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Boris Barraud, Méthodologie Du Commentaire D'arrêt en Droit

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Méthodologie du commentaire d’arrêt en droit

Boris Barraud

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Boris Barraud. Méthodologie du commentaire d’arrêt en droit. Master. Entraînement au commentaire
d’arrêt, France. 2013, 17 p. �cel-01367714�

HAL Id: cel-01367714


https://amu.hal.science/cel-01367714
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Méthodologie du commentaire d’arrêt en droit

Auteur : Boris Barraud (Université d’Aix-Marseille)

Certainement le commentaire d’arrêt compte-t-il parmi les exercices les plus difficiles des
Facultés de droit, spécialement en droit public. En effet, il est commandé par une
méthodologie excessivement rigoureuse, ne laissant que peu de place — à l’inverse de la
dissertation — à la « liberté d’expression ». Cependant, la contrepartie à cette dictature de la
méthode est qu’une bonne maîtrise de cette dernière, sa minutieuse application, est le gage
certain de réussir un « bon » commentaire d’arrêt, i.e. un commentaire qui tout à la fois
présente, explique et discute le raisonnement et le choix du juge.
La difficulté réside tout d’abord dans le fait que le texte à analyser est un texte bien
particulier. Son auteur — quoique d’aucuns le contesteraient — ne raconte pas d’histoires ni
n’exprime une théorie ou une opinion. Par son écrit, il explique comment il tranche un litige
et, en particulier, il détaille les règles qu’il applique pour aboutir à la solution qu’il retient, des
règles qui peuvent préexister mais aussi, plus ou moins explicitement, être créées pour
l’occasion. Le texte est donc la traduction littéraire du syllogisme retenu dans l’esprit des
magistrats, la majeure étant une ou plusieurs règle(s) de droit générale(s) en théorie
préexistante(s) parmi le droit positif, la mineure correspondant aux faits sources du litige,
qualifiés juridiquement, et la conclusion étant la solution induite logiquement par la
confrontation de la majeure à la mineure.
En outre, la méthode du commentaire d’arrêt enseignée — il faudrait dire « imposée » — en
droit administratif n’est pas identique à celle enseignée en droit civil ou en droit pénal, ce qui
ne manque pas d’ajouter au caractère périlleux de l’exercice.
Par rapport au droit civil et au droit privé en général, l’exercice présente un intérêt fort en
droit public en raison du caractère intensément jurisprudentiel de ses matières et spécialement
du droit administratif. Là où la Cour de cassation est la gardienne du droit, le Conseil d’État
est davantage le gardien de son droit. La capacité d’interprétation et de création étant plus
grande, les éléments sujets à discussion et à critique ne manquent pas.
Mais, avant de discuter et critiquer l’arrêt à commenter, dans le cœur des propos et à travers le
plan et ses intitulés (IV), il convient évidemment de prendre activement connaissance dudit
arrêt (I) et de l’analyser (II). Peut alors être élaborée l’introduction, suivant des règles ne
laissant aucune place à l’improvisation (III). Le « bon » commentaire d’arrêt (VI), idéalement,
se terminera par une conclusion — mais pas par un résumé — (V).
I. — La lecture de l’arrêt

Il convient, bien entendu, d’entamer cet ouvrage délicat qu’est le commentaire d’arrêt par une
lecture attentive, complète, active et méthodique de celui-ci. L’enjeu est décisif puisque, sans
comprendre, il est, par suite, impossible d’expliquer et de discuter. Aussi faut-il prendre tout
le temps nécessaire à l’appropriation du contenu, à sa déconstruction, i.e. à l’identification
(par exemple au moyen de jeux de couleur) de toutes les informations pertinentes et à
l’élimination des éléments inutiles au commentateur.
Génériquement, une décision de justice est un développement en trois temps :
- les visas, tout d’abord, sont les textes (Constitution, loi, décret…) à partir desquels le juge
subsume la solution dans le cas d’espèce ;
- la motivation (avec les considérants), ensuite, est le détail des justifications ou arguments de
fait et — surtout — de droit que la juridiction retient ;
- le dispositif, enfin, correspond à la solution donnée au litige, à partir des éléments
précédemment développées.
Si, du point de vue des parties, le dispositif est la partie du jugement la plus intéressante,
puisque contenant la réponse apportée par la justice à leur conflit, du point de vue du
commentateur, c’est la motivation qui attire toute l’attention.
Durant cette phase d’analyse minutieuse et plusieurs fois recommencée (la première lecture
n’étant toujours qu’un premier contact nécessaire mais peu productif), l’attention doit
notamment se concentrer sur la construction des phrases et sur les liens logiques qui les
relient :
- liens de cause à effet (ainsi, donc, en conséquent…) ;
- liens d’opposition (toutefois, cependant, néanmoins…) ;
- liens d’addition (de plus, d’une part… d’autre part…)
Ces mots sont l’expression littérale du cheminement intellectuel du juge et, s’ils peuvent
sembler anodins, ils sont en réalité l’huile sans laquelle la mécanique du jugement ne pourrait
pas fonctionner. Ils permettent d’identifier avec précision les différentes étapes du
raisonnement.
***
En outre, la lecture devant être toujours active (mis à part le premier contact avec l’arrêt),
c’est-à-dire jalonnée de prises de notes, il est certainement pertinent d’user de plusieurs
brouillons (ou en tout cas d’un brouillon organisé) durant cette phase d’exploration. Par
exemple, peuvent être prévues :
- une partie « introduction » (comportant les cinq éléments « impératifs et suffisants » qui
seront présentés plus bas) ;
- une partie « plan » (contenant les réflexions et ébauches relatives aux parties et à leurs
formulations) ;
- une partie « définitions » (où figurent tous les termes qu’il conviendra de définir) ;
- une partie « textes et jurisprudences » (recensant les références susceptibles d’être
incorporées dans le commentaire) ;
- ou encore une partie « critique » (destinée à accueillir les positions, par rapport à l’arrêt,
recueillies parmi les commentaires préexistants, mais aussi celles propres au commentateur).
Mais, avant toute autre chose, il convient d’identifier la juridiction (Conseil d’État, cour
administrative d’appel, tribunal administratif, Tribunal des conflits ou encore autorité
administrative ou juridiction spécialisée) et, si nécessaire, la formation contentieuse
(assemblée ou section du contentieux pour le Conseil d’État).
Il faut également débuter par l’observation de la nature juridique de la décision offerte au
commentaire. Celle-ci peut être de fond (premier ressort, appel ou premier et dernier ressort),
de cassation (accueillant ou rejetant la demande), mais aussi — quoique rarement — une
ordonnance de référé ou un avis.
Encore, il faut s’intéresser rapidement et soigneusement aux visas, ces derniers indiquant dès
le départ les bases juridiques sur lesquelles le juge s’est reposé. Qu’il s’agisse d’articles de la
Constitution ou tous autres, il est pertinent d’aller les consulter sur le champ.
Enfin, seront sans trop tarder identifiés tous les éléments renseignant quant aux faits à
l’origine du litige et quant à la procédure juridictionnelle ayant précédé la saisine de la
juridiction ayant rendu la décision à commenter.
Mais le principal enjeu de ce travail d’appréhension de l’arrêt consiste à repérer le ou les
considérant(s) (ou attendu(s)) de principe — s’il(s) existe(nt) —, car le commentaire d’arrêt
est essentiellement un commentaire du ou des considérant(s) (ou attendu(s)) de principe,
réponse(s) à la ou aux question(s) de droit soulevée(s).
II. — La réflexion à partir de l’arrêt

