Communication Interculturelle: Une Introduction
Communication Interculturelle: Une Introduction
Communication Interculturelle: Une Introduction
UNE INTRODUCTION
Manuel
Université TÉLUQ
Université du Québec
Québec (Québec) Canada
2018
Direction pédagogique Paul Bleton
Ce document s’inspire de sa version originale éditée en 2005, produite avec la collaboration de Patrick Guillemet
(spécialiste en sciences de l’éducation, Téluq), Ibrahim Koodoruth (professeur, University of M auritius), S
hamim
Ajaheb-Jahangeer (technologue de l’éducation, Distance Learning, University of Mauritius), Kalpana Das (Institut
interculturel de Montréal), Nanouk Daudelin (auxiliaire de recherche), Jean-Claude Desruisseaux (professeur, UQO),
Guedj Fall (professeur, ENS, Université Cheik Anta Diop, Dakar), Otto Ikome (professeur, Téluq), Emongo L omomba
(Institut interculturel de Montréal), Angéline Martel (professeure, Téluq), Désiré N yela (auxiliaire de recherche),
Christian-Marie Pons (professeur, Université de Sherbrooke).
Tous les droits de reproduction, de traduction et d’adaptation, en tout ou en partie, par quelque moyen que
ce soit, sont réservés.
Édité par :
Université TÉLUQ
Université du Québec
455, rue du Parvis
Québec (Québec) G1K 9H6
Canada
Remerciements
Le projet de ce cours, tel que proposé dans sa forme originale (édition 2005), n’aurait pu aboutir
sans la contribution de nombreux collaborateurs. Que soient remerciées les personnes qui ont par-
ticipé à des titres divers à la conception et à la production de ce cours.
Sur le site web du cours, on trouvera des entrevues avec Claude-Yves Charron (Université du Québec
à Montréal), Lilette David (Mauritius Institute of Education), Michel Dion (Téluq), René Fortin (photo-
graphe),Otto Ikome (Téluq), Honoré Kamany (linguiste), Peter Klaus (Frei Universität, Berlin), Ibrahim
Koodoruth (University of Mauritius), Shamim Ajaheb-Jahangeer (University of Mauritius), Kalpana
Das (Institut interculturel de Montréal), Emongo Lomomba (Institut interculturel de Montréal), Désiré
Nyela (Téluq), Etsianat Ondong-Essalt (Centre DEMETER, Paris), Daniella Police-Michel (University
of Mauritius), Jean Robillard (Téluq), Diane Ruelland (LICEF), Guillaume Saliah (étudiant), Hamadou
Saliah (Téluq), Hamid Salmi (psychiatre, Université de Paris VII), Nazeera Sassa-Jhumka (Collège
de Maurice), Jose Adolfo Segura (CHUM Hôtel-Dieu de Montréal), Monique de Sève (Téluq), Carlo
Sterlin (hôpital Jean-Talon, Montréal), Khaleel Toorabully (poète et écrivain), Yves Winkin (Université
de Liège). La contribution de chacun a beaucoup enrichi le cours. De même, nommons les membres
de l’équipe de production vidéo sous la responsabilité de Michel Dion (qui a aussi été le réalisateur
vidéo), Simon Lavoie, Mathieu Moreau, Sébastien Laplante et Julie Gamache Maher au son et à
l’image.
V
Avant-propos
La coexistence des cultures implique d’imparables conflits de valeurs et des perturbations iden-
titaires. Les difficultés de communication entre cultures notamment, sont souvent le résultat d’un
malentendu culturel. Elles mettent en doute l’atteinte d’un idéal, que l’on croit – peut-être à tort −
être la solution à la problématique de la communication entre cultures : celui de solder les conflits
entre communautés culturelles par des ententes fondées sur des valeurs communes. L’applicabilité
des droits de l’homme, principes établissant un nombre déterminé de droits qui transcendent les
cultures et dont la valeur serait universelle, est un exemple de la difficile coexistence harmonieuse
entre cultures. En effet, plusieurs exemples d’application des droits humains témoignent de la dif-
ficulté d’affirmer des valeurs universelles dans le domaine culturel. Les mutilations génitales des
femmes en constituent un exemple percutant. En Occident, cette pratique est considérée comme
violente et nuisible à la santé. Inversement, dans plusieurs pays d’Afrique, seule la femme excisée y
est considérée comme une vraie femme et peut se marier. Cette réalité sociale à laquelle la femme
est confrontée est plus complexe que le geste de l’excision lui-même. C’est le sens du geste qui est
en cause, sens lié à une tradition et à l’acceptation d’un individu par son groupe. Autre exemple, le
hidjab, souvent considéré comme un symbole d’aliénation féminine en Occident, peut, au contraire,
être un symbole de fierté culturelle pour une musulmane immigrée. Voire s’associer à une forme de
protection de sa dignité ou d’affirmation de soi (croyances spirituelles ou religieuses). Enfin, des
valeurs que l’on défend dans les sociétés occidentales. Bien d’autres aspects, qui obligent à la plus
grande humilité, sont à considérer lorsqu’on porte le regard sur l’Autre.
Si l’entente fondée sur des valeurs communes est utopique, quels objectifs peut se donner la forma-
tion en communication interculturelle? Est-ce s’exercer à la négociation pour l’atteinte du compro-
mis? Développer un intérêt et des moyens pour mieux comprendre l’Autre? Acquérir une meilleure
connaissance de soi par l’Autre? Ou est-ce user de bonnes stratégies pour mieux s’adapter aux
déséquilibres que la rencontre avec l’altérité provoque en nous? Le cours La communication inter-
culturelle : une introduction est un premier contact, exclusivement théorique, avec ces questions et
le domaine de la communication interculturelle. Il suggère certaines réponses, mais surtout, il invite
le lecteur qui s’y intéresse à y répondre lui-même, premier réflexe à développer pour déceler les
problèmes spécifiques à chaque rencontre interculturelle.
Note. – Dans ce document, le générique masculin est utilisé sans aucune discrimination et uniquement dans le but
d’alléger le texte.
VII
Table des matières
Introduction au cours 1
Mise en contexte du cours 4
Les objectifs du cours 5
La structure du manuel 5
IX
Chapitre 3 : Contacts interculturels et champs de pratique :
une introduction 61
3.1. La définition des rôles professionnels dans un contexte
interculturel 63
3.1.1. Le caractère subjectif des identités professionnelles 64
3.1.2. Les nouveaux rôles professionnels en situation de
rencontre interculturelle 65
3.1.3. Autres axes de réflexion sur les milieux professionnels
en contexte de diversité culturelle 71
3.2. Le management interculturel 72
3.2.1. Quelques mots sur la complexité du management
en contexte international 73
3.2.2. Quelques repères théoriques pour prendre en compte
les différences culturelles en contexte de management
international 76
3.3. Le marketing interculturel 79
3.4. Soins de santé 84
3.4.1. Le modèle occidental face au contexte de diversité
culturelle 85
3.4.2. Jusqu’où et comment adapter les soins? 86
3.4.3. L’apport de l’interprétariat médico-social 91
3.5. Sécurité et intervention policière 92
3.6. Enseignement et gestion de classe multiculturelle 96
3.7. Conclusion du chapitre 99
Exercice noté « Analyse d'une communication » 102
X
Identité, intégration et acculturation 115
Identité et pratiques professionnelles 116
Langue et culture 116
Management interculturel 116
Marketing interculturel 117
Notion d’interculturel 118
Théories de la communication 118
Théories de la communication interculturelle 119
Soins de santé en contexte de diversité culturelle 120
Sécurité et intervention policière en contexte de diversité culturelle 120
Stéréotypes, préjugés et identités sociales 121
Travail social et processus d’aide 122
Universalité et diversité culturelle 122
XI
Introduction
Introduction
INTRODUCTION AU COURS
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Pour en savoir plus
1
Introduction
Le premier explora le flanc. Il s’extasia : « Cet éléphant, cette merveille, est un mur, c’est évident. »
Le deuxième palpa l’oreille et prétendit : « Oh, non, cet éléphant dont on parle tant, est un éventail. »
Le troisième caressa la patte et déclara : « Vous vous trompez, cet éléphant est un arbre. »
Le quatrième, auscultant la trompe, opta pour un serpent, tandis que le cinquième prit les défenses pour une lance et s’ex-
clama « Vous dites tous n’importe quoi! »
Enfin, le dernier, qui s’était saisi de la queue, affirma haut et fort : « Mais c’est très simple. L’éléphant n’est rien d’autre qu’une
corde. »
Ils se mirent à discuter, chacun d’eux étant convaincu que son avis était le bon. Un tumulte s’ensuivit et les six aveugles com-
mencèrent à se disputer, chacun refusant d’écouter la description des autres.
Chacun avait, en partie, raison. Mais ils avaient aussi tous tort.
3
Introduction
La confluence des peuples et des cultures qui résulte du processus de mondialisation a créé un
monde où les contacts multiculturels entre les individus se multiplient et où, paradoxalement, les
individus se sentent à la fois plus solitaires et plus solidaires. Notre monde devenu multiculturel
demande un constant effort d’ajustement au pluralisme. Il ne s’agit pas de déterminer si la rencontre
avec l’Autre est souhaitable ou non, bénéfique ou non. Il s’agit plutôt de chercher à rendre utile et
profitable une relation inéluctable.
L’étude des dynamiques interculturelles révèle que le contact avec l’Autre n’est ni un moyen, ni une
fin en soi : il est une donnée dont le sens diffère en fonction des volontés profondes des acteurs.
Aussi, il ne suffit pas de rencontrer l’Autre pour que le préjugé à son égard disparaisse aussitôt,
car l’Autre n’est pas une simple donnée immédiate, mais une réalité que l’on perçoit à travers la
construction de notre propre personnalité culturelle, ethnique et nationale. Ces limites ne révèlent
qu’une partie de la problématique de la communication entre les cultures. C’est pourquoi ce cours
a été développé dans l’intention de présenter et discuter l’expérience des contacts interculturels,
plutôt que d’enseigner des solutions, une manière d’être ou de faire. Pour ce cours d’introduction, il
nous faut un belvédère d’où l’on peut voir l’ensemble du territoire à explorer. L’avantage de ce point
de vue panoramique est de nous fournir une idée suffisamment globale du territoire à étudier avant
de pénétrer plus avant dans sa découverte. Le point de vue qu’offre un belvédère a cependant
l’inconvénient de nous éloigner de l’approche pratique, axée sur l’acquisition immédiate de compé-
tences interculturelles. Dans une intention d’initiation au domaine, le cours formule une réponse à la
question « qu’est-ce que la communication interculturelle? » comme base préalable à l’exploration
de ses nombreux sujets et sous-domaines, de même qu’à sa mise en pratique.
Prenons soin de préciser que l’objet même de l’investigation du cours, c’est-à-dire la pluralité des
cultures envisagée sous l’angle des contacts au sein de la communication, exige une grande sou-
plesse et une grande vigilance, tant de la part des disciplines scientifiques sollicitées pour la com-
prendre que de la personne en situation d’apprentissage. Se situant entre l’universalité et la diversité,
la communication interculturelle est la discipline de l’instabilité même, dans la mesure où elle évolue
dans le territoire de l’une des plus fortes contradictions de ce début de millénaire, de l’une de ses plus
puissantes sources d’anxiété. Aussi, un cours en communication interculturelle implique l’interdisci-
plinarité, car les éléments en cause – psychologiques, sociologiques, linguistiques, ethnologiques,
anthropologiques, etc. – sont nombreux, différenciés et reliés les uns aux autres. À cela s’ajoute une
autre difficulté : l’étude de la communication interculturelle laisse place à des présupposés culturels
qui, à l’insu des scientifiques, risquent d’influencer leurs modèles théoriques.
4
Introduction
➼➼ de prendre conscience de ce qui nous échappe en partie, ou complètement, dans l’acte de com-
muniquer. Notamment en prenant en compte les enjeux identitaires sous-jacents à la rencontre
avec l’altérité;
Ces points précédemment nommés orientent votre lecture. C’est à partir de ceux-ci que nous vous
suggérons d’étudier le domaine tel que profilé dans ce manuel. Les chapitres s’organisent de sorte
que chacun des objectifs précédemment nommés se répètent sous une forme plus spécifique, telle
que décrite à la présentation de la structure du manuel.
La structure du manuel
Mis à part cette introduction, ce manuel comprend cinq autres parties que nous résumons plus bas
à partir de leurs principaux contenus :
5
Introduction
Cette partie s’attarde à définir les principales notions qui délimitent le concept de communication
interculturelle. On y précise le point de vue à partir duquel nous abordons certaines notions dans le
cadre spécifique de ce cours : « interculturel », « communication », « culture » et « identité cultu-
relle ». Elle vise à développer votre capacité de définir correctement ces notions en vue de mieux
vous situer par rapport aux théories de la communication interculturelle.
Cette partie présente une série de perspectives théoriques qui expliquent le phénomène de ren-
contre entre deux cultures. Ces théories permettent de prendre conscience des difficultés rela-
tives à la rencontre interculturelle et de la complexité de l’échange. Plus spécifiquement, elle dirige
votre attention sur les processus à l’œuvre lors de la rencontre avec l’altérité, de même que sur les
variables culturelles de la communication.
Dans cette partie sont reprises des notions fondamentales de la communication interculturelle telles
que les enjeux identitaires et les obstacles à la communication. Toutefois, celles-ci sont appliquées
à des exemples types de contacts interculturels. Tout en proposant une révision des notions de base
étudiées depuis des points de vue particuliers, cette partie propose des sujets de réflexion et des
sources documentaires pour les professionnels qui souhaitent enrichir leurs pratiques.
En guise de conclusion, la quatrième partie résume le parcours théorique du cours en reprenant des
notions qui relèvent de la compétence interculturelle, ce qu’il sera utile de se rappeler pour s’exercer
au dialogue entre cultures et poursuivre la réflexion sur les défis de la rencontre interculturelle.
La dernière partie, que l’on nomme la rubrique « Pour en savoir plus », revêt une forme utilitaire et se
veut un support à l’approfondissement des connaissances préalablement présentées. En complé-
ment aux ressources mises en ligne sur le site web du cours, elle contient un répertoire de sources
documentaires classées par thèmes, répertoire que l’on pourra consulter en vue de parfaire ses
connaissances en communication interculturelle. Cette partie sera d’une aide substantielle lors de
la réalisation de votre examen de compréhension. En complément également, se trouvent les exer-
cices pratiques suggérés tout au long de la lecture du manuel.
6
chapitre 1
chapitre 1
Introduction au cours
1
NOTIONS DE BASE EN COMMUNICATION INTERCULTURELLE
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Pour en savoir plus
7
chapitre 1
La culture est une prise de conscience par l’individu de sa personnalité d’être pensant, mais aussi de ses rapports avec les
autres hommes et avec le milieu naturel. De telle sorte qu’un homme cultivé est un homme qui se conçoit et qui, en même
temps, se situe; ce n’est pas un anarchiste, ce n’est pas un individu isolé, il est membre de sa collectivité, il est membre
de l’univers, il est membre de l’espèce humaine; il a des rapports avec la terre, avec les autres hommes et il cherche à les
connaître. Dans ces conditions, la culture est une conception personnelle de la vie en tant que conçue par un individu.
T
el que précisé en introduction, cette partie s’attarde à définir les principales notions qui délimitent le
concept de communication interculturelle. Faites-en une étude attentive en vue d’intégrer les limites
de leur définition. Vous serez ainsi en mesure de vous situer par rapport au domaine avant d’étudier
ses problématiques.
Une controverse déjà ancienne sur le concept « interculturel » est de savoir si celui-ci devrait être réservé aux phé-
nomènes relevant spécifiquement du contact entre des personnes ou des groupes d’origines culturelles diverses,
ou s’il peut relever d’une définition plus vaste. […] lors de la fondation de l’Association pour la recherche inter-
culturelle (ARIC) en 1984 1, une définition large a été retenue, basée entre autres sur celle de l’UNESCO. Dans
l’introduction des actes du premier congrès de l’ARIC, Dasen et Retschitzki (1989) 2 présentaient la recherche
interculturelle de la façon suivante :
On peut distinguer deux approches complémentaires dans la recherche interculturelle. Premièrement, l’étude de
la diversité culturelle, avec ou sans comparaison explicite entre les cultures, permet de mieux comprendre l’en-
semble des sociétés humaines, et par le miroir de l’altérité, de mieux comprendre sa propre société. Dans les
sciences humaines, une méthode comparative permet de remettre en question des théories établies dans un
contexte particulier, mais trop souvent considérées a priori comme universelles. D’autre part, dans le monde
actuel, les contacts entre groupes culturels se multiplient, dans des situations et pour des raisons fort diverses.
Une grande partie de la recherche interculturelle porte sur l’ensemble des phénomènes liés à ces contacts.
2. Dasen, P. R. et Retschitzki, J. (1989). Recherches interculturelles : Une association, un colloque. Dans C. Clanet (dir.), Socialisations
et cultures (p. 9-16), Toulouse : Presses Universitaires du Mirail.
9
chapitre 1
Dans le cadre de ce cours, nous définirons le terme « interculturel » comme tout ce qui concerne
les rapports entre les cultures, c’est-à-dire « l’étude des processus mis en jeu par la rencontre de
personnes d’origines culturelles différentes, ou se réclamant de deux ou de plusieurs cultures »
(Dasen, 2002, p. 11). Pour compléter cette définition, citons quelques mots de Azra (2002, p. 48),
pour préciser le sens que l’on accordera à cette notion :
Une situation interculturelle est une situation dans laquelle deux personnes ou deux groupes de personnes parta-
geant des habitudes et des connaissances différentes entrent en interaction. Cette interaction peut rencontrer des
écueils du fait justement que ces habitudes et ces connaissances sont inconscientes ou semi-conscientes et parce
que les habitudes et les connaissances de « l’autre » ne sont pas, ou mal, perçues et comprises. L’un des objectifs
possibles de l’étude des situations interculturelles est de rendre conscient ce qui ne l’était pas ou pas complè-
tement, ce qui permet de mieux comprendre sa propre culture et celle de « l’autre », et de dépasser ces écueils.
Le multiculturel met l’accent sur la séparation. Elle a ses avantages et ses inconvénients. Le multiculturalisme
prétend que chacun peut demeurer ce qu’il est mais se garde bien de comparer les niveaux de protection réci-
proque. Parfois, il reconnaît la nécessité des discriminations positives.
Le transculturel met l’accent sur un travail d’unification. Le transculturalisme souligne que nous pouvons deve-
nir ensemble sans préciser qui devient plus que l’autre.
Enfin, l’interculturel met l’accent sur l’échange. L’interculturalisme a souvent pris des allures d’angélisme en se
détournant des violences extrêmes persistantes.
Multiculturel, interculturel, transculturel sont les pôles opposés, complémentaires, d’une régulation ternaire des
rencontres, des relations, des coopérations humaines. […] sous la triade « multiculturel, transculturel, intercultu-
rel », est à l’œuvre une fonctionnalité antagoniste et profonde de l’expérience humaine qui peut s’exprimer sous
les termes « séparation, réunion, échange ».
10
chapitre 1
r elatives à cette notion : la communication verbale et la communication non verbale. Avant de définir
ces deux dimensions, nous prendrons soin de nommer des aspects fondamentaux de l’acte de
communiquer :
➼➼ La communication, conçue comme acte social, est une entrée en relation. Pris dans une interac-
tion sans l’avoir préconçue, nous devons pouvoir lui trouver une cohérence : communiquer, c’est
disposer des cadres donnant un sens à l’expérience, et ces cadres varient d’une personne à une
autre. De ce fait, l’interprétation d’une communication ne peut se faire hors contexte.
➼➼ Cette interaction est influencée par plusieurs facteurs qui affectent notre compréhension du sens
du message (sonorité de la voix, représentations psychiques du sujet et de son interlocuteur, envi-
ronnement, gestuelle, etc.). Ce qui signifie que les récepteurs évoluent dans un tissu relationnel
organisé faisant obstacle à l’impact voulu du message. Autrement dit, le caractère complexe de
l’auditoire, tant socialement que psychologiquement, réduit la portée potentielle des messages.
➼➼ La communication interculturelle, conçue à partir de ses réussites et ses échecs, est à la fois un
acte de coopération et de fragilité.
La communication verbale est un mode d’échange qui peut nous sembler évident, dont on a d’em-
blée conscience, dans la mesure où elle s’effectue par le biais d’un support linguistique. On peut
penser que les mots et leur assemblage suffisent à assurer la clarté auprès de l’interlocuteur. Ce qui,
très souvent, nous empêche de prendre conscience d’un mécanisme essentiel du processus de la
communication, soit la rétroaction, qui permet de vérifier la réception du message et de procéder
aux ajustements nécessaires en cas de mauvaise transmission de l’information contenue dans ce
message. Le principe de rétroaction en communication, communément appelé « feedback » en
anglais, se définit comme une réponse du receveur, suite à la réception du message émis par
l’émetteur. Cette réponse peut être verbale, non verbale, ou combiner ces deux modes. Ce principe
permet à l’émetteur de valider la réception de son message, voire d’en valider la compréhension.
Pour le récepteur, sa réaction permet d’influencer le but ou le résultat de l’échange. Résultat qui,
inversement, subit l’influence de l’émetteur qui produira à son tour une rétroaction. Ce principe fait
de la communication un processus d’échange non linéaire, permettant à l’émetteur et au récepteur
d’interchanger leurs rôles et d’influencer la finalité de l’échange. Cette dynamique rétroactive met
en évidence l’importante quantité de réponses et de questions pouvant être générées à partir d’une
information. Celle-ci étant dépendante de l’interprétation des interlocuteurs.
11
chapitre 1
Rétroaction
➼➼ Même les mots les plus simples comme « répondre », « dormir », « être fatigué(e) », « travailler »,
« vacances », « passe-temps », etc., ne sont jamais dans une langue les simples traductions de
leurs équivalents dans une autre langue : ils renvoient à des comportements quotidiens souvent
radicalement différents.
➼➼ Parce que ces mots ont des connotations différentes, les attentes conversationnelles ou commu-
nicatives qu’ils véhiculent ne sont pas les mêmes. Elles renvoient à des représentations sociales
différentes qui appellent des questions, des réponses, des commentaires, des réactions de types
différents.
« On dit souvent que «pour comprendre la langue, il faut comprendre la culture». En effet cette
culture se cache dans chacune de nos manières de dire les choses » (Azra, 2002, p. 50). Ainsi, pour
une jeune fille congolaise, dans sa langue, le kikongo, on nomme par un même mot le père et l’oncle
maternel. À Montréal, la formule de politesse « s’il-vous-plaît » suivra une demande, alors qu’à
Bruxelles, on pourra l’utiliser comme équivalent de « Je vous en prie » ou « Avec plaisir ». Ce qui
signifie qu’outre la maîtrise du code linguistique, les locuteurs doivent tenir compte du contexte qui
entoure la communication pour en rentabiliser au maximum le processus. Dans une relation aussi
rudimentaire que le marchandage, par exemple, Edward T. Hall (1984) a montré que chacune des
3. Se réalise à travers plusieurs canaux tels que le ton de la voix, les gestes, etc.
12
chapitre 1
deux parties doit comprendre les spécificités locales de la communication. Ainsi, pour l’Américain
voulant négocier dans un bazar arabe, la projection du schéma de marchandage basé sur la for-
mule « Quel pourcentage du prix demandé dois-je verser? » s’avérera parfaitement inadéquate, son
partenaire ayant un schéma de marchandage fondé sur la connaissance d’un prix pivot.
Concluons que la communication entre deux cultures, même en partageant la même langue, n’est
pas aisée et nous tend de nombreux pièges qu’il faut savoir reconnaître dans l’exercice de nos
échanges, aussi complexes soient-ils. Le principe de rétroaction ainsi que le contexte sont des élé-
ments fondamentaux qui définissent un échange verbal et qui permettent aux interlocuteurs d’éva-
luer la conversation avec un peu plus d’objectivité.
D’après Birdwhistell (1970 : voir Chen et Starosta, 1998), 65 % de la communication humaine est
non verbale et, d’après Mehrabian (1972 : voir Chen et Starosta, 1998), dans une communication
de personne à personne, c’est environ 93 % du sens qui est transmis par des indices non verbaux.
Ces statistiques montrent que l’expression non verbale joue un rôle majeur dans la communica-
tion et que la parole, comme le soulignent Hall et Hall (1990), est loin d’être le premier véhicule
d’un message. La littérature sur le sujet propose une classification en six catégories : kinésique,
proxémique, chronémique, olfactique, haptique et paralinguistique. Les expressions faciales, les
gestes et postures, le contact par les yeux, les rapports de proximité physique – pour ne nommer
que ceux-ci – sont tous autant de facteurs qui, selon les codes culturels et l’expérience individuelle,
donnent un sens au message.
Ignorer l’importance de la communication non verbale équivaut à passer à côté de quantité de mes-
sages émis en situation de communication, notamment de communication interculturelle. La plupart
des gestes sont liés à la culture, qui constitue un des lieux d’expérimentation par excellence du prin-
cipe de la relativité : des différences s’observent d’une culture à l’autre. C’est d’ailleurs ce que nous
laissent observer Licata et Heine (2012, p. 265) en prenant pour exemple les gestes de salutation :
… en Inde, il est fréquent de se saluer par le « namasté », en plaçant les mains jointes en position de prière sur
la poitrine et en s’inclinant légèrement. Dans certaines régions d’Amérique latine, par contre, les personnes se
saluent avec un « abrazo », il faut alors serrer la personne dans ses bras et lui donner des tapes chaleureuses
dans le dos. Ainsi, simplement pour se dire bonjour, la distance interpersonnelle, le fait de se toucher ou pas, et
la position du corps peuvent différer complètement d’un groupe culturel à l’autre.
13
chapitre 1
Aussi des gestes différents peuvent-ils avoir la même signification dans plusieurs cultures et, à l’in-
verse, des gestes semblables avoir des significations différentes. Ceci, en situation interculturelle,
peut engendrer des malentendus. Pour mieux saisir ces subtilités du langage qui nous échappent
faute de connaissance suffisante de notre interlocuteur, citons quelques exemples :
Le contact par les yeux, dans certaines circonstances, peut être une marque d’affection, de respect. Si tel est le cas
aux États-Unis, c’est tout le contraire dans plusieurs pays d’Asie où le contact par les yeux est considéré comme
inconvenant, voire insultant. En contrepartie, les femmes américaines se sentiraient mal à l’aise quand un homme
les fixe, comportement courant en Italie…
La représentation de l’espace
Selon Hall dans La dimension cachée (1984), l’Allemand, contrairement à l’Américain, n’observe pas les mêmes
codes proxémiques. En effet, l’une des règles proxémiques en vigueur aux États-Unis stipule que parler à quelqu’un
en se tenant au seuil – donc à l’extérieur – de son bureau ou de sa maison ne signifie nullement qu’on a pénétré
le territoire de cette pièce. L’Allemand considère que se tenir au seuil d’une pièce et avoir la possibilité de regarder
à l’intérieur est une intrusion inacceptable, même si elle n’est que visuelle.
L’odeur
Les Américains, en quête d’un univers olfactif neutre, essayent de les éliminer à l’aide de savons, parfums, déo-
dorants, rince-bouche, lotions, détersifs, détergents. À l’opposé, mentionnons l’importance que revêt l’odorat,
notamment l’haleine, dans les relations interpersonnelles chez les Arabes.
Le toucher
Jourard (1968) a compté le nombre de contacts par heure effectués par des couples dans des cafés de différentes
villes. Ses résultats parlent d’eux-mêmes : 180 contacts à San Juan (Porto Rico), 110 à Paris, zéro à Londres,
deux à Gainesville (Floride, États-Unis). Pour Vargas (1986), si les Américains sont peu tactiles, les Anglais,
les Canadiens anglais, les Allemands le sont encore moins, et les Japonais les moins de tous. À l’inverse, les
Français, les Canadiens français, les Italiens, les Espagnols, les Russes, les Latino-Américains et les Asiatiques
du Sud-Est seraient beaucoup plus tactiles. Autres exemples, en Espagne et en Amérique du Sud, deux amies
peuvent se promener en se tenant le bras et les hommes peuvent se toucher au bras et à l’épaule pendant la
conversation. Dans le monde occidental notamment, les femmes s’embrassent et s’enlacent plus volontiers, rom-
pant ainsi cette mise à distance par les mains en société (Grafeille, Bonierbale et Chevret-Meaggon, 1993). Dans
le monde asiatique, en Thaïlande et au Laos, il est malvenu de toucher la tête d’un enfant. En effet, la tête étant
considérée comme le lieu où réside l’esprit, et l’enfant n’étant pas encore assez fort, on craint que le toucher à la
tête puisse le rendre malade.
La communication non verbale, pour être bien cernée, ne peut être envisagée qu’en fonction de sa
double articulation : à la communication interculturelle d’une part, et à la communication verbale,
d’autre part. La bivalence de la communication non verbale vient surtout de ce qu’elle est, comme
la communication verbale, polyphonique (plusieurs canaux fonctionnant en même temps, ils ne
donnent pas tous, forcément, le même message), de ce qu’elle fonctionne à la fois en opposition et
14
chapitre 1
En pratique, cette prise de conscience de l’acte de communiquer en situation interculturelle signifie être capable :
–– de reconnaître un fait de communication;
–– de saisir les composantes de la communication polyphonique, c’est-à-dire tenir compte de la multiplicité et de
la simultanéité des canaux de communication;
–– de s’y retrouver face aux perturbations que crée la réception;
–– de voir la complexité et la fragilité des processus communicationnels fondant la vie sociale.
POUR S’EXERCER
Consultez l’exercice « Les sens des gestes » à la section des exercices facultatifs. Tentez d’associer les
multiples sens à un même geste en prenant pour exemples huit gestes communs de la gestuelle des
mains.
15
chapitre 1
induisant vis-à-vis de ces stimuli des attitudes, des représentations et des comportements com-
muns valorisés, dont ils tendent à assurer la reproduction par des voies non génétiques » (p. 27).
Ce que nous pouvons retenir de cette définition quelque peu complexe, c’est que la culture serait
une combinaison de réponses aux stimuli d’un environnement donné, transmises et renforcées au
sein d’un groupe. Nuançons davantage en citant les propos de Kluckhohn et Strodbeck (1961) qui
définissent la culture comme l’ensemble des conceptions créées par l’homme en vue de simplifier
son existence. Aussi bien implicites qu’explicites, rationnelles qu’irrationnelles, ces conceptions
auraient existé de tout temps comme autant de balises pour orienter le comportement humain.
Pour sa part, Malinowski (1968) adopte un point de vue fonctionnaliste pour définir la culture. Il
affirme que la culture vise à répondre à un ensemble de besoins : besoins élémentaires, tels que
les liens avec la parenté et l’hygiène; besoins dérivés, tels que l’économie, le contrôle social ou
encore l’organisation politique; besoins intégrants, enfin, qui concernent les moyens symboliques
et le langage. Enfin, selon le philosophe et théologien Raimon Panikkar (1998, p. 109), nombreuses
sont les définitions de la culture qui
… disent que la culture est constituée par les rites, coutumes, opinions, idées dominantes et formes de vie
qui caractérisent un peuple à une époque déterminée [...]. Tout cela, nous le résumons dans le mot mythe,
entendu comme symbolisant ce en quoi nous croyons de manière si totale, que nous ne nous rendons même
pas compte que nous y croyons [...]. Le mythe nous offre, en effet, l’horizon d’intelligibilité où nous avons
besoin de situer toute idée, toute conviction ou tout acte de conscience pour que ces derniers puissent être
captés par notre esprit [...]
Dans les aires culturelles non occidentales, il n’est pas certain qu’on rencontre des mots ayant tout
à fait ces mêmes sens. En Afrique centrale, par exemple, la langue lingala possède deux mots
aux sens proches de notre mot culture : bonkoko, qui signifie « héritage ancestral ou tradition », et
bizaleli, qui désigne à la fois « le savoir, le savoir-faire, le savoir-vivre, le savoir-être et les modes de
transmission, les croyances, les valeurs, etc., propres à un groupe ». Dans l’aire culturelle indienne,
beaucoup de langues traduisent le mot anglais « culture » par le mot samskriti. Étymologiquement,
le mot samskriti se divise en trois parties : (a) sams, qui veut dire « collectif », (b) kr, qui veut dire
« actions ou choses faites », et (c) kriti, qui veut dire « continuité ou transmission des choses
faites ». Ainsi, le mot samskriti sert généralement à désigner « le savoir, le savoir-faire et le savoir-
être accumulés à travers les âges et qui continuent d’être transmis d’une génération à l’autre ».
