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Clef Sanctuaire

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LA VOCATION DE L’ARBRE D’OR

est de partager ses admirations avec les lecteurs, son admiration pour les
grands textes nourrissants du passé et celle aussi pour l’œuvre de contem-
porains majeurs qui seront probablement davantage appréciés demain
qu’aujourd’hui.
Trop d’ouvrages essentiels à la culture de l’âme ou de l’identité de cha-
cun sont aujourd’hui indisponibles dans un marché du livre transformé
en industrie lourde. Et quand par chance ils sont disponibles, c’est finan-
cièrement que trop souvent ils deviennent inaccessibles.
La belle littérature, les outils de développement personnel, d’identité
et de progrès, on les trouvera donc au catalogue de l’Arbre d’Or à des prix
résolument bas pour la qualité offerte.

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confiance en vous.
DISCOURS
PHILOSOPHIQUE
SUR
LES TROIS PRINCIPES,
ANIMAL, VÉGÉTAL ET MINÉRAL.
ou

LA CLEF
DU SANCTUAIRE PHILOSOPHIQUE.
Par SABINE STUART DE CHEVALIER.

Cette Clef introduit celui qui la possède dans le sanc-


tuaire de la Nature ; elle en découvre les mystères ; elle
sert en même temps à dévoiler les Écrits du célèbre Ba-
sile Valentin, & à le défroquer de l’Ordre respectable des
Bénédictins, en donnant la véritable explication des
douze Clefs de ce Philosophe ingénieux.

TOME PREMIER,

A PARIS,
Chez QUILLAU, Libraire, rue Christine, au
Magasin Littéraire, par Abonnement.
M. D C C. LXXXI.
Avec Approbation & Privilège du Roi.

2
PREFACE

PRÉFACE.
J’ai reçu cette précieuse Clef ou ces leçons de mon mari ;
elle découvre, quand on sait s’en servir à propos, tous les
mystères de la Science la plus sublime & la plus utile
pour la santé ; & quand on a le bonheur de les compren-
dre & de les mettre en pratique, on ne doit plus
s’occuper qu’à pratiquer le bien selon l’intention des Phi-
losophes, c’est-à-dire des Sages.
La lumière de la Chimie est la sagesse qui doit briller
dans les ténèbres, comme Basile le dit dans la troisième
Clef de ses ouvrages sublimes.
Tous ceux qui travaillent en [v] Chimie sont pour
l’ordinaire appelés Chimistes ; cependant, il est certain
que tous n’ont pas la même intention, ni la même
science ; c’est pourquoi ils sont bien différents.
Je ne parle ici que de la véritable Alchimie méthodique
convenable à la Nature, parce qu’elle enseigne d’abord
entre autres choses, à discerner & à connaître parfaite-
ment le mal du bien, le mauvais du bon, & l’impur d’avec
le pur, par le moyen de laquelle on peut subvenir à
l’impuissance de la Nature & la corriger, laquelle pro-
cède alors en l’augmentation des métaux de la même
manière, comme si on voulait aider à un fruit qui est
verd en lui procurant sa maturité, ou [vj] comme si on
voulait d’un seul grain ou d’une seule semence en faire
une augmentation & une très grande multiplication, ce
qu’il est possible de faire avec peu de frais.
L’autre Art Chimique qui est sophistique & faux, je ne
l’entends pas & je ne désire pas de l’apprendre, parce
qu’il détourne son maître du bon chemin en lui promet-
tant des montagnes d’or, mais ses promesses sont vaines
& frivoles ; & si quelque ignorant vous propose de tra-
vailler avec vous, en vous disant qu’il n’a pas le moyen
de suppléer aux dépenses requises pour faire l’œuvre,
alors soyez bien sur vos gardes, & ne vous y fiez pas ; car

3
PREFACE

chez lui le serpent est caché [vij] sous l’herbe, il veut


vous attraper.
Mais comme il y a encore un grand nombre de person-
nes, lesquelles, sans vouloir duper les autres, passent
leur vie dans les méditations les plus pénibles & le tra-
vail le plus rude dont la fin pour l’ordinaire est de se
ruiner sans rien trouver d’utile, surtout quand un vain
désir les engage à chercher les moyens de faire de l’or
pour satisfaire leur cupidité & leurs débauches ; en pa-
reil cas, je déclare que mon intention n’est pas de leur
donner des lumières aussi étendues que je le pourrais ;
c’est pourquoi, afin d’y mettre des bornes, je me servirai
dans certains endroits de cet Écrit, d’allégories, pour
mettre [viij] un frein au désir qu’ils auraient d’acquérir
des richesses uniquement pour les employer à leurs dé-
bauches. Il ne faut pas jeter des perles devant les pour-
ceaux, Dieu le défend absolument.
A l’égard de ceux qui auront un désir sincère de prati-
quer le bien, je les aiderai autant qu’il dépendra de moi ;
& s’ils avaient une autre Clef, elle les conduirait bientôt
dans le jardin des Hespéries pour y cueillir la pomme
d’or & la distribuer aux malheureux qu’on doit secourir.
Cette pomme d’or tant désirée est l’arbre de vie, la mé-
decine universelle ou l’or potable qui guérit si prompte-
ment les maladies les plus désespérées & prolonge la vie
comme celle des [ix] Patriarches dans une parfaite san-
té, au-delà des bornes les plus reculées.
Ah ! si les hommes savaient les merveilles de ce remède
divin, & quelle médecine ils peuvent tirer d’en haut &
des entrailles de la terre où sont renfermés les plus ri-
ches trésors, il est bien certain qu’ils ne se laisseraient
pas mourir si promptement & à la fleur de leur âge, pour
aller pourrir dans un tombeau. Une vie longue sans in-
firmité est toujours la récompense du Ciel.
En possédant ce trésor ou cette médecine universelle, ils
pourraient l’employer à se conserver longtemps sur la

4
PREFACE

terre avec leurs amis, & ils auraient chaque jour


l’occasion d’exercer envers les [xj] malheureux tous les
sentiments d’humanité dont ils seraient si justement
pénétrés.
Un homme intelligent & pieux qui lira cet Écrit avec at-
tention, comprendra bientôt le véritable langage & les
paraboles obscures des Philosophes, & parviendra à dé-
couvrir les secrets de la Nature, à moins que Dieu, du-
quel procèdent tous les dons, ne ferme les yeux au Lec-
teur, & ne bouche absolument ses oreilles. Je crois qu’il
m’a assez entendu, car je n’ai pas pu m’expliquer plus
clairement.
On verra dans cet Écrit une découverte des plus curieu-
ses qui a trompé depuis son origine non seulement les
plus habiles Chimistes, mais encore tous ceux [xij] qui
ayant lu dans la Bibliothèque des Philosophes les ouvra-
ges de Basile Valentin sans les comprendre, se persua-
dent encore aujourd’hui que le célèbre Basile Valentin a
été un des plus savants Religieux de l’Ordre de Saint-
Benoît : je ferai voir, par une preuve évidente, que Basile
Valentin & ses ouvrages ne sont autre chose qu’une em-
blème aussi savante qu’ingénieuse de la pierre philoso-
phale & de la médecine universelle qui a été cachée avec
le plus grand soin par un habile Philosophe, & qui a été
découverte malgré toutes ses précautions.
Son nom même, & sa qualité de Religieux Bénédictin, ne
sont autre chose que des allégories & [xiij] des fictions
très ingénieuses dont je ferai voir le mystère. Je suis
bien fâchée de le défroquer & de le sortir d’un Ordre qui
a toujours illustré depuis son institution, non seulement
l’Église, mais encore l’Univers, par le grand nombre des
Savants dans tous les genres qui ont composé & compo-
sent encore aujourd’hui cette respectable Congrégation ;
mais comme il faut rendre à César ce qui appartient à
César, je me vois obligée de revendiquer cet homme
chimérique à mes yeux en faveur d’un adepte qui a fait
une si belle description de la pierre philosophale & de la

5
PREFACE

médecine universelle sous le nom de Basile Valentin, Re-


ligieux de l’Ordre de Saint-Benoît. [xiv]
Au surplus, si contre toute attente, on s’imaginait que je
me suis trompée (ce qui n’est pas possible) je prie l’Ordre
respectable des Bénédictins de me faire connaître mon
erreur, & dans ce cas-là je me rétracterai publiquement,
comme aussi son silence me prouvera que je ne me suis
pas trompée en disant que Basile Valentin n’a jamais
existé sous la forme d’un homme, & que par cette raison
il n’a jamais été Religieux Bénédictin, puisqu’il n’est
qu’une emblème très spirituelle de la médecine univer-
selle, qui a trompé jusqu’à ce moment les plus habiles
Chimistes qui n’ont pas compris cet Écrit sublime qu’on
doit lire avec la plus grande attention. [xv]
Quoique les Écrits de Basile Valentin aient un caractère
de persuasion. & de vérité dont on ne croit pas devoir se
défier, malgré cela, ils n’en sont pas moins remplis de
paraboles, quand on les examine de près ; mais j’y ré-
pandrai la lumière en donnant le fil d’Ariadne qui reti-
rera du labyrinthe de l’erreur ceux qui n’en peuvent pas
sortir.
J’enseignerai dans la suite de cet Ouvrage, les moyens
de guérir l’homme Chimiste qui est encore une autre al-
légorie dont j’expliquerai les maladies & la religion (sans
avoir la moindre intention, en parlant des métaux im-
parfaits que je veux purifier de leur lèpre, de manquer
de respect à notre sainte Religion, je [xvj] crois avec la
foi la plus vive toutes les vérités qu’elle nous enseigne,
dont je ne m’écarterai jamais.)
J’indiquerai de bons remèdes pour guérir cet homme
Chimiste ainsi que Basile Valentin que je défroquerai
ensuite sans toucher aux droits de personne.
Tous les métaux ayant été personnifiés dans cet Écrit, ce
qui est encore un nouvel emblème, je ferai voir qu’ils
doivent être de bons Théologiens métalliques pour se
perfectionner & se purifier entièrement de toute leur

6
PREFACE

impureté, & qu’ils ne doivent rien ignorer de tous les


préceptes qui sont contenus dans leurs Écrits, & de ce
qui regarde leur foi métallique ; j’expliquerai ensuite
[xvij] l’énigme du ciel & de l’enfer des Chimistes, & celle
des douze Clefs de Basile Valentin.
Je donnerai un Discours Philosophique très intéressant,
dans lequel il sera parlé des trois Principes, Animal, Vé-
gétal & Minéral ; des vertus & propriétés du mercure
des Philosophes ; il est si riche par lui-même, qu’il a tout
ce qui lui est nécessaire pour opérer des merveilles.
Je traiterai de la première matière de la Chimie, des
quatre Éléments, des bons offices que les Planètes ren-
dent aux métaux, de la Lune des Sages, des Colombes de
Diane, de la matière de la Pierre philosophale, des règles
qu’il faut suivre pour parvenir à l’accomplissement du
magistère, des [xviij] magistères de la Science herméti-
que, de la préparation de la terre des Philosophes pour
en retirer le sel, de la composition du mercure philoso-
phique selon Paracelse, des règles qu’il faut observer
pour parvenir à l’accomplissement du magistère, de la
teinture aurifique, de la transmutation des métaux, &
enfin de l’or potable si recherché, parce qu’il guérit en
même temps, & d’une manière qui tire du prodige, non
seulement le Philosophe qui a le bonheur de le posséder,
mais encore tous les métaux imparfaits, de toutes les
maladies dont ils peuvent être attaqués : on conviendra
qu’un aussi grand avantage ne laisse plus rien à désirer
sur la terre à celui qui le possède. [xix]
Comme la Science est épineuse, il n’est pas douteux que
la plupart voudrait un travail court & facile, mais il faut
de la patience en étudiant, il en faut également dans les
opérations de la Chimie.
Il est certain que la méditation de certains endroits de
cet Écrit est seule capable de donner les plus grandes
lumières au Lecteur & de le faire réussir dans ses opéra-
tions, s’il sait les mettre à profit. Celui qui comprendra

7
PREFACE

bien cet Ouvrage, pourra facilement acquérir les autres


connaissances nécessaires au magistère.
On trouvera, sans doute, des répétitions dans cet Ou-
vrage ; mais je les ai cru nécessaires pour bien inculquer
les principes dont [xx] il ne faut pas s’écarter, si l’on veut
réussir dans les opérations qu’on pourra faire.
Ma Langue naturelle étant celle d’Écosse, j’espère que
mes Lecteurs feront assez indulgents, pour ne pas exiger
d’une Étrangère qu’elle ait pu parler la leur aussi bien
qu’eux : je le répète, ce sont les leçons de mon mari, il me
les a données en bon français, & je les ai rendues comme
j’ai pu. Au surplus, personne n’ignore que dans un Ou-
vrage de Science, il n’est pas question d’un beau style, ni
d’un discours éloquent qui n’apprend rien, il suffit de se
faire entendre autant qu’il est possible, & je me suis
bornée là avec d’autant plus de raison que la Nation
Française, qui est très [xxj] honnête & si polie, a tou-
jours les plus grands égards pour notre sexe.
Telle est à-peu-près l’idée de l’Ouvrage que je donne au
Public dans l’unique intention d’ajouter quelque chose
aux lumières de mes Lecteurs & de les aider de la même
manière qu’on m’a aidée en étudiant une Science de la-
quelle on peut retirer les plus grands avantages.
Si ce premier Essai est reçu favorablement des Ama-
teurs de la Philosophie hermétique, cela me déterminera
peut-être, si les circonstances des affaires me le permet-
tent, à leur donner une suite de mon étude des plus inté-
ressantes, toujours appuyée de bons principes, par le
moyen [xxij] de laquelle ils pourront faire de grands pro-
grès en découvrant les mystères cachés de la Philosophie
à laquelle nulle autre Science ne peut être comparée, si
l’on fait attention qu’on ne peut être véritablement heu-
reux ici-bas qu’en jouissant d’une bonne santé, & pour
cet effet bien loin de s’amuser inutilement à la frivolité,
il faut se procurer par un travail utile les moyens de pro-
longer ses jours, & de chasser les infirmités qui font le
malheur de la vie : alors on ne ressemblera pas à ce Mo-

8
PREFACE

narque infortuné dont le corps était couvert de plaies &


d’ulcères dégoûtants, qui passait sa vie dans les souf-
frances : voyant la misère de son état déplorable, dont il
ne pouvait pas s’affranchir [xxiij] lui-même avec tout son
pouvoir, & se plaignant avec amertume de ce que toutes
les grandeurs humaines dont il était environné, qui font
la majesté des Rois sans les rendre heureux, ne lui ser-
vaient de rien pour le garantir de la moindre de ses in-
firmités, il s’écriait dans l’excès de son chagrin & de sa
douleur :
Que me sert-il qu’un diadème
D’un pouvoir absolu soit l’infaillible appui ?
Que me sert de mon rang la majesté suprême,
Si je ne puis rien pour moi-même,
Lorsque je puis tout pour autrui ?
Je puis assurer mes Lecteurs, que ce sera une très
grande satisfaction pour moi, si en ajoutant à leurs lu-
mières celles que j’ai reçues, ils m’apprennent par la
[xxiv] suite que le travail qu’ils ont entrepris a contribué
à leur bonheur.

9
EXPLICATION

EXPLICATION
Des deux Estampes qui sont dans cet Ouvrage, inventées
par SABINE STUART DE CHEVALIER, née en Écosse.
CELLE du premier Volume, qui est à la première page,
représente un laboratoire de Chimie placé dans le jardin
des Hespéries, c’est-à-dire des sages Adeptes (Voyez le 2e
Volume, page 171) où l’on voit l’arbre de vie, avec les
pommes d’or qu’il produit pour ceux qui en font un bon
usage, en soulageant, sans ostentation, les malheureux
qui sont en grand nombre.
Ces pommes d’or sont le Symbole de la Médecine univer-
selle ou de l’or potable, qui guérit toutes les maladies &
prolonge la vie.
Ce jardin est arrosé des eaux salutaires du fleuve philo-
sophique. (Lisez le Dictionnaire Mytho-Hermétique, page
40, & page 395, à l’article pomme d’or.)
Il y a dans ce laboratoire une bibliothèque qui contient
les livres les plus précieux des Philosophes, pour ins-
truire ceux auxquels Dieu accorde le don inestimable de
cette science. On voit les sept planètes sur le dos des li-
vres qui traitent de la science céleste, relativement aux
opérations de l’Alchimie.
A côté de la bibliothèque, on voit un Religieux Bénédic-
tin, assis sur un tabouret, qui paraît fort étonné de ce
qu’une dame qui cultive [ij] cette science sublime, arrive,
contre son attente, par le jardin des Hespéries, & pré-
sente à ce Religieux célèbre & modeste une couronne
d’or enrichie de pierreries avec les attributs de la royau-
té.
Plus ce Religieux paraît vouloir refuser les marques de
la royauté, plus aussi cette dame s’empresse & l’invite à
prendre le sceptre & le diadème qu’elle lui présente,
pour le déterminer à s’habiller tout de suite convena-
blement à son état, afin de paraître dans le monde tel
qu’il est en effet, puisque enfin par son étude elle lui fait

10
EXPLICATION

voir qu’elle a pénétré les métamorphoses & les emblè-


mes sous lesquels il s’est caché depuis si longtemps.
C’est ce que dénote la clef qu’on voit dans ce tableau.
On voit un autre Religieux Bénédictin avec un mouchoir
à la main, qui pleure la perte d’un Religieux, (c’est-à-
dire, de Basile Valentin,) lequel, par sa piété & sa
science, faisait l’ornement de son Ordre.
Dans ce même laboratoire, qui est le temple des Philoso-
phes, où ils travaillent à développer les merveilles de la
Nature, on aperçoit un labyrinthe, lequel, selon l’idée
des Philosophes, sert à indiquer toutes les difficultés qui
se présentent dans les opérations de la Chimie & du
Grand Œuvre, & nous fait voir combien il est difficile de
s’en retirer quand en s’y est engagé sans avoir de bons
principes. En pareil cas, il ne faut pas moins que le fil
d’Ariadne, fourni par Dédale même, (qu’on trouvera
dans le cours de cet ouvrage,) pour y réussir, & qu’il faut
être conduit & dirigé [iij] par un Philosophe qui ait fait
l’œuvre lui-même. C’est ce que Morien nous assure dans
son entretien avec le Roi Calid. Voyez les Fables Égyp-
tiennes & Grecques dévoilées, chap. de Théier, Diction-
naire Mytho-hermétique, page 234.
Tout autour de ce labyrinthe, on aperçoit une eau cou-
rante venant du fleuve philosophique, lequel sort d’une
montagne dont le sommet se perd dans les nues ; une
pluie méridionale indiquera cette montagne. Voyez les
pages 82, 123 & 124, du second Volume.
L’oiseau d’Hermès qui paraît dans l’air au-dessus de
l’arbre de vie : lisez son explication à la page 124 & 171
du second Volume.
Quant au fourneau sur lequel est placé un vase chimi-
que, au fond duquel il y a deux figures humaines avec
une troisième au-dessus, qui est à côté de Basile Valen-
tin, laquelle opération ce Philosophe examinait avec ad-
miration dans son laboratoire, lorsqu’il fut surpris par la
Dame qui est à côté de lui ; cette surprise, à laquelle il

11
EXPLICATION

ne s’attendait pas, lui prouva dans l’instant, qu’elle


s’était procuré, par son étude, la véritable clef du sanc-
tuaire philosophique, qui est si difficile à trouver.
Cette Dame, pour mériter la confiance du Philosophe, lui
expliqua tout de suite l’ouvrage qu’il méditait en secret ;
elle lui dit que le vase précieux qui était sur son atha-
nor, & dans l’état où elle le voyait, signifiait la solution
de l’ouvrage qu’il faisait. Selon les écrits des Philoso-
phes, qui ne mettent jamais rien de contraire à leur
pierre, parce qu’elle est l’unique sujet, [iv] cette Dame
dit encore au Philosophe, qu’elle avait surpris en
contemplation, qu’en joignant l’esclave avec sa sœur
odoriférante, ils devaient faire entre eux l’ouvrage des
Sages ; car dès que la femme blanche est mariée avec le
mari rouge, tout aussitôt par un amour mutuel & légi-
time, ils s’embrassent & s’unissent très étroitement ; ils
se dissolvent eux-mêmes : & par eux-mêmes aussi ils se
perfectionnent, & ensuite de deux corps qu’ils étaient
auparavant, ils deviennent un seul corps.
A l’égard des trois fleurs qui sortent du col de ce vase
chimique, je vous répéterai ce que les Philosophes nous
ont enseigné, & parmi lesquels vous tenez un rang si
distingué : apprenez, nous ont-ils dit, qu’il y a trois cou-
leurs parfaites, d’où plusieurs autres procèdent.
La première est noire, la seconde est blanche, & la troi-
sième est rouge : je sais bien qu’il y a plusieurs autres
couleurs qui paraissent souvent devant la blanche ; mais
ils nous ont dit qu’il ne fallait pas s’en mettre en peine.
Là se fait la conjonction des deux corps qui est néces-
saire ; car, s’il n’y avait dans la pierre qu’un de ces deux
corps, il ne pourrait jamais donner la teinture néces-
saire, par conséquent la jonction des deux corps est abso-
lument nécessaire pour terminer l’ouvrage.
Les Philosophes ont dit que le vent a porté la pierre dans
son sein : on doit savoir que le vent c’est l’air, l’air est la
vie, & la vie est l’aine, c’est-à-dire, l’huile & l’eau des
Philosophes.

12
EXPLICATION

13
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

DISCOURS PHILOSOPHIQUE
Sur les trois Principes, Animal, Végétal, & Minéral.
LA Nature a reçu de Dieu un pouvoir absolu pour exer-
cer son empire, sur tous les êtres qui sont dans
l’univers ; elle embrasse tous les Royaumes, toutes les
Provinces, & tous les lieux en particulier, pour distri-
buer partout, en même temps, ce qui convient à la per-
fection de chaque être ; elle a constitué princes les qua-
tre Éléments, & leur a donné le pouvoir d’accomplir la
volonté du Créateur, en les disposant de manière qu’ils
agissent continuellement l’un dans l’autre.
Le Feu a commencé à agir dans l’Air, où il a produit le
soufre. L’Air a commencé à agir dans l’Eau, où il a pro-
duit le mercure. L’Eau a commencé [2] ses opérations
dans la Terre où elle a produit le sel. La Terre n’ayant
pas de sujet où elle eût pu agir, n’a rien produit ; mais
elle a conservé toutes les productions dans son sein. Voi-
là pourquoi il n’y a que trois Principes, la terre étant la
nourrice & la matrice de tous les autres êtres.
Les Anciens n’ont décrit que deux effets des Éléments ou
deux Principes ; ils connaissaient peut-être le troisième,
& n’en ont rien dit pour des raisons particulières ; ne
craignant point d’ailleurs une critique sévère, en dédiant
leurs ouvrages à leurs enfants, ils se sont bornés à faire
la description du soufre & du mercure qui sont la base
des métaux dont on extrait une médecine qu’ils connais-
saient parfaitement.
Un Enfant de l’Art doit connaître toutes les choses acci-
dentelles, quand il veut approcher d’un élément, afin
qu’il puisse distinguer & choisir les moyens qu’il doit
employer pour parvenir à la fin qu’il se propose : s’il a
envie de remplir le nombre quatre, il doit savoir que les
trois Principes ont été produits par quatre, & ne pas
ignorer non plus, qu’il faut encore [3] diminuer & ré-
duire les trois Principes à deux, qui sont le mâle & la
femelle, & que ces deux derniers en produisent un qui

14
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

est incorruptible, qui renferme les quatre également &


au suprême degré de pureté. Voilà le moyen de connaître
que le quadrangle est contenu dans le pentagone, où se
trouve la quintessence la plus pure qui soit dans le
monde.
L’Artiste est obligé de séparer cette quintessence, & la
purifier d’un grand nombre de contraires, pour avoir
dans trois essences, dans chaque composition, le corps,
l’esprit & l’âme cachée. Après avoir ainsi séparé & puri-
fié ces trois choses, il faut les conjoindre derechef, en
imitant la Nature ; & si on a le bonheur de ne pas s’en
écarter, on est assuré de recueillir le fruit de ses tra-
vaux.
Voilà l’origine des trois Principes, dont, en imitant la
Nature, on retire le dissolvant universel, qu’on en sépare
facilement, quand on connaît bien comment tous les
êtres ont été formés.
Ces trois principes se trouvent dans toute chose ; sans
eux, rien n’arriverait naturellement dans le monde. [4]
J’ai dit plus haut, que les Anciens n’avaient nommé que
deux Principes qui sont le mercure & le soufre, & qu’ils
connaissaient cependant une médecine incomparable qui
en provient. C’est pourquoi j’ajouterai qu’ils ont dû né-
cessairement connaître le sel, qui est la clef & le principe
de la Chimie, parce que c’est le soufre qui fait rester le
sel où il a été placé.
Mais établissons actuellement une proposition pour dé-
montrer que ces trois Principes sont véritablement la
matière prochaine de la médecine dont nous parlons.
Tous les métaux sont composés d’une matière prochaine
& d’une matière éloignée ; la matière prochaine est le
soufre & le mercure ; les quatre éléments sont la matière
éloignée, qui a été créée par Dieu même, qui seul a le
pouvoir de créer par le moyen des éléments. C’est pour-
quoi nous devons abandonner les éléments avec lesquels
nous ne produirons jamais autre chose que les trois

15
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Principes, parce que la Nature ne leur a pas donné


d’autre propriété.
Si donc nous ne pouvons retirer des éléments que les
trois Principes [5] que la Nature a produits par leur
moyen, à quoi bon perdre notre temps à chercher & à
vouloir faire ce que la Nature a déjà engendré, & qu’elle
nous présente tout préparé ?
Nous devons donc nous borner aux trois Principes avec
lesquels la Nature produit tous les êtres sur la terre &
dans la terre, puisque nous les trouverons dans toute
chose en faisant une séparation & une conjonction
convenables.
La Nature produit les métaux & les pierres dans le rè-
gne minéral ; les arbres & les plantes dans le règne vé-
gétal ; le corps, l’esprit & l’âme, dans le règne animal.
Le corps est terre ; l’esprit est eau ; l’âme est feu, soufre
ou or.
L’esprit augmente la qualité du corps, le feu le fortifie ;
l’esprit, étant exalté, a plus de poids & opprime le feu
qui attire chacun d’eux & les fait augmenter en vertu, &
la terre, qui est intermédiaire, augmente aussi le poids
des corps.
Nous devons bien réfléchir sur ce que nous voulons cher-
cher dans ces trois Principes, au secours desquels [6]
nous sommes obligés de venir pour vaincre les contrai-
res.
Il faut ensuite ajouter au poids de la Nature le poids qui
lui est nécessaire, pour remplir ses défauts, par le
moyen de l’Art, en détruisant les contraires.
La terre, comme nous l’avons déjà dit, n’est que le récep-
tacle des autres éléments, le second sujet dans lequel le
feu & l’eau combattent continuellement par le moyen de
l’air ; si l’eau prédomine, il en résulte des choses tempo-
relles & corruptibles ; si, au contraire, le feu remporte la

16
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

victoire, il en résulte des êtres perpétuels & incorrupti-


bles.
Réfléchissons actuellement sur ce qui nous est néces-
saire ; considérons que le feu & l’eau se trouvent dans
toute chose ; mais ils ne font autre chose que combattre
violemment, non par eux-mêmes, mais par l’excitation
de la chaleur intrinsèque, qui est fomentée par le mou-
vement des Astres dans les entrailles de la Terre, & sans
ce mouvement céleste, le feu & l’eau ne feraient jamais
rien ; ils resteraient à leur terme & dans leur équilibre.
Mais après que la Nature a conjoint [7] ces deux contrai-
res en proportion, la chaleur intrinsèque les excite, ils
commencent à combattre, & chacun d’eux appelle son
semblable à son secours. Voilà comme ils montent &
croissent jusqu’à ce que la terre ne puisse plus s’élever.
Pour lors, le feu & l’eau étant ainsi retenus dans la
terre, ils s’y subtilisent parce qu’ils y sont perpétuelle-
ment en mouvement & circulent sans cesse par les pores
que l’air leur prépare dans la terre, qui produit ensuite
des fleurs & des fruits qui sont amis de l’eau.
Quand vous aurez bien purgé une chope, faites en sorte
que le feu & l’eau deviennent amis ; vous y réussirez fa-
cilement par le moyen de la terre qui a monté avec eux.
Nous sommes bien plutôt à la fin de cette opération que
la Nature, pourvu que nous ayons la précaution
d’observer son poids en faisant la conjonction. Nous ne
devons pas nous régler sur le poids que la Nature a em-
ployé ; mais c’est sur ses besoins actuels, relatifs à ce
que nous voulons faire, que nous devons fonder toutes
nos opérations.
La Nature, dans toutes ses compositions, [8] emploie
moins de feu que de toute autre chose ; mais elle ajoute
un feu extrinsèque pont exciter le feu interne relative-
ment à sa volonté. Le temps qu’elle emploie à faire ses
opérations, dépend du feu plus ou moins fort ; s’il est
vainqueur, il en résulte une chose parfaite ; mais s’il est

17
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

vaincu par l’eau, l’ouvrage de la Nature demeure impar-


fait. Cela arrive dans les minéraux comme dans les vé-
gétaux.
Le feu extrinsèque n’entre pas, comme partie essentielle,
dans la composition des êtres pour les perfectionner,
parce que le feu matériel suffit, pourvu toutefois qu’il ait
son aliment pour faire croître & multiplier ; car
l’accroissement & la multiplication sont toujours relatifs
à la nourriture.
Voilà pourquoi le feu extrinsèque, dans toutes nos opéra-
tions, ne doit jamais être trop fort, parce qu’il suffoque-
rait les esprits. Un petit feu de flamme dévore des cho-
ses bien précieuses en bien peu de temps.
Le feu extrinsèque doit être multiplicatif & nourrissant ;
mais il ne doit pas être dévorant, parce que la cuisson
est une perfection dans toute chose. [9]
La Nature ajoute ainsi au poids pour perfectionner son
ouvrage. Mais comme il est difficile d’ajouter à une com-
position, & qu’il faut un long travail, on a pris la résolu-
tion de séparer les superfluités, autant qu’il est possible,
selon les besoins de la Nature.
Quand nous aurons séparé les superfluités, nous pour-
rons faire notre mélange, la Nature nous fera voir ce qui
lui est nécessaire.
Nous devons aussi avoir assez de connaissance pour voir
si la Nature a bien ou mal conjoint les éléments, parce
qu’il ne se fait aucune conjonction sans la participation
de tous les éléments ; mais il y en a plusieurs qui sèment
la paille ou l’enveloppe pour le grain, comme il se trouve
des ignorants qui sèment la paille & le grain tout à la
fois ; d’autres rejettent ce que les véritables Artistes
conservent soigneusement ; d’autres enfin commencent
par où ils devraient finir ou abandonnent l’ouvrage par
inconstance, lorsqu’ils sont sur le point de recueillir le
fruit de leurs travaux. La science est épineuse, & la plu-
part voudraient un travail facile, & très court. [10]

18
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Le point essentiel consiste dans la préparation des cho-


ses cachées ; voilà ce qui entraîne un grand nombre
d’Artistes dans l’erreur : car, lorsqu’ils préparent la ma-
tière qui contient réellement le mercure philosophique,
ils en rejettent les meilleures parties, & retiennent les
plus mauvaises.
Mais les véritables Artistes savent bien se garantir de
tous ces inconvénients, en faisant la conjonction des ver-
tus élémentaires par parties égales, de chaud, de froid,
d’humidité aqueuse naturelle. En un mot, le point fon-
damental consiste dans la conjonction du mâle avec la
femelle pour effectuer la génération ; & pour développer
ce point essentiel, j’ajouterai que ce mâle & cette femelle
ne sont autre chose que l’humide radical des métaux.
Nous ne devons jamais perdre de vue que notre poids
doit être celui de la Nature. Il faut doubler le mercure &
tripler le soufre, pour faire un ouvrage parfait. Nous
verrons paraître le soufre & le double mercure ; mais
nous ne devons pas ignorer qu’ils sont sortis de la même
racine, & qu’ils ne doivent pas être cruds ni trop cuits.
[11]
Le mercure des Philosophes, ainsi que la matière qui le
contient, ont des propriétés admirables. Ce mercure dis-
sout les métaux & les vivifie par la vertu de son soufre
qui est d’une nature pénétrative & fixative. Le mercure
vulgaire ne dissout ni l’or ni l’argent, de manière à ne
pas pouvoir en être séparé.
Le mercure des Philosophes, au contraire, dissout les
métaux & s’y unit inséparablement. Le mercure vulgaire
contient un soufre combustible impur, & qui noircit les
métaux ; il est froid & humide, il se convertit en poudre
grise dans sa précipitation, ou en mauvais soufre. Le
mercure philosophique contient un soufre pur, incorrup-
tible, qui blanchit & rougit les métaux, qui est chaud &
humide, qui devient d’une blancheur éblouissante par le
moyen d’une chaleur douce qui le rend fixe & fusible.

19
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Toutes ces circonstances prouvent la différence qui se


trouve entre ces deux mercures.

[12]

20
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

DES VERTUS ET PROPRIÉTÉS DU MERCURE DES


PHILOSOPHES.
Ce mercure est si riche qu’il a tout ce qui lui est néces-
saire pour lui & pour nous, sans qu’il soit nécessaire de
lui donner aucun secours par une addition de matière
étrangère. Il se congèle & se dissout par une simple
cuisson naturelle.
Si nous examinons attentivement la nature des végé-
taux, des minéraux, & des métaux, nous reconnaîtrons
qu’ils contiennent tous le véritable mercure des Philoso-
phes, qui se trouve également partout ailleurs ; mais il
existe un sujet où il est plus proche, & pour le découvrir,
il faut avoir une connaissance parfaite des choses natu-
relles, surtout de celles qui regardent la Minéralogie &
la Métallurgie.
Un grand nombre de personnes prétendent trouver cette
matière par un pur hasard, sans avoir les connaissances
nécessaires pour suivre ses traces & remonter jusqu’à sa
source. Je conviens qu’on peut la trouver par hasard, &
j’ajouterai que beaucoup de personnes ont mis la main
dessus sans y penser ; [13] mais qu’en est-il résulté ? El-
les ont voulu la travailler sans principes, & sont tombées
dans l’erreur qu’elles ne pouvaient connaître ni éviter ;
ainsi, elles l’ont perdue de la même manière qu’elles
l’avaient trouvée.
Il faut donc travailler avec connaissance de cause, ne
pas s’obstiner ni se laisser séduire par ce qu’on peut voir,
si l’on n’en comprend pas la véritable cause.
DES PRINCIPES DE LA CHIMIE.
Un bon Chimiste doit imiter la Nature dans toutes ses
opérations ; il ne doit jamais s’écarter des principes na-
turels, qui sont la base de l’art. Il faut avoir une
connaissance parfaite de la génération naturelle des mé-
taux, pour pouvoir imiter la Nature dans ses principes.

21
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

L’eau & la terre sont la matière des pierres ; les rochers


sont formés avec une terre mêlée avec l’humidité vis-
queuse.
Il faut un mélange de soufre & de mercure pour former
les métaux qui ne sont autre chose qu’une vapeur subtile
coagulée par la substance du [14] vif-argent avec le sou-
fre, par le moyen d’une chaleur tempérée, dans les en-
trailles & les cavernes profondes de la terre.
Ces vapeurs contiennent une humidité qui se condense
par le moyen d’une siccité terrestre avec la chaleur tem-
pérée, qui mêle, dissout & sublime ces vapeurs dans des
lieux convenables où elles se digèrent.
Cette humidité est cause de la fluidité des métaux qui
peuvent ensuite se convertir en or, en argent, ou en
d’autres métaux, selon la qualité de leur soufre ou le de-
gré de chaleur qu’ils rencontrent.
Ces vapeurs sont attirées par le vif-argent ; voilà pour-
quoi il est clair & indubitable que le soufre & le vif-
argent sont essentiels à tous les métaux, & qu’ils pro-
duisent les vapeurs qui congèlent tous les corps métalli-
ques.
Le soufre n’est autre chose que la graisse de la terre qui
se cuit dans sa minière avec une chaleur tempérée ;
mais le vif-argent est une eau pesante qui contient une
terre blanche, très subtile, bien incorporée & qui digère
jusqu’à ce que l’humidité soit parfaitement [15] unie
avec la terre, & jusqu’à ce que l’une & l’autre soient
transmuées.
Tout le succès de cette opération naturelle dépend du
vif-argent qui est la matière commune de tous les mé-
taux ; mais il doit être mêlé avec le soufre qui se trouve
dans toutes les minières & qui est nécessaire à la forma-
tion de tous les métaux.
Il y a des minières où le soufre & le vif-argent se trou-
vent séparément ; mais, s’ils ne sont réunis & conjoints,

22
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

ils ne produiront jamais un métal quelconque : l’un &


l’autre resteront tels qu’ils sont, sans changer de forme.
Voilà pourquoi toutes les minières exhalent une puan-
teur de soufre. C’est une preuve que l’esprit de soufre &
de vif-argent s’unifient dans la génération des métaux ;
le soufre est actif, & le vif-argent est passif. L’un est
mâle, & l’autre est femelle, & leur conjonction est aussi
nécessaire à la propagation des métaux que la conjonc-
tion de l’homme & de la femme pour la propagation de
l’espèce humaine.
La même chose arrive dans la conjonction du soufre avec
le vif-argent qui est la matière dont se forment les mé-
taux. Le soufre y entre comme [16] agent, qui porte la
semence propagative, parce qu’il contient une vertu oc-
culte qui est une chaleur métallique naturelle, qui di-
gère, engendre & excite la génération dans le vif-argent.
Le soufre, par sa vertu agile, subtile & pénétrative, en-
gendre l’or dans le vif-argent où le corps de l’or se trouve
déjà ; il sépare les parties superflues & sulfureuses gros-
sières ; ainsi, le vif-argent, par sa vertu & ses principes
sulfureux, se cuit & se détermine en or parfait avec les
vapeurs du soufre, qu’on compare au cœur qui s’élève du
fœtus animal.
La forme & la teinture de l’or sont dans le mercure des
Philosophes comme le cœur dans un animal ; mais on y
ajoute un soufre extérieur, qui par sa vertu & puissance
actives, met en mouvement le vif-argent, le fortifie en
séparant tout le soufre grossier, & le convertit en métal
parfait selon la nature de ce même soufre.
Voilà pourquoi l’on trouve du soufre & des pierres dans
toutes les minières métalliques, parce qu’il contient une
vertu métallique naturelle, qui congèle, fixe & durcit le
vif-argent. Le vif-argent qui se durcit à la seule vapeur
[17] du plomb, ou, pour mieux dire, du soufre qu’exhale
le plomb en fusion, en est une preuve non équivoque. Le
soufre, dans les entrailles de la Terre, commence la coa-

23
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

gulation & le durcissement du vif-argent par la vertu


des Astres qui lui donnent des propriétés admirables.
Il y a deux soufres différents, comme il y a deux différen-
tes teintures métalliques ; l’une est : composée d’un sou-
fre grossier, & l’autre d’un soufre subtil.
Ces deux substances sulfureuses coagulent & teignent le
vif-argent en métal ; mais le soufre grossier ne produit
jamais qu’un métal imparfait, tandis que le soufre sub-
til, convertit toujours le vif-argent en métal parfait,
parce qu’il contient une teinture parfaite.
Il faut conclure, d’après ce que nous venons de dire, que
le soufre est l’agent des métaux, & que le vif-argent est
la matière dont ils sont composés. Si le soufre impur &
grossier était séparé des métaux, ils seraient tous par-
faits, parce qu’ils seraient guéris de leur lèpre.
En remontant ainsi jusqu’à l’origine des métaux, on re-
connaît que la Nature [18] n’emploie que le soufre & le
vif-argent pour les former. Le soufre est la semence &
l’agent qui se retire quand il a fait son opération & ren-
du son ouvrage parfait : le vif-argent reste comme la ma-
tière qui produit le corps.
La Nature, dans le commencement de la génération des
métaux, emploie une eau pesante, avec un mélange de
parties visqueuses & une terre blanche sulfureuse très
subtile, qui digère, durcit & comprime l’humidité de
l’eau par sa siccité & qui en réunit toutes les parties. Si
la Nature, en produisant le vif-argent, emploie une ma-
tière pure, il deviendra un or parfait, pourvu qu’il trouve
tous les secours dont il a besoin dans les entrailles de la
Terre ; mais si le mâle & la chaleur nécessaire lui sont
refusés, il restera toujours vif-argent ; car il a absolu-
ment besoin d’une chaleur tempérée pour le sublimer &
l’élever avec les vapeurs de la minière, où il se purifie &
se teint par la chaleur du soufre qui le dépouille en
même temps de toutes ses superfluités grossières.

24
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Quand ce soufre est parvenu au suprême degré de pure-


té ; il convertit en or toutes les parties de vif-argent [19]
sur lesquelles il peut répandre sa vapeur ; parce que la
Nature destine tout le vif-argent à être de l’or parfait,
mais il doit être purifié avec un soufre bien pur.
Le vif-argent & l’or n’ayant qu’une seule & même ori-
gine, on doit conclure qu’en faisant cuire, digérer & mû-
rir le vif-argent, selon les principes de la Nature, on en
fera de l’or parfait.
Si nous observons avec un peu d’attention, les principes
de l’or dans sa génération naturelle, nous reconnaîtrons
cette vérité ; car si le vif-argent n’est pas pur, après sa
formation, ou s’il lui arrive ensuite quelque accident ou
obstacle, comme une chaleur trop forte ou trop faible ; ou
si le siège qu’il occupe est mal propre ou infecté de va-
peurs contraires, c’est ce qu’on appelle un vif-argent mê-
lé de soufre mixte & grossier que la Nature n’a pas eu
occasion de séparer ou détruire.
Dans ce cas, le vif-argent reste tel, & la Nature ne le
convertira jamais en or ; si les impuretés ne sont qu’à un
certain point, il se convertira en argent ; mais s’il en
contient en grande quantité, il se déterminera en cuivre,
[20] en étain ou en plomb, ou en fer, selon le degré de
chaleur qu’il trouvera dans les entrailles de la Terre, &
la quantité du soufre impur dont il sera chargé.
Nous ne devons pas ignorer, que, quoique ces impuretés
soient, ainsi que le mauvais soufre, mêlées avec le vif
argent, ce n’est point un mélange qui soit dans le cas de
le rendre combustible avec le soufre, parce que
l’expérience nous prouve, en faisant du cinabre, que le
soufre se brûle & se détruit sans que le vif-argent perde
la moindre chose de son poids qu’on trouve toujours
après qu’on a revivifié le cinabre : cela prouve que le vif-
argent est toujours incombustible malgré ses impuretés.
Il est évident, par ce que nous venons de dire, que les dé-
fauts des métaux imparfaits proviennent du mauvais

25
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

soufre, & non du vif-argent. La Nature agit continuelle-


ment sur eux pour en faire de l’or parfait, & si elle ne
réussit pas, à cause des obstacles dont nous venons de
parler, elle en fait ce qu’elle peut : de l’argent, du cuivre,
de l’étain, du fer ; mais elle n’a pas envie de les aban-
donner [21] en cet état de langueur : elle continue d’en
avoir soin en écartant tous les obstacles, en les cuisant
jusqu’à ce qu’ils soient réduits en vif-argent pur pour les
faire digérer en or. On reconnaît ces opérations admira-
bles de la Nature, dans les minières fixes & mixtes de
plomb, d’étain, de cuivre & de fer, où l’on trouve de l’or &
de l’argent mêlés avec ces métaux imparfaits. On trouve
aussi très fréquemment des minières d’argent imparfait,
qu’il faut abandonner pendant un certain temps, pour
les laisser cuire, digérer & mûrir.
Si les métaux imparfaits étaient destinés par la Nature
à rester tels, ils resteraient certainement toujours en cet
état ; nous voyons cependant qu’elle s’efforce continuel-
lement de les mûrir & convertir en or parfait, parce
qu’on reconnaît, dans les minières, que les parties métal-
liques qui sont les plus proches du foyer sont toujours
converties en or parfait, tandis que celles qui en sont
éloignées ne sont encore que cuivre, fer & autres métaux
imparfaits.
Il est donc évident que tous les métaux contiennent une
propriété, [22] une disposition naturelle par le moyen de
laquelle ils peuvent parvenir au degré de l’or parfait : ce-
la prouve qu’il existe une autre manière d’engendrer l’or
avec le vif-argent pur, qui est contenu dans les métaux
imparfaits & même avec toute leur substance, parce que
ce n’est que par accident qu’ils sont restés imparfaits,
puisque la Nature agit continuellement sur eux pour les
réduire en vif-argent pur & ensuite en or.
Cette seconde génération d’or est la dernière dispropor-
tion qui diffère de la première par le moyen que la Na-
ture emploie en travaillant d’une manière différente que
dans la première génération, où elle opère sur un vif-
argent pur & naturel, qui n’exige pas un si long travail

26
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

que dans la seconde génération de l’or qui se fait avec les


métaux imparfaits, quoiqu’ils soient tous formés de la
première matière qui est uniforme.
La matière doit être également pure dans ces deux géné-
rations ; le vif-argent doit être dépouillé de toutes les
impuretés pour être fixé en or ; mais il ne peut parvenir
à ce degré qu’après avoir été dépouillé de son [23] soufre
grossier & combustible qui se détruit dans une longue
cuisson.
La Nature nous fournit abondamment du vif-argent &
des métaux imparfaits par toute la terre ; mais ils sont
infectés & remplis de matières impures dont nous ne
pouvons les dépouiller par les moyens que l’Art peut
nous fournir ; car nous les ferions cuire & digérer pen-
dant un siècle qu’ils n’en seraient pas plus purs ni plus
mûrs, parce que nous ignorons les degrés de chaleur que
la Nature emploie pour en faire de l’or ; c’est pour cela
que nous ne pouvons l’imiter en cette circonstance, lors-
qu’il est question de séparer les superfluités par la di-
gestion & par la cuisson.
Telle est l’intention de la Nature ; elle a placé la matière
de l’or dans tous les métaux imparfaits ; c’est le vif-
argent qu’elle a disposé à recevoir la forme de l’or qui y
existe déjà, mais d’une manière invisible, & pour le faire
paraître, il suffit de séparer toutes les superfluités sul-
fureuses & préparer la forme.
La Nature nous a donné plusieurs moyens pour détruire,
brûler & consumer toutes ces impuretés avec des [24]
esprits puissants qui existent dans le règne métallique.
Voilà où il faut chercher la première matière de la Chi-
mie, & non ailleurs.
Nous ne parlons pas ici de la matière péripatétique ni
platonique, mais de la première matière du soufre des
Philosophes, & du sujet naturel dont on doit la tirer.

27
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

DE LA PREMIÈRE MATIÈRE DE LA CHIMIE.


La première matière du soufre est une des deux matiè-
res qui sont nécessaires pour parvenir à la fin des tra-
vaux hermétiques. Si nous considérons attentivement ce
point essentiel, nous reconnaîtrons sûrement cette pre-
mière matière, qui est froide & humide lorsqu’on la
prend pour en extraire la quintessence.
Il entre trois matières dans la composition du Magistère
hermétique, ou pour parler plus clairement, c’est la
même & unique matière qu’on appelle, matière éloignée,
matière prochaine, & matière très proche.
Les Philosophes ont ainsi divisé cette matière, parce
qu’elle paraît triple [25] dans l’opération ; car, dans le
temps qu’on la tire de la minière pour la préparer, elle
est éloignée ; après qu’on en a séparé les impuretés, elle
devient prochaine ; & enfin, quand on l’a réduite à la
disposition de la Nature, elle est très proche.
Nous devons prendre la matière éloignée pour en tirer le
mercure philosophique, & abandonner la matière pro-
chaine, & ne pas imiter ceux qui travaillent sans princi-
pes ; car ils prennent la matière prochaine, ne connais-
sant pas le prix de la matière éloignée.
Tous les Philosophes, tant anciens que modernes, nous
ont assez indiqué où nous devons prendre la première
matière de la Chimie. Ils ont dit qu’il fallait la chercher
dans le ventre du bélier ; mais nous ne devons pas
confondre le bélier astronomique avec le bélier philoso-
phique. C’est cependant ce qui est arrivé à bien des per-
sonnes qui travaillaient sans principes ; mais nous al-
lons donner une explication de ce point essentiel, qui
empêchera de tomber dans une pareille méprise.
L’article des Éléments dans lequel nous allons entrer, ne
laissera rien à désirer sur ce sujet. [26]

28
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

DES ÉLÉMENTS.
Les Philosophes sont convenus de représenter les élé-
ments sous différentes figures, pour des raisons que
nous n’avons pas besoin de discuter.
Ils ont représenté l’eau sous la forme d’un dragon ;
L’air, sous celle d’un oiseau ;
Le feu, sous celle d’un Ange ;
Et la terre, sous celle d’un bélier.
L’eau fait vivre la terre, la terre est le vase qui contient
l’eau ; si toute la terre est le vase de l’eau, il s’enfuit que
l’eau habite dans la terre.
Les Philosophes ayant choisi le bélier pour indiquer la
terre, il est bien clair que l’eau qui habite la terre sera le
ventre de la terre.
L’expression d’Hermès vient à l’appui de cette vérité. Vi-
sitez les entrailles de la Terre, dit ce Philosophe, en rec-
tifiant vous trouverez la pierre cachée, qui est une véri-
table médecine.
Il est très essentiel de savoir la qualité des éléments,
aussi bien que la quantité. Le succès des opérations
chimiques dépend de cette connaissance. [27] La terre
est sèche & froide ; l’air est humide & chaud ; le feu est
chaud & sec ; l’eau est froide & humide.
Quoique tous les éléments soient différents & contraires,
en tout ou en partie, la terre ne se trouve, dans un sens,
que dans l’eau, & l’eau ne se trouve que dans la terre ;
ces deux éléments ne s’accordent que dans un genre seu-
lement ; c’est à dire, dans le froid : car le feu ne peut se
trouver que dans l’air, & ces deux éléments sont d’accord
pour ce qui regarde la chaleur seulement. C’est pourquoi
nous voyons clairement que la terre vit de la substance
de l’eau, & le feu de celle de l’air. Par la même raison,
l’eau participe, dans un genre seulement, avec la terre
par rapport au froid, & avec l’air par rapport à
l’humidité. La terre, au contraire, paraît intermédiaire,

29
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

& le feu participe de l’air par rapport à la chaleur, de


même qu’avec la terre à cause de la sécheresse.
L’air est intermédiaire entre le feu & la terre, & voilà
pourquoi tous les éléments sont contenus l’un dans
l’autre. C’est pour cela qu’on ne peut convertir un élé-
ment en la nature d’un autre [28] élément, sans conver-
tir l’élément intermédiaire, qui lui est contraire.
Si, par exemple, l’on voulait convertir l’eau en feu par
son contraire, il faudrait premièrement convertir l’eau
en air, pour convertir & dessécher l’humidité de l’eau.
Alors l’élément de l’eau serait totalement converti par
un autre élément contraire, qui est celui du feu.
De même, si l’on voulait convertir le feu en eau, il fau-
drait nécessairement convertir la chaleur du feu en
froid ; pour lors, le feu deviendrait terre, qui est son
élément intermédiaire ; mais il faudrait de toute néces-
sité convertir la sécheresse du feu en humidité.
Voilà la manière de convertir le feu en eau par le moyen
d’un contraire. On peut de même convertir l’eau ou l’air
en terre, & la terre en feu par le moyen d’un intermé-
diaire convenable.
Nous avons déjà dit, & nous le répétons, que nous ne
parlons point ici de l’eau péripatétique ; l’eau philoso-
phique est uniquement le sujet que nous traitons.
Il n’y a point de véritable eau philosophique [29] que
celle qui est dépouillée de toutes les parties grossières
des éléments, par une manipulation philosophique :
quand elle est ainsi purifiée, on peut la considérer
comme un véritable esprit, puisqu’elle contient tout ce
qui est nécessaire au magistère hermétique.
Il faut que cet esprit soit délivré de son corps par une
purgation réitérée jusqu’à sept fois, & même au-delà.

30
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

DE L’AIR.
Tout ce que nous venons de dire de l’eau peut être appli-
qué à l’air qui n’est autre chose qu’une vapeur d’eau.
C’est pourquoi, quand vous aurez l’eau philosophique,
vous serez en même temps possesseur de l’air des Philo-
sophes. Aussitôt que vous aurez séparé du corps physi-
que les parties grossières, vous aurez un esprit pur &
philosophique, avec lequel vous ferez des merveilles,
pourvu que vous ayez le secret de découvrir ce qu’il
contient intérieurement.
Geber dit que cet esprit contient une chose sèche, par
conséquent l’air philosophique contient un feu & une
[30] terre vierge avec laquelle on peut faire des prodiges.
DU FEU.
Le feu est celui de tous les éléments qui a le plus
d’empire sur tous les composés, il ne peut exister que
dans l’esprit universel qui se trouve partout & en parti-
culier dans les quatre éléments. Cette opinion est
contraire à celle de ceux qui admettent des corps sim-
ples, sans considérer que des êtres simples ne peuvent
avoir des qualités différentes, favorables & contraires en
même temps.
Voilà ce qui nous a fait prendre la résolution de nier
l’existence des corps simples, parce que tout corps est
indubitablement composé de plusieurs êtres réunis.
La Philosophie, d’ailleurs, n’admet aucun être qui ne soit
composé des quatre éléments.
Le feu physique est absolument nécessaire pour teindre
le mercure des Philosophes, & le feu philosophique est
également nécessaire pour le mûrir.
Pontanus a fait un excellent traité sur le feu philosophi-
que, mais tout le [31] monde n’est pas en état de le lire
avec fruit. Ceux qui travaillent sans principes cherchent
ce feu partout, tandis qu’il est dans leurs mains ; ils ne

31
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

le connaissent pas parce qu’ils n’ont pas voulu prendre


la peine d’étudier la Nature.
Il existe un feu combustible, qui jette une flamme, qui
brûle & consume, quand la Nature est en agitation.
Nous avons une condensation & une raréfaction par le
moyen desquelles les mixtes se coagulent & se corpori-
fient dans leur mélange. Il existe deux espèces de raré-
factions dont la Nature se sert, comme de deux mains,
pour travailler ; c’est le ferment & le feu de la fermenta-
tion, qui brûle les parties hétérogènes.
La fermentation se fait par l’élévation des particules sul-
fureuses, qui se condensent, se raréfient par le moyen
d’un ferment de l’air universel.
Il est impossible de faire fermenter une chose quel-
conque sans la briser ou l’ouvrir, pour lui donner assez
clair pour exciter la fermentation, qui a toujours deux
fins, & rien ne peut fermenter sans liqueur douce, car
les [32] acides de sel de nitre & de sel commun ne fer-
mentent point.
Si la fermentation va au-delà des temps prescrits, les
particules salines s’élèvent & prédominent sur les par-
ties sulfureuses, & il en résulte un vinaigre distillé.
Il est impossible d’acquérir un esprit ardent sans fer-
mentation, après laquelle il résulte trois choses, les fè-
ces, la substance moyenne, la substance acide, & la par-
tie spiritueuse sulfureuse.
La combustion n’est autre chose qu’une élévation & une
raréfaction des parties sulfureuses condensées qui
s’étendent par le moyen du ferment d’un feu allumé par
l’interposition de l’air.
Rien ne peut brûler ni s’enflammer dans une matière
qui n’est pas ouverte, ou dans un vase fermé ; les char-
bons allumés s’éteignent aussitôt qu’ils sont privés de
l’air. Rien ne peut s’enflammer & brûler que ce ne soit
une matière grasse & sulfureuse ; car les acides, comme

32
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

le vitriol, les sels, l’arsenic, les matières mercurielles ne


peuvent s’enflammer ni brûler, si les parties sulfureuses
ne prédominent pas, comme dans le nitre & le soufre
commun. [33]
Si la combustion est continuée au-delà du temps néces-
saire à la fermentation, les parties salines s’élèvent &
dominent sur les sulfureuses, qui de charbons, devien-
nent sels acides, comme on le voit dans la suie.
Après la combustion d’une matière ; il reste des char-
bons, des cendres & de la suie : parce que les parties hui-
leuses se sont raréfiées par l’action du feu, & sont pas-
sées en flamme, & ensuite en suie : une partie se
condense dans les charbons ; une autre partie se fige
dans les cendres, d’où provient le sel alcali, qui n’est au-
tre chose qu’un soufre extrêmement condensé & concen-
tré.
Mais le sel volatil, au contraire se trouve dans la suie,
parce que son soufre est très volatil & raréfié. Quand les
fèces sont terreuses après la fermentation, elles ont la
vertu d’attirer l’esprit.
On peut conclure, d’après ce que nous venons de dire,
que la fermentation & la combustion tendent à la même
fin, & sont comme une seule méthode qui raréfie, subti-
lise & altère les mixtes. [34]
Observons bien, que la combustion & la fermentation
sans combustion des choses, dépendent des particules
sulfureuses & salines : & lorsque les premières prédo-
minent, les corps s’enflamment toujours ; mais si les aci-
des dominent, ils résistent au feu. Les pores empêchent
aussi la division & la densité des corps, & les empêchent
de s’ouvrir pour recevoir intérieurement l’action du feu.
Le soufre, par exemple, quoique très sujet à s’enflammer
à cause de la grande quantité de matière grasse qu’il
contient, peut être rendu incombustible en y ajoutant du
limon, de la chaux vive ou des autres parties mercuriel-
les.

33
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

L’or, qui peut demeurer des siècles dans un feu violent


sans s’altérer, peut être rendu subtil au point de
s’enflammer & se brûler, parce qu’il contient une terre
subtile comme des atomes.
Il est incontestable qu’on peut rendre incombustible la
matière la plus sujette à s’allumer, & qu’on peut rendre
combustible celle qui a la vertu de résister au feu. [35]
Ces faits, au premier abord, ne paraissent pas de grande
conséquence ; mais si on les examine de près, on recon-
naîtra que ce sont des moyens pour réduire la Nature à
son premier principe.
Si vous faites fondre un métal, & que vous y projetiez
peu à peu du soufre pulvérisé, une partie du soufre brû-
lera ainsi qu’une partie du métal ; mais le métal repren-
dra, de la substance du soufre, ce qu’il perd dans la
flamme, & après l’avoir entretenu plusieurs heures en
fusion, sous le caput mortuum du soufre, vous retrouve-
rez à très peu de choses près, le même poids de métal
que vous avez employé, & il sera teint avec la substance
du soufre : vous pourrez le faire fondre tant que vous
voudrez : il conservera toujours sa teinture ; mais si vous
le faites dissoudre dans l’eau-forte, le soufre se précipi-
tera au fond du vase : faites dessécher cette poudre, elle
sera sujette à prendre feu de la même manière que l’or
rendu combustible.
Les scories d’antimoine ont la même propriété quand el-
les sont fixées en soufre par le moyen d’un alcali. [36]
Faites dissoudre dans de l’esprit de sel le même métal
que vous avez teint avec du soufre, mettez la dissolution
dans un matras, & faites distiller jusqu’à siccité : vous
aurez une masse qui brûlera comme du soufre, & jettera
une flamme éblouissante ; mais si vous condensez cette
même masse, elle redeviendra métal. Ainsi de quelque
manière qu’on puisse travailler le soufre, on le fait tou-
jours revenir à sa première disposition ; on le rend in-
combustible, & on le fait redevenir combustible successi-

34
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

vement. Ces petites leçons peuvent procurer une grande


lumière à celui qui a envie de faire du progrès dans la
Chimie.
Il en est de même de toute substance mercurielle ; on
peut également la rendre combustible, & la faire rede-
venir incombustible successivement : cela nous prouve
que tout ce qui est combustible n’est pas toujours volatil,
& que tout ce qui est incombustible n’est pas toujours
fixe.
Nous devons conclure d’après cela, que le feu n’est pas
un élément naturel, mais qu’il est produit par la raréfac-
tion des atomes & des corpuscules [37] terreux & subtils
qui se réduisent en corps, comme nous le voyons dans la
réaction du fer, où il acquiert une augmentation de
poids.
Il y a une grande différence entre le feu actuel & le feu
potentiel qui jette des flammes & qui éclaire.
Tout feu actuel échauffe ; le feu potentiel se refroidit, &
cesse après avoir jeté ses flammes. Le feu qui éclaire
n’échauffe ni ne consume pas. Il existe un feu qui répand
beaucoup de flamme, beaucoup de lumière, sans échauf-
fer ni consumer.
Il existe aussi un feu qui éclaire & échauffe sans consu-
mer : car nous voyons que le feu de l’atmosphère s’étend
bien loin, & que la flamme qu’il produit est susceptible
d’une augmentation de puissance & d’extension.
Il serait avantageux de connaître si les atomes du feu
pénètrent l’or vitrifié, & s’ils se mêlent avec les corps
pour en augmenter le poids & le volume ; mais il fau-
drait savoir distinguer les atomes du feu & les atomes de
l’or. Il ne paraît pas que le Soleil soit un feu actuel qui
jette une flamme, quoiqu’il enflamme les corpuscules &
les autres matières de cette espèce. [38]
Personne n’ignore que le plomb acquiert une augmenta-
tion de poids dans l’opération de la coupelle : comment

35
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

cela arriverait-il, si les atomes du feu ne se concen-


traient & ne se fixaient pas en corps ?
Les variations qui se trouvent dans les différentes diges-
tions des Chimistes ne prouvent rien ; car elles dépen-
dent de la matière & du régime du feu. La matière prend
une forme différente au bain que sur les cendres ; sur le
sable, sur un feu ouvert, au soleil ou dans le fumier de
cheval. Ces variations sont causées par la plus ou moins
grande quantité d’atomes qui entraînent des corpuscules
dans les digestions & qui se réunissent à la matière
qu’on travaille, par la vertu du principal agent, qui est le
feu.
Il paraît que ces corpuscules de feu qui accompagnent
cet élément, sont comme des effluvions ; car ils sont
d’une nature si subtile, qu’ils pénètrent le verre.
Cette vérité est démontrée par l’aimant, dont les corpus-
cules pénètrent les particules de fer qui sont renfermées
dans un vase & même dans une masse de verre. [39]
Nous ne parlerons pas ici de la terre que nous foulons
aux pieds ; nous nous occuperons d’une terre qui se
trouve dans les exhalaisons vaporeuses, & qu’on appelle
terre vierge des Philosophes : elle n’exige d’autre prépa-
ration que celle de purifier les esprits qu’elle contient, &
elle sera bien préparée quand les esprits qu’elle contient
seront bien purifiés ; mais on ne peut l’employer pour
matière qu’après lui avoir fait perdre sa forme, & lui en
avoir donné une autre, en réincrudant sa semence pour
faire mûrir les fruits dont elle contient le germe. Quand
on a acquis cette terre, qu’on appelle sel volatil, on pos-
sède en même temps le feu, l’air & le mercure des Philo-
sophes.
La Nature, dès le commencement, a préparé cette terre
par la conjonction des quatre éléments : elle continue à
opérer sur cette matière pour en séparer toutes les im-
puretés & superfluités, & elle ne l’abandonnera pas

36
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

avant qu’elle soit subtile, agile, & qu’elle montre la


forme qui lui est destinée. [40]
Les animaux & les minéraux ont tiré leur première ma-
tière des quatre éléments, qui leur ont ensuite donné
leur forme, leur vertu formelle, ou leur force séminale.
Ces propriétés admirables descendent sur la terre par
les rayons des astres qui pénètrent notre globe, où sont
contenus les quatre éléments.
Tous les rayons des astres sont dirigés au centre de la
Terre ; c’est là, où ils se rassemblent, & où ils attirent
avec eux les vertus séminales des formes de toute chose.
La terre est par conséquent la mère de toute chose, pré-
férablement à tous les autres éléments, parce qu’elle
conçoit & contient la semence de toute chose : elle distri-
bue continuellement les dons qu’elle reçoit d’en haut, &
elle continuera ainsi tant que les cieux seront en mou-
vement.
Raimond Lulle pense que ce sont des eaux renfermées
au centre de la Terre qui attirent ces influences céles-
tes ; surtout, celles qui opèrent la génération des mé-
taux, en remuant, en provoquant certains esprits agiles
qui condensent & séparent les vapeurs.
Si, par le moyen de l’art, nous [41] préparons ces esprits
& les rendons convenables & agiles pour fomenter la
première matière, qui est la terre métallique dans la-
quelle nous devons mettre ces esprits, ils attireront tou-
tes les vertus dont ils sont doués ; ils n’attireront que
des esprits préparés & analogues à la génération des
métaux, de la même manière que l’aimant attire le fer.
Le même Auteur ajoute qu’on peut attirer ces esprits
avec une eau dont il donne la composition, & qu’ils ont la
vertu de coaguler & fixer le vif-argent.
Toutes les choses naturelles ont une essence & une subs-
tance composée d’une double portion de matière, parce
qu’elles contiennent en même temps la vertu formelle.