Une fois l’arrêt passé au peigne fin, le commentateur se trouve devant une somme de notes et
d’informations qu’il s’agit d’organiser, de trier, de rassembler. En particulier, l’enchaînement
des faits doit être reconstitué tout en précisant les qualifications juridiques retenues pour ces
évènements et leurs protagonistes. Le déroulement de la procédure doit être lui-aussi retracé ;
et le sens de la décision ainsi que les motifs juridiques employés par le juge pour expliquer
son choix doivent désormais être clairement compris.
Surtout, il est à présent permis de formuler — dans un langage propre mais juridique — la ou
les question(s) de droit essentielle(s) à laquelle ou auxquelles les magistrats ont dû répondre et
qui commande(nt), dans une large mesure, la construction du plan à suivre. Par définition,
cette question se formule en la forme interrogative. Tout autant par définition, la question de
droit ne peut revêtir la forme d’une question de fait ou d’opportunité.
Ensuite, la recherche de matière nécessaire à l’alimentation du commentaire (textes,
jurisprudences, commentaires en lien avec l’arrêt, mais encore et surtout analyse et critiques
propres au commentateur) peut se faire en se posant plusieurs questions :
- Quels éléments ont, directement ou indirectement, influencé les juges ? Ces éléments seront
principalement juridiques et identifiables parmi les visas, mais ils pourront également être
d’un autre ordre (politique, social, psychologique…). Dans ce dernier cas, si nulle partie des
développements ne devra leur être entièrement dédiée, ils ne devront pas être pour autant
passés sous silence.
- Quelles sont les conséquences de la présente décision, spécialement sur l’état du droit
positif ? En répondant à cette question, se voit réglée la question de la portée ou de
l’importance de l’arrêt.
- Dans quelle mesure les orientations adoptées par les magistrats peuvent-elles être qualifiées
de justifiées et pertinente ou injustifiées et impertinentes ? C’est ici le moment de s’interroger
quant à la critique — la critique pouvant être positive comme négative — de la solution et
surtout de la manière dont le juge a mené son raisonnement. Les réflexions jaillissant à cet
instant seront très utiles au moment d’élaborer le plan et les intitulés.
Avant de passer à la rédaction du commentaire, laquelle débute obligatoirement par celle de
l’introduction, il est encore opportun de préparer quelques citations judicieusement
sélectionnées dans l’arrêt, en particulier afin d’illustrer la ou les questions de droit. Peuvent
également être recherchées — mais le plus souvent elles se rencontrent fortuitement et il faut
les relever à l’instant de la rencontre — des citations d’auteurs juristes ou non-juristes
susceptibles d’enrichir l’un ou l’autre point du commentaire.
Enfin, il est amplement recommandé de s’intéresser, en utilisant les bases de données à
disposition ou plus simplement le Web, au contexte juridico-politico-socio-économique dans
lequel s’insérait l’arrêt, ainsi qu’à sa postérité et à son actualité. Ainsi faut-il s’interroger
quant à la place occupée par cet arrêt parmi l’état actuel du droit positif.
III. — L’introduction du commentaire d’arrêt