Cette conception se rattache à une vision du monde propre à l’Inde où l’homme est intimement lié
au reste de l’Univers et où, conséquemment, tout ce qui est humain (y compris le savoir, le savoir-
faire et le savoir-être) s’inscrit dans l’ordre et la sagesse du cosmos et de la nature. Le mot samskriti
comporte donc une dimension dynamique où l’humain est à la fois un véhicule de l’ordre et de la
sagesse naturels et cosmiques, et un véhicule entre les générations. Cette conception de la culture
n’est pas si loin de l’idée de Camilleri selon laquelle la culture est constamment recréée par rapport
à l’environnement d’un groupe ou d’un individu. Par contre, en français comme en anglais, le terme
culture ne contient pas explicitement de référence au passé transmis, valorisé et vécu au quotidien.
Alors qu’en Afrique centrale et en Inde, entre autres, la notion de culture n’est pas anthropocentrique
au sens occidental de « sujet qui prend l’initiative historique ici et maintenant » : elle y est plutôt
centrée sur le groupe incluant, au présent, les générations passées et à venir.
16
chapitre 1
Dans le cadre de ce cours, nous aborderons la culture à partir des notions de partage et de trans-
mission au sein d’un groupe des savoir-faire et de l’identité collective, en soulignant le fait que la
culture est toujours liée à un temps et à un lieu. Et comme les temps et les lieux changent, la culture
change aussi. Nous pourrons affirmer que la culture comporte un ensemble de balises à tout com-
portement humain. Aussi, nous retiendrons les aspects suivants :
➼➼ La notion de culture touche à l’identité d’un groupe. C’est d’abord à l’intérieur d’un groupe que
s’apprend, se partage, se transmet une culture, même si celle-ci s’exprime par l’entremise des
individus. Ce groupe est toujours situé dans l’espace et possède une durée dans le temps.
➼➼ La notion de culture réfère également à un système par lequel un groupe se donne les moyens de
répondre aux sollicitations et aux problèmes que lui pose son environnement. De ce fait, toutes
les cultures ne développent pas les mêmes comportements ni les mêmes technologies, elles
ne génèrent pas non plus les mêmes conceptions, les mêmes croyances, etc. Compte tenu de
cette réalité, on peut supposer qu’il est difficile d’intégrer en partie ou en totalité une culture venue
d’ailleurs au sein d’un groupe vivant dans un environnement à l’égard duquel il a développé une
culture distincte.
Pour conclure, ajoutons que ces définitions s’inscrivent dans le débat toujours ouvert entre les
auteurs de divers courants et disciplines scientifiques à propos de ce qu’est la culture. Les défini-
tions de la culture varient selon les époques, les auteurs, les disciplines scientifiques, les courants
de pensée, les aires culturelles, les langues vernaculaires, pour ne nommer que ces variables.
17
chapitre 1
ou tel, dans sa singularité) sont inséparables, la question étant généralement de savoir comment tel ou tel com-
portement ou croyance peut se comprendre à partir des appartenances collectives et de la manière dont celles-ci
sont vécues, intériorisées par telle ou telle personne. (Hersent, 2003, p. 1)
En d’autres mots, l’identification de soi et de l’Autre n’est pas tant une simple dynamique d’alliances
(similitudes culturelles) et d’oppositions (différences culturelles). Il s’agit d’un exercice ardu que de
pouvoir se définir en tant que personne et en tant que collectivité, de dissocier le « je » du « nous ».
Le problème de l’identité commence quand on parle de moi. Qui suis-je? Celui que je crois être, ou celui que
l’autre dit que je suis? Moi qui me regarde ou moi à travers le regard de l’autre? Mais quand je me regarde, puis-je
me voir sans un regard extérieur qui s’interpose entre moi et moi? N’est-ce pas toujours l’autre qui me renvoie
à moi? Et puis, on n’est pas seul. On vit en société, pour aussi sauvage que l’on soit. On vit en groupes, on se
définit à travers eux et en quelque sorte on leur appartient, du moins en partie. Et alors, se pose de nouveau la
question : qui suis-je dans le groupe, ou plus exactement, que suis-je dans le groupe, passant de l’état de sujet à
celui d’objet? Si je suis, en partie, ce qu’est le groupe, quel est-il, lui? Se définit-il en lui-même, par ce qui lui est
imposé ou par opposition à d’autres groupes? (Charaudeau, 2009, non paginé).
Dans un contexte d’étude de l’interculturel, les questions identitaires intègrent des notions spéci-
fiques au domaine, tel que le choc culturel et le processus d’acculturation. Ces notions seront
présentées dans cette section, après les concepts identitaires collectifs et individuels.
L’identité individuelle se développe en interaction avec autrui et avec soi-même. Elle est le produit
de socialisations successives antérieures, incluant les expériences vécues dans une situation nou-
velle. Elle est construite, c’est-à-dire qu’elle évolue sans cesse, en interaction avec le milieu. Elle est
énoncée par ce que les autres croient et pensent de nous, ou voudraient que nous soyons, selon
quelques éléments courants d’identification. De même, l’identité est auto-énoncée par ce que l’on
croit être, par les critères que l’on retient pour se définir, par ce que l’on présente ou cache à autrui
selon le contexte et la situation, et aussi par ce que l’on ne veut pas être. L’ensemble de tous
ces critères contribue à définir un individu, en même temps qu’une volonté d’existence nourrie
par un sentiment interne d’unité, de cohérence, d’appartenance, de valeur, d’autonomie et de
confiance (Citeau et al., 1999, p. 144-145). En plus de son noyau identitaire culturel (l’ensemble
des croyances, normes et valeurs véhiculées par la société à laquelle un individu appartient) et les
croyances, normes et valeurs propres à un groupe particulier, l’identité individuelle se complète à
partir des sensations et perceptions provenant des expériences propres de l’individu. C’est autour
de ce savoir organisé (culturel, groupal, individuel), que se construit le sentiment d’identité.
L’identité subjective de l’individu conscient de lui-même (identité pour soi) a un contenu symbolique
socialement produit. D’autre part, l’identité objective de l’individu (identité pour autrui) est celle que
le monde extérieur lui impose et qu’il expérimente comme une réalité objective. La discontinuité, les
18
chapitre 1
tensions et les conflits entre ces deux modes de l’identité marquent les étapes de la socialisation.
Les ruptures vécues entre l’identité subjective et l’identité objective favorisent des processus de
conversion, de déstructuration/restructuration des identités (Laperrière, 1996).
L’identité collective regroupe plusieurs types d’identités telles que l’identité sociale ou l’identité poli-
tique. L’identité culturelle en fait partie, et inclut parfois l’identité ethnique4, mais désigne aussi une
conception plus large de la culture englobant d’autres traits, intérêts, connaissances ou comporte-
ments partagés, comme par exemple la culture gay, la culture hip-hop, etc. (Licata et Heine, 2012).
De façon très simple − et peut-être même simpliste − l’identité culturelle peut être définie comme le processus
grâce auquel un groupe d’individus partageant une manière partiellement commune de comprendre l’univers,
d’agir sur lui et de communiquer ses idées et ses modèles d’action, prend conscience du fait que d’autres individus
et d’autres groupes pensent, agissent et (ou) communiquent de façon plus ou moins différente de la sienne. (…)
L’identité culturelle serait la somme de tous les traits caractérisant le mode de vie et la vision du monde d’un peuple
quelconque. (Dorais, 2004, p. 5)
La question identitaire adhère au principe qu’il faut se connaître soi-même pour mieux aller à la
rencontre des autres. Et inversement, c’est la rencontre des autres qui nous permet de mieux nous
connaître. Être en contact avec la différence oblige à revoir certaines valeurs et croyances, voire
certains préjugés face à des groupes culturels. La rencontre interculturelle est donc une occasion
d’observer l’Autre et de mieux le comprendre, mais aussi de s’observer soi-même et de mieux se
comprendre.
Lorsque j’ai été invité à faire une intervention dans un groupe de travail sur l’enseignement du français qui réunis-
sait des enseignants britanniques, allemands et français, ma première question a été de leur demander pourquoi il
n’y avait pas, dans ce groupe, des Espagnols, des Italiens et des Portugais. La réaction fut unanime de la part des
Allemands et des Anglais : « Parce que vous les Français, vous représentez toute la latinité ». Mon étonnement
fut si grand, que je restais un moment sans voix, puis me contentais de répondre « Eh bien, je demanderais à nos
amis Espagnols, Italiens et Portugais s’ils pensent que les Français les représentent bien ». Mais à partir de ce
jour, s’est opérée au moins une prise de conscience : après tout, nous ne sommes peut-être que ce que l’autre dit
que nous sommes. Et donc, nous Français serions latins pour les Européens du Nord, et Européens du Nord pour
les Européens du Sud. (Charaudeau, 2009)
4. Identité ethnique : Max Weber (1864-1920) – cité par l’Encyclopédie en ligne Universalis − appelle « groupes ethniques » des
groupes humains qui font preuve d’une croyance subjective dans leur ascendance commune, à cause de ressemblances dans
le type physique, dans les coutumes, ou de souvenirs partagés dans l’expérience de la colonisation et des migrations; […] une
ethnie est également une unité d’ordre politique. Pour une définition de l’identité ethnique et pour discuter son usage, on pourra
lire l’article de Catherine Coquery-Vidrovitch, « Du bon usage de l’ethnicité », paru dans Le Monde diplomatique de juillet 1994,
p. 4-5.
19
chapitre 1
–– Initiez-vous à la théorie de l’identité sociale développée par les psychologues Tajfel et Turner (sur les
appartenances d’un individu à un groupe).
POUR S’EXERCER
Dans quelle mesure des aspects de votre personnalité sont-ils personnels, ou influencés par des groupes
sociaux? Consultez l’exercice « Autoportrait culturel » à la section des exercices facultatifs : un question-
naire permet d’entamer une réflexion sur votre personnalité (goûts, croyances, etc.).
Tel que vu précédemment, notre identité se définit toujours par rapport à l’Autre. C’est pourquoi le
choc culturel est une notion indissociable du processus de construction identitaire. La définition du
choc culturel que nous avons retenue est celle de Kalervo Oberg (1901-1973), anthropologue cana-
dien d’origine finnoise, qui aura plusieurs fois abordé la notion de choc culturel (« culture shock »)
dans le cadre de ses travaux et expériences de voyage. Selon Oberg,
Le choc culturel naît de l’anxiété résultant de la perte de toutes les références, indices et symboles qui
jalonnent nos interactions sociales et qui nous étaient familiers. Cela inclut les mille et une façons de nous
adapter aux situations de la vie quotidienne : quand serrer la main et quoi dire lorsqu’on rencontre quelqu’un,
quand donner un pourboire et comment, (…), comment faire des achats, quand accepter et quand refuser une
invitation, quand prendre au sérieux les gens, et quand ne pas le faire. Ce peut être des mots, des gestes, des
expressions faciales, des coutumes ou des normes acquises par nous tous durant notre éducation et qui font tout
autant partie de notre culture que le langage que nous parlons ou les croyances auxquelles nous adhérons. Nous
dépendons de notre paix intérieure et de notre capacité de traiter efficacement ces centaines de références dont, en
grande partie, nous n’avons même pas conscience (notre traduction)5.
Cette expérience, parce qu’elle s’accompagne de perte de repères, est déstabilisante, voire stres-
sante. Pour devenir enrichissante, elle dépend notamment de notre capacité d’adaptation et de
régulation de nos émotions. Ces premières difficultés, une fois surmontées, nous mènent à la
5. “Culture shock is precipitated by the anxiety that results from losing all our familiar signs and symbols of social intercourse.
These signs or cues include the thousand and one ways in which we orient ourselves to the situations of daily life: when to shake
hands and what to say when we meet people, when and how to give tips, (…), how to make purchases, when to accept and when
to refuse invitations, when to take statements seriously and when not. Now these cues which may be words, gestures, facial
expressions, customs, or norms are acquired by all of us in the course of growing up and are as much a part of our culture as the
language we speak or the beliefs we accept. All of us depend for our peace of mind and our efficiency on hundreds of these cues,
most of which we do not carry on the level of conscious awareness”. Dans les Séries reproduites de Bobbs-Merrill dans The Social
Sciences, A-329. Practical Anthropology, no 7, p. 177-182, 1960.
20
chapitre 1
écouverte de soi et de l’Autre, à voir le monde à travers de nouvelles perspectives. Margalit Cohen-
d
Emerique (1984), qui a étudié le choc culturel, l’identité sociale et le choc des valeurs, conclut, à
propos de la difficulté de percevoir les différences culturelles, en soulignant le fait que notre propre
identité socioculturelle constitue un obstacle majeur à la rencontre interculturelle.
Chaque personne est différente et vivra à sa façon son adaptation à son nouveau milieu; toutefois, bon nombre de
gens passent par quatre étapes courantes d’adaptation à leur vie dans un nouveau cadre culturel.
Dans les six mois qui suivront votre arrivée, il se peut que :
–– vous soyez satisfait des défis que vous avez surmontés;
–– vous éprouviez des frustrations, de la confusion et de la déception;
–– vous ayez une attitude très positive un jour, et très négative le lendemain;
–– vous portiez davantage attention à ce qui vous différencie des Canadiens;
–– votre famille vous manque et que vous ayez le sentiment de n’avoir aucune racine au Canada;
–– vous trouviez difficile d’aller travailler ou de chercher du travail;
–– vous vous sentiez très seul en songeant à votre pays et à vos proches;
–– vous vous sentiez coupable d’avoir laissé des membres de votre famille dans votre pays d’origine.
6. Site du Gouvernement canadien à la section « Immigration et citoyenneté ». Récupéré le 21 mai 2014 de http://www.cic.gc.ca/
francais/nouveaux/apres-vie-choc.asp
21
chapitre 1
Le schéma de Dinello présenté ci-après résume ces étapes en leur attribuant une temporalité. Il fait
remarquer que le déploiement des étapes du choc culturel s’inscrit dans une durée plus ou moins
longue :
22
chapitre 1
Nous irons au-delà de la définition du concept de choc culturel en étudiant plus en profondeur la
rencontre avec l’altérité dans les chapitres suivants. Néanmoins, la notion d’adaptation est déve-
loppée dès à présent du point de vue de l’immigration et des expériences vécues au contact d’une
culture d’accueil. Ces sujets sont brièvement présentés à la section suivante en vue de définir le
processus d’acculturation.
Le film britannique My Son the Fanatic (1997) est un exemple illustrant le choc
culturel et le conflit de valeurs auquel il s’associe. On y raconte l’expérience person-
nelle de Parves, immigrant pakistanais installé en Angleterre, et les problèmes qu’il
vit avec son fils.
L’étranger a des gros yeux mais il ne voit que ce qu’il connaît déjà… Le livre « Mali, terre des
hommes » d’Éric Bertrand (édité par Bertrand Dumont) est un ouvrage à consulter
pour se familiariser avec l’expérience du choc culturel et de la découverte de soi
au contact de la différence. L’auteur, coopérant international en Afrique de l’Ouest,
se questionne sur ses valeurs et porte un regard nouveau sur ce qui l’entoure. La
rencontre de l’Autre est au centre de son récit.
Le phénomène d’acculturation se définit comme l’adaptation d’un individu à une culture étrangère
avec laquelle il est en contact (Le Nouveau Petit Robert, 2010). Il s’agit d’un processus par lequel
une culture se transforme sous l’influence d’une autre – ce qui distingue l’acculturation à la fois des
simples contacts épisodiques entre cultures et de l’évolution endogène propre à toute culture; par
ailleurs, la marginalisation et la séparation sont des processus de rejet de l’acculturation. Cet effet
de changement s’opère chez un individu ou un groupe d’individus au contact permanent d’une
autre culture. Bon nombre de personnes sont concernées par ce processus d’adaptation culturelle.
Le cas le plus commun est celui de la personne immigrante. Le travailleur étranger, voire l’étudiant
étranger dont le séjour en pays étranger se prolonge sur plusieurs années, sont aussi appelés à
vivre le processus de rééquilibrage identitaire. Plusieurs domaines sont aussi concernés par les
processus d’acculturation et les questions relatives à l’intégration des personnes migrantes : soins
de santé, enseignement, domaine juridique, citoyenneté, etc. Les intervenants de ces milieux s’in-
téresseront à ces expériences pour mieux comprendre les crises identitaires, les résistances, et
ainsi faciliter les adaptations. C’est ce que nous inspire le témoignage de Kam Singh devant le
Comité spécial de la Chambre des communes sur la participation des minorités visibles à la société
canadienne, tenu en 1984. Ce comité devait chercher des moyens de favoriser l’intégration des
minorités visibles et de promouvoir des relations harmonieuses entre ces groupes et la société
canadienne. On comprendra, en lisant les mots de Kam Singh, que le « déchirement » identitaire est
souvent au cœur l’expérience interculturelle vécue par les personnes migrantes.
23
chapitre 1
Depuis dix-sept ans que j’habite au Canada, je me suis rendu compte que la discrimination raciale est un problème
qui peut être envisagé sous deux aspects. Il y a d’une part les Canadiens de race blanche qui sont ignorants et qui
manifestent un esprit intolérant à l’égard des peuples dont l’apparence et les usages sont différents des leurs. Il y
a par ailleurs de nombreux immigrants qui, par esprit de clan, hésitent à s’adapter aux coutumes de leur nouvelle
patrie. C’est du heurt entre l’intolérance et de l’esprit de clan que naît la discrimination.
J’ai choisi pour ma part de m’intégrer complètement, mais je puis comprendre, dans une certaine mesure, les sen-
timents qui habitent d’autres personnes. Ma décision de me raser et de me vêtir comme tous les autres Canadiens
est tout à fait personnelle, et je l’avais prise bien avant d’immigrer ici. Je suis maintenant citoyen de ce pays et je
ne m’écarte pas de la norme fixée par la majorité blanche. Cependant, pour un grand nombre de mes compatriotes,
mon comportement est inacceptable. Ils restent attachés à leurs anciennes coutumes et tenues vestimentaires, et
s’accrochent à ces signes qui les identifient. Il n’y a pas de mal à cela, mais ils s’attirent de cette façon des ennuis
que je ne connais pas.
Parmi les Indiens d’origine orientale, il existe une nette différence entre ceux qui ont grandi dans les villes et ceux qui
viennent de la campagne et de petites agglomérations. Les citadins ont appris très tôt qu’il y a d’énormes différences
entre les hommes et que la solution consiste à composer avec elles. À la campagne, par contre, les gens ont beaucoup
plus tendance à se serrer les coudes, et ne connaissent pas grand-chose en dehors de leur famille et d’un petit groupe
d’amis et de voisins. C’est ce manque d’expérience et cette méconnaissance de l’anglais, surtout chez les femmes, qui
fait craindre les étrangers. Ces gens ne savent pas comment les aborder. Lorsqu’ils arrivent au Canada, les différences
les écrasent au point où ils s’accrochent encore plus fermement aux coutumes de leur village natal.
Bien sûr, il arrive souvent que les Canadiens de race blanche ne saisissent pas les données du problème. Ils se
font une idée à partir de la méfiance et de la crainte que leur manifestent les immigrants, et leur rendent immédia-
tement la pareille. Il n’y a pas grand mystère là-dedans; c’est le propre de la nature humaine à travers le monde,
en Inde comme ici.
Depuis mon arrivée au Canada, j’ai presque toujours dirigé ma propre entreprise, et cela m’a demandé un gros
effort d’adaptation. Il y a en effet d’énormes différences entre les milieux et les pratiques d’affaires au Canada et en
Inde. Ce fut pour moi un apprentissage long, difficile et souvent pénible. Si je m’en suis sorti, c’est parce que j’ai
appris à comprendre les Canadiens et que je sais me faire accepter d’eux. Je ne veux pas dire par là que je porte
des chemises à flanelle à carreaux et que je bois de la bière. Il va sans dire que je ne m’habille pas ainsi! Ce que
je veux dire, c’est que j’ai appris à offrir dans mon entreprise d’assurances ces choses auxquelles s’attendent les
clients (habillement, comportement, habitudes). Je réponds à leurs besoins. La couleur de ma peau ou la leur n’a
pas d’importance.
Un grand nombre de mes compatriotes n’abordent pas la vie au Canada en songeant aux services. Ils n’observent pas
le comportement de la majorité et sont insensibles à ses valeurs et à ses coutumes. Il suffit simplement de songer
à l’éructation en public. Les Canadiens n’acceptent pas ce comportement et exigent que la personne prise en faute
s’excuse. En Inde, il n’est pas coutume de s’excuser. Et pourtant, un incident aussi mineur peut causer une grave
méprise et ennuis. En Inde, si vous voulez vous frayer un chemin à travers la foule, il faut tout simplement que vous
fonciez sans vous excuser. Faites la même chose à Toronto, surtout si vous êtes un Indien d’origine orientale, et vous
ne parviendrez qu’à attiser le racisme. Il y a des centaines d’autres petits exemples du même genre.
24
chapitre 1
Je crois que la réponse réside de part et d’autre dans l’apprentissage. D’une part, les Canadiens doivent se familia-
riser avec les nouveaux arrivants et, d’autre part, les immigrants doivent apprendre quels sont les comportements
jugés acceptables par la société canadienne. L’intégration ne peut se faire sans cet apprentissage.
Nous avons notre propre organisation, la NACOI, une association nationale de Canadiens originaires de l’Inde, qui
réussit remarquablement à aider les deux parties à s’adapter l’une à l’autre. Je pourrais nommer un grand nombre
d’activités, mais une ou deux suffiront probablement. En 1979, l’organisation est parvenue à faire abroger un
règlement de Revenu Canada interdisant aux Indiens d’origine orientale qui envoyaient de l’argent aux plus âgées
de leurs personnes à charge, en Inde, de réclamer des déductions. La CACOI a soumis au Parlement des preuves
évidentes, avec le concours du gouvernement de l’Inde, que ces contributions financières étaient essentielles au
bien-être des personnes restées au pays. En outre, il y a quelque temps à peine, l’organisation a réussi à obtenir
des droits d’atterrissage pour Air India à Montréal; Air Canada devrait éventuellement obtenir les mêmes droits
en Inde. Il s’agit là de questions qui revêtent une grande importance pour les Indiens d’origine orientale et qui ont
permis aux Canadiens de mieux connaître les coutumes et les besoins de ce peuple.
Les Canadiens qui composent la majorité de race blanche ne devraient pas perdre de vue que, quelle que soit la
qualité de vie des Indiens qui immigrent ici, il n’en reste pas moins qu’ils vivent une expérience douloureuse. Il
va sans dire que la vie est de loin meilleure ici du point de vue matériel, mais il n’en va pas de même en ce qui a
trait à la communion d’idées et à la vie spirituelle. Je suis ici une personne déchirée. Non pas que j’aie une double
personnalité, mais je souffre moralement car il y a ce moi qui a besoin du confort matériel que me procure le
Canada, et qui en profite, et cet autre moi qui a soif de l’intimité et de la chaleur des liens familiaux et amicaux que
je ne puis trouver qu’en Inde.
Il faut à tout prix entreprendre maintenant l’apprentissage dont je viens de parler car je crains que la discrimina-
tion ne soit à la hausse au Canada. Depuis cinq ans, en effet, de nombreux incidents me poussent à croire que
la crainte et la méfiance gagnent du terrain. La faiblesse de l’économie y est pour beaucoup. Les Canadiens de
race blanche, qui peuvent eux-mêmes se retrouver sans emploi, privés des biens matériels qu’ils désirent et dont
ils ont besoin voient de plus en plus de gens de couleur. Ils ont donc tout naturellement tendance à considérer
ces nouveaux arrivants comme des concurrents dans les domaines de l’emploi et du logement. Le chômage et le
surpeuplement des villes créent un milieu de prédilection pour l’enracinement du racisme. Les Indiens d’origine
orientale, surtout ceux qui participent activement à la NACOI, se renseignent afin de comprendre ce dont le Canada
a besoin à l’heure actuelle et d’apporter leur contribution dans l’intérêt de toute la collectivité.
D’après « Intégration sociale » dans Bob Daudlin, L’égalité ça presse. Rapport du Comité spécial sur les minorités
visibles dans la société canadienne, Ottawa, Chambre des Communes, 1984, p. 11-13.
L’expérience de Kam Singh fait remarquer l’importance d’une ouverture à l’Autre et à ses diffi-
cultés pour s’outiller de solutions. Cette ouverture est nécessaire chez tous les groupes culturels
impliqués, tant du côté de la culture d’accueil que de la culture immigrée. Ce témoignage montre
également l’importance de saisir ce qu’implique le choc culturel pour ensuite mieux surmonter
le conflit interculturel. C’est entre autres ce que nous permettent de comprendre les étapes de
l’identification culturelle décrites par James Albert Banks (1994, p. 224-227), fondateur du Centre
d’éducation multiculturelle de l’Université de Washington à Seattle (États-Unis). Ces étapes illustrent
d’une manière simplifiée des états vécus par l’individu en situation de conflit identitaire. Celui-ci
25
chapitre 1
se redéfinit face aux exigences de l’environnement et aux difficultés qui interpellent ses valeurs,
ses croyances et ses relations interpersonnelles. Il pourra modifier sa perception de lui-même et
son identité, réaffirmer son identité de départ, développer un sentiment d’appartenance envers
son nouvel environnement, ou sera à l’aise ou non avec d’autres cultures. Tout ce processus est
dépendant des expériences passées de l’individu et de ses réactions aux différents changements
et événements qu’il a vécus.
Du point de vue de l’anthropologie culturelle, la définition du terme acculturation est plus englo-
bante et désigne l’étude des phénomènes et processus de contacts et d’interprétations entre deux
groupes culturels. L’acculturation touche un ensemble de débats sur l’intégration des immigrants à
leur société d’accueil, une problématique de l’interculturel à approfondir, notamment dans l’inten-
tion de comprendre les rapports entre cultures dominantes et dominées, ou cultures majoritaires
et minoritaires. Le globalisme, le multiculturalisme, le biculturalisme et l’isolement culturel seront
étudiés comme modèles d’intégration et on décrira les processus d’assimilation ou de rejet d’une
culture étrangère. La question d’acculturation est un sujet d’intérêt pour discuter « qui » – la culture
d’accueil ou la culture immigrée − s’adapte ou doit s’adapter, et comment elle peut le faire. Au-delà
de ces questions, et dans le cadre d’un premier contact avec l’interculturel, il semble davantage
pertinent d’élargir nos horizons par l’étude de la rencontre interculturelle du point de vue de ce
qu’elle provoque en nous et de ce que l’Autre – la différence − peut nous apporter.
–– Au sujet de la coexistence des cultures, consultez les travaux du psychologue John W. Berry, un
des grands contributeurs au domaine de la psychologie de l’acculturation. Ce dernier répertorie six
attitudes ou situations possibles concernant les groupes culturels : l’assimilation, la séparation, la
ségrégation, le repli sur soi, la marginalité et l’intégration.
26
chapitre 1
Pour une meilleure intégration des notions présentées dans ce chapitre, répondez au questionnaire de
révision qui se trouve ci-après. Vous pourrez mesurer vos connaissances à l’aide du quiz en ligne sur le
site web du cours.
Vous êtes invité à consulter le plan de travail dans le guide d’étude pour un suivi efficace de vos activités.
27
chapitre 1
❑❑ Quels sont les deux éléments de base qui définissent un échange verbal et qui per-
mettent aux interlocuteurs d’évaluer la conversation avec un peu plus d’objectivité?
❑❑ Nommez les facteurs qui, selon les codes culturels et l’expérience individuelle, donnent
un sens au message.
❑❑ Définissez « culture » en prenant soin de cibler les grands concepts qui caractérisent
ce terme.
❑❑ Pour qu’il y ait « acculturation », le contact avec une culture étrangère doit-il être per-
manent ou épisodique?
❑❑ Quels groupes d’individus sont concernés par les processus de rejet de l’acculturation?
28
chapitre 2
chapitre 2
Introduction au cours
Chapitre 1
2
THÉORIES DE LA COMMUNICATION INTERCULTURELLE
Chapitre 3
Chapitre 4
Pour en savoir plus
29
chapitre 2
L’Allemand vit en Allemagne, le Parisien vit à Paris, le Turc vit en Turquie, mais l’Anglais vit chez lui.
J. H. Goring, 1909
L
a rencontre interculturelle peut s’inscrire dans le registre de la confrontation et de la légitimation
d’une expérience d’être au monde7. Cette problématique de la communication interculturelle est
le point d’ancrage de ce deuxième chapitre où on tente de saisir la complexité de ce type de ren-
contre. Expliquer la rencontre interculturelle en toute objectivité nous serait impossible, c’est pour-
quoi la lecture que nous proposons n’est pas un enseignement à proprement parler. Elle s’articule
plutôt autour d’une démarche de réflexion sur la nature des difficultés de la rencontre interculturelle
et les réponses qu’on peut y apporter. Pour ce faire, cette lecture oriente l’apprentissage vers l’ob-
servation de l’acte de communication et des différences culturelles. Nous le ferons à l’aide de huit
perspectives théoriques présentées en vue de porter un regard plus nuancé sur ce qu’implique la
rencontre avec l’Autre. Afin de faciliter la lecture, nous résumons ces perspectives comme suit :
➼➼ Chez les anthropologues Edward Twitchell Hall et Geert Hofstede, la rencontre interculturelle est
étudiée par le biais d’une approche descriptive et comparative des cultures. Hall et Hofstede font
prendre conscience que nos codes comportementaux, souvent considérés à tort comme univer-
sels, diffèrent entre les cultures et influencent notre manière de communiquer.
➼➼ Stella Ting-Toomey, puis William B. Gudykunst et Young Yun Kim, des incontournables en ce
qui a trait à la psychologie de la communication interculturelle, proposent des modèles de com-
munication. Ting-Toomey s’intéresse à la manière de gérer les conflits lors des communications.
L’image de soi, un facteur d’influence des styles de gestion employés, est au centre de sa théorie.
En complément de l’approche de Ting-Toomey, le modèle de cognition sociale de Gudykunst et
Yun Kim est une théorie de l’effet du niveau d’incertitude et d’anxiété sur l’efficacité de la commu-
nication.
7. Extrait tiré de la page web « Atelier sur l’héritage de Gregory Bateson » du Laboratoire de recherche en relations interculturelles :
http://labrri.net/retour-atelier-sur-bateson/.
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Récapitulatif : huit théories de la communication
GREGORY BATESON
La rencontre par niveaux ➭ Les niveaux progressifs de l’apprentissage interculturelle
JACQUES DEMORGON
Fonctionnements adaptatifs dans les rencontres ➭ La dynamique d’ouverture et de fermeture lors du
processus d’adaptation
MILTON BENNETT
Modèle dynamique de sensibilité interculturelle ➭ De l’ethnocentrisme à l’ethnorelativisme
FRANÇOIS FLAHAULT
Registres des échanges conversationnels ➭ Les représentations, le rôle et la place de votre interlocuteur
GEERT HOFSTEDE
Facteurs de différentiation culturelle ➭ Les dimensions d’une entreprise : Distance hiérarchique, Acceptation
de l’incertitude, Individualisme et collectivisme, Masculin/Féminin, Orientation court terme et long terme.
STELLA TING-TOOMEY
Théorie de gestion de la face ➭ Stratégies de négociation des identités
Malgré les limites des connaissances qu’elles avancent, ces théories formulent un ensemble de fac-
teurs causant le malentendu interculturel, révélant ainsi la complexité du phénomène de rencontre
entre deux cultures. Pour mieux comprendre leurs particularités, passons à la lecture des résumés
conçus pour chacune d’elle.
chapitre 2
L’anthropologue Gregory Bateson (1977) s’est intéressé à la rencontre interculturelle qu’il explique
du point de vue de l’alternance entre une attitude d’ouverture et une attitude de fermeture que
vit toute personne en situation d’apprentissage lors de l’échange interculturel. Influencé par les
théories de groupes, Bateson élabore une approche de la rencontre « par niveaux ». Le caractère
dynamique de l’échange est mis de l’avant, les niveaux nous permettant d’observer le mouvement
d’intégration et de rejet de valeurs différentes.
➼➼ Au premier niveau, nous sommes en présence d’un simple ajustement des impressions, des pra-
tiques, des conduites, mais sans que cela touche leurs fondements. En prenant conscience de
cette attitude de fermeture, nous pouvons modifier notre conduite envers l’Autre de manière à le
trouver intéressant, rassurant, et même sympathique : par exemple, on peut apprendre à l’écouter,
chercher des analogies entre lui et nous, etc.