37
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

La matière provient des éléments, & la forme des vertus


célestes qui font prendre une forme à la matière des
éléments. Voilà pourquoi la matière qui provient des
éléments, est comme l’instrument de la nature & des
vertus célestes ; & plus cette matière élémentaire est
subtile, plus elle a de force & de vertu pour opérer dans
le temps qu’on l’emploie.
Cette matière étant bien préparée, [42] devient un esprit
pénétrant, qui a des propriétés admirables ; elle sépare
toutes les matières hétérogènes, & ne s’attache qu’à la
matière qui est destinée par la Nature à produire de l’or
parfait.
Nous devons connaître les matières qui empêchent l’or
de parvenir à son gré de maturité, ou qui le font périr en
chemin. Nous ne devons pas ignorer non plus que l’or est
produit par ces deux matières, c’est-à-dire par celle qui
sert d’aimant & par celle qui est attirée d’en haut.
La Nature est l’instrument de l’art ; pour l’employer
avec succès, nous devons savoir l’origine des métaux &
connaître la matière dont ils sont formés, ainsi que les
moyens que la Nature emploie pour les engendrer, afin
que nous puissions l’imiter autant qu’il est possible.
La matière des pierres n’est pas beaucoup différente de
celle des éléments. Les pierres sont composées d’eau &
de terre, qui n’ont point encore subi de transmutation.
Cette matière est une humidité visqueuse & terreuse,
qui se rassemble, se coagule & se durcit. [43]
La génération des corps des animaux ne se fait, non
plus, qu’après un mélange des vapeurs avec la matière.
Mais quoique nous devons imiter la Nature dans ses
opérations, il nous est cependant impossible de l’imiter
spécialement dans la génération de l’or ; parce qu’elle
l’engendre avec le vif argent, ou avec des métaux impar-
faits, dont elle sépare toutes les impuretés & superflui-
tés, ce que nous ne pourrons jamais faire par le moyen
de l’art, parce que, comme nous l’avons déjà dit, nous ne

38
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

pourrons jamais donner une chaleur tempérée au vif-


argent à l’imitation de la Nature, & parce que la vie de
l’homme est trop courte pour attendre que toutes ces
matières hétérogènes soient brûlées ou détruites ; mais,
avec l’art, on imite cependant la Nature dans une partie
de ces travaux.
Plusieurs Auteurs prétendent qu’il ne faut pas séparer
les parties sulfureuses des métaux imparfaits ; mais
qu’il faut faire une teinture, une médecine, qui ne sépare
point le soufre du vif argent ni des métaux. Cette méde-
cine, au contraire, cache & couvre [44] le soufre pour
faire une espèce d’or & d’argent. Les vrais Philosophes
disent que cette manière d’opérer est fausse & illicite,
parce que l’or & l’argent parfaits ne doivent point conte-
nir de soufre impur.
D’autres Philosophes veulent qu’on purge entièrement
les corps imparfaits, de tout leur soufre impur, par le
moyen de quelques eaux qu’ils préparent avec des miné-
raux dont Geber a parlé dans sa Somme ; mais ce moyen
est encore imparfait, parce que l’or ne sera jamais pur
tant que la matière subtile fumera dans les métaux im-
parfaits, dont on veut faire la transmutation.
Toutes les médecines que Geber a placées dans son
Texte Alchimique, Chap. I. peuvent manquer & induire
dans l’erreur, à l’exception d’une seule qui a la vertu de
séparer l’eau des métaux imparfaits, & teindre leur sou-
fre pour en faire un métal parfait.
Mais pour imiter plus parfaitement la Nature, il faut
faire une véritable médecine pour teindre le vif-argent &
les métaux imparfaits, & en séparer entièrement le sou-
fre impur.
Cette teinture parfaite existe ainsi [45] que le moyen
d’augmenter la force de l’or & de l’argent dans leur pro-
pre substance ; il n’est point question d’extraire la ma-
tière agile pour la fortifier ; mais il faut prendre cette
teinture dans la propre substance de l’or ou de l’argent,

39
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

pour la fortifier & l’augmenter avec des esprits qu’on tire


d’une quantité combinée, de vitriol, de sel de nitre &
d’alun de roche.
Il faut mettre ces trois minéraux dans une cornue, faire
distiller le flegme jusqu’à ce que les esprits puissants &
dissolvants monteront : alors, il faut changer le récipient
& faire un feu violent. Voilà le moyen d’acquérir une
grande quantité de bons esprits qu’il faut ensuite recti-
fier au bain-marie, en cohobant jusqu’à ce que rien ne
veuille plus distiller, & que les esprits seront comme de
l’huile au fond du vase.
Mettez cette huile dans une matrice de verre, dont la
forme est triangulaire, fermez le vase hermétiquement,
& faites monter les esprits au haut d’une pointe de la
matrice, retournez-la ensuite pour les faire monter dans
une autre pointe, & continuez cette opération jusqu’à ce
qu’ils ne voudront [46] plus monter & qu’ils resteront au
fond du vase.
Ces esprits, ainsi travaillés, ont la propriété de congeler
le mercure crud, parce qu’ils ont reçu une vertu des
corps métalliques que ces trois minéraux ont attirés
dans la terre ; ils contiennent d’ailleurs un soufre qui a
une vertu métallique qui provient également des mé-
taux.
Plus ces esprits seront subtils, plus ils agiront puissam-
ment sur les métaux ; mais il faut les dépurer, les mûrir,
en séparer la partie grossière, & les rendre agiles après
en avoir séparé les parties nuisibles.
Mais pour retirer quelque avantage de ces esprits, il faut
considérer les métaux inférieurs, en bien examiner la
nature ; c’est là le point essentiel de l’art. Les métaux
imparfaits contiennent un soufre précieux qui a la vertu
de coaguler le vif-argent.
Par la même raison, on retire du vin une huile combus-
tible qui a des vertus métalliques admirables, parce
qu’elle contient un soufre qui provient de la terre ; &

40
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

quand on prépare cette huile d’une manière convenable,


elle [47] a une force supérieure sur tous les autres es-
prits.
Nous ne devons cependant pas ignorer que tout ce qui
provient des animaux & végétaux, ne nous conduira ja-
mais à la perfection du grand œuvre, tant qu’il aura la
nature d’animal & végétal : c’est pourquoi il est absolu-
ment nécessaire de dépurer, en distillant, tout ce qui
provient de ces deux règnes, jusqu’à ce qu’il soit de la
nature métallique ; pour lors, il pourra servir pour les
métaux : car il n’y a qu’une pierre & un seul fondement ;
c’est-à-dire qu’il n’y a que la vertu métallique qui puisse
entrer dans la composition du magistère.
Si l’on veut employer ce qui provient des minéraux & des
végétaux, il faut les dépouiller de leur nature, & les re-
vêtir de la nature métallique ; parce qu’il est impossible
de coaguler le vif-argent sans soufre ou sans une matière
qui participe de ce minéral : car le vin n’a & ne peut
avoir de vertu métallique, qu’à cause qu’il contient un
soufre, & ce soufre contient de l’or ou de l’argent : voilà
pourquoi on retire du vin, un esprit très agile, qui aug-
mente la vertu de l’or, parce qu’il [48] se fige avec l’or
dont il dilate & multiplie la teinture, & je puis certifier
qu’il y a une grande analogie entre l’esprit de vin &
l’esprit de l’or : ces deux esprits participent de la même
nature chaude, c’est pour cela que l’essence d’esprit de
vin se fige inséparablement avec l’or.
Il faut cependant observer que les esprits de nitre, de vi-
triol & d’alun, sont d’une fixité plus éloignée, parce qu’ils
ne sont pas encore mûrs ; ils ont néanmoins une grande
convenance avec l’or, parce qu’ils ont presque la même
origine que le vin dont l’esprit est d’une nature agile &
subtile.
C’est par une suite de ces considérations,
que plusieurs Artistes composent des esprits de vitriol,
de nitre & d’alun, pour les conjoindre avec l’esprit-de-

41
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

vin, afin que l’un soit imprégné par l’autre, pour être
plus facilement réunis avec l’or.
Les vertus célestes ont une grande propriété ; elles agis-
sent puissamment sur les métaux ; mais elles ne sont
regardées que comme un infiniment propre à travailler
les choses inférieures. Il faut disposer le sujet sur lequel
on veut les faire opérer, c’est-à-dire, [49] que quand on
veut appliquer des esprits, on doit rendre agile la ma-
tière sur laquelle ces mêmes esprits doivent opérer.
Quand un véritable Artiste veut commencer l’opération,
a soin de préparer l’or pour en extraire la vertu sémi-
nale : il faut le réduire en sa première matière, où il
était avant que d’être or ; pour lors, il végétera & pro-
duira des fruits ; mais il faut le visiter jusqu’à sa racine
& le réduire en putréfaction ; voilà le seul moyen de faire
fructifier l’or.
Le froment mis en terre nous enseigne la manière de
travailler au magistère hermétique. Le blé doit pourrir
en terre avant que de germer, & quand la putréfaction a
développé son germe, il attire de la terre & des astres
des vertus analogues à sa nature ; ses esprits se forti-
fient, & le mettent dans le cas de produire le centuple.
Nous trouvons cette méthode dans l’Évangile, où nous
lisons que si le froment ne se pourrit pas dans la terre, il
ne produira point de fruit, parce que sans cela il ne
pourrait attirer de la terre & des eaux du ciel les vertus
[50] génératives par le développement de sa racine qui le
nourrit de tout ce qui est analogue à sa substance.
Par la même raison, il faut également développer la ra-
cine de l’or pour le mettre en état d’attirer une vertu mé-
tallique & séminale ; il doit être réduit en sa première
matière pour être un sujet propre à recevoir & attirer
toutes les vertus qui lui sont nécessaires dans sa généra-
tion.

42
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Cette racine de l’or, comme nous l’avons déjà dit, n’est


autre chose qu’une humeur grasse & vaporeuse extraite
de deux natures qui sont le soufre & le vif-argent.
Plusieurs Chimistes calcinent l’or & l’arrosent avec des
huiles ou des esprits pour en tirer la nature agile ; ils
font cuire la chaux d’or avec des esprits métalliques &
agiles avec lesquels ils la figent, jusqu’à ce que sa subs-
tance séminale soit bien fortifiée & réduite en teinture.
Cette opération n’est autre chose que serait celle qu’il
faudrait faire si l’on prenait la semence du vin dans le
vin même, & s’il était convenable, on le ferait cuire dans
tous ses membres, on le ferait bien digérer, alors, [51] il
recevrait & attirerait plusieurs esprits avec lesquels il se
dilaterait par sa vertu séminale. L’odeur d’un vin ainsi
préparé donnerait une force extraordinaire à un homme
qui ne ferait autre chose que de le flairer.
Les Philosophes tirent de la même manière la matière
agile de l’or ; ils la renferment ensuite dans des vases de
verre avec des esprits agiles, & les coagulent avec des
vertus métalliques. Ils les font digérer jusqu’à ce que la
matière soit bien imprégnée de la vertu de ces esprits, &
jusqu’à ce qu’elle ait la propriété de teindre & de figer
tous les métaux, surtout le vif-argent.
Il est bien évident, par ce que nous venons de dire, que
le mercure des Philosophes n’est autre chose que la ma-
tière agile de l’or.
Quoiqu’il y ait plusieurs moyens d’augmenter l’or, il n’y
en a cependant point de plus avantageux que celui dont
nous venons de parler.
Il ne s’agit que de réduire ce métal en premier mercure
sec & agile, en imitant la Nature. L’or ainsi préparé re-
çoit la nature du vif-argent avec le soufre mixte qui le
cuit, en sépare tout le soufre grossier, de manière qu’il
n’en [52] reste qu’un vif-argent pur, qui prend la forme
de l’or, de la même manière que la Nature donne cette

43
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

même forme au vif-argent pur dans les entrailles de la


Terre.
Nous devons, par la même raison, donner au vif-argent
pur, une vertu formelle & séminale, ou pour parler plus
intelligiblement, nous ne devons prendre que la subs-
tance la plus pure du vif-argent, parce que cette subs-
tance est susceptible de la forme de l’or, de toute sa ver-
tu, de tous ses esprits, dont la forme de l’or tire son ori-
gine.
Geber dit qu’il faut tirer du vif-argent la substance agile
pour en faire la pierre ; mais il est nécessaire de savoir
que ce mercure, cette substance agile se trouve toute
préparée par la Nature dans l’or, d’où nous devons la ti-
rer pour la préparer selon les principes de la Nature.
Nous ne devons pas prendre le vif-argent seul, ni le sou-
fre seul, mais l’un & l’autre ensemble & bien incorporés ;
il ne faut pas prendre le soufre ni le vif-argent vulgaires,
mais ceux que la Nature a composés, & conduit au su-
prême degré de perfection par [53] une douce cuisson &
par une fusion tempérée. L’on ne trouvera jamais cette
matière ailleurs que dans le corps de l’or, qui contient un
mélange de soufre & de vif-argent qui sont unis ensem-
ble par la Nature d’une manière parfaite.
Il n’est pas possible d’imiter la Nature, en voulant faire
un pareil mélange pour produire la forme ou la généra-
tion de l’or.
Cette union admirable est faite par l’Auteur de la Na-
ture en faveur de l’Art, pour l’augmentation des vertus
dont cette matière agile est susceptible.
Elle attire, des esprits, toutes ces vertus, qui sont la
source de la forme de l’or.
Avicenne dit que le soufre que la Nature emploie dans
les entrailles de la Terre, ne se trouve que dans les deux
métaux parfaits, & pour l’avoir parfait, il faut le prendre
dans l’or ou dans l’argent, parce que ces deux métaux

44
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

sont purs, & l’art n’a pas d’autre minière. Le mercure


dont ils sont formés est la racine de la teinture & le
commencement de la pierre, & de la nature de l’or que
tout véritable Artiste doit connaître facilement. [54]
Ce mercure paraît blanc sur la fin de sa préparation,
quoique auparavant il renfermât plusieurs couleurs dif-
férentes de celles qu’il avait avant son extraction.
Geber dit que la couleur naturelle du soufre est toujours
jaune, parce que c’est-là la véritable couleur de l’or ;
mais lorsque le soufre disparaît & que le vif-argent de-
vient visible, la couleur devient blanche : la couleur
blanche est donc la véritable couleur des Philosophes,
ou, pour mieux dire, la couleur de leur soufre, parce qu’il
est composé d’un vif-argent pur, dont le dernier signe est
la blancheur & la clarté cristalline.
Il faut bien faire attention, que quand l’or fait fleurir le
mercure, ce signe annonce que l’or travaille à la généra-
tion par sa racine qui est déjà ouverte à cette époque, &
qu’il croît comme une plante.
A cette époque, l’or semé est déjà putréfié, le germe est
déjà développé, il pousse des fleurs pour donner des
fruits dans le temps de sa maturité ; dans ce même
temps, le soufre & le mercure sont vraiment philosophi-
ques.
Lorsque cette jeune plante commence [55] à paraître, il
faut en avoir soin & ne point la laisser périr. Il faut faire
fixer le mercure avec le soufre pour conserver l’un &
l’autre ; car si l’on laisse précipiter le mercure, il ne se
fixera plus, & périra. C’est pourquoi il ne faut pas ou-
blier de faire fermenter cette matière avec de l’autre or
fixe. C’est ce qu’un Philosophe a indiqué par le vieillard
qui cherche à rajeunir. C’est-à-dire, qu’il faut diviser l’or
corporel, le faire cuire jusqu’au point de perfection, & ses
membres divisés se rassembleront, se reconsolideront, &
le vieillard sera rajeuni selon ses désirs ; & tandis que

45
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

son gardien sera endormi par la parfaite cuisson, ses


membres se résoudront en vapeur.
Cette parabole philosophique n’indique autre chose que
la parfaite cuisson de l’or qu’il faut pénétrer jusqu’à sa
racine, jusqu’à son mercure, qui seul est capable de re-
cevoir les vertus des esprits.
Aussitôt qu’on a extrait ce mercure, il faut le mettre à
part & le fixer ; car si on le fait cuire plus longtemps, il
s’envole, & si on voulait le prendre avant sa parfaite
cuisson, il ne pourrait jamais servir à rien ; c’est pour-
quoi il [56] faut faire attention à ne mettre précisément
que le temps convenable à sa préparation. L’excès & le
défaut sont également nuisibles.
La Nature nous montre les règles de l’Art ; car si elle ne
prépare pas son mercure d’une manière convenable, il ne
se fixera jamais en or.
Il en est de même de l’Art : si l’on manque à un point es-
sentiel dans la préparation du mercure philosophique, il
ne produira jamais une teinture d’or.
Il y a des règles à observer dont nous ne devons pas nous
écarter aussitôt qu’une chose quelconque est cuite, si on
ne la retire pas promptement du feu, elle brûle & périt
entièrement ; & si on la retire avant qu’elle soit assez
cuite, on n’en peut rien faire.
Nous sommes obligés, pour toutes ces raisons, de nous
tenir continuellement sur nos gardes pour voir quand le
signe du mercure parfait paraîtra. Ce signe n’est autre
chose que la blancheur du mercure qui se manifeste, &
qui annonce qu’il est arrivé au suprême degré de pureté
par la cuisson. C’est ce que les Philosophes appellent la
matière première du magistère, & [57] dont on fait la vé-
ritable teinture de l’or.
Cette première matière doit être pure & sans aucun mé-
lange de choses hétérogènes : elle est simple, & les qua-
tre éléments y sont contenus séparément : c’est l’or ré-

46
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

duit en sa première matière, qui est capable d’engendrer


& d’attirer d’autres vertus, surtout des esprits.
Tant que l’or demeurera dans sa substance & qu’il ne se-
ra pas corrompu, il n’aura jamais la propriété d’attirer &
recevoir les vertus & les forces séminales, parce qu’il ne
peut être disposé à cet effet que par la putréfaction, qui
réduit la Nature en sa première matière : alors elle re-
çoit les vertus & en profite comme les végétaux.
Hali dit que quand la pierre paraît, elle est : comme une
plante.
Pour faire une véritable teinture, il faut avoir une subs-
tance agile, un mercure préparé en essence & en ma-
tière, selon les règles naturelles, de la même manière
que si c’était la Nature qui fût chargée de faire cette
opération dans les entrailles de la Terre : aussitôt que le
mercure y est formé [58] & bien purifié, il prend promp-
tement la forme de l’or.
Nous devons donc nous procurer un mercure agile dans
lequel nous verserons une teinture d’or. On peut prendre
ce mercure dans l’or, dans le vif-argent, ou dans toute
autre chose, où se trouve cette même matière agile, qui
doit être pure, subtile, claire comme elle était lorsque la
Nature lui donna la forme de l’or.
Tout le secret de notre art consiste à rendre la chose
comme elle était auparavant ; mais pour y parvenir,
nous ne devons point faire de transmutations contraires,
c’est-à-dire que nous devons faire une simple séparation
de la substance terrestre des éléments : nous ne préten-
dons pas dire que la matière doit être dépouillée des
éléments, mais qu’elle doit être séparée subtilement.
Platon dit que notre opération n’est pas tout à fait sem-
blable aux opérations de la Nature, qui d’une chose sim-
ple en fait une composée, par le moyen des éléments ;
mais nous faisons le contraire ; d’une chose composée,
nous en faisons une simple, comme avec l’or dont nous

47
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

séparons les parties [59] nuisibles pour en faire une na-


ture agile, dont nous faisons une teinture.
Cette matière simple, extraite de l’or, est un mercure
agile, que la Nature n’a pas encore achevé, parce qu’elle
n’en fait pas une teinture ; mais elle lui a seulement
donné une forme susceptible de changement.
Par le moyen de l’art, on peut lui donner cette teinture
que la Nature lui a refusée, & ce sera ce qui s’appelle un
véritable argent, qui précède l’or, qu’on peut décorer
avec de l’or ; parce que cet argent est le véritable mer-
cure qu’il faut décorer & former avec de l’or, comme nous
le démontrerons brièvement dans la suite. Nous ferons
voir que l’or contient l’âme de ce mercure, selon le sen-
timent du vieillard, qui dit que l’or naît lorsque l’argent
croît, & que l’argent est un corps mort, qu’on anime en
lui donnant l’âme qu’on tire de l’or, & que ce même ar-
gent est une femme à qui on donne un mari pour engen-
drer des enfants.
Rasci, dans son Livre intitulé, la Lumière des Lumières,
dit qu’il faut conserver soigneusement l’or rouge, quand
il aura épousé une femme blanche. [60] Il faut bien ob-
server que cette femme blanche est une chose extrême-
ment agile & subtile, qui prend la forme de l’or, lors-
qu’elle est bien purifiée, subtilisée & dépouillée de toute
sa terrestréité.
La même chose arrive, si l’on tire de l’or cette même ma-
tière, si on le réduit en mercure, c’est-à-dire, en première
matière pour lors, il est très disposé à recevoir & à com-
muniquer la forme de l’or par sa vertu pénétrative.
Ne perdons pas de vue que nous, parlons ici de la subs-
tance qu’on tire de l’or, & qui est le véritable mercure ou
soufre des Philosophes, qui est l’unique moyen de
conjoindre la teinture dont parle Geber dans sa Somme,
& quand on a le moyen de faire cette conjonction, l’on
vient facilement à bout de l’opération en bien peu de
temps. Les Philosophes disent que ce soufre est appelé la

48
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

pierre naissante ; mais venons actuellement à la pierre


cachée qui est l’âme & la forme de cette pierre visible.
Le mercure philosophique doit être rendu fugitif ; mais il
faut ensuite le fixer & le rendre stable ; il a été mis [62]
à mort ; son âme a été séparée de son corps ; mais il faut
lui rendre sa forme & son âme pour le rendre stable &
vivant afin qu’il puisse produire des fruits de son espèce.
Cette forme n’est autre chose que l’or ou l’âme qu’on en a
séparé ; cette matière est beaucoup plus agile que l’or
composé de sa substance corporelle & spirituelle. C’est
pour cette même raison que Rhasis dit que le corps de
l’or est la forme de la pierre, & que son esprit en est la
matière, & il dit la vérité, parce que cette matière ne
peut exister sans forme & sans corps solaire, qui ren-
ferme la forme du mercure des Philosophes.
Sans l’or réincrudé, il n’est pas possible de faire une vé-
ritable teinture, parce qu’il n’y a que l’or qui puisse se
submerger dans le mercure. Il se submerge & se dissout
réellement dans le mercure philosophique, s’il est prépa-
ré convenablement pour faire une véritable teinture.
Les esprits ne se mêlent & ne se figent avec l’or que par
le moyen de l’art, & il n’est pas possible de conduire
l’ouvrage à sa fin sans faire la conjonction de l’or & de
l’argent ; mais [63] il faut bien entendre cette expres-
sion ; car l’argent dont parlent les Philosophes n’est au-
tre chose que le mercure philosophique dont nous venons
de parler.
L’on peut consulter, sur ce sujet, l’Enéïde de Virgile,
chant 6, où l’on voit qu’Enée & la Sybille attaquèrent un
arbrisseau, qu’ils le coupèrent en deux, & que malgré
cette amputation il recroissait toujours. Cet arbrisseau
est la rivière d’or dont parlent les Poètes Païens dans
leurs Ouvrages.
Cet or & cet arbre ne signifient autre chose que le fer-
ment qui perfectionne la teinture, & très certainement
tout le secret de l’art consiste dans l’application de ce

49
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

ferment & dans la manipulation de cette teinture, parce


que c’est le corps de la pierre qui en renferme l’âme, qui
ne peut exercer sa puissance, si elle n’est jointe à un
corps. Par la même raison, la teinture ne peut se perfec-
tionner sans être aussi réunie à un corps.
C’est pour cette même raison qu’aussitôt que cette ma-
tière paraît, il faut la réduire en corps & l’enfermer pour
la rendre stable & l’empêcher de s’envoler. Platon dit
qu’il faut aussitôt [63] donner une âme à ce corps, & que
cette âme doit être de la nature de l’or, parce qu’il ne re-
çoit la vie que par son propre corps, de la même manière
que la pâte doit être fermentée avec un levain qui doit
être de la même espèce & de la même nature que la
pâte.
Ainsi le mercure philosophique qui provient de l’or ou de
sa première matière, doit être renfermé avec de l’or.
Hermès dit que le ferment de l’or n’est autre chose que
l’or même, & quoique la matière soit blanche dans le
commencement, elle est cependant de la nature de l’or,
parce qu’elle provient de l’or, & vers la fin de l’opération,
cette matière se transforme en un crocus très rouge,
mais cela n’arrive qu’après qu’on y a appliqué le fer-
ment.
Le mercure philosophique & le ferment sont deux élé-
ments qu’il faut conjoindre. Ces deux éléments sont le
sec & l’humide.
L’humide est le mercure tiré de l’or, qu’on a rendu volatil
& fugitif dans la première opération.
Le sec est le corps ou le ferment [64] par le moyen du-
quel nous coagulons ces deux choses ensemble.
Nous mettons à part le mercure, & nous l’appelions la
pierre cachée, parce qu’on ne saurait assez admirer le
soufre qu’il contient, ni la matière dont il est composé, ni
d’où il attire ses vertus admirables qu’il renferme ; car il
rend fugitif le corps auquel on le joint : c’est un corps

50
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

fixe, qui attire un mercure fugitif, & qu’il conserve jus-


qu’à ce qu’il soit en âge de produire son semblable en le
multipliant à l’infini : ils se réunissent facilement parce
qu’ils font de même nature.
Ce corps est la pierre cachée, parce qu’il contient une
vertu & une agilité que nous ne pouvons apercevoir.
C’est ce qui a fait dire à Geber, que le mercure philoso-
phique ne peut avoir une couleur jaune sans qu’on y ait
mêlé une chose qui puisse le teindre dans toute l’étendue
de son corps. Il n’y a que la Nature qui puisse connaître
les propriétés admirables de cette divine matière.
Nous ne parviendrons jamais à teindre le mercure sans
employer de l’or, parce qu’il contient une teinture par-
faite, qu’il est impossible de trouver [65] ailleurs. L’or
est une pierre bénite, sans le secours de laquelle la
pierre naissante du mercure périrait infailliblement.
Cette pierre bénite est le cœur, la forme & la teinture de
l’or. Hermès dit, sur ce sujet, que sur la fin de ce siècle,
le ciel & la terre se conjoindront. Ce Philosophe entend,
par le ciel & la terre, les deux êtres dont nous venons de
parler.
Cette opération a deux parties comme la matière est
composée de deux matières en apparence.
La première partie de l’opération, consiste dans la pré-
paration du mercure ; la seconde, dans la fixation & la
fermentation de ce double mercure, parce que dans ce
cas, il se fait une véritable conjonction des éléments : les
vertus actives & les vertus passives se réunifient & se
conjoignent inséparablement ; mais il faut que ces deux
choses soient bien préparées, & qu’elles se conviennent,
pour faire ressortir leur entier effet. Elles doivent être
renfermées dans un vase de verre, & exposées à une cha-
leur tempérée ; pour lors, la matière agit comme naturel-
lement, & de la même manière [66] qu’elle ferait, si elle
était dans la terre.

51
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

La matière est certainement le fondement de l’œuvre.


Tout le succès de l’opération dépend de la préparation de
cette matière. Il faut la rendre susceptible de la forme à
laquelle elle est destinée, & surtout la mettre dans le cas
de recevoir les influences des astres ; sans cela, il n’est
pas possible de réussir.
Avec l’art, on ne fait autre chose que de préparer la ma-
tière ; c’est la Nature qui fait le reste & qui donne la
forme convenable.
Ainsi avec les deux choses dont nous venons de parler,
on ne fait qu’une seule substance, qui a la vertu de tein-
dre tous les métaux en or, & cela doit arriver nécessai-
rement par les raisons que nous venons d’alléguer.
Platon croyait qu’il fallait conjoindre ces deux formes sé-
parément, par le moyen de l’art, avec sa matière qu’il ti-
rait des métaux imparfaits. Cette double forme ne reçoit
cependant pas les métaux entièrement, elle n’admet que
la substance la plus subtile & la plus pure de ces corps,
& il n’y a que cette partie qui se convertit en [68] or ;
l’autre partie de la matière est abandonnée, elle tombe
en scories en faisant la projection.
L’intention des Alchimistes n’est pas de faire de l’or ;
mais ils tendent à faire une chose beaucoup plus pré-
cieuse que l’or même. Ils cherchent la teinture de l’or,
qui, dans l’action, est la véritable forme de l’or. La forme
est aussi appelée le ferment des métaux imparfaits,
quoique l’or soit le ferment du mercure qu’on en extrait
auparavant, parce que le mercure & le ferment sont de
la même nature ; mais il faut que ce ferment soit agile &
spirituel pour pouvoir le conjoindre de la même manière
qu’on pourrait conjoindre l’eau avec l’eau.
Après ce mélange, ce que le corps renfermait, paraît évi-
demment, & ce qui paraissait est caché, comme il arrive
quand on a fait fondre la cire ; l’un & l’autre deviennent
de la même nature.

52
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Ces deux esprits sont une coagulation de la même ma-


nière qu’on coagule le lait pour faire du fromage, qu’on
fait avec du lait qui est de la nature du fromage. Toute
la substance du lait ne peut se convertir en fromage : il
faut en séparer le petit lait ou la partie aqueuse qui ne
peut se coaguler. [68]
La coagulation des métaux se fait de la même manière,
pour faire une comparaison palpable : toute la substance
des métaux imparfaits ne se convertit pas en or, mais
seulement les parties qui conviennent & qui sont de la
même nature que l’or : il n’y a que ces parties qui puis-
sent se teindre en or, & ces parties ne sont autre chose
qu’un vif-argent pur.
Nous devons savoir actuellement, si le vif-argent se teint
de la même manière, ou s’il se coagule en or, ou s’il n’y a
que son soufre qui se teigne & se coagule. Si cela arri-
vait, le soufre serait certainement affaibli, ou pour
mieux dire, tué ; car si l’on coagule le vif-argent avec son
soufre, il en résulte un métal imparfait, & si on en sé-
pare le soufre il est converti en or parfait.
Quand la Nature veut faire de l’or avec les métaux im-
parfaits, elle commence par les dépouiller de leur soufre
nuisible, mais elle emploie beaucoup de temps à faire
cette opération dans les entrailles de la Terre. Avec la
teinture, au contraire, on fait cela en bien peu de temps,
par la grande analogie qui se trouve entre les métaux
[69] imparfaits & la teinture qu’on emploie pour guérir
leurs maladies.
Il est donc évident, par ce que nous venons de dire, que
les métaux imparfaits ont tous la même origine que l’or
dont les deux natures sont très prochaines. L’art ensei-
gne la manière de convertir les métaux en or, & non les
pierres & les autres matières : car si l’on pouvait trans-
muer les pierres en or, on pourrait dire que c’est une
transmutation miraculeuse, tandis que la transmutation
des corps imparfaits & métalliques en or n’a rien que de
très naturel, parce que si la matière n’était pas déjà dis-

53
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

posée par la Nature à recevoir la teinture, on ne pourrait


jamais réussir à les convertir en or par le moyen de l’art.
Voilà la seule raison par laquelle il est possible de
convertir tous les métaux imparfaits par le moyen de l’or
& avec le secours de la Nature.
Nous pouvons préparer leur forme & leur matière avec
des autres esprits qui contiennent des vertus métalli-
ques infinies.
Nous venons de parler en général aux véritables Alchi-
mistes qui sont bien imbus des principes de cette
science, [70] qui conduit à la source de toutes les félici-
tés : si tous ceux qui veulent travailler au magistère
prennent la peine de réfléchir sur ce que nous venons de
dire, ils découvriront infailliblement la vérité.
DES COLOMBES DE DIANE.
La Diane des Philosophes est le sel volatil de la terre ou
la terre vierge qu’on tire du sel. Heureux cent fois celui
qui peut faire naître cette Diane. On la fait paraître en-
tre 7 & 9 Mai.
Lorsque Diane vient au monde, elle est toujours accom-
pagnée de ses colombes, qui servent à la nourrir & à la
fortifier jusqu’à ce qu’elle soit parvenue au degré de per-
fection dont elle est susceptible.
Armons-nous de patience en attendant la naissance de
cette Déesse, & nous verrons bientôt paraître ses colom-
bes, qui ne sont autre chose que le soufre des Philoso-
phes ou la teinture pour le blanc & pour le rouge. Ce
soufre nourrit, fait croître & multiplier l’or philosophi-
que.
Il faut unir ces colombes avec le mercure, parce que le
soufre est lui-même la forme qu’il communique, [71] c’est
lui qui fixe le mercure, & c’est aussi le mercure lui-
même qui doit le fixer.

54
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Les colombes de Diane & l’or ou l’argent des Sages sont


la même chose. Elles sont également ce qu’on appelle le
feu des Sages, que les personnes qui prennent tout à la
lettre, recherchent avec tant d’empressement, tandis que
c’est de la Nature qu’on doit attendre sa naissance &
toutes ses opérations. En un mot, les colombes de Diane
sont l’accomplissement du magistère.
DU MERCURE.
Les Philosophes assurent que tous les corps sont compo-
sés de mercure & de soufre : Sendivogius dit qu’ils don-
nent le nom de mercure à tous les corps qu’on emploie
dans la Chimie, & ces corps sont au nombre de quatre.
On emploie aussi quatre mercures, & toute cette multi-
plicité de noms qu’ils ont donnée à une même chose, ne
sert qu’à embrouiller la tête des Lecteurs qui ne sont pas
instruits à fond de toutes les opérations de la Nature :
c’est pourquoi j’expliquerai ci-après ce que signifient ces
mercures différents. [72]
1°. La base & le fondement de la Philosophie est appelée
mercure des corps, ou la matière éloignée des Sages. Ce
mercure contient l’eau philosophique & la pierre tout en-
tière ; il contient en même temps tout ce qu’on cherche,
tant dans son corps, qu’ailleurs. Le mercure renferme en
même temps les deux teintures pour la pierre rouge &
blanche, & c’est pour cette même raison que les Philoso-
phes ont indiqué tant de moyens pour le découvrir, ou
pour mieux dire, pour le cacher.
2°. Le second mercure est appelé mercure de Nature,
parce qu’il contient la matière prochaine des Sages ;
mais celui qui a l’esprit borné, aura bien de la peine de
l’acquérir, car c’est la base des travaux des Sages : c’est
l’eau philosophique, le sperme des métaux & la source
de leur propagation : c’est l’humide radical, ainsi disposé
par la Nature.
3°. Le troisième mercure est le vrai mercure des Philo-
sophes, parce qu’il n’y a qu’eux qui aient les moyens de

55
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

l’acquérir, car on ne le vend pas : c’est la vraie matière


prochaine, la véritable Diane, la sphère de Saturne, [73]
le vrai sel des métaux ; mais les moyens qu’on emploie
pour l’acquérir, sont au-dessus de l’entendement hu-
main.
4°. Le quatrième mercure est appelé mercure commun,
parce qu’il a une communication dans toutes les mines ;
mais ce n’est pas du mercure vulgaire qu’on vend dans
les boutiques dont je veux parler : il est question ici
d’une eau mercurielle, d’une substance moyenne qui
contient un véritable feu occulte, les véritables colombes
de Diane, & la vraie teinture des Sages, qui a la vertu de
changer tous les corps en sa nature.
Considérez actuellement quels soufres & quels mercures
vous devez employer pour faire la pierre : ces connais-
sances vous sont absolument nécessaires, si vous voulez
pénétrer dans le sanctuaire de la Philosophie herméti-
que.
DU SOUFRE.
Il n’existe aucun composé qui ne contienne du soufre
d’une nature lumineuse ; mais il faut en séparer la par-
tie impure, & vous aurez un agent interne qui opère
dans sa matière mercurielle, [74] qui est l’humide radi-
cal dans lequel il est renfermé.
Il est lui-même la forme qu’il communique à tous les
corps. C’est lui qui opère toutes les générations dans un
sujet altérable. C’est pour cela qu’il fait paraître tant de
couleurs différentes ; mais sa couleur naturelle est le
rouge parfait qui est analogue à sa nature, après avoir
altéré les sujets avec lesquels on l’a conjoint, mais aucun
Philosophe ne s’est expliqué clairement sur les opéra-
tions. Ils ont dit en général, spiritualisez vos corps jus-
qu’à ce qu’ils aient une forme cristalline ; réduisez-les en
eau ; mais il n’y a que les vrais enfants de l’art qui puis-
sent comprendre le vrai sens de toutes ces expressions,
Les Chimistes vulgaires n’y comprennent rien, parce

56
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

qu’ils n’ont pas l’alphabet de la vraie Philosophie. Ils ne


veulent pas croire que les Philosophes soient tous
d’accord, qu’ils sont convenus de ne pas exposer une
chose aussi sublime à être profanée par les impies. On
ne saurait comprendre par quels motifs des personnes
qui n’ont jamais lu que des recettes vagues, peuvent se
déterminer à entreprendre une opération ; [75] elles ont
beau échouer tous les jours, rien n’est capable de guérir
leur entêtement quand elles ont pris une résolution. Il
n’est pas possible de leur persuader qu’un corps ne péné-
trera jamais un autre corps, & que les corps physiques
doivent être unis par le moyen d’une chose de peu de
conséquences. Après avoir perdu leur temps & leur for-
tune, ces sortes de Chimistes maudissent les Philoso-
phes dont les livres ne sont pas à la portée de tout le
monde.
Avant de vous embarquer dans les opérations, étudiez la
Nature dans toutes ses productions, tâchez de connaître
ses principes. voilà le vrai moyen de connaître la matière
de la pierre des Sages. Nous apprendrons ainsi, de nous-
mêmes, avec le secours du ciel, à diriger toutes nos opé-
rations, & nous parviendrons au comble de nos désirs.

57
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

DE LA MATIÈRE DE LA PIERRE.
Nous ne devons point chercher cette matière dans les
règnes animal ni végétal, parce que les Philosophes [76]
les ont spécifiés, mais il faut prendre ce dont ils n’ont
jamais parlé ; c’est à nous à faire des recherches pour
remonter jusqu’à l’origine des trois principes, des trois
règnes, ou pour parler plus intelligiblement, nous de-
vons prendre la minière des minières, ou la matière
première des métaux.
Cette minière n’influe pas seulement dans les minières ;
car les végétaux & minéraux lui doivent également leur
existence ainsi que la base de leur composition.
Écoutez ce que dit Aristote. Tous les êtres se convertis-
sent en ce dont ils ont été composés. Ils peuvent se ré-
soudre en eau mêlée d’une petite portion de terre : il est
donc évident qu’ils sont composés de terre & d’eau, qui a
une qualité particulière.
J’alléguerai deux raisons pour lesquelles on ne doit point
prendre la matière spécifiée. La première est, parce que
les Philosophes ont une matière particulière que la Na-
ture leur prépare elle-même.
La seconde est, parce que les corps morts ne conviennent
pas à l’opération de la pierre : je dis les corps morts,
parce que tout ce qui est tiré [77] du centre des trois rè-
gnes dont nous venons de parler, est considéré comme
mort ; mais on peut les ressusciter.
L’expérience nous prouve qu’aussitôt qu’un animal est
privé de l’air, il périt. Le poisson meurt aussitôt qu’il est
hors de l’eau. Une plante périt aussitôt qu’elle est arra-
chée de la terre. Les uns & les autres ne se multiplient
plus, & meurent par la seule raison qu’ils sont privés de
leur nourriture & de leur élément.
Nous devons bien considérer toutes ces choses, & nous
apprendrons à connaître un soufre vif & multiplicatif
pour faire la pierre. Un homme mort n’est plus propre à

58
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

multiplier son espèce, & tous les autres êtres lui res-
semblent en cette occasion
Les Philosophes, en décrivant ce magistère admirable,
ont dit qu’il fallait imiter Dieu dans la création du
monde, c’est-à-dire que nous devons faire un ciel neuf,
une terre neuve ; mais comme il n’y a que Dieu, seul, qui
puisse créer de rien & en faire un chaos, nous devons
donc par conséquent prendre une partie de ce chaos, &
cette même partie doit être restée imparfaite. Nous de-
vons séparer les [78] eaux d’avec les eaux, & faire para-
ître visiblement les quatre éléments, qui sont une partie
du chaos ; le mercure des corps ; la matière éloignée ; le
plomb des Philosophes ; le menstrue universel ; le dra-
gon qui nourrit & qui dévore ; le corps philosophique, la
minière des minières, & la première matière qui est ab-
solument nécessaire pour faire la pierre.
Voilà les expressions des Philosophes sur ce point essen-
tiel. Les uns disent que la matière de la pierre est le
mercure de nature, d’autres le Neptune avec son tri-
dent ; le ventre qui porte dans son sein son fils qui est
l’or & l’eau philosophique, Jupiter qui enlève Ganymède,
le bain où le Roi se lave ; le vase des Sages contient le
sel, le soufre, le sperme des métaux & leur humide radi-
cal, dont ils font un mercure philosophique par une opé-
ration artificielle qu’ils font concourir avec la Nature
pour effectuer la matière la plus proche ; mais pour la
rendre telle, il faut lui faire subir les douze travaux
d’Hercule, & on a la terre vierge, la Diane nue, le sel des
métaux, la femme qui attend son époux, la matière pri-
vée de sa forme, [79] l’eau sèche, l’enfant royal, le soufre
des Philosophes qui ont donné à leur matière une si
grande quantité de noms, qu’ils ont mis les ignorants
dans le cas de ne pouvoir se décider pour choisir une ma-
tière préférablement à une autre, sans pouvoir distin-
guer la bonne d’avec la mauvaise.

59
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

DES RÈGLES QU’IL FAUT SUIVRE POUR PARVENIR


A L’ACCOMPLISSEMENT DU MAGISTÈRE.
Il faut prendre du mercure des corps en suffisante quan-
tité, & en faire un mercure de Nature, en le sublimant
jusqu’à sept fois & au-delà.
A chaque sublimation, il faut laisser un quart de la ma-
tière dans le vaisseau sublimatoire ; ce quart ne peut
servir à rien, c’est ce que les Philosophes appellent terre
damnée.
Il faut ensuite séparer la partie pure d’avec la partie im-
pure, & mettre le sublimé dans un vase de verre fermé
hermétiquement ; prendre des arrangements de manière
que les trois quarts du vase puissent rester vides, afin
[80] que la matière ait l’espace qui lui est nécessaire
pour circuler à son aise.
On place ensuite le vase au bain-marie où il doit avoir
une chaleur analogue à celle que cause une poule en
couvant ses œufs. Le feu doit être continué au même de-
gré pendant six mois, au bout desquels les quatre élé-
ments seront séparés distinctement dans le vase.
Il faut mettre dans quatre vases séparément, & les ren-
fermer soigneusement parce qu’ils sont d’une nature vo-
latile.
Une terre précieuse se précipitera, au fond de chaque
vase. Cette terre est le diadème, le cœur du Roi qu’il faut
dessécher doucement ; & si l’on en a le poids de trois on-
ces, on y ajoute une once d’eau blanche ou d’eau rouge, &
on referme le vase hermétiquement.
Les astres paraissent ensuite sur cette terre qui se pu-
tréfie avec l’eau, & l’eau, putréfie aussi avec la terre en
même temps. C’est la putréfaction qui occasionne cette
variété de couleurs, qui paraissent successivement. La
noire paraît la première ; viennent ensuite la blanche &
la rouge, & ce sont les [81] dernières selon la forme
qu’on a donné à la pierre.

60
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

On ne touche jamais à la matière avant qu’elle soit par-


venue au blanc ou au rouge.
La multiplication consiste dans répétition. de cette
même opération pour augmenter la pierre en quantité &
en vertu.
Le principe le plus parfait de la Science hermétique
consiste dans la réduction de l’hexagone au cercle par les
nombres 1, 2, & 3.
Toutes choses dépendent d’un principe, existent dans un
principe tendent à une même fin par le nombre 2. C’est
pourquoi nous devons chercher les moyens d’exalter le
nombre de la terre au ciel pour le faire ensuite descen-
dre sur la terre par le nombre 2, qui est la même opéra-
tion que celle qui se fait avec le nombre 1.
Voilà la clef du temple des Philosophes ; si nous avons le
bonheur de parvenir jusqu’au sanctuaire, nous y décou-
vrirons toutes les opérations du magistère.
Nous devons bien prendre garde de ne pas nous tromper
dans le choix de la matière que nous voulons exalter,
[82] & nous souvenir que toute la Philosophie astrono-
mique & médicale est couverte du même voile.
DES MYSTÈRES DE LA SCIENCE HERMÉTIQUE.
Le plus grand mystère du magistère consiste dans la
dissolution des parties dans une eau visqueuse, qui
n’adhère point à ce qu’elle touche.
Cette eau est sèche & de la nature des sels, du soufre &
du mercure qui est la clef de tout le magistère. Elle est le
vrai mercure des Philosophes, l’enfant de la Nature qui
régénère tout le monde ; c’est le savon qui contient une
vertu particulière à laquelle tous les êtres doivent leur
existence.
Tirez cette eau divine de la terre, remettez-la sur la
terre pour les faire putréfier ensemble, afin qu’ils se ré-

61
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

unissent & ne fassent qu’une même chose, c’est-à-dire


un mercure sec.
Quand vous aurez conduit le magistère jusqu’à ce point,
vous le ferez aisément parvenir au degré de perfection
dont il est susceptible, pourvu que vous observiez les rè-
gles que nous allons indiquer. [83]
Distillez ce mercure avec une chaleur convenable, pour
lui faire reprendre la forme qui lui convient ; car c’est la
distillation qui vivifie la matière & qui lui procure sa
teinture. Voilà pourquoi il est nécessaire de convertir en
eau les matières dont nous avons parlé, afin qu’elles
puissent développer le germe qu’elles contiennent. Pre-
nez une once de cette eau, mêlez-la avec une once d’or
très pur, faites-les putréfier ensemble, afin qu’ils ne fas-
sent plus qu’une seule & même chose
Faites ensuite quelques abstractions jusqu’à la destruc-
tion de la nature philosophique ; car celui qui sait dé-
truire dans cette opération, saura construite dans la
suite.
Séparez ensuite de cette terre toutes les superfluités im-
pures en sublimant. Fermez le vase hermétiquement,
mettez-le dans le lit du feu ferret, & faites cuire la ma-
tière pendant un temps convenable jusqu’à ce que vous
verrez une réunion parfaite.
Quand vous verrez paraître la couleur du lys, vous serez
assuré d’un heureux succès. Pour lors, vous devez être
plus vigilant qu’en aucun autre temps ; car si vous lais-
sez manquer le [84] feu, l’enfant philosophique périra
faute d’aliment. A cette époque, la matière n’a plus be-
soin du travail des mains.
Voilà le langage de Morien le Romain & de plusieurs au-
tres Philosophes.
Ne laissez pas manquer le feu, & vous verrez paraître le
Roi couronné & couvert d’une robe d’or ainsi que son
épouse. Vous verrez une véritable métamorphose ; vous

62
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

aurez une teinture dont vous pourrez jeter quelques par-


ties sur les corps imparfaits.
Il n’est pas possible de vous procurer cette divine ma-
tière sans le secours de Mars ; c’est lui qui fera sortir
trois ruisseaux d’une grandeur immense, & cinq autres
petits ruisseaux qui parcourent toute l’étendue de la
minière d’où vous devez la tirer nécessairement.
Parmi ces ruisseaux, il y en a sept principaux qui se
convertissent en air, lorsqu’on met une portion de cette
matière à découvert par la force de Mars, & aussitôt ils
produisent une grande abondance d’eau qui lave la
minière & la rend fertile en l’arrosant.
Ces eaux sortent moins facilement par l’intervention de
Jupiter & de Vénus. Voilà pourquoi cette terre est si [85]
belle & si brillante après qu’on l’a lavée de ses impuretés
grossières & superflues.
Les Philosophes disent que cette minière est une vérita-
ble eau de vie, parce qu’elle fait vivre sa source de la
même manière que les eaux font vivre les plantes pour
pouvoir tirer d’en haut & d’en bas la nourriture qui leur
est nécessaire pour arriver à leur maturité.
On voit par là, que les opérations de la Nature sont à
peu près les mêmes dans ces trois règnes. Si l’eau ne cir-
culait pas dans les minières, elles ne fructifieraient pas,
elles ne mûriraient pas, le mercure ne s’y formerait pas ;
& si, après que toutes les matières sont disposées pour
faire une minière riche & abondante, l’eau cessait d’y
circuler, dès ce moment cette même minière serait
comme morte, parce que la circulation de l’esprit univer-
sel y serait interrompue. L’humide radical qui vivifie
tout, serait entièrement détruit, si la minière venait à
être desséchée ou privée d’eau qui est également la
nourriture des métaux, des minéraux & des végétaux.
En un mot, tout ce qui croît sur la terre & [86] dans la
terre a besoin d’eau, & ne saurait vivre sans eau.

63
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

La matière de la pierre des Sages est contenue dans tous


les métaux & dans tous les minéraux. C’est une partie
mercurielle qui est beaucoup plus exaltée que l’or le plus
pur.
Le soufre & le sel sont la substance essentielle de tout
principe huileux. Le mercure vulgaire est un corps mixte
composé de soufre & de sel pour le coaguler ; on recon-
naît les propriétés qu’il renferme, lorsqu’on en fait
l’analyse, & lorsqu’on l’emploie différents usages. On le
convertit en cinabre avec le soufre, & on le fige en
l’exposant à la vapeur du plomb en fusion. Voilà pour-
quoi le soufre commun approche beaucoup de la matière
de la pierre, lorsqu’il est préparé ; mais il contient un
acide & un sel fixe qui font douter qu’il soit réellement le
premier Principe.
Le sel commun est réputé plus près du premier Principe
que le soufre, parce qu’il contient une triple substance
oléagineuse & aqueuse, comme on le voit lorsqu’on en
fait l’analyse.
Les Philosophes disent que les trois Principes sont
contenus dans le sel [87] commun, & qu’ils sont les mê-
mes que ceux de la pierre. Nous devons imiter la Nature
d’après de pareils exemples que nous ne devons jamais
perdre de vue.
Toutes les fois que les Philosophes disent nos Principes,
nos sels & nos soufres, nous devons toujours chercher
ces objets dans le règne minéral & parmi les métaux,
surtout ; car c’est là où la Nature a caché ses trésors, &
où ils sont exempts de corruption.
Les métaux ont une grande affinité avec le soufre com-
mun ; il n’est aucun métal dans les minières qui ne soit
cuit & engendré avec le soufre ou le vitriol. La Nature
seule peut perfectionner ce soufre par différentes circu-
lations dans les entrailles de la terre.
Les Sages disent que leur fumée est un soufre mercuriel,
parce que la Nature fait les métaux, dans toutes les

64
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

minières, avec le soufre & le mercure ; c’est pourquoi si


l’on veut faire du métal avec l’art, il faut aussi prendre
du soufre & du mercure.
Les soufres métalliques ou tirés des métaux, contiennent
une eau mercurielle qui prouve qu’ils sont composés
d’une double eau mercurielle, par rapport [88] à la partie
dont elle est formée, laquelle dans le commencement
n’était qu’une eau qui s’est épaissie peu à peu, pour par-
venir en consistance de mercure, qu’un feu naturel &
continuel a obligé de prendre diverses formes.
Le germe de la propagation provient du sang, & par la
même raison le germe des métaux provient du soufre
commun.
Le soufre fait coaguler le sel ; il le resserre, le fait fer-
menter. Le sel à son tour agit sur le soufre, il le dissout
& le réduit en putréfaction. Le sel, dans sa première
opération, réduit le soufre en eau visqueuse & vitrioli-
que, qui est la première matière de la nature & de l’art.
Nous devons faire attention à tout ceci, on peut mêler
l’huile avec l’eau par le moyen du sel : voilà pourquoi il
faut du sel pour réduire le soufre en quintessence pure.
Le fer est la base & le fondement de toutes les minières
de cuivre, d’or & d’argent ; & cela est si vrai, qu’il n’y a
point de fer qui ne contienne du cuivre, de l’or de
l’argent. La terre subtile qui se trouve dans les minières
de fer, donne du cuivre ; & quand elle [89] est très sub-
tile, on en retire de l’or & de l’argent subtil & pur.
Le plomb & l’étain ne sont qu’un soufre antimonial coa-
gulé. Si nous décomposons l’antimoine, nous aurons un
soufre commun.
Le vif-argent n’est autre chose qu’un arsenic fluide ; le
fer est ami de tous les métaux, & c’est pourquoi il est la
cause de la transmutation & de l’altération de tous les
métaux.

65
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Tout ce qui opère dans la transmutation universelle des


métaux, consiste dans la terre mercurielle, martiale &
arsenicale des métaux.
Philalèthe dit que l’ouvrage de la Nature dans les mini-
ères n’est autre chose qu’une filtration, dont il résulte un
mercure ou une huile, qui est animé par la vertu du sel
résolutif de la Nature avec la terre martiale, qui fait
fermenter la matière, & qui produit ensuite le mercure
des Philosophes pour animer le vif-argent.
Pour parvenir à l’accomplissement du magistère, la Na-
ture nous présente deux voies, deux sujets, & deux opé-
rations différentes. Beaucoup de personnes présument
que ces deux sujets sont connus de tout le monde, & [90]
qu’on les achète à vil prix chez les droguistes ; mais
avant que de se déterminer à les employer, il faut bien
connaître leur origine & leurs propriétés. Nous allons
répandre quelques lumières sur ce sujet.
Quand on a envie de travailler à la transmutation des
métaux, on doit, d’abord, se persuader qu’on ne doit pas
sortir des règnes métallique & minéral ; car celui qui
veut moissonner du froment, doit nécessairement semer
du froment & non de l’orge.
Dieu a établi des lois immuables que la Nature ne
transgressera jamais : c’est en vertu de ces mêmes lois
que chaque être produit ton semblable.
Il est évident que tous les minéraux sont composés de
sel, de soufre & de mercure.
Tous les métaux sont composés d’une terre triple ; la
première est vitrifiable, & sert de base & de matrice aux
métaux ; la seconde est une terre grasse qui rassemble le
soufre & retient la teinture ; la troisième est une terre
subtile qu’on appelle mercure, ou pour mieux dire,
l’arsenic des métaux.
Les anciens Philosophes ont écrit [91] que tous les corps
sont composés de sel, de soufre & de mercure ; mais il ne

66
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

faut pas croire qu’ils soient tout à fait composés de ces


trois substances ; c’est-à-dire, que de tel corps que ce
soit, on peut retirer quelques parties de sel, de soufre &
de mercure, ou qui seront analogues à ces trois miné-
raux. Voilà pourquoi ces parties ont retenu le nom qu’on
leur donne toujours communément.
La substance corporelle du sel est considérée dans son
principe comme un sel alcali fixe, tiré des cendres en les-
sivant, & qui devient la substance des corps fixes.
L’âme de toutes les matières est une substance oléagi-
neuse, onctueuse, grasse & inflammable, qui peut être
comparée au soufre, à cause de son analogie avec ce mi-
néral.
L’esprit ou la substance subtile volatile, claire, est appe-
lée mercure, parce que sa base homogène lui ressemble
tout à fait ; elle est subtile, volatile, & d’une pénétration
inexprimable.
Les Sophistes qui prennent les choses à la lettre, se
trompent grossièrement, en prétendant que les sels, sou-
fres & [92] mercures des métaux, ressemblent aux sou-
fres, sels & mercures vulgaires.
Dans l’ordre du principe de tous les métaux, on retire
l’âme & l’esprit du sel, du soufre & du mercure qui est
entré dans la composition de tous les métaux, ainsi que
des mixtes qu’on trouve dans les entrailles de la terre, &
dont nous donnerons l’explication.
Après qu’on a séparé l’âme & l’esprit du sel, du soufre &
du mercure des métaux, il reste une terre ou tête morte
des métaux, & on en distingue de trois espèces différen-
tes, qui sont toutes mixtes d’eau & d’air.
La première terre ou cendre métallique, est dans le cas
de pouvoir être calcinée ou vitrifiée, parce qu’elle
contient une substance mixte de deux genres, de la
même manière que les animaux sont composés d’os ; &
les végétaux, de cendres ; les minéraux, de pierres, de

67
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

sable, de terre opaque, diaphane, fusible ou qui résiste


au feu.
Les anciens appelaient ces matières soufre fixe, terre
mixte, tête morte, & terre damnée ; mais la fin de toute
chose est la calcination des corps métalliques [93] pour
en retirer les sels alcalis en lessivant, & ce même sel se
convertit en feu ou en verre.
La seconde terre donne un mixte qui a de la consistance,
de la chaleur & du goût ; elle est aussi de deux genres ;
elle a de la consistance ou elle est liquide de la même
manière que dans les animaux où l’on trouve de la
graisse & du suc.
Les végétaux contiennent une huile, une gomme ; les
métaux & minéraux un soufre bitumineux, comme on
l’aperçoit lorsqu’ils sont au milieu d’un feu de charbon
ou de bois.
Les métaux ne diffèrent des fossiles que par leur volati-
lité, leur fixité, par les degrés d’incombustibilité ; d’où
l’on peut conclure, que tous les corps diffèrent entre eux
de forme, d’espèce & de qualité.
La troisième terre donne aux mixtes la forme pénétra-
tive, l’odeur, le poids, la clarté, le son ; elle est également
composée de deux genres ; quelquefois elle est pure,
d’autrefois mixte, salineuse, aqueuse, spiritueuse. La
forme en est visible dans les animaux, sous la figure
d’un sel volatil : on la voit dans les eaux spiritueuses
distillées des plantes [94] & des végétaux, qui se conver-
tissent en suie ou en eau. On l’aperçoit dans les miné-
raux sous la forme du vif-argent, ou en arsenic, qui a
une véritable consistance.
Voilà pourquoi les trois principes sont appelés sel, soufre
& mercure, parce qu’on les réduit tous les trois en leur
matière primitive, qui est la terre dont on retire une
graisse qui est un composé de sel volatil.

68
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Si l’eau & l’air succèdent à ces mixtes, ou métaux ou mi-


néraux réduits en première matière : c’est une marque
que nous approchons du vrai principe qui conduit au
magistère, dont l’opération la plus essentielle, est de ré-
duire la matière en terre ; & l’on divise cette même terre
en six branches, qui ont toutes des vertus, des qualités &
des propriétés particulières.
Il y a des terres calcinables, vitrifiables, inflammables,
fixes, luisantes & opaques. On opère des choses admira-
bles par le mélange de ces terres auxquelles on donne
diverses formes, dont on voit le détail dans le triumvirat
& le scyphon de Beccher.
On distingue donc trois fortes de terres, la fixe, la grasse
& la subtile : [95] ces trois terres différentes contiennent
les trois Principes.
La première terre est un soufre composé d’alcali ou de
chaux de tous les mixtes, fusibles ou vitrifiables, comme
on le voit dans la destruction des animaux, & dans la
cendre tirée des végétaux, des minéraux, & de toutes les
matières vitrifiables de différentes espèces, qui font
l’assemblage des corpuscules.
La seconde terre ou soufre est celle dont on retire le sel
de nitre, c’est pourquoi l’on en retire un feu caustique,
corrosif, acide, sous la forme de sel, par le moyen de
l’eau avec laquelle on condense les soufres bitumineux ;
on en sépare aussi en même temps une terre raréfiée,
pure, & qui paraît dans la graisse des animaux, dans
l’huile des végétaux, & dans le soufre des métaux. Si
nous savons en séparer l’eau & l’air, nous remettons
cette matière métallique dans son premier principe.
La troisième terre est un soufre dont on retire un sel
commun, un sel urineux, ou un soufre arsenical ; comme
on le voit dans l’arsenic & l’argent traités avec le sel
commun ou le soufre antimonial, par le moyen desquels
on [96] réduit l’arsenic & l’argent en mercure.

69
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Les sels volatils, se trouvent dans la suie des métaux,


ainsi que dans la graisse des corps, & même dans la fu-
mée des métaux
La terre de tartre contient en abondance un arsenic so-
lide & fluide, qui est un véritable vif-argent qui blanchit
l’or dans une seule fusion.
Voilà les trois principes très simples qui sont contenus
dans ces trois sortes de terre, ainsi que dans les cendres,
le charbon, la suie, le sel alcali, le sel commun, le soufre
& l’arsenic.
La terre vitrifiable inflammable, ou qui pénètre les mé-
taux, est le mercure ou la terre arsenicale, subtile, qui
blanchit, parce que le vif-argent est un arsenic fluide &
solide, comme il paraît aux yeux & au tact. On reconnaît
d’ailleurs les effets merveilleux qu’elle produit lorsqu’on
l’incorpore avec les métaux ou minéraux.
Lorsque les Philosophes parlent de sel, il faut bien en-
tendre cette expression ; ils n’entendent parler d’autre
chose que d’une terre vitrifiable ou calcinable, comme
sont les cailloux qui se convertissent en verre de même
que [97] le sable, & les os qui se convertissent en chaux.
Voilà les principes simples & particuliers de tous les
corps métalliques ; leur âme est le soufre, le charbon est
leur mère, selon les procédés du Philosophe Berteg ;
l’esprit des métaux est contenu dans le mercure, & leur
soufre est contenu dans la suie.
Les pierres vitrifiables, fusibles, sont toujours une bonne
matrice qui annonce une bonne minière, parce que la
fumée embrasse la fumée pour la perfectionner, & la
terre blanche les absorbe l’un & l’autre. Voilà la vérita-
ble matrice des pierres & des métaux où les esprits sont
renfermés pour multiplier & se charger de diverses tein-
tures ; mais les pierres qui ne sont point fusibles, ne
sont point propres à la génération des métaux, & n’en
peuvent produire aucun.

70
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Le sable, le talc, les cailloux, les pierres qui peuvent se


vitrifier, peuvent servir de base aux métaux, où ils sont
comme dans une matrice pour y être nourris par les va-
peurs & les exhalaisons sulfureuses.
Voilà pourquoi l’on trouve des métaux dans les cailloux,
dans les pierres [98] & autres matières, où ils sont en-
gendrés ; & il faut conclure que toute pierre vitrifiable
est une vraie matrice des métaux.
Quand on fait fondre la matière tirée des mines pour en
séparer les métaux, l’on y ajoute toujours du ralkrins,
qui est une pierre calcinée, qui se fond & qui dégage le
métal des pierres qui leur servent de base & de matrice ;
mais toute sorte de pierres ne conviennent pas pour
faire cette opération : celles dont on fait la chaux vive ne
seraient d’aucune utilité, parce qu’elles sont contraires à
la génération des métaux ; elles servent seulement à
obstruer les patrices pour y contenir le germe pendant la
cuisson.
Ceux qui croient que le soufre commun inflammable est
le second principe des métaux, sont dans une erreur
grossière, puisqu’il y a des métaux qui ne contiennent
point de soufre de cette espèce, comme l’or & l’argent,
qui ne contiennent pas la moindre portion de soufre in-
flammable ; car s’il s’en trouvait dans les mines, les mé-
taux ne parviendraient jamais au degré de maturité d’or
ou d’argent. Les Philosophes ne placent le soufre métal-
lique que dans [99] un seul sujet particulier qui est une
terre ou une matière qu’ils appellent communément la
minière des métaux.
Le soufre de l’or est une terre subtile jaunâtre. Le soufre
d’argent est également une terre subtile, mais blanchâ-
tre, luisante ; ces deux terres sont contenues dans les
corps de ces deux luminaires ; on les voit dans la dissolu-
tion précipitée de l’or & de l’argent. Le soufre du cuivre
est rouge ; celui du fer est d’un cramoisi foncé & obscur,
de même que celui du plomb & de l’étain, qui sont très
peu luisants dans ces deux derniers corps seulement.

