La Rebellion Positive
La Rebellion Positive
La Rebellion Positive
ISBN 978-2-226-28050-3
Table
Introduction
La culpabilité
2. De l’autorité à l’obéissance
Quand désobéir ?
Le burn-out banalisé
Les étapes du deuil
Le mensonge
La manipulation
Autonomie ou aliénation ?
Être éthique
9. L’audace de l’affrontement
Conscience
Lâcher-prise
Vigilance émotionnelle
Le perfectionniste
La procrastination
Le syndrome de l’imposteur
La pleine conscience
Bibliographie
Introduction
Nombre de personnes ne se sentent plus respectées dans leur travail.
Pourquoi ne se donnent-elles pas la permission de se « rebeller » ou de
changer de cadre professionnel ? La sécurité (ou l’illusion de la sécurité ?)
que donne un emploi salarié a pour corollaire la peur de le perdre, et cela
exerce une force d’inertie importante sur ceux qui s’estiment malheureux,
certes, mais plus heureux malgré tout que s’ils perdaient leur poste.
Beaucoup de femmes se sentent bridées dans leur couple, emprisonnées
par les carcans du devoir et de la soumission aux règles, elles-mêmes
dépendant souvent des représentations collectives données par la société,
renforcées par la publicité : la « bonne mère », la « bonne épouse »… Ces
stéréotypes, entretenus par les discours familiaux (« Tu ne dois pas
divorcer… », « Tu dois être plus attentive… », « Il faudrait que tu… »),
rendent la décision de rompre un schéma de monotonie, ou même de
danger, impossible car impensable, inenvisageable, souvent par peur de ne
pas pouvoir y arriver seule, de ne pas pouvoir faire face aux dangers qui
guettent celles qui s’aventurent sur le chemin de l’autonomie.
Beaucoup d’entre nous n’aiment pas se voir imposer des règles injustes
ou absurdes, ni être bridés, écrasés, dévalorisés. Et pourtant, l’humiliation
est couramment subie par les êtres humains que nous sommes, à l’état
d’enfant comme à l’état d’adulte.
Le rabaissement et la dévalorisation générant souvent la honte de soi,
rongeant l’estime de soi, nous ressentons l’injustice sans pouvoir la
dénoncer, par manque de foi, d’énergie et de soutien. Souvent, les relations
familiales en sont le théâtre, et de plus en plus souvent, malheureusement,
la vie professionnelle. Les espaces où trouver de la bienveillance et de la
compréhension sont, pour beaucoup trop de personnes, rares, voire
inexistants. Dénoncer ce qui ne va pas revient à affronter le regard de
l’autre, différent, parfois malveillant, et d’être accusé alors que l’on ne
cherche qu’à se défendre. Se rebeller est vu encore comme un enfantillage,
un « caprice » et non comme un acte d’affirmation.
L’idée de ce livre est simple et part d’un constat : c’est en suivant
scrupuleusement les règles que l’on finit par s’éteindre. C’est en restant
dans le chemin tout tracé que l’on nous propose que nous passons à côté de
notre vie. Et si nous remettions en question les habitudes sociales, le
« politiquement correct », la « bonne éducation » ? Nous perdrions sans
doute des amis, sûrement un emploi ennuyeux, peut-être romprions-nous
notre couple mais nous gagnerions en liberté et en joie de vivre.
Qu’est-ce que la rébellion positive ? Que signifie l’association de ces
deux mots qui semblent s’opposer ? Se rebeller, c’est avant tout s’opposer,
mais contre qui, contre quoi et pour quelles raisons ? En quoi cela peut-il
être positif de se rebeller quand l’origine latine du mot fait référence à
« guerre », et quand nous nous représentons l’acte rebelle comme un acte
anarchique, sans motivation, isolé et mal venu ?
Il existe d’autres façons de gérer sa vie professionnelle, familiale ou de
couple lorsque la situation devient critique, que de la subir, tomber malade,
être écrasé de culpabilité et de honte, que de se sentir vide, sans valeur et
désespéré.
Souvent, le besoin de sécurité prend le pas sur tous les autres, si bien
que beaucoup d’entre nous préférons accepter de se faire humilier par
l’entreprise, la hiérarchie, un conjoint plutôt que de prendre le risque de
s’opposer, de faire valoir ses droits et sa dignité. Oser donner son avis sur
sa démotivation ou son mécontentement génère un risque que l’autorité
(c’est-à-dire ce que nous projetons sur l’autre, sur ce que représentent
l’entreprise, un chef, etc.) se fâche et sanctionne, et cela fait peur. C’est
d’ailleurs souvent le cas… et il faut l’avoir prévu, anticiper, absolument.
Souvent, comme l’indique Marie-France Hirigoyen dans ses livres
désormais célèbres sur le harcèlement moral en entreprise ou dans le
milieu privé, c’est l’accumulation de petites choses qui au départ semblent
insignifiantes et dénuées de logiques entre elles qui minent petit à petit,
puis détruisent la confiance en soi. Lorsque ces changements font partie
d’une stratégie managériale, d’emprise familiale ou conjugale, notamment
pour exercer une pression plus forte sur les personnes et les contraindre
davantage, la confusion et le mal-être s’installent profondément.
La rébellion positive est avant tout une approche positive d’affirmation
de soi. Elle n’est pas l’agression contre une autre personne, à l’instar de la
« désobéissance civile », marquée par le sceau de la non-violence. Elle est
une démarche active, cohérente, dictée par la foi en ses valeurs, enhardie
par les certitudes de ses ressentis. Albert Camus parlait déjà de l’aspect
positif de la valeur présumée pour toute révolte en la comparant à une
notion négative comme le ressentiment : « Le révolté défend ce qu’il
1
est . » L’action constructive et cohérente que représente la rébellion
positive est meilleure pour la santé que le ressassement incessant en son
for intérieur accompagné d’une sensation d’impuissance.
La rébellion positive a pour but de préserver l’intégrité de la personne
que nous sommes, et la remise en cause systématique de l’autorité (au sens
large, nous l’avons vu) n’en est donc pas le but principal ou ultime. Cela
suppose de reprendre possession d’une estime de soi mise à mal par des
injustices, des remarques blessantes, grâce à des petits changements
assurés progressivement dans le temps.
Il y a bien entendu plusieurs stades dans la rébellion positive qui
nécessitent une meilleure connaissance de soi, de ses besoins et de ceux
des autres. C’est un long chemin qui permet de se réapproprier la capacité
à décider pour soi et de s’affranchir progressivement de ceux en qui on a
misé toute sa confiance, et dont on ne se sent plus proches, voire qui nous
ont trahis.
La rébellion positive concerne le travail et aussi tous les aspects de notre
vie quotidienne, de la famille aux amis en passant par le voisinage, les
administrations, etc.
Si vous avez l’impression depuis plusieurs années de vous être investi
au travail conformément aux exigences de votre entreprise et aux attentes
de votre hiérarchie, d’avoir accepté des changements et d’en souffrir, il est
temps pour vous de revoir la manière dont vous vivez, communiquez et
d’oser vous donner d’autres perspectives pour rester en poste ou envisager
d’autres pistes. Si vous avez l’impression que dans votre famille vous avez
tout fait pour vous faire entendre et que personne n’accepte de compromis,
alors, n’hésitez plus, faites l’expérience de la rébellion positive pour vous
réaliser selon vos propres désirs, besoins et valeurs et non conformément à
ceux des autres, aussi précieux soient-ils.
Pourquoi êtes-vous en vie ? Pourquoi êtes-vous ici-bas ? Certainement
pas pour vous sentir sous-estimé, exploité, humilié et impuissant. Vous
êtes sur Terre pour vivre selon des valeurs justes, humaines, respectueuses
de votre intégrité et de votre dignité.
Et cela commence dans votre quotidien, avec votre conjoint, vos
enfants, vos amis, vos collègues, vos patrons… et repose sur vous-même,
sur votre socle intérieur, peut-être à construire, peut-être à définir, mais
indiscutablement boussole de vos actions. Ce socle, nous l’espérons, vous
l’aurez dessiné et bâti lorsque vous aurez terminé ce livre.