➼➼ Au second niveau de l’apprentissage, ce sont les fondements mêmes de nos conduites et de nos
jugements qui sont mis en cause. Par exemple, au lieu de chercher à valoriser naïvement l’ouver-
ture, nous considérons aussi l’éventualité d’une attitude de fermeture en tant que partie intégrante
d’un équilibre complexe. Dès lors, nous ne regardons plus la fermeture, chez nous comme chez
l’Autre, de façon purement négative, mais dynamique.
➼➼ Au troisième niveau de l’apprentissage, les structures mêmes de notre identité personnelle sont
remises en cause et redéfinies. Notre rapport au monde, à l’Autre et à nous-mêmes, en est changé.
Un tel changement peut nous conduire à ne plus nous contenter des seules valeurs culturelles de
notre milieu ou de notre nation.
La théorie de Bateson n’est pas sans rappeler celle de Jacques Demorgon. Demorgon propose
des bases théoriques pour évaluer les fonctionnements adaptatifs dans les rencontres. La dyna-
mique d’ouverture et de fermeture de la relation est définie du point de vue de l’interdépendance de
ces oppositions. Ici, l’effort d’ouverture n’est pas ce qui importe dans la rencontre culturelle, mais
plutôt l’alternance entre ouverture et fermeture s’opérant lors du processus d’adaptation. Cette
problématique cruciale « ouverture/fermeture » est à l’œuvre dans toute vie adaptative et dans
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chapitre 2
l’interprétation8. Un compte rendu de rencontre avec Jacques Demorgon publié par l’Association
ROUDEL (Relais d’ouvertures et d’échanges culturels et linguistiques) résume cette difficulté propre
à la rencontre interpersonnelle : « Il y a en effet un paradoxe entre ouverture et fermeture : risque
d’agression extérieure et risque de sclérose. [...] Le processus interculturel sera l’apprivoisement de
cette adaptation antagoniste.9 »
La rencontre interculturelle, abordée sous l’angle des processus d’équilibration identitaire, est
une perspective partagée par Milton Bennett. Son modèle dynamique de sensibilité interculturelle
explique les réactions face aux différences individuelles. Il oppose les antagonismes « ouverture
et fermeture » comme réponses à la rencontre avec l’altérité. Bennett les s’associe à des phases
d’ethnocentrisme (négation, défense, minimisation) et d’ethnorelativisme (acceptation, adaptation,
intégration), notions explicitées par Araujo e Sa, Melo-Pfeifer et de Carlo (2008) :
[…] le contact entre cultures n’amène pas automatiquement à une ouverture vers l’autre et à une curiosité vers
la diversité, au contraire la rencontre avec l’altérité s’avère être parfois, source d’indifférence, de conflit ou bien
de confirmation de ses propres préjugés. […] La raison de cette contradiction réside dans le fait que devenir
conscients des convictions qui sous-tendent nos comportements est un processus lent et complexe qui demande
une mise en question profonde de nos certitudes et de nos valeurs. A ce propos, Milton Bennet[t] (1993)10 envi-
sage un continuum dans un « Modèle dynamique de sensibilité interculturelle » qui voudrait décrire moins
l’acquisition d’une compétence particulière que le développement d’une restructuration de notre vision du monde.
Dans l’expérience de la différence, Bennet[t] distingue des phases ethnocentriques et des phases ethnorelatives.
Au cours des premières nous employons, sans doute de façon inconsciente, nos catégories et nos systèmes de
règles pour juger les autres; se placer dans une optique ethnorelative signifie, au contraire, savoir adapter son
comportement et ses jugements aux contextes d’autres cultures.
–– la défense par contre implique un sentiment de peur, l’emploi de stéréotypes négatifs pour la justifier, le sens
de supériorité;
–– la minimisation des différences dans un relativisme à l’apparence inoffensif, s’appuyant sur des bases « scien-
tifiques » cache souvent un paternalisme qui peut représenter tout de même un premier pas vers les phases
ethnorelatives.
8. http://www.jacques-demorgon.com/PR-DE-chapitre-extrait.php?CodeTexte=CHAP_TXT5_02&MenuChemin=Extrait%20de%20
l%20ouvrage,%205/%20%AB%20Proximit%E9,%20distance%20%BB%20%96%20%AB%20ouverture,%20fermeture%20%BB
9. http://www.roudel.org/formonline/documentation/demorgon.htm
10. Bennett, M. J. (1993). Towards Ethnorelativism: A Developmental Model of Intercultural Sensitivity. Dans M. Paige (dir.), Education
for the Intercultural Experience, Intercultural Press, Yarmouth (ME).
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chapitre 2
–– l’adaptation implique l’acceptation de l’autre sans perte de son identité, grâce à la capacité d’élargir son propre
répertoire culturel en fonction des différents contextes.
–– l’intégration. Par le terme d’intégration Bennet[t] n’entend pas une assimilation à une nouvelle réalité par
l’abandon de réalités précédentes, mais il le considère comme le résultat du processus de construction d’une
« identité marginale ». Il est intéressant de souligner que le terme de marginalité qui possède en général une
sémantique négative, dans l’acception de Bennet[t] représente au contraire l’accomplissement du processus
de sensibilisation interculturelle. Le concept d’identité marginale décrit l’individu qui accepte la réalité dans
son devenir, la relativité de ses valeurs et de sa vision du monde, la possibilité de devoir les modifier selon les
circonstances. Cet état constant de potentiel changement n’engendre pas pour autant un sentiment de désinté-
gration identitaire, où les différences entre soi et les autres s’estompent de façon menaçante.
Ce processus long et complexe, qu’est l’acquisition d’une compétence interculturelle demande donc beaucoup
d’efforts et d’engagement personnel pour être poursuivi. Il serait illusoire de vouloir atteindre des résultats immé-
diats et satisfaisants rien qu’[en] exposant nos apprenants au contact avec d’autres cultures.
Ces points de vue partagés sur le mécanisme d’ouverture et de fermeture sont une des nombreuses
manières d’expliquer le phénomène de rencontre interculturelle et ses difficultés. Celles-ci mettent
l’emphase sur la capacité d’adaptation d’un individu en situation de déséquilibre. Pour approfondir
ces notions et les approches de Bateson, Bennett et Demorgon, vous pourrez consulter les sources
répertoriées à la section « Pour en savoir plus ».
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chapitre 2
L’approche de François Flahault (1978) ne s’applique pas a priori aux échanges interculturels mais
aux échanges conversationnels. En liant l’analyse de l’échange à différents domaines tels que la
psychanalyse (expériences vécues et refoulées) et la sociologie (stéréotypes, comportements et
rôles sociaux), Flahault propose une théorie de la conversation avec l’Autre qui nous incite à prendre
conscience de certains facteurs qui influencent notre perception de l’Autre et l’interprétation de ses
messages. Selon Flahault, toute situation de communication repose sur quatre registres qui déter-
minent les rapports entre les interlocuteurs. Il s’agit du registre inconscient, du registre idéologique, du
registre des rapports de place et du registre des rapports de dominance. Nous les résumons ci-après.
Le registre inconscient
Chacun apporte dans une rencontre, qu’elle soit interculturelle ou non, son propre bagage psychique :
chacun transporte avec lui ses caractéristiques personnelles, ses émotions et ses sentiments, qui ne
sont pas tous identifiables, mais qui forment néanmoins un puissant réseau constituant la base de la
perception. Dans la psychologie transactionnelle, la construction de l’identité consiste à se définir par
rapport à des réalités contradictoires et à chercher à les réconcilier : identification face à l’Autre, iden-
tification face à soi-même et identification face à un « nous ». Des lacunes dans ces deux dernières
identifications créeront un déficit identitaire que l’individu tentera de combler par un renforcement de
son identification envers l’Autre. Selon Éric Berne (1979), quatre voies s’ouvrent alors à l’individu, voies
qui correspondent à des degrés divers d’ouverture ou de fermeture face à l’Autre :
➼➼ valorisation des autres et dévalorisation de soi, qui dénotent un sentiment ou complexe d’infériorité;
Ces choix inconscients ont pour fonction de conforter l’assurance identitaire. Les valorisations
portent généralement sur les groupes d’appartenance et les groupes de référence les plus s ouvent
valorisés ou au contraire, dévalorisés. Ainsi, sensible à cette réalité, la psychanalyste Gisèle Harrus-
Révidi (1987) réfléchit à l’expérience interculturelle chez l’enfant et le contexte colonial dans lequel
la psychanalyste a été élevée, qui a marqué de façon singulière sa perception des choses. Les
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chapitre 2
adultes de sa communauté, francophiles, lui apprenaient à dévaloriser tout ce qui touche l’envi-
ronnement marocain, comme les couleurs, les odeurs, les fruits, les fleurs, au profit de réalités
purement livresques valorisées par la culture du maître colonial. Il aura fallu que l’auteure aille vivre
en France pour réaliser que la richesse des stimulations marocaines lui manquait. Cette sensibi-
lité lointaine, par une sorte de chiasme perceptuel, allait favoriser l’émergence d’une expérience
nouvelle : le sentiment d’une adéquation complète entre la perception et le discours. La dimension
inconsciente de l’imaginaire interculturel et de la représentation de l’Autre est bien mise en avant
par Adams M. Vannoy dans The Multicultural Imagination: Race, Color, and the Unconscious (1996).
Le registre idéologique
Toute interaction est tributaire d’un ensemble de représentations. Ces représentations ne sont pas
inconscientes, mais elles ne sont pas manifestes non plus, du moins directement. L’analyse exté-
rieure d’une interaction peut montrer que les participants se leurrent, que l’image qu’ils se font
d’eux-mêmes, des autres, de l’objet discuté, voire de la situation de communication qui les réunit,
est une image partiale, trompeuse. Cela suppose un regard extérieur à l’interaction, ce qui n’est pas
souvent le cas. Aussi peu adéquates que soient ces représentations, elles n’en ont pas moins une
grande incidence sur l’échange.
À la fin d’une matinée d’été, un propriétaire de résidence secondaire reçoit la visite de son voisin cultivateur. Le
propriétaire, par courtoisie, lui offre un verre. Suite à l’échange, ce voisin lui révèle que les ouvriers qui devaient
venir faire la moisson ne se sont pas présentés au travail ce matin. Une fois ce fait mis en corrélation avec deux
autres faits – à savoir que l’orage menace et qu’un cultivateur pris dans une telle urgence ne s’est pas seulement
déplacé pour prendre l’apéritif au moment même où il risque de perdre sa récolte –, l’hôte risque une hypothèse
sur le cadre de la situation : son voisin est venu lui demander un service, mais sa fierté, son code de politesse ou
quelque autre raison l’empêchent de le lui demander directement. Il lui offre alors son aide, et son voisin, soulagé,
accepte de suite son offre.
D’après cet exemple on constate que de nombreux éléments peuvent changer la conversation et
modifier sa conclusion. Un préjugé défavorable envers l’un ou l’autre aurait freiné la rencontre. Les
non-dits sont aussi risques de malentendus et laissent place à une interprétation erronée. Cette
dimension de la communication nous fait remarquer l’importance de ne pas considérer nos repré-
sentations de la situation comme étant justes et adaptées aux intentions de notre interlocuteur. Et ce,
même si en l’occurrence elles nous semblent évidentes.
37
chapitre 2
Autre exemple, cette fois lié à l’interculturel, nous montre comment des perceptions croisées sur une
situation donnée peuvent influencer la finalité de l’échange :
La Bolivie est l’un des pays ayant la plus grande variété de pommes de terre au monde. Dans l’objectif de connaître
ces variétés, et d’en conserver quelques spécimens dans une banque génétique, une équipe de scientifiques euro-
péens visite de nombreux villages andins, s’entretenant avec les paysannes et les paysans, leur demandant de leur
présenter les diverses pommes de terre cultivées, et leurs spécificités. Tout se passe bien au niveau de la récolte
d’information, immensément riche pour les chercheurs.
Puis vient l’objectif final de la mission : emporter quelques spécimens de chaque sorte afin de les mettre dans une
banque génétique souterraine, en Europe. Cette demande, si évidente pour les uns, changea toute l’ambiance, et
se heurta à un refus poli, mais catégorique et offusqué par les autres. « La pomme de terre, elle est sacrée. C’est
comme notre enfant, nous ne pouvons lui faire subir un tel sort. Elle est liée à notre terre, notre Pacha Mama. Vous
ne pouvez emporter nos pommes de terre pour cela. Comment pouvez-vous vouloir enfermer nos pommes de terre
pendant des éternités dans des espaces froids et sombres, en les arrachant à notre Pacha Mama! »
Une femme Quechua, leader du Mouvement des Sans Terre (MST) en Bolivie, s’exprime sur ce que représente la
terre pour elle et sa communauté : « Pour nous, paysans andins, la terre c’est notre mère, elle est sacrée. Nous la
prions, nous la respectons, nous la remercions, nous ne l’exploitons pas. Pour vous, en Occident, la terre, c’est un
instrument de travail. Cela me déstabilise et cela me fait peur. »
Ce récit révèle que dans chacun des incidents mettant un terme à la relation interculturelle ou créant
des discordes dans cette relation, les valeurs culturelles des personnes en interaction sont diffé-
rentes, ce qui les amène à percevoir et à prioriser les choses différemment.
Du point de vue du stéréotype, les individus de culture chinoise ne regardent pas leur interlocuteur dans les yeux,
sont indirects dans leur manière de décrire une situation et montrent rarement leurs émotions. Les individus des
sociétés arabes traditionnelles utilisent fréquemment des métaphores pour décrire ce qu’ils ressentent plutôt que
d’en faire une démonstration directe. Les individus de culture italienne sont perçus comme étant expressifs sur
le plan émotionnel et verbal. La population Kru du sud-est du Liberia est perçue comme un groupe s’affirmant
d’une manière forte et expressive, manière irritante pour d’autres groupes ethniques. Ces stéréotypes ne sont pas
vrais pour toute personne chinoise, arabe, italienne ou Kru, ils ne sont que des caractéristiques générales. Chaque
culture, chaque société et chaque communauté a des caractéristiques communes d ifférentes. [Notre traduction] 11
11. Propos publiés sur le Site web Act Alliance, Guide on community based on psychosocial support (CBPS) à http://psychosocial.
actalliance.org/default.aspx?di=65434: Stereotypically, Chinese people do not look at others directly in the eye, are very indirect in
how they describe something and rarely display overt emotions. People from traditional Arabic societies often use metaphors to
describe how they are feeling rather than doing so feelings directly. Italian people are stereotyped as being emotionally expressive
and verbally direct. The Kru ethnic group in the Southeastern part of Liberia, are stereotyped as people who speak with power,
or are loudly expressive, thus irritating others of different ethnic backgrounds. Though these stereotypes are not true for every
Chinese, Arabic, Italian or Kru person, these are some general characteristics. Each culture, society and community has different
common characteristics.
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chapitre 2
C’est dans son étude Public Opinion (1922) que l’Américain Walter Lippman a utilisé le mot « stéréo-
type » pour désigner les images mentales fixes et généralisantes qui portent sur la réalité de l’Autre
(les femmes, les Blancs, les Juifs, les Moldaves, les musulmans, les fonctionnaires, les chauffeurs
de taxi, les partisans de l’équipe adverse, etc.). Le stéréotype est un raccourci de la pensée, à la
fois simplificateur et globalisant : il réduit une réalité à une formule (ou à des variantes autour de ce
noyau de sens) et recourt à la classification. Si la réalité, toujours complexe, permet généralement
toutes sortes de jeux sur les différences et les ressemblances, notre esprit n’utilise généralement
qu’une partie de ces combinaisons de ressemblances ou de différences. Nous tenons trop souvent
ces représentations partielles comme représentatives de l’ensemble de la réalité, assignant aux
êtres et aux choses une place qui nous semble « naturellement » la leur. Le stéréotype tend à ras-
surer sur la cohérence du monde et permet de confirmer notre appartenance à un groupe. S’il est
problématique, c’est qu’il permet d’adhérer sans esprit critique à une représentation de l’Autre qui
nous semble évidente. Ce genre de classification est construit à l’intérieur d’un système de valeurs
qui peut nous conduire à l’ethnocentrisme. Malheureusement, stéréotypes, préjugés et xénophobie
sont la plupart du temps dus à des déficits identitaires entraînant la dévalorisation des autres.
Les préjugés se nourrissent des stéréotypes. Un préjugé est un jugement sur quelqu’un, quelque chose, qui est
formé à l’avance selon certains critères personnels et qui oriente en bien ou en mal les dispositions d’esprit à
l’égard de cette personne, de cette chose. Ce jugement est à la base l’affirmation d’une préférence ou d’un rejet
(j’aime/j’aime pas).
La xénophobie est l’hostilité systématique manifestée à l’égard des étrangers. Et le racisme, une idéologie fondée
sur la croyance qu’il existe une hiérarchie entre les groupes humains, « les races ».
Entre le pôle de la fermeture complète à l’Autre (l’intolérance, le racisme, etc.) et celui de l’ouverture
(choix de communiquer, d’apprendre de l’Autre, de remettre en cause nos certitudes stéréotypées)
se situe toute une gamme de procédés à explorer : l’évaluation de nos ressemblances et de nos
différences, la prise de conscience des zones d’incertitude et d’ambiguïté, la relativisation de notre
propre système de valeurs, etc. Les stéréotypes culturels sont souvent si bien intégrés et reconnus
comme tels au sein d’un groupe ou d’une société qu’ils n’y paraissent pas être des stéréotypes.
Comme exercice de réflexion, nous vous proposons d’observer les stéréotypes que vous attribuez
spontanément aux cultures énumérées ci-après. N’hésitez pas à y ajouter ceux qui ne sont pas
nommés. Voyez avec quel naturel et quelle rapidité certaines de ces représentations vous viennent
à l’esprit, sans que vous ayez le réflexe de les remettre en question.
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chapitre 2
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chapitre 2
Dans le recueil de textes : « La socialisation » de Nicolas Haddadi, Rodolphe Kamiejski et Gaëlle Leplat,
un court texte introductif sur la formation des stéréotypes et des préjugés.
POUR S’EXERCER
Consultez « Les échelles de distance » à la section des exercices facultatifs. L’échelle moderne du
racisme de Mc Conahay et l’échelle de distance de Borgadus ont été conçues dans le but de mesurer
la propension d’un sujet à établir ou accepter des contacts sociaux, de degrés divers de proximité, avec
des membres de groupes sociaux différents.
Consultez, à titre d’exemple, un échantillon de quelques stéréotypes collectionnés par Jean Plumyène et
Raymond Lasierra (1979). Ces stéréotypes à caractère politique montrent comment certaines cultures
européennes se perçoivent les unes les autres.
Dans toute situation particulière de communication, les partenaires évaluent leurs rapports comme
étant égaux ou inégaux. Leur évaluation peut, par exemple, se fonder sur la réalité sociopolitique qui
les entoure, le statut (enseignant-apprenant, patron-employé, parent-enfant, etc.), ou peut provenir
de la situation de communication elle-même, qui impose ses règles, sa hiérarchie. Par exemple,
dans certaines cultures, un homme n’adresse pas directement la parole à une femme. Dans le
monde du travail notamment, la plupart des sociétés arabes ont tendance à séparer hommes et
femmes. Au Japon, lorsque vous vous adressez à des subordonnés ou à des collègues, le contact
visuel se fait de la même façon qu’au Canada. Mais lorsqu’un supérieur s’adresse à vous, surtout s’il
prononce un discours, on doit tenir les yeux baissés et le regarder à l’occasion. En Chine, les élèves
doivent manifester du respect, être à l’écoute et attentifs à l’enseignant et essayer de le comprendre.
Dans tout acte de communication, a fortiori lorsqu’il est interculturel, se pose la question de la légi-
timité des partenaires, c’est-à-dire du titre auquel chacun est autorisé à intervenir dans le proces-
sus communicationnel. Ce titre peut être donné, mais il peut aussi être négocié, donnant à chacun
l’occasion d’établir explicitement qui il est pour l’Autre dans l’échange. Aussi, dans tout acte de
communication, la place n’est pas définitive. Chacun des partenaires peut modifier sa place dans
l’interaction. De même, les partenaires peuvent, plus ou moins consciemment, modifier les règles
de la situation de communication en cours de route, ou encore enchaîner par une autre situation
modifiant complètement la signification que chacun rattachait à la première.
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chapitre 2
Nous définirons le rapport de domination comme l’imposition d’un discours auprès des interlocu-
teurs. Dans de tels cas, l’échange est perçu et vécu comme une compétition. Dans une commu-
nication compétitive, il peut arriver que ce ne soit pas seulement un type de discours qui tende à
s’imposer, mais un type de stratégie, et que les partenaires se définissent par rapport à ce type de
stratégie : chacun peut s’en tenir à sa stratégie initiale (comme occuper l’espace de communica-
tion, viser à donner le fin mot ou à avoir le dernier mot, s’approprier ce qui a été dit ou en faire une
polémique, etc.) ou, devant le succès du partenaire sur un point, tenter de s’approprier la stratégie
qui lui a réussi.
L’application d’une telle conception lors d’un échange amène à porter l’attention sur la validité de
l’un ou l’autre des discours, et non à saisir les valeurs, les émotions, et les nombreuses autres dimen-
sions qui influencent cet échange, éloignant ainsi les partenaires de la compréhension mutuelle.
Dans les relations interculturelles, il sera juste de résister au penchant permanent et insidieux de
vouloir dominer. Le rejet de la domination comme schème de pensée est un prérequis politique à
un échange fructueux.
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chapitre 2
En tenant compte des variables culturelles et comportementales dans les manières de communiquer :
Que signifient la notion de temps, d’espace, et de contexte pour vous? Et pour l’Autre…?
Dans un petit pays d’Extrême-Orient, les seuls Américains en poste étaient des officiels. Or ces diplomates étaient
astreints à des attentes démesurément longues lors des rencontres officielles. Pour les Américains, dans les
relations sociales, chacun doit faire preuve d’exactitude : « Un retard de cinq minutes appelle des excuses rapides;
un retard de dix minutes, des excuses un peu plus longues; un retard de quinze minutes, des excuses certaines,
plus une explication; un retard de trente minutes représente une insulte, etc. » (p. 51). Mais pour les habitants
de ce pays, la règle implicite en ce domaine était tout autre. On faisait attendre les Américains parce qu’on ne les
connaissait pas, qu’ils n’avaient pas pris corps, qu’ils n’avaient donc aucune réalité. En termes de relations et dans
un système social donné, ces fonctionnaires étaient tout au plus des ombres… Les Américains qui voulaient bien
revenir plusieurs fois, prêts à rencontrer leurs hôtes en dehors du bureau, avaient des chances d’être reconnus
comme des êtres en chair et en os et de devenir des membres actifs du système social. Les Américains voyaient
les individus en fonction de leur statut, alors que leurs hôtes les voyaient dans un cadre plus large qui demandait
plus de temps pour les intégrer. (Hall, 1979, p. 56)
Cet exemple tiré de l’ouvrage Au-delà des cultures de Edward T. Hall (1979) montre l’importance
d’observer les différences dans les rapports entre cultures pour mieux interpréter les comporte-
ments de l’Autre. Cette approche comparative de la communication entre cultures est une manière
de prendre en compte notre façon de transmettre et d’interpréter les informations. Hall s’est inté-
ressé aux différences comportementales dans les manières de communiquer en intégrant à ses
observations des aspects contextuels, temporels et spatiaux de la communication, aspects détaillés
plus bas.
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chapitre 2
Le contexte
Hall distingue deux classes de cultures en observant les différences culturelles en situation de com-
munication : les cultures collectivistes (contexte fort/riche) et les cultures individualistes (contexte
faible/pauvre). Dans les cultures dites à fort contexte, les individus font partie d’un maillage relation-
nel étroit. Par conséquent, beaucoup d’informations requises pour l’interaction sont implicites étant
donné la familiarité avec l’interlocuteur. Tandis que, dans les cultures à faible contexte, les individus
sont insérés dans des réseaux informels et ne sont pas informés les uns des autres. Par conséquent,
la plupart de ces informations doivent être expressément spécifiées au cours de l’interaction. En
somme, l’explicite requiert la définition, l’implicite requiert l’allusion. Ainsi, lorsqu’un individu d’une
culture à faible contexte communique avec un individu d’une culture à fort contexte, ce dernier a
l’impression que son interlocuteur sous-estime son intelligence ou sa capacité d’entendement : c’est
que, dans sa culture, l’étiquette exige de passer le message indirectement, laissant à l’interlocuteur
le soin de comprendre ce qui lui est dit allusivement.
Dans les cultures collectivistes, les réseaux d’information Dans les cultures individualistes, les individus sont
sont étendus et les individus font partie d’un maillage insérés dans des réseaux informels, sont peu informés
relationnel étroit dans lequel les informations circulent. Les sur les autres, et généralement peu informés des sujets
intérêts du groupe prédominent, les individus s’intéressent qui ne les intéressent pas directement. Le message
aux affiliations groupales de l’Autre (milieu, statut, etc.). contient donc plus d’informations. Pensées, sentiment,
Les personnes de culture à riche contexte ont tendance à et intérêts personnels sont prioritaires. Les personnes
fournir des informations implicites. provenant de cultures à faible contexte communiquent plus
d’informations spécifiques.
Quelques exemples de cultures collectivistes : cultures
japonaise, arabe et méditerranéenne. Quelques exemples de cultures individualistes : les cultures
américaine, allemande, suisse et scandinave.
L’espace
L’espace auquel Hall fait référence est cet espace invisible qui est considéré comme « personnel »
et qui peut inclure un territoire ou des objets. La perception de l’espace personnel implique tous
les sens, aussi bien la vue, que l’ouïe, la peau, qui perçoit la température, et les muscles, sans
oublier l’odorat. L’auteur a développé son analyse de cette notion dans son livre intitulé La dimen-
sion cachée (1984). Hall aborde aussi la question spécifique de distance à autrui, appelée la proxé-
mique. Il observe que dans certaines cultures, la proximité avec l’Autre est importante au point de
devoir le toucher. Pour d’autres cultures, le toucher ou une trop grande proximité est dérangeante,
voire tabou. La distance se répartit également selon les sphères publique, familiale et intime. En
Inde par exemple, une longueur de bras serait une bonne distance à tenir entre vous et la personne
à qui vous parlez. Il n’est pas acceptable de toucher votre interlocuteur au cours d’une conversation,
à moins que vous ne le connaissiez bien. Au Mexique, la distance observée entre les interlocuteurs
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chapitre 2
est plus réduite qu’en Amérique du Nord, mais doit demeurer d’au moins un d emi-mètre entre les
visages. La distance personnelle devient de plus en plus réduite au fur et à mesure que la relation
se construit. Lors des présentations et rencontres plus informelles, les Espagnols vous accueillent
toujours par un baiser sur chaque joue, une pratique ayant cours entre hommes et femmes et entre
femmes. Dans la société saoudienne, en général ségréguée, il faut tout le temps garder une dis-
tance avec les collègues féminines. Contrairement au Canada où on ne se touche pas et où chacun
garde ses distances, les Sénégalais ont de manière spontanée tendance à privilégier la promis-
cuité. Sur cette question il n’est pas exagéré de dire qu’il y a une grande différence entre ces deux
pays. Si un étranger se promène dans les rues de Dakar, la capitale du Sénégal, il peut facilement
remarquer deux hommes qui se tiennent par la main et qui souvent ne prennent pas conscience de
ce geste. Les gens peuvent se toucher de manière spontanée sans arrière-pensée12.
En Asie centrale, un collègue expatrié, responsable de projet et travaillant avec des paysans de la région, leur
donne rendez-vous un jour donné, à 14 : 00 pour une réunion importante. Son partenaire local essaie de lui sug-
gérer mais en vain, qu’un autre jour, ou du moins une autre heure serait plus approprié. En effet, à cette saison, les
paysans sont occupés par des travaux aux champs.
Au jour fixé pour la réunion, aucun paysan n’est là à l’heure. Quelques épouses sont là pour dire que leurs maris
sont au champ et arrivent dès qu’ils le peuvent. Elles annoncent aussi avoir préparé un repas pour honorer les
visiteurs. Le responsable expatrié s’énerve, se sent peu respecté, et au bout d’une heure reprend la route, sans
avoir rencontré les paysans ni goûté aux plats préparés en son honneur. À leur retour, les paysans se sentirent
insultés et déshonorés. Ils s’étaient dépêchés de rentrer des champs. Ils décidèrent de suspendre la collaboration.
Il fallut au collaborateur local de longs mois de négociations pour réparer l’impair, et recommencer à poser des
bases de travail commun.
Le temps
La notion de temps fait référence au degré d’activité, c’est-à-dire le fait d’être plus ou moins occupé.
Être assis, tenter de saisir le sens du soi, équivaut à ne rien faire pour beaucoup d’Occidentaux
(Américains et Nord- Européens). Pour eux, le temps est long lorsqu’on est inactif. Chez d’autres
peuples, cette distinction entre activité et inactivité n’existe pas. C’est le cas des Navajos, des insu-
laires de Truk, des Arabes, des Indiens, des Japonais.
12. Exemples tirés du Centre d’apprentissage interculturel développé et maintenu par le ministère des Affaires étrangères et du
Commerce international du Canada : http://www.intercultures.ca/ Dernière date de modification 15 octobre 2009.
45
chapitre 2
Hall relève deux principales conceptions du temps au sein des cultures, le temps monochronique et
le temps polychronique. Le temps monochronique − ne faire qu’une chose dans un temps donné −
est linéaire et indivisible. Selon cette conception, les événements doivent être organisés dans le
temps et cette organisation a préséance sur les relations interpersonnelles, d’où l’importance, par
exemple, de la ponctualité chez les Américains. À l’inverse, le temps polychronique – gérer plu-
sieurs activités en même temps − est caractérisé par une préoccupation plus grande envers les
personnes : on en trouve une illustration dans les commerces du Moyen-Orient, où plusieurs clients
sont servis en même temps.
Hall a particulièrement approfondi son analyse culturelle du temps dans son ouvrage La danse de la
vie (1995), où il décrit toutes les caractéristiques culturelles rattachées au temps. Par exemple, chez
les Quichés du Guatemala, descendants des Mayas, chaque jour de l’année est considéré comme
différent, alors que, dans notre calendrier, les jours sont relativement interchangeables à l’exception
de quelques fêtes annuelles. Dans le même ordre d’idées, citons un extrait du récit de voyage d’Éric
Bertrand, racontant son expérience en tant que coopérant volontaire au Mali :
Trente minutes après notre arrivée, il n’y a toujours personne au rendez-vous. Je commence à être inquiet. J’ai un
horaire serré et des objectifs à atteindre. M’adressant à Ousmane, je lui demande :
–– « Mais quand va-t-on pouvoir commencer la séance? »
–– « Quand les gens seront arrivés! »
La simplicité de sa réponse m’éclaire. J’avais oublié un instant que le temps n’existe pas de la même façon ici. Je
suis dressé à être vampirisé par le temps, mû par lui et sujet de sa toute-puissance. Il décide où je dois aller et à
quelle vitesse, de la longueur de ma nuit de sommeil et qui j’ai le temps de voir. Ici, les gens donnent l’impression
d’être insouciants, mais ne sont-ils pas plutôt de grands maîtres à qui le temps est assujetti?
Le temps africain n’existe pas de façon linéaire, calculé, compté et écoulé comme dans l’occident cartésien. Il
n’est pas découpé en heures, en minutes et en secondes. Les fractions de secondes sont une abstraction. Voire
une aberration. Le temps africain est plutôt découpé par des épisodes de vie quotidienne et non par une décision
scientifique arbitraire. La vie est rythmée comme la musique qui résonne si souvent sur ces terres.
46
chapitre 2
LE CONTEXTE
Cultures collectivistes
Cultures individualistes L’ESPACE
Degré d’activité et
conceptions du temps
Pour clore cette partie, on retiendra que les travaux de Hall apportent une grande contribution
au domaine de la communication interculturelle car ils sensibilisent aux variables culturelles. Ces
observations, si elles ont le désavantage de généraliser et de flirter avec les stéréotypes, sont
toutefois d’un grand intérêt pour comprendre l’importance des dimensions verbales, non verbales
et contextuelles dans notre manière de communiquer. Ces conclusions mettent en lumière un des
pièges de la communication interculturelle, il n’y a que des valeurs et aucune norme.
« Contexte et signification », extrait du livre Au-delà de la culture de Edward T. Hall dans le recueil
de textes.