71
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Avant le mélange de ces terres, elles sont d’une nature


qui approche de celle du lut, & dans la suite, elles se dé-
terminent en marcassite, en tutie, en talc, en bol, en ru-
bis, en pierres hématites, ou en pierres précieuses, ou
enfin, selon le degré de pureté du soufre, en or, ou en ar-
gent, s’il ne se rencontre aucun accident.
On peut retirer & métalliser la partie métallique qui se
trouve dans ces mêmes terres, & on trouve au fond de la
dissolution de chaque métal, la même terre qui a servi à
sa composition ; & après la dissolution & parfaite [100]
séparation, toute la substance des métaux est convertie
en véritable substance mercurielle.
Il est donc faux que la substance des métaux soit un sou-
fre inflammable, ou soufre commun ; mais que c’est la
terre dont nous parlons, qui s’imprègne des vapeurs sul-
fureuses dans les minières où les métaux se déterminent
par le moyen d’une chaleur proportionnée qui se trouve
dans les entrailles de la terre, & qu’il n’est pas possible
d’imiter avec l’art.
Il y a des personnes qui confondent le troisième principe
des métaux avec le principe mercuriel, & croient
qu’aucun métal ne peut se former sans mercure. La
fausseté d’une pareille opinion est démontrée dans des
mines d’or très riches, où l’on ne voit jamais le moindre
vestige de vif-argent.
Les pierres, les cailloux sont la base hospitalière des mé-
taux dans les minières ; mais il faut une adjonction de
terre subtile arsenicale qui doit exhaler une vapeur en
forme de soufre ou de vif-argent, qui doit communiquer
avec la masse pour la déterminer en métal quelconque,
selon la nature du soufre.
Sans cette communication de soufre [101] par le moyen
d’un feu vivifiant de la Nature dans les entrailles de la
terre, il ne s’y formerait jamais aucun métal.
Nous devons imiter la Nature avec l’art ; elle n’admet
pas le vif-argent seul, ni le soufre seul, ni mêlés ensem-

72
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

ble ; mais il faut prendre la matière mêlée selon ses pro-


pres principes par l’opération de la Nature. Il faut se-
conder cette matière avec la double vapeur ou le double
mercure.
Cette double matière ou vapeur, n’est autre chose que
l’arsenic de la Nature, lequel est composé de soufre, de
mercure, joints ensemble par le moyen de la terre subtile
& sulfureuse qui est la nymphe de la Nature.
On peut facilement réduire cette terre en vif-argent, en
arsenic, qui est la suie minérale qu’on retire des métaux
en les décomposant.
Il est donc évident, par ce que nous venons de dire, que
les métaux sont composés de trois principes terrestres,
le premier desquels se trouve dans les pierres fusibles &
vitrifiables, le second dans l’arsenic pur, onctueux ; &
l’on peut dire, lorsqu’il est dissout, que la matrice des
métaux est préparée. [102]
Le troisième principe est la vapeur du soufre-mercuriel-
arsenical.
Dans la décomposition des métaux, l’on reconnaît tou-
jours qu’ils abondent dans l’un ou l’autre de ces trois
principes :
1°. Selon la nature fusible ou vitrifiable des pierres que
la Nature a employé pour former les métaux.
2°. Selon la nature de la terre, qui n’ayant pas la qualité
convenable, fait des métaux bileux & fragiles.
3°. Selon le degré de cuit on du soufre & du mercure ;
car, s’ils sont trop cruds, les métaux seront volatils ou
combustibles, & ils auront toujours une variation sensi-
ble selon les proportions de ces trois principes : c’est
pourquoi lorsqu’on mêle du borax avec du zinc, de
l’antimoine, du bismuth, de l’arsenic, du réalgar, du ci-
nabre, du soufre, du mercure vulgaire, avec les métaux,
le mélange de ces minéraux produit en tout ou en partie
des saphirs, des pierres précieuses, & des marcassites.

73
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

De tous les métaux, il n’y a que le plomb & l’étain qui se


fondent avant que d’être enflammés ou rougis au feu.
[10.]
Le cuivre & le fer doivent rougir au feu avant que de
fondre.
L’or & l’argent fondent en commençant à s’enflammer ;
voilà la nature des métaux ; mais on les dispense de ces
règles par le moyen de l’art.
Selon la décomposition des trois terres métalliques ci-
dessus, on peut produire différents métaux, on peut les
convertir en vif-argent avec l’arsenic.
Avec la terre sulfureuse, on peut faire du soufre inflam-
mable par le moyen du soufre commun ; on peut aussi la
convertir en verre par le moyen des cailloux ; on peut de
même la convertir en sel, en vitriol, en eau, en chaux, en
esprit & en teinture.
On fait aussi une infinité de compositions différentes en
joignant différentes choses à ces principes métalliques,
comme l’acide universel qui est capable de liquéfier le
monde souterrain, & le diviser en une infinité de disso-
lutions.
Lorsque vous réduisez en eau la terre ou la pierre à
chaux, vous faites de l’alun.
Lorsque vous réduisez en eau la pierre à chaux, vous fai-
tes non seulement de l’alun, mais encore du borax. Si
vous faites dissoudre une matière bitumineuse, [103] il
en résulte du soufre vif ; la dissolution de mine de fer
donne du vitriol.
Exposez à l’air la terre métallique imprégnée de soufre,
il en résulte un arsenic auquel on peut joindre du soufre
commun pour en faire de l’orpiment, du réalgar. Si en-
suite on en sépare la partie aqueuse, il en résultera du
mercure coulant ; ajoutez du soufre à ce mercure, & vous
aurez du cinabre.

74
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Tout ce que je viens de dire est véritable ; j’ai fait douze


différentes compositions pour réduire les métaux en leur
première matière ou principe, par le moyen de l’acide
dont j’ai parlé ci-dessus.
Mais passons actuellement au mélange des dissolutions
des principes métalliques pour voir leurs actions & leurs
réactions, par le moyen des sels alcalis, du sel de nitre,
& du sel commun.
Le sel de nitre se change facilement en sel alcali, & le sel
commun se change également en sel alcali.
Les sels urineux, nitreux & sulfureux, ont une puissante
action sur les arsenicaux, & ceux-ci agissent puissam-
ment sur les sulfureux après la réaction, pour produire
ensuite des sels factices, comme les alcalis volatils, [104]
ammoniacs, de prunelle, le sublimé, le sucre de Saturne,
& le lis de Paracelse.
Les esprits ou les huiles de sel commun, de soufre, de vi-
triol & d’urine, sont à peu près les mêmes. Ceux de nitre
& de vinaigre ne sont pas tout à fait comme ceux des au-
tres sels, quoiqu’ils aient quelque analogie ensemble.
L’esprit de vin sympathise avec celui de térébenthine, &
de leur mélange on fait différents menstrues.
Si nous voulons faire un menstrue ou dissolvant qui soit
alcalin & volatil, nous n’avons qu’à prendre de la terre
principale subtile, & la mêler avec des alcalins de vin &
de sel commun.
On fait trois grandes compositions avec les choses qu’on
retire des entrailles de la terre, en les mêlant ensemble.
Il existe un moyen de mêler la terre avec le mercure, &
ce mélange fait du bon métal.
Il exile dans les entrailles de la terre une matière qu’on
mêle avec l’huile ou la graille de la terre, & il en résulte
un mixte qui est une litharge sulfureuse & bitumineuse.

75
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Il existe également dans la terre une [106] substance qui


l’a fait mêler avec l’eau ; & il en résulte des mixtes qui
produisent des sels différents.
En ajoutant ou retranchant quelque chose de ces trois
principes, c’est-à-dire, si nous savons y ajouter des sels,
des soufres métalliques, nous ferons des choses merveil-
leuses, tant en composant qu’en décomposant ; en un
mot, en séparant les parties terrestres & grossières, &
en ajoutant un soufre, nous pouvons faire un menstrue
universel qui réduit les corps en première matière.
Tous les êtres sont composés de terre, & ils doivent re-
tourner en terre ; c’est ce que nous voyons fréquemment
dans toutes les décompositions : nous pouvons nous as-
surer de cette vérité dans un cimetière.
Pour faire une composition parfaite ; nous n’avons
d’autre chose à faire, qu’à tirer des métaux, des sels, des
soufres, de la terre, de l’air & du feu, & réduire toutes
ces choses en un seul & même principe naturel. En ajou-
tant & retranchant ainsi selon les règles de la Nature,
nous nous procurerons le mercure des Sages.
Les pierres & la graisse de la terre [107] sont la base de
tous les métaux & minéraux. Cette substance est l’âme
des végétaux, des animaux & des minéraux. Les soufres
arsenicaux sont un véritable mercure, qui est une
graisse, une huile qu’on peut métallifier, & dont on peut
retirer une teinture d’or ; c’est du moins l’opinion de
beaucoup de Philosophes, dont les ouvrages sont très es-
timés.
L’argile ou la terre à potier contient une grande quantité
de cette graisse. La Nature l’a placée partout, même
dans les bois, aussi bien que dans la terre. Il suffit de je-
ter les yeux dans un four à brique pour apprendre à la
connaître ; elle suinte dans le feu, où elle se vitrifie. Voi-
là pourquoi on voit souvent plusieurs briques ou tuiles
qui sont collées ensemble par cette graisse vitrifiée, qui
est l’humide radical des corps. L’or en est imprégné

76
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

abondamment, sans cela on ne pourrait jamais réussir à


le vitrifier.
Ce mot argile, est pris universellement, & il s’étend jus-
qu’à celle dont la brique, les pierres sont formées ; c’est
elle qui fait croître les végétaux ; c’est elle qui produit
l’or brillant : c’est cette argile, cette graisse de la terre
[108] qui est la base & la matière dont le Créateur a
formé tous les astres qui rassemblent tous les arômes
argileux onctueux, qui entrent dans la composition de
tous les corps métalliques. Il faut donc conclure de là
que tous les êtres sont composés d’atomes argileux onc-
tueux.
L’arbre de fer démontre sans réplique, que les soufres
arsenicaux & le mercure volatil sont fixés par les feux
souterrains.
Au reste, toute pierre à feu se convertit en chaux vive, &
sert à la formation des corps opaques ; ou si elle ne se
calcine pas, elle se vitrifie lorsqu’on la joint aux corps
diaphanes. Les pierres de cette espèce sont les cailloux
& le sable, ou la terre subtile mêlée d’atomes.
La plus grande partie de la terre est composée de pierre,
d’argile onctueuse, ou de sable ; & il est évident que les
trois Principes universaux des corps sont les pierres,
l’argile & la graisse de la terre. Ces trois Principes sont
réductibles en cendres, en écume & en suie. Ils sont
communs, & se divisent en trois compositions générales
qui produisent les sels, alcali, de [109] nitre, & commun,
qui sont réunis ensemble.
Les sels alcalis contiennent une terre clarifiée & vitri-
fiable.
Le sel de nitre contient une terre grasse, rouge & très
subtile.
Le sel commun contient une terre arsenicale, mercu-
rielle, incombustible & qui a la vertu de blanchir.

77
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Ces trois principes se trouvent presque partout en abon-


dance ; la mer également est remplie de terre alcaline,
d’air nitreux, & de sel de nitre mêlé avec le sel commun.
On peut acheter à vil prix une matière qui contient ces
trois principes ; mais peu de personnes sont en état de
les séparer : elle contient une terre dont il faut la déli-
vrer & en retirer la quintessence.
Nous connaissons dans l’alcali minéral, un verre qui pu-
rifie le sel de nitre, & qui lui donne, ou, pour mieux dire,
qui développe sa teinture.
Le sel commun convertit les métaux en arsenic & en
mercure ; c’est du moins l’opinion du Père Kirker.
Si l’on fait tremper des lames de plomb dans une eau
croupissante & salée, il se convertit en mercure, qu’on
[110] appelle vulgairement corne d’argent ou arsenic de
lune.
L’esprit de nitre teint l’argent en couleur d’or. La liqueur
tirée du nitre fixe ou d’un autre alcali quelconque, a une
grande puissance sur les métaux ; elle les mûrit & les
transmue en les altérant ; mais cette liqueur aurait une
puissance infiniment plus grande, si vous en sépariez les
trois Principes. Alors vous auriez une preuve de ce que
je viens de dire.
L’on peut facilement retirer un sel de l’or, & des parties
volatiles de tous les autres métaux : on en retire égale-
ment du mercure commun & de l’antimoine, de l’urine
humaine, & il ne faut pas beaucoup de science pour faire
cette opération : il suffit d’employer tout simplement la
calcination vulgaire & la sublimation ordinaire, & jeter
les matières calcinées dans de l’eau bouillante, qu’il faut
filtrer & faire évaporer.
Pour démontrer que les trois principes des métaux sont
formés de pierres, de terres & de suie arsenicale, il ne
faut faire autre chose que de les décomposer & les ré-
duire en leur matière primitive ; qui, après la décompo-

78
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

sition, [111] ne sera autre chose que des pierres, de la


terre, & de la suie arsenicale.
Rien n’est si facile que de convertir les métaux en vif-
argent, sans même en excepter l’or ni l’arsenic, pourvu
qu’on en sépare la terre ou le crocus, & qu’il ne reste
qu’une terre irréductible & dépouillée d’arsenic ou du
principe de ce minéral.
La vitrification est le moyen le plus facile pour parvenir
à la décomposition des métaux ; c’est par cette opération
qu’on en sépare toutes les scories & les parties hétérogè-
nes.
On décompose les métaux & on les anime avec du vif-
argent & de l’arsenic, en les cimentant avec le soufre, en
les vitrifiant avec du plomb, des cailloux & des sels alca-
lins.
Les principes métalliques sont bien contenus dans le sel
de nitre & dans le sel commun ; mais ils sont plus éloi-
gnés que dans un autre sujet ; c’est-à-dire, dans les mé-
taux mêmes, où ils sont avec une certaine harmonie ; ils
y sont cependant moins purs que dans un autre sujet
minéral qu’on achète à vil prix.
Le plomb ne produit autre chose [112] qu’un alcali vitri-
fiant, qui agit puissamment avec un acide.
Le sable contient aussi un excellent alcali vitrifiant ; le
fer ne contient qu’an crocus ou une terre styptique. Les
cendres de plomb figent le fer, le fulminent & le font dé-
poser ; elles sont aussi combustibles que le soufre & le
sel de nitre.
Le vif-argent n’est autre chose que de l’arsenic fluide ;
l’arsenic n’est autre chose qu’un soufre de sel commun
concentré, parce que les symboles des principes géné-
raux des métaux sont tous salins &, métalliques, combi-
nés entre eux.
Tous les acides ont une grande puissance sur les alca-
lins ; c’est pourquoi ils fournissent les moyens de faire

79
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

trois décompositions des sels par le moyen des sels, &


ensuite des métaux par le moyen des sels, & la décompo-
sition du tout incorporée.
Les métaux & minéraux secs conviennent avec les hu-
mides ; les styptiques avec les fluides ; les volatils avec
les fixes ; les homogènes s’accordent avec les hétérogènes
par la combinaison des mêmes principes.
On opère la réaction des sels, en les [113] mêlant avec
les métaux, & en incorporant les alcalins avec les sou-
fres, & les sels sulfureux avec le mercure ; en mêlant le
vif-argent avec les sels & le soufre des métaux, on opère
de même la réaction des mêmes sels.
Mais venons actuellement à l’article des métaux gros-
siers ; car nous avons des minières remplies d’une ma-
tière semblable aux scories du verre, friables, volatiles,
arsenicales, antimoniales, mercurielles, imparfaites.
La terre styptique se convertit en pyrites, en bol, en cro-
cus, ou en terre molle & friable ; & quelquefois, quand le
degré de feu s’y trouve, il en résulte un métal parfait, ou
mixte, ou enfin un similor blanc.
Quand on fait la séparation de ces métaux imparfaits ou
bâtards, on en retire de l’or, de l’argent, du cuivre blanc,
du plomb martial antimonial.
Examinons actuellement le sel de nitre, le sel commun,
le soufre, l’arsenic & le vif-argent électrique, ou
l’antimoine magique, le plomb martial, l’aimant ou sou-
fre du mercure.
J’ai dit, & répété plusieurs fois, que le soufre a deux
principes, l’un mâle l’autre femelle, l’un tendant au [114]
blanc, l’autre au rouge, & qu’on peut cependant les ma-
rier ensemble.
Le principe du soufre tendant au rouge est dans le sel de
nitre ; le soufre blanc tire son origine du sel commun
joint avec le soufre commun.

80
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Le soufre ardent prédomine & se blanchit dans la terre


avec le soufre commun, comme on le voit par son mé-
lange avec le cuivre.
Il est donc évident que le soufre commun contient du sel
commun, & qu’on peut l’en séparer facilement ; & l’on
peut séparer & retirer du sel commun, un véritable sou-
fre commun, un vif-argent pur ; comme du sel commun
on peut également retirer de l’arsenic pur.
Le sel & le soufre ont les mêmes principes communs, ar-
senicaux & mercuriels ; mais il y a beaucoup plus de
soufre que de mercure, comme il y a plus d’arsenic que
de mercure, & très peu de soufre incombustible.
Si vous prenez pour mâle le soufre mercuriel, & pour
femelle le mercure sulfureux, vous ferez facilement le
mariage arsenical. Il arriverait ce que vous pouvez voir
sans peine, en mettant de l’huile de pétrole sur du soufre
[115] ou bitume solide. Vous verriez le même effet, si
vous mettiez du vif-argent sur de l’arsenic dur & solide,
qui ont la même origine.
Le soufre est une terre alcaline & calcaire ; les huiles de
soufre & de vitriol nous prouvent cette vérité ; on recon-
naît que la dureté du soufre & de l’arsenic est la même,
& qu’elle provient d’un mélange de soufre alcalin & sa-
lin, comme nous le voyons dans les cornes d’argent &
d’arsenic qui sont cuits & retenus ensemble avec le mer-
cure, qui les affermit & les durcit, quoiqu’il ne soit pas
fluide ; mais il est néanmoins homogène.
Quoique le soufre commun paraisse bien différent du
mercure coulant, ces deux minéraux se mêlent cepen-
dant bien ensemble, & il en résulte du cinabre.
On peut faire de même un beau réalgar, en mêlant du
soufre avec de l’arsenic, & de ce mélange on peut faire
un excellent élixir ; avec du soufre fixe de l’arsenic, on
fait des choses admirables.

81
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Voilà comment la Nature se joue de l’Art ; mais il faut


tâcher de l’imiter.
Venons actuellement à l’article de [116] l’antimoine ma-
gique-électrique, à l’aimant, au mercure philosophique
de plomb, de fer, de cuivre & d’antimoine.
1°. Rien ne peut agir avec plus de puissance sur les mé-
taux que le feu & l’eau, quoiqu’ils soient hors de leurs
sphères.
Le feu qui raréfie l’eau, est un caustique brûlant, qui ra-
réfie d’une manière particulière.
1°. Dans une grande décomposition, le sel de nitre & le
sel commun produisent le même effet ; leur substance a
la vertu de condenser, mais nous en parlerons d’une
manière plus particulière dans la suite.
3°. Tous les Chimistes & les Orfèvres connaissent, que le
soufre commun & le mercure vulgaire ont une grande
puissance sur les métaux ; ils les durcissent par la ci-
mentation : ils les calcinent, les animent, les conservent
dans leur fixité, & les précipitent ; mais ils ne peuvent
produire le moindre effet dont on pût retirer le moindre
émolument.
Le soufre commun contient bien peu de soufre incombus-
tible, & bien peu de mercure fixe. C’est pourquoi [117]
l’on a beau les exposer à un feu violent avec les métaux,
ils retiennent toujours leur feu interne dont on les déli-
vre plus facilement avec un feu lent ; en suivant cette
méthode, on n’altère jamais les métaux avec lesquels on
fait une cimentation.
Quoique le vif-argent paraisse bien conjoint avec un mé-
tal, il s’en faut beaucoup qu’ils soient réellement unis
ensemble, parce que le vif-argent contient trop peu de
soufre fixe pour opérer une liaison parfaite ; il peut
néanmoins concourir à perfectionner ou altérer les mé-
taux, selon la quantité de soufre fixe qu’il contient ; mais
un véritable Philosophe ne s’amuse pas à de pareilles

82
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

opérations ; un commençant peut cependant faire quel-


ques expériences de cette sorte ; si elles ne lui sont pas
lucratives, elles seront du moins pour lui d’excellentes
leçons, dont il pourra profiter quand il aura acquis de
plus grandes lumières.
Dans ces sortes de conjonctions de ces deux métaux, les
vices de l’un & de l’autre les empêchent toujours de pro-
duire un bon effet. Cela prouve qu’il n’est pas possible de
faire un métal avec le soufre seul uni avec le mercure
seul, [118] je parle du mercure vulgaire & des moyens
vulgaires ; on a beau les marier, ils n’engendreront ja-
mais rien ; nous voyons, d’ailleurs, que la nature de tous
les métaux est telle, qu’ils veulent être mariés selon les
règles naturelles ; c’est-à-dire un mâle avec une femelle
qui ait ses règles ordinaires, qui contienne une semence
générative, qu’il faut cuire dans une matrice convenable.
Nous allons actuellement entrer dans la classe minérale
qui approche le plus près de la métallique, pour ce qui
regarde la pierre des Sages, qui, comme il est évidem-
ment démontré, n’est composée que de mercure & de
soufre, & de mercure sulfureux, qui sont conjoints insé-
parablement ensemble ; ou pour mieux dire, c’est un
même sujet hermaphrodite ou double mercure, une se-
mence métallique arsenicale qui est le mercure double
des Philosophes, ou l’aimant électrique magique,
l’antimoine, le plomb de Mars.
Puisque ni le soufre commun, ni le mercure vulgaire, ne
peuvent entrer dans la génération des métaux, ni
conjointement ni séparément, & qu’il faut des principes
composés qu’ils n’ont pas, [119] on peut conclure de là,
qu’ils ne sont pas le véritable sujet du magistère hermé-
tique.
Il faut nécessairement un troisième sujet qui participe
de la nature du soufre & du mercure, & qui, pour cette
même raison, est appelé l’hermaphrodite des Sages.

83
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Mais quel est donc ce troisième sujet ? quel est cet her-
maphrodite des Sages ? Je vais vous le déclarer ingénu-
ment, & dans la pure vérité ; c’est l’arsenic ; mais ne
vous y trompez pas, ce n’est pas l’arsenic vulgaire ; c’est
celui des Sages. C’est un arsenic grossier, c’est l’épouse,
la nymphe qui réside dans l’antimoine & dans un autre
sujet.
Il y a des signes certains pour la reconnaître, de manière
à ne pas s’y tromper.
Quand cette matière est sur le feu ; elle jette continuel-
lement une vapeur & des fleurs blanches, surtout lors-
qu’elle est en fusion.
Quoique Philalèthe, & d’autres Philosophes, paraissent
donner à entendre que c’est l’arsenic antimonial, ils
conviennent cependant que cette vapeur intermédiaire
est contraire au mercure vulgaire avec lequel elle n’a
[120] aucune connexion, quoiqu’elle tire son origine du
même principe.
On ne peut cependant pas nier, qu’après avoir tourmen-
té le vif-argent par un long travail, on ne lui procure une
qualité particulière pour dissoudre les métaux,
Plusieurs Philosophes, parmi lesquels se trouve Flamel,
disent qu’après avoir fait subir certaines opérations au
mercure vulgaire, il est acuité par le moyen du vinaigre
minéral, par la vertu du sel de nitre & du sel métallique,
L’Artiste ne saurait comprendre les merveilles qu’il
opère en travaillant, & en incorporant toutes ces matiè-
res.
Toutes les fois que nous ferons l’union du soufre arseni-
cal de la terre, ou du soufre commun, l’union produira
toujours des minéraux ou des métaux. Si l’on sait célé-
brer l’hymen à un métal quelconque, il se convertira
promptement en mercure coulant & corporel ; mais
quand il est réduit à ce point, il est volatil & électrique,
sous la forme métallique. On peut facilement

84
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

l’amalgamer avec le mercure vulgaire pour les acuiter


ensemble & les joindre à un autre métal sur lequel ils
auront une vertu pénétrative incomparable. [121]
Cette distinction de l’arsenic commun réuni avec le mer-
cure vulgaire, se fait, parce que le mélange acquiert une
vertu fixative & pénétrative, quoiqu’il soit aussi facile à
fondre sur le feu que la cire ; c’est par cette même raison
que sa vapeur virginale pénètre, coagule par sa vertu,
qui se répand comme une vapeur magnétique, par le
moyen de l’arsenic & du mercure qui attirent le soufre
de l’or.
Cette matière a une infinité de noms. Les anciens Philo-
sophes l’ont appelée électre antimonial-magique, plomb
martial & antimonial. En effet, la vapeur métallique se
coagule avec l’hymen sulfureux & salin qui tient un rang
intermédiaire entre la partie liquide & celle qui a un peu
de consistance, parce que l’arsenic & le mercure ont reçu
de la Nature une qualité prochaine, fixative & attrac-
tive.
Cette matière est très commune en Angleterre, surtout
dans la Province de Cornouaille, où, en peu de temps, on
peut s’en procurer de quoi charger un navire.
L’on met ce minéral sur le feu dans un creuset, & l’on
voit bientôt paraître [122] la nymphe vêtue d’une robe de
plusieurs couleurs.
J’ai mis cette matière dans une cornue de terre à creu-
set, sans aucune addition ; j’ai fait rougir la cornue, & à
la fin de la distillation, j’ai trouvé un sublimé éblouis-
sant attaché au col de la cornue. Ce sublimé était aussi
beau que de l’argent de coupelle ; je ne vis jamais de su-
blimé qui eût une si grande vertu magnétique, attractive
& pénétrative.
Cette matière était purement arsenicale & d’une qualité
fixative qui opère avec une célérité extraordinaire.

85
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Il faut séparer le soufre fixe de ce sublimé avec adresse,


le bien purifier & le lui rendre. Ce soufre fixe n’est autre
chose que les cendres ou le soufre vif, ou l’arsenic des
Philosophes.
Si vous avez travaillé sur l’antimoine, le plomb, l’étain,
le fer, l’argent, ou l’or des Philosophes, & que vous les
ayez réduits en leur première matière fondante comme
la cire, & que vous les ayez privés de toute substance
mercurielle, vous n’avez plus rien à désirer ; vous êtes
possesseur de [123] l’électre, de l’ambre ou du plomb des
Philosophes.
L’ambre, selon les Anciens & les Modernes, est une es-
pèce de succin qui se forme dans la mer Adriatique, vers
l’Ionie. Il provient d’un caillou qui se détache des monta-
gnes & qui roule dans la mer, où il se mûrit par la fraî-
cheur de l’eau de la mer ; il suinte de ces cailloux & se
coagule dans l’eau ; & quand on le recueille, il est comme
la poix de Bourgogne, ou comme un corps bitumineux.
On prétend que cet ambre est composé d’or & d’argent ;
c’est pourquoi les Philosophes en ont pris le nom pour le
donner à leur matière, après qu’ils lui ont fait subir les
opérations convenables ; mais il n’entre jamais qu’un
cinquième d’argent dans la composition de l’ambre fac-
tice ou philosophique.
Il faut se souvenir que l’ambre & l’arsenic sont deux sy-
nonymes chez les Philosophes.
Après avoir réduit en mercure coulant un métal quel-
conque, ce mercure a la vertu d’attirer de l’air le soufre
de nature, & de fixer promptement les métaux ; & pour
lui procurer une plus [124] grande vertu, on le fait cuire
avec du mercure vulgaire pour attirer plus abondam-
ment encore le soufre céleste. Voilà la seule vertu du
mercure vulgaire : l’Alchimie ne lui en connaît point
d’autre.
Mais, occupons-nous actuellement d’un autre objet plus
essentiel ; entrons dans la minière d’où l’on doit tirer la

86
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

pierre des Sages, ou du moins la matière dont elle est


composée : je veux parler du soufre mercuriel, & du mer-
cure sulfureux conjoints ensemble, ou l’hermaphrodite,
ou le double mercure qui contient la semence métallique,
ou notre arsenic, notre mercure ; mais il ne faut pas s’y
tromper : c’est le même sujet dont nous venons de par-
ler ; parce qu’on ne le distingue ainsi sous plusieurs dé-
nominations, qu’à cause des différentes opérations qu’on
lui fait subir dans la préparation & dans les usages aux-
quels on l’emploie.
Concluons d’après le principe, que tous les métaux sont
composés de terre & d’arsenic ; nous connaissons ces
deux matières, qui, quoique très différentes l’une de
l’autre, composent néanmoins un métal qu’on peut dé-
composer pour le remettre dans leur état primitif. [125]
L’assemblage de ces deux substances fait un corps ter-
reux & mercuriel, par rapport à l’arsenic qui est contenu
dans les quatre éléments, & partout ailleurs.
Nous avons déjà dit que la terre était la matrice de tous
les êtres, & nous ajouterons qu’elle est calcaire, alumi-
neuse, pierreuse, glaireuse, barbeuse & talqueuse.
L’arsenic est de deux genres seulement ; c’est une va-
peur purement minérale mercurielle, ou la nymphe & le
soufre fixatif de nature, qui est l’ambre & le soufre du
mercure, fondant comme la cire, après qu’on lui a fait
subir les opérations philosophiques.
L’arsenic n’est autre chose qu’une vapeur minérale, un
vif-argent, qui, lorsqu’il est encore privé du soufre de na-
ture, n’a point de vie ; c’est pourquoi il faut chercher
dans un autre sujet de quoi suppléer à ce qui lui man-
que, & l’on aura une matière parfaite.
Le minéral dont nous nous occupons, a une grande sym-
pathie avec le soufre commun, il en engloutit prompte-
ment une bonne quantité, & devient comme du cinabre
d’antimoine, qui désire le soufre & se sature en même

87
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

[126] temps de sel commun arsenical dont on fait le su-


blimé.
On distingue toujours l’arsenic qui contient du soufre
commun avec peu de mercure, d’avec celui qui contient
un peu de vrai soufre incombustible.
Il est très nécessaire de connaître l’arsenic commun, qui
contient beaucoup de soufre externe, ce qui annonce qu’il
contient aussi un peu de vrai soufre intérieurement.
Le mercure vulgaire diffère du mercure philosophique,
parce que le premier n’a aucune vertu fixative, tandis
que le second fixe parfaitement, coagule & pénètre avec
une promptitude étonnante.
Il y a aussi une grande différence entre l’arsenic vul-
gaire & l’arsenic philosophique, ils paraissent cependant
semblables extérieurement, l’un contient le lait de la
vierge & le soufre incombustible salin, & l’autre n’en
contient point ; l’un & l’autre coagulent cependant le
mercure sublimé, & s’allient avec l’orpiment & le réal-
gar.
Plusieurs sujets nous présentent l’arsenic qui entre dans
la composition du magistère, le plomb, l’étain, le borax,
le zinc, sont de ce nombre, [127] mais surtout le plomb ;
ce métal quoique vil, malade & lépreux, renferme un
soufre nitreux qui dévore tous les métaux, comme nous
le voyons par la coupelle. Le plomb procure les mêmes
avantages que l’arsenic ; ces deux métaux diffèrent seu-
lement en ce que l’un est plus sulfureux que l’autre ;
mais celui qui a plus de soufre a moins de mercure, & ce-
lui qui renferme moins de soufre contient une plus
grande abondance de mercure.
Nous ajouterons que plus un corps est gras, plus il est
sulfureux, & moins arsenical ; plus il est arsenical, plus
il est propre au grand œuvre.
Mais, venons présentement au mélange de la terre avec
l’arsenic, c’est-à-dire, au mélange métallique. La terre &

88
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

l’arsenic peuvent être regardés comme la matière de la


pierre des Philosophes, parce que ces deux matières
contiennent le mercure & le soufre qui s’y trouvent in-
corporés : c’est ce qui produit les pyrites, les marcassites
qui font les rudiments des métaux ; & si elles ne devien-
nent pas à leur degré de perfection métallique, c’est
parce qu’elles n’ont pas une suffisante quantité
d’arsenic. [128]
Cependant, la partie mercurielle sait bien tirer de l’air
cette partie arsenicale qui lui manque, ainsi que les sou-
fres de cette nature, de même que les sels vitrioliques.
C’est pourquoi Rupécisse dit, ainsi que Basile Valentin,
& plusieurs autres Philosophes, que le vitriol est le vrai
principe des métaux ; il faut aussi entendre en même
temps, & admettre dans la même classe, toutes les mar-
cassites & pyrites qui ont été vitriol auparavant.
Au reste, si la matière contient une plus grande quantité
d’arsenic, cela provient de l’espèce de terre minérale,
comme il arrive en Angleterre, dans la Province de Cor-
nouaille, où le vitriol a une qualité supérieure & extrê-
mement convenable aux opérations chimiques.
Cette matière est composée d’arsenic & de terre stypti-
que martiale ; elle est différente du fer en ce que son
mercure arsenical n’est pas uni inséparablement avec la
terre, & qu’on peut l’en séparer facilement. Après la sé-
paration de cette matière, il en résulte un crocus violet,
comme une belle tulipe.
Si l’arsenic est un ferment adhérent [129] à la terre, il
en résulte un véritable métal qui est un bon fer, comme
nous l’avons déjà démontré.
Il est donc évident que le fer est le fondement de tous les
métaux, à l’exception du plomb & de l’étain, qui pro-
viennent du mercure coagulé par le moyen du soufre an-
timonial.
Le borax & l’antimoine sont aussi coagulés par le soufre
commun ; mais après les avoir décomposés, il en résulte

89
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

un véritable vif-argent, & ce vif-argent est l’arsenic


fluide proprement dit.
Si la terre martiale est bien pure & subtile, elle produit
du cuivre ; si elle est très pure & très subtile, elle pro-
duit de l’or ; si elle est blanche, pitre, fixe & subtile, elle
produit de l’argent.
Voilà pourquoi il n’y a pas de fer qui ne contienne de l’or
& de l’argent, ainsi que du cuivre.
Le fer étant cuit avec une quantité suffisante d’arsenic,
désire s’unir avec les métaux supérieurs, il se plaît avec
l’arsenic & le sel, ainsi que le, soufre commun.
Si l’on sait fondre du fer avec du soufre & de l’arsenic, il
en résultera du plomb très certainement : voilà [130]
pourquoi il y a beaucoup d’avantage de fondre de la mine
de fer avec des corps sulfureux & arsenicaux ; car c’est là
le moyen de retirer constamment un métal très pur.
Le fer refuse toujours de s’allier avec le vif-argent ; il
n’est pas possible d’amalgamer ces deux métaux ensem-
ble, parce que le soufre arsenical ne se trouve pas dans
le mélange.
Le mercure sublimé agit cependant bien puissamment
sur le plomb martial, dont il dessèche l’humidité, en
s’imbibant de toutes ses parties arsenicales.
L’arsenic en ami de l’étain, de l’argent & du fer ; c’est
pour cette même raison, qu’il n’y a pas de minière
d’arsenic qui ne soit environnée de fer ; mais ce fer a une
qualité supérieure qu’il a acquise avec l’arsenic, car on le
fait fondre aussi facilement que le cuivre, & on
l’amalgame avec l’or, sans difficulté.
Il a fallu beaucoup de temps pour découvrir toutes ces
propriétés métalliques ; on a été obligé de faire un grand
nombre d’expériences coûteuses & dangereuses, en alté-
rant les métaux, ou pour mieux dire, en les [131] détrui-
sant ; on a reconnu que le fer est le principe, la base & le
moyen progressif de tous les métaux. C’est le fer qui

90
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

communique au cuivre, à l’or, à l’argent, la propriété


qu’ils ont de ne point se fondre sans être enflammés &
poussés à un degré de chaleur violente.
Plusieurs Philosophes disent qu’on peut faire la pierre
avec le mercure vulgaire, par la voie sèche & par la voie
humide ; mais il faut le sublimer, le précipiter & le réin-
cruder par le moyen d’un soufre, dont la connaissance
conduit directement dans le sanctuaire de la philosophie
hermétique.
Basile Valentin assure qu’on peut aussi faire la pierre
avec le soufre du vitriol romain, & il conseille de ne
point chercher l’azoth des Philosophes dans un autre su-
jet.
Le rouge éclatant qu’on voit dans le soufre de vitriol
après sa fixation, indique assez qu’il contient un grand
arcane ; mais pour en retirer tout l’avantage qu’en pro-
mettent les Philosophes, il faut l’animer avec un esprit
métallique, dont tous les auteurs ont parlé, & dont ils
ont tous gardé le secret.
Quand on veut travailler sur le vitriol, [132] il faut en
premier lieu le bien calciner dans un four de verrier, où
l’on le réduit en cendre, dont on retire le sel fixe, en les
lessivant avec de l’eau de pluie qu’on filtre ensuite, &
qu’on fait évaporer.
Ce sel contient un soufre qui resterait pendant un siècle
dans un feu de fusion sans s’altérer, si on lui a fait subir
les opérations philosophiques. C’est probablement à
cause de cette qualité que les Philosophes l’ont comparé
à la salamandre.
Faites dissoudre & coaguler ce soufre autant de fois que
vous le jugerez à propos, & vous verrez qu’il se résoudra
en eau aussitôt qu’il sera exposé à l’air.
Prenez une partie de ce sel, faites-la bien dessécher, &
ajoutez-y autant pesant de fleur de soufre commun ;
mettez le mélange dans un creuset que vous placerez au

91
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

feu de roue ; approchez les charbons par degrés pendant


une heure ; faites rougir le creuset, & vous aurez une
terre qu’aucune eau-forte ne pourra dissoudre.
Le soufre commun, en se consumant, pénètre le vitriol
jusqu’au cœur, & fait sortir cette substance indissoluble
[133] qui renferme & indique un grand arcane.
Cette expérience est bien peu coûteuse, & se fait bien
promptement ; c’est peut-être ce qui la fera regarder
comme de peu de conséquence par beaucoup de person-
nes ; mais celui qui a réellement envie de s’instruire, ne
la méprisera pas, & pourra, en comparant la cause avec
les effets, se procurer de grandes lumières : car cette
terre indissoluble avec la manière de la préparer, indi-
que les moyens de parvenir à la connaissance du feu phi-
losophique qui n’est pas un objet de peu d’importance.
Le soufre, dans cette opération, par sa flamme, détruit
entièrement toute l’humidité qui se trouve dans le sel du
vitriol, & y concentre un feu qui l’empêche de se dissou-
dre dans l’eau-forte.
Le feu central & salin du vitriol, se conjoint en même
temps, par la vertu du soufre, de la même manière que
cela arrive dans les entrailles de la terre, où le soufre dé-
truit toute l’humidité du mercure, le fixe & le cuit en
métal, parfait ou imparfait, tantôt par sa flamme, tantôt
par sa [134] fumée, & d’autres fois par sa vapeur seule-
ment.
On voit par là, que le soufre détruit & compose conti-
nuellement dans les minières où il cuit les métaux avec
un feu visible & invisible.
Le soufre commun est un vrai type du feu philosophique
qui brûle & détruit toutes les superfluités qui se trou-
vent dans la matière de la pierre après la calcination ;
mais ce feu ne doit détruire que les parties terreuses &
superflues, & doit conserver les parties essentielles, sans
les endommager en aucune manière.

92
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Les Sophistes regardent le plomb avec dédain, avec mé-


pris, à cause de sa noirceur, à cause de sa lèpre ; mais
les vrais Philosophes qui connaissent ses propriétés, &
qui voient au travers de son habit malpropre, les choses
précieuses qu’il renferme, l’estiment infiniment & le re-
gardent comme le père de tous les métaux, parce que
tout ce qu’il contient extérieurement est du genre de
l’or : car le soufre de ce métal, après avoir été travaillé
par une main philosophique, a la vertu de fixer le mer-
cure vulgaire en or parfait. [135]
Le plomb qui a été employé à faire des gouttières qui ont
été exposées à l’air pendant un siècle, contient un soufre
qui est le véritable aimant philosophique qui est caché
dans sa terre noire.
Cette terre noire de plomb vulgaire renferme les mêmes
propriétés que celle de l’antimoine des Philosophes dont
on extrait le mercure philosophique qu’on fait végéter
comme une plante.
Le mercure qu’on extrait du plomb selon la méthode phi-
losophique, contient un véritable soufre d’or avec lequel
on fait une des plus précieuses médecines qui soit dans
le monde ; mais il faut le faire putréfier au bain-marie
pour en séparer les quatre éléments, qui doivent être
bien purifiés & réunis sur la fin de l’opération.
L’eau-de-vie pure contient aussi un soufre d’or ; mais il
n’a pas une si grande vertu que celui du plomb, & il faut
beaucoup plus de temps pour en faire l’extraction.
Mais l’antimoine est encore bien plus précieux que le
plomb, aux yeux des Philosophes ; aussi est-il leur ma-
tière favorite, parce qu’avec ce minéral [136] & de l’or
qu’on lui fait dévorer par un moyen philosophique, on
fait la médecine universelle en bien peu de temps ; car
on prétend que si on a le bonheur de dissoudre radica-
lement de l’argent dans la quintessence d’antimoine
dans laquelle on fait ensuite dissoudre de l’or, on peut
faire la pierre en un mois philosophique.

93
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Pour extraire de l’antimoine une quintessence pure, il


faut commencer par le réduire en mercure fluide, sem-
blable, à la vue, au mercure vulgaire ; on le sublime, on
le précipite & on le fixe pour lui faire perdre sa blan-
cheur & découvrir le rouge éblouissant qu’il renferme.
Cette couleur rouge indique un soufre d’or parfait ; on en
fait l’extraction avec du vinaigre distillé qu’on fait en-
suite évaporer, & l’on y joint un esprit métallique pour
lui donner une vertu fixative & pénétrative.
Si vous avez le bonheur de réussir dans le choix de
l’esprit métallique, que vous devez conjoindre avec ce
soufre d’or antimonial, vous aurez dans peu de temps
une médecine, qui guérit, comme par miracle, toutes les
maladies du corps humain, & convertit [137] tous les
métaux imparfaits en or ou en argent parfait.
Le fer contient aussi un soufre précieux & est absolu-
ment nécessaire à la composition du magistère ; mais les
Philosophes n’ont jamais enseigné la vraie manière de le
préparer.
Ce métal est d’autant plus essentiel dans la composition
de la pierre triangulaire, qu’il contient intérieurement le
véritable argent philosophique avec un vrai soufre d’or.
Voilà pourquoi l’on prétend que le fer est hermaphrodite,
l’argent qu’il renferme étant la femelle ; & le soufre d’or
le mâle philosophique qui opère la coagulation de la
pierre transmutative.

94
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

DE LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX.


La transmutation des métaux se fait par la voie univer-
selle, ou par un moyen particulier.
La première transmutation se fait par le moyen d’un
fluide mercuriel arsenical, tiré d’une terre styptique &
martiale, qui est composée d’un arsenic métallique très
pur & d’un soufre de nature fixatile. On la réduit en
[138] réalgar par le moyen du feu : on la fait digérer
pour la rendre fusible, pour la fixer, & la convertir en
élixir ou teinture.
La seconde transmutation se fait avec une terre fixe, fu-
sible, subtile, d’une nature astringente.
La première transmutation se fait par le moyen d’une
substance métallique qui contient la médecine composée
avec le fluide mercuriel qui est analogue à tous les mé-
taux. C’est pourquoi lorsqu’on fait la projection de cette
médecine, elle s’insinue dans les métaux comme de la
cire ; elle les pénètre avec son ferment mercuriel, les
tempère & les rend parfaits. Sa vertu est si grande,
qu’une partie projetée sur mille parties de métal crud, a
la propriété de le mûrir au suprême degré de perfection,
& d’en faire un or parfait.
La seconde transmutation se fait par la cimentation ou
la fusion de l’argent préparé avec une matière terreuse
& métallique, qui a une vertu styptique & fixative, qui
absorbe toute l’humidité du mercure d’argent, resserre
ses pores, & lui donne la chaleur & la couleur d’or par-
fait. [139]
Dans ces deux transmutations, rien ne peut se faire sans
le secours de la terre mercurielle-arsenicale ou la terre
martiale-arsenicale.
La voie universelle est très longue, tandis que la particu-
lière est très courte.

95
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Les Philosophes ont réuni ces deux voies par le moyen


d’un sentier qui communique de l’une à l’autre.
Ce moyen de réunion n’est autre chose que le mercure
des Philosophes qui contient le sel de nature. Ce sel est
résolutif quand il est acué & animé avec une terre mar-
tiale & un soufre philosophique qui contient le germe de
l’or ; mais il faut encore y joindre un ferment naturel.
Tout le secret consiste dans la préparation, séparation,
purification & conjonction de la matière.
La préparation consiste dans la séparation des parties
terreuses, grossières & hétérogènes qui se trouvent mê-
lées avec les esprits subtils ; il n’y a pas d’autre moyen
pour réussir que la calcination dans un four de verrier
ou au feu de réverbère. Cette opération étant indispen-
sable, nous la remettrons de temps en temps sous les
[140] yeux du Lecteur, afin qu’il ne l’oublie pas.
La conjonction se fait par le moyen des distillations &
cohobations réitérées jusqu’à ce que la matière, de fixe
qu’elle était, soit rendue volatile, spiritueuse & ignée.
Ceux qui auront le bonheur de réussir dans ces opéra-
tions préliminaires, pourront, avec l’aide de Dieu, par-
venir à la fin du magistère, en faisant cuire la matière
selon l’art.
Ces deux voies présentent deux sujets, & deux opéra-
tions différentes ; mais il ne faut jamais perdre de vue
que ces deux sujets ou matières différentes sont conte-
nues dans le règne métallique. Dès qu’on a le bonheur de
les connaître, il faut les faire fondre dans un creuset
avec un feu de flamme violente pour les rendre stypti-
ques. Après la fusion, la partie mercurielle se précipite
au fond du vase & les scories surnagent & se calcinent.
Flamel recommande d’avoir un grand soin de ces sco-
ries ; il conseille de les mettre dans un mortier de fer,
pour les piler & les laver avec de l’eau bouillante qu’il
faut renouveler jusqu’à ce qu’elle soit claire. On conserve
[141] toutes ces eaux, on les filtre & fait évaporer pour

96
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

en retirer le sel fixe qu’il faut conjoindre avec le mercure


qu’on a extrait de la même matière.
Voilà le double mercure ou l’hermaphrodite des Philoso-
phes. Cette préparation indique assez clairement la ma-
tière, quoiqu’elle ne soit pas nommée. On voit bien que
ce ne peut être qu’un métal fusible qui contient beau-
coup de matières terreuses qu’on sépare par la calcina-
tion pour dégager le mercure philosophique qui y est
contenu.
Voilà la nymphe arsenicale & saline ; à cette époque, elle
refuse de s’amalgamer avec le mercure vulgaire ; mais il
existe un moyen qu’on peut employer pour les rendre
amis : car l’Art surpasse la Nature en bien des occasions,
sans cependant sortir de ses principes. Il faut sublimer
ce double mercure pour lui couper les ailes, & l’on en fe-
ra tout ce qu’on voudra ; il se prêtera à toutes les volon-
tés, de l’Artiste, qui, s’il a assez d’intelligence, saura bien
en tirer un bon parti, en l’amalgamant avec du mercure
vulgaire, qui affaiblira le trop grand feu du double mer-
cure, & l’empêchera d’agir si promptement, [142] afin
qu’on pût lui faire subir toutes les opérations nécessaires
pour en faire une matière pure & parfaite.
Pour lors, on pourra l’appeler triple, parce qu’il est com-
posé de trois substances différentes, qui néanmoins sor-
tent toutes du même principe. Voilà le bain du roi ou de
l’or ; mais ce métal doit être bien pur pour y entrer.
Si vous voulez purifier l’or au suprême degré, faites-le
fondre, comme dit Basile Valentin, avec le loup vorace
qui dévore tous les métaux à l’exception de l’or. Si vous
répétez cette opération jusqu’à dix fois, vous serez assu-
ré que si l’or contenait quelques matières hétérogènes,
elles auront été dévorées par le loup dans ces différentes
fusions.
Faites ensuite passer cet or par toutes les opérations
philosophiques ; animez-le ; faites paraître les aigles par

97
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

le moyen du plomb, du borax & de l’arsenic coagulés qui


se trouvent dans la matière.
Si, lorsque cette matière est en fusion, vous y ajoutez du
mercure vulgaire, il devient aussitôt arsenical & résolu-
tif. Si ensuite vous séparez ce [143] mercure par la distil-
lation, il aura toujours une qualité & une nature bien
différente du mercure vulgaire de la claire duquel il est
sorti.
Vous pouvez amalgamer ce mercure avec de l’or & de
l’argent préparés, & les faire cuire dans l’œuf philoso-
phique, pour en faire une teinture qui a des vertus in-
comparables.
Les Philosophes connaissent un moyen de mercurifier
cette matière, sans adjonction de mercure vulgaire, en
séparant la terre arsenicale qui opère les mêmes effets
que l’arsenic commun.
Cette même terre a la propriété de réduire les cornes
d’argent en mercure coulant, & ils convertissent ensuite
ce mercure en or parfait.
Mais venons actuellement aux scories de cette matière ;
quand elles sont dépouillées de mercure & d’arsenic, on
peut les considérer comme une terre martiale & un sou-
fre incombustible.
La partie martiale dans cette opération, cède son soufre
arsenical & mercuriel à la partie antimoniale, & celle-ci
cède, en même temps, son soufre phlogistique à la partie
martiale, & les deux extrémités métalliques se [144]
rencontrent dans cette opération, dont le résultat est
que les scories sont aussi précieuses que la partie qui se
convertit en mercure fluide.
Si l’on fait dissoudre ces scories dans l’eau régale, il se
précipitera un soufre fixe & incombustible, entièrement
semblable à celui qu’on sépare de l’antimoine avant sa
réaction.

98
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Si l’on fait dissoudre la partie mercurifiée avec les sco-


ries, il en résulte un soufre à la vérité, mais d’une nature
bien différente de celui qui provient des scories.
Il paraît que la partie mercurielle donne son soufre in-
combustible à la partie martiale, à cause de sa qualité
styptique & astringente, qui attire naturellement le sou-
fre commun & s’en imprègne bien facilement.
L’expérience, d’ailleurs, prouve assez cette sympathie ;
car le fer se fond promptement quand on le met sur le
feu avec du soufre commun, si, ensuite, l’on fait fondre
cette matière avec du tartre, il en résultera une poudre
qui s’enflammera aussitôt qu’elle sera exposée à l’air. La
cause en est bien évidente : ce n’est autre chose que le
feu martial qui est soufflé & [145] animé par le mercure
vulgaire qui est contenu dans cette substance.
Cette petite digression ne sert qu’à donner une idée de la
force extraordinaire de l’antimoine des Philosophes, qui
certainement n’est pas l’antimoine vulgaire, qui n’entre
point dans la composition du magistère.
L’antimoine des Philosophes étant dissout, donne un
mercure coulant de couleur d’or, qui dissout radicale-
ment ce roi des métaux, ce que le mercure d’antimoine
vulgaire ne fera jamais.
Les scories de l’antimoine dont nous parlons, étant expo-
sées à l’air, produisent un safran éblouissant, quoi-
qu’elles soient entièrement dépouillées de mercure &
d’arsenic ; c’est pourquoi l’on ne saurait, en aucune ma-
nière, l’employer à la réduction des métaux, quand
même on y rejoindrait du mercure qui en a été extrait,
parce qu’elles ne sont pas susceptibles d’une seconde ré-
action, ni capables de recevoir la partie mercurielle
qu’on pourrait leur présenter.
La partie mercurielle, après la séparation, contient le
véritable arsenic des Philosophes, & les scories [146]
contiennent simplement une terre martiale qui est en-
tièrement dépouillée de mercure. Ces deux matières, la

99
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

partie & les scories contiennent également une subs-


tance qui est absolument nécessaire à la composition du
magistère.
Si nous séparons bien, le soufre phlogistique qui se
trouve dans ces scories, nous aurons le véritable soufre
phlogistique martial de l’antimoine des Philosophes, ou
l’or philosophique.
Ce mercure & cet or étant bien conjoints ensemble, sont
la matière ou la véritable teinture qui teint tous les mé-
taux imparfaits, & expulse du corps humain toutes les
maladies dont il peut être attaqué.
Voilà une des voies pour arriver au centre de la Philoso-
phie hermétique dans très peu de temps. Il existe une
autre voie, un autre sujet qu’on prépare d’une manière
différente ; mais il faut employer beaucoup plus de
temps.
On peut retirer le soufre d’or martial de plusieurs sujets,
comme des terres solaires & de plusieurs autres de cette
espèce.
Le fer lui-même contient aussi une [147] assez grande
quantité de ce soufre précieux ; mais pour pouvoir l’en
retirer, il faut commencer par réduire ce métal en terre,
pour en séparer le mercure, & il faut que cette même
terre ne soit plus réductible en métal, & qu’il ne soit plus
possible de la sublimer en l’exposant au feu de réver-
bère.
Le mercure d’antimoine martial des Philosophes doit
être animé avec du mercure vulgaire pour échauffer la
dissolution ; mais il faut les mêler selon les règles &
proportions que Flamel a détaillées dans ses ouvrages.
L’or & le soufre martial philosophique doivent aussi
fermenter ensemble selon les règles philosophiques. Le
magnétisme martial & mercuriel est bien visible ; si on
le prépare convenablement, il peut absorber & précipiter
le mercure vulgaire dans très peu de temps.

100
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Tout le succès de cette opération dépend de la prépara-


tion du safran & de la quintessence martiale-
amimoniale philosophiques : l’âme du mercure des Sages
est contenue dans ces deux substances. Il faut surtout
que la matière soit préparée de manière [148] qu’il ne
soit plus possible en aucune manière de la réduire en
corps métallique ; car si l’on pouvait la faire fondre & la
réduire en métal, au lieu de teindre l’argent en couleur
d’or, elle le teindrait en noir & lui donnerait une lèpre
dont il serait bien difficile de le guérir.
J’ai fait autrefois quelques opérations avec cette ma-
tière : j’ai acquis un safran qui, étant mis dans la cou-
pelle, avec de l’argent, ne produisait pas de l’or ; mais
j’en retirais une substance martiale infiniment plus pré-
cieuse que l’or.
Suathen dit que les premières scories de l’or martial
contiennent un arcane, & que les scories de la terre mar-
tiale sont de peu de conséquence, & qu’on n’en peut faire
qu’un mauvais fer en les travaillant par elles-mêmes ;
mais si on leur fait subir la réaction en les imbibant, il
est certain qu’on les ouvrira assez pour donner entrée à
l’or & à l’argent.
Ceux qui travaillent dans les minières hermaphrodites,
remarquent tous les jours un arsenic mercuriel vierge ;
ils peuvent le recueillir & le purifier. S’ils savaient y
joindre une [149] terre martiale sublimée, selon les pro-
portions que Flamel a indiquées, ils auraient bientôt une
médecine parfaite.
On peut voir, par ce que nous venons de dire, que toutes
les matières minérales qu’on tire des entrailles de la
terre, sont dans le commencement une terre calcaire, des
vapeurs arsenicales, ou un composé de trois corps.
La matière excède dans la pierre hématite, le talc, la tu-
tie, dont on ne prend que la vapeur métallique.
Si l’arsenic est coagulé, on en prend que le soufre arseni-
cal, & non la terre, parce que ces deux substances sont

101
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

disposées en corps qui tend à se convertir en plomb, en


antimoine, ou en vif argent.
Lorsque la terre métallique est bien mêlée, il en résulte
du fer, du cuivre, de l’or ou de l’argent. On connaît la na-
ture des métaux par la dissolution ; les uns, comme l’or,
doivent être dissous dans de l’eau régale, d’autres dans
l’eau-forte.
La cause de la dissolution des métaux dans les eaux cor-
rosives, ne provient pas de la distillation des sels qui
sont raréfiés ; mais la véritable cause [150] consiste dans
quelques particules de terre analogues aux métaux, &
les particules se trouvent dans le sel de nitre & dans le
sel commun.
Voilà la seule raison pour laquelle les métaux subissent
une réaction avec l’esprit de nitre & de sel commun,
parce que ces deux sels contiennent un mixte, un liquide
solutif, cristallin, salin & analogue aux métaux.
Le nitre contient, outre cette terre homogène, des parti-
cules de soufre ou terre grasse & sulfureuse. Le sel
commun contient des particules de terre arsenicales ou
sulfureuses qui se manifestent sous la forme d’un préci-
pité rouge ; mais ce signe paraîtrait bien plus visible-
ment, si l’on faisait distiller de l’esprit de nitre avec du
mercure, pour lors on remarquerait des particules de
soufre aussi rouges que le plus beau cinabre.
Quand on fait distiller de l’esprit de nitre avec des raclu-
res de plomb, il en résulte un verre très rouge & fusible
à une faible chaleur, comme la cire. La cause de cette vi-
trification est dans le soufre du nitre qui opère puis-
samment & promptement sur le plomb.
Une dissolution d’argent mêlée avec [151] l’esprit de sel
commun, produit les cornes d’argent, qui ne sont autre
chose qu’un arsenic antimonial ; elles sont fusibles,
comme la cire. Le soufre arsenical produit cet effet.

102
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Voilà pourquoi l’esprit de nitre dissout tous les métaux


qui, dans la cémentation ou liquéfaction, découvrent tou-
jours leur soufre, qui est divisé par l’esprit de sel qui at-
tire le mercure & le soufre qui se réduisent en cinabre
pendant la cuisson ou fermentation.
Le mercure sublimé se dissout dans l’eau-forte & dans
l’eau régale, ainsi que l’antimoine, le fer. Le soufre de
ces métaux, de même que le sel, sont altérés dans la fu-
sion ou la cémentation, lorsqu’on y joint de l’esprit de ni-
tre ou de sel commun.
On emploie ces esprits dans la voie humide & liquide,
comme on emploie le soufre & le sel commun dans la
voie sèche ; ces liqueurs, d’ailleurs, ne sont autre chose
qu’un sel liquide & aqueux.
Les métaux désirent naturellement le soufre & le sel
comme leurs principes fondamentaux. Le soufre blanc &
rouge, arsenical & mercuriel, ont [152] toujours une
grande sympathie avec les métaux.
Les pierres sont formées par le limon de la terre dès le
commencement du monde ; c’est pourquoi l’on peut dire
avec vérité, qu’elles ne sont autre chose qu’une terre
grasse, pierreuse, sablonneuse & nitreuse, coagulées &
cuites par une chaleur centrale.
Les métaux s’engendrent dans certains temps & dans
des lieux où il n’y en avait jamais eu auparavant.
Les minéraux peuvent être régénérés, parce qu’ils sont
composés de vapeurs métalliques, comme le plomb, le
vif-argent, l’antimoine, le soufre & l’arsenic.
Si, par le moyen de l’art nous savions imiter la Nature,
nous pourrions faire des métaux avec les principes de la
terre antimoniale, de la même manière que la Nature en
fait sous nos yeux.
On peut même avec l’art surpasser la Nature, quand on
sait bien employer ces principes, en atténuant & en puri-
fiant bien la matière, & en observant bien les propor-

103
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

tions, en faisant des mélanges par principes, en cuisant,


en digérant avec un feu naturel. [153]
La Nature produit continuellement un soufre blanc &
rouge, gras & arsenical dans les entrailles de la terre ; ce
soufre est un sel de nitre dans le commencement, & dans
la suite, il devient sel commun.
L’air est le siège du sel de nitre, & la mer celui du sel
commun : ces deux sels sont engendrés par le soleil ; ils
sont le principe éloigné de tous les corps métalliques.
Beccher dit que le monde est enchaîné avec du sel de ni-
tre, du sel commun, & des atomes qui se développent par
le moyen des éléments combinés.
La mer est le symbole de la terre ; elle est remplie
d’élixir qui est contenu dans son sel.
Le sel de nitre contient une terre simple & sulfureuse ;
le sel commun contient un mercure qui engendre
l’argent. Cette même terre a la vertu de teindre l’argent
en or le plus pur.
Il existe une vertu magnétique entre le sel de nitre & le
sel commun, plus forte que celle de l’aimant avec le fer.
Le mercure est aussi l’aimant de l’or, qui est attiré avec
une force étonnante par ce métal volatil.
Tous les métaux font l’alphabet de [154] la Philosophie
hermétique. Les minéraux peuvent également conduire
un disciple d’Hermès à de très grandes découvertes, on
peut les considérer comme autant de coupes pleines
d’élixir incombustible.
Le soleil préside à toutes les générations ; sans lui, il ne
s’en ferait aucune ; c’est lui qui fait développer tous les
germes qui sont contenus dans les éléments.
La Nature a un si grand soin de toutes les créatures,
qu’elle leur a donné tout ce qui est nécessaire à leur
conservation.

104
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Un homme bien portant peut tirer de son urine un ali-


ment pour se soutenir chaque jour, pourvu qu’il ait la
manière de la travailler & l’appliquer convenablement.
Il existe bien peu de remèdes qui puissent procurer une
grande réputation à un Médecin ordinaire. Nous pou-
vons vivre avec bien peu de chose ; si donc nous avons de
quoi vivre, nous couvrir, devons-nous être dans
l’inquiétude ?
Les réflexions suivantes sont un sapement, ou pour
mieux dire, une explication de ce que nous avons dit
[155] précédemment : celui qui a l’esprit & le corps sain,
y trouvera le moyen de conserver sa santé & de prolon-
ger sa vie ; on doit regarder ces deux objets comme un
trésor incomparable.
La vie & la santé sont contenues dans l’esprit universel.
L’unique fomentation est contenue dans la mer univer-
selle ; par la seule raison qu’elle est salée, elle renferme
des trésors, elle contient les principes & les germes de
l’or & de l’argent dans une quantité inépuisable.
L’air libre contribue beaucoup à mercurifier les miné-
raux & demi-minéraux.
Corneille Agrippa a nommé un sujet dans ses écrits ;
c’est une matière vulgaire qui a la vertu d’attirer cet es-
prit si salutaire. On en attire abondamment dans un
moment.
Cet esprit universel est si puissant, qu’il guérit presque
tous les maux par sa seule vapeur & odeur ; il est caché
sous une forme aérienne, aqueuse, terreuse & saline. On
l’attire de I’air avec un aimant ; il est aussi contenu dans
la rosée & l’eau de pluie.
Borelli a trouvé le moyen de dissoudre l’or avec la rosée
du mois de Mai, [156] préparée, & avec l’eau de pluie pu-
tréfiée & distillée. Lorsque l’eau de pluie, & de tonnerre
surtout, est concentrée, elle donne un esprit qui répand
une odeur suave. Ce même esprit est un véritable feu ; il

105
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

est aussi ardent que l’esprit de vin ; mais il a des pro-


priétés bien différentes. L’esprit de rosée & d’eau de
pluie ont la propriété de dissoudre l’or sans ébullition ;
ils guérissent aussi d’une manière merveilleuse une
grande quantité de maladies.
La classe minérale contient aussi des décomposés, qui
changent de nature quand on leur fait subir certaine
opération.
Le plomb, par lui-même, n’a aucune saveur ; l’esprit de
vinaigre est un acide pénétrant.
Tous les mélanges peuvent faire un composé ou un dé-
composé qu’on peut faire devenir plus doux que le sucre.
L’esprit de sel de nitre, avec l’argent, devient un sel
moyen. L’argent dans cette opération, donne ce qu’on
appelle vulgairement les cornes d’argent, dont la vertu
ne nous est pas encore parfaitement connue.
L’antimoine crud n’opère pas sensiblement [157] par lui-
même ; mais quand on le mêle avec des sels, il devient
un puissant vomitif, purgatif & diaphorétique.
Le vif argent crud n’opère presque jamais le moindre ef-
fet quand on le prend ; mais si on le mêle avec des sels,
tantôt il devient corrosif, tantôt doux, d’autres fois dia-
phorétique.
L’or crud n’opère pas d’effets sensibles dans le corps
humain ; mais si l’on en fait la décomposition par le
moyen d’un certain esprit qui divise les trois principes
dont il est composé, il devient ce qu’on appelle or pota-
ble, qui a des vertus admirables ; il a une force astrin-
gente & fortifiante, c’est un alexipharmacopée & un ex-
cellent cordial.
Il en est de même des autres métaux cruds ou mêlés
avec un menstrue convenable. Ils ont la vertu de dissou-
dre & coaguler philosophiquement : ils peuvent fournir
un dissolvant qui n’est point un corrosif. On en retire
une essence douce & d’une odeur suave.

