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Mâle Alpha

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ALPHA MÂLE
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MÉLANIE GOURARIER

ALPHA MÂLE
Séduire les femmes
pour s’apprécier entre hommes

ÉDITIONS DU SEUIL
25, bd Romain-Rolland, Paris XIVe
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cet ouvrage est publié dans la collection


« LA COULEUR DES IDÉES »

isbn 978-2-02-129027-1

© Éditions du Seuil, mars 2017

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation
collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que
ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une
contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

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À Célia, Mihal, Albert et Hanoch


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INTRODUCTION

PENSER LE MASCULINISME

La séduction pose l’homme dans la société.


Jean-Claude Bologne, L’Invention de la drague 1

Qu’ils se hissent en haut des grues, des ponts, des écluses,


qu’ils se dénudent et se masquent de blanc pour revendiquer
leurs droits de pères, qu’ils s’isolent dans la forêt pour éprouver
leur « vraie nature », qu’ils se positionnent en victimes d’une
violence collective des femmes ou qu’ils arpentent les rues
pour affirmer leur pouvoir de séduire, des hommes s’emparent
aujourd’hui des moyens traditionnels de la protestation minori-
taire pour revendiquer une place qu’ils auraient perdue. Affaiblis
par des décennies de féminisme et de lutte pour l’égalité des
sexes, par les reconfigurations de l’ordre familial ou par les
transformations du monde du travail, les hommes traversent-ils
une crise sans précédent, présageant une sujétion progressive et
irrémédiable du masculin dans une société qui se serait entiè-
rement féminisée ?
Tel est le diagnostic alarmiste propagé non seulement sur les
réseaux sociaux et les forums, mais aussi à travers des ouvrages
de psychologie populaire et des essais polémiques qui réduisent
la compréhension sociale des masculinités contemporaines à
la crainte de leur dissolution. Leurs auteurs s’inquiètent de la
disparition des valeurs viriles et de la faiblesse des hommes

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d’aujourd’hui, devenus incapables d’incarner et d’exercer leur


masculinité. Muselés, voire castrés, ceux-ci n’auraient plus guère
voix au chapitre. Partout leur parole s’élève pourtant. Elle se
fait même assourdissante dans les rayons « psy » des librairies
et sur certaines scènes médiatiques afin d’alerter l’opinion sur
la soumission des hommes à la raison féministe. Loin d’être
marginale, la peur de l’effondrement de l’empire masculin relève
d’une idéologie masculiniste diffuse et largement diffusée que
ce livre a pour objectif d’analyser.
Bien que le terme de masculinisme soit parfois réservé aux
militants des « droits des pères » et que la plupart des mouve-
ments qui en partagent les revendications se refusent à l’endosser,
je l’emploierai ici pour désigner tout groupe organisé autour
de la défense de la « cause des hommes » dans une confron-
tation / rivalité avec le féminisme et les femmes. En cela, le
masculinisme diffère de l’antiféminisme car, si toute pensée
masculiniste est conséquemment antiféministe, l’antifémisme
n’est pas toujours masculiniste. Ancré dans la pensée ordinaire 2,
l’antiféminisme n’induit pas nécessairement une posture réflexive
vis-à-vis de la masculinité et ceux qui affichent une aversion à
l’égard du féminisme (par conservatisme politique, conviction
religieuse, misogynie, machisme ou autre) n’envisagent pas
forcément les hommes comme une catégorie opprimée par les
femmes. Le masculinisme a ainsi pour particularité de constituer
les hommes en groupe social spécifique, dont les intérêts sont
opposés à ceux des femmes. La défense d’intérêts qui seraient
proprement masculins passe alors par la résistance au féminisme,
perçu comme une idéologie homogène et hégémonique. En
somme, le masculinisme pose la question historiquement inédite
de la « condition masculine ».
Comment comprendre une telle inquiétude ? Témoigne-
t-elle d’une inversion réelle de l’hégémonie ? Les dominants
d’hier seraient-ils les dominés d’aujourd’hui ? Et comment
prendre la parole des hommes au sérieux lorsqu’ils dénoncent

