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Rdes 093 0085

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Lumières sur l’abolition universelle de la peine de mort :

Derrida lecteur de Beccaria et de Kant


Luigi Delia
Dans Rue Descartes 2018/1 (N° 93), pages 85 à 101
Éditions Collège international de Philosophie
ISSN 1144-0821
DOI 10.3917/rdes.093.0085
© Collège international de Philosophie | Téléchargé le 18/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.17.178.147)

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LUIGI DELIA
Lumières sur l’abolition
universelle de la peine de mort :
Derrida lecteur de Beccaria et de Kant
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On ne sait donc plus qui est
le plus cruel ou le plus sadique,
Beccaria ou Kant,
celui qui s’oppose à la peine de mort
ou celui qui en maintient le principe 1.

Issu d’un séminaire qui s’est tenu à l’EHESS, deux années durant, entre 1999 et 2001, le double
volume posthume de Derrida, intitulé Séminaire. La peine de mort, est à la fois un écrit compact et
pluriel. On pourrait dire, en effet, qu’il y a plusieurs recherches en ces deux tomes, en tout cas
plusieurs interprétations d’un même problème suggérées par l’auteur, et qu’on peut dégager par
une petite expérience de pensée, en se demandant laquelle des vingt-deux séances qui
structurent au total le séminaire est la plus importante. Or il y a quasiment autant de réponses
possibles que de chapitres à la question suivante qui donne au séminaire sa profondeur :

Pourquoi l’abolitionnisme ou la condamnation de la peine de mort, dans son principe même, n’ont-ils à ce jour trouvé une
place proprement philosophique dans l’architectonique d’un grand discours philosophique ? […]. Qu’est-ce qui
condamne la philosophie en tant que telle, à ce jour, à se tenir en principe du côté de la condamnation à mort 2 ?
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Ces questionnements, et plus généralement le souci philosophique de réinterroger la peine de


mort pour disqualifier définitivement les logiques qui la légitiment, font écho à deux essais
quasi contemporains de Norberto Bobbio : « Contre la peine de mort » et « Le débat actuel
sur la peine de mort 3 ». Le philosophe du droit note, dès le départ de sa réflexion, qu’« au
regard de l’histoire humaine, longue de plusieurs millénaires, nous devons reconnaître, que
cela nous plaise ou non, que le débat pour l’abolition de la peine de mort ne fait que
commencer 4 ». En effet, si les progrès vers la protection effective des droits de l’homme ont
connu une histoire tourmentée, avec des coups d’arrêt et parfois des pas en arrière, l’abolition
universelle de la peine capitale, c’est-à-dire l’abolition partout et pour tous, est sans doute le
chapitre le plus difficile à clore.

Le moment inaugural de l’histoire abolitionniste remonte à la seconde moitié du


XVIIIe siècle : « si je démontre que la mort n’est ni utile, ni nécessaire, j’aurai gagné la cause
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de l’humanité », écrit Cesare Beccaria dans son Des délits et des peines, en 1764 5. Âge de la fin
de l’évidence juridique de la peine de mort 6, le siècle des Lumières prépare le terrain de
l’abolition 7, qui ne se consolide pourtant qu’au XXe siècle, lorsqu’un grand nombre d’États
refusent de recourir à un châtiment jugé « cruel, inhumain et dégradant », dépourvu d’effets
dissuasifs sur le comportement criminel et inadapté à la justice humaine pour la raison qu’il
rend irréparable l’erreur judiciaire.

Au moment où Derrida délivre les leçons de son Séminaire, les progrès vers l’abolition
universelle sont réels. Loin d’être une chimère, la cause abolitionniste est même en passe de
l’emporter. En témoignent les avancées normatives internationales en matière de droits de
l’homme, notamment grâce au deuxième Protocole facultatif au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques de 1966, qui est traduit en droit positif en 1989. Accepté et ratifié
par un nombre croissant de pays des cinq continents, ce protocole confère une nouvelle
impulsion à la tendance abolitionniste : plusieurs règles se généralisent, comme celles
interdisant l’application de la peine capitale aux mineurs au moment des faits, aux femmes
enceintes, aux handicapés psychiques.

Mais de tels progrès n’annoncent pas nécessairement le triomphe inéluctable de


l’abolitionnisme universel 8. Pour avoir des raisons de s’alarmer, il suffit de constater qu’une
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part significative de l’opinion publique des démocraties libérales, notamment aux États-Unis
et au Japon, mais aussi en Europe, demeure récalcitrante à l’idée d’en finir absolument avec la
justice patibulaire. En France, où l’usage de la guillotine n’a été supprimé qu’en 1981, la peine
capitale continue d’être agitée comme un argument de campagne électorale par des
formations réactionnaires et nationalistes. Persuadé que les efforts pédagogiques ne doivent
pas faiblir et qu’il faut même redoubler d’effort pour écarter une fois pour toutes le dernier
supplice de l’arsenal des peines, Derrida s’attache à repenser les conditions théoriques de
l’abolition universelle du châtiment suprême. Or dans la compréhension du problème qui est
la sienne, c’est précisément la rationalité pénale des Lumières 9 qui joue un rôle de premier
plan : avec sa logique et sa rhétorique propres, cette rationalité se laisse déconstruire de leçon
en leçon, offrant aux lecteurs un fil conducteur pour parcourir le séminaire.