106
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Nous devons examiner soigneusement la Nature, & tâ-


cher de voir d’où sortent les trois principes de l’or ; c’est
là où nous devons puiser l’esprit universel [158] qui fait
végéter toutes les plantes & croître tous les métaux.
En triturant l’or par lui-même, on peut le réduire en
huile ; plusieurs autres sujets sont également réducti-
bles en huile par eux-mêmes ; cela arrive & doit arriver
nécessairement, parce que l’esprit universel s’incorpore
avec toutes les choses qui sont de sa nature.
La terre limoneuse, grasse, & le lut bleu, contiennent un
esprit qui a des propriétés merveilleuses, dont Beccher a
parlé dans sa Physique souterraine.
Les pierres à feu, les cailloux les plus durs, contiennent
une grande quantité d’esprit universel, qui a la vertu de
guérir une grande quantité de maladies dangereuses ;
en un mot, il peut tenir lieu d’or potable.
Cet esprit est aussi contenu dans une infinité de métaux
& minéraux ; c’est pourquoi l’on dit que c’est une bonté
infinie qui se trouve partout, même dans les lieux com-
muns où il est mêlé avec les excréments, dont on peut,
comme on fait en Angleterre & ailleurs, retirer une
bonne médecine végétative & restaurative ; mais l’esprit
qu’il faut employer pour faire la médecine universelle est
bien plus libéral que celui [159] qu’on retire des lieux
communs, quoiqu’il contienne des perles précieuses. Les
pauvres comme les riches peuvent l’acquérir ; mais il
faut un aimant de sel pour l’attirer. Ceux qui auront le
bonheur de connaître ce sel, pourront facilement faire la
médecine universelle.
Quand on met ce sel dans une cornue pour le faire distil-
ler, on en retire un esprit qui est plus rouge que le cina-
bre ; il a le goût de l’esprit de vin ; il en a l’odeur ; il est
moins piquant sur la langue, & contient des propriétés
admirables : c’est un véritable élixir cordial, qui rétablit
les poumons, attire la teinture de l’or, qui reste ensuite
aussi blanc que l’argent.

107
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Ce sel contient des parties terrestres & aqueuses dont il


faut le dépouiller ; & on n’en retirera jamais le moindre
avantage, si l’on n’en fait une parfaite analyse. Il faut
ensuite le fixer pour en extraire le soufre qu’il contient :
on fait paraître ce soufre sous la forme d’une huile très
douce, qui renferme le germe de l’or.
Si l’on joint ce sel avec de l’eau, le composé est un acide
philosophique, c’est une terre sulfureuse élevée, comme
l’eau forte & l’esprit de nitre nous [160] le prouvent ; car
nous voyons que le sel de nitre congelé dans sa forme so-
lide, n’est pas un corrosif en lui-même ; l’esprit qu’on en
retire est un acide très puissant pour séparer les mé-
taux ; mais il ne les pénétrera jamais jusqu’au centre,
c’est-à-dire que leur soufre ne peut être dissout avec ce
menstrue.
On préfère d’employer le sel commun à tout autre sel,
pour assaisonner les aliments, parce qu’il contient moins
de soufre.
Le sel de nitre, au contraire, contient une si grande
abondance de soufre, qu’il détonne ; lorsqu’il est divisé
on en retire un horrible corrosif, qui divise non seule-
ment Ies métaux, comme nous venons de le dire, mais
aussi les pierres les plus dures, parce que toute la subs-
tance de ce sel est élevée dans la distillation.
L’esprit de nitre réduit en eau par une raréfaction, peut
être réduit en une masse solide par une manipulation
bien simple.
Il en est de même du sel commun & de son esprit ; c’est
pourquoi il est bien difficile de parvenir au centre & au
niveau de ces deux sujets généraux.
Faites paraître le vert-de-gris, qui [161] est le mâle, sur
son sujet féminin ; cette verdure est admirable, c’est un
soufre qui est produit par un sujet combiné ; c’est le ca-
ractère des deux sujets généraux réunis ensemble, qui se
manifeste sous la verdure.

108
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Ces figures, ces couleurs qui paraissent sur des sujets


étrangers, sont, pour un commençant, une lumière qui
peut le conduire au temple de la Philosophie herméti-
que, dont la porte est ouverte à quiconque sait tirer la
quintessence de l’azoth, dont il faut séparer les parties
terrestres, grossières & hétérogènes, en distillant, en
cohobant, & en rectifiant.
Les deux sels ou sujets généraux dont nous parlons,
contiennent une matière qui a la vertu de séparer, digé-
rer & mûrir l’argent, & le teindre en or dans toute
l’étendue de son corps, par la seule raison que ces deux
sujets contiennent un véritable argent pur & fixe.
Si nous avions de l’or exalté, nous pourrions y ajouter de
l’argent fixé au point de pouvoir résister à l’eau forte. Si
nous pouvions nous procurer ces deux sujets, nous au-
rions de quoi faire ce qu’on appelle un bon particulier,
qui sans être comparable au grand [162] œuvre, ne lais-
serait pas d’être une source de richesses.
Geber parle de ce secret dans son Livre du Fourneau,
chap. 18, & pour réussir dans cette opération, le même
Philosophe dit sous le voile de l’énigme, qu’il faut ex-
traire la teinture jaune de l’or, & la projeter sur de
l’argent en fusion. Cet argent sera aussitôt teint en or
pâle, qu’on peut rendre jaune facilement par le moyen de
l’esprit de nitre, ou en le faisant fondre avec l’antimoine,
ou avec du cuivre rosette, dont l’or attirerait la teinture.
La composition du menstrue avec lequel un Anglais ti-
rait la teinture de l’or pour l’option précédente, se trouve
sans le Livre de Boyle.
Paracelse a aussi donné un secret particulier, très véri-
table, dans son livre des Vexations, dans le second Sup-
plément. Ce secret consiste dans un mélange de métaux
avec du vif-argent. On fait un amalgame qu’on triture
fortement, & on le fait digérer.
On fait aussi une opération avantageuse, en cohobant du
vif-argent sur du cuivre. La trituration convertit le mer-

109
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

cure en poudre, qu’on réduit en corps de plomb, selon les


degrés de [163] mixtion qu’on doit observer ; & c’est sur
ces règles qu’on trouve dans les ouvrages de ces deux
Philosophes, qu’un commençant doit réfléchir, s’il a en-
vie de faire du progrès.
Tous les sels volatils sont réellement urineux, & de
même nature comme tous les sels fixes sont alcalins ; ils
ne différent guère entre eux que par leur qualité spécifi-
que. Ils sont tous huileux, & ne différent que par
l’odeur ; c’est pourquoi ils sont presque tous de même
nature.
Il en est de même des esprits ardents dont le flegme & le
caput mortuum ont presque tous la même qualité.
Boyle & Pancard disent que pour opérer la transmuta-
tion des métaux, il faut extraire des corpuscules métalli-
ques, & les préparer à cet effet.
Beccher assure que le fondement des métaux consiste
dans une terre triple, dont le mélange produit un métal ;
mais pour extraire la quintessence de cette matière, il
faut la décomposer.
Ces trois terres métalliques se trouvent par toute la
terre, dans les abymes les plus profonds, dans le fond de
la [164] mer, aussi bien que dans les entrailles de la
terre.
Quand on a eu le bonheur de connaître cette matière,
qui est l’azoth des Philosophes, il faut la calciner, la
mercurifier, & réduire ce mercure en première matière ;
& l’on aura le véritable dissolvant de l’or, qui se fond
dans cette liqueur, sans ébullition, comme du beurre ou
de la glace dans l’eau chaude, parce que l’un & l’autre
sont homogènes, & sortent du même principe.
Quand nous cherchons l’azoth des Philosophes, nous ne
devons avoir d’autre motif que celui de glorifier Dieu, de
pourvoir à notre conservation, & de soulager les pau-
vres, qui sont les Membres de Jésus-Christ. Il faut éloi-

110
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

gner de nous tout ce qui peut être contraire à la Reli-


gion, nous soumettre entièrement à la morale de
l’Évangile, & surtout, bannir de notre esprit toute affec-
tion pour les richesses, qu’il ne nous est pas permis de
désirer pour aucun autre motif, que pour celui de soula-
ger les pauvres, les veuves & les orphelins, surtout, si
nous avons le nécessaire à la vie. [165]
La connaissance de ce trésor ne peut venir que de Dieu,
qui l’accorde à celui qui a toutes les dispositions néces-
saires pour en user avec prudence ; car Dieu ne permet-
tra jamais qu’un impie, un voluptueux & un homme
sans foi, soit possesseur d’une chose aussi précieuse,
pour l’employer à nourrir son orgueil en vexant & écra-
sant les gens de bien qui sont dans la peine, & dont le
fort malheureux ne le toucherait en aucune manière.
Nous ne devons pas ignorer que nous ne trouverons pas
le dissolvant de l’or dans la première chose qui peut
nous tomber sous la main, quoiqu’il se trouve partout ;
car il faut choisir un sujet analogue avec l’or & l’argent,
& qui soit d’une nature métallique.
Il faut considérer que toutes les choses sublunaires
contiennent une eau visqueuse & minérale, d’un goût un
peu piquant sur la langue. Voilà à peu près la définition
du dissolvant de l’or, ou le menstrue universel. La ma-
tière qu’on doit employer, ne peut être que l’esprit uni-
versel, qui produit tout & qui conserve tout ; mais cet
esprit universel est invisible, c’est pourquoi il [165] n’est
pas possible de l’acquérir sous sa forme spirituelle.
Il faut donc prendre la masse solide dans laquelle il ré-
side ; cette masse solide est un corps métallique, où
l’esprit universel est adhérant ; prenons ce corps métal-
lique, calcinons-le pour en extraire l’esprit universel, &
nous serons bientôt possesseurs de la médecine univer-
selle.
Nous avons déjà dit plus haut, que la terre est la pre-
mière matière de tous les êtres. La terre est la base de

111
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

tous les métaux, des minéraux, des pierres, du sable &


des cailloux ; mais tous ces corps ont été formés d’une
terre plus ou moins faite ; l’azoth philosophique doit
avoir été formé d’une terre très pure, nous pourrons re-
connaître cette vérité en le décomposant ; car tout corps
après sa dissolution ou décomposition, retourne en sa
première matière ; l’homme lui-même, qui est l’image de
Dieu, l’homme, dis-je, a été formé de terre très certai-
nement, puisque nous voyons tous les jours dans les ci-
metières, que les hommes retournent en terre, & rede-
viennent réellement terre après leur mort, c’est-à-dire,
[167] que l’homme, après la mort, reprend sa première
forme.
La terre est donc évidemment la matière universelle
dont tous les êtres sont formés ; c’est elle qui les
conserve ; c’est dans les cavernes de la terre qu’il faut
chercher l’esprit universel, ou du moins, l’aimant natu-
rel pour l’attirer & le réunir.
Voilà, à peu près, tout ce qu’on peut dire de plus positif
sur ce sujet ; nous n’avons omis aucune circonstance es-
sentielle. Nous déclarerons ci-après la manière de procé-
der ; mais nous prévenons nos Lecteurs qu’il ne nous est
pas permis de parler d’une manière plus intelligible, &
que nous emploierons les allégories philosophiques pour
déclarer certaines opérations.
Après avoir reconnu la matière de la pierre par sa dé-
composition, comme nous venons de le dire, il faut la pi-
ler dans un mortier pour en faciliter la calcination. On
peut, sans crainte le calciner au fourneau de réverbère,
& même dans un four de verrier, parce que la matière de
la pierre est comme la salamandre qui ne craint point le
feu ; c’est l’expression de tous les Philosophes. Tirez en-
suite le sel fixe de la [168] chaux en lessivant, faites en-
suite bouillir la lessive jusqu’à réduction de moitié ;
remplissez le vase avec une pareille lessive, & faites-la
encore bouillir jusqu’à réduction de moitié. Il faut répé-
ter cette opération jusqu’à huit fois.

112
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Après cela, vous aurez un sel parfait, c’est ce que les Phi-
losophes appellent eau qui ne mouille pas les mains ;
sans cette eau, rien ne pourrait croître dans le monde.
Voilà un des plus grands secrets des Philosophes ; voilà
l’esprit universel corporifié, & dont on peut se servir
pour guérir les maladies les plus dangereuses. Voilà
l’opération philosophique qu’on dit être l’ouvrage des
femmes, parce que c’est une lessive, parce que ce sont les
femmes qui font la lessive.
Ce sel, ainsi préparé, est le véritable sel de la terre, qui,
aux yeux, ne paraît qu’une seule & même chose ; mais il
en contient cependant trois différentes avec les quatre
éléments.
1. Il contient d’abord un esprit volatil & fixe en même
temps, quoiqu’il ne soit que d’une nature moyenne.
2°. Il contient un sel ammoniac ou sel volatil.
3°. Il renferme une substance saline, fixe, [169] alcaline.
Voilà ce qui est contenu dans la substance du sel philo-
sophique, qui est le Symbole de la très Sainte Trinité.
PRÉPARATION DE L’ESPRIT DE SEL PHILOSOPHI-
QUE.
Prenez trois livres de sel philosophique, broyez-le avec
une livre de la terre calcinée dont il a été tiré ; arrosez-
les avec de l’eau de pluie d’été ; broyez le tout jusqu’à
consistance de pâte, dont vous formerez des boules de la
grosseur d’une petite noix : faites-les sécher à l’ombre,
mettez-les dans une cornue de terre, & faites distiller
l’esprit de sel philosophique selon l’art.
La partie volatile du sel se sublimera & s’attachera au
col de la cornue. Quand votre vase sera refroidi, vous dé-
tacherez le sublimé avec une plume, & vous le mettrez
dans l’esprit, où il se dissoudra & s’incorporera promp-
tement ; parce que l’esprit & le sel volatil sont de la
même nature.

113
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Vous continuerez cette opération avec les autres parties


de sel philosophique, en les incorporant, comme ci-
dessus, [170] avec un tiers de terre calcinée, & de l’eau
de pluie, pour en faire des boules, dont vous tirerez
l’esprit & le tel volatil, jusqu’à ce que vous en ayez en
quantité suffisante.
Vous mettrez ensuite tous les esprits & les sels subli-
més, dans un matras de verre, avec un chapiteau à bec
& un récipient bien luté ; placez le vase au bain-marie,
ou sur les cendres chaudes, pour séparer les flegmes &
bien rectifier votre liqueur.
Il faut observer que ces esprits sont violents ; c’est pour-
quoi on ne doit jamais laisser moins de vide que la moi-
tié du vase, autrement il se briserait avec une explosion
épouvantable.
PRÉPARATION DU SEL FIXE PHILOSOPHIQUE.
Après avoir ainsi tiré l’esprit & le sel volatil du sel philo-
sophique, vous trouverez une tête morte au fond de votre
cornue, dans laquelle tout le sel fixe philosophique est
contenu avec des parties terreuses, dont il faut le déli-
vrer en lessivant avec de l’eau de pluie distillée. Il faut
ensuite filtrer la dissolution, la faire évaporer, & le sel
fixe [171] restera au fond du vase évaporatoire. Ce sel
sera aussi blanc que la neige, & se fondra, comme de la
cire, à une chaleur douce.
Après cette opération, d’une seule chose, qui est l’azote
des Philosophes, vous en aurez fait trois, qui sont le
corps, l’âme & l’esprit tirés du même sujet. Conservez-
les séparément pour les réunir quand il faudra, avec une
partie de sel fixe, réduit en poudre impalpable. Vous
renfermerez le tout dans un pélican bien luté, & vous fe-
rez digérer la matière sur les cendres tièdes pendant
quarante jours.
Pendant la digestion, vous verrez que les trois principes
se réuniront & se convertiront en mercure philosophi-
que, par le moyen duquel vous pourrez réduire l’or calci-

114
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

né, en sa première matière, vous n’aurez plus d’autres


opérations à faire que celle de conduire cette matière au
degré de teinture parfaite par le moyen d’un feu gradué,
selon les circonstances & les différentes couleurs que
vous verrez paraître.
Voilà ce qu’on appelle menstrue ou dissolvant universel,
qui dissout généralement tous les métaux, les minéraux,
[172] les pierres, les gommes, & qui s’unit & s’incorpore
avec toutes ces matières, dont aucune ne s’y conjoint
plus facilement que l’or, qui, dans ce bain salutaire, ra-
jeunit comme l’aigle dans sa vieillesse pour engendrer
un enfant infiniment plus brillant & plus parfait que son
père & sa mère.
L’or se lave d’une manière miraculeuse dans ce bain, s’y
rafraîchit & y reprend sa forme primitive. Il y reprend
un nouveau corps beaucoup plus parfait que celui qu’il
avait auparavant.
Voilà une idée des propriétés admirables du mercure des
Philosophes, qui n’a pas besoin du secours d’aucune au-
tre matière étrangère ; celle que nous venons d’indiquer
suffit pour lui donner cette force ; c’est pourquoi nous
devons conclure, que tous les procédés qui enseignent
des mélanges de différentes drogues sont faux.
Notre mercure ne germe ni ne fructifie que dans le cas
où il est joint à une substance analogue à sa nature : l’or
& sa semence doivent être déposés dans leur matrice
convenable, comme il arrive à l’égard des végétaux &
animaux ; car si le grain de froment n’est pas mis en
terre, c’est-à-dire dans [173] sa matrice, il ne germera
jamais, parce que la terre est la seule matrice des végé-
taux.
Par la même raison, l’or doit être déposé dans une ma-
trice métallique du même genre ; autrement il ne germe-
ra ni ne fructifiera jamais.
Il y a beaucoup de personnes qui prétendent qu’on peut
faire la pierre avec le vif-argent vulgaire, sans adjonc-

115
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

tion d’aucune autre matière ; ces mêmes personnes fon-


dent leurs prétentions sur ce qu’a dit Geber, qu’on peut
faire toutes choses avec le vif-argent seul ; cependant
tous les Philosophes ont assez fait comprendre qu’il faut
réduire le vif-argent en sa première matière, & lui faire
perdre la forme qu’il a en sortant de la minière, parce
qu’en cet état, il ne peut servir à rien ; mais quand on l’a
réduit en sa première matière, il suffit de le remettre
dans sa matrice naturelle, pour le faire parvenir au de-
gré auquel la Nature l’a destiné lorsqu’elle la produit.
Il est constant qu’on peut faire de l’or & même la pierre
avec le vif-argent, parce qu’il est la source & le sperme
de tous les métaux ; mais il faut le réduire en sa pre-
mière matière, [174] lui faire faire le tour de la roue phi-
losophique, & lui faire subir la préparation & la diges-
tion nécessaires à cet effet.
La pierre du troisième ordre dissout les corps métalli-
ques, les réduit en leur première matière pour les unir
d’une manière inséparable ; c’est ce qu’on appelle tein-
ture permanente. La connaissance de cette science vient
de Dieu, qui la donne à celui qui a les dispositions néces-
saires pour en faire un saint usage, comme nous l’avons
déjà dit.
Le mercure des Sages & la médecine universelle, ne sont
qu’une seule & même chose que Dieu a créée pour la
conservation de la santé du genre humain, pour le guérir
de toutes ses maladies, & pour lui donner, en même
temps, les moyens de se procurer tout ce qui peut lui
être nécessaire dans le monde ; mais il faut que vous ti-
riez vous-même ce mercure du sujet où il est caché ; vous
pourrez le faire paraître par le moyen de l’art, sans le-
quel vous ne ferez jamais un composé parfait.
Toutes les matières qu’on peut résoudre en eau sont de
la nature des sels ; car tout sel est une eau coagulée
[175] qu’on peut résoudre en eau de la même manière
que la glace dans l’eau chaude.

116
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Toutes les matières arides qui ont la propriété de dessé-


cher, sont de l’espèce du soufre ; & toutes celles qui sont
graves & luisantes sont comprises dans la classe du
mercure vulgaire, qu’il faut réduire en sa première ma-
tière, pour le rendre mercure philosophique. Cette ré-
duction est le point essentiel où des milliers de Chimis-
tes ont échoué ; mais quand on a le bonheur de réussir, il
est absolument nécessaire d’y joindre un ferment d’or
vulgaire ; mais purgé avec l’antimoine, & calciné d’une
manière convenable. Sans le secours de ce ferment, il est
impossible de faire une teinture métallique.
On emploie de l’or pur pour faire une teinture rouge ; &
pour faire une teinture blanche, il faut prendre de
l’argent de coupelle.
Il est très essentiel d’observer que l’or & l’argent vulgai-
res qu’on emploie pour faire les deux ferments, doivent
être entièrement dissous dans le menstrue ou mercure
vulgaire réduit en première matière. Si l’or n’est pas en-
tièrement dissout, il ne se réincrudera jamais, & par
conséquent sera [176] dans l’impossibilité de se multi-
plier pour teindre les métaux imparfaits.
Il faut donc nécessairement réduire l’or vulgaire dans
son état naturel, c’est-à-dire, en eau ; alors il ne sera
plus or vulgaire : mais un véritable or philosophique, tel
qu’il a été dans son origine dans les entrailles de la
terre ; car l’or converti en eau, par le moyen du mercure
philosophique, est une eau de la même espèce que celle
dont ce roi des métaux est formé dans la minière où elle
se congèle par la crudité de l’air.
Nous avons déjà dit que dans le temps que le mercure
vulgaire se forme dans les entrailles de la terre, il existe
en premier lieu sous la forme d’une eau limpide, & nous
ajouterons qu’il tombe en larmes quand la Nature le
produit dans les minières, où il se fixe, se cuit & se
convertit en métal par l’odeur du soufre plus ou moins
pur, qui produit tous les métaux parfaits & imparfaits,
selon le degré de pureté où se trouve ce soufre, lorsqu’il

117
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

répand sa vapeur sur le mercure, qui est sur le point de


se métalliser.
Mais quand le soufre de nature ne se trouve pas au de-
gré de perfection [177] nécessaire, & bien imprégné de
l’esprit universel, il ne saurait produire de l’or ni de
l’argent ; il ne fait que des métaux bâtards, des miné-
raux, des demi-minéraux & des pierres.
Les minières abondantes sont toujours redevables de
leur existence à une abondance de soufre, qui opère tou-
jours une génération métallique abondante. Lorsque la
circulation du soufre vient à être interrompue, l’eau mé-
tallique ne se fixe plus, ne se congèle plus, & reflue des
entrailles de la terre au-dehors. Aussitôt que cette même
eau sent la crudité de l’air, sa chaleur naturelle se
concentre intérieurement ; elle se coagule en forme de
plomb liquéfié, en retenant un mouvement continuel, &
c’est ce qu’on appelle mercure vulgaire.
Pour avoir le mercure philosophique, il faut dissoudre ce
mercure vulgaire ou cette eau métallique, sans rien di-
minuer de son poids ; car toute sa substance doit être
convertie en eau philosophique.
Les Philosophes connaissent un feu naturel qui pénètre
jusqu’au cœur du mercure, & qui l’éteint intérieure-
ment : ils connaissent aussi un dissolvant [178] qui le
convertit en eau argentine, qui est pure & naturelle ;
elle ne contient ni ne doit contenir aucun corrosif.
Aussitôt que le mercure est délivré de ses liens, & qu’il
est vaincu par la chaleur, il prend la forme de l’eau, &
cette même eau est la chose la plus précieuse qui soit
dans le monde. Il faut bien peu de temps pour faire
prendre cette forme au mercure vulgaire.
Cette eau ne mouille pas & ne s’attache pas aux mains
comme l’eau commune ; quand on la met avec des mé-
taux imparfaits, elle ne fait que séparer, d’une manière
merveilleuse, toutes les impuretés dont ils sont remplis ;

118
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

elle s’unit avec eux, se fige & se corporifie en substance


métallique.
Il y a deux moyens de faire cette réduction de mercure
vulgaire en eau ou mercure philosophique : les Philoso-
phes ayant achevé la précédente, ont observé que la Na-
ture a laissé, dans une substance aqueuse & métallique,
la véritable semence de l’or, & cela est très évident dans
la pratique de la pierre. On a été convaincu que tout le
règne métallique tend à l’espèce de l’or & de l’argent.
[179]
Il est indubitable que la semence de l’or & de l’argent se
trouve dans le règne métallique ; mais dans quel métal
ou minéral chercherons-nous cette semence ? Voilà le
point essentiel ; tout le succès dépend du choix : cela
paraît bien difficile à une personne qui s’attache aux ob-
jets extérieurs, & qui n’a pas le courage de pénétrer plus
avant ; mais celui qui veut se servir de sa raison, doit
bien voir que si l’on veut se procurer une semence pure
& parfaite de l’or & de l’argent, il faut la chercher dans
l’or & dans l’argent, & que pour l’extraire de ces corps,
où elle est comme dans une prison, il faut les ouvrir, les
diviser, & pénétrer jusqu’au réservoir où est renfermé
leur soufre incombustible
La raison pour laquelle il faut chercher la semence de
l’or & de l’argent dans le corps de ces deux métaux, est
bien évidente. C’est parce qu’ils sont parfaitement cuits,
& qu’aucun autre métal ne peut leur être comparé pour
la perfection.
Il est bien plus raisonnable de chercher le germe de l’or
dans l’or même que dans le plomb, comme font [180]
tant d’ignorants qui prétendent l’y trouver.
Nous ne pouvons nier que le plomb renferme un grand
arcane ; mais il ne faut pas prendre le plomb vulgaire
pour le plomb philosophique ; car le plomb des Philoso-
phes est un minéral qui contient deux substances qui
produisent tous les métaux. Ces deux substances sont

119
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

l’hermaphrodite qui produit le mercure des Philosophes


par une vertu magnétique.
L’azoth, ou saturnie des Philosophes, paraît vile, noire,
sale ; on la vend à vil prix, parce qu’on ne connaît pas les
trésors qu’elle renferme.
Elle est aussi venimeuse qu’une vipère, quand on ne lui
a pas encore fait subir les travaux préliminaires, qui
sont la calcination & la sublimation ; mais après que
cette saturnie a été purifiée par le feu, son venin se
change en baume salutaire. Le feu la dépouille de sa
peau de serpent, son odeur insupportable est changée en
une odeur suave qui réjouit lorsqu’elle vient frapper les
narines, parce qu’elle renferme le plus grand spécifique
dont la base est l’esprit universel, & l’humide radical de
tous les métaux. [181]
Nous devons adorer les décrets de la Providence qui a
voulu cacher une si belle rose dans une matière aussi
sale & aussi puante. Voilà pourquoi elle est négligée,
méprisée, & connue de si peu de personnes.
On peut dire que cette matière est un véritable or & un
véritable argent en même temps, parce qu’elle contient
la teinture de ces deux corps parfaits.
On l’appelle Jupiter à cause de son instabilité ; elle
contient deux sels différents, l’un volatil & l’autre fixe,
qu’il faut réunir par le moyen d’un lien indissoluble,
pour en faire le mercure philosophique, qui est le fils
unique de l’or.
Voilà la description de l’azoth, ou saturnie des Philoso-
phes, qui est une matière incombustible, dont on tire le
mercure des Philosophes, qui est coulant, pesant, &
semblable au mercure vulgaire, à la vue seulement.
Le mercure philosophique, quoique semblable au mer-
cure vulgaire, ne peut cependant lui être comparé en au-
cune manière par rapport aux effets merveilleux qu’il
peut produire après qu’on en a séparé toutes les parties

120
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

grossières, & qu’on l’a bien rectifié par la distillation,


après laquelle [182] il reste une tête morte au fond de
l’alambic. Cette résidence ne doit point être rejetée,
quoiqu’elle ne saurait entrer dans la composition du ma-
gistère ; car on peut la calciner pour en extraire l’or pur
qu’elle contient en assez grande quantité pour qu’on se
donne la peine de le ramasser.
Il paraît au premier abord, que cet or pourrait opérer
des effets merveilleux, si on le projetait sur les métaux
imparfaits en fusion ; mais on se tromperait, si l’on pré-
tendait faire autre chose que de donner une très légère
teinture au métal sur lequel on le projetterait. Ce ne se-
rait qu’un mélange d’or avec un autre métal pour le per-
fectionner, de la même manière qu’on allie de l’or avec
du cuivre ; il n’y aurait aucune transmutation, & elle ne
pourrait s’y opérer, parce que cet or n’a point d’entrée,
attendu qu’il n’a pas été mis à mort, pour être réduit en
putréfaction, & ressusciter ensuite avec un nouveau
corps infiniment plus parfait que celui qu’il avait aupa-
ravant.
Quand les Philosophes eurent trouvé cet or, ils découvri-
rent bientôt d’où provenait la véritable source du [183]
mercure. Ils semèrent ensuite l’or dans une terre conve-
nable pour le multiplier en vertu & en quantité ; c’est ce
que les Philosophes appellent rotation. Ils remettent
cette même poudre avec du nouveau mercure de la pre-
mière opération, & la matière passe par toutes les cou-
leurs dans l’espace de trois mois ; & plus on réitère cette
opération, plus on augmente la vertu & la quantité de la
médecine ; mais en la travaillant de cette manière, il
faut que l’art soit toujours d’accord avec la Nature à la-
quelle on donne des secours pour l’aider à conduire son
ouvrage au point de perfection dont il est susceptible.
Il existe une semence métallique dans le règne minéral,
par le moyen de laquelle il se fait une putréfaction &
une multiplication dans les minières.

121
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Cette semence fait la même chose dans le règne minéral,


que fait la semence des végétaux que le jardinier met en
terre. Tout dérive d’une semence ; il ne peut exister au-
cune multiplication sans semence. Les Philosophes sont
les seuls qui connaissent cette semence minérale, parce
qu’elle est cachée dans les entrailles de la terre. [184]
Il n’est pas impossible aux hommes ; avec l’aide de Dieu,
de découvrir le minéral qui contient cette semence ; mais
il est bien difficile de la tirer de ce sujet sans l’altérer ;
car si l’on emploie des corrosifs, les esprits seront brûlés,
& la semence ne pourra jamais se développer. D’ailleurs,
la pratique est longue ; les vases sont de verre & se bri-
sent à chaque instant ; voilà pourquoi il y a si peu de
personnes qui réussissent. Nicolas Flamel a travaillé
pendant vingt-trois ans avant de connaître la véritable
matière.
Plusieurs autres Philosophes l’ont cherchée pendant
plus de trente ans ; & après avoir eu le bonheur de la
connaître, il s’en est trouvé qui l’ont travaillée pendant
plus de quinze ans avant de trouver le vrai moyen d’en
extraire la semence métallique ; car il faut calciner cette
matière sans y rien ajouter d’étranger.
Il faut bien examiner les minéraux, parce qu’ils ne sont
pas tous convenables ; il n’y en a que deux dont on
puisse tirer la semence métallique qui y est contenue, &
il n’y a qu’un seul moyen de faire cette opération. Les
[185] clefs du magistère sont cachées dans un autre où il
est bien difficile de pénétrer ; car de mille sentiers qui
paraissent y conduire, il n’en est qu’un seul où l’on ne
soit pas exposé de s’égarer & se perdre.
Nous ne devons pas ignorer qu’avant que la semence
métallique fût renfermée dans un métal, la Nature
l’avait placé dans un sel, & c’est ce même sel qui est la
minière des Philosophes ; ce sel est un véritable minéral,
puisqu’il renferme la clef de tous les métaux qu’on peut
réduire en eau ou en leur matière primitive, ou autre-
ment, en mercure philosophique.

122
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Quand vous serez possesseur de ce double mercure, fai-


tes-le cuire, & gardez-vous bien d’y rien ajouter
d’étranger.
Ce mercure est une hermaphrodite, mâle & femelle ; il
est froid & humide, chaud & sec tout à la fois. Comme
mercure, il est femelle ; comme soufre, il est mâle : donc
la propriété est de dessécher. Comme mercure, il hu-
mecte & rafraîchit ; comme soufre, il fige & congèle.
Quand ce mercure est travaillé par une main adroite, il
devient aussi brillant [186] que l’argent de coupelle, si
son soufre est blanc ; & s’il est rouge, il devient aussi
éclatant que l’or le plus pur.
Il est évident, par ce que nous venons de dire, que la
composition de la pierre consiste dans la préparation
d’une matière métallique qu’il faut rendre subtile &
convertir en sa première matière.
Cette préparation consiste dans une calcination prépa-
ratoire, suivie d’une distillation & circulation des élé-
ments qui sont renfermés dans le sujet de la pierre.
Il y a deux préparations, l’une interne, & l’autre ex-
terne ; la préparation externe consiste dans l’extraction
du mercure qu’il faut tirer d’un minéral philosophique,
par le moyen d’un aimant philosophique, le dépouiller
ensuite de ses parties grossières, terrestres & hétérogè-
nes, afin que de tout le corps de la matière, il ne reste
que la quintessence qui est le vrai mercure philosophi-
que.
Il faut ensuite purifier les éléments qui ont contracté
mille souillures dans leur coagulation dans la minière,
c’est pourquoi il est absolument nécessaire [187] de les
purifier & d’en séparer les parties terrestres qui empê-
cheraient indubitablement la médecine de pénétrer lors-
qu’on en ferait la projection sur les corps imparfaits. En
séparant ainsi du mercure philosophique, à plusieurs
reprises, toutes les ordures qu’il a contractées dans la
minière, on le rend fort & vigoureux ; il acquiert une

123
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

nouvelle vertu minérale pour atteindre au point de per-


fection qu’il doit avoir.
Prenez la substance métallique que vous avez convertie
en eau mercurielle philosophique ; mettez-la dans un
vaisseau pour la faire circuler, & d’une seule chose que
vous aurez employée, vous en aurez trois. Après avoir
été en digestion pendant un mois philosophique, vous
pourrez recueillir ces trois dépouilles, que vous délivre-
rez de tous les acides contraires qui se trouvent dans la
matière, que vous couvrirez du manteau de vigueur, afin
qu’elle puisse résister aux rigueurs des saisons où elle
doit se trouver en suivant la voie qui conduit au temple
où se trouve l’élixir.
Vous déshabillerez & recouvrirez les éléments, en sépa-
rant les parties terrestres pour ouvrir la porte au vieil-
lard [188] porte-faux : c’est lui qui donne la vigueur né-
cessaire à la conjonction.
Ce dépouillement qu’on remplace avec la vigueur, n’est
autre chose qu’une répétition de distillation & de coho-
bations de l’esprit & de l’âme sur la tête morte.
Après avoir ainsi préparé les éléments, il faut de toute
nécessité y joindre une puissance minérale pour les alté-
rer & les faire tomber en putréfaction ; car sans putré-
faction, il n’y a aucune génération à espérer.
Cette puissance minérale est la seule chose qui puisse
faire sortir les teintures & les couleurs différentes, ainsi
que la tête du corbeau.
Aussitôt que vous verrez paraître la tête de cet animal,
qui n’est autre chose que la parfaite noirceur, vous serez
assuré d’une parfaite putréfaction, qui tend à une double
teinture pour le blanc & pour le rouge. Cela se fait par le
moyen de l’âme, qui n’est que feu dévorant, mais qui
n’altère point, car elle teint en blanc & en rouge ; le
blanc vient de l’air qui se trouve dans le feu, & le rouge
tire son origine de la substance du feu.

124
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

L’Artiste ne connaîtra ces deux teintures [189] qu’après


avoir vu paraître toutes les autres teintures intermé-
diaires, dont la première est un noir parfait qui se
convertit en un rouge éblouissant.
Il faut avoir soin de diriger le feu externe avec pru-
dence ; car si vous le faites trop violent, vous ne saurez à
quoi vous en tenir au bout de quarante jours.
Il faut couper la tête du corbeau avec le couteau philoso-
phique, aussitôt qu’on la voit paraître. Flamel dit qu’il
faut prendre le sabre calibé de Mars pour faire cette
opération.
La tête du corbeau étant coupée, il faut remettre la co-
lombe à la place de cette même tête, pour faire circuler
les éléments & convertir la terre en air par le moyen de
l’eau, qui doit reprendre ensuite la forme qu’elle avait
auparavant.
Toutes ces opérations dépendent du régime du feu élé-
mentaire, par le moyen duquel le corps de la pierre se
spiritualise & l’esprit se corporifie.
Pour parler plus clairement, après que vous aurez coupé
la tête du corbeau, vous augmenterez le feu pour faire
disparaître entièrement la noirceur. L’air & le feu qui
sont dans la [190] terre la réduiront en poudre impalpa-
ble & pénétrative.
Il faut quarante jours pour faire paraître la noirceur.
La noirceur dure quarante jours, au bout desquels on
voit paraître la blancheur, qui dure aussi quarante
jours. Cette blancheur est l’aurore qui annonce la lune
philosophique. Vous aurez soin de bien modérer le feu &
de le conduire par degré, parce que, dans l’espace des
quarante jours suivants, vous verrez paraître l’oiseau
d’Hermès ; on le voit d’abord comme un poulet qui sort
de la coque & qui prend son accroissement par le moyen
du feu qui est son unique nourriture.

125
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Il est nécessaire de séparer ce bel oiseau des autres pou-


dres rouges dont il est environné ; car ces poudres hété-
rogènes sont les excréments qui restent dans le nid
après que les oiseaux ont pris leur vol.
L’oiseau d’Hermès laisse tous ces excréments sous ses
pieds, & vous reconnaîtrez que tout ce qui est contenu
dans l’œuf n’est pas dans le cas de se convertir en pierre
ni en teinture, quoiqu’il soit nécessaire de le [191] putré-
fier par les distillations & sublimations réitérées, qui ne
sont comptées que pour la préparation de la matière,
parce qu’elles suivent immédiatement la calcination.
Il faut avoir vu l’éclat éblouissant du plumage de cet oi-
seau pour le croire. Il faut également avoir fait
l’opération pour croire que d’un métal qui est venimeux,
mais précieux aux yeux d’un Philosophe qui connaît le
prix de ce qu’il renferme, on puisse tirer une matière
aussi brillante & aussi salutaire.
Cela prouve bien évidemment que la terre est la mère de
tous les êtres ; c’est elle qui produit tous les germes.
C’est la terre qui les couve & les fait éclore par sa vertu
& propriété, parce qu’elle est le véritable sujet de toutes
les influences des astres, qui sont toutes dirigées vers la
terre comme vers le centre qui leur est convenable.
La terre est donc évidemment le fondement & la seule &
unique matière, qui reçoit toutes les influences célestes,
pour développer par leur vertu tous les germes qu’elle
contient. Cherchons donc dans la terre, & nous [192]
trouverons infailliblement tout ce que nous pouvons dé-
sirer. Cherchons sous nos pieds, & nous trouverons les
mêmes choses qui sont sur nos têtes, où nous ne pouvons
les aller chercher. Tous les Philosophes sont d’accord sur
ce point : tous disent que les choses qui sont en bas sont
les mêmes, ou de la même nature de celles qui sont en
haut.

126
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

La terre, imprégnée de toutes les influences astrales,


produit des arbres, des herbes, des plantes, & toutes sor-
tes de fruits en abondance.
Tous les métaux, les minéraux, les pierres, le sable, les
cailloux, les sels, sont formés dans la terre par les va-
peurs astrales qu’elle renvoie après les avoir reçues. Ces
vapeurs sont l’âme de la Nature, qui purifie tout par le
moyen du feu & de l’eau ; qui rend visible ce qui était ca-
ché, par la séparation & réunion. des trois Principes, se-
lon les institutions philosophiques, qui sont claires & in-
telligibles pour celui qui veut prendre la peine de réflé-
chir sur ce qui est contenu dans la terre.
Si nous visitons soigneusement les entrailles de la terre,
nous reconnaîtrons [193] qu’elle renferme des sels de
trois espèces différentes.
1°. On retire premièrement de la terre, un sel de nitre
qui est la première production. Ce sel ne contient pas la
moindre particule métallique par lui-même ; mais quand
on lui a fait subir une préparation convenable, dans un
temps convenable, il acquiert de grandes propriétés ; il
n’est plus comparable au sel de nitre vulgaire pour lors.
2°. L’esprit invisible du monde est contenu dans le sel
volatil de la terre ; mais il faut savoir choisir cette terre ;
car une terre prise au hasard ne produirait pas un sel
pareil, à moins qu’en procédant sans connaissance de
cause, on ait le bonheur de mettre la main dessus par
hasard ; mais cela est bien difficile.
3°. La terre renferme aussi un sel fixe qu’on peut consi-
dérer comme la matrice des deux sels dont nous venons
de parler.
Il est évident, par ce que nous venons de dire, que Dieu a
placé les trois Principes dans la terre sur laquelle nous
marchons.
Après avoir rassemblé ces trois principes, [194] il faut
les faire calciner, & faire ce que les Philosophes appel-

127
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

lent terre engrossie, dont on fait un amalgame avec le


tiers de son poids de mercure. On doit mettre ce mélange
dans un urinal avec un chapiteau aveugle bien lutté &
placé dans le fumier de cheval où il faut le laisser pen-
dant quarante jours ; mais il faut avoir la précaution de
changer le fumier tous les quatre jours, parce que
l’humidité de l’eau agit dans le soufre de la terre avec la
siccité qu’elle contient en même temps. Les corps des
quatre premiers métaux imparfaits qui sont contenus
dans la matière, se corrompent, & cette corruption opère
une véritable génération. La tête du corbeau annonce
cette corruption.
Quand on voit paraître la noirceur, il faut retirer l’urinal
du fumier, & placer un chapiteau à bec pour distiller au
bain-marie & vaporeux, par le moyen d’une chaleur
douce. On laisse distiller la liqueur jusqu’à la dernière
goutte, & l’on conserve précieusement cette matière.
Il faut avoir soin de bien boucher le vase qui contient
l’esprit, car le soufre de Saturne est très volatil : il pour-
rait [195] s’envoler avant que la coagulation du mercure
soit faite par la vapeur qui sort de ce même soufre, parce
que tandis que le corps se dissout, l’esprit se coagule.
Voilà pourquoi tous les corps doivent ressusciter après la
putréfaction. Cette résurrection est une suite des calci-
nations & dissolutions antérieures : nul corps ne peut
être revivifié avant que d’avoir été réduit en putréfac-
tion, dans la première extraction de l’esprit, par la pre-
mière dissolution.
On ne parviendra jamais au point d’une parfaite putré-
faction sans avoir acuité le mercure par le moyen des ai-
gles volants. La parfaite putréfaction arrive toujours
après que le premier aigle a pris son vol. Pour lors, les
colombes de Diane sont vivantes, & la première doit
avoir cinq plumes.
En continuant le feu, cette colombe est bientôt emplu-
mée ; elle aura bientôt pris un accroissement prodigieux.

128
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Toutes ces opérations doivent se succéder les unes aux


autres. Le point essentiel consiste dans le choix de la
matière, qui, selon Faber, Tachiusnuisment, Konrad, &
plusieurs autres Auteurs, ne peut être autre chose que
[196] l’or astral, tiré de l’air par le moyen de l’aimant se-
cret des Philosophes.
Cette matière a la forme de sel volatil, qui est de la plus
grande pénétration : ce sel est balsamique pendant trois
mois de l’année ; il doit fermenter avec le sel central &
fixe de la terre, pour s’unir avec le sel volatil qui sort du
même principe.
Le sel volatil & le sel fixe sont contenus dans la même
matière, qu’on appelle la pierre des Philosophes, qu’il est
bon de savoir distinguer de la pierre philosophale ; car la
pierre des Philosophes est la matière brute sortant de la
minière, tandis que la pierre philosophale est la méde-
cine universelle, parfaite, tirée de cette matière.
La pierre des Philosophes ne doit point être trop sèche ni
trop pierreuse dans sa substance métallique ; elle doit
tenir un juste milieu entre ces deux extrémités, afin que
l’esprit du monde puisse s’y attacher ; elle doit avoir
d’ailleurs des cavités où les Hôtes du Ciel puissent se
fixer & établir leur demeure.
Voilà les signes extérieurs par le moyen desquels on
peut reconnaître la matière minérale & métallique à
[197] laquelle les Philosophes ont donné une infinité de
noms, & qu’ils ont indiquée clairement sous le voile allé-
gorique. Cette matière renferme une grande quantité de
sel central fixe, qui excite bien promptement la fermen-
tation, quand on le joint avec de l’or vulgaire réduit en
poudre impalpable, par le moyen de la calcination, ou
réduit en feuilles comme celles qu’emploient les doreurs.
L’or ainsi réduit, en poudre ou en feuilles très minces,
doit se dissoudre dans l’esprit de ce sel fixe, de la même
manière que la glace se dissout dans l’eau ; & cela ar-
rive, parce que ces deux substances sortent du même

129
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

principe, & ne diffèrent pas plus entre elles que la glace


diffère de l’eau non glacée.
Nous disons que la pierre des Philosophes contient un
sel central, & nous ajoutons que ce même sel contient un
autre sel, qui est purement astral & volatil ; ces deux
sels sont renfermés dans cette matière, comme dans une
matrice légitime que la Nature leur a préparée.
Il ne faut pas faire un puits de quinze cents lieues de
profondeur pour aller [198] chercher cette matière dans
le centre de la terre, où l’on pourrait la prendre ; mais
elle ne serait pas meilleure que celle qu’on prendrait à
trente pieds de profondeur. J’ai appris à connaître cette
terre ou esprit universel, en lisant les Auteurs que je
viens de citer ; mais je ne dissimulerai point que j’avais
déjà lu tous les ouvrages d’Hermès, d’Arnaud de Ville-
neuve ; & ceux de Raymond Lulle.
L’expérience m’a prouvé que j’avais trouvé la véritable
minière des Philosophes, d’où l’on tire ce qu’on appelle
mâchefer de Hesse-Cassel.
Ce mâchefer n’en autre chose que les pyrites qu’on
trouve en abondance aux environs d’Auteuil, & ailleurs
dans les terres glaises.
Ces pyrites sont des petites pierres noirâtres ou grisâ-
tres ; elles n’ont ni goût ni odeur. Si après les avoir
concassés on les expose à l’air pendant quelques semai-
nes dans un hangar, à couvert des rayons du soleil & de
la pluie, elles attirent l’esprit du monde en abondance ;
elles acquièrent une augmentation de poids. Après avoir
été exposées pendant quelques semaines, elles [199] sont
submergées dans l’esprit universel. Quelquefois elles se
convertissent en vitriol doux, verd, dont on fait un excel-
lent remède, selon Glaubert. Ces pyrites contiennent ré-
ellement la matière prochaine de la pierre philosophale ;
mais il existe un autre sujet où elle est encore plus pro-
chaine.

130
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

On trouve ce sujet aux environs des mines d’or, en Hon-


grie, en Transilvanie, à Nuremberg, & ailleurs. Rien
n’est plus propre que cette substance métallique pour
faire le filet de Pheton, pour prendre l’oiseau d’Hermès,
parce que cette matière contient beaucoup de soufre d’or
volatil ; mais ce sujet doit être travaillé par une main
philosophique.
On pourrait faire une excellente teinture avec la terre
qui est aux environs des rivières qui roulent des paillet-
tes d’or dans les Indes occidentales, parce que cette terre
contient beaucoup de sable d’or & de soufre d’or volatil
qui se trouvent au degré convenable au magistère, & il
serait très difficile d’amener l’or vulgaire à ce point par
le moyen des calcinations connues.
La conjonction & fermentation du [200] sel volatil avec
le sel fixe, annonce toujours un soufre d’or volatil ou as-
tral ; c’est pour cette même raison que les Philosophes
ont dit que les choses qui sont en haut sont semblables à
celles qui sont en bas, & que celles qui sont en bas sont
semblables à celles qui sont en haut, c’est-à-dire qu’on
peut trouver de l’or astral & volatil dans les lieux que
nous venons d’indiquer. Tout le secret de cette opération
consiste dans la fixation du volatil & dans la volatilisa-
tion du fixe.
Nous lisons dans la Table d’Émeraude, que la matière de
la teinture universelle doit être composée de sel volatil,
aérien & de sel fixe de la terre : ces deux sels doivent
être unis ensemble par le moyen d’une fermentation na-
turelle ; car il faut conjoindre légitimement ces deux
substances pour faire un composé parfait.
Un grand nombre de Chimistes ont travaillé longtemps
sur ces deux substances & ont perdu leur temps, parce
qu’ils ignoraient la manière d’attirer l’esprit universel
avec son véritable aimant.
L’aimant philosophique ne se fait pas avec des cailloux
ou du marbre [201] calciné ; car les résidus ou têtes mor-

131
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

tes de pareilles matières, ne procureront jamais un


avantage complet ; parce que le feu auquel il faut les ex-
poser pour les calciner, détruit la plus grande partie de
l’humidité onctueuse & du sel fixe qui est la base du vé-
ritable aimant. Voilà pourquoi l’esprit qu’on attire avec
ces matières ne saurait procurer une conjonction ni une
fermentation parfaite ; mais l’azoth des Philosophes
contient un sel fixe & une humidité onctueuse qui sont
incombustibles. C’est par cette raison que les Philoso-
phes disent qu’on peut calciner cette matière au four-
neau de réverbère ou dans un four de verrier, sans
craindre d’altérer les substances qu’elle renferme.
La rosée du mois de Mai, l’eau de pluie qui tombe entre
les deux équinoxes, c’est-à-dire depuis le mois de Mars
jusqu’au mois de Septembre, ainsi que la neige, toutes
ces matières sont remplies de sel volatil élémentaire as-
tral ; mais il n’y a point de sel fixe de la terre. On pour-
rait l’y joindre & faire un excellent composé, si l’on sa-
vait employer les moyens convenables. Je ne parle point
ici de la médecine [202] universelle pour guérir toutes
les maladies du corps humain ; je parle seulement d’une
teinture universelle pour les métaux, que beaucoup
d’Artistes rejettent très mal à propos.
La teinture universelle est beaucoup moins difficile à
faire que la médecine universelle, quoique l’une &
l’autre doivent leur existence au même principe ; c’est
pourquoi il ne faut pas s’étonner si la médecine a des
propriétés que la teinture n’a pas. Avec le temps & une
addition de peu de chose, on pourrait facilement
conduire la teinture au degré de perfection de la méde-
cine ; mais je suis très persuadée que bien des personnes
se borneraient à la teinture universelle, si elles avaient
le bonheur de la posséder. Il me semble, cependant,
qu’on ferait beaucoup mieux de suivre les racines de la
teinture jusqu’au tronc de la médecine, parce qu’il paraît
que c’est un moyen que Dieu a accordé pour pouvoir sub-
sister en faisant des recherches qui peuvent conduire à
la plus grande de toutes les découvertes possibles.

132
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Les sels de tartre, de nitre, le borax, l’arsenic, les cen-


dres gravelées, le mercure sublimé, l’orpiment, n’entrent
[203] point dans la teinture universelle. Les Scrutateurs
de la Nature, dit l’Angelot, confessent qu’il n’est pas pos-
sible de faire le dissolvant de l’or dans le sel astral. Tous
les sels vulgaires ne font que blesser l’or ou le diviser ; le
sel volatil, de l’air seul, peut le dissoudre totalement &
en extraire la quintessence. Les atomes aériens fortifient
l’esprit de sel astral & lui communiquent une odeur bal-
samique, comme aux plantes & à tous les aromates.
Helvétius prétend qu’on peut faire la teinture univer-
selle en peu de temps ; mais il se trompe grossièrement ;
il est certain qu’il faut moins de temps que pour faire la
médecine universelle. Helvétius, d’ailleurs, ne pouvoir
parler de ce temps que comme un aveugle des couleurs,
parce qu’il n’a jamais su ni fait le grand œuvre, quoiqu’il
eût fait plusieurs ouvrages où l’on voit qu’il veut parler
comme un adepte & indiquer des chemins qu’il n’a ja-
mais connu. Il est vrai que cet Auteur a fait la projection
en public ; mais cela ne prouve que son ignorance ; les
vrais Philosophes sont modestes, & ne cherchent point à
se repaître de fumée. On [204] a su qu’un adepte avait
donné quelques grains de poudre spécifiée à Helvétius,
& que celui-ci voulut se faire un nom avec une chose de
si peu de conséquence, parce que la poudre spécifiée
n’est plus propre à la multiplication & ne saurait guérir
la moindre fièvre.
Nous ne sommes point jaloux de la réputation
qu’Helvétius s’est acquise ; mais nous nous croyons obli-
gés d’avertir nos Lecteurs qu’ils ne retireront jamais le
moindre avantage en lisant tous les ouvrages de cet Au-
teur. Son Veau d’or, qui lui a procuré tant de compli-
ments, ne contient qu’une seule phrase où il a dit la véri-
té, sans y penser probablement ; mais cette vérité est
couverte du voile allégorique, & par conséquent ne peut
guère être aperçue que par un adepte.
Le seul secret des Philosophes, sans lequel il n’est pas
possible de faire la médecine universelle, et la substance

133
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

la plus pure des influences astrales. Cette substance


épaissit l’air en quelque manière & le convertit en terre
après lui avoir fait subir plusieurs métamorphoses, & de
cette même terre on retire un sel fixe terrestre par le
moyen [205] d’une fermentation naturelle. Cette fermen-
tation volatilise le sel fixe de la terre & le fait devenir
comme un feu, aussitôt qu’il est dépouillé de toutes ces
impuretés terrestres ; mais ce sel ne devient feu
qu’après la vingtième dissolution coagulation : en deux
mots ; volatilisez la partie fixe de l’azoth ; fixez celle qui
est volatile, & vous aurez le feu des Philosophes.
Fin du premier Volume.
[206]

134
TABLE DES TITRES

TABLE DES TITRES


Contenus dans ce Volume.
DISCOURS sur les trois Principes, Animal, Végétal, &
Minéral, page 1
Des vertus & propriétés du Mercure des Philosophes, 12
Des principes de la Chimie, 13
De la première matière de la Chimie, 24
Des Éléments, 26
De l’Air, 29
Du Feu, 30
De la Terre, 39
Des colombes de Diane, 70
Du Mercure, 71
[207]
Du Soufre, 73
De la matière de la Pierre, 75
Des Règles qu’il faut suivre pour
parvenir à l’accomplissement du magistère, 79
Des Mystères de la Science Hermétique, 82
De la transmutation des Métaux, 137
Préparation de l’esprit de Sel philosophique, 169
Préparation du Sel fixe philosophique, 170
Fin de la Table du premier Volume.
[208] [209]

135
APPROBATION

APPROBATION,
J’Ai lu, par l’ordre de Monseigneur le Garde des Sceaux, un Ma-
nuscrit intitulé : Discours philosophique sur les trois Principes,
par M.* **. Je n’ai rien trouvé dans cet Ouvrage qui est de pure
Alchimie, qui m’ait paru d’en voir en empêcher l’impression. A Pa-
ris, ce 23 Septembre 1780. MACQUER.

PRIVILEGE DU ROI.
LOUIS, par la grâce de Dieu, Roi de France & de Navarre, A nos
amés & féaux Conseillers, les Gens tenants nos Cours de Parle-
ment, Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel, Grand
Conseil, Prévôt de Paris, Baillis, Sénéchaux, leurs Lieutenants
Civils & autres nos Justiciers qu’il appartiendra : SALUT. Notre
bien aimée la Dame SABINE STUART DE CHEVALIER Nous a
fait exposer qu’elle désirerait faire imprimer & donner au Public
un Ouvrage de sa composition, intitulé : Discours Philosophique
sur les trois Principes ; s’il Nous plaisait lui accorder nos Lettres
de Privilège à ce nécessaires. A CES CAUSES, voulant favora-
blement traiter l’Exposante, Nous lui avons permis & permettons
de faire imprimer ledit Ouvrage autant de fois que bon lui sem-
blera, & de le vendre, faire vendre par tout notre Royaume. Vou-
lons qu’elle jouisse de l’effet du présent Privilège, pour elle & ses
hoirs à perpétuité, pourvu qu’elle ne le rétrocède à personne, & si
cependant elle jugeait à propos d’en faire une cession l’Acte qui la
contiendra sera enregistré en la Chambre Syndicale de Paris, à
peine de nullité, tant du Privilège que de la cession ; & alors, par
le fait seul de la cession enregistrée, la durée du présent privilégié
sera réduite à celle de la vie de l’Exposante ou à celle de dix an-
nées, à compter de ce jour, si l’Exposante décède avant
l’expiration desdires dix années. Le tout conformément aux arti-
cles IV & V de l’Arrêt du Conseil du trente Août 1777, portant Rè-
glement sur la durée des Privilèges en Librairie. FAISONS défen-
ses à tous Imprimeurs, Libraires & autres personnes, de quelque
qualité & condition qu’elles soient, d’en introduire d’impression
étrangère dans aucun lieu de notre obéissance ; comme aussi
d’imprimer ou faire imprimer, vendre, faire vendre, débiter ni
contrefaire lesdits Ouvrages, sous quelque prétexte que ce puisse
être, sans la permission expresse & par écrit de ladite Exposante,
ou de celui qui la représentera, à peine de saisie, & de confiscation
des exemplaires contrefaits, de six mille livres d’amende, qui ne
pourra être modérée, pour la première fois ; de pareille amende, &
de déchéance d’état en cas de récidive, & de tous dépens, domma-

136
APPROBATION

ges & intérêts, conformément à l’Arrêt du Conseil du trente Août


1777, concernant les contre-façons. A la charge que ces Présentes
seront enregistrées tout au long sur le Registre de la Communau-
té des Imprimeurs & Libraires de Paris, dans trois mois de la date
d’icelles ; que l’impression dudit Ouvrage sera faite dans notre
Royaume & non ailleurs, en beau papier & beau caractère,
conformément aux Règlements de la Librairie, à peine de dé-
chéance du présent Privilège ; qu’avant de l’exposer en vente, le
Manuscrit qui aura servi de copie à l’impression dudit Ouvrage,
sera remis dans le même état où l’Approbation y aura été donnée,
ès mains de notre très cher & féal Chevalier, Garde-des-Sceaux de
France, le sieur HUE DE MIROMENIL ; qu’il en sera ensuite re-
mis deux Exemplaires dans notre Bibliothèque publique, un dans
celle de notre Château du Louvre, & un dans celle de notre très
cher & féal Chevalier, Chancelier de France, le Sieur DE MAU-
PEOU, & un dans celle dudit sieur HUE DE MIROMENIL : le
tout à peine de nullité des Présentes ; du contenu desquelles vous
mandons & enjoignons de faire jouir ladite Exposante, & ses
hoirs, pleinement & paisiblement, sans souffrir qu’il leur soit fait
aucun trouble ou empêchement. VOULONS que la Copie des Pré-
sentes, qui sera imprimée tout au long au commencement ou à la
fin dudit Ouvrage, soit tenue pour dûment signifiée ; & qu’aux
Copies collationnées par l’un de nos aimés & féaux Conseillers-
Secrétaires, foi soit ajoutée comme à l’Original. COMMANDONS
au premier notre Huissier ou Sergent sur ce requis, de faire pour
l’exécution d’icelles, tous Actes requis & nécessaires, sans deman-
der autre permission, & nonobstant clameur de Haro, Charte
Normande & Lettres à ce contraires ; car tel est notre plaisir.
Donné à Paris, le treizième jour de Décembre, l’an de grâce mil
sept cent quatre-vingt, & de notre Règne le septième. Par le Roi
en son Conseil.

LE BEGUE.

Registré sur le Registre XXI de la Chambre Royale & Syndicale


des Libraires & Imprimeurs de Paris, n° 2199. fol. conformément
aux dispositions énoncées dans le présent Privilège ; & à la charge
de remettre à ladite Chambre les huit Exemplaires prescris par
l’Article CVIII du Régiment de 1723.

A Paris, ce 16 Janvier 1781.

FOURNIER, Adjoint.

137
DISCOURS
PHILOSOPHIQUE
SUR
LES TROIS PRINCIPES,
ANIMAL, VÉGÉTAL ET MINÉRAL.
ou

LA CLEF
DU SANCTUAIRE PHILOSOPHIQUE.
Par SABINE STUART DE CHEVALIER.

Cette Clef introduit celui qui la possède dans le sanc-


tuaire de la Nature ; elle en découvre les mystères ; elle
sert en même temps à dévoiler les Écrits du célèbre Ba-
sile Valentin, & à le défroquer de l’Ordre respectable des
Bénédictins, en donnant la véritable explication des
douze Clefs de ce Philosophe ingénieux.

TOME SECOND,

A PARIS,
Chez QUILLAU, Libraire, rue Christine, au
Magasin Littéraire, par Abonnement.
M. D C C. LXXXI.
Avec Approbation & Privilège du Roi.

138
EXPLICATION

EXPLICATION
De la seconde Figure qui est si la page 203 du second Vo-
lume.
CETTE figure représente un roi majestueux, enveloppé
d’un marteau de pourpre, destiné au plus grand roi de
l’univers, ayant la couronne sur la tête ; il s’élève dans le
ciel, & presque semblable au soleil, il remplit de la plus
vive lumière tout l’espace qui l’environne.
Comme il a triomphé de tous ses ennemis après les plus
grands travaux, (c’est-à-dire, après toutes les opérations
de la Chimie où il a passé ;) c’est pourquoi un ange qu’on
voit sortir d’un nuage enflammé, comme une aurore bo-
réale, vient d’un vol rapide pour mettre une triple cou-
ronne de laurier sur la tête de ce roi victorieux, (qui est
l’or philosophique, l’or potable, & la médecine univer-
selle,) qui foule & achève d’écraser sous ses pieds un
monstre horrible trois têtes, après l’avoir percé avec
l’épée de Mars. (Voyez page 95, 156, & 206, du second
Volume.) Les ailes de l’ange représentent la volatilité de
la matière avant que ce roi ou l’or fois fixé : lisez, page 25.
du second Volume.
La première tête ressemble à celle d’un gros dogue ; (elle
représente le mercure :) la seconde, à celle d’un loup ;
(elle dénote le soufre des Philosophes :) la troisième, à
celle d’un lion ou d’un léopard, qui sont des animaux
cruels ; (elle indique la force de l’esprit salin.) La tête est
le liège de l’esprit, où l’on ne saurait lui en assigner une
plus convenable. (Voyez la première clef de Basile Valen-
tin & son troisième chapitre de la génération occulte des
planètes, où il dit que Jupiter est un esprit igné.)
Ces trois têtes sont adhérentes à un seul corps, dont la
queue ressemble à un gros serpent en fureur, qui est
écrasé par Hercule ; (c’est-à-dire, par le roi ou l’or qui l’a
terrassé & mis sous ses pieds après les différentes opéra-
tions de l’artiste.)

139
EXPLICATION

Autour de ce monstre épouvantable & venimeux, (les


Chimistes qui travaillent à cette opération dangereuse,
lorsqu’il est en putréfaction, doivent se munir de contre-
poison en cas d’accident.) On aperçoit des petits serpents
en fureur qu’il a engendrée, & qui sont précipités, dans
la mer, (c’est-à-dire dans un bain salutaire, afin qu’il
achève de les purifier de leur venin,) après avoir perdu le
monstre venimeux qui les nourrit de ses rapines. (Cela
signifie une purification parfaite de l’impureté que
l’artiste doit faire sortir de l’ouvrage qu’il travaille, parce
que la matière doit être purifiée au suprême degré, sans
quoi il ne réussira jamais.)
Ce monstre habitait sur un rocher ou sur une montagne
très élevée, située (voyez la page 124 du second Volume)
au milieu d’une mer très agitée, (Voyez la page 135 &
195) par la plus horrible tempête. Ce rocher ou cette
montagne est environnée de trois glandes Iles, & quoi-
que la mer soit très orageuse, malgré cela on voit trois
vaisseaux marchands, (qui représentent le sel, le soufre,
& le mercure,) dont les matelots, (c’est-à-dire les Chimis-
tes & les souffleurs qui mettent tout en usage pour réussir
dans leurs opérations,) bravent le danger, & font les plus
grands efforts pour entrer dans le port de ces trois îles,
& leur apportent les productions étrangères dont elles
ont besoin. (A quels dangers, ne s’expose : pas les hom-
mes ambitieux pour se procurer des richesses ? C’est ce
qu’indiquent aussi les vaisseaux marchands. Et à quels
travaux ne s’exposent pas encore les Chimistes vulgaires
car les souffleurs, pour parvenir à se procurer de l’or ?
Voyez la page 33 du second Volume.)
L’histoire de Midas, qu’on voit dans le deuxième Livre
des fables Egyptiennes, n’est pas ici hors de propos.
Il est dit que Midas était Roi de Phrygie & fils de Cybèle
chercha à gagner la bienveillance de Bacchus en faisant
un bon accueil à Silène. Un, jour que ce père nourricier
du Dieu du vin s’était enivré, & dormait près d’une fon-
taine, Midas le fit lier avec une guirlande de fleurs.

