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Jatba 0183-5173 1988 Num 35 1 6692

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Journal d'agriculture traditionnelle

et de botanique appliquée

De l'Antiquité au monde Moderne : Le sel du baptême. Avatar d'un


rite, complexité d'un symbole
Camille Tarot

Résumé
L'Antiquité a énormément valorisé le sel, mais différemment selon les cultures et les époques. Bien que nécessaire, le sel a
plusieurs significations, dont aucune n'est universelle. Le christianisme, à ses débuts peu préoccupé du sel, finit par l'introduire
dans son rituel du catéchuménat en Afrique du Nord, vers le IVe siècle. Les péripéties du catéchuménat et de l'acculturation du
christianisme au monde latin et germanique transformèrent ce sel en remède et en exorcisme jusqu'à sa récente disparition du
rituel catholique.

Abstract
Antiquity highly valorized sait, though in different ways according to various cultures and epoches. While an essential élément,
salt bore different significations, none of which were universal. Christianity took little interest in salt during its beginnings, but
ended up introducing sait into the catechumenal rites of North Africa around the fourth century. The peripeties of the
catechumenate and the acculturation of Christianity with Latin and German worlds transformed this salt into remedies and
exorcisms until its recent disappearance from Catholic rituals.

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Tarot Camille. De l'Antiquité au monde Moderne : Le sel du baptême. Avatar d'un rite, complexité d'un symbole. In: Journal
d'agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, 35ᵉ année,1988. pp. 281-302;

doi : https://doi.org/10.3406/jatba.1988.6692

https://www.persee.fr/doc/jatba_0183-5173_1988_num_35_1_6692

Fichier pdf généré le 02/05/2018


Journ. d'Agric. Trad. et de Bota. Appl., Vol. XXXV, 1988

DE L'ANTIQUITÉ AU MONDE MODERNE :


LE SEL DU BAPTÊME. AVATARSD'UN RITE,
COMPLEXITÉ D'UN SYMBOLE

Camille TAROT

Résumé. - L'Antiquité a énormément valorisé le sel, mais différemment selon les cultures et
les époques. Bien que nécessaire, le sel a plusieurs significations, dont aucune n'est universelle.
Le christianisme, à ses débuts peu préoccupé du sel, finit par l'introduire dans son rituel du
catéchuménat en Afrique du Nord, vers le IVe siècle. Les péripéties du catéchuménat et de
l'acculturation du christianisme au monde latin et germanique transformèrent ce sel en remède et
en exorcisme jusqu'à sa récente disparition du rituel catholique.

Abstract. - Antiquity highly valorized sait, though in différent ways according to various cultures
and epoches. While an essential élément, sait bore différent significations, none of which were
universal. Christianity took little interest in sait during its beginnings, but ended up introducing
sait into the catechumenal rites of North Africa around the fourth century. The péripéties of the
catechumenate and the acculturation of Christianity with Latin and German worlds transformed
this sait into remédies and exorcisms until its récent disappearance from Catholic rituals.

UN RITE FAMILIER ET UN SYMBOLE OBSCUR

II n'y a pas si longtemps encore que dans les pays de religion catholique
de rite latin, l'on pouvait voir la scène suivante : un prêtre revêtu d'un surplis et
d'une étole venait à la porte d'une église accueillir quelques personnes qui
entouraient un bébé. Ils se tenaient sur le seuil, ou dans nos pays humides au fond
de l'église : l'entrée dans l'église de pierre signifiait l'entrée dans l'Eglise-commu-
nauté et institution par le baptême. Après un échange de questions et de réponses
sur la nature de leur demande, le prêtre rappelait au parrain et à la marraine les
commandements et les exigences de la vie chrétienne, puis il soufflait sur l'enfant
en commandant à «l'esprit impur» d'en sortir, le marquait au front et à la poitrine
d'un signe de croix, implorait la bénédiction divine sur lui en étendant la main
sur sa tête et enfin lui mettait une pincée de sel dans la bouche. On se rendait
alors aux fonts baptismaux où se déroulait le baptême proprement dit.
Ce sel du baptême surprenait fréquemment les participants, il paraissait
cocasse, gênant ou distrayant, car bien souvent il faisait grimacer ou pleurer le bébé.
En tout cas, il ne passait pas inaperçu, il intriguait. Que voulait dire ce sel ou du
sel dans ce contexte ? Il se pose là une question de méthode : nous sommes en
présence d'une part, d'un symbole, le sel. De l'autre, ce sel est introduit au milieu
-282-

d'autres choses, gestes, lieux ou circonstances porteurs également d'une charge


symbolique mais qui forment un rituel, celui de baptême dont le sens global est
clair, puisque c'est typiquement un rite de passage. Or il commence par un
exorcisme. Le sel y cohabite avec l'exsufflation, la signation et l'imposition des mains.
Est-ce le sens du symbole sel qui commande celui du rite ou est-ce l'ensemble
du rite qui nous révélera la signification profonde du sel ?
Pour tenter de répondre, il paraît indispensable de faire une double histoire,
celle du sel et de ses valeurs symboliques et celle du rite chrétien de l'initiation.
Ni le sel ni l'initiation ne sont en soi, évidemment, des exclusivités chrétiennes.
Nous chercherons d'abord à restituer l'histoire et les sens du sel dans les cultures
antiques gréco-romaine et juive. Les Anciens ont tellement estimé le sel, lui ont
prêté tant de vertus qu'on s'attendrait à trouver très tôt et presque partout le sel
dans maints rituels chrétiens. Or il n'en est rien. Sauf, nous le verrons, dans les
pays germaniques du Haut Moyen Âge, où se multiplient bénédictions et usages
du sel dans un esprit fortement imprégné de magie, il ne s'est pas développé en
christianisme une riche symbolique du sel, comparable à celle du pain et du vin
ou même de l'huile (1). Ce fait est peut-être moins dû à une réticence vis-à-vis
du sel, encore que le paganisme l'a tellement valorisé que les Chrétiens ont pu
d'abord se montrer réservés - qu'au problème plus fondamental du statut des
symboles dans cette religion, problème qui tient aux circonstances mêmes de son sur-
gissement. Si la symbolique du sel en christianisme paraît donc assez pauvre et
peu originale, son histoire par contre ne laisse pas de suggérer, plus profondément,
des rapports nullement simples entre le christianisme et les cultures où il se diffuse
et se structure. Car sa diffusion au cours des siècles, dans des milieux socio-
historiques et culturels d'une extrême variété, lui a posé à répétition, le problème
de l'initiation chrétienne. Problème décisif : les conditions auxquelles on admet
de nouveaux membres dans une société comme l'Eglise impliquent toute sa
stratégie vis-à-vis de l'ensemble de la société et de sa culture. Or ces rapports et ces
situations ont considérablement varié au cours des âges. C'est avec l'institution
du catéchuménat que le sel va s'introduire dans l'initiation chrétienne, mais
d'abord en Afrique du nord sans doute au IVe siècle. En passant par Rome et la
Gaule nous le suivrons jusqu'au bord du Rhin vers l'an mille, où il est devenu
ce qu'il est resté très souvent dans la conscience populaire, même au delà de sa
récente disparition du rituel. Le sel du baptême apparaît chaque fois chargé de
significations et d'instances diverses.

I. - LE SEL DANS L'ANTIQUITÉ

A - Le monde gréco-romain

1. Les Grecs : le sel divin


Homère nous montre ses héros au barbecue : ils prennent «un dos de brebis,
un autre de chèvre grasse et l'échiné d'un porc bien gavé». Le divin Achille coupe

(1) Un indice : On ne trouve pas d'article sur le sel dans le Supplément au dictionnaire
de la Bible ni dans le Dictionnaire théologique catholique, seulement une mention s.v.
Catéchuménat.
-283-