Note
1. Albert Camus, L’Homme révolté, Gallimard, 1951.
1
« Je déteste cela
mais suis obligé de le faire »
« Faut-il partir ? Rester ? Si tu peux rester,
reste ;
Pars, s’il le faut. »
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal
Chaque année, c’est pareil, Aurélie doit passer Noël chez sa mère et
son beau-père, qu’elle n’aime pas. Non qu’il soit mal aimable, mais il lui
fait toujours une remarque sur sa coiffure, son décolleté, son col roulé,
son maquillage… Aurélie n’aime pas cela. Elle s’en est ouverte à sa
mère, qui lui a répondu : « Oh ! ce n’est qu’une marque d’attention… Tu
prends tout de travers. Il est juste gentil, c’est tout… Préfères-tu
l’attitude de ton père qui ne demande jamais de tes nouvelles ? » Aurélie,
tout à coup, a honte : oui, c’est vrai, c’est peut-être parce qu’elle est
fatiguée, susceptible, célibataire encore à trente-trois ans… C’est vrai
que son père ignore jusqu’à ce qu’elle fait, sait-il seulement qu’elle a
déménagé il y a six mois ? Il ne l’appelle jamais. C’est peut-être parce
que son père lui manque qu’elle rejette son beau-père. Alors Aurélie
s’excuse, se sent gênée, et surtout, à cet instant, très mal, angoissée. Sa
mère la serre dans ses bras, Aurélie pleure, elle s’en veut de se sentir si
« petite fille », elle ne comprend pas son comportement.
Elle passera Noël en se sentant mal à l’aise, coupable, mais rira
quand même quand son petit neveu imitera Mimi le Chat. Au final, elle
dira : « Oui, ça s’est bien passé, comme d’habitude, rien de spécial. » Et
cela recommencera l’année suivante.
Ainsi, chacun fait semblant d’être content. Gare à celui qui ne vient pas
sans un « bon » prétexte ! Il s’expose au rejet, ou tout au moins aux
remontrances, aux remarques aigres-douces… Combien de fois avons-
nous entendu cela ! « Cela me stresse, je ne peux pas supporter ces fêtes,
ces réunions de famille », « Je déteste ma sœur et je dois faire semblant
que tout va bien pour ne pas froisser mes parents, ils sont vieux à
présent… », « Je sais que mon frère est homosexuel et qu’il vit avec son
ami depuis cinq ans mais il m’a interdit d’en parler à mes parents, et je me
trimballe avec ce secret qui fait que je me sens mal chaque fois qu’il est là
ou qu’on me parle de lui… Je n’en peux plus, mais je ne peux pas le
trahir… », « Il n’y en a que pour les enfants de ma sœur, les miens ont des
cadeaux minuscules, ils se sentent dévalorisés, me demandent pourquoi on
y va, je réponds : “Ce sont tes grands-parents…” Que faire, ma mère ne
veut pas comprendre ce que je lui dis… », « Cela fait dix ans que j’invite
mon père qui ramène chaque fois une nouvelle petite amie et qui me
“plante” régulièrement, soit en partant vers 21 heures, soit en ne venant
pas (ça lui est arrivé une fois !). Mais c’est seulement à cette occasion qu’il
vient, alors… C’est mon père, c’est tout… »
Le point commun de ces histoires semble être la culpabilité et une forme
12
de loyauté à la notion de « famille ». Le poids de celle-ci a l’air de rendre
toute autre attitude ou tout autre comportement impossible : « Je ne peux
pas faire autrement » (condamnation à reproduire une action déplaisante,
comme si on ne pouvait, lorsque l’on est adulte, décider d’agir autrement,
comme si on n’avait pas le choix), « C’est ma mère qui ne comprend pas »
(remise de la responsabilité sur l’autre et non sur soi), « Ce sont tes
grands-parents » (il est dit implicitement à l’enfant qu’un statut prévaut sur
tout le reste, y compris les injustices ; risque fort de reproduction d’une
« généralisation » de ce comportement à toutes les figures d’autorité, dont,
plus tard, le hiérarchique et le conjoint aussi sûrement), « C’est mon père »
(acceptation tacite de l’humiliation, régulièrement, tous les ans, pour les
mêmes raisons que précédemment : le statut permet d’écraser et
d’humilier). Toutes ces justifications, tous ces avis, sont de nature à
anéantir l’estime de soi tous les jours davantage, car ils permettent, au nom
d’une pseudo-hiérarchie, au nom de pseudo-valeurs, de se laisser
dévaloriser et maltraiter.
La pseudo-hiérarchie, c’est croire que le statut de quelqu’un lui donne le
droit de porter atteinte à votre dignité (« Quand mon père me traite de
gros, ou d’imbécile, je sais qu’il a raison… », ou « C’est de l’humour… »,
ou « Mais je sais qu’il m’aime, c’est sa façon de me le dire », ou « Oh, ce
n’est pas bien grave », etc.), à votre droit de réponse (« Je ne peux rien
dire, je n’ose pas »), à votre intégrité (« C’est ma mère, elle est chez elle,
elle fait ce qu’elle veut… »). Les pseudo-valeurs, c’est considérer que,
puisque la famille est importante, on doit la mettre au-dessus de tout le
reste, y compris de soi : elle transcende nos propres sentiments, opinions et
règles de vie, elle est toute-puissante et a le contrôle de notre vie, sans que
nous en soyons conscient.
En amitié, c’est la même chose : si votre meilleur ami arrive toujours
une heure en retard, il est normal pour lui que vous l’attendiez (vous l’avez
toujours fait). Vous avez usé de multiples stratégies pour anticiper : lui
donner rendez-vous une heure à l’avance, lui expliquer que cela vous
dérange, voire vous énerve, ou le supplier… Pouvez-vous imaginer qu’un
jour vous le fassiez attendre une heure, deux heures… ? Comment
évaluez-vous cette relation ? Êtes-vous sûr qu’il s’agisse d’une relation
équilibrée ? Quelle est votre conception de l’amitié ? Si vous continuez à
attendre, même si vous râlez, vous avez la réponse… Pour que cela puisse
13
être mis en place, il existe une émotion dite « mixte » : la culpabilité .
La culpabilité
Notes
2. « N+1 » signifiant « supérieur hiérarchique », « N-1 » représentant le subordonné.
Nous préférons ces dénominations à celles, très connotées, de « chef », « supérieur »,
« responsable », et nous en oublions…
3. France 2, le 2 février 2012.
4. Nous parlons bien sûr de l’entreprise au sens large, incluant les hôpitaux, les
institutions publiques, les associations…
5. Être lisse, constant. Nous venons d’inventer ce mot !
6. Serge Tisseron, Vérités et mensonges de nos émotions, Albin Michel, 2005.
7. Alice Miller, C’est pour ton bien, Aubier, 1985.
8. S. Tisseron, op. cit., p. 23.
9. Voir à ce sujet Robert Fischer, Le Chevalier à l’armure rouillée, Ambre, 2005.
10. Voir pour cela les précédents ouvrages d’Isabelle Méténier, dont Crise au travail et
souffrance personnelle, Albin Michel, 2010.
11. Ibid., p. 35.
12. Cette notion de « loyauté » a été traitée dans un ouvrage précédent paru chez Albin
Michel : Crise au travail et souffrance personnelle, op. cit.
13. Voir à ce sujet, Michèle Larivey, Les Émotions sources de vie, RED Editions, 2000.
14. La Puissance des émotions, Pocket, 2011, p. 129.
15. À moins qu’il ne s’agisse d’un « fantôme » : voir à ce sujet les ouvrages de Serge
Tisseron et de Boris Cyrulnik.
2
De l’autorité à l’obéissance
« La liberté est un présent du ciel, et chaque
individu de la même espèce a le droit d’en jouir
aussitôt qu’il jouit de la raison. »
Diderot
Nous entendons encore des gens nous parler d’un ancien emploi en ces
termes : « J’avais tel travail et x personnes sous mes ordres. » Diable !
