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Maths Singapours

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UN APERÇU DU CURRICULUM DE MATHÉMATIQUES

À SINGAPOUR

Jaguthsing DINDYAL1
Mathematics & Mathematics Education Academic Group
National Institute of Education, Singapore

Stéphane CLIVAZ2
UER MS, Haute École Pédagogique du Canton de Vaud, Lausanne, Suisse

Résumé : Le système éducatif de Singapour, particulièrement en mathématiques, fait régulièrement la une de


l’actualité depuis les excellents résultats obtenus dans les études internationales. Afin de mieux comprendre les
particularités de ce système en ce qui concerne l’enseignement des mathématiques, cet article propose un aperçu du
curriculum singapourien de mathématiques. Quelques éléments de contexte sont proposés, ainsi qu’une brève
description du système éducatif de Singapour. Les caractéristiques essentielles du Singapore Mathematics
Curriculum Framework (SMCF) sont ensuite décrites et illustrées du point de vue des curricula officiel, implémenté
et assimilé. Enfin, les forces et les faiblesses du SMCF sont discutées.
Mots-clés : Singapour, système éducatif, Singapore Mathematics curriculum, curriculum officiel, implémenté,
assimilé.

INTRODUCTION
Le système éducatif de Singapour est placé sous les feux des projecteurs à la suite des excellents
résultats des élèves singapouriens dans les études comparatives internationales (ECI). En effet,
ces élèves ont des performances aux niveaux les plus élevés dans des ECI telles TIMMS (Trends
in International Mathematics and Science Study) organisée par l’IEA (International Association
for the Evaluation of Educational Achievement) ou dans les fameuses études PISA (Programme
for International Students Achievement) menées sous l’égide de l’OCDE (Organisation de
Coopération et de Développement Économiques). Plus récemment, en France, la parution du
rapport de Villani et Torossian (2018) a mis en avant ces bons résultats et a propulsé à nouveau
le système éducatif singapourien sur le devant de la scène. Un des effets de cette médiatisation a
été la création d’une sorte de marque « Singapore Math » aux États-Unis et dans plusieurs
endroits du monde ou Méthode de Singapour (à la Librairie des Écoles) en France. Les auteurs et
les éditeurs capitalisent ainsi sur la valeur marchande d’ouvrages ou d’autres services de
formation basés sur des approches utilisées dans le curriculum mathématique de Singapour.
Plusieurs sites internet dédiés aux « Singapore Math » ont également émergé (L. L. Brown,

1
e-mail : jaguthsing.dindyal@nie.edu.sg
2
e-mail : stephane.clivaz@hepl.ch

Grand N - n° 102, 2018 - pp. 41 à 55

41
2013) et un certain nombre de pays ont tout simplement adopté les « Singapore Math ».
Le niveau élevé des performances des élèves de Singapour dans les ECI justifie-il cette course
folle vers les mathématiques de Singapour ? À l’ère des « pressions globalisantes du
néolibéralisme »3 (L. Lim & Apple, 2018, p. 139), de meilleures performances dans les ECI sont
considérées par les politiques comme un atout sur le marché du travail et comme une garantie de
compétitivité économique. Même si plusieurs aspects des ECI sont critiquables, nous ne pouvons
pas ignorer le fait que ces études nous fournissent un ensemble unique de lunettes nous
permettant d’observer les systèmes éducatifs, notamment le système de Singapour, afin de les
comparer à nos propres organisations scolaires (Dindyal, 2014).
C’est dans cet esprit que les deux auteurs de cet article, chercheurs dans le domaine de
l’éducation mathématique et formateurs d’enseignants, respectivement à Singapour et en Suisse
romande, ont pensé utile de mettre à profit leurs recherches et leur travail d’échange entre des
étudiants du National Institute of Education de Singapour et de la Haute École Pédagogique de
Lausanne pour proposer une description et une première analyse du curriculum de
mathématiques de Singapour. Comprendre le fonctionnement de l’enseignement des
mathématiques à Singapour implique en particulier de comprendre le curriculum de
mathématiques qui joue un rôle essentiel dans cet enseignement. Dans cet article, nous nous
commencerons par donner quelques éléments de contexte et par une brève description du
système éducatif à Singapour. La deuxième partie placera le Singapore Mathematics Curriculum
Framework (SMCF) dans son contexte historique. Les caractéristiques essentielles du SMCF
seront ensuite décrites du point de vue du curriculum officiel (partie III), du curriculum
implémenté dans les écoles, les manuels et la formation des enseignants (partie IV) et du
curriculum assimilé tel que mesuré dans les diverses évaluations (partie V). Enfin, en conclusion,
les forces et les faiblesses du SMCF seront discutées.