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l’oppression dont ils seraient victimes au nom des valeurs


mêmes qui sous-tendent leur suprématie ? Autrement dit,
comment appréhender leur malaise sans pour autant accré-
diter les arguments qu’ils mobilisent pour le justifier 3 ? Rendre
compte de la souffrance dont ils témoignent, n’est-ce pas déjà
admettre la réalité de la situation qu’ils rendent coupable de
leur désarroi ? Comment éviter l’écueil d’une restitution aveugle
du discours émotionnel des hommes ou, au contraire, le piège
d’une éviction pure et simple de leurs émotions de l’analyse ? Par
quels moyens dépasser les catégories aporétiques de l’authen-
tique ou du véridique pour parler du malaise des hommes sinon
en le situant dans une perspective socio-historique plus large et
en faisant de son expression le matériau même de l’analyse ?
Dès lors, la question que je pose ici n’est pas tant de déter-
miner si les hommes souffrent « réellement » d’être des hommes
dans un monde prétendument soumis au règne des femmes,
mais plutôt de comprendre ce que ce discours produit effecti-
vement et très concrètement. Si l’enjeu n’est donc pas de semer
le doute sur la sincérité d’un malaise masculin ressenti indivi-
duellement, il ne s’agit pas pour autant de l’envisager comme
le produit de psychés sans histoire. Bien davantage, l’objectif
de cet ouvrage est de replacer la souffrance masculine dans
une perspective généalogique pour mieux la réinscrire dans
l’épaisseur de la trame des rapports sociaux. C’est à cette
condition qu’il est possible de prendre au sérieux la question
du malaise des hommes d’aujourd’hui : en analysant la valeur
performative de l’intériorisation d’une difficulté à « être un
homme ». La rhétorique de la crise de la masculinité et, plus
largement, de la crise des identités sera ainsi appréhendée comme
une ressource discursive potentiellement mobilisable, d’ailleurs
historiquement mobilisée, afin de reproduire un ordre social qui,
passant pour menacé, se transforme, s’ajuste et se normalise.
Suivant cette perspective, il s’agit d’inverser l’hypothèse
d’une cohésion masculine garante de la « cause des hommes »,

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autrement dit d’une communauté d’affects à la source de reven-


dications spontanément partagées, pour penser l’expression de
la souffrance masculine comme un vecteur de mobilisation,
nécessaire au maintien d’une position de force. La récurrence
historique du thème de la « crise » ou du « malaise » de la mascu-
linité souligne en effet le rôle de ce motif comme instrument de
résistance vis-à-vis de l’évolution des rapports de genre. Pério-
diquement, l’invocation d’une crise permet de dissimuler une
crispation ; de façon plus spécifique aujourd’hui, la construction
d’une posture minoritaire masque un processus de reproduction
du pouvoir.

La fin du Mâle ?

Si des décennies de luttes féministes pour l’égalité avaient


ébranlé l’homme nouveau, le voici à présent menacé par un
phénomène plus insidieux, mais qui lui serait cette fois fatal : son
impuissance à séduire les femmes. Le processus de féminisation
des hommes est alors communément désigné comme l’origine
d’un bouleversement social global. Loin d’être anecdotique, la
fin annoncée de la séduction masculine cristallise la peur de
la confusion des sexes, sonnant le glas d’une civilisation fondée
sur la ritualisation de la différence entre les hommes et les
femmes. Dans ce contexte, la séduction est érigée en problème
social et devient un enjeu pour la résolution du malaise de
l’homme d’aujourd’hui : comment faire en sorte qu’il retrouve
sa place dans les rapports de sexe ?
Pour contrer le déclin du mâle moderne, une résistance
s’organise autour d’un nombre de plus en plus important de
consultants, conseillers en image et autres coachs qui proposent, à
ceux en mal d’estime de soi, de réhabiliter leur « part masculine »
en s’appropriant le pouvoir de séduire. Depuis la disparition
du service militaire et l’affaiblissement supposé de l’autorité