la viande en morceaux tandis qu'on prépare le feu. Quand «la flamme commence
à défaillir, Achille étale la braise; au-dessus il étend les broches qu'il soulève de
leurs supports, pour verser le sel divin» (Iliade IX : 209-214). Platon dans le Tintée
explique l'origine du sel qu'il qualifie de «corps aimé des dieux» (0eo(J>iXeç :
60 E). Les Grecs, qui donnaient au mot «divin» un sens aussi vaste que la
générosité avec laquelle ils l'attribuaient, ont donc fait du sel, sinon un dieu (Geoç)
du moins quelque chose de divin (Geîov). Isocrate (IVe siècle) nous indique que
des orateurs ne répugnaient pas à en faire l'éloge (ercaiveiv) et n'étaient pas à
cours d'arguments, même si lui n'y trouve pas un noble sujet (Eloge d'Hélène,
12). Mais que disaient ces orateurs ? Leur éloge du sel était-il sincère ou ironique,
univoque ou paradoxal comme ceux de la langue dont on disait alors, et dont on
sait encore, qu'elle est la meilleure et la pire des choses. N'était-ce pas de ces
dissoi logoi, ou discours double, où les sophistes se plaisaient à démontrer, à tout
propos, mais surtout à propos de la vieille religion, des traditions vénérables, des
valeurs communes, d'Homère et des poètes comme de leurs rivaux philosophes,
que pour chaque chose on peut dire tout et son contraire. Dans l'Athènes des
sophistes et des lumières des Ve et IVe siècles on commençait donc à questionner
cette «divination» et sans doute à s'en gausser.
Plusieurs siècles après, sous l'empire romain, Plutarque revient sur la
question (Propos de table V : 10). A l'occasion d'un banquet, le propos de table part
d'un proverbe sur le sel et s'élève au sérieux philosophique. C'est une recherche
(ÇrjTeaiç) menée méthodiquement avec l'appui de citations d'Homère et de Platon
qui ont appelé le sel divin. Pourquoi ? C'est l'aporie (arcôpia) initiale d'où l'on
part comme dans un dialogue platonicien, embarras accru par le fait que les prêtres
égyptiens s'abstiennent de sel «au point de manger leur pain sans sel». Pourquoi
donc, si le sel est divin et aimé des dieux ? Plutarque commence par montrer que
cette exception ne contredit pas le caractère divin du sel. Il expliquera ensuite
d'où lui vient ce caractère même. Les prêtres ont remarqué que le sel en échauffant
le corps pousse au commerce sexuel et qu'il vaut mieux délaisser une bonne chose
et rechercher la perfection qui se contente du nécessaire, la nourriture simple, et
délaisse l'agréable que le sel y ajoute comme condiment Cette recherche de la
perfection par le seul nécessaire n'empêche pas le sel d'être divin parce que les
hommes ont attribué un caractère divin à tout ce qui est universel et satisfait leurs
besoins comme l'eau, la terre, la lumière, les saisons. Le sel met aussi la nourriture
en accord avec l'appétit créant ainsi une «harmonie» qui pour un grec est toujours
une qualité divine. Surtout le sel conserve en empêchant la putréfaction du corps,
par quoi il est analogue à l'âme, ce qu'il y a de plus divin en l'homme, et même
au feu divin. En effet le corps des foudroyés résiste plus longtemps à la
décomposition que les autres cadavres. Le sel a le même effet que la foudre. Pour un Grec,
le divin c'est par excellence l'incorruptible. «Quoi d'étonnant si les Anciens ont
tenu le sel aussi pour divin...» Plutarque enfin fait poursuivre la démonstration
par Philinos qui développe - bien avant Jones ! - toute une argumentation sur le
sel et le sexualité. La fonction génératrice (tô yovi|j.ov) étant divine, le sel l'est
aussi puisqu'il a rapport avec elle à plus d'un titre. Il favorise la procréation comme
l'ont vu les Egyptiens, comme le savent les éleveurs de chiennes qui les stimulent
au coït par l'ingestion de viande salée. Mieux, la prolifération des rats sur les
bateaux chargés de sel donne à penser à certains que grâce à lui les souris peuvent
-284-

concevoir sans copuler. Philinos plus rationnel pense qu'il est «plus vraisemblable
que la salure provoque une démangeaison des parties génitales, poussant ainsi ces
animaux à l'accouplement». On dit aussi d'une femme pleine de charme et
provocante qu'elle est «piquante et pleine de sel». Dernier argument et non le
moindre : la mythologie. Aphrodite, déesse de l'amour et de la beauté physique est
dite «haligène» ce qu'il interprète non comme née de la mer, mais du sel «par
allusion au pouvoir générateur du sel». Enfin, les dieux marins, Poséidon et les
autres ainsi que les poissons ne sont-ils pas les plus prolifiques ?
Philosophe et mystique, rationnel et dévot, Plutarque en cherchant à sauver
le caractère divin du sel souligne deux séries d'arguments que nous retrouverons :
son rapport à la sexualité et sa position bien remarquable entre l'eau et la mer,
son origine, et le feu dont il partage quelques effets dont la conservation et la
chaleur, les deux se retrouvant dans la «chaleur» sexuelle. Si les développements
de cette sorte de phénoménologie à la Plutarque sont essentiels pour saisir les
connotations du sel et le sens du divin selon les Anciens, à un moment où ce
caractère n'était déjà plus une évidence pour beaucoup, ils ne satisfont pas
l'historien moderne des religions qui se demande encore pourquoi on a «divinisé» le
sel. On a avancé deux explications principales.
L'une, fréquente chez les historiens et philologues du début du siècle, est
que l'importance du sel serait une conséquence de l'alimentation essentiellement
céréalière des peuples agricoles (Encyclopedia Biblica, col. 4247). L'autre est
d'inspiration psychanalytique. Pour Jones, l'affect attaché au sel ne peut provenir
des qualités du sel lui-même, mais de ce que le sel renvoie à une autre idée, et
finalement à la semence humaine (1974 : 22-109).
On a abandonné aujourd'hui ces essais trop ambitieux de portée générale
qui amènent ce symbole à des interprétations utilitaristes. On suggérera tout de
même une hypothèse : là où le sel a été très valorisé, il semble qu'on y ait vu
aussi une marque de la culture ou de la civilisation.
Même si cette signification n'est pas universelle, Pline, dans son traité qui
est aussi un éloge, semble bien en avoir eu conscience, lorsqu'il s'exprime avec
le lyrisme d'un hymne sans arrière-pensée sur les bienfaits de la civilisation... et
du sel. «Sans le sel, ma foi, on ne peut mener de vie civilisée (humanior)» (2).
Saler, c'est non seulement raffiner les plaisirs, mais rendre plus humain. C'est
arracher à la nature, c'est-à-dire à l'insipide, à la corruption, à la pourriture.
L'emploi du sel, constant dans la cuisine, redoublerait, le sens de la cuisson des
aliments : en cuisant ou en salant, on arrache à la putréfaction. Le sel conserve les

(2) Pline op.cit. XXXI 88. Sur la difficulté textuelle de ce passage, voir la note de C.
Serbat éd. Budé note 88, 3 pp. 161. Sur ce sens de huma nus, humanitas, civilisé, civilisation
voir Tacite, Vie d'Agricola XXI. Tacite, plus réservé sur les bienfaits de la civilisation, déclare
à propos des (grands) Bretons qui la découvrent : «peu à peu, on se laisse séduire par nos vices,
par le goût des portiques, des bains et des festins raffinés. Dans leur inexpérience, ils appelaient
civilisation (humanitas), ce qui contribuait à leur asservissement». Nous croyons que c'est trop
peu dire que de constater que «Pline déclare le sel indispensable à toute vie civilisée, mais comme
condiment agréable plutôt que comme nécessité alimentaire». André J. L' alimentation et la cuisine
à Rome. Paris 1981 pp. 191. Que le sel soit nécessaire à la vie est une évidence qui ne distingue
pas l'homme de l'animal. L'humain, c'est que le sel paraisse nécessaire à la civilisation qui
elle-même paraît moins obéir au nécessaire qu'à l'agréable. C'est donc par ce qui va au-delà de
la nécessité alimentaire, par l'agrément, qui fait du sel un signe de civilisation.
-285-

chairs, même celles des cadavres. Il a le même effet que le feu, tous les feux
intimes, célestes, sexuels, culinaires. Il accroît le plaisir, ce surcroît que l'homme
cherche dans la civilisation, même si c'est au détriment de ses semblables, et
particulièrement de ceux qui, à certaines époques, travaillaient dans les atroces
mines de sel.

2. Le sel et la religion à Rome


Les anciens distinguaient le sel naturel ou natif du sel artificiel ou factice (3).
On récoltait le sel natif en grains sur les rivages, près des lagunes salées de Tarente,
de Sicile, de Chypre, ou en blocs dans les gisements de sel gemme, les mines
d'Utique, ou en Libye, dans des montagnes comme le mont Oromenos en Inde,
sous la couche végétale de certaines plaines ou bien dans les sables des déserts,
en Cappadoce, en Arabie.
A Rome, le sel accompagnait tous les sacrifices. Il était indispensable sous
la forme de la mola salsa, farine torréfiée et mêlée à du sel que préparaient les
Vestales et qu'on répandait sur la tête des victimes (Plaute, Amphytrion, 740;
Pline XVIII 7 et XXI 89). Par contre, à l'époque classique, chez les Grecs, le
sel était prohibé dans les sacrifices. «Il était interdit de saler les viandes animales
offertes aux dieux» (Lavedan s.v.). On peut y voir un archaïsme, la trace d'une
époque où le sel n'était pas entré dans la vie quotidienne. La religion toujours
conservatrice aurait gardé des habitudes antérieures à l'agriculture (selon Darem-
berg et Saglio). Outre les réserves déjà faites sur ce point, pour traiter cet usage
grec comme une survivance, il faudrait disposer d'une chronologie précise qui
situerait l'apparition des pratiques sacrificielles par rapport aux transformations
de l'alimentation. Mais dans la perspective qui considère une religion comme un
système signifiant, saler les chairs offertes aux dieux, c'est souligner la proximité
de ceux-ci avec le monde humain; on ne peut pas moins faire pour eux que pour
les hommes, alors que ne pas saler soulignera qu'ils sont extérieurs aux contraintes
qui pèsent sur les hommes. De plus, si le sel est absent des viandes sacrificielles,
il n'est pas totalement absent des sacrifices grecs. Dans le sacrifice à Hestia,
d'après une loi de Cos, après avoir feint d'attendre le consentement de la victime à
sa mise à mort, on l'abattait comme par surprise «afin d'éviter autant que possible
de laisser affleurer la violence faite à la victime. Pour la même raison, le couteau
qui fait jaillir le sang est en principe caché dans une corbeille, sous des grains
d'orge mêlés de sel» (Détienne et Vernant, 19). S'agit-il d'établir un contact
entre l'arme et ces produits de la culture que sont l'orge et le sel ? Le sacrifice,
par l'acte de tuer, introduit la violence de la mort, de la nature dans le monde
civilisé. Il faut veiller à en maintenir les gestes, les victimes ou les ustensiles
dans les limites de ce monde et, dans ce cas, grâce à un mélange de céréales et
de sel, ce qui n'est pas sans rappeler la mola salsa.
Dans l'Antiquité on ne saurait dissocier religion, société et culture. Le sacré
se diffusait dans tous les actes de la vie. La religion était une vie de société avec
les dieux, elle renforçait la société, et la vie sociale prenait souvent l'allure d'une
religion avec les hommes, obéissant aux mêmes lois, possédant les mêmes rituels.