140
EXPLICATION

On le conduisit dans cet état au Palais du Roi, qui le


traita parfaitement bien, & le fit ensuite mener à Bac-
chus : ce Dieu sur charmé de le voir, & pour récompen-
ser Midas, il lui offrit de lui accorder, sans exception,
tour ce que ce Roi lui demanderait.
Midas, sans beaucoup réfléchir, demanda que tout ce
qu’il toucherait fût changé en or. Bacchus lui donna
cette propriété. Lorsque Midas voulut manger, il fut fort
étonné de voir les viandes même qu’il touchait, changées
en or, & par conséquent hors d’état d’en faire sa nourri-
ture ; & craignant de mourir de faim, il eut recours à
Bacchus, & le pria instamment de le délivrer d’un don si
funeste.
Bacchus y consentit, & lui ordonna, pour cet effet, d’aller
se laver dans le fleuve Pactole, dans la Lydie. Midas y
fut, & communiqua aux eaux de ce fleuve la propriété
qui lui était si onéreuse.
Chacune de ces têtes du monstre regarde une de ces
îles ; (cela signifie que ce monstre, qui est l’antimoine, est
venimeux en sortant de la mine : ennemi des hommes, &
toujours prêt à dévorer & à faire périr ceux qui viennent
à échouer, & à se briser contre son rocher ; (c’est-à-dire,
les ignorants qui travaillent sans principes, & à de faus-
ses opérations qui défruitent leur fond, & ruinent leurs
bourses ou celles d’autrui.)
A l’égard du roi, qui s’est orné du manteau de pourpre,
qui est la couleur la plus éclatante, les Fables nous ap-
prennent qu’Apollon s’habilla de couleur de pourpre,
lorsqu’il chanta sur sa lyre la victoire que Jupiter, & les
Dieux remportèrent sut les géants ; elles nous disent en-
core que les Troyens couvrirent le tombeau d’Hector d’un
tapis de couleur de pourpre, & que Priam porta des étof-
fes de couleur de pourpre en présent à Achille ; mais
tout cela ne signifie autre chose que la couleur pourprée
qui survient à la matière lorsqu’elle est parfaitement fixé.
Les Philosophes l’ont ainsi appelée pourpre, rubis,
phœnix, lorsqu’elle était dans cet état.

141
EXPLICATION

Ce roi qui est élevé au suprême degré de splendeur,


(c’est-à-dire, par les travaux de l’artiste ingénieux :) le
roi, selon les Philosophes, veut dire l’or, qui est le roi des
métaux parce qu’il est le plus parfait, comme il est cou-
ronné de la triple couronne par le génie de l’Alchimie :
(cela signifie la résurrection de l’or philosophique, qui est
beaucoup plus pur que celui des mines, ou la revivifica-
tion qui précède la multiplication de la pierre philoso-
phale, que l’artiste a élevé, par sa science, au suprême
degré de splendeur : c’est ce qu’indique la triple cou-
ronne.)
Le corps du serpent signifie un sel métallique : il est dit
dans les Fables & les figures symboliques de la science
hermétique, que les deux serpents que Junon envoya
contre Hercule dans le temps qu’ils étaient encore au
berceau, doivent s’entendre des sels métalliques, que l’on
appelle soleil & lune, le frère & la sœur.
On les appelle serpents, parce qu’ils naissent dans la
terre, qu’ils y vivent, & qu’ils y sont cachés sous des for-
mes variées qui les couvrent comme des habits.
Ces serpents furent tués par Hercule, qui signifie le
mercure Philosophique, & qui les réduit à la putréfac-
tion dans le vase où est contenue la matière qui sert à
l’opération, ce qui est une espèce de mort. (Voyez le Dic-
tionnaire mytho-hermétique, page 461.)
On peut voir l’explication des trois îles qui sont près du
rocher, dans le second Volume, depuis la page 44 jusqu’à
46, où il est dit que le sable d’or qu’on ramasse dans les
rivières des Indes orientales, contient un soufre d’or vo-
latil, ce soufre aurifique se trouve dans plusieurs en-
droits, mais en plus grande quantité & beaucoup plus
mûr dans l’île & royaume de Solor, qui est situé dans les
Molusques. L’étymologie du nom de Solor, veut dire que
le terrain de ce royaume, qui est très riche dans plu-
sieurs autres productions, est rempli d’or. Le mot sol
veut dire une terre ou un terrain, or, c’est-à-dire, qui est

142
EXPLICATION

rempli d’or, cela et confirmé depuis très longtemps par


tous les Voyageurs qui sont allés dans ce royaume.
Le deuxième est celle de Lemtos. Voyez sa description,
page 77 du deuxième Volume.
La description de la troisième île, qui est celle d’Ortygie,
est à la page 204 du deuxième Volume.
L’épée de Mars, avec laquelle le roi a percé le monstre à
trois têtes, qui est sous ses pieds. Voyez son explication
à la page 194 du deuxième Volume, où il est dit : nous
avons déjà démontré ci-devant, que Mars ou le sel du fer
est un aimant auxiliaire qui attire les influences célestes.
Mars doit être considéré comme un miroir ardent, ou
comme un rubis éclatant. Sa hallebarde & son épée re-
présentent les esprits ignés & volatils qui sont les symbo-
les de la pénétration : c’est ce que les anciens ont repré-
senté par l’épée de Cadmus, fils d’Agénor, Roi de Phéni-
cie, & par l’épée d’Achille.

143
EXPLICATION

144
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

DISCOURS PHILOSOPHIQUE
SUR les trois Principes, Animal, Végétal, & Minéral.

PRÉPARATION DE LA TERRE DES PHILOSOPHES,


POUR EN RETIRER LE SEL.
Les Philosophes n’ont jamais indiqué directement cette
terre admirable ; toutes les fois qu’ils en ont parlé, ils
ont toujours employé des allégories, des similitudes
énigmatiques. Les Égyptiens ne l’ont jamais nommée, ni
indiquée en aucune manière que par les figures hiéro-
glyphiques qu’ils gravaient sur le marbre. Le peuple
n’avait pas la moindre connaissance de [2] ces caractè-
res ; les Sages, eux seuls, en avaient la clef.
Toute la doctrine qui est contenue dans tous les ouvra-
ges d’Hermès est également contenue dans les caractè-
res qui sont gravés sur les obélisques qu’on voit encore
aujourd’hui à Rome. Tout le procédé du grand œuvre est
représenté sur l’obélisque qui est sur la place du Peuple
à Rome. Tout y est indiqué, depuis la calcination ou pré-
paration de la matière jusqu’à la projection. La figure
quarrée de cette masse énorme, sa forme pyramidale,
représentent les quatre éléments ; toutes les opérations,
le temps qu’il faut employer pendant la cuisson, tout y
est expliqué, mais d’une manière bien plus obscure que
dans tous les ouvrages des Philosophes anciens & mo-
dernes.
Depuis environ deux mille ans que ces obélisques sont à
Rome, les Savants se sont efforcés, en vain, d’expliquer
ces hiéroglyphes. Tous ceux qui connaissent le grand

145
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

œuvre assurent que tous ces interprètes ont échoué &


n’ont pas compris ce que signifie réellement une seule fi-
gure. Il n’y a que ceux qui possèdent la [3] médecine
universelle qui soient en état de les comprendre.
L’ingénieux Polyphile a fait un gros volume, où il dési-
gne toutes les opérations avec tous les détails ; il indique
le sel des Philosophes sous le nom de Polia avec laquelle
il veut se marier. Il parcourt des pays d’une grande
étendue pour la trouver. Polia aime Polyphile plus
qu’aucun autre mortel, & néanmoins elle le fuit. Enfin il
a le bonheur de la joindre ; il lui déclare son amour légi-
time ; elle a la cruauté de le laisser mourir à ses pieds,
pour avoir le plaisir de le ressusciter & l’épouser ensuite
solennellement. Cet ouvrage est tout allégorique.
Quelles connaissances les Lecteurs superficiels peuvent-
ils tirer de ces allégories ? Ils verront que Polia indique
le sel des Philosophes dont on doit tirer le mercure phi-
losophique ; mais en seront-ils plus avancés pour cela ?
Nous ne prétendons pas conseiller de ne pas lire les ou-
vrages des Philosophes ; au contraire, nous assurons
qu’il est nécessaire de les lire ; mais nous ajoutons, qu’il
faut s’adresser à Dieu en même temps, & [3] le prier de
nous accorder les lumières qui nous sont nécessaires
pour parvenir à la connaissance de cette terre philoso-
phique, qui est la source de toute félicité. En demandant
ainsi cette connaissance au Père des lumières, avec un
cœur pur & des intentions légitimes, d’en user à la gloire
de Dieu, au soulagement des pauvres, nous devons avoir
une confiance parfaite, & nous serons éclairés.
Quand Dieu vous aura accordé les lumières nécessaires
pour connaître la terre des Philosophes, vous la tirerez
de sa minière vers l’équinoxe du mois de Septembre.
Dans le même temps, vous ferez une fosse dans un ver-
ger ou en un autre lieu où il règne un air libre. Il serait
avantageux que cette fosse soit exposée au midi ou tout
au moins au sud-ouest.

146
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Elle doit avoir environ trois pieds de profondeur, autant


de large, & une toise de longueur : vous la remplirez de
terre philosophique : vous l’enfermerez avec une palis-
sade de planches bien jointes l’une contre l’autre, tant
pour empêcher qu’aucun animal ne puisse aller faire ses
ordures sur [5] cette terre, que pour la garantir de tout
autre accident ; car la terre d’alentour ne doit point s’y
introduire, & les ruisseaux qui se forment après les
grandes pluies ne doivent point passer dessus. Si cela
arrivait, l’eau entraînerait le sel volatil, même le sel fixe,
& la terre philosophique perdrait sa vertu ; pour la lui
conserver & augmenter, cette terre ne doit être mouillée
par aucune autre eau que celle qui tombe directement
du ciel sur la fosse.
La terre philosophique étant ainsi disposée,
s’imprégnera abondamment de sel volatil & de toutes les
autres influences célestes pendant tout le cours de
l’hiver, tantôt par la rosée, tantôt par la pluie & par la
neige.
Ensuite, vers le mois de Mai, ou tout au moins six mois
après que vous aurez mis la terre philosophique dans la
fosse, vous l’en retirerez pour la mettre dans des vais-
seaux de terre larges & peu profonds, pour les exposer
pendant la nuit au serein & aux rayons de la lune. Vous
aurez soin de les rentrer tous les jours dans une cham-
bre ou une remise pour les garantir des rayons du soleil
vous les garantirez [6] également des vents violents qui
entraîneraient le sel volatil astral dont la terre philoso-
phique est imprégnée.
Vous continuerez de l’exposer ainsi dès le premier de
Mai jusqu’au premier d’Août.
La digestion de la terre philosophique qui se fait dans la
fosse pendant l’hiver, n’est que pour rendre la matière
plus parfaite : on pourrait se dispenser de la faire ; mais
il faudrait doubler la seconde opération, c’est-à-dire
qu’on pourrait exposer la terre dans des vases sur une

147
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

terrasse dès le mois de Janvier, & l’on commencerait à


les retirer pendant le jour, vers le mois de Mai.
Quand on veut retirer la terre philosophique de la fosse,
où elle a passé l’hiver, il serait essentiel qu’il n’y eût pas
plu depuis quinze jours ou trois semaines.
Si par hasard il arrivait que le printemps soit pluvieux,
& qu’il n’y eût pas trois jours de suite sans pluie, on peut
faire une petite cabane sur la fosse pour la garantir de la
pluie & amener la terre au point où elle doit être pour
l’en retirer.
Lors de l’extraction de la terre philosophique [7] de la
fosse, cette terre ne doit point être trop desséchée ni trop
glutineuse ; elle doit tenir un juste milieu entre ces deux
points, qui renferment l’esprit astral : à cette époque,
l’eau du soleil est renfermée dans la terre philosophique,
& l’eau de la lune y descendra en abondance en
l’exposant au serein pendant les mois de Mai, de Juin &
de Juillet ; pour lors vous aurez l’azoth philosophique, ou
la terre des Philosophes bien saturée de sel astral vola-
til, de sel central fixe de la terre, & de baume céleste, qui
parfume toutes les plantes dans la saison du printemps.
Comme vous ne pourrez pas travailler toute cette terre
en même temps, pour la conserver ou, pour mieux dire,
pour lui faire retenir les choses précieuses qu’elle ren-
ferme, vous la mettrez dans des pots de grès que vous
boucherez bien exactement, pour l’empêcher de se dessé-
cher.
Prenez ensuite une grande cornue de verre & mettez de
cette terre précieuse en quantité suffisante pour remplir
les deux tiers du vaisseau ; car si vous remplissez entiè-
rement la cornue, les esprits puissants, qui sont renfer-
més [8] dans la terre, n’ayant point d’espace pour circu-
ler, elle se briserait infailliblement avec explosion adap-
tez ensuite un ample récipient qui doit être aussi de
verre & bien lutté ; un ballon d’un pied de diamètre se-
rait meilleur.

148
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Mettez la cornue sur le sable, & faites distiller avec un


feu lent dans le commencement ; vous l’augmenterez in-
sensiblement jusqu’à ce que le sable soit rouge, & vous
verrez tout le sel volatil sublimé & attaché au col de la
cornue. Vous détacherez doucement ce sel volatil avec
une plume, & le renfermerez soigneusement dans une
bouteille.
Cohobez la liqueur distillée sur la résidence ; refermez le
vase avec un chapiteau aveugle, & mettez-le dans le fu-
mier de cheval pour faire fermenter, circuler, résoudre &
digérer la matière pendant six semaines, au bout des-
quelles vous ferez distiller la liqueur comme la première
fois ; vous pourrez recueillir encore du sel volatil, mais
en plus petite quantité qu’à la première opération.
Cohobez encore la liqueur distillée comme ci-dessus ; re-
fermez le vase & mettez-le dans le fumier de cheval [9]
pendant six semaines, au bout desquelles vous distille-
rez l’esprit & le rectifierez jusqu’à sept fois, au bain-
marie, dans un alambic de verre : vous séparerez les
flegmes, & ferez monter la partie de sel fixe qui aura été
volatilisée ; vous rejoindrez le tout ensemble, c’est-à-dire
le sel fixe & le sel fixe volatilisé ; vous le ferez circuler
au bain-marie, vaporeux, pendant huit jours.
Vous briserez ensuite la cornue de verre pour en retirer
la tête morte qu’il faut piler dans un mortier, & en ex-
traire le sel fixe en lessivant avec le flegme que vous
avez séparé en rectifiant l’esprit.
On voit, par ce que nous venons de dire, que la terre phi-
losophique contient tout ce qui lui est nécessaire ; c’est
pourquoi il ne faut jamais y ajouter la moindre chose qui
soit hétérogène : si cela arrivait, on perdrait toute la ma-
tière.
Après avoir bien lessivé le résidu dont nous venons de
parler, vous filtrerez la lessive & la ferez évaporer. Vous
trouverez un sel fixe aussi blanc que la neige au fond du
vase. Vous rectifierez ce sel en le faisant dissoudre [10] à

149
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

l’air & en le coagulant plusieurs fois ; vous le ferez cris-


talliser après la vingtième dissolution & coagulation.
Réunissez ensuite ce sel cristallin avec l’esprit rectifié ;
observez les poids & proportion philosophiques qui
consistent en ce qu’il faut donner de l’esprit au sel cris-
tallisé, autant qu’il en pourra boire. Une once de sel fixe
absorbe ordinairement dix onces d’esprit rectifié.
Mettez ce mélange d’esprit volatil ; rectifié & de sel fixe
dans une cornue de verre bien lutée, & faites distiller se-
lon l’art ; mais prenez garde de trop augmenter le feu
dans le commencement ; car les esprits sont puissants &
brûlants sans être destructeurs, & le vase de verre est
bien fragile. Quand tous les esprits paraîtront avoir été
distillés, vous augmenterez le feu pour distiller jusqu’à
siccité.
Cohobez ensuite la liqueur distillée sur la résidence, &
répétez cette opération jusqu’à ce que l’esprit soit
converti en une liqueur laiteuse, qui se coagulera au
froid & se fondra, comme la cire, à une chaleur douce,
sans fumée. Les esprits seront réduits à ce point de per-
fection après la septième [11] distillation ; mais il ne
faut pas oublier qu’il est très essentiel de les cohober
constamment sur le même résidu d’où ils sont sortis.
Pour rendre la liqueur plus parfaite, vous la rectifierez
encore quelquefois afin de bien conjoindre le sel fixe avec
le sel volatil.
Après cette opération, vous aurez accompli la première
partie du magistère, qui est la plus difficile. A cette épo-
que vous pouvez vous flatter de posséder l’or crud des
Philosophes ; la seconde partie de l’œuvre est bien moins
pénible, parce que tout le travail consiste dans une sim-
ple digestion bénigne ; mais si le travail n’est pas si pé-
nible, il est beaucoup plus long.
La liqueur étant bien purgée de toutes ses impuretés
terrestres & hétérogènes par le moyen des distillations,
dissolutions, digestions & rectifications réitérées ; après

150
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

avoir conjoint la partie volatile fixée, avec la partie fixe


volatilisée, il ne vous reste autre chose à faire qu’une
douce circulation pour convertir toute la matière en tein-
ture universelle ou en véritable quintessence.
Vous mettrez une partie de cette liqueur dans un vase
philosophique [12] que vous fermerez hermétiquement &
que vous placerez au bain vaporeux ou au bain-marie.
Vous observerez que les deux tiers du vase doivent res-
ter vides ; faites un feu gradué pour faire digérer & cir-
culer la matière qui prendra toutes les positions imagi-
nables. Elle montera & descendra, se divisera comme
des atomes volatils, jusqu’à ce qu’il y ait une parfaite
union entre eux & qu’ils soient tous rassemblés au fond
du vase. Quelque temps après, vous verrez paraître la
matière comme de la poix noire fondue, & vous serez
étonné de voir qu’une chose si purifiée puisse déposer
tant de malpropretés ; vous devez vous réjouir, quand
vous verrez paraître cette noirceur, parce qu’elle sera
suivie de la blancheur & du rouge parfait.
Vous verrez paraître beaucoup d’autres couleurs inter-
médiaires, comme la queue de paon après la noirceur,
l’iris après le blanc, &c.
Aussitôt que vous aurez vu sortir la tête du corbeau,
vous augmenterez le feu d’un demi-degré ; quand la ma-
tière tournera au blanc vous aurez l’occasion de repaître
vos yeux des plus belles choses qui soient dans le [13]
monde. La terre blanche feuillée sera semée d’une infini-
té de paillettes blanches éblouissantes & artistement ar-
rangées. Vous verrez aussi à travers le verre un grand
nombre de perles orientales infiniment plus brillantes
que les naturelles.
Ayant ainsi fait parvenir votre médecine au blanc par-
fait, vous aurez un élixir dont un grain guérit radicale-
ment toutes les maladies. Et si on en projette sur les mé-
taux imparfaits, ils se convertissent en argent meilleur
que celui de coupelle.

151
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

A cette époque, vous augmenterez le feu d’un degré suc-


cessivement ; cette blancheur se changera en un beau
jaune tirant sur le rouge ; & quand la matière sera au
degré de perfection, elle sera d’un rouge parfait, & se
formera en corpuscules globuleux qui brilleront comme
des rubis.
Voilà l’accomplissement du magistère pour guérir toutes
les maladies du corps humain & pour convertir tous les
métaux en or parfait. Ce que nous n’expliquons point ici
n’est point inconnu aux Philosophes.
Nous répétons encore qu’il faut bien connaître la terre
ou l’azoth des [14] Philosophes avant de commencer
l’opération, & pour faciliter la connaissance de cette ma-
tière, nous rapporterons un passage de Basile Valentin à
ce sujet. Cette matière, dit ce Philosophe, est une subs-
tance moyenne entre le métal & le mercure ; elle se li-
quéfie au feu comme un métal. Il est évident par ce que
nous venons de dire que la matière dont on fait la pierre
philosophale est une substance métallique ; c’est pour-
quoi, quand nous faisons des recherches, nous ne devons
jamais sortir du règne minéral ; car celui qui veut mois-
sonner du froment doit semer du froment ; & par la
même raison, quiconque veut moissonner de l’or ou de
l’argent doit semer de l’or ou de l’argent.
Les Philosophes n’ont jamais déterminé le temps qu’il
faut employer pour arriver à ces îles fortunées. Mais
nous pouvons assurer, qu’il faut au moins un an pour
faire toutes les opérations, à compter depuis la calcina-
tion de la matière jusqu’à la projection.
Quand on nous dit qu’il faut un an pour faire l’opération,
nous supposons qu’elle sera entreprise par un Artiste in-
telligent ; car si l’on n’est pas [15] sûr dans tous les tra-
vaux du magistère, on n’en sera pas plus avancé, quoi-
qu’on connaisse parfaitement la matière ; les accessoires
sont également aussi essentiels à connaître que la ma-
tière, puisque plusieurs Philosophes ont travaillé pen-
dant quinze ans avec l’azoth, avant de pouvoir réussir, &

152
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

des milliers de bons Chimistes ont travaillé pendant


trente, quarante, cinquante & soixante ans & même jus-
qu’à la fin de leurs jours, avec la véritable & unique ma-
tière de la pierre philosophale, sans pouvoir en retirer le
moindre avantage.
Cela prouve bien évidemment que cette science est un
don de Dieu, & qu’il faut la lui demander avec un cœur
pur & sincère, si l’on veut l’obtenir.
Le succès dépend d’une infinité de choses auxquelles
l’Artiste doit être attentif. Il doit savoir régler le feu,
d’après l’apparition de la tête du corbeau & de toutes les
autres couleurs qui toutes indiquent & exigent absolu-
ment un régime particulier dont il ne faut jamais
s’éloigner.
Aussitôt que la tête du corbeau commence à paraître, il
faut faire un [16] feu extrêmement doux, & ne point
l’augmenter avant d’avoir vu le noir parfait. A cette épo-
que, on l’augmente d’un demi-degré, où il faut le laisser
jusqu’à ce que le blanc soit passé ; pour lors, il faut en-
core l’augmenter avec beaucoup de précautions, & le
continuer ainsi jusqu’à la fin de l’opération.
L’on ne craint point de faire cuire la teinture ; car plus
elle sera cuite, plus elle sera parfaite ; mais il faut beau-
coup de temps pour fixer les parties volatiles & les ren-
dre en leur état naturel.
Si l’on augmente le feu tout à coup, la matière qui est
une véritable quintessence métallique s’amollit, les es-
prits s’agitent & font briser le vase dont les éclats peu-
vent tuer l’Artiste, qui peut être aussi empoisonné par
l’odeur de la matière, surtout si cela arrivait pendant la
putréfaction.
Tous les Philosophes sont d’accord que la matière de leur
pierre ou leur azoth, brut, en sortant de la minière, est
un poison mortifère, qui a fait mourir beaucoup de per-
sonnes ; cette même matière est encore bien plus veni-
meuse quand elle a passé par le [17] feu, où elle déve-

153
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

loppe son poison, qui, au lieu de perdre quelque chose de


sa mauvaise qualité, devient bien plus puissant. Les
Philosophes nous en ont assez averti, en comparant la
matière de la pierre, lorsqu’elle est en putréfaction, au
venin de la vipère.
Après de pareils avis, l’Artiste prudent ne doit jamais
entrer dans son laboratoire, sans être muni de contre-
poison, en cas d’accident.
Quand les Philosophes ont dit que la seconde partie de
l’opération de la pierre était l’ouvrage des femmes & le
jeu des enfants, ils ont dit la vérité ; mais avec tout cela,
il faut toujours un Artiste intelligent, assidu, & qui ait
beaucoup de patience ; car il ne faut point ignorer les rè-
gles de l’art pour gouverner le feu, dont le succès de
l’opération dépend pour la plus grande partie.
Je pense qu’on ferait très bien de mouiller les charbons
avant de les jeter dans le fourneau ; cela ne peut man-
quer de produire un très bon effet ; car si l’on ne mouille
pas les charbons, du moins en partie, ils s’allument tout
à coup, & occasionnent [17] une augmentation subite de
chaleur, qui fait presque toujours briser les vaisseaux,
qui ne peuvent être que de verre fragile.
Faber dit qu’il préfère la digestion humide à la sèche, &
qu’il vaut mieux faire la circulation au bain-marie que
sur le sable ou sur les cendres.
J’ai connu un Philosophe qui, après avoir mis la matière
dans l’œuf philosophique, le plaçait dans un vase de bois
qu’il arrangeait sur un trépied dans un alambic de cui-
vre fort élevé. Le fond du vase de bois était éloigné de
deux pouces de la superficie de l’eau. Quand l’alambic
était fermé, il circulait une chaleur douce autour du vase
qui se trouvait au même degré de chaleur que l’œuf qui
est sous la poule qui couve.
Un Chimiste me communiqua un jour comme un secret
de la plus grande importance, qu’il n’employait qu’un feu
de lampe pour prévenir la rupture des vases, & pour

154
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

empêcher qu’aucune matière hétérogène n’entrât dans le


vase à travers les pores du verre.
Tous les Philosophes abhorrent le feu actuel à cause de
sa violence ; ils [19] emploient ordinairement & avec
plus de sûreté leur feu froid & humide. Ils disent que
toutes leurs fermentations se font par le moyen de cer-
tains mélanges à froid, & que cette voie est beaucoup
moins dangereuse qu’avec le feu de lampe dont la vio-
lence fait briser les vaisseaux à chaque instant.
Beccher a assez bien décrit tous les degrés de feu, à la
page 494 & suivantes du premier volume de ses ouvra-
ges.
La terre des Philosophes doit être préparée par un Ar-
tiste intelligent. Il faut en extraire la quintessence sans
y rien ajouter d’hétérogène. L’or & l’argent vulgaires
qu’il faut faire dissoudre dans le mercure philosophique
pour faire la pierre, étant de la même nature que la
terre ou azoth des Philosophes, ne doivent point être re-
gardés comme étrangers à la matière ; mais avant que
d’employer ces deux luminaires, il faut les purifier, les
calciner les ouvrir pour les réincruder, pour en faciliter
la dissolution & développer les germes propagatifs qu’ils
contiennent.
L’or & l’argent sont comme les [20] mobiles de tous les
métaux inférieurs ; & voici la méthode qu’on doit suivre
quand il est question de les réincruder.
Avant achevé la première opération ou la première par-
tie du magistère vous prendrez dix parties de liqueur
laiteuse, & vous y ajouterez deux parties d’or si vous
voulez faire la médecine pour le rouge. Si vous voulez la
faire pour le blanc, vous y ajouterez deux parties
d’argent de coupelle, l’un & l’autre doivent être réduits
en limaille ou en feuilles très minces, pour aider la na-
ture dans ses opérations, & accélérer la dissolution.
Si vous voulez faire une médecine pour le rouge vous fe-
rez fondre avec de l’antimoine crud, l’or pur que vous

155
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

voulez employer pour le ferment. Vous le tiendrez en fu-


sion pendant quatre heures, & le verserez dans une lin-
gotière.
L’or ne s’amalgame & ne s’incorpore jamais avec
l’antimoine, il attire seulement tout l’alliage qu’il peut
contenir. Prenez ensuite votre lingot quand il sera re-
froidi, frappez-le sur une enclume à coups de marteau,
l’antimoine tombera en poudre, & votre or restera pur en
une masse spongieuse ; mettez [21] ensuite votre or dans
un creuset, faites-le rougir sans le faire fondre : faites
chauffer en même temps quatre fois autant pesant de
mercure vulgaire, & jettez-le sur l’or, qui, pour lors, se
fondra comme de la glace dans l’eau bouillante.
Tandis que votre amalgame sera encore chaud, vous
verserez de bon esprit de vin dessus, à la hauteur de
quatre doigts. Vous mettrez le tout dans une cornue avec
son récipient, bien luté, & vous ferez distiller l’esprit de
vin & le mercure : vous trouverez votre or réduit en pou-
dre ouverte au fond du vase. Cette poudre est disposée à
se dissoudre & s’incorporer dans le mercure philosophi-
que, pour faire la médecine universelle.
Mais je préférerais le sable d’or des Indes Orientales,
parce qu’il est volatil & contient un soufre naturel qui
est infiniment plus disposé à s’incorporer que l’or purifié
par l’antimoine avec lequel il est très difficile de réussir.
Après avoir fait votre amalgame avec de l’or ou de
l’argent, vous le ferez passer par la roue philosophique,
selon les règles de l’Art ; si, [22] au bout de deux mois, il
arrivait que votre ferment ne soit pas entièrement dis-
sout, vous y ajouteriez un peu de menstrue, & vous fe-
riez digérer pendant deux autres mois, ou jusqu’à ce que
votre poudre ou sable d’or soit entièrement dissout, &
que le tout soit converti en teinture parfaite, que vous
pourrez multiplier à l’infini de la manière suivante, que
j’ai apprise d’un adepte Italien.

156
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Prenez une partie de votre teinture rouge ou blanche,


ajoutez-y dix parties de la liqueur laiteuse qui le liquéfie
à une chaleur douce, & qui se coagule aussitôt qu’elle
sent le moindre frais, dont nous avons donné la composi-
tion dans la première partie du présent procédé. Mettez-
le tout dans l’œuf philosophique, fermé hermétique-
ment ; placez le vase, en digestion, au bain vaporeux,
comme nous l’avons dit ci-dessus, au bout de trois se-
maines ou environ, tout votre mélange sera converti en
teinture parfaite.
Vous aurez soin de faire un feu très lent dans le com-
mencement de la digestion, & vers le quinzième jour,
vous l’augmenterez jusqu’à faire bouillir l’eau pour accé-
lérer la fixation parfaite. [23]
Quand vous aurez fait cette multiplication de teinture,
vous pourrez la multiplier encore en quantité & en ver-
tu.
Vous pourrez répéter plusieurs fois cette opération, en
ajoutant chaque fois dix parties de la liqueur laiteuse
pour une partie de teinture.
En réitérant ainsi plusieurs fois l’incération, vous
conduirez votre teinture à un degré de perfection qu’il
n’est pas possible d’exprimer ; car elle a la vertu de
convertir en or ou en argent tous les corps imparfaits,
selon sa spécification ; mais cet avantage n’est que fu-
mée en comparaison des autres vertus qu’elle renferme ;
car elle guérit radicalement, comme par miracle, toutes
les maladies. Elle a encore une infinité d’autres proprié-
tés que je ne puis décrire.
La teinture blanche est aussi une excellente médecine,
mais la rouge a beaucoup plus de vertu : on en prend en
plus petite dose que de la blanche, & plus rarement ;
mais si c’est pour guérir une maladie grave, on en prend
de deux jours l’un, pendant douze jours, & l’on le trouve
radicalement guéri.

157
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Si l’on emploie cette admirable teinture [24] pour la


conversion des métaux imparfaits en or ou en argent, un
grain suffit pour en convertir plusieurs onces, pourvu
qu’on ait fait subir, à cette même teinture, l’opération de
la conjonction & de la fixation, & pourvu que les métaux
imparfaits, qu’on veut transmuer, soient en fusion.
Cette même teinture sert aussi pour convertir en pierres
précieuses, en rubis, & en topazes, les pierres brutes,
ainsi que les cristaux ordinaires.
Elle tire promptement la teinture du coral, celle de l’or &
de l’argent, des perles, de l’antimoine, ce qu’aucune au-
tre liqueur ne peut faire que d’une manière très impar-
faite.
Si l’on fait dissoudre de la teinture blanche, ou de la
rouge, dans de l’eau de pluie, pour en arroser les arbres,
les plantes, les fleurs paraîtront promptement, les fruits
seront précoces, & auront un goût balsamique admira-
ble ; les vieux arbres reprendront un nouvel accroisse-
ment, & pousseront une grande quantité de rejetons vi-
goureux.
En un mot, c’est le remède universel qui guérit généra-
lement toutes les créatures de toutes les maladies aux-
quelles [25] elles sont sujettes ; il restitue l’humide radi-
cal & la chaleur naturelle éteinte par la corruption de la
malle du sang qu’il renouvelle ; il ranime tous les es-
prits, porte un baume dans le sang dont il rétablit la cir-
culation interrompue par l’obstruction des viscères &
des glandes.
Toutes ces merveilles s’opèrent dans le corps humain,
par le moyen d’une chaleur naturelle analogue à la Na-
ture qui reprend aussitôt toutes ces fonctions.
La médecine universelle agit dans le corps humain, de la
même manière que le soleil agit sur la rosée ou sur l’eau
de pluie, où il concentre les atomes aériens qui conser-
vent tous les êtres dans leur vigueur naturelle, les fé-
conde, les nourrit comme fait la médecine universelle,

158
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

qui, par la permission de Dieu, prolonge la vie de


l’homme, rétablit la jeunesse ; c’est une médecine cé-
leste, dit Basile Valentin, qui frappe & guérit ; c’est
l’arbitre de la vie & de la mort, que Dieu a créé en faveur
des hommes qui voudront la mériter, en se conformant à
la morale de l’Évangile.
Les effets merveilleux que produit [26] cette médecine,
ne sont point contraires à ce que nous lisons dans le
chap. 14 du livre de Job, où il est dit que Dieu a posé un
terme à la vie de l’homme. Il est certain que celui qui
n’aura pas le bonheur de posséder cette divine médecine,
mourra selon le cours ordinaire de la Nature ; mais celui
à qui Dieu aura accordé ce précieux trésor, doit être ex-
cepté de la règle générale ; car rien n’arrive que par la
permission de Dieu, qui a attaché une vertu miraculeuse
à cette médecine céleste.
Il est indubitable que Dieu connaît le genre de mort dont
nous devons mourir, & qu’il n’est pas possible de le re-
tarder sans sa permission ; mais nous pouvons employer
les causes secondes & éviter les excès.
Dieu peut, s’il le juge à propos, accorder une triple durée
de vie à un homme, ou faire qu’il puisse vivre aussi long-
temps qu’il conservera son corps en état de vivre ; parce
qu’il a reçu du Créateur, le libre-arbitre, pour se compor-
ter comme il voudra dans le monde, se réservant
d’ailleurs, pour l’autre vie, de le récompenser ou de le
punir selon ses œuvres.
Celui qui ne voudrait pas modérer [27] ses passions, qui
voudrait se livrer à tous les excès, ou s’exposerait témé-
rairement & sans nécessité à un danger inévitable,
abrégerait ses jours, & rendrait vains & inutiles tous les
remèdes ordinaires. Celui qui mènerait une vie pareille,
serait sans doute accablé d’infirmités, & comme cassé de
vieillesse à la fleur de son âge : Dieu, pour l’attendre à
repentance, lui accorde une prolongation de vie ;
d’autres fois, il abrège ses jours pour le punir de ses pé-
chés dès cette vie, ou pour mieux dire, Dieu permet

159
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

qu’un méchant homme, un impie, abrège ses jours lui-


même. En un mot, il est évident que Dieu nous a donné
un moyen de retarder la mort, & de conserver notre es-
prit sain dans un corps sain.
Tous les Philosophes ont décrit cette matière conserva-
trice sous des noms allégoriques, énigmatiques, & s’ils
l’ont donné à flairer, ce n’est que sur la fin de l’opération,
ou dans le second ordre.
Plusieurs Chimistes ont cherché cette teinture dans un
sujet où elle était bien éloignée, & même dans un corps
fixe d’où il n’était pas possible de la tirer ; [28] ou ils
n’avaient pas le véritable moyen de l’extraire, ou enfin
Dieu a permis qu’ils manquassent l’opération, parce qu’il
voyait, par sa toute-puissance, qu’ils en feraient un
damnable usage.
La médecine universelle contient un baume céleste qui
est analogue avec notre esprit vital ; mais il faut une
main philosophique pour extraire, cuire, & conduire ce
baume au degré de maturité qui lui est absolument né-
cessaire pour opérer ses effets.
Les eaux stagnantes & croupissantes & même les plus
corrompues sont purifiées par l’eau du Ciel, d’où elles
proviennent ; ces deux mots renferment une grande véri-
té & peuvent procurer de grandes lumières.
C’est une expression impropre, de dire que la teinture
universelle opère la transmutation des métaux ; il vau-
drait beaucoup mieux dire, qu’elle mûrit les corps impar-
faits & les exalte, parce que tous les métaux sont analo-
gues entre eux & ne diffèrent les uns des autres que d’un
seul degré plus ou moins éloigné : on peut leur commu-
niquer ce degré par le moyen de l’Art ; la raison &
l’expérience sont [29] deux choses nécessaires pour ac-
quérir ces trésors incomparables.
Cette teinture universelle se tire des premiers principes
universaux de toute chose qui existe dans le monde par

160
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

les influences des astres, qui, par leur disposition, cau-


sent la végétation, la vie & la mort.
Toutes les choses sublunaires sont exposées à de pareil-
les vicissitudes ; les astres nous présentent des remèdes
pour guérir tous les maux qu’ils nous causent.
La teinture universelle brillera aussi longtemps que
l’harmonie établie entre les astres subsistera ; & rien ne
pourra jamais altérer cette teinture qu’un bouleverse-
ment général.
Rien n’est plus absurde que le raisonnement de ceux qui
nient l’existence d’un seul remède pour guérir toutes les
maladies qui proviennent d’un sang corrompu ou vicié ;
remettez ce fluide dans son état naturel, & le corps dans
lequel il circule sera guéri. La teinture universelle seule,
peut ainsi rétablir le corps humain, ou elle agit comme
une huile bien pure dans une lampe ; la teinture univer-
selle brûle tandis qu’elle a un aliment, [30] & quand cet
aliment, ou pour mieux dire, quand les humeurs hétéro-
gènes manquent, la lampe, l’huile, ou le feu universel
s’éteint dans le corps humain, sans toucher les parties
saines sur lesquelles il peut tomber : il maintient le feu
vital, & entretient les esprits à l’entour du cœur, où il
répand une vertu balsamique, qui se distribue ensuite
dans toute la masse du sang, qui se renouvelle entière-
ment, & chaque membre du corps reçoit une nouvelle
force pour reprendre les fonctions que les maladies &
l’âge lui avaient fait interrompre.
Le vin, par exemple, opère toujours son effet, lorsqu’il
est pris en quantité convenable ; mais lorsqu’il est pris
en trop grande quantité, il opère des effets contraires, &
selon la disposition de celui qui le boit.
Quand un homme est ivre, son génie & son caractère se
développent ; voilà pourquoi l’on voit des ivrognes qui
sont pleins de joie, tandis que d’autres sont tristes & as-
soupis. Dans d’autres, il opère des effets cruels, barba-
res, impies & infâmes.

161
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Par la même raison, quand la [31] teinture universelle


est prise en quantité convenable, elle opère toujours des
effets salutaires, mais elle a ce triple avantage d’opérer
les mêmes merveilles dans les trois règnes.
Il existe un secret particulier qu’on compose avec des
sels, pour convertir tous les métaux imparfaits en or &
en argent.
Les impies & les libertins ne doivent point prétendre
parvenir à la connaissance de cette science divine, parce
que Dieu seul est le scrutateur des cœurs, & il ne per-
mettra jamais qu’ils réussissent, tandis qu’au contraire
il conduira ceux qui le craignent jusqu’à la porte de ce
trésor, & leur mettra la clef en main pour l’ouvrir ; mais
avec tout cela, il faut travailler après l’avoir prié ; car les
élus même ne recevront pas ce don céleste, s’ils dorment
tandis qu’ils devraient travailler.
Quand vous voudrez travailler à cette admirable tein-
ture, vous prendrez deux onces de mercure, d’antimoine,
& une once de chaux d’or ; mais souvenez-vous que nous
parlons ici de l’antimoine philosophique & non du vul-
gaire ; broyez le tout dans [32] un mortier de porphyre,
& mettez-le dans l’œuf philosophique, lequel vous scelle-
rez hermétiquement ; placez votre vase sur un feu de sa-
ble très doux, & faites cuire la matière pendant neuf
mois ; mais ayez la précaution de faire un feu gradué se-
lon la disposition de la matière ; car l’œuf peut se briser
au bout de huit mois comme le jour qu’il est mis en cir-
culation.
Les Chinois ont fait beaucoup de progrès dans cette
science divine ; leur Empereur Hiao a eu le bonheur de
découvrir la médecine universelle, par le moyen de la-
quelle il a vécu si longtemps qu’on l’a cru immortel.
Le continent Austral n’est pas encore connu, parce que
la boussole ne sert plus de rien quand on est parvenu à
une certaine hauteur, où les Pilotes commencent à ne
plus savoir où ils vont. Dieu a sans doute réservé cette

162
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

connaissance pour des temps à venir, que nos descen-


dants pourront voir.
Il en est de même de la Province ou du Continent philo-
sophique, il n’existe aucune boussole pour diriger les pas
de ceux qui le cherchent ; [33] c’est pourquoi il faut prier
Dieu de vouloir bien être notre guide ; si nous lui de-
mandons cette grâce avec un cœur pur, avec l’intention
de soulager le prochain dans toutes les adversités, en
renonçant nous-mêmes aux richesses que nous pourrions
acquérir par le moyen de la médecine universelle, avec
ces dispositions, nous obtiendrons sans doute l’effet de
notre demande.
Voici enfin la déclaration de la matière de la teinture
universelle en termes clairs, intelligibles & conformes à
la vérité, ainsi qu’en termes obscurs, énigmatiques, em-
blématiques, & en caractères hiéroglyphiques, comme
Dieu veut que cela soit afin que les choses divines ne
tombent jamais entre les mains des impies.
O ! vous tous avares ambitieux, pauvres Alchimistes &
Chimiastres, qui végétez dans un misérable laboratoire,
où l’envie d’acquérir la teinture universelle vous fait sé-
cher à la fumée de mille poisons, vous ne serez heureux
qu’après avoir trouvé le véritable poison mortel qui
donne la mort aux ignorants, & fait vivre longtemps les
véritables enfants de l’Art ! [34]
O ! vous tous qui avez une soif dévorante & une faim ca-
nine d’or & d’argent, ouvrez les oreilles & écoutez encore
attentivement ce que nous allons dire. Si vous nous avez
compris, & si vous nous faites la grâce de nous croire,
vous pourrez vous procurer quelques moments de repos.
Vous ne manipulerez plus tant d’ordures & de cadavres
puants. Vous ne chercherez plus ce trésor dans les her-
bes, vous ne vous dessécherez plus les poumons en brû-
lant des tas énormes de charbons ; vous reconnaîtrez, si
Dieu vous est propice, qu’il faut du charbon, mais qu’il
n’en faut pas tant que vous pensez. Vous ne vous rôtirez
plus, comme vous faites : vous reconnaîtrez que vous

163
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

pourrez guérir tous les maux avec une seule médecine


qu’on fait avec une seule substance métallique ; mais il
n’est pas facile de composer cette médecine ; c’est un oi-
seau que vous devez prendre au vol avec le filet
d’Hermès, & c’est vous-même qui devez faire ce filet.
Mais parlons clairement & sans énigmes : la médecine
se fait avec une seule substance métallique, qui contient
[35] tout ce qui lui est nécessaire pour se suffire à elle-
même, sans lui rien ajouter d’étranger ; mais si vous
voulez qu’elle soit en état de donner des secours à ses
frères qui sont au nombre de six, il faut lui donner un
aliment pour lui procurer des forces, & cette nourriture
doit être analogue à sa substance. Voilà déjà deux choses
que vous devez savoir. Vous devez ensuite connaître le
feu & la manière de le gouverner selon la disposition de
la matière. Le vase philosophique est aussi un point es-
sentiel ; car si vous n’en connaissez pas la matière & la
forme, vous ne pourrez jamais réussir ; mais ce n’est pas
encore tout. Il est aussi absolument nécessaire de
connaître l’année philosophique & ses quatre saisons
pour vendanger les raisins hermétiques à leur point de
maturité pour en faire un élixir ; car si vous cueillez ces
raisins tandis qu’ils sont en fleurs ou en verjus, vous
n’en ferez jamais rien de bon ; au lieu d’engendrer
l’oiseau d’Hermès, vous n’engendrerez que des scorpions,
si vous ne savez faire la vendange hermétique dans son
temps précis.
La Physique naturelle vous apprendra [36] à connaître
tous ces temps, toutes ces saisons de l’année philosophi-
que. Ce petit Traité renferme tout ce qu’on peut dire de
plus clair & d’intelligible sur ce sujet ; & si l’on compare
ce que nous avons dit avec tous les ouvrages des Philo-
sophes, on reconnaîtra que nous avons parlé clairement.
Nous devons imiter saint Paul en publiant les grâces
que Dieu nous a faites, & ne point imiter le mauvais
serviteur qui enfouit son trésor dans la terre.

164
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Plusieurs Alchimistes mettent toute leur confiance dans


l’or seul, parce qu’il est le roi des métaux, le vrai soleil &
le phosphore parfait. Il est vrai que l’or contient un
baume céleste, incomparable, qui a la vertu de rétablir
le corps humain ; mais il faut savoir tirer ce baume du
fond des entrailles de l’or dans lequel il est renfermé ; il
faut le dissolvant universel pour réduire l’or en sa pre-
mière matière ; il faut le dissoudre sans l’altérer pour en
avoir la teinture parfaite.
D’autres Chimiastes se brûlent la cervelle en travaillant
le mercure vulgaire qu’ils amalgament avec des choses
[37] qu’on ne peut nommer sans faire dresser les che-
veux à la tête ; après avoir passé plusieurs années dans
des recherches inutiles & criminelles, ils se jettent sur le
cuivre, le fer, l’étain, le plomb, l’orpiment, le talc, le sel
de nitre, le sel ammoniac, l’alun, l’aimant, l’arsenic, le
mercure sublimé & la pierre calaminaire. Ensuite ayant
reconnu qu’ils étaient dans l’erreur, ils ont extrait les
sucs des fruits des herbes pour faire le dissolvant uni-
versel, oubliant ce que disent tous les Philosophes una-
nimement, qu’il ne faut jamais sortir du règne métalli-
que puisque le corps de l’or qu’il faut dissoudre est de ce
règne, le dissolvant en doit être aussi.
La matière propre à faire le dissolvant universel, est ré-
ellement contenue dans tous les sujets que nous venons
de nommer ; mais, outre qu’il est bien difficile de l’en ti-
rer, elle y est altérée & trop éloignée ; elle y est trop
fixe ; & le baume qui doit nécessairement se trouver
dans le sel qui en provient, après la préparation, est trop
coagulé & contient trop de parties terrestres & étrangè-
res, trop de soufre combustible & trop de soufre [38] in-
combustible pour qu’il soit possible d’en faire
l’extraction ; mais il existe, comme nous l’avons déjà dit,
deux sujets où la matière est abondante & d’où l’on peut
la tirer facilement, par deux opérations différentes.
Il est indubitable qu’un grand nombre de Chimistes ont
travaillé pendant plusieurs années sur le véritable azoth

165
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

des Philosophes, sans en retirer aucun avantage, parce


qu’ils ignoraient les principes de la Nature ; ils igno-
raient que cette matière doit être exposée à l’air pour
s’imprégner des influences célestes.
Il existe plusieurs procédés particuliers dans la composi-
tion desquels le menstrue ou dissolvant universel dont
nous venons de parler n’entre pas ; mais ces secrets par-
ticuliers ne peuvent guérir qu’un certain nombre de ma-
ladies & perfectionner les métaux sans les transmuer
entièrement ; car il est certain qu’on peut exalter le cui-
vre au degré de l’argent sans avoir la médecine univer-
selle ; ce particulier existe réellement & peut rendre
opulent celui qui le possède.
Mais tous ces secrets particuliers ne sont rien en compa-
raison de la médecine [39] universelle qui en une poudre
salsugineuse ou analogue au sel, d’une couleur rougeâ-
tre, un peu luisante & aussi pesante que le plomb ; cette
poudre se liquéfie à la chaleur du soleil ou d’une lampe ;
elle soutient un feu de fusion, où elle demeure fixe & in-
combustible.
La médecine universelle n’a toutes ces qualités qu’à
cause qu’elle provient d’une substance incombustible en
elle-même ; il faut bien qu’elle ait ces qualités, puisque
les Philosophes disent qu’on peut la préparer ou calciner
dans un four de verrier pendant plusieurs jours sans
craindre de l’altérer ; car rien ne se brûle ou détruit que
les parties grossières, terreuses, superflues & nuisibles
qu’on doit nécessairement séparer par le moyen du feu.
Si l’on broie la matière salsugineuse ou l’azoth des Phi-
losophes avec la rosée du mois de Mai, & qu’on mette
l’amalgame dans une cornue de verre, sur un feu de sa-
ble, on verra, dans le cours d’une journée, plusieurs mé-
tamorphoses admirables ; le mélange deviendra d’abord
d’une couleur brune, ensuite jaune, verdâtre, d’un beau
[40] bleu céleste & transparent comme du cristal. Toutes
ces couleurs paraissent successivement du matin au
soir, & l’on remarque des variations sensibles d’un quart

166
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

d’heure à un autre, parce que tous les éléments y sont


rassemblés par les vapeurs du sel, du soufre & du mer-
cure ; cela arrive par une admirable combinaison que.
Dieu seul connaît parfaitement.
C’est un prodige de voir qu’une seule substance a trois
vertus & trois propriétés différentes.
L’esprit & l’âme universelle sont donc contenus dans le
sel de la terre fomentée par les, astres qui produisent
l’or, le mercure, le baume, la quintessence des éléments ;
c’est par conséquent dans ce sel qu’il faut chercher la
médecine universelle : mais il faut séparer l’esprit de ce
sel & le rejoindre avec son corps par le moyen duquel il
agit & dans lequel il opère en même temps pour
conduire ses opérations à un terme propice. On réussira
sûrement si l’on a le bonheur de concentrer &
d’imprégner ce vrai nectar de Jupiter d’un soufre d’or
pur, ou d’un soufre philosophique ; mais il faut être dili-
gent pour saisir promptement [41] l’oiseau hermétique
lorsqu’il n’a encore qu’une aile : car si l’on attend qu’il
ait toutes ses plumes, il s’envolera, & l’on ne pourra ja-
mais l’attraper pour le renfermer dans la cage philoso-
phique.
Les Philosophes n’ont jamais fait la description du lieu
qui doit contenir le ferment dans la matrice de la tein-
ture universelle ; ils ont été aussi réservés sur ce sujet,
que lorsqu’ils ont indiqué la véritable matière sous une
infinité de noms supposés & enveloppés sous l’énigme.
Il est évident que tous les corps métalliques découlent de
ce premier Être universel, qui fait circuler la semence
dans toutes les matrices, & après que les influences as-
trales ont fait fermenter cette substance, les métaux se
forment & prennent leur accroissement. Il en est de
même des végétaux, des plantes, du froment, par exem-
ple ; car on aura beau exposer aux rayons du Soleil & de
la Lune, aux influences des astres, la graine d’une
plante quelconque, si elle n’est pas déposée dans sa ma-
trice, qui est la terre où elle doit être placée pour rece-

167
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

voir les influences astrales, elle [42] ne germera jamais,


parce que le sel fixe qui n’existe que dans la terre, est le
véritable agent qui développe la fermentation nécessaire
à toute forte de génération.
Beccher dit que l’esprit vivifiant du sel fixe de la terre
habite dans les airs, que c’est lui qui agite les fleurs, qui
les fait fermenter & produit toutes les couleurs que nous
voyons dans le monde, dans les trois règnes ; c’est ce
même esprit qui guérit toutes les maladies, qui renou-
velle entièrement la masse du sang en en séparant tou-
tes les humeurs nuisibles ; il pénètre jusqu’au centre de
la terre pour mûrir & teindre en même temps tous les
métaux dans les minières.
La substance la plus essentielle à notre existence se
trouve dans cette matière nous vivons tant que nous
pouvons prendre cette nourriture, & nous mourons aus-
sitôt que nous en sommes privés.
Cet esprit ne paraît que sous la forme d’un sel volatil aé-
rien, qui est une substance parfaite qui conserve tous les
êtres. Ce sel est contenu dans tous les êtres ; mais il y
est renfermé, & il faut les calciner pour l’en retirer & le
faire paraître. [43]
Quoique cet esprit céleste soit répandu dans tout
l’univers, en tout lieu, on ne doit cependant pas croire
qu’on pourra le prendre partout ; car la terre seule est sa
matrice naturelle, c’est dans la terre qu’il s’imprègne de
toutes les vertus élémentaires.
Quand on a fait l’extraction de ce sel par le moyen d’une
calcination convenable, il faut lui donner un lieu pour le
contenir, parce qu’il est extrêmement fugitif & volatil.
Sans ce lieu, il ne serait pas possible de lui faire subir
les opérations nécessaires pour développer les vertus
qu’il renferme.
Un Laboureur intelligent connaîtrait bientôt la terre qui
contient ce sel, s’il voulait se donner la peine d’examiner
les productions de la Nature ; car la terre dont nous par-

168
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

lons répand l’abondance partout où elle est employée.


Quand on a envie d’acquérir des connaissances, il faut
étudier & faire des expériences ; voilà le moyen de dé-
couvrir le trésor caché des Philosophes, ou pour parler
plus clairement, voilà le moyen de trouver la minière où
l’on prend l’azoth qui renferme une prodigieuse quantité
de sel fixe central, lequel attire continuellement [44]
d’autres sels qui s’incorporent avec l’aimant sympathi-
que vers lequel toutes les influences astrales sont diri-
gées.
Il est évident qu’on doit chercher cette terre bénite & fé-
conde, qui contient le sel philosophique ou la matière
prochaine de la pierre, & qu’il est presque impossible de
la trouver ailleurs qu’aux environs des mines d’or, en
Hongrie, en Transylvanie, à Nuremberg, dans le Tokay
& ailleurs, pourvu qu’il y ait des mines d’or abondantes
ou non. Cette terre est jaunâtre, parce qu’elle est impré-
gnée du soufre volatil de l’or, ou d’or qui en entièrement
volatil.
Cette terre est excellente quand elle est prise à quelques
pieds de profondeur directement sur la minière, parce
que l’or qui se coagule, se cuit & végète dans sa minière,
exhale continuellement une vapeur qui se corporifie
dans sa terre, vers laquelle elle se dirige par l’expulsion
du feu central de la minière ; elle est attirée par une ver-
tu magnétique, d’ailleurs, vers la surface de la terre.
La terre, qui est perpendiculairement au-dessus des
minières, peut être [45] considérée comme un ample
chapiteau, où se condensent & se corporifient toutes les
exhalaisons qui montent comme d’un creuset rempli d’or
en fusion ; mais avec cette différence que les vapeurs qui
s’exhalent d’une minière sont des vapeurs d’or vivant,
tandis que celles qui partent d’un creuset rempli d’or en
fusion, doivent être considérées comme des émanations
d’un corps mort.
L’aimant philosophique se trouvant dans la terre, expo-
sée à la vapeur d’une minière d’or, doit être imprégnée

169
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

d’un véritable soufre d’or volatil, par le moyen duquel les


êtres universaux sont mis en mouvement, & par leur
grande analogie avec l’or, l’aimant philosophique, atti-
rent copieusement d’en haut tout ce qui est nécessaire
pour conduire le magistère à son plus haut point de per-
fection. Si l’on fait l’opération avec cette terre de Hongrie
ou terre d’or, ou imprégnée d’effluvions d’or par le moyen
d’un esprit convenable, on en tirera une teinture qui a
des vertus infinies pour guérir toutes les maladies, &
renouveler entièrement la masse du sang.
Il faut mettre quelques livres de cette terre dans un
alambic de verre avec [46] un menstrue analogue à cette
terre d’or. On fait digérer le mélange pendant un mois
sur les cendres tièdes, selon l’art ; au bout de ce temps,
toutes les parois du vase seront chargées d’une croûte
d’or très épaisse. On aura de la peine à croire que la pe-
tite quantité de terre qu’on emploiera pour faire
l’opération, pourra produire une si grande quantité d’or.
D’après une pareille expérience, il est évident qu’il serait
bien plus commode & plus avantageux de chercher la
matière de la médecine universelle dans la terre aux en-
virons des minières d’or, ou près des rivières qui roulent
des paillettes de ce précieux métal, que partout ailleurs.
Le sable d’or qu’on ramasse dans les rivières des Indes
Orientales contient certainement un soufre d’or volatil,
ou pour mieux dire, un or crud.
On a tenté en vain jusqu’à présent, de réduire en corps
le sable des Indes Occidentales ; on le met en fusion sans
difficulté ; mais à cause de sa grande volatilité, il
s’envole aussi promptement que le mercure vulgaire. Il
est étonnant de voir que tant d’habiles Chimistes
d’ailleurs ne fassent pas attention [47] à cet or volatil ;
c’est un trésor que la Nature nous présente ; mais la
cupidité, l’ambition, l’avarice, l’amour des richesses
aveuglent bien des personnes. On cherche à réduire ce
sable d’or en corps ou en lingots, & l’on ne fait pas atten-

170
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

tion que cet or volatil présente une matière toute prépa-


rée pour faire la teinture universelle.
Nous savons qu’il y a des Artistes expérimentés qui ont
adopté une autre matière plus agile à ce qu’ils disent, &
plus convenable pour faire la teinture universelle, &
qu’ils prétendent avoir plus d’efficace dans la partie mé-
dicale ; mais nous laisserons ces Messieurs dans leur
opinion, en ajoutant qu’ils ne peuvent avoir que des pe-
tits particuliers, qui sûrement ne les conduiront jamais
à la teinture universelle. Ne perdons jamais de vue cet
axiome philosophique :
Celui qui veut moissonner du froment doit semer du
froment, & par la même raison celui qui veut moisson-
ner de l’or doit semer de l’or.
Quand on veut moissonner du bled, il ne faut pas semer
du pain ; de même quand on veut moissonner de [48]
l’or, il ne faut pas semer de l’or dont le germe soit brûlé.
Nous laissons les Chimistes entêtés dans leur opinion ;
ceux qui ne voudront pas faire attention à ce que nous
venons de dire, verront à quoi peut les conduire leur sys-
tème. Ils reconnaîtront, mais peut-être trop tard, qu’ils
sont dans l’erreur. Les opérations chimiques sont lon-
gues & dispendieuses, le Chimiste vieillit, & se trouve
insensiblement hors d’état de pouvoir rien entreprendre.
J’ai dit que le sel fixe de la terre avoir la même origine
que le sel volatil aérien, quoiqu’ils paraissent d’une qua-
lité bien différente ; mais si l’on les fait fermenter en-
semble, ils s’unissent & se conjoignent amicalement.
Tous les végétaux & minéraux doivent leur exigence à ce
sel fixe, qui attire les esprits dont ils ont besoin pour
prendre leur forme & leur accroissement.
Le sel fixe de la terre attire d’en haut le sel volatil pour
fertiliser tout

171
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

ce qu’il rencontre ; & si la terre ne contenait pas ce sel


fixe, elle ne pourrait être une matrice propre à recevoir
ce sel volatil de l’air, pour [49] le conserver, le faire fer-
menter & le réunir.
Ces deux choses n’en font qu’une seule, parce que,
comme nous l’avons dit ci-devant, elles n’en faisaient
qu’une dans le commencement ; elles sortent du même
principe, & elles sont de même nature ; voilà pourquoi
elles doivent se réunir ; le volatil devient fixe, & le fixe
devient volatil, & ils se rendent l’un à l’autre ces secours
mutuels par le moyen du magnétisme universel & par la
grande sympathie qui est entre eux.
La matière de la teinture universelle vient d’être nom-
mée par son propre nom, ainsi que la saison, le temps
favorable pour faire l’opération.
Les Philosophes ont enveloppé avec grand soin ces deux
points essentiels, & pour mieux réussir, ils ont employé
les allégories, les énigmes, & une infinité de noms
étrangers.
Voilà la matière de la teinture universelle & la manière
de la préparer. Jusqu'à présent, on n’a cherché qu’à ca-
cher ce que je viens d’écrire ouvertement ; ces noms sau-
vages qu’ont employés les Philosophes, ont entraîné une
foule d’avares & de voluptueux [50] dans un labyrinthe
d’où ils ne sortiront jamais. Dieu a permis qu’ils se
trompassent ainsi eux-mêmes, parce qu’ils ne cher-
chaient le trésor que pour satisfaire leurs désirs déré-
glés. Nous venons de parler clairement ; mais ceux qui
n’auront pas des vues légitimes, n’en retireront jamais le
moindre avantage.
Le point essentiel de l’opération dépend de la fermenta-
tion du sel volatil aérien avec le sel fixe de la terre, pour
les conjoindre amicalement & légitimement ensemble.
Si tous ceux qui ont travaillé sur cette matière n’ont pas
réussi, ç’a été de leur faute plutôt que de celle des Philo-
sophes qui ont écrit. Si ceux qui ont erré s’étaient donné

172
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

la peine de réfléchir, ils auraient su éviter les précipices


dans lesquels ils sont tombés.
La plus grande partie des Chimistes se borne à la
connaissance des trois noms génériques de sel, de soufre
& de mercure, & ils croient tout savoir quand ils ont ces
trois mots gravés dans la mémoire. Il est bien constant
que ces trois minéraux exercent un empire continuel &
absolu dans les [51] trois règnes où ils dirigent & ras-
semblent toutes les influences astrales ; mais il faut sa-
voir quand, comment & à quelle fin ces merveilles
s’opèrent.
On peut faire d’excellentes médecines avec l’or, l’argent,
le plomb, le mercure vulgaire, le vitriol & plusieurs au-
tres corps semblables, qui contiennent véritablement la
matière de la médecine universelle, mais il est bien diffi-
cile de la purifier ; car elle est enveloppée de matières
grossières & hétérogènes qui sont capables de faire
manquer l’opération.
Nous ne prétendons pas dire qu’il soit impossible de
faire une médecine universelle pour convertir les mé-
taux imparfaits en véritable or ou argent avec les corps
fixes que nous venons de nommer ; nous voulons seule-
ment dire qu’il est très difficile, & nous pouvons assurer
que de cent qui travaillent sur ces matières, à peine s’en
trouvera-t-il deux qui réussiront à en extraire la méde-
cine universelle.
Plusieurs personnes ont échoué, pour n’avoir su donner
un temps suffisant à l’opération ; on pense vulgairement
qu’on peut commencer & achever [52] le grand œuvre
dans six semaines ou deux mois. Cela arrive parce que
les Philosophes ont dit que c’était le travail des femmes
& le jeu des enfants ; ils ont employé ces expressions
pour induire les ignorants & les impies dans l’erreur.
La seconde partie de l’opération peut bien être regardée
comme un jeu d’enfant ; mais il n’en est pas de même
des opérations préliminaires, qui renferment la calcina-

173
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

tion, la dissolution, la coagulation, la sublimation, la cir-


culation & la digestion. Toutes ces opérations se font
avec un feu gradué ; & je puis assurer que la plus grande
partie de ceux qui n’ont pas réussi a eu ce malheur,
faute d’avoir su diriger leur feu dans chaque opération :
car si l’on fait un feu lent où il faut un feu de fusion, la
matière, au lieu d’être ouverte, ne sera qu’effleurée, &
ne pourra jamais être débarrassée des parties terrestres
sous lesquelles la quintessence est cachée.
Cette quintessence n’est pas encore en état d’accomplir
le magistère dont le succès dépend absolument de la vo-
latilisation & de la fixation. Toutes [53] ces opérations
sont très longues & très ennuyantes.
Il est certain qu’un adepte, qui connaît à fond toutes les
opérations, pourrait abréger le travail ; mais celui qui a
eu le bonheur de connaître la matière & qui n’a pas en-
core fait l’œuvre, ne doit point s’écarter de la voie com-
mune, il doit s’armer de patience & travailler ; car Dieu
n’accorde ce don céleste qu’en récompense de la vertu &
du travail.
Il serait très imprudent de commencer l’opération avant
de connaître parfaitement la nature du sel volatil de l’air
& celle du sel fixe de la terre. Il n’est pas moins essentiel
de connaître la méthode qu’on doit suivre dans tout le
cours de l’opération.
Si l’on veut acquérir une connaissance parfaite de ces
deux choses, il ne faut pas se borner à la lecture des Phi-
losophes modernes, il faut lire ce qu’on appelle les fables
des anciens Auteurs profanes. Cette expression ne sorti-
ra jamais de la bouche d’un vrai Philosophe qui connaît
les choses merveilleuses que les Grecs & les Égyptiens
ont décrites sous des hiéroglyphes, des fictions & des al-
légories, [54] pour les dérober à la connaissance des im-
pies : le vulgaire ignorant, ne comprenant rien dans les
Métamorphoses d’Ovide, dans la Théogonie d’Hésiode, &
autres ouvrages semblables, prononce hardiment que ce

174
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

sont des fables qui n’ont pas de sens commun, parce qu’il
s’attache aux mots, sans se donner la peine de réfléchir.
Je conviens que l’expression d’Hésiode paraît fabuleuse,
lorsqu’il dit que Thétis est fille du Ciel, & qu’Hypérion
engendra le Soleil & la Lune. Le Soleil échauffe une eau
qui enflamme le soufre, & il en résulte un mercure qui
est le principe de l’or ; ainsi quand on lit les ouvrages
des Philosophes, tant anciens que modernes, il faut avoir
de la patience & ne pas s’arrêter à la première phrase ;
si l’on rencontre de l’obscurité ou du ridicule en appa-
rence, il ne faut jamais se rebuter ; une phrase en expli-
que une autre, & cette explication ne viendra quelque-
fois que dans un endroit où vous vous y attendrez le
moins, mais sous l’énigme.
Hésiode ne s’est pas contenté de dire que Thétis était
fille du Ciel, il a ajouté qu’elle était mère du Soleil, [55]
qui est le père de tous les métaux.
Ce mot Thétis, signifie le soufre qui se convertit en mer-
cure, & ce mercure se métallifie par le moyen d’un feu
lent qui se trouve dans les minières dans les entrailles
de la terre.
Voilà une preuve non équivoque, que les fables des An-
ciens, sont réellement des ouvrages philosophiques qui,
sous des emblèmes, renferment les arcanes de la Nature.
Tubaliain, Cham, Chamia, Chemia, tous ces mots signi-
fient Chimie.
L’expression si souvent répétée dans tous les ouvrages
des Philosophes : La Nature se réjouit avec la Nature, la
Nature retient la Nature, la Nature triomphe de la Na-
ture ; cette expression, dis-je, vient de l’Égypte. Cela si-
gnifie, que la Nature est la mère de la Chimie, & qu’elle
préside à toutes ses opérations.
Moïse avait appris toutes les sciences des Égyptiens,
c’est pourquoi les Prêtres disaient que c’était un second
Hermès, en le voyant expliquer tous les hiéroglyphes.

