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Lumiere Du Thabor, No. 20

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LUMIÈRE DU THABOR

Bulletin des Pages Orthodoxes La Transfiguration Numéro 20 ● novembre 2004

LA MORT ET LA VIE
DU SIÈCLE À VENIR
COMMENTAIRE DES ARTICLES XI ET XII
DU SYMBOLE DE FOI DE NICÉE-CONSTANTINOPLE

par Mgr Pierre L’Huillier


J’attends la résurrection des morts et la vie du siècle à venir.
LA MORT ET LA VIE L’élément eschatologique est fondamental dans le christianisme. C’est cette orien-
DU SIÈCLE À VENIR tation vers une « fin » qui lui donne son caractère propre. Perdre cela de vue, c’est
1 / Articles XI et XII risquer de fausser intégralement le message évangélique, c’est réduire la Révéla-
du Symbole de Foi tion à une éthique conformiste. Tandis que pour la philosophie hellénique, à cause
par Mgr Pierre L’Huillier de sa conception cyclique du temps, la résurrection des morts n’avait aucun sens,
3 / De la Mort à la Vie : le christianisme, concevant d’après la Bible le temps comme linéaire, donne à
Le Mystère de l’Au-Delà cette croyance toute sa signification. On remarquera aussi, si l’on examine bien le
dans la Tradition orientale cadre dans lequel elle est située, que l’idée platonicienne de l’immortalité de l’âme
par Paul Evdokimov est très éloignée du dogme chrétien de la survie de l’homme. (suite page 2)
8 / La Béatitude consommée __________________________________________________________________
de la Vie éternelle
par Myrra Lot-Borodine DU FOND DU CŒUR
10 / La Question Extrait d’une prière d’intercession pour les défunts, en forme d’acathiste,
du Purgatoire
composée pendant la période stalinienne par un évêque russe,
par Jean-Claude Larchet
confesseur de la foi, dans un camp de déportation, où il devait mourir.
12 / La Seconde Mort
par Alexis van Bunnen Pour sauver de la damnation Adam déchu et tout le genre humain, tu as ouvert par
la Croix et la Résurrection de ton Fils le chemin de la vie éternelle. Confiants en ta
15 / Christianisme miséricorde, nous t’implorons d’accorder à nos défunts un règne de gloire. Sei-
et Réincarnation
gneur, réjouis les âmes épuisées par les orages de la vie, fais-leur oublier les afflic-
par Paul Ladouceur
tions terrestres, et accueille-les parmi les anges et les saints.
18 / Parler de la Mort
aux Mourants Seigneur, ô Amour ineffable, souviens-toi de tes serviteurs défunts !
par Mgr Antoine Bloom Nous sommes responsables des souffrances du inonde, des maladies et des tour-
20 / Prions pour les Pécheurs, ments des enfants, car la faute originelle et nos péchés ont détruit la beauté de la
les Impies, les Infidèles création. Ô Christ, le plus grand des martyrs innocents, toi seul as le pouvoir de
et Ceux qui sont aux Enfers pardon absolu : restitue au monde son ancienne splendeur, et morts et vivants goû-
par Jean-Claude Larchet teront le repos en chantant : Alléluia !
22 / Dernière prière Rédempteur de l’univers, Amour infini, nous entendons le cri de compassion tom-
de sainte Macrine bé du haut de la croix en faveur de tes ennemis : « Mon Père, pardonne-leur ! »
23 / Pour aller plus loin Aussi nous prenons l’audace de demander au Père céleste le repos éternel de tes
ennemis et des nôtres, qui ont versé le sang innocent, rempli de douleur notre vie
24 / Saint Élie Fondaminski
ou édifié leur prospérité sur les larmes de leur prochain. Répands tes faveurs sur
27 / À propos de les victimes de nos offenses involontaires.
Lumière du Thabor
Seigneur, ô Amour ineffable, souviens-toi de tes serviteurs défunts !
Lumière du Thabor Numéro 20 ● novembre 2004 Page 2

Le symbole de foi emploie une expression extrêmement tion : On sème un corps psychique, il ressuscite un
caractéristique : « J’attends la résurrection des morts ». corps spirituel (1 Co 15,11) ; certes le corps ressuscité
En grec, le verbe employé est prosdokô ; il a un double et le corps enseveli sont le même sujet, mais leur mode
sens qu’il est difficile de rendre en traduction : d’une d’être est différent. Pour bien comprendre cela, il ne
part il évoque l’idée d’une attente subjective ; en l’oc- faut pas perdre de vue ce que signifie pour saint Paul la
currence cela se rapporte à l’attente impatiente des catégorie du spirituel, qui est liée à celle du divin. Le
croyants dont nous trouvons l’écho à la fin de l’Apo- corps spirituel c’est le corps transfiguré par la grâce. De
calypse (Viens, Seigneur Jésus ! Ap 22, 20), d’autre même, en effet, que c’est en Adam que tous meurent,
part le verbe prosdokô a un sens objectif : savoir qu’un ainsi aussi c’est dans le Christ que tous seront vivifiés
événement inéluctable, bon ou mauvais, va survenir. La (1 Co 15,22). La Résurrection du Christ est la prémice
résurrection n’est pas simplement un pieux espoir, elle de la résurrection des morts (ibid., 20). La vie du chré-
est une certitude qui conditionne la foi chrétienne. tien doit être pénétrée de cette certitude ; c’est pourquoi
D’ailleurs, si elle étonnait les païens (Ac 17,32), celle les croyants doivent dans ce siècle se conduire en en-
croyance paraissait normale à la plupart des Juifs (Jean fants de lumière (Ép 5,8) ; la participation à la Sainte
11,24), encore que les Sadducéens l’eussent rejetée. Elle Eucharistie constitue les arrhes de la vie éternelle,
trouvait ses fondements dans l’Ancien Testament (voir, comme cela est si souvent rappelé dans la Liturgie.
par exemple, Éz 37,1-14). Ce qui est nouveau, dans la C’est en effet dans le sacrement de l’Eucharistie que
foi chrétienne. c’est que l’espoir de la résurrection bien- l’accent eschatologique est, peut-être, le plus fortement
heureuse est lié à l’œuvre rédemptrice de Jésus Christ : marqué ; la Sainte Cène est l’anticipation du festin mes-
Je suis, dit Notre Seigneur à Marthe, la résurrection. sianique, dans le Royaume, auquel nous sommes tous
Qui croit en moi, fût-il mort, vivra ; et quiconque vit et conviés. La descente du Saint Esprit sur les Dons, lors
croit en moi ne mourra jamais (Jn 11,.25-26). C’est de l’épiclèse, actualise l’événement de la Pentecôte et
pourquoi l’apôtre Paul écrit aux Thessaloniciens : Nous préfigure le triomphe de la seconde parousie. Le lien en-
ne voulons pas, frères, que vous soyez ignorants au su- tre la Pentecôte d’une part, la seconde parousie et la ré-
jet des morts ; il ne faut pas que vous vous désoliez surrection générale d’autre part, est particulièrement
comme les autres qui n’ont pas d’espérance (1 Th 4,13). souligné en Orient dans la Liturgie ; le samedi qui pré-
Vraiment le christianisme est au sens fort une religion cède le dimanche de la Pentecôte est plus spécialement
de l’espérance ; aussi l’héroïsme des martyrs de la foi consacré aux défunts ; de même l’office de la génu-
n’a rien à voir avec, le calme des sages antiques devant flexion (le soir de la Pentecôte) comprend plusieurs al-
le déclin inéluctable ; quoi de plus émouvant dans sa lusions à la résurrection future, telle celle-ci : « Nous te
paisible assurance que la prière de saint Polycarpe sur rendons grâces en toutes choses, pour notre venue en ce
son bûcher : « Seigneur, Dieu tout-puissant, Père de Jé- monde et pour notre départ, qui, en vertu de ton infailli-
sus Christ, ton enfant bien-aimé et béni, par qui nous ble promesse, fait naître en nous l’espérance de la résur-
t’avons connu ; Dieu des anges et des puissances, Dieu rection et de la vie sans mélange, dont nous souhaitons
de toute la création et de toute la famille des justes qui jouir lors de ton futur avènement ».
vivent en la présence ; je te bénis pour m’avoir jugé di-
Dans la résurrection générale qui marquera la fin de ce
gne de ce jour et de cette heure, digne d’être compté au
siècle, les chrétiens voient essentiellement la manifesta-
nombre de tes martyrs et de participer au calice de ton
tion de la victoire du Christ, annoncée d’une manière
Christ, pour ressusciter à la vie éternelle de l’âme et du
certaine par la Résurrection du Seigneur à l’aube du
corps, dans l’incorruptibilité de l’Esprit Saint ».
troisième jour. Mais le « Jour du Seigneur » sera aussi
Alors que dans le symbole de Nicée-Constantinople il celui du jugement ; nous savons que ceux qui auront fait
est question de la « résurrection des morts », le vieux le bien ressusciteront pour la vie, ceux gui auront fait le
Credo romain (voir Introduction) parle de la « résurrec- mal, pour la damnation (Jn 5,29). C’est la séparation
tion de la chair » afin de souligner le caractère très définitive du bon grain et de l’ivraie. Il n’appartient à
concret de cet événement ; toutefois le terme « chair » nul autre qu’au Seigneur lui-même de faire cette sépara-
doit ici être entendu dans le sens de « personne », car tion et ce n’est qu’au jugement dernier qu’elle deviendra
nous savons par ailleurs que la chair et le sang ne peu- manifeste : alors, il n’y aura plus de mélange, car rien
vent hériter le Royaume de Dieu (1 Co 15,50). La résur- d’impur n’entrera dans le Royaume ; il n’y aura plus de
rection pour la vie éternelle suppose une transformation, possibilité de mutation : pour bien comprendre cela, il
un passage de la corruptibilité à l’incorruptibilité (1 Co ne faut pas l’envisager dans une perspective affective.
15,51-54). Saint Paul affirme clairement à l’issue d’une Au-delà du temps, il n’y aura que l’immuable ; la répro-
série de raisonnements sur le continent de la résurrec- bation c’est l’éloignement de Dieu devenant éternel
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puisque extratemporel. La vocation de la créature, dans intellectuel, il suppose un engagement total : dans le
le dessein de Dieu, c’est la transfiguration, l’union déi- Christ et par l’Esprit Saint, la vie du croyant est trans-
fiante. Dans la vie du « siècle à venir », tout ce qui sera formée, car le chrétien, bien que vivant en ce monde,
éloigné de Dieu pourra être considéré comme mort : ce n’est pas de ce monde, son regard est tourné vers le
sera là la seconde mort, celle dont parle saint Jean dans Royaume de la lumière, aussi le Credo s’achève par la
l’Apocalypse (20,14) : cette mort, ce sera d’être oublié confession radieuse de l’attente de la résurrection et de
par Dieu : ceux qui n’auront pas voulu connaître Dieu, la vie du siècle à venir, où il n’y aura « ni douleur, ni
ne seront plus connus de lui. Ceux qui l’auront connu et tristesse, ni larmes ».
servi resplendiront d’une gloire ineffable et sans déclin.
Contacts, no. 38-39, 1962.
Le Credo commence par l’affirmation solennelle de la L’auteur est actuellement Mgr Pierre de New-York
foi en Dieu. Mais cet acte de foi n’est pas simplement (Église orthodoxe en Amérique
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DE LA MORT À LA VIE : LE MYSTÈRE DE L’AU-DELÀ


DANS LA TRADITION ORIENTALE

par Paul Evdokimov


1. LA MORT La Bible n’enseigne aucune immortalité naturelle. La
Le silence des morts pèse sur les vivants. Toutefois, de- résurrection dont parle l’Evangile n’est point la survie
puis le Christ la mort est chrétienne, elle n’est plus une de l’âme mais la pénétration du tout de l’être humain
intruse, mais la grande initiatrice. « Reine des épouvan- par les énergies vivifiantes de l’Esprit divin. Le Credo le
tements » selon Job, la mort arrête les habituelles profa- confesse : « J’attends la résurrection des morts », et « Je
nations et les oublis, elle frappe par son événement irré- crois à la résurrection de la chair ». Les saints vivent la
versible. Elle n’a pas d’existence en elle-même, ce n’est mort avec joie, dans l’allégresse de naître au monde de
pas la vie qui est un phénomène de la mort, mais c’est la Dieu. Saint Séraphin de Sarov enseignait le « joyeux
mort qui est un phénomène provisoire de la vie. Tout mourir ». C’est pourquoi il adressait à tous cette saluta-
comme la négation est postérieure à l’affirmation, elle tion pascale : « Ma joie, Christ est ressuscité », la mort
est un phénomène secondaire et essentiellement parasi- est inexistante et la vie règne. La mort pour saint Gré-
taire. Après la rupture de l’équilibre initial, la mort de- goire de Nysse est chose bonne et saint Paul le dit dans
vient le destin « naturel » des « mortels» tout en étant une vision étonnante : Toutes choses sont à vous, soit la
contre nature, ce qui explique l’angoisse des mourants. vie, soit la mort (1 Co 3, 22), les deux sont au même ti-
L’ampleur du mal se mesure à la puissance de tre les dons de Dieu mis à la disposition de l’homme.
l’antidote. La blessure est si profonde, le mal est si viru- En l’assumant pleinement, l’homme est prêtre de sa
lent, qu’ils exigent une thérapeutique proprement divine mort, il est ce qu’il fait de sa mort. L’extrême onction
et c’est le tragique de la mort de Dieu et, à sa suite, no- introduit dans ce sacerdoce ultime, offre « une huile
tre propre passage par la purification de la mort. d’allégresse », suscite l’exaltation du cœur au-dessus du
L’Incarnation du Verbe est déjà l’amorce de la Résur- corps en agonie. Diadoque note que les maladies tien-
rection. Le Verbe s’unit à la nature « morte » pour la vi- nent lieu de martyre. Quand, en face du bourreau que la
vifier et la guérir. « Il prit un corps capable de mourir mort remplace, l’homme peut l’appeler « notre sœur la
afin que, souffrant lui-même pour tous dans ce corps où mort » et confesser le Credo, il anticipe et vit cette évi-
il était venu, il réduisit à rien le Maître de la mort1 ». Il dence d’avoir passé de la mort à la vie. Les grands spiri-
s’est « approché de la mort jusqu’à prendre contact avec tuels dormaient dans leur cercueil comme dans un lit
l’état de cadavre et fournir à la nature le point de départ nuptial et manifestaient une fraternelle intimité avec la
de la résurrection2 ». Il « a détruit la puissance de la mort qui n’est qu’un ultime passage-pâque. Si la sagesse
mortalité3». selon Platon enseigne l’art de mourir, seule la foi chré-
tienne apprend comment il faut mourir en la résurrec-
tion. En effet, la mort est entièrement dans le temps,
donc elle est derrière nous ; devant, se trouve ce qui est
1
Saint Athanase, De Incarn., 20. déjà vécu dans le baptême : la « petite résurrection », et
2
Saint Grégoire de Nysse, Catéch., 32, 3. dans l’eucharistie : la vie éternelle. Celui qui m’écoute a
3
Saint Cyrille d’Alexandrie, In Luc, 5, 19.
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la vie éternelle, il ne vient pas en jugement, il est déjà parvis du Royaume, appelé aussi « sein d’Abraham »,
passé de la mort à la vie (Jn 5, 24, et Col 2, 12). « lieu de lumière, de rafraîchissement et de repos5 ».
2. LE PASSAGE DE PURIFICATION Cette ascension dépouille du poids du mal et les âmes
ET L’ATTENTE CÉLESTE purifiées montent d’une demeure à l’autre (les mansio-
La mort est appelée liturgiquement « dormition » : il y a nes d’Ambroise), d’un état à l’autre, s’initient graduel-
une partie de l’être humain qui est en état de sommeil, lement au mystère de l’au-delà et se rapprochent du
ce sont les facultés psychiques attachées au corps, et une Temple-Agneau. Les âmes et les anges entrent dans
partie qui reste consciente, ce sont les facultés psychi- l’intercommunion préalable et au chant du Sanctus
ques attachées à l’esprit. Maints passages du Nouveau montent ensemble les parvis de la « Maison de
Testament montrent suffisamment que les morts possè- l’Éternel ». C’est le sanctuaire où entre le Seigneur (Hé
dent une conscience parfaite. La vie, en passant par la 9, 24), où les « amis blessés de l’Époux », les martyrs et
mort, continue et justifie la prière liturgique pour les les saints sont réunis en Communio sanctorum, autour
morts. Si l’existence entre la mort et le jugement dernier du cœur-agapè du Dieu-Homme. C’est encore la vie des
peut être appelée le « purgatoire », celui-ci n’est pas un esprits désincarnés, enveloppés comme d’un manteau
lieu, mais un état intermédiaire. par la présence du Christ dont la chair glorifiée et
rayonnante de lumière supplée à la nudité des âmes. Les
L’Orient enseigne la purification après la mort, non pas sens devenus intérieurs à l’esprit captent le céleste.
comme une peine à purger, mais comme le destin assu-
mé et vécu jusqu’au bout, avec l’espérance d’une guéri- C’est l’attente active, en communion de prière avec
son progressive au terme. L’attente collégiale de tous l’Église qui se vêt de lin pourpre, des œuvres des saints
les morts est créatrice à cause de sa réceptivité. La qui les suivent (Ap 14, 13 ; 19, 8). La parole : Je dors
prière des vivants, les offices de l’Église, le ministère mais mon cœur veille (Ct 5, 2) désigne le sommeil vigi-
par intercession des anges interviennent et continuent lant de la « petite résurrection ». Tout en franchissant
l’œuvre de salut du Seigneur. Ce n’est pas tant la faute les degrés, les âmes attendent le « Jour du Seigneur ».
qu’on répare que la nature qui se répare, retrouve son C’est le mystère du Corps tout entier, de la « gerbe liée
intégrité et la « santé » du Royaume. Ce qui explique des blés moissonnés », car « il n’y a qu’un seul corps
l’image fréquente du passage des morts par les « doua- qui attend la béatitude parfaite6 », et ce n’est qu’à cette
nes » (« télonies »), où on laisse aux démons ce qui leur plénitude que l’abîme du Père s’ouvre. Le regard de
appartient et où l’on se libère en ne gardant que ce qui tous se dirige vers la constitution du Totus Christus,
est au Seigneur. Il ne s’agit pas de tortures ni de flam- l’Avent eschatologique débouche sur le destin unique de
mes, mais de la maturation par le dépouillement de toute l’Homme reconstitué tout entier en Christ.
souillure qui pèse sur l’esprit. 3. LA FIN DU MONDE
Le mot « éternité » en hébreu, est pris du verbe alam, La figure de ce monde passe, mais celui qui fait la vo-
qui veut dire « cacher ». Dieu a enveloppé d’obscurité le lonté de Dieu demeure éternellement (1 Co 7, 31 ; 1 Jn
destin d’outre-tombe et il ne s’agit nullement de violer 2, 17). Il y a ce qui disparaît et il y a ce qui reste.
le secret divin. Toutefois, la pensée patristique affirme L’image apocalyptique parle du feu qui refond et purifie
nettement que le temps entre la mort et le jugement la matière, mais ce passage est celui de la limite. Il y a
n’est pas vide et, comme le dit saint Irénée, les âmes un hiatus. Le « dernier jour » ne devient pas un hier et il
« mûrissent4 ». Saint Ambroise parle du « lieu céleste » n’aura pas de lendemain, il ne fera pas nombre avec les
où demeurent les âmes. Selon la tradition, c’est le « troi- autres jours. La main de Dieu saisit le cercle clos du
sième ciel » dont parle saint Paul, le ciel des paroles temps phénoménal et l’élève à une horizontale supé-
ineffables (2 Co 12, 2-4). Il est évident qu’il ne s’agit rieure7. Ce « jour » clôt le temps historique, mais lui-
nullement de notions spatiales. C’est un langage symbo- même n’appartient pas au temps ; il ne se trouve pas sur
lique, donc mystérieux par essence. Les approches du nos calendriers et c’est pour cela qu’on ne peut pas le
Royaume désignent non pas des lieux mais des états et prédire. « Devant le Seigneur, un jour est comme mille
des mondes spirituels. Selon saint Grégoire de Nysse, ans » (cf. Ps 89,4), il s’agit ici de mesures ou d’états in-
les âmes accèdent au monde intelligible, à la cité des comparables. Ce caractère transcendant de la fin en fait
hiérarchies célestes au-dessus du ciel, ce qui signifie au- l’objet de la révélation et de la foi.
dessus des dimensions connues. C’est l’Éden devenu le

