Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                

Le Processus de Mise en Place D'une Forme Scolaire Dépendante en Afrique

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 6

UNITÉ DE FORMATION ET DE RECHERCHE DES SCIENCES DE L’EDUCATION,

DE LA FORMATION ET DU SPORT / UFR SEFS


------------
SECTION SCIENCES DE L’EDUCATION
------------

Fiche TD 1 HDE3 Niveau L3


Le processus de mise en place d’une forme scolaire « dépendante » en
Afrique
A partir de 1960 jusqu’en 1969 vont se réunir, à Paris d’abord, puis en alternance dans des
capitales africaines, les ministres de l’Education nationale des pays de la Communauté auxquels
vont s’ajouter le Togo et le Cameroun accompagnés de membres de leurs cabinets (qui sont au
début très souvent des Français).
Il s’agit de réunions qui n’ont aucun statut juridique international, juste un espace de
négociations entre l’ancienne puissance et ses anciens territoires coloniaux qui venaient
d’accéder à l’indépendance, plus que de lieux de décision.
Dans le discours, c’est le paternalisme qui caractérise leurs relations durant les premières années
d’une indépendance toute relative, paternalisme accepté comme en témoignent les propos du
ministre de l’Education camerounais Ekwabi en 1961 pour qui « les pays africains, et surtout
ceux d’expression française, reconnaissent très hautement ce que la France est en train de
mettre à leur disposition, ce qu’elle y a mis depuis qu’elle a accepté cette tâche délicate
d’évolution et d’éducation des pays africains qui, jadis, étaient dans les ténèbres, mais qui,
aujourd’hui, commencent à marquer leur visage et leur personnalité. »
Ces conférences ont surtout servi de cadre pour organiser le fonctionnement de l’assistance
technique. Il s’agissait d’enseignants français qui devaient suppléer au manque de personnel
qualifié d’éducation notamment dans le secondaire. Avec très peu de candidats à l’expatriation
munis du diplôme de la licence, ce sont beaucoup de volontaires du service national qui sont
venus enseigner. Leur rémunération (plus élevée qu’en France pour attirer des candidats) était
à la charge de la France mais les Etats africains devaient prendre en charge leur logement.
Une conception étroitement « économiste » et utilitaire de l’éducation
Au niveau local, quelques expériences furent menées. Dans deux pays fort différents –
Madagascar et la Haute-Volta (actuelle Burkina Faso) – la « ruralisation » de l'enseignement
primaire s'est traduite par la mise en place d'un système nouveau, conçu pour les besoins propres
aux milieux ruraux de ces pays. Les écoles rurales de premier cycle, dans le premier, les centres
d'éducation rurale, dans le second, constituent des institutions originales, intégrées dans une
structure à l'échelle nationale. La ruralisation est en pareil cas un mode caractérisé de la
planification de l'éducation.
Ce type de réformes s’inscrivait dans le prolongement de certaines tentatives d’adaptation
coloniale, même si par ailleurs cette ruralisation a pu aussi être présentée comme le fruit d’une
volonté de rupture avec le modèle de l’enseignement formel légué par la colonisation, dans la
perspective d’un développement économique fondé sur les transformations paysannes.
L’idée fondatrice de ce dispositif est d’introduire dès les premières années d’apprentissage des
savoirs utilisables pour l’amélioration des techniques de culture avec à terme le projet de former
un noyau de paysans « modernisateurs ». Un temps spécifique devait être consacré à
l’apprentissage pratique qui diminue la durée consacrée aux matières classiques. La
conséquence directe était une réduction significative de la durée du cycle relativement au cycle
classique (4 ans au lieu de 6 ans).
Ce sont ensuite les Centre d’éducation rurale (CER) pour le niveau secondaire qui ont été mis
en place à Madagascar. Ils sont conçus au départ pour accueillir des jeunes de 12 à 14 ans pour
une formation devant durer 3 ans, sans redoublement, appelée « scolarisation de
compensation ». On créée d'abord des CER de garçons, puis par la suite des CER de filles mais
à un rythme moins important. Ils sont implantés dans des zones où l'école primaire est absente
dans un rayon de 10 km. A leur maximum en 1970-71, les effectifs de l'éducation rurale
dépassent la barre des 30 000 inscrits, tandis que l'école primaire "classique" vient d'atteindre
celle des 100 000 élèves.
Au début des années 70, les effectifs diminuent suite à la désaffection des familles. On essaie
alors de réformer le système avec la mis en place des « groupements post-scolaires » ou pré-
coopératifs, qui se réfèrent au modèle des associations traditionnelles de jeunes à des fins de
travaux collectifs.
A compter de 1974, le système « ruralisé » va échapper à la tutelle des ministères de l’Éducation
nationale, pour être rattaché à ceux de l'Agriculture. Les jeunes concernés sont désormais plus
âgés (de 14 à 17 ans). Les villageois sont officiellement associés à la gestion des centres de
formation des jeunes agriculteurs (CFJA) au sein de conseils villageois de centres (CVC) et on
introduit l'usage des langues nationales dans la formation.
Malgré cela l’école rurale n’a pas retrouvé de nouveau souffle et on assiste à son extinction
progressive à la fin des années 70 et durant les années 80.
L’expérience de ruralisation a donc tourné court d’abord avec des populations qui l’ont vite
perçue comme une « école au rabais » n’offrant pas les mêmes chances de promotion. Ensuite
les coûts de fonctionnement ont été plus élevés que prévus notamment avec les rémunérations
des enseignants, le coût des équipements, la faiblesse des recettes tirées de la vente des produits
et enfin les coûts unitaires élevés avec le manque de fréquentation de ces écoles. L’expérience
de l’école rurale n’a jamais retrouvé de nouveau souffle et on assiste à son extinction
progressive à la fin des années 70 et durant les années 80.

