposer une interprétation de la
solution du juge) et être le plus concis possible (pas de verbe conjugué). Le contenu des parties doit
correspondre à l’annonce effectuée à l’extrême fin de l’introduction. La présence de recoupements ou de
répétitions dans ce développement serait l’indice d’une construction défaillante du plan.
2-3. La conclusion
La conclusion ne s’impose pas mais peut permettre de dégager des perspectives. Le cas échéant, elle
sera relativement brève.
II. BIBLIOGRAPHIE
Pour la bibliographie des ouvrages, voir la Fiche n° 1.
1. ARTICLES
- A.B. FALL, « Le juge, le justiciable et les pouvoirs publics : pour une appréciation concrète de la place
du juge dans les systèmes politiques en Afrique », Afrilex, 2003.
- C. VIGOUROUX, « Le Contrôle de la police », Mélanges Braibant, Paris, Dalloz, 1996, p. 743 et s.
- G. DUMONT et J. SIRINELLI, Droit administratif, 14 è m e édition, Dalloz, 2021, pp. 374-
376.
- G. LEBRETON, « Le juge administratif face à l’ordre moral », Mélanges Peiser, Grenoble, PUG, 1995,
p. 363 et s.
- J. – C. RICCI, Droit administratif général, Paris, Hachette Supérieur, coll. « HU Droit », 4ème édition,
2011, (extrait), p. 155.
- J. PETIT, « Contrat et police administrative : autonomie ou interférence ? Contrats publics », AJDA, n°
63, février 2007, p. 22 et s.
- M. CANEDO-PARIS, « La Dignité humaine en tant que composante de l’ordre public : l’inattendu retour
en droit administratif français d’un concept controversé », RFDA, 2008, p. 979 et s.
- R. VANDERMEEREN, « Police administrative et service public. Quand la police administrative et le
service public se rencontrent dans les salles de casinos et s’unissent sur les pistes de ski », AJDA, 2004,
p. 1916 et s.
2. JURISPRUDENCE
- CE, 25 novembre 1999, Ligue Démocratique-Mouvement pour le Parti du Travail, Bulletin des arrêts
du Conseil d’Etat sénégalais, n° 2, année 1999, p. 26.
- CS, 13 octobre 2011, M. Alioune TINE, Président de la Rencontre Africaine des Droits de l’Homme
(RADDHO) c/ Etat du Sénégal (inédit), disponible sur https://juricaf.org/arret/SENEGAL-
COURSUPREME-20111013-35 .
- CE, 24 décembre 2009, And Jef/Parti Africain pour la Démocratie et le Socialisme (A.J. / P.A.D.S.) c/
Etat du Sénégal (inédit).
- CS, 3 mars 2011, Birrassy GUISSE et autres c/ Recteur de l’Université Gaston Berger, Bulletin des arrêts
de la Cour Suprême, n°s 2-3, année judiciaire 2011-2012, décembre 2012, p. 244.
- CS, 13 janvier 2015, Sidi BAYO c/ État du Sénégal, Bulletin des arrêts de la Cour Suprême, n°s 9-10,
année judiciaire 2015-2016, décembre 2016, p. 223.
- Cour suprême, arrêt n°37 du 09 juin 2016, Amnesty international Sénégal c/ État du Sénégal, bulletin
des arrêts de la Cour suprême, année judiciaire 2016.
- CS, du 23 juillet 2020, Société Technologie 2000 C/ Etat du Sénégal, in Bulletin des arrêts de la Cour
suprême, n° 21-22, 2020, arrêt n°26.
- CS, arrêt N°19 du 23 mai 2019, Assane BA et deux (2) autres c/ État du Sénégal, disponible sur
https://juricaf.org/arret/SENEGAL-COURSUPREME-20190523-19 (consulté le 19:04/2022).
- Arrêt n° 28 du 23 juillet 2020 - Hassan Saloumoun et Fatah Abdel Joaward c/ Maire de la commune
de Dakar-Plateau.