5
Prière pour les défunts.
6
Origène, in Lev., 7, 2.
4 7
Adv. haer., PG 7, col. 806. Saint Grégoire de Nysse, dans PG 44, 504 D.
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4. LA PAROUSIE ET LA RÉSURRECTION selon les Pères, est le « Guérisseur divin», « Générateur


La Parousie rendra évident pour tous l’avènement fulgu- de la santé », disant : Ce ne sont pas les gens bien-
rant du Christ en sa gloire. Mais ce n’est pas de portants qui ont besoin de médecin, mais les malades
l’histoire que la Parousie sera visible mais au-delà de (Lc 5, 31). Un pécheur est un malade qui ignore la na-
l’histoire, ce qui présuppose le passage à un autre éon : ture maligne de son état. Son salut serait l’élimination
Tous seront transformés (1 Co 15, 51) - Les vivants qui du germe de corruption et le dévoilement de la lumière
seront encore là seront emportés sur des nuées pour du Christ, le retour vers l’état normatif de la nature, vers
rencontrer le Seigneur dans les airs (1 Th 4, 17). Selon sa santé ontologique.
saint Paul, il y a une énergie du grain de semence que 6. LE JUGEMENT
Dieu fait resurgir : On sème un corps psychique, il res-
Saint Paul parle de la faculté de se voir « le visage dé-
suscite un corps spirituel (1 Co 15, 44) revêtu de
couvert », c’est déjà le pré-jugement, et le jugement
l’immortalité et de l’image du céleste ; Tous sortiront à
dernier sera la vision totale du tout de l’homme. Simone
l’appel de la voix. Les textes eschatologiques présentent
Weil dit profondément : « Le Père des Cieux ne juge
une densité symbolique qui supprime toute simplifica-
pas... par lui les êtres se jugent ». Selon les grands spiri-
tion et surtout tout sens littéral. La parole impuissante
tuels, le jugement est cette révélation à la lumière non
laisse place aux images d’une dimension transcendante
pas de la menace du châtiment mais de l’amour divin.
pour le monde. Le sens précis nous échappe totalement
Dieu est éternellement identique à lui-même, il est
et nous invite à « honorer en silence » la réalité dont il a
amour. « Les pécheurs dans l’enfer ne sont pas privés de
été dit : L’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu et il
l’amour divin », dit saint Isaac, et c’est le même amour
ne vient jamais au cœur de l’homme ce que le Seigneur
qui subjectivement « devient souffrance dans les ré-
a préparé pour ceux qui l’aiment (1 Co 2, 9).
prouvés et joie dans les bienheureux8 ». Après la révéla-
La résurrection est une ultime surélévation. La main de tion de la fin des temps, on ne pourra plus ne pas aimer
Dieu saisit sa proie et l’enlève dans une dimension in- le Christ ; mais l’indigence, le vide du cœur rendent in-
connue. On peut dire tout au plus que l’esprit retrouve la capable de répondre à l’amour de Dieu et c’est la souf-
plénitude de l’être humain, âme et corps gardés parfai- france indicible de l’enfer.
tement identiques à leur propre unicité. Saint Grégoire
L’Évangile emploie l’image de la séparation des brebis
de Nysse parle du « sceau », de « l’empreinte » qui se
et des boucs. Or il n’existe point de saints parfaits, de
rapporte à la forme du corps (qui est une des fonctions
même que, dans tout pécheur, il y a au moins quelques
de l’âme) et qui permettra de reconnaître le visage
parcelles de bien. Selon l’épître aux Romains, la loi
connu. Le corps sera semblable au corps du Christ res-
condamne le péché et le pécheur ensemble, sa seule vic-
suscité, ce qui veut dire : plus de pesanteur et
toire sur le mal est l’anéantissement du pécheur. Or, le
d’impénétrabilité. L’énergie de répulsion qui rend tout
Christ sur la Croix a séparé le péché du pécheur, il a
opaque, impénétrable, laissera place à la seule énergie
condamné et détruit le pouvoir du péché et il a sauvé le
d’attraction et d’interpénétration de tous et de chacun.
pécheur. À cette lumière, la notion du jugement
5. LA NOTION PATRISTIQUE DU SALUT-GUÉRISON s’intériorise, ce n’est pas une séparation entre les hom-
Jésus sur la Croix disait : Mon Père, pardonne-leur, ils mes mais à l’intérieur de tout homme. Dans ce cas,
ne savent ce qu’ils font (Lc 23, 34). Ne pas savoir ce même la « mort seconde » se rapporte non pas aux êtres
que l’on fait est le propre d’un malade, le comportement humains, mais aux éléments démoniaques qu’ils portent
d’un insensé rendu sourd et aveugle. en eux. C’est le sens précis de l’image du « feu », qui
n’est pas torture et punition mais purification et guéri-
À la lumière biblique, le salut n’a rien de juridique, il son. L’épée divine pénètre les profondeurs humaines et
n’est pas une sentence de tribunal. En hébreu, salut (yé- révèle que ce qui fut donné par Dieu comme don n’a pas
chà) signifie la totale délivrance, et en grec l’adjectif sôs été reçu, elle dévoile ainsi le vide creusé par le refus de
correspond au sanus latin et veut dire rendre la santé. l’amour et la tragique dissemblance entre l’image-appel
L’expression « ta foi t’a sauvé » inclut son synonyme : et la ressemblance-réponse. Mais la complexité du mé-
« Ta foi t’a guéri. » C’est pourquoi le sacrement de la lange du bien et du mal pendant la vie terrestre, décrite
confession est conçu comme « clinique médicale » et dans la parabole du froment et de l’ivraie (Mt 13, 24-
l’eucharistie selon saint Ignace d’Antioche est « remède 30), rend toute notion juridique inopérante et nous place
d’immortalité ». Le concile in Trullo (692) précise : devant le plus grand mystère de la Sagesse divine,
« Ceux qui ont reçu de Dieu le pouvoir de lier et de dé- convergence de la justice et de la miséricorde. « Au soir
lier, se comporteront en médecins attentifs à trouver le
remède que réclament chaque pénitent et sa faute » car
« le péché est la maladie de l’esprit ». Jésus-Sauveur, 8 Homélies spirituelles, 11, 1, PG 34, 5440.
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de notre vie nous serons jugés sur l’amour », sur ce que contre, le tremblement sacré devant les choses saintes
nous avons aimé sur la terre. sauve le monde de sa fadeur et l’amour parfait bannit la
7. LA DESCENTE AUX ENFERS
crainte (1 Jn 4, 18). À l’opinion personnelle de
l’empereur Justinien (qui s’apparente aux « justes » de
Le fiat humain, proclamé par la Vierge Marie de la part l’histoire de Jonas) s’oppose la doctrine de saint Gré-
de tous, exige la même liberté que le Fiat créateur de goire de Nysse9 qui n’a jamais été condamnée. Il parle
Dieu. Et c’est pourquoi Dieu accepte d’être refusé, mé- de la rédemption même du diable ; saint Grégoire de
connu et rejeté par la révolte de sa propre créature. Sur Naziance10 10 mentionne l’apocatastase ; saint Maxime
la Croix, Dieu contre Dieu a pris le parti de l’homme. le Confesseur11 invite l’homme à « l’honorer en si-
L’humanité depuis Adam a abouti au Shéol, sombre sé- lence » car l’esprit de la foule n’est pas apte à saisir la
jour des morts. L’office du Samedi de la Passion profondeur des paroles et il n’est pas sage d’ouvrir aux
chante : « Tu es descendu sur la terre pour sauver imprudents des aperçus sur l’abîme de la miséricorde.
Adam, et ne l’y trouvant pas, ô Maître, tu es allé le Selon saint Antoine, l’apocatastase n’est pas une doc-
chercher jusque dans les enfers ». C’est donc là que le trine, ni le thème d’un discours, mais la prière pour le
Christ ira le chercher, chargé du péché et des stigmates salut de tous. Jésus-Sauveur en hébreu signifie « Libéra-
de l’Amour crucifié, du souci sacerdotal du Christ- teur » et, comme le dit magnifiquement Clément
Prêtre pour le destin de ceux qui sont aux enfers. d’Alexandrie : « De même que la volonté de Dieu est un
Si « le Royaume de Dieu est au milieu de vous », l’enfer acte et qu’elle s’appelle le monde, ainsi, son intention
y est présent aussi. Toute une partie du monde moderne est le salut et elle s’appelle l’Église12 12. » Il s’agit
d’où Dieu est exclu l’est déjà. Selon saint Jean Chrysos- d’une maladie à guérir même si le remède est le sang de
tome, le baptême ce n’est pas seulement mourir et res- Dieu.
susciter avec le Christ, mais aussi descendre aux enfers Sans rien « préjuger », l’Église s’abandonne à la « phi-
en suivant le Christ. À la différence de Dante à qui Pé- lanthropie » du Père et redouble sa prière pour les vi-
guy reprochait de descendre aux enfers « en touriste », vants et pour les morts. Les plus grands parmi les saints
tout baptisé y rencontre le Christ et c’est la mission de trouvent l’audace et le charisme de prier même pour les
l’Église. Dieu a créé l’homme comme une « autre liber- démons. Peut-être l’arme la plus redoutable contre le
té » et le risque que Dieu a pris annonce déjà « l’homme Mauvais est-elle justement la prière d’un saint, et le des-
de douleurs », profile l’ombre de la Croix, car selon les tin de l’enfer dépend-il de la volonté transcendante de
Pères, « Dieu peut tout, sauf contraindre l’homme à Dieu, mais aussi de la charité des saints. Tout fidèle or-
l’aimer ». Dans son attente, Dieu renonce à sa toute- thodoxe, en s’approchant de la table sainte, confesse :
puissance, même à son omniscience, et assume pleine- « Je suis le premier des pécheurs », ce qui veut dire le
ment sa kénose sous la figure de l’Agneau immolé. Son plus grand, l’« unique pécheur ». Saint Isaac note :
destin parmi les hommes est suspendu à leur fiat. Il pré- « Celui qui voit son péché est plus grand que celui qui
voit le pire et son amour n’en est que plus vigilant, car ressuscite les morts ». Une pareille vision de sa propre
l’homme peut refuser Dieu et bâtir sa vie sur son refus, réalité nue enseigne qu’on ne peut parler de l’enfer que
sur sa révolte. Qui l’emporte, l’amour ou la liberté ? Les lorsqu’il nous concerne personnellement. Mon attitude
deux sont infinis et l’enfer porte cette question dans sa est de lutter contre mon enfer qui me menace si je
chair brûlante. n’aime pas les autres pour les sauver. Un homme très
8. L’ENFER simple avoue à saint Antoine : « En regardant les pas-
sants, je me dis : "Tous seront sauvés, moi seul serai
La conception courante des souffrances éternelles n’est damné" », et saint Antoine de conclure « L’enfer existe
qu’une opinion scolaire, une théologie simpliste de na- vraiment, mais pour moi seul... » En reprenant la for-
ture « pénitentielle » et qui néglige la profondeur de tex- mule de saint Ambroise : « Le même homme est à la
tes comme Jean 3, 17 et 12, 47. Ce qui est inconcevable, fois condamné et sauvé », on peut dire que le monde
c’est d’imaginer qu’à côté de l’éternité du Royaume, dans sa totalité est aussi « à la fois condamné et sauvé ».
Dieu prépare celle de l’enfer, ce qui serait, dans un cer- Alors, l’enfer, peut-être est-ce dans sa condamnation
tain sens, un échec de Dieu et une victoire partielle du qu’il trouve sa transcendance. Il semble que ce soit là le
mal. sens de la parole que le Christ aurait dit à un starets
Si jadis saint Augustin réprouvait les « miséricor-
dieux », partisans de la conception du salut universel
issue d’Origène, c’était pour écarter le libertinisme et le 9
Dans PG 46, 609C et 610A.
10
sentimentalisme déplacés ; or aujourd’hui, l’argument Dans PG 36, 412A et B.
11
pédagogique de la peur est totalement inefficace. Par Dans PG 90, 412A et 1172D.
12
Pédagogue 1, 6.
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Lumière du Thabor Numéro 20 ● novembre 2004 Page 7

contemporain, Silouane de l’Athos : « Garde ton esprit son Fils sait toujours que même l’enfer est son domaine
en enfer, mais ne désespère pas... » et que la « porte de la mort » est changée en « porte de
la vie ». L’homme ne doit jamais tomber dans le déses-
L’Orient ne met de limite ni à la miséricorde de Dieu ni
poir, il ne peut tomber qu’en Dieu et c’est Dieu qui ne
à la liberté de l’homme de refuser cette grâce. Mais sur-
désespère jamais.
tout il ne met pas de limite à l’art d’être témoin, à la
charité inventive face à la dimension infernale du Lors des matines de la nuit de Pâques, dans le silence de
monde. Tout baptisé est un être invisiblement « stigma- la fin du grand Samedi, le prêtre et le peuple quittent
tisé », « Jésus est une blessure dont on ne guérit pas », a l’église. La procession s’arrête à l’extérieur devant la
dit Ibn Arabi. C’est cette blessure par le destin des au- porte fermée du temple. Pour un bref instant, cette porte
tres qui ajoute quelque chose à la souffrance du Christ fermée symbolise la tombe du Seigneur, la mort, l’enfer.
« entré en agonie jusqu’à la fin du monde ». Imiter le Le prêtre fait le signe de la croix sur la porte, et sous sa
Christ, c’est se configurer au Christ total, c’est descen- force irrésistible, la porte, tout comme la porte de
dre à sa suite au fond du gouffre de notre monde. l’enfer, s’ouvre toute grande et tous entrent dans l’église
L’enfer n’est pas autre chose que l’autonomie de inondée de lumière et chantent : « Christ est ressuscité
l’homme révolté qui l’exclut du lieu où Dieu est présent. des morts, par la mort il a vaincu la mort, à ceux qui
La puissance de refuser Dieu est le point le plus avancé sont dans les tombeaux il a donné la vie ! » La porte de
de la liberté humaine ; elle est voulue telle par Dieu, l’enfer est redevenue la porte de l’Église, du Royaume.
c’est-à-dire sans limites. Dieu ne peut forcer aucun On ne peut pas aller plus loin dans la symbolique de la
athée à l’aimer et c’est, on oserait à peine le dire, l’enfer fête. En vérité, le monde dans sa totalité est à la fois
de son amour divin, la vision de l’homme immergé dans condamné et sauvé, il est à la fois l’enfer et le Royaume
la nuit des solitudes. de Dieu. « Voici, mon frère, un commandement que je
te donne, dit saint Isaac, que la miséricorde l’emporte
Si Judas s’enfuit dans la nuit (Jn 13, 2-30), c’est que Sa-
toujours dans ta balance, jusqu’au moment où tu senti-
tan est en lui. Mais Judas emporte dans sa main un terri-
ras en toi-même la miséricorde que Dieu éprouve envers
ble mystère, le morceau de pain du Repas du Seigneur13.
le monde14 ».
Ainsi l’enfer garde dans son sein une parcelle de lu-
mière, ce qui répond à la parole : « La Lumière luit dans Les grandes vêpres qui suivent la liturgie de la Pente-
les ténèbres. » Le geste de Jésus désigne le dernier mys- côte comportent trois prières de saint Basile. La troi-
tère de l’Église : elle est la main de Jésus offrant sa sième prie pour tous les morts depuis la création du
chair et son sang ; l’appel s’adresse à tous, car tous sont monde. Une fois l’an, l’Église prie même pour les suici-
au pouvoir du Prince de ce monde. La lumière ne dis- dés... La charité de l’Église ne connaît pas de limites,
sipe pas encore les ténèbres, mais les ténèbres cepen- elle porte et remet le destin des révoltés entre les mains
dant n’ont pas d’emprise sur la lumière invincible. Nous du Père et ces mains sont le Christ et l’Esprit-Saint. Le
sommes dans la tension ultime de l’amour divin. Dieu Père a remis tout jugement au Fils de l’homme et c’est
n’est pas « impassible ». Le Livre de Daniel (3, 25) le « jugement du jugement », le jugement crucifié. « Le
parle des trois jeunes gens jetés dans la fournaise. Le roi Père est l’Amour crucifiant, le Fils est l’Amour crucifié,
aperçoit la présence mystérieuse du quatrième : Je vois et l’Esprit-Saint est la puissance invincible de la
quatre hommes qui se promènent dans le feu sans qu’il Croix ». Cette puissance éclate dans les souffles et les
leur arrive de mal, et le quatrième a la figure du Fils de effusions du Paraclet, de celui qui est « auprès de nous »
Dieu... et qui nous défend et nous console. Il est la joie de Dieu
et de l’homme. Le Christ ne nous demande que de nous
C’est à ce niveau que nous trouvons l’exigence de
en remettre totalement à cette Joie : Je m’en vais pour
l’enfer qui témoigne de notre liberté d’aimer Dieu. C’est
vous préparer une place... Je reviendrai vous prendre
elle qui engendre l’enfer car elle peut toujours dire avec
avec moi afin que, là où je serai, vous y soyez avec moi
tous les révoltés : « Que ta volonté ne soit pas faite » et
(Jn 14, 2-3). Dieu use de patience envers nous tous, ne
même Dieu n’a pas d’emprise sur cette parole. Par les
voulant pas qu’aucun périsse... quelles ne doivent être
raisons de notre cœur, nous sentons que notre vision de
votre sainteté et votre prière, attendant et hâtant
Dieu devient inquiétante si Dieu n’aime pas sa créature
l’avènement du jour de Dieu (2 P 3, 9 et 11). C’est que
jusqu’à renoncer à la punir par une cruelle séparation ;
ce Jour n’est point un but seulement, ni le terme de
elle est aussi inquiétante si Dieu ne sauve pas l’aimé
l’histoire, ce Jour est le mystère de Dieu en plénitude.
sans toucher ni détruire sa liberté... Le Père qui envoie
Bulletin saint Jean-Baptiste, VIII, 1968 ;
reproduit dans L’amour fou de Dieu, Seuil, 1973.
13
C’est l’opinion de saint Ephrem, saint Jean Chrysostome,
14
saint Ambroise, saint Augustin, saint Jérôme. Saint Isaac le Syrien, Sentences, 48.
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LA BÉATITUDE CONSOMMÉE DE LA VIE ÉTERNELLE


