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LAURENCE LACROIX
Emmanuel Levinas (1905-1995) :
De l’être à l’existence
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ou l’existence comme élection.
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du terme « existence », qui vient du grec « existere », et signifie proprement « se tenir hors
de soi ».
L’existence est donc chez Levinas conçue sur le mode de l’évasion. Mais comment réaliser
cette mutation ? Comment passer de l’être à l’existence ?
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Cette sortie hors de soi, Levinas nous la montre impossible pour un sujet isolé. Ce n’est que
par la rencontre de l’autre, plus exactement de son visage, que va naître en moi la nécessité de
me constituer en être-pour-autrui, c’est-à-dire de me décentrer de mon être-pour-moi. C’est
parce que mon humanité se constitue par ma responsabilité pour autrui que je ne suis pas pour
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J’eus l’impression d’avoir accédé non pas à une construction spéculative inédite de plus, mais à de nouvelles
possibilités de penser, à une nouvelle possibilité de passer d’une idée à une autre, à côté de la déduction, à côté de
l’induction et de la dialectique, à une nouvelle manière de dérouler les concepts. C’est cette nouvelle attention aux
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secrets et aux oublis de la conscience qui révèle le sens de l’objectivité ou de l’être qui m’a paru riche de possibilité 2.
Il ne reniera jamais ce qu’il reconnaît comme génie à la pensée de Heidegger, même après la
découverte de son engagement nazi, et alors même qu’un tel engagement restera, aux yeux de
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nous-mêmes qui confine à l’étouffement, à la nausée, au désespoir, comme le décrit
magistralement Levinas :
Dans la nausée, on est rivé à soi-même, enserré dans un cercle étroit qui étouffe. On est là, et il n’y a plus rien à faire,
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ni rien à ajouter à ce fait que nous avons été livré entièrement, que tout est consommé ; c’est l’expérience même
de l’être pur 3.
Cette expérience de l’être pur, Levinas nous en donne plusieurs exemples dans son ouvrage
de 1947, De l’existence à l’existant, qu’il rédigea en grande partie lors de sa captivité en
Allemagne. Celui se rapportant à la nuit décrit de la façon la plus adéquate la nausée qui surgit
de notre rapport à l’être :
Lorsque les formes des choses sont dissoutes dans la nuit, l’obscurité de la nuit, qui n’est pas un objet ni la qualité
d’un objet, envahit comme une présence. Dans la nuit où nous sommes rivés à elle, nous n’avons affaire à rien. Mais
ce rien n’est pas le fait d’un pur néant [...] mais le fait qu’il y a. L’absence de toutes choses, retourne comme une
présence : comme une densité d’atmosphère, comme une plénitude du vide ou comme le murmure du silence. Il y a
comme l’irrémissibilité de l’exister pur 4.
B. L’hitlérisme.
Le rapport que l’homme entretient à l’être est donc un rapport d’adhérence, une absence de
distance par laquelle l’homme voit sa liberté niée, voit son propre être englouti. D’où, la
nausée.
Or, une telle expérience, Levinas ne la réduit pas qu’à un vécu existentiel. Il s’en sert comme
d’un schème structurel pour rendre compte du totalitarisme, et ce dès 1934. En effet, dans son
essai, Quelques réflexions sur la philosophie de l’hitlérisme, Levinas thématise explicitement le corps
comme lieu d’un enchaînement à soi, comme lieu où l’homme en vient à être rivé à soi :
Le corps ne nous est pas seulement plus proche que le reste du monde et plus familier, il ne commande pas
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seulement notre vie psychologique, notre humeur et notre activité. Au-delà de ces constatations banales, il y a le
sentiment d’identité. Ne nous affirmons-nous pas dans cette chaleur unique de notre corps bien avant
l’épanouissement du Moi qui prétendra s’en distinguer ? Ne résistent-ils pas à toute épreuve, ces liens que, bien
avant l’éclosion de l’intelligence, le sang établit? Dans une dangereuse entreprise sportive, dans un exercice
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risqué où les gestes atteignent une perfection presque abstraite sous le souffle de la mort, tout dualisme entre le
moi et le corps doit disparaître. Et dans l’impasse de la douleur physique, le malade n’éprouve-t-il pas la
simplicité indivisible de son être quand il se retourne dans son lit de souffrance pour trouver la position de
paix 5 ?