Certes, les très nombreuses sources que Derrida mobilise, les analyses minutieuses qui
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ponctuent chaque séance et qui font avancer la pensée ne sont évidemment pas circonscrites
au seul XVIIIe siècle. Jalonné de confrontations majeures, le cheminement intellectuel qu’il
propose donne l’occasion de croiser tant les grands textes de la tradition philosophique (de
Socrate à Freud, de Platon à Benjamin) que les textes institutionnels, ainsi que les plaidoyers,
littéraires ou non, contre la peine de mort. Je ne saurais tous les citer, mais (pour m’en tenir
au premier volume), Derrida consacre des développements à Notre Dame des fleurs de Jean
Genet, à L’Exécution de Robert Badinter, aux Écrits sur la peine de mort de Victor Hugo ou encore
aux admirables Réflexions sur la guillotine d’Albert Camus.

Reste que la réinterprétation proposée par Derrida des Lumières du droit pénal apparaît
centrale dans sa réflexion : une place privilégiée est logiquement ménagée au Traité des délits et
des peines de Beccaria, d’une part, et, d’autre part, à la Rechtslehre kantienne, la Doctrine du droit
inscrite dans la première partie de la Métaphysique des mœurs. En quoi la « déconstruction » de
la pensée pénale de Beccaria et de Kant peut-elle nourrir la réflexion contemporaine sur les
conditions de l’abolitionnisme universel ? La philosophie pénale du mouvement des Lumières
est-elle encore en mesure, selon Derrida, d’éclairer et de stimuler le mouvement
contemporain pour la disparition définitive de la mort comme sanction légale ?

Avant d’analyser les schèmes interprétatifs que Derrida déploie d’abord à propos de
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l’« abolitionnisme précaire » prôné par la philosophie utilitariste de Beccaria (II), et ensuite à
propos de la « folie incalculable de tuer » théorisée par la philosophie rétributionniste de Kant
(III), il est opportun de resituer brièvement le foisonnant matériel didactique du Séminaire
dans ses contextes (I): celui interne de son histoire éditoriale et celui externe de sa
participation au débat en cours sur la légitimité de la peine de mort.

I. Derrida : repenser l’« histoire du sang » et militer contre la peine de mort


Inscrit dans le plus vaste projet d’édition intégrale des séminaires et cours de Derrida,
entreprise depuis 2008 par les éditions Galilée sous la direction de Geoffrey Bennington,
Marc Crépon, Marguerite Derrida, Thomas Dutoit, Peggy Kamuf, Michel Lisse,
Marie-Louise Mallet et Ginette Michaud, et qui comptera au total près de 43 volumes, le
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séminaire sur la peine de mort est présenté dans le cadre du programme Philosophie et
épistémologie à l’École des hautes études en sciences sociales. Il précède celui consacré à La
Bête et le souverain 10, et relève à son tour de l’ensemble commencé en 1997-1998 sous le
titre Le Parjure et le pardon, qui appartient lui-même à un ensemble plus long, « Questions de
responsabilité », initié en 1989 et achevé en 2003 avec la dernière année d’enseignement de
Derrida. Après avoir approfondi durant deux ans le thème du pardon et avant d’aborder les
grandes questions de l’animalité et de la souveraineté, Derrida se penche entre 1999 et
2001 sur la peine de mort. Aussi différentes qu’elles soient, ces problématiques se croisent
et s’appellent mutuellement. Ayant pour toile de fond le concept dominant du droit de
grâce – à la fois prérogative distinctive et privilégiée de la souveraineté et modalité
exceptionnelle de pardon – les problématiques de la souveraineté, de la peine de mort et du
pardon ne peuvent être traitées, en toute rigueur, l’une indépendamment des autres.

En particulier, la logique de la souveraineté que Derrida entreprend de « déconstruire » est


tributaire de la définition que propose Carl Schmitt du pouvoir, au sens où elle se confronte
à la décision politique qui consiste dans la désignation de l’ami et de l’ennemi, aussi bien
extérieur qu’intérieur. Or cette désignation signifie avant tout la possibilité de provoquer
l’élimination physique d’un homme. C’est dans les exécutions capitales que se manifeste le
plus visiblement aux yeux du monde l’exercice souverain du pouvoir. Ainsi, rien ne prouve
CORPUS |89

mieux la puissance d’un État souverain que le droit de donner la vie ou la mort. Dans la
troisième séance du séminaire La Bête et le souverain, Derrida explique que ce qu’il cherche
est « une déconstruction prudente de cette logique et du concept dominant, classique de
souveraineté état-nationale (celui qui sert de référence à Schmitt) sans aboutir à une dé-
politisation, à une neutralisation du politique, mais à une autre politisation, à une re-
politisation 11 ». C’est par le biais de cette autre politisation qu’un pas crucial peut être fait
quant à la question de la mort comme peine.