PLÉROME – APOCATASTASE – THÉOSIS
par Myrra Lot-Borodine
Eschaton. Mot qui désigne la finalité de l’éon terrestre Dieu, vie qui est la Béatitude même, la seule véritable
et annonce l’infini de l’éon des éons. Il s’ouvre avec la parce que essentielle.
Parousie, le retour du Christ, coïncidant elle-même avec
Mais si la source et le principe de la résurrection de la
la résurrection générale et suivie immédiatement du Ju-
chair se trouvent dans le Fils, c’est l’Esprit Saint, hypos-
gement dernier. De ce jugement des morts et des vi-
tase de la vie, – présidant comme telle à toute incarna-
vants, nous n’avons rien à dire, puisque les Saints ne s’y
tion, y compris celle du Logos, ainsi qu’à toute pneuma-
présentent pas selon l’Écriture. De l’Adventus, nous sa-
tisation, – c’est lui en personne qui sera l’agent de la ré-
vons qu’il consumera, dans la fulgurante apparition du
surrection humaine. Pour les Grecs en particulier,
Christ en sa Gloire – divinité révélée – le mal et la souf-
l’Esprit du Père, reposant sur le Fils et le manifestant
france, toutes les puissances mortelles. Mais la résurrec-
aux créatures, est celui qui actualise la déification.
tion des corps et leur transfiguration, qu’est-ce donc au
juste ? Quant à la possibilité intrinsèque d’une glorification des
corps, elle relève de l’unité primordiale, insécable du
Pour concevoir, sinon se représenter, la métamorphose
composé humain. En raison de celle-ci, notre nature,
du grain semé animal, enfoui dans la terre et surgissant
bien que mutilée par la mort, conserve à l’âme, comme
corps spirituel (cf. 1 Co 15,44), il convient de ne jamais
une empreinte indélébile, sa corporéité latente. Sans
perdre de vue le fait de notre immortalité originelle.
quoi, l’idée divine de la créature, à la fois duelle et une,
Ni le péché originel ni sa conséquence inéluctable, la n’aurait pu être réalisée. Voilà pourquoi le corps, déjà
déchirure de notre être, n’ont pu détruire le germe de spiritualisé par l’image qu’il porte du Dieu incarné, doit
l’immortalité humaine, tout en le frappant de stérilité. partager à la fin des temps la destinée de son âme pro-
Seule l’Incarnation du Verbe, assumant une chair par lui pre. Il participera donc de droit à la Béatitude des
déifiée, fera revivre ce germé flétri. Elle le fera revivre Saints, une fois expurgé tout l’élément corruptible qui le
par l’énergie vitale qui est sienne, et qui commande la corrode. Il sera ainsi à nouveau perméable, plus complè-
résurrection propre du Rédempteur. Ne pouvant être re- tement encore qu’avant la faute, à l’action immédiate et
tenu, en tant qu’homme sans péché, – et non seulement perpétuelle de l’Esprit. Mais ce corps gardera sa subs-
en tant que Dieu –, dans les liens de la mort librement tance propre, contrairement aux prévisions origénistes
consentie. Christ ressuscite, et nous avec lui, car « par qui ne laissent au corps ressuscité que l’apparence cor-
sa mort il a vaincu la mort » – leit-motiv de notre chant porelle. Et c’est là ce qui constitue pour nous le para-
de triomphe pascal. Et cette mort et cette victoire, entre- doxe et l’attrait de ce mystère : la résurrection du corps
lacées, inséparables, sont déjà préfigurées dans le bap- charnelle présentée comme attente dans le Credo même
tême du Jourdain (une des plus grandes fêtes de l’année des Églises.
liturgique orthodoxe) auquel se réfère sacramentelle-
Sa préfiguration nous a été donnée dans la grandiose vi-
ment le nôtre. Cela, en vertu de la co-naturalité, si for-
sion d’Ezéchiel (37,1-14), prophétie d’un souffle puis-
tement accentuée par les docteurs grecs, parce qu’elle
sant, mais qui est loin de rendre la réalité à venir. Car
postule et actualise l’unité réelle du Corps mystique du
les ossements du champ de désolation, ressoudés l’un à
Christ. Par cette union organique, nous sommes devenus
l’autre et ranimés sous le vent brûlant de l’Esprit, ne re-
la chair de la chair du Christ ; chair virtuellement glo-
deviennent que des corps vivants, tels qu’ils furent
rieuse, « verbifiée » comme le déclare en une saisissante
avant l’ensevelissement. Ce n’est donc que le réveil des
formule le grand Athanase. De même, saint Hilaire de
gisants, seul possible, puisque nous sommes ici sous la
Poitiers, oriental par toute sa formation, en exprimant la
Loi. Ce n’est pas encore la recréation de la résurrection,
pensée de ses premiers maîtres, déclare : « Toute chair
qui appartient à l’ordre charismatique : la synthèse chré-
rachetée est dans le Christ, pour ressusciter, car la na-
tienne unique de la personne concrète recomposée en
ture de notre chair est de naître en Dieu » (De Trinitate
« l’idée », que symbolise le nom nouveau sur la pierre
et In Ps. XX 4,4). Ainsi l’assomption de notre corps
blanche accordé aux élus dans l’Apocalypse (Ap 2,17).
s’accomplit dans le Christ, ce qui fait de ce corps revivi-
Une chair rénovée par le Souffle igné, une chair vierge,
fié un temple (cf. saint Paul : 1 Co 3,16-17 ; 6,19 ; 2 Co
débordante de toute sa sensibilité naturelle et sublimée,
6,16 ; Ép 2,21) ; temple perpétuellement sanctifié ici-
fleurira, non sur les tombes, mais au ciel des essences,
bas, par l’Eucharistie, cet aliment de vie éternelle en
sans aucune confusion possible entre ces dernières. As-
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cension, « dans le corps », de l’humanité, à la suite et où tous les convives ont revêtu la robe nuptiale par lui
par la grâce de celle du Christ Sauveur, à l’instar de offerte, et les vierges-sages ont toutes gardé allumées
l’assomption de Marie, première créature ayant franchi les lampes de leur vigile, garnies de l’inépuisable «
– telle quelle parce qu’immaculée – les limites du huile d’allégresse », dans l’attente de l’Époux (cf. Mt
monde sensible. 25,1-13). Et le voilà, le Bien-Aimé de l’épithalame (cf.
Ps 44), si familier aux générations des mystiques qui bu-
Mais le miracle des miracles nous paraît être l’ultime
rent à longs traits à la source de l’amour extatique.
réunion des âmes saintes avec leurs corps transfigurés,
Amour enfin apaisé, comblé et jubilant dans la posses-
c’est-à-dire purifiés entièrement. Il est permis de croire
sion plénière à la chambre nuptiale secret. Rappel de la
que ce chef-d’œuvre du Donateur de vie exécutant le
communion eucharistique, déjà déifiante, mystère, dé-
décret de la Volonté trine, ne s’accomplira pas sans le
voilé enfin, de l’amour unitive. Et c’est encore l’onction
concours des âmes elles-mêmes. Car chacune, indivi-
sacerdotale et royale, sceau de l’élection, fortitude et
duelle et unique dans son tout, désire retrouver non pas
majesté du peuple saint, dans le temple de colonnes bril-
une quelconque enveloppe ancienne, ou gangue vétuste,
lantes s’évanouissant soudain dans l’éclat de l’unique
mais l’organe même, perfectionné, de sa vivante dualité
flambeau divin (cf. Ap 31,22). Dieu seul et Dieu trine.
personnelle. Et le portail céleste ne pourra que s’ouvrir
L’horizon s’élargit toujours, s’étendant, avec la créature
tout grand devant ces natures humaines restaurées, de-
sans intelligence paulinienne, délivrée de son esclavage
vant ces créatures glorifiées par la Gloire de leur Arché-
antique – jusqu’aux confins du monde phénoménal,
type idéal, créatures déifiées par leur participation à la
biosphère et cosmosphère inclus. Ce n’est plus la restau-
Béatitude de l’Incréé. Alors s’effacera d’elle-même la
ration universelle entendue au sens simple d’une restau-
ligne ténue séparant le Paradis du Royaume, unifiant
ration dans l’ordre antérieur ; c’est le salut à l’échelle
tout le créé, sommet le plus élevé de la montagne mys-
universelle dépassant toute attente et toute espérance.
tique de Sion. Alors toute chair verra Dieu (Is 15, 3).
Une économie nouvelle dé la Gloire, c’est-à-dire la par-
Alors le couple jumeau, l’homme entier, paraîtra à vi-
ticipation au divin de tout ordre créé. Don gratuit, elle a
sage découvert devant la Face de son Créateur. Alors
pour cause déterminante, tout comme la glorification du
l’œil verra, l’oreille entendra et au cœur montera ce que
corps, cette parcelle de la matière organique du macro-
Dieu a préparé à ceux qui l’aiment (1 Co 2,9).
cosme, et pour cause efficiente, l’énergie vitale du Lo-
Cet homme apparaîtra dans toute la multiplicité des di- gos, unificateur de toutes choses, et non seulement des
vers aspects de la sainteté humaine, réfléchissant l’ori- choses intelligibles. Sa raison immédiate est, d’après
ginelle Sainteté divine. saint Maxime, l’amour de Dieu pour l’homme, car c’est
Et il sera lui-même inséré dans l’unité parfaite de la Cité par amour de l’homme que Dieu élève à la Gloire la
achevée, aux innombrables demeures. Alors la pluie création sensible. Symphonie accordée des deux mon-
d’or des charismes se répandra sur l’indivisible Plérôme des qui se compénètrent. La « terre nouvelle » pressen-
qui est l’Église des saints, l’« Israël sauvé », à l’instar tie de si loin par le psalmiste et le prophète, épanouie,
de la Société intra-divine, ainsi que sur chacun de ses exultant en la louange perpétuelle, vibrant tel un instru-
membres particuliers : Béatitude personnelle des desti- ment à mille cordes, – la cithare divine d’Origène : Jubi-
nées singulières, au sein de la Béatitude générique qui lation, allégresse, doxologie cosmique, ruissellement de
seule révélera le sens dernier de la création de l’homme la joie, ce chiffre du divin dans les êtres.
et de la Création tout court, sensible comme intelligible. Tout le créé manifestera Dieu à sa manière, rien ne pou-
Divers symboles figurent les splendeurs du Royaume vant paraître en dehors de lui. Et ainsi tout sera déifié,
venu dans sa force, s’identifiant avec la contemplation parce que immergé en la Lumière incréée et Dieu sera
des bienheureux. Images somptueuses empruntées aux tout en tous (1 Co 15,28). Lumière ineffable, perçue au-
Écritures, accourant du fond des siècles chrétiens et dessus de toute connaissance, simultanément par
même préchrétiens, mystérieusement annonciateurs. l’intellect et le sens, transcendés tous deux par celui qui
Évoquons-les furtivement, tout en les embrassant d’un transcende lui-même un comme l’autre (Grégoire Pala-
seul regard. Voici autour du Seigneur nimbé de sa mas). Cette Lumière ineffable brille de toute éternité,
Gloire, Coryphée du chœur polyphonique, la vivante car Dieu est partout, toujours ; Théophanies de l’Ancien
couronne des bienheureux et des esprits angéliques les Testament, en commençant par le Buisson ardent et,
encadrant. Transposition sur le plan spirituel de dans le Nouveau Testament, la gloire lumineuse du
l’antique apothéose figurant ici le triomphe de l’amour Thabor ; la Lumière qui aveugla Saul sur le chemin de
divin. Et c’est encore le banquet des Noces de l’Ag- Damas ; celle qui remplissait, visible aux myrophores,
neau ; festin où la coupe du vin nouveau, ruisselant de la le sépulcre vide de la Résurrection du Christ. La même
Vigne céleste, circule entre les « amis de Dieu » ; festin qui illumine tout homme venant à la vie éternelle dans
l’illumination de l’initiation chrétienne. Ici-bas, elle
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n’est vue que transitoirement, toujours fugitive – lu- Et chaque élu, âme et corps translucides, deviendra lui-
mière réfléchie dans le miroir de l’âme purifiée et en ce même, à travers le Verbe glorifié dans l’Esprit et revenu
sens « spéculaire », car seuls les cœurs purs verront au Père, un rayon de l’immuable Lumière trisolaire.
Dieu (cf. Mt 5,8). Cette Lumière éternelle ne dispense C’est la béatification-déification totale de l’humanité
pas seulement, elle est en soi la vie pérenne. Aux âmes devenant par grâce ce que Dieu est par nature, ainsi que
de la vigile paradisiaque, elle luit, sans médiation au- le proclame hautement Maxime le Confesseur, le grand
cune et sans éclipses, bien que tamisée par la pénombre docteur de la déification charismatique : « L’homme,
vespérale où baignent les âmes, qui jouissent avant tout par sa nature, en tant qu’âme et corps, reste entièrement
du sentiment de la transparence – confiante sécurité ; homme. Et par la grâce il devient dieu entièrement, âme
elle les fait pénétrer toujours plus profond dans intimité et corps » (Ambigua, 28, 64).
du mystère, dans la familiarité divine. En cette am-
Voilà l’union avec Dieu, la théosis participée de la Fin
biance, leurs énergies spirituelles détendues s’accrois-
qui n’a pas de fin. Voilà le Ciel de gloire de la Triade
sent progressivement ; les yeux de l’esprit, ne ren-
sacrée. Peut-être même, « les ailes d’aigle » (cf. Is 31,5)
contrant nul écran d’ombre, s’habituent peu à peu à
ayant poussé au repos sabbatique du troisième ciel, et
l’illumination qui augmente en intensité, qui grandit et
largement éployées, porteront toujours plus haut, au-
remplit tout le ciel intelligible. Le Royaume est là dans
dessus des espaces de l’Infini, les amants de la Ténèbre
sa force (cf. 1 Co 4,20).
divine ; de gloire en gloire, de révélation en révélation,
Au Huitième jour sans déclin, la Lumière de la Manifes- au delà même de la transfiguration, au cœur de
tation sera révélée aux fils éblouis de la Résurrection. l’inconnaissance ténébreuses. Rêve altier d’un Grégoire
Vision faciale de Celui qui Est, en la connaissance cari- de Nysse, rêve qui symbolise tout l’élan des libertés
tative car il n’y a pas d’autre Vision de Dieu tel qu’il créatrices, tout l’essor des volontés recréées en force. La
est, mais pas ce qu’il est, dans l’auguste et inviolable contemplation des bienheureux n’est-elle pas vie inépui-
mystère du suressentiel. Rencontre avec le Dieu Vivant sable en un éternel présent dynamique, l’immuable
de la Révélation. Et cette vision, béatifiante et déifiante n’étant plus l’immobile dans l’état de l’être déifié ? Qui
en elle-même parce que nous assimilant pleinement à pourrait le savoir ? Là où il n’y a ni crépuscule, ni dé-
lui, fait communier les élus avec les Personnes distinc- clin, comment prononcer l’achèvement de la Plénitude ?
tes de la Très Sainte Trinité. Chaque membre du Plé- Tempus est tacendi, « Tout le reste est silence ».
rôme ainsi éclairé recevra sa communication propre,
Extrait de l’article La Beatitude dans l'Orient chrétien.
dans la grâce incréée et substantielle aux mille hyposta-
paru dans la revue Dieu vivant, no. 15, 1950.
ses (Grégoire Palamas) – inclusion des êtres dans la vie
(Afin de faciliter la lecture de ce texte,
ressuscitée. Vie créatrice déversée surabondamment
nous avons substituer des équivalences
dans les vases, qui ne sont plus d’argile (cf. 2 Co 4,7),
françaises pour les nombreuses expressions
des créatures humaines « telles qu’en elles-mêmes
latines et grecques de l’original.)
l’éternité les change ».
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LA QUESTION DU PURGATOIRE :
RÉCAPITULATION DE LA POSITION CATHOLIQUE
ET DE LA POSITION ORTHODOXE