- Extrait de la Loi n°69‐029 du 29 avril 1969 modifiée par la loi n°2021‐18 du 19 janvier 2021,
relative à l’état d’urgence, à l’état de siège et à la gestion des catastrophes naturelles ou sanitaires.
- Virginie DONIER, « Qui fait la police (administrative) sous l’Etat d’urgence sanitaire ? », in Revue
française d’administration publique, n°176, avril 2020, pp. 889-900.
Document n° 1 : CS, du 23 juillet 2020, Société Technologie 2000 C/ Etat du Sénégal, in Bulletin des
arrêts de la Cour suprême, n° 21-22, 2020, arrêt n°26.
La Cour suprême,
Considérant que la société TECHNOLOGIE 2000 est titulaire de droits réels sur les TF 9952/DP et
10182/DP, à la suite de la cession à son profit du droit au bail inscrit le 15 décembre 2003 ; Qu'elle a
obtenu deux autorisations de lotir n° 00117/MVP/DST du 10 juin 2002 pour le TF10182/DP et n°
00174/MVP/DST du 14 janvier 2013 pour le TF 9952/DP ; qu’en outre, elle a bénéficié auprès de la
BHS de quatre crédits garantis par des hypothèques conventionnelles inscrites sur le TF 9952/DP pour
un montant total de 1 081 047 332 FCFA ; Que la société TECHNOLOGIE 2000 ayant entrepris des
travaux de mise en valeur du terrain TF 9952/DP, le sous-préfet de l’arrondissement des Niayes a pris
l’arrêté n° 470/AN/SP du 7 novembre 2019 portant interdiction, jusqu’à nouvel ordre, de tous travaux
de morcellement et de viabilisation d’un terrain de 4 ha 48 a 08 ca sis à Gadaye extension dans la
commune de Yeumbeul-Nord, objet de convoitise du « Collectif des victimes de Gadaye » et pendant
devant les juridictions compétentes ; Que la société requérante sollicite l’annulation de cette décision en
articulant un moyen tiré du défaut de base légale ;
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Considérant que l’État du Sénégal soulève, d’une part, la déchéance, au motif que la requête lui a été
notifiée et non signifiée conformément aux dispositions de l’article 37 de la loi organique sur la Cour
suprême et, d'autre part, l’irrecevabilité pour violation de l’article 84 de ladite loi ;
Considérant que par exploit du 9 décembre 2019 de Maître Richard DIATTA, l’État a reçu signification
de la requête introduite par la société Technologie 2000 et produit un mémoire en défense ;
Considérant que l’article 84 susvisé dispose : « quand une décision administrative fait l’objet d’une
requête en annulation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension
de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait
état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la
décision. Lorsque la sus- pension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation de la décision
dans les meilleurs délais » ;
Considérant qu’il ressort de ce texte que le demandeur, qui a formé un recours en annulation contre une
décision administrative, peut saisir le juge des référés, par une requête distincte par laquelle il sollicite
la suspension de l’exécution de la décision attaquée ;
Considérant qu’en l’espèce, même si la requête est intitulée « référé administratif en annulation », celle-
ci ne tend qu’à l’annulation de la décision attaquée ; Qu’il s’ensuit que ni la déchéance ni l’irrecevabilité
ne sont encourues ;
Considérant que la société requérante fait grief à la décision attaquée de violer l’article 15 de la
constitution en ce que l'arrêté porte atteinte à son droit de propriété, en ordonnant la suspension, pour
une durée indéfinie et « jusqu’à nouvel ordre », des opérations de morcellement de son terrain, objet du
TF 9952/DP ;
Considérant que l’article 15 alinéa 1 de la constitution dispose que « le droit de propriété est garanti
par la présente constitution. Il ne peut y être porté atteinte que dans le cas de nécessité publique
légalement constatée, sous réserve d’une juste et préalable indemnité » ;
Considérant qu’il résulte de l’examen des pièces du dossier que la société TECHNO- LOGIE 2000 n’est
pas titulaire d’un droit de propriété mais dispose plutôt d’un droit réel immobilier et a obtenu
l’autorisation de lotir accordée par arrêté n° 00174/MVP/DST du 14 janvier 2013 pour le TF 9952/DP;
Considérant qu’en vertu de ses pouvoirs de police administrative, le sous-préfet est compétent pour
prescrire des mesures destinées à prévenir des troubles à l’ordre public ; Que toutefois, dans l’exercice
de cette prérogative, il ne saurait prendre une décision d’interdiction ayant pour effet d’empêcher, pour
une durée indéterminée, la société susvisée de jouir des droits réels tirés de la cession à son profit du
droit au bail inscrit le 15 décembre 2003 sur le TF n° 9952/DP appartenant à l’État du Sénégal ; Que,
dès lors, l’arrêté attaqué encourt l’annulation ;
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Document n° 2 : CS, ARRÊT N°19 du 23 mai 2019, Assane BA et deux (2) autres c/ État du Sénégal,
disponible sur https://juricaf.org/arret/SENEGAL-COURSUPREME-20190523-19
(consulté le 19:04/2022).
