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L'Église orthodoxe

Olivier Clément
Professeur de théologie morale et d’histoire de l’Église à l’institut Saint-Serge † 2009

Avec le catholicisme romain et les Églises issues de la Réforme, l'Église orthodoxe est une des
trois expressions majeures du christianisme. Elle compte environ deux cents millions de baptisés ;
comme le catholicisme, elle est issue de la Pentecôte et du témoignage des Apôtres. Si les
historiens datent de 1054 la séparation de l'orthodoxie et du catholicisme – on disait autrefois les
Grecs et les Latins – ils considèrent plutôt cette date comme l'aboutissement d'un lent processus
qui a duré du XIe au XIIIe siècle. Olivier Clément a consacré de nombreux ouvrages à
l'orthodoxie dont l'Église orthodoxe (Que sais-je ? 2002) ; il nous donne ici quelques principes
d'histoire et de théologie qui permettent de mieux comprendre cette Église orthodoxe dont nous
admirons les trésors lors de nos voyages.

Son rayonnement dans le monde

Pour les orthodoxes, l'Église universelle se manifeste en plénitude dans chaque communauté
eucharistique, autour de l'évêque qui témoigne de cette continuité apostolique. La communion des
évêques se structure en Églises « autocéphales », interdépendantes, dont chacune désigne
librement son primat. Une Église autocéphale est généralement présidée par un « patriarche ». À
l'origine espaces de civilisation, la plupart de ces patriarcats sont devenus depuis deux siècles des
« Églises nationales ». Le patriarche de Constantinople ou patriarche « œcuménique » est investi
d'une primauté d'honneur depuis que l'Orient et l'Occident chrétiens se sont séparés.

On appelle parfois l'Église orthodoxe, 1'« Orient chrétien »  dans la mesure où elle s'est
développée dans la partie orientale de l'Empire romain. Elle englobe une part non négligeable des
Arabes du Moyen-Orient, la plupart des pays balkaniques, la Roumanie, – orthodoxie « latine » –,
une partie du Caucase et les grandes Églises slaves, serbe, bulgare, ukrainienne, polonaise et
surtout l'Église russe. La nécessité économique et surtout les tragédies de l'histoire – révolutions
communistes, effondrement de la Grèce d'Asie, troubles du Moyen-Orient… – l'ont amenée à
s'implanter dans l'Occident entier, de l'Europe de l'Ouest aux Amériques et en Australie. En
France, on compte environ deux cent cinquante mille baptisés. Les missions orthodoxes ont été
vigoureuses : mission byzantine jusqu'au cercle polaire, mission russe pré-révolutionnaire à
travers la haute Asie jusqu'au Pacifique nord. Elles reprennent aujourd'hui en Afrique noire, dans
le cadre du patriarcat d'Alexandrie.

Il existe aussi des Églises seulement « autonomes » dont le primat est confirmé ou désigné soit par
1' « Église-Mère » – les Églises d'Ukraine et du Japon, par exemple, sont sous l'autorité du
patriarcat de Moscou – soit par le patriarcat œcuménique comme en Crète, en Finlande ou en
Estonie. De ce point de vue, une situation particulièrement complexe en Ukraine oppose
Constantinople et Moscou.

Par contre l'importante « diaspora » contemporaine n'a pas encore trouvé un statut canonique et les
« juridictions » qui représentent les Églises d'origine s'y affrontent. Des Églises locales plus ou
moins autonomes, polyethniques et pluriculturelles semblent s'y préparer, notamment aux
États-Unis et en France.