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Le corps n’est donc pas, comme chez Descartes, conçu sur le mode d’un dualisme. Le corps
n’est pas distinct du Moi, il n’est pas à distance. Il est au contraire ce qui adhère au Moi :
Le corps n’est pas seulement un accident malheureux ou heureux nous mettant en rapport avec le monde implacable
de la matière – Son adhérence au Moi vaut pour elle-même. C’est une adhérence à laquelle on n’échappe pas,
[...] C’est une union dont rien ne saurait altérer le goût tragique du définitif 6.
Or, c’est bien à partir de la reconnaissance de ce tragique du corps que l’hitlérisme va mettre
en place une nouvelle conception de l’homme :
Le biologique, avec tout ce qu’il comporte de fatalité, devient plus qu’un objet de la vie spirituelle, il en devient
le cœur. Les mystérieuses voix du sang, les appels de l’hérédité et du passé auxquels le corps sert d’énigmatique
véhicule perdent leur nature de problèmes soumis à la solution d’un Moi souverainement libre. L’essence de
l’homme n’est plus dans la liberté, mais dans une espèce d’enchaînement. Etre véritablement soi-même, c’est
prendre conscience de l’enchaînement inéluctable, unique à notre corps. Une société à base consanguine découle
immédiatement de cette concrétisation de l’esprit. Et alors, si la race n’existe pas, il faut l’inventer 7 !
L’idéologie de l’hitlérisme pose donc le caractère particulariste d’une société fondée sur cette
revendication du corps comme lieu d’adhérence. Elle se présente donc clairement comme
raciste, c’est-à-dire comme une société fermée sur elle-même, et s’opposant par là même à
tout ce qu’elle considère comme étranger à sa nature, à tout ce en quoi elle peut voir un péril
pour la préservation de son propre être. Levinas en tire alors, dès 1934, prophétiquement
cette conséquence :
TRAVERSES |149
Comment l’universalité est-elle compatible avec le racisme? Il y aura là – et c’est dans la logique de l’inspiration
première du racisme – une modification fondamentale de l’idée même de l’universalité. Elle doit faire place à
l’idée d’expansion, car l’expansion d’une force présente une toute autre structure que la propagation d’une
idée 8.
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En fait, l’expansion de l’hitlérisme « apporte sa forme propre d’universalisation : la guerre, la
conquête 9. »
L’année suivante, la prise du pouvoir par Hitler et le déclenchement de la Seconde Guerre
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Ce n’est pas tel ou tel dogme de démocratie, de parlementarisme, de régime dictatorial ou de politique religieuse que
l’hitlérisme met en cause. C’est l’humanité même de l’homme 10.
noue Levinas avec Jean-Paul Sartre. En effet, le texte de Sartre, paru en 1946, Réflexions sur la
question juive, est l’occasion pour Levinas de montrer en quoi l’« Être juif » est, antérieurement à
toute visée antisémite à teneur politique ou sociologique, une existence métaphysique.
Voyons quels sont les principaux arguments de Sartre et comment se constitue la réplique de
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Levinas.
Cherchant à cerner l’origine de l’antisémitisme, Sartre la fonde dans l’effroi que suscite en
l’homme sa propre condition : « L’antisémitisme en un mot, c’est la peur devant la condition
humaine 11 ».
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C’est donc, pour Sartre, de la crainte et de l’effroi que suscitent le spectacle du monde et de
la condition humaine, que surgit la racine de l’antisémitisme, autrement dit la haine du juif.
Dès lors, Sartre peut affirmer que :
C’est l’antisémitisme qui fait le juif. C’est la société, non le décret de Dieu qui fait de lui un juif, c’est elle qui a fait
naître le problème juif. C’est nous qui le contraignons à se choisir juif, soit qu’il se fuit, soit qu’il se revendique, c’est
nous qui l’avons acculé au dilemme de l’inauthenticité ou de l’authenticité 12.