La portée socio-historique et sociologique des expériences de ruralisation


Bien que les tentatives d'adaptation de l'enseignement aux réalités africaines et malgaches
soient déjà anciennes, le terme de « ruralisation » n'est apparu que récemment dans le
vocabulaire des pédagogues et des planificateurs. Il répond, de toute évidence, à un besoin de
formalisation ; il tend à rassembler d'abord les enseignements d'expériences novatrices éparses
; mais il semble vouloir proposer aussi une unification des tendances de la rénovation des
systèmes d'enseignement, dont la nécessité est unanimement reconnue. Cette notion a donc une
double signification : à la fois descriptive et normative, elle essaie de donner un sens à une
évolution qu'elle jalonne, et se veut en même temps promesse de changement. On ne s'étonnera
donc pas qu'elle suscite simultanément des enthousiasmes et des critiques. Sans qu'on puisse
étendre uniformément la simplicité d'un schéma à l'ensemble des expériences des divers pays,
on peut dire qu'en Afrique francophone, au cours de la dernière décennie, les problèmes
quantitatifs ont d'abord retenu l'attention, les problèmes qualitatifs n'étant vraiment pris en
considération que dans un second temps. On s'est presque partout soucié d'étendre
l'enseignement primaire avant de savoir comment le « ruraliser ». C'est ainsi qu'en 1961 la
Conférence d'Addis-Abéba, en dressant le tableau impitoyable de la sous-scolarisation en
Afrique, a renforcé cette préoccupation quantitative et polarisé l'attention sur l'ampleur chiffrée
des besoins. Cette sous-scolarisation, fort inégale selon les pays, constituait partout, en effet,
un problème grave, en raison de l'importance stratégique d'un effort d'éducation indispensable
pour sortir de l'état de sous-développement, ainsi que de la pression croissante de la demande
d'éducation parmi les populations en cause.
C'est précisément dans la dynamique de ce développement quantitatif que devait apparaître
l'importance des questions touchant la nature de l'école et de l'éducation, qu'implique le terme
même de « ruralisation ». A l'intérieur de chaque pays, la sous-scolarisation n'était pas
homogène ; les campagnes étant très en retard par rapport aux villes. C'était donc au bénéfice
du milieu rural que devait s'accomplir l'extension de la scolarisation primaire. Un argument
d'ordre économique, aujourd'hui bien connu, venait renforcer cette tendance : la nature de
l'économie de ces pays les vouait à fonder très largement leur développement sur l'essor de
l'agriculture, et la planification donnait partout la priorité au secteur primaire.
Pour les planificateurs, la scolarisation du milieu rural devait avoir pour but d'accroître à terme
la productivité et de contribuer au développement économique et social des campagnes. En
même temps qu'un devoir de justice, elle devenait un indispensable investissement. Mais, dans
cet effort d'expansion, l'immensité des besoins et l'orientation des planificateurs conduisaient à
mettre en cause l'ambition de développer les systèmes éducatifs hérités de la période coloniale.
Devant la nécessité ainsi apparue de ne pas confondre l'extension d'un système avec la
reconduction de ses formes consacrées — donc d'inventer des structures et des modalités
spécifiques pour cette extension — la notion de ruralisation s'est imposée. Les dimensions de
cette critique ne sont aujourd'hui ignorées de personne : dans l'ensemble des pays africains et