(3) Pour plus de détails, dans toute cette partie voir Daremberg et Saglio, op. cit.,
pp. 1009-1010. La source est évidemment Pline, op. cit., XXI 73 s.v.
-286-

Ainsi l'hospitalité était-elle un devoir religieux, elle créait des liens sacrés où se
retrouve le sel (4), signe de l'amitié, de la parole donnée, de l'hospitalité (Aris-
tote, Ethique à Nicotnaque VIII 3, 8; Cicêron, de l'Amitié, 19; Archiloque,
Fragments, 19). Il symbolise un lien social et la fidélité qui en découle. Mais c'est là
plutôt un usage grec (et oriental) que romain. Grecs et Romains, également
sensibles à la parole et au plaisir du verbe, ont vu dans le sel le symbole de la
jouissance intellectuelle, de l'esprit qui se diffuse dans la conversation (Pline XXI
88).

3. Le feu et l'essence ou V imaginaire du sel


Multiplicités des usages et des valeurs du sel : il couvre presque tous les
champs de la vie humaine, agriculture, élevage, alimentation, commerce, médecine
et pharmacopée, religion et sociabilité. Utilité patente qui ne suffit pas à rendre
compte de cette omniprésence. Pour les Anciens, les qualités objectives du sel se
fondaient sur des valeurs que nous dirions symboliques. Ils savaient certes
distinguer les plans et les niveaux d'expérience, mais une sorte de loi de similitude
dans l'organisation de la matière, du cosmos, du monde des hommes comme des
dieux, assurait des passages des uns aux autres et conférait au sel une égale
efficacité dans chacun de ces domaines. Une telle conception renvoie à un
imaginaire. Chez Plutarque, nous l'avons vu, c'est celui du sacré, du divin, qui se dit
de tout ce qui est universel, essentiel à la vie et opérant. Pline, lui, ne divinise
plus le sel. Son approche est scientifique, descriptive, pragmatique et humaniste.
En ce sens, sa pensée est séculière, et le contraste est saisissant entre ces deux
auteurs presque contemporains. L'un essaie de sauver le divin véhiculé par une
tradition, grâce à une sorte de phénoménologie qui déploie les significations du
sel et cherche finalement dans la sexualité qui meut les hommes, les dieux et les
poissons, la raison de ces valeurs. Pline, lui, remplace le divin éloigné, par une
sorte de «physique-chimie» du sel élaborée à partir de ses qualités sensibles, jugées
objectives. Il nous paraît aussi crédule que Plutarque sur les vertus du sel mais
il l'est pour d'autres raisons qui semblent purement objectives. Nous le vérifierons
sur trois cas : le sel et la santé, le sel et le feu, le sel et la sagesse. A chaque
fois, nous constaterons l'importance de la langue dans ces systèmes d'évidence.
Pour Pline, non seulement le sel est un remède universel pour les malades,
mais aussi un facteur de santé pour tous. En effet, le sel conserve : «pour le corps
il est astringent, siccatif et resserrant; il préserve même les cadavres de la
décomposition, si bien qu'ils durent ainsi pendant des siècles» (XXXI 98). Nulle
part il n'est dit que consommer du sel c'est se protéger de la pourriture de la
mort, mais le sel a rapport avec la vie, avec la santé. Un jeu de mots en latin
venait à l'appui de cette association sel-santé-salut. Une homonymie certaine
rapproche sal de salvus et de salus. Salvus signifie entier avec la nuance en bon état
de santé. Le sens propre de salvus a été commandé par la valeur religieuse qui
est attachée à ce mot et qui ressort de salus, ancien terme religieux, employé
comme formule de salut. Salus c'est l'état de ce qui est salvus, sauvegarde, conser-

(4) On sait qu'en Inde, l'hospitalité est aussi comme un sacrifice offert à l'hôte, au moins
dans le brahmanisme orthodoxe. Si le monde gréco-latin n'a ni systématisé ni étendu le sacrifice
comme la pensée indienne, l'étroitesse du rapport religion-vie sociale y était analogue.
-287-

vation par opposition à pestis, pernicies (5). Salus, un mot, donc, attaché à
l'intégrité du corps, qui dans le latin d'Eglise deviendra le salut dont la préoccupation
ne cessera de croître dans le monde romain, surtout à partir du troisième siècle.
Mais d'où vient ce pouvoir salutaire du sel ?
Pline cite un proverbe «rien n'est plus utile que le sel et le soleil» (XXXI
102). Nos amateurs de bains de mer et de soleil pensent sans doute la même chose
mais peut-être pas pour la même raison. D'abord parce que le proverbe est construit
sur un jeu de mots évident en latin : Sal = sel, Sol = soleil, imperceptible en
français. Mais Pline reprend le proverbe parce qu'il y voit une vérité objective «le
sel a une nature en elle-même (per se) ignée» (XXXI 98), comme le soleil
évidemment. Voilà qui explique sa capacité de conserver en desséchant. Voilà qui
explique qu'on l'obtienne par dessiccation, évaporation à la chaleur naturelle ou
artificielle et que «plus un sel est sec, plus il est salé» (XXXI 85). Le sel échauffe,
chauffe, brûle. Mais en même temps, nous dit Pline, «le sel est ennemi du feu
qu'il fuit» (XXXI 98). Jeté sur le feu, le sel crépite, saute, certains sels refusent
de se consumer. C'est que le sel appartient aussi aux aquatilia, aux produits de
l'eau, comme les éponges (XXXI 72). Mais du fait de sa nature intrinsèquement
ignée, il est ennemi de l'eau; certains sels sautent à l'eau et si «l'on verse plus
d'un setier de sel dans quatre setiers d'eau, l'eau est vaincue et le sel ne se dissout
pas» (XXXI 67). Lorsque du sel reste à l'air libre, absorbant l'humidité, il fond,
perd son salé. Il est vaincu. Pour une chimie fondée sur l'observation des qualités
sensibles, le sel entre l'eau et le feu est un produit bien remarquable, reliant des
qualités logiquement contradictoires (le sec et l'humide), mais concrètement
réunies en lui. Il peut devenir pleinement un symbole puisque, comme l'inconscient,
le sel ignore la contradiction et prouve, étant donné avec la nature, que celle-ci
aussi fonctionne comme le souhaite spontanément notre esprit. D'où
l'anthropomorphisme de cette physique-chimie et son pouvoir d'apprivoiser les choses en
rendant le monde plus désirable à l'homme.
Parce qu'il se trouve dissous dans la mer où sa substance se perd dans celle
de l'eau, tout en gardant ses qualités, le sel n'est-il pas une preuve sensible de
l'existence des essences ? De même, enfoui dans les aliments, il se fait sentir. Il
demeure lui-même, sous la diversité de ses apparences. Comme l'essence, le sel
est caché, efficace, durable. Il suffit d'une dessication pour le retrouver dans sa
pureté. L'eau évaporée, il revient à lui, intact, imputrescible. De même mêlé aux
aliments «son goût spécifique est celui qu'on saisit parmi d'innombrables
assaisonnements» (Pline, XXXI 87). Or cette perception échappe aux autres sens que
le goût. Lui seul peut dégager la saveur cachée par le commerce intime de la
manducation. Ainsi l'activité gustative devient le symbole de la sagesse. Comme
le goûteur, le sage recueille l'essence cachée sous l'apparence. Sapio, c'est avoir
du goût, de la saveur (sapor), sapere, avoir du goût, du discernement, goûter, être
sage, d'où la sapientia qu'Ennius fut le premier à employer pour traduire le grec
et tyiXoGOtyia (Ernoult et Meillet s.v. sapio). Or Pline vient de nous dire

(5) Sur tout ceci, voir Ernoult & Meillet, op. cit., s.v. salvo. On peut se demander si
en XXXI 95 où Pline achevant de parler des goûts culinaires du siècle, remarque «on s'est mis
à faire putréfier le sel de mille façons». N'y a-t-il pas là une réprobation implicite pour des
pratiques culinaires par trop sophistiquées et de ce fait contre nature au point de vouloir dégrader
ce sel qui normalement empêche la pourriture ?
-288-

que ce qu'on cherche dans les mets c'est l'assaisonnement, le sel, comme on
cherche le sens et l'esprit dans un propos. Sans sel tout est insipide, sans saveur
(et ce qui a mauvais goût est malesapidus, d'où vient le français maussade !).
Ainsi est apparue l'association si forte du sel, de la saveur et de la sagesse dans
la culture latine, plus concrète à cet égard que chez les Grecs qui ont associé
davantage l'essence à l'eiôoç, la forme, la silhouette saisie par l'œil et qui par
abstraction devient l'idée (dans le monde juif, on dit parfois que Dieu est un ta'am,
une saveur). Culture latine plus sensorielle et sensuelle aussi, d'où une difficulté
à séparer la science de la sagesse pratique qui fait vivre. La sapientia est moins
ascétique que notre science moderne (6).
On voit mieux au terme de quel long parcours historique, la culture antique
et spécialement latine a fini par élaborer ces trois significations-clef du sel-san-
té-salut, du sel-chaleur-feu, et du sel-essence-sagesse. C'est chose faite à la fin
du premier siècle, quand le christianisme commence d'investir ce monde. C'est
avec ces significations que nous allons le voir s'expliquer pour construire sa propre
symbolique.