Sartre pose donc clairement qu’il n’y a pas une essence juive. Est juif, celui que l’antisémite
contraint à se reconnaître comme tel. En cela, le juif est toujours le juif de l’autre, ou pour
l’autre, dans un rapport d’oppression et de stigmatisation.
Si la critique menée jusqu’à présent par Levinas de la philosophie de l’Être pouvait nous laisser
présager son accord avec Sartre, la réponse qu’il lui fait dans son essai « Être juif » ne peut que
nous surprendre. En effet, loin de vouloir se déprendre de son « être juif », Levinas en affirme
au contraire la réalité. Il y a bien pour un juif une réalité d’être qui le fait être juif.
Sartre a peut-être raison de contester au juif une essence. Mais si Sartre lui laisse une existence nue comme à tous les
autres mortels et la liberté de se faire une essence – soit en se fuyant, soit en assumant la situation qui lui est faite –
on est en droit de se demander si cette existence nue n’admet aucune différenciation. La « facticité » juive n’est-elle
pas autre que la « facticité » d’un monde qui se comprend à partir du présent 13 ?
L’ami de longue date, Maurice Blanchot, reprendra en 1962, l’analyse de Levinas et soulignera
de nouveau avec force la pertinence de l’analyse sartrienne tout en en montrant aussi les
insuffisances :
TRAVERSES |151
Sartre a décrit l’antisémitisme avec rigueur. Il a montré que le portrait-accusation, dressé contre le juif, ne révèle rien
du juif, mais tout de l’antisémite, dans la mesure où celui-ci projette en son ennemi ses puissances d’injustice, sa
sottise, sa méchanceté basse, sa peur. Mais, en même temps, Sartre, en affirmant que le juif n’est que le produit du
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regard des autres et n’est juif que par le fait que les autres le regardent comme tel, l’obligeant ainsi soit à se renier
soit à se revendiquer, tend à reconnaître la différence juive, mais seulement comme un négatif de l’antisémitisme. Être
juif ne peut être cependant le simple revers de la provocation antijuive ; être juif signifie davantage et sans doute
quelque chose d’essentiel qu’il importe de mettre à jour 14.
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Que signifie, par conséquent, le fait d’« être juif » ? Et comment entendre cette spécificité d’être ?
Le recours de l’antisémitisme hitlérien au mythe racial a rappelé au juif l’irrémissibilité de son être. Ne pas pouvoir
fuir sa condition – pour beaucoup cela a été comme un vertige. Situation humaine, certes – et par là, l’âme humaine
est peut-être essentiellement juive 15.
Et dans un entretien accordé en 1987 à Foulek Ringelheim, Levinas réaffirmera avec force
cette idée: « Dans notre esprit, le juif, c’est l’homme en tout homme ». Que doit-on entendre
par là ?
Pour comprendre cette « facticité juive », Levinas nous conduit à remettre en cause la
conception sartrienne d’une humanité qui ne serait que condition, pour penser une « vraie
humanité » qu’il trouve à l’œuvre dans les récits bibliques et dans ce qu’il appelle « l’impératif
de la création qui se prolonge en impératif du commandement et de la loi 16. »
Le concept de création, selon la lecture et l’interprétation biblique, est inassimilable au
concept de destin ou de fatalité d’une histoire. Dans le fait d’être juif, cette distinction est
fondamentale, car, pour annuler la facticité dont parle Sartre, il faut introduire un autre motif,
celui de l’élection, qui implique de facto la volonté de Dieu :
152 |LAURENCE LACROIX
Faire la volonté de Dieu est, dans ce sens, la condition de la facticité. Le fait n’est possible que si, par-delà son pouvoir
de se choisir qui annule sa facticité, il a été choisi, c’est-à-dire élu 17.
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C’est là que la réflexion sur l’« Être juif » opère une sorte de percée dans la pensée
métaphysique. « Être juif » ne signifie plus être assigné à l’antisémitisme. Cela signifie être élu
par l’autre à la responsabilité.
Comment cela est-il possible ?
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B. Élection-Visage.