malgache, les systèmes d'enseignement étaient inadaptés « et peu faits, tels qu'ils s'étaient
constitués durant l'ère coloniale, pour susciter les hommes dont ces pays allaient avoir
besoin ». L'histoire de ces systèmes avait lié l'école à certaines formes de rapports sociaux
fortement hiérarchisés, et l'instruction restait considérée comme le signe ou le moyen d'une
domination sociale durement ressentie.
Une liaison aussi forte et sans ambiguïté s'était établie entre l'instruction et l'emploi tertiaire –
la fonction publique essentiellement (être instruit c'était devenir fonctionnaire). Semblable à
une société d'initiation, l'école assurait la promotion des privilégiés qu'elle accueillait et leur
ouvrait l'accès d'un autre monde, sans tenir compte des rapports fondamentaux entre ces jeunes
et leur civilisation (milieu géographique où ils vivaient, règles et valeurs régissant leurs
relations avec leurs semblables, et modes de production et de répartition des biens
conditionnant leur vie quotidienne).
Etendre un tel système à l'ensemble du milieu rural aurait donc conduit à multiplier les
phénomènes de désadaptation sociale (se traduisant, le plus souvent, par les comportements
liés à l'exode rural), à accroître le sous-emploi des diplômés trop nombreux pour les besoins de
la fonction publique, et à paralyser le développement économique et la démocratisation
politique des campagnes. Au surplus, une telle extension restait évidemment impossible sans
un abaissement considérable des coûts ; raison de plus pour rechercher des solutions neuves au
problème de la scolarisation massive : nouvelles structures du système d'enseignement,
nouveaux modes d'investissement, nouvelles modalités de fonctionnement…
Mais cette transformation n'est visée qu'à travers des expériences ponctuelles, et reste conçue à
l'échelle des communautés locales, non d'une société ou d'une nation. Ces exemples indiquent
que l'extension des notions que nous examinons peut se concevoir suivant deux dimensions : la
dimension géographique ou sectorielle, d'une part, la dimension pédagogique, d'autre part,
au sens fort et large de ce terme. Si nous entendons par « ruralisation » de l'enseignement
primaire les diverses transformations (amorcées ou projetées) de l'éducation fondamentale dans
des pays où le secteur primaire est prépondérant, nous serons conduits à nous interroger sur
l'ampleur de ces transformations : porteront-elles sur l'ensemble du système d'éducation d'un
pays donné ou sur un secteur seulement ? Viseront-elles la conception d'ensemble de l'école
ou seulement certains de ses aspects, la pédagogie par exemple ? Autrement dit, faut-il penser
l'école nouvelle pour la communauté villageoise, pour le monde rural, ou pour le pays tout
entier ? D'autre part, faut-il changer les programmes, les méthodes et les moyens de l'éducation
fondamentale, ou en transformer d'abord l'esprit, l'image qu'elle se donne d'elle-même, et la
finalité ? Bien entendu, ces questions deviendront aisément cruciales — et controversées —
lorsqu'il s'agira de fixer des priorités dans une politique de l'éducation ou lorsque, au stade de
l'exécution, il faudra déterminer si les transformations partielles sont possibles, et si elles sont
ou non dissociables des transformations d'ensemble. Mais, avant d'en venir à des réponses, il
convient de préciser, à partir d'expériences et de projets, la nature de ces transformations
possibles et souhaitables. Car à ce niveau surgissent encore de nouvelles questions.