I. ÉLÉMENTS DE CONTEXTE
2
Singapour est une cité-état insulaire (environ 720 km ) située au large de la péninsule malaise,
devenue indépendante en 1965. Le pays est passé d’une origine très modeste à un statut de nation
développée (revenu national brut par habitant de 78 162 $4) avec un indice de développement de
0,925, classé cinquième au monde (voir le rapport du PNUD 2016 5). La seule ressource sur
laquelle le pays peut compter est sa ressource humaine multiculturelle de 5,61 millions
d’habitants (environ 74% de Chinois, 14% de Malais, 9% d’Indiens et 3% d’autres). Le pays
compte un total de 365 écoles : 185 écoles primaires, 150 écoles secondaires, 16 écoles mixtes
primaire-secondaires, ainsi que 16 Junior College (voir tableau 1 pour les correspondances de
niveau entre Singapour, la France et la Suisse Romande) pour une population scolaire d’environ
447 000 élèves6. Les dépenses consacrées à l’éducation représentent 2,9 % du PIB7. En tant
qu’ancienne colonie britannique, Singapour a un système d’éducation largement inspiré du
3
Toutes les traductions de cet article sont les nôtres.
4
À titre de comparaison, selon le Human Development Report 2016, ce revenu brut par habitant en dollars US est
de 38 085 $ pour la France ou de 56 364 $ pour la Suisse (Jahan, 2016, pp. 198-201).
5
À titre de comparaison, la France est classée 21 e avec 0.897 et la Suisse deuxième avec 0.939 (Jahan, 2016,
pp. 198-201).
6
À titre de comparaison, la France compte environ 12,4 millions d’élèves et la Suisse 950 000 (UNESCO, 2018).
7
À titre de comparaison, la France consacre 5,5 % de son PIB à l’éducation et la Suisse 5,05 %.

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système britannique traditionnel. Les élèves entrent à l’école primaire à l’âge de six ans et
passent un examen de fin d’études primaires six ans plus tard. Les élèves fréquentent ensuite
l’école secondaire durant quatre ou cinq ans, après quoi ils suivent deux années supplémentaires
pour terminer le Junior College, puis ils passent les examens du Advanced Level à l’âge de
18 ans. La langue d’enseignement est l’anglais, alors que moins de 40 % des élèves parlent cette
langue à la maison.
Singapour Junior
Primaire Secondaire
(cycles) College
Singapour 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
(grades internationaux)

France CP CE1 CE2 CM1 CM2 6e 5e 4e 3e 2nde 1re Tale


(sec) (lycée)

Suisse 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14
(HarmoS) (sec 2)

Tableau 1 : Correspondance des degrés scolaires.