Sommes-nous encore au début du XX siècle où humiliations, racismes et
e
De la soumission à l’autorité
à l’obéissance affirmée
Quand désobéir ?
Notes
16. Voir à ce sujet les ouvrages de Maslow, notamment sur « la pyramide des besoins ».
17. Psychologie sociale, sous la direction de Serge Moscovici, PUF, 1984.
18. Psychologie sociale, op. cit., p. 52.
19. Willem Doise, Jean-Claude Deschamps, Gabriel Mugny, Psychologie sociale
expérimentale, Armand Colin, 1978.
20. La psychologie sociale analyse et explique des phénomènes qui sont simultanément
psychologiques et sociaux, parmi eux notamment la communication, les questions
identitaires et d’influence sociale.
3
C’est aussi parce que le besoin de sécurité est devenu de plus en plus
important pour bon nombre de personnes, avec la crise et le chômage, que
les situations de souffrance se sont davantage révélées. La sécurité rejoint
le besoin d’appartenance à la société et permet également d’être
« renforcé » dans son identité professionnelle, pour peu que notre
sentiment de cohérence et d’efficience personnelles repose sur les
compétences au travail.
Ce que Yolaine ignorait, c’est que pour découvrir qui l’on est, ce que
l’on vaut et affirmer son identité, il faut d’abord commencer par se
débarrasser de tout ce qui n’est pas soi, de tout ce que l’on s’est approprié
des autres (par confort ou loyauté). Notamment toutes les injonctions du
type « tu ne réussiras pas », « tu es incapable de créer une entreprise » ou
« tu ne sais pas te vendre » sont à éliminer de ses pensées, pour mettre à la
place de nouvelles phrases parlant de ce que l’on sait faire et de son
potentiel.
Quelques semaines plus tard elle apprend qu’elle est licenciée, ce
qu’elle n’avait jamais imaginé comme étant possible.
Dans le cas de Yolaine, son manque d’autonomie vis-à-vis de sa famille
se reflète dans sa dépendance à ses collègues et sa hiérarchie : elle n’ose ni
dire ce qu’elle pense, ni ce qu’elle souhaite, et, alors qu’elle imagine que
cette soumission (qui lui est « favorable » dans sa famille) est utile pour se
faire aimer des autres, elle se retrouve licenciée sans autre forme de procès
pour avoir justement voulu taire ses souhaits… On comprend qu’elle se
sente déstabilisée. Pour autant, ce n’est pas à l’entreprise d’éclairer
Yolaine sur son attitude et ses attentes : c’est à elle de tirer les
conséquences de son comportement, mais le fera-t-elle ? La réponse lui
appartient. Dans tous les cas, ce besoin de sécurité, s’il n’est pas
accompagné de clairvoyance émotionnelle et contextuelle, peut enfermer
et poser des œillères, empêchant de clarifier une situation.
Liberté ou contrainte ?
Ambivalence et engagement
Notes
21. Vérité et mensonges de nos émotions, op. cit., p. 41.
22. Lattès, 2009.
23. Balland, 2007.
24. Référence au livre de Robin Norwood, Ces femmes qui aiment trop, J’ai lu, 2003.
25. La Puissance des émotions, op. cit., p. 14.
4
Le burn-out banalisé
26
Selon Michel Delbrouck , le burn-out est un concept neuf qui peut
mener à la dépression. Il englobe, dépasse le stress et conduit à une perte
du sens du travail. Il est un malaise existentiel singulier et social, et pose la
question du sens de la vie.
Notes
26. Médecin et auteur de Comment traiter le burn-out, De Boeck, 2011.
27. Une amie nous rapportait récemment qu’une élève de première, qui a pourtant deux
ans d’avance, n’avait pas eu les encouragements du conseil de classe, les professeurs
ayant constaté une « baisse » de ses résultats : de 16,5 à 15,5 de moyenne ! L’appréciation
du chef d’établissement au bas du bulletin était : « Doit se ressaisir »…
28. Conversations ordinaires, Folio essais, 2004, p. 106.
29. Op. cit.
30. Burn-out, le syndrome d’épuisement professionnel, Les Arènes, 2011. Cette auteure a
développé le MBI-GS (Maslach Burn-Out Inventory General Survey).
31. Michel Delbrouck, Comment traiter le burn-out, op. cit., p. 184.
32. Voir Crise au travail et souffrance personnelle, op. cit.
5
Nous le voyons, ce qui est mis en avant est l’aspect négatif, c’est-à-dire
la partie de la personne qui s’oppose systématiquement aux idées ou aux
demandes des autres, d’une manière « automatique », visant avant tout à
attirer l’attention.
L’aspect rebelle est avant tout une adaptation et une réponse à
l’environnement. Les aspects positifs de l’enfant rebelle adapté sont
rarement abordés, et pourtant ils demandent à être connus et exploités : sa
capacité à s’adapter en réagissant, en donnant ses propres idées, en
s’opposant aux abus d’autorité. En cela, il est très utile de l’écouter
trépigner en nous-même, car il sait mieux que quiconque ce qui est juste et
injuste, et ce de manière immédiate, instinctive. Joueur et malicieux
lorsqu’il se sent en confiance, l’enfant rebelle peut utiliser son humour
pour recadrer des relations qui ont mal démarré en dédramatisant, en
prenant de la hauteur et en usant de sa créativité.
Nous avons tous été éduqués par des parents, des professeurs, des
hiérarchies diverses (policières, judiciaires, gouvernementales,
médicales…). Celui qui représente l’autorité est vu comme « supérieur »,
il incite à la soumission. C’est donc le regard que nous portons sur
l’autorité qui est à changer si nous voulons brancher notre côté « rebelle
positif », en nous autorisant à aller à son encontre.
Notre éducation nous apprend la soumission à l’autorité et l’importance
d’accepter des règles, d’intérioriser le réflexe d’obéissance, afin de
garantir l’équilibre de la société et le bon fonctionnement de nos familles,
entreprises et institutions. Certaines normes deviennent ainsi tellement
intégrées qu’elles conditionnent aussi nos pensées, nos actes quotidiens et
n’appellent jamais à la remise en cause, ou alors que très lentement.
La rébellion positive se différencie de la simple désobéissance par le fait
qu’elle s’inscrit dans un recadrage de la relation d’autorité, dès lors que
notre intégrité physique ou psychique est en danger. C’est une réaction
saine lorsqu’elle intervient tôt dans le processus relationnel pour éviter
toute dégradation de la situation qui pourrait alors engendrer de la
violence. Ainsi, une personne se rebellant dans cet esprit se préoccupe
avant tout de la justice la concernant, du niveau de reconnaissance qu’elle
reçoit et du respect qu’on lui accorde.
La rébellion positive se nourrit d’éthique, et en ce sens elle se distingue
de la simple réaction : derrière toute rébellion positive se cache un souci
d’intégrité, de vérité, d’engagement, de responsabilité vis-à-vis de soi, des
autres et du monde.
Le mensonge
La manipulation
Induire de la culpabilité chez autrui est facile surtout si autrui est fragile,
et cela fait partie du registre de la manipulation. Cette dernière est un
comportement que l’on subit : quelqu’un nous manipule. La culpabilité fait
partie de la gamme des sentiments que nous pouvons éprouver à ce
moment-là, mais il y en a d’autres : dégoût, colère, découragement… Plus
nous identifions nos émotions et plus nous pouvons sentir en nous-même
l’expérience que la manipulation suscite chez nous. C’est cette
clairvoyance qui nous aide à progresser et à nous affirmer d’une manière
adaptée.
Pour atteindre l’intégrité d’une personne, la manipulation psychologique
est au premier plan, car elle vise à obtenir quelque chose (un
comportement, une attitude) que l’autre ne veut pas donner. Cette situation
nous met en dissonance intérieure : nous ne voulons pas mais nous nous
sentons forcé. La baisse de l’estime de soi, la remise en cause de notre
identité et la perte de l’autonomie sont les conséquences que nous risquons
si nous cédons. Ce qui veut dire qu’à chaque fois qu’une décision ou
proposition risque de toucher un de ces éléments, nous devons être
vigilant.