La Cour suprême,
Attendu que, par arrêté du 31 août 2018, le préfet du département de Dakar a interdit un sit-in devant
les locaux du ministère de l’Intérieur envisagé, sous la bannière du Parti démocratique sénégalais, par
Ad B, Aa Ab et Ae Ac ;
Que ces derniers sollicitent l’annulation de cet arrêté, en soulevant deux moyens, tirés d’un défaut de
motivation et d’une violation de la constitution ;
Sur le second moyen tiré de la violation de l’article 10 de la constitution, en ce que la décision attaquée
est justifiée, entre autres, par l’arrêté du 20 juillet 2011 du ministre de l’Intérieur, en violation de la
constitution, dont l’article 10 prévoit que chacun a le droit d’exprimer son opinion par la marche
pacifique, pourvu que l’exercice de ce droit ne porte pas atteinte à la sécurité publique, alors que
l’administration ne peut remettre en cause les libertés fondamentales consacrées et garanties par la
constitution ;
Considérant que l’article 14 de la loi n° 78-02 du 29 janvier 1978 relative aux réunions permet à
l’autorité administrative d’interdire toute réunion publique, s’il existe une menace réelle de troubles à
l’ordre public et si elle ne dispose pas de moyens nécessaires pour assurer la sécurité des citoyens ;
Considérant qu’au sens de ce texte, il appartient à l’autorité administrative compétente de prendre les
mesures qu’exige le maintien de l’ordre, et de concilier l’exercice de ce pouvoir avec le respect de la
liberté de réunion garantie par la constitution ;
Considérant qu’en l’espèce, pour interdire la manifestation envisagée par les requérants, le préfet s’est
borné à invoquer les menaces de troubles à l’ordre public, l’entrave à la libre circulation des personnes
et des biens et le risque d’entrave à la continuité du service public, sans établir une insuffisance de forces
de sécurité nécessaires au maintien de l’ordre ;
Annule l’arrêté n° 0305 P/D/C du 31 août 2018 du préfet de Dakar portant interdiction du sit-in
envisagé, sous la bannière du Parti démocratique sénégalais (PDS), par Ad A, Aa Ab et Ae Ac, prévu le
4 septembre 2018 devant le ministère de l’Intérieur ;
Document 3 : Arrêt n° 28 du 23 juillet 2020 Hassan Saloumoun Fatah Abdel Joaward c/ Maire de la
commune de Dakar-Plateau
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Considérant que par arrêté n° 000450/MCDP//SM/AV du 29 novembre 2019, le maire de la commune
de Dakar-Plateau a déclaré menaçant ruine l’immeuble RDC + 3 sis à Dakar Plateau au 56, rue Vincens
et prescrit l’évacuation de ses occupants ;
Que Hassane SALOUMOUN et Fatah Abdel JOAWAD, locataires occupant ledit immeuble, sollicitent
l’annulation de ladite décision en soulevant deux moyens ;
Sur le premier moyen pris d’un défaut de base légale en ce que l’arrêté municipal déclare menaçant
ruine l’immeuble RDC+3 sis à Dakar plateau et prescrit son évacuation alors qu’en vertu l’ordonnance
définitive n° 1921 du 15 mai 2017 du juge des référés du tribunal de grande instance hors classe de
Dakar, seuls des travaux de réfection peuvent être entrepris sur le site et selon les rapports d’expertise