Levinas invite, dans Totalité et Infini, à chercher la réponse à cette énigme dans l’expérience de
l’épiphanie du visage d’autrui, lieu où se rencontre l’idée d’infini. Cette idée d’infini par
laquelle « se pense ce qui toujours reste extérieur à la pensée 18 », Levinas la reprend à
Descartes. Celui-ci sut en montrer, dans sa troisième méditation, sa transcendance radicale ; il
a su montrer en quoi, dans l’idée d’infini, la pensée se trouve débordée par ce qu’elle pense.
Loin de signifier la limite ou la défaillance de la pensée, l’inadéquation de l’idée et de la pensée
fait signe au contraire vers un excès, un surplus, un au-delà, que Levinas identifie comme un
appel, l’Appel de l’autre.
Se comprend dès lors que si le visage est le lieu d’un tel appel, si en lui se manifeste cette idée
même qu’est celle de l’infini, il ne peut se réduire à ce que l’on en voit. Allons même plus
loin : voir le visage d’autrui, c’est justement ne pas le voir comme visage, c’est, au contraire,
le dévisager, à savoir le réduire à son statut de chose, le maintenir dans sa dimension
saisissable, exploitable :
Je ne sais si l’on peut parler de « phénoménologie » du visage, puisque la phénoménologie décrit ce qui apparaît. De
même, je me demande si l’on peut parler d’un regard tourné vers le visage, car le regard est connaissance, perception.
Je pense plutôt que l’accès au visage est d’emblée éthique. C’est lorsque vous voyez un nez, des yeux, un front, un
menton, et que vous pouvez les décrire, que vous vous tournez vers autrui comme vers un objet. La meilleure manière
de rencontrer autrui, c’est de ne pas même remarquer la couleur de ses yeux 19.
En ce sens, la pensée ne peut contenir le visage. Il est l’incontenable qui mène ailleurs, au-
delà, et qui ne peut, par conséquent, que déstabiliser le sujet dans sa certitude d’existence. La
TRAVERSES |153
rencontre d’autrui, de son visage, est donc ce qui génère en moi une mauvaise conscience,
celle même d’être :
« Ma place au soleil » – disait Pascal – « le commencement et l’image de l’usurpation de toute la terre ». Crainte
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pour tout ce que mon exister – malgré son innocence intentionnelle et conscient – peut accomplir de violence et de
meurtre. La crainte d’occuper dans le Da de mon Dasein la place de quelqu’un. Crainte qui me vient du visage
d’autrui 20.
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La relation avec l’autre en tant que visage, l’éminente droiture du face à face et l’entrée dans
le dialogue qu’elle suppose, défie donc mon « pouvoir de pouvoir. » Devant le visage d’autrui
se révèle à moi l’antique parole du « tu ne commettras pas de meurtre ». Plus encore, cette
présence en appelle à moi – et à nul autre – pour que je reconnaisse sa détresse, sa
vulnérabilité, et que celles-ci priment sur le souci que j’ai de moi-même. En ce sens, le visage
d’autrui arrête ma joyeuse prise de possession du monde. Cette attention à autrui, ce surplus
de conscience, m’enseignent le privilège du prochain sur mon égoïsme naturel, ils
m’apprennent que justice bien ordonnée commence par autrui.
Dès lors, cette crainte qui me vient de l’autre se transmue en crainte pour l’autre :
Mais cet en face du visage dans son expression – dans sa mortalité – m’assigne, me demande, me réclame : comme si
la mort invisible à qui fait face le visage d’autrui était « mon affaire ». Comme si, avant même de lui être voué moi-
même, j’avais à répondre de cette mort de l’autre, et à ne pas laisser autrui seul à sa solitude mortelle 21.