B - Le inonde biblique

1. Le sel, la vie et la stérilité


Les Hébreux de Palestine consommaient du sel comme les autres peuples
agriculteurs. La Bible en reconnait la nécessité {Ecclésiastique XXXIX 1 et Job
6, 6). Ici aussi, pain et olives salées forment la nourriture du pauvre. On employait
le sel pour conserver la viande, beaucoup d'olives et surtout du poisson salé et
séché consommé en grande quantité (Barruch 6; Vigouroux, 1912, s.v. sel, col.
1570). Il est possible qu'à l'époque tardive, les Hébreux aient connu le sal condi-
tum ou sel assaisonné des Romains (Encycl. Bibl. col. 4248).
Le sel provenait, en abondance, de la Mer Morte, qu'en hébreu moderne on
appelle encore yam hamelah, la mer de sel. «De décembre à avril, le niveau monte
dans le Mer Morte, à cause de l'apport plus considérable des torrents du Jourdain.
Quand il baisse ensuite, l'eau demeure dans certaines dépressions environnantes
et s'y évapore peu à peu à la grande chaleur du soleil. Comme la proportion de
sel y atteint plus de 6 %, il se dépose en grande quantité» (Vigouroux, col. 1569).
Le sel provenait aussi de la chaîne du Djebel Usdun «au sud-ouest de la Mer
Morte, où des masses énormes de sel gemme alternent avec des brèches de marbre
et des blocs de jaspe vert foncé; c'est une vraie carrière de sel» (id, col. 1571),
formée par le fond d'un lac desséché, où l'érosion a taillé des formes fantastiques
dont une colonne de sel que les Arabes appelent encore «la femme de Loth»,
selon la légende dont La Genèse (19, 26) est l'écho.
La grande importance du sel explique la politique des rois Ptolémée d'Egypte
qui monopolisèrent son commerce ou celles des Séleucides de Syrie qui
s'approprièrent les lagons salants au nord de la Mer Morte, quitte comme Démet ri us II,

(6) Sur la science comme ascèse de la connaissance, on se rappelle la page célèbre de J.


Monod en conclusion de son ouvrage, Le hasard et la nécessité.
-289-

à exempter les Juifs de l'impôt sur le sel pour se les concilier (Maccabées 1, 10,
29 et 11, 35).
Ce qui est remarquable dans le milieu palestinien comparé au monde
gréco-romain, c'est l'extrême abondance du sel et sa conséquence : la stérilité. Certes
Pline sait «que tout sol où l'on trouve du sel est stérile et ne produit rien» (XXXI),
qu'un peu de sel amende la terre, stimule la végétation, mais que trop l'interdit.
Cependant ce fait ne hante pas l'imaginaire romain. Les régions qui avoisinent la
Mer Morte, au contraire, ont toujours passé aux yeux des Hébreux pour le pays
de la stérilité et de la désolation associée au sel. D'où les nombreuses légendes,
dont celle de la femme de Loth et une sorte de crainte. Dieu a changé ce pays
fertile en plaine de sel (Psaumes 107, 34; Eccles, 39, 23), il a puni Sodome par
le feu, le soufre et le sel, Moab pourrait connaître le même sort (Sophonie II 9),
et même Israël s'il est infidèle (Deutéronome 29, 22). Le sel connote la désolation
et la stérilité elles-mêmes associées à l'idée de châtiment (Job 39, 6; Jérémie 17,
6). On connaît la coutume de semer du sel sur une ville prise. «Abimélek combattit
toute la journée contre la ville, puis il s'en empara et massacra toute la population
qui s'y trouvait, il démolit la ville et y sema du sel» (Juges 9, 45). Cette pratique,
qui heureusement n'était pas systématique, n'était pas propre aux Juifs et elle était
connue dans l'ancien Orient, spécialement des rois assyriens, grands preneurs de
villes. Nous ne trancherons pas le problème de savoir s'il faut rattacher cet usage
de semer du sel à la pratique sacrificielle (Encycl. Bibl. col. 4249-4250), la cité
bannie est déclarée herem, sacrée, intouchable, appartenant à la divinité, ou au
sel symbole de stérilité : que jamais la vie ne revienne sur ce lieu (Vigouroux
col. 1571. Note de la TOB à Juges 9, 45). Mais ce qui est certain c'est que la
Bible non seulement ne saurait diviniser le sel comme les Grecs de Plutarque, ni
même le célébrer comme Pline, mais qu'elle insiste sur cette image fondamentale
de la stérilité. La pensée juive biblique, beaucoup plus que les autres
gréco-romains, se montre ambivalente vis-à-vis du sel, parce qu'il lui paraît de signification
plus àmbigiie. Le sel y est pris dans une dialectique de la mort et de la vie plus
aiguë et plus tendue que dans la culture païenne.

2. Le sel, le culte et l'alliance


L'usage cultuel et plus précisément sacrificiel du sel est considérable dans
la religion hébraïque ancienne. «Les prescriptions de la loi mosaïque sur l'emploi
du sel étaient si connues que les rois de Perse, Darius et Artaxerxès, ordonnèrent
de fournir à Esdras tout le sel nécessaire pour le service du Temple (Esdras 1, 6,
9 et 7, 22)... Dans ce second temple (d'après l'exil), il y avait au nord une chambre
du sel pour l'usage de l'autel. Dans une chambre voisine appelée Parva, on salait
les peaux des victimes qui revenaient aux prêtres» (Vigouroux, col. 1569). Le
Lévitique prescrivait de mettre du sel sur toutes les oblations présentées à Dieu
(2, 13; Ezéchiel 43, 24). Le parfum destiné à brûler devant l'arche devait être salé
(Exode 30, 35). On salait la farine, l'encens, les gâteaux offerts par les prêtres,
comme ceux qui accompagnaient les libations, les holocaustes d'oiseaux, les autres
offrandes animales et végétales, à l'exception du vin des libations, du sang et du
bois (Joséphe, Antiquités juives III 9, 1 ).
-290-

Deux lignes de pensée rendent compte de cet usage abondant du sel, toutes
les deux attestées dans le Lévitique. D'une part, le prêtre, descendant d'Aaron
«peut manger de la nourriture de son Dieu» (7). Le sel transforme les aliments
en nourriture, en repas offert à la divinité. D'autre part «sur toute offrande que
tu présenteras, tu mettras du sel, tu n'omettras jamais le sel de l'alliance de ton
Dieu sur ton offrande; avec chacun de tes présents, tu présenteras du sel» (Lév.
2, 13). Dans le premier cas, grâce au sel, le sacrifice devient un repas, dans le
second, grâce au sel encore l'offrande de nourriture rappelle l'Alliance.
Le sel de l'Alliance renvoie d'abord à une notion très attestée dans le monde
sémitique, celle de l'alliance de sel, c'est-à-dire d'une alliance scellée par le
partage d'un repas, donc du sel consommé ensemble à cette occasion. Cette alliance
de sel implique l'idée de fidélité réciproque, de durabilité. Elle se retrouve dans
l'expression «manger le sel du palais», particulièrement pour les soldats nourris
par le prince qu'ils doivent servir (Esdras I 4, 14). L'alliance de sel est immuable
et indestructible «c'est pour toi et tes descendants une alliance consacrée par le
sel et immuable aux yeux du Seigneur» (Nombres 18, 22). Ou bien vis-à-vis de
la monarchie davidique «ne deviez-vous pas savoir que le Seigneur, le Dieu d'Israël
a donné la royauté à David sur Israël, pour toujours, à lui et à ses fils : c'est une
alliance indestructible» (Chroniques II 13, 5), littéralement une alliance de sel.
L'importance de cette alliance de sel, plus que du sel lui-même vient du
rôle absolument central de la notion d'alliance dans le judaïsme. Ce n'est pas
seulement le sel qui donne son sens de durabilité à l'alliance, mais le sens de
l'Alliance qui rejaillit sur celui du sel, tant le judaïsme s'est construit autour de
cette notion d'un contrat passé entre Dieu et les hommes, contrat garanti par la
loi.
Cette importance de l'alliance, dont il n'y a pas trace chez les Romains par
exemple, pose l'originalité du monde juif à cet égard. Et si les Grecs, avec leur
association du sel et de l'hospitalité, ne sont pas loin, comme tous les Orientaux,
d'associer sel et sociabilité, rien dans la religion grecque n'est analogue à l'alliance
de Dieu et de son peuple qui structure l'univers juif. Le testament chrétien qui
se dit nouveau, c'est-à-dire définitif, traduit d'abord cette notion d'alliance et
s'inscrit donc dans la continuité de la tradition et de l'héritage biblique, mais avec
des ruptures dont les Chrétiens pensent qu'elles valent épanouissement et
achèvement.