38
Comme le souligne Michelle Larivey , deux complices sont nécessaires
pour qu’une manipulation réussisse : une personne qui manipule, une autre
qui cède à la manipulation. Autrement dit, que cette manipulation soit
consciente ou pas, y céder signifie en être acteur. Nous pouvons donc
étudier les façons de ne pas y succomber et ainsi apprendre à nous
protéger.
La connaissance de soi est un élément essentiel pour éviter de se laisser
manipuler, et c’est pour cela que les plus jeunes sont plus susceptibles que
les « vieux renards » de se laisser faire. Car le manipulateur, qu’il le
cherche sciemment ou pas (car la manipulation n’est pas toujours
39
consciente ), appuie toujours sur une faille personnelle. Nous cédons à la
manipulation pour ne pas rouvrir cette fragilité, car le ressenti qui en
résulte est désagréable et nous voulons l’éviter, comme la peur du rejet,
une conséquence déplaisante, la honte de soi, la culpabilité.
Autonomie ou aliénation ?
Notes
33. France Brécard et Laurie Hawkes, Le Grand Livre de l’analyse transactionnelle,
Eyrolles, 2008, p. 54-55. Par ailleurs, excellent livre pour s’initier !
34. Contrairement aux idées reçues, être toujours poli et gentil est bien un manque de
flexibilité…
35. Philosophe et théologien chrétien (354-430).
36. Will Schutz (1925-2002), psychologue à l’université d’Harvard.
37. Cf. Paul Watzlawick, Une logique de la communication, Points, 1979.
38. La Puissance des émotions, op. cit., p. 328.
39. L’analyse transactionnelle fait bien cette différence en différenciant les « jeux
psychologiques », inconscients, des « jeux de pouvoir », conscients.
40. La Puissance des émotions, op. cit., p. 329.
41. Maternelles sous contrôle, Syros, 1998.
42. Comment penser l’autonomie, sous la direction de Marlène Jouan et Sandra Laugier,
PUF, 2009, p. 89.
43. Ibid., p. 101.
44. Cf. Crise au travail et souffrance personnelle, op. cit.
6
Ce qui est intéressant, et nous verrons cela au chapitre suivant, c’est que
ces situations absurdes, dramatiques, sont aussi le terreau des caricatures
dépeintes par les humoristes. L’humour se nourrit, entre autres, de la
grandiosité et de la démesure. En effet, l’exagération fait prendre
conscience à quel point la pensée est inappropriée et illogique. Nous
pouvons imaginer Livia en tenue de clown sur une scène de théâtre,
débordée de travail, avec un chef autoritaire qui l’arrose d’une pluie de
dossiers, lui ordonnant de travailler plus vite. Le désarroi visible de Livia
et la tyrannie du chef ne manqueront pas de faire rire le public, comme
Charlie Chaplin dans Les Temps modernes lorsqu’il se dépêche pour
resserrer à la chaîne des boulons ou lorsqu’il teste une nouvelle machine à
faire manger les ouvriers pour qu’ils perdent le moins de temps possible.
Nous reviendrons sur ces parallèles, car dans toute situation absurde se
trouve la repartie appropriée, pour peu que l’on s’autorise à regarder ce qui
se passe et à lâcher prise sur le fait d’« avoir raison ».
De même, nous devons apprendre à gérer une situation qui repose sur un
paradoxe : ainsi, une direction autoritaire exigeant la mise en place d’un
management fondé sur le dialogue ou bien demandant plus d’autonomie à
ses employés.
Jessica a été harcelée plusieurs mois par son P-DG, qui, par ses
brusques changements d’humeur, ses cris en plein comité de direction,
ses insultes et humiliations, terrorisait le personnel. Lorsqu’il l’a
licenciée, personne n’a voulu témoigner au procès qu’elle a intenté à la
société. Plusieurs années après, elle a reçu une lettre d’un des membres
du comité de direction : celui-ci, plein de remords, lui disait combien il
en avait fait des cauchemars, mais qu’il n’avait pas pu témoigner par
peur d’être licencié. Sa situation de famille (sa femme était au chômage,
il avait des enfants à élever) ne « le lui permettait pas ». Il reconnaissait
ce rôle de spectateur et tentait de s’en expliquer. Jessica n’en a été
nullement consolée, bien au contraire : du dégoût, du dépit, un sentiment
confus de gâchis prédominaient à la lecture de la lettre, qu’elle a fini par
jeter à la poubelle.
Notes
45. « Mon Dieu ! Mon Dieu ! Comme tout est bizarre aujourd’hui ! Pourtant, hier, les
choses se passaient normalement. Je me demande si on m’a changé pendant la nuit ?
Voyons, réfléchissons : est-ce que j’étais bien la même lorsque je me suis levée ce
matin ? » Lewis Carroll, Alice au Pays des merveilles.
46. Paul Guedj, La Perversité à l’œuvre, Larousse, 2007.
47. « Le rôle de spectateur dans les jeux psychologiques », Actualités en analyse
transactionnelle, no 59, juillet 1991.
7
Nous avons des ressources que nous ignorons, parce que nous n’avons
pas appris à les considérer, à nous en souvenir, à les développer. À l’école,
nous sommes longuement rabroués lorsque nous faisons une faute, et
rapidement félicités (quand c’est le cas) lorsque nous réussissons. Il en est
de même dans la vie personnelle : en tant qu’épouse, mère, amant, fils,
nous culpabilisons plus facilement de ce que nous ne faisons pas bien
plutôt que de nous féliciter de ce que nous faisons bien : « J’aurais dû faire
ceci… », « Je ne sais pas faire cela… ». Ces attitudes nous handicapent et
ont tendance à annihiler toute action positive pour nous-même, qui nous
donnerait pourtant de la force en nous centrant sur nos ressources plutôt
que sur nos faiblesses.
C’est précisément l’objet de la psychologie positive, apparue à la fin du
XX siècle, et qui trouve ses racines dans la psychologie humaniste, dont
e
Dans l’affirmation de soi, il y a trois points clés que l’on retrouve dans
la rébellion positive : l’importance d’exprimer ses émotions, la nécessité
de penser solution plutôt que de chercher à accuser ou à identifier un
coupable et celle d’avoir un esprit positif et constructif.
Nos peurs sont des freins redoutables que l’on s’impose, inutilement, à
soi-même parce qu’on ne veut ni les affronter ni s’en libérer. C’est souvent
lorsqu’il est trop tard, lorsqu’on n’a plus le choix et que notre santé est
affectée que nous nous retrouvons face aux conséquences de décisions
fondées sur l’illusion d’une bonne santé immortelle – c’est le déni. La peur
figée dans le déni de la réalité anticipe toujours un échec. Aussi
contradictoire que cela puisse paraître, notre travail reste avant tout de
proposer aux personnes de retrouver l’audace de faire ce qu’elles n’osent
plus, et ce parfois depuis longtemps.
En effet, l’absence de maladie n’est pas un critère suffisant pour définir
la santé. Ce n’est pas parce que vous survivez dans votre couple que tout
va bien, ce n’est pas parce que vous ne vous faites pas licencier de votre
entreprise que vous avez de la chance. Dans cette même optique, s’arrêter
de fumer n’est pas suffisant, il faut avoir une ambition plus grande, qui
dépasse ce simple fait comme, par exemple, s’occuper de soi pour rester en
bonne santé longtemps, épanouir son organisme et le rendre fort. La pleine
conscience (mindfullness), c’est-à-dire le fait de vivre pleinement le
moment présent, peut aider à transformer une petite action, telle que
déguster une part de charlotte à l’ananas, en une expérience riche de
saveurs. Apprendre la musique, par exemple, développe l’ouïe et fait de
chaque expérience d’écoute musicale un moment rempli de stimulations
intéressantes, qui aide à vivre le moment présent. En réalité, il existe
beaucoup de moyens de s’épanouir et de développer sa personnalité.