Dans son étude des cadres de filiales d’I.B.M. dans une cinquantaine de pays, l’anthropologue
Geert Hofstede tente d’attribuer des conduites répétitives aux membres d’une même culture
(Carpentier, 2010). Son analyse concerne le monde de l’entreprise et délimite un cadre référentiel
pour les pratiques en management. Malgré cette spécificité, ses observations enrichissent celles de
47
chapitre 2
La dimension masculine/féminine montre à quel point une culture est favorable à la dominance, à
l’autoritarisme et à l’acquisition des choses (masculine), ou au contraire favorable aux personnes,
aux sentiments et à la qualité de la vie (féminine). Appliquée au travail, la dimension masculine
s’associe à la compétition et au succès personnel; la dimension féminine, à la considération d’autrui
et à la qualité de vie (qui devient l’indicateur de succès). Ainsi, dans les pays à forte dominance
masculine tels que l’Italie, les États-Unis et l’Australie, les entreprises valorisent la compétitivité en
offrant des primes aux employés les plus performants. Les pays comme la Finlande, l’Angola ou
le Bhoutan prioriseront davantage les valeurs dites féminines (travailler pour vivre), c’est-à-dire la
solidarité et le consensus, le temps libre et la flexibilité.
13. Conservatoire national des arts et métiers, Chaire D.S.O. Compte rendu de lecture de Marie-Claude Bernard sur « Vivre dans un
monde multiculturel » de Hofstede, édition 1994. Récupéré le 14 mai 2014 de http://mipms.cnam.fr/servlet/com.univ.collaboratif.
utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1295877018033
48
chapitre 2
L’orientation court terme/long terme correspond aux valeurs orientées vers le futur, la durée,
comme faire des économies et être persévérant (long terme), par opposition aux valeurs orientées
vers le passé et le présent, comme le respect pour la tradition (court terme)14.
Notons que selon le Centre Hofstede, d’autres facteurs s’ajoutent aux différenciations culturelles :
Le degré de pragmatisme d’une culture donnée, définie comme étant une reconnaissance du fait
que tout ne peut être contrôlé ou expliqué et faisant preuve d’une grande adaptabilité (souvent
caractéristique des pays d’Asie).
Le degré d’indulgence concerne le degré de contrôle des désirs et des impulsions. Cette donnée
oppose notamment le Maroc, l’Albanie et la Croatie à la Colombie et au Cap-Vert. Le premier groupe
voit la nécessité d’instaurer des normes pour régir les actions. Le second groupe est favorable à la
jouissance des plaisirs de la vie et accorderait une plus grande importance aux loisirs.
Sur le site web officiel The Hofstede Center15, on trouve d’intéressants exemples interactifs s’ap-
pliquant aux facteurs de Hofstede. Une description détaillée des degrés d’application à chaque
facteur accompagne les comparaisons entre pays sélectionnés.
MAROC 25
ALBANIE 15
CROATIE 33
COLOMBIE 83
CAP-VERT 83
14. Définitions récupérées du Dictionnaire de marketing, dictionnaire en ligne. « Définition, La dimension culturelle selon Hofstede ».
Récupéré le 3 mars 2014 de http://www.ledicodumarketing.fr/definitions/La-dimension-culturelle-selon-Hofstede.html et le Centre
Hofstede en ligne : http://geert-hofstede.com.
15. http://geert-hofstede.com
49
chapitre 2
L’Autre Rive
Pour faire comprendre les différences entre les Américains et les Français, Pascal Baudry examine les problèmes
qui se posent quand il s’agit de les faire travailler à un projet commun.
Les Américains font preuve d’un optimisme quasi forcené qui découle de leur éducation; dès leur plus jeune âge,
ils sont encouragés à agir. En France, les jeunes sont soumis à la critique, à la prudence, ce qui s’explique par
l’histoire de la vieille Europe longtemps soumise à la disette et aux risques provoqués par la rareté; d’où sans
doute, aussi, les réticences à l’égard de l’entreprise privée et du profit.
Les États-Unis, pays de tradition protestante, tiennent la responsabilité individuelle pour primordiale. La France,
elle, préfère la réglementation. Son niveau de réglementation administrative est d’ailleurs le plus élevé des vingt
pays les plus développés. Aux États-Unis, les rapports entre personnes et groupes sont régis par des contrats dont
chaque détail a été négocié, et dont l’application entraîne fréquemment le recours à un avocat et à la justice, les
litiges se terminant généralement par des règlements à l’amiable. En France, le contrat est plutôt perçu comme une
déclaration d’intention dont les détails sont à préciser ultérieurement.
Dans le domaine professionnel, les Américains se concentrent sur la réalisation d’une tâche. Les Français
s’attachent au milieu de travail, où ils cherchent à se faire remarquer par leurs diplômes ou leur tempérament;
alors que pour les Américains, ce qui compte, c’est le savoir-faire et la réalisation d’un objectif bien défini − cela
commence à l’école, où l’on apprend à travailler ensemble (maîtres et élèves réunis) à l’obtention d’un résultat utile
pour les différentes parties.
Les Français se situent encore souvent dans des relations de vassal à suzerain. Aux États-Unis, on dit clairement
ce qu’on a à dire. En France, les paroles sont souvent empreintes d’arrière-pensées. Il est vrai que le partage d’in-
formations n’y est pas naturel. Enfin, l’Amérique est un pays qui s’aime et Pascal Baudry doute que ce soit le cas
de la France, même si les Français ont tendance à considérer leur pays comme plus « civilisé » que les États-Unis.
La volonté de savoir peut, au-delà de la curiosité, être mise au service de l’action. La sociologue
Denise Helly (1995) a pu faire comprendre, grâce à une enquête de terrain auprès des services
publics du Québec, pourquoi certaines communautés d’immigrés offrent une résistance culturelle à
l’intervention de l’État dans le domaine familial. De même, la volonté de savoir permet de repérer les
50
chapitre 2
éléments clés de la culture de l’Autre et d’en reconstruire la rationalité, comme le fait l’ethnologue
britannique Julian Pitt-Rivers à propos du lien existant entre le sens de l’honneur et les fondements
moraux de la famille, un aspect fondamental de la culture andalouse.
–– « Temps allemands et temps français. Une éclairante théorie » de Christoph I. Barmeyer et Éric Davoine.
–– « Différences culturelles franco-allemandes. Une voie pour comprendre » de Thomas Johnen et Frank
Kahnert.
51
chapitre 2
Stella Ting-Toomey étudie les rapports communicationnels à partir d’une approche subjective de la
communication qui conçoit « (…) la communication non pas tant comme un échange de messages
mais plutôt comme une négociation d’identités » (Licata et Heine, 2012, p. 267). Ainsi, on tentera de
montrer l’importance de la notion de face, dans le sens d’apparences ou de dignité dans les rela-
tions interpersonnelles. La face est l’image positive de soi montrée dans une situation d’interaction
(image de soi publique) et elle varie d’une culture à une autre. Ce concept est lié à la notion de « rôle
social » censé être tenu en situation d’interaction, rôle variable selon les situations (par exemple,
conversation entre amis en comparaison de conversation lors d’une entrevue d’embauche). Du
point de vue de cette théorie, l’image de soi est prédicteur des styles de résolution de conflits
employés lors des communications.
Dans cette même perspective d’observation des différences culturelles, Stella Ting-Toomey tente
d’expliquer les différences culturelles dans la manière de gérer les conflits. Sa théorie repose sur
quatre prémisses :
➼➼ Toute personne essaie de négocier et de maintenir la face dans les situations de communication.
➼➼ Le concept de face est particulièrement problématique dans les situations interpersonnelles vul-
nérables (situation de conflit, identités mises en question).
➼➼ La variabilité culturelle, les variables individuelles, et les variables situationnelles influencent les
préoccupations au sujet de la face, c’est-à-dire sauvegarder la face orientée vers soi ou vers les
autres, chercher d’abord à protéger son autonomie ou chercher d’abord à être accepté de l’Autre.
52
chapitre 2
Comme Hall, Ting-Toomey distingue des cultures individualistes et des cultures collectivistes (à
contexte faible et à contexte fort). Dans les cultures individualistes, on veille à sauver sa propre face
– en justifiant ses actions ou en blâmant la situation – et on a tendance à utiliser un style plus direct
et menaçant (dominant) que dans les cultures collectivistes. Dans les cultures collectivistes, plus
souvent, les stratégies pour honorer la face de l’Autre prédominent (ne pas humilier ou embarrasser
l’Autre en public). Ting-Toomey constate que les collectivistes, plus indirects, tentent de conserver
mutuellement la face en étant à la recherche de compromis pour éviter le conflit et usent de tac-
tiques d’évitement. Ils valorisent le respect et l’approbation de l’Autre, allant dans le sens de l’accep-
tation de soi par l’Autre. Dans ces cultures, il est courant d’observer une communication indirecte
au sein d’un groupe pour éviter les conflits : un « oui » ne signifie pas nécessairement un « oui », la
politesse ayant préséance sur l’honnêteté. À l’opposé, dans les cultures individualistes, on tend à
recourir à des tactiques de domination et d’intégration (Licata et Heine, 2012). Ting-Toomey montre
ainsi que les styles de gestion des conflits diffèrent d’une culture à l’autre, et forcément d’un individu
à un autre, selon le sens accordé à l’image de soi.
Consultez les sources sur Ting-Toomey répertoriées sous le thème « Théories de la communication inter-
culturelle » à la section Pour en savoir plus.
53
chapitre 2
Les scripts familiers constituant plus des obstacles que des aides dans la communication inter-
culturelle, nous devons dès lors nous appuyer sur d’autres stratégies pour réduire l’incompétence
communicationnelle que nous révèle le malentendu – que nous ayons conscience ou non de cette
incompétence, d’ailleurs. Si un peu d’anxiété et d’incertitude peut servir d’aiguillon pour apprendre,
au-delà d’un certain seuil, ces états d’inconfort nous rendent dysfonctionnels. Gudykunst et Yun Kim
étudient ce problème, soit l’effet du niveau d’incertitude et d’anxiété sur l’efficacité de la communi-
cation : « … le niveau d’anxiété détermine les représentations envers les étrangers. Imaginons une
situation de communication interculturelle où l’anxiété est élevée. Les individus auront davantage
tendance à adopter une représentation stéréotypée de l’Autre. Par contre, quand le niveau d’anxiété
est bas, il est probable que la différence culturelle de l’étranger ne soit pas prise en compte et que
cela génère des malentendus » (Licata et Heine, 2012, p. 275).
Pour mieux faire connaissance avec ce modèle, nous présenterons trois de ses dimensions. D’abord,
les registres de connaissances ayant une incidence sur la relation avec l’Autre. Ensuite, les moyens
suggérés par Gudykunst et Yun Kim afin d’améliorer la communication. Finalement, la définition des
éléments inhérents à la compétence interculturelle.
Dans leur modèle de cognition sociale, Gudykunst et Yun Kim distinguent trois registres de connais-
sances ayant une incidence sur la relation avec l’Autre. Le registre culturel regroupe ce que nous
savons de la culture de l’étranger, de ses valeurs, de ses normes, etc.; le modèle établit qu’une
bonne connaissance de la culture de l’Autre améliore la capacité de prédire ses réactions. Le
registre socioculturel regroupe ce que nous savons de l’appartenance de l’Autre, c’est-à-dire les
informations les plus pertinentes sur son groupe d’appartenance. Enfin, le registre psychoculturel
regroupe ce que nous savons des caractéristiques individuelles de l’étranger, c’est-à-dire les infor-
mations les plus pertinentes sur ses relations personnelles, ses amitiés, etc.
➼➼ La connaissance : percevoir les similarités entre nous et les étrangers accroît notre capacité de
contrôler l’anxiété et de prédire correctement leurs comportements. Posséder un vaste réseau de
contacts avec des étrangers diminue l’anxiété et accroît la capacité de prédire correctement leurs
comportements en développant graduellement un sentiment de familiarité.
➼➼ La compétence : pouvoir classer les étrangers dans les mêmes catégories qu’ils utilisent pour se
classer eux-mêmes accroît la capacité de prédire correctement leurs comportements. De même,
accepter l’ambiguïté dans la communication lorsqu’on interagit avec des étrangers accroît la
capacité de contrôler notre anxiété et de prévoir leurs comportements.
54
chapitre 2
Gudykunst et Yun Kim pointent deux éléments inhérents à la compétence interculturelle pour faciliter
la rencontre avec l’Autre : l’autosurveillance et l’observation.
NIVEAU 1
Incompétence inconsciente (nous mésinterprétons le comportement de l’Autre sans le savoir)
NIVEAU 2
Incompétence consciente (nous savons que nous mésinterprétons mais ne faisons rien pour y
remédier)
NIVEAU 3
Compétence consciente (nous pensons à la manière dont nous communiquons et essayons de
nous adapter)
NIVEAU 4
Compétence inconsciente (nos capacités communicationnelles sont développées et nous
n’y pensons plus)
17. La réflexivité est le degré d’attention portée à nos pensées et comportements; capacité de se soustraire aux forces extérieures
(culture, appartenances, environnements, situation, etc.). Cette notion s’oppose à l’inadvertance, qui consiste à suivre une routine
communicationnelle sans y penser.
55
chapitre 2
Cette approche prescriptive de la communication est limitée compte tenu du fait que la réflexivité
est difficilement mesurable ou contrôlable. Pour mieux s’exercer et comprendre les problématiques
de la rencontre culturelle, il sera utile d’y inclure une démarche descriptive et compréhensive de
l’expérience de communication interculturelle. C’est-à-dire une approche visant à comprendre les
éléments d’explication de la complexité des interactions.
Pour approfondir, des sources complémentaires de Gudykunst et Yun Kim sont répertoriées sous le
thème « Théories de la communication interculturelle » à la section Pour en savoir plus.
La prise de conscience des différences entre interlocuteurs apparaît comme un prérequis à la réus-
site des communications entre cultures. Nous retiendrons que la sensibilisation à la pluralité (des
sociétés, des cultures, des religions, des représentations sociales de soi et de l’Autre) passe par un
décentrement de soi-même, une distanciation de ses propres opinions, points de vue ou valeurs.
Non pour les renier ou les dénier, mais pour enclencher une réflexion sur son propre système de
valeurs et celui de l’Autre. Par cette démarche, il devient désormais possible de mieux repérer et
comprendre les indices significatifs du point de vue culturel que l’échange nous donne à lire. Ces
théories de la communication interculturelle mènent à trois conditions nécessaires à une commu-
nication interculturelle effective :
➼➼ Être capable de réflexivité, c’est-à-dire être conscient de ses propres présupposés tout en étant
capable de prendre la perspective de l’Autre.
56
chapitre 2
L’ouvrage collectif Histoire de l’autre, rédigé par l’Institut PRIME (Peace Research
Institute in the Middle East), raconte le conflit israélo-palestinien en juxtaposant
des événements historiques et politiques du conflit des points de vue opposés des
côtés Palestiniens et Israéliens. Les deux récits permettent de mieux comprendre
les divergences, de voir ces deux cultures et le conflit qui les oppose d’une manière
nouvelle.
Pour une meilleure intégration des notions présentées dans ce chapitre, répondez au questionnaire de
révision ci-après. Vous pourrez mesurer vos connaissances à l’aide du quiz en ligne sur le site web du
cours.
Vous êtes invité à consulter le plan de travail dans le guide d’étude pour un suivi efficace de vos activités.
❑❑ Identifiez les quatre registres de la conversation tels que définis par Flahault.
❑❑ Qu’est-ce qui distingue les cultures collectivistes des cultures individualistes en termes
de culture sociale (type de société) et en termes de manière de communiquer les infor-
mations?
❑❑ Selon quels aspects Hall classe-t-il les principales différences comportementales cultu-
relles?
57
chapitre 2
❑❑ Est-il vrai que toutes les personnes essaient de négocier et de maintenir la face dans
les situations de communication?
❑❑ D’après le modèle de cognition sociale proposé par Gudykunst et Yun Kim, quels sont
les différents moyens d’améliorer la communication?
❑❑ D’après le modèle de cognition sociale proposé par Gudykunst et Yun Kim, quels sont
les deux éléments inhérents à la compétence interculturelle?
58
chapitre 2
EXERCICE NOTÉ
« EXPLORATION CULTURELLE »
Pour vous exercer à la « décentration », nous vous invitons à prendre l’initiative d’une exploration cultu-
relle pour découvrir ou approfondir une culture qui vous est peu familière.
Cet exercice d’exploration a pour but d’aller à la rencontre de l’Autre. Pour bien réaliser cet
exercice, il importe d’adopter une attitude de curiosité et d’ouverture à l’égard les cultures
différentes de la nôtre. Nul besoin d’aller en voyage, dans notre quotidien nous côtoyons des
gens de tous les horizons.
Dans le cadre de ce travail vous devez aller à la rencontre d’une culture différente de la vôtre
et entrer en communication. Cela peut être :
– une personne d’une culture différente dans votre quartier ou un quartier habité par une
ou des communautés immigrantes,
– une personne d’une culture différente avec qui vous travaillez ou vous étudiez
– la visite d’un petit restaurant vietnamien pour goûter les mets qui y sont servis et échan-
ger avec son propriétaire sur son parcours de vie et sa culture culinaire.
– la visite d’un magasin qui vend des produits spécifique à une culture (haïtien, algérien,
polonais, chinois, etc. ) où vous observez et essayez d’entrer en communication
– une personne d’une culture différente qui travaille dans une garderie
Ce qui importe est de décrire votre expérience en regard aux concepts d’identités et de per-
ceptions, tels qu’ils sont abordés dans le manuel du cours. Qu’avez-vous appris sur l’Autre?
De quelle manière ces apprentissages influencent-ils votre perception de l’Autre? S’il y a eu
des malaises, quelles attitudes avez-vous adopter?
Ce travail de deux à cinq pages doit témoigner de la richesse de vos observations ou de l’ap-
profondissement de votre sujet, selon le cas. Et il doit également vous permettre de témoigner
de vos réactions, à la lumière de ce que vous avez appris jusqu’à présent dans le cours.
59
chapitre 2
CRITÈRES D’ÉVALUATION
• Exactitude, richesse et pertinence des informations recueillies sur la culture étrangère choisie.
• Justesse de l’analyse demandée.
• Faire des liens avec certaines notions vues dans le cours.
• Excellence de la révision linguistique.
• Respect des règles de présentation et de la directive de non plagiat.
60
chapitre 3
chapitre 3
Introduction au cours
Chapitre 1
Chapitre 2
3
CONTACTS INTERCULTURELS ET CHAMPS DE PRATIQUE : UNE INTRODUCTION
Chapitre 4
Pour en savoir plus
61
chapitre 3
Au-delà de l’action, le positionnement professionnel nécessite d’argumenter ses actes en fonction des différentes références
sur lesquelles on s’est construit. Poser la question du sens, c’est souvent déranger, bousculer, voire être en conflit.
L
es contacts interculturels surviennent dans d’innombrables contextes, à différents niveaux (indivi-
duel, sociétal, national ou international) et dans différents domaines (juridique, coopération internatio-
nale, tourisme, médias et réseaux sociaux, etc.). Pour mieux approfondir les notions précédemment
présentées dans ce manuel, des secteurs spécifiques ont été ciblés et d’autres écartés. Et ce, dans
le but de développer de manière plus appréciable quelques problématiques de l’interculturel en les
associant à des exemples de cas et en nous rapprochant davantage des expériences pratiques.
Ceci dit, dans ce chapitre sont présentés quelques exemples de domaines professionnels où des
contacts interculturels s’exercent : le management, le marketing, les soins de santé, la sécurité et
l’enseignement. Grâce à une approche synthétique et globale de quelques-unes des réalités qui
caractérisent ces domaines, vous pourrez vous familiariser avec des enjeux et des problématiques
interculturelles propres à chacun d’eux. Cette initiation à la réalité professionnelle en situation de
travail interculturelle vise une sensibilisation aux risques de malentendus qui caractérisent ces types
de contacts et aux compétences sollicitées par ce contexte particulier.
Aucune « formule » ou manière de pratiquer n’est proposée, le but de cette démarche étant d’abor-
der les défis professionnels qui vous concernent avec un regard plus averti et nuancé. Aussi, dans
le cadre de cette lecture nous vous invitons à noter l’abondance des ressources existantes permet-
tant d’élargir vos connaissances et guider le perfectionnement de vos pratiques.
63
chapitre 3
En vue de vous sensibiliser à ces difficultés, nous prendrons comme premiers points de réflexion
deux aspects de la situation professionnelle en contexte de diversité culturelle : le caractère sub-
jectif des identités professionnelles et l’évolution des rôles professionnels dans un contexte de
diversité culturelle.
Le choc culturel défie l’identité de métier ou de profession (le rôle) de sorte que la rencontre inter-
culturelle peut être perçue comme difficile, voire insurmontable. S’interroger sur le choc des valeurs
vécu lors de ces rencontres est une démarche nécessaire afin d’adapter nos pratiques profes-
sionnelles et surmonter nos attitudes défensives. Margalit Cohen-Emerique fait remarquer que de
manière concrète, c’est ce qui paraît le plus surprenant, déroutant et critiquable chez l’Autre qui est
susceptible de révéler les normes, valeurs, représentations et idéologies qui fondent nos propres
pratiques culturelles.
Ces choc [culturels], ressentis essentiellement au niveau des valeurs, font référence à des modes de pensée, à
des images souvent inconscientes, à une vision du monde qui détermine les conduites et oriente les actions. Ils
entraînent des incompréhensions, des malentendus qui peuvent donner lieu à des difficultés d’intervention. Ils
peuvent être liés à la perception différentielle du corps, de l’espace, du temps, de la structure du groupe familial et
de l’individu, de la sociabilité (dons, échanges, hospitalité, etc.), des demandes d’aide que le migrant adresse au
professionnel, des rites, des croyances magico-religieuses qui accompagnent les moments les plus importants
de la vie d’un individu, et les représentations du changement culturel. Ces zones de choc peuvent parfois être à
l’origine, chez le professionnel, d’un sentiment de déstabilisation, voire de menace de son identité professionnelle
et personnelle. […] les professionnels de l’humain se sont forgé un système culturel comportant des normes
propres (droits de la femme, nouvelle définition des rôles parentaux, défense de l’individualisme et de la liberté
contre les pressions familiales et religieuses, valorisation de la liberté dans l’éducation des enfants, importance
de la promotion sociale grâce à une scolarisation poussée, etc.). Ce système culturel […] est souvent confronté
de manière violente lors de la prise en charge d’individus et de familles venant de cultures différentes. (Cohen-
Emerique et Hohl, 2004, cités par Licata et Heine, 2012, p. 278)
Outre le choc des valeurs, le professionnel peut faire face à des situations d’inconfort, d’impuis-
sance ou de stress remettant en cause ses capacités, sa manière de faire, et multipliant ses limites
d’intervention :
[…] l’intervenant social ou éducatif peut, dans certaines situations, se sentir menacé symboliquement par le
demandeur, et ceci malgré son statut de majoritaire et de représentant institutionnel. Il est mal à l’aise, voire
ressent de l’anxiété s’il ne se sent pas reconnu ni confirmé dans son identité professionnelle par l’usager migrant,
comme dans les quelques situations suivantes :
–– lorsque le praticien ne comprend pas la langue parlée par un groupe alors qu’il intervient tout seul. Il a l’im-
pression qu’on dit du mal de lui;
64
chapitre 3
–– lorsqu’il y a inversion des rapports sociaux, du fait que le minoritaire impose ses codes ou traite le praticien
avec hauteur, ce qui peut être fréquent avec les réfugiés politiques qui ont perdu leur statut social;
–– lorsque le praticien ne réussit pas à mettre en œuvre les modèles professionnels qui fondent son expertise.
C’est toute sa valeur professionnelle qui est ébranlée, toute son identité qui est menacée, inhibant sa capacité à
s’adapter, tout au moins momentanément, aux réalités rencontrées. Cette menace à l’identité du professionnel avec
sa cohorte de sentiments d’impuissance, de dévalorisation, suscite de multiples réactions de défense. […] Mais
il ne faut pas voir ce positionnement défensif comme systématique, un certain nombre de professionnels ont des
ressources, acquises par l’expérience ou en relation avec leur personnalité; elles leur permettent de dépasser la
menace et de s’ouvrir à l’autre en lui témoignant un intérêt authentique (Cohen‐Emerique et Hohl, 2002, cités par
Cohen‐Emerique, 2011, p. 16).
Être capable de mieux évaluer nos perceptions − de soi, de l’Autre, de la relation professionnelle
elle-même − est fondamental à l’amélioration des communications dans un contexte de travail.
Le professionnel capable d’adaptation parvient à redéfinir son rôle professionnel en fonction du
contexte et de son interlocuteur. Il est conscient que ce rôle n’a pas le même sens pour l’Autre. Ce
point de vue transforme la rencontre culturelle, qui était obstacle, contrariété ou menace, en oppor-
tunité d’élargissement et de perfectionnement de nos pratiques.
L’approche interculturelle cerne le professionnel dans sa globalité, en tant que centre cognitif et affectif et comme
foyer d’élaboration de sens, en interaction avec un autrui individuel ou collectif, autre foyer d’élaboration de sens.
Envisager l’interculturel en ces termes est fondamental :
–– d’une part, cela évite de tomber dans le piège très courant de considérer les professionnels comme culturelle-
ment neutres, hors des rapports sociaux et sans fonction d’acculturation;
–– d’autre part, cette approche permet de mieux comprendre la dynamique identitaire qui caractérise tout pro-
cessus d’aide, qu’il se déroule dans le cadre d’une action sociale, d’un suivi éducatif ou même d’une aide
psychothérapeutique.
Pour favoriser le dialogue et aider à la résolution de conflits entre cultures, certaines qualités pro-
fessionnelles et personnelles sont requises, mais aussi, des ressources spécifiquement formées
dans le domaine de l’interculturel. Il est de plus en plus envisagé d’intégrer aux équipes de travail
des intervenants ayant pour mandat de faciliter les communications. Outre la connaissance d’une
ou plusieurs langues étrangères, ces intervenants posséderont une connaissance approfondie
de la culture inhérente à cette langue. Ces intervenants pourront également développer et mettre
65
chapitre 3
en place des programmes de formation adaptés afin de sensibiliser des groupes de travail aux
enjeux inhérents à la communication interculturelle (racisme, préjugés, discrimination, situation de
l’immigré, obstacles linguistiques, etc.). Pour vous initier à ces ouvertures professionnelles nous
exposerons deux exemples : le gestionnaire en contexte de diversité culturelle (communication
interculturelle au sein d’une équipe de travail) et le médiateur (communication interculturelle entre
un professionnel et un individu ou un groupe d’individus bénéficiaires de ses services).
Le Guide pratique de la gestion de la diversité culturelle en emploi propose une adaptation du rôle
de gestionnaire et du style de gestion en contexte de diversité culturelle. Cette transformation du
mode de supervision évolue vers un type « mentoring » (mentorat) où le gestionnaire occupe un
rôle d’accompagnateur : « L’accompagnateur ou l’accompagnatrice veillera à élargir son approche
de supervision en y incluant les dimensions de conseil, la transmission d’expérience et le soutien
sur le plan émotionnel. Cette approche élargie est souvent appelée «mentoring». » (Guide pratique
de la gestion de la diversité culturelle en emploi, 2005, p. 69). Le rôle du gestionnaire est redéfini
en fonction des particularités des milieux de travail interculturels et correspond au profil suivant :
L’approche interculturelle de la supervision en milieu de travail implique une discussion sur les dif-
férences et les barrières communicationnelles entre cultures de sorte que les problèmes, toujours
spécifiques à chaque individu et chaque milieu, sont solutionnés avec la participation de l’employé.
Un dialogue ouvert sur les problèmes encouragerait la confiance et la collaboration de ce dernier,
et faciliterait son intégration.
Les recherches ont démontré qu’il existe des défis de gestion spécifiques aux différences culturelles. La personne
nouvellement employée, particulièrement si elle est issue d’une minorité visible, a souvent du mal à s’identifier
à une personne qui ne lui ressemble pas. Pour la personne qui agit à titre de superviseur, la différence culturelle
peut aussi constituer un élément d’inconfort. Rappelons-nous simplement comment plusieurs hommes ont eu
de grandes difficultés à superviser des femmes lorsque celles-ci sont arrivées en grand nombre dans le mar-
ché du travail. Il ne s’agit pas de racisme directement. Il s’agit plutôt d’un manque de connaissance à propos
des différences. […] Les personnes issues des minorités connaissent une progression de carrière plus mani-
feste lorsque leur mentor ou le, ou la, superviseur sont conscients des barrières « communicationnelles ». Une
discussion ouverte sur le sujet crée une meilleure relation et enlève l’obstacle potentiel. (Guide pratique de la
gestion de la diversité culturelle en emploi, 2005, p. 71)
66
chapitre 3
En somme, le gestionnaire « coach » veillera à s’informer des difficultés vécues par les personnes
dans leur emploi et assurera une rétroaction constructive. Il sera sensible au fait que l’intégration
nécessite une adaptation aux normes du lieu de travail, un renforcement de compétences, et une
prise en compte du processus migratoire. Les collègues seront également sensibilisés aux défis
d’intégration de chaque personne nouvellement employée, afin d’augmenter l’efficacité du proces-
sus d’apprentissage que nécessite un nouveau milieu de travail. De même, on pourra mettre en
place une structure d’appui permanente (par exemple, un comité de travail) pour encadrer et sou-
tenir les changements dans les styles de gestion et de supervision, si nécessaire.
POUR S’EXERCER
Consultez l’exercice « Main d’œuvre issue de l’immigration et supervision : exemples de cas » à la sec-
tion des exercices facultatifs. Un questionnaire réalisé par Emploi Québec et le Conseil Emploi Métropole
permet de se familiariser avec des problématiques d’intégration en milieu de travail. Vous pourrez exercer
votre sens de l’analyse à l’aide de six cas pratiques.
Es-Safi (2001) aborde la notion de médiation interculturelle et le statut de médiateur dont le mandat
se résume à l’interprétariat. Interprétariat linguistique certes, mais aussi des univers culturels des
individus. « Il s’agit de saisir le sens hors langue d’un discours et de le réexprimer dans une autre
langue. Les lapsus, les regards, les sous-entendus, les métaphores, les allégories, les attitudes,
les mouvements du corps, les codes culturels propres à chaque classe sociale sortent du contexte
purement linguistique » (p. 28). L’auteur énumère les compétences que requiert la pratique de la
médiation culturelle, s’attachant plus spécifiquement au problème de communication entre cultures
en milieu hospitalier :
–– des connaissances linguistiques accomplies : La maîtrise de la langue du pays d’accueil ainsi que celle
d’origine des patients.
–– des connaissances sociolinguistiques approfondies : Un même mot peut avoir une signification différente
selon le milieu duquel est issue la personne.
–– des connaissances culturelles : les rites, les habitudes, le savoir-faire, la connaissance des institutions
belges [i. e. du pays d’accueil] et les us et coutumes du pays d’origine et du pays d’accueil...
–– des aptitudes permettant de dispenser des informations : indiquer les droits sociaux ainsi que les
obligations, explication des maladies et des traitements, explication du sens et de la portée des examens et
des soins, contribution à l’éducation à la santé. Le médiateur interculturel peut aussi se voir amené à dispenser
des informations sur les pratiques culturelles des patients au personnel soignant.
–– des attitudes préconisées par la médiation : (neutralité, empathie, déontologie...). Le médiateur inter-
culturel, en vrai professionnel, se doit d’être neutre. Tâche difficile lorsqu’il se retrouve en face d’un individu
de sa communauté en demande d’aide et qui l’investit d’un pouvoir, d’une « toute puissance ». Être neutre,
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chapitre 3
c’est non seulement s’interroger constamment sur les glissements éventuels en dehors des frontières de la
neutralité, mais aussi s’interroger sur soi-même. Professionnel, il doit faire preuve de recul et contrôler ses
propres affects. Pour l’aider dans le cadre des lourdes tâches assumées, il est donc indispensable de prévoir
des lieux de supervision et d’échanges sur les pratiques. On le constate clairement, la fonction de médiation
interculturelle dans les soins de santé est une fonction spécifique qui laisse peu de place à l’improvisation et
au bricolage d’autant plus qu’elle touche le domaine de la santé.
Anna est médiatrice interculturelle et travaille au sein du Service des Affaires sociales de la Ville de Namur en
France depuis sept ans.
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chapitre 3
Pouvez-vous nous donner quelques exemples de problèmes que vous avez dû traiter?