établis le 18 juillet 2017, l’immeuble ne menace pas ruine ;
Sur le second moyen pris d’une insuffisance de motifs constitutive d’un défaut de motifs en ce que l’arrêté
municipal déclare menaçant ruine l’immeuble RDC+3 sis à Dakar plateau en se bornant à relever, de
manière laconique, en son article 1er que « l’immeuble doit être démoli pour menace de ruine », sans
viser un rapport allant dans ce sens et sans respecter le principe du contradictoire, l’arrêté municipal n’est
pas suffisamment motivé ;
Considérant que selon l’article L 139 du code de la construction, lorsqu’un bâtiment ou édifice quelconque
menace ruine ou n’offre plus les garanties de solidité nécessaire au maintien de la sécurité publique, le
maire peut prescrire, par arrêté, des mesures de réparation ou de démolition destinés à mettre fin
durablement au péril ;
Qu’en vertu de l’article L 140 du même code, il peut, le cas échéant, assortir sa décision d’une interdiction
d’habiter ou d’utiliser les lieux, si l’état du bâtiment ou d’une de ses parties ne permet pas de garantir
la sécurité des occupants ;
Considérant qu’en l’espèce, pour déclarer que le bâtiment en cause menace ruine et prescrire l’évacuation
de ses occupants, le maire de la commune de Dakar-Plateau s’est borné à viser une lettre de visite de
prévention du 13 novembre 2019 ainsi qu’un procès-verbal n° 5131/P/D/DK du 5 décembre 2019 du
préfet du département de Dakar et à énumérer des anomalies qui auraient été constatées sur l’édifice ;
Qu’en se fondant sur ces seuls motifs, sans établir, à partir d’un constat dûment effectué par la commission
technique compétente, que l’immeuble en cause menace ruine et que son état ne permet pas de garantir
la sécurité de ses occupants, l’autorité administrative n’a pas légalement justifié sa décision ;
Document 4 : Virginie DONIER, « Qui fait la police (administrative) sous l’Etat d’urgence sanitaire ? », in
Revue française d’administration publique, n°176, avril 2020, pp. 889-900.
(…) La question des interactions entre les circonstances et l’exercice du pouvoir de police n’est pas
nouvelle si l’on en juge par la jurisprudence administrative et plus particulièrement, par la fameuse
décision Dame Dol et Laurent dans laquelle le Conseil d’État a indiqué que les pouvoirs de police de
l’administration pouvaient varier avec les circonstances. Le caractère exceptionnel de ces dernières peut
alors justifier l’adoption de mesures qui seraient jugées illégales en temps normal. Mais aux circonstances,
s’ajoute un autre facteur : ainsi que l’a fait remarquer le doyen Hauriou dans sa note relative à cet arrêt,
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il convient également de s’intéresser au caractère permanent ou momentané des mesures édictées pour
établir leur légalité. C’est cette dimension qui a conduit le Conseil d’État à admettre, dès 1899, la
compétence du maire pour établir des mesures temporaires s’imposant aux directeurs d’écoles privées
pour éviter la propagation des épidémies, c’est-à-dire pour adopter des prescriptions que le maire ne
pourrait prendre dans le cadre d’un règlement permanent.
