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Correction Ds 4h 2023 Redigee

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Le XIXème siècle est marqué par l’essor du journalisme : les journaux se multiplient, certains romans

se publient sous la forme de feuilleton hebdomadaire. Carmen, œuvre de Prosper Mérimée devenue
incontournable grâce à son adaptation à l’opéra, par Bizet, fait partie de ces œuvres publiées d’abord dans
les journaux. Mérimée campe dans cette nouvelle un personnage haut en couleur, la gitane Carmen, et son
amant Don José, narrateur pour une partie de l’œuvre de leurs amours malheureuses. Les deux amants se
cherchent et se disputent dans un jeu de séduction quasi permanent. Tout commence Rue du Candilejo.
Carmen est définie comme « une petite drôlerie » vendue à la Revue des deux mondes. Ce mode de diffusion
peut influer sur l’écriture du texte et c’est pourquoi nous nous demanderons en quoi la dispute entre Carmen
et Don José Rue Candilejo illustre l’art de raconter. Le récit s’ouvre d’abord sur le regard subjectif de Don
José. Carmen n’est toutefois pas en reste et sa prise de parole permet au personnage de s’affirmer. Enfin,
la parole, lors de cette dispute, témoigne d’un jeu de l’auteur autour et avec la langue et ses personnages.

Don José est l’un des deux narrateurs dans cette nouvelle. Son récit est enchâssé à celui de
l’historien-voyageur, alter ego de Prosper Mérimée. Son regard sur la dispute est le premier qui s’impose à
nous, il est plein d’émotions, voire de pathos.
Son récit est en effet subjectif. Don José emploie le pronom personnel « je » tout au long du texte, et
s’oppose systématiquement à « elle » (l3, 13, 17, 18, 19) ou encore « Carmen » (l1, 12, 16), le conflit est
engagé. Il utilise également le champ lexical de la colère et révèle ses émotions avec les termes « furieux »
(l8), « violent » (l7), « battre » (l7) ou encore la comparaison « comme un fou » (l8). La multiplicité des
connecteurs temporels employés : « Le lendemain » (l1), « Après » (7), « enfin » (l8), « Tout d’un coup » (l9)
montre également que la scène se déroule à un rythme propre, celui de Don José.
Cependant ce regard personnel, qui semble chercher à attirer l’empathie du narrateur historien-
voyageur et du lecteur, oscille entre l’expression d’une tragédie, toute personnelle et le grotesque. Don José
se dépeint sans y penser comme un homme assez ridicule. Les émotions éclatent sans filtre et cela en fait
un personnage débordant. En effet sa colère est extrême et incontrôlée, il ne semble pas être maître de lui-
même, ce que montre l’expression « peu s’en fallut que je lui jetasse la pièce à la tête » (l 6) ou encore la
comparaison « comme un fou » (l8). Sa peine est à la mesure de sa colère. Cela est montré par l’hyperbole,
et expression commune : « je pleurai à chaudes larmes » (l 9), dont le pluriel est emphatique. La situation le
place également dans une posture grotesque : Don José se trouve « dans une église » (l 9) et il reçoit une
révélation : « tout d’un coup, j’entends une voix » (l9 et 10). L’utilisation du connecteur temporel « tout d’un
coup » ainsi que du présent de l’indicatif avec une valeur de narration intensifie le moment. Le lieu crée un
semblant de gravité, qui retombe bien vite : c’est Carmen, et non Dieu ou un prêtre, qui parle à Don José.
Don José fait le récit de ses amours malheureuses en cherchant une complicité, un soutien auprès
de son auditoire, cela n’est, toutefois, pas tout à fait réussi. La présence de la voix de Carmen dans ce récit
de dispute participe à cet effet.