par Jean-Claude Larchet


La position catholique Les âmes de ceux qui ne sont ni tout à fait bons ni tout à
fait mauvais et qui se sont rendus coupables de péchés
Après la mort, les âmes subissent un Jugement particu-
« véniels » (légers et minimes) qui n'ont pas avant leur
lier. Les âmes des justes (ceux qui, après le baptême,
mort reçu l'absolution pour ces péchés ou qui en ont été
n'ont commis aucune souillure de péché) sont placées au
pardonnés mais n'ont pas eu le temps de satisfaire à la
Ciel, tandis que les âmes de ceux qui n'ont pas été bapti-
justice divine en faisant pénitence, c'est-à-dire, selon les
sés et sont donc porteuses du péché originel, et de ceux
Latins, en subissant la peine expiatrice due à Dieu pour
qui se sont rendus coupables de péchés mortels, descen-
ces péchés, sont placées dans un lieu distinct du Ciel et
dent en Enfer.
de l'Enfer, appelé « Purgatoire », où elles sont purifiées
de ces péchés et en purgent la peine par le feu ; ce « feu
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purgatoire », source d'une peine à la fois purifiante et inférieurs de l'Hadès, celles des pécheurs coupables de
expiatrice, est temporaire – il disparaîtra lors du Juge- petites fautes dans ses degrés supérieurs. Les peines que
ment dernier – et matériel. Ces âmes peuvent être soula- les âmes y subissent sont celles de l'enfermement dans
gées de leurs peines par les prières des vivants et le sa- des lieux de désolation et de tristesse, où elles souffrent
crifice de la messe, et aussi par la volonté du pape ac- de la crainte de leur jugement et de leur condition à ve-
cordant des « indulgences » (les indulgences « pléniè- nir, ainsi que des remords de leur conscience ; mais les
res » pouvant remettre totalement et immédiatement les âmes subissent ces peines à des degrés divers, en fonc-
peines de tel ou tel défunt, ou de telle catégorie de dé- tion de l'importance des péchés qu'elles ont commis et
funts). Les prières et le sacrifice de la messe sont en re- qui ne leur ont pas été pardonnés. Ces peines ne sont pas
vanche inutiles pour les justes qui sont au Ciel et pour des peines punitives ou destinées à satisfaire la justice
les damnés qui sont en Enfer, car les uns et les autres divine (notions étrangères à l'Église orthodoxe) ; elle ne
ont déjà en leur âme atteint la plénitude de l'état qui sera sont pas non plus des peines purificatrices. Et il ne faut
le leur après le Jugement dernier (les justes ont obtenu pas perdre de vue le caractère symbolique des diverses
la béatitude dans la vision de l'essence divine, tandis expressions qui les évoquent : feu, ver, grincement de
que les damnés sont châtiés par le feu infernal éternel), dents, etc. Le feu est l'énergie incréée de Dieu qui se
la seule différence étant qu'après le Jugement dernier manifeste comme souffrance chez ceux qui en sont pri-
c'est avec leur corps qu'ils éprouveront leurs conditions vés par leur état de péché (cette même énergie étant per-
respectives. Après avoir purgé leur peine et avoir été pu- çue comme lumière et source de joie par les justes dans
rifiées par elle, les âmes qui séjournent dans le Purga- le Paradis).
toire peuvent rejoindre celles des justes.
Les défunts ne peuvent plus rien pour leur propre salut ;
La position orthodoxe ils ne peuvent même plus se repentir. En revanche, les
prières des vivants et le saint sacrifice de la liturgie leur
Il n'y a que deux lieux ou conditions pour les âme dé-
sont profitables. Ils sont accomplis en faveur de tous
funts avant le Jugement dernier : le Paradis et l'Hadès.
ceux qui sont morts dans la foi et séjournent dans l'Ha-
Les âmes des justes séjournent dans le Paradis ; les
dès, quelle que soit l'importance de leurs péchés. Ils
âmes des pécheurs séjournent dans l'Hadès. Ces deux
peuvent cependant soulager de leurs peines tous ceux
conditions sont partielles et provisoires : les justes y re-
qui séjournent dans l'Hadès. Les grands pécheurs eux-
çoivent une béatitude imparfaite et les pécheurs un châ-
mêmes peuvent en recevoir un léger soulagement à dé-
timent incomplet ; ce n'est qu'au Jugement dernier que
faut d'une complète délivrance. Les âmes moins coupa-
leur sort sera fixé définitivement et qu'ils accéderont à la
bles peuvent a fortiori en bénéficier et obtenir d'être ré-
plénitude et à l'éternité de leurs conditions respectives.
unies à celles des justes, le passage de l'Hadès au Para-
On ne trouve ni dans les Écritures ni chez les Pères la dis étant possible avant même le Jugement dernier.
mention d'un troisième lieu, ni d'une troisième condition Quant aux âmes des justes, elles profitent également des
comme celle que les Latins appellent « Purgatoire ». prières faites à leur intention puisqu'elles n'ont pas en-
Les âmes de ceux qui se sont rendus coupables de pé- core atteint la parfaite béatitude. En tout état de cause,
chés mineurs (que les Latins appellent « véniels »), qui les bénéfices que les âmes qui sont dans l'Hadès reçoi-
se sont repentis de ces péchés avant leur mort et qui ont vent des prières des vivants ne tiennent qu'à la miséri-
été pardonnés, sont blanchies et n'ont pas besoin d'être corde de Dieu sollicitée par ces prières.
purifiées après la mort ni châtiées. Elles rejoignent donc Extrait du livre La vie après la mort
les âmes des justes dans le Paradis, où néanmoins il y a selon la tradition orthodoxe, Cerf, 2001, pp. 208-211.
de nombreuses demeures, les âmes étant justes à diffé-
NOTES
rents degrés ; elles jouissent de la liberté et du repos, el-
les sont dans la proximité de Dieu et le voient en pro- 1. Pour un exposé plus complet, voir, outre l'exposé du cardi-
portion de leur pureté. nal Cesarini (et qualifié par M. Jugie d'« exposé aussi court
que lucide de la doctrine occidentale »), la synthèse d' A. MI-
Les âmes de ceux qui se sont rendus coupables de pé- CHEL, « Purgatoire », Dictionnaire de théologie catholique,
chés mineurs mais ne se sont pas repentis et dont les pé- 13-1, 1936, col. 2246-2261.
chés n'ont pas été pardonnés, rejoignent les âmes des
2. Que l'on a pu cependant constater dans plusieurs cas,
grands pécheurs dans l'Hadès. Mais dans l'Hadès, de comme celui l'empereur Trajan arraché à l'enfer par les priè-
même, il y a « de nombreuses demeures » ; les âmes des res de saint Grégoire le Grand, ou celui de la païenne Falco-
grands pécheurs non repentis se situent dans les degrés nille. sauvée par les prières de sainte Thècle.

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LA SECONDE MORT1
par Alexis van Bunnen
Pro et contra moins à titre de possibilité ultime de notre liberté ;
comme le dit bien Marcel Jouhandeau : « A moi seul, je
L’enfer, ce mot terrible qui servit si longtemps d’instru-
puis dresser en face de Dieu un empire sur lequel Dieu
ment de répression privilégié à tous les terrorismes reli-
ne peut rien, c’est l’enfer... si l’homme ne comprend pas
gieux, paraît aujourd’hui plus que démodé : une indé-
l’enfer, c’est qu’il n’a pas compris son propre cœur »
cence, voire une insulte à la bonté et à l’amour infini de
(4).
Dieu. Et certes, il y a de quoi. On se demande parfois
quelle conception de Dieu avaient ces hommes qui ai- Les paradoxes de l’enfer
maient à se représenter les tourments de l’enfer. Son-
Pourtant, nous ne pouvons nous contenter de cette ré-
geons à Dante et à certains artistes religieux du Moyen
ponse purement formelle. Il nous faut aller plus loin.
Âge et des temps modernes. Songeons aussi à ces théo-
Même si nous n’admettons l’enfer qu’à titre de possibi-
logiens (et non des moindres : saint Augustin et saint
lité extrême, de réalité purement conditionnelle, cette
Thomas d’Aquin en font partie) qui, dès l’Antiquité et
seule possibilité pose à notre conscience chrétienne des
jusqu’à une date assez récente, discutaient très sérieu-
questions vraiment cruciales. Si l’enfer existait, même
sement de la matérialité du feu de l’enfer et du purga-
pour un seul, cela ne signifierait-il pas d’échec définitif
toire, tout en se demandant comment un feu matériel
du projet divin, ne serait-il pas comme un chancre dans
pouvait faire souffrir une âme spirituelle ! Pour un
l’Absolu ? D’ailleurs, le Credo ne dit-il pas que le
homme comme Nietzsche en tout cas, poser des ques-
Christ est descendu aux enfers ? Que signifie cela, sinon
tions pareilles et vivre avec de telles représentations si-
que la rédemption ne connaît pas de limites ? La contra-
gnifie tout simplement ceci : Dieu n’est, pour les chré-
diction pourrait-elle être irréductible entre la liberté et
tiens, que l’instrument de leur ressentiment sordide à
l’amour ? Ces deux infinis pourraient-ils absurdement
l’égard de ceux qui sont différents d’eux ; et de citer
s’exclure au lieu de se confondre ?
complaisamment, pour illustrer son propos, cette parole
atroce de saint Thomas d’Aquin : « Les bienheureux, Mais ce ne sont encore là que questions métaphysiques,
dans le royaume des cieux, contempleront les souffran- beaucoup trop « objectives » pour être vraiment parlan-
ces des damnés pour que leur béatitude soit complète » tes. La vraie question angoissante parce que profondé-
(2) ... ment existentielle, est celle-ci : si l’enfer existe, qu’en
est-il de cette communion universelle que nous tentons
On n’a d’ailleurs pas attendu notre époque pour se ré-
laborieusement d’établir déjà sur cette terre ? Comment
volter contre l’idée d’un enfer éternel. Dès le IIIe siècle,
pourrions-nous jamais supporter qu’une personne que
Origène professait, entre autres opinions audacieuses,
nous aurions ne serait que croisée au cours de notre vie
une doctrine parfois désignée sous le nom
puisse être séparée de nous pour toujours ? Je veux citer
d’apocatastase universelle (ce qui signifie en grec « ré-
ici assez longuement un beau texte de Nicolas Berdiaev
tablissement, réhabilitation ») ; selon lui, les damnés et
qui pose la question avec toute l’âpreté désirable :
les démons finiront inévitablement par revenir à Dieu
lorsqu’ils auront épuisé tous les aspects du mal, Dieu « Il est difficile de comprendre et d’accepter la
seul étant infini. On retrouve cette idée chez de grands psychologie de ces chrétiens dévots qui admettent
Pères de l’Église comme saint Grégoire de Nysse et paisiblement que ceux qui les entourent, parfois
saint Grégoire de Naziance, chez quelques Pères moins même leurs proches, soient en enfer. En réalité, je
célèbres ainsi que dans quelques textes de Berdiaev et, ne devrais pas m’accommoder de l’idée que l’être
de manière hypothétique, chez Paul Evdokimov. avec lequel je prends le thé puisse être condamné à
L’Église, toutefois, a condamné l’origénisme comme la damnation. Si les hommes étaient moralement
doctrine lors du Ve Concile œcuménique (553) tout en sensibles, ils auraient tendu toute leur volonté vers
maintenant l’apocatastase universelle comme objet la délivrance de chaque être qu’ils ont rencontré
d’espérance et de prière. En effet, poser comme certaine dans la vie... Cela revient à dire que je ne puis pas
l’espérance du salut universel, c’est faire trop bon mar- me sauver individuellement, me faufiler, en quel-
ché de la liberté humaine : « Admettre, avec Origène, que sorte, dans le Royaume de Dieu en escomptant
que le mal finira par s’épuiser, Dieu seul étant infini, mes mérites personnels Une semblable conception
c’est oublier que la liberté personnelle, justement parce du salut détruit l’unité du cosmos. Je ne puis ac-
qu’elle constitue l’image de Dieu, revêt un caractère ab- cepter le paradis pour moi si mes parents, mes pro-
solu » (3). Il faut donc admettre que l’enfer existe, au ches ou, même simplement les êtres que j’ai été
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amené à rencontrer dans la vie, doivent être en en- de cette conception par l’existence, dans l’espace inter-
fer ; si Boehm y est condamné corne « hérétique », sidéral, de ces fameux « trous noirs », étoiles éteintes
Nietzsche comme « antéchrist », Goethe comme dont la masse est telle qu’elles absorbent toute lumière
« païen » et Pouchkinene comme « pêcheur ». Je sans pouvoir la rayonner...
ne puis concevoir comment certains catholiques
Ainsi si l’enfer a un sens, il ne peut en aucun cas être
qui, dans leur théologie ne sauraient faire un pas
l’effet d’une condamnation divine ou de la non-
sans Aristote, peuvent admettre en toute quiétude
satisfaction d’un contrat juridique. Si damnation il y a,
qu’il brûle dans l’enfer en tant que non-chrétien.
elle ne viendra jamais de Dieu. Mais « Dieu peut tout
Cette conception nous est devenue intolérable et ce sauf forcer l’homme à l’aimer » : l’enfer ne peut donc
fait marque un progrès considérable de la cons- être que la condition d’existence de celui dont l’absence
cience morale. Si je suris à ce point redevable à ou le refus d’amour seraient tels qu’il deviendrait in-
Aristote ou à Nietzsche, je dois partager leur desti- sensible à toute avance de Dieu et à toute relation avec
née, prendre sur moi leurs tourments, les libérer de ses frères. L’enfer ne peut être que solitude totale et dé-
l’enfer La conscience morale débuta par la ques- finitive. N’est-il pas révélateur que le mot « diable »
tion divine « Caïn, qu’as-tu fait de ton frère vienne du grec diabolos qui veut dire « séparateur » ?
Abel ? » Elle s’achèvera par cette autre question :
Qu’en est-il alors de la communion universelle ? Je
Abel, qu’as-tu fait de ton frère Caïn ? » (5).
crois que là-dessus une parabole étonnante - et le plus
Pour une démythologisation de l’enfer souvent incomprise - de l’Évangile de Luc, celle de
l’intendant infidèle (Lc 16, 1-9) nous apporte quelques
Nous n’aurons bien entendu jamais de réponses à toutes
lumières. On connaît l’histoire : un intendant dilapide
ces questions. Elles ont cependant pour avantage de ra-
les biens de son maître ; celui-ci, l’ayant appris, le
viver notre prière et notre action pour le salut universel.
chasse de sa maison. L’intendant, alors, trafique les re-
Toutefois, à partir d’elles, on peut aussi tenter une cer-
connaissances de dettes des débiteurs de son maître
taine « démythologisation » de l’enfer qui apportera
« pour qu’une fois relevé de sa gérance il y en ait qui le
non des réponses sûres mais des issues possibles.
reçoivent chez eux » (Lc 16, 4). La conclusion de la pa-
Tout d’abord, l’enfer dont nous parlons n’est pas l’enfer rabole est inattendue : alors qu’on imaginerait le maître
de l’Ancien Testament, le schéol. Cet enfer, où le Christ furieux d’avoir été roulé, il nous est dit que « le maître
est descendu après sa mort, représente le « lieu » d’où loua cet intendant malhonnête d’avoir agi de façon avi-
Dieu est absent ; il est l’état générique, « naturel » de sée. Car les enfants de ce monde-ci sont plus avisés
l’homme séparé de Dieu par l’abîme d,u péché. Mais avec leurs semblables que les enfants de lumière » (Lc
par son incarnation, le Christ est descendu même aux 16, 8). Et le commentaire du Christ est encore plus
enfers, dans les profondeurs de la mort et il n’y a plus étonnant : « Eh bien ! moi je vous dis : faites-vous des
de lieu où Dieu ne soit présent. « En Christ descendant amis avec l’argent malhonnête afin qu’au jour où il
aux enfers, Dieu a pris possession non seulement du viendra à manquer, ceux-ci vous reçoivent dans les ten-
« ciel » et de la « terre », mais des « lieux inférieurs » tes éternelles » (Lc 16, 9).
dans leur plus profonde profondeur. Il n’y a plus d’état
Qu’est-ce à dire sinon que tous les moyens sont bons du
de séparation, de lieu spirituel d’où Dieu serait absent.
moment que nous établissons des relations positives
Mais Dieu ne peut contraindre la liberté des personnes »
avec nos frères : nous pouvons avoir commis les pires
(6).
fautes vis-à-vis de Dieu (le maître de la parabole), si
Si l’enfer « naturel » est détruit par la Croix, un enfer nous avons tissé des liens d’amitié avec « des enfants de
personnel reste cependant possible, même s’il nous pa- lumière », nous réussirons, par leur intermédiaire, à en-
rait impensable. Mais ce n’est plus un lieu ou un état dé- trer dans les « tentes éternelles » ; car Dieu ne séparera
terminé : il serait parfaitement vain de vouloir faire une pas aux cieux ce qui s’est uni sur la terre. Et soit dit en
« ontologie régionale » de l’enfer. S’il devait exister, ce passant, telle est la seule action positive que nous puis-
ne serait pas le « lieu » de l’absence de Dieu mais plutôt sions accomplir pour le salut universel et dont le Christ
« le résultat paradoxal de notre propre absence à la nous donne l’exemple : en visitant les prisonniers, les
toute-présence de Dieu ». (7). Saint Isaac le Syrien dit malades, les publicains et les pêcheurs, nous pouvons
que les pécheurs dans l’enfer ne sont pas privés de devenir sans le savoir le maillon de la chaîne qui les
l’amour divin, mais que c’est le même amour qui sub- unira à la communion des saints. À moins, ce qui est
jectivement devient souffrance pour les réprouvés et plus probable, que nous ne soyons sauvés par eux : les
joie pour les bienheureux (8). La même idée a été re- publicains et les prostituées ne nous précéderont-ils pas
prise par Dostoïevski et par de nombreux écrivains or- dans le Royaume des cieux ?
thodoxes. On peut avoir une illustration métaphorique
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Signification évangélique de l’enfer tre que nous-mêmes » (10). C’est pourquoi la plus haute
forme de prière est sans doute celle qu’un humble cor-
Pourtant, quel que puisse être l’intérêt de toutes ces
donnier d’Alexandrie enseigna à saint Antoine : « Que
considérations, l’essence même du problème de l’enfer
tous soient sauvés, moi seul mérite d’être damné ». Pour
n’a pas encore été effleurée. Car il reste une question
saisir le sens profond de l’enfer, il nous faut donc réso-
troublante à résoudre : que signifie la mention répétée
lument dépasser toutes formes de considérations « ob-
de l’enfer dans les Évangiles ? L’Évangile, nous le sa-
jectives » sur lui : « On ne peut parler de l’enfer, au neu-
vons, n’est pas un ensemble de spéculations gratuites
tre, selon des spéculations bien agencées, avec l’arrière-
sur l’au-delà ; il est une parole de vie et d’amour. Alors,
pensée qu’il s’agit, bien entendu, d’un enfer pour les au-
que vient faire l’enfer dans tout cela ?
tres... Les menaces évangéliques me concernent, elles
L’amour que Dieu nous porte est absolu ; il fait donc font l’immensité tragique de mon destin, elles me pous-
appel au plus intime de notre liberté. Du coup surgit la sent au grand retournement à la conscience d’être en en-
possibilité de refuser cet amour. Il n’y a pas de troi- fer, d’être responsable de l’enfer... Mais pour toi, le toi
sième possibilité, de neutralité possible. C’est parce que innombrable du prochain, je ne puis que servir, prier,
l’amour de Dieu, révélé en Jésus-Christ, est total qu’il espérer, que tu seras sauvé... » (11).
est sans échappatoires et qu’il doit être réciproque,
Ainsi, tout s’inverse et se transforme : l’enfer, qui aussi
même s’il n’est pas symétrique : Dieu nous respecte
longtemps que nous nous obstinons à le penser pour les
trop pour pouvoir nous dire « Je t’aime, que veux-tu que
autres, est un scandale ou une hypocrisie, devient,
cela te fasse ? » Il ne peut être indifférent à notre ré-
quand on l’assume personnellement, le signe lancinant
ponse et, en nous appelant, il prend le risque d’être reje-
de notre propre manque à aimer. L’enfer, que nous
té...
concevons trop souvent comme le rejet par Dieu du pé-
C’est parce que l’enfer nous est révélé comme possible, cheur ou du maudit, nous apparaît pour ce qu’il est
dans le don même de l’amour qu’il ne peut être considé- vraiment : la possibilité de notre rejet de Dieu, par
ré que dans cette perspective : « La damnation n’est ja- égoïsme conscient et entêté. À la limite, l’enfer se ré-
mais une prédication moralisante destinée à infliger une vèle comme le risque fou qu’a pris Dieu en appelant
« crainte salutaire » de pauvres bougres non concernés ; l’homme à l’existence. « Nous touchons ici une limite
elle ne peut être qu’une méditation à l’usage des fer- où l’intelligence hésite, interdite et désarmée. Si la
vents, pour activer leur amour » (9). Le Christ du reste damnation est pour l’homme une éventualité terrible,
n’évoque guère l’enfer que devant ses disciples : «Je combien plus pour Dieu ? Pourquoi ne penser qu’à moi,
vous le dis à vous, qui êtes mes amis... craignez celui ou à nous ? et si peu à lui ? Au vrai, le dogme ne rensei-
qui, après avoir tué, a le pouvoir de jeter dans la Gé- gne pas ; il convie à une attitude intérieure : l’espérance
henne ; oui, je vous le dis, celui-là, craignez le » (Lc 12, en forme de prière. J’espère pour tous les hommes sans
4-5). en excepter un seul, même monstrueux, à la face de
Et surtout, parce que l’enfer nous est révélé dans l’univers ; j’espère aussi pour Dieu. Je prie Dieu pour
l’amour, qu’il ne peut être qu’un enfer personnel, libre- tous ; je le prie aussi pour lui » (12).
ment choisi, il ne peut être l’objet que d’une méditation L’enfer, s’il existe, ne serait-ce pas finalement l’ultime
strictement personnelle. « L’enfer nous paraîtra toujours et secrète souffrance de Dieu ?
une énormité, tant que nous le penserons pour autrui,
Paru dans Contacts, vol. 29, no. 98, 1977.
tant que nous persisterons a imaginer en son feu un au-
NOTES
1. Le titre de notre article est emprunté à un passage de commentateur interprète le texte comme suit : « Ce texte si-
l’Apocalypse qui désigne l’enfer : Alors la Mort et l’Hadès gnifie que les élus se réjouissent du choix libre des damnés.
furent jetés dans l’étang de feu - c’est la seconde mort cet Car cette damnation est vraiment, totalement, un choix libre
étang de feu - et celui qui ne se trouva pas inscrit dans le li- des damnés. Ils le choisissent non comme un mal mais à
vre de vie, on le jeta dans l’étang de feu . (Ap 20, 14-15). cause du bien (apparent) qu'il y a en enfer : C'est le même lieu
2. Généalogie de la Morale, I § 15. La citation de Nietzsche que le paradis, mais dans une liberté totale, absolue, divine...
étant faite en latin, cela nous semble une garantie presque cer- et sans amour (mais ils ne voudraient pour rien au monde de
taine de son authenticité. [Commentaire de la rédaction : Le cet amour) ». Une traduction moderne du texte se lit : « Ainsi
texte en question se trouve dans le Supplément à la Somme les saints se réjouiront des peines des impies en considérant
théologique de saint Thomas d’Aquin, écrit, non par saint l’ordonnance de la divine justice pour ceux-ci, et leur libéra-
Thomas, mais par son secrétaire particulier, frère Réginald, à tion personnelle, source de joie. Ainsi la justice divine et la
partir d’œuvres de jeunesse du Maître. Il est donc possible de libération des bienheureux seront par elles-mêmes causes de
questionner si saint Thomas aurait écrit le texte tel quel. Un