175
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Adam reçut de Dieu même les principes de toutes les


sciences ; Adam [56] instruisit Noé, celui-ci instruisit
Seth ; dont les descendants communiquèrent les mêmes
connaissances à Abraham ; Abraham enseigna les Chal-
déens, les Chaldéens instruisirent les Égyptiens, & les
Égyptiens instruisirent Moïse.
Canaan signifie l’ancien Hermès & rien autre ; Misraim
était frère de Cham.
Hermès enseigna la médecine universelle à Isis, qui gué-
rissait toutes les maladies ; selon les anciens, Isis est la
Lune, & Osiris le Soleil, ou l’or & l’argent.
Tubaliain fut le premier Vulcain avant le déluge ; Cham
est le Jupiter des anciens ; l’enfant égyptien est la terre
de Cham ; cette terre de Cham, selon Plutarque, est la
Chimie ; le vieillard hébreu est le même qu’on appelle
Zeus.
Saturne est Noah, qui découvrit son père ; Vulcain fut
Mitraim, depuis le déluge, & Mercure inventa tous les
arts chez les Égyptiens : ce même Mercure était frère de
Mitraim.
Orphée, Homère, & Démocrite, ont voyagé en Égypte
pour s’instruire de même que Pythagore, qui pour être
initié dans les mystères des Égyptiens, [57] se soumit à
un traitement bien dur.
L’eau mercurielle que Pindare de Thèbes a décrite, est la
base de tous les métaux.
Hippocrate fait voir dans ses ouvrages qu’il connaissait
les principes de la science hermétique,
L’arsenic de la Sybille indique un soufre, qui, en faisant
les fonctions de mâle, oblige le mercure de s’arrêter ;
mais ce n’est pas dans l’arsenic vulgaire qu’il faut cher-
cher ce soufre : car le bon sens & la raison nous indi-
quent qu’il faut un soufre incombustible ou un soufre
vraiment philosophique.

176
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Plusieurs Auteurs assurent que Virgile indique la ma-


tière de la pierre, dans son Enéide, où il parle de l’arbre
opaque, qui est une espèce de palingésie mystique des
métaux, ou une végétation métallique admirable.
Les vrais Chimistes font cette végétation par le moyen
d’une poudre métallique qu’ils savent composer. Ils font
dissoudre un grain de cette poudre dans quatre livres
d’eau de pluie, & y ajoutent du vif-argent, qui au bout de
six heures, végète si prodigieusement qu’il remplit tout
le vase de [58] filaments d’argent, ou de mercure conver-
ti en argent ; on met cette végétation à la coupelle, & il
en résulte un argent très pur.
Les Philosophes font ces merveilles en très peu de
temps, & sans beaucoup de dépense. Ils emploient des
choses que tout le monde connaît ; car ils n’emploient
que de l’argent, du vif-argent réduits en quintessence ou
première matière, c’est-à-dire, en eau métallique, claire
& limpide.
Le fer mêlé de cuivre dans les minières, indique le plus
grand mystère de la Chimie. Si l’on voulait se donner la
peine d’examiner ce mélange, on serait bientôt en état de
faire des végétations de mercure en argent, & quelque
chose de plus avantageux : car celui qui sait faire une
véritable végétation, n’ignore pas le moyen de faire un
verre malléable, non plus que les pierres précieuses.
Les cornes d’argent se font avec des esprits acides
contraires, qui développent la teinture d’argent ; ces
cornes sont brillantes, malléables, & fusibles au feu de
lampe.
On peut faire un sel malléable avec du sel ammoniac,
qu’on fait dissoudre [59] plusieurs fois dans de l’eau de
pluie ou de la rosée. Il se cristallise au point de remplir
toute l’étendue du vase dans lequel on fait l’opération.
Le verre d’antimoine, qui est le plomb des Philosophes, a
une grande vertu fixative, & celui qui travaillera ce
verre jusqu’à ce qu’il soit réduit au point de perfection

177
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

dont il est susceptible, fera des prodiges avec tous les


métaux qui sont de la classe de ce minéral.
La nature fait tous les jours du verre malléable avec le
vitriol martial, le plâtre & le talc de Moscovie, qui est un
verre naturel de la plus grande beauté,
Il existe une terre rougeâtre, sablonneuse & spongieuse,
aux environs d’Arcueil, près de Paris, qui est un objet in-
téressant pour les Chimistes ; car si l’on expose cette
terre, dans des vaisseaux de terre vernissée, aux in-
fluences astrales, c’est à dire, à la pluie, à la neige, aux
rayons du soleil & de la lune, & qu’on la lessive au bout
de deux mois, on en retire d’excellent vitriol ; & si l’on
l’expose de nouveau à l’air, elle donnera successivement
tous les mois, du plomb, de l’étain, [60] du fer, du cuivre,
de l’argent & de l’or, si on l’expose les mois de Juillet &
d’Août.
Un Chimiste un peu expérimenté reconnaîtra facilement
que cette terre n’est point métallique ; mais qu’elle
contient un sel fixe métallique & magnétique, qui attire
de l’air tout ce qu’on peut en retirer après l’avoir exposée
aux influences astrales pendant un temps convenable.
Toute la terre d’Égypte est nitreuse, et c’est pour cela
qu’on l’a appelée terre de Cham, de Charria, ou terre
propre à être employée dans la Chimie.
On peut faire une excellente teinture avec le safran du
Levant, par le moyen de l’esprit de vin. Cette teinture
est un excellent remède pour guérir les plaies & beau-
coup de maladies.
Les fèces du safran se réduisent en marc solide au fond
de l’alambic après l’extraction de la teinture, qu’on peut
volatiliser & rendre beaucoup plus parfaite par le moyen
de cette résidence.
Philalèthe assure que tous les métaux sont formés de la
même matière, qui est le mercure par le moyen duquel
la Nature fait toutes ses fonctions.

178
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

La preuve la plus évidente que tous [61] les métaux


viennent du mercure, est que tous les métaux peuvent
être réduits en mercure.
On peut naturellement convertir le mercure en plomb &
le plomb en mercure, par le moyen de l’Art ; on convertit
le plomb en fer, le fer en cuivre ; si l’on fait cuire le cui-
vre, on le mettra au rang des métaux parfaits.
On peut aussi facilement convertir l’antimoine en mer-
cure précieux, & qui est bien susceptible de prendre la
forme d’un métal parfait.
Le mercure d’antimoine est plus précieux que l’or dans
la Chimie vulgaire, parce que l’on ne saurait le dissou-
dre sans le menstrue philosophique que les Apothicaires
ou Chimistes vulgaires ne connaissent pas.
Le mercure antimonial, au contraire, se dissout facile-
ment, & fournit beaucoup de moyens pour parvenir à des
découvertes importantes ; car, si on le mêle avec le mer-
cure des autres métaux, & qu’on les fasse cuire ensem-
ble, le mercure étant le lien de celui des autres métaux,
les oblige de se conjoindre avec lui. Voilà la base de la
Philosophie hermétique. [62]
Les Philosophes connaissent une substance moyenne en-
tre les métaux et les minéraux ; cette substance est la
matière première des métaux, & ceux qui ont le bonheur
de la connaître n’ont pas besoin de les réincruder pour
avoir du mercure vierge.
Cette matière s’étend dans les minières à travers les po-
res de la terre pour former tous les corps métalliques,
mais il faut un lien pour la retenir, c’est-à-dire qu’il n’est
pas possible de la convertir en élixir sans y joindre un
ferment d’or ou d’argent.
Le vif-argent ou mercure vulgaire a une infinité de pro-
priétés ; on peut lui faire prendre la forme de tous les
métaux, sans en excepter l’or & l’argent. Sendivogius

179
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

l’appelle son acier, parce qu’il est la clef & le principe de


la Philosophie hermétique.
Philalèthe dit que la pierre des Sages est de l’or digéré
au suprême degré, & circulé en essence ignée, qui est de
la plus grande pénétration. Le même Auteur ajoute que
c’est un corps mort qui teint l’argent à l’infini, Ce corps
mort peut-il être autre chose que l’or mis à mort, putré-
fié, & ensuite spiritualisé ; mais il faut auparavant [63]
dissoudre l’or dans un mercure qui soit de la nature de
l’or, sans quoi il ne germerait jamais, parce que ce mer-
cure est comme une terre dans laquelle on doit nécessai-
rement semer l’or pour le faire fructifier,
Les Philosophes n’admettent que trois éléments qui sont
l’air, l’eau & la terre ; car ils ne reconnaissent que le feu
commun, tel qu’il existe dans nos foyers.
Tous les éléments proviennent naturellement d’une
conjonction de l’eau qui est le principe de tous les corps
concrets : la terre est considérée comme le lit ou le foyer
où se fait cette conjonction : l’air est le moyen ou distri-
buteur des vertus célestes. L’eau est la semence de tous
les êtres créés. Tel est l’ordre que Dieu a établi dans le
cours des choses sublunaires.
Le vif-argent & tous les autres minéraux sont composés
d’une eau sèche & fluide : le mercure ne peut produire
que du métal ou des minéraux qui se convertissent en-
suite en étain, en plomb, en argent, en fer & en or. Cela
se fait par le moyen de la conjonction de la graisse sulfu-
reuse et mercurielle ; il cuit lui-même [64] par sa cha-
leur naturelle, parce qu’il contient un agent radical qui a
la vertu de conduire les métaux à leur degré de perfec-
tion, sans le secours d’aucun autre agent extérieur.
Le mercure n’a d’autre destination qu’à produire de l’or
ou de l’argent ; mais pour cela, il doit être délivré & pur-
gé de toutes les ordures, de tout le soufre impur dont il
peut être souillé par accident.

180
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Tous les métaux imparfaits sont un or crud, impur, qui


n’est pas encore mûr ; séparez-en donc les impuretés par
le moyen de notre arcane, de notre feu, pour exalter l’or
& le faire digérer ; notre feu exalte ce qui est de sa na-
ture, & coutume tout ce qui est impur.
Toute semence métallique est une véritable semence
d’or ; il n’existe point de semence d’étain, de plomb, de
cuivre, de fer, ni d’argent : car la forme de tous ces corps
imparfaits est purement accidentelle ; ainsi, toute ma-
tière métallique est une véritable matière d’or ; il ne lui
manque qu’une digestion convenable pour en séparer les
fèces & toutes les crudités. Cette digestion doit être fixa-
tive & destructive [65] de toutes les matières hétérogè-
nes, & la forme doit être introduite en même temps.
Le plomb n’est pas multiplicatif dans le plomb ; mais il
est multiplicatif dans l’or qui contient une semence mul-
tiplicative pour le blanc & pour le rouge. La teinture
blanche est contenue dans le résidu de l’or seulement :
elle est la première perfection de la teinture rouge qui
est l’accomplissement du magistère. La teinture blanche
est philosophique, parce que l’or est son père, & elle de-
vient rouge dans son temps, quand elle a acquis la per-
fection dont elle est susceptible par la nourriture que lui
donne notre feu philosophique.
Il faut absolument avoir la semence de l’or pour faire la
médecine universelle. L’or doit être ouvert jusqu’au
noyau pour produire sa semence. Les eaux régales &
corrosives n’ont pas la vertu de dissoudre l’or : elles ne
font que de le réduire en limaille fine qu’on peut réduire
en corps avec les sels convenables ; ce qu’il n’est plus
possible de faire quand l’or est dissout par le moyen de
notre eau mercurielle ; pour lors il est uni & si bien in-
corporé avec le dissolvant, qu’ils ne [66] font plus qu’un
seul corps qu’il est impossible de diviser, & c’est dans ce
même corps qu’est contenue la semence multiplicative
de l’or.

181
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Pour extraire cette semence, il faut détruire l’or, ou du


moins le réduire au point où il paraît détruit : c’est pour
lors que toute sa substance est convertie en sperme.
L’or est entièrement réduit en sperme quand il est ré-
duit en eau : le sperme habite dans l’eau. Voilà pourquoi
la semence de l’or est appelée eau dans tous les Livres
des Philosophes ; & pour avoir cette semence, il faut
faire disparaître l’or entièrement. Ce point est essentiel,
c’est le grand secret de l’Art ; il n’y a qu’un sentier très
étroit pour arriver à ce but, & il n’y a point d’autre guide
que le feu secret des Philosophes, qu’ils ont caché ou
masqué sous une infinité de noms, d’énigmes &
d’allégories. Basile Valentin l’appelle baume, urine, ro-
sée du mois de Mai, dragon venimeux, crible, marbre,
thériaque, talc, sel de nitre, & vitriol Romain.
Voilà les noms que les Philosophes ont donné à leur
menstrue, qui est [67] un diadème royal, sans lequel il
n’est pas possible de tirer le sperme du corps filaire ou
de l’or. Il faut faire paraître ce sperme sous une forme
mercurielle pour l’exalter en quintessence, qui est pre-
mièrement blanche, & qui, ensuite, devient rouge par la
cuisson faite avec un feu continuel. Tout cela se fait par
le moyen d’un agent homogène & mercuriel, pénétrant &
pur, cristallin sans être diaphane, liquide sans être hu-
mide. Tel est le mercure des Philosophes quant à
l’extérieur : mais intérieurement, c’est un être plein de
vie qui est l’âme de l’or ou la pure quintessence de ce
métal.
Les Sophistes qui pensent qu’avec le mercure vulgaire
seul, sans adjonction d’aucune matière étrangère, on
peut extraire cette quintessence, sont dans une erreur
bien grossière. Quand ils ont réduit le vif-argent en
gomme fusible, par une chaleur douce, ils croient avoir
trouvé le phœnix ; ils l’exposent au soleil pour attirer les
influences astrales ; cette gomme mercurielle, si elle est
bien préparée, peut se dissoudre au soleil ; pour lors, le
pauvre Sophiste se réjouit, il se regarde comme posses-

182
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

seur de la pierre des Sages ; [67] il fait faire des plans


pour bâtir des châteaux ; il promet des fortunes, des tré-
sors à ses amis ; il s’engage à leur procurer une longue
vie. Ensuite, il fait provision d’or calciné qu’il fait dis-
soudre dans de l’eau régale, pour faciliter la Nature à ce
qu’il dit ; il précipite la dissolution avec de l’huile de tar-
tre, & fait évaporer.
L’or se trouve réduit en poudre impalpable, qui disparaît
bientôt après qu’elle a été mise dans la dissolution de
gomme mercurielle. Je conviens que l’or s’y incorpore en
quelque manière, & qu’il en résulte un amalgame dont
les Doreurs sur cuivre pourraient faire usage, mais qui
ne convient en aucune manière à l’œuvre philosophique.
Le pauvre Sophiste croit que son or est radicalement
dissout ; il se flatte d’en avoir extrait la quintessence, &
rien n’est capable de le persuader du contraire ; il veut
continuer ses opérations aussi vaines que ridicules ;
croyant posséder tout ce qui est nécessaire au magistère,
il renferme cette matière, ainsi préparée, dans l’œuf phi-
losophique, pour la conduire à sa perfection.
J’ai connu une personne qui a suivi cette marche de
point en point, telle [69] que je viens de l’exposer. Cette
même personne était si entêtée & si prévenue en faveur
de son procédé qu’elle fit cuire cette composition pendant
dix ans, sans interruption. J’ai vu le fourneau de ce pau-
vre Sophiste, qui est mort dans la peine.
Ce fourneau était si ample, que j’y comptai jusqu’à douze
œufs philosophiques ; la vue seule de tant de vases,
prouve bien que le Chimiste qui les dirigeait, n’avait pas
la moindre idée de la vertu multiplicative de la pierre.
Les vrais Chimistes connaissent bien ce qui manque au
mercure vulgaire pour en faire un mercure philosophi-
que. Les Sophistes ne sont autre chose que de laver, le
sublimer, le spiritualiser & le faire cuire ; ils pensent
qu’après lui avoir fait perdre sa forme naturelle, il doit
prendre celle du mercure des Philosophes.

183
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Nous avons déjà dit que tous les métaux sortent d’une
même source & ont tous les mêmes principes matériels,
qui sont le mercure. C’est pourquoi il paraît que le mer-
cure vulgaire est la matière métallique la plus analogue
à tous les métaux, & qu’il devrait, lui seul, avec l’or pur,
suffire à la composition [70] de la pierre : il semble qu’il
ne lui manque autre chose qu’un degré de pureté & de
cuisson avec un ferment.
Mais les Philosophes ne pensent pas ainsi ; ils n’ignorent
pas que le mercure vulgaire contient une partie de la
matière de la pierre ; & que, si l’on veut l’employer dans
la composition de la médecine, il faut lui donner ce qui
lui manque pour être un vif-argent parfait.
La privation de l’air est, en partie, la cause qui fait res-
ter le mercure dans l’état de crudité où nous le voyons. Il
attend ce qui lui manque pour parvenir au degré de mé-
tal parfait ; & quand cela n’arrive pas, il faut nécessai-
rement qu’il ait été arrêté par quelques accidents, quel-
que vice local, ou cette matière a été si malade, si mal-
traitée, qu’elle a perdu toute sa force & toute sa vertu
propagative orifique.
Si l’on avait fait dissoudre de l’or dans le mercure philo-
sophique, que le tout eût été préparé par un adepte, &
que rien n’y manquât pour faire la pierre, si cette ma-
tière était même dans l’œuf, si après l’avoir fait cuire
pendant un mois, on la laissait refroidir, la même chose
arriverait, la vertu propagative [71] orifique serait
éteinte comme elle l’est dans le mercure vulgaire qui a
essuyé des accidents dans les minières.
Pour faire un mercure convenable au magistère, il faut
commencer par purifier ce corps métallique de toutes
des superfluités, & lui donner tout ce qui lui manque, il
faut l’animer avec un vrai soufre brûlant pour consumer
toutes les impuretés qu’il rencontre. Ce soufre doit avoir
en même temps une qualité générative & propagative.
En un mot, pour que le mercure vulgaire devienne un
véritable mercure philosophique, il n’y a autre chose à

184
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

faire que d’en séparer ce qu’il a de contraire, & lui join-


dre un soufre pur qui le guérit de sa lèpre & de son hy-
dropisie.
Il faut ensuite y ajouter une portion convenable de ma-
tière tirée du règne de Jupiter & de Saturne, & le mer-
cure philosophique sera préparé dans toute sa perfec-
tion ; mais gardez-vous bien d’y rien ajouter de tout ce
qui est d’une nature contraire à la sienne ; souvenez-
vous qu’il ne faut jamais sortir de la voie métallique : car
la pierre des Sages n’est composée que de mercure, d’or
& d’argent, si ces trois métaux ne sont pas intimement
conjoints, dissous, [72] sublimés, mortifiés & exaltés
tous les trois ensemble, ils ne produiront jamais le
moindre effet.
Pour faire la médecine universelle, il n’y a autre chose à
faire que de rassembler les éléments qui nous environ-
nent de toutes parts ; tous les êtres les contiennent, & ils
sont leur soutien.
La pierre des Philosophes est le premier de tous les élé-
ments, elle se trouve dans tous les êtres créés ; & dès
l’instant qu’elle cesse d’y exister, ils périssent.
Pour s’assurer & se convaincre qu’on travaille sur la vé-
ritable matière, il faut la soumettre à l’épreuve du feu ;
car elle est incombustible. Les Philosophes disent qu’on
peut la calciner ou préparer dans un fourneau de réver-
bère, ou dans un four de verrier, sans craindre qu’elle
pût y recevoir aucun dommage ; car le feu ne peut avoir
d’impression que sur les parties étrangères dont on doit
la délivrer. Cela prouve clairement que la matière de la
pierre ne peut exister que dans les métaux, & même
dans les plus parfaits.
Nous devons donc chercher dans les métaux & ne jamais
sortir de leur classe. Nous devons chercher dans l’or,
quand [73] nous voudrons engendrer de l’or ; le bon sens
& la raison nous indiquent, que nous devons chercher le
germe de l’or dans l’or même, & non ailleurs. Voilà le

185
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

raisonnement de tous les Philosophes ; il est bien évi-


dent qu’il faut chercher la pierre dans les métaux les
plus parfaits, dont il faut extraire le sperme ou semence
multiplicative. Pour réussir dans cette opération, il faut
détruire la forme métallique ou la forme accidentelle ;
mais il faut conserver l’espèce métallique qui réside
dans l’esprit.
Il faut donc changer la forme extérieure de l’or, & le ré-
duire en eau ; car l’esprit de l’or se conserve dans l’eau,
& cette eau s’épaissit, pour la seconde fois, après la pu-
tréfaction ; elle reprend une nouvelle forme d’or, telle
qu’il l’avait auparavant.
Cette nouvelle forme que l’or reprend, après sa réincru-
dation, est beaucoup plus parfaite, car elle a acquis une
vertu multiplicative à l’infini.
L’or qu’on doit employer doit être mûr ; il faut le purifier
plusieurs fois, comme dit Flamel, en le faisant fondre
avec l’antimoine. L’or ainsi purifié se dissout facilement
dans le mercure [74] crud & froid. De ces deux choses, il
en résultera un mercure qu’on appelle eau-de-vie. On
fait cuire cette double matière ou ce double mercure, & il
en résulte un métal bien plus précieux que l’or, puisqu’il
convertit tous les métaux en or.
Voilà la véritable composition de la médecine univer-
selle. Convertissez du mercure vulgaire en mercure phi-
losophique ; convertissez l’or vulgaire en or philosophi-
que, c’est-à-dire réincrudez ces deux métaux, mêlez les
dissolutions sans y rien ajouter, faites les cuire pendant
un temps convenable, & vous aurez l’élixir incombusti-
ble.
Si vous avez le secret du feu extérieur que vous devez
employer, vous pourrez observer tous les jours une révo-
lution dans la matière jusqu’à ce que l’humidité soit en-
tièrement desséchée par la calcination.
La fumée philosophique est cachée dans l’œuf philoso-
phique qu’il faut échauffer avec une chaleur modérée ;

186
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

car si elle était trop forte, tout l’ouvrage périrait ; si elle


était trop faible, l’ouvrage périrait de même.
Le grand secret des Philosophes [75] consiste dans la
connaissance des degrés du feu ; car il n’y a qu’un degré
convenable au magistère. Les Philosophes se sont beau-
coup étendu sur ce sujet, mais il est impossible de les ac-
corder. Un grand nombre de bons Artistes, qui avaient la
véritable matière en main, ont échoué pour avoir ignoré
les degrés du feu extérieur.
Le mercure philosophique est ce qu’on appelle la fon-
taine ou le bain, où le Roi se baigne ; il n’y faut rien
ajouter que de l’or réduit en limaille.
Nicolas Flamel dit que le mercure philosophique exhale
une puanteur insupportable, & qu’il se fait assez connaî-
tre par son odeur.
Quand vous ferez possesseur de cette matière, faites-la
cuire comme nous venons de le dire ; faites une conjonc-
tion secrète à laquelle les mains n’ont point de part ; &
de deux choses il ne vous en restera qu’une, mais infini-
ment plus parfaite que celles que vous aurez employées.
La partie sulfureuse ne doit point être séparée de la
substance mercurielle, ni la partie mercurielle de la par-
tie sulfureuse : ils doivent être unis inséparablement
pour produire leur [76] effet. Ce soufre mercuriel & ce
mercure sulfureux sont la base & le fondement de
l’œuvre philosophique. Observez bien la nature de ce
soufre & de ce mercure, & prenez bien garde de vous
tromper ; ces deux choses n’en font qu’une seule ; le sou-
fre mercuriel est mûr & digéré ; le mercure sulfureux est
crud, il faut les conjoindre par le moyen d’une calcina-
tion.
Toute calcination qui ne se fait pas intérieurement, est
infructueuse.
La seconde calcination de l’or doit se faire dans le mer-
cure dissolvant ; mais il faut bien observer les poids &

187
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

doses. Aussitôt qu’ils sont conjoints, la chaleur agit dans


l’humidité & réduit l’or en poudre subtile & peu de
temps après en une espèce de gomme noire.
Il faut conjoindre le mercure crud avec l’or mûr, pour le
réincruder, le calciner & le faire dissoudre selon l’Art. Le
soufre qui est dans le mercure est une eau divine qui di-
gère la matière ; c’est un azoth qui enrichit celui qui a le
bonheur de le posséder.
Le corps de l’azoth est une terre [77] que quelques Philo-
sophes ont appelée terre de Lemnos, ou terre sigillée.
Lemnos est une île d’où l’on tire trois différentes terres
minérales ; la première est employée dans les moulins à
foulon ; la seconde est employée par les Menuisiers, & la
troisième renferme une excellente médecine pour guérir
un grand nombre de maladies. Lemnos appartient au
Grand Turc, il n’y a qu’un très petit endroit dans cette
île où l’on peut prendre de la terre sigillée médicale. Le
Souverain fait exploiter la mine pour son compte, & fait
transporter à Constantinople toute la terre sigillée qu’on
en tire : il la garde pour son usage & celui de ses furets.
Gallien a fait une ample Dissertation sur cette terre. Les
Philosophes qui semblent vouloir l’indiquer pour le véri-
table sujet de la pierre, ajoutent qu’elle doit être exposée
à l’air depuis le mois de Mars jusqu’au mois de Septem-
bre, afin que l’eau de pluie qu’elle doit recevoir pendant
six mois l’imprègne de toutes les influences astrales. Au
mois de Septembre, l’on extrait de cette terre un mer-
cure engendré par l’eau de [78] pluie ; mais il faut pren-
dre ce mercure précisément dans le temps qu’il est mûr ;
si l’on manque en ce point, l’ouvrage tombera en ruine.
Le vulgaire méprise cette terre, parce qu’elle est sale &
puante, surtout après avoir été exposée six mois à l’air ;
elle devient comme de la boue, comme de la vase tirée du
fond d’un fossé rempli d’eau croupissante ; mais les en-
fants de l’Art la trouvent éblouissante en cet état. Ils sa-
vent bien que c’est une vierge très pure, couverte

188
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

d’ordures, dont ils savent bien la dépouiller par le moyen


d’une forte calcination, dans un four de verrier.
Cette matière n’est sale qu’extérieurement, rien n’est
malpropre que son manteau dont il est bien facile de la
dépouiller par le feu.
Dieu l’a couverte ainsi d’ordures pour la soustraire à la
connaissance des impies qui la cherchent partout, & qui
la foulent aux pieds sans la connaître.
Faites brûler les scories qui la couvrent, & elle vous
paraîtra éblouissante.
Cette terre vierge est sœur & femme de notre Roi, ren-
dez-lui les [79] honneurs qu’elle mérite ; si vous lui prê-
tez la main pour se débarrasser de ses habits malpro-
pres, elle vous récompensera ; purifiez-la au suprême
degré, procurez-lui un corps céleste ; quand vous l’aurez
débarrassée de toutes ses impuretés, elle sera éblouis-
sante : elle n’est pas ainsi par sa nature, mais nous la
rendons ainsi éclatante en l’épurant toutes les superflui-
tés grossières. Aussitôt qu’elle sera pure, vous aurez soin
de la conjoindre avec l’or pur ; elle se nourrira & prendra
son accroissement de la propre substance de l’or ; quand
ils seront bien unis ensemble, vous verrez un nouveau
corps beaucoup plus éblouissant que le Soleil que vous
avez conjoint.
Cherchez donc les moyens de vous procurer cette Reine,
cette matière divine, ce trésor incomparable, & n’y ajou-
tez que de l’or pur, bien calciné & réduit en limaille très
fine, & vous serez le plus heureux de tous les mortels.
Pontanus dit que celui qui a le bonheur de parvenir à
l’automne de son travail, doit abandonner tout le reste
au seul soin de la Nature ; la [80] dissolution & la putré-
faction dépendent entièrement du régime du feu : toutes
ces opérations se font sous le sceau d’Hermès.

189
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Nous avons cependant encore un feu double qu’on peut


connaître facilement quand on a les connaissances pré-
liminaires.
Quand les Philosophes parlent de leur vase, il ne faut
pas entendre une cornue, un matras, ni un alambic. Le
vase des Philosophes & le mercure philosophique font
une seule & même chose, parce que le mercure philoso-
phique est la matrice dans laquelle il faut renfermer le
sperme de l’or pour y germer & fructifier : ainsi le feu
des Philosophes, la fumée des Sages, le lait de la vierge,
le menstrue ou dissolvant universel, sont tous la même
chose à laquelle on a donné tous ces noms & une infinité
d’autres.
Souvenez-vous donc, qu’après la calcination préparatoire
& l’extraction du menstrue, il ne faut qu’un feu, qu’un
vase, qu’une fumée, c’est-à-dire du mercure philosophi-
que dans lequel on fait dissoudre de l’or pur, préparé
d’une manière convenable, [81] pour aider la Nature
dans ses fonctions
N’oubliez pas que le feu digestif fait blanchir le vase & le
pénètre ; sa fumée ou le lien environne tout & pénètre
tout.
Le véritable feu est dans le mercure ; il y a un autre feu
qui est double, & une eau double : le feu & l’eau sont dif-
férents par les différentes opérations qu’ils produisent ;
mais ce n’est qu’une seule & même chose, qui est le mer-
cure philosophique.
Le feu philosophique est vif, l’eau est vivante, le vase est
vivant ainsi, que la fumée.
Il n’existe que deux sujets dans le monde qui contien-
nent le véritable mercure philosophique, lequel est sem-
blable à l’essence de l’or ; mais il est différent de sa subs-
tance. Quand vous saurez convertir les éléments, vous
saurez où prendre ce mercure. Faites une conjonction
amicale du feu avec la terre, & vous aurez la clef du ma-
gistère.

190
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Vous pourrez facilement acquérir la pratique pour


conduire la teinture au suprême degré de perfection ;
mais il faut teindre, ce mercure, si vous [82] voulez
l’employer pour teindre les métaux, les pierres, & pour
convertir en humide radical, en substance parfaite, toute
la bile & les humeurs morbifiques qui se trouvent dans
tous les corps.
Le mercure philosophique est cette humidité admirable
que les Philosophes appellent lait virginal, eau du Soleil
& de la Lune, eau qui ne mouille pas les mains, parce
que c’est une eau sèche, telle qu’il la faut pour dissoudre
l’or & l’argent, & leur donner une nouvelle vie. Cette eau
céleste convertit l’or en pur Esprit, qui se multiplie d’une
manière qui tient du miracle, ce qui est bien suffisant
pour démontrer la bonté infinie de Dieu envers nous.
Tâchez de connaître le fleuve philosophique qui sort
d’une montagne dont le sommet se perd dans les nues ;
une pluie méridionale vous indiquera cette montagne, si
vous voulez être un peu attentif : car, quoiqu’elle soit
continuellement couverte de neige, elle renferme cepen-
dant un feu dévorant qui exhale une vapeur qui est ab-
solument nécessaire à l’opération hermétique. Excitez ce
feu pour augmenter [83] la vapeur. Creusez la terre au
pied de la montagne, & vous ferez sortir le véritable
mercure avec son caducée qui opère des merveilles.
Voilà le mercure philosophique, ainsi que le vase & le
feu ; mais ne vous y trompez pas, ne prenez pas du mer-
cure vulgaire pour du mercure philosophique. Je vous ai
conseillé de creuser la terre au pied de la montagne ;
mais je ne dois pas vous laisser ignorer que vous aurez
beaucoup de peine à faire cette besogne, car vous ren-
contrerez des cailloux très durs.
Prenez ensuite de l’herbe de Saturne qu’on trouve dans
tous les lieux Saturniens. Les branches de cette plante
vous paraîtront mortes ; mais que cela ne vous rebute
pas ; sa racine est pleine de jus ; arrachez-la & jetez-la
dans le trou que vous aurez fait au pied de la montagne.

191
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Faites ensuite intervenir Vulcain, & dans l’instant tous


les pores de la montagne seront remplis de vapeur Sa-
turnienne, qui sera imprégnée de l’esprit igné, philoso-
phique, ou esprit de Saturne dont la propriété est de
blanchir. Voilà le mercure philosophique & la manière
de le préparer. [84]
Voilà la saturnie végétale & minérale pour faire le bain
du Roi.
Voilà le secret du mercure philosophique ; mais, comme
il est aisé de le voir, sans l’énigme. Les Philosophes n’ont
jamais parlé plus clairement de cette partie du magis-
tère. On reconnaît que le mercure philosophique est le
vase dans lequel le roi ou l’or est contenu & renfermé
par le feu spirituel, qui est une pure vapeur satur-
nienne, qui embrasse l’or, le pénètre, l’amollit & le blan-
chit dans l’éjaculation de son sperme.
Saturne fait des merveilles sans cesse jusqu’à ce qu’il ait
donné à l’or toute la force qui lui est nécessaire pour
exercer son empire & faire voir jusqu’où peut s’étendre
sa puissance, qui est de fixer, coaguler & teindre. Voilà
pourquoi la pierre des Sages est un monde actif & passif,
car elle contient l’assemblage de tout ce qui peut se
trouver sur la terre ; elle est le mouvement actif & passif
de tous les êtres. Elle est fixe & volatile, crue & mûre,
parce que sa crudité est corrigée par sa maturité & que
l’une & l’autre lui sont homogènes.
Le soufre & le sel sont la même [85] chose dans le mer-
cure philosophique et dans le corps duquel ils sont iden-
tifiés ; ils sont du même genre & ne diffèrent que par
une seule cuisson.
Les Philosophes ne conseillent pas de mêler du mercure
volatil avec du soufre fixe, quoiqu’ils disent qu’il y a un
sel différent dans l’un & dans l’autre ; mais il faut un
mercure analogue à tous les métaux. Ces deux choses
étant mêlées ensemble, selon le poids de la Nature, en

192
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

faisant cuire doucement, on a bientôt la médecine uni-


verselle.
La Nature fait de l’or avec le mercure seul, dans les en-
trailles de la terre sans aucun mélange ; mais on abrège
le travail par le moyen de l’art ; c’est pour cela qu’on est
obligé d’ajouter un soufre fixe & mûr. Le mercure attire
ce soufre par la force du feu, & ce soufre change le mer-
cure & le convertit en élixir.
Si vous réfléchissez bien sur les effets de ce procédé,
vous en découvrirez la véritable cause : remarquez que
l’or est un corps froid & humide. Le mercure tient un
juste milieu entre ces deux corps, & c’est lui qui déve-
loppe les teintures. [86]
L’or est un corps cuit & digéré, l’argent n’est pas mûr ; le
mercure est le lien qui unit ces deux contraires. Joignez
donc l’argent avec le mercure par le moyen d’un feu pro-
portionné, incorporez bien ces deux métaux, faites-en un
mercure qui retienne le feu dans son corps ; mais ayez
soin de bien purifier ce mercure, séparez-en bien les fè-
ces.
Quand vous l’aurez ainsi purifié, faites-lui manger de
l’or ; le chaud & le froid aimeront l’humide, ils couche-
ront ensemble dans le lit ou dans le feu de leur amitié.
L’or se dissoudra sur l’argent & l’argent se coagulera sur
l’or, & ils ne feront plus qu’un seul corps. Continuez
l’opération, faites cuire jusqu’à ce que l’esprit soit corpo-
rifié & vous aurez la médecine universelle dans toute sa
perfection.
Il y a des espèces métalliques qu’il faut cuire alternati-
vement, à l’imitation des esprits minéraux & végétaux,
qu’on fait cuire tout simplement dans leur eau.
La nature du mercure s’altère dans la cuisson ; mais la
couleur & la forme ne changent pas ; le mercure s’altère
dans la dissolution des métaux, & les [87] métaux agis-
sent ensuite dans le mercure qu’ils coagulent.

193
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Il paraît, par ce raisonnement, que le mercure & les au-


tres métaux ont une grande affinité, & qu’ils s’accordent
bien lorsqu’on les met ensemble.
L’eau a la vertu d’améliorer les corps, & l’eau corrigée
par les corps, prend leur nature. Cela démontre bien
l’erreur de ceux qui divisent l’homogénéité du mercure
en le desséchant avec des esprits, ou en corrompant sa
terre avec des corrosifs.
Le mercure est le sperme des métaux ; la nature l’a for-
mé pour être un métal parfait ; il ne lui manque qu’une
digestion pure par le moyen d’un soufre pur & métalli-
que, qu’il contient intérieurement pour en faire de l’or
parfait ; mais l’art ne connaît pas ce ferret, quoiqu’il
peut très bien exister, & rien ne paraît répugner à cela ;
mais pour mûrir ainsi de l’or avec le mercure sans y rien
ajouter, il faudrait bien des siècles pour le faire cuire ; la
dépense serait immense.
Le soufre le plus parfait qui soit dans le monde, existe
dans le mercure où il est amalgamé par la nature ; c’est
ce Soufre qui en détermine toutes les qualités, [88] qui le
fait mourir & ressusciter en or spirituel, pénétrant, &
dont une très petite quantité teint cent mille fois plus de
métal imparfait en or pur ; les fèces sont séparées en un
instant, & la digestion est aussitôt achevée que com-
mencée.
Le mercure, par sa nature, n’est point différent de l’or,
mais il faut faire cuire & mûrir. Il ne peut faire cela par
lui-même ; il faut y joindre un esprit, en très petite
quantité : la Nature opère aussitôt une conjonction se-
crète & merveilleuse, par le moyen de l’art ; mais ce
n’est point l’ouvrage de nos mains, puisque c’est une
chose incompréhensible.
Les ignorants ne savent faire autre chose que de mêler
l’or avec le mercure ; & ils appellent cet amalgame, l’or
animé des Philosophes, dont ils ne retireront jamais le
moindre avantage parce qu’il n’y a point de conjonction.

194
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

La conjonction philosophique est alternative, & il n’y a


pas la moindre confusion entre les choses conjointes, car
l’esprit de l’or se mêle avec l’esprit du mercure, aussi fa-
cilement que l’eau se mêle avec l’eau, mais souvenez-
vous que l’or ne se conjoindra jamais [89] parfaitement
avec le mercure sans l’adjonction d’un corps imparfait,
par le moyen du feu. Ce corps imparfait est un métal
luisant, qui renferme un germe vivant, qui pénètre l’or,
l’altère & l’oblige de retenir son âme.
Nous ne cherchons pas à induire dans l’erreur les véri-
tables amateurs de la science hermétique. Nous n’avons
pas envie de les engager à travailler sur le mercure vul-
gaire ; tant qu’il aura la forme métallique, il n’aura point
d’esprit ni de feu. Si vous pouvez donner au vif-argent
vulgaire l’esprit & le feu qui lui manquent, vous aurez le
véritable mercure philosophique. Cela n’est pas impossi-
ble ; mais il est bien difficile.
Beaucoup de bons Artistes ont erré dans la conjonction
qu’ils ont voulu faire avant le temps convenable, parce
qu’ils ignoraient que le mariage philosophique n’est ja-
mais célébré avant la dissolution, qui ne se fait que par
le moyen de l’argent & par le feu, qui doivent être conte-
nus dans le menstrue.
La propriété de l’argent est de blanchir ; le feu mortifie
& tarit toute l’humidité. Nous devons abandonner la
plus grande partie de nos opérations [90] au mercure : il
fait toujours ses fonctions quand il n’est pas troublé.
Les Sophistes font cuire de l’or avec le mercure vulgaire,
& ils ne trouvent rien, parce que toute la substance de la
pierre ne se trouve pas dans ces deux métaux. Le mer-
cure philosophique, lui-même, n’est pas entièrement la
matière de la pierre ; ainsi le mercure vulgaire avec l’or
ne contenant ensemble qu’une partie de la substance de
la pierre, il est impossible de faire une conjonction par-
faite, & par conséquent, ils n’engendreront jamais la
pierre, même après une cuisson de plusieurs siècles.

195
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

L’or est le mâle dans la génération philosophique ; sa


semence est cachée dans ses scories les plus abjectes ;
mais cela n’arrive qu’après qu’il a fait l’éjaculation de
son sperme dans une matrice convenable ; ce même
sperme de l’or, doit se mélanger avec le sperme féminin
ou d’argent, & doit être fomenté avec une chaleur conve-
nable ; il faut ensuite nourrir l’enfant qui en provient, &
lui faire manger sa propre substance.
Dans ce cas, l’on peut faire des merveilles avec l’or, qui,
après avoir [91] passé par cette roue, rendra le centuple
& bien au-delà.
Nous avons déjà démontré que l’or est le plus parfait de
tous les métaux, & nous ajoutons que ce n’est qu’à cause
de cette grande perfection, qu’il est le père de notre
pierre ; mais il ne fournit pas tout ce qui est nécessaire
au magistère ; il ne fournit que le sperme qu’il faut lui
faire jeter, comme nous l’avons dit, dans une matrice
convenable ; ce sperme est la partie masculine de notre
pierre, qui n’est autre chose que la semence propagative
de l’or digéré.
Voilà l’or vif des Philosophes ; il est aisé de voir qu’il faut
réincruder l’or vulgaire avant de le verser dans sa ma-
trice naturelle.
Tout ce qui entre dans le magistère doit être animé ;
tour ce qui est mort doit être vivifié avant de pouvoir
être propre à quelque production.
Revivifiez donc l’or, tirez-en le sperme d’une manière
suave ; rendez-le actif & convenable à notre magistère. Il
vous donnera la première matière de notre pierre, je
veux dire le mâle. Pour lors, on ne peut plus dire que
c’est de l’or ; car il ressemble plutôt à [92] du cuivre, à du
plomb, à une fumée qu’on ne peut faire redevenir or ; en
un mot, c’est un corps spiritualisé.
Spiritualisez donc ce qui est corporel, dit Hermès, tirez
son ombre jusqu’à sa racine ; l’ombre dont parle ce
prince de la Philosophie, n’est autre chose que le sperme

196
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

de l’or, qui est caché à l’ombre de son corps ; la couleur


noire qui paraît dans la putréfaction, est aussi contenue
sous l’ombre.
Aristote dit qu’il faut commencer par sublimer le mer-
cure pour le bien purifier avant de lui donner un corps à
dissoudre ; mais quel est ce mercure qu’il faut sublimer ?
Il y a une infinité de sublimations fausses, qu’il faut tâ-
cher d’éviter pour s’attacher à la véritable, qui doit être
purement philosophique ; elle consiste à rendre la ma-
tière subtile en la dépouillant de toutes les parties ter-
restres dont elle est enveloppée.
Cela arrive de la même manière que la terre s’obscurcit
par l’éclipse de lune, qui par l’interposition de la terre
est privée de la lumière du soleil.
Cette sublimation se fait dans la sphère obscure de Sa-
turne, qui est couverte d’un nuage épais pendant un cer-
tain temps. [93] Jupiter prend ensuite la place de Sa-
turne ; il remplit le ciel d’un nuage éclatant, & il fait dis-
tiller une rosée suave sur la terre, qui s’amollit d’une
manière admirable. Ensuite, des vents impétueux
s’élèvent dans ses entrailles. Ces vents soulèvent la
pierre en haut, pour la mettre à la portée de recevoir les
influences astrales, qui la renvoient en bas, sur la terre,
pour se nourrir & se revêtir d’un corps naturel.
Voilà l’explication de l’énigme des Philosophes, qui di-
sent tous : faites recevoir à la pierre la vertu des choses
supérieures & inférieures. Ainsi, ni l’or ni le mercure ne
peuvent fournir la première matière de la pierre, avant
qu’on ait tiré la teinture de l’or par le moyen du mercure
dissolvant.
Cette teinture se vivifie aussitôt qu’elle paraît, car elle
est morte tandis qu’elle est encore contenue dans le
corps de l’or. Voilà la matière des anciens Philosophes
qui ne paraît qu’après que l’Artiste lui a ouvert la porte
pour sortir de sa prison.

197
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Tout le monde connaît cette matière, dont on peut faci-


lement tirer le mercure qui y est très caché ; c’est le [94]
mercure philosophique qui tue l’or ; c’est la terre philo-
sophique où l’on peut faire germer l’or. Donnez à cette
terre un époux qu’elle aime & qu’elle désire ardemment ;
mettez-les ensemble dans le lit nuptial, où vous les lais-
serez jusqu’à ce que le mercure, par sa nature, eût pro-
duit un enfant philosophique & royal, dont le père est
l’or & la mère l’argent, & rien n’est plus vrai que cette
expression.
Nous avons rapporté tout ce que les Philosophes ont dit
de plus intelligible sur le sujet de leur pierre, sur leur
mercure, & sur les soufres d’or & d’argent.
Il ne reste plus rien à expliquer que le fourneau, le vase
& le feu du troisième degré.
Le fourneau doit être fait de terre cuite, le vase doit être
de verre, & il faut un feu élémentaire.
Nous ne devons nous étendre ici que sur les choses qui
sont absolument nécessaires à l’ouvrage, car les choses
vulgaires nous sont connues d’une autre manière qu’aux
Sophistes qui n’ont & ne peuvent avoir aucune connais-
sance de nos matières ; car notre feu, notre vase, notre
fourneau [95] sont tous des secrets qui ne sont connus
que des véritables Philosophes ; c’est du moins le senti-
ment de Sendivogius, de Raimond-Lulle, & de Flamel,
qui assurent que le feu, le vase & le fourneau ne sont
qu’une seule & même chose.
Le feu excite les corps & les met en fermentation plus
que le feu matériel ; c’est pourquoi on dit que le vin ar-
dent est un feu très fort.
Quand les Philosophes disent qu’il faut brûler leur cui-
vre avec un feu très fort, les Sophistes croient qu’il faut
faire un feu de charbon.
Le mercure philosophique contient trois feux, qui sont le
feu naturel, le feu inné, & le feu artificiel.

198
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Philalèthe a donné la composition du mercure philoso-


phique aussi bien que Flamel ; quoique ces deux Adeptes
ne fussent pas contemporains, on serait cependant tenté
de croire qu’ils se sont donné le mot pour écrire la même
chose, ou qu’ils se sont copiés l’un l’autre. Quoi qu’il en
soit, voici leur procédé, & je pense que si l’on savait les
entendre, on ne manquerait pas de réussir.
Prenez du plomb philosophique, [96] amalgamez-le avec
du vif-argent ; broyez la composition dans un morbier de
fer, avec de l’eau de pluie distillée ; il en résulte un
amalgame très blanc que vous mettrez dans une cornue
de verre avec son récipient, bien luté, & vous ferez distil-
ler le mercure que Philalèthe appelle son aigle. Il faut
cohober le mercure jusqu’à neuf fois sur la résidence du
plomb, dans la cornue : après ces opérations, le mercure,
ainsi préparé, doit dissoudre l’or radicalement, & le ré-
duire en teinture philosophique, selon Philalèthe ; mais
je pense que ce mercure ne produira jamais un effet pa-
reil, si l’on n’y ajoute la colombe de Diane. Qu’est-ce que
cette colombe de Diane ? Les Auteurs en ont beaucoup
parlé ; mais nous n’en sommes guère plus savants.
Suichten pense que la colombe de Diane n’est autre
chose qu’une dissolution d’argent de coupelle, qu’il faut
introduire dans le mercure ; mais Becher n’est pas du
même sentiment, il assure qu’il existe un minéral dont
le sel est plus fort & plus pur que celui de la marcassite.
Si l’on emploie ce minéral en place du plomb argenté, le
mercure est promptement acuité & [97] se trouve en état
de dissoudre l’or radicalement.
Flamel emploie un plomb martial, qui donne au mercure
la force d’échauffer le soufre d’or volatil, qui s’imprègne
de soufre philosophique, pour produire l’hermaphrodite
des Philosophes, qui est mâle & femelle tout à la fois, &
qui est un soufre vivifiant ; mais il faut un aimant pour
attirer ce soufre, après avoir amolli le corps où il est ren-
fermé.

199
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

COMPOSITION DU MERCURE PHILOSOPHIQUE ;


SELON PARACELSE.
Prenez deux onces d’argent, très pur, sans alliage ; ré-
duisez-le en limaille, que vous ferez rougir dans un creu-
set, & vous y ajouterez une once de régule martial : fai-
tes fondre le tout ensemble ; ajoutez-y deux onces de
mercure précipité ; couvrez le creuset, laissez-le sur le
feu pendant un quart d’heure, au bout duquel vous le re-
tirerez & le laisserez refroidir.
Pilez ensuite la composition dans un mortier de marbre,
lavez-la avec de [98] l’eau de pluie distillée, jusqu’à ce
que vous en ayez séparé toutes les scories, & que
l’amalgame soit aussi brillant que de l’argent de cou-
pelle.
Mettez cet amalgame dans une cornue de verre, avec son
récipient, bien lutté ; placez-le sur un feu de sable, toute
la substance du mercure passera en mercure coulant :
voilà l’aigle des Philosophes, mais il faut répéter la dis-
tillation de ce mercure jusqu’à dix fois, en ajoutant de
l’argent de coupelle & du régule martial.
COMPOSITION DU RÉGULE MARTIAL.
Prenez neuf onces d’antimoine, faites-les fondre dans un
creuset, séparez-en les scories.
Prenez ensuite quatre onces de fer doux, on peut pren-
dre des rognures de clous de cheval ; faites-les rougir
dans un creuset, & jetez-les ainsi dans l’antimoine en
fusion ; il se fera sur-le-champ une grande ébullition ;
car l’antimoine dévore tous les métaux à l’exception de
l’or. Couvrez le creuset avec un couvercle qui joigne bien,
laissez-le ainsi pendant un [99] quart d’heure. Ajoutez-y
ensuite deux onces de sel de nitre & autant de sel de tar-
tre raffinés & incorporés ensemble ; remuez bien avec
une spatule de fer ; vous verrez paraître une étoile
éblouissante dans le creuset ; séparez les scories autant
qu’il sera possible, & versez le régule dans un creuset de
fer que vous frapperez avec une baguette pour faire pré-

200
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

cipiter le régule & surnager toutes les scories que vous


pourrez détacher facilement du régule, qui restera beau,
clair, pur, & d’un jaune aussi éblouissant que l’or.
Voilà la véritable composition du régule d’antimoine
martial avec lequel on peut faire des merveilles dans la
Chimie & dans la Médecine ; mais nous croyons qu’il est
de notre devoir d’avertir nos Lecteurs & ceux qui exécu-
teront ce procédé, de ne pas se laisser séduire par cette
belle couleur d’or ; car si l’on ne connaît pas le premier
agent métallique, on ne réussira que très difficilement,
& par hasard, à faire la conjonction de l’or avec le régule.
Si l’on voulait être un peu attentif en composant ce ré-
gule avec du fer [100] & de l’antimoine vulgaire, tel
qu’on le vend chez les Droguistes, on pourrait acquérir
de grandes lumières qui conduiraient peut-être à la
connaissance du véritable antimoine ou azoth des Philo-
sophes : car si l’on veut examiner les merveilles que ce
régule présente dans le fond du creuset, on y verra
d’abord une séparation parfaite, & ensuite une réunion
des trois Principes, pourvu qu’on soit exact à observer
les doses, & qu’on sache choisir un temps convenable
pour faire cette opération, dont le succès dépend abso-
lument de la position d’une Planète.
Voici ce que nous avons pu découvrir à l’égard des co-
lombes de Diane, après avoir consulté les ouvrages des
meilleurs Philosophes.
Prenez du sel de tartre pur, arrosez-le avec de l’huile ou
esprit de tartre jusqu’à ce qu’il soit bien saturé : mettez-
le dans un matras de verre avec son chapiteau & réci-
pient bien lutté, & faites distiller jusqu’à siccité.
Vous extrairez le peu de sel fixe qui restera dans le ma-
tras après la distillation ; vous le ferez calciner dans
[101] un creuset avec un feu de fusion, vous le remettrez
dans le matras & cohoberez dessus la liqueur que vous
en avez retirée en distillant. Vous distillerez de nouveau
comme la première fois, & répéterez cette opération jus-

201
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

qu’à ce que le sel fixe ait absorbé tout l’esprit de tartre,


ce qui arrive ordinairement à la septième distillation.
Versez ensuite de l’esprit de vin rectifié sur ce sel de tar-
tre ainsi imprégné de son esprit, & faites distiller jus-
qu’à ce que le sel fixe ait tout absorbé l’esprit de vin ;
vous aurez un sel imprégné de deux esprits sympathi-
ques, qui sont conjoints avec un corps convenable.
Voilà les colombes de Diane qui ont la vertu de faire sor-
tir le soufre arsenical qui est contenu dans le régule
martial d’antimoine philosophique.
Quand on a le bonheur de réussir en faisant les colombes
de Diane, il est bien facile de convertir toute la subs-
tance du régule en vif-argent coulant, semblable exté-
rieurement au mercure vulgaire, mais qui renferme
d’autres propriétés admirables.
Le mercure qu’on tire ainsi du régule [102] par le moyen
des colombes de Diane, est imprégné de soufre d’or crud,
participant en outre d’une vertu martiale ; on peut le
sublimer avec du vitriol & du nitre, & environ un gros
d’or en chaux par chaque livre de mercure, qui a la vertu
de dissoudre l’or radicalement, parce qu’il contient une
vertu martiale apéritive, que le bon Flamel appelle sabre
calybé de Mars.
Ayant ainsi mêlé du vitriol, du nitre pur, & de l’or calci-
né avec le régule martial antimonial, réduit en mercure
coulant, faites digérer le tout ensemble dans un matras
fermé avec un chapiteau aveugle, dans le fumier de che-
val pendant quinze jours, au bout desquels vous trouve-
rez votre amalgame converti en cinabre éblouissant, que
vous revivifierez en le jetant dans de l’eau de pluie bouil-
lante. Tous les sels se dissoudront dans l’eau, & votre
mercure reparaîtra avec un nouvel éclat, que vous pour-
rez augmenter prodigieusement, en répétant cette diges-
tion au fumier jusqu’a sept fois ; mais il ne faut pas ou-
blier de remettre chaque fois de nouveau sel de nitre &
autant de vitriol romain purifié. [103]

202
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Cette opération est un peu longue & ennuyante ; il faut


quatre mois pour la conduire à sa perfection ; mais si
l’on pouvait voir d’avance l’éclat éblouissant de ce mer-
cure ainsi préparé, & les grandes connaissances qu’il
peut procurer, on ne regretterait pas le temps qu’exige
ce travail, qui d’ailleurs se fait les trois quarts & demi
dans le fumier de cheval, sans qu’on soit obligé d’y tou-
cher, parce que le fumier peut conserver une chaleur
égale pendant quinze jours.
Tout ce procédé est conforme à la doctrine de Philalèthe
qui paraît se borner à mercurifier le régule.
Jean de Solis prétend qu’en mêlant le mercure
d’antimoine martial avec le mercure vulgaire, on engen-
dre un dragon vivant qui est le véritable mercure des
Philosophes, qui dissout l’or radicalement ; mais je ne
voudrais pas garantir que ce procédé pût produire un
pareil effet.
La méthode de préparer le soufre des Philosophes, est
un des plus grands secrets de l’Art ; on peut le découvrir
en analysant les métaux, en les réincrudant ou rédui-
sant en première matière, laquelle il faut conjoindre
[104] avec une autre matière de la même espèce métalli-
que & faire cuire la composition pour avoir la teinture
universelle.
Les Philosophes assurent que l’or & l’argent sont la base
de la pierre, c’est du moins le sentiment général ; mais il
y a des personnes qui veulent & assurent qu’il n’y a qu’à
ajouter de l’or au mercure ; d’autres tirent une consé-
quence différente, & se bornent au soufre d’or avec le
mercure.
Mais la plus raisonnable de toutes les opinions est de
mettre du sel de Nature avec le soufre & le mercure, qui
font la base de la pierre. Le soufre doit être tiré du corps
de l’or calciné, & le mercure doit être tiré d’un argent de
coupelle réduit en première matière ; c’est le sentiment
de Raymond Lulle.

203
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Le mercure extrait d’un corps métallique imparfait peut


être convenable au magistère, parce qu’il peut très faci-
lement s’imprégner de la teinture de l’or & de l’argent, &
porter une teinture abondante dans tous les métaux im-
parfaits.
Les Philosophes connaissent un triple mercure qui ce-
pendant ne peut [105] avoir cette qualité qu’après trois
opérations différentes, qui sont la calcination & la su-
blimation de la matière qu’ils veulent réduire en mer-
cure philosophique, l’imprégnation de la teinture d’or ré-
incrudé, & la rubifïcation.
Quand on fait la première sublimation du mercure, il
faut faire les travaux d’Hercule, dont les Soldats sont si
effrayés en voyant tant de métamorphoses différentes,
qu’ils meurent tous : le mercure reste seul, mais Diane
& Vénus le protègent.
Geber dit que le mercure des Philosophes n’est pas du
mercure vulgaire, ni dans sa nature, ni dans sa subs-
tance ; mais il affirme qu’ils sont sortis, l’un & l’autre, de
la même source ou minière.
Le mercure philosophique contient son soufre, qui, par le
moyen de l’art, se multiplie à l’infini. La moitié de sa
substance est naturelle, & l’autre partie est artificielle ;
ce qu’il contient intérieurement est naturel, & se trouve
après un travail ingénieux ; on ne peut le faire paraître
que par le moyen d’une sublimation philosophique ; car
ce qui partait extérieurement est accidentel. Il faut sé-
parer [106] toutes les impuretés, tant intérieures
qu’extérieures, pour faire paraître ce qui est caché.
Le mercure philosophique, ou la matière dont on le tire,
a tellement été souillée dans son origine, qu’il faut un
triple travail pour le purifier de toutes les impuretés
qu’il a contractées dans la minière.
Le vif-argent a une hydropisie invétérée, dont il est bien
difficile de le délivrer ; on en vient pourtant à bout avec
un souverain remède qui existe dans le règne minéral.

204
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Sa plus grande maladie provient d’une eau grasse, lim-


pide & très impure qu’il renferme dans son corps, & qui
a infecté toutes les parties. Cette maladie ne lui est pas
naturelle ; il est évident qu’elle est accidentelle, & c’est
pour cela qu’elle est curable. On peut en séparer toutes
les impuretés, en le mettant dans le bain humide de la
Nature & dans un bain sec pour faire évaporer tous ses
flegmes. Après sa troisième purification, le serpent se
dépouille de sa vieille peau & paraît avec un corps neuf
& philosophique.
Le mercure philosophique a besoin [107] de deux subli-
mations ; la première consiste à en séparer toutes les
superfluités grossières : la seconde sublimation lui
donne ce qui lui manque, c’est-à-dire le soufre de Nature
dont il a le grain & le ferment ; car le mercure contient
tout ce qui lui est nécessaire, mais il n’en a que pour soi-
même ; & si l’on veut qu’il soit dans le cas d’en fournir
aux autres corps imparfaits, il faut augmenter son sou-
fre & le multiplier jusqu’à ce que la première porte du
sanctuaire philosophique soit ouverte.
La lumière qui brille autour de Vénus, & les petites cor-
nes de Diane, sont des guides que Dieu vous présente
pour vous conduire dans le jardin des Philosophes, à
l’entrée duquel vous trouverez un horrible dragon que
vous devez vaincre pour pénétrer jusqu’à la source de la
fontaine qui se divise en sept ruisseaux.
Celui qui cherche la médecine universelle hors du règne
minéral, est dans l’erreur. Il faut chercher la multiplica-
tion des métaux dans les métaux mêmes & non ailleurs.
Les métaux parfaits contiennent une semence parfaite,
mais elle est cachée [108] sous une croûte bien dure. Ce-
lui qui pourra amollir cette croûte avec un adoucissant
philosophique, parviendra sûrement au comble de ses
désirs ; mais ne perdons jamais de vue ce point essentiel,
que l’or seul contient la semence de l’or.