II. LE SINGAPORE MATHEMATICS CURRICULUM FRAMEWORK


Les années 1970 et le début des années 1980 ont été le cadre d’un effort visant à améliorer
l’efficacité du système éducatif et à réduire un certain gaspillage éducatif, ce qui a conduit à la
répartition des élèves sur la base de leurs performances scolaires (Lee, 2008). Ceci a conduit à un
curriculum centré sur les capacités. On espérait que ce curriculum serait plus flexible et plus à
même de s’adapter aux capacités, aptitudes et talents de chaque élève afin de l’aider à atteindre
les résultats souhaités en termes d’objectifs éducatifs (Gopinathan, 2007). Les élèves de
Singapour n’ont pourtant pas obtenu de bons résultats dans la Second International Science
Study (SISS) réalisée dans les années 1980. Les décideurs ont alors rapidement réagi à la piètre
performance des élèves singapouriens, classés 16e au SISS (voir Ng, 2001). Il fut alors nécessaire
de remanier les programmes de mathématiques et de sciences. Suite notamment à l’abandon des
mathématiques modernes, les années 1980 ont d’ailleurs été une période de changement dans de
nombreuses régions du monde. Par exemple, en Inde, l’année 1986 a marqué l’introduction de la
National Curriculum Policy ; un programme national a également été adopté au Royaume-Uni
en 1988 et, en France, la fin des années 1970 a marqué la fin des mathématiques modernes. En
mathématiques, l’appel à la réforme le plus important est probablement celui des États-Unis. En
1980, le National Council of Teachers of Mathematics (NCTM) a émis un vibrant plaidoyer pour
des changements profonds dans l’enseignement des mathématiques. La principale
recommandation était que « le programme de mathématiques devrait être organisé autour de la
résolution de problèmes » (National Council of Teachers of Mathematics, 1980, p. 2). Le NCTM
a publié le Curriculum and Evaluation Standards for School Mathematics (National Council of
Teachers of Mathematics, 1989), qui a été considéré comme une publication capitale et un appel
pour la communauté de l’enseignement des mathématiques, non seulement aux États-Unis, mais
aussi dans de nombreuses autres parties du monde. En harmonie avec ces changements, le
ministère de l’éducation de Singapour a lancé une réforme majeure pour l’enseignement des
sciences et des mathématiques. C’est ainsi qu’est né le Singapore Mathematics Curriculum
Framework (SMCF8). Ce cadre fut le résultat d’une synthèse d’idées venues d’autres systèmes
éducatifs. Hallinger et Padavil (2006) ont décrit ainsi le cas singapourien :

8
Le SMCF peut être téléchargé sur le site web du ministère de l’éducation de Singapour : www.moe.gov.sg.

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Singapour [...] a fait de la pratique de l’adaptation scolaire un art. Les cadres scolaires
singapouriens ont été parmi les premiers à rechercher, adopter et affiner systématiquement les
pratiques éducatives conçues ailleurs dans le monde (p. 2).
Ainsi, dans un certain sens, le curriculum de mathématiques de Singapour est un programme
hybride, issu des meilleures pratiques mondiales, qui est devenu un véritable initiateur de
tendances.
Les réformes curriculaires des années 1960 qui ont conduit au mouvement des mathématiques
modernes aux États-Unis et dans certains pays d’Europe étaient le résultat, à l’époque post-
spoutnik, d’un clivage idéologique entre le monde occidental capitaliste et le monde socialiste
sous la conduite de l’Union-Soviétique. Cependant, les changements qui ont eu lieu dans les
années 1980 et qui ont conduit à des réformes dans les curricula étaient très différents au
moment où Singapour a entrepris des changements curriculaires. Se référant à cette période,
Pitman (1989) a déclaré que :
Politiquement, le pouvoir a été redéfini : le pouvoir en tant que domination militaire a cédé la
place au pouvoir en tant que suprématie économique, et l’objet principal des mathématiques
scolaires n’est plus considéré comme fournissant une sorte de démonstration qu’une certaine
idéologie politique est meilleure qu’une autre ; au contraire, l’objectif est maintenant de
développer des programmes de mathématiques scolaires qui contribueront au développement
d’économies nationales plus efficaces (p. 116).
Ainsi, le SMCF a été conçu en vue de relever les