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joie, tandis que la peine des damnés ne le sera que par acci- 7. Isaac le Syrien, Homélies spirituelles, 11, 1 ; cité par Paul
dent » (Supplément, Q 94,3).] Evdokimov, L’amour fou de Dieu, p. 99.
3. O. Clément, Questions sur l’homme, Stock, 1972, p. 207. 8. Ibid., p. 89.
4. Cité par Paul Evdokimov, L’amour fou de Dieu, Seuil, 9. A. Manaranche, Je crois en Jésus-Christ aujourd’hui, Seul,
1973, p. 33. 1968, p. 180.
5. N. Berdiaev, De la destination de l’homme ; Essai 10. Ibid., p. 183.
d’éthique paradoxale, « Je sers », 1935, p. 355-356. 11. O. Clément, Questions sur l’homme, p. 210.
6. Mgr A. Bloom, « Comme un vivant revenu d’entre les 12. F. Varillon, La souffrance de Dieu, Le Centurion, 1975, p.
morts », in Contacts, no 85, 1975, pp. 88-89. 110.
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CHRISTIANISME ET RÉINCARNATION
par Paul Ladouceur
L’idée de la réincarnation est à la fois ancienne et nou- nant le relativisme spirituel – « toutes les religions sont
velle en Occident. Ancienne, car la croyance en la réin- identiques et bonnes ».
carnation, sous sa forme de « métempsychose » (du grec
Pour certains occidentaux, la croyance en la réincar-
« migration des âmes »), était très répandue dans le
nation fait partie d’un engagement dans une religion
monde antique grec et romain ; nouvelle, car de nos
orientale, alors que d’autres tentent de réconcilier l’idée
jours ce n’est pas l’idée ancienne de la métempsychose
de la réincarnation avec le christianisme. Pour la plupart
qui est revenue, mais plutôt une transposition de la doc-
des gens, orientaux et occidentaux, la réincarnation est
trine de la réincarnation venue des traditions spirituelles
une question de foi et non de raison – même si les reli-
de l’Orient, de l’hindouisme et du bouddhisme (la réin-
gions orientales, le bouddhisme en particulier, avancent
carnation, ne figure pas dans les traditions spirituelles
un raisonnement complexe pour « prouver » la réincar-
d’origine chinoise, le taoïsme et le confucianisme).
nation. Une tentative de réfuter la réincarnation par des
Mais la « forme occidentale » contemporaine de la réin-
arguments essentiellement philosophiques et rationnels
carnation représente néanmoins une « mutation » de
est donc souvent vouée à l’échec. Autant les hindous et
l’idée antique et orientale, car on limite généralement la
les bouddhistes acceptent la réincarnation comme une
possibilité de réincarnation aux seuls corps humains et
donnée de leur religion, autant la tradition chrétienne
non pas aux autres formes de vie, les animaux, les insec-
(catholiques, orthodoxes et protestants) et les traditions
tes, voire même les plantes. Aussi, alors que
juive et musulmane acceptent l’idée de la vie unique.
l’hindouisme et le bouddhisme considèrent la réincarna-
Inutile d’essayer de convaincre les uns ou les autres par
tion comme une catastrophe – le but de la vie étant de se
des arguments rationnels. La réincarnation s’insère es-
libérer du cycle des existences dans les deux cas – beau-
sentiellement dans un contexte de foi et de vie spiri-
coup d’Occidentaux croient que la réincarnation est dé-
tuelle.
sirable en soi.
La question essentielle est alors : La réincarnation est-
La croyance en la réincarnation est venue en Occident
elle compatible avec la foi et la spiritualité chrétiennes ?
essentiellement par deux voies : 1) l’intérêt et la décou-
verte des anciennes religions orientales par en Occident On a tenté d’avancer des arguments en faveur de la ré-
à la fin du XIXe siècle, par des groupes essentiellement incarnation à partir de certains textes de la Bible et des
ésotériques et en marge du christianisme, par exemple écrits de certains Pères de l’Église, disant que cette
les Théosophes, ou en dehors de toute identification croyance était répandue chez les apôtres et dans les
avec le christianisme ; et 2) la présence active des reli- premières communautés chrétiennes, et que ce n’est que
gions orientales en Occident, phénomène de plus en par la suite que l’Église l’a supprimée. Ces arguments
plus marqué depuis la Deuxième Guerre mondiale, et sont sans fondement et ont été définitivement réfutés
l’attrait de celles-ci pour un nombre croissant d’Occi- (1).
dentaux en quête d’une spiritualité satisfaisante qu’ils Les Pères de l’Église ont activement combattu l’idée
ne trouvent pas dans le christianisme contemporain. ancienne de la métempsychose. Les partisans de la réin-
De ces deux sources, l’idée de la réincarnation est pas- carnation citent Origène comme étant « réincarna-
sée dans nombre de groupes et tendances « nouvel âge – tioniste », mais c’est faux : Origène avançait l’idée de la
New Age », souvent hostiles au christianisme ou prô- « préexistence des âmes », doctrine connexe à la réin-
carnation, mais les textes d’Origène prouvent qu’il lut-
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tait contre la métempsychose en soi. La doctrine tiques, qui ne laissent aucune place pour le pardon divin
d’Origène a été définitivement condamnée au Ve Con- et le salut apporté à l’humanité par le Christ Jésus. Car
cile œcuménique en 553. le karma et la réincarnation sont gouvernés par une loi
immutable, impersonnelle, qui n’entrevoit aucunement
Un des soucis principaux des Pères était de démontrer
une intervention de Dieu, mu par l’amour de l’homme,
puis de défendre l’intégrité et la noblesse de la personne
dans les affaires de l’homme. À la rigueur, ces lois relè-
humaine, composée, selon certains, d’un corps et d’une
vent d’une conception non seulement impersonnelle,
âme, selon d’autres, des trois éléments, corps, âme et
mais aussi déterministe de l’univers, qui réduit la liberté
esprit. L’homme étant créé à « l’image de Dieu » (cf.
fondamentale de l’homme : il devient le sujet passif de
Gn 1,26), cette image est donc sacrée et même le péché
forces qui le dépassent. En fait, le repentir et le pardon
originel d’Adam, la chute et l’exil de l’homme loin du
des péchés, enseignements essentiels de la Révélation et
Paradis et de l’intimité avec Dieu ne peut effacer ou dé-
de la vie spirituelle du chrétien, deviennent impossibles
truire cette image sacrée qu’il porte en lui. Le devoir et
dans ce schéma. Ce genre d’atteinte à la responsabilité
le devenir de l’homme est de restaurer entièrement cette
personnelle des ses propres actions sape les fondements
image, d’atteindre la « ressemblance » avec Dieu, objec-
même de la vie spirituelle. La seule façon de détruire le
tif qui est devenu atteignable par l’Incarnation de la
mauvais karma est de le remplacer par le bon karma,
deuxième Personne de la Sainte Trinité, le Christ Jésus,
soit des bonnes actions et un vie vertueuse. Cela est cer-
vrai Dieu et vrai Homme (Symbole de Nicée-
tainement positif, mais il n’y a alors plus de place pour
Constantinople). L’anthropologie des Pères se résume
le rapport personnel avec Dieu, à qui appartient le pou-
dans la fameuse phrase de saint Irénée de Lyon répétée
voir de pardonner. Dans le schéma karma-réincarnation,
inlassablement depuis : « Dieu est devenu homme afin
l’homme devient seul entièrement responsable de son
que l’homme puisse devenir Dieu ».
salut ; or, dans le christianisme, en particulier chez les
Or, l’idée de la réincarnation porte atteinte à deux as- Pères d’Orient, c’est le Christ, par sa vie, sa mort, sa
pects fondamentaux de l’image de Dieu en l’homme : la Résurrection, qui apporte le salut à l’humanité et le salut
personne et la liberté – aspects qui, pour les Pères, ré- est fondé sur un rapport synergétique entre Dieu et
sument l’essentiel de ce qu’est l’homme, ses qualités l’homme : l’action divine se joignant alors à la volonté
divines inaliénables. Il n’est possible en effet de croire humaine.
en la réincarnation sans accepter aussi d’autres idées
La croyance en la réincarnation peut-elle être nuisible à
connexes qui font partie de la structure essentielle des
la vie spirituelle ? Ou reste-elle une notion plutôt abs-
religions orientales, en particulier le karma et la libéra-
traite, sans rapport avec la pratique et la vie spirituel-
tion du cycle des existences, à la suite de passage d’un
les ?
« seuil » quelconque de vertu et d’illumination.
Oui, la réincarnation peut endommager la vie spirituelle
La doctrine de la réincarnation, telle qu’on la trouve
du chrétien, en influençant le chrétien dans le sens de
dans les religions orientales, remet en cause et même
pensées ou de gestes qui nuisent au salut. Par exemple,
détruit la notion patristique de la personne, l’hypostase
la croyance en la réincarnation peut suggérer au chrétien
dans le langage des Pères. Car dans ces religions, la per-
de remettre « à une autre vie » le repentir pour les fautes
sonne, unique et responsable, n’est qu’une illusion, illu-
commises en cette vie actuelle, alors que dans la spiri-
sion appelée à disparaître par suite de la libération du
tualité chrétienne, la reconnaissance des péchés et le re-
cycles des existences, soit en se fondant dans un divin
pentir sont essentiels au salut : « Tes péchés sont remis ;
impersonnel (hindouisme) soit en atteignant un état de
va et ne pèche plus » (Mt 9,2 ; Lc 7,47 ; Jn 8,11.). Pire
nirvana, peu précis mais en tout cas aussi impersonnel
encore, la croyance en la réincarnation peut pousser un
(bouddhisme). Ceci est contraire à la théologie chré-
chrétien à, en fait, abandonner la vie spirituelle à cause
tienne, qui voit la vocation de l’homme comme celle de
d’une passion non maîtrisée : « Je rattraperai dans une
la déification : tout en gardant son être personnel essen-
vie future ».
tiel, l’homme s’unit à Dieu, être personnel, dans une
communion à l’instar de la communion entre les Per- Aussi, la croyance en la réincarnation , accompagnée de
sonnes divines elles-mêmes : « Donne-nous de commu- celle du karma, son pendant essentiel, peut mener le
nier à toi plus intimement dans le jour sans crépuscule chrétien à un manque de charité à l’égard de son pro-
de ton Royaume », disons-nous après avoir communié chain souffrant ou en détresse, car il est trop facile dans
(Liturgie de saint Jean Chrysostome). cette perspective de voir dans les malheurs d’autrui les
fruits d’un « mauvais karma », que la personne doit en-
La croyance en la réincarnation peut avoir une influence
durer afin de s’en libérer. Le Samaritain de la parabole
subtile, mais pernicieux pour le chrétien : les doctrines
de Jésus est venu en aide à son prochain en détresse
de la réincarnation et du karma sont des doctrines holis-
sans se demander si ce malheur lui était arrivé à cause
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d’un mauvais karma des vies précédentes. « Va et toi L’enseignement de l’Église est que le Christ assume la
aussi, fais de même », nous dit le Christ (Lc 10,29-37). totalité de la nature humaine afin de la sauver.
La réincarnation rend difficile, sinon impossible, la Et la Vierge Marie, la sainte Mère de Dieu, et les saints
croyance chrétienne en la résurrection, élément de foi : de tous les temps : sont-ils sujets au cycle des existen-
« Je crois en la résurrection des morts » (Symbole de ces ? Selon l’enseignement oriental de la réincarnation,
Nicée-Constantinople). Dans l’enseignement patristi- on pourrait dire que la sainte Mère de Dieu et les saints
que, l’âme humaine garde une certaine identification « échappent » le cycle des existences parce qu’ils ont
avec son corps, même après que la mort a dissout les atteints la perfection. Dans la Tradition orthodoxe, seul
éléments qui le composaient. Le corps qui doit ressusci- le Christ est « sans péché », la Mère de Dieu est
ter est bien celui dont jouissait la personne de son vi- exempte de tout péché personnel, mais pas des consé-
vant, comme le Corps du Christ après la Résurrection, quences du péché originel, alors que les saints ne peu-
un corps transfiguré, spiritualisé, déifié par vent pas atteindre la perfection absolue dans cette vie, la
l’inhabitation de la Sainte Trinité. Si, selon la théorie de perfection appartenant à Dieu seul : « Un seul est Saint,
la réincarnation, l’âme a « occupé » plusieurs, même un seul est Seigneur, Jésus Christ, à la gloire de Dieu le
d’innombrables corps, cette identification de l’âme avec Père », chantons-nous à la Liturgie de saint Jean Chry-
son propre corps unique est impossible. Quel corps alors sostome.
ressusciterait ? Un nouveau corps, qui n’a aucun rapport
Le risque qui accompagne toute tentative d’intégrer la
avec les corps « occupés » avant la résurrection ? Ceci
réincarnation dans le christianisme est qu’on soit obligé
n’a aucun fondement dans la tradition chrétienne.
d’admettre de plus en plus d’éléments, d’idées théologi-
La croyance en la réincarnation peut aussi mener le ques et spirituelles, étrangères au christianisme, qui au-
chrétien à avoir une curiosité malsaine au sujet de ses rait pour résultat que le christianisme devienne une sorte
« vies antérieures ». Ne trouvant pas dans le christia- de « variation » ou de « secte » des religions orientales.
nisme de moyen de satisfaire cette curiosité, il peut être Sans doute la plupart des chrétiens qui acceptent l’idée
mené à chercher ailleurs, dans des pratiques ésotériques de la réincarnation le font un peu la légère, sans pousser
et occultes qui l’éloigne davantage du christianisme. jusqu’au fond les implications d’une telle croyance,
mais peut-être aussi sans y attacher beaucoup d’impor-
À la rigueur, la croyance en la réincarnation peut mener
tance. Mais la croyance en la réincarnation reste néan-
le chrétien à négliger les pratiques spirituelles qui font
moins une menace à la foi et la pratique du christia-
partie intégrante du christianisme, notamment la partici-
nisme.
pation aux sacrements et la fréquentation de la commu-
nauté chrétienne. Il faut reconnaître que la réincarnation est un « cheval
de Troie » pour le christianisme et est fondamentale-
La tentative d’intégrer la croyance en la réincarnation se
ment incompatible avec le christianisme. Ceci sans por-
heurt à d’autres difficultés théologiques : Comment et à
ter jugement sur ceux d’autres traditions spirituelles qui
quel moment le cycle des existences (ou des vies hu-
croient à la réincarnation, car c’est pour eux le moyen
maines) est-il mis en marche ? Comment est-il arrêté ?
de salut et il ne nous appartient pas de juger le salut
Il est impossible d’intégrer les réponses données par les
d’autrui. La croyance en la réincarnation peut convenir
religions orientales à ces questions dans la vision chré-
aux hindous et aux bouddhistes, elle est partie intégrante
tienne de l’homme et du salut.
de leur tradition mais elle ne convient pas aux chrétiens
Autres difficultés : Le Christ est-il assujetti au cycle des et ne peut pas faire partie du christianisme. Les chré-
existences ? Dire que le Christ a ou aura d’autres exis- tiens doivent rester dans leur tradition et exercer un re-
tences nie tout l’enseignement néo-testamentaire et pa- gard charitable sur les autres traditions, oui, ils peuvent
tristique sur le second et glorieux retour du Christ à la nouer des liens fraternels et essayer de comprendre les
fin des temps, doctrine qui est un élément de foi : « et autres religions, tout en reconnaissant l’incompatibilité
qui reviendra en gloire juger les vivants et les morts » de certaines notions essentielles de ces religions avec le
(Symbole de Nicée-Constantinople). Si l’on tente christianisme, ce qui n’empêche pas la charité.
d’intégrer le réincarnation dans le christianisme en di-
NOTES
sant que le Christ n’est pas sujet au cycle des existences,
ceci diminue la réalité de l’Incarnation, car dans ce cas, 1. Voir par exemple Jean Vernette, Réincarnation - résurrection,
Salvator, 1988 ; en ce qui concerne les Pères de l’Église, l’excellent
le Christ ne serait pas devenu homme parfait, semblable article de Louis Bukowski, « La réincarnation selon les Pères de
à l’homme en tout sauf le péché, il n’aurait pas « assu- l’Église », in Gregorianum, 9, 1928, pp. 65-91 ; sur internet : « Bible
mé » toute la réalité humaine, alors que les Pères ensei- et réincarnation » www.unpoissondansle.net/reincarn/reincarn.php ;
gnent que « ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé ». « Reincarnation » http://www.catholic.com/library/reincarnation.asp.