3. Le sel dans le Nouveau Testament : presque rien


Parole célèbre : «Vous êtes le sel de la terre». Mais à la comparaison des
trois évangiles synoptiques, les choses deviennent moins claires (Matthieu V 18;
Marc IX 50; Luc XIV 34). Certains exégètes pensent que la version lucanienne
du logion fournirait la formulation la plus ancienne (Kittel I : 229). «C'est une
bonne chose que le sel, mais si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ?
Il n'est bon ni pour la terre ni pour le fumier. On le jette dehors». Perd sa saveur
traduit iicopotvGfj, littéralement devenir fou et renvoie à un contexte de sagesse.
Avec quoi la lui rendra-t-on traduit apTi)9T)G£Tai, futur passif d'un verbe qui
(7) Lévitique 21, 22. Traduction TOB. Le texte hébreu porte lehem Elohim, litt. nourriture
de Dieu.
-291-

signifie assaisonner, relever. Ce n'est sans doute pas une allusion au sel assaisonné
des Romains, quoique connu en Palestine, mais au sel de la Mer Morte, mélangé
de gypse ou de terre et donc de mauvais goût (Pline XXXI 34). La phrase citée
par Luc renvoie sans doute à une idée de sel-sagesse qui peut se perdre ou se
corrompre, mais ses destinataires ne sont pas clairs : de qui voulait-on parler ?
des disciples, du peuple juif, de l'homme en général ? Marc connaît ce logion
dans une formulation proche de celle de Luc, sans application directe aux disciples,
primitivement. Mais comme une tradition l'a relié à d'autres logia rassemblés
autour du sel jouant comme mot-crochet, il s'adresse dans ce contexte aux Chrétiens.
«(Verset 47) Si ton œil entraîne ta chute, arrache-le; il vaut mieux que tu entres
borgne dans le royaume de Dieu que d'être jeté avec tes deux yeux dans la
géhenne, (V. 48) où le ver ne meurt pas et où le feu ne s'éteint pas. (V. 49) Car
chacun sera salé au feu. (V. 50) C'est une bonne chose que le sel, mais si le sel
perd son goût, avec quoi le lui rendrez-vous ? Ayez du sel en vous-mêmes et
soyez en paix les uns avec les autres». Les versets 49 et 50 sont propres à Marc,
mais ils ont été rassemblés à cause du sel. Le Verset 49 est difficile. On peut
traduire «chacun sera salé pour le feu ou par le feu». «On connaît une coutume
des Palestiniens qui utilisent dans leur four le sel comme catalyseur; celui-ci au
bout de quelques années perd ses propriétés chimiques et on le jette. Il est devenu
sans sel (Verset 50). Chacun doit être comme du sel pour le feu», commente la
traduction œcuménique de la Bible (note in loco). Mais une autre leçon dit «et
tout sacrifice sera salé de sel», ce qui évidemment fait allusion au texte de Lévi-
tique 2, 13 déjà cité. Dans ce cas, l'application du sel au disciple signifie le
transfert de la symbolique sacrificielle du Temple à la vie même du disciple qui doit
pouvoir être salé, comme l'étaient les victimes, prêt au sacrifice, au don de lui-
même. Chez Matthieu, l'assimilation du sel au disciple est drastique : «vous êtes
le sel de la terre». Mais s'agit-il d'une simple comparaison ? Vous êtes à la terre
ce que le sel est aux aliments par exemple, ce qui donne saveur, valeur ou sagesse.
Ou bien s'agit-il d'une allusion au sel du sacrifice ou au sel de l'alliance ? Vous
êtes vous-mêmes le sel de l'Alliance passée avec tous les hommes. Le sel
désignerait dès lors l'absolue fidélité que le disciple doit avoir vis-à-vis de Dieu et
au profit de tous les hommes.
Dans YEpître aux Colossiens, qui est au moins d'inspiration paulienne, on
se trouve dans un tout autre contexte. «Que vos propos soient toujours
bienveillants, relevés de sel, avec l'art de répondre à chacun comme il faut» (IV 6). Ce
sont des conseils relatifs à la conduite à tenir vis-à-vis de «ceux du dehors» (Verset
5), terme issu du judaïsme où il désigne, par opposition aux frères, ceux qui ne
sont pas juifs. Ici, il s'applique aux non-chrétiens, étrangers à la communauté,
vis-à-vis desquels il faut avoir les manières recommandées en pareil cas par le
judaïsme, c'est-à-dire une parole, littéralement «en grâce, relevée de sel» qui
conjugue l'amabilité à l'esprit (note de la TOB in loco).
Ce sont là tous les textes du Nouveau Testament où il est question du sel.
L'Epître aux Colossiens maintient l'emploi du sel comme métaphore de sagesse
dans un contexte de sociabilité. Comparaison assez commune à tout le monde
antique pour y être comprise, mais sans aucune originalité. Il est possible que le
logion évangélique sur le sel ait eu une valeur sapientielle assez générale, mais
la tradition l'a infléchi vers l'application au disciple, relevant et transformant ainsi
-292-

les connotations culturelles du sel. Car le point décisif, c'est le rapport du


christianisme au sel du sacrifice et de l'alliance, tel que le comprenait le testament
qui pour les Chrétiens devenait ancien. Le christianisme abandonne le culte du
Temple, mais non l'idée de sacrifice et d'alliance. Jésus apparemment très critique
à l'égard du clergé du Temple s'est tenu éloigné de ces pratiques culturelles. Après
sa mort, les Chrétiens se sont divisés sur ce Temple que les uns fréquentaient
assidûment, que d'autres rejetaient. Ces radicaux l'ont emporté, la destruction de
70 a fait le reste. Le christianisme n'a plus d'attache avec le culte du Temple et
ses sacrifices sanglants. Du coup, l'énorme importance du sel dans le culte juif
n'a plus d'objet pour lui. Mais si la pratique sacrificielle sanglante est purement
et simplement abandonnée, les catégories dans lesquelles elle s'exprimait sont
reprises pour penser la mort violente de Jésus, ses conséquences historiques, ses
effets dans le croyant. En remplaçant tout sacrifice sanglant, la mort du Christ en
opère le sens : la Nouvelle Alliance, qui exige de ses disciples une fidélité non
moins radicale. Le sel, ce sont les disciples désormais. Le Nouveau Testament ne
s'occupe plus de sel cultuel, mais il y puise quelques images pour dire une
expérience qui n'a plus son sens dans aucun temple, mais dans la loi et la fidélité,
l'amour pour Dieu et les hommes. Tels est le sens du spiritualisme, ou mieux de
la spiritualisation chrétienne qui est en fait une sécularisation et une radicalisation,
condition nécessaire de l'universalisme chrétien.
Né d'une mutation de certains groupes juifs «n rupture avec certaines de
leurs propres traditions, le christianisme ne veut pas être une religion ethnique,
au moins dans son projet, qui prolongerait toutes les coutumes et les usages de
son peuple d'origine, en particulier les prescriptions alimentaires dont on sait la
prégnance dans le judaïsme. Après la croix de Jésus, la question de savoir si les
Chrétiens étaient tenus ou non de les observer, en partie ou en totalité, pour eux-
mêmes et pour les néophytes qu'ils acceptaient, fut le drame de la première
génération chrétienne que ce problème a profondément divisée (8). Sur ce point
comme pour le culte du Temple, les positions radicales l'ont emporté; les
prescriptions rituelles sur l'alimentation, la distinction fondamentale du pur et de
l'impur, les tabous alimentaires n'ont aucun rôle dans le christianisme. Tous les
aliments y sont religieusement neutres, qu'ils aient été survalorisés ou dévalorisés,
le sel comme les autres. On comprend, dans ces conditions, que dans le Nouveau
Testament, le sel ne tienne qu'un rôle des plus périphériques. Pourquoi, quand et
comment a-t-il été réintroduit malgré tout dans des rituels chrétiens ?

II. - LE SEL DU BAPTÊME

1. En Afrique au IVe siècle : sel du cathécuménat et de V hospitalité


Les plus anciens rituels du baptême chrétien, à peine mentionnés dans le
Nouveau Testament ou explicites dans la Tradition apostolique (Hippolyte De
Rome), qui date du tout début du troisième siècle à Rome, mais reflète des usages
plus anciens de cette église, ne font aucune allusion au sel. Ni les Catéchèses

(8) Sur ce point capital, voir par exemple Meier J.B. et Brown R.E. Antioche et Rome,
berceaux du christianisme, Paris 1988.
-293-

mystagogiques de Cyrille de Jérusalem vers 350 à Jérusalem, ni le très passionnant


journal de pèlerinage d'Egérie, qui décrit fort dévotement les cérémonies pascales
et donc baptismales de cette églises vers la fin du IVe siècle, ne mentionnent
encore un quelconque emploi du sel. Comme les historiens du début de ce siècle
l'ont bien vu (Duchesne, 297) l'imposition du sel dans le baptême est un rite
relativement récent, sans doute non antérieur au IVe siècle et inconnu dans les
église d'Orient. Il est donc propre aux Eglises latines d'Occident. Mais où et
pourquoi est-il apparu sur la vaste aire de la Romania ?
Il ne semble pas que ce soit à Rome même. La plus ancienne mention de
l'usage du sel se trouve chez Saint Augustin et date de 396. Né d'une mère
chrétienne, en Afrique du nord, il nous raconte sa conversion à l'âge de 33 ans après
un très long itinéraire. Or, dit-il, croyances et pratiques chrétiennes n'étaient pas
pour lui une totale nouveauté. «J'avais entendu parler quand j'étais encore enfant,
de la vie éternelle qui nous est promise par l'humilité du Seigneur notre Dieu
descendant vers notre superbe et l'on me signait déjà du signe de la croix et l'on
me salait de son sel déjà au sortir du sein de ma mère, qui avais mis beaucoup
d'espoir en moi» (Confessions, 1, I-VII). En recevant cette signation et ce sel dès
sa naissance, Augustin n'a pas été baptisé, mais présenté à l'Eglise et déjà reçu
par elle sans en être membre à part entière. Ce qu'on appellera plus tard et jusqu'à
il y a peu le sel du baptême n'est pas à l'origine le sel du baptême mais du
catéchuménat. Pour le comprendre, il faut retracer l'histoire des rites de l'initiation
chrétienne.
Le christianisme est né en Palestine au début des années 30 de notre ère
parmi les Juifs de Palestine. Vers 40 il est à Antioche, où certains chrétiens plus
radicaux acceptent d'admettre dans leur communauté des païens sans leur imposer
les pratiques spécifiques du judaïsme comme la circoncision et le Kashrut (9). Au
même moment le christianisme arrive à Rome. Les nouvelles vont vite dans ces
communautés juives répandues dans toutes les grandes villes, le long des grands
axes commerciaux, terrestres et surtout maritimes. A la fin du premier siècle la
scission est consommée entre Juifs pharisiens et Juifs chrétiens. Désormais de
moins en moins de Juifs se feront chrétiens, alors que le nombre des convertis
venus du paganisme et de la culture gréco-latine ne cesse d'augmenter. Surgit un
problème : le christianisme est une bonne nouvelle (Evangile) qui se répand donc
par une annonce, une prédication (Kérygme). Tant qu'il s'adressait d'abord aux
juifs ou à des païens déjà en contact avec le judaïsme, l'annonce et l'appel à la
conversion pouvaient suffire : ces gens avaient une culture biblique. Une fois
convertis, s'ils voulaient un enseignement supplémentaire (Catéchèse), ils le recevaient
après le baptême. Au second siècle, la catéchèse est encore post-baptismale, comme
on le voit à la Démonstration apostolique d'Irénée, évêque de Lyon après 177.
On fréquentait des cercles de chrétiens, voire des écoles privées ouvertes par des
«philosophes» chrétiens, comme Justin au milieu du second siècle à Rome ou
Pantène à la fin du même siècle à Alexandrie. Mais devant l'afflux des convertis,
à la fin du IIe siècle, on prend conscience de la nécessité de distinguer la catéchèse
générale pour ceux qui sont déjà baptisés, de la catéchèse préparatoire pour ceux