Nous recevons des demandes d’accompagnement émanant de la population et de services et d’institutions. La
population nous interpelle sur sa non-maîtrise du français, sa méconnaissance des institutions, la complexité et
la méconnaissance des procédures, sa difficulté à comprendre un document écrit à caractère officiel ou encore sur
ses difficultés de communication qu’elle rencontre avec les institutions. Les services et institutions font appel à
nous lorsque l’usager comprend peu ou pas le français (impossibilité d’instaurer une communication), quand ils
veulent s’assurer que les explications sont bien comprises par la personne ou inversement (bien qu’il y ait com-
munication, l’importance ou le sens de la réponse doit être absolument comprise par la personne) ou quand ils
perçoivent une difficulté qui pourrait être générée par une incompréhension d’ordre culturelle. Nous intervenons
aussi dans le domaine scolaire lorsqu’un établissement invoque une absence de dialogue avec des parents. Le
service est basé au Service des Affaires sociales, ce qui apporte un élément de précision quant à son identification
(finalité sociale). Elle est intégrée à la cellule globale de médiation. Le fait d’être basé aux Affaires sociales permet
aussi une transversalité au minimum au sein de l’administration communale.
Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui serait intéressé par l’exercice de votre métier?
Il devra faire preuve d’une « compétence interculturelle ». Cette compétence repose sur trois démarches :
–– la décentration : capacité à réfléchir sur ses propres référents culturels, ce qui doit permettre d’aller vers l’Autre;
–– la pénétration du système de référents de l’Autre : volonté de comprendre ce qui « donne sens et valeur à
l’Autre, à travers sa culture, sa migration, son exil, son acculturation »;
–– la médiation/négociation en elles-mêmes.
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chapitre 3
Source : « Anna, Médiatrice interculturelle », entrevue diffusée en ligne sur le site web Métiers [Réalisée en
novembre 1999 − Interview 346]. Récupéré en mai 2014 de http://metiers.siep.be/interviews/mediateur-
interculturel/#
Dans cet exemple on retrouve, à l’origine d’une demande de médiation, un médecin œuvrant dans le domaine de
la protection maternelle et infantile. Ce dernier a constaté qu’une mère malienne, malgré les conseils d’une infir-
mière, n’a pas fait soigner ses deux jeunes enfants à l’hôpital. La personne qui exerce une fonction de médiation
explique alors à ce médecin que lors de sa rencontre avec la famille et le père, elle a découvert qu’il n’était pas
informé du problème car sa femme nouvellement arrivée du Mali ne connaissait pas le français ni le rôle d’une
consultation. Le père dira même que sa femme « n’a pas compris qu’il fallait aller à l’hôpital, car chez nous quand
on va au dispensaire, on nous soigne directement ».
Premier malentendu que la médiatrice a dû désamorcer, ainsi que bien d’autres. Par exemple, au pays, on ira
consulter le marabout qui parlera de possession ou de mauvais œil. Ici, nous parlerons d’un diagnostic établi par
électro-encéphalogramme. Depuis les différentes interventions de la médiatrice, le médecin, désormais plus vigi-
lant, tente de bien faire comprendre le rôle des différentes structures médicales en France, à l’aide d’un traducteur
s’il le faut. La famille malienne, quant à elle, se souvient que [le service de consultation] n’est pas le dispensaire
et qu’il faut envoyer son enfant à l’hôpital pour les soins.
Voici un autre exemple. Parfois, la migration crée des situations de tension qui provoquent des conflits non seu-
lement avec la société d’accueil mais aussi dans la famille. C’est le cas d’une jeune femme subissant les violences
de son mari, originaire du Zaïre et sans travail. L’assistant social juge, sans rencontrer le mari, que cette violence
est pathologique et propose un placement. La médiatrice rencontre alors le mari qui vit très mal le fait de ne pas
pouvoir faire reconnaître ses diplômes en France, d’être au chômage et de ne pas être consulté lors des décisions
qui concernent sa famille. C’est le sentiment d’échec sur toute la ligne.
La médiatrice se fait épauler alors par un sage d’Afrique de l’Ouest qui explique à ce mari déboussolé par sa situa-
tion en France les valeurs communes au continent africain. « Pour être respecté, il faut d’abord respecter les siens
en s’assurant de leur sécurité matérielle », déclare-t-il en lui suggérant de rechercher activement du travail même
si celui-ci ne correspond pas à son niveau d’études. Le mari suivra les conseils du sage et retrouvera r apidement
du travail et la considération de ses proches, ce qui lui fera abandonner progressivement toute violence. La
médiatrice s’est entretenue également avec l’épouse pendant les recherches d’emploi du mari. […]
Ceci montre la difficulté de mener à bien une médiation car cette dernière doit réguler les interactions entre toutes
les parties en présence et ne doit pas se contenter de rétablir le dialogue entre plusieurs membres d’une famille. Ce
travail devra donc se faire également du médiateur vers l’assistant social pour que la communication soit restaurée
non seulement dans la famille mais aussi entre la famille et l’environnement social et institutionnel.
70
chapitre 3
Pour clore cette section introductive aux réalités problématiques des milieux professionnels en
contexte de diversité culturelle, il importe d’exposer d’autres aspects problématiques de la ren-
contre interculturelle, communs à tous les champs de pratique.
D’abord, l’influence notable des stéréotypes et des préjugés sur nos pensées et interventions.
➼➼ Dans le cas des stéréotypes, il est vrai que les classifications et les typologies sont inévitables
pour favoriser un repérage et élaborer un cadre de conduite. Il peut être profitable de les utiliser
comme « outil » pour prendre conscience des différences culturelles. Toutefois, tâchons de le faire
avec prudence. Car chaque rencontre, chaque individu, est unique.
➼➼ Pour ce qui est des préjugés, notons que ceux-ci peuvent avoir un impact négatif sur l’échange
interculturel et le choix de nos interventions. Par exemple, dans le milieu de la santé, Es-Safi
(2001) cite des préjugés tenaces qui discriminent certains individus et influencent la qualité des
soins reçus. « [en Belgique, on pense que les populations migrantes] sont elles-mêmes respon-
sables de leur mauvaise santé, qu’elles ne sont pas adaptées à notre climat, qu’elles n’ont pas
d’hygiène, qu’elles ont une alimentation peu adaptée, qu’elles dégradent leur habitat ou encore
qu’elles négligent la santé de leurs enfants. Enfin, ces populations sont présentées comme pro-
fitant du système de sécurité sociale » (p. 29-30). Comme le fait remarquer Cohen-Emerique :
« S’arrêter au choc culturel, cela veut dire se méfier de ses premières impressions, les considérer
comme provisoires, surtout lorsque l’écart culturel entre les personnes en présence est impor-
tant » (Cohen-Emerique, 1993, p. 77).
Nous avons aussi vu que la communication interculturelle implique des défis spécifiques quant à
l’usage de la langue, au sens des mots et des gestes. Appliquée à ces champs de pratique, la
variété des significations ne met pas les praticiens à l’abri des malentendus, d’où il découle des
erreurs de diagnostic regrettables et des prises de décisions inefficaces. Aussi, rappelons que
notre jugement professionnel est indissociable de nos valeurs personnelles, de la singularité de
notre culture. Ainsi, le sens du travail, le sens des objectifs visés par une entreprise, la méthode de
travail, la notion du temps et l’éthique diffèrent d’une culture à une autre. Par exemple, en travail
social, des notions mal interprétées feront obstacle à l’efficacité des interventions et au bon vouloir
du professionnel, par exemple le rôle de l’homme et de la femme en société ou au sein de la famille,
ou le sens de l’autorité parentale exercée sur un enfant. Autre exemple se rapportant au domaine
de la santé, le sens de la médecine et des traitements, le sens du toucher, de la maladie ou de la
mort, auront un impact considérable sur l’expérience vécue par le personnel soignant et la personne
soignée.
L’identité même du [travailleur social], produit de ses appartenances et choix multiples : culture nationale, ethni
que, religion ou laïcité, et de ses sous-cultures d’âge, de sexe, de profession et d’appartenance institutionnelle,
constitue un des principaux obstacles à la reconnaissance de l’autre pouvant entraîner des actions inadéquates.
[…] Le modèle de famille nucléaire prévalant dans les sociétés modernes, nos normes d’égalité concernant les
rôles masculin et féminin, notre conception d’une éducation libérale, notre orientation vers le futur et le progrès,
71
chapitre 3
la place réduite ou inexistante accordée à la religion et à la spiritualité dans la vie personnelle et, de façon géné-
rale, notre conception individualiste du sujet opposée à la conception holiste, communautaire des sociétés non
occidentales, sont des « images guides » prises dans le sens de Chombart de Lowe (1967) c’est-à-dire des repré-
sentations puissantes, très chargées d’affects, car elles s’ancrent dans les fondements culturels de la personnalité,
dans ses dimensions inconscientes comme la sexualité, la relation au corps, le modèle d’individuation du sujet et
les identifications parentales. Ces représentations guident le décodage et l’évaluation de nombreuses situations
professionnelles où toujours les relations familiales sont présentes. Elles constituent des zones sensibles, pleines
de malentendus et d’incompréhension, lors de la rencontre des professionnels avec des personnes issues de
sociétés où prédominent la soumission de la femme, le statut patriarcal du père ou du chef de clan, les châtiments
corporels dans l’éducation de l’enfant, le modèle communautaire de la personne et l’importance du sacré et du
magique dans la vie de tous les jours (Cohen-Emerique, 1993, p. 74).
À ce sujet, nous citerons les propos de Peat et al. (2011) rappelant l’importance de reconnaître la
spécificité de chacun dans les rapports interculturels :
[...] Il importe aussi de reconnaître que chacun, tant comme simple citoyen, comme intervenant, comme ges-
tionnaire ou usager, est porteur d’un bagage culturel et personnel profondément ancré, avec ses propres valeurs,
croyances, pensées et comportements associés. C’est cette reconnaissance de la spécificité de chacun qui donne
au personnel l’ouverture nécessaire pour comprendre l’ensemble des besoins exprimés par les usagers et d’adap-
ter les services du mieux possible, dans les limites de certaines balises professionnelles, éthiques et légales (Peat
et al., 2001, p. 5).
Cette spécificité, nous en traiterons aussi sous l’angle des champs de pratique du management, du
marketing, des soins de santé, de la sécurité et de l’enseignement.
La question du management interculturel est née de l’idée qu’une approche globale, universelle du
management ne peut s’appliquer à tous les pays quelle que soit leur culture. L’étude de ce champ
de pratique oblige à s’interroger sur le lien qui unit forme organisée du travail et culture. Que ce
soit le cas de grandes entreprises créant des filiales à l’étranger, d’une entreprise qui achète une
entreprise étrangère et souhaite l’intégrer à ses modes de production, ou des coentreprises (« joint-
ventures ») impliquant des entreprises issues de cultures différentes, toutes ces situations mènent
72
chapitre 3
inévitablement à une constante remise en question des pratiques dans le but d’intégrer des cultures
différentes à un processus de production. Cette intégration, ou du moins cet examen des différences
et des modes d’intégration possibles, vise notamment une augmentation de la rentabilité de l’entre-
prise par l’élimination des malentendus et des problèmes de communication, par la création d’un
meilleur climat de travail, par une augmentation de la motivation et du sentiment d’appartenance à
l’entreprise. Et plus encore, par une reconnaissance et une prise en charge flexible des différents
besoins qui affectent positivement ou négativement la productivité du personnel. Comme l’indique
Chevrier, le management interculturel naît de « la volonté d’améliorer l’efficacité économique des
entreprises multiculturelles et de l’exigence éthique du respect des différences » (Chevrier, 2003,
p. 6). Dans cette optique, le management interculturel s’associe à plusieurs concepts qui vous
seront utiles si vous souhaitez approfondir le sujet, tels que la coopération interculturelle et l’adap-
tation locale d’outils de gestion.
La conduite des affaires en contexte international peut s’avérer passablement surprenante, même
dans les situations les plus familières, comme en témoigne l’exemple ci-dessous que nous propose
Elaine Winters dans son article en ligne Communicating across cultures18.
Imaginez un environnement commercial. Plusieurs membres d’une entreprise multinationale provenant de divers
pays du monde et appelés à former une équipe s’apprêtent à assister à une réunion de leur compagnie. Lors de
cette réunion, ils devront prendre des décisions importantes touchant aux buts et aux objectifs de la compagnie.
Les membres de l’équipe proviennent de la Corée, de la Malaisie, de Singapour, de l’Afrique du Sud, du Mexique,
du Chili, de l’Allemagne, du Danemark et du Canada.
C’est la première réunion de l’équipe en face à face. Les membres de la réunion pénètrent dans la salle de confé-
rence. Les tables et les chaises sont disposées en rangs, comme dans une classe traditionnelle. Les Canadiens,
les Allemands et les Danois ne semblent pas très heureux de cette disposition, et après avoir échangé quelques
mots pour se plaindre des faibles possibilités d’interaction, ils commencent à changer les meubles de place. Les
hôtes coréens semblent surpris et ne font aucun commentaire. Pas plus d’ailleurs que les autres participants
asiatiques ou latino-américains. La réunion commence. L’ordre du jour est annoncé, des problèmes sont soulevés
et discutés et des décisions sont prises.
À la fin de la matinée, les Allemands font leurs commentaires aux Danois, en soulignant que les Coréens, les
Chiliens, les Mexicains et les Malais n’ont pas dit grand-chose. Les Canadiens et les Danois approuvent de la tête
et haussent les épaules.
73
chapitre 3
Après le repas, les Coréens, un Malais et un Mexicain prennent à part le responsable canadien et lui font part de
réserves très sérieuses au sujet d’une des décisions. Le Canadien est abasourdi : la réunion du matin n’a servi
à rien et il va falloir reprendre la discussion. « Pourquoi n’avez-vous rien dit durant la réunion? » s’écrie-t-il en
élevant quelque peu la voix.
Comme le mentionne Elaine Winters, l’omission des différences culturelles dans un contexte de
rencontre d’affaires internationales peut coûter très cher à une entreprise. Elle souligne combien
il est important de planifier un environnement permettant de développer une culture « virtuelle »
partagée, où l’on met à profit la richesse des contributions de chaque membre. En effet, lorsqu’une
entreprise met sur pied des équipes multinationales, que ce soit pour élaborer une campagne com-
merciale simple ou pour communiquer sa vision du développement à des employés situés dans une
cinquantaine de pays, elle souhaite qu’il y ait le moins de malentendus possible entre les personnes
et doit voir à ne pas commettre d’impair. Cela est d’autant plus difficile que ces personnes sont dif-
férentes et n’ont, au mieux, qu’une connaissance superficielle les unes des autres.
74
chapitre 3
Outre Elaine Winters, des auteurs tels que Chevrier (2003), Iribarne et al. (1998) et Merkens (1998)
nous font prendre conscience des nombreux facteurs culturels contribuant aux difficultés de
communication interculturelle. On pense entre autres :
Aux formes de droit et aux lois-cadres Aux différences de langage, incluant À la valeur de l’individu (ce que
dans le système économique du pays les différences dans la communication représente un individu dans une
étranger non verbale société individualiste ou collectiviste)
Aux conceptions du contexte et de la Aux rapports de pouvoir (distance À la valeur accordée à la réalisation
gestion de temps hiérarchique entre membres du du travail et aux différences
personnel) notables quant à la prise de décision
Aux rôles attribués à l’homme et à la (significations, procédures, etc.)
femme
Comme le fait remarquer Chevrier (2003, p. 116) : « Chaque fois que l›on veut faire un contrôle de
gestion en Afrique ou un cercle de qualité en Inde, il faut se demander ce que contrôle et hiérarchie
veulent dire en Afrique et en Inde. ». Dans le cahier « Éco & entreprise » du journal Le Monde (Nasi,
2013), Corinne Saurel, qui occupe depuis dix-huit ans des postes de directeur de la communication
internationale et environnementale dans des multinationales, soulève les problématiques commu-
nicationnelles qui affectent le contexte managérial des entreprises opérant à l’international : « La
notion de temps, par exemple, est interprétée différemment selon les cultures. Les Français privilé-
gient le contenu et oublient souvent les délais sur le retour. Alors que dans le monde anglo-saxon,
la deadline, les règles à suivre, l’emportent sur le contenu. »
On constatera, dans une étude réalisée par Christoph Immanuel Barmeyer (2005) auprès de diri-
geants d’entreprises allemands et québécois, la variété des points de vue abordés par la pers-
pective du management interculturel : la conception de la base sur laquelle installer la confiance
nécessaire à la relation commerciale, la représentation des valeurs devant guider le travail, les
facteurs de synergie ou de malentendus culturels, la flexibilité, l’ouverture envers les autres cultures
et les compétences linguistiques en sont quelques exemples. Alors comment se préparer à une
rencontre dont la réussite dépend d’autant de facteurs? La connaissance, bien qu’elle ne puisse à
elle seule éviter le malentendu, peut aider à vivre la rencontre avec plus d’ouverture. Nous citerons
quelques théories du management dont les notions peuvent servir de repères et aider à prendre
conscience des particularités de la rencontre interculturelle appliquée au champ commercial.
75
chapitre 3
Le cadre d’analyse LESCANT19 de David Victor propose une liste des similarités et des différences
entre les cultures pouvant influencer les pratiques en management international :
Langage Nombre de langues officielles et de dialectes, degré de maîtrise des langues dans la
population et la profession. Style de communication dans les différentes situations, formalisme
et humour.
Société (organisation) Comportements formels et informels (étiquette), valeurs familiales, attitudes sociales (envers
les personnes âgées, le loisir, la concurrence, etc.).
Contexte Contexte des interactions (professionnel, informel ou mixte) et règles correspondantes. Normes
relatives aux rapports entre les sexes. Style de management prédominant, préférences des
collègues et des clients.
Autorité (conception) Nature de l’autorité et justification. Influence des facteurs économiques et de l’âge. Types de
rémunération et importance attachée aux faveurs. Définition de la richesse et détermination
du statut.
Non verbal (comportement) Distance sociale et disposition des sièges lors des interactions formelles et informelles.
Principes généralement acceptés (notamment religieux), tabous et comportements proscrits.
Traditions relatives au commerce et à l’application des lois, symboles généralement respectés.
Gestes acceptables, codes associés aux vêtements.
Temps (représentation) Temps conçu comme continu ou discontinu. Temps des affaires et temps des relations ou
des loisirs, temps des adultes et des enfants. Importance attachée à la ponctualité, autres
standards relatifs au temps. Conventions en usage durant les temps libres.
19. Acronyme LESCANT : Langage, Environnement et technologie, Société, Contexte, Autorité, Non verbal, Temps.
76
chapitre 3
Bollinger et Hofstede ont cherché à établir une typologie de l’organisation des entreprises dans le
monde. Dans une étude publiée en 1987, Daniel Bollinger et Geert Hofstede distinguent cinq styles
de management et de motivation, types auxquels correspondent des groupes de pays :
Styles de management
Styles de motivation
Motivation par des performances individuelles : les États-Unis, la Grande-Bretagne et ses principales
ex-colonies en sont les principaux exemples.
Motivation basée sur la sécurité personnelle et individuelle : c’est le cas du Japon, des pays germanophones,
de la Grèce, des pays arabes et de quelques pays latins.
77
chapitre 3
Motivation basée sur la sécurité et sur l’appartenance : elle s’observe surtout dans les cas de la France, de
l’Espagne, du Portugal, de la Yougoslavie et d’autres pays latins et asiatiques.
À ces ressources, ajoutons celles de Hall qui a publié une série d’ouvrages à l’usage des gestion-
naires. Citons le Guide du comportement dans les affaires internationales (1990), rédigé pour faciliter
la communication entre les cultures et aider les gestionnaires à s’insérer dans un système culturel dif-
férent du leur. Il étudie notamment les relations entre la France, l’Allemagne et les États-Unis. D’autres
auteurs étudient et discutent la différence culturelle en étudiant une valeur ou un concept spécifique.
C’est le cas de Veronica-Maria Mateescu (2008) dont la thèse a pour sujet la différence culturelle et
l’éthique postsocialiste du travail, entendue comme la principale différence culturelle qui affecte les
interactions interculturelles dans les entreprises étrangères en Roumanie. Laurent Goulvestre (2012)
propose pour sa part d’étudier les structures d’entreprises locales et d’éviter l’application systéma-
tique de « notre » style de management à d’autres contextes culturels. Son ouvrage Les clefs du
savoir-être interculturel analyse les perceptions croisées (valeurs, attitudes et comportements) de sept
pays : Japon, Chine, États-Unis, Inde, Royaume-Uni, Allemagne et Russie. L’exercice qui suit donne
un aperçu des différences marquées dans les styles de management observés.
–– Ils adoptent naturellement un mode de fonctionnement communautaire, avec une recherche permanente du
consensus. Ils sont réceptifs à un argumentaire solide et motivé et cherchent en permanence une cohérence et
une précision dans les propos.
–– Dans les affaires, ceux-ci n’aiment pas froisser leurs interlocuteurs et ils utilisent souvent la diplomatie dans
leurs relations. Ce qui est apparemment pris pour de l’hypocrisie ou du snobisme, n’est en fait qu’une volonté
de ne pas froisser l’Autre.
–– Ils vous appelleront rapidement par votre prénom en vous tutoyant et porteront une tenue vestimentaire décon-
tractée. Attention, ces apparences sont trompeuses et il ne faudra jamais sous-estimer la position hiérarchique
du partenaire sur la seule base de son attitude.
–– Quand on communique, il a tendance à faire un signe de tête en forme de huit horizontal que l’on traduit aisé-
ment par un « je vous ai compris » mais en aucun cas par la validation des propos évoqués. Ce signe de la
tête est très perturbant car notre cerveau perçoit un signe de négation qui ne doit pas être interprété comme tel.
–– Une conception du temps linéaire extrêmement rigide. Arriver à l’heure, c’est déjà être en retard. 15 minutes
en avance, c’est le bon temps…
–– Lors des réunions, allez droit au but et alignez chiffres et arguments. Ils ne prêtent pas beaucoup d’attention
aux longues présentations… Dans ce pays, on achète plus à une personne qu’à une entreprise. La relation
est avant tout basée sur la confiance et les promesses doivent être tenues même si elles ne sont que verbales.
78
chapitre 3
–– Bien que cela soit une tradition bien ancrée, offrir un cadeau engage celui qui l’accepte à rendre l’équivalent
sous une forme ou sous une autre. Le cadeau n’est pas là pour faire plaisir mais pour sceller une relation. 20
Autre ressource pertinente en management interculturel : Chevrier (2010) développe des métho-
dologies permettant de repérer et de gérer les sources possibles de conflit interculturel. Dans le
cadre de la redéfinition des rôles professionnels et des pratiques, le rôle du médiateur culturel y
est présenté, ainsi qu’une prise en compte des modes de coopération qui résultent de « compro-
mis » bien acceptés par tous. La démarche proposée s’appuie sur l’idée de mise en commun des
difficultés dans le cadre de réunions des membres du personnel, également appelés au cours de
ce processus d’échange à expliquer le sens de leurs actions. On vise ainsi une sensibilisation à
d’autres systèmes de sens et la participation active à l’élaboration de solutions. La prise en compte
des incidents jugés dommageables pour le bon fonctionnement de l’équipe de travail devra mener
à l’expérimentation d’actions, c’est-à-dire de nouvelles manières de faire. Au final, ces différentes
manières de faire devront donner lieu à d’éventuels ajustements.
Cette démarche présente l’avantage de cumuler l’analyse cognitive des repères et l’implication pratique et émotion-
nelle dans des situations concrètes. En effet, la connaissance de ses propres repères et de ceux de l’Autre n’induit
pas mécaniquement des conduites adaptées de part et d’autre. C’est l’aller-retour entre l’action nécessaire et la
distanciation réflexive par rapport à cette action qui permet des ajustements adéquats (Chevrier, 2000, p. 197).
20. Pour obtenir les réponses, consultez la section des exercices facultatifs. Activité récupérée en ligne le 13 janvier 2014 de http://
www.afnor.org/groupe/espace-presse/les-communiques-de-presse/2013/fevrier-2013/les-cles-du-savoir-etre-interculturel-de-
laurent-goulvestre-aux-editions-afnor
79
chapitre 3
La réalité du commerce international demeure assez complexe, car la signification même du rapport
de vente change selon les pays. Au Japon, l’acheteur est la personne la plus importante dans la
relation de vente, tandis qu’aux États-Unis l’acheteur et le vendeur sont sur un pied d’égalité. En
Allemagne, le vendeur doit savoir se montrer persistant et relancer son client, tandis qu’en Angleterre
la qualité première d’un vendeur est la discrétion, tout empressement étant perçu de façon défa-
vorable. Sans oublier, bien sûr, tous les stéréotypes propres au pays producteur ou acheteur ainsi
que les particularités de consommation propres à chaque culture. Au-delà des particularités géo-
graphiques et climatiques de chaque pays et de leurs réglementations respectives, on voit bien la
complexité des facteurs à prendre en compte en ce domaine.
Usunier examine des dimensions du commerce international marquées par la culture. Nous citerons
deux approches opposées qui alimentent la réflexion sur la prise en compte du facteur culturel dans
la mise en marché des produits et services : le marketing global et le marketing interculturel.
➼➼ Le marketing global est une approche qui échappe aux particularités interculturelles, puisqu’il
se définit précisément comme un processus visant à en faire abstraction. Citons pour exemple le
cas de Makita :
Beaucoup d’entreprises internationales ont été obligées de globaliser leurs affaires, tel le fabricant d’outillage
électro-portatif Black & Decker, à cause d’une concurrence très dure avec la firme japonaise Makita. Les raisons
de ce changement sont présentées par le magazine Fortune International, décrivant le pari de Black & Decker sur
la globalisation : « Makita est le plus important concurrent de Black & Decker, et il a une stratégie globale. Peu lui
importe que les Allemands préfèrent des perceuses puissantes et résistant à une utilisation intensive, et que les
Américains préfèrent qu’elles soient les plus légères possibles. Faites une bonne perceuse à un bon prix et ça se
vendra de Baden-Baden à Brooklyn : c’est comme cela que Makita raisonne. » (Saporito, B., dans Fortune, 1984.
Cité par Usunier, 1992, p. 177)
Comme le montre l’exemple de Makita, la globalisation des marchés passe par la standardisation
des produits et des services ainsi que par l’homogénéisation des politiques et des contrôles des
entreprises. Celles-ci tentent de faire correspondre l’offre et la demande, l’hypothèse étant que la
demande, l’offre et les gestes des entreprises vont s’harmoniser simultanément. Or, l’idée même de
globalisation – que nous convergerions tous vers un même style de vie, l’American way of life, et que
nous en serions contents – est contestée en marketing, qui est une discipline visant précisément à
répondre le mieux possible aux caractéristiques particulières des consommateurs.
➼➼ Le marketing interculturel : s’il existe une globalisation, souligne Usunier, c’est celle de l’offre, et
non celle de la consommation, et l’émergence d’un consommateur global est loin d’être certaine.
80
chapitre 3
En réalité, si certains produits semblent se prêter à la globalisation – par exemple certains biens
durables ou les produits de haute technologie –, d’autres produits sont beaucoup plus marqués
par des facteurs culturels. C’est le cas, notamment, des aliments, des vêtements et des produits
fortement rattachés à une langue, comme les livres ou les journaux. Usunier suggère d’observer
attentivement, au-delà des apparences, les transformations des modes de mise en marché en
cours dans l’autre culture afin d’en comprendre les particularités. La stratégie du marketing inter-
culturel mise sur les différences culturelles plutôt que de les considérer comme des obstacles à
éliminer, et sa démarche procède d’une conception géocentrique qui cherche à intégrer simili-
tudes et différences dans un ensemble harmonieux et acceptable pour tous.
L’existence de nombreuses normes, variables selon les pays (normes techniques, normes de sécu-
rité, normes relatives à l’hygiène, etc.), de même que les habitudes de consommation et les diffé-
rences de climat ou d’environnement physique obligent les entreprises à offrir diverses variantes
de leurs modèles et à maintenir des stocks de pièces de rechange élevés. On comprend alors que
les entreprises, malgré leur préoccupation d’adaptation, cherchent à standardiser quelque peu leur
offre afin de réaliser des économies d’échelle. Mais si la standardisation des attributs physiques
des produits est possible (notamment grâce à des normes internationales), et si, dans une moindre
mesure, la standardisation des services connexes est aussi possible (réparation, entretien, ins-
tallation, instructions d’utilisation, assistance technique, livraison et garantie, fourniture en pièces
détachées, etc.), il en va tout autrement des attributs symboliques. La publicité et la négociation,
champs d’application du marketing, remettent en question les pratiques du domaine et mettent
en évidence les enjeux d’adaptabilité des produits et services. Par exemple, une publicité sur un
fromage des Pyrénées représentant un berger au milieu de ses moutons évoquera la nature et l’au-
thenticité dans un pays donné, alors qu’elle représentera la saleté dans un autre. On pense égale-
ment aux malentendus causés par le nom d’un produit : par exemple, le nom « Nova » donné à la
Chevrolet signifie littéralement « ne marche pas » en Amérique latine. De même, l’image de marque
d’un produit doit être soignée puisqu’il existe des stéréotypes associés au lieu de fabrication : par
exemple, le consommateur associe l’Allemagne à la solidité, la France aux produits de luxe, l’Italie
à l’esthétique et la Corée aux produits bon marché. Comme le souligne Marieke De Mooij (1997),
la publicité recourt à de nombreuses associations de valeurs (sécurité, estime, peur, sexe, plaisir,
économie, statut, etc.). Et c’est l’art de la publicité que de savoir relier les valeurs promues par
le fabricant à celles du groupe cible. Ce qui rend une publicité efficace, c’est donc sa capacité
d’établir une correspondance entre les valeurs évoquées par le message et les valeurs du rece-
veur. Il importe de connaître les valeurs des consommateurs à qui la publicité s’adressera. De ce
point de vue, on conseillera de prendre connaissance des styles de publicité ayant cours dans les
cultures visées avant d’entreprendre une campagne internationale. Une marque internationale, en
effet, n’aura du succès que si les consommateurs de chacun des marchés ont l’impression que le
message publicitaire s’adresse à eux particulièrement, correspond à leurs besoins, à leur façon de
vivre, de sentir, de parler.
À ce sujet, il est intéressant d’observer l’adaptation des images publicitaires de certaines grandes
marques telles qu’IKEA, H&M, Givenchy et Starbucks, entre autres exemples, dans des campagnes
publicitaires réalisées pour les pays européens comparativement à celles destinées au Moyen-
Orient. Là où notamment, la représentation de la femme diffère (son rôle social, le sens de ses
attributs vestimentaires et corporels, etc.). Autant de codes associés à des valeurs prônées ou
81
chapitre 3
non, telles que la nudité et le caractère honorable d’une personne. En souhaitant adapter sa publi-
cité au marché de l’Arabie Saoudite, IKEA, multinationale suédoise, avait supprimé d’une version
publicitaire européenne l’image d’une femme en pyjama, affairée à faire sa toilette accompagnée
de ses deux enfants et de son mari. Cette scène familiale, aussi banale qu’elle puisse être dans
la culture occidentale, est porteuse d’un tout autre sens pour la culture saoudienne (indécence,
intimité choquante, etc.). Il va sans dire que l’adaptabilité culturelle n’est pas sans contraintes. En
vue de satisfaire ses objectifs de vente, l’adaptation publicitaire d’IKEA visant à communiquer un
message respectueux des valeurs de la clientèle ciblée s’est vue critiquée en Suède, étant donné
ce que signifie en Occident la suppression de l’image féminine21.
Nous terminerons cet aperçu du commerce entre les cultures en évoquant le caractère profon-
dément culturel de la transaction commerciale. Le contrat, qui est la « loi des parties » selon
l’idée occidentale et qui s’est imposé sur le plan international, n’a pas nécessairement la même
21. Benjamin Pelletier, Ikea en Arabie Saoudite : quand adaptation rime avec contradiction. Publié le 11 octobre 2012 sur le site web
« Gestion des Risques Interculturels ». Récupéré le 5 mai 2013 de http://gestion-des-risques-interculturels.com/risques/ikea-en-
arabie-saoudite-quand-adaptation-rime-avec-contradiction/
82
chapitre 3
s ignification pour les différents partenaires. En effet, en tant qu’écrit, le contrat ne représente pas
nécessairement la meilleure base de la confiance; il peut même évoquer l’inverse dans des cultures
de tradition orale, comme en Afrique francophone, et aussi dans toutes les cultures où les relations
sont fortement personnalisées. La description étourdissante des styles de négociation selon les
cultures que présente Usunier ne pourra que nous en convaincre davantage.