Si, au niveau des enjeux épistémologiques, le cheminement intellectuel nous éclaire sur les
préoccupations philosophiques et politiques de Derrida avant et après son séminaire sur la
peine de mort, il convient également de rappeler, sur le plan de la pratique, l’engagement
militant qui fut le sien sur la scène publique. Auteur d’une préface pour le livre du condamné
à mort Mumia Abu Jamal, jeune Black Panther des années soixante-dix ; cosignataire d’une
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lettre adressée à Bill Clinton, alors président des États-Unis, pour demander d’épargner le
sang de cet activiste et journaliste américain 12, Derrida a été un abolitionniste actif. Cet
engagement personnel est partie prenante d’un combat plus général, celui antitotalitaire
qu’à connu l’Europe au milieu du XXe siècle. Un tel combat a renforcé la référence des
institutions aux droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme rendra
effective cette protection du droit jusque-là seulement déclarée. Il suffit de rappeler ici que
l’abolition doit attendre quarante ans après la fin de la guerre (protocole n° 3 de 1983) et
l’abolition totale (même en temps de guerre) est très récente (protocole n° 13 de 2002),
c’est-à-dire juste au lendemain du séminaire que Derrida consacre à la peine de mort.

Or pendant la même période, la Cour suprême américaine fait tout le contraire. Elle
accorde un brevet de validité constitutionnelle à la peine de mort. Malgré le
8e amendement qui interdit les châtiments « cruels et inhabituels », elle prend en compte
une opinion qui lui est majoritairement favorable dans nombre d’États. Depuis lors, le
sillon s’est creusé entre un attachement américain à son maintien (une quarantaine d’États
sur cinquante) et le refus européen, de plus en plus marqué. Après un moratoire, une série
de décisions de la Cour suprême américaine autorisent depuis 1976 l’application de la
peine de mort en se fondant explicitement sur un principe de neutralité morale, c’est-à-
dire en refusant de trancher le débat philosophique sous-jacent.
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Or Derrida n’ignore rien du combat outre-Atlantique et de son importance pour le destin


de l’abolition universelle. Tout comme Robert Badinter, dont les livres sont souvent cités et
commentés au fil du séminaire, Derrida voit distinctement que les États-Unis sont devenus
le lieu privilégié de la lutte pour l’abolition universelle dans les années à venir. Ainsi
s’efforce-t-il de donner une nouvelle impulsion au débat philosophique sur l’abolition, un
débat qui n’a jamais cessé d’opposer les partisans de la peine comme rétribution, favorables
à la peine de mort, et les partisans de la peine comme prévention, généralement hostiles à
la justice qui tue. Derrière cette polarité, qui traduit deux manières de penser la peine, son
sens, sa finalité, se dissimule un contraste plus profond entre deux éthiques et deux critères
opposés de juger les actions humaines : selon la conformité à des principes universels qui
prescrivent ce qui est bien et interdisent ce qui est mal (morale déontologique), ou bien
selon le résultat obtenu, qui est évalué à l’aune du principe utilitariste du plus grand
bonheur pour le plus grand nombre (morale utilitariste).
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Le problème étant de savoir s’il est envisageable d’en finir définitivement avec la peine de
mort, la thèse que Derrida défend dans son séminaire est que

tant qu’on n’aura pas déconstruit […] un discours de type kantien, ou hégélien, qui prétend justifier la peine de
mort de façon principielle, sans souci d’intérêt, sans référence à la moindre utilité, on s’en tiendra à un discours
abolitionniste précaire, limité, conditionné par les données empiriques, et, par essence, provisoires d’un contexte, dans
une logique des fins et des moyens, en deçà d’une stricte rationalité juridique 13.

Dans cette perspective, le nouvel esprit abolitionniste qu’il appelle de ses vœux ne doit pas
renier les luttes entamées au siècle des Lumières, mais les reconsidérer pour rendre
possible un discours éthique et juridique anéconomique prônant l’abolition pour des
questions de principe, c’est-à-dire par devoir, au nom de la justice et de la dignité humaine.
Avant même d’engager une confrontation serrée avec Kant, Derrida se soucie alors de
montrer que l’approche utilitariste de Beccaria pose problème.

II. Le « grand Beccaria » ou l’abolitionnisme précaire de l’utilitariste


Chaque fois qu’il parle de Beccaria, Derrida emploie l’épithète « grand ». Le « grand
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Beccaria », « ce grand modèle ou grand initiateur, ce grand patron de l’abolitionnisme ». Dans


la grandeur de Beccaria l’exceptionnalité de son combat contre la peine de mort y est pour
beaucoup. Le « grand petit livre » Des Délits et des peines, et le chapitre XXVIII en particulier,
intitulé « De la peine de mort », inaugurent l’histoire du mouvement abolitionniste. Derrida
rend donc hommage au « premier grand théoricien juriste de l’abolition de la peine de
mort », au « grand abolitionniste, qui est admiré et respecté par beaucoup […]. Pour
Badinter, Beccaria est son grand homme ; pour Victor Hugo, aussi ; pour les abolitionnistes,
Beccaria, c’est le prophète ». Et Derrida d’ajouter : « moi-même je dois dire, j’ai un certain
respect pour Beccaria, mais enfin il faut quand même regarder de près 14 ».