(9) Le kashrut est le terme hébreu désignant les lois régissant l'alimentation chez les
Juifs.
-294-

qui demandent le baptême. On appellera désormais catéchumènes c'est-à-dire


enseignés ceux-ci, bien distincts des fidèles baptisés (Maertens, 77). L'institution
catéchuménale se met donc en place au tournant du deuxième et du troisième
siècle, à un moment où le clergé, dont le rôle et l'autorité ne cessent de s'affirmer,
veut s'assurer des motivations et de la formation des néophytes pour garantir la
cohésion du troupeau face aux deux dangers qui menacent gravement la survie de
la grande Eglise. D'une part, la prolifération des sectes gnostiques, ésotéristes et
dualistes qui usent volontiers de symboles, de notions, voire de livres apparemment
chrétiens, mais jugés hétérodoxes sur le fond par la grande Eglise. D'autre part,
le conflit qui ne cesse de monter au IIIe siècle entre l'Eglise et l'Etat romain et
qui éclate dans des persécutions répétées, violentes, officielles et systématiques.
Le sel ne paraît pas encore dans ce jeune catéchuménat, mais celui-ci
comportait trois rites que nous retrouverons par la suite dans le baptême et qui
utiliseront d'ici peu le sel : exorcisme par imposition des mains de l'évêque,
insufflation, enfin signation. Il est capital d'en bien saisir le sens. «L'exorcisme par
imposition des mains sert à chasser définitivement l'esprit étranger qui possédait
le païen, cet esprit qui, dans la mentalité sémitique et biblique, est sa force vitale
d'homme pêcheur. Mais une fois ce souffle chassé, il faut en remettre un autre
et l'évêque souffle sur le visage, comme Yahveh le fit pour animer Adam de son
propre souffle. L'insufflation n'est donc que le rite positif faisant suite au rite
négatif de l'exorcisme» (Maertens, 94). La signation sur le nez, organe du souffle,
semble bien doubler l'insufflation. Elle est un rite d'animation par l'esprit nouveau.
En gagnant d'autres milieux culturels, à d'autres époques, tous ces rites vont
prendre un autre sens.
Au IVe siècle l'évolution politique de l'empire crée une situation toute
nouvelle pour la grande Eglise, situation qui va peser lourd sur l'institution
catéchuménale. En 311, Licinius promulgue un édit de tolérance, relayé bientôt par
Constantin en 313 avec l'édit dit de Milan. C'est la paix de l'Eglise, la
reconnaissance officielle du christianisme comme religion licite, légale, au même titre que
le paganisme et le judaïsme. Mais à la fin du siècle, Théodose 1er fait du
christianisme la religion officielle de l'Etat romain. Le christianisme catholique est
désormais la seule religion légale. La situation s'est inversée. De persécutés, les
chrétiens vont pouvoir devenir persécuteurs, s'ils le jugent utile : le paganisme
est interdit, les temples païens fermés, les droits des juifs restreints. Tout le monde
ou presque parmi les anciens païens demande le baptême. Il faut être officiellement
chrétien ! Le cœur n'y est évidemment pas toujours. On entre en catéchuménat,
mais souvent, ni décidé ni pressé de s'engager à aller jusqu'au baptême. Le
catéchuménat qui devait préparer au baptême devient une salle d'attente qui sert à
différer ! Il y a désormais des catéchumènes à vie. Pour ceux qui veulent vraiment
le baptême, l'Eglise crée un stade nouveau qui y prépare directement les
compétentes qui marquent leur volonté d'être baptisés en faisant inscrire leur nom pour
recevoir une préparation pendant le carême et le baptême aux fêtes pascales. On
instaure pour eux la discipline de l'arcane, du secret. «Face à un monde malveillant
comme celui des persécutions, l'Eglise avait mis en place la renonciation à Satan.
Face à un monde devenu trop bienveillant et humanisant la religion, elle, se défend
en instituant l'arcane. L'une et l'autre sont une séparation d'avec le monde
(Maertens, 121).
-295-

Ce catéchumènat est en gros, au IVe siècle, commun à toutes les Eglises


mais avec des variations régionales qui nous intéressent. On en saisit bien les
rites au début du Ve siècle par un remarquable traité de pédagogie chrétienne dû
à Saint Augustin, L'enseignement des débutants. Après un premier examen sur ses
motivations, on confiait le demandeur à un chrétien pour une première catéchèse
individuelle. «Cette instruction faite, il faut demander au candidat s'il croit ces
vérités et s'il désire y conformer sa vie. Une fois qu'il aura répondu oui, on devra,
selon les rites, les signer et les traiter selon la coutume de l'Eglise». (De cate-
chizandis rudibus, XXVI 50). Ils entrent dans la phase du catéchumènat qui
débouche sur le baptême, par la signation et le rite du sel. «A propos du rite
sacramentel du sel, poursuit Augustin, qui lui [au candidat] est conféré, il faudra
d'abord lui expliquer que les symboles des réalités divines sont visibles certes,
mais qu'on honore en eux d'invisibles réalités, et que par suite, ce sel, sanctifié
par la bénédiction, ne doit plus être considéré comme il l'est dans l'usage courant»
(De catechizandis rudibus, XXVI 50). Voici le sel entré dans le rituel du
catéchumènat. D'abord il reçoit le nom de sacrement qui à cette époque, a un sens
très large, nullement réduit aux sept sacrements du Moyen Âge. Le sacrement est
tout ce qui fait signe du mystère : mot, chose, personne, institution. Ensuite
Augustin introduit le sel-sacrement dans sa conception d'inspiration néo-platonicienne
des rapports du visible et de l'invisible auquel il renvoie. Enfin, Augustin se soucie
d'éviter la confusion entre cet usage sacré et les usages profanes du sel. C'est
donc que la confusion était possible, voire tentante, parce qu'apparemment l'Eglise
d'Afrique a emprunté au milieu ambiant ce rite qui aux IV- Ve siècles ne se trouve
encore que dans le christianisme africain. Exemple de christianisation d'un usage
profane et d'inculturation du christianisme dans la culture ambiante : un trait de
mœurs est devenu un sacramentum. Le même processus, mais en sens inverse, se
produit dans cette même Afrique à la même époque pour la signation. A l'origine,
rite d'animation, d'insufflation d'un esprit nouveau pour celui qui change de monde
en changeant de communauté, elle devient en Afrique du nord un symbole
d'incorporation, le geste se transformant en marque d'appartenance : de nombreux
chrétiens africains semblent s'être fait tatouer une croix ou des croix sur le visage.
Mais à quelle réalité invisible renvoyait le signe du sel ? Augustin n'y fait
qu'une allusion «Bien que ce ne soit pas le corps du Christ, il [le sel] est saint
cependant, plus saint que toute autre nourriture, parce qu'il est un sacramentum»
(Des mérites des pêcheurs II 26, 42). Augustin en fait donc un sel-nourriture donné
aux commerçants, qui leur annonce et les prépare, en leur ouvrant l'appétit
spirituel, à la vraie nourriture chrétienne qu'ils recevront aussitôt après le baptême,
l'eucharistie. Donc un avant-goût et un acompte en quelque sorte. Mais pour bien
saisir le sens de ce sel, il faudrait savoir comment et quand il était donné aux
catéchumènes : une seule fois ou à chaque rencontre, sous quelle forme était-il
consommé ? Maertens veut y voir un pain salé (p. 124). Ou était-ce du pain
donné avec du sel ou du sel seul ? Donner le sel aux catéchumènes serait un
geste d'accueil, d'hospitalité, peut-être chargé de la connotation d'alliance. Dans
l'incapacité où nous sommes de saisir la genèse du rite en milieu africain, s'il
vient d'un usage berbère ou juif, on peut tenir soit pour le sel-nourriture soit pour
le sel-hospitalité qui du reste se recoupent largement.
-296-

Enfin, ce sel du catéchuménat qui est d'abord un rite prévu pour des adultes
et n'a guère de sens en dehors d'un adulte qui le consomme, on commence à
l'utiliser pour les enfants et même les nourrissons. Le témoignage d'Augustin sur
son propre cas nous garantit que c'est chose faite au milieu du IVe siècle (Augustin
est né en 354). Le baptême des enfants se répand de plus en plus dans une société
qui devient chrétienne. On va leur appliquer presque sans changement des rites
adaptés à des adultes, au risque d'en obscurcir encore plus le sens. Le sens du
sel du catéchuménat va être une des victimes de choix de ce processus qui
s'accélère au Haut-Moyen Âge, à Rome et en Gaule.