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PARLER DE LA MORT AUX MOURANTS


par Mgr Antoine Bloom
Le texte qui suit est un extrait de la transcription votre égard, dégagez-vous de tout ressentiment, de toute
de la période de questions après une conférence haine, de toute culpabilité, de tout ce qui est destructeur
prononcée par Mgr Antoine sur le sujet « Comme en vous. Ensuite, allez dans le passé et, là aussi, faites la
un vivant revenu d’entre les morts ». paix ».
Question : Je suis étudiant en médecine, en contact avec Au bout de plusieurs semaines cet homme m’a dit :
beaucoup de personnes qui vont mourir sans le savoir « Savez-vous, c’est étrange. Je suis de plus en plus fai-
ou en refusant de le savoir. Qui peut être mon rôle en ble, je me sens mourir, et je ne me suis jamais senti aus-
tant que chrétien, étant donné que je suis moi-même en- si vivant ». Nous avons continué la réflexion et, plus
core incapable de vivre chaque moment comme le der- tard encore, il m’a dit : « J’ai toujours pensé que la vie
nier ? dépendait de moi, de l’intégrité de mon corps. Or, moins
j’ai de vigueur dans le corps, plus je me rends compte
Mgr Antoine : On ne peut répondre en quelques phrases,
que je suis une personne, indépendante de cet état phy-
car il n’y a pas de recette précises. Du reste, le problème
sique. Je vis, tandis que mon corps se meurt ». C’est
du mourant ne se pose pas uniquement au médecin et au
alors que nous avons commencé à parler de sa mort, et il
prêtre, mais à tout l’entourage. Dans cette situation et
est entré dans la mort comme pour dépasser le mourir
ces relations complexes, où le mourant doit être préparé
dans le vivre. Il est entré dans la mort en se sentant tel-
à se détacher de la terre pour entrer dans la vie éternelle,
lement vivant (malgré la mort de son corps) qu’il
il n’y a personne qui soit tenu par fonction d’intervenir.
n’avait plus peur de mourir. Il savait que la vie était en
Le premier problème c’est : faut-il dire à une personne
lui et qu’il ne dépendait plus que de Dieu. À ce mo-
que la mort la guette ? Je crois qu’on ne peut pas jeter
ment-là, on peut parler de la mort, mais jeter au visage
au visage d’une personne une assertion de ce genre sans
de quelqu’un une phrase comme : « Vous vous rendez
le nuancer. Dire à quelqu’un qui n’y est nullement pré-
compte, c’est un cancer, vous allez en mourir », est
paré : « Vous allez mourir », risque de le jeter dans un
quelque chose d’inhumain et d’erroné.
désespoir dont vous serez incapable de le tirer. Ne rien
dire du tout, c’est vouer à l’inconscience une personne Qui doit faire tout cela ? C’est la personne qui est la
qui a droit à sa propre mort. Il faudrait d’abord nous plus proche du mourant. Ce peut être le médecin, ou une
rendre compte dans ce domaine que nous ne préparons infirmière, ou la femme de ménage, ce peut être la
pas les êtres à mourir, mais à entrer dans la vie éternelle. femme ou le mari, un ami, n’importe qui. Le prêtre aus-
Ce n’est donc pas de mort, mais de vie qu’il faut parler si, évidemment. Mais personne de par sa fonction : seu-
au début. lement de par sa situation concrète par rapport au mou-
rant - ceci est d’une immense importance. Et aussi, une
Je voudrais vous donner un exemple. J’ai connu quel-
personne qui sera prête à ne pas fuir, mais à accepter les
qu’un qui, atteint d’un cancer, a été hospitalisé. Il ne sa-
conséquences de ce qu’elle aura dit.
vait pas encore que la mort était là, toute proche, alors
que son entourage le savait. « Que faire, me dit-il, je Si vous venez vers un malade, vous asseyez à son che-
suis malade, je ne peux plus servir rien ». Je lui réponds vet et lui dites, d’une façon ou d’une autre, abruptement
: « Souvenez-vous, je vous ai entendu dire pendant dix ou peu à peu, qu’il doit faire face à la mort, il faut que
ans que votre rêve était que la vie se ralentisse pour que vous ayez le courage de rester à ses côtés tout le temps
vous ayez le temps de vous reprendre, de vous appro- qui sera nécessaire. Entre l’instant où vous aurez porté
fondir. Vous ne l’avez jamais fait. Dieu le fait pour ce coup et l’instant où la personne ainsi avertie se sera
vous : vous êtes malade, vous n’avez aucune responsa- reprise, vous devez rester là. Porter le coup et dire : « Je
bilité. Réfléchissez, revoyez votre vie tout entière ». vous quitte pour un instant, je vous apporte une tasse de
« Mais dans quel sens le faire ? » me dit-il. Alors je lui thé », c’est laisser quelqu’un seul, abandonné en face de
ai expliqué que la maladie, comme la mort, dépend de la mort, et ce peut être plus que cet homme n’est capa-
facteurs multiples, physiques, mais aussi moraux. « Il y ble de supporter sans être profondément blessé ou brisé.
a des pensées négatives, des dispositions d’âme qui Il faut savoir rester aux côtés de cette personne, un ins-
tuent : le ressentiment tue, la jalousie tue. Bien d’autres tant ou des heures, jusqu’à ce qu’elle émerge de nou-
puissances détruisent en nous la vitalité et en fin de veau à la vie. Il faut savoir aussi revenir et parler encore
comptes la vie même. Repensez donc votre vie, faites la de la mort.
paix avec tous ceux qui, autour de vous, sont tendus à
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L’une des raisons pour lesquelles je pense qu’il faut par- pendant quinze ans, et je ne parle pas à la légère. Je dirai
ler à une personne de la mort, une fois qu’on l’a prépa- donc à notre étudiant en médecine qu’il doit apprendre à
rée, non à mourir, mais à vivre autrement, ce n’est pas ne pas avoir peur de la vérité, mais qu’il doit apprendre
seulement qu’il s’agit de la vérité - cela tombe sous le à communiquer une présence, à donner à celui qui va
sens - mais parce qu’il arrive un moment où la personne mourir la certitude qu’il y aura quelqu’un à côté de lui
qui doit mourir sait que la mort vient. Si on ne lui dit jusqu’au dernier moment et au-delà de ce dernier mo-
rien, alors, elle se trouve emprisonnée dans un men- ment apparent de la mort. Lorsque le mourant tombe
songe. Elle n’ose pas dire à ceux qui l’entourent : « Ces- dans l’inconscience, il ne faut pas dire : « Maintenant il
sez donc cette comédie, vous savez que je meurs ». Et ne se rend compte de rien, nous pouvons le laisser mou-
les autres n’osent pas non plus lui parler. La solitude rir dans son coin ».
peut ainsi devenir plus pesante au mourant que la cons-
Je me rappelle, pendant la guerre, d’un soldat qui était
cience de la mort qui vient. Cela, j’en suis certain, je l’ai
tombé dans l’inconscience ; le jeune pasteur qui
vu, je l’ai éprouvé d’une façon très proche. Il faut briser
s’occupait de lui disait, en larmes dans le couloir : « Je
cette gangue, rompre ce cercle de fer qui rend la mala-
ne peux plus rien pour lui, il ne m’entend pas, il ne peut
die et la mort bien plus difficiles.
plus me répondre ». Je lui ai dit : « Vous ne savez pas ce
Pendant sa dernière maladie, ma mère savait qu’elle al- qu’il entend, ce qui peut l’atteindre. Rentrez dans sa
lait mourir parce que je le lui avais dit. Deux fois elle chambre, asseyez-vous près de lui et lisez-lui l’Évangile
m’a dit : « Comme c’est étrange, je meurs et jamais de résurrection de Lazare ». Il est entré, il a lu, puis il a
nous n’avons été aussi heureux ensemble ». Le fait de lu les quatre Évangiles parce que cette inconscience a
vouloir faire de chaque geste et de chaque phrase ce duré des jours. Or, avant de mourir, ce soldat est revenu
chef-d’œuvre où la vie culminerait si la mort venait au à lui, et il a dit au pasteur : « Je n’ai jamais pu vous faire
même instant avait sans doute donné à notre vie, au signe, mais j’ai tout entendu ». Tout ce que nous pou-
cours des trois années de la maladie de ma mère, une vons faire, c’est donc de partager. Mais nous ne devons
profondeur jamais atteinte auparavant. jamais essayer d’échapper à notre propre angoisse en
oubliant que l’autre est dans une angoisse infiniment
Cela, je crois que nous pouvons le faire à l’hôpital, ou
plus grande.
en médecine générale, quand nous allons voir des mala-
des. J’ai eu l’occasion de côtoyer ainsi des malades Contacts, vol. 27, no. 89, 1975.
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Devant la mort
Dans ce monde cruel et injustifiable, la seule chose à ture ! Face à la simple réalité de leur mort, les raisons de
laquelle nous tenons, ce sont nos proches, ceux qui nous celle-ci ne sont que des détails. […]
prodiguent cette chaleur humaine si parcimonieusement
Nous avons la foi. Et voici que par la seule force de
distribuée, ceux à qui va notre tendresse, notre amour
cette foi, nous sentons que la mort cesse d’être la mort,
sacrificiel. Car dans notre solitude et notre nuit, nous ne
qu’elle devient naissance à l’éternité, que les souffran-
trouvons de réconfort qu’au contact de cette chaleur, de
ces terrestres ne sont que les souffrances de notre enfan-
notre touchant et pitoyable réchauffement l’un par
tement. Et il nous arrive de si bien sentir venir l’heure
l’autre. Or, voilà que ces êtres que nous aimons vont
de cet enfantement désiré que nous sommes prêts à dire
brusquement être arrachés à ce monde ; ils vont passer
à nos douleurs : Accroissez-vous, devenez insupporta-
par des souffrances, des maladies, l’agonie, l’abandon
bles et impitoyables, transformez-moi en cendres, car
et vont disparaître... Où çà ? Vers une vie éternelle ?
mon corps spirituel veut ressusciter, je veux naître à
Vers le néant ?
l’éternité, je suis à l’étroit dans ces entrailles terrestres,
Nous nous retrouvons près de leur lit de mort, sans pou- je veux accomplir ce qui m’est prédestiné, j’ai hâte de
voir les aider, ni prendre sur nous leurs souffrances ; ils retourner dans la maison du Père ! Et je suis prête à tout
n’ont plus besoin de notre chaleur, elle ne va plus les donner, à payer de n’importe quelles souffrances
consoler. Ils ont connu ici-bas la joie et la douleur, ils l’entrée dans cette maison paternelle de mon éternité.
ont réfléchi, ils ont aimé et les voilà partis ! Ils ne sont
Sainte Marie de Paris (Extrait de son essai
plus nulle part sur ce globe terrestre. Ô, Seigneur, de-
« Naissance et mort », in Le Sacrement du frère.)
vant cette chose terrible qu’est leur mort, qu’importent
les raisons de leur décès, qu’ils aient été empoisonnés,
déchiquetés par des chiens ou renversés par une voi-
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PRIONS POUR LES PÉCHEURS,


LES IMPIES, LES INFIDÈLES
ET POUR CEUX QUI SONT EN ENFER
par Jean-Claude Larchet
Les prières liturgiques pour les défunts font apparaître tence sacrée : La mémoire du juste s’accompagne
que celles-ci sont prononcées en tout premier lieu pour d’éloges (Pr 10,7), nous les félicitons, nous offrons
« les Pères morts dans la foi », ou « les fidèles dé- l’encens et la lumière [des cierges et des lampades] à
funts », ou « les fidèles endormis pieusement », « les Dieu et à eux, afin qu’ils se souviennent de nous dans
fidèles qui se sont endormis dans l’espérance de la ré- leurs intercessions en faveur du monde ; ils se tiennent
surrection », ou « les fidèles qui sont morts dans la jus- en effet devant le trône de Dieu avec une allégresse et
tice et dans la foi », ou les « serviteurs » de Dieu » : la une confiance indicibles, à même d’accueillir l’action de
majorité des prières comportent es précisions. Certains grâces que nous élevons avec reconnaissance vers Dieu
ont prétendu que l’Église devait s’en tenir là et que les pour leur fête, ainsi que les aumônes faites aux pauvres
impies et les infidèles devaient êtres exclus de ses priè- en leur honneur3 ».
res publiques pour ne faire l’objet que des prières pri-
D’autres Pères ont avancé une tout autre raison, à savoir
vées des fidèles.
que les justes ont besoin des prières des vivants puisque,
Mais il est incontestable que l’Église prie aussi, à la li- bien que séjournant dans le Paradis, ils n’ont pas encore
turgie même, « pour le salut de tous » les hommes. En atteint la perfection, considération qui se réfère à
effet, si Église, à la liturgie, célèbre le saint Sacrifice du l’Épître aux Hébreux 11, 40 [Dieu prévoyait pour nous
Christ et si le Christ est mort pour tous les hommes, il un sorte meilleur, et ils (les justes de l’Ancien Testa-
serait peu conséquent qu’elle exclue certains hommes ment) ne devaient par parvenir sans nous à la perfec-
de sa prière... tion], mais aussi à la conception orthodoxe selon la-
quelle, avant le Jugement dernier, la condition de ceux
Si l’on observe l’ordre des prières liturgiques, on cons-
qui sont tant dans le Paradis que dans l’Hadès est in-
tate que l’Église prie certes d’abord pour les justes
complète.
(l’une des prières de la liturgie à l’intention des défunts
cite exclusivement « les Ancêtres, les Pères, les Patriar- Mais l’Église prie aussi pour les pécheurs. L’ecténie (li-
ches, les Prophètes, les Apôtres, les Prédicateurs, les tanie) à l’intention des défunts qui figure dans la liturgie
Évangélistes, les Martyrs, les Confesseurs, pour tous a en vue les défunts qui ont besoin « que leur soient re-
ceux qui pratiquent la continence et pour toute âme juste mis leurs péchés volontaires ou involontaires », de-
décédée dans la foi »). Plusieurs raisons ont été données mande à Dieu de leur « pardonne[r] tout péché commis
pour expliquer ce fait qui peut paraître paradoxal (les en parole, en action ou en pensée » en rappelant à Dieu
justes, qui sont dans le Paradis, ont-ils encore besoin qu’« il n’est pas d’homme qui vive et ne pèche pas » et
que l’on prie pour eux ?). La raison d’être de ces prières que lui « seul es[t] sans péché ». Dans son commentaire
a été expliquée diversement par les Pères. Selon saint de la liturgie, saint Cyrille de Jérusalem fait remarquer :
Cyrille de Jérusalem, leur but est que « Dieu, grâce aux « Nous faisons mention aussi de ceux qui se sont en-
prières et à l’intercession [de ces justes], fasse bon ac- dormis, d’abord des Patriarches, des Prophètes, des
cueil à notre supplication1 ». Pour saint Épiphane, « Apôtres, des Martyrs, afin que Dieu, grâce à leurs priè-
nous faisons mention des justes afin de distinguer, d’un res et à leur intercession, fasse bon accueil à notre sup-
honneur particulier, Notre Seigneur Jésus Christ de plication. Ensuite, nous prions pour les saints Pères et
l’ordre des humains, et de lui rendre un culte supérieur évêques endormis, et en général pour tous ceux qui se
qui le différencie des mortels, quelle que soit la sainteté sont endormis avant nous, en croyant qu’il y aura un
pour ainsi dire infinie dont ils sont revêtus2 ». très grand profit pour les âmes, en faveur desquelles la
supplication est offerte, tandis que se trouve présente la
Pour saint Nicétas Stéthatos, il s’agit à la fois d’honorer
sainte et si redoutable victime4 »
les justes et d’invoquer leur intercession : « Les justes,
nous les célébrons par des éloges et des hymnes chaque Cette prière pour les pécheurs inclut aussi les grands pé-
année, au jour de leur mémoire, conformément à la sen- cheurs. Saint Théophylacte de Bulgarie considère que