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L’auteur, Prosper Mérimée, dans cette dispute, et bien qu’elle nous soit rapportée par Don José,
donne une large place à Carmen. Sa parole est là et Carmen s’affirme à travers elle.
Carmen joue de ses charmes pour vivre et tromper les hommes influents ou riches. Cela n’en fait pas
pour autant une prostituée. Elle agit de son propre chef, choisit ses amants et revendique un droit au respect.
L’utilisation du vocabulaire marchand va dans le sens de cette interprétation : « service » (l3), « gagnerai »
(l4), « marchandé » (l4), « un douro » (l5). Face à l’attitude exigeante de Don José, elle affiche un mépris
clair en utilisant le tutoiement : « tu m’as rendu » (l 3), « tu as marchandé » (l4), « ta peine » (l5). Son mépris
s’exprime également par l’utilisation de l’impératif : « va t’en » (l5) ou encore « tiens » (l5). Elle marque
d’ailleurs une rupture claire avec son amant, qui se fourvoie sur son compte, et emploie une négation
absolue : « je ne t’aime plus » (l5).
Presque malgré elle, elle retombe assez rapidement dans une dynamique séductrice, tentatrice et
s’affirme en tant que telle. C’est elle qui mène le jeu du désir, et c’est elle qui impose son désir, pas Don
José. La parole est l’un de ses outils. Tous les passages au discours direct sont attribués à Carmen, cela
montre bien que l’art de la parole lui est attribué. Elle joue également sur les mots et montre sa maîtrise :
« larmes de dragon » est ainsi polysémique, désignant tout autant le dragon, animal merveilleux et colérique,
métaphore pour Don José, que son statut de soldat, appelé Dragon. Carmen est également liée à l’image de
la sorcière que les termes « larmes de dragon » pris au sens premier, dragon comme créature merveilleuse,
et « philtre » (l11) sous-entendent. Son utilisation de la question rhétorique « Et bien, mon pays, m’en voulez-
vous encore ? » (l13) ou encore du déterminant possessif, tendre et caressant, « mon pays » (l13) participe
à cette image séductrice et tentatrice. Elle crée un champ de possibles.
Ainsi Carmen s’affirme lors de cette dispute par ses capacités oratoires et sa séduction ; mais n’est-
ce pas Prosper Mérimée qui nous séduit et s’auto-séduit par cette utilisation du langage ?

Avec cette scène de dispute, l’auteur cristallise toute une partie de son récit et des tensions à venir.
La scène n’est pas anodine et l’auteur joue avec la parole, son récit – le fil narratif, et ses personnages.
Prosper Mérimée s’amuse tout d’abord à créer, avec cette scène, une boucle temporelle. Cela
annonce le caractère récurrent de ses échanges entre les personnages dans la suite de la nouvelle. En effet,
la notion de temps est clé dans ce passage, en témoignent les nombreux connecteurs temporels : « Le
lendemain » (l1), « Après » (7), « enfin » (l8), « Tout d’un coup » (l9). Les temps verbaux sont également
nombreux et permettent de situer le récit sur plusieurs plans : le présent d’actualité lors des paroles
rapportées directement de Carmen, « je n’aime pas » (l3), « j’en veux » (l11) ; le passé simple qui indique
l’action révolue, et la met au premier plan du récit, « j’allai » (l1), « nous fîmes » (l16), le présent à valeur de
narration dans le récit de Don José, « je lève » (l12), « j’entends » (l10) ou encore à valeur de vérité générale
« Jamais l’orage n’est si près dans nos montagnes que lorsque le soleil est le plus brillant » (17) ; l’imparfait
de second plan, « c’était » (l12), « avait » (l16) ou encore le plus-que-parfait qui marque l’action antérieure à
un fait déjà passé : « elle était allée » (l19). Le début et la fin de la dispute se font également écho : « j’allai
rue du Candilejo » (l1), « Dorothée me dit de plus belle qu’elle était allée à Laloro » (l19), Dorothée résidant

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Rue du Candilejo. Le personnage de Don José semble donc attrapé dans une boucle temporelle ou spatiale
et ne peut/veut en sortir.
Prosper Mérimée joue également avec les mots et leurs sens. Il semble cisailler son écrit pour faire
briller l’ironie qu’il adopte face à la situation et ses personnages. Ainsi, il place dans la bouche de Carmen
des « gens qui se font prier » (l3), puis envoie Don José « dans une église » (l9) par un jeu d’écho ironique.
Le terme dragon est également ici polysémique et met en valeur à la fois le caractère colérique de Don José,
et celui, magique, de Carmen, tout en rappelant le statut réel de Don José. L’ironie s’impose dans la dernière
ligne avec le complément circonstanciel de manière « de plus belle » (l19) qui montre que la situation devient
absurde puisqu’elle est vouée à se répéter. Le terme « Laloro » ne désigne également aucun lieu réel et
l’auteur semble jouer sur les sonorités, dont l’assonance en L et les voyelles ouvertes A et O afin de créer
un mot qui illustre bien la situation : l’indifférence de Carmen, s’en allant en chantant « lalalilalère ».

La première dispute entre Don José et Carmen, dans la nouvelle éponyme, illustre bien l’art de
raconter dont fait preuve Prosper Mérimée, et qui permet de garder captif un lectorat de revue. En effet, il
crée un jeu entre les différents niveaux de récit : celui personnel et émotif à l’excès de Don José, celui plus
séducteur et revendicateur de Carmen, et finalement son propre style, mordant, vif et intelligent. Cette
vivacité présente dans le texte publié dans la Revue des deux mondes, s’essouffle dans le dernier chapitre,
ajouté lors de la publication intégrale et définitive du texte, où l’intelligence brille alors par le jeu qu’opère
Prosper Mérimée entre les types de discours : du narratif, il semble basculer vers l’informatif.

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