2. Haut-Moyen Âge : de Rome à la Gaule : le sel entre deux mondes


Le Sacramentaire de Gélase 1er atteste que le sel du catéchuménat est déjà
arrivé à Rome au VIe siècle. Mais aux V-VI* siècles s'accélère le déclin de
l'institution catéchuménale privée de sa fonction première par l'évolution religieuse
de la société latine. A partir de 500 environ, le rituel des adultes sert de plus en
plus à des tout petits enfants. On bloque en un seule cérémonie des rites
d'admission au catéchuménat, le rite d'inscription du nom qui faisait les compétentes
et le baptême lui-même. Au VIe siècle, le baptême des enfants est devenu la règle
et le catéchuménat achève son déclin à la fin de ce siècle (Chavasse, 166). Comme
la liturgie est intrinsèquement conservatrice, on observe tous les rites de l'initiation
chrétienne, mais bloquée juste avant le baptême comme ils le seront jusqu'au
milieu du XXe siècle. On garde ceux qui sont signifiants, mais le seul fait de les
regrouper, de les concentrer, alors qu'ils avaient été conçus pour marquer les étapes
d'un parcours et d'une conversion étalée dans le temps suffirait à perturber
profondément leur signification. Un seul texte nous permettra de mesurer la
transformation des significations du sel désormais baptismal : La prière de bénédiction
récitée par le prêtre : «Je t'exorcise créature du sel, au nom de Dieu le Père tout
puissant, par la charité de Notre Seigneur Jésus-Christ et par la force de PEsprit-
Saint, par Dieu qui t'a créé pour la protection du genre humain et qui a ordonné
de te consacrer par ses serviteurs pour son peuple qui viendrait à la foi; pour
qu'au nom de la Sainte Trinité tu deviennes un sacramentum salutaire qui mette
en fuite l'ennemi. Nous te prions donc Seigneur Notre Dieu pour que tu sanctifies
cette créature du sel par ta sanctification, que tu la bénisses par ta bénédiction,
qu'elle devienne pour tous ceux qui la recevront un remède parfait demeurant
dans leurs entrailles, au nom de Jésus-Christ Notre Seigneur qui viendra juger les
vivants et les morts par le feu» (10). Puis le prêtre mettait le sel sur le bouche
de l'enfant : «Reçois le sel de la sagesse pour que le Seigneur te soit propice
dans la vie éternelle». Et il concluait par une oraison : «Dieu de nos pères, daigne
regarder ton serviteur (ta servante) avec bonté, ne laisse pas plus longtemps pri-
vé(e) de ta nourriture céleste celui (celle) qui vient de goûter cette première
nourriture du sel, mais restaure par l'aliment spirituel celui qui a faim, de sorte qu'il
soit toujours dans la ferveur de l'esprit divin, la joie de l'espérance, le service de
ton Nom» (Chavasse, 94; Maertens, 197).

(10) Outre Chavasse, voir : Liber Sacramentorum Romance Ecclesiœ Ordinis Anni Circuli.
Herausgegeben von Léo C. Mohlberg. Rome 1960. Chapitres XXI-XXXII. Maertens op. cit.,
pp. 190, 191.
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Avec le sel-sacrement et qualifié de première nourriture, nous retrouvons


bien la doctrine d'Augustin sur le sel catéchumènal, préambule au repas
eucharistique. Mais des valeurs nouvelles apparaissent. Le sel de la sagesse et le sel-
remède (perfecta medicina). Ce sont des emprunts à la culture romaine. Ces deux
significations étaient chez Pline, on s'en souvient. Mais elles sont ici insérées
dans une pensée différente. La sagesse nous emmène vers la métaphore allégori-
sante chère à la métaphysique néo-platonicienne, tandis que le remède doit agir
très matériellement en se fixant aux viscères. Les significations du sel se
distribuent dans un dualisme anthropologique de l'âme et du corps : le sel-sagesse pour
l'âme et le sel-médecine pour le corps. Il n'est que très normal que le rite chrétien
se cultive auprès du monde latin, mais malgré l'emprunt de thèmes, ce n'est plus
la culture du temps de Pline. Pline parlait du sel à l'intérieur d'une vision réaliste
du monde et séculière. Ici, les mêmes images sont captées dans une vision
entièrement religieuse. Mais ce n'est pas non plus la religion de Plutarque avec sa
divinisation du sel, mais bien son contraire. En effet, cette vision religieuse est
désormais profondément scindée, clivée par un personnage qui va se faire de plus
en plus envahissant, le Diable. Certes le sel garde ses qualités intrinsèques de
nourriture, de remède, de sagesse et ses qualités sont conçues en termes aussi
naïvement réalistes que chez Pline, mais le sel est désormais une créature et comme
tout le créé, depuis la chute, il est tombé sous l'emprise du Malin. Pour que les
qualités naturelles du sel puissent retrouver leur efficience de nature, il faut
préalablement les soustraire au maléfice surnaturel qui les neutralise ou les pervertit.
Le sel a pouvoir de faire «fuir l'ennemi», formule appelée à un beau succès, mais
à condition de le purifier d'abord lui-même. La prière de bénédiction n'est plus
une louange rendue à Dieu pour les bienfaits de la création et de l'histoire comme
dans la tradition liturgique juive ou du christianisme primitif, elle est devenue un
exorcisme, une sorte d'incantation, un rapport de forces, elle dramatise le combat
du bien et du mal (voir les rythmes ternaires, les répétitions à effet d'assonance)
où le rôle du prêtre spécialiste du sacré devient prépondérant. Déplacement capital,
l'exorcisme qui dans l'initiation chrétienne ancienne visait le souffle et le cœur
du néophyte se double maintenant d'un exorcisme sur la chose même du sel.
L'exorcisme va contaminer tout le rite et le sel lui-même. On voit la double
réduction qui s'engage. Le catéchumènat se réduit à une introduction au baptême
et tous ces rites sont devenus des exorcismes. Il était inévitable qu'en changeant
de culture, on change aussi de cosmologie et d'anthropologie et donc que les rites
changent de sens. L'exsufflation-insufflation, rite judéo-chrétien de nouvelle
création du souffle intérieur, de l'esprit dans celui qui change de communauté, devient
une rupture avec le mode satanique. Le sel est enrôlé dans la bataille. Les rites
bloqués ensemble ne ponctuent plus l'évolution intérieure d'une personne qui se
transforme dans le temps de son histoire, il devient un moment dans une sorte de
guerre intemporelle du bien et du mal où s'estompe la liberté humaine. Un hyper-
spiritualisme qui pourrait filer vers le dualisme se joint à un hyperréalisme qui
peut confiner à la magie.
Dans cette vision du monde et de l'homme en voie de dislocation, le
christianisme de plus en plus cléricalisé doit assurer la médiation. L'Eglise est devenue
plus un pouvoir qu'une communauté. Le sel de l'hospitalité et du partage a disparu.
On vient à l'Eglise moins pour chercher une communion et l'amorce d'un monde
-298-

nouveau que pour trouver la tutelle d'un protecteur face à un monde dangereux.
Maints facteurs ont contribué à cette nouvelle configuration où s'insère désormais
le sel du baptême. Ne pouvant les analyser ici, on les citera pêle-mêle : le recul
de la grande culture écrite dans tout l'Occident romain, la montée d'un
fondamentalisme biblique nullement incompatible avec l'allégorie, une culture de
compilation qui cherche à sauver les débris du naufrage, la pratique elle-même du
baptême des enfants justifiée par l'universalité et la gravité du péché originel,
lui-même référé au Diable, les malheurs de la Romania, la désagrégation de l'Etat
impérial à la suite des invasions, le lent déclin de l'Italie et de la ville de Rome,
tête et cœur de la civilisation latine, déclin inexorable depuis le IIIe siècle. Tous
ces facteurs suffiraient à rendre compte de cette vision pessimiste de l'histoire et
de l'homme en marche vers une insurmontable décadence, n'était, seule surnageant,
l'Eglise Romaine devenue une forteresse contre les malheurs des temps.
Pratiques et textes romains vont gagner la chrétienté latine. En Gaule où la
manducation du sel était silencieuse, on s'aligne sur l'usage romain et au VIIe
siècle se retrouvent exsufflation, signation, bénédiction et manducation du sel
comprises comme à Rome. Charlemagne, désireux d'unifier la liturgie de son
empire, recevra du pape Hadrien (784-791) un manuscrit du sacramentaire grégorien
qui daterait du pape Honorius (625-638). De cette politique de Charlemagne, il
sortira, plusieurs siècles après, en milieu germanique, de nouvelles synthèses
liturgiques, fort expressives des mentalités, où notre sel trouve des usages accrus.