Nos émotions sont le lien entre notre corps et notre pensée, et donc notre
conscience. Être à leur écoute nous donne un accès direct à nous-même et
à nos réactions face à une situation que notre mental estime banale. À leur
contact, nous pouvons découvrir qu’il n’en est rien, et s’ouvrir à notre
monde intérieur nous permet d’obtenir des clés de compréhension
inespérées. Non seulement les émotions nous guident dans nos
comportements pour nous montrer le meilleur chemin vers l’adaptation,
mais elles nous mènent vers une réelle connaissance et compréhension de
nous-même.
Dans notre éducation, on nous apprend souvent à les maîtriser en les
contrôlant, c’est-à-dire en les retenant. Or agir ainsi revient à brider un
mouvement de vie. Nous avons la conviction, à tort, que ressentir ne sert à
rien ou est dangereux, nous aimerions avoir des émotions uniquement
lorsque nous l’avons décidé, lorsque nous ne nous estimons pas menacé
par elles. Or que se passe-t-il lorsque nous vivons un événement qui en
suscite ? L’émotion se déclenche sans intervention de la pensée rationnelle
et agit directement sur notre corps en accélérant, par exemple, notre
rythme cardiaque, ou en sécrétant de l’adrénaline. Théoriquement, si nous
lui laissons continuer son parcours, elle générera un certain comportement
de notre part (fuite, rire), puis des pensées (évaluation des faits, de
l’intensité de l’événement, etc.), servant au final à l’identifier (« J’ai eu
bien peur ! », « Oh, la bonne blague ! »). Lorsque nous bloquons nos
émotions, lorsque nous avons appris à les retenir, notre corps continue à
réagir, mais cette fois en dehors de notre conscience puisque nous ne
laissons pas le mouvement se poursuivre. Ainsi, nous pouvons déclencher
des décharges d’adrénaline et ne pas réagir conformément à ce que nous
dit notre corps (changer notre attitude, ou bien décharger le « trop-plein »).
L’accumulation provoquée par ces modifications physiologiques finit, tôt
ou tard, par toucher un organe et notre santé tout entière peut s’en trouver
affectée.
Certains auteurs, telle Alice Miller, font directement le lien entre les
49
ressentis et la santé du corps. Dans Notre corps ne ment jamais , elle
affirme, parlant de Nietzsche :
Ainsi, être à l’écoute des messages du corps peut nous aider à décoder
nos émotions et à développer une plus grande conscience de nos besoins.
Ce chemin est parfois plus aisé car nombre d’entre nous, en se conformant
aux attitudes et comportements familiaux, ont appris des façons de réagir
stéréotypées, qui n’ont pas toujours de lien avec leurs vrais ressentis.
Prenons un exemple raconté récemment par une de nos consœurs
formatrice :
Notes
48. Voir Fizoureh Mehran, Psychologie positive et personnalité, Masson, 2010.
49. Flammarion, 2004, p. 41.
50. Psychologie positive et personnalité, op.cit., p. 152.
51. « Le but poursuivi par les individus n’est pas l’immersion dans l’entreprise mais la
reconnaissance de leurs droits et leurs mérites, l’équilibre entre temps libre et temps de
travail, la conciliation entre épanouissement intime et épanouissement professionnel. »
Gilles Lipovetsky, Le Crépuscule du devoir, Folio, p. 237.
52. Voir son ouvrage Pour une sagesse moderne, Odile Jacob, 2011, p. 166.
53. Albert Bandura, Auto-efficacité : le sentiment d’efficacité personnelle, De Boeck,
nouv. édit., 2007.
8
Être éthique
Dans le film Douze hommes en colère, Henry Fonda joue le rôle d’un
juré convaincu de l’innocence de l’accusé. Malgré une opinion hostile de
la part des autres membres du jury et leur souhait d’« en finir rapidement »
pour vaquer à leurs occupations, il réussit (et c’est l’objet du film) à
convaincre une par une chaque personne, et l’accusé est finalement
acquitté.
Ce film démontre, conformément d’ailleurs aux recherches en
psychologie sociale dont nous avons parlé plus haut, qu’une minorité peut
amener à faire changer d’opinion une majorité, et qu’il est donc possible
d’envisager une action collective, même avec peu de monde ; si la
conviction est forte ainsi que la cohérence interne des personnes, l’opinion
peut opérer un revirement, car, de petit groupe en petit groupe, une
minorité prend parfois de l’ampleur. Ne pas se mobiliser, rester passif tout
en se plaignant revient à une acceptation tacite de la situation. Hannah
59
Arendt a écrit sur les tortionnaires nazis, et Eichman en particulier,
montrant qu’ils banalisaient leurs actes en invoquant le fait qu’ils n’avaient
fait qu’obéir aux ordres.
60
Dans la même veine, le philosophe Jean-Marie Muller souhaiterait voir
créer une « clause de conscience du citoyen » l’autorisant à désobéir si
l’ordre reçu est injuste (« légal mais illégitime »), qui ferait partie de la
Constitution des démocraties en général :
Pour nombre d’entre nous les premiers axes qui motivent notre entrée
dans la vie professionnelle sont notre capacité à conquérir et à changer le
monde. Mais de plus en plus de jeunes décident de voir leur vie
différemment avec un sens de l’humain plus grand, un respect de la nature
qui pousse à privilégier le végétarisme ou à donner une vraie place à la
spiritualité.
Quels que soient les axes moteurs de développement, chacun de nous à
un moment de son existence, que tout se passe bien ou qu’il y ait ces
contraintes que la vie nous impose par des événements douloureux
(séparation dans le couple, perte d’un être cher, maladie grave), est amené
à se poser la question du sens de son travail, de ce qu’il apporte à son
entourage ou à la société. Ce métier exercé au quotidien, en dehors du fait
qu’il permet à l’entreprise de faire des bénéfices, que vous apporte-t-il ?
En quoi vous sentez-vous utile, en tant que personne contribuant au bien-
être des autres, de votre entourage ?
Autour de nous vivent ou ont vécu des personnes qui agissent selon
leurs valeurs, prennent des engagements de vie parfois à contre-courant
des idées de leur époque. Ce sont des personnes que nous qualifions de
« rebelles positifs », en ce que leurs comportements sont portés par leurs
idéaux et leurs décisions propres. Elles initient un nouveau mouvement
grâce au regard neuf qu’elles portent sur le monde, leur détermination est
visible. Ces personnes, par leur vie, peuvent nous montrer le chemin. Nous
allons prendre deux exemples : une femme et un homme, l’une médecin,
l’autre politicien.
Elisabeth Kübler-Ross, psychiatre, professeur de médecine, écrivain, est
devenue célèbre en consacrant sa vie à l’accompagnement des mourants.
Son expérience s’est concrétisée dans des ouvrages qui ont fait le tour du
monde, comme Les Derniers Instants de la vie, La Mort, dernière étape de
la croissance, La mort est un nouveau soleil. Elle a conceptualisé et
formalisé les étapes du deuil, ce qui a permis de comprendre le vécu d’une
personne affrontant un événement douloureux.
« Durant toute ma vie, on m’a donné des conseils : de ne pas devenir
médecin, de ne pas converser avec les mourants, de ne pas créer un
dispensaire pour sidéens dans une prison. Chaque fois, j’ai fait avec
obstination ce que je croyais juste… tout le monde traverse des difficultés
64
dans la vie. Plus vous en aurez, et plus vous apprendrez et évoluerez . »
Enfant, Elisabeth Kübler-Ross, issue de triplés, est à sa naissance toute
petite, elle pesait un kilo. Elle montre une énergie considérable pour
survivre. Plus tard, lorsqu’elle a treize ans, son père veut qu’elle devienne
sa secrétaire. Son sens inné de la rébellion, non apprécié dans la famille, la
conduit sans hésiter à refuser et à s’opposer à son père qui a une fonction
65
importante. « Nous devrions toujours nous fixer les buts les plus élevés . »
Elle fait médecine tout en travaillant pour gagner sa vie, exploit
considérable, même à l’époque où les études étaient moins longues
qu’aujourd’hui.