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paternelle, les hommes souffriraient d’un déficit d’apprentissage


de la masculinité, contrairement aux femmes qui bénéficie-
raient d’outils puissants, telle la presse féminine. Ces nouvelles
formes de coaching connaissent aujourd’hui un succès interna-
tional autour de quelques figures charismatiques. Des coachs
stars prodiguent leur parole au moyen des médias et des réseaux
sociaux sur Internet. Sorte de « maîtres », experts de la séduction,
ils dispensent à des hommes de plus en plus nombreux des
techniques qu’ils présentent comme relevant d’un savoir inédit,
efficace et universel. C’est sur ce savoir, ainsi que sur l’expérience
et l’interprétation qu’en font ses adeptes que porte ce travail.
En me focalisant sur les discours et les pratiques de coachs et
de ceux qu’ils forment, je me propose d’éprouver la masculinité
précisément là où elle est discutée. Pourquoi certains hommes
désirent-ils devenir de « grands » séducteurs ? Que signifie
retrouver, exprimer ou encore déployer sa part masculine tout
en travaillant à orienter son hétérosexualité ? Bref, pourquoi
est-il si important pour des hommes d’aujourd’hui de savoir
séduire les femmes ?
Prêter attention à ce phénomène permet d’interroger les
normes qui président à l’élaboration d’une masculinité modèle
encore trop peu discutée : quelle est donc cette masculinité
dont on déplore si fortement la perte ? S’agit-il de réhabiliter
le séducteur d’antan – dans ce cas, le mouvement serait celui,
réactionnaire, d’un retour en arrière – ou bien faut-il voir dans
la rémanence d’une masculinité déchue l’actualisation d’un
modèle apte à se fondre dans la modernité ? C’est la piste que
suivra cet ouvrage en allant voir au plus près d’un phénomène,
le coaching en séduction, qui, pour anecdotique qu’il paraisse,
présente des logiques caractéristiques d’une transformation
plus globale de la manière de concevoir et de pallier la « crise
des identités ».

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À l’école des séducteurs

Si de nombreux exemples historiques et ethnographiques


attestent que la séduction masculine est une affaire d’hommes 4,
un tournant dans la transmission de ses lois s’est opéré à l’aube
du xxie siècle. Empruntant aux phénomènes émergeants du
développement personnel et des réseaux sociaux sur Internet, un
groupe nouveau voit le jour : la « Communauté de la séduction ».
Fondé sur un apprentissage à la fois théorique et empirique,
ce nouveau genre de coaching entend transformer n’importe
quel homme en séducteur d’exception. Mais, loin de se réduire
à une quête personnelle, ce cheminement passe pour un des
modes d’action de la cause collective de la masculinité dans
une société qui ne cesserait de l’affaiblir.
Cette initiative est d’abord celle d’un homme, Ross Jeffries,
considéré aujourd’hui comme le « père fondateur » du coaching
en séduction et dont la trajectoire correspond au mythe nord-amé-
ricain du self-made-man. Né à Los Angeles en 1958, Ross Jeffries
a pour ambition première de devenir acteur. Alors que sa carrière
peine à décoller, il ajuste ses aspirations professionnelles à ses
préoccupations personnelles : remédier à la difficulté d’être un
homme. Il propose alors des réunions consacrées à ce thème
afin de réfléchir à la manière de vivre sa masculinité dans un
monde qui s’acharnerait à la réprimer. Rapidement, l’origine
de ce mal-être se concentre autour des obstacles que rencontre-
raient les hommes dans leur rapport à la séduction des femmes.
Pour retrouver une condition masculine heureuse, il faudrait
d’abord changer les comportements de séduction et permettre
aux hommes de devenir de « bons » séducteurs.
Ross Jeffries s’inspire alors d’une méthode en pleine expansion
dans la Californie des années 1990 : la programmation neuro-
linguistique (PNL). Inventée dans la seconde moitié des années
1970 par Richard Bandler et John Grinder, respectivement