Généralement, un écrit (dissertation, mémoire, thèse…) étant une démonstration suivant une
logique particulière, sa rédaction se fait dans l’ordre des parties, en commençant par
l’introduction et en terminant par la conclusion. Procéder autrement risquerait de nuire à la
cohérence du propos puisque le lecteur, lui, lit le texte de la première à la dernière page et non
dans le désordre. Bien que le commentaire d’arrêt soit un exercice très spécifique, il convient
a fortiori de respecter cette règle et, partant, de débuter par l’introduction.
L’introduction au commentaire permet au lecteur de situer juridiquement et factuellement
l’arrêt en cause. Elle reprend les éléments qu’il contient (faits, procédure, problème(s)
juridique(s), décision) et, in fine, présente et justifie le contenu du commentaire à travers
l’annonce du plan.
***
Concernant l’ « introduction de l’introduction », soit les premières lignes de l’introduction,
elle consiste en quelques phrases dites d’ « attaque » évitant de débuter le propos par des
considérations factuelles qui, quoique parfois très originales, ne donneraient guère au juriste
l’envie d’aller plus avant dans sa lecture. Ces phrases d’attaque doivent être, a minima, au
nombre de deux ou trois ; recourir à une seule et unique phrase d’accroche, surtout si elle est
concise, est très convenu et entraîne une impression d’inoriginalité quand bien même cette
phrase solitaire serait, sur le fond, parfaitement originale. En revanche, l’ « introduction de
l’introduction » peut parfaitement débuter par une phrase d’entrée en matière qui, elle, serait
concise, percutante et ciselée.
Une citation ou allusion littéraire, parfois grandiloquente ou lyrique, d’essence juridique
comme non juridique, est souvent la bienvenue, à condition qu’elle possède un lien clair avec
le sujet abordé par la décision. Les expressions « passe-partout », ici comme ailleurs, ne
présentent guère d’intérêt.
Une référence à un évènement d’actualité récent, une donnée statistique ou une considération
sociologique sera très illustrative dès lors que bien choisie. Ces éléments permettent de
raccrocher le droit à la société, ce qui n’est pas inutile tant les deux sont en pratique
intimement liés.
Ces premières lignes peuvent prendre l’aspect d’un « entonnoir », partant de considérations
générales pour aboutir à la décision juridictionnelle étudiée. Elles consistent également
souvent en une approche historique, revenant brièvement sur l’état du droit sur la question
juridique en cause dans le droit romain, le droit moyenâgeux ou le droit moderne.
Ces différents éléments peuvent être combinés, mais à condition que ces phrases introductives
ne dépassent pas la dizaine de ligne. Bien souvent, le choix sera dicté par les informations
recueillies au cours des recherches et de la préparation.
À travers ces premiers propos, outre le fait de donner envie au lecteur de se plonger dans le
commentaire, il s’agit de mettre en valeur — souvent en l’exagérant — l’intérêt et, si
possible, l’actualité, de l’arrêt et de la problématique juridique qu’il contribue à véhiculer, à
enrichir ou à régler. À cet instant, la solution à ladite problématique ne doit surtout pas être
dévoilée. Et ces phrases d’accroche ne doivent pas être par trop décalées par rapport à la
solution et à l’appréciation qui en est faite par le commentateur ; au contraire elles doivent
contribuer à les illustrer et, implicitement, à les trahir.
En cas de manque d’inspiration ou de matière au moment de rédiger cette « introduction de
l’introduction », rien n’interdit d’y revenir au terme de la rédaction du commentaire, d’autant
qu’il lui revient, entre les lignes, d’en exprimer le principal, c’est-à-dire le sens de la décision
du juge et l’opinion (juridique) exprimée par le commentateur relativement à celle-ci.
Au terme de ces premiers propos, doivent figurer, idéalement au terme d’une construction y
invitant, la nature de la juridiction, sa localisation géographique (s’il s’agit d’un tribunal
administratif ou d’une cour administrative d’appel), la date de la décision, son numéro
d’identification et les noms des parties (dans le respect des règles propres à l’anonymisation
des décisions de justice). Peut, à cet instant, être déjà expliqué, quoique brièvement, quelle est
la problématique juridique à propos de laquelle le juge a dû se prononcer.
***
Par suite, l’introduction comporte nécessairement — car imposés et non proposés — cinq
éléments successifs et correspondant à l’architecture propre aux « notes de jurisprudence ».
Tout d’abord, les faits à l’origine du litige ayant amené la justice à se prononcer doivent être,
autant que possible — mais pas plus que possible —, exposés. Évidemment, il serait périlleux
de rechercher au-delà du raisonnable à les deviner lorsqu’ils ne figurent pas explicitement ou
implicitement dans le corps de l’arrêt. Il est donc préférable de s’en tenir aux faits contenus
dans le texte ou qui peuvent être déduits ou reconstitués, même s’ils sont largement
incomplets. De plus, il est important de respecter la version et les qualifications juridiques
retenues par le tribunal. Pour ce faire, mieux vaut adopter un ton descriptif et un style épuré.
Mais cela n’interdit pas, au contraire, d’apporter in fine quelques appréciations quant à
l’originalité ou spécificité des faits ou quant à l’originalité ou spécificité de la présentation
qu’en ont faite les juges.
***
Le second élément cardinal de l’introduction, après la présentation des faits, consiste dans le
détail des éléments de procédure qui ont précédé la sollicitation de la juridiction dont la
décision est à commenter. Comptent parmi ces éléments l’identification des parties et des
juridictions étant intervenues, les dates des décisions, la répartition des rôles de demandeur et
défendeur dans les différentes phases de la procédure, leurs prétentions à ces instants et le
sens dans lequel les magistrats ont successivement tranché. Surtout, doivent apparaître, dans
leurs grandes lignes tout du moins, les arguments juridiques portés par chaque partie et les
motifs retenus par les juges au soutien de leurs décisions. Ainsi les thèses ou interprétations
s’affrontant, relativement à la problématique juridique, se révèlent et conduisent à l’exposé de
cette dernière.
Que ce soit au moment de l’exposé des faits comme lors de celui des éléments procéduraux, le
recopiage mécanique des motifs de la décision est à proscrire. Tout d’abord, seuls les faits
ayant un lien avec la problématique juridique en cause méritent d’être évoqués ; ensuite, le
style d’un commentaire d’arrêt se doit d’être un peu plus — mais seulement un peu —
littéraire que celui, systématisé et prévisible, de l’arrêt lui-même. Néanmoins, lors de l’exposé
de la procédure à l’identique de celui des faits d’espèce, il convient d’être précis et concis, de
ne pas chercher à allonger artificiellement la longueur du texte et de ne pas se laisser tenter
par des formulations qui, en ajoutant du lyrisme, font perdre du sens.
Et, si l’arrêt commenté ne permet pas ou permet mal de retracer les pérégrinations
juridictionnelles du requérant — ce qui est régulièrement le cas —, il est préférable de ne pas
