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Medsci 20163211 P 919

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médecine/sciences 2016 ; 32 : 919-20

médecine/sciences

ÉDITORIAL
Éditorial
Les défis du microbiote

Patrice Debré

> Le terme microbiote désigne l’ensemble des bactéries qui habitent du microbiote doivent beaucoup aux travaux de Robert
l’homme et cohabitent avec lui, et ce quelle que soit leur localisation Hungate3 sur la digestion fermentative de la panse bovine
anatomique, sur la peau, dans le conduit auditif, les bronches, la [2]. Celui-ci peaufina une série de techniques efficaces et
cavité vaginale, etc. Les recherches sur ces bactéries ont cependant relativement simples à mettre en œuvre pour cultiver des
essentiellement porté sur le microbiote intestinal, parce que c’est bactéries anaérobies. Loin de rester cantonnés au monde de
dans le tube digestif où on en trouve le plus grand nombre, mais l’agriculture et de la médecine vétérinaire, les procédés de
aussi parce que c’est là où leur influence sur la physiologie de l’orga- Hungate diffusèrent dans de nombreux laboratoires, dont
nisme semble déterminante. Il y a 100 milliards de bactéries dans ceux où l’on s’intéressait aux bactéries vivant en symbiose
1 gramme de selles, autant que de cellules qui constituent notre cer- avec l’homme, et ont ainsi participé au regain d’intérêt pour
veau. Entre la bouche et l’anus, sur une surface considérable de près l’étude du microbiote intestinal, qui s’est manifesté dans
de 400 m², plusieurs centaines de milliards de bactéries cohabitent, les années 1960. Parallèlement à ces avancées techniques,
sans compter les virus et les champignons. René Dubos4, convaincu de la diversité microbienne, décrivit
Nul ne peut comprendre le microbiote s’il ne s’est nourri des leçons dans une série de conférences qu’il donna en 1950 la relation
que fournissent les multiples exemples des symbioses, des vies en homme/microbiote comme étant le résultat d’une longue
commun, que la nature procure. En 1868, quelque neuf ans après la coévolution ayant abouti à la sélection de bactéries « pures
publication « De l’origine des espèces » par Charles Darwin, le bota- non-pathogènes » nous protégeant des infections. Si l’équi-
niste suisse Simon Schwendener1 fit une curieuse découverte sur la libre de l’écosystème interne vient à se rompre, leur virulence
nature des lichens : ils réunissent un champignon et une algue verte. se réveille. Mais ce concept d’écosystème était encore au
Axée sur la compétition entre espèces, la théorie darwinienne trouve cours de ces années-là impossible à explorer : la plupart des
ici un contre-exemple, à moins d’admettre que la sélection naturelle bactéries échappaient aux techniques de culture tradition-
s’exerce également sur leurs associations. À côté de l’interaction qui nelles et on sait aujourd’hui que ces techniques d’étalement
tue, le parasitisme, il en est une autre qui protège, la symbiose2. La sur milieu de croissance n’identifient pas plus de 20 % à
vie n’existe que parce qu’elle est partenariale. L’un des principaux 30 % des bactéries du microbiote. Ce n’est qu’à partir des
moteurs de l’évolution est représenté par la coévolution. Le micro- années 2000 que la croissance exponentielle des capacités
biote en représente un magnifique exemple [1]. de séquençage a laissé entrevoir une nouvelle solution, celle
À la question de savoir pourquoi chercheurs et médecins n’ont pris d’établir un catalogue global des séquences génomiques des
que très récemment conscience de l’importance du microbiote, populations microbiennes à partir de leur analyse après PCR.
beaucoup affirment que le retard conceptuel s’explique par les dif- La métagénomique2 a bouleversé la vision du microbiote en
ficultés technologiques. Jusqu’à une époque récente, il était en effet donnant une assise objective et scientifique à des concepts
impossible de caractériser les populations bactériennes intestinales que certains pionniers avaient défendus sans parvenir à se
impropres à la culture sur les milieux usuels, notamment parce que faire entendre. Elle a confirmé l’importance numérique de
la plupart d’entre elles sont rapidement détruites au contact de ces populations bactériennes, leur diversité et leur richesse
l’oxygène. L’histoire du microbiote n’est pas l’histoire d’une décou- fonctionnelle. Il est frappant de constater que, par son ana-
verte, mais celle d’une conquête patiente, progressive, nourrie de lyse de groupe, la métagénomique entre en résonance avec
concepts et de technologies imaginés dans différentes disciplines. le concept d’écosystème tel que le défendait René Dubos ou
Les premières expériences reposent sur des modèles d’animaux Robert Hungate.
axéniques2 et faisaient suite à une remarque de Louis Pasteur qui La bouche héberge plus de 320 espèces différentes de bacté-
formulait l’hypothèse qu’un animal ne peut vivre sans microbes. ries commensales. Plusieurs millions de germes sont présents
Parmi les expérimentations qui vont suivre, les caractérisations 3
Robert Hungate (1906-2004), microbiologiste ; il est le premier à avoir pu cultiver des
bactéries anaérobies grâce à une méthode fondée sur l’utilisation d’agarose coulé en
1
Simon Schwendener (1829-1919) est un botaniste suisse spécialiste des lichens. Il décrit pour la tube, méthode qu’il publia en 1973 [2].
première fois la coexistence d’un champignon et d’une algue au sein des lichens et émet l’hypo- 4
René Dubos (1901-1982), médecin et biologiste français naturalisé américain ; il s’est
thèse qu’il nommera la « dual hypothesis » en 1868. intéressé aux relations entre bactérie et hôte et est en partie à l’origine de la décou-
2
Voir Glossaire page 922 de ce numéro. verte des antibiotiques.