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professeurs de linguistique et de mathématiques à l’Uni-


versité de Santa-Cruz, la PNL est une démarche pragmatique
de psychologie appliquée, consistant à observer les compor-
tements d’excellence et de réussite, essentiellement profes-
sionnels et économiques, afin de les modéliser sous une forme
reproductible et appropriable par tous. Il s’agit de parvenir à
« reconfigurer » les personnalités et les pratiques en modifiant
la perception que les individus ont d’eux-mêmes. Cette idée,
largement développée dans le coaching professionnel, Ross
Jeffries choisit de l’adapter aux pratiques de séduction mascu-
lines. Il met au point sa propre méthode qu’il diffuse par le
biais d’un e-book édité en 1992, sous le titre How to Get the
Women You Desire in Bed. A Down and Dirty Guide to Dating
and Seduction for the Man who’s Fed up of Being Mr. Nice
Guy – « Comment attirer les femmes que vous désirez dans votre
lit. Manuel inconvenant de séduction à l’usage des hommes qui
en ont marre de passer pour de gentils garçons ». L’ouvrage
connaît un grand succès à travers les États-Unis et inspire de
nouvelles vocations : devenir coach en séduction.
Le premier à se saisir de la méthode de Ross Jeffries pour
l’appliquer sur le « terrain » est Mystery. Né en 1971 au Canada,
Erik von Markovik, de son nom civil, propose un apprentissage
non plus seulement théorique, mais également pratique, en
entraînant les apprentis séducteurs dans la rue. N’ayant aucune
formation spécifique à faire valoir, Mystery fonde son expertise
sur la valeur de sa propre expérience ainsi que sur sa réputation.
Celle-ci atteint une renommée internationale avec la publication
d’un ouvrage qui rapporte ses principaux faits de gloire. The
Game : Penetrating the Secret Society of Pickup Artists 5 est
publié pour la première fois aux États-Unis en 2005 et devient
rapidement un best-seller aux États-Unis 6, avant d’être traduit
dans une quinzaine de langues, dont en français en 2008, sous
le titre The Game : les secrets d’un virtuose de la drague 7. Son
auteur, Neil Strauss, est journaliste. Après qu’une commande sur

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la Communauté de la séduction lui a été passée par le magazine


Rolling Stones, il devient l’un de ses membres les plus actifs.
Formé par Mystery, il livre là le récit de son apprentissage et
de son amitié avec celui qu’il considère comme son « maître ».
À ce premier développement du groupe autour d’un coaching
qui s’est peu à peu professionnalisé se juxtapose une pratique axée
sur les sociabilités entre hommes autour des réseaux sociaux. En
1994, deux élèves de Ross Jeffries décident d’ouvrir le premier
groupe de discussion en utilisant le portail Usenet à l’adresse
< alt.seduction.fast >, dans le but de favoriser la circulation des
informations entre les apprentis séducteurs. Ces groupes de
discussion ont surtout permis l’extension de la Communauté
à l’échelle internationale par le biais de l’ouverture de sites et
de forums Internet, toujours plus nombreux. Aux séminaires
organisés par les coachs du groupe s’adjoint ainsi un apprentissage
en ligne par la consultation d’articles mis à la disposition des
membres sur les sites Internet, ouvrant aux discussions entre eux
sur les forums. Grâce à ce média, le coaching en séduction atteint
rapidement un rayonnement international. Aujourd’hui présente
dans toute l’Europe, la Communauté de la séduction ne dispose
pas de structure unitaire, mais fonctionne davantage comme un
réseau de sites Internet autonomes répartis nationalement, voire
régionalement, composant autant de foyers locaux de diffusion.
On ne dénombre pas moins d’une dizaine de groupes répandus
dans l’Hexagone possédant leur propre site Internet et organisant
des réunions mensuelles afin de favoriser les rencontres « de
visu » entre les membres inscrits.
Suivant cet ancrage local, j’ai choisi de restreindre mon
ethnographie aux espaces de la Communauté de la séduction
française, enquêtant entre 2007 et 2010 simultanément sur les
lieux de coaching et de séminaires organisés dans les salons
des grands hôtels ou dans des salles de conférence parisiennes,
dans les rues et les bars où se retrouvaient de façon infor-
melle des groupes d’apprentis séducteurs, ainsi que sur les

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forums et sites Internet de la Communauté de la séduction. À


cette immersion ethnographique s’ajoute une série d’entretiens
conduits avec une vingtaine de membres et de coachs tout au
long de l’enquête. Les hommes rencontrés sur ce terrain étaient
âgés de dix-huit à trente ans. En raison de leur jeune âge, la
plupart étaient étudiants ou vivaient leur première expérience
professionnelle. Presque tous étaient diplômés du supérieur.
Si je les ai rencontrés à Paris à l’occasion de séminaires ou
de coachings organisés bien souvent, par commodité, dans la
capitale, tous ne résidaient pas dans l’agglomération, certains
se déplaçant de toute la France, principalement depuis les
grands centres urbains tels que Marseille, Lyon, Lille, Nantes,
Montpellier ou Toulouse.