évoquer des éléments incertains. Il est en tout cas défendu d’inventer de toute pièce des actes
de procédure ; si l’arrêt commenté est muet, il n’est d’autre solution que de l’être également.
À noter qu’il est possible qu’un litige relève de la compétence directe du Conseil d’État et,
partant, que le requérant n’ait pas eu à former un recours antérieurement. Dans cette
hypothèse, le commentateur ne doit pas omettre de faire figurer cet élément dans
l’introduction.
***
Le troisième élément indispensable, après faits et procédure, est l’identification de la ou des
question(s) de droit soumise(s) en l’espèce aux juges. C’est là, tout à la fois, l’étape la plus
importante, le cœur et l’âme de l’introduction comme du commentaire dans son ensemble, et
la plus complexe — car les indications ne figurent plus expressément dans l’arrêt ; il s’agit de
déduire les questions en ayant sous les yeux les réponses —. Si l’identification de la
problématique juridique est imprécise, confuse ou même complètement erronée, tous les
efforts entrepris durant les autres phases du commentaire seront ruinés. Le lecteur avisé — ou
le correcteur — saura rapidement s’il est utile ou non de poursuivre la lecture. Mais, à
l’inverse, une mise en lumière claire et pertinente sera un gage important de la qualité des
développements suivants, notamment en permettant de délimiter le cadre du commentaire.
En principe, les problèmes juridiques auxquels les juges répondent sont à rechercher parmi les
motifs (les considérants) autant que dans le dispositif. À la fin des différents groupes de
considérants, se retrouvent souvent des parties de décision qui correspondent à la solution
d’une question de droit. Les visas contiennent également souvent des indices utiles, à
condition d’aller rechercher le contenu des textes visés.
Les juges ont le plus souvent plusieurs questions de droit à trancher avant d’aboutir à une
solution. Seulement toutes ne présentent pas le même intérêt du point de vue du
commentateur. Certaines sont seulement accessoires, i e. utiles à la résolution du litige mais
sans intérêt scientifique, quand d’autres, sans être forcément décisives pour le litige en
question, sont scientifiquement précieuses. Évidemment, le commentateur doit séparer le bon
grain de l’ivraie pour ne s’attarder que sur le premier et ne pas « disserter » autour du second.
Par suite, s’il est impossible, à l’occasion d’un exercice dans les Facultés de droit, qu’aucune
interrogation juridique ne revête d’intérêt, il se peut parfaitement que plusieurs ou toutes le
fassent.
La difficulté intrinsèque au commentaire d’arrêt réside notamment dans le fait qu’il est
difficile, lorsque l’expérience — et les connaissances — manquent, de mesurer l’intérêt d’une
problématique juridique. Il est nécessaire, pour cela, d’avoir une approche dépassant l’arrêt
d’espèce et englobant l’ensemble de la matière interrogée. Si l’arrêt a déjà été commenté
ailleurs, il ne sera pas inutile d’aller y quêter quelques orientations.
De plus, souvent, les points qui ne sont pas accessoires pour la solution du litige ne le sont pas
non plus pour le commentateur ; c’est-à-dire qu’il faudra préférablement se pencher sur les
questions de droit logiquement reliées au dispositif, dont la réponse explique le sens de ce
dernier. Il sera donc judicieux de se demander pourquoi le juge a fait droit ou a rejeté la
requête.
Seulement convient-il de ne pas oublier que le juge traite parfois des questions accessoires
pour la solution du litige parce que ces questions présentent, à ses yeux, un intérêt certain. Or,
si elles présentent un intérêt certain aux yeux du juge, certainement doivent-elles présenter un
certain intérêt aux yeux du commentateur.
Tout revirement de jurisprudence, qu’il conditionne ou non la solution du litige, doit
obligatoirement être traité dans au moins une partie du commentaire. Cela implique de
rechercher, pour chaque question de droit, la position antérieure de la jurisprudence afin
d’observer si les juges s’y conforment ou non.
En cas d’hésitation quant à la pertinence de l’étude d’une question de droit soulevée par
l’arrêt commenté, il est préférable de le considérer comme intéressant et de l’incorporer dans
le commentaire.
En tout état de cause, il est nécessaire de justifier, à cet instant de l’introduction, pourquoi une
problématique juridique sera commentée tandis qu’une autre ne le sera pas. Cependant, si
deux questions présentent un intérêt, il est attendu que les deux soient analysées et le choix
d’écarter l’une ou l’autre, quand bien même il serait soigneusement argumenté, nuira à la
qualité du commentaire.
À l’inverse, il serait périlleux d’inventer de l’intérêt artificiel à une question accessoire,
spécialement afin d’être en présence de deux problématiques susceptibles de constituer les
deux parties du plan. D’ailleurs, une majorité d’arrêts ne méritent attention qu’au sujet d’une
seule et unique question de droit.
***
Une fois la ou les problématique(s) juridique(s) présentée(s), l’étape suivante de
l’introduction du commentaire d’arrêt consiste à exposer la ou les réponse(s) apportée(s) par
les juges, dans l’arrêt en cause, à cette ou ces problématique(s). Pour cela, il est préférable de
citer, entre guillemets, le considérant ou la partie du considérant contenant la réponse. Avant
de discuter la parole des magistrats, il faut tout d’abord l’entendre et la reformulation
risquerait par trop d’engendrer des déformations, quand bien mêmes mineures.
Cependant, cette citation ne doit pas être brute mais introduite, par exemple par « à cette
question, le Conseil d’État a répondu, dans sa décision du 8 mars 1947 : “…” ».
***
Enfin, l’introduction se « conclut » par l’annonce du plan du commentaire — proprement dit
— à venir. Le choix des deux parties principales retenues et leur articulation logique doivent
être présentés et justifiés. Pour cela, il est préférable que cette annonce soit contenue en une
phrase, évoquant la première partie puis rebondissant sur la seconde (ou inversement), et non
en deux phrases disjointes correspondant aux deux parties. Éventuellement, deux phrases
peuvent être utilisées si un lien logique les uni (« ainsi, en conséquent, néanmoins… »).
En outre, les titres choisis ne doivent pas être recopiés in extenso ; seuls doivent apparaître,
entre parenthèses, les numéros des parties (« (I) ; (II) »).
Par exemple, une annonce peut être : « Si la présente décision du Conseil d’État cherche à
concilier les principes de continuité et de mutabilité du service public (I), elle n’en demeure
pas moins critiquable à l’aune du principe à valeur constitutionnelle de sécurité
juridique (II) ».
***
L’introduction du commentaire d’arrêt comporte donc six éléments imposés et non pas
proposés, c’est-à-dire à respecter scrupuleusement :
- introduction
- faits
- procédure
- question de droit
- solution
- annonce du plan
Classiquement, chacune de ces rubriques est longue de cinq à dix lignes, ce qui donne une
introduction d’une page.
Enfin, doit être précisé que l’introduction est l’endroit où les concepts juridiques intéressant le
commentaire doivent être définis, à l’endroit où ils apparaissent pour la première fois.
IV. — Le plan du commentaire d’arrêt