3. En Germanie vers l'an mil : le Diable et le bon sel


Vers 950, entre l'apparition du Saint-Empire Romain Germanique et la
Renaissance Ottonienne, le scriptorium liturgique de saint Alban de Mayenne réunira
dans une imposante compilation les documents du cérémonial en vigueur à cette
époque. Il en est issu le Pontifical romano-germanique (Vogel et Reinhardt, II).
Il reprend les formules d'exorcisme du sacramentaire grégorien pour le sel du
baptême (id., II : 156). Voici la bénédiction commune du sel : «Seigneur Dieu,
créateur de toutes les créatures et artisan de toute la nature, Toi qui es le maître
de ce qui donne la vie, l'origine des nations et la force de ce qui est utile, Toi
dont la prudence, par le feu céleste a solidifié les eaux fluides en cette créature
amie, pour que mélangée aux autres usages humains, elle donne du goût, et,
incorruptible, conserve pour un plus long usage, donne-lui, Seigneur nous t'en prions,
cette substance venue de ta bénédiction, pour que dans toutes les entrailles où
elle pénétrera, elle mette en fuite et chasse toute l'erreur que le mélange de
tromperie maligne et de tentation diabolique y aura introduit, si bien que, toute infection
due à notre ennemie étant chassée, il ne reste dans l'homme que ce qui a été fait
par toi» (id., II : 333).
La quantité de maux physiques, moraux, mentaux, de calamités naturelles
comme de maladies qui accablent cette humanité démunie d'analyse et de
technologie se ramène finalement à une cause unique : Satan. La langue française ne
porte-t-elle pas encore la trace de cet amalgame dans l'évidente parenté des mots :
mal, malheur, maladie, malice, méfait qui, pour les hommes de ce temps,
proviennent tous du Diable, conçu comme le malfaisant et le malin, car il n'agit que par
ruse, tromperie, fraude, dissimulation. Ennemi universel, mais voilé, masqué, tapi
-299-

et donc insaisissable. Dans ce combat cosmique, somatique et psychique du bien


et du mal, de la vie et de la mort, de la santé et de la maladie, du bonheur et du
malheur, le sel est un allié de choix, mais à condition de le purifier. Bon parce
que créé par Dieu, il faut d'abord s'assurer qu'il n'est pas frelaté par le Diable.
Pour qu'il exorcise, il faut qu'il soit exorcisé. Le sel du baptême qui n'avait
d'abord rien à voir avec l'exorcisme, est maintenant complètement contaminé par
lui. «C'est pourquoi, poursuit l'oraison, exorcise ce sel, pour évacuer et chasser
l'ennemi, sa puissance et sa corruption...» Corruption traduit ici putritudo la
pourriture, la putréfaction, le destin du cadavre, la hantise de la décomposition qui
peut gagner le corps social lui-même. Face à cette contagion, on va chercher dans
la Bible toutes les allusions au sel, quel qu'en soit le sens : sagesse, conservation,
purification; il s'agit de faire barrage.
Le plus frappant, c'est que le sel redevient une panacée, peut-être même la
panacée. Le sel du baptême n'est plus qu'un cas parmi d'autres. On mélange le
sel béni à l'eau bénite pour la rendre plus efficace, on l'emploie pour les maladies
des yeux (id., II : 341), pour les hommes comme pour les bovins (id., II : 343).
Mêlé à de l'eau bénite et à de la cendre, on procède avec lui à un véritable
nettoyage lors de la dédicace d'une église (id., I : 84). Limitons-nous au sel béni
pour la consécration d'une statue; ce cas nous met au cœur d'une mentalité
magique. «Exorcise ce sel pour expulser et chasser de cette statue d'église (ab hoc
ecclesiae signo), l'ennemi et sa puissance de corruption (putretudinis) et que tous
ceux qui te [le sel] prendront soient sanctifiés dans leurs âmes et leurs corps et
que partout où tu seras répandu (aspersum), tu donnes à tous le pardon des péchés,
la santé de l'esprit, la protection du salut» (id., II : 194). Le christianisme
théoriquement héritier de la condamnation biblique de l'idolâtrie et donc de son ani-
conisme (horreur des images) a fini par reconnaître nécessaires les images, mais
avec méfiance. S'ajoute à ce malaise l'univers angoissé et angoissant du double,
typique de la mentalité magique. Le Malin se déguise toujours, il trompe par des
leurres, des faux-semblants... S'il se cachait dans la statue qu'on vient prier ?
Vieille crainte issue sans doute de la vielle religion germanique. Le sel ici aide
à retrouver... le réel ! Il aide à chasser le sortilège, donc l'illusion. On l'emploie
donc pour guérir les fous, ceux qui sont «vexati», littéralement dérangés par le
Diable (id., I : 185), victimes des «prestiges de l'ennemi», de toutes les espèces
de monstres et des imaginations (fantasias) et autres oppressions physiques et
mentales (gravedines). Le Satan de la Bible vient d'hériter des mauvais esprits de
notre préhistoire.
Ce Haut-Moyen Âge a joué un rôle capital dans la fixation de valeurs et de
rites en route depuis la Basse Antiquité et qui semblent s'achever dans ce milieu
germanique «dont la mentalité rejaillira souvent sur la conception des rites
existants et dans la formation de nouveaux rites plus expressifs de sa sensibilité»
(Maertens). Les effets de cette inculturation nouvelle seront durables par delà la
Réforme luthérienne. L'influence de ces pontificaux sera énorme. Le Pontifical
Romain-germanique était toujours à la base du pontifical et du rituel en usage
dans l'Eglise catholique jusqu'en 1961 (Vogel et Reinhardt, III : 5). On en
trouvait l'écho dans le rite d'entrée que nous avons décrit au début de cet article, où
l'imposition du sel s'accompagnait de la prière suivante : «Ecartez de lui tout
aveuglement, brisez tous les liens par lesquels Satan le tenait attaché. Ouvrez-lui
-300-

la porte, Seigneur, dans votre miséricorde. Qu'imprégné du sel, symbole de votre


sagesse, il ne soit pas atteint par l'infection des passions mauvaises...» {Rituale
parvum...). C'est bien le sel de la sagesse cher à la culture latine, mais associé à
la fonction d'exorcisme, avec peut-être moins de magie que dans le Pontifical
romano-germanique, mais plus de moralisme. Satan tire les ficelles par les
mauvaises passions. En imposant le sel : «N..., recevez le sel de la sagesse, qu'il vous
purifie pour la vie éternelle», et enfin dans l'oraison conclusive : «nous vous
supplions de regarder avec bonté votre serviteur N... qui vient de goûter ce premier
aliment sacré, le sel...» Nous retrouvons le sel-sagesse et le sel-nourriture chers
à l'Antiquité et à Augustin et intégrés depuis le gélasien. Mais la nourriture ne
sert pas à vivre ni la sagesse à penser, mais d'abord à chasser l'infection.

III. - DERNIERS DEVELOPPEMENTS

Paradoxes
«II est grotesque, concluait un spécialiste de la liturgie, de déposer un peu
de sel sur la langue d'un adulte. Pourquoi ne lui présenterait-on pas le récipient
de sel ?... On laisserait la prescription de mettre le sel sur la langue uniquement
au rituel des enfants, si du moins il faut maintenir le rite à ce niveau» (Maertens,
299). Dès 1962, le rituel du baptême des adultes dissociait le sel du rite d'entrée,
invitait l'adulte à se servir lui-même pour manger le sel éventuellement à
l'occasion d'une cérémonie à part. Mais le sel du baptême était menacé. Finalement, à
notre connaissance, il a disparu purement et simplement, sans trace et sans
remplaçant, aussi bien du rituel des adultes que de celui des enfants (11).
Certains ne manqueront pas d'attribuer ce fait, pour l'en louer ou l'en blâmer,
au grand vent de réformes qui a secoué tant de rites catholiques avant, pendant
et plus encore après le second concile du Vatican. Ceux qui voient les courants
plus profonds sous les vagues des événements estimeront que l'œcuménisme
chrétien du XXe siècle, succédant aux débats séculaires entre catholiques et protestants,
appelait, voire exigeait une sérieuse révision des rites et de celui-ci en particulier.
Même si l'on pouvait se mettre d'accord sur ce point, les jugements de valeurs
divergeraient cependant, car les uns verront dans la disparition du sel du rituel,
une purification, la fin d'une superstition ou d'un risque de superstition, ou encore
d'une étrangeté peu compréhensible, d'autres y verront encore en revanche la perte
d'une tradition plus que millénaire.
Notre propos étant simplement d'histoire, on se contentera de constater que
le symbole supprimé du sel n'a été remplacé par aucun autre. Il ne s'agit pas de
défendre le sel en soi. Aucun symbole du reste n'est défendable a priori puis-
qu'aucun n'est de valeur universelle. Mais il s'agirait de s'interroger sur le devenir
de la symbolisation dans notre société et notre culture modernes. Les sujets d'é-
tonnement ne manqueraient pas. Pourquoi le sel, qui avait été d'abord le sel du
catéchuménat, disparut-il précisément à l'occasion d'une réforme liturgique qui

(11) Voir Rituel de baptême des petits enfants. Madame Tardy 1969.
-301 -

entendait restaurer le catéchuménat (Rituel du baptême) ? Le sel avait-il épuisé


son sens ? Pourquoi se voit-on, dans la civilisation occidentale, contraint d'en
finir avec des gestes séculaires, au moment où, ce même Occident qui a subjugué
le monde, sent enfin l'urgence de recueillir, de comprendre et parfois de tenter
de sauver avec toutes les ressources du savoir les symboles des autres cultures ?
Est-ce parce qu'il les sait condamnés comme les siens et sans doute par son fait ?
Pour comprendre la symbolique des autres, faut-il être sorti de la sienne ?
Individus, groupes, sociétés, états, cultures ou civilisation, doit-on se passer de
symboles ? Le voudrait-on, est-ce possible ? La «panne du symbolique» n'est-elle
qu'une «panne» ou la fin d'un monde (et donc le commencement d'un autre) ?
On le voit, à la condition de le prendre lui-même cum grano salis, le sel pourrait
finir par nous introduire à de redoutables questions à force d'être actuelles.

BIBLIOGRAPHIE

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