Une anthropologie des masculinités

Pour caractériser leur engagement dans l’apprentissage de


la séduction, les hommes rencontrés durant l’enquête se quali-
fient alternativement de « communautaires » (en référence à
leur appartenance à la Communauté), de players (« joueurs »)
ou encore de pickup artists (« artistes de la drague »). À travers
ces dénominations, les membres du groupe insistent à la fois
sur l’entre-soi, le caractère compétitif et l’excellence de leur
pratique. La Communauté de la séduction se présente ainsi
comme une école de la masculinité organisée sur le modèle
des sociétés masculines traditionnelles. À l’instar des clubs
anglais ou encore des fraternités estudiantines des campus états-
uniens, elle semble bien mettre en jeu une identité collective
et, à l’intérieur du groupe, la hiérarchie de ses membres. Si
l’exaltation des valeurs viriles est une composante habituelle de
ces modèles traditionnels, au sein de la Communauté, l’identité
en question n’est autre que la masculinité elle-même et c’est à
l’aune de leur capacité à l’incarner que les apprentis séducteurs

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se mesurent entre eux. Comment expliquer que la définition de


la masculinité comme aptitude à séduire les femmes passe par
l’affermissement des liens entre hommes ?
L’un des étonnements que suscite l’observation de la Commu-
nauté de la séduction tient en effet à l’absence des femmes.
Bien que celles-ci soient au cœur de leurs discussions, les
apprentis séducteurs passent tout leur temps entre eux. Circons-
crire la séduction hétérosexuelle à sa finalité supposée, soit la
rencontre avec l’autre sexe, conduit donc à manquer quelque
chose d’essentiel : le rapport entre hommes. Leur union para­­
doxale dans ce contexte invite à déplacer la problématique
des relations hommes / femmes vers les relations de pouvoir
qui s’exerce d’hommes à hommes. Or cette dimension reste le
plus souvent invisible et demeure donc impensée : les normes
contemporaines de la masculinité que je m’efforce de saisir à
travers l’observation d’un groupe qui en radicalise la perception
sont en général difficilement saisissables tant elles paraissent
« normales ». Pour Françoise Héritier, cette difficulté à voir et
donc à penser les normes contemporaines de la masculinité
est un des ressorts de la reproduction du rapport de genre et
des rapports de pouvoir plus largement : « L’âge d’homme, c’est
le trou noir et le référent ultime. Peut-être faudrait-il s’inter-
roger sur ces étranges oblitérations, en ce que, à mon sens, c’est
cette absence et ce silence mêmes qui légitiment tout ce qui est
advenu à l’humanité 8. »
L’homme, sujet universel, invariant et omniprésent de l’his-
toire, référent impensé, demeuré longtemps impensable, à partir
duquel les individus sont amenés à se définir dans la société, est
longtemps resté une catégorie non problématique, contrairement
à toutes les autres. Si, comme l’affirme Joan Scott, le genre est
« une façon première de signifier des rapports de pouvoir 9 », la
masculinité est un terme fondamental de leur compréhension.
C’est dans cette perspective que se situe la réflexion entreprise
ici. Il ne s’agit pas seulement de penser la masculinité comme

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le produit de rapports sociaux (comment la masculinité est-elle


construite ?) mais comme productrice de ces rapports (comment
les masculinités génèrent-elles des hiérarchies sociales ?). En
soulignant la manière dont la fabrication de masculinités conqué-
rantes s’articule à la production de masculinités concurrentes,
l’ethnographie des séducteurs ouvre ainsi à une réflexion anthro-
pologique plus large sur le genre du pouvoir.
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réalisation : pao éditions du seuil


impression : corlet imprimeur s.a. à condé-sur-noireau
dépôt légal : mars 2017. n° 129026 (00000)
imprimé en france

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