–– Le style japonais : Les négociateurs japonais sont bien préparés pour les négociations. Le rôle de l’acheteur
y est prédominant. Très émotifs et sensibles, les négociateurs japonais s’efforcent de cacher leurs émotions et
il faut éviter un style de communication trop direct avec eux. Il est difficile de savoir, à l’intérieur d’un groupe,
qui a véritablement quelle fonction et quel pouvoir.
–– Le style chinois : Lorsqu’ils sont hôtes, les Chinois tirent avantage du déroulement des négociations en
contrôlant le calendrier. Les négociateurs chinois adoptent une attitude assez passive, jouant leur jeu sans se
découvrir, afin d’amener leurs interlocuteurs à abattre leurs cartes en premier. Ils n’hésitent pas à se montrer
fortement manipulateurs en attribuant, par exemple, une importance exagérée à un point de détail ou en remet-
tant en question des points d’accord afin de déstabiliser leurs vis-à-vis et d’en obtenir d’ultimes concessions.
Tout comme les Japonais, ils utilisent le temps avec sagacité s’ils sentent, par exemple, les hommes d’affaires
étrangers pressés de quitter leur pays. Pour eux, une relation à long terme importe plus que la réciprocité dans
les échanges.
–– Le style américain : Le style des Américains est très professionnel et marqué par une préparation sérieuse
des dossiers; mais il s’accompagne d’une insuffisance dans la prise en compte de la culture des partenaires,
parce qu’ils sont convaincus que leur manière de faire est « the one best way ». Ils accordent une grande
importance aux faits et à la planification rigoureuse des négociations. Ils valorisent très fortement la franchise,
quitte à se montrer arrogants. Ils peuvent adopter des positions très dures s’ils se sentent trompés. L’acheteur
et le vendeur sont pour eux d’égale importance et ils sont très formalistes, soucieux que les contrats soient
rédigés avec soin.
–– Le style allemand : Le formalisme allemand est très contraignant et l’emploi des titres – « Doktor »,
« Professor Doktor » – y est de mise. Les Allemands ont un processus de prise de décision relativement lent
et ils sont très fiers de la qualité technique de leurs produits. Le sérieux est de rigueur avec eux, aussi bien
dans la négociation orale qu’écrite. Leur communication est explicite et monochronique et ils préfèrent garder
leurs distances face à leurs partenaires durant les négociations.
–– Le style britannique : Il est marqué par une nette préférence pour le soft sell, c’est-à-dire une approche de la
vente dans laquelle le vendeur reste calme, flegmatique, et n’exerce pas de pression sur le client. Le processus
de prise de décision des Anglais est relativement lent, car ils aiment disposer de leur temps. Bien qu’appa-
remment proches des Américains, ils sont beaucoup plus contextuels et indirects, et il faut savoir interpréter
leurs prises de position.
–– Le style moyen-oriental : Le rôle des intermédiaires y est très important et la fierté des interlocuteurs doit
être respectée. Il faut toujours savoir à quel sous-groupe moyen-oriental appartiennent les interlocuteurs et
83
chapitre 3
quelles sont les relations de ce sous-groupe. Le style de négociation est empreint de beaucoup d’émotivité et
de démonstration, mélangées à un réel pragmatisme. L’amitié est recherchée dans l’échange et peut engendrer
une grande loyauté. La négociation est marquée par les valeurs et pratiques de l’islam.
–– Le style d’Afrique noire : L’importance qu’on y accorde à la parole est très frappante. Du coup, les négo-
ciations peuvent parfois paraître peu centrées et se dérouler pour le simple plaisir de parler. De plus, on n’y
trouve pas de motivation individuelle strictement économique, et l’argent, souvent pris sans complexe et dans
la bonne humeur, est distribué dans la famille. L’influence de la famille, ou encore de l’ethnie, se fait donc
sentir lors de la négociation et le sens du temps n’est pas le même qu’en Occident. La notion de temps perdu
à attendre n’existe pas : il n’y a que du temps que l’on passe de diverses façons. Toutefois, comme au Moyen-
Orient, il faut s’assurer de dresser préalablement une carte du « paysage humain » à connaître, étant donné la
diversité ethnique, religieuse et linguistique de l’Afrique noire.
En 1984, en Californie, une petite fille de huit ans, d’origine vietnamienne et dont les parents sont de récents immi-
grants, est menée à l’infirmerie de son école pour un examen de routine, ayant déclaré qu’elle ne se sentait pas
bien. En l’examinant, l’infirmière constate avec stupeur que l’enfant porte sur la poitrine des traces qui semblent
avoir été faites au couteau. À la question de l’infirmière, l’enfant répond que c’est son père qui lui a fait cela.
L’infirmière signale les faits à la Protection de la jeunesse. La police est alertée et interroge le père. Celui-ci parle
mal l’anglais et résiste à la police. Il est finalement menotté et incarcéré. À l’école, une personne d’origine asiatique
reconnaît sur le corps de l’enfant une vieille pratique traditionnelle de l’Asie du Sud-Est, le «Cào gio». Si un enfant
est atteint par un malaise respiratoire, il est du devoir de ses parents, dès lors qu’ils sont expérimentés, de donner
les premiers soins et d’essayer de faire sortir les « mauvaises humeurs ». Sur ces révélations, on contacte alors la
prison où le père est détenu pour poursuivre l’enquête. Mais on apprend alors que, déshonoré par son arrestation,
il s’est pendu dans sa cellule (Sterlin et Dutheuil, 2000).
Cet exemple met en évidence le sérieux de la prise en compte des divergences culturelles dans
les milieux de soins de santé. Bien que difficile à traiter, cette question se pose régulièrement et
84
chapitre 3
confronte le personnel aux limites du système de soins, aux particularités des institutions qui dis-
pensent les soins, et aux modes de fonctionnement et de pensée du modèle occidental. De même,
les intervenants de ce domaine seront possiblement amenés à mesurer l’importance et la faisabilité
des accommodements que la problématique d’adaptabilité des soins impose. Dans le cas de notre
analyse, cette adaptabilité concerne davantage celle des communications et des attitudes.
Le discours sur l’humanisation de l’hôpital n’est pas neuf, puisqu’il remonte aux années 70. « L’hôpital est devenu
le lieu d’une formidable concentration d’appareils et de main d’œuvre à produire du diagnostic et du soin, en même
temps qu’il a acquis les dimensions économiques d’une entreprise, centre de frais important dans l’économie de
la santé. À ce stade, le développement des connaissances et des techniques, et les contraintes économiques liées
à la taille des investissements nécessaires − particulièrement dans un contexte de crise − ont conduit à une spé-
cialisation de plus en plus poussée des professionnels de la santé travaillant dans l’hôpital, au bénéfice probable
de l’efficience technologique et de la rationalité économique, peut-être pas toujours pour le plus grand confort
des malades »22. Cette standardisation du travail hospitalier a pour corollaire une certaine déshumanisation de
l’hôpital : le patient, plus que jamais, est moins un sujet que l’objet de soins.
Dans ce contexte, la relation soignant-soigné, qui peut déjà s’avérer difficile dans le cabinet du généraliste, prend
un tour critique qui se manifeste notamment par un déficit de communication. Or, la qualité de la communication
est une condition nécessaire de la qualité des soins et de l’efficacité thérapeutique. Le déficit de communication
peut très bien survenir à l’intérieur d’une même culture : de soignant à soigné, des différences de jargon, de
formation, de niveau socioculturel, de scolarité sont susceptibles de conduire à des malentendus, même si les
deux interlocuteurs parlent la même langue et vivent dans la même région. A fortiori, les différences de langage et
de références qui surviennent lors de la prise en charge de personnes étrangères ou immigrées, issues d’autres
cultures, soulèvent des problèmes dont la résolution demande un travail particulier.
[…] La prise en charge des patients migrants n’est pas aisée pour celui qui se base uniquement sur le modèle occi-
dental. En effet, la médecine occidentale s’inscrit dans la culture qui l’organise, elle se veut scientifique, centrée sur
l’individu singulier, si ce n’est sur le seul organe malade, cause du mal sur lequel elle veut poser son regard. Nul ne
peut contester son efficacité mais « il existe de par le monde une infinité de systèmes thérapeutiques efficaces » qui
se basent sur une manière différente d’appréhender le corps, la santé et à l’heure actuelle, ni les facultés de médecine,
ni la majorité des écoles d’infirmières ou de professionnelles paramédicales ne préparent les futurs médecins et
infirmières à admettre l’efficacité de systèmes thérapeutiques différents (Es-Safi, 2001, p. 7 et 30).
22. L’auteur cite Hans Verrept, Aldo Perissino et Anne Herscovici, Médiation interculturelle dans les hôpitaux, Cellule de Coordination
Médiation interculturelle, ministère des Affaires sociales, de la Santé publique et de l’Environnement, août 2000.
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chapitre 3
Alors que la commission Bouchard-Taylor s’inscrivait dans un contexte sociopolitique plus large, nous portons
spécifiquement notre attention sur l’évolution continue des bonnes pratiques cliniques. […] Les défis auxquels
nous sommes confrontés dans cette tâche sont multiples. Les clients expriment des différences, des demandes
et occasionnellement des exigences de toutes natures, liées ou non à la culture, qui mettent au défi nos habile-
tés à y répondre de façon appropriée. Certains aspects de la diversité culturelle peuvent constituer des facteurs
contribuant à ces défis et une meilleure compréhension et évaluation du rôle qu’elle joue dans la perception et la
résolution de ces défis est importante. (Peat et al., 2011, p. 5).
Dans le domaine de la santé, comme dans tous les autres domaines, la communication intercultu-
relle touche la question des accommodements raisonnables et du niveau d’adaptabilité des inter-
locuteurs. Dans la volonté de mieux communiquer et de favoriser le rapprochement des cultures
étrangères, où se situent le « compromis », le niveau d’adaptation de la culture d’accueil et de l’im-
migré, de l’intervenant à l’international et de la population locale, du soignant et du soigné? Il sera
entre autres question de perception du problème, du conflit qu’il génère et de la manière dont la dif-
férence culturelle sera traitée : la rencontre culturelle vue comme opportunité de perfectionnement
et d’élargissement des pratiques, ou comme entrave à nos pratiques et au respect de nos valeurs.
Cette question se présente ici comme exemple de ce que signifie la compétence d’ouverture et
d’empathie culturelle.
Lorsque nous sommes en présence d’une personne de culture, de race ou de langue différente, il est nécessaire
de nous rappeler que leurs valeurs et les croyances concernant la grossesse, la naissance, l’hygiène, la santé, la
maladie, le traitement et la mort sont souvent très différentes et qu’il nous faut être à l’écoute tout en conservant le
leadership des soins; de réaliser que les valeurs et les croyances culturelles et religieuses peuvent toucher tous
les aspects de la vie : nutrition, hygiène, habitudes de vie, sexualité, médication, rites funéraires, éducation des
enfants, relation avec les soignants. […]
Mieux adapter nos soins pour les rendre plus facilement utilisables par les communautés culturelles peut sembler
exagéré pour certains. Mais tout dépend de ce que cela signifie dans les faits. Nos établissements offrent des
services hautement avancés qui ont fait leurs preuves et ce n’est pas à remettre en question sous l’influence des
attentes de certains nouveaux venus. Mais tout est dans la manière de les accueillir, de leur répondre, de com-
prendre leurs demandes et de leur expliquer notre approche. Sans mépriser leur manière de voir la santé ou les
traitements […]
[Nous] devons aussi réaliser que notre manière de voir et de faire les choses n’est pas la seule. Au fil du temps
n’avons-nous pas déjà adopté des pratiques fortement influencées par des mœurs asiatiques ou africaines? Que
l’on en prenne pour exemple l’habitude de placer le bébé peau contre peau, sur le sein ou le ventre de sa mère
immédiatement après la naissance ou encore la façon de porter le bébé que l’on appelle « maman-kangourou ».
Ce contact post accouchement et ce portage présentent de multiples avantages. Ils facilitent la création du lien
d’attachement mère-enfant en permettant un contact intime avec la mère. À ces influences, il faut aussi ajouter
86
chapitre 3
celles des techniques de yoga, d’acupuncture, de méditation, les régimes ayurvédiques et différents types de mas-
sages relaxants. Mentionnons surtout les massages pour bébés avec du beurre de karité pour la mère africaine ou
encore le massage hindou Shantala qui n’est pas un simple massage, mais bien un appel d’humanitude grâce au
contact visuel, à la chaleur des mains et à la douceur de la voix de la mère. Et, si nous voulions énumérer toutes
les influences thérapeutiques venues de ces contrées et que nous avons subies à travers les âges, la liste risquerait
d’être très longue. Ainsi, il ne faut pas considérer toutes les attentes des étrangers d’un regard suffisant. Leurs pra-
tiques peuvent être différentes des nôtres qui sont hautement technicisées, mais elles ne sont pas nécessairement
insensées (Phaneuf, non daté, p. 31).
Comme l’avance Sournia (1997), le métier de soigner est lié à la culture, à la manière de vivre, à
la langue, parfois à la religion d’un pays donné. « La médecine n’est ni une science universelle, ni
un ensemble de techniques applicables partout » (p. 325). En contrepartie, cette adaptation cultu-
relle ne signifie pas nécessairement renoncer à nos pratiques, nos croyances ou nos valeurs, de
prodiguer des soins qui s’opposent à notre manière de voir et de faire. La question d’adaptabilité
possède plusieurs sens, l’un d’eux s’adresse essentiellement au changement dans notre manière
d’interagir : par exemple, une adaptation de l’approche médicale se traduisant par une manière
d’écouter et de s’adresser au patient qui exprime un malaise.
Naïma, trente ans, est enceinte pour la quatrième fois. Pendant sa grossesse, je remarque son regard triste. C’est
étonnant pour une marocaine, la maternité étant l’un des seuls moments pendant lesquels elle est valorisée. Avec
l’aide de la médiatrice, je recherche la cause de sa tristesse. Elle raconte que la famille a déménagé et que son
mari la bat. Elle aimerait revenir dans notre quartier, tout serait beaucoup mieux. Je demande que son mari l’ac-
compagne la fois prochaine. Il vient. Après avoir examiné sa femme, je dis qu’elle n’est pas bien depuis un petit
temps. Il le confirme. Je réponds que cela a commencé au début du mois de février, il est d’accord. Je demande
ce qui s’est passé. Le déménagement dit-il, mais maintenant tout ira mieux parce que le « fqih » est venu hier et
a fait disparaître les jnouns, les esprits de sa femme. Je réponds que cela est possible mais que les esprits sont
encore dans sa maison. […] Ce genre d’intervention est plutôt exceptionnel car la médecine traditionnelle, bien
que fréquemment employée, ne peut être mélangée selon les coutumes nord-africaines avec la médecine occi-
dentale : chaque maladie appartient à un domaine et il n’y a pas de passage entre eux. Ceci contraste avec notre
manière de classer en registre scientifique et registre psychologique où des passerelles sont possibles (Hoffman,
1999, p. 31).
S’il est impossible d’adapter systématiquement les soins à tous les besoins et particularités de
chacun, rappelons que la connaissance de cette réalité permet d’adapter non pas l’acte, la pres-
cription, ou le lieu de l’intervention, mais certainement d’améliorer les contacts entre patients et
soignants. Cette connaissance est celle d’une prise en compte des différences culturelles dans le
traitement de la maladie, dans l’approche de la mort, dans les soins et les approches médicales en
général. Par exemple, concernant les réalités sociales présentes dans les entretiens entre personnel
soignant et famille du patient, il s’avère que dans les pratiques occidentales, seul le médecin est
généralement présent alors que dans d’autres cultures, plus nombreux sont les intervenants, mieux
la famille se sent reconnue, prise en considération. Pour les cultures maghrébines les plus tradi-
tionnelles, l’acceptation de la maladie pour un héritier mâle est difficile car le malade est vu comme
quelqu’un d’incomplet. Elle va à l’encontre de l’image du mâle qui doit être parfait. Enfin, pour cer-
taines cultures, un médecin ne peut se prononcer sur la mort prochaine d’un malade car seul Dieu
87
chapitre 3
connaît le moment et les circonstances de sa mort. En Occident, on comprend que ces croyances
entrent en conflit avec les pratiques usuelles et peuvent générer plusieurs formes de malentendus
qui altèrent la relation de confiance entre personnel soignant et personne soignée.
Prenons aussi pour exemple Didier Bertrand (1993) qui observa les différences culturelles dans
un contexte d’intervention clinique dans les camps de réfugiés en Thaïlande. Bertrand résume la
différence marquante des conceptions médicinales entre les trois groupes de réfugiés asiatiques et
les soignants occidentaux : la médecine khmère et laotienne est issue de la médecine ayurvédique
indienne, la médecine vietnamienne est d’origine chinoise, et la médecine hmong est chamanique.
ASIE OCCIDENT
Le médecin a différentes alliances thérapeutiques. Centré sur le diagnostic : vise à combattre le mal qui attaque
Prescriptions alimentaires. un organe particulier et qui désigne la maladie.
Compréhension globale du problème.
Explications en termes compréhensibles pour les sujets. Explications souvent incompréhensibles pour les réfugiés.
Grandes réticences pour les prises de sang.
Prise en charge totale par le médecin et la famille, dont le Le malade est isolé de sa famille et hospitalisé seul.
rôle protecteur est utilisé et qui prend part aux décisions Importance du rôle joué par le sujet, que le thérapeute
thérapeutiques en tant que responsable du traitement. essaie d’impliquer dans le traitement, surtout dans la
Le sujet passif attend une guérison rapide, le thérapeute psychothérapie.
a les mots pour soigner le patient.
L’hôpital est vraiment le dernier recours. Actuellement, développement des soins à domicile.
Relations personnelles et étroites avec les médecins qui sont Relation professionnelle et technique.
accueillants et accessibles.
Les troubles bénins sont soignés par automédication dans le Pas d’hésitation à consulter un médecin dans tous les cas.
cadre familial.
Difficulté à évoquer des problèmes intimes, à se faire Psychothérapie souvent basée sur le langage, psychanalyse.
soigner par la parole uniquement, si ce n’est sur un mode
strictement symbolique.
Psychothérapie sociale pragmatique et rapide.
Sterlin (2006) fait de même en comparant les cultures cosmocentrique et anthropocentrique (sys-
tèmes de références culturelles en rapport avec la maladie, la santé, les soins). Cette classifica-
tion, présentée sous forme de tableau plus bas, révèle le relativisme des perspectives et des sens
88
chapitre 3
donnés au corps, à la maladie ou à la mort. Cette classification souligne également les limites
des conceptions médicales occidentales, en comparant notamment avec la médecine chinoise
traditionnelle qui voit l’homme sans son ensemble, le conçoit comme un tout (diagnostic global
par l’étude de l’influence de l’environnement, de l’état physique et de l’état psychique (émotions)
sur la circulation des énergies et le bon fonctionnement des organes). À l’opposé, la médecine
occidentale s’intéresse surtout à la mécanique du corps (interventions chirurgicales et ingestion de
molécules purifiées issues de l’industrie pharmaceutique) (Sournia, 1997).
L’homme n’est qu’une forme particulière de condensation de L’homme est le centre d’un univers imparfait…
l’énergie du Grand Tout Cosmique…
… qu’il doit comprendre, explorer, maîtriser, transformer,
… sa préoccupation fondamentale est de se maintenir en exploiter, etc.
synergie harmonieuse avec l’Énergie Universelle.
Conception/expérience de la personne
La santé
État de « bien-être – en connexion » avec l’environnement, État de bien-être qui résulte du bon fonctionnement des
lequel comprend : organes et systèmes tels que définis par les normes
• l’environnement non humain (terre, plantes, animaux, air, physiologiques et biochimiques (T-A, activité électrique du
forces de la nature, etc.); cœur, composition des fluides, etc.).
• l’environnement humain (famille nucléaire et étendue, Reconnaissance de l’influence de l’environnement surtout
réseau des proches alliés, collectivité, autres, etc.); physique (qualité de l’air, de l’alimentation, etc.).
• les ancêtres et les esprits (les invisibles);
• l’indice de santé/bien-être est l’expérience d’une Ouverture timide au rôle de l’environnement social.
intégration harmonieuse à l’environnement
Les indices de santé/bien-être sont l’autonomie et la
(« ontonomie »)
performance.
89
chapitre 3
La maladie
État de « mal-être-avec » qui résulte de la perte d’harmonie État de mal-être qui résulte d’une perturbation des fonctions
entre les composantes de la personne et/ou entre la d’un organe et/ou d’un système.
personne et un ou plusieurs éléments de son environnement.
Origines :
Origines : • Manifestation spontanée d’un vice héréditaire
• Non observance des règles qui gouvernent les rapports préprogrammé dans le patrimoine génétique;
de l’humain avec l’environnement physique; • Non observance des règles d’hygiène (nutrition, agents
• Non observance des règles d’hygiène; toxiques, microbes, virus, etc.);
• Non observance des règles d’éthique; • Facteurs interpersonnels pathogènes (carences affectives,
• Intervention maléfique de l’Autre (empoisonnement, trauma, etc.);
ensorcellement, etc.); • Stress psychosociaux.
• Non respect des attentes ou prescriptions des ancêtres
et/ou des esprits.
La mort
• Phase normale (heureuse?) du cycle de l’énergie Résultat fatal d’un déséquilibre biologique que la médecine
permettant d’accéder au statut d’ancêtre, d’esprit, etc.; n’est pas parvenu à maîtriser. Vécu comme un « échec » tant
• Par maladie (bondié, diab, Iwa). par le client que par les représentants de la médecine.
Vécu de la maladie
90
chapitre 3
Pour terminer, nous rappellerons brièvement le rôle du médiateur interculturel dans la résolution de
certains problèmes d’ordre communicationnel entre cultures. Au sujet des soins de santé, citons
Cherbonnier (2002) à propos de l’importance de l’interprétation-médiation en milieu hospitalier et la
récente diversification des origines des immigrés arrivant en Belgique : « La médiation interculturelle
dans le domaine des soins de santé n’en est plus au stade expérimental. L’hypothèse selon laquelle
des problèmes de communication entraînent une mauvaise gestion du capital santé est vérifiée et la
présence des médiateurs interculturels est reconnue comme un bénéfice. » Par contre, cette alter-
native permettant d’apporter un important soutien au personnel médical en rebute certains. En effet,
la présence d’un médiateur interculturel serait perçue comme un frein à l’intégration de populations
étrangères qui ne feraient plus l’effort d’apprendre la langue du pays d’accueil.
Outre la médiation, des outils tels que la grille d’analyse proposée par Peat et al. (2011) permettent
de s’exercer à l’analyse de problèmes culturels et de trouver la voie du compromis : la grille impose,
avant toute prise de décision, une réflexion sur les composantes du problème.
91
chapitre 3
Étape 1
Identifier le défi.
Étape 2
Recueillir les informations pertinentes (plan clinique, plan culturel, plan de la procédure, plan administratif) :
déterminer l’urgence et l’importance de la demande, évaluer le rapport de la demande à la culture et la justification
de la requête.
Étape 3
Analyser les informations en contexte de défi (liste des options possibles, hiérarchisation des valeurs, des consé-
quences, des principes, etc.).
Étape 4
Appliquer la décision (consensus, communication claire, suivi, etc.).23
Le croisement entre la réalité policière et l’ethnoculturalité se fait à partir de trois aspects de la com-
munication interculturelle : les perceptions d’autrui, l’identité professionnelle du policier et quelques
compétences à exercer. Tous étant un rappel d’éléments précédemment nommés, explicités dans
une perspective plus spécifique de l’intervention policière.
23. Pour consulter en détail la démarche d’analyse et un cas de démonstration, voir la publication de PEAT, J. et al., Guide d’interven-
tion clinique, l’adaptation des services à la diversité culturelle, Centre de santé et de services sociaux de la Montagne, juillet 2011,
p. 13 et 14.
92
chapitre 3
Pour que les policiers puissent relever avec brio les défis que présente l’intervention policière dans une société
en changement, il est essentiel que le personnel prenne conscience de ses préjugés et des stéréotypes culturels
auxquels il adhère, notamment en analysant la provenance de ceux-ci et les effets qu’ils produisent. [...] le person-
nel doit être sensible au fait que la communication verbale et non verbale en contexte interculturel est un élément
essentiel dans les rapports avec les citoyens. […] un des défis demeure : éviter de développer une culture du repli
(Okomba-Deparice et al., 2011, p. 20).
L’évolution des rôles et des manières d’interagir est proposée comme réponse aux problèmes que
vit le policier dans un milieu de travail interculturel.
Au discours centré sur le rôle de protecteur de l’ordre public (servir et protéger), s’est peu à peu ajoutée l’idée du
citoyen ayant un rôle actif à jouer dans sa propre sécurité (coproducteur de sécurité). À présent, on note la préva-
lence des discours en lien avec l’importance pour la police de contribuer à rendre les milieux de vie paisibles et
sécuritaires, ce qui implique que la police a à travailler avec les intervenants du milieu ainsi qu’avec la population
afin de trouver des solutions aux problèmes vécus dans les milieux. Cette évolution n’est pas sans impacts. Ils
s’intègrent dans diverses concertations, travaillent en partenariat et rendent compte de leurs actions à la com-
munauté. Le modèle de police communautaire s’inscrit dans cette voie puisqu’il témoigne à la fois dans une
volonté de rapprochement avec les citoyens et de travail en partenariat. (Drudi, 2012, p. 14-15)
24. Pour s’informer sur ces quatre orientations et autres principes de ce modèle, il est possible de consulter les publications du
Réseau Intersection (réseau d'échange composé d'intervenants intéressés par l'approche de police communautaire) : http://www.
securitepublique.gouv.qc.ca/police/police-quebec/police-communautaire.html.
93
chapitre 3
Pour concevoir un modèle interactionnel des services en contexte de diversité ethnoculturelle, Drudi
regroupe trois éléments fondamentaux à partir desquels la rencontre interculturelle pourra s’exercer :
LA CONNAISSANCE DE LA
LA COMPÉTENCE LE CONTEXTE
POPULATION PAR LES
DU PERSONNEL ORGANISATIONNEL
INTERVENANTS
Le personnel doit développer et Dans le cas des services de police, Réduire l’impact des stéréotypes.
parfaire continuellement son savoir, leur mission est souvent méconnue
son savoir-faire et son savoir-être en tant par les citoyens que par les Connaître une population, c’est
matière interculturelle. partenaires du milieu. entre autres tenir compte des
similitudes et des différences entre
Développer le savoir interculturel, Bien faire comprendre et accepter les les communautés ainsi qu’à l’intérieur
c’est s’informer afin d’identifier objectifs de la mission de la police même d’une communauté. C’est
certaines caractéristiques des est primordial dans un travail de également prendre en compte des
segments de la population à laquelle rapprochement et de partenariat. ressources personnelles, familiales
on a affaire. C’est également et communautaires des personnes
connaître l’offre de service qui est Il s’agit également de faire auprès desquelles on intervient.
à leur disposition (associations comprendre en quoi le travail policier
communautaires, ethniques, contribue à rendre le milieu de vie
religieuses, etc.). Le développement sécuritaire et paisible.
du savoir interculturel exige de
diversifier ses sources d’information En contexte de diversité
et de les renouveler au besoin. ethnoculturelle, la capacité d’un
service de police à rendre le milieu
Développer le savoir-être interculturel de vie plus sécuritaire et paisible
demande de prendre conscience de dépend en partie de l’ouverture de
nos stéréotypes et de nos préjugés l’organisation à rendre ses services
afin d’en minimiser les impacts. Les accessibles à une population
contacts fréquents avec les groupes composée en partie de personnes
de citoyens permettent de faire immigrantes.
décroître les stéréotypes. Le fait
d’établir des contacts positifs (ex.
lors de fêtes de quartier) est un des
moyens efficaces identifiés par les
policiers pour améliorer le savoir-
être. Le savoir-être est fondé sur le
respect, l’intégrité, la transparence,
la confiance et l’égalité dans les
relations avec les citoyens.
94
chapitre 3
LA CONNAISSANCE DE LA
LA COMPÉTENCE LE CONTEXTE
POPULATION PAR LES
DU PERSONNEL ORGANISATIONNEL
INTERVENANTS
Développer le savoir-faire
interculturel, c’est dépasser les
différences pour trouver les points
communs, les intérêts et objectifs
mutuels. C’est aussi apprendre à se
référer aux personnes [influentes ou
représentatives] dans la communauté
pour qu’elles guident et épaulent les
policiers. Finalement, c’est prendre le
temps de bien analyser les situations
et de tenir compte de l’ensemble des
variables en place.
Pour mettre en place le modèle proposé, il sera nécessaire pour les intervenants policiers :
–– de bien connaître et comprendre le milieu dans lequel ils interviennent;
–– de déterminer les besoins du milieu;
–– d’identifier les groupes qui composent le milieu de même que les personnes qui sont crédibles aux yeux des
groupes d’appartenance qui sont en interaction dans le quartier;
–– d’identifier les acteurs qui seront les mieux placés pour intervenir dans un contexte de partenariat;
–– de s’assurer de s’associer aux leaders positifs du milieu afin que ceux-ci puissent jouer un rôle de pont entre
les divers groupes en interaction;
–– de s’intégrer dans un partenariat dynamique avec les intervenants-clefs du milieu, et de participer activement
à cette concertation basée sur un leadership partagé entre les divers acteurs impliqués;
–– que les acteurs du milieu adoptent une grille de lecture commune quant aux problèmes [à traiter] de façon
prioritaire;
–– de diffuser l’offre de service et la mission du service de police;
–– de développer leurs compétences interculturelles et d’accepter [d’être] toujours en apprentissage (la mise à
jour des connaissances est essentielle);
–– d’adapter les outils et méthodes de travail au contexte (présence de nouveaux arrivants et diversité ethnocul-
turelle du milieu).
Plus généralement, il sera pertinent qu’à l’interne, un service de police qui a à interagir dans un contexte de diver-
sité ethnoculturelle instaure une réflexion ainsi qu’une concertation entre les membres des divers départements. Il
s’agit de conditions essentielles pour que l’ensemble du personnel se sente interpellé par les enjeux de diversité
culturelle, qu’il soit mieux outillé pour intervenir dans un tel contexte et qu’il se sente soutenu par son organisation
(Drudi, 2012, p. 15).
95
chapitre 3
Par nécessité, nous limitons l’introduction à ce champ de pratique qu’est l’enseignement en contexte
de diversité culturelle à trois sujets de réflexion relatifs à la compétence interculturelle. À partir de
ces sujets, les intervenants scolaires pourront exercer l’auto-observation de leurs pratiques : le
conflit de valeurs, la flexibilité identitaire et une perspective renouvelée de l’éducation interculturelle.
La rencontre culturelle est, nous l’avons vu, source de conflits de valeurs qu’il importe de surmon-
ter. Dans le domaine de l’enseignement, les conflits de valeurs entre enseignants et individus de
26. Keller, F. (2011). Pratiquer la Communication NonViolente. Passeport pour un monde où l'on ose se parler en sachant comment le
dire. InterEditions, Coll. Épanouissement.
27. Devonshire, C. M. et al. (2001). « L’approche centrée sur la personne et la communication interculturelle ». Approche Centrée sur
la Personne. Pratique et Recherche, 1(13), 23-55.
96
chapitre 3
cultures étrangères sont de différentes natures et touchent de près ou de loin une philosophie de
l’éducation de l’enfant. Aussi importe-t-il de se rappeler que les idées relatives à l’éducation ne sont
pas nécessairement conçues et pratiquées de la même manière par les individus, même au sein
d’une même culture. On pense entre autres aux punitions corporelles, aux mesures disciplinaires,
à l’utilisation d’une autre langue que celle enseignée à l’école, à l’exercice de pratiques religieuses,
etc. Ces différences influencent les comportements et le sens qu’on leur attribue peut varier d’une
culture à une autre, engendrant le malentendu. Voici un exemple, cité par Mireille Roques (1998),
qui nous permettra de repérer le phénomène du conflit de valeurs dans un contexte de classe :
[…] un enfant africain, nouvellement arrivé, est régulièrement réprimandé par son instituteur, lequel lui reproche
de ne pas participer à la classe et, surtout, de ne jamais « le regarder en face ». Effectivement, dans notre culture,
détourner les yeux quand un enseignant s’adresse à un élève est impoli, voire insolent. Mais en Afrique, regarder
un adulte en face est un manque de respect total et l’enfant, éduqué à baisser les yeux, ne va pas du jour au
lendemain changer de comportement. Si personne n’explique à l’enseignant ce qu’il en est, la situation risque
d’aller de mal en pis. Les parents, convoqués, parlant mal le français et n’osant franchir le seuil de l’école, seront
considérés comme se désintéressant de leur enfant. Cette opinion sera renforcée par le fait que cet enfant est
« livré à lui-même » et « traîne dans la rue ». Or, pour une famille africaine, la rue est au contraire le lieu où il
se trouve le plus en sécurité – sous le regard et la responsabilité de tous les voisins – et une double information
serait donc nécessaire, tant en direction des responsables éducatifs qu’en direction de la famille. Les institutions,
les services, ne sont pas forcément compétents pour traiter de ces situations et la médiation interculturelle trouve
sa justification dans toutes ces situations où la méconnaissance d’une culture bloque la communication, met
en danger l’intégration des migrants dans les pays d’accueil et ne permet pas la résolution de conflits familiaux.