(…) Pour autant, la combinaison entre ces deux pouvoirs de police est plus subtile qu’il y paraît puisque
l’existence d’une police spéciale n’éclipse pas complètement la compétence du maire, sous certaines
réserves qui seront évoquées plus en détail par la suite. Telles sont les règles qui ont vocation à
s’appliquer en principe, mais qu’en est-il de la situation d’état d’urgence sanitaire dont les conséquences
outrepassent par ailleurs largement le champ de la théorie des circonstances exceptionnelles ? Ainsi que
cela a pu être souligné en doctrine, cette théorie n’aurait pu constituer un fondement satisfaisant aux
mesures prises contre le coronavirus en raison des incertitudes qui l’entourent, mais aussi en raison de sa
faible application par le juge administratif (Truchet, 2020 ; Petit, 2020, p 833 ; Cassia, 2020). L’ampleur
des mesures à prendre pour lutter contre la propagation de l’épidémie a alors justifié l’adoption d’un
régime d’exception par le biais de la loi du 23 mars 2020.
(…) L’ordre public local n’est pas nécessairement un ordre public décentralisé, il repose en effet en partie
sur les compétences de police du préfet, le maire n’a donc pas le monopole en ce domaine. C’est pour
cette raison qu’il convient de porter le regard sur ces deux autorités. S’agissant en premier lieu du préfet,
il apparaît que les dispositions de l’état d’urgence sanitaire n’ont pas bouleversé les équilibres en
présence. Lors de sa création par la loi du 9 août 2004, la police spéciale confiée au ministre de la
Santé en cas de menace sanitaire grave faisait déjà référence au rôle des préfets en indiquant qu’ils
pouvaient être appelés à prendre toute mesure d’application des dispositions édictées par le ministre, y
compris des mesures individuelles. La loi du 23 mars 2020 a prévu des dispositions analogues dans le
cadre de l’état d’urgence sanitaire, l’article L. 3131-17 du code de la santé publique indiquant en effet
que le préfet peut être habilité à prendre toute mesure générale ou individuelle d’application des
dispositions nationales. Le préfet peut ainsi mettre en œuvre des mesures de surveillance afin de veiller
à ce que la population locale respecte le confinement par exemple, mais cela ne l’exonère pas du respect
des règles applicables d’ordinaire s’agissant de la protection des données. C’est précisément ce qu’a
rappelé le Conseil d’État concernant l’utilisation de drones pour vérifier que la population respecte les
mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence. Puisque l’usage de ces drones présentait un risque pour
la protection des données personnelles, l’intervention préalable d’un texte réglementaire était nécessaire
pour autoriser le recours à ce moyen de surveillance. Le rôle dévolu au préfet dans la crise sanitaire est
donc encadré tant par les textes relatifs à l’état d’urgence que par la jurisprudence, ce qui contraste
quelque peu avec la publication, pendant cette période, du décret du 8 avril 2020 reconnaissant, dans
certaines matières et sous certaines conditions, un droit de dérogation aux règles nationales.
Mais la problématique de la différenciation territoriale semble avoir été mise entre parenthèses par les
textes relatifs à l’état d’urgence sanitaire, même si elle retrouvera sans doute une certaine vigueur lors
de la gestion des conséquences économiques et sociales induites par la crise sanitaire. Il est en effet
indéniable que les réponses apportées devront être adaptées à la situation de chaque territoire. Au-
delà du rôle confié au préfet, se pose en second lieu la question de la place des maires puisque la
consécration d’une police spéciale nationale engendre nécessairement des conséquences sur l’exercice du
pouvoir de police municipale. Le droit administratif français s’articule en effet autour de deux règles qui
permettent, en principe, d’assurer la combinaison entre les interventions des différentes autorités de
police : la police spéciale doit primer sur la police générale d’une part, et la police nationale prime sur
la police locale d’autre part (Truchet, 2014, p. 135). Pour autant, ces règles n’ont pas donné lieu à
l’élaboration d’une stricte orthodoxie juridique : l’existence d’une police spéciale étatique n’a pas
nécessairement fait obstacle à l’intervention du maire au titre de son pouvoir de police administrative
générale en cas de circonstances locales particulières, ainsi que le Conseil d’État avait eu l’occasion de
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l’indiquer dans son fameux arrêt Société Film Lutétia du 18 décembre 1959 18. Cette permission d’agir
a toutefois été remise en cause par le Conseil d’État dans sa jurisprudence récente. S’agissant par
exemple de l’implantation des antennes-relais, qui fait l’objet d’une police spéciale confiée à l’État, le
juge a consacré l’exclusivité du pouvoir de police spéciale 19. Il ressort de cette jurisprudence récente
que le pouvoir de police administrative générale n’est pas habilité à intervenir pour édicter une
réglementation dès lors qu’existe une police spéciale. Surtout, cela tend à démontrer que la question de
la conciliation entre les compétences des différentes autorités de police était déjà épineuse avant
l’apparition de la crise sanitaire, même si le juge administratif avait dégagé une ligne directrice.