À peine diplômée, elle rencontre un jeune interne américain, convoité
par beaucoup de jeunes femmes plus jolies qu’elle. Elle décide que cet
homme, Emmanuel Ross, sera son mari, ce qui se réalise un an plus tard.
Un jour, on lui propose d’animer une conférence pour remplacer au pied
levé le médecin chargé de cours auprès des étudiants. Elle décide de parler
de la mort, sujet tabou jamais abordé en médecine, et fait venir sur
l’estrade une adolescente en phase terminale de sa maladie qui relate son
vécu et son attente de la mort. Une grande émotion envahit la salle, suivie
d’applaudissements. Elle choque par son sujet, son approche et sa méthode
qui sont en opposition avec la médecine et la mentalité de l’époque. Mais
certains reconnaissent son audace qui la conduira à devenir la spécialiste
des malades en phase terminale.
Elle met en place une nouvelle approche pour que les soignants puissent
accompagner efficacement les personnes à l’approche de la mort. Pour
cela, ils doivent faire d’abord un travail personnel pour maîtriser leurs
propres peurs et faire face à leurs deuils non résolus (« unfinished
business »). Elle facilite chez les malades l’expression de leurs émotions :
colère, tristesse, peur et amour.
À la fin de sa vie, elle fait des expériences de mort imminente et
s’investit pour s’attaquer à toute forme de discrimination envers les
malades, notamment ceux atteints du sida. Après s’être rebellée contre son
père pour conserver son individualité et rester maîtresse de ses choix, elle
divorce de son mari qui lui a demandé de choisir entre son travail et lui.
Elisabeth Kübler-Ross détestait avant tout l’hypocrisie. Ses valeurs de
liberté, respect, non-jugement, compassion l’ont conduite à s’opposer à
tout ce qui n’allait pas dans le sens de la justice ou de l’équité. Elle a aidé
les gens à surmonter leurs peurs et à exprimer leurs émotions, dans le but
de leur procurer une vie meilleure. Sa vie a été un combat difficile mais
qui lui a permis de remporter de nombreuses victoires. « Au lieu de vivre
dans la peur, efforcez-vous de découvrir votre moi profond et de percevoir
la vie comme un combat où les choix les plus difficiles sont aussi les plus
66
élevés . »
La vie de Gandhi correspond également à l’image du « rebelle positif »
tel que nous l’entendons. « Qui était ce jeune homme paralysé de timidité
qui finit par incarner la conscience d’un siècle et conduisit l’Inde à la
liberté ? » Voilà comment le petit-fils de Gandhi le décrit dans la préface
67
de son livre Gandhi .
Dès son plus jeune âge, Gandhi a du mal à respecter les règles : il a des
contacts avec des « intouchables » ou des musulmans, mange de la
viande… Il prend des initiatives, désobéit et n’attend pas la permission de
ses parents quand il souhaite faire quelque chose, notamment lorsqu’il ne
comprend pas les habitudes de sa caste Vaishnava.
Jeune avocat d’affaires en Afrique du Sud, Gandhi y découvre les
conditions de vie difficiles de ses compatriotes indiens. Un jour qu’il est
installé en première classe dans un train, il se voit renvoyé en troisième
classe. Humilié par les autorités, il se lance dans un combat associant le
politique et le spirituel. De retour dans son pays, il mobilise la force des
Indiens pour s’opposer à la colonisation imposée par le Royaume-Uni et
résister à l’oppression grâce à la désobéissance civile de masse.
Désobéir ne saurait être une justification en soi de l’action : au contraire,
si elle en est une étape, elle n’a de valeur que par l’exemple d’obéissance
donné par ailleurs. Obéissance aux lois, quand celles-ci sont justes.
Obéissance aussi à l’esprit de l’Ahimsa, qui exige de supporter la violence
de toute répression consécutive aux manifestations. Gandhi aimait dire que
son cadavre pouvait appartenir à l’Empire britannique, mais pas son
obéissance.
Ce qui le résume, c’est sa détermination à obtenir la liberté de son
peuple et de son pays : « J’ai décidé de vivre gaiement malgré l’obscurité
et l’inhumanité qui règnent autour de nous. » Par sa clairvoyance et sa
capacité à s’opposer sans peur ni de la mort ni d’une attaque sur sa
personne, il résiste à l’autorité tout en se détachant du pouvoir dont il ne
réclame rien. Il agit pour faire changer la situation et accepte toutes les
conséquences de son opposition à l’injustice.
Elisabeth Kübler-Ross comme Gandhi nous indiquent les principes
68
directeurs d’une maîtrise des éléments de bien-être :
– acceptation : ceux qui acceptent ont une attitude positive envers eux-
mêmes ; ils connaissent et acceptent les multiples aspects de leur soi, à la
fois bons et mauvais. Ces personnes sont très empathiques et ont des
sentiments positifs à propos du passé. En d’autres termes, il ne sert à rien
de refuser ses fragilités. Plus nous acceptons qui nous sommes, plus nous
entrons en amour avec nous-même. Cet amour de soi nous permet de
constituer notre « bon partenaire intérieur », qui nous accompagne tout au
long de notre vie ;
– relations positives avec les autres : ceux qui ont des relations
chaleureuses et satisfaisantes avec les autres sont capables d’empathie,
d’affection et d’intimité et savent faire des concessions dans les relations
humaines. La souplesse est bien meilleure conseillère que la rigidité
relationnelle : développer l’ouverture à soi et aux autres facilite
l’adaptation sociale ;
– autonomie : ceux qui sont indépendants sont capables de résister aux
pressions sociales et de ne pas penser et agir d’une façon imposée ; ils
évaluent leur soi à partir de standards personnels. Penser par soi-même
permet de renforcer son autodétermination ;
– maîtrise de l’environnement : ceux qui ont un sens de la maîtrise et
des compétences dans la gestion de l’environnement utilisent les
opportunités environnementales ; ils sont capables de créer des contextes
adaptés à leurs valeurs et à leurs besoins personnels. Renforcer son
sentiment d’auto-efficacité est utile pour se sentir maître de sa vie et
pouvoir la conduire sans se laisser submerger par elle ;
– buts dans la vie : ceux qui ont des buts et trouvent un sens à la vie
présente et passée y trouvent aussi des objectifs de vie. Donner du sens aux
expériences vécues permet de s’acheminer vers une compréhension plus
large de ses actions, en les plaçant dans une perspective dépassant
largement sa propre personne. Les buts et le sens surviennent grâce à cette
compréhension ;
– développement personnel : ceux qui ont un sentiment de
développement personnel continu se perçoivent en évolution ; ils sont
ouverts aux nouvelles expériences, conscients de leur potentiel et
constatent une amélioration chez eux à travers les différentes périodes de
leur vie. Nous développer permet de grandir et de sentir que nous évoluons
en conformité avec nos buts.
Notes
54. Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme, Folio, 1996, p. 70.
55. Alerte à la souffrance, op. cit., p. 126.
56. Article 28 de la loi no 83-634 du 13/07/1983. Voir www.fonction-publique.gouv.fr
57. Voir à ce sujet Machtold Doms et Serge Moscovici, « Innovation et influence des
minorités », in Psychologie sociale, op. cit., p. 51 à 89.
58. Marie-France Hirigoyen, Le Harcèlement moral dans la vie professionnelle, Pocket,
2002, p. 31.
59. Hannah Arendt, Eichman à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal (1963), Folio
histoire, 2006.
60. Voir à ce sujet le documentaire de Louis Campana : La désobéissance civile,
disponible en DVD.
61. Une personne sans emploi n’est pas nécessairement une personne en demande
d’assistanat. Cette tentative d’assimilation est d’une part absurde et conduit d’autre part à
déshumaniser les relations entre citoyens et acteurs de la société active.