Pour espérer bâtir un plan de commentaire cohérent et pertinent, il convient de se demander,


pour chaque question de droit méritant d’être commentée :
- quel est le sens de l’arrêt ? Il s’agit de rechercher la partie du raisonnement du juge qui
aboutit à la solution.
- quelle est la portée de l’arrêt ? Il s’agit de comparer cette partie du raisonnement avec ce que
les juridictions administratives ont pu déjà décider par le passé ; il peut s’agir d’une
confirmation, d’une atténuation ou d’un revirement. De plus, l’état du droit postérieur, si
possible, doit être recherché ; les juges ont pu suivre ou non l’arrêt commenté, ce qui lui
donne ou non force jurisprudentielle.
- quelle est la valeur de l’arrêt ? Il s’agit de mettre en perspective cette partie du raisonnement
avec les positions d’autres juges (de l’ordre judiciaire, dans d’autres États ou européens) et/ou
avec les opinions exprimées par les commentateurs.
***
Comme pour toute dissertation juridique ou commentaire de texte, afin de se conformer à une
tradition récente mais profondément ancrée parmi les Facultés de droit, le plan devra être
binaire et à deux degrés, i.e. composé de deux parties elles-mêmes divisées en deux sous-
parties. Toute structure qui ne serait pas ainsi binaire interdit à l’étudiant d’espérer obtenir la
moyenne dans cet exercice.
Le plan en deux parties est, dans les facultés de droit françaises, un usage irrationnel auquel il
est rationnel de se conformer (cf. B. Barraud, « L’usage du plan en deux parties dans les
facultés de droit françaises », RTD civ. 2015, n° 4, p. 807-825).
Il est déconseillé — et difficile — de chercher à établir un troisième degré de profondeur (des
sous-sous-parties dans les sous-parties), même si, lors de la préparation sur brouillons, il est
pertinent de s’organiser autour de subdivisions fines et précises. Ces dernières doivent ensuite
être savamment regroupées.
En outre, le plan doit être annoncé : à la fin de l’introduction comme entre chaque partie ou
sous-partie, une transition ou un chapeau introductif met en valeur la logique du
raisonnement ; et il doit être apparent : les titres sont mis en exergue au moyen de caractères
gras et/ou grossis (mais pas d’italique ni de soulignement) et sont entourés de sauts de lignes.
***
Concernant le fond à présent, soit les idées et données développées dans chaque partie, la
règle est, en général, de ne pas chercher à faire œuvre d’originalité mais davantage de
chercher à faire œuvre de simplicité. Il n’est en tout cas pas de plan type ; il existe autant de
plans que d’arrêts à commenter et autant de plans que de commentateurs.
Néanmoins, cela ne signifie pas qu’il faille recourir à l’improvisation. Le plan, le plus
souvent, résulte directement de l’arrêt auquel il s’attache.
Si, première hypothèse, il apparaît, au terme des recherches, que deux problématiques
juridiques traitées par les magistrats méritent d’être étudiées, alors chacune sera logiquement
l’objet d’une partie spécifique.
Le plan se présentera ainsi :
I. — Première question de droit et appréciation quant au raisonnement du juge
II. — Seconde question de droit et appréciation quant au raisonnement du juge
Ensuite, afin d’établir les sous-parties (A. et B.), il conviendra de distinguer pour étudier
séparément deux aspects différents dans chaque question de droit (sens, valeur, portée…
régime juridique, conditions, légalité, constitutionnalité… portée, critique, commentaires par
la doctrine, réactions des autorités publiques…).
Il est également envisageable de confier à la première partie la présentation du sens de la
décision et de confier à la seconde la mise en perspective critique de celui-ci. Dès lors, les
deux questions de droit ne seront pas séparées en deux parties mais en deux fois deux sous-
parties, c’est-à-dire qu’elles seront l’objet des A. et B.
Si, deuxième hypothèse, il semble qu’il y ait plus de deux problématiques juridiques méritant
l’attention du commentateur, alors, afin de respecter le dogme du bipartisme — et uniquement
pour cela —, il est nécessaire de constituer deux groupes en identifiant les affinités qui relient
entre elles certaines des problématiques.
Le plan se présentera alors ainsi :
I. — Premier groupe de question de droit et appréciation quant au raisonnement du juge
II. — Second groupe de questions de droit et appréciation quant au raisonnement du juge
Si, dernière hypothèse, il ne se trouve qu’une seule et unique problématique juridique à
commenter — ce qui est le plus souvent le cas —, il faut alors, dès le premier niveau du plan,
recourir à deux aspects différents mais complémentaires s’opposant logiquement (sens,
valeur, portée… régime juridique, conditions, légalité, constitutionnalité… portée, critique,
commentaires par la doctrine, réactions des autorités publiques…).
C’est dans cette dernière hypothèse que le commentateur dispose de la plus grande marge de
manœuvre ; mais il est toutefois logique d’étudier le sens de la décision dans la première
partie, avant d’aborder sa portée et sa valeur au sein de la seconde.
Si l’arrêt constitue le point de départ ou le point final d’une tendance jurisprudentielle, il
paraît pertinent de sacrifier une partie pleine à sa portée. La question de la valeur pourra alors
être envisagée en la seconde sous-partie de la première partie, après l’explication du sens.
Mais si l’arrêt a provoqué des discussions nombreuses parmi les commentateurs, alors, au
contraire, c’est à la valeur que la seconde partie pourra être sacrifiée, l’étude de la portée
suivant celle du sens dans la première partie.
Lorsqu’une seule question de droit est à traiter, à laquelle il est répondu dans un considérant
principal, il peut également être utile de chercher à scinder ce dernier, comme si la question
de droit se divisait en deux sous-questions de droit. Seulement, il est souvent difficile de
déterminer l’endroit où le considérant doit être coupé ; il faut essayer de comprendre sa
structure logique afin d’isoler ses différents éléments, qui constitueront alors les parties du
plan.
***
Dans tous les cas, il n’est pas inutile de se rappeler que le commentaire d’arrêt est un exercice
qui a pour objet, déjà, l’explication de la décision ; il faut donc impérativement qu’au moins
une sous-partie soit destinée à en expliquer le sens. De façon pédagogique, le raisonnement et
l’interprétation de la juridiction, par rapport aux questions qui lui étaient posées, doivent être
expliqués.
Le commentaire d’arrêt, ensuite, est un exercice qui a pour objet une réflexion critique sur la
décision (ce qui ne signifie pas une réflexion négative, la critique peut être positive) ; au
moins une sous-partie doit y être consacrée. Une discussion doit être engagée afin d’estimer la
valeur des choix du juge à l’aune du droit positif, des propositions doctrinales, de ses
conséquences sociales, politiques ou morales. Le commentateur, quand bien même il ne serait
« que » étudiant, ne doit pas se priver de « juger les juges ». Il doit réfléchir à la
rectitude ou sinuosité juridique de la décision, à sa cohérence ou incohérence juridique, mais
aussi — quoique de manière secondaire — à son caractère équitable, moral, juste et à sa
pertinence d’un point de vue social ou économique.
Et au moins une sous-partie doit interroger la portée de l’arrêt, son influence sur l’évolution