205
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Philalèthe dit que l’aimant philosophique est une masse


remplie de sel. Sans ce sel, il est impossible de calciner
l’or.
Hermès & d’autres Philosophes disent que le mercure
martial & le mercure antimonial ne pourront jamais
s’incorporer & produire un métal parfait à cause de
l’opposition qui se trouve entre l’antimoine & le fer ;
mais il enseigne un moyen bien simple pour rendre amis
ces deux métaux contraires de la manière suivante.
Prenez le régule dont nous avons donné la composition
plus haut ; réduisez-le en poudre dans un mortier de fer,
séparez-en les scories & précipitez le régule ; pulvérisez
ensuite les scories martiales, mettez-les dans un creuset
sur un feu de braises pour faire évaporer les parties an-
timoniales. Cette poudre martiale aura toutes, [109] les
propriétés du fer calciné avec le soufre commun ; elle se
résoudra en une liqueur aigrelette, dans laquelle des
cristaux de vitriol précieux se formeront.
Joignez ensuite ce vitriol ou mercure martial, qui
contient l’âme de l’or, avec le mercure d’antimoine, ou
avec du régule non mercurifié, & vous verrez l’étoile
dont parle Flamel. Ces étoiles paraissent toujours selon
ce procédé, pourvu toutefois qu’il soit ponctuellement
exécuté. Elles sont éblouissantes & de différentes cou-
leurs, selon le temps, la saison, la température de l’air.
Ce mercure martial contient un feu dévorant qui paraît
lorsqu’on le mêle avec une terre sulfureuse imprégnée
d’esprit de rosée.
Tous les corps parfaits contiennent un mercure qui ren-
ferme une humeur balsamique & propre à purifier le vif-
argent ; mais les soufres arsenicaux & externes ne sont
que des scories qu’il faut rejeter, si on n’a pas le secret
de les purifier pour les employer à purifier les autres
métaux.
Quoique ces soufres soient imprégnés d’une âme d’or, ils
n’ont cependant [110] pas la propriété d’épaissir & de

206
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

coaguler le mercure vulgaire ; ils en attirent seulement


ce qui est de leur genre.
Le feu de l’or n’est pas, lui seul, suffisant pour brûler
toutes les scories qui se trouvent dans le mercure vul-
gaire, qu’on amalgame avec le régule ; la véritable cause
de cette insuffisance provient de la grande quantité de
soufre arsenical qui est contenu dans le mercure double
du régule ; mais on peut le dissoudre artificieusement &
d’une manière qui est toute naturelle, car il n’attire du
mercure vulgaire que ce qui lui est analogue.
Le régule d’antimoine martial, broyé avec autant pesant
d’antimoine, font un mélange qui présente de belles cho-
ses. On y joint ordinairement un huitième de mercure
vulgaire pour développer le mercure d’antimoine martial
qui, se trouvant dégagé & délivré de ses satellites, se
précipite au fond du vase, pourvu que la nature soit ai-
dée par une digestion au bain-marie ou au fumier de
cheval.
Le mercure d’antimoine martial contient toujours quel-
ques parties de la semence primordiale de l’or ; mais le
[111] plus grand inconvénient est qu’il faut employer du
mercure vulgaire pour extraire le mercure d’antimoine ;
sans cela le mercure d’antimoine martial se trouverait
animé.
On dira peut être qu’il ne serait animé qu’après beau-
coup de purgations réitérées, pour le délivrer des diffé-
rents soufres impurs qui sont contenus dans
l’antimoine ; mais je puis certifier que le mercure extrait
du régule d’antimoine martial, est dépouillé entièrement
de tout soufre impur & combustible, qu’il ne reste que le
soufre d’or qui ne peut être lésé par le feu ; le feu, dans
la confection du régule, n’épargne que le soufre d’or, &
brûle & détruit tous les soufres communs & impurs.
Pour vous assurer de cette vérité, faites l’extraction du
soufre de l’antimoine crud, de manière que ce soufre ex-
trait de l’antimoine ressemble au soufre commun, sans

207
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

aucune différence, & que l’antimoine conserve sa forme


extérieure. Faites fondre cet antimoine, & jetez dans le
creuset, un morceau de fer assez échauffé pour jeter des
étincelles ; faites, en tout, comme si vous vouliez faire un
régule d’antimoine [112] martial ; vous verrez que
l’opération ne réussira pas, & que le fer demeurera in-
tact. Vous ne réussirez pas, parce que l’antimoine est
dépouillé de son soufre combustible, par le moyen, du-
quel le fer se dissout dans l’antimoine en fusion.
Mais on dira, peut-être, que le germe de l’or qui est
contenu dans le fer, n’est qu’une vapeur spiritueuse, car
il paraît que Philalèthe le pense ainsi. Je répondrai à ce-
la, en demandant à mon tour pourquoi ce feu volatil, qui
n’est point lié par le mercure martial, ne s’envole-t-il pas
dans tous les feux de fusion qu’on peut lui faire subir, &
pourquoi rien ne le retient-il que l’antimoine ? Pourquoi
délaisse-t-il son ancien hôte, le mercure martial, qui est
dans le mercure antimonial, & qui est bien plus pré-
cieux ? D’où vient cette ingratitude ? Pourquoi cet esprit
d’or, sans corps d’or, est-il caché dans le fer seul, dans la
maison du Bélier ? Pourquoi fait-on un si beau régule
avec le fer ? C’est parce qu’il contient une bonne quanti-
té de soufre d’or.
Philalèthe dit (chap. II) que tous ceux qui ont travaillé
sur le cuivre ont perdu leur temps ; mais que le mercure
[113] vulgaire & antimonial contient un soufre fermen-
tatif & actif, dont un grain préparé peut coaguler tout
son corps, pourvu qu’on en sépare les impuretés & ter-
restréités. Quoique cela paraisse très vrai, il ne faut ce-
pendant pas suivre cette doctrine à la lettre, c’est le
conseil que nous donnent plusieurs Auteurs éclairés sur
ce sujet.
La matière générique & prochaine dans le règne miné-
ral, est une substance qui a la forme du mercure ; elle
est pondéreuse comme le mercure. Il est indubitable que
cette même substance a la vertu de réduire en mercure
tous les corps métalliques. Tous les métaux, dit Arnaud

208
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

de Villeneuve, sont composés de mercure, & peuvent


être réduits en mercure.
La Nature forme tous les métaux avec le vif-argent, par
le moyen d’une substance sulfureuse : on s’assure de
cette vérité en faisant coaguler du mercure par la seule
vapeur du soufre.
Geber assure aussi que le vif-argent est le principe de
tous les métaux, & qu’il ne se coagule que par le moyen
d’un soufre arsenical.
Les Philosophes parlent ici du mercure [114] fluide mé-
tallique, sans aucune préparation philosophique.
Le mercure vulgaire est un don de Dieu, une chose pré-
cieuse qui contient tout ce qui est nécessaire dans le ma-
gistère. Tous les métaux inférieurs contiennent une par-
tie de cette même substance ; mais elle est impure. Il
faut en séparer les superfluités grossières par le feu & le
soufre qui a la vertu de déterminer en or toutes les par-
ties qui l’environnent dans la minière se développe.
Voilà pourquoi Bernard dit que le dissolvant n’est point
différent de ce qu’on cherche à dissoudre, si ce n’est par
la digestion & par la maturité qui a converti en métal.
Il n’y a point d’eau naturellement réductible, qui puisse
dissoudre les métaux ; le vif-argent seul a cette proprié-
té, toutes les autres dissolutions ne peuvent être d’aucun
avantage.
Joignez donc le mercure crud avec son corps, par le
moyen d’un esprit, & le corps sera dissout dans la pre-
mière cuisson ; mais gardez-vous bien d’altérer ce mer-
cure avant de le conjoindre avec son corps ; car il doit
rester dans sa fluidité métallique. Il faut [115] seule-
ment en séparer les scories, en le sublimant avec du sel
commun.
Tout ce qui est en proportion naturelle doit rester en es-
pèce mercurielle dans l’œuvre. L’on peut faire une

209
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

conjonction intime, du mercure d’antimoine martial avec


son corps, par le moyen d’une sublimation particulière,
par laquelle on vient à bout de séparer toutes les super-
fluités grossières, & il en résulte un dissolvant univer-
sel, tel qu’il le faut pour faire la pierre.
Les Philosophes ne conseillent point d’employer le mer-
cure vulgaire ; ils recommandent, au contraire, de faire
usage du sel de nitre, de la terre vierge, & des autres
sels de toute espèce ; mais ils défendent tous de rien
chercher hors du règne minéral.
Si Hermès venait nous révéler la matière, & nous mettre
en main tout ce qui est nécessaire au magistère, nous
n’en serions pas plus avancés, si nous ignorions les se-
crets de la Nature, nous finirions par où il faudrait
commencer. Si les Philosophes n’avaient pas connu tou-
tes ces difficultés, ils n’auraient pas écrit d’une manière
si intelligible, quoique sous l’énigme.
Geber dit qu’il faut purger le mercure [116] jusqu’à ce
qu’il soit très blanc ; mais il ne dit pas quel moyen l’on
emploie pour le purger ainsi. Le même Auteur ajoute
que, si l’on purifie le mercure en le rendant subtil, on
aura une teinture au blanc. Il semble qu’il veuille indi-
quer en quoi consiste cette opération, en disant que le
vif-argent a un double soufre & une double humidité.
L’une est contenue dans son centre, où elle est dès le
commencement de sa mixtion ; l’autre est extérieure &
corruptible, qui provient de différents accidents aux-
quels il a été exposé dans la minière. Il est impossible
d’en séparer la première, parce qu’elle tend à la perfec-
tion du corps, & rend incombustible le soufre parfait qui
est contenu dans le vif-argent ; l’autre humidité en est
séparable ; mais il faut un travail pénible. D’après tou-
tes ces difficultés, Geber conseille de prendre la pierre
dans un autre sujet, qu’il dit avoir indiqué dans le com-
mencement de son Livre ; & il ajoute que celui qui n’a
pas un esprit pénétrant, ne parviendra jamais à com-
prendre ce qu’il a voulu dire.

210
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Geber, Bernard, & Arnaud de Villeneuve assurent qu’il


ne manque [117] qu’une coagulation & une digestion au
mercure vulgaire qui est dans la minière, pour en faire
un métal parfait.
Les anciens Philosophes ont préparé leur mercure en
suivant les opérations de la Nature ; ils y ont ajouté de
l’or, & l’ont fait mûrir en observant les degrés de chaleur
naturelle.
Ils ont ajouté de l’or à leur mercure, parce qu’il contient
un soufre différent de celui qui est renfermé dans le
mercure, & parce que le soufre de l’or est plus parfait,
plus mûr & plus digéré que le soufre du mercure. Voilà
pourquoi l’Artiste est bien plus prompt dans ses opéra-
tions que la Nature.
L’or n’est autre chose que du mercure digéré & coagulé :
desséchez donc le mercure, & ajoutez-y de l’or ; le mé-
lange des deux spermes produira la pierre. Cela se fait
par une conjonction admirable, de la même manière que
la Nature fait l’or dans les minières du Pérou.
Nous ne nous étendons sur cette matière, qu’à cause que
peu de personnes la connaissent ; ceux qui comprennent
bien cette conjonction pourront, avec l’aide de Dieu, par-
venir à [118] l’accomplissement du magistère, dont le
succès dépend entièrement de la connaissance d’un sel
qu’on reconnaît facilement à l’odeur, comme le dit ingé-
nument Flamel.
Philalèthe a bien raison de se moquer de ceux qui cher-
chent ce sel dans la rosée du mois de Mai, & dans l’eau
de pluie des deux équinoxes. Ceux qui cherchent le mer-
cure des Philosophes dans ces choses perdent leur temps
& leur huile.
Souvenez-vous bien de cet axiome qui subsistera éternel-
lement. Le mercure métallique contient tout ce qui est
nécessaire au magistère. Riplé dit qu’il faut joindre le
genre avec le genre, l’espèce avec les espèces. Bernard
ajoute au raisonnement du précédent que, pour faire la

211
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

médecine universelle, il faut joindre deux choses de la


même espèce & que tout le secret consiste dans l’union
du mercure fixe avec le mercure volatil, ou corporel &
spirituel.
Nous avons déjà dit, & nous le répétons encore, que tous
ceux qui travaillent hors du règne minéral, perdent leur
temps & ne trouveront jamais rien ; parce qu’il n’est pas
possible [119] de faire ou perfectionner des métaux avec
une chose qui n’est pas métallique. Ne cherchons donc
jamais le mercure philosophique hors du règne minéral.
Quiconque voudra faire des recherches ailleurs sera tou-
jours dans l’erreur ; tous les Philosophes sont d’accord
sur ce point essentiel.
La Philosophie, avec tous ses secrets, ne saurait faire un
métal sans employer une chose métallique, comme on le
voit dans la projection ; quoique la pierre soit fermentée
avec des parties métalliques les plus pures, elle ne pro-
duit cependant jamais un métal parfait, si on ne la pro-
jette auparavant sur un corps métallique parfait, qui lui
soit analogue & sympathique.
Tous les effets merveilleux que produit la pierre, ne pro-
viennent que de la conjonction & union parfaite de l’or &
de l’argent, qui ont une grande affinité ensemble. Celui
qui voudra faire le contraire de ce que nous venons de
dire, travaillera contre le bon sens, & contre tout ce que
peuvent lui indiquer les expériences chimiques.
Abandonnez donc tous vos sels factices ; attachez-vous
au sel de nature ; vous le reconnaîtrez à l’odeur, comme
[120] nous vous l’avons déjà dit. Vous verrez que les Phi-
losophes ont dit la vérité en assurant que le sel & l’or
renferment tout ce qui est nécessaire à la composition de
la pierre.
Quoiqu’on donne à cette matière le nom de sel de Na-
ture, il ne faut cependant pas la chercher dans un sujet
qui ait la forme de sel extérieurement ; écoutez ce que
dit Geber : Celui qui veut chercher la teinture des mé-

212
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

taux ailleurs que dans le vif-argent, entre dans la prati-


que comme un aveugle.
Le mercure des Sages est une substance métallique très
pure, qui contient un soufre spirituel par le moyen du-
quel la pierre se coagule.
Cette substance métallique est double ; elle est sèche &
humide ; elle n’est bornée qu’à cause qu’elle est ornée de
son soufre qui occasionne la coagulation, & qui avec le
temps, fait une teinture parfaite.
La Nature produit tous les métaux dans les minières par
le moyen d’un seul sperme, en cuisant & digérant le
mercure seul qui contient deux éléments qui sont l’eau &
la terre : l’eau est active, & la terre est passive. [121]
Le feu & la terre exercent leur empire dans le même su-
jet ; mais quand la digestion & la coagulation sont faites,
il en résulte un métal sans le secours d’aucune autre
chose étrangère. La différence des métaux dépend des
différents accidents ; & lorsque la Nature n’est pas trou-
blée dans ses opérations, elle fait de l’or parfait avec le
seul mercure vulgaire, quand rien ne l’empêche de sépa-
rer les superfluités grossières qu’il est presque impossi-
ble de séparer par le moyen de l’art.
Le mercure ne s’incorpore jamais avec un corps métalli-
que quelconque, si auparavant on ne lui fait subir une
préparation parfaite. Il est impossible de faire une
conjonction fiable & parfaite, sans le secours d’un esprit.
L’adhérence ne se trouve que dans les esprits, qui seuls
peuvent pénétrer les corps ; mais il faut les purifier, les
altérer, les sublimer, les dessécher & les exalter pour les
dépouiller de toutes leurs impuretés : après toutes ces
opérations, on peut en extraire la quintessence qui
convient au magistère.
Le mercure contient une cause de corruption dans sa
partie terrestre & [122] combustible avec une substance
aqueuse. Il faut en séparer toutes ces superfluités par le
moyen du feu, &, comme dit Geber, par le mélange des

213
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

fèces. Consultez & méditez sur tous les points de la doc-


trine de ce Philosophe ; c’est le plus intelligible de tous
les anciens Auteurs. Si vous avez le bonheur de le com-
prendre, vous verrez sortir la lumière au milieu des té-
nèbres les plus épaisses : vous verrez la minière de tous
les Philosophes ; mais tâchez de vous garantir de l’odeur
infectée qui sortira du sépulcre après que vous l’aurez
ouvert.
Lavez l’enfant royal jusqu’à ce qu’il soit éblouissant
comme le Soleil, & vous admirerez ce que vous aurez tiré
du sépulcre puant. Vous verrez le Prince de tous les mé-
taux, le caducée de Mercure. Les serpents renfermés
dans le vase absorberont toute la puanteur, & détruiront
tout le poison dont le corps du mercure est rempli.
La base de notre métal double est celle du mercure le
plus pur & qui n’a qu’une seule forme.
La Nature nous a ouvert plusieurs chemins pour parve-
nir à l’accomplissement [123] du magistère ; car nous
avons la voie sèche & la voie humide.
La voie humide est la plus noble, la plus ancienne & la
plus facile ; mais c’est la plus cachée. Néanmoins, nous
allons l’indiquer autant qu’il est possible.
Prenez le plomb des Philosophes, réduisez-le en pre-
mière matière sans y rien ajouter qui lui soit contraire ;
ce plomb antimonial est un métal mixte qui renferme un
soufre d’or & d’argent. Faites passer les ténèbres dans la
montagne de la fausse Vénus ; séparez la partie fixe de
la partie volatile par le moyen d’une calcination conve-
nable, que vous pourrez faire dans un fourneau de ré-
verbère ou dans un four de verrier, sans craindre
d’altérer la matière essentielle au magistère, parce
qu’elle est incombustible.
Quand vous aurez ainsi préparé le plomb antimonial ou
azoth des Philosophes par le moyen du feu, l’eau péné-
trera tous les interstices de la terre, & formera la chaîne
d’or d’Homère. La sentence d’Hermès s’exécutera, en ce

214
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

que les choses d’en bas seront semblables à celles d’en


haut.
Aussitôt que votre terre sera imprégnée, [124] elle pro-
duira des fleurs admirables, c'est-à-dire que la matière
se convertira en mercure philosophique ou en eau qui ne
mouille pas les mains. Cette eau engendrera plusieurs
petits poissons. Le premier qui paraîtra, sera la rémore,
très petit poisson qui arrête cependant un gros vaisseau
aussitôt qu’il s’y attache. L’on voit ensuite paraître
l’oiseau d’Hermès en l’air : le feu fera germer les semen-
ces de l’or & de l’argent, & l’on verra longtemps des bê-
tes marcher sur la terre & grimper au haut des monta-
gnes les plus élevées, où vous verrez paraître une fleur
dorée & argentée qu’on appelle Calendule. Vous cueille-
rez cette fleur & vous la sacrifierez au mercure qui la
dévorera avec avidité ; aussitôt qu’il l’aura mangée, les
ailes lui croîtront aux pieds & aux mains, & il montera
aussitôt sur son trône, parce que les bons sont encore
mêlés & confondus avec les méchants qui sont des meur-
triers & empoisonneurs qui habitent dans la terre philo-
sophique.
Le feu les détruira tous, & occasionnera le déluge, mais
il faut que l’arche de Noé soit bien fermée & bien [125]
remplie de toutes les provisions nécessaires à la subsis-
tance de tous ceux qui y sont renfermés ; car il ne faut
pas les laisser mourir de faim, tandis qu’ils sont enseve-
lis dans les ondes.
Au bout de quatorze jours, celui qui convoquera les
demi-Dieux, paraîtra plein de joie pour couronner ceux
de ses sujets qui sont de sa race. Lui seul sera le maître
du ciel & de la terre, & il vivra jusqu’à ce que le mercure
philosophique soit préparé & orné de toute la parure que
Dieu lui a donnée à sa naissance.
Nourrissez l’enfant royal Prince des Indes avec la viande
qu’il peut digérer : vous aurez soin de lui en donner en
juste proportion ou quantité ; car les deux excès lui sont
également funestes, c’est-à-dire le trop ou trop peu. Il

215
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

doit avoir une chaleur convenable, sans suer ni avoir


froid, autrement la végétation de l’enfant royal ne pour-
rait s’effectuer, ou s’il prenait trop de nourriture, il
s’envolerait.
Selon cette méthode secrète, il ne faut rien ajouter
d’étranger au mercure ; il suffit d’en séparer toutes les
superfluités, & l’on doit abandonner le reste de l’ouvrage
à la Nature. [126]
Les Philosophes disent que leur azoth est un électre mi-
néral ; car l’électre métallique est un composé de plu-
sieurs substances différentes des métaux ; mais il faut
faire l’analyse de cette matière pour en séparer les trois
principes, sel, soufre & mercure, dont chacun contient
tous les éléments en particulier.
Le soufre philosophique de Saturne est le père de tous
les métaux, quoiqu’en examinant le plomb des Sages,
lorsqu’il sort de la minière, on n’aperçoive aucune trace
de métal parfait ; la Nature n’a fait que commencer légè-
rement à opérer en lui, & l’a ainsi laissé imparfait, pour
l’empêcher de tomber entre les mains des impies, des
avares, & des voluptueux, tandis que celui qui a le cœur
droit, craignant d’offenser Dieu, parce qu’il est infini-
ment bon, celui, dis-je, dont les vues sont légitimes, dé-
couvrira bien ce trésor à travers le voile qui l’enveloppe,
mais les impies ne le trouveront jamais.
Quiconque connaît la génération des métaux, peut trou-
ver facilement l’azoth des Philosophes avec l’aide du
Seigneur ; mais il doit prier & travailler avec assiduité.
[127]
Si ce raisonnement n’est pas assez clair, vous pouvez lire
les ouvrages de Basile Valentin. Ce Philosophe vous en-
seignera les chemins que vous devez suivre pour arriver
au temple de la Philosophie hermétique ; il vous démon-
trera toutes les opérations depuis la préparation de la
matière par la calcination jusqu’à la multiplication de la
pierre ; mais je vous préviens que vous ne trouverez que

216
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

des énigmes, des allégories, surtout lorsqu’il est question


d’indiquer la matière ou pierre des Philosophes, qui se
trouve où résident les vapeurs venimeuses qui vous in-
diquent le lieu, la minière où vous devez chercher notre
sujet.
Dieu a créé cette matière métallique en notre faveur :
nous pouvons en extraire un corps dur, un corbeau gras,
dont nous devons séparer les parties superflues pour
n’en prendre que le noyau, qui est un poison mortel, avec
lequel nous pouvons faire un Allexipharmacopée.
Quand vous aurez fait cette séparation, vous aurez une
eau visqueuse, métallique, diaphane, qui ne mouille pas
les mains, qui contient les germes de l’or & de l’argent,
ou le vrai soufre [128] philosophique qui est caché dans
les règnes de Saturne & du Soleil.
Dès que vous aurez le bonheur d’avoir une once de cette
matière, vous pourrez la multiplier à l’infini, sans être
obligé de recommencer les opérations préliminaires ;
vous aurez en même temps une preuve non équivoque
que vous êtes dans le bon chemin.
Si vous suivez la voie humide, vous ferez cuire le compo-
sé philosophique avec plus de facilité : on commence
avec le feu du premier degré, & on l’augmente successi-
vement jusqu’au quatrième degré pour achever la rubifi-
cation.
La voie sèche n’a pas les mêmes avantages : on a conti-
nuellement à craindre la rupture des vases de verre
dans le commencement de l’opération, à cause du feu in-
térieur qui est renfermé dans la matière volatile qui
n’est point humide. En augmentant le feu, on accélère la
fixation de la matière ; mais une trop gravide chaleur
fait briser les vases, brûle les fleurs, & détruit entière-
ment la matière.
Celui qui a le bonheur de posséder la teinture univer-
selle, connaît parfaitement la nature humaine, & peut

217
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

[129] guérir toutes les maladies : il répand la santé avec


la même rapidité que le Soleil distribue sa lumière.
La teinture faite par la voie sèche, n’a pas des avantages
si parfaits, parce qu’elle participe de la nature des sels
dissolubles. Celle qui est préparée par la voie humide
consiste dans la simplicité d’un seul sujet, qui, par le
moyen d’un travail, qui est à peu près le même dès le
commencement jusqu’à la fin, produit ce dissolvant fa-
meux & inaltérable, qui réduit tous les êtres dans leur
première matière, qui est le mercure philosophique. Il ne
me reste plus qu’à vous indiquer les moyens d’en faire la
cuisson avec de l’or pur.
Le sujet que nous employons pour faire la teinture par la
voie humide, produit un double mercure qui a la proprié-
té de composer & de détruire.
Si l’on conjoint de l’or corporel avec le premier mercure,
il en résulte une teinture métallique parfaite.
Si, par ignorance, l’on conjoignait de l’or avec le second
mercure, l’or serait infailliblement détruit & converti en
sel volatil, médicinal, qui, étant conjoint avec une autre
substance, [130] se convertirait encore en eau élémen-
taire.
Ces deux mercures sont conjoints si étroitement ensem-
ble, qu’il n’est pas possible de les séparer sans leur faire
subir une fermentation convenable.
Dieu a fait cette union admirable pour maintenir le
monde dans l’état où nous le voyons, afin qu’à chaque
instant nous ayons devant les yeux des objets qui nous
fassent penser à une autre vie.
Basile Valentin parle de cette double matière, à l’article
de la destruction & séparation du mercure.
Il ne suffit pas de bien connaître la matière de la pierre
philosophale ainsi que le feu ; il faut de plus une main

218
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

adroite pour empêcher la destruction de l’or & le consti-


tuer en puissance.
Tout le secret consiste dans la préparation de l’azoth,
qu’il faut constituer en putréfaction, si l’on veut le ren-
dre propre à la génération. Le Laboureur & Sendivogius
nous indiquent assez clairement les moyens de réussir
dans cette opération. Ils disent que dans le royaume phi-
losophique de Saturne, on voit dans un miroir toutes les
actions naturelles & tout le système [131] du monde à
découvert : on y reconnaît toutes les opérations du ma-
gistère, la génération des métaux dans les entrailles de
la terre, & l’état naturel de tous les êtres soumis aux in-
fluences des astres.
Mais venons au second moyen de faire la pierre par la
voie sèche.
On objectera d’abord, que le mercure vulgaire ne peut
devenir mercure philosophique sans le réduire en pre-
mière matière, ce qui est très difficile ; mais on doit bien
voir qu’il y a une grande différence entre un métal par-
fait & un métal imparfait, entre celui qui commence à
devenir métal & celui qui est métal consommé.
Si le mercure vulgaire est réellement un métal, il
convient d’autant mieux au magistère, & l’on peut dire
qu’il a deux coagulations métalliques, dont la première
se fait par le moyen d’un bon soufre interne, & la se-
conde par le soufre antimonial externe ; l’une & l’autre
se font naturellement selon l’intention de la Nature.
Ces coagulations étant accidentelles, il est bien facile de
les défaire ; car si l’on sépare la cause de la coagulation,
la matière reprendra bientôt sa [132] forme primitive ;
mais les véritables métaux ne sont pas dans ce cas,
parce qu’ils ne sont plus dans la classe du mercure cou-
lant.
Tout métal parfait a subi deux coagulations par l’effet de
deux coagulants ; séparez un de ces coagulants, & vous
verrez ce que deviendra la matière, vous reconnaîtrez

219
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

que le mercure vulgaire n’est point un métal, & que c’est


plutôt la matière des métaux, qu’il ne lui manque qu’un
agent pour le coaguler & le faire résister sous le mar-
teau. Si donc il n’est que la matière ou le principe des
métaux, l’on ne peut dire qu’il soit réellement un métal.
Voilà pourquoi le mercure coulant n’est point un métal,
c’est plutôt une eau métallique spirituelle, qui est propre
à la coagulation métallique où elle est reçue comme dans
une matrice naturelle, où elle démontre les effets de sa
puissance. Voyez ce que disent sur ce sujet, Bernard,
Arnaud de Villeneuve, Geber & tous les anciens Philoso-
phes, qui ne méprisent pas le mercure vulgaire.
Quand vous séparerez les impuretés du mercure, prenez
bien garde de le réduire [133] en scories ou terre noire,
comme il arrive avec le régule martial, lorsqu’on le met
en fusion avec des sels en trop grande quantité, ou lors-
qu’on y ajoute trop de fer. Quand on n’observe pas les
justes proportions, un régule très pur devient impur, &
se convertit entièrement en scories arsenicales.
Le mercure n’est pas toujours également chargé
d’impuretés en grande quantité ; mais il faut toujours
beaucoup de temps & de patience pour les séparer. Voilà
le point le plus difficile.
Il m’est arrivé plusieurs fois d’abandonner du mercure
que j’avais réduit en scories noires qui me paraissaient
inutiles & que l’air, les influences des astres, converti-
rent en beau mercure coulant dans l’espace de quelques
jours. On fait un double mercure philosophique de cette
manière ; mais il faut faire les sublimations du mercure
vulgaire avec des corps qui lui soient analogues, & ces
mêmes corps doivent être choisis dans le règne métalli-
que, & doivent être un peu fixes par eux-mêmes, sans
être malléables, comme sont les pyrites.
Il y a deux sublimations qui, à peine, [134] diffèrent
l’une de l’autre. On peut exécuter le procédé de Flamel
en cette occasion.

220
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Philalèthe a aussi parlé de ces sublimations ; il est un


peu obscur, & ne développe pas assez la matière pour un
commençant ; mais voici le résultat de son procédé.
1°. Il faut donner un lien au mercure ; ce lien doit être
en proportion discrète, afin qu’il ne soit pas plutôt nuisi-
ble qu’utile.
2°. Il faut un feu minéral & naturel.
3°. Il faut un feu contre nature.
4°. Il faut faire intervenir le dragon ailé.
5°. Il est aussi absolument nécessaire de se procurer le
dragon terrestre.
L’on confie toutes ces matières à Neptune, sous les aus-
pices de Vulcain.
Le dragon ailé & venimeux, empoisonnera toutes les bê-
tes qui sont dans la mer, & les laissera manger aux ai-
gles & aux vautours.
Le dragon ne pardonnera qu’à la licorne marine ; en-
suite, Saturne parcourra le rivage de la mer, & tuera
toutes les bêtes qu’il rencontrera sur son territoire, & les
jettera dans le Tartare. [135]
Neptune rendra au serpent exténué toute sa vigueur. Le
dragon terrestre, en même temps, jettera un regard
compatissant sur la licorne marine épuisée de fatigues ;
il la ranimera, en deviendra éperdument amoureux, &
l’épousera. Ils habiteront ensemble, & deviendront, par
là, extrêmement nuisibles à tous les autres animaux ve-
nimeux & non venimeux.
Quand le dragon aura habité deux fois avec la licorne
marine, elle mourra & exhalera une puanteur si forte,
qu’en très peu de temps le dragon terrestre mourra aus-
si. Peu de temps après, il s’élèvera une horrible tempête
dans l’air : cette tempête sera causée par les mauvaises
vapeurs du soufre, qui s’élèveront & occasionneront un

221
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

feu naturel en l’air ; ce feu naturel se mêlera avec le feu


contre nature : ce mélange fera un bruit épouvantable ;
l’air sera rempli de vapeurs ; le soleil & la lune en seront
obscurcis. L’éclipse durera jusqu’à ce que la pleine lune
aura fait tomber une pluie abondante ; Mercure fera la
paix, la publiera, & l’affichera aux portes du ciel.
Voici l’explication de l’énigme par Bernard. [136]
Tout ceci n’est qu’une sublimation qui se fait par le
moyen des corps convenables avec lesquels il faut subli-
mer la matière de la pierre des Philosophes, dans une
cornue ou un alambic de verre ; mais il faut calciner la
matière auparavant ; car sans cette calcination, il n’y a
point de dissolution à espérer.
Toutes ces opérations sont philosophiques, & diffèrent
totalement des opérations vulgaires, quoiqu’elles parais-
sent être de la même nature & s’accorder ensemble.
La sublimation vulgaire du mercure avec les métaux
prouve cette différence ; car elle ne sépare, pour ainsi
dire, qu’une très petite partie de terre noire, en compa-
raison de la grande quantité qu’on sépare par la subli-
mation philosophique. L’on continuerait cette opération
pendant une année entière, qu’on n’en séparerait pas
plus de scories, si l’on n’a pas les moyens que nous em-
ployons dans notre magistère, parce qu’il faut un média-
teur subtil qui ait la vertu de séparer toutes les scories
nuisibles.
J’ajouterai que si vous aviez le bonheur de réussir à su-
blimer l’or par le [137] moyen d’une certaine manipula-
tion qui est possible & très familière aux Adeptes, vous
n’en seriez pas plus avancé si vous manquiez dans un
seul point essentiel. Pour réussir, il faut, avant toute
chose, connaître le feu pur, minéral & métallique, pour
purifier le mercure de toutes ses parties arsenicales, ter-
restres & sulfureuses.
Le mercure chargé de toutes ses scories, reçoit le feu
dont nous parlons bien facilement, & il change bientôt

222
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

de forme, parce que ce feu s’étend partout son corps, qui


se dépouille promptement de ses parties terrestres. C’est
le sentiment de Flamel que vous trouverez conforme à la
vérité, dès que vous serez dans le bon chemin.
Tout ce que nous venons de dire sur ce sujet, est
conforme à la doctrine de Philalèthe, dont l’opération est
très longue, très puante & très malsaine, à cause des
vapeurs antimoniales arsenicales & sulfureuses
qu’exhalent les matières qu’il faut employer.
Le procédé que nous venons de décrire est moins long,
moins ennuyant ; mais il n’est pas exempt de vapeurs
venimeuses ; c’est pourquoi l’Artiste [138] doit toujours
être sur ses gardes, avec un bon contrepoison préparé.
On doit se procurer une eau mercurielle de deux sujets
très purs ; & si l’on fait cuire cette eau pendant deux
mois seulement, elle se précipitera & se fixera en or.
Geber assure que les métaux ont trois principes, qui sont
le vif-argent, le soufre & l’arsenic, & que toute coagula-
tion doit être attribuée à l’arsenic & au soufre.
Le mercure philosophique doit être entièrement dépouil-
lé de soufre & d’arsenic par une manipulation secrète, &
c’est pour cela qu’il perd sa vertu coagulative & acquiert
la propriété de se précipiter par lui-même, sans le se-
cours de l’or.
Si vous amalgamez de l’or calciné, avec le mercure des
Philosophes, il se convertira, par un feu tempéré, en pré-
cipité éblouissant ; vous pourrez faire de l’or avec ce
mercure sans y ajouter de l’or, selon le procédé
d’Helmont. Ce mercure se précipitera en terre sans feu,
& de la manière la plus simple, si vous avez la patience
d’attendre, vous aurez de l’or de bon aloi. [138]
Tout métal peut être le sujet de l’art ; l’objet est la tein-
ture dont la fin est de produire de l’or ; par là, on peut
voir clairement que la fin résulte du principe.

223
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Si, donc, vous voulez faire un métal, prenez donc le prin-


cipe du métal que vous avez envie de faire. C’est le ter-
minent de Sendivogius, qui assure qu’on fait des métaux
avec les métaux. Si vous voulez faire de l’or & de
l’argent, cherchez donc la semence dans ces deux mé-
taux ; joignez les espèces avec les espèces, & les genres
avec les genres.
Sendivogius dit qu’il faut joindre l’or avec le mercure,
comme avec une chose de son espèce ; mais il faut le spé-
cifier & le réduire en sa première matière ; alors, l’or ne
sera plus de l’or vulgaire, mais de l’or philosophique.
Il est évident, par ce que nous venons de dire, que le su-
jet de l’Alchimie est un métal formel & matériel, car le
germe de l’or ne peut exister que dans l’or.
Bernard dit qu’on peut faire la pierre avec tous les mé-
taux, mais plus facilement & plus promptement d’un
que [140] des autres, parce que la matière ou le germe
de l’or est plus proche dans l’or que dans le cuivre & les
autres métaux.
Sendivogius dit que la Nature primitive est contenue
dans tous les métaux, mais qu’elle est bien plus renfer-
mée dans les uns que dans les autres, & que les uns sont
bien plus difficiles à détruire que les autres, pour en ex-
traire le mercure philosophique.
Richard assure que l’Alchimie détruit le mercure miné-
ral, & qu’elle lui donne une forme subtile dans la même
substance qu’il avait auparavant ; & Geber ajoute, qu’il
y a plusieurs sentiers qui conduisent au temple de la
Philosophie hermétique. On peut y arriver par la voie
sèche & par la voie humide : il faut donc conclure qu’il y
a plusieurs sujets dont on peut tirer le mercure des Phi-
losophes, & rien n’est plus évident ni plus certain.
On doit donc bien examiner le sujet qui contient la ma-
tière prochaine & celui qui renferme la matière éloignée,
& les choisir pour les employer selon la voie qu’on veut
suivre.

224
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Selon Paracelse, Roger Bacon, Basile Valentin, les deux


Laboureurs & [141] plusieurs autres Philosophes, la ma-
tière qui convient à la voie humide est contenue dans un
certain sujet minéral que la Nature a produit, & qu’elle
a laissé imparfait par défaut d’application ; mais la ma-
tière est plus éloignée dans ce sujet qui est resté tel par
l’inaction de l’agent sur le patient.
Le sujet convenable à la voie sèche a été calqué par Ge-
ber, Arnaud de Villeneuve, Bernard & Philalèthe. Ils as-
surent tous que les sept métaux contiennent le mercure
des Sages, mais il faudrait qu’ils eussent indiqué les
moyens qu’il faut employer pour faire l’extraction du
mercure philosophique.
Nous voyons donc clairement que le sujet de l’art est un
corps métallique destiné par la Nature à devenir de l’or,
du genre duquel il doit être nécessairement, & que les
métaux imparfaits ne sont restés tels que par accident,
par un mélange de choses hétérogènes, ou par un défaut
de cuisson ; mais qu’ils ont toujours une disposition à
devenir un or parfait. Voilà pourquoi il faut en séparer
les parties terreuses & grossières, & le genre de l’or res-
tera dans toute sa pureté. [142]
L’or est une substance très pure, qui ne contient qu’un
mercure très pur, qui est cuit pendant un temps consi-
dérable par son feu naturel dans son propre soufre, puri-
fié au suprême degré, par le moyen duquel il est épaissi
avec le concours de la chaleur externe & modérée.
Voilà pourquoi le sujet de la pierre doit de toute nécessi-
té être du même genre que l’or ; par conséquent, on peut
prendre toute sorte de mercure, pourvu qu’il soit bien
pur & qu’il ait la nature de l’or, excepté que l’or est fixe,
tandis que le mercure est volatil.
Tous les Philosophes conviennent, que pour procéder à
la multiplication d’un être, il faut le conjoindre avec son
semblable. La Nature ne se multiplie que dans sa propre

225
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

espèce, & non autrement. Les métaux, par la même rai-


son, ne peuvent se multiplier qu’avec les métaux.
Tout mercure, surtout le vulgaire, contient une quantité
incroyable de terre arsenicale, très fixe, avec une très
petite quantité d’eau sulfureuse & puante ; séparez du
mercure vulgaire toutes ces impuretés, & pour lors il
[143] sera un véritable mercure philosophique ; mais le
travail est pénible, & il faut une main adroite.
Les anciens ont cherché deux moyens pour convertir le
mercure vulgaire en mercure philosophique : ils disaient
que si le mercure vulgaire était réellement un corps in-
férieur, on pouvait en retirer le mercure philosophique.
En conséquence, ils ont employé toutes les sublimations
& purgations connues pour le délivrer de toutes ses im-
puretés. Ils l’ont sublimé avec des sels, avec du vinaigre
distillé, avec de la chaux vive ; mais toutes ces opéra-
tions n’ont abouti à rien. Il faut donc conclure que les
Philosophes ont une manière particulière de travailler le
mercure vulgaire, si toutefois il est vrai qu’ils le font en-
trer dans la composition du magistère ; mais il est à pré-
sumer qu’ils tirent leur mercure d’un métal beaucoup
plus parfait. Cependant, il est très certain qu’il n’existe
qu’un mercure dans toute la nature métallique & miné-
rale ; & que si le mercure vulgaire diffère du mercure
philosophique, ce n’est qu’accidentellement, & par la
seule raison que l’un est pur, & l’autre plein de malpro-
preté ; [144] mais la base du mercure philosophique est
la même que celle du mercure vulgaire.
Le mercure tiré de tout métal ou minéral connu est hé-
térogène s’il n’est pas tiré de l’or ; mais il doit être tiré
selon la méthode philosophique. Il faut préparer l’or phi-
losophiquement, si l’on veut le convertir en mercure phi-
losophique.
Si ceux qui croient qu’on ne peut employer le mercure
vulgaire pour en faire un mercure philosophique,
avaient vu nos opérations philosophiques, ils revien-
draient de leur erreur : ils verraient qu’il est très possi-

226
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

ble de tirer du noyau du mercure vulgaire cette terre ar-


senicale, qui est la seule chose qui l’empêche de s’unir
radicalement avec l’or pour tourner en putréfaction. Il y
a un double moyen de le précipiter en poudre rouge avec
un feu violent. Geber & Bernard ont enseigné ces deux
moyens, qu’on trouve aussi dans le tombeau hermétique.
Mais il suffit de savoir qu’on doit extraire le mercure
d’une substance métallique, & il importe bien peu de sa-
voir si on le tire d’une ou de plusieurs substances métal-
liques : parce [145] que dans la préparation philosophi-
que, il ne reste que la pure substance du mercure qui
devient homogène, dès qu’il est délivré de son soufre ar-
senical ; alors, il est humide & ne mouille pas les mains ;
il est coulant comme la cire sur un feu léger, & aussitôt
qu’il est refroidi, il se durcit comme un métal.
Ce que les Philosophes appellent teinture n’est autre
chose que le soufre de l’or, qui est cuit dans son propre
mercure, par une chaleur convenable qui l’exalte au su-
prême degré de pureté & de puissance.
L’or n’est autre chose que du mercure épaissi par la cha-
leur de son soufre interne, qui est secondé par une cha-
leur externe & modérée.
Sachez aussi que le mercure vulgaire est composé maté-
riellement d’une eau élémentaire qui en fait toute la
base. Tout ce composé n’est que de l’eau & du feu réunis.
La preuve en est évidente, en ce qu’on le réduit en eau,
en le réduisant par un feu violent qui détruit toute sa
semence astrale.
Si l’on a le secret de séparer du mercure vulgaire tout ce
qu’il a d’hétérogène, on le réduit en alcali ou [146] mer-
cure homogène, en y ajoutant une eau élémentaire qui
se détruit dans un instant.
La forme interne du mercure doit être essentiellement
analogue à l’élément de l’air & des astres qui sont d’une
nature de feu, parce que les corps célestes dardent
continuellement des rayons de feu vers le centre de la

227
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

terre, contre laquelle ils font une répercussion : ils re-


montent ensuite en passant dans le corps de l’eau élé-
mentaire, où ils se coagulent ; & de cette concrétion il
résulte la première matière admirable qui est la base de
tous les métaux, qui se cuisent par une chaleur interne
qui circule dans les minières : mais avant que cette ma-
tière soit parvenue au degré de métal parfait, la Nature
doit en séparer une grande quantité d’excréments.
L’or se forme ainsi dans les minières de la seule subs-
tance du mercure, par le moyen du feu interne secondé
par le feu externe, & sans le concours de ces deux feux,
le mercure resterait éternellement coulant.
Toutes les impuretés hétérogènes qui se trouvent mêlées
dans cette Coagulation, ne s’y rencontrent que [147] par
accident, & contre l’intention de l’agent qui a opéré la
coagulation, & qui n’abandonne jamais son ouvrage. Il
est probable que la pesanteur du mercure provient de sa
semence & de l’eau élémentaire qu’il a contractée en
s’épaississant.
L’eau élémentaire se coagule par le moyen d’un soufre
astral particulier en un corps opaque & grave qu’on ap-
pelle vif-argent, qui devient un or parfait par la cuisson
convenable & par la séparation des parties hétérogènes
qu’il contient, & c’est alors que la Nature a accompli son
dessein.
Le mercure contient un feu interne, & se trouve en
même temps environné d’un feu externe dans les mini-
ères. Ce feu externe & actuel est occasionné par la
grande quantité d’atomes ignés & sulfureux qui se ré-
unissent dans les minières. Ces atomes ont reçu cette
propriété de l’Auteur de la Nature, pour coaguler, fixer
& cuire le mercure minéral, pour en faire un métal par-
fait.
Le feu céleste & le feu terrestre sont du même genre ; ils
se réunissent facilement pour concourir ensemble à
[148] la même opération. La chaleur externe, s’associe

228
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

insensiblement avec le soufre mercuriel, où il prend un


corps. Dans le temps où se fait cette admirable opération
de la Nature, le soufre grossier qui se trouve dans le
mercure, commence d’en être séparé, comme par force, &
se trouve détruit au bout d’un tenu nécessaire.
Après cette destruction de soufre impur, le mercure se
trouve purifié & blanchi comme la neige.
Ainsi, l’incorporation d’un feu pur commence le travail &
ne l’abandonne pas, s’il n’est empêché par quelque acci-
dent, avant qu’il ait conduit le mercure vulgaire au de-
gré de perfection dont il est susceptible, c’est-à-dire
avant qu’il n’en ait fait de l’or parfait. Voilà pourquoi l’or
est homogène avec tous les métaux imparfaits ; mais il
n’en est pas de même du mercure, parce qu’il contient
plus de feu corporel que tous les métaux inférieurs. La
cause de cette différence doit être attribuée au feu
concentré dans le soufre mercuriel, où il s’est corporifié ;
il s’accorde intimement avec la matière aqueuse du corps
mercuriel qui n’est pas encore si bien [149] incorporée
que l’essence du soufre mercuriel.
Par la même raison, on peut, par le moyen de l’art, sépa-
rer le soufre de l’or, en détruisant totalement ce métal &
en le conservant en entier ; cela dépend des moyens
qu’on emploie. Cette vérité paraîtra un vrai paradoxe
aux personnes qui ignorent les moyens qu’on emploie
pour faire cette séparation ; mais il est très certain que
le feu se corporifie dans plusieurs occasions ; on en a une
preuve non équivoque, lorsqu’on réduit en cendre le ré-
gule d’antimoine martial avec le miroir ardent.
Mais revenons à la teinture qu’on retire de l’or ou du
mercure qui lui est homogène, sans y rien ajouter, pour
faire cette extraction ; car si l’on y ajoutait quelque
chose, la teinture ne serait plus homogène, & par consé-
quent ne pourrait entrer dans la composition du magis-
tère.

229
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Arnaud de Villeneuve dit qu’il ne faut introduire ni eau,


ni poudre, ni aucune autre matière, afin qu’on soit sûr
que le mercure qu’on veut employer n’a point été souillé
par une substance hétérogène, afin que le [150] soufre de
l’or puisse se corporifier ; s’exalter & se multiplier dans
le mercure froid.
Quand l’or fixe est conjoint avec l’or volatil, selon les
proportions convenables, par les moyens de l’art, il ac-
quiert d’abord une vertu fixative, pénétrative, & il de-
vient son égal en puissance & en vertus. Cela se fait par
deux moyens, qui font l’atténuation & la cuisson ; car il
n’est pas possible de le conduire à ce point de perfection,
sans le secours d’un feu interne & externe.
Le soufre d’or volatil commence par s’insinuer peu à peu
dans le soufre d’or fixe ou corporel, où il prend toujours
un prompt accroissement, pourvu qu’il ne rencontre au-
cun obstacle ; & par le moyen de ce feu, il parvient au
plus haut degré de perfection dont il est susceptible ; voi-
là pourquoi les Philosophes disent que leur teinture est
l’enfant du feu, parce que sans le feu, cet enfant n’aurait
jamais vu le jour.
Il est donc évident, par ce que nous venons de dire, qu’il
y a réellement deux transmutations métalliques dans le
règne minéral ; ces transmutations se font en séparant
toutes les superfluités, [151] & en faisant cuire la ma-
tière dégagée de toutes ses parties hétérogènes ; tout le
secret consiste dans la purification du mercure, pour lui
donner la force de pénétrer dans tous les corps métalli-
ques.
La première transmutation consiste dans la destruction
totale du mercure qu’il faut brûler & réduire en cendre,
pour en tirer l’âme ou la quintessence qui sert à exalter
notre teinture ; mais il faut un agent pour altérer la na-
ture du mercure minéral, & en extraire la seule partie
homogène qui éclaire les métaux de la même manière, &
aussi promptement qu’une chandelle répand la lumière
dans une chambre obscure, lorsqu’on l’y introduit ; mais

230
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

avec cette différence qu’en retirant la chandelle de cette


chambre, les ténèbres remplaceront aussitôt la lumière.
Au contraire, notre teinture étant une fois fixée &
concentrée dans une matière convenable, l’éclaire pour
toujours, sans distinguer la qualité, ni la pureté du su-
jet.
Toutes ces qualités merveilleuses proviennent de
l’exaltation & de la pénétration du mercure qui est d’une
si grande subtilité qu’il pénètre, en un [152] instant,
jusqu’aux cœurs des métaux imparfaits, pour y brûler &
détruire tout ce qui s’y trouve d’hétérogène.
Le mercure a un noyau pur qui provient de l’eau élémen-
taire, qui se trouve également dans les métaux impar-
faits. Cette eau pénètre aussi promptement que la fou-
dre ; mais elle opère des effets beaucoup plus étonnants ;
car elle détruit & compose en même temps. Elle brûle
toutes les scories des métaux imparfaits, en portant, en
même temps, le germe de la lumière perpétuelle, qui est
un mélange d’or réincrudé avec le menstrue convenable.
Quand vous voudrez réincruder de l’or, ne prenez jamais
les feuilles dont on se sert ordinairement pour dorer,
parce que cet or n’est jamais sans alliage de cuivre ou
d’argent allié avec du cuivre ; ce mélange ferait une dis-
solution verte & empoisonnée, avec laquelle vous ne fe-
riez jamais rien de bon.
D’après ce que nous venons de dire, il est aisé de voir
que les Philosophes ne travaillent que sur un seul sujet
métallique qui contient leur véritable mercure ; mais
pour faire paraître ce [153] mercure philosophique, il
faut calciner la matière où il est renfermé.
Ceux qui ont quelques connaissances naturelles, savent
que toute calcination parfaite produit nécessairement un
sel qu’il faut retirer de la cendre ou de la chaux du corps
calciné. Tout sel est soluble ou réductible en eau ; car le
sel n’est autre chose qu’une eau coagulée.

231
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Ainsi, quand les Philosophes disent qu’il faut réincruder


l’or, réduire le mercure vulgaire en matière première,
brûler le mercure pour en tirer l’âme, toutes ces expres-
sions ne signifient qu’une même chose, qui est, de ré-
duire en cendre une matière pour en tirer le sel qui se
résout facilement en eau par lui-même.
Un grand nombre de Sophistes adoptent le vitriol dans
toute sa substance ; ils s’épuisent à le dessécher, le pur-
ger & le dulcifier pour le faire passer par toutes les cou-
leurs jusqu’au rouge parfait ; ils ont obtenu une teinture,
parce que presque toutes les opérations chimiques
conduisent à quelques découvertes ; mais cette teinture
ne peut teindre que les draps & la toile. Quelques-uns
ont réussi à faire une teinture [154] vitriolique pour
convertir les métaux imparfaits, non en or, mais en cui-
vre.
D’autres Chimistes assez éclairés, d’ailleurs, ont choisi
l’antimoine pour leur matière ; ils ont réussi à séparer
de ce minéral la partie solaire qu’il contient ; plusieurs
ont réussi à le rendre étoilé, & à lui faire montrer toutes
les couleurs ; ils l’ont fixé pour en extraire l’argent des
Philosophes qu’ils ont amalgamé avec du mercure préci-
pité, d’après les procédés de Basile Valentin, qui
conseille de purger l’or avec son cousin l’antimoine. Ils
réussissent toujours à séparer le soufre d’or, & à dégager
les paillettes d’argent qui sont contenues dans
l’antimoine de Hongrie ; mais il ne s’en trouve pas deux
sur cent qui soient en état de pousser plus loin leurs
opérations sur l’antimoine ; car ceux qui ont voulu vola-
tiliser le soufre d’or tiré de ce minéral, l’ont tellement
tourmenté en l’amalgamant avec mille ordures, qu’à la
fin de leurs sublimations, ils ne pouvaient pas même
l’amalgamer avec l’argent.
Mais la plupart des Chimistes s’efforcent de réduire
l’antimoine en mercure coulant. Ce secret est réel, &
[155] très beau ; mais il est possédé de bien peu de gens.

232
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Ceux qui ont travaillé l’arsenic vulgaire, ont réussi à


faire des pierres rouges & blanches, en cherchant les
moyens de faire de l’or.
Les marcassites & le cinabre minéral n’ont pas été ou-
bliés ; les Chimistes ont trouvé le moyen d’en extraire
une eau mercurielle admirable. Ils ont fait cuire cette
eau avec des feuilles d’or pendant plusieurs années ;
mais ils n’ont jamais pu réussir à dissoudre leur or qui
est demeuré intact, malgré les tourments qu’ils lui ont
fait subir.
L’excellent Traité du Laboureur sur le plomb n’a pas
manqué d’exciter de l’émulation ; mais tous ceux qui ont
voulu suivre au pied de la lettre le beau procédé qu’on
trouve dans ce livre, ont échoué.
Après cela, ils ont employé la pierre calamine, le bis-
muth, la céruse, le talc, le soufre commun ; ils ont vexé à
toute extrémité ces minéraux, & les ont entièrement ré-
duit en scories inutiles.
De tous les métaux, il n’en est aucun qui ait été exposé à
de si cruelles vexations que le mercure vulgaire, il [156]
a été privé de tout ce qu’il contient de meilleur ; il a été
sublimé de mille manières différentes, puis revivifié,
dissout, coagulé, précipité & calciné d’une manière gros-
sière, pour être incorporé avec le roi des métaux.
J’ai connu plusieurs personnes qui, pour avoir lu dans
les livres des Philosophes, que le principe des métaux est
une eau limoneuse ou visqueuse, ont voulu faire une eau
semblable avec de l’esprit de vin, en le mêlant avec de la
terre ; il en est résulté un mucilage qui n’était guère
propre qu’à décrasser des habits.
D’autres ont fait putréfier les métaux inférieurs pour
composer artificiellement cette eau visqueuse qui circule
dans les minières ; après avoir travaillé cette liqueur
pendant des années, ils l’ont mise en digestion avec de
l’or, croyant être possesseurs du menstrue universel ;
mais leur or est demeuré intact.

233
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

D’autres enfin se sont procuré un mercure particulier


qu’ils tiraient de différents sels & de plusieurs végétaux
qu’ils réduisaient en putréfaction, pour en extraire le suc
mercuriel avec lequel ils croyaient dissoudre l’or radica-
lement. [157]
On ferait une tragédie en quinze actes, si l’on voulait re-
présenter toutes les tortures que les Sophistes ont fait
subir au mercure vulgaire.
Beaucoup de personnes ont tenté de réduire l’or en pre-
mière matière avec le sel de nitre raffiné, parce que
Sendivogius a écrit que le nitre a la propriété de dissou-
dre l’or radicalement.
Mais quand Sendivogius a parlé du sel de nitre, il en-
tendait certainement le sel de nitre métallique, & non le
nitre végétal ; & cela est bien évident, parce que quel-
ques lignes plus bas, il ajoute que, si l’on veut faire un
métal, il faut employer un métal, un chien engendre un
chien. Il ne faut pas être bien savant pour voir en quoi la
Nature est d’accord.
La Table d’Émeraude est allégorique d’un bout à l’autre ;
quand l’Auteur parle du vent, il ne parle que du vent qui
est renfermé dans l’œuf philosophique.
Il s’est trouvé des personnes assez simples pour prendre
du sel de tartre pour faire la terre feuillée des Philoso-
phes dans laquelle il faut semer l’or, parce que Raimond
Lulle a dit que cette terre feuillée provenait du vin. [158]
D’autres, ne pouvant trouver, dans les choses soumises
aux éléments, ce qu’ils cherchaient, ont pris les éléments
mêmes ; ils ont ramassé de l’eau de pluie de tonnerre
qu’ils ont fait putréfier à l’air ; ils en ont extrait un vi-
naigre subtil, qu’ils ont mêlé avec du sel fixe commun &
de l’huile de vitriol ; ce mélange leur a procuré des cris-
taux, par le moyen desquels ils ont dissout des pyrites
qu’ils ont ensuite congelées en une teinture admirable.

234
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Ceux qui ont cru connaître les secrets de la Nature ont


travaillé sur la rosée du printemps, sur la neige, la terre
vierge creusée jusqu’aux genoux. Ils ont cru cent fois que
le sel fixe qu’ils ont retiré de toutes ces matières, était le
véritable aimant philosophique, parce que ce sel a la
vertu d’attirer l’humidité de l’air, sans faire attention
que l’aimant n’attire que son semblable ; & que pour at-
tirer l’humidité métallique, il faut de toute nécessité
employer un aimant du même genre métallique.
Ne cherchons donc jamais la teinture universelle hors du
règne métallique ; n’oublions jamais que nous devons
employer une matière incombustible, [159] puisque pour
la préparer par la calcination, nous devons l’exposer au
feu de réverbère, ou dans un four de verrier. Nous répé-
tons souvent cette expression, afin qu’on s’en souvienne,
parce que c’est un point fondamental & essentiel.
Les opinions des Philosophes sont presque toutes diffé-
rentes les unes des autres. Les uns veulent qu’on conjoi-
gne la partie avec la partie ; d’autres conseillent de faire
l’adjonction de l’humidité lunaire avec l’argent fixe gra-
dué & du soufre d’or, pour ouvrir les métaux & en ex-
traire le mercure philosophique.
On trouve des recettes pour composer une teinture de
soufre antimonial, qui a la vertu de convertir le mercure
vulgaire en argent. Paracelse a donné une pareille re-
cette, & il assure qu’on peut la faire dans l’espace de
deux mois. Le même Philosophe a donné les moyens de
faire une teinture d’or avec de l’urine, pour convertir
l’étain & l’argent en or pur, & meilleur que celui des
minières.
On peut facilement faire de l’huile de crin, avec laquelle
on sépare l’argent qui est contenu dans le fer ; mais
[160] tous ces petits procédés ne rapportent qu’un très
petit intérêt, dont les pauvres peuvent se servir pour
avoir simplement le nécessaire à la vie.

235
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Les Philosophes ont encore eu d’autres raisons, en don-


nant de pareils procédés : ils n’ont pas ignoré que les
avares & les voluptueux, qui ne cherchent cette science
divine que pour nourrir leur orgueil & satisfaire leurs
passions déréglées, ne manqueraient pas de s’amuser
avec ces minuties, n’ayant pas la patience d’attendre un
an pour faire une opération réelle ; car toutes les opéra-
tions dont nous venons de parler, ne sont que des sophis-
tications.
Les Sophistes eux-mêmes conviennent que, pour faire
mûrir un métal d’une façon ou d’une autre artificielle-
ment, il faut nécessairement le secours d’une teinture.
Pour parvenir à ce point de maturité, il faut délivrer les
métaux inférieurs de leur fixité, & les réduire en mer-
cure par le moyen d’une cuisson convenable, & par
l’adjonction d’un purgatif & d’un feu externe qui, par lui-
même, ne peut parvenir jusqu’au centre du mercure,
[161] s’il n’est secondé par un feu céleste qui réduit la
puissance en action.
Un feu doux, tel qu’il le faut pour faire mûrir, n’agit que
dans un corps ouvert, & ne peut pas seulement effleurer
un corps fermé.
Il n’y a qu’un seul moyen d’ouvrir les métaux & de ren-
dre homogène le mercure vulgaire ; car la plupart des
Sophistes ne cherchent que les moyens de fixer en corps
malléable, le vif-argent, sans se donner la peine
d’examiner sa nature ; ils l’incorporent avec une infinité
de drogues contraires, & sont toujours frustrés de leurs
espérances ; mais rien ne peut les corriger.
Nous dirons donc, avec vérité ; qu’il n’existe aucun secret
particulier pour la transmutation des métaux, à
l’exception seulement d’un moyen que l’on a de mûrir le
vif-argent & quelques minéraux ; mais cette opération
est longue, & peu avantageuse.
Le seul particulier qui existe, pour la conversion des mé-
taux, est la teinture imparfaite après la première rota-

236
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

tion. La teinture, pour lors, ne convertit que la partie la


plus pure du métal imparfait.
Il vaut beaucoup mieux lire les ouvrages [162] des Philo-
sophes, que de s’amuser à exécuter des recettes incertai-
nes ; on prétend que Basile Valentin a trouvé la pierre,
en lisant le Museum hermétique.
Helvétius dit qu’on peut faire la médecine universelle
dans quatre jours, avec une pistole, sans être obligé
d’employer d’autre vase qu’un creuset.
Basile Valentin indique cette voie dans ses Clefs, où il a
dépeint le creuset, la roue, les feux de lampe, le fumier
de cheval, le feu de cendre, ne faisant aucun cas des feux
de flammes, à cause de leur violence.
Il est échappé à un Philosophe de dire qu’on peut faire la
pierre en trois ou quatre heures ; mais il est bon de sa-
voir qu’il y a deux pierres, l’une parfaite, & l’autre im-
parfaite ; la pierre parfaite est connue de bien peu de
personnes, & c’est pour cette même raison qu’on lui a
donné une infinité de noms : ceux qui la connaissent,
n’ont d’autres opérations à faire que celle d’y ajouter de
l’or ou de l’argent pour la spécifier & la multiplier.
La pierre que Basile Valentin dit qui se trouve dans tou-
tes choses, & [163] qui contient toutes choses, est une
médecine imparfaite dont il a donné la composition dans
ses six premières Clefs ; les deux autres Clefs suivantes
n’enseignent que la multiplication en quantité & en qua-
lité. Si cette pierre est imparfaite, ce n’est que par rap-
port à la grande perfection de l’autre pierre ; car celle-ci
ne laisse pas que d’être parfaite.
Quand les Philosophes disent qu’on peut faire la pierre
en trois jours & en trois heures, il faut entendre des
jours & des heures philosophiques, dont nous parlerons
ci-après.
La différence du ferment ou soufre d’or ou d’argent qu’il
faut joindre à la pierre pour la mettre dans le cas de

237
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

produire son effet, est de bien peu de chose ; car le soufre


d’argent coûte autant de peines & de dépense que le sou-
fre d’or.
L’année philosophique est composée du temps que le so-
leil philosophique emploie à faire le tour du monde par
toutes les saisons du zodiaque, & le mois philosophique
est une révolution de la lune.
La semaine philosophique est l’espace de temps
qu’emploient les sept planètes pour passer successive-
ment [164] les unes après les autres dans la lumière &
dans les ténèbres.
Le zodiaque, qui contient les douze signes célestes, re-
présente les douze travaux d’Hercule, qui consistent
dans la formation de l’or, par le moyen du premier acide
qui est dans la matière liquéfiée, & qui fait le tour des
douze signes du zodiaque dans le cours d’une année phi-
losophique.
L’argent est un alcali qui, étant en fusion, parcourt toute
la matière & se marie avec l’or son frère, dans l’œuf phi-
losophique, pendant la putréfaction qui dure environ un
mois. La raison en est bien évidente ; car il ne peut y
avoir de putréfaction sans liquéfaction des matières,
point de dissolution sans liquéfaction, & point de
conjonction sans dissolution.
Basile Valentin ne parle pas du mercure dans ses six
premières Clefs ; mais on en a trouvé une ample descrip-
tion dans Philalèthe.
Si nous examinions ces Clefs attentivement, nous ver-
rons que la première représente Saturne ou le plomb,
l’eau & la terre ; la seconde représente Jupiter ou l’étain
& le feu ; la troisième, Mars ou le fer ; la quatrième [165]
la Lune ou l’argent ; la cinquième, Vénus ou le cuivre ; la
sixième représente un Soleil éblouissant, ou l’or le plus
pur. On voit dans la dernière Clef, un assemblage des
quatre éléments. La sixième représente le mariage de
l’or ; & la septième, sa coagulation.