Une rencontre interculturelle harmonieuse ne peut se réaliser sans une prise en compte de l’exis-
tence de plusieurs types de socialisation, plusieurs types d’implication parentale, etc. Ces diffé-
rences ne seraient pas tant de la négligence, de la provocation ou de la désobéissance, qu’un
comportement qui apparaît pour le moins naturel chez son interlocuteur. Suite à cette compréhen-
sion, il serait ainsi plus facile de communiquer en exprimant à la fois cette reconnaissance et le
besoin d’adaptation chez l’Autre.
La solution à ces situations conflictuelles est entre autres de s’exercer à changer sa perception de
son identité professionnelle : « Dans le premier cas, l’enseignant se perçoit comme un individu en
97
chapitre 3
rapport avec un autre individu, parent d’élève, avec qui il établit un rapport de négociation. Dans le
deuxième cas, l’enseignant se cantonne dans un « nous » à la fois professionnel et ethnique, par
opposition à un « eux » globalisant pour désigner les parents immigrés, démontrant peu d’ouverture
à la négociation et à l’accommodement raisonnable. » (Kanouté et Llevot Calvet, 2008, p. 165)
L’apprentissage social et émotif dans l’éducation interculturelle est étroitement lié aux attitudes et à l’affect (concepts
centraux de la compétence interculturelle) : le respect, l’ouverture, la curiosité, l’empathie. Si l’interconnexion entre
la cognition, l’affect et le comportement est au cœur de la compétence interculturelle, les formations des maîtres
ou les activités en classe ont tendance à axer leurs interventions sur l’aspect cognitif : « ils transmettent des
connaissances et valorisent ainsi les particularismes propres aux cultures, ce qui fait qu’ils ghettoïsent et excluent
les diverses communautés ethniques » (Steinbach, 2012, p. 159).
En termes d’éducation interculturelle, on suggère donc une approche fondée sur la perception de
l’individu en apprentissage, et non une étude centrée sur la distinction et une classification cultu-
relle. La notion d’altérité est envisagée « non pas comme élément d’intégration des apprenants
étrangers mais comme caractéristique qui a trait à la personnalité des individus qui évoluent »
(Kaga, 2009, p. 60). Cette perspective rappelle celle de Demorgon qui aborde la culture du point de
vue du processus d’adaptation identitaire, mettant de l’avant son caractère évolutif – la culture n’est
pas figée par des conventions comportementales qui ne changent jamais. L’éducation intercultu-
relle vise l’atteinte du stade de jugement critique du multiculturalisme, l’étude de la conception et de
l’impact du préjugé, l’éducation et la sensibilisation au racisme, etc. L’accent est mis sur la nature
dialogique de la vie humaine et sur l’importance de se transformer : « Dans ce processus de trans-
formation, nous commençons à établir un rapport empathique à l’Autre » (Steinbach, 2012, p. 160).
98
chapitre 3
Comme exemple, voici l’expérience en classe de l’enseignante américaine Jane Elliott : pour faire comprendre à
ses élèves ce que signifient la réalité et l’injustice de la discrimination raciale, elle divise sa classe en deux. Elle
affirme que les élèves aux yeux bleus sont supérieurs aux élèves ayant les yeux marron, et accorde une série de
privilèges au premier groupe. Le lendemain, elle inverse son discours, et met le groupe privilégié en situation
d’infériorité…
99
chapitre 3
Pour une meilleure intégration des notions présentées dans ce chapitre, répondez au questionnaire de
révision qui se trouve ci-après. Vous pourrez mesurer vos connaissances à l’aide du quiz en ligne sur le
site web du cours.
Vous êtes invité à consulter le plan de travail dans le guide d’étude pour un suivi efficace de vos activités.
❑❑ Énumérez les réactions défensives que le choc des valeurs culturelles peut provoquer
dans un contexte professionnel.
❑❑ Quels sont les facteurs culturels contribuant aux difficultés de communication inter-
culturelle dans le domaine du management interculturel?
❑❑ Dans le domaine de la santé, qu’est-il proposé de faire pour surmonter les problèmes
de communication interculturelle : changer ses pratiques ou changer sa perception?
Justifiez votre réponse.
100
chapitre 3
❑❑ Est-il vrai de dire que le métier de soigner est lié à la culture? Justifiez votre réponse en
prenant pour exemples des notions courantes du champ de la médecine dont le sens
est culturel.
101
chapitre 3
EXERCICE NOTÉ
« ANALYSE D’UNE COMMUNICATION »
Exercez-vous à analyser une situation de rencontre interculturelle à l’aide d’un schéma simplifié du pro-
cessus de communication (exemple ci-dessous). Rappelez-vous qu’une communication est polypho-
nique et n’est pas essentiellement verbale… Réfléchissez aux aspects problématiques du cas qu’on vous
présente, c’est-à-dire à ce qui cause le malentendu.
Prêt pour cet exercice? Adressez-vous à votre personne tutrice pour obtenir le cas à analyser.
Idées dans ma tête : j’ai une idée que je veux faire connaître.
Mes filtres : les perceptions, préjugés et stéréotypes propres à mon sexe/mon âge/ma
classe sociale/ma profession tels que ma culture me les a appris.
Mon message : je dis ou je fais quelque chose pour faire connaître mon idée.
Rétroaction
Adapté de Gaudet, É. et Lafortune, L. (1997). Pour une pédagogie interculturelle. Saint-Laurent : Éditions du Renouveau
Pédagogique, p. 186-187.
CRITÈRES D’ÉVALUATION
102
chapitre 4
chapitre 4
Introduction au cours
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
4
LA COMPÉTENCE EN COMMUNICATION INTERCULTURELLE
103
chapitre 4
La communication interculturelle devrait être considérée non comme un problème, mais comme une chance.
L
e contact interculturel ne doit pas être pris comme un fait brut ayant des aspects tantôt bénéfiques
(suppression des préjugés), tantôt maléfiques (renforcement des préjugés). Chercher à en repérer
les difficultés de manière à répondre le mieux possible à ses défis, tel serait l’objectif premier de
l’apprentissage interculturel. Mais, ne nous leurrons pas, la communication interculturelle ne peut
être pensée qu’en termes de stratégie à long terme. Ce sont en effet nos essais, nos ratés et nos
réussites qui rendront nos rencontres interculturelles dynamiques et fructueuses. Il s’agira, dès lors,
de ne plus voir la communication et la culture comme de simples environnements qui passeraient
inaperçus à force d’évidence, mais de prendre conscience qu’elles sont le résultat de construc-
tions dont nous héritons et auxquelles nous participons nous-mêmes, que nous en sommes à la fois
les étudiants et les inventeurs, les interprètes et les improvisateurs. Réussites et ratés s’expliquent
justement par le fait que communication et culture sont des processus dynamiques : « L’approche
interculturelle consiste en une méthode de communication qui est, en fait, une forme de va-et-vient
entre soi et l’Autre. Globalement, elle exige le principe de l’interaction perpétuelle entre son cadre
de référence et celui d’autrui et elle demande une attitude d’ouverture qui va provoquer l’émergence
d’un nouveau regard, d’une pratique perméable aux changements » (Licata et Heine, 2012, p. 278).
➼➼ L’interculturel implique de reconnaître qu’il y a deux acteurs en présence, moi et autrui et non un
seul : l’étranger.
➼➼ On ne rencontre pas une culture, en particulier dans la relation avec des migrants qui sont coupés
de leur environnement matériel et social d’origine, mais un individu ou des groupes qui mettent
en scène leur culture.
105
chapitre 4
➼➼ Les cultures se développent et sont actualisées dans un lieu marqué par l’histoire, l’économique
et le politique… les interactions interculturelles ne peuvent se dérouler que sur fond de représen-
tations mutuelles forgées dans des contextes précis. Même si les protagonistes de l’interaction
n’ont pas été impliqués dans des contentieux qui se situent loin dans le temps ou dans l’espace,
ceux‐ci ont laissé des traces dans les mémoires collectives et individuelles et sont souvent source
d’images négatives, gonflées ou déformées, de réactions de rejet, voire de racisme à l’égard de
l’Autre. […] La rencontre entre personnes de cultures différentes va au‐delà de la confrontation
avec la diversité; c’est une dynamique identitaire où se jouent des contentieux historiques, des
rapports asymétriques, des affects profonds, des attitudes et contre‐attitudes et des conduites
qui peuvent aller jusqu’à la violence, engendrant « une dynamite identitaire ». Bref, on ne peut
séparer le culturel de ses dimensions sociale, historique et politique.28
➼➼ Pour illustrer ce dernier point, Cohen-Emerique cite Henri Tincq qui écrit à la suite des attentats
du 11 septembre 2001 aux États-Unis : « Il y a réactivation chronique d’événements tragiques
de deux systèmes d’exclusion mutuelle, Croisades et Djihad qui, depuis le Moyen Âge ont pu
opposer l’Islam et l’Occident chrétien et conduit aujourd’hui à tant de malentendus et d’embrase-
ments » (Henri Tincq, 2001, cité par Cohen-Emerique, 2011, p. 13-14).
28. D’après Margalit Cohen‐Emerique (2011). L’interculturel dans les interactions des professionnels avec les usagers migrants.
Alterstice, 1(1), 13.
106
chapitre 4
LA COMPRÉHENSION DU SYSTÈME
LA DÉCENTRATION LA NÉGOCIATION
DE L’AUTRE
Se méfier de ses premières S'informer, écouter, manifester de Découvrir les terrains d’entente, les
impressions. l’empathie, encourager la discussion. points communs.
Réfléchir à ses présupposés. Développer ses habiletés de Étudier les inconforts et les requêtes
communication, être attentif aux de chacun, proposer des compromis.
contextes et aux détails les plus
subtils mais les plus significatifs.
En complément des dimensions citées précédemment, rappelons les éléments clés permettant de
définir la notion de compétence interculturelle :
107
chapitre 4
Tremblay, 2001, p. 4).29 Les propos de Meier vont dans le même sens :
La compétence interculturelle peut être définie comme la capacité d’un individu à savoir analyser et comprendre
les situations de contact entre personnes (et entre groupes) de cultures différentes […]. Cela implique une sen-
sibilité à la diversité humaine, l’adoption d’une vision non ethnocentrique et un comportement qui y correspond,
basé sur la tolérance à la différence et l’empathie. Il ne s’agit pas seulement de l’acquisition de techniques et de
connaissances. On parle ici d’un « savoir être », d’une compétence de la personne, fondée sur des expériences
vécues et analysées dans des contextes interculturels. Cette compétence s’acquiert par l’apprentissage permanent
dans lequel se situe toute rencontre interculturelle. (Meier, 2004, p. 184)
Pour terminer, on insistera sur cet aspect fondamental de la compétence en communication inter-
culturelle en citant Sauquet :
Le problème est de pointer les malentendus et d’en être conscient, en cherchant à concilier unité et diversité, en
identifiant ce qui nous unit et ce qui nous sépare. Est-il possible de se glisser dans la culture de l’Autre et de tout
connaître de la culture de l’Autre? Je plaide pour une attitude d’« intelligence de l’Autre », attitude de respect, de
curiosité et d’empathie. Les attitudes de provocation manifestent en revanche un manque terrible d’intelligence de
l’Autre. (Sauquet, 2008, p. 13)
Aussi importe-t-il de garder en tête que la communication interculturelle invite à une constante
remise en question de notre manière d’être et que la compétence interculturelle « est une habileté
sociale qui se développe dans l’agir » (Steinbach, 2012, p. 159).
29. Marie-Anik Dufour a complété une majeure en relations interculturelles dans le cadre de son doctorat en psychologie à l’Université
de Sherbrooke. Elle a réalisé une étude sur le phénomène d’altérité lors de conversations téléphoniques entre des infirmières
d’Info-Santé et les personnes d’une autre culture que la leur.
108
chapitre 4
Pour une meilleure intégration des notions présentées dans ce chapitre, répondez au questionnaire de
révision qui se trouve ci-après. Vous pourrez mesurer vos connaissances à l’aide du quiz en ligne sur le
site web du cours.
Vous êtes invité à consulter le plan de travail dans le guide d’étude pour un suivi efficace de vos activités.
❑❑ Énumérez les trois grandes dimensions contribuant à réduire les risques de malenten-
dus dans les communications interculturelles.
❑❑ Vrai ou faux. Nous devons séparer le culturel de ses dimensions sociale, historique et
politique.
109
Pour en savoir plus
Introduction au cours
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
111
Pour en savoir plus
LES ESSENTIELS
➼➼ L’intelligence de l’autre. Prendre en compte les différences culturelles dans un monde à gérer
en commun, de Michel Sauquet et Martin Vielajus, Éditions Charles Léopold Mayer, 2007.
La compétence interculturelle
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Revues
Visionnements
Dans la rubrique « Pour en savoir plus » du site web du cours, des vidéos présentent des propos
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128
Exercices facultatifs
Exercices facultatifs
Exercices facultatifs
Exercice — Les sens des gestes
1. 2. 3. 4.
5. 6. 7. 8.
a. Ce geste est souvent utilisé par les adultes pour divertir un enfant en lui faisant croire qu’on lui a enlevé le nez. En
Turquie, ce geste signifie que vous dites à la personne d’aller se faire foutre.
b. Ce « viens ici » peut être considéré comme un grave geste de mépris, entre autres en Asie du Sud-Est.
c. Pas la peine de vous expliquer que ce geste universel est le signifiant de la victoire. Par contre chez les Anglais, le
V est une insulte du même sens que le doigt d’honneur.
d. Chez nous, ce signe a généralement la signification de « ok » ou de faire de l’auto-stop. Au Moyen-Orient, il est
synonyme d’un doigt d’honneur, alors qu’en Sardaigne et en Grèce, c’est une invitation sexuelle.
e. Ne faites pas ce geste en dehors des concerts de rock. Au Brésil, en Colombie, en Espagne, en Italie et au
Portugal, ce geste désigne un taureau castré. Donc si vous désignez un homme avec ce geste, ce dernier
comprendra que vous le traitez de cocu.
f. Que ce soit pour un faire geste amical ou pour saluer une personne, ce geste est considéré comme la plus grosse
insulte en Grèce. Il signifie que vous avez l’intention de maudire la personne et ses cinq générations futures.
g. Ce geste est bien commun pour les amateurs de plongée sous-marine, il signifie « ok », « tout va bien ». Au
Brésil, si vous le faites en dehors de l’eau, c’est que vous avez traité la personne de trou du cul, ce qui ne sera
évidemment pas apprécié. En Tunisie, il peut être un signe de menace et de provocation dans certaines régions.
h. Ce geste, que beaucoup font pour attirer la chance, connaissant ou non ses origines catholiques, est très mal vu
au Vietnam. Effectivement, loin d’être un porte-bonheur, ce geste désigne une zone intime dans le corps féminin,
précisément son vagin.
129
Exercices facultatifs
1. d.
2. f.
3. g.
4. a.
5. c.
6. h.
7. e.
8. b.
Récupéré du site web « Tunisian Globe Trotter », Blog voyage Tunisie : Blog d’un jeune voyageur tunisien à petit budget ©
2014 : http://www.tunivoyage.net/10-gestes-avec-la-main-a-eviter-pendant-son-voyage/
130
Exercices facultatifs
Sauriez-vous identifier la provenance de vos valeurs, de vos croyances au regard de la nourriture que vous aimez
ou détestez, des lieux que vous habitez, des vêtements que vous portez …? Dans quelle mesure ces aspects de
votre personnalité sont-ils personnels ou influencés par des groupes sociaux? Nous vous proposons de guider
votre réflexion à partir des questions ci-dessous. Cet exercice de l’autoportrait a pour but de faire appel à votre
sens de l’observation.
Votre identité
➼➼ Qui êtes-vous? (Indiquez trois éléments de votre personnalité permettant de vous identifier.)
➼➼ Quelle est votre appartenance culturelle? (Pays, région, communauté ethnique ou religieuse, etc.)
Exercice adapté de Gaudet, É. et Lafortune, L. (1997). Pour une pédagogie interculturelle. Saint-Laurent : Éditions du
Renouveau Pédagogique, p. 150-151 et 153-154.
131
Exercices facultatifs
L’identité, les habitudes de vie et les expériences interculturelles contribuent à faire de chacun un
être unique et parfois mystérieux aux yeux des autres. À ceci s’ajoutent les éléments les plus pro-
fonds de la personnalité, c’est-à-dire les croyances et valeurs qui façonnent les comportements.
Dans ce deuxième travail, nous vous invitons à poursuivre votre autoportrait. À partir de la liste qui
suit, choisissez les 10 énoncés qui reflètent le mieux les valeurs auxquelles vous adhérez. Vous les
confronterez ensuite à une grille permettant de comparer les valeurs culturelles.
1. L’individu est responsable de sa destinée (maîtrise exercée sur son propre environnement).
2. Ce qui est important, c’est qu’il existe une coopération et une collaboration entre les individus,
c’est que les gens s’entraident.
4. Un individu est marqué par sa naissance, par sa famille. On ne peut rien changer à cet état de
choses.
6. La qualité de vie se définit beaucoup en fonction des objets matériels que l’on possède et que
l’on accumule.
8. Il faut qu’une société change, qu’elle bouge. Il faut valoriser le progrès : c’est la réponse à tous
les problèmes sociaux.
9. Ce qui est important, c’est d’abord le groupe, la collectivité, la communauté à laquelle nous
appartenons.
10. Ce qui est important, c’est que tous les individus soient égaux devant la loi, la justice, la santé,
l’éducation…
11. Ce qui est important, c’est ce qu’un individu fait, ce sont les actions, les gestes qu’il pose.
12. Il ne faut pas dire les choses directement. Il vaut mieux être diplomate, dire les choses avec déli-
catesse, quitte à ne pas tout dire pour ne pas froisser les gens.
13. Il faut avoir les yeux tournés vers l’avenir. Le passé n’a pas vraiment d’importance.
14. Une société hiérarchique, où le rang et le statut social de chacun sont déterminés à l’avance, est
beaucoup plus intéressante et plus rassurante.
15. Ce qui est important dans la vie, ce sont les relations qu’on entretient avec les individus. Il faut y
mettre le temps nécessaire.
132
Exercices facultatifs
17. Il faut valoriser les ressources personnelles d’un individu et son esprit d’initiative.
18. Ce qui est important dans une société, c’est d’abord l’individu. Celui-ci doit être autonome et
indépendant sur tous les plans.
19. Une société ne peut avancer sans qu’un esprit de compétition existe entre ses membres.
20. Ce qui est important, c’est ce qui émane d’une personne, sa façon d’être profonde.
21. Il faut dire ce que l’on pense sans façon, et le plus simplement possible.
22. L’individu doit pouvoir exprimer ses émotions sans retenue, même en public.
23. Ce qui est important dans une société, c’est que tout soit fait efficacement.
24. Un individu bien éduqué devrait être capable de se retenir d’exprimer ses émotions, au moins en
public.
25. L’individu est marqué par la recherche de la spiritualité. Il est en quête de réponses à des ques-
tions portant sur son existence.
26. On mesure une personne à sa capacité de réfléchir et de poser les bonnes questions.
133
Exercices facultatifs
Souvenez-vous : vous devez choisir 10 énoncés seulement! Reportez maintenant vos choix dans la
grille suivante.
VOS VOS
VALEURS # VALEURS #
CHOIX CHOIX
Compétition 19 Coopération 2
Simplicité 21 Formalisme 24
Cette grille a été élaborée par Robert Kohls afin de comparer les cultures, et elle regroupe plusieurs
de leurs caractéristiques principales. Vous aurez remarqué que ces caractéristiques s’opposent
parfois entre elles, ce qui signifie qu’il existe, selon les cultures, des façons très différentes de
concevoir la place et le rôle de l’individu dans le monde (selon Kohls, les valeurs de la colonne de
gauche sont plutôt caractéristiques des États-Unis, et celles de la colonne de droite, des pays du
Tiers-Monde). Vos choix reflètent une certaine orientation culturelle. Quelles sont vos réflexions à la
lecture de cette grille?
Exercice adapté de Gaudet, É. et Lafortune, L. (1997). Pour une pédagogie interculturelle. Saint-Laurent : Éditions du
Renouveau Pédagogique, p. 159-160; Kohls, R. (1990). Modèles de comparaison des cultures. Intercultures, no 9, 89-105.
134
Exercices facultatifs
Moi, raciste?? Avec les échelles de distance de Bogardus et McConahay, évaluez votre propension à établir ou
accepter des contacts sociaux avec des membres de groupes sociaux différents.
Consignes :
Si vous accepteriez volontairement d’admettre un membre d’un groupe social donné dans les situa-
tions décrites ci-dessous, placez une croix dans la colonne correspondante.
1. Rappelez-vous que, dans chacun des cas, vous devez répondre en fonction de votre premier
sentiment.
2. Donnez vos réactions en considérant chaque nationalité comme un groupe. Ne donnez pas les
réactions qui correspondraient au meilleur ou au pire des individus de ce groupe. Au contraire,
pensez à l’image ou au stéréotype que vous rattachez à ce groupe dans sa globalité.
Référence : Bogardus, E. S. (1925). Measuring Social Distances. Journal of Applied Sociology, no 9, 299-308.
135
Exercices facultatifs
Indiquez dans quelle mesure vous êtes d’accord ou non avec les propositions suivantes :
-2 -1 0 1 2
Il est facile de comprendre la colère ressentie par les Afro-Américains aux États-Unis.
Les Afro-Américains ont plus d’influence sur la déségrégation de l’école qu’ils méritent d’en
avoir.
Les Afro-Américains finissent par en demander trop dans leur volonté d’égalité des droits.
Ces dernières années, les Afro-Américains en ont eu plus qu’ils ne le méritent au plan
économique.
Ces dernières années, le gouvernement et les médias ont montré ou accordé plus de
respect aux Afro-Américains qu’ils le méritent.
Récupéré du site web AFPS « Préjugés & Stéréotypes », projet à l’initiative de l’AFPS et de www.psychologie-sociale.org.
Réalisé avec le concours du ministère de la Recherche (France).
136
Exercices facultatifs
Exemples de cas
Ci-dessous, vous pourrez exercer votre analyse de problématiques interculturelles à l’aide de six
cas pratiques issus du monde du travail. Élaborés par Emploi Québec et le Conseil d’emploi métro-
pole, ces cas invitent à la réflexion sur nos jugements et nos actions en situation interculturelle.
137
Exercices facultatifs
Vous êtes superviseur de la fabrication au sein d’une multinationale de l’électronique. Votre filiale est responsable
de la production d’un nouveau produit prometteur, mais dans lequel on relève présentement d’importants pro-
blèmes de fabrication. En fait, la qualité du produit est si déficiente que votre entreprise ne peut envisager de le
lancer sans nuire à sa réputation, mais retarder trop longtemps sa mise en marché pourrait entraîner la perte d’im-
portantes parts de marché aux mains des concurrents. Pour remédier à cet épineux problème, le vice-président
responsable du produit vous demande de mettre sur pied une équipe multidisciplinaire qui devra identifier les
causes des problèmes et apporter les correctifs appropriés. Une fois formé, votre groupe se met donc au travail.
Comme tous les aspects doivent être remis en question, que tout doit être passé au peigne fin, vous subdivisez
la tâche que vous répartissez dans quatre sous-groupes distincts. Hebdomadairement, vous dirigez une réunion
de travail regroupant toute l’équipe, où chacun des sous-groupes confronte son analyse, ses constats et recom-
mandations au jugement des autres. Votre manière de guider ces réunions est plutôt conviviale et vous laissez les
gens s’exprimer et échanger librement.
Jasmine, originaire du Sud-Est asiatique, est une conceptrice mécanique de haut niveau. Ses supérieurs vous
l’ont chaudement recommandée, et un coup d’œil sur ses évaluations antérieures vous a convaincu de la recruter
au sein de votre équipe spéciale. Cependant, son comportement en réunion vous laisse perplexe. En effet, si la
plupart des participants contribuent de bon gré aux discussions et n’hésitent pas à remettre en question certains
raisonnements qui débordent de leur rôle spécifique pour le bien de la démarche, Jasmine, elle, s’efface totalement
lors de ces réunions capitales, et ce, même lorsque la discussion s’oriente sur des aspects de la question pour
lesquels elle est clairement la plus compétente. Plutôt, elle prend une quantité phénoménale de notes et vous
demande ensuite un rendez-vous pour vous faire part de ses opinions en privé. Comme vous trouvez ses idées très
pertinentes et novatrices, vous avez jusqu’à présent pris le parti de présenter vous-même les idées de Jasmine,
quitte à revenir sur des sujets sur lesquels l’équipe avait déjà pris une décision.
Après six semaines, vous remarquez que Jasmine ne semble pas être intégrée dans le groupe. Vous avez même
vent que certains de ses collègues l’accusent de ralentir l’équipe, de jouer dans le dos des autres membres et de
tout faire pour passer pour la sauveuse du projet. Il semble que vos rencontres en privé avec Jasmine sont au cœur
du problème. La tension est telle que le projet est en danger.
A. Jasmine doit apprendre à mieux fonctionner en équipe; vous l’inscrivez donc à un programme de
formation en réunion efficace.
B. Vous prenez Jasmine à part, une fois de plus, pour lui expliquer son rôle de participante.
C. Vous lui attribuez un mentor susceptible de l’aider à développer ses aptitudes en réunion.
138
Exercices facultatifs
Réponses
Cas numéro 1 – Cohésion d’une équipe multiculturelle
A. Jasmine doit apprendre à mieux fonctionner en équipe; vous l’inscrivez donc à un programme de
formation en réunion efficace.
Il est possible que cette solution fonctionne si le problème émane vraiment d’un savoir-être en
réunion déficient. Par contre, les causes de son comportement sont peut-être plus profondes.
Dans notre société où l’affirmation de soi est valorisée, on s’attend à ce que tous prennent une
part active à la réunion, quitte à ce que les idées et les personnes se confrontent. Par contre,
dans certaines sociétés plus collectivistes, l’appartenance au groupe et la cohésion au sein de
celui-ci prennent le dessus sur la personne. Il se peut donc que Jasmine agisse ainsi par humi-
lité ou parce qu’elle a peur de perdre la face ou l’estime du groupe si ses idées sont remises en
question. Conséquemment, elle juge probablement moins risqué de vous les présenter discrè-
tement. De plus, le groupe est sous observation et subit une pression importante pour produire
des résultats, de telle sorte que la conscience communautaire de Jasmine peut l’amener à ne
pas vouloir contredire ses compagnons de travail devant le patron afin de ne pas leur faire
perdre la face.
B. Vous prenez Jasmine à part, une fois de plus, pour lui expliquer son rôle de participante.
Pour favoriser son intégration dans une telle situation, il convient certes de lui exposer l’objec-
tif des réunions et la nécessité pour elle, mais aussi pour le bien du groupe, de participer au
débat. En ce sens, elle doit absolument comprendre que les échanges et les débats font partie
intégrante de la démarche, et qu’à ce titre, le fait de remettre en question les idées des autres
ou de renchérir n’est pas nuisible à la cohésion du groupe. En outre, vous pouvez certainement
lui expliquer comment l’expression des idées est souhaitable, voire nécessaire, et lui deman-
der d’exposer ses opinions en réunion, car les échanges vivants sont essentiels au succès de
l’équipe. De plus, il serait bon d’ajouter que vous ne souhaitez plus qu’elle vienne vous voir par
la suite pour vous faire part en privé d’éléments qu’elle aurait dû soulever plus tôt.
Il est certainement possible que cette stratégie fonctionne et force Jasmine à s’émanciper un
peu, tout en regagnant le respect de ses collègues. Cependant, cette stratégie comporte aussi
certains risques, puisqu’elle impose à Jasmine d’agir contre sa propension naturelle rapide-
ment, par elle-même et sans assistance. D’une part, est-il probable que Jasmine, peu habituée
à débattre et à confronter ses idées à celles des autres, le fasse maladroitement et accentue
ainsi le problème? D’autre part, ce que vous lui demandez d’accomplir seule est-il au-dessus
de ses forces et existe-t-il un risque que Jasmine se taise simplement et que vous perdiez ainsi
sa précieuse contribution? En fin de compte, est-ce vraiment la bonne personne au bon endroit?
C. Vous lui attribuez un mentor susceptible de l’aider à développer ses aptitudes en réunion.
Il est fort possible que Jasmine puisse très bien comprendre vos attentes, mais qu’elle soit
tellement mal à l’aise d’exprimer des opinions contradictoires qu’elle ait besoin d’un certain
soutien. Ainsi, exiger un changement de comportement pourrait ne pas suffire, car Jasmine ne
139
Exercices facultatifs
eviendra pas soudainement à l’aise simplement parce qu’on lui a réitéré notre attente. Ainsi, il
d
peut être souhaitable que, pour un temps, vous lui jumeliez un mentor qui, sur une base volon-
taire, l’aidera à identifier les sujets sur lesquels elle pourrait apporter une contribution significa-
tive et la guider dans la manière d’effectuer ses interventions. De votre côté, il pourrait s’avérer
utile d’agir en facilitateur en sollicitant son avis lors des réunions ou en lui posant directement
des questions qui l’amèneront à exprimer son point de vue au groupe. Ainsi, peut-être aurait-
elle moins l’impression de porter ombrage à ses collègues et de nuire à la cohésion du groupe.
Par contre, résistez à la tentation de l’aider vous-même, car si cela pourrait faire œuvre utile,
cela pourrait également donner l’impression que Jasmine est en quelque sorte devenue votre
pantin, votre favorite ou votre canal privilégié pour véhiculer vos propres idées. Les membres de
l’équipe pourraient même penser que vous souhaitez chorégraphier la rencontre à l’avance, ce
qui pourrait générer de la méfiance, marginaliser davantage Jasmine et saper votre leadership
et votre crédibilité.
140
Exercices facultatifs
Vous avez dans vos rangs un employé modèle, brillant et dévoué, qui atteint toujours les objectifs et les dépasse
régulièrement. Un vrai leader, vous dites-vous. Rachid est algérien, il est bien intégré et il possède toutes les
compétences techniques nécessaires. Le jour où votre superviseur démissionne, son nom est sur toutes les lèvres
et vous lui offrez le poste sans hésiter. Au cours des premières semaines, il apprend son nouveau rôle et se montre
particulièrement attentif à vos conseils, qu’il prend comme des consignes. Une fois la première semaine passée,
vous lui laissez prendre son envol, la tête tranquille, assuré qu’il saura s’acquitter de sa tâche de manière adéquate.
Quelques semaines plus tard, vous remarquez que Rachid passe le plus clair de son temps dans son bureau,
dont il tient la porte fermée. De plus, en passant dans l’usine pour vous rendre à votre bureau, vous entendez par
hasard quelques ouvriers parler de « Monsieur le directeur » sur un ton exagérément pompeux en référence à
leur nouveau superviseur. Peu rassuré par ce que vous venez d’entendre, vous décidez d’aller discuter avec les
employés à l’heure du lunch. À votre grande surprise, alors que vous vous attendiez à devoir leur tirer les vers du
nez, ceux-ci sont étonnamment loquaces et leurs critiques sont sans appel. On reproche notamment à Rachid son
style de leadership exagérément autoritaire, ses réactions excessives à la moindre coche mal taillée ainsi que ses
haussements de voix répétés. De plus, les employés se plaignent de devoir maintenant prendre rendez-vous avec
leur nouveau superviseur pour aborder le moindre détail alors qu’auparavant, le bureau du superviseur leur était
ouvert et accessible. Ils vous mentionnent qu’ils ne peuvent plus aller aux toilettes sans demander la permission
et que toute initiative doit maintenant obtenir son approbation. Il est clair pour vous que l’acclimatation se passe
plus difficilement que prévu.
Comment réagissez-vous?