L'Église orthodoxe en France

L'importance du témoignage de l'Église orthodoxe en France et dans les pays voisins dépasse de
beaucoup le nombre limité de ses fidèles. Au début du XXe siècle, la Russie connaissait un
puissant renouveau spirituel, intellectuel et artistique et c'est une élite de théologiens et de
« philosophes religieux » qui s'est retrouvée à Paris, surtout à l'institut Saint-Serge, fondé en 1925.
Un Berdiaev, un Boulgakov, un Chestov ont pu ainsi mener à bien leur œuvre. La génération
suivante, née avec le siècle, écrivant directement en français, a réalisé la puissante synthèse
« néopatristique », – en référence aux Pères de l'Église du premier millénaire – et « néo-palamite »
– du nom de saint Grégoire Palamas, grand théologien byzantin du XIVe siècle. Cette synthèse est
devenue aujourd'hui l'enseignement commun de l'orthodoxie tout entière. Mentionnons, entre
autres, Vladimir Lossky pour la théologie dogmatique et Léonide Ouspenky pour celle de l'icône.
Après 1950, les pères Schmemann et Meyendorff ont permis à 1' « École de Paris » d'essaimer
aux États-Unis. Parallèlement le père Sophrony, disciple du starets Silouane, et le père Lev Gillet,
un Français de vieille souche, ont actualisé la spiritualité monastique traditionnelle. Aujourd'hui,
si la tradition « russe » de saint Serge continue avec le doyen de l'institut, le père Boris
Bobrinskoy, la nouvelle génération de théologiens, à Paris mais aussi en province, en Suisse
romande et en Belgique, se compose uniquement d'Occidentaux convertis à l'orthodoxie.

Les fondements de la foi orthodoxe

Tandis que l'orthodoxie restait partiellement fidèle à 1'ecclésiologie de communion du premier


millénaire, le catholicisme majorait de plus en plus le rôle du pape, ce qui conduira à la révolte du
protestantisme au XVIe siècle. À cela s'est ajoutée une grave difficulté théologique concernant
1'origine et le rôle du Saint-Esprit qui procède du Père et du Fils, filioque, selon l'Occident, du
Père seul ou du Père par le Fils selon l'Orient.

La foi orthodoxe se fonde sur l'Écriture et sur les diverses expressions de la Tradition, qui est la
vie du Saint-Esprit dans le Corps du Christ. Parmi ces expressions, les plus importantes sont les
écrits des Pères de l'Église et des grands théologiens byzantins. La règle de foi elle-même se
concentre dans les définitions des sept conciles œcuméniques qui ont suggéré le mystère de
La Trinité – Nicée I, 325 ; Constantinople I, 381 – et celui de la divino-humanité du Christ –
Ephèse, 431 : Marie « Mère de Dieu » ; Chalcédoine 451 ; Constantinople II, 553, Constantinople
III, 680 ; Nicée II, 787 : l'icône.

Au cœur du message, la mort-résurrection du Dieu-homme qui porte en lui toute l'humanité. Avec
celle-ci, le Christ descend dans la mort et dans l'enfer pour les anéantir, pour nous ouvrir les voies
de la résurrection et de la transfiguration de l'univers. L'Église-eucharistie fait de nous à la fois des
pécheurs pardonnés et des créateurs créés car « Dieu s'est fait homme pour que l'homme puisse
devenir Dieu ». Le Christ-Esprit révèle que Dieu est simultanément unité absolue et diversité
absolue, Uni-Trinité, source de toute communion. De même en effet il existe un seul Homme,
dans la diversité irréductible des personnes. La puissance de Dieu est celle de l'amour. Il est donc
crucifié sur tout le mal du monde mais permet à ceux qui s'enracinent en lui par la confiance,
l'humilité, la créativité, de devenir des témoins de la résurrection, des artisans du Royaume de la
Vie déjà secrètement présent dans la profondeur de l'Église et de toute existence.

Sous bien des scories, l'Église est le Corps du Christ, le Temple du Saint-Esprit, la Maison du
Père, la source maternelle d'une infinie miséricorde.

C'est pourquoi, d'ailleurs, les prescriptions de l'Église sont toujours adaptées aux situations
personnelles par ce qu'on appelle 1'« économie ». Ce mot, qui désigne la relation de Dieu avec sa
création, souligne la portée existentielle de toute règle qu'elle peut relativiser. C'est ainsi que les
divorcés-remariés peuvent être réadmis à la communion eucharistique, la décision ultime revenant
à l'évêque. Comme dans l'Église primitive, un homme marié peut être ordonné prêtre. Par contre,
depuis le VIIe siècle, les évêques se recrutent en principe parmi les moines.