238
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Quand on fait fondre le plomb des Philosophes dans un


creuset, il faut y ajouter une partie de son esprit, pour le
multiplier de la même manière qu’il se multiplie dans
les minières, où l’esprit mercuriel le coagule & se
convertit en plomb. Voilà pourquoi le mercure ne se coa-
gule jamais sans l’odeur du plomb, qui devient un très
bon étain, après avoir subi certaines opérations de la
Nature, qui ne l’abandonne pas pour cela ; car elle en
fait ensuite du fer, du cuivre, de l’argent ; & quand elle
ne rencontre point d’obstacles dans les minières, elle en
fait de l’or parfait. Quand on a le bonheur de réussir
dans cette opération, on fait paraître la lumière, & l’on
dissipe entièrement les ténèbres. Séparez bien les sco-
ries qui surnageront ; mais ne les méprisez pas, car elles
sont précieuses aux yeux d’un vrai Chimiste. [166]
Versez la matière, en fusion, dans un autre creuset, que
vous frapperez plusieurs fois avec une baguette pour
précipiter le régule, & faire surnager le reste des scories.
Si vous êtes un peu intelligent, vous verrez paraître
l’astre du jour philosophique, l’étoile qui répand une lu-
mière céleste, qui prouve l’existence d’un Ciel que nous
ne pouvons voir des yeux du corps.
On trouve la description du plomb des Philosophes, dans
les Métamorphoses d’Ovide ; ce métal contient tous les
autres métaux en confusion, & l’on peut les séparer ai-
sément par la fusion.
Il est évident qu’il faut un creuset, & non un vase de
verre, pour faire la première préparation ou calcination
du plomb des Philosophes. Il faut un feu violent, & une
personne intelligente pour le diriger ; & quand la ma-
tière est convertie en mercure philosophique, il faut y in-
troduire un Agent inné, pour lui faire développer exté-
rieurement ce qu’il renferme au-dedans de soi.
Lorsque vous serez un peu plus avancé dans la Philoso-
phie, vous connaîtrez facilement les degrés du feu que
[167] vous devez employer. Vous verrez que les opéra-

239
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

tions philosophiques sont bien différentes de celle de la


Chimie vulgaire.
Si vous savez bien expliquer les énigmes d’Hermès,
quand il dit : faites descendre en bas les choses qui sont
en haut, & faites monter en haut celles qui sont en bas ;
si vous savez bien expliquer, dis-je, toutes ces énigmes,
vous n’êtes pas éloigné de la vérité ; continuez le même
chemin, priez, travaillez, & vous serez récompensé.
Faites fondre tout ce que le plomb des Philosophes vous
donnera, vous aurez soin de bien ramasser les scories
qui en sortiront pendant la fusion, vous verrez tout ce
qui est en haut & tout ce qui est en bas ; vous verrez les
Colombes de Diane, dont parle Philalèthe ; & si vous
avez l’oreille un peu attentive, vous entendrez le chant
des Cygnes qui nagent dans un étang profond, où beau-
coup de Chimistes imprudents & maladroits, se sont
noyés.
Faites fondre le plomb des Sages, pour le convertir en
régule sans fer ; car notre Roi veut entrer seul dans les
bains de Diane ; répétez cette opération [168] jusqu’à
trois fois, & vous verrez la différence du régule martial,
d’avec le régule sans fer. Pour vous instruire, faites
l’opération suivante, & réfléchissez sur les effets qui en
résulteront.
Faites un régule martial selon le procédé que nous avons
donné ci-devant ; ajoutez-y une demi-partie d’argent ;
faites fondre le tout ensemble, & jetez-le dans l’eau-
forte, vous verrez qu’il se précipitera une poudre noire,
qui est la même que celle que Beuher a trouvée dans sa
minière des sables, & qu’il est impossible de la réduire
en fusion ; vous verrez par par là, que ceux qui pensent
que le régule martial ne retient que le soufre d’or qui est
contenu dans le fer, sont dans l’erreur.
Les expériences qu’on peut faire avec le plomb des Sa-
ges, sont bien peu coûteuses ; on purifie ce métal dans
un creuset, avec du sel de nitre & du sel de tartre ; &, si

240
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

l’on veut, l’on en retirera toujours quelques particules


d’or & d’argent.
On peut acquérir beaucoup de connaissances, en faisant
un régule de plomb des Philosophes avec un huitième de
fer, & autant d’or ou d’argent. [169]
Faites ensuite fondre un métal quelconque, & ajoutez-y
quelques parties, comme un huitième, du régule ci-
dessus ; mettez des particules de régule d’or dans du ré-
gule d’argent, ou dans du régule de cuivre, & vous verrez
des métamorphoses admirables ; le cuivre deviendra
aussi beau que l’argent, par le moyen de quelques parti-
cules de régule d’argent, & le régule d’argent deviendra
aussi beau que l’or pur, par le mélange de quelques par-
ticules de régule d’or.
Faites rougir un morceau d’argent dans un creuset, sans
le faire fondre ; jetez de la poudre de régule d’or sur vo-
tre argent, couvrez le creuset, laissez-le sur le feu pen-
dant un quart d’heure, votre argent deviendra aussi
beau que l’or, parce qu’il se saturera d’or volatil qui se
trouve dans le régule.
J’ai fait d’autres expériences pour m’instruire. J’ai fait
fondre du plomb qui avait été, pendant un siècle, pour le
moins, au faîte d’une maison ; j’ai jeté quelques mor-
ceaux de régule d’or dans ce plomb, & j’ai vu des choses
admirables ; je le tins en fusion pendant deux heures ; je
pensais qu’il tomberait tout en scories ; mais le [170]
contraire arriva ; il fut purgé de toutes ses ordures,
n’essuya qu’une très petite diminution, comme d’un
vingtième, & fut changé en un métal tout différent.
Quand ce régule est fait par un Artiste un peu expéri-
menté, il contient un véritable or potable, qu’on peut
administrer aux hommes sans danger.
Flamel dit qu’on peut faire le véritable mercure philoso-
phique avec le régule d’or & d’argent, si l’on peut réussir
à les conjoindre parfaitement par le moyen du premier
agent métallique. Si cette conjonction est réellement phi-

241
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

losophique, on découvre un mystère qui prouve qu’on a


mis la main sur le véritable plomb des Philosophes.
Ce plomb doit se convertir en beurre ; c’est une compa-
raison de Basile Valentin, pour donner à entendre que
les régules d’or & d’argent doivent être réduits en mer-
cure par le moyen du menstrue universel.
Le même Auteur assure que le plomb des Philosophes
contient le mercure des Sages, & que ceux qui voudront
le chercher dans un autre sujet, perdront leur temps, &
ne parviendront jamais à l’accomplissement du magis-
tère ; [171] mais la préparation de cette matière est bien
scabreuse & bien dangereuse à cause du poison mortel
qu’elle contient. Il faut une main bien adroite pour la
travailler ; mais je vous aiderai autant qu’il me fera pos-
sible ; je vous indiquerai le chemin qui conduit au jardin
des Hespéries, où vous pourrez cueillir la pomme d’or.
Souvenez-vous que le plomb des Philosophes contient
une humidité aérienne, mercurielle, chaude, mixte, &
sèche. Cette matière est disposée & préparée ainsi par
les astres ; ce sont les rayons du Soleil & de la Lune qui
lui ont procuré toutes les propriétés qu’elle renferme.
Voilà l’œuf qui contient l’oiseau d’Hermès ; faites couver
cet œuf, & vous verrez sortir l’oiseau de la coque : nour-
rissez-le avec un aliment convenable, ayez soin de le ren-
fermer dans une bonne cage ; vous le verrez croître à vue
d’œil, & l’entendrez chanter.
Basile Valentin indique le plomb des Philosophes sous la
forme d’un vieillard qui est couvert de lèpre, & accablé
de beaucoup de maladies internes. Cette matière ne pro-
curera jamais le moindre avantage à ceux qui voudront
[172] l’employer en cet état ; il faut absolument la dé-
pouiller de toutes les ordures dont elle est couverte, & la
bien purifier par le feu de la calcination avec un feu vio-
lent.
Ceux qui prétendent trouver dans le mercure vulgaire,
tout ce qui est nécessaire au magistère, sont encore bien

242
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

éloignés du véritable but : ils ignorent encore que le sou-


fre des Philosophes est ce chaud-humide, aérien, esprit
volatil, hermaphrodite, qu’Ovide a décrit sous le nom
d’alcali volatil acide dans ses Métamorphoses, où l’on
voit que cet hermaphrodite est le double mercure qui
contient le soufre & le sel des Philosophes, de même que
l’alcali fixe. Toutes ces choses se trouvent dans le plomb
royal des Philosophes ; mais elles y sont en confusion &
mêlées avec une quantité incroyable de matières hétéro-
gènes qu’il faut séparer adroitement, & ne laisser que la
quintessence pure dans laquelle on fait dissoudre l’or,
pour ressusciter ensuite & se revêtir du manteau royal,
avant que de sortir du bain philosophique.
Le mercure philosophique se fixe, se coagule, se précipite
& se revivifie [173] successivement par le moyen d’une
chaleur convenable.
Sachez ce qu’entendent les Philosophes quand ils disent
que leur Roi doit mourir ; la mort philosophique est la
coagulation & fixation de la matière, qui devient fixe, de
volatile qu’elle était auparavant. Le roi est volatil ; il
faut le fixer & il sera mort ; on doit ensuite le ressusci-
ter, afin qu’il puisse monter au ciel ; cela est absolument
nécessaire : car ce qui est fixe ne peut pénétrer les mé-
taux.
Voilà pourquoi il faut rendre la vie au Roi quand on l’a
fait mourir ; c’est-à-dire que quand il est fixe, il faut le
rendre volatil, & il aura une grande vertu pénétrative.
La couleur noire annonce la mort du Roi, la blanche an-
nonce sa résurrection. Vous savez actuellement ce
qu’entendent les Philosophes quand ils disent qu’il faut
noircir & blanchir : l’étole blanche représente les Anges,
à cause de leurs ailes & de leur esprit volatil.
Quand la pierre est parvenue au rouge parfait, elle est si
volatile, que s’il arrivait que l’œuf se fêlât tant soit peu,
l’oiseau d’Hermès prendrait [174] son vol & partirait
avec une rapidité incroyable, & sans qu’il soit possible de

243
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

s’en apercevoir ; mais ceci n’arrive que par le concours


de la chaleur externe. Voilà pourquoi l’on a soin
d’envelopper la poudre de projection dans de la cire, pour
la projeter sur un métal en fusion. Il ne faut qu’un feu
médiocre pour faire la projection sur du vif-argent ou du
plomb, & aussitôt que la projection est faite, on couvre le
creuset, on le retire de dessus le feu, & l’on charge le
couvercle de charbons ardents. L’on fait ainsi le feu par-
dessus, pour empêcher la médecine de s’envoler dans
l’air, & pour la faire pénétrer & transmuer le mercure ou
le plomb qu’on a chauffé convenablement dans le creu-
set.
Ne concluez pas toujours définitivement d’après
l’inspection des couleurs pour abandonner l’ouvrage ; car
vous ne serez en état de juger des effets par les couleurs,
qu’après avoir accompli le magistère.
Quand notre terre est noire, il faut la laver avec de l’eau,
& elle deviendra blanche avec le secours de l’air supé-
rieur qui est un feu céleste [175] qui conduira votre ma-
tière au rouge parfait.
La couleur noire est le symbole de la mort, comme nous
l’avons déjà dit ; mais dès que le Roi est ressuscité, il est
environné d’une lumière éclatante, & qui est d’une si
grande pureté, qu’on la compare à celle qui environne
continuellement les Anges qui sont des esprits de la na-
ture du feu.
L’odeur de la mort ou des cadavres est abominable & in-
supportable ; l’odeur puante de la pierre en putréfaction,
annonce sa fixation ; l’odeur suave indique la volatilisa-
tion, & la chaleur est le symbole de la résurrection & de
la vie.
Plus l’air est pur & chaud, plus l’odeur qu’exhalent les
plantes est agréable. Les plantes aromatiques de
l’Arabie reçoivent leurs parfums de l’air de cette contrée,
où il est très pur. On imite la Nature par le moyen de
l’art avec une simple digestion.

244
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Il est impossible de jouir naturellement d’une bonne


santé dans tous les endroits où il règne un air impur &
malsain.
Quand les excréments humains sortent [176] du corps,
ils n’exhalent pas une odeur agréable ; mais après qu’ils
ont passé par la putréfaction & la fermentation, ils ac-
quièrent une odeur bien différente de celle qu’ils avaient
auparavant.
Il est impossible de parvenir à l’accomplissement du
magistère, sans employer le feu double dont Basile Va-
lentin & plusieurs autres Philosophes ont donné la des-
cription. Le premier est un feu terrestre qui est un corps
fixe, l’autre est un feu céleste qui est un esprit volatil.
Ce dernier feu est plus chaud que le Soleil, & le premier
est beaucoup moins chaud que cet astre,
Les Chimistes connaissent encore plusieurs autres feux :
les uns sont froids, les autres chauds, & d’antres sont
humides. Le feu froid est le mercure lui-même qui est
volatil & femelle ; le feu chaud est sulfureux, fixe &
mâle :
On connaît encore d’autres feux ; les uns sont internes,
comme ceux qui sont renfermés dans la matière, & que
les Chimistes vulgaires prennent pour des feux externes.
Il y a des feux externes, comme ceux qui arriveront [177]
à la fin du monde philosophique, pour faire l’épreuve
avec le plomb à la coupelle. Basile Valentin donne la
qualité de juge suprême à ce feu, à cause de l’élévation
de Saturne au-dessus des autres Planètes. Le même Phi-
losophe l’appelle aussi le feu de l’Etna, & le feu d’enfer.
Le vinaigre des Philosophes est une liqueur bien pré-
cieuse après qu’elle a été distillée & rectifiée par un ha-
bile Chimiste. Ce vinaigre est violent & bienfaisant tout
à la fois. Il a la vertu de tirer promptement la teinture
du corail & de tous les métaux, parce qu’il est composé
avec une matière qui contient le premier acide ou soufre
fixe, le premier alcali fixe qu’il faut distiller avec l’esprit

245
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

de vin de Saturne ; ce vinaigre est potable après la qua-


trième distillation ; mais il vaudrait beaucoup mieux
l’employer à faire la médecine universelle en le faisant
cuire avec de l’or, que de le prodiguer en l’employant à
d’autres usages.
Les Philosophes n’emploient point d’autre liqueur que ce
vinaigre distillé ; c’est ce qu’ils appellent leur alkahest
qui dissout tous les métaux, [178] en retire la teinture
sans l’altérer en rien ; & dès qu’on a le bonheur de pos-
séder cette teinture, on a déjà un souverain remède pour
guérir beaucoup de maladies différentes, sans qu’il soit
nécessaire de la faire passer par la roue philosophique.
Je veux dire qu’avec ce vinaigre ou menstrue universel,
on peut, en un jour, tirer la teinture de l’or calciné, &
qu’on peut faire usage d’une partie de cette teinture,
tandis qu’on fait cuire l’autre partie pour en faire la mé-
decine universelle.
On réussira à faire le vinaigre distillé des Philosophes,
ainsi que la pierre, si l’on est assez éclairé pour entendre
ou comprendre la doctrine de Basile Valentin, le plus
grand de tous les Philosophes modernes. Un grand nom-
bre de bons Chimistes, d’ailleurs, après avoir lu superfi-
ciellement une partie des ouvrages de ce grand homme,
ont voulu entreprendre le travail de la pierre, & ont
échoué pour n’avoir point mis d’ordre dans leurs opéra-
tions ; la plupart ont opéré avec la véritable matière, le
véritable plomb des Sages, & n’en ont pas été plus avan-
cés pour cent. [179]
Après avoir perdu leur temps, leur argent, & ce qui est
infiniment plus précieux, je veux dire leur santé, ces sor-
tes de Chimistes, qui ne veulent pas se donner la peine
de faire des expériences instructives, qui voudraient
trouver le détail de toutes les opérations de la pierre
dans un sujet, après avoir échoué, ou s’être estropiés, fi-
nissent par dire que tous les Philosophes sont autant de
menteurs, de trompeurs, qui les ont entraînés dans l’état
déplorable où ils se sont réduits eux-mêmes par leur

246
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

faute. Basile Valentin est celui qui a essuyé les plus for-
tes bordées de calomnies injurieuses, tandis que c’est ce-
lui de tous les Philosophes européens qui mérite les plus
grands éloges à tous égards. Personne n’a parlé de la
pierre avant lui d’une manière si claire & si positive,
quoique sous le voile de l’énigme ; à chaque page, on voit
que ce saint homme ne respire que pour Dieu, & qu’il
aime son prochain bien tendrement. Il voudrait donner
la pierre à tous ceux qui craignent le Seigneur. On voit
bien qu’il ne cherche pas à tromper, puisqu’il se plaint
de ce qu’il ne lui est pas permis [180] de parler autre-
ment que par allégories.
En effet, tous les ouvrages de Basile Valentin, sont allé-
goriques & remplis de fictions ingénieuses. Son nom
même, & sa qualité de Religieux Bénédictin, sont autant
de fictions & d’allégories ; car Basile, dérivé de Βασιλευς,
mot grec qui signifie Roi, indique assez la matière qu’il
faut convertir en régule dont on fait le mercure des Phi-
losophes. Valentin annonce la force, la puissance de la
Médecine universelle qui pénètre l’homme, le change, le
renouvelle, & le rend en quelque façon spirituel, à cause
de l’essence spirituelle du mercure philosophique. Il se
dit Frère de l’Ordre de Saint-Benoît, parce qu’il avait be-
soin de ce titre pour exécuter son dessein allégorique, &
faire connaître que le Roi ou l’or répand la bénédiction
céleste sur ses frères indigents les métaux imparfaits
auxquels il communique une essence aérienne très pure.
Basile Valentin personnifie le mercure philosophique,
ainsi que tous les métaux, & il les fait parler. Il leur
souhaite à tous une bénédiction céleste, qui est un don
du Saint-Esprit, [181] ou le mercure des Philosophes, le
dissolvant universel de tous les métaux, sans corrosif,
dont il parle dans sa première & sa seconde Clef. Il fait
parler ensuite Jupiter ou l’étain avec Mercure qui a déjà
passé par la sphère de Saturne ou du plomb. Jupiter se
glorifie d’être revêtu de la robe de Mercure, oubliant
qu’il a porté autrefois la robe sale de Saturne ; cela
n’indique autre chose que la progression philosophique,

247
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

qui est si rapide, qu’en un instant la matière change to-


talement dans toute sa substance.
Ce Philosophe continue sa prosopopée ; Mercure conti-
nue son discours adressé à ses frères qu’il a guéris, & à
l’or réincrudé ou réduit en première matière, par le
moyen du menstrue universel, qui rassemble l’esprit,
l’âme & le corps dans la conjonction du soufre & du sel.
Mercure est considéré comme un monde placé au-dessus
des cieux, où se trouve la racine & la source de la vie ; &
c’est ce qu’on appelle le premier mobile, que Basile Va-
lentin envisage comme un monde céleste, qui est l’esprit
ou le soufre élémentaire du sel. Les habitants de ce
monde céleste [182] sont les métaux qui n’ont pas encore
été purifiés par le mercure philosophique converti en
médecine universelle avec l’or réincrudé.
Basile Valentin ayant ainsi personnifié tous les métaux,
qu’il place dans le monde céleste, leur suppose des lois,
une religion, une foi, dont le Chimiste doit avoir une
connaissance parfaite ; il doit savoir que l’azoth ou
plomb des Philosophes, est l’aimant qui attire l’esprit
mercuriel par une sympathie si admirable, qu’ils
s’unissent si étroitement qu’il n’est plus possible de les
séparer l’un de l’autre.
De tous les métaux, il n’en est aucun qui ne soit obligé
de reconnaître Saturne ou le plomb pour son père ; c’est
pourquoi il est le premier qui ait connu la foi du mer-
cure. Notre Philosophe assure que tous les métaux doi-
vent avoir cette foi, c’est-à-dire, qu’ils sont tous soumis à
Saturne ; l’or n’en est pas plus exempt que tous les mé-
taux imparfaits, puisqu’on ne saurait le passer par la
coupelle sans le secours du plomb.
Tout ceci ne signifie autre chose que les connaissances
suffisantes que doit avoir le Chimiste pour séparer [183]
le bon d’avec le mauvais, le pur d’avec l’impur, & le sou-
fre incombustible d’avec le soufre combustible.

248
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

La plus grande lumière de la Chimie est la sagesse qui


doit briller dans les ténèbres. Cette sagesse est le soufre
céleste dont il parle dans la septième Clef.
Dieu a accordé aux Chimistes un grand pouvoir dans
leur ciel ; il est aisé de s’en convaincre en examinant
leur théologie.
Le vieillard qui prêche le Peuple, représente Saturne ou
le plomb, & les premiers métaux. Ce vieillard n’est autre
chose, dans le sens de Basile Valentin, que le sel de la
terre, qui exhale continuellement une vapeur saline qui
s’unit au mercure.
Nous avons déjà dit que notre Philosophe avait person-
nifié tous les métaux ; c’est ce qu’il ne faut pas oublier, si
l’on a envie de bien expliquer l’énigme.
Tous les métaux, surtout les imparfaits, doivent être
bons théologiens. Ils ne doivent rien ignorer de ce qui
concerne leur foi, afin qu’ils soient en état de distinguer
l’esprit mercuriel qui est attiré sur eux par [184] un ai-
mant martial. Voilà le mercure des Philosophes & leur
aimant, qui est un acier propre à attirer l’esprit igné du
sel de la terre, & tout ce qui lui est nécessaire d’ailleurs
pour pouvoir dissoudre l’or radicalement, & le convertir
en quintessence sans l’altérer. Voilà l’explication de la
cinquième clef.
Le soleil qui éclaire le ciel des Chimistes, est le soufre
igné & volatil.
Il y a beaucoup de Chimistes qui croient avoir une
connaissance parfaite des métaux ; mais il en est bien
peu qui ne soient dans l’erreur. La plupart s’attachent
au cuivre pour en extraire la teinture, ignorant que le
soufre de ce métal n’est pas fixé, & qu’il s’envole dans
l’air aussitôt qu’il est sur le feu : ils écorchent ce métal,
& lui enlèvent jusqu’à la dernière écorce, avec des ad-
jonctions contraires qui attirent son phlogistique pour le
détruire avec des corrosifs. Ils parviennent même quel-

249
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

quefois jusqu’au cœur de Vénus, qu’ils font mourir impi-


toyablement, en éteignant son feu vital.
Geber (lib. 2. chap. 14.) se moque de tous ceux qui per-
dent leur temps [185] en cherchant les moyens d’extraire
la teinture du cuivre. Quand les Philosophes disent qu’il
faut ouvrir l’or jusqu’au cœur, c’est-à-dire, qu’il faut le
dissoudre radicalement par le moyen du mercure philo-
sophique.
Ce que Basile Valentin appelle occident, n’est autre
chose que le mercure revivifié, qui ressuscite avec un
corps glorieux ; mais il faut le décorer avec un ornement
qu’on prend dans la partie méridionale, c’est-à-dire, dans
le soufre d’or qui a une infinité de propriétés.
Le cachet d’Hermès est la connaissance du véritable
mercure des Sages, parce que ce mercure est le chance-
lier de la Philosophie hermétique.
Les frères indigents du roi, sont, comme nous l’avons dé-
jà dit les métaux imparfaits : j’abandonnerai mes trésors
pour vous secourir, mes très chers frères, dit le roi, ou
l’or, aux métaux imparfaits ; vous êtes pauvres, parce
que vous n’avez point de soufre fixe ; je vous donnerai à
tous une couronne d’or pur.
Le feu qui échauffe les métaux indigents n’est autre
chose que le soufre [186] fixe de l’or réduit en quintes-
sence saline. Ce soufre doit les échauffer sans altérer
leurs esprits.
Les nuages épais qui s’élèvent dans l’œuf philosophique
pendant la cuisson ne sont autre chose que l’humidité
mercurielle qui se dispose à la conjonction. Ces nuages
sont d’un grand secours dans la pratique ; ils annoncent
à l’Artiste qu’il est dans le bon chemin. Basile Valentin
nous les a fait connaître par des paraboles obscures ;
mais nous tacherons d’y répandre un peu de clarté.
Quand les Philosophes parlent de chaux vive, dans la
pratique de la pierre, il ne faut pas croire qu’ils conseil-

250
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

lent d’employer de la chaux vive, faite avec des pierres


ou cailloux. La chaux dont ils font mention, est une
chaux philosophique, qui n’est autre chose que de l’or
calciné philosophiquement, & dont il ne faut prendre
que l’esprit.
Basile Valentin enseigne la préparation de cette chaux
dans sa quatrième Clef.
L’esprit de cette chaux vive est la même chose que
l’esprit du dragon pétré. C’est ce qu’on reconnaît dans
[187] la seconde Clef, où l’on voit aussi un aigle qui re-
présente le mercure ; ce vinaigre des Philosophes,
l’alpha, l’oméga, aleph & thau, la chaux vive, le dragon
pétré, le sel martial & son esprit cristallin & igné réduit
en liqueur.
Le soufre de Vénus est le disciple de Mars, comme on le
remarque dans la onzième Clef, où l’Auteur s’étend
beaucoup sur les bons offices que les planètes rendent
aux métaux.
La troisième Clef contient une description du manteau
de pourpre pour le plus grand roi de la terre ; cette cou-
leur est produite par le feu, après une cuisson convena-
ble.
Le mercure vulgaire purifié peut être comparé au cristal
pour la beauté ; mais le mercure des Philosophes est in-
finiment plus brillant que le cristal, parce qu’il est tiré
d’un très bon métal, dont on ne prend que la quintes-
sence la plus pure, qui est aussi belle qu’une étoile après
qu’on a brûlé toutes les ordures dont l’azoth est environ-
né en sortant de la minière.
Après que l’esprit igné du dragon pétré ou de chaux vive
a résout en liqueur le cristal mercuriel, Saturne [188]
qui est plus froid que la glace, coagulé cette liqueur, &
coupe en même temps les ailes de mercure ; les yeux de
l’écrevisse ; ainsi que l’argent philosophique, tombe en
dissolution, peu de temps après, par le moyen d’une cha-
leur bénigne.

251
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

L’argent philosophique est un alcali qui a la vertu de


dissoudre la pierre dans la vessie & les callosités ; c’est
en même temps un souverain remède pour guérir de la
goutte, même remontée, & beaucoup d’autres maladies.
Si la Médecine connaissait ce remède, elle en retirerait
un avantage beaucoup plus grand que ne peut être celui
de tous les ors potables qu’elle possède : parce que les
Chimistes vulgaires ignorent la véritable préparation de
l’or qu’ils veulent faire dissoudre. Ils peuvent faire un or
potable, mais ils ne feront jamais un or potable philoso-
phique, dont ils puissent faire avaler une goutte aux mé-
taux imparfaits ; tandis qu’ils boivent avec avidité celui
que nous leur présentons, ils s’en rassasient, se guéris-
sent de toutes leurs maladies, & acquièrent une santé
parfaite.
L’or potable philosophique se prépare [189] avec du mer-
cure philosophique dont on ne prend que l’esprit & la
quintessence la plus pure, qui sert aussi à corporifier la
teinture universelle.
La partie corporelle de l’or, est le soufre fixe salin qu’on
réduit en esprit & en eau, qu’il faut joindre avec l’esprit
de soufre philosophique pour faire une huile incombusti-
ble, qui guérit toutes les maladies des métaux & des
animaux.
La métallurgie de Basile Valentin ; a pour objet les mé-
taux qui existent dans les minières. L’hospice des mé-
taux, en général, est dans leur humide radical, qui ren-
ferme l’or philosophique, l’aimant martial & son soufre,
qui pénètre l’or vulgaire & le réduit en première ma-
tière.
Les trois règnes, animal, végétal & minéral, chez les
Philosophes, sont le sel, le soufre & le mercure. Ces trois
choses entrent dans la composition de la médecine uni-
verselle : on conjoint l’âme du soufre philosophique avec
l’or, par le moyen de l’esprit du mercure.

252
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Il existe un véritable soufre philosophique dans tous les


métaux, sans en excepter un seul. Sans cela, il ne serait
[190] pas possible de les convertir en or avec la médecine
universelle. Basile Valentin a donné une assez ample
description de tous les métaux dans les six premières
Clefs.
Quoique nous ayons déjà parlé, dans le commencement
de ce traité, de l’influence des astres sur tous les mé-
taux, nous croyons que ce que nous en dirons encore,
d’après Basile Valentin, ne déplaira pas à nos Lecteurs :
cette connaissance est absolument nécessaire à celui qui
veut entreprendre l’œuvre philosophique. Hermès &
tous les autres Philosophes, disent qu’il existe une har-
monie parfaite entre les choses qui sont en haut & celles
qui sont en bas ; & que quiconque n’aura pas une
connaissance parfaite de cette union, ne parviendra ja-
mais à l’accomplissement du magistère.
Mercure n’est point mis au rang des planètes chez les
Philosophes, quoiqu’il soit le principe de la médecine
universelle à cause du sel triple qu’il contient. Son cadu-
cée, avec les deux serpents ailés, représente l’esprit fixe
& volatil qu’il renferme.
Le mercure vierge se marie avec la Vierge, & s’incorpore
avec les Gémeaux [191] dans le lait virginal ; car tout ce
qui entre dans l’œuvre philosophique, doit être très pur.
Voyez Philalèthe, chap. 10, sur ce sujet. Il se moque,
avec raison, de ceux qui vont chercher le mercure vierge
dans le golfe de Corinthe, tandis qu’ils l’ont sous leurs
pieds, & qu’ils n’ont qu’à ouvrir la terre pour le prendre.
Il n’est pas moins ridicule de voir des personnes cher-
cher la terre vierge au fond des étangs bourbeux.
Ne perdons donc jamais de vue cette vérité, que le mer-
cure philosophique se forme dans les entrailles de la
terre vierge, où il se coagule ensuite par l’odeur du
plomb.

253
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Les Gémeaux indiquent la nature hermaphrodite du


mercure, qui contient l’esprit universel, sulfureux, vola-
til, qui se coagule aussitôt qu’il est conjoint avec l’esprit
du sel fixe de la terre. Si cet esprit de sel est pur, clair &
transparent, il en résulte un cristal qui se durcit avec le
temps.
Le mercure est la matière des pierres aussi bien que des
métaux ; les uns & les autres proviennent de la semence
du mercure qui a été coagulé par la vapeur du plomb.
Basile dit que cette [192] coagulation doit être appelée
emprisonnement.
Le froid qui se trouve dans les entrailles de la terre, est
aussi une des causes de cette coagulation, selon Basile
Valentin ; & selon Sendivogius, il faut attribuer toute
coagulation à la chaleur interne de la terre. Accordons
ces deux grands hommes.
Toute eau se coagule par la chaleur lorsque l’eau ne
contient point d’esprit, & lorsqu’elle a un esprit, elle se
congèle par le froid ; car il est impossible de congeler de
l’eau qui est unie avec un esprit par la chaleur ; & celui
qui pourrait faire cette opération, serait mille fois plus
habile que celui qui convertit les métaux imparfaits en
or pur.
Par la même raison, celui qui pourrait congeler le mer-
cure du plomb des Philosophes avec le soufre igné de
Mars en régule, dans la fusion, par le moyen du nitre &
du tartre ; celui-là, dis-je, qui ferait cette découverte, au-
rait fait tout ce qu’il faut faire pour être possesseur de la
médecine universelle, dont le succès dépend d’une
conjonction contre nature. Voilà pourquoi il y a un grand
nombre de bons [193] Alchimistes, d’ailleurs, qui ont
travaillé sur la véritable matière de la pierre, pendant
trente ans, infructueusement, pour n’avoir pu réussir à
faire cette conjonction secrète, dont les Philosophes n’ont
jamais donné la moindre idée. Consultez Hermès, Phila-
lèthe & Flamel, & vous verrez ce qu’ils attribuent à la
terre de Saturne.

254
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Le premier jour de l’année commence à la première nuit


d’hiver. L’âge de l’homme ne se compte que du jour de sa
naissance : de même, l’âge des métaux ne se compte pas
tandis que le vif-argent court de côté & d’autre ; mais
dès le moment de sa coagulation.
Basile Valentin, dans sa première Clef, représente Sa-
turne ou le plomb des Philosophes, comme le père du
premier mercure, qu’il contient en soi, & qui est déjà
coagulé. Il est le premier des métaux, & par conséquent
le principe de la pierre des Sages ; c’est lui qui occa-
sionne la putréfaction, sans laquelle le mercure ne
s’ouvrirait pas, & ne pourrait jamais recevoir l’esprit de
Mars. Saturne s’ouvre ce passage avec la faux que
l’Auteur de la Nature lui a donnée. Il coupe, avec cet ins-
trument, toutes les impuretés des métaux, [194] en sé-
pare tout le soufre combustible, & procure ensuite la pu-
tréfaction qui est annoncée par la couleur noire.
La blancheur & la pureté qu’on attribue à Jupiter n’est
autre chose que l’humidité aqueuse de Saturne, qui des-
sèche & détruit toutes les superfluités qui se trouvent
dans la matière de la pierre.
Les Philosophes distinguent trois fermentations ; la
première a lieu, lorsque le mercure est animé par son
soufre, la seconde arrive lorsque le mercure animé est
nourri par son sel, qui est le lion rouge & vert, qui sont
conjoints par la fermentation philosophique, dont parle
Basile Valentin, pag. 275.
La troisième fermentation codifie dans la résurrection
du roi, ou revivification de l’or, qui précède la multiplica-
tion de la pierre, qu’on est obligé de mettre en fermenta-
tion avec de l’or ou de l’argent. Cette fermentation chi-
mique est attribuée à Jupiter, & elle est entièrement aé-
rienne. La première fixation de Jupiter est indiquée par
la première blancheur qui paraît.
Nous avons déjà démontré, ci-devant, que Mars ou le sel
de fer est un [195] aimant auxiliaire qui attire les In-

255
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

fluences célestes. Mars doit être considéré comme un mi-


roir ardent, ou comme un rubis éclatant ; sa hallebarde
& son épée représentent les esprits ignés & volatils, qui
sont les symboles de la pénétration. C’est ce que les an-
ciens ont représenté par l’épée de Cadmus, fils d’Agénor,
Roi de Phénicie, & par l’épée d’Achille.
Jupiter, le Lion d’orient, & l’oiseau du midi, doivent en-
trer dans notre mer salée, & s’y noyer.
Basile Valentin, pag. 34, dit qu’il faut chercher le soufre
des Philosophes dans un soufre ; mais qu’il n’est pas
possible de le trouver, si le corps de ce soufre, qui est
vulgaire, n’est absorbé par le dragon pétré, qui est
l’esprit de sel de nitre & de sel ammoniac philosophique.
Ces deux sels philosophiques doivent être calcinés dans
un fourneau de réverbère ou dans un four de verrier, où
ils acquièrent une vertu magnétique, analogue aux in-
fluences astrales dont ils doivent être imprégnés pour
entrer dans la composition de la pierre.
Basile Valentin n’a pas écrit un mot [196] par hasard ;
tout est réfléchi dans ses ouvrages ; la moindre expres-
sion renferme des choses sublimes sous l’énigme. Son
miroir ardent est un moyen qu’il présente pour découvrir
ce qui est renfermé dans sa cinquième Clef.
Le miroir céleste est l’image du soufre qui développe son
esprit par le moyen d’une chaleur analogue à celle qui
est produite par la réflexion d’un miroir ardent, qui ren-
voie tout ce qu’il reçoit, comme par une amitié récipro-
que.
L’épée de Mars est aussi, à son tour, un miroir ardent
qui renvoie le soufre céleste & igné, par la force de son
sel fixe. Mars remporte une victoire complète sur l’esprit
mercuriel igné, dont il sépare tout le soufre impur, qui
deviendrait rebelle lorsque le soufre du premier mercure
double commencerait à fermenter. Le soufre impur pro-
voque Mars au combat ; mais il est bientôt mis en prison
& livré à Vulcain, qui le tue avec l’épée de Mars, dont la

256
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

terre contient une graisse, un sel, un baume & une huile


incombustibles, qui sont absolument nécessaires à la
composition du magistère,
La force de Mars est si grande, qu’il [197] remporte une
victoire complète sur le double mercure, par l’efficace de
ses esprits ou de sa quintessence, qui a la vertu
d’augmenter considérablement les forces de celui qui en
prend le poids d’un grain dans de l’esprit de vin ou de la
bonne eau-de-vie.
Cette quintessence Martiale produit promptement ses
effets ; elle ne se borne pas à donner de la force ; elle
donne des sentiments & un courage de lion.
Mars domine dans la saison du printemps, qui est la sai-
son des fleurs ; mai, nous ne devons pas faire attention
aux fleurs des végétaux. Les Philosophes nous conseil-
lent de nous occuper des fleurs chimiques qui sortent des
cendres de la matière Saturnienne après la calcination.
Ces fleurs chimiques sont le vrai safran des métaux ; la
plupart des Chimistes brûlent ce safran en faisant un
feu trop violent.
Basile Valentin a fait deux chapitres sur l’âme & la tein-
ture de Mars & de Vénus ; mais tous ceux qui ont voulu
opérer d’après la lecture & une profonde méditation sur
ces deux chapitres, ont échoué, parce qu’ils sont [198]
faits pour des philosophes, & non pour des Chimistes
vulgaires qui n’y comprendront jamais rien.
Les Philosophes attribuent la fixation de la matière à
l’esprit brillant de Mars, pour le blanc seulement, quoi-
que cet esprit soit igné, rouge & double.
La quatrième Clef enseigne la véritable méthode de cal-
ciner l’argent qui doit être dissout dans le mercure phi-
losophique. La Lune précède Vénus dans son entrée.
L’Auteur dit que l’or & l’argent sont les enfants de Mars
& de Vénus ; c’est ce qu’on lit dans son Livre sur
l’enfantement admirable des sept planètes, pag. 247, où

257
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

il dit qu’il faut conjoindre Mars avec Vénus, ou le fer


avec le cuivre, pour composer un vitriol dont on retire un
esprit blanc ; & que de ce même esprit blanc, après une
cuisson convenable, on retire un esprit rouge qui est un
vrai soufre d’or philosophique. De pareils exemples peu-
vent procurer de grandes lumières ; mais il faut savoir
les mettre à profit. On ne doit pas ignorer non plus que
la cinquième Clef est entièrement consacrée à Vénus.
Basile Valentin a eu de bonnes raisons pour [199] placer
la préparation de l’argent après celle du mercure, père
de tous les métaux.
Il est essentiel à savoir que l’Auteur fait entrer deux Vé-
nus dans la composition de la pierre. La première Vénus
est minérale, la seconde est métallique & philosophique,
qui n’en autre chose que la quintessence ou le soufre du
cuivre rouge ; mais il faut être bien adroit pour faire
l’extraction de cette quintessence sans l’altérer.
Les embûches qu’Orphée tend au Dauphin, expliquent la
pensée de notre Philosophe, quand il dit que le sel Mar-
tial & le sel de Saturne conjoints avec Mercure & la
Lune, élèvent Vénus au suprême degré de splendeur. Ce
mélange ou conjonction se fait spirituellement & avec la
plus grande harmonie.
L’argent est élevé, à son tour, au suprême degré de pure-
té ; il est si éblouissant, qu’on ne le reconnaît plus pour
ce qu’il a été auparavant.
Le feu, qu’on considère comme un grand secret, est
contenu dans le sel de Mars, que Cadmus appelle
flamme inextinguible.
L’harmonie provient de l’esprit de [200] Vénus qui est
brûlée par le feu de Mars. L’un & l’autre sont enveloppés
dans le filet de fer par Vulcain, qui les garrotte si bien,
qu’il ne leur est pas possible de se débarrasser ; & Mars
convertit Vénus en Soleil éblouissant, comme on le voit
dans les Métamorphoses d’Ovide. Celui qui comprendra

258
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

bien ceci pourra facilement acquérir les autres connais-


sances nécessaires au magistère.
Les Philosophes indiquent deux fixations de Vénus pour
faire une teinture rouge, & ils sont tous d’accord que le
cuivre contient une teinture plus abondante que l’or
même.
L’argent est le premier qui paraît sur la terre philoso-
phique, après la résurrection des corps ; les philosophes
l’appellent leur reine blanche, leur Lune ; ses cornes
sont blanches, & celles du Soleil sont rouges. C’est la
fille philosophique nouvellement née & engendrée avec
l’or & l’esprit de Mars, préparé avec le vitriol, qu’il faut
réduire en corps. Basile Valentin enseigne une méthode
sûre pour faire cette réduction. Le signe céleste de la
Lune ou de l’argent, est la Vierge, qui convertit le mer-
cure en argent pur ; [200] mais il faut lui faire subir bien
des opérations pour le mettre en état d’entrer dans la
composition du magistère. Il faut lui procurer une blan-
cheur parfaite par la calcination ; mais cette couleur
n’est qu’externe ; l’argent calciné ou non, est toujours
bleu intérieurement. Cela provient de la conjonction de
l’eau lumineuse avec la terre froide.
Si vous joignez de l’or calciné avec de l’argent, préparé
comme ci-dessus, & que le Lion se jette impétueusement
dans le sein de la Vierge, faites une digestion convena-
ble, & vous verrez que l’argent deviendra plus beau que
l’or même, en la nature duquel il sera converti.
Cette admirable graduation se fait par le moyen du vi-
triol ou de Vénus, qui donne son manteau de pourpre à
l’argent, qui reçoit cet ornement par l’adjonction du sou-
fre de Mars, lorsqu’il n’est pas encore fixe ; mais pour
rendre fiable cette graduation, il faut nécessairement
faire intervenir le soufre de Saturne ou plomb des Sages.
Voilà la véritable méthode qu’on doit suivre pour gra-
duer l’argent. Voilà en deux mots ce que les Sophistes
[201] n’ont jamais pu dire dans leurs volumes in-folio.

259
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

On peut voir, par ce que nous venons de dire, que


l’argent ne devient véritablement blanc que par la calci-
nation de sa terre, qui doit être réduite en cendre, pour
qu’on puisse avoir le moyen d’en extraire le sel fixe. Le
tartre des Philosophes ne se trouve que dans la cendre :
avec des cendres & du sable on fait du verre, & les pier-
res les plus dures se convertissent en chaux vive, en les
faisant brûler. Toutes ces choses, bien entendues, suffi-
sent pour démontrer la nécessité & la manière de calci-
ner le plomb des Sages avant de le faire entrer dans la
composition de la pierre. Après l’avoir calciné, il faut le
vitrifier pour l’élever au suprême degré de pureté, en-
suite il sera facile de le convertir en huile qui a la vertu
de guérir toutes les maladies dont l’homme peut être at-
taqué ; elle a en même temps le pouvoir d’élever tous les
métaux imparfaits au degré de l’or & de l’argent.
L’or est placé au milieu des métaux imparfaits, pour les
rendre participants de sa lumière, de la même manière
[203] que le Soleil au milieu des planètes.
Basile Valentin dit que l’or est un roi environné de
gloire, & qu’il faut le marier avec la reine, qui est la
Lune ou l’argent. Au bout d’un certain temps, cette reine
accouchera d’un prince royal, infiniment plus brillant
que ses père & mère.
Les Philosophes assignent au Soleil dans le Zodiaque,
l’ardente Écrevisse, & le Lion de feu ou de couleur d’or
éblouissant. Voilà les deux signes dédiés au Soleil dans
le Zodiaque.
Le roi ayant la couronne d’or sur la tête, s’élève dans le
ciel & remplit de lumière tout l’espace qui l’environne. Il
triomphe de tous ses ennemis, & foule aux pieds le
monstre à trois têtes, qui ressemblent à celle d’un chien,
d’un loup & d’un lion. Ces têtes adhèrent à un seul
corps, dont la queue ressemble à un serpent.

260
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

La tête de chien représente le mercure, celle du loup dé-


note le soufre, & la tête de lion indique la force de
l’esprit salin.
La tête est le siège de l’esprit, l’on ne saurait lui en assi-
gner un plus
convenable. Voyez la première Clef de Basile Valentin,
& son troisième [204] Chapitre de la Génération occulte
des Planètes, où il dit que Jupiter est un esprit igné &
sulfureux ; il explique sa seconde Clef en parlant de La-
tone, qui ayant couché avec Jupiter, devint enceinte &
accoucha de deux enfants, qui furent Apollon & Diane ;
mais elle fut bien tourmentée pendant tout le temps de
sa grossesse, par la Déesse Junon, qui fut si jalouse de
ce que Jupiter avait couché avec Latone, qu’elle envoya
le serpent Python pour la dévorer. Latone se sauva, &
après avoir parcouru toute la terre, arriva dans l’île
d’Ortygie, où elle accoucha d’Apollon & de Diane.
Pour bien comprendre le sens de l’Auteur, il faut savoir
que cette île était inondée, & qu’elle fut desséchée par
ordre de Jupiter.
En considérant les fatigues de Latone, & l’île desséchée
par ordre de Jupiter, il est aisé de voir que tout cela si-
gnifie la soif qu’endure le fétus de la pierre des Sages,
qui, comme l’île d’Ortygie, a besoin des rayons du Soleil
pour dessécher l’humidité dont il est couvert.
Voilà pourquoi il est nécessaire de s’instruire, &
d’apprendre à fond la [205] Philosophie hongroise, & ce
que signifie la faim qu’endure le Roi, & l’intention de
l’Auteur quand il parle du plomb des Philosophes, du vi-
triol de Hongrie, & de l’alun de roche qu’il recommande
d’employer préférablement à tout autre minéral.
On ne doit pas ignorer non plus pourquoi le monstre à
trois têtes d’animaux différents. Il est aisé de s’instruire
à fond de tout ce qui regarde le chien, le loup & le lion,
en consultant les Métamorphoses d’Ovide, les Fables

261
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Grecques, Phéniciennes & Égyptiennes, qui sont


d’excellents Traités de Chimie.
Dieu a permis que personne n’ait pu connaître les pro-
priétés de l’antimoine dont il est parlé dans le Char
triomphal. Voilà pourquoi le vulgaire ignorant, qui ne
veut pas se donner la peine de réfléchir sur les effets que
peut produire une cause, a très souvent préparé ce mi-
néral plutôt à la destruction du genre humain qu’à sa
conservation, parce qu’il ignore la véritable manière de
le préparer pour en retirer une médecine salutaire & un
élixir incombustible.
Si l’on voulait se donner la peine [206] d’examiner atten-
tivement tous les phénomènes que présente l’antimoine
de Hongrie, lorsqu’on le réduit en régule, comme nous
l’avons dit ci-devant, on verrait que c’est le vrai miroir
philosophique dans lequel on peut trouver l’explication
de toutes les fables des Anciens.
Si vous êtes un peu intelligent, vous verrez paraître
l’étoile sur le régule dès la première préparation ; mais
si vous faites un feu trop violent, vous brûlerez tous les
esprits, & dessécherez l’humidité mercurielle.
Si vous n’apercevez pas l’étoile, réduire en poudre le ré-
gule, & faites le fondre avec autant pesant de nitre & de
tartre ; répétez cette opération jusqu’à ce que vous ver-
rez paraître l’étoile. Manipulez la matière jusqu’à ce que
les scories soient rouges ; mais ayez soin de vous garan-
tir de la fumée, car elle est venimeuse, & cause l’étysie.
Votre régule sera préparé beaucoup plus promptement
& plus parfaitement, si vous employez des cendres gra-
velées, au lieu du nitre & du tartre.
L’antimoine de Hongrie ainsi préparé, [207] contient un
mercure précieux ; mais ce mercure est congelé ; faites
disparaître l’étoile dans le temps convenable, & vous au-
rez un mercure qui ressemble extérieurement au mer-
cure des Philosophes, qui est composé d’esprit de soufre
& de sel conjoints ensemble, c’est-à-dire, une réunion du

262
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

principe & de la fin, dont il est plus facile d’obtenir de


l’or potable, que de l’or minéral.
Basile Valentin, dans son premier Livre du Monde uni-
versel, enseigne les moyens de faire cette conjonction en
bien peu de temps. Faites dissoudre, dit-il, l’esprit du
mercure crud avec une chaleur douce, & le soufre sera
attiré comme avec un aimant ; ce soufre se trouve dans
la terre, & le sel se tire de l’esprit mercuriel, comme avec
son aimant naturel.
Le régule contient un acide fixe & un acide volatil : ils
sont renfermés dans la matière & développés par le feu
externe & par le mouvement continuel qui rassemble
tous les êtres dans un même corps pour les y faire mûrir.
Ce que nous venons de dire du régule d’antimoine mar-
tial, doit suffire aux personnes éclairées pour pouvoir
[208] en retirer un avantage réel ; mais il faut lire tout
ce que nous en avons dit, & ne pas se déterminer à faire
une opération après avoir lu un article.
Rassemblez donc tout ce que nous avons dit du régule
d’antimoine martial dans le cours de ce petit Traité, &
vous serez en état de composer un souverain remède
pour guérir les maladies du corps humain, & pour puri-
fier les métaux imparfaits.
Les Philosophes connaissent deux dragons qui sont
d’une nature différente : l’un a des ailes & vole jusqu’au
sommet des plus hautes montagnes, l’autre n’a point
d’ailes & rampe sur terre, dans les cavernes & dans les
minières.
Le dragon ailé est le mercure, & celui qui n’a point
d’ailes est le soufre philosophique. Voilà l’Hercule que
les Interprètes ont appelé sel des Philosophes, qui dé-
truit toutes les impuretés qu’il rencontre dans les mé-
taux imparfaits.
Tous les métaux & minéraux contiennent un acide qui
les empêche de se délivrer des impuretés dont ils sont

263
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

environnés dans les minières ; voilà [209] pourquoi il est


nécessaire d’employer des alcalis pour porter une cha-
leur naturelle dans des corps qui n’ont d’autres maladies
que celles qu’un trop grand froid leur a occasionnées.
C’est pour cette même raison qu’on ajoute du fer à
l’antimoine dans la confection du régule, dans lequel il
entre aussi du nitre & du tartre qu’on fait détonner en-
semble.
Le nitre se convertit en soufre, & le tartre en alcali qui
absorbe l’acide ; le fer empêche le mercure de s’envoler &
délivre en même temps le soufre antimonial de son
acide, & fait précipiter le mercure au fond du vase, où,
comme quelques Chimistes le prétendent, il attire le
soufre salin arsenical qui est de la même espèce que le
soufre antimonial. C’est ce qui a fait dire à Basile Valen-
tin qu’un poison en chasse un autre.
Plusieurs Philosophes avec Flamel, prétendent que
l’apparition de l’étoile est occasionnée par l’adjonction
d’une grande quantité de sels différents ; ils fondent leur
raisonnement sur ce que la réunion d’un sel avec un sou-
fre présente une forme stricte ; mais je pense que cela
provient de l’affluence de [210] l’eau mercurielle ou du
sel alcali volatil interne conjoint avec la terre pure &
luisante qui occasionne une congélation, & je crois que
c’est à cette congélation qu’on doit attribuer l’apparition
de l’étoile, préférablement à toute autre chose. C’est du
moins ce qu’il semble que Basile Valentin a voulu indi-
quer dans sa septième Clef.
La circulation du soufre des Philosophes se fait intérieu-
rement dans leur matière : voilà pourquoi elle exhale
une odeur suave après la calcination.
Les Chimistes doivent dépouiller le mercure philosophi-
que de son soufre impur, corrosif, dont la malignité & la
mauvaise odeur qu’il exhale continuellement, absorbe
l’odeur suave qui le ferait sentir sans cet obstacle, & il

264
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

est impossible de procurer au mercure philosophique


une vertu pénétrative sans cette préparation.
Je ne puis me dispenser d’ajouter encore ici quelques
opérations sur le régule étoilé ; je présenterai mes ob-
servations, de manière qu’on pourra les voir comme dans
un miroir ; & je pense qu’un homme intelligent, & que
Dieu voudra favoriser, pourra facilement découvrir la
vérité qui est contenue [211] dans la doctrine que je pré-
sente.
Il faut savoir en premier lieu, que le plomb des Sages est
infecté & souillé d’un soufre impur, dont il faut le déli-
vrer par la calcination dans le fourneau de réverbère, ou
dans un four de verrier, où il doit être brûlé & réduit en
cendre. Si vous pouvez faire mourir notre roi par le feu,
vous le verrez ressusciter avec un corps glorieux ; alors,
il sera aussi pur que les esprits célestes.
Les colombes que vous verrez paraître après la putréfac-
tion, sont engendrées par l’esprit volatil, acide & alcali ;
elles portent l’ambroisie à Jupiter, & veillent continuel-
lement pour examiner tout ce qui se passe dans le palais
du roi.
Le crible des Philosophes se présente dans la confection
du régule ; les scories surnagent, & le mercure se préci-
pite au fond du creuset, pourvu qu’on ait soin de frapper
quelques coups, sur les côtés du vase, avec une baguette.
Il y a trois saisons au pôle, qui sont l’hiver, le printemps,
& le commencement de l’été.
L’ouvrage philosophique est à sa fin [212] vers le
dixième mois ; pour lors, notre roi commence à ouvrir les
yeux & à respirer. Voilà l’année philosophique.
Les quatre saisons de l’année philosophique, sont ordi-
nairement appelées heure, jour, mois, & année solaire.
Le mois lunaire des Philosophes est composé de quatre
semaines par rapport au cours de Vénus dans le ciel.

265
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Les ténèbres durent environ quarante jours, au bout


desquelles on voit paraître la lumière.
Toutes nos opérations doivent être réglées ; elles n’ont
qu’un temps, & il n’y a qu’un travail, dès que l’entrée du
palais du roi est fermée.
Le régule doit être composé en pleine lune & dans la sai-
son convenable. Voilà la voie des anciens Philosophes,
par le moyen des esprits métalliques.
L’Hercule des Philosophes est un sel né d’un père acide
& d’une mère alcaline.
Le Pluton des Philosophes est la terre philosophique ;
leur Neptune est le sel alcali fixe, & le mercure ou le sel
alcali volatil ; leur Phoebus est [213] le soufre incombus-
tible qui a résisté au feu de fusion pendant la calcination
préparatoire.
Il paraît qu’Homère & Pythagore sont les feus qui aient
reçu des Égyptiens la connaissance de la pierre.
Jason, fils d’Esone & de Polymèle, fut le héros de la Phi-
losophie ; les victoires que ce Prince fut obligé de rem-
porter pour recouvrer son royaume ; ses voyages sur les
montagnes de la Liburnie, qu’on appelle aujourd’hui
Croatie ; sa navigation sur la mer Adriatique, ses
amours avec Créuse, fille du Roi de Corinthe : toutes ces
aventures ne représentent autre chose que les différen-
tes opérations du magistère hermétique ; on peut voir
l’histoire de Jason dans les Métamorphoses d’Ovide, où
elle se trouve tout entière.
Les parties intérieures de notre pierre font très pures,
mais il faut en séparer les parties extérieures, qui sont
impures & hétérogènes.
La pierre des Sages est fille du feu ; la terre philosophi-
que, qu’on appelle Latone, contient de l’or & de l’argent
qui ne peuvent voir le jour que par le feu.

266
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

L’odeur suave qu’exhale notre magistère [214] dans les


opérations chimiques, en une preuve certaine qu’elle est
arrivée au suprême degré de pureté.
Notre Panacée est fille d’Elcalape. Les soufres de mé-
taux contiennent un acide ainsi que le chêne.
Les bouillons rafraîchissants de Jupiter, sont la foudre
& le triple esprit volatil.
L’or n’aura jamais aucun pouvoir sur les métaux infé-
rieurs, qu’après avoir perdu sa solidité.
L’or & l’argent doivent être rendus volatils, pour pouvoir
pénétrer les métaux inférieurs.
L’or & l’argent sublimés doivent avoir une forme mercu-
rielle.
La forme de la teinture philosophique, dans le commen-
cement de l’opération, est semblable à celle du mercure
coulant, & lorsque l’opération est finie, la matière doit
être réduite en poudre gommeuse.
Le vif-argent n’agit que sur soi-même, & si l’on veut qu’il
ait la vertu d’agir sur les autres corps inférieurs, il faut
l’animer avec un agent interne.
Le vif-argent peut dissoudre les métaux quand on l’a
préparé à cet effet, & il augmente dans la dissolution
après [215] laquelle on le fait passer par le chamois avec
les métaux.
Le mercure philosophique n’est composé que d’un sel
pur, métallique, & d’un soufre mêlé d’embryons métalli-
ques.
Les marcassites & l’antimoine sont des corps remplis de
sels métalliques ; on reconnaît cette vérité après qu’on
en a fait la dissolution.
L’agent igné est dans le fer ; & le sel résolutif est dans le
plomb des Philosophes.

267
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Le sel & le soufre des métaux se trouvent dans le régule


dont le mélange fait le vrai mercure des Philosophes.
Il faut conserver soigneusement les embryons métalli-
ques qui se trouvent dans le soufre des métaux.
La vertu médicale des métaux confine dans leur soufre,
après qu’on l’a purgé de ses parties arsenicales.
Le mercure philosophique contient des parties aqueuses
& terrestres dont il faut le délivrer avant de conjoindre
avec notre or. Faites donc dissoudre notre mercure dans
son esprit, filtrez la dissolution selon l’art, mettez-la
dans un matras bien lutté, faites distiller avec un feu
lent, & vous aurez [216] le véritable mercure philosophi-
que purgé de toutes ses parties hétérogènes ; & sans
cette purgation, il est impossible d’en retirer le moindre
avantage, parce que si l’on n’en sépare pas ces ordures, il
ne se conjoindra jamais avec notre or. Sans cette
conjonction, il n’y aura jamais de putréfaction, & sans
putréfaction, il n’y aura jamais de génération philoso-
phique.
Lorsqu’on aperçoit que l’esprit s’élève dans l’œuf & qu’il
ne se fixe pas avec la matière dans le temps où il devrait
se fixer, il faut diminuer le feu pendant trois ou quatre
jours, tout au plus ; vous verrez que l’esprit redescendra
sur la terre, & qu’il s’y fixera ; pour lors vous remettrez
le feu au même degré où il était auparavant, & vous le
laisserez ainsi jusqu’à ce que la matière soit parvenue
au rouge parfait.
Raimond Lulle dit que celui qui ne sait pas convertir no-
tre pierre en huile ne fait rien. Cette huile de notre
pierre réduit l’or en sa première matière dans l’espace de
trente jours, au bain tiède.
Flamel dit que quand la pierre est parvenue au rouge
pour la première [217] fois, il faut comprendre une once
qu’on incorpore avec huit onces de mercure philosophi-
que, dans lequel on doit avoir fait dissoudre une once
d’or vulgaire, bien calciné ; ce mélange d’une once de

268
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

médecine parfaite, avec huit onces de mercure philoso-


phique, & une once d’or est ce que les Philosophes appel-
lent leur lait avec lequel ils nourrissent l’enfant philoso-
phique. Le tout doit être bien broyé dans un mortier de
verre : on le met ensuite dans un matras bien lutté, & on
le fait cuire jusqu’à ce qu’il soit parvenu au rouge par-
fait.
Voilà la nourriture de l’enfant philosophique, ou la ma-
tière préparée pour multiplier la pierre à l’infini.
Les Philosophes n’ont jamais expliqué ces opérations
postérieures d’une manière si claire, si intelligible ;
j’espère que vous en profiterez, & que vous me saurez
bon gré d’avoir été moins réservée que mes prédéces-
seurs. Je vous ai découvert toutes les manipulations les
plus secrètes ; je vous ai assez dépeint la matière, pour
que vous puissiez la connaître facilement, & malgré cela,
je brûle d’envie de vous procurer de plus grandes lumiè-
res ; mais [218] il m’est défendu de passer certaines bor-
nes pour le présent.
Souvenez-vous qu’il faut un soufre martial & antimo-
nial, pour faire le mercure des Philosophes, & que vous
ne parviendrez jamais à l’accomplissement du magis-
tère, qu’en faisant un régule mêlé de deux substances,
l’une sulfureuse & l’autre arsenicale.
On rencontre de grands obstacles dans la séparation du
régule d’antimoine martial ; mais il faut apprendre à les
vaincre par une méthode résolutive. Il faut savoir
convertir le régule en mercure, qu’on précipite pour faire
l’or horizontal & le soufre des philosophes, qu’il faut en-
suite convertir en poudre gommeuse & fixe, pour lui pro-
curer une vertu pénétrative.
Voilà le véritable & unique moyen d’exalter la teinture,
& de lui donner la force d’entrer dans les corps métalli-
ques.
On peut précipiter cette poudre pour la résoudre en or
vulgaire ; mais si l’on voulait faire cette opération, le

269
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

tiers de la poudre s’évaporerait & serait entièrement


perdu ; c’est le sentiment de Suichten & de Combache,
qui cite cet exemple dans l’or [219] second livre des Pro-
priétés de l’antimoine, où il dit qu’on peut convertir en
mercure l’or & l’argent tirés de l’antimoine, par le moyen
du vif-argent d’antimoine, ce qu’on ne saurait faire avec
l’or & l’argent vulgaires, parce que ces métaux préten-
dus parfaits, tirés de l’antimoine, n’ont pas toute la fixité
qu’on veut bien leur attribuer ; c’est pourquoi il arrive
souvent, après beaucoup de travaux, qu’on ne trouve que
de l’or après avoir cherché la poudre de projection, en
employant d’autres métaux.
La longueur & la brièveté de l’opération dépendent de la
préparation du ferment ; car si l’or eu bien volatilisé, il
sera facile, en le mêlant avec le mercure philosophique,
de faire une teinture parfaite en peu de temps.
On convertit facilement le régule en mercure, par le
moyen des deux Colombes de Diane, qui sont contenues
dans le premier sel qui détruit les impuretés arsenicales,
& fait paraître le mercure qui a la vertu de dissoudre
tous les métaux, & de les convertir en un mercure qui se
coagule facilement en digérant, pourvu qu’on en [220]
sépare le soufre arsenical ; par ce moyen, l’on peut faire
de l’or philosophique ; & c’est ce qu’on appelle abrévia-
tion en saveur des pauvres.
Nous avons déjà parlé plusieurs fois des scories qui sur-
nagent pendant la confection du régule, & nous recom-
mandons encore d’en avoir grand soin ; faites-les bouillir
dans de l’eau de pluie, que vous filtrerez & ferez évapo-
rer pour en retirer un sel précieux ; après avoir ainsi les-
sivé ces scories, vous le ferez calciner dans un creuset,
en y ajoutant quelques morceaux de soufre commun ; el-
les deviendront rouges comme du cinabre ; vous en reti-
rerez encore un sel beaucoup plus précieux que le pre-
mier, en les faisant bouillir avec du vinaigre distillé, que
vous filtrerez & ferez évaporer.

270
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Mêlez ces deux sels, & incorporez-les avec du soufre


d’or ; faites cuire le tout dans un creuset, & vous verrez
une chose qui vous surprendra agréablement.
Le régule d’antimoine martial contient une huile qui
dissout les pierres précieuses, comme les émeraudes, les
hématites, & autres semblables, [221] dont on retire une
teinture qui a des propriétés admirables ; & l’on prétend
que cette huile est le véritable dissolvant universel qui
dissout tous les corps sans ébullition. Beuher a donné
une ample description des propriétés de ce dissolvant,
dont on trouve la recette dans les Ouvrages de plusieurs
bons Philosophes, qui n’ont pas dit tout ce qu’ils savaient
sur ce sujet ; car il s’en faut beaucoup que leur recette
soit entière.
Notre régule est composé de deux métaux & de deux mi-
néraux, qui font les seuls sujets du magistère. Basile Va-
lentin a employé les expressions obscures de Sendivo-
gius, pour indiquer ces matières ; mais il est aisé de voir
qu’il ne sort pas du règne métallique ; il indique en
même temps aux enfants de l’art, un sel philosophique,
qui est le plus convenable à la fermentation des métaux,
le plus conforme à leur nature, & qui peut les dompter,
les dissoudre sans les altérer. Ce même sel donne en
même temps aux métaux une vertu pénétrative, & forti-
fie leur teinture métallique ; mais toutes ces opérations
sont philosophiques ; & pour les faire, on ne doit rien
employer [222] qui ne soit de la même nature ; car tous
ceux qui introduisent des matières d’une nature
contraire, ne réussiront jamais à faire une multiplication
fructueuse.
Il n’existe que deux moyens sûrs pour détruire les mé-
taux & recueillir leurs âmes internes, selon Geber. On
purifie, on tue, on ressuscite les métaux avec les métaux,
& on les spiritualise. Lorsqu’ils sont dépouillés de toutes
leurs terrestréités, ils deviennent or & argent vivants
philosophiques, pour vivifier les métaux imparfaits, &
renouveler & conserver le corps humain.

271
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Voilà une partie des effets merveilleux qu’on peut opérer


avec ce sel céleste & spirituel, par le moyen duquel d’une
chose vile, corporelle & terrestre, on fait un esprit pur
qui, par une vertu magnétique, attire l’esprit de l’or & de
l’argent pour le transmettre dans les autres corps métal-
liques inférieurs, pour les éclairer & les transmuer.
Un corps métallique transmue & éclaire son semblable,
ou celui qui participe de sa nature ; la transmutation le
fait en or ou en argent, selon [223] la spécification de la
pierre, pour le blanc ou pour le rouge.
Van Helmont assure que l’acier contient la véritable
humidité mercurielle, & exempte du corrosif, par le
moyen de laquelle, sur un feu ouvert & dans un creuset
ouvert, on peut fixer les soufres d’or & d’argent, en les
séparant de leurs corps pour les convertir en mercure
volatil, dont on fait une teinture philosophique sèche,
pour transmuer tous les métaux imparfaits en or & en
argent.
Tous les bons Artistes connaissent la qualité d’un métal
par la couleur qu’il fait paraître, lorsqu’il est dans le feu,
& ils savent régler leurs opérations en conséquence.
Tout est engendré dans les entrailles de la terre & ail-
leurs par le moyen d’une chaleur convenable. Les mé-
taux, les minéraux, les pierres précieuses, proviennent
d’un germe qui est développé par le moyen d’une chaleur
proportionnée, & ils parviennent au degré de maturité
parfaite par la même cause.
La terre se métamorphose aussi de même, & se convertit
en eau limpide, & cette eau redevient terre, [224] la-
quelle, étant cuite par un feu plus fort, se convertit en
soufre métallique plus ou moins pur, selon sa nature ;
l’œuf qui éclot, & dont il sort un poulet par la chaleur de
la poule qui couve, nous présente un exemple dont nous
devons faire l’application dans des circonstances conve-
nables.

272
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Le feu est la base & le fondement de l’art. Faites un feu


poreux, digestif & continu ; mais gardez-vous bien de le
faire violent ; il doit être subtil, environnant toute la ma-
tière ; il doit être renfermé, clair, aérien, pénétrant &
unique, afin qu’il puisse chauffer sans brûler ni altérer.
Je vous ai indiqué toutes les voies qui conduisent au
temple de la Philosophie hermétique : vous devez actuel-
lement connaître le plomb sacré des Philosophes. Cette
matière qui contient les germes de l’or & de l’argent, est
le double azoth ou la magnésie universelle qui reçoit sa
nourriture du Ciel & de la Terre ; voilà pourquoi les Phi-
losophes disent qu’elle renferme l’esprit de Dieu, qu’il
faut résoudre en liqueur saline, pour lui [225] donner la
vertu d’agir puissamment sur tous les êtres.
Tout ce qui est nécessaire au magistère se trouve ren-
fermé dans cette matière qui paraît sous la forme d’une
pierre, & qui n’est cependant pas une pierre : elle a plu-
tôt la forme d’un corps métallique qui renferme une
substance spirituelle & céleste, qui a des vertus incom-
préhensibles.
La santé parfaite, une longue vie, & les trésors inépui-
sables dont jouissent ceux qui pendent la pierre, ne sont
rien en comparaison des autres grâces & saveurs que
Dieu accorde avec ce don précieux, qui est le comble de
sa miséricorde & de sa bonté infinie.
Voilà ce qui a fait dire à Flamel qu’il ne pouvait se rap-
peler l’heureux moment où le Seigneur l’avait comblé de
tant de grâces & de bénédictions, sans se jeter à genoux
pour le remercier, le louer & le bénir.
Je vous ai accompagné pendant le cours des différentes
saisons de l’année philosophique, & nous sommes actuel-
lement arrivés vers la fin de l’automne, c’est-à-dire, sur
la fin de la première opération de la pierre triangulaire,
[226] qui se trouve dans un Age viril & près de sa matu-
rité ; à cette époque, elle est près de sa fixation au rouge
parfait.

273
DISCOURS PHILOSOPHIQUE

Elle n’a plus besoin d’autre chose que des rayons du So-
leil pour être éclairée, enrichie, & pour acquérir une
santé robuste, en attendant du Ciel la vertu qui lui est
nécessaire pour vous rendre heureux.
Fin du second Volume.

© Arbre d’Or, Genève, octobre 2004


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