m/s n° 11, vol. 32, novembre 2016 919


DOI : 10.1051/medsci/20163211001

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par millilitre de salive. De nombreuses bactéries ainsi piégées simple caractérisation de modification des flores intestinales
et avalées gagnent l’œsophage puis l’estomac dont l’acidité a dans diverses situations pathologiques, il s’agit de dépasser de
sélectionné Helicobacter pylori. Mais c’est en aval du tractus simples corrélations pour comprendre l’influence de la dysbiose
digestif que résident la plupart de nos bactéries. Dans la dernière et des métabolites, qui pourraient en être responsables. En même
partie de l’intestin grêle, l’iléon, vit une population plus impor- temps que l’étude des interactions normales et pathologiques
tante de microbes, de l’ordre de 108 bactéries par gramme de entre l’homme et ses bactéries commensales, de nombreuses
matière, qui fait de ces dernières la part essentielle de ce qu’on recherches agro-alimentaires se poursuivent aujourd’hui pour
peut y trouver. La flore y est encore mal définie, car son exa- trouver les aliments du futur qui nourriront nos bactéries et
men nécessite des prélèvements par chirurgie ou intubation ; sa influenceront leur distribution. Probiotiques, prébiotiques,
diversité est cependant proche de celle observée dans les selles. xénobiotiques, transplantations fécales, qui sont également
Le côlon vient ensuite, long de 1,5 mètre, où se concentre la présentés dans ce numéro, sont autant de moyens pour modifier
majeure partie des bactéries de notre tube digestif. La diversité notre microbiote et ainsi, possiblement, prévenir ou guérir les
des bactéries du côlon est colossale et leur nombre considérable, pathologies dont il pourrait être responsable.
mille fois supérieur à leur concentration dans l’iléon. La moitié Une analyse rigoureuse des mécanismes moléculaires et cel-
de la matière qui constitue les selles correspond à des bactéries. lulaires de la symbiose et des interactions entre bactéries
Seules subsistent les anaérobies strictes. commensales et pathogènes pourrait ainsi faire naître de nou-
Le microbiote intestinal est unique et propre à chacun de nous, veaux espoirs thérapeutiques. Une meilleure gestion de la flore
même s’il comporte une grande diversité. Deux grands groupes intestinale devrait permettre de mieux contrôler nombre de
bactériens dominent : les firmicutes et les bactéroïdes. Les deux maladies métaboliques comme l’obésité, le cancer, les troubles
tiers des espèces intestinales dominantes qu’héberge chaque du comportement ou les pathologies inflammatoires. C’est là
individu adulte, lui sont totalement spécifiques, le tiers restant un nouveau paradigme en microbiologie, qui devrait intéresser
étant plus ou moins partagé selon les individus. Ces populations toutes les sciences de la médecine et de la biologie, qui devrait
sont acquises au cours de la vie. Le nouveau-né naît stérile, sa de fait favoriser une approche pluridisciplinaire, associant la