62. Serge Tisseron, op. cit., p. 153.
63. Alain, « Tempêtes humaines », Propos, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade »,
p. 1025.
64. Elisabeth Kübler-Ross, Mémoires de vie, mémoires d’éternité, Pocket, 1998, p. 16.
65. Ibid., p. 23.
66. Ibid., p. 359.
67. Rajmohan Gandhi, Gandhi, Buchet-Chastel, 2008, p. 12.
68. Adapté de Ruff et Singer, cités par C.R. Snyder et Shane J. Lopez, Handbook of
Positive Psychology, Oxford University Press, 2005, p. 543 ; repris par F. Mehran dans
Psychologie positive et personnalité, op. cit., p. 9.
9
L’audace de l’affrontement
« Comment espères-tu vivre en ta propre
compagnie si tu n’as ni la volonté ni l’audace
de mettre à l’épreuve ta connaissance de toi-
même ? »
Robert Fischer, Le Chevalier à
l’armure rouillée
Conscience
Lâcher-prise
Être conscient de ses émotions ne signifie pas être envahi par elles.
C’est au contraire s’en servir comme point d’appui, car c’est à cet endroit
que se trouve notre énergie. Souvent, lorsqu’on nous fait une remarque,
c’est l’agacement qui ressort le premier. Vous pouvez transformer cette
énergie en jeu ludique. C’est l’une des choses les plus difficiles, car elle
demande du lâcher-prise (on aime mieux dire par exemple : « Oh, vous
pourriez être plus aimable ! »). Vous pouvez vous entraîner tous les jours
chez votre boulanger ou aux caisses du supermarché du coin. Exemple :
cette amie qui était en panne de batterie en Alsace et avait attendu plus de
trois heures un dépanneur. Celui-ci regarde attentivement la voiture et
s’exclame, avec un fort accent alsacien : « Ah ! Mais, matame ! C’est la
pat’rie ! » Et elle répond immédiatement : « Quoi ? Elle est en danger ? »
Cette petite remarque l’a remise de bonne humeur ! Ainsi, tentez le plus
souvent possible de garder votre humour en gérant vos émotions.
Séverine Denis affirme qu’« entre deux individus qui ont de la repartie,
existe de fait une volonté de collaborer (…). Presque toutes les très bonnes
reparties sont des réponses en résonance avec la métaphore de la réplique
initiale. Il vous faut donc capter tout de suite l’univers métaphorique de
votre interlocuteur lorsqu’il vous adresse une remarque ». Elle cite un
extrait du film Mélodie en sous-sol :
« Ton père et moi, tu nous feras mourir de chagrin.
– Tant mieux, comme ça, on ne retrouvera pas l’arme du crime. »
Dans un autre style, dans La Grande Vadrouille de Gérard Oury,
découvrant un avion qui aurait dû leur permettre de s’évader, Bourvil dit à
Louis de Funès :
« Il n’y a pas d’hélice, hélas…
– C’est là qu’est l’os… »
Ici, l’amusement vient de ce que de Funès utilise les sons pour rebondir,
donnant ainsi à entendre une « mélodie » qu’il joue de concert avec son
partenaire. Ainsi, la repartie n’est pas « aller contre » mais « être avec », ce
qui change tout !
En politique, certaines reparties valent leur pesant comique, même si les
propos échangés recouvrent des règlements de comptes :
À l’Assemblée nationale, Ségolène Royal prend la parole. Au même
moment, un député lance : « Tiens, la vache folle ! » Réponse immédiate :
« C’est mieux qu’un vieux cochon ! »
Sortir de la compétition stérile et oser changer le point de vue : si
quelqu’un vous « agresse », vous pouvez vous positionner autrement que
l’interlocuteur a voulu le faire. Ce nouveau paradigme va certainement
désarçonner, et c’est un des buts recherchés ! Car vous pouvez alors
utiliser votre sens de l’humour, votre repartie pour injecter autre chose
dans la relation, et reprendre une part du contrôle que vous avez perdu…
Pour cela, le théâtre, le clown, la musique, toute forme artistique
impliquant du lâcher-prise et privilégiant le « cerveau droit » pourront
vous faire avancer sur ce nouveau chemin.
Pour faire face à tout ce qui mine en profondeur notre intégrité, à savoir
l’agressivité ou les violences, ne pourrions-nous pas oser de nouvelles
réponses qui nous permettent de mieux utiliser nos ressources
personnelles ? Car adopter toujours les mêmes comportements face aux
mêmes situations ne conduit-il pas toujours aux mêmes résultats ?
Les comportements répétitifs sont devenus des automatismes, une
deuxième peau alors que nous avons la possibilité de mettre en place
d’autres stratégies adaptatives, pour multiplier les possibilités de solutions
et donc augmenter l’efficacité des résultats. Faut-il se contenter de rester
« hérisson » ou tenter de développer son côté « renard » ? « Le hérisson est
un petit mammifère recouvert de piquants ; lorsqu’il est attaqué, il se roule
en boule, les piquants hérissés. C’est son seul moyen de défense. Par
contre, un renard n’a pas recours à une stratégie unique quand il est
menacé. Il adapte plutôt sa stratégie en fonction de la situation particulière.
C’est également un chasseur rusé et, d’ailleurs, l’un des rares prédateurs
71
du hérisson . » Voyons, au travers de trois types de personnes
fréquemment rencontrées autour de nous, les stratégies utilisées par les
« hérissons ».
Le perfectionniste
Son travail à ses yeux n’est jamais suffisamment bon, parfait, et on peut
toujours l’améliorer.
Kévin est depuis dix ans dans la même entreprise, il se sent très mal
dans son poste de responsable d’administration des ventes. Il n’a plus de
reconnaissance professionnelle, effectue un travail répétitif, sait que son
patron n’a plus d’estime pour lui. Dans sa journée type, il ne fait plus
que son travail, ne prend aucune initiative et aucun temps personnel et
relationnel (ne téléphone plus à ses enfants, ne va pas déjeuner avec ses
collègues…). Il envisage donc de changer de poste. Cette question, il se
la pose déjà depuis cinq ans. Chaque année, c’est le même cycle qui
recommence : il prospecte sur le marché pour identifier les postes qui
l’intéressent, et, pendant quelques mois, obtient des rendez-vous, qui
n’aboutissent pas. Il pourrait persévérer, se perfectionner dans la
rédaction de son CV ou dans la gestion de ses entretiens, mais il ne fait
rien de tout cela et, chaque année, relance ce même processus, bien qu’il
soit de plus en plus désabusé, non confiant et affaibli. Dans dix ans, on
peut prédire que la situation sera inchangée, sauf décision de rupture
prise par l’entreprise. En d’autres termes, Kévin donne tout le pouvoir
de la relation et toute décision à l’autre. Il ne fait que subir et attend le
couperet qui, soyons-en certains, tombera un jour. Mais quand ?
Le syndrome de l’imposteur
Notes
69. On raconte une repartie célèbre (vraie ou fausse ? rumeur ou vérité ?) d’un postulant
à l’oral de cette prestigieuse école. Comme il ne répondait pas correctement,
l’examinateur s’adresse à l’appariteur : « S’il vous plaît, apportez de l’avoine pour cet
âne ! » Le jeune homme, ne se démontant pas, répond du tac au tac : « Apportez deux
pitances, s’il vous plaît, nous sommes deux à table ! » Suite à cette repartie, il aurait été
reçu sur-le-champ.
70. Voir à ce propos l’ouvrage très pratique de Séverine Denis, Avoir de la repartie en
toutes circonstances, Eyrolles, 2008.
71. Isaiah Berlin, Les Penseurs russes, Albin Michel, 1984.
10
Note
72. D. W. Winnicott, op. cit., p. 45.
11
Se rebeller peut être positif dans les situations absurdes que nous vivons
parfois, nous l’avons vu, pour pouvoir réintroduire de la confiance dans la
perception que nous avons de nous-même. La rébellion positive n’a pas
pour objectif de remettre en cause l’autre dans son autorité ou son pouvoir,
mais de préserver son intégrité pour s’épanouir au travail ou dans sa vie,
puis se défendre lorsque sa santé ou son espace vital est menacé. Une
personne usant de sa capacité à exprimer sa rébellion positive est avant
tout une personne qui se prend en charge et retrouve sa dignité pour
redéfinir une nouvelle relation plus équilibrée.