1 3
Catéchèses mvstagogiques, V, 9. De l'âme, XIII, 77.
2 4
Contre les hérésies, LXXV, 8. Catéchèses mvstagogiques. V. 9.
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les suffrages des vivants sont présentés à Dieu non seu- foi. Ainsi en témoigne saint Théodore le Studite qui
lement pour ceux qui ont commis des fautes légères, écrit au tout début de son Canon pour les disparus :
mais également pour ceux qui ont commis des péchés « Implorons tous le Christ, en commémorant au-
graves5. Cette opinion est conforme à la pratique de jourd’hui tous ceux qui sont morts depuis l’origine des
l’Église qui, le samedi de l’Apocréo (jour consacré aux temps. Qu’il daigne délivrer du feu éternel tous ceux qui
défunts, juste avant le début du Grand Carême), prie sont partis dans la foi et l’espoir de la vie éternelle". Et
pour ceux qui ont mérité les peines de l’enfer : « Du feu ensuite, dans un autre tropaire du Canon il dit : "Déli-
qui ne s’éteint pas, des ténèbres sans clarté, des grince- vre, ô notre Sauveur, tous ceux qui sont morts dans la
ments de dents, du ver qui ronge incessamment et de foi, du feu éternel, et des ténèbres sans lumière, des
toute peine, sauve, Seigneur, tous les fidèles défunts6 ». grincements de dents, du ver qui tourmente éternelle-
Évoquant la prière pour les défunts lors de la sainte li- ment et de tout tourment ». [...]
turgie, saint Jean Chrysostome note que si l’on prie pour
Il ne nous appartient pas de chercher à savoir si les
des vivants qui ont commis des péchés parfois impor-
saints sont entendus de Dieu lorsqu’ils prient à cette in-
tants, on ne voit pas pourquoi on ne prierait pas pour les
tention. Mais eux-mêmes le savent, comme l’Esprit qui
défunts qui se sont rendus coupables de péchés sembla-
demeure en eux et par lequel ils furent mus, parlant et
bles. On pourrait croire que ces considérations, comme
écrivant alors avec cette connaissance. De même que le
les précédentes, s’appliquent seulement à des pécheurs
Seigneur Christ nous donna le commandement de prier
qui appartiennent à l’Église. Mais les précisions qui sui-
pour nos ennemis et qu’il pria lui-même pour ceux qui
vent indiquent que saint Jean Chrysostome a en vue un
le crucifièrent, il inspira le premier martyr Étienne lors-
cercle plus large : « Pourquoi Dieu nous aurait-il com-
qu’on le lapidait à mort de faire de même. Bien que per-
mandé de prie pour tous les hommes, alors que dans
sonne ne puisse dire que lorsque nous prions pour telles
cette universalité se, englobés les brigands, les viola-
personnes, nous sommes entendus, nous devons, malgré
teurs de sépultures, les voleurs, et tant d’autres pervers
cela, faire tout ce qui est en notre pouvoir. Et voici que
chargés de crimes sans nombre ? C’est que peut-être
s’offre à notre imitation l’exemple de certains saints qui
leur conversion s’ensuivra. Comme donc nous prions
priaient non seulement pour les croyants, mais aussi
pour des vivants en tout semblables à des cadavres, ainsi
pour les impies. Et ils furent entendus, et les autres, ob-
est-il permis de prier pour les défunts7 ».
jets de leurs prières, furent sauvés du tourment éternel.
Saint Marc d’Éphèse, quant à lui, constate que l’Église, Ainsi, la première femme martyre Thècle sauva Falco-
à la liturgie ou en d’autres circonstances, ne prie pas nille, et le divin Grégoire le Grand sauva l’empereur
seulement pour une catégorie d’âmes, mais pour tous les Trajan, comme il le raconte dans ses Dialogues9 ».
défunts sans distinction, et donc aussi pour les pécheurs D’autres théologiens ultérieurs reprendront ce point de
qui sont dans l’Hadès8. Il considère certes qu’il convient vue, tel I. Pérov qui précise que seuls sont exclus de la
de prier avant tout pour ceux des pécheurs qui sont possibilité d’être sortis de l’Hadès ceux qui ont blas-
morts dans la foi, mais il note que les saints prient pour phémé le Saint-Esprit et ceux qui ont volontairement et
tous les pécheurs sans exception et qu’ils nous montrent obstinément rejeté la grâce de la Rédemption10.
la voie à suivre. L’issue de telles prières n’est cependant
Extrait du livre La vie après la mort
pas certaine ; il est probable que certains péchés graves
selon la tradition orthodoxe, Cerf, 2001, pp. 220-224.
ne sont pas remis ; mais il y a d’autre part des cas de
Titre original de cet extrait : « Les prières
grands pécheurs qui ont pu être délivrés de l’Hadès par
pour les morts ont pour objet tous les défunts »
les prières de fidèles ou de saints. Le salut de tous ne
doit pas être affirmé comme une certitude (ce serait pro-
fesser la doctrine condamnable de l’apocatastase), mais
il peut être légitimement espéré, et de à coup sûr être
demandé à Dieu : « Les saints, émus d’amour pour les
hommes, et de compassion pour leurs concitoyens,
osant et souhaitant ce qui est presque impossible, prient
pour la délivrance de tous ceux qui sont partis dans la

5
Commentaire sur l’évangile selon saint Luc, PG 123, 880.
6
Canon des Matines. Ode 5, dans Triode de Carême, tome I,
9
Rome, 1978, p. 42. Réfutation des chapitres des Latins = Premier discours sur
7
Homélies sur l’épître aux Philippiens, III, 4. le feu purgatoire, PO 15, p. 42-43.
8 10
Seconde réponse aux Latins = Second discours sur le feu I. PÉROU, Manuel de théologie polémique. Toula, 1905,
purgatoire, 12, PO 15, p. 119. pp. 108-109.
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Dernière prière de sainte Macrine


C'est toi, Seigneur, qui as abrogé pour nous la crainte de force, à qui j’ai consacré ma chair et mon âme, depuis
la mort. C'est toi qui as fait pour nous, du terme de la ma jeunesse et jusqu’en cet instant, mets auprès de moi
vie d'ici-bas, le commencement de la vie véritable. C'est un ange lumineux qui me conduise par la main au lieu
toi qui pour un temps laisses se reposer nos corps par du rafraîchissement, là où se trouve « l’eau du repos »,
une dormition, et qui les réveilles à nouveau « au son de dans le sein des saints patriarches.
la dernière trompette ».
Toi qui as brisé la flamme de l’épée de feu et rendu au
C'est toi qui à la terre donnes en dépôt notre terre, celle paradis l’homme crucifié avec toi et qui s’était confié à
que tu as façonnée de tes mains, et qui fais revivre à ta miséricorde, de moi aussi « souviens-toi dans ton
nouveau ce que tu lui as donné, en transformant par royaume », car moi aussi j’ai été crucifiée avec toi, moi
l'immortalité et la beauté ce qui en nous est mortel et « qui ai cloué ma chair par ta crainte et qui ai craint tes
difforme. jugements ».
C'est toi qui nous as arrachés à la malédiction et au pé- Que l’abîme effrayant ne me sépare pas de tes élus. Que
ché, en devenant pour nous l'un et l'autre. C'est toi qui le Jaloux ne se dresse pas contre moi sur mon chemin, et
as brisé les têtes du dragon, lui qui avait saisi l'homme que mon péché ne soit pas découvert devant tes yeux, si,
dans sa gueule en l'entraînant au travers du gouffre de la pour avoir été trompée par la faiblesse de notre nature,
désobéissance. j’ai péché en parole, en acte ou en pensée.
C'est toi qui nous as ouvert la route de la résurrection, Toi qui as sur la terre le pouvoir de remettre les péchés,
après avoir brisé les portes de l’enfer, et « réduit à « fais m’en remise, afin que je reprenne haleine », et
l’impuissance celui qui régnait sur la mort ». « qu’une fois dépouillée de mon corps », je sois trouvée
devant ta face « sans tache et sans ride » dans la figure
C’est toi qui à ceux qui te craignent as donné pour em-
de mon âme, mais que mon âme soit accueillie entre tes
blème le signe de la sainte croix, pour anéantir
mains, irréprochable et immaculée, « comme un encens
l’Adversaire et donner la sécurité à nos vies.
devant ta face ».
Dieu éternel, « vers qui je me suis élancée dès le sein de
Grégoire de Nysse, Vie de Macrine.
ma mère », « toi que mon âme a aimé » de toute sa
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Office d’intercession au départ de l’âme (extrait)


Hirmos : Je répands ma supplication devant Dieu, au la perversité d’un monde funeste aux âmes, et qui vers
Seigneur j’expose mon chagrin, car mon âme s’est em- toi, son Créateur, s’avance à présent, ne la repousse pas
plie de maux et ma vie est proche de l’Enfer, au point au fond de l’Enfer, mon Sauveur et mon Dieu.
que je m’écrie comme Jonas : De la fosse, Seigneur, dé- Maintenant… : Du ciel le Christ notre Dieu, toute-pure,
livre-moi. comme pluie sur la toison descendit sur toi pour abreu-
Refrain : À l’âme de ton serviteur (ta servante) défunt(e) ver le monde entier de sa divine raison et assécher les
accorde, Seigneur, le repos. torrents des sans-Dieu: prie-le d’accorder le repos à ton
Ayant terrassé, ô Maître, l’Enfer, tu as ressuscité ceux serviteur (ta servante) trépassé(e).
qui depuis les siècles étaient morts: celui (celle) qui Kondakion : Fais reposer parmi les Saints, ô
vient de nous quitter, place-le (-la) dans le sein Christ,.l’âme de ton serviteur (ou de ta servante) en un
d’Abraham, en ta miséricorde, Seigneur, lui remettant lieu d’où sont absents la peine, la tristesse, les gémisse-
toutes ses iniquités. (Refrain) ments, mais où se trouve la vie éternelle.
Le commandement que tu m’avais donné, ô Dieu, je l’ai Ikos : Toi seul, Seigneur, tu es immortel, Auteur et
transgressé, et ce fut la mort; mais toi, en descendant Créateur du genre humain; nous les mortels qui de la
jusqu’aux Enfers et ressuscitant les âmes des fidèles qui terre avons été formés, vers cette même terre nous nous
depuis les siècles s’y trouvaient, tu ne m’as pas destiné acheminons, comme l’a prescrit mon Créateur lorsqu’il
au châtiment, mais au repos, te dit par notre voix le (la) m’a dit : Tu es poussière, et vers la poussière tu retour-
défunt(e), ô Seigneur compatissant. (Refrain) neras; c’est là que nous allons, nous tous, les mortels, et
Gloire au Père… : Père sans commencement, Fils uni- comme lamentation funèbre nous chantons: Alléluia,
que et saint Esprit, nous te prions: l’âme mise à mal par alléluia, alléluia.

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POUR ALLER PLUS LOIN – LA MORT ET LA VIE DU SIÈCLE À VENIR


Plusieurs auteurs orthodoxes modernes ont écrit des livres sur ce sujet, suivant généralement de près les enseigne-
ments patristiques, notamment en ce qui concerne les « étapes » de l’âme après la mort :
Jean-Claude Larchet, La Vie après la mort selon la tradition orthodoxe, Paris, Éditions du Cerf, 2001, 334 p. Étude
magistrale fondée presque entièrement sur les enseignements de Pères ; les auteurs modernes cités suivent eux
aussi les Pères. Bibliographie exhaustive, par exemple, les sources patristiques.
Archimandrite Séraphim Rose, L’Âme après la mort, Monastère orthodoxe Saint-Michel, Lavardac, 1988. Tentative
d’expliquer, d’un point de vue orthodoxe, et de réfuter les « thèses ésotéristes » d’auteurs modernes concernant les
expériences « après la mort ». Étude controversée, défendue par J.-C. Larchet (voir son livre p. 124). Pour la criti-
que, voir par exemple : Michael Azkoul, « The Toll-House Myth: The Neo-Gnosticism of Fr. Seraphim Rose » ;
Fr Panagiotes Carras, « Letter to His Eminence, Archbishop Vitaly » ; « Book Review: The Soul after Death »
(tous sur le site www.new-ostrog.org/). Pour une appréciation plus équilibrée, voir Diacre Andrew Werbiansky,
« Death and the Toll House Controversy » (http://www.stlukeorthodox.com/html/evangelist/2000/deathtoll.cfm).
Métropolite Hiérothée Vlachos, Life after Death, Levadia, Grèce, 1995. De généreux extraits de ce livre sont dispo-
nibles sur internet : http://www.vic.com/~tscon/pelagia/htm/b24.en.life_after_death.01.htm.
ARTICLES DANS LA REVUE CONTACTS :
Bloom (Métropolite Antoine de Souroge), « Comme un vivant revenu d’entre les morts », XXVII, 89, 1975.
Clément, Olivier, « Notes sur la mort », XXVIII, 94.
Florensky, Paul, « Sur la mort », XVIII, 56.
Lépine, Jacques-Jude, « De la pensée de la mort à la Descente aux Enfers », 1996.
Peckstadt, Ignace, « Quelques réflexions orthodoxes concernant la crémation », vol. 49, no. 179, 1997.
Struve, Pierre, « Le mystère de la mort chez les Orthodoxes », XXI, 65.
Zizioulas, Jean, « Le problème de la mort », 1985.
AUTRES REFERENCES :
Alexander Mileant (Mgr), « Life after Death », www.fatheralexander.org/booklets/english/life_after_death.htm.
Archevêque Antoine de Genève, La vie de l’âme dans l’au-delà, Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas, Pa-
ris, sans date et Monastère Saint-Antoine-le-Grand, 1994.
Clément, Olivier, Corps de mort et de gloire, Albin Michel, 1995.
Dautais, Philippe, « De la mort à la vie », Le Chemin, No 64, 2004.
Goettmann, Alphonse, « Méditation sur la vie et la mort », Le Chemin, No 21, 2003 et No 62, 2004.
Jean Maximovitch (saint), « Life after Death : A description of the first 40 days after death », http://www.orthodox.
net/articles/life-after-death-john-maximovitch.html. Version française « La vie après la mort » avec commentaires
et citations dans Archimandrite Séraphim Rose, L’Âme après la mort, Lavardac, 1988, pp. 120-132.
Lossky, Vladimir, « Domination et règne, Étude eschatologique », in À l’image et à la ressemblance de Dieu, Au-
bier Montaigne, 1967.
Vergely, Bertrand, La mort interdite, Éd. Jean-Claude Lattès.
AUX PAGES ORTHODOXES LA TRANSFIGURATION, voir la section Souffrance, Mort et Résurrection, en
particulier :
« De la mort et de la résurrection » par Mgr Kallistos Ware
« Le problème du mal » par Archimandrite Placide (Deseille)
« La mort est vaincue : Les fins dernières selon les Pères de l’Église » par Archimandrite Placide (Deseille)
OFFICES ET PRIÈRES POUR LES AGONISANTS ET LES DÉFUNTS :
Voir le Grand Euchologe et Arkhiératikon, Diaconie Apostolique, 1992, qui contient notamment : « Office
d’intercession pour les agonisants », « Office d’intercession avant la séparation de l’âme et du corps », « Office
d’intercession au départ de l’âme », « Funérailles », « Offices de Requiem (Pannychide) ».
Aussi : Hymne-Acathiste pour le repos des défunts, Éd. Bénédictines, 1999 (contient également le texte de Mgr An-
toine de Genève, « Les prières de l’Église pour les défunts »).

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SAINT ÉLIE FONDAMINSKI (1881-1942)