(…) Au-delà de la création d’une police spéciale par la loi du 23 mars 2020, le juge administratif a
également contribué à enserrer le pouvoir de police du maire dans des conditions contraignantes. À cet
égard, la jurisprudence Commune de Sceaux traduit une rupture : il y a un avant et un après.
Antérieurement à cette décision, le juge administratif avait semblé reconnaître la légitimité du maire à
agir. Cela transparaît de la décision du 22 mars 2020, Syndicat des jeunes médecins, mais cela apparaît
sans doute plus clairement dans les décisions des juges du fond. S’agissant par exemple d’un référé-
liberté dirigé contre un couvre-feu édicté par un maire, le tribunal administratif de Montreuil a considéré
que l’existence d’une police spéciale ne privait pas le maire de la possibilité d’édicter des mesures plus
restrictives, sous réserve qu’elles soient justifiées par des circonstances locales particulières. Cela semble
remettre au goût du jour l’ancienne jurisprudence Société « les Films Lutétia». Mais la décision rendue le
17 avril 2020 dans l’affaire Commune de Sceaux trace quant à elle une autre frontière : elle indique en
effet qu’en dehors des interventions visant à garantir la bonne application des mesures nationales,
l’intervention du maire doit être justifiée par des «raisons impérieuses liées à des circonstances locales»
la rendant «indispensable », et sous réserve de ne pas porter atteinte «à la cohérence et à l’efficacité»
des mesures nationales. C’est ainsi une double limite que pose le Conseil d’État par rapport à la décision
Syndicat des jeunes médecins car les circonstances locales doivent être motivées par des raisons
impérieuses, mais en plus, le contenu de l’arrêté municipal, et ses effets ne doivent pas entrer en
contradiction avec les décisions prises par l’État (…).
Document 5 : Extrait de la Loi n°69‐029 du 29 avril 1969 modifiée par la loi n°2021‐18 du 19 janvier
2021, relative à l’état d’urgence, à l’état de siège et à la gestion des catastrophes
naturelles ou sanitaires.
Art.25.‐ Les pouvoirs énoncés dans l’article 24 de la présente loi sont exercés par le Président de la
République.
Ces pouvoirs peuvent, sur délégation du Président de la République, être exercés par le Ministre de
l’Intérieur, tout Ministre dont l’intervention est nécessaire, les gouverneurs et les préfets.
Document 6 : Extrait de Charles-Edouard MINET, Droit de la police administrative, Paris, Vuibet, 2007,
p. 221.
Le contrôle que le juge exerce sur les mesures de police est particulièrement large. Ces mesures doivent
avant tout être nécessaires. Ainsi, depuis le célèbre arrêt Benjamin du 19 mai 1933, le juge administratif
contrôle l’adéquation de la mesure envisagée, les moyens employés et la gravité de la menace qui pèse
sur l’ordre public.
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Si la mesure de police est nécessaire au maintien de l’ordre, elle ne peut revêtir un caractère général et
absolu. Le Conseil d’État a fixé cette règle dans une jurisprudence déjà ancienne (arrêt Daudignac du 22
juin 1951). Le juge applique la même jurisprudence en matière d’arrêtés « anti mendicité », de couvre-
feu (CE, 17 mai 2002, Ville d’Amiens), ou en ce qui concerne le port de signes religieux ostensibles (CE,
2 novembre 1992, Kherrouaa ; CE, 10 mars 1995, Aoukili ; CE, 27 novembre 1996, Ligue Islamique du
Nord).
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