La liturgie, le monachisme, l'art de l'icône

Le message pascal – de joie pascale – s'inscrit dans une ample et complexe liturgie, dans une
hymnographie foisonnante qui entrecroise les cycles journaliers, hebdomadaires, les fêtes fixes et
le cycle proprement pascal. Chaque dimanche, premier et huitième jour de la semaine est le jour
eucharistique par excellence.

Unie pour la date de Pâques et le cycle pascal, l'orthodoxie, pour les fêtes fixes, reste divisée entre
le calendrier grégorien, comme en Grèce ou en Roumanie, et le calendrier julien, en retard de 13
jours : c'est ainsi que l'Église russe, l'Église serbe et celle de Jérusalem célèbrent la Noël le
7 janvier, c'est-à-dire le 25 décembre selon le calendrier julien.

Le monachisme, dont la place est essentielle dans l'Église comme exemple et comme intercession,
a mis au point une méthode de contemplation, « art des arts et science des sciences »,
partiellement exposée dans un ample recueil de textes spirituels, la Philocalie ou « amour de la
beauté ». Cette méthode, qui utilise les rythmes du corps pour faciliter l'union de 1'intelligence et
du cœur profond, comporte trois grandes étapes : la praxis, la « pratique », qui permet d'accéder à
la paix et au silence intérieurs ; la théorla physikè ou contemplation de la nature qui conduit à
aimer Dieu à travers sa création ; la théosis, la « déification », vision transformante de la lumière
divine. Le père spirituel, guide nécessaire, est un spirituel qui a parcouru cette voie et reçu la grâce
de lire dans les cœurs et de pouvoir dire une parole de vie.

L'icône est le seul art traditionnel qui subsiste dans le monde chrétien. Peinte selon des règles
précises, elle peut représenter une personne, une scène – le plus souvent décrite par l'Écriture – ou
un symbole : ainsi la célèbre icône de Roublev représente l'hospitalité d'Abraham pour évoquer
La Trinité. Elle fait surgir des visages pénétrés d'une vivante éternité.

Au risque de la modernité

Après trois quarts de siècle d'écrasement totalitaire, l'Église orthodoxe se remet difficilement.
Au-delà de la fusion parfois messianique ou de l'écrasement, elle a du mal à préciser ce que serait
une relation libre avec l'État ; il lui est aussi difficile de surmonter le nationalisme religieux,
pourtant condamné par le concile de Constantinople de 1872. Dans son vieux rêve de tout
englober, elle a du mal à accepter la modernité et à dialoguer avec les autres chrétiens et les autres
religions, avec le risque de s'enfermer ainsi dans le ritualisme. Elle fait de l'âge patristique une
sorte d'âge d'or dont il faudrait seulement répéter les formulations. Il lui est difficile d'envisager
lucidement ses propres problèmes, dont les plus graves sont sans doute la désignation de
l'épiscopat et le nationalisme religieux. Pourtant elle recèle des trésors de sainteté et de beauté,
elle a donné au XXe siècle des martyrs par milliers. Il faut la connaître avec le cœur.
Olivier Clément
Mars 2002
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Bibliographie

L’idée russe, une autre vision de l'homme


Tomás Spidlík
Ed. Fatès, Troyes, 1994

Le lieu du cœur. Initiation à la spiritualité de l’Église orthodoxe


Elisabeth Behr-Sigel
Paris, Cerf, 1989.

L’Église orthodoxe
Olivier Clément
Que sais-je ?
PUF, Paris, 2002

Les Religions des hommes : l’Église orthodoxe


Olivier Clément
Paris, Cerf - Magnard, 2000.

L’orthodoxie, l’Église des sept conciles


Kallistos Ware
Desclée de Brouwer, Paris, 1998

Le royaume intérieur
Kallistos Ware
Paris, Cerf - Le Sel de la Terre, 2000

L’icône, sens et histoire


Mahmoud Zibawi
Desclée de Brouwer, Paris, 1993

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