Le concept de « cruauté » offre à Derrida l’occasion d’exprimer une partie de ses réserves.
D’après lui, Beccaria en aurait fait un usage ambigu, voire aporétique. D’une part, note
Derrida, Beccaria déplore la cruauté de la peine de mort et des peines trop dures pour la
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double raison qu’elles conduisent à l’impunité et qu’elles sont criminogènes en ce qu’elles
donnent un mauvais exemple qui encourage à « répandre le sang ». D’autre part, Beccaria
propose les travaux forcés à perpétuité en tant que peine alternative à l’élimination physique,
en utilisant comme argument celui de la dissuasion : la peine de mort est moins dissuasive que
les travaux forcés à vie, pour la raison que « ce n’est pas l’intensité de la peine qui fait le plus
grand effet sur l’âme humaine, mais son extension 15 ». Mais dire que les travaux forcés à vie
sont plus redoutables que la mort, ne revient-il pas à dire qu’« au fond la peine de mort n’est
pas assez cruelle » ? Que certains crimes mériteraient un châtiment encore plus atroce que la
mort ?
Pour Derrida, le nom de Beccaria restera indiscutablement lié à la naissance de
l’abolitionnisme, mais les raisons qui fondent cet abolitionnisme relèvent moins d’« un
principe, [d’]une bonté compatissante ou [du] droit à la vie », que d’« un souci d’efficacité
dans le maintien de l’ordre. Et pour cela, ajoute Derrida, il surenchérit dans l’appel à la
cruauté – sans le mot 16 ».
Déconstruire, ici, c’est mettre au jour ce nœud-là : la variante des travaux forcés à vie
proposée par Beccaria ne semble pas faire sortir du cercle de la cruauté, mais seulement
substituer « un théâtre de la cruauté 17 » à un autre plus terrorisant encore. L’alternative
pénale des fers est interprétée par Derrida « comme plus cruelle encore que la proposition
plus cruelle encore de Kant, plus cruelle donc que la peine de mort, puisque Beccaria prétend
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qu’on fera plus souffrir et donc craindre le criminel virtuel en l’exposant aux travaux forcés à
perpétuité qu’en le menaçant de mort instantanée 18 ».
Dans le but d’illustrer ce qu’il nomme « l’hyperbole ou la surenchère de la cruauté », Derrida
rappelle ce passage des Délits et des peines :

L’intensité de la peine d’esclavage perpétuel substituée à la peine de mort a donc ce qui suffit pour détourner toute
âme déterminée ; j’ajoute qu’elle a quelque chose en plus : très nombreux sont ceux qui envisagent la mort d’un œil
tranquille et ferme, les uns par fanatisme, d’autres par vanité, qui presque toujours accompagne l’homme au-delà du
tombeau, d’autres par désespoir et dans une ultime tentative soit de mettre fin à leurs jours soit de sortir de la misère ;
mais ni le fanatisme, ni la vanité ne subsistent dans les fers et dans les chaînes, sous le bâton, sous le joug, dans une
cage en fer, et les maux du désespéré ne prennent pas fin, mais ne font que commencer 19.

Et Derrida de commenter, d’un ton polémique : « Voilà le héros de l’abolitionnisme.


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L’emprisonnement à vie, les maux ne font que commencer, c’est l’enfer. Ce n’est pas la mort,
c’est l’enfer. Voilà la logique du grand abolitionniste 20 ». Derrida compare ici le châtiment des
fers à une descente aux enfers. Il est vrai que les lieux assignés à cette peine étaient souvent
des espaces mortifères d’où l’on tentait de s’évader au plus vite : une condamnation aux
travaux forcés à vie dans la Russie de Catherine II équivalait en substance à une sorte de
condamnation à mort plus lente et précédée d’une longue agonie. La peine de mort fait
mourir ; les travaux forcés à perpétuité laissent mourir.
Non seulement Derrida regarde avec perplexité le postulat selon lequel les fers ne seraient pas
plus cruels que la mort pour le condamné qui les subit 21, mais c’est le principe beccarien de
la « douceur pénale 22 » lui-même qui lui paraît difficile, voire inacceptable. D’après ce
principe, le législateur éclairé doit infliger une peine qui obéisse à la maxime de la plus grande
crainte possible inspirée aux spectateurs par la moins grande douleur possible infligée au
criminel. Présentée par Beccaria comme un principe à la fois humaniste et utilitaire, l’idée de
« douceur pénale » apparaît à Derrida comme étant intrinsèquement entachée d’une
dimension de violence qui le rebute. Il n’est pas acceptable, pour Derrida, que la peine de
mort soit condamnée par Beccaria parce qu’elle ne terrorise pas assez les spectateurs, parce
qu’elle ne fait pas assez « souffrir et donc craindre le criminel virtuel », en raison de la rapidité
de l’exécution. Derrière le geste abolitionniste de Beccaria, Derrida perçoit avec inquiétude
la manifestation d’une philosophie pénale qui sacrifie l’humanisme à l’utilitarisme 23. Mais une
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philosophie qui fait la part belle à la logique utilitaire de la prévention est-elle en mesure de
fournir des armes au combat éthique pour l’universalisation de l’abolition ?

Si les Lumières lombardes ne donnent pas pleine satisfaction à Derrida, celles françaises 24
s’avèrent encore plus décevantes. Le point de vue de Montesquieu 25, qui veut notamment
maintenir mais limiter l’application de la peine de mort aux crimes les plus graves contre la
sûreté, fera mouche chez les Constituants de la fin du XVIIIe siècle, majoritairement hostiles à
la suppression de l’institution de la peine de mort, jugée une mesure trop radicale et
potentiellement dangereuse pour l’ordre public. Finalement maintenue par la législation
révolutionnaire, cette peine sera toutefois « modérée » à l’aide de la technologie du degré
zéro de la souffrance mise en œuvre avec l’entrée en scène de la guillotine 26. Issue de la
culture juridique et humaniste des Lumières, cette machine judiciaire qui voudrait faire
mourir sans faire souffrir représente la voie française de la « douceur pénale » : elle intimide
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les criminels potentiels tout en infligeant au condamné une mort « douce ». Objet de
civilisation auquel Derrida consacre de longs développements dans le sillage du livre de
Daniel Arasse, La Guillotine et l’imaginaire de la Terreur (Paris, Éditions Flammarion, 1987), la
guillotine continuera à couper les têtes en France jusqu’à la fin des années soixante-dix.