Ilya (Élie) Isidorovitch Fondaminski-Boukanov naquit à fut pas un succès, beaucoup étaient attirés par Fonda-
Moscou en 1881. Bien que d’origine juive, au début de minski, car ils trouvaient auprès de lui une foi et une
sa vie active son cœur était loin de l’orthodoxie juive de chaleur humaine capables de les réchauffer dans le froid
ses riches parents. C’est, de loin, le socialisme qui glacial de Montparnasse. Chez certains naissait le désir
l’accaparait en ce tournant du XXe siècle. À la suite de trouver une issue hors de leur état d’anarchie inté-
d’études en Russie, il se rend étudier la philosophie aux rieure dans un idéal positif, qu’il fût social ou religieux.
universités de Berlin et de Heidelberg de 1900 à 1902. Fondaminski en a aidé plus d’un à se trouver, à garder
Au printemps 1902, on l’arrêta à la frontière russe pour pied dans la débâcle de l’émigration.
contrebande de documentation. En 1905, à Moscou, il
Élie Fondaminski et Élisabeth Skobtsov, future mère
devint membre du comité du Parti socialiste-
Marie, furent d’abord des camarades d’armes au sein du
révolutionnaire mais, en 1906, à la suite de la révolution
Parti socialiste-révolutionnaire ; tous deux y avaient eu
avortée de 1905, il s’enfuit à Paris.
des responsabilités importantes au comité central, y re-
Il revint à Moscou en avril 1917 après la révolution de présentant leur région : Moscou pour Élie, Novorossiisk
février et la chute de la monarchie. Il devint membre du pour Élisabeth. Tous deux avaient senti le danger du dé-
comité central du Parti socialiste-révolutionnaire et rapage de l’action révolutionnaire terroriste vers une fo-
commissaire du gouvernement provisoire éphémère lie de destruction et finalement une folie dominatrice
sous Alexandre Kérenski, lequel était opposé aux bol- qui allait tomber dans les travers qu’elle était censée
cheviques. À la suite du triomphe des bolcheviques lors combattre dans l’autocratie : la dictature. Ils avaient ad-
de la révolution d’octobre et du début de la guerre civile héré à l’aile modérée du parti puis, voyant l’extrémisme
en Russie, il ne lui restait aucune part à jouer dans le triompher, avaient pris leurs distances.
nouvel ordre des choses et, de plus, sa vie était en dan-
Élisabeth et Élie se sont retrouvés à Paris. En 1930, de
ger. Il réintègre donc la France, définitivement cette
révolutionnaire qu’il avait été, Élie était en train de se
fois, en 1919. Exilé une fois de plus, il revient au même
rapprocher des chrétiens démocrates ; en 1932, Élisa-
logement parisien dans lequel il s’était réfugié sous
beth Skobtsov devenait la moniale Marie.
l’ancien régime. C’est à Paris, plus que jamais, qu’il se-
ra en mesure d’ajouter les chrétiens et particulièrement Il y a une photographie émouvante des Skobtsov et des
les chrétiens socialistes à la vaste gamme de ses amis et Fondaminski qui date du printemps 1932, juste après la
ses collaborateurs. prise de voile de mère Marie. Élie et sa femme Amalia
accueillent mère Marie à Cabris-sur-Grasse, dans les
C’est ainsi à Paris qu’Élie Fondaminski donnait des
Alpes-Maritimes, où les enfants Eltchaninoff, Iouri
conférences dans une vaste gamme de sujets politiques,
Skobtsov et sa grand-mère Sophie Pilenko passent des
littéraires et philosophiques, et qu’il s’est mis à publier
vacances. De son écriture d’enfant, Iouri note au bas du
divers articles religieuses et philosophiques. Il entra en
cliché : « Maman vient nous visiter habillée pour la
contact avec un grand nombre de groupements politi-
première fois en moniale ». On peut imaginer ce que re-
ques et culturels dans l’émigration russe, tout en organi-
présenta pour Fondaminski de voir sa compagne de lutte
sant les siens propres. Avec Georges Fédotov, il fut l’un
revêtue de la tenue monastique ; ce fut un jalon de plus
des fondateurs et rédacteurs de la revue Novy grad (Cité
sur son chemin vers l’Église. Aussitôt Élie, qui était for-
nouvelle) et un des rédacteurs de la revue Sovremennye
tuné, se mit à financer beaucoup de projets de la mo-
Zapiski (Annales contemporaines). Il travaillait dans les
niale orthodoxe. Il le fera avec discrétion et tact, de
cercles de l’Action chrétienne des étudiants russes, puis
même qu’il aidera beaucoup de Russes dans le besoin.
de l’Action orthodoxe, fondée par mère Marie Skobt-
Marie Struve-Eltchaninoff se souvient qu’à la mort de
sov. Il fréquentait le « RDO », les Petits-russiens, le
son père, le père Alexandre Eltchaninoff, ils habitèrent
Club Post-révolutionnaire ; il donnait même des confé-
encore un certain temps à la cathédrale russe à la rue
rences à l’Union de la Noblesse.
Daru à Paris. Élie venait les voir, les bras chargés de ca-
Après avoir fondé Novy grad, il cherchait à en faire le deaux. En entrant, il annonçait : « On va au cirque.
centre de son activité organisationnelle. Selon ses Quand je me lève en sachant que je vous emmène au
conceptions, autour de Novy grad et à partir de ses idées cirque, je me lève le coeur en fête ». À Tamara Eltcha-
devaient se créer par branches professionnelles, parmi ninoff il demandait avec malice : « Acceptez-vous dans
les enseignants, les ingénieurs, les médecins, les écri- votre maison, rue Daru, un juif non encore converti ? »
vains, des groupes d’intellectuels qui se prépareraient en Certains des assistés d’Élie ne sauront pas d’où vient
vue d’un travail public en Russie. Bien que ce projet ne
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l’argent : « Ils seraient bien capables de le refuser », di- l’Église, il répondait qu’il en était indigne. Et dans
sait Élie à mère Marie avec humour. l’humilité de cette conscience de soi il y avait une
part de vérité. Tels les chrétiens du IVe siècle, il es-
C’est sur le plan spirituel que les liens entre Élie Fon-
timait que le baptême constituait un nouveau tour-
daminski et mère Marie vont être les plus forts : comme
nant dans la vie, un nouvel élan vers la sainteté. En
mère Marie, Élie assiste aux réunions de la Société phi-
plein XXe siècle, il faisait revivre le catéchuménat.
losophique et religieuse fondée par Nicolas Berdiaev et
il finance sa revue Put’ (La Voie). Fondaminski, dans sa Mais il devait y avoir une autre cause encore à sa
générosité sans failles, son abnégation personnelle et temporisation : son identité juive. L’élément russe
son cœur d’enfant ouvert tout en sobriété vers les gens l’emportait chez Fondaminski sur l’élément juif, tant
dans le besoin ou en détresse, allait trouver un foyer na- du point vue de la culture que du caractère moral.
turel au sein de l’Action orthodoxe. « Il est difficile de Mais il y avait place en lui pour la dimension judaï-
déterminer qui a eu la plus grande influence sur qui, fut- que. Sans se préoccuper particulièrement des pro-
ce mère Marie sur lui ou lui sur mère Marie », disait blèmes propres à celle-ci, il ne voulait pas rompre
Théodore Pianov, mais on peut être certain d’une chose, ses liens avec le peuple juif, et en premier lieu avec
c’est qu’ils partageaient les mêmes pensée, le même le cercle d’amis, de parents et de proches pour qui
langage du cœur et le même idéal de l’amour chrétien. religion et identité nationale étaient indissolublement
liées. Même des « agnostiques » ne lui auraient pas
Dans l’entourage d’Élie Fondaminski, à cette époque on
pardonné son baptême, où ils auraient vu une trahi-
se posait souvent la question, et parfois on lui deman-
son. La tragédie religieuse du judaïsme lui était ren-
dait, pourquoi il ne devenait pas chrétien. Voici ce
due particulièrement sensible par la situation de sa
qu’en écrit Georges Fédotov, ami de Fondaminski, dans
femme, Amalia Ossipovna, chrétienne de conviction
un article sur lui publié en 1948 :
comme lui, mais dont les liens de sang avec le ju-
Jusqu’à quel point le christianisme d’Élie Isidoro- daïsme étaient plus forts que les siens. L’amour pas-
vitch était-il profond et complet ? Il est difficile de sionné qu’elle éprouvait pour sa mère, une juive or-
répondre à cette question. Comme on sait, il ne reçut thodoxe, lui rendait impossible le baptême, même
le baptême qu’à la veille de sa mort, et ne participait après la mort de celle-ci : Amalia Ossipovna ne vou-
donc pas aux sacrements de l’Église ni à ce qu’on lait pas se séparer de sa mère même dans l’au-delà.
appelle la vie ecclésiale. Mais il priait, et on le voyait Tel devait aussi être le drame religieux d’Élie Fon-
à l’église tous les dimanches. Dans les dernières an- daminski. Au demeurant, Fondaminski n’abordait
nées avant la guerre, il appartenait à la petite pa- jamais ce motif secret de son catéchuménat. Et tou-
roisse française du père Lev Gillet. Il aurait été natu- jours il alléguait son indignité1.
rel de supposer chez lui quelque réticence de nature
À partir de 1932, Élie Fondaminski était un habitué du
dogmatique ou autre, qui l’aurait amené à remettre
foyer-centre d’accueil-centre culturel et social-cercle
son entrée dans l’Église. Mais il écartait toujours des
philosophique-paroisse de mère Marie, rue Lourmel à
suppositions de cette nature. Par modestie, il ne pro-
Paris. Le dimanche, après la liturgie, on pouvait écouter
nonça jamais aucun discours ni ne publia aucun arti-
de brillants conférenciers comme le père Serge Boulga-
cle touchant à la théologie et il sut résister avec suc-
kov, le philosophe Nicolas Berdiaev, les professeurs
cès à la tentation de devenir un publiciste orthodoxe.
Simon Frank, Boris Vycheslavtsev, Constantin Mot-
Cependant les interprétations modernes de
choulski, Georges Fédotov et également Élie Fonda-
l’Orthodoxie de Soloviev, de Boulgakov et surtout
minski.
de Berdiaev semblaient le satisfaire pleinement.
Puis vint la guerre. Le 14 juin 1940, Paris est déclarée
Élie Fondaminski récusait tout autant cette autre
ville ouverte et occupée par les troupes allemandes.
supposition qu’il ne recherchait pas les sacrements
Rentré dans le Paris allemand après s’être réfugié pour
parce qu’il n’en ressentait pas la nécessité. Son idéa-
l’été à Arcachon (station balnéaire près de Bordeaux),
lisme philosophique pouvait le faire penser, mais il
Fondaminski réfléchit longtemps et douloureusement à
affirmait qu’il comprenait parfaitement pourquoi
la question de savoir s’il devait rester ou partir pour
l’être humain, fait de chair et d’esprit, avait besoin
l’Amérique, où s’étaient enfuis ou s’apprêtaient à
de symboles matériels pour accéder aux dons spiri-
s’enfuir la plupart de ses amis issus du camp socialiste.
tuels. Et cette affirmation était sincère, bien
Mais fuir n’avait de sens que pour continuer le combat.
qu’indubitablement il allait au Christ par le chemin
Il n’en avait pas la force et il n’y croyait plus. Les diffi-
de l’éthique plus que par celui de la mystique et des
cultés de la fuite – et dans quel but ? pour assurer sa
sacrements. Quand on lui demandait pourquoi il re-
propre survie ? – semblaient insurmontables. Dans cette
fusait le baptême malgré son accord complet avec
irrésolution, dans cette absence de volonté, Fondaminski
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produisait l’impression d’un homme anéanti. Et cepen- vait communier pour la première fois, les soldats alle-
dant, ce n’est tout de même pas par faiblesse qu’il de- mands firent irruption au milieu de l’office et interrom-
meura à Paris, où il était en danger de mort. Sa décision pirent la célébration, car l’église du camp devait fermer.
fut vraisemblement une décision libre. Tous ses amis Le sacrement fut achevé en dehors de l’église, dans un
n’étaient pas en Amérique. Les activistes étaient partis, autre baraquement. C’est ainsi que le vieux clandestin
mais d’autres étaient restés, avec lesquels il pouvait rencontra clandestinement son Christ.
prier et parler des choses dernières : Mère Marie, Cons-
C’est pendant ce temps qu’Élie écrivait même alors à sa
tantin Motchoulski, Nicholas Berdiaev, des amis de
sœur qu’il vivait le meilleur moment de son existence :
l’Action orthodoxe et combien d’autres. Dans les der-
« Je me sens très bien, et cela fait longtemps, longtemps
niers jours, face à la mort, Fondaminski sentit que ce
que je ne m’étais senti aussi tranquille, gai et même
monde lui était plus proche que celui de l’action publi-
heureux ». Ce fut aussi l’impression de sa sœur qui ré-
que, même chrétienne, à laquelle il avait consacré sa
ussit à obtenir une entrevue avec lui en février 1942 :
vie.
« Il est de bonne humeur, même heureux ». Il écrit à
Pour les russes de la zone occupée, l’invasion de cette époque à un ami parisien dans laquelle il se décla-
l’URSS le 22 juin 1941 apportait de nouveaux empê- rait prêt à tout, « que ce soit la vie ou la mort ». Plus que
chements. Seulement dans Paris, on a arrêté environ jamais auparavant, « il connaissait la nature de la grâce
mille émigrés. Élie Fondaminski et Théodore Pianov et n’avait aucun besoin de trouver les mots pour la dé-
était du lot. Tous se sont vus internés à Compiègne, à crire ».
cent kilomètres au nord-est de Paris. Et avant long-
« L’idée juive » de mère Marie, qu’elle exprime dans
temps, d’autres membres de l’Action orthodoxe allaient
son poème de 1942 « L’étoile de David », est que les
connaître de près ce camp de concentration.
persécutions que subissent les juifs sont un appel, un si-
Fondaminski fut maintenu en détention avec les Juifs, gne :
alors que la plupart des Russes étaient libérés. On dit
Israël, tu es encore persécuté
qu’il lui fallut subir dans le camp une dernière épreuve :
Mais qu’importe la haine des hommes
l’antisémitisme de ses compatriotes, qui ne s’adoucissait
Si, dans l’orage du Sinaï ;
pas même devant le sort d’innocents condamnés sans
Élohim à nouveau te questionne.
défense. Mais sa captivité fut partagée par des amis
chrétiens, grâce auxquels nous savons combien il s’est Elle va développer cette idée dans deux pièces, deux
raffermi et combien il a grandi en ces temps terribles. « mystères » qu’elle écrira au plus fort des persécutions
Manifestement il avait accepté la mort et s’était préparé nazies contre le peuple juif : « Les soldats » et « Les
à elle. Dans le camp, Fondaminski travaillait beaucoup ; sept coupes ». La dernière coupe de la colère de Dieu ne
il fit même des conférences pour ses camarades de dé- se déverse pas sur l’humanité, car un juif reconnaît en
tention. Jésus le Messie. Il est évident qu’elle pense à son ami
Élie qui, interné à Compiègne, vient de recevoir le bap-
À partir d’août 1941, la vie au camp de Compiègne
tême.
prend une nouvelle tournure : on procède désormais à
la sélection aléatoire d’otages. Un grand nombre d’entre Peu après, un ulcère à l’estomac menait Fondaminski à
eux seront exécutés par la suite. C’est dans cette dyna- l’hôpital municipal local. Mère Marie a pu l’y visiter.
mique que Fondaminski en vint à la résolution de se On mit au point un plan pour le faire évader aux États-
faire baptiser. Unis, en passant par la zone libre. Le personnel de
l’hôpital y avait même donné son approbation tacite.
À Compiègne, le camp disposait d’une chapelle ortho-
Mais Fondaminski la rejeta fermement. Il préférait, dans
doxe de fortune, montée dans un baraquement par un
l’anonymat, partager le sort de ses « frères selon la
prisonnier, le père Constantin Zambrzhitski. C’est le 20
chair ».
septembre 1941, la veille de la fête de la Nativité de la
Mère de Dieu selon l’ancien calendrier, que sera célé- Rien ni personne n’allait le détourner de cette résolu-
brée une vigile précédant le baptême et la chrismation tion. À partir du 10 août 1942, les déportations allait
d’Élie Fondaminski. À sa demande, la cérémonie était commencer de Drancy vers l’Est, à chaque jour pair du
demeurée privée : le baptême d’un juif n’allait vraisem- mois. À la fin de l’année, 31,983 juifs avaient été dépor-
blement pas être perçu favorablement par les autorités tés de cette façon. En août 1942, à la veille même de sa
nazies. Théodore Pianov, son parrain, se souvenait que déportation de Drancy vers l’Est, il aurait rejeté un
Fondaminski irradiait « d’une joie calme » ce jour-là. deuxième plan visant à le faire échapper, plan auquel
mère Marie avait encore une fois grandement contribué.
Le père Constantin racontait que lorsque, après le bap-
De façon tout à fait typique, dans sa dernière lettre à
tême, il célébrait la liturgie au cours de laquelle Élie de-
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mère Marie, ce qui le préoccupait le plus demeurait que « Dès les tout débuts de la diaspora, on perçoit un inté-
sa décision ne cause aucune peine à ses amis : « Ne lais- rêt accru pour l’Église. L’Église est le chaînon ratta-
sez pas mes amis s’inquiéter de moi. Dites à tous que je chant les Russes à leur terre ancestrale ; elle en devient
vais parfaitement bien. Je suis absolument heureux. Je le symbole tangible. Les églises russes construites dans
n’aurais jamais cru possible qu’il y avait tant de joie en les grandes villes européennes avant la révolution atti-
Dieu. Merci. » Cette lettre devait la laisser en pleurs. raient des foules d’émigrés russes. Cet intérêt religieux
croissant da la diaspora représentait en outre une cer-
Tous les arrangements avaient pourtant été faits. Cette
taine perpétuation de la renaissance religieuse qui avait
nuit-là, Élie devait être conduit de Drancy à l’hôpital
déjà commencé en Russie avant même la révolution. On
militaire parisien, passablement plus sécuritaire, de Val-
remarque également un changement de perspective vers
de-Grâce. Mais Élie envoie un autre message à la mo-
un monde chrétien parmi ceux qui, dans l’intelligentsia,
niale : « Ne faites rien, je veux être auprès de mes frè-
avait préparé la révolution : l’ancien militant socialiste-
res ». Ainsi, c’est en victime volontaire qu’il fut déporté
révolutionaire Ilya Fondaminski-Bounakov, entre au-
en Allemagne pour y périr.
tres, est devenu l’un des éditeurs de la revue chrétienne
Les détails de la mort d’Élie Fondaminski resteront sans Novy Grad ; Élisabeth Skobtsov, quant à elle, est deve-
doute à jamais enveloppés de mystère. Ses traces se nu mère Marie et s’est engagée dans sa vocation mis-
perdent en Allemagne. On ne connaît même pas le camp sionnaire. Nicolas Zernov fait remarquer que le retour à
où il trouva la mort. Ses proches et ses amis ont pendant l’Orthodoxie a sonné le glas des errances philosophi-
des années espéré son salut. Le gouvernement français ques à la recherche de la vérité. Sous l’immigration,
informa la famille de la date exacte de sa mort : le 19 bien davantage que dans des conditions normales, on
novembre 1942. La mort librement acceptée, apparem- sentait le besoin d’une fondation spirituelle que seules
ment injustifiée et sans but, le refus de défendre sa vie les valeurs absolues pouvaient offrir »2.
face aux assassins – « tel l’agneau immaculé, sans voix
En juin 2004, lors d’un colloque sur les saints de la
devant celui qui le tond » – est l’expression russe de
diaspora russe nouvellement canonisés, Nikita Struve,
l’imitation kénotique du Christ. Par sa non-résistance,
directeur des revues orthodoxes Vestnik et Le Messager
l’ancien révolutionnaire, lion devenu agneau, se faisait
orthodoxe, souligna qu’Élie Fondaminski fut un « hom-
le disciple – en avait-il lui-même conscience ? – des
me de bien », un philanthrope désintéressé, engagé éga-
premiers saints russes, les princes Boris et Gleb, tués
lement dans un véritable « apostolat laïc », qui vit
par leur frère Sviatopolk.
s’accomplir dans l’émigration son « destin christique »,
Mère Marie admirait la remarquable honnêteté et la allant jusqu’à l’acceptation paisible et radieuse de « la
grande sagesse d’Élie Fondaminski et elle aimait à dire mort sacrificielle ». Ce « juste dans la vie et martyr dans
qu’il était « de la pâte dont on fait les saints ». la mort » voulait, selon l’expression de Georges Fédo-
* * * tov, « vivre avec les chrétiens et mourir avec les juifs ».

Dans son importante étude sur la culture de la diaspora Vita préparée par Paul Ladouceur
russe, Hélèna Olkhovskaya distingue trois caractéristi- avec la collaboration de Denis Marier.
ques fondamentales de la diaspora : sa genèse politique, NOTES
son identité nationale (un sentiment d’appartenance à la 1. Novyj zhurnal, no 18, 1948 (en russe) ; traduction française
Russie impériale) et son affiliation religieuse à l’Église « Élie Fondaminski dans l’émigration », Le Message or-
orthodoxe. L’auteur fait remarquer que cette dernière thodoxe, no. 140, 2004, pp.52-53.
caractéristique s’est révélé le plus grand facteur unifica-
2. “The Mission of the Russian Diaspora – Russia Needs our
teur de la diaspora :
Repentance”, Orthodox America, XIV/5, No 129, 1994.
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