postérieure du droit positif, mais seulement à condition que cette portée soit une réalité. Il ne
sera dit qu’un mot, par exemple dans un chapeau introductif, de l’absence de portée de l’arrêt,
ce qui est le cas lorsqu’il s’agit d’une simple application en l’espèce de règles parfaitement
préexistantes ou lorsque la décision est récente et que, partant, il est impossible d’en mesurer
déjà les conséquences.
Bien évidemment, pour expliquer et critiquer une décision juridictionnelle, il convient de
posséder un bagage de connaissances, de culture juridique, suffisant. Ces connaissances
peuvent être préacquises, mais, le plus souvent, elles seront le fruit d’un travail d’enquête,
c’est-à-dire de recherche parmi les manuels, traités et articles de fond autour de la ou des
question(s) de droit qui a/ont été(s) tranchée(s).
***
Concernant la forme à présent, c’est-à-dire la formulation des titres, il s’agit d’une opération
intellectuelle tout à fait spécifique par rapport à la construction du plan. Ainsi, les titres
peuvent être parallèles par leurs formes quand, sur le fond, il s’agit d’un plan en opposition ou
— mais cela est rare — inversement (le plan est d’opposition quand les idées contenues dans
les parties sont antagonistes).
L’une des spécificités — parmi tant d’autres — des études en droit est que la forme compte au
moins autant que le fond. Aussi, une fois le plan construit, la logique et le contenu du
commentaire arrêtés, la plus grande attention doit être apportée au choix et à l’agencement des
mots. La formulation des titres est comme l’étiquette ou l’emballage d’un produit : si elle ne
donne pas envie d’ouvrir le produit pour en goûter le contenu, tous les efforts attachés à ce
dernier auront été vains.
Les titres doivent refléter, presque résumer — et surtout pas contredire —, le contenu des
parties et, spécialement, les opinions et analyses y étant exprimées. Aussi les formulations des
titres doivent-elles logiquement être retravaillées plusieurs fois au cours de la rédaction du
commentaire.
D’un point de vue encore plus formel, un titre ne doit contenir aucun verbe conjugué (ce qui
autorise les participes présents ou passés). Il ne doit pas non plus supporter de points
d’exclamation ou d’interrogation ; les titres servent à exposer l’articulation des idées et ne
doivent pas contenir de questionnements ou autres expressions rhétoriques. Et un intitulé ne
doit pas être plus long qu’une ligne et demie.
Ensuite, les titres doivent « se répondre », être symétriques ou parallèles ; le nombre de mots
doit être identique ou au moins proche, plusieurs doivent être communs aux deux titres et leur
ordre doit être équivalent ; plus le nombre de mots communs est important, meilleur est le
titre. Et les mots qui diffèrent doivent entretenir un rapport d’opposition, de complémentarité,
de cause à effet ou autre. Par exemple, lorsqu’un adjectif est employé, son antonyme pourra
se retrouver dans l’intitulé de la seconde partie.
Idéalement, les termes qui différent riment. Mais, ici, tout est question de subtil équilibre, car
il est hors de question que le goût pour l’esthétique vienne nuire au sens. L’objectif, délicat à
atteindre, est de mettre l’esthétique au service du sens.
Par exemple, deux titres clairement reliés peuvent être :
I. — L’admission arbitraire du principe de continuité au détriment du principe de mutabilité
du service public
II. — La contestation nécessaire d’un principe de continuité primant le principe de mutabilité
du service public
Ainsi, les liens logiques qui, sur le fond, unissent entre elles les parties et les sous-parties
doivent apparaître très explicitement grâce à des titres savamment élaborés. Il faut que le
lecteur du commentaire puisse saisir les orientations de celui-ci par la simple prise de
connaissance des intitulés.
***
Par ailleurs, l’opinion (juridique) exprimée relativement à l’arrêt, à la manière dont le juge a
statué — ce qui est proprement le commentaire —, doit transparaître sans détour au sein des
intitulés.
Il est indispensable que les intitulés ne soient pas descriptifs et expriment une prise de
position, ce qui oblige à utiliser des qualificatifs (adjectifs ou participes passés ou présents).
Peuvent également être employées des appositions, soit la juxtaposition de deux groupes de
mots séparés par une virgule ou deux points, le second qualifiant le premier. Par exemple, le
titre « L’extradition de l’enfant, un choix contestable à l’aune du principe d’égalité des
chances » recourt à pareil outil grammatical.
Il convient de toujours vérifier que les qualificatifs employés se rapportent bien, au moins
indirectement, à la manière dont le juge a statué et non à un quelconque autre élément. Aussi
les intitulés doivent-ils contenir des substantifs (noms) dérivés de verbes d’action qui
expriment ce qu’a décidé le juge (rejet (rejeter), reconnaissance (reconnaître), contrôle
(contrôler), définition (définir)…).
Quelques autres exemples de titres évocateurs peuvent être :
- « Une définition restrictive des prérogatives de puissance publique » ;
- « L’admission salvatrice du moyen fondé sur l’excès de pouvoir » ;
- « La démonstration audacieuse de l’inapplicabilité du principe à valeur constitutionnelle de
liberté d’expression » ;
- « Une application classique de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen ».
Sur ce point, si le commentateur trouve banale, traditionnelle ou classique la manière avec
laquelle le juge a traité une question de droit, alors celle-ci pourra être qualifiée de
« traditionnelle » ou de « classique » (« banale » relève d’un langage trop peu châtié).
Toutefois, c’est peut-être là l’indice que cette problématique juridique est peu importante et
ne mérite guère d’être commentée.
***
Enfin, concernant le corps du commentaire, les différents paragraphes qui le constituent, il est
important qu’y figurent des arguments tirés des leçons, traités ou manuels de droit, mais aussi
autant de citations de jurisprudences et de textes de loi que possible. La référence à certains
articles de doctrine est également espérée ; mais ceux-ci ne doivent pas être en décalage par
rapport au sujet abordé. Certains questionnements sont si neufs ou particuliers que nul ne s’y
est encore intéressé. De plus, lorsque de nouveaux concepts juridiques sont utilisés, il ne faut
pas oublier de les définir (le plus souvent, ils apparaissent dès l’introduction).
Afin d’aborder tous les points principaux qui méritent de l’être, sans risquer d’en oublier, peut
être utilisée la méthode dite « des quatre C », celle-ci consistant à s’interroger quant :
- au Contenu (le détail des problématiques juridiques et des réponses apportées par les
magistrats) ;
- aux Causes (les motifs, essentiellement juridiques, qui ont invité les juges à se prononcer
dans un sens plutôt que dans un autre) ;
- aux Conséquences (la portée juridique et les effets de la décision) ;
- à la Critique (l’appréciation propre au commentateur par rapport aux choix des juges). Il
s’agit, notamment, de se demander si le juge fait preuve de souplesse ou de rigueur dans
l’interprétation qu’il fait des règles ou principes applicables ; si la solution retenue est sévère
ou accommodante à l’égard de l’administration ; ou encore si les conséquences de cette
solution risquent d’avoir une influence pour beaucoup de litiges futurs (décision « de
principe ») ou non.
V. — La conclusion du commentaire d’arrêt