Si dans l’Italie et dans la France des Lumières un mouvement est en marche pour interdire ou
du moins limiter et « adoucir » le châtiment suprême, l’Aufklärung de Kant, et plus tard la
philosophie pénale de Hegel 27, opposent une vigoureuse fin de non recevoir au projet
abolitionniste de Beccaria.

III. Kant ou la « folie incalculable de tuer »


Parmi les partisans de la peine de mort, Kant est sans doute celui qui a su le mieux montrer les
failles de l’argumentaire abolitionniste classique, en s’attaquant notamment à Beccaria lui-
même dans un chapitre de sa Doctrine du droit consacré au « droit de punition et de grâce 28 ».
Porte-drapeau d’un rétributionnisme rigoureux 29, le Maître de Königsberg fonde
l’argumentaire en faveur de la peine de mort sur le principe d’égalité, à savoir la proportion
exacte entre le crime et la peine. Sa reformulation du ius talionis en tant que critère unique et
objectif de la détermination des peines trouve son application exemplaire dans le cas de
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l’homicide volontaire : si tu tues, tu dois être tué. Celui qui commet un meurtre doit
nécessairement être condamné à mort : « Il n’y a ici aucun substitut possible qui puisse
satisfaire la justice », écrit Kant, pour la raison qu’il n’existe « aucune commune mesure »
entre la vie, « si pénible qu’elle soit 30 », et la mort 31.
Or par son argumentaire, Kant se dresse sur le chemin de tout discours abolitionniste par
principe, tel que celui que cherche précisément à élaborer Derrida. Une déconstruction de la
Rechtslehre kantienne s’avère ainsi incontournable si l’on veut « investir, au sens proprement
stratégique du terme, la place forte de l’ennemi, à supposer qu’il y ait un tel centre,
justement, et à supposer aussi que nous accusions ici la peine de mort comme l’ennemi à
neutraliser, analyser, paralyser, désarmer, mettre en déroute 32 ». On remarquera, au passage,
l’usage persistant, sous la plume de Derrida, du vocabulaire de la guerre, avec ces métaphores
militaires.
La philosophie de Kant hante la réflexion de Derrida. La toute première phrase de la première
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séance du séminaire peut d’ailleurs être lue comme une allusion à Kant : « Que répondre à
quelqu’un qui viendrait vous dire, à l’aube : “Vous savez, la peine de mort est le propre de
l’homme” 33 ? ». Pourquoi la peine de mort serait-elle le propre de l’homme ? Parce qu’elle se
distingue du meurtre, écrit Derrida, « en ce qu’elle traite le condamné en sujet de droit, en
sujet de la loi, en être humain, avec la dignité que cela continue de supposer 34 ». L’accès à la
peine de mort est un accès à la dignité de la raison humaine et à la dignité d’un homme qui, à
la différence des bêtes, est un sujet de la loi qui s’élève au-dessus de la vie naturelle.
Derrida procède à une relecture approfondie de la Doctrine du droit dont il serait impossible ici
de suivre pas à pas l’ensemble des analyses. L’opposition kantienne à la logique de l’utilité
pénale et la liaison fondée en raison que Kant établit entre la peine et la dignité ou l’honneur
de l’homme sont néanmoins à relever. Kant ne nie pas que d’autres peines soient plus
dissuasives, voire plus utiles que la peine de mort ; ce qui l’oppose à Beccaria, c’est que le
droit ne doit pas se juger à l’aune de l’utile. C’est là la racine de son opposition frontale au
philosophe italien : le droit de punir ne peut être justifié par aucun argument d’utilité, ni ne
doit-il s’appuyer sur une vision préventive de la peine. Prétendre justifier la peine en général
par l’utilité et la prévention, comme le fait Beccaria, c’est tenir la personne juridique, le sujet
de droit coupable, et la punition à lui infligée, comme des moyens en vue d’une fin et non
comme des fins en soi. Dans cette perspective, l’être humain est traité « simplement comme
un moyen utilisable en vue des buts d’autrui 35 ». Avec Kant, Derrida considère que ceux qui
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se réfèrent à l’utilité dégradent le droit et déshonorent l’être humain, en le réduisant au rang