Le visage d’autrui me demande donc, me réclame, m’assigne, m’élit sans dérobade possible à
la responsabilité. La littérature russe, et notamment cet extrait constamment cité des Frères
Karamazov de Dostoïevski, donne à Levinas le leitmotiv de sa philosophie : « Nous sommes
tous coupables de tout et de tous devant tous, et moi plus que les autres 22. »
Cette prise en charge d’une responsabilité totale de l’autre implique alors de redéfinir la
subjectivité, ce que Levinas entreprend dans Autrement qu’être ou Au-delà de l’essence. Il est
insuffisant de penser l’ouverture vers l’autre comme une simple rupture de notre égoïsme
primordial. La subjectivité n’est pas une essence qui existerait en soi et pour soi avant de se
tourner vers autrui. Originellement, avant toute définition de soi par soi, la subjectivité
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apparaît comme réponse à autrui. À travers la réalité corporelle, le visage d’autrui signifie sa
pure contingence, sa faiblesse et sa mortalité, sa pure exposition, qui n’est autre que la
demande silencieuse que par sa seule présence il m’adresse. Le visage de l’autre est donc un
Appel qui définit la subjectivité comme pure passivité, comme pure exposition à la requête
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silencieuse d’autrui. Cette passivité se dit aussi chez Levinas en termes de traumatisme que sa
seule présence inflige à l’identité du moi, parce que à travers cette sensibilité originelle au
prochain, son sort m’importe plus que le mien, et que, de ce fait, je suis requis de me « mettre
à sa place », je deviens en quelque sorte son otage, de ce point de vue, le moi se dépouille en
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charge sa propre faiblesse. En ce sens l’existence est élection, c’est-à-dire soumission à l’appel
d’une transcendance qui la dépasse et la gouverne. C’est en cela qu’il ne peut, pour Levinas,
n’y avoir de sujet qu’existant, c’est-à-dire que répondant à l’appel de l’Autre. À l’immanence
de l’être doit donc faire place la transcendance de l’Autre pour qu’une humanité puisse se voir
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réalisée en l’homme, et éteindre ainsi le bruit et la fureur de la haine et de la guerre. Laissons,
pour terminer, une dernière fois la parole à Levinas :
L’humanité dans l’être historique et objectif, la percée même du subjectif, du psychisme humain, dans son originelle
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vigilance ou dégrisement, c’est l’être qui se défait de sa condition d’être : le dés-inter-essement. […] La condition
ontologique se défait, ou est défaite, dans la condition ou l’incondition humaine. Être humain, cela signifie : vivre
comme si on n’était pas un être parmi les êtres 24.
NOTES
1. Emmanuel Levinas Qui êtes-vous ? Entretien avec François Poirié, Lyon, Éditions La
Manufacture, 1987, p. 83.
2. Emmanuel Levinas, Qui êtes-vous ? Entretien avec François Poirié, p. 73-74.
3. Emmanuel Levinas, De l’évasion, Coll. « Le livre de poche », 1982, p. 116.
4. Id., De l’existence à l’existant, « de l’existence sans existant », Paris, Éditions
Vrin, 2013, p. 82.
5. Id., Quelques réflexions sur la philosophie de l’hitlérisme, Éditions Rivages poche,
1997, p. 16.
6. Ibidem, p. 18.
7. Emmanuel Levinas, Quelques réflexions sur la philosophie de l’hitlérisme, Éditions
Rivages poche, 1997, p. 18-19.
8. Ibid, p. 22.
9. Ibid, p. 23.
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12. Ibid, p. 144-145.
13. Emmanuel Levinas, Être Juif, Éditions Rivages poche, 2015, p. 60-61.
14. Emmanuel Levinas, Article rédigé en 1962, repris dans L’Entretien infini en 1969 dans
la section intitulée « L’indestructible », Paris, Éditions Gallimard, p. 66.
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15. Emmanuel Levinas, Être Juif, Éditions Rivages poche, 2015, p. 60.
16. Ibid, p. 62.
17. Ibidem.
18. Totalité et infini, Coll. « Le livre de poche », 1971, p. 10.
19. Emmanuel Levinas, Éthique et infini, Coll. « Le livre de poche », 1982, p. 79.
20. Id., Altérité et transcendance, Coll. « Le livre de poche », 1995, p. 44.
21. Id., De l’Un à l’Autre : Entre nous. Essais sur le penser-à-l’autre, Paris, Éditions
Grasset, 1998, p. 155-160.
22. Id., Éthique et infini, Coll. « Le livre de poche », 1982, p. 98.
23. Emmanuel Levinas, Éthique et infini, op. cit., p. 97.
24. Ibid., p. 96-97.