Concernant la question de l’utilité d’une conclusion refermant les commentaires d’arrêt, il


existe deux écoles. La première, qui est la plus importante, estime qu’il n’est pas nécessaire
d’insérer une conclusion au terme du commentaire d’arrêt, celle-ci ne présentant aucune
utilité et risquant simplement d’amener le commentateur à répéter ce qu’il a déjà dit.
D’ailleurs nombre de méthodes du commentaire d’arrêt n’abordent même pas cette question
ou y répondent en une phrase.
La seconde école, qui a la faveur de l’auteur de ces lignes, mais qui est minoritaire, envisage
la conclusion comme un objet qui, souvent, peut être très utile afin d’avancer l’un ou l’autre
questionnement qui ne trouvait pas sa place parmi les parties principales. Par exemple, si
l’arrêt est récent et que la réflexion quant à sa portée est délicate, il peut être judicieux
d’attendre la conclusion pour interroger celle-ci, se risquer à un pronostic quant aux
répercussions de la décision sur le droit positif. S’il est possible mais incertain que l’arrêt
commenté devienne « de principe », « fasse jurisprudence », si peu d’éléments permettent de
se prononcer, alors seulement quelques mots, en guise de conclusion, suffiront et il ne sera
pas utile de consacrer une pleine partie à la portée.
La conclusion peut aussi être l’occasion d’ouvrir la discussion vers quelques considérations,
extra-juridiques par exemple, que l’arrêt étudié implique.
En revanche, il demeure certain qu’une absence de conclusion est préférable à une conclusion
qui se bornerait à résumer ou même synthétiser le contenu du commentaire.
VI. — Qu’est-ce qu’un « bon » commentaire d’arrêt ?