de chose.
De façon générale, la force du raisonnement kantien tient, selon Derrida, à ce qu’il est à
l’œuvre sur deux fronts à la fois : il s’oppose aussi bien au partisan de la peine de mort qui
invoque l’utilité préventive de cette sanction, qu’à l’abolitionniste classique, lequel conclut
l’inverse à partir de la même axiomatique utilitariste, à savoir que la peine de mort est moins
dissuasive que d’autres peines. À ces différents interlocuteurs, Kant répond que la justice
pénale ne doit en rien s’occuper des moyens en vue d’une fin et qu’elle doit rester étrangère
aux calculs d’intérêt. Jamais la sanction pénale ne peut être décrétée comme un moyen
d’arriver à un bien, soit au profit du criminel (amendement), soit au profit de la société civile
(prévention) : sa condition nécessaire et suffisante est la transgression d’une norme. La peine
juridique demande à être appliquée au criminel uniquement parce que celui-ci s’est rendu
coupable 36. Le criminel doit être puni parce qu’il a commis un crime, en dehors de toute
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considération sur les effets d’une telle punition. Sous cet angle, la raison d’être première et
ultime de la peine c’est donc le crime : on ne punit pas un homme pour qu’il ne commette pas
d’autre crime, mais parce qu’il en a commis un. Autrement dit, la punition, comme son sujet,
doit être une fin en soi, et jamais (seulement) un moyen. La peine ne doit servir à rien, et avoir
lieu même si elle ne sert à rien. La loi pénale, dit littéralement Kant, est un « impératif
catégorique, et malheur à celui qui s’insinue dans les sinuosités de la doctrine du bonheur
pour y découvrir quelque chose qui, par l’avantage qu’il promet, le délierait de la peine 37 ».
C’est justement parce que la peine de mort n’obéit à aucun calcul qu’elle est digne de
l’homme, qu’elle l’honore même. La valeur de la vie humaine, par définition, tient à ce qui
dans la vie vaut plus que la vie, et qui relève de la justice même : si la vie n’est pas une valeur
absolue, mieux vaut pour Kant « qu’un homme meure » plutôt que disparaisse la justice, sans
laquelle « il n’y a plus aucune valeur dans le fait que des hommes vivent sur la Terre 38 ». Pour
illustrer ce propos, Kant forge la fiction de l’île désertée. Imaginons, dit-il, une société civile
sur le point de se dissoudre avec le consentement de tous ses membres, qui n’aurait donc
aucun intérêt à vouloir se protéger ou à calculer son avenir, et qui se poserait la question de
savoir ce qu’il faut faire du dernier meurtrier se trouvant en prison. Au dernier moment,
avant de se disperser, il est nécessaire, d’après Kant, que les membres de cette société
exécutent le dernier condamné pour que le sang versé par ce meurtrier ne retombe pas sur le
peuple qui aurait évité le châtiment et se serait ainsi rendu complice d’une violation de la
96 | LUIGI DELIA

justice publique : même si « la société civile se dissolvait […], le dernier meurtrier se trouvant
en prison devrait auparavant être exécuté 39 ». La punition, même capitale, ne sert à rien et
c’est justement ce qui confère à cet acte sa valeur : le dernier criminel ne représente aucun
danger pour la société, mais l’exécuter c’est s’acquitter d’une obligation en reconnaissant au
crime une signification morale et en reconnaissant le condamné comme sujet de droit, avec la
dignité que cela continue de supposer.
Naturellement, Derrida trouve plus que curieuse cette façon de rendre hommage à l’homme
en tant qu’être libre et responsable ! Le prix que l’homme doit payer pour que sa dignité soit
reconnue est, pour ainsi dire, moins élevé qu’exorbitant. Derrida parle de « folie incalculable
de Kant : tuer pour rien […]. C’est ça la justice. Là il n’y a plus de passions, de pulsions à
satisfaire. Pure justice 40 ». Il ne reste pas moins vrai, pour Derrida, que si un discours
abolitionniste doit à l’avenir se constituer, c’est l’argument kantien qu’il lui faut réfuter, celui
qui place le droit pénal et la peine de mort à la hauteur du principe et de l’impératif
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catégorique.

Conclusion
Conformément à sa stratégie déconstructrice (qui ne signifie pas destructrice), Derrida
s’attache à inquiéter la logique des théories de Beccaria et de Kant, en brouillant les
distinctions trop nettes qu’elles présentent, telles les couples conceptuelles « faire
mourir/laisser mourir », « rétribution/prévention », « justice/utilité », voire en dégageant
certains concepts dominants, comme celui de cruauté, qui le porte à se demander, de façon
provocatrice, lequel entre l’impératif catégorique de la justice qui tue chez Kant et
l’alternative pénale que propose Beccaria des travaux forcés à vie pour remplacer la peine de
mort, est le plus cruel.
Or dans quelle mesure cette déconstruction de la rationalité pénale des Lumières nous aide-t-
elle à penser les conditions d’un abolitionnisme de nouvelle génération, susceptible d’être
principiel sans plus s’avérer « problématique, limité et précaire » ?
L’un des mérites de ce séminaire foisonnant, dont il n’a été question de donner, ici, que des
aperçus schématiques, est d’avoir su reconnaître le statut à la fois paradigmatique et complexe
des positionnements critiques de Beccaria et de Kant à un moment crucial de l’histoire de la
peine de mort, tout au long de cet âge des « Lumières » dans lequel Derrida croit voir « le
CORPUS |97

moment doublement crépusculaire où l’on commence à penser la peine de mort, à la penser