A. Vous le soutenez en faisant des suivis plus réguliers et en lui prodiguant vos conseils.
B. Vous avez fait une erreur de sélection, il ne possède pas d’habiletés de gestion, vous faites
marche arrière avant qu’il ne soit trop tard.
D. Vous rencontrez Rachid et son groupe ensemble pour gérer le conflit de façon transparente.
141
Exercices facultatifs
Réponses
Cas numéro 2 – L’exercice de l’autorité
A. Vous le soutenez en faisant des suivis plus réguliers et en lui prodiguant vos conseils.
Ce n’est pas Rachid qui a changé, mais plutôt son rôle. N’ayant pas eu beaucoup de temps pour
s’acclimater à ses nouvelles responsabilités, il y a fort à parier que Rachid reproduit simplement
ce qu’il connaît le mieux comme approche de gestion : une approche hiérarchique basée sur
le respect absolu de l’autorité de celui qui possède le titre de patron. L’exercice de l’autorité est
fort différent d’une société à une autre et Rachid reproduit inconsciemment une recette apprise
dans son pays d’origine où personne n’oserait ouvertement remettre son autorité en question.
En somme, prendre le temps de lui expliquer en quoi consiste le rôle de superviseur et com-
ment il convient de se comporter dans un environnement comme le vôtre est primordial pour
lui permettre de pleinement s’intégrer et, en fin de compte, de réaliser son plein potentiel. Pour
appuyer votre intervention, une formation lui permettant d’acquérir un savoir-être approprié pour
son rôle de superviseur en contexte québécois, plus participatif et moins autocratique, pourrait
s’avérer utile. De plus, prévoir un suivi avec lui ou un accompagnement régulier, pour discuter
de cas au quotidien pourrait aussi être une bonne idée. N’oubliez cependant pas de prendre le
temps de démystifier la situation et le fondement des agissements de Rachid auprès du reste
du groupe de façon à détendre l’atmosphère et à gagner le temps qu’il faut pour que votre
nouveau superviseur s’adapte.
B. Vous avez fait une erreur de sélection, il ne possède pas d’habiletés de gestion, vous faites
marche arrière avant qu’il ne soit trop tard.
Il est effectivement possible que Rachid ne dispose pas des aptitudes et des compétences
appropriées pour occuper un poste de supervision. En effet, il est courant qu’un employé com-
pétent éprouve de la difficulté lorsque vient le temps d’assumer un rôle de supervision, car une
maîtrise des compétences techniques ne garantit pas le succès d’un gestionnaire. De plus, si
Rachid se sent lui-même dépassé ou n’apprécie pas son nouveau rôle, cette solution est peut-
être la bonne. Cependant, cette stratégie ne résoudra pas tous vos problèmes. D’une part, cela
vous obligera à pourvoir à nouveau le poste, ce qui exige temps et effort. D’autre part, il est
possible que Rachid, un employé que vous appréciez, trouve son retour en arrière particuliè-
rement difficile, non seulement parce que cela le placera en situation d’échec, mais également
parce que l’aventure a probablement altéré la relation autrefois positive qu’il entretenait avec
ses collègues. Avant de poser ce geste, serait-il plus approprié de vous demander si le style
de gestion actuellement préconisé par Rachid est le résultat d’une conception de son rôle de
gestionnaire et des prérogatives qui y sont associées, qui émane de ses références culturelles?
Si vous avez la conviction que le comportement de Rachid s’explique par un manque de forma-
tion spécifique à son nouveau rôle, il se peut qu’une telle formation lui permette d’acquérir les
compétences susceptibles de faire de lui un superviseur efficace. Si vous empruntez cette voie,
il pourrait en outre s’avérer pertinent de lui exposer les raisons pour lesquelles cette formation
lui sera bénéfique. Cela permettra d’éviter qu’il ne perçoive votre décision comme un désaveu
142
Exercices facultatifs
à son endroit et que la démarche devienne frustrante et démotivante pour lui. Par contre, ses
débuts chaotiques à titre de superviseur s’expliquent-ils uniquement par un manque de compé-
tence? En effet, alors qu’ici nous partageons une conception plutôt souple de l’exercice du rôle
de gestion qui fait en sorte que les subordonnés tolèrent que le superviseur use de son pouvoir
de façon modérée, dans certaines sociétés, le gestionnaire a beaucoup plus de latitude pour
exercer son rôle de manière autoritaire ou centralisatrice. Évidemment, ce concept de distance
hiérarchique influence fortement la manière dont les personnes exercent leur rôle de supervi-
seur. En définitive, peut-être sa conception inappropriée de son nouveau rôle explique-t-elle
davantage son comportement que ses compétences?
D. Vous rencontrez Rachid et son groupe ensemble pour gérer le conflit de façon transparente.
Cette approche est probablement très risquée. En effet, si cela pourrait permettre à l’équipe de
régler ce conflit, cela pourrait également accentuer l’incompréhension si tous ne sont pas au fait
de l’existence de l’écart culturel entre l’équipe et le superviseur. Si vous estimez avoir tous les
détails et bien connaître les faits, cette approche, à condition que ce ne soit pas une première
pour le groupe et que vous soyez un bon médiateur, pourrait fonctionner. Toutefois, soyez pru-
dent. Rachid pourrait trouver cette rencontre pénible, considérer ce geste comme un désaveu
et se braquer. Et, en fin de compte, votre intervention ne réglerait rien, sans compter que vous
risqueriez de perdre un employé que vous appréciez.
143
Exercices facultatifs
Vous êtes chef d’équipe au sein d’une firme de génie-conseil. À ce titre, vous gérez une équipe composée d’une
quinzaine d’ingénieurs juniors et de techniciens, laquelle travaille habituellement sur des ouvrages de génie civil.
De manière générale, les deux cohortes travaillent bien ensemble, mais ne se mêlent pas vraiment sur le plan
social, les techniciens préférant casser la croûte entre eux et les ingénieurs prenant souvent leurs repas à l’exté-
rieur, avec des clients. Lorsque vous cherchez à pourvoir un poste de technicien affecté à la rédaction des plans
et devis, le curriculum vitæ de Nadir, d’origine tunisienne, attire votre attention. Au Québec depuis six mois, il
possède une maîtrise de l’École nationale d’ingénieurs de Tunis et une expérience de quatre ans à titre d’ingénieur
civil au ministère des Transports de son pays d’origine. En entrevue, il vous semble affable et cultivé et vous assure
de son intérêt pour le poste en se disant conscient que, bien que les tâches qui y sont associées n’utiliseront pas
toutes ses compétences, son embauche lui permettra d’obtenir une expérience en milieu de travail canadien et lui
fournira l’occasion de faire la démonstration de toute sa compétence. Étant donné la motivation dont il fait preuve,
vous décidez de lui octroyer le poste. Votre choix s’avère rapidement payant, Nadir faisant preuve de compétence
et d’enthousiasme. Sur le plan social, il semble entretenir des relations cordiales avec ses collègues techniciens
auxquels il ne se mêle cependant pas vraiment, ayant plus d’affinités avec les ingénieurs, qu’il a toutefois très peu
d’occasions de côtoyer. En outre, il vous fait régulièrement la démonstration de ses capacités en vous suggérant
poliment, lorsque vous lui en donnez la permission, certaines améliorations aux plans sur lesquels il travaille.
Cela vous laisse entrevoir qu’il pourrait très bien œuvrer à titre d’ingénieur une fois sa formation et son expérience
reconnues en bonne et due forme par les autorités compétentes.
Dix-huit mois plus tard, les procédures sont toujours en cours pour l’émission des documents qui lui permettront
d’assumer un rôle d’ingénieur, et Nadir, qui souhaite toujours exercer à titre d’ingénieur, commence à s’impatienter
et à faire montre de découragement. Vous constatez qu’il s’isole de plus en plus et sa performance laisse mainte-
nant à désirer. Ses plans arrivent de plus en plus souvent en retard et vous devez maintenant les réviser en détail
car ils contiennent fréquemment des erreurs qui mineraient la crédibilité de l’entreprise si le client s’en apercevait.
Vous souhaitez sincèrement garder Nadir à votre emploi et pensez que votre patron sera disposé à lui offrir un
poste d’ingénieur une fois sa situation régularisée, mais un coup de barre s’impose pour rétablir sa performance.
Comment réagissez-vous?
A. Vous le rencontrez pour lui mentionner que sa baisse de performance est inacceptable.
D. Vous le jumelez avec un ingénieur désireux d’agir comme mentor auprès de lui.
144
Exercices facultatifs
Réponses
Cas numéro 3 – La reconnaissance de la formation
A. Vous le rencontrez pour lui mentionner que sa baisse de performance est inacceptable.
À titre d’employeur, vous êtes en droit d’attendre de vos employés une prestation de travail
acceptable. Conséquemment, il pourrait s’avérer tout à fait légitime d’adopter une telle approche.
Cependant, êtes-vous certain que votre intervention suffira à produire les effets escomptés? En
effet, il est fort peu probable qu’une personne vous ayant fourni un rendement plus qu’accep-
table pendant un bon moment voie sa productivité décroître de façon importante sans raison
valable. Par exemple, il est possible que Nadir soit affecté ou découragé par la période consi-
dérable d’attente pour l’évaluation de sa demande de reconnaissance de qualification profes-
sionnelle. En outre, peut-être que ce dernier compose mal avec le fait que ses compétences
soient sous-utilisées. Certes, Nadir vous déçoit, mais est-ce vraiment d’une remontrance dont
celui-ci a besoin actuellement?
Si l’organisation du travail le permet et que vous avez le sentiment que la baisse de productivité
de Nadir s’explique par le fait qu’il sent que ses capacités sont sous-utilisées, l’enrichissement
de ses tâches pourrait contribuer à rétablir son niveau de performance. En effet, comme tout
le monde, les travailleurs issus de l’immigration ont besoin de se réaliser et de mettre à profit
leurs compétences. Or, Nadir remplissait précédemment des tâches beaucoup plus exigeantes
et probablement plus stimulantes à son point de vue que celles qui lui sont confiées actuelle-
ment. Sans pouvoir lui attribuer des tâches d’ingénieur, faute de cette attestation tant attendue,
accroître l’envergure de ses mandats et de ses responsabilités de manière à reconnaître ses
capacités sera probablement interprété par Nadir comme un geste d’appui de votre part, ce
qui pourrait contribuer à rehausser sa motivation et accroître sa loyauté envers votre organisa-
tion. Cependant, si cette solution présente son lot d’avantages, assurez-vous qu’elle ne crée
pas d’iniquités envers d’autres techniciens qui pourraient également assumer adéquatement
de plus amples responsabilités. Voilà peut-être une occasion inattendue de voir comment vous
pourriez utiliser les capacités de vos techniciens à leur plein potentiel…
Vous avez raison sur une chose : en principe, l’obtention d’une reconnaissance de diplôme
n’est pas de votre ressort et ne devrait en aucun cas influencer la prestation de travail que vous
êtes en droit de recevoir en échange du salaire et des conditions de travail que vous lui donnez.
Ce n’est donc pas directement votre problème. Toutefois, est-il réellement dans votre intérêt de
ne pas intervenir? En effet, Nadir vous a toujours offert un rendement plus qu’acceptable et vous
en étiez satisfait jusqu’à tout récemment. En ne témoignant pas votre appui ou votre sympathie
à l’égard de sa situation, ne risquez-vous pas de contribuer à l’enfoncer un peu plus dans son
marasme et à prolonger le problème?
145
Exercices facultatifs
D. Vous le jumelez avec un ingénieur désireux d’agir comme mentor auprès de lui.
Si vous croyez au potentiel à long terme de Nadir, cette option est probablement appropriée.
Comme bon nombre de travailleurs issus de l’immigration, Nadir doit s’adapter à une réalité
inconnue composée de multiples facettes : nouveau milieu de travail, nouveaux collègues et
nouvelle culture. L’attribution d’un mentor lui permettrait donc de trouver une personne-ressource
à qui poser ses questions et un appui dans le frustrant processus visant la reconnaissance de
ses qualifications professionnelles. En outre, la dynamique de l’organisation, qui fait en sorte
qu’ingénieurs et techniciens se côtoient peu en dehors des stricts rapports professionnels, lui
permet actuellement d’entretenir des relations seulement avec les techniciens. Nadir se trouve
donc dans une situation fréquemment observée chez les travailleurs issus de l’immigration qui
occupent des emplois pour lesquels ils sont surscolarisés. Alors qu’il lui serait nettement plus
facile de tisser des liens avec les ingénieurs avec lesquels il partage champs d’intérêt et forma-
tion, son environnement social se compose plutôt de personnes qui ont des champs d’intérêt
et une formation différents des siens. Or, la capacité qu’offre le milieu de travail de répondre au
besoin d’appartenance intrinsèque à chaque personne contribue à renforcer son engagement
et sa loyauté envers l’organisation. En ce sens, l’attribution d’un mentor avec lequel il aura un
certain nombre de points en commun ne peut que l’aider à retrouver un sens à son travail.
146
Exercices facultatifs
Vous êtes le président de Promotions Delta, une firme dont la mission consiste à concevoir, à organiser et à livrer
des activités de marketing direct s’adressant au grand public. L’entreprise connaît une croissance fulgurante, grâce
essentiellement à la réputation qu’elle s’est forgée dans l’organisation d’activités promotionnelles pour le compte
des grands commanditaires lors d’événements publics ou de festivals. Votre entreprise s’est construite autour d’un
noyau d’employés d’origine québécoise, francophones, fidèles et dévoués, et votre recrutement s’est toujours fait
à partir des références de vos employés. Or, ces derniers mois, vous avez noté un certain agacement de la part
de certains gros clients qui, désireux de voir leurs représentants lors de ces activités refléter la diversité de leur
propre clientèle, ont commencé à poser des questions à propos de vos statistiques en matière de diversité de la
main-d’œuvre. Plus particulièrement, Ringvox, une compagnie de téléphonie mobile qui vous confie déjà l’orga-
nisation d’une trentaine d’événements par année, souhaiterait organiser des activités promotionnelles ciblées lors
de rassemblements importants des communautés caribéennes, sud-américaines et asiatiques. Bien entendu, elle
voudrait être représentée à ces occasions par du personnel de même origine que le public cible. Ces activités sont
prévues six mois plus tard, ce qui vous laisse amplement le temps de recruter et de former du personnel adéquat.
Conscient de l’importance de Ringvox pour l’entreprise, vous vous mettez au travail. Tout d’abord, vous mandatez
Michelle, Sébastien et Jacynthe, trois de vos meilleurs chargés de projet, pour constituer des équipes pour ces
événements. Ensuite, vous tissez des liens avec des organismes communautaires afin de recevoir plus de candi-
datures de personnes provenant de l’immigration et vos démarches semblent porter fruit. En effet, deux mois plus
tard, Pierre, votre directeur des ressources humaines, vous remet un rapport démontrant que le recrutement de
représentants caribéens et sud-américains est presque complété et que la formation peut commencer. Par contre,
lorsque vous le questionnez sur l’équipe asiatique, il se montre beaucoup moins rassurant, alors que seulement
10 % de l’équipe a été recrutée.
Vous convoquez alors Jacynthe, à qui vous aviez confié cette tâche. À votre grande déception, elle vous mentionne
que, bien qu’elle ait rencontré environ le même nombre de personnes que ses collègues, elle n’a pas pu trouver
de candidat convenable. Selon elle, les Asiatiques ne semblent pas être capables de démontrer leur valeur en
entrevue : « Ils ne sont même pas capables de nous dire pourquoi ils seraient bons à ce poste! », lance-t-elle. En
outre, elle vous mentionne qu’elle pouvait, après deux minutes et une poignée de main, déterminer si un candidat
pouvait se joindre à l’équipe : « La plupart du temps, ils ne nous regardent même pas dans les yeux. Comment
puis-je leur faire confiance? »
Alors que vous devez recevoir une délégation de Ringvox la semaine prochaine, vous savez très bien qu’ils seront
inquiets de constater que huit semaines après le début du projet, le recrutement est si peu avancé. Comme ils
fondent beaucoup d’espoir sur leur nouvelle stratégie qui consiste à cibler des communautés culturelles, vous
ne vous faites pas d’illusion : l’échec d’un seul de ces trois événements pourrait amener Ringvox à changer de
partenaire, ce qui vous ferait perdre du même coup votre plus grande source de revenus.
147
Exercices facultatifs
Que faites-vous?
B. Vous renvoyez Jacynthe à ses devoirs en lui mentionnant que vous ne tolérerez pas longtemps
une telle fermeture d’esprit.
148
Exercices facultatifs
Réponses
Cas numéro 4 – Le recrutement
Si vous sentez que le manque de résultat de Jacynthe s’explique principalement par son inex-
périence en matière de recrutement, il est fort probable que cette solution vous permettra de
compléter la composition de votre équipe asiatique dans les délais prescrits. Quant à Jacynthe,
elle pourra bien développer ses compétences en recrutement à l’occasion d’un projet moins
important pour l’avenir de l’entreprise. Par contre, ses remarques témoignant de ses percep-
tions négatives à l’égard de la plupart des candidats asiatiques qu’elle a rencontrés laissent
planer certains doutes sur les chances de réussite d’une telle stratégie. En effet, l’attitude défen-
sive dont elle fait preuve minera possiblement sa capacité à établir une relation solide et respec-
tueuse avec les membres de sa nouvelle équipe composée exclusivement de travailleurs issus
de l’immigration. Sans être raciste ou xénophobe, Jacynthe doit par contre s’habituer graduel-
lement à leur présence de manière à pouvoir faire la part des choses et s’ouvrir graduellement
à eux. Or, un tel processus demande un certain temps, une denrée des plus précieuses dans
les circonstances.
B. Vous renvoyez Jacynthe à ses devoirs en lui mentionnant que vous ne tolérerez pas longtemps
une telle fermeture d’esprit.
Si vous sentez que Jacynthe fait preuve d’étroitesse d’esprit, vous pouvez utiliser cette tac-
tique. En effet, une fois contrainte à obtenir un résultat positif, il est possible qu’elle finisse par
sélectionner quelques bons employés. Par contre, il est également possible qu’elle ne puisse
pas vaincre seule ses préjugés. D’ailleurs, êtes-vous bien certain que ses conclusions sur les
précédents candidats étaient motivées par de quelconques préjugés ou une attitude xéno-
phobe? En effet, dans une telle situation, bien d’autres gestionnaires discutant avec les mêmes
candidats en seraient arrivés à la même conclusion, car la manière convenable de se compor-
ter lors d’une entrevue d’embauche diffère grandement d’une société à l’autre. Ainsi, si les inter-
vieweurs nord-américains s’attendent à ce qu’un candidat se mette en valeur en vantant ses
réalisations et ses compétences, dans d’autres sociétés, le candidat devra laisser toute la place
à l’intervieweur et attendre ses questions de manière à montrer qu’il respecte son autorité. Si
Jacynthe n’était pas au fait de cette situation, il est tout à fait plausible qu’elle en soit arrivée, en
toute bonne foi, à une conclusion erronée quant à la valeur des candidats qu’elle a rencontrés.
Conséquemment, on peut certainement lui attribuer une part de responsabilité pour sa mécon-
naissance d’une autre culture, mais de là à lui imputer une attitude xénophobe…
Si vous sentez que Jacynthe ne sera pas en mesure de mener à bien ce processus d’em-
bauche dans un délai raisonnable, il est possible que vous concluiez que la meilleure solution
qui s’offre à vous est de vous acquitter de cette tâche vous-même. D’ailleurs, il est possible
149
Exercices facultatifs
que les délais rapprochés ne vous laissent d’autre choix. Par contre, si cette solution vous
permet d’atteindre votre objectif à court terme, elle n’aborde pas le fond du problème. En effet,
Jacynthe devra éventuellement, en sa qualité de chargée de projet, apprendre à connaître ses
nouveaux employés asiatiques et à interpréter adéquatement leurs attitudes et comportements
de manière à pouvoir travailler efficacement avec eux et à en faire des collaborateurs au suc-
cès de son équipe. Or, le processus de recrutement constitue justement une bonne occasion
de prendre contact avec ses futurs employés. Votre participation peut certainement contribuer
au succès de votre ronde d’embauche, mais est-ce vraiment nécessaire d’en exclure Jacynthe
pour y parvenir?
Si vous disposez d’un peu de temps pour mener à bien les embauches nécessaires à la réa-
lisation du contrat, il se pourrait bien que cette option vous apporte des bénéfices inespérés.
En effet, comme l’élément culturel influence largement le langage non verbal et l’étiquette au
travail, il est probable que, par exemple, Jacynthe ait interprété le fait qu’on ne la regarde pas
dans les yeux comme un manque de confiance alors qu’il s’agissait plutôt d’une marque de
respect de la part de ses interlocuteurs asiatiques pour qui soutenir le regard équivaut à faire
preuve d’insolence. Or, si Jacynthe ne décode pas correctement ce genre de message, on ne
se surprendra pas qu’elle ne juge aucun candidat asiatique favorablement. Ainsi, en lui adjoi-
gnant un conseiller du service des ressources humaines ou un consultant externe plus familier
avec la réalité interculturelle, Jacynthe pourra, au contact des candidats, se familiariser avec
cet aspect de la gestion interculturelle. Elle mènera probablement ainsi son mandat de recrute-
ment à terme tout en développant ses compétences de gestionnaire.
150
Exercices facultatifs
Vous êtes directeur d’un centre d’appels chargé du service à la clientèle d’un courtier en douanes. Ce centre s’oc-
cupe de répondre aux questions des clients concernant la localisation des marchandises en transit et de les diriger
vers le conseiller ou le service approprié s’ils rapportent un problème ou souhaitent obtenir des informations plus
précises sur certains services. Comme dans tout centre d’appels, on y constate un fort taux de roulement et les
agents qui passent plus de deux ans à ce poste exigeant sont rares. L’entreprise vous incite donc à en prendre soin,
car ce sont de loin vos employés les plus rentables.
Un jour, vous annoncez la création d’une équipe affectée au traitement de plusieurs comptes majeurs et vous
décidez de confier cette équipe à Caroline, une chef d’équipe réputée pour ses bonnes performances. L’affectation
à cette équipe s’accompagne d’une augmentation de salaire et de meilleures perspectives de promotion, car l’ex-
périence des comptes majeurs est valorisée par l’organisation. Vous y affectez donc plusieurs de vos meilleurs
agents. Parmi eux, Cristobal, originaire du Chili, embauché il y a maintenant un an, est reconnu comme un des
agents les plus assidus, les plus appréciés du service et Martin, son chef d’équipe actuel, ne tarit pas d’éloges à
son égard.
Quelques semaines après la formation de cette nouvelle équipe, Caroline vous rapporte que la performance de
Cristobal n’est pas à la hauteur de ses performances passées. Vous posez quelques questions afin de vous assurer
de bien comprendre, mais Caroline ne semble pas pouvoir vous expliquer clairement ce qui se passe. Vous vous
dites que vous tenterez d’en savoir plus par vous-même, car cette situation est inquiétante. Alors que vous passez
par hasard près de la salle de conférence, vous décidez d’y entrer en douce comme observateur pendant la réu-
nion mensuelle du service. Personne ne vous voit, mais ce que vous constatez vous étonne : alors que Cristobal
n’écoute pas et semble même faire exprès pour défier Caroline, elle l’apostrophe alors que celui-ci, pour toute
réponse, lui adresse un regard condescendant et l’ignore… Vous êtes très perplexe, car vous n’aviez jamais vu
Cristobal adopter une telle attitude auparavant.
Le lendemain, vous apprenez que Caroline, excédée du comportement de Cristobal, lui a dit sa façon de penser.
Celui-ci, arrogant, lui a répondu en espagnol que, comme toutes les femmes, elle était trop hystérique pour
occuper un poste de gestion. Or, Caroline comprend très bien l’espagnol. Enragée de se faire traiter de la sorte,
elle veut congédier Cristobal sur-le-champ. Caroline est l’une des plus brillantes chefs d’équipe et tous l’adorent
et voient en elle une future directrice. Vous devez l’appuyer. Cependant, Cristobal est compétent et efficace, il vous
a permis de récupérer la gestion des clients de toute l’Amérique latine et il représente un atout pour votre équipe.
Vous savez que vous ne pouvez pas laisser cette histoire se détériorer de la sorte…
151
Exercices facultatifs
A. Vous ne faites rien pour l’instant. Caroline est une gestionnaire capable de s’en sortir toute seule;
ce sera une expérience de laquelle elle tirera des apprentissages.
B. Vous placez Cristobal devant un choix : son ancien poste moins bien rémunéré et moins promet-
teur ou son poste actuel sous la supervision de Caroline.
C. Vous tentez une médiation entre Cristobal et Caroline pour atténuer le différend.
D. Vous rencontrez Cristobal pour lui signifier que Caroline demeurera sa patronne, que ça lui plaise
ou non.
152
Exercices facultatifs
Réponses
Cas numéro 5 – Le téléphoniste
A. Vous ne faites rien pour l’instant. Caroline est une gestionnaire capable de s’en sortir toute seule;
ce sera une expérience de laquelle elle tirera des apprentissages.
À titre de gestionnaire, vous ne pouvez certainement pas vous permettre de venir régler vous-
même tous les petits problèmes de vos chefs d’équipe. D’une part, ceux-ci ont été embauchés
spécifiquement pour faire ce travail, et d’autre part, intervenir à leur place risque de miner
leur crédibilité et leur leadership auprès de leur équipe. De plus, voler au secours de Caroline
pourrait contribuer à conforter Cristobal dans sa fausse conception de la capacité des femmes
à occuper un poste de gestion. En ce sens, si vous sentez que Caroline saura mettre de côté
sa légitime colère pour gérer la situation, cette option est peut-être à considérer. Par contre, à
l’évidence, Cristobal ne porte aucun respect à Caroline et celle-ci risque de disposer de très
peu d’outils pour trouver une issue positive à cette situation. Au bout du compte, vous pourriez
assister au départ d’un employé ayant certes commis une faute grave, mais ayant aussi fait
preuve de sa compétence et de sa loyauté envers l’organisation dans un poste où une longue
durée de service n’est pas la norme.
B. Vous placez Cristobal devant un choix : son ancien poste moins bien rémunéré et moins promet-
teur ou son poste actuel sous la supervision de Caroline.
Par son attitude, Cristobal a posé un geste d’insubordination que vous ne pouvez passer
sous silence. De plus, si dans certaines sociétés, une telle conception des rapports hommes-
femmes est couramment partagée, elle est ici depuis longtemps réprouvée. Dans cette situa-
tion, il serait plus qu’approprié de le réitérer sans équivoque afin que, d’une part, Cristobal en
prenne conscience et que d’autre part, toute votre équipe soit informée de votre attachement
au principe, sans quoi une partie de votre personnel risque de désapprouver votre manière de
traiter la situation. En forçant Cristobal à choisir, vous prenez ainsi position de manière ferme
tout en lui offrant la possibilité de s’amender. En effet, s’il opte pour son poste actuel, il devra
accepter l’autorité de Caroline. À l’opposé, s’il décide de retourner à son ancien poste, il le fera
de son gré et devra en accepter les conséquences. D’une manière ou d’une autre, vous régle-
rez probablement le problème à la source et éviterez de perdre un employé fidèle et compétent,
tout en permettant à Caroline d’avoir les coudées franches.
C. Vous tentez une médiation entre Cristobal et Caroline pour atténuer le différend.
À première vue, tenter de réduire l’animosité qui existe entre Cristobal et sa supérieure par une
discussion dirigée et encadrée peut sembler approprié. En effet, peut-être une conversation
franche où vous en profiterez pour réaffirmer votre confiance en Caroline, mais où Cristobal
pourra également préciser les motifs de son insatisfaction, permettra-t-elle à tous d’adopter
de meilleures dispositions. Toutefois, cette solution n’est pas sans risque. En premier lieu, si
le comportement de Cristobal est principalement motivé par une conception réductrice de la
compétence des femmes, le fait de pouvoir l’exprimer pourrait en quelque sorte lui donner une
certaine crédibilité. Or, bien que sa vision puisse être partagée couramment dans certaines
153
Exercices facultatifs
sociétés, le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes ne saurait ici être remis en
cause. Deuxièmement, en adoptant une telle approche, vous affaiblissez de facto le leadership
de Caroline, car la simple idée de médiation implique qu’elle puisse aussi avoir en partie tort, ce
qui est loin d’être acquis dans la situation. Finalement, comme la base du différend se situe au
niveau des principes, un tel exercice ne peut mener qu’à deux issues : l’échec ou la résolution
du problème moyennant une entorse aux principes qui créera un précédent difficilement défen-
dable auprès du reste de votre équipe…
D. Vous rencontrez Cristobal pour lui signifier que Caroline demeurera sa patronne, que ça lui plaise
ou non.
En procédant de la sorte, vous témoignez de votre appui sans équivoque à Caroline tout en
affirmant clairement que la conception des rapports hommes-femmes de Cristobal n’est pas
acceptée et encore moins partagée par l’organisation. Dans une certaine mesure, vous rendrez
aussi service à Cristobal qui devra tôt ou tard, que ce soit dans votre organisation ou dans
une autre, s’adapter à cette réalité. Par contre, il s’agit également d’un pari risqué. En effet, il
y a de fortes chances que l’animosité qui s’est développée entre vos deux interlocuteurs soit
plus durable que passagère, de telle sorte que leur collaboration est possiblement vouée à
l’échec. Qui plus est, dans la mesure où Cristobal ne veut manifestement pas travailler sous
la supervision de Caroline, vous ne gagnerez probablement rien à le confiner dans ce poste,
mis à part le fait de lancer un message à quiconque dans votre équipe voudrait adopter une
attitude similaire. Certes, cette situation risque fort de s’envenimer jusqu’à son dénouement, qui
risque d’être le départ d’un employé autrefois compétent; mais peut-être est-ce le prix à payer
pour affirmer clairement un principe et ainsi prévenir l’émergence d’une situation similaire dans
le futur...
Ces cas pratiques ont été rédigés par Desnoyers Ressources Conseils dans le cadre d’un projet piloté par Emploi-Québec.
http://www.unmondedetalents.com/etapes/gerer – Site web « Un monde de talents pour performer, la main-d’œuvre immi-
grante », Cas pratiques.
154
Exercices facultatifs
Perceptions croisées de sept pays en management interculturel : analysez les pratiques décrites
plus bas et tentez d’y associer la culture à laquelle on fait référence.
A. Ils adoptent naturellement un mode de fonctionnement communautaire, avec une recherche permanente du
consensus. Ils sont réceptifs à un argumentaire solide et motivé et cherchent en permanence une cohérence et
une précision dans les propos.
B. Dans les affaires, ceux-ci n’aiment pas froisser leurs interlocuteurs et ils utilisent souvent la diplomatie dans
leurs relations. Ce qui est apparemment pris pour de l’hypocrisie ou du snobisme, n’est en fait qu’une volonté
de ne pas froisser l’Autre.
C. Ils vous appelleront rapidement par votre prénom en vous tutoyant et porteront une tenue vestimentaire décon-
tractée. Attention, ces apparences sont trompeuses et il ne faudra jamais sous-estimer la position hiérarchique
du partenaire sur la seule base de son attitude.
D. Quand on communique, votre interlocuteur a tendance à faire un signe de tête en forme de huit horizontal que
l’on traduit aisément par un « je vous ai compris » mais en aucun cas à la validation des propos évoqués. Ce
signe de la tête est très perturbant car notre cerveau perçoit un signe de négation qui ne doit pas être interprété
comme tel.
E. Une conception du temps linéaire extrêmement rigide. Arriver à l’heure, c’est déjà être en retard. 15 minutes
en avance, c’est le bon temps…
F. Lors des réunions, allez droit au but et alignez chiffres et arguments. Ils ne prêtent pas beaucoup d’attention
aux longues présentations… Dans ce pays, on achète plus à une personne qu’à une entreprise. La relation
est avant tout basée sur la confiance et les promesses doivent être tenues même si elles ne sont que verbales.
G. Bien que cela soit une tradition bien ancrée, offrir un cadeau engage celui qui l’accepte à rendre l’équivalent
sous une forme ou sous une autre. Le cadeau n’est pas là pour faire plaisir mais pour sceller une relation.30
30. http://www.afnor.org/groupe/espace-presse/les-communiques-de-presse/2013/fevrier-2013/les-cles-du-savoir-etre-interculturel-
de-laurent-goulvestre-aux-editions-afnor
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Exercices facultatifs
Réponses
Exercice — Attitudes culturelles en management
1. E.
2. G.
3. D.
4. F.
5. B.
6. A.
7. C.
156
ISBN 9-782-7624-2599-4