condition in utero. Son intestin est colonisé de façon rapide et métagénomique aux sciences sociales, la culture cellulaire à
massive par un microbiote relativement simple qui dépendra l’immunologie, les maladies infectieuses à l’étude du métabo-
d’ailleurs de l’accouchement par voie naturelle ou césarienne. lisme énergétique. En effet, l’étude de l’écologie microbienne
L’environnement, le type d’alimentation, lactée en particulier doit concilier une approche environnementale, qui inclut les dif-
dans le premier âge, et l’antibiothérapie influenceront par la férentes populations et territoires du monde, à une exploration
suite sa composition. des niches endogènes. L’homme, loin d’être une exception de la
Le microbiote a deux principales fonctions : la dégradation par les nature, doit son existence aux microbes, acteurs primordiaux des
bactéries des aliments que leur hôte ne peut digérer, contribuant processus évolutifs du vivant. ‡
à lui fournir de l’énergie, notamment en dégradant l’amidon et The microbiota’s challenges
les fibres végétales, et des vitamines ; le développement des sys-
tèmes de reconnaissance du système immunitaire, posant le pro- LIENS D’INTÉRÊT
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées
blème de sa tolérance, modifiant le concept du soi et du non-soi,
dans cet article.
pour l’adapter à la reconnaissance des signaux du danger.
Au-delà de son rôle en physiologie, l’étude d’un certain nombre
de pathologies dites non transmissibles révèle que le microbiote
est sans doute responsable, au moins pour une part, de leur P. Debré
apparition. Obésité, cancer, troubles du comportement, mais Département d’immunologie, hôpital Pitié-Salpêtrière
aussi affections allergiques, inflammatoires et auto-immunes, Centre d’immunologie et des maladies infectieuses de Paris
sont autant de pathologies sous les feux de la rampe pour déceler (CIMI-Paris)
l’origine de leur survenue ou de leur aggravation à travers l’étude université Pierre et Marie Curie (UPMC)/Inserm, UMRS1135
des germes commensaux. La symbiose est aujourd’hui mise en 47-83, boulevard de l‘Hôpital, 75013 Paris, France
cause dans nombre de maladies, sans doute parce qu’il existe des patrice.debre@aphp.fr
conditions particulières de l’hôte pour que les microbes qui vivent
RÉFÉRENCES
en nous deviennent pathogènes. Les Nouvelles et Synthèses de
ce numéro thématique reprennent nombre de ces menaces pour 1. Debré P. L’homme microbiotique. Paris : Odile Jacob, 2015 : 288 p.
tenter de les éclairer. Ces pathologies questionnent toutes le rôle 2. Hungate RE, Macy J. The roll-tube method for cultivation of strict anaerobes.
Bulletins from the Ecological Research Committee 1973 ; 123-6.
des bactéries, de l’inflammation et de l’activation du système
immunitaire, et des facteurs pouvant moduler leur fonction et TIRÉS À PART
composition, comme l’alimentation et l’hygiène. Au-delà d’une P. Debré

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