depuis sa fin, depuis la possibilité de sa fin, depuis la possibilité d’une fin qui vient poindre le
jour, et déjà commence à condamner la condamnation à mort 41 ».
Derrida invite à relire ces illustres philosophes des Lumières que sont Beccaria et Kant sans
préjugés. Ce n’est pas parce que le premier est le « prophète de l’abolitionnisme » qu’on ne
peut relever dans son discours des points de tension ; et ce n’est pas parce que Kant est le
grand défenseur de la peine de mort au nom de la pure raison juridique et de la morale du
devoir rationnellement fondé, que ses écrits n’offrent pas matière à réflexion pour tous ceux
qui aspirent à « justifier philosophiquement un discours abolitionniste par principe et non par
utilité 42 ». En un sens, au terme de la déconstruction derridienne, le duel Kant-Beccaria
pourrait même se transformer en duo, comme si le rationalisme radical, dénué de toute
motivation utilitariste, que Kant met au fondement de sa défense de la peine de mort, pouvait
donner au geste abolitionniste de Beccaria de nouvelles bases éthiques.
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Quoi qu’il en soit, la relecture des Lumières du droit pénal que Derrida propose fait ressortir
les difficultés, plus qu’elle ne prétend livrer des solutions. Comment être abolitionniste au
XXIe siècle tout en réagissant au tournant utilitariste que Beccaria a imprimé à la philosophie
pénale ? Par quel biais, avec quelles raisons anéconomiques peut-on arriver à dissocier ce que
Kant a étroitement articulé, à savoir la peine de mort et le principe de stricte égalité dans la
détermination de la peine ? Au nom de quels impératifs philosophiques et moraux peut-on
contrer la thèse kantienne de l’exacte proportion du crime et de la peine, dont la
transgression entraîne, selon Kant, « la dissolution de la justice » ?
En se mesurant avec Beccaria et Kant, en comparant les logiques pénales concurrentes de ces
auteurs, Derrida ne veut ni ménager la chèvre et le chou, ni perpétuer un dialogue de sourds.
Il cherche plutôt à déblayer le terrain pour que l’avènement de l’abolition finale, totale et
universelle soit philosophiquement envisageable. Une telle pensée de l’abolition n’est
possible, selon lui, que sous le signe d’une nouvelle éthique des principes qui soit capable
d’enseigner à ne jamais céder au plaisir-désir du meurtre qui sommeille en chacun 43. Vaste
programme pour des « Lumières à venir 44 ».
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NOTES