La ruralisation de l'enseignement primaire peut s'entendre comme un effort de scolarisation en
faveur du milieu rural : elle pose alors un problème de structures. En effet, certains pays ont
ainsi été conduits à mettre en place un système certes adapté au milieu rural, mais dont
l'existence même, introduisant un deuxième secteur dans l'enseignement, risquait de reproduire
sur le plan scolaire le décalage existant entre villes et campagnes et de compromettre en
définitive les efforts d'unification nationale. A Madagascar, par exemple, la création des écoles
de premier cycle, relevant d'une pédagogie nouvelle, largement ouvertes aux préoccupations
pratiques liées au développement rural, construites à moindres frais, pourvues de maîtres mal
rétribués et moins instruits que les autres instituteurs, a posé avec acuité ce problème : elles ont
longtemps été traitées comme un « corps étranger » par le système d'éducation en place, qui,
lui, n'avait guère évolué.
Cette formule originale découlait d'une option politique en faveur d'un système d'enseignement
de base adapté au milieu rural et censé assurer l'alphabétisation rapide de la jeunesse. Mais,
bientôt, le développement de ces centres n'ayant pas été aussi large que prévu, une opposition
est apparue entre deux types d'école et d'éducation tendant à s'exclure mutuellement. C'est une
situation du même type qui aurait pu se créer au Niger si la télévision scolaire, conçue elle aussi
pour une scolarisation rapide et économique des campagnes, avait connu un développement
plus ample que celui qu'elle atteint aujourd'hui. La mise en place et l'expansion de l'école rurale
engendrent donc une sorte de contradiction : conçue pour le progrès du monde rural, cette école
risque d'isoler celui-ci dans la nation en le dotant d'un système éducatif coupé de celui dont
bénéficient les villes. Lorsque, accentuant en un sens trop étroit sa vocation rurale, ce système
n'offre aux jeunes aucun autre avenir que l'insertion dans la production agricole, il en résulte
une sorte de ségrégation intolérable.
On aboutit en effet inévitablement à un recrutement exclusivement urbain des élites politiques
techniques, administratives, et à l'apparition de nouvelles inégalités dans l'accès à la culture.
C'est une situation de ce type qui s'est instaurée dans maints pays d'Amérique latine où l'école
rurale, nettement différente de l'école urbaine, a finalement aggravé la disparité déjà tragique
entre les villes et les campagnes.

Questionnaire d’exploitation
1. En vous basant sur vos connaissances générales en Histoire de l’éducation et sur le document,
dites pourquoi la ruralisation de l’éducation ne pouvait pas réussir pour servir les populations
et la collectivité.
2. Relater les limites et les problèmes posés par la ruralisation de l’école
3. Repérez dans le document les passages qui font état du « désencastrement » (ou
l’extraversion) de l’éducation.
4. Expliquez le passage suivant : « Au surplus, une telle extension restait évidemment
impossible sans un abaissement considérable des coûts ».
5. L’expérience de la ruralisation de l’éducation constitue-t-elle une transformation partielle ou
totale du système d’enseignement ? Utilisez des arguments du document et vos connaissances
en Histoire de l’éducation pour argumenter votre réponse.
6. Dites en quoi l’expérience de ruralisation de l’éducation dans certains pays africains au
lendemain des indépendances est un aspect de la forme scolaire de la francophonie
subsaharienne.

Vous aimerez peut-être aussi