Charly est arrivé à un stade où plus rien ne le motive, son travail lui
pèse et sa vie de couple s’en ressent : il rapporte du travail chez lui tous
les soirs même si cela ne lui plaît pas. Charly semble inhibé et incapable
de bouger ou de sortir de cette impasse. La mise en place d’un
programme en trois phases l’a aidé, à sa grande surprise.
La première phase, c’est se donner des petits plaisirs quotidiens et les
vivre pleinement (« Petits plaisirs et grands moments »).
La deuxième phase (« Petits pas ») nécessite de se fixer des petits
objectifs immédiats pour améliorer son quotidien et contribuer à sa
transformation, même minime. Ces petites actions ont eu pour effet de
débloquer de l’énergie, chacune ayant pour objectif de générer du bien-
être, du plaisir ou de la satisfaction. Charly a commencé à être content
de ces petits buts quotidiens qui mettaient du piment dans sa journée. Sa
capacité à agir s’enclenchait !
La troisième phase (« Graines d’avenir ») s’enchaîne ensuite, une fois
l’énergie des deux premières phases accumulée, permettant d’amorcer
des changements fondamentaux concernant le long terme.
C’est le cas de Charly, pour qui tout pose problème, chez qui tout va
mal avec aucun contrôle sur ses activités et son travail. Les axes
identifiés partent de ce qu’il souhaite, à savoir améliorer son quotidien,
augmenter son niveau de motivation et ainsi son engagement. Charly
n’aime pas manager et a du mal à gérer les relations. Apprendre à
déléguer, et ainsi reconquérir un territoire « perdu » dans la relation aux
autres, développer son authenticité, notamment par une expression plus
grande de ses opinions sont pour lui des axes de développement
importants. L’idée est de le mobiliser sur un mieux-être possible, même
si l’environnement est hostile, car agir sur celui-ci nécessite des efforts
importants. Cela peut être aussi, tout simplement, prendre le temps de
déguster son déjeuner, arriver plus tôt pour profiter du calme ambiant
quand personne n’est encore là… Cette phase permet de rajouter du
bien-être, en complément de la première pour disposer de suffisamment
de confiance et de force pour se lancer dans la construction de son
avenir professionnel.
Pour faire face aux situations les plus difficiles, la rébellion positive
propose comme initiative première l’acceptation qu’une rupture peut être
bénéfique, que ce soit dans la relation personnelle, pour quitter un conjoint
violent ou pervers, ou dans la relation professionnelle, pour se libérer d’un
patron manipulateur ou incapable de reconnaissance.
Ce passage vers la rupture est nécessaire quand nous sommes en relation
avec des personnes qui savent percevoir que nous avons peur de perdre la
relation et que nous ne sommes pas en capacité de vivre seul ou de changer
d’entreprise. C’est alors le moment de risquer notre avenir quand notre
santé ou notre sécurité est en jeu et quand le processus de séparation, ou
d’exclusion ou d’autodestruction se met en œuvre.
L’autre initiative est de nous projeter positivement dans le futur. Prendre
le risque de vivre une situation inconnue, qui n’existe pas encore, donne
l’occasion de nous remettre en mouvement, en conscience. Quand nous
décidons de faire circuler nos énergies positives, nous sommes à même de
retrouver l’expression de la confiance en nous-même.
C’est vrai, la rupture comporte un risque car elle implique d’aller
jusqu’au bout. Dire que nous allons rompre, sans convictions réelles et
sans préparation de ce que nous mettrons en place par la suite, n’a que peu
d’effet durable. L’idée de rupture est avant tout une décision qui repose sur
la foi en soi. Il faut se préparer en envisageant toutes les possibilités mais
aussi les conséquences des réactions qui peuvent se produire.
Il n’y a pas de rébellion positive sans confrontation avec l’autre.
Concilier sécurité et plaisir dans sa vie, intégrer la possibilité d’une rupture
quand tout va mal permet d’améliorer notre vie et de nous libérer de nos
contradictions, comme vouloir une chose et son contraire ou décider de
changer sans agir.
La pleine conscience
76
« Nous ne pouvons résoudre nos problèmes qu’en les résolvant . »
Lorsque nous nous sentons perdu, seul, à ne plus savoir quoi faire, quoi
décider, lorsque nous voulons fuir cette vie, nous fuir, c’est justement le
bon moment pour rentrer en soi-même. Parfois, nous vivons des choses
tellement désagréables, sources de souffrance, que nous voudrions être
demain. Sans nous en rendre compte, nous créons de ce fait notre
souffrance future, parce que nous fuyons le présent.
Souvent, nous imaginons des choses sans les vérifier, nous nous
montons des « films » dans notre tête, sans nous rendre compte que notre
esprit crée des illusions, que nous prenons pour des vérités. Nous sommes
prisonniers de nos peurs, de notre « mental », comme disent les
bouddhistes, et de notre refus de voir en face notre ignorance ce qui
renforce nos peurs et nos inhibitions.
Comme l’instant présent influence l’instant suivant, plus nous serons
présents à nous-même et à notre vécu intérieur, et plus nous pourrons
influencer positivement le moment suivant. Et où que nous allions, nous
sommes toujours avec nous-même. Nous ne pouvons pas nous fuir : nous
aveugler, nous leurrer et nous combattre est vain. Au contraire, nous
accepter, accueillir la réalité de ce qui est, accepter de vivre et traverser
cette vie avec nos émotions, nos sensations, est la meilleure des voies pour
ouvrir les yeux et savoir ce que nous avons à faire.
La pleine conscience, introduite en France par Thich Nhat Hanh et
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connue du grand public par le livre de Jon Kabat-Zinn , est une ancienne
pratique bouddhiste qui nous amène à prendre conscience de qui nous
sommes, de notre place dans le monde. C’est être en contact avec notre
être profond, la conscience de notre nature et de notre lien avec l’univers.
Vivre la pleine conscience, notamment grâce à la pratique de la
méditation, permet de se détacher des pensées immédiates et matérialistes,
et d’agrandir sa vision de soi et du monde. Du coup, aussi paradoxal que
cela puisse paraître, nos décisions quotidiennes, comme les fondamentales,
s’en trouvent facilitées. Car porter attention au moment présent, à « ce qui
est », nous rend plus vivants. Cette « vivance », comme nous aimons à le
dire, nous rend plus « pétillants », plus « acceptants » et en contact plus
« plein » avec les êtres qui nous entourent, les événements, la vie. Dans cet
espace, il n’y a pas de jugement sur soi ni sur les autres, seulement une
conscience de ce qui se passe « ici et maintenant ». Cela signifie que les
bonnes et mauvaises réponses n’existent plus, qu’il n’y a qu’une réponse
possible : celle qui correspond à qui nous sommes et ce que nous voulons
pour nous, dans ce moment.
La pleine conscience a pour corollaire la discipline. Celle de s’asseoir
pour méditer, pour se poser, se connecter à sa respiration, être là, tout
simplement, malgré les centaines de choses que l’on a à faire. La discipline
de s’occuper de soi, de sa santé, de son corps, de tout ce qui nous rend
vivants.
C’est peut-être la seule chose, finalement, dont nous sommes certains en
ce monde : la seule chose que nous sommes sûrs d’avoir, c’est la vie.
Notes
73. Ce qui dépend de nous, Arléa, p. 18.
74. Conversations ordinaires, op. cit., p. 39.
75. Jack Kornfield, Bouddha mode d’emploi, Belfond, 2011, p. 306.
76. Scott Peck, Le Chemin le moins fréquenté, J’ai lu, 1990.
77. Où tu vas, tu es, J’ai lu, 2005.
Bibliographie
Films
ISABELLE MÉTÉNIER