1. Jacques Derrida, Séminaire. La peine de mort (1999-2000, 2000-2001),


éd. Geoffrey Bennington, Marc Crépon et Thomas Dutoit, 2 vol., Paris, Éditions Galilée,
2012 et 2015, t. I, p. 228. Cette édition sera désormais désignée sous l’abréviation SPM.
2. SPM, t. II, p. 50.
3. Publié par Amnesty International, le premier texte a fait l’objet d’une édition
individuelle parue à Bologne en 1981. Le deuxième texte est paru en 1983 dans les actes
du colloque La Pena di morte nel mondo (Marietti, Casale Monferrato, p. 15-32). Les deux
écrits, dont il n’existe pas à l’heure actuelle de traduction française, ont été
successivement republiés dans l’ouvrage L’Età dei diritti, Turin, Einaudi, 19973.
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4. Norberto Bobbio, L’Età dei diritti, cit., p. 178. Nous traduisons.
5. Cesare Beccaria, Dei delitti e delle pene / Des délits et des peines,
éd. Philippe Audegean, Lyon, ENS Éditions, 2009, p. 229. Cette édition sera désormais
désignée sous l’abréviation DP.
6. Voir Luigi Delia & al. (dir.), La Peine de mort, in Corpus, revue de philosophie,
62, 2012.
7. La première loi abolissant la peine de mort est celle promulguée par le grand-duc
Léopold de Toscane, en 1786.
8. Les rapports annuels publiés par Amnesty International montrent que certains États, en tête
l’Arabie Saoudite et la Chine, non seulement maintiennent le principe de la peine capitale mais
ils l’appliquent régulièrement, se montrant ainsi imperméables au processus abolitionniste. Voir
aussi l’utile cartographie dynamique de l’abolition, mise en œuvre par Marc Crépon, Jean-Louis
Halpérin, Stefano Manacorda, La Peine de mort. Vers l’abolition absolue, avec une postface de
Robert Badinter, Paris, Presses de l’École Normale Supérieure, 2016.
9. Pour une mise au point bibliographique sur la philosophie pénale des Lumières, voir
dans ce dossier la contribution de Philippe Audegean.
10. La publication en 2008 et 2010 du séminaire intitulé La Bête et le souverain a marqué
un clivage dans la réception de l’œuvre de Derrida : sa réflexion consacrée à l’animalité
s’y manifeste dans toute son ampleur.
11. Jacques Derrida, La Bête et le souverain (volume 1, 2001-2002), éd. Michel Lisse,
Marie-Louise Mallet, Ginette Michaud, Paris, Éditions Galilée, 2008, p. 112.
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12. Après quasi trente ans de prison, le 27 mars 2008, la condamnation à mort a été
commuée en prison à vie.
13. Jacques Derrida, Élisabeth Roudinesco, De quoi demain…, Paris, Éditions
Fayard/Galilée, 2001, p. 220.
14. SPM, t. 1, p. 143, note 1.
15. DP, § XXVIII, p. 231.
16. SPM, t. 1, p. 143.
17. SPM, t. II, p. 294.
18. SPM, t. I, p. 227, nous soulignons.
19. DP, p. 233.
20. SPM, t. I, p. 143, note 1.
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21. « Si l’on disait que l’esclavage perpétuel est aussi douloureux que la mort, et par
conséquent d’une égale cruauté, je répondrais qu’en additionnant tous les moments
malheureux de l’esclavage il le sera peut-être même davantage, mais que ceux-ci
s’étendent sur toute la vie, alors que la mort exerce toute sa force en un moment […] »
(DP, p. 235).
22. Pour un avis divergent, voir Philippe Audegean, « Beccaria et la naissance de la
prison », in Luigi Delia (dir.), Prison et droits : visages de la peine, in L’Irascible.
Revue de l’Institut Rhône-Alpin de sciences criminelles, nº 5, 2015, p. 47-68, en
particulier p. 66.
23. Cette lecture était déjà celle de Diderot et de Voltaire. En commentant la
proposition beccarienne de substituer la peine de mort par les travaux forcés à vie,
Diderot note que Beccaria a tout misé sur l’utilité au détriment de l’humanité : « […]
j’observe qu’il [Beccaria] renonce, et avec raison, à son principe de douceur et
d’humanité envers le criminel. “Dans les chaînes, sous les coups, dans les barreaux de
fer, le désespoir ne termine pas ses maux, mais il les commence”. Ce tableau est plus
effrayant que celui de la roue, et le supplice qu’il présente est en effet plus cruel que
la plus cruelle mort. Mais parce qu’“il donne des exemples fréquents et durables”, son
efficacité le rend préférable au dernier supplice, qui ne dure qu’un instant, et sur
lequel les criminels déterminés prennent trop souvent leur parti […]. Un dur et cruel
esclavage est donc préférable à la peine de mort, uniquement parce que la peine en est
plus efficace […] » (Notes sur le Traité des délits et des peines, in C. Beccaria, Dei
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delitti e delle pene, éd. Franco Venturi, Turin, Einaudi, 1965, p.403-404). De son côté,
ce brillant divulgateur des idées de Beccaria que fut Voltaire, écrit dans le chapitre «
Du meurtre » de son opuscule Prix de la justice et de l’humanité de 1777 : « Il faut réparer
le dommage ; la mort ne répare rien. On vous dira peut-être : “M. Beccaria se trompe ; la
préférence qu’il donne à des travaux pénibles et utiles, qui dureront toute la vie, n’est
fondée que sur l’opinion que cette longue et ignominieuse peine est plus terrible que la
mort, qui ne se fait sentir qu’un moment. On vous soutiendra que, s’il a raison, c’est
lui qui est le cruel ; et que le juge qui condamne à la potence, à la roue, aux flammes,
est l’homme indulgent”. Vous répondrez, sans doute, qu’il ne s’agit pas ici de discuter
quelle est la punition la plus douce, mais la plus utile » (SPM, t. I, p. 228).
24. Derrida passe en revue les positionnements critiques de Montesquieu, Diderot,
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Voltaire et Rousseau.
25. Voir Dario Ippolito, Lo Spirito del garantismo. Montesquieu e il potere di punire,
Rome, Donzelli, 2016.
26. Sur les rapports que la guillotine entretient avec la culture des Lumières, je me
permets de renvoyer à mon étude « Justice des Lumières et guillotine : un problème
philosophique », in Luigi Delia et Gabrielle Radica (dir.), « Penser la peine à l’âge des
Lumières », in revue Lumières, 20, 2012, p. 121-134.
27. En 1820, dans ses Principes de la philosophie du droit (I, 3, § 100), Hegel prend ses
distances avec Beccaria (voir l’édition traduite de l’allemand par
Jean-François Kervégan, Paris, Éditions des Presses Universitaires de France, 1998, p. 180-181).
28. Voir Immanuel Kant, Métaphysique des mœurs, éd. Alain Renaut, vol. II, Ie partie, «Principes
métaphysiques de la doctrine du droit» (Paris, Éditions Flammarion, 1994, p. 151-160). Cette
édition de la Doctrine du droit sera désormais désignée sous l’abréviation DD. Sur la lecture
kantienne de Beccaria, voir Pietro Costa, «“Un sentiment d’humanité affecté”: Kant critique de
Beccaria», in Philippe Audegean et Luigi Delia (dir.), Le Moment Beccaria. Naissance du droit
pénal moderne (1764-1810), Oxford, Voltaire Foundation, 2018, sous presse.
29. La prétendue intransigeance du rétributionnisme kantien ne fait pas l’unanimité parmi
les commentateurs. Sur cet intense débat historiographique est revenu récemment Pietro
Costa, op. cit.
30. Allusion à la proposition beccarienne de commuer la peine de mort avec celle des
travaux forcés à perpétuité.
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31. DD, p. 154.


32. SPM, II, p. 39.
33. SPM, I, p. 23.
34. SPM, t. I, p. 32.
35. DD, p. 152.
36. DD, p. 152-153.
37. Ibid.
38. DD, p. 153.
39. DD, p.155.
40. SPM, II, p. 248-249, note 1.
41. SSPM, t. II, p. 375.
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42. SSPM, t. II, p. 49.
43. Sous le signe de la dignité humaine, et non pas d’une logique des effets, des
résultats et des conséquences.
44. Voir Jacques Derrida, « Le “Monde” des Lumières à venir (Exception, calcul et
souveraineté) », conférence prononcée à l’ouverture du congrès Avenir de la raison,
devenir des rationalités (Nice, le 27 août 2002), reprise et publiée dans Voyous, Paris,
Éditions Galilée, 2003.

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