Le commentaire d’arrêt en droit est un exercice dont l’objectif est la mise en lumière du sens,
de la logique, de l’intérêt, de la portée et de la cohérence d’une décision juridictionnelle. Le
« bon » commentaire d’arrêt est donc celui qui répond, de manière claire, éclairée et
perspicace à cet objectif.
Le « bon » commentaire d’arrêt débute par une introduction abordant successivement cinq
points précis :
- l’exposé des faits ;
- le détail de la procédure ayant conduit à la décision commentée ;
- la formulation de la ou des problématique(s) juridique(s) que soulève cette décision ;
- la présentation de la ou des réponse(s) formulée(s) par les juges ;
- l’annonce du plan qui sera suivi.
Le « bon » commentaire d’arrêt identifie les règles juridiques dont il est fait application ou qui
sont mises en cause ; il explique sans détour si ces règles sont parfaitement appliquées,
partiellement appliquées ou inappliquées par les juges. Et il précise les raisons (juridiques,
mais aussi politiques, historiques ou sociales) qui ont poussé les magistrats à raisonner d’une
façon plutôt que d’une autre.
Le « bon » commentaire n’oublie pas de définir les concepts juridiques clés. Il s’appuie sur les
textes de loi et les jurisprudences pertinents, mais aussi sur les articles de doctrine relatifs au
sujet ou, s’ils existent, à l’arrêt. Il compare ainsi l’arrêt étudié avec les solutions retenues à
l’occasion des affaires voisines, si ce n’est similaires.
Le « bon » commentaire s’appuie sur une structure — un plan — binaire, clair, évocateur et
cohérent. La simple lecture de ce cadre permet de saisir la teneur tant des problématiques
juridiques en cause et des réponses apportées par les juges que de l’appréciation portée par le
commentateur. Les intitulés possèdent des liens logiques, ils « se répondent », sont parallèles
ou symétriques. Ils comportent des qualifiants exprimant l’analyse du commentateur ; ces
adjectifs, participes passés ou participes présents sont en rapport avec des substantifs
correspondant à des verbes d’action rendant compte des décisions des juges.
Le « bon » commentaire comporte des chapeaux introductifs et des phrases de transition qui
facilitent la lecture.
Le « bon » commentaire est rédigé dans un style limpide et avec un vocabulaire technique
précis ; le commentaire d’arrêt est — presque — un exercice de « journalisme juridique ». Il
est correct tant grammaticalement qu’orthographiquement.
Le « bon » commentaire est nécessairement rédigé par un commentateur qui a compris le
raisonnement du juge et qui est capable de faire passer au lecteur cette compréhension.
Le « bon » commentateur ne se laisse pas paralyser par la modestie ou le manque de
confiance ; aussi ne se prive-t-il pas de « juger le juge », i.e. d’avoir une approche critique de
la décision qu’il étudie, mais aussi de « juger les autres commentateurs » — si l’arrêt a déjà
été analysé ailleurs —. Mais, pour cela, il doit être muni d’un bagage de connaissances
théoriques et techniques suffisamment fourni. Il n’est jamais trop tard pour acquérir ou
enrichir ce bagage par la lecture de traités, manuels, notes ou articles de fond.
Le « bon » commentateur juridique se fonde principalement sur des arguments de droit et
seulement accessoirement sur des considérations politiques, historiques, sociales ou
psychologiques.
Le « bon » commentaire est celui au terme duquel le lecteur sort éclairé et souriant plutôt que
circonspect et désabusé.
Le « bon » commentaire est encore, d’un point de vue strictement formel, « aéré » : les sauts
de ligne sont fréquents, les alinéas sont utilisés tout comme les lettres capitales dans les
intitulés, tandis que les paragraphes sont courts.
***
Le « bon » commentaire est encore celui qui évite de succomber à un double danger :
- celui de paraphraser l’arrêt, c’est-à-dire simplement reformuler son contenu, ses passages
pertinents, sans rien ajouter, expliquer, ni discuter, comme s’il s’agissait de produire un
simple compte-rendu. Le commentaire, à l’inverse du compte-rendu, situe l’arrêt et les
problématiques juridiques dans leurs contextes. Surtout, il comporte une approche critique, au
besoin polémique (mais seulement juridiquement), quant aux raisonnements retenus par les
juges.
- celui de disserter plutôt que commenter, c’est-à-dire réaliser un exposé théorique par trop
éloigné des spécificités et éléments de l’espèce. Les connaissances théoriques sont le
préalable nécessaire au commentaire, mais ils ne sont pas une fin. Il s’agit ici de science
appliquée et l’utilisation de l’arrêt ne doit pas motiver la rédaction de propos parfaitement
génériques sur le sujet concerné. Ainsi, après avoir précisé les règles qui s’appliquent à une
situation donnée, il convient d’expliquer la façon par laquelle les juges les ont interprétées et
appliquées. La différence entre dissertation et commentaire est que, dans le second exercice,
les connaissances et la maîtrise technique servent, non à un exposé général, mais à des
développements explicatifs et critiques précis car visant une décision juridictionnelle.
Un bon moyen d’éviter ce second écueil consiste à se référer le plus régulièrement possible,
dans le raisonnement, à l’application faite au cas d’espèce. Et, après la rédaction de chaque
paragraphe ou, a minima, après la rédaction de chaque sous-partie, il est judicieux de se
demander si ce qui vient d’être exposé possède un lien net avec les arguments de l’une ou
l’autre partie ou avec le raisonnement des juges. S’il n’existe aucune affinité entre ce qui a été
écrit et ces derniers, c’est que le hors-sujet est proche.
Il est parfaitement inutile de chercher à augmenter artificiellement le volume d’un
commentaire, en insérant des considérations accessoires ou des développements généraux et
théoriques. Toutes les décisions de justice ne présentent pas un intérêt équivalent et, si l’arrêt
à commenter présente peu d’originalité, il ne justifie pas alors que des pages entières de débat
y soient consacrées.
***
Ne pas discuter les choix opérés par les juges conduit en général tout à la fois à paraphraser
l’arrêt et à disserter. Il convient donc de toujours rechercher la disputatio, car, strictement,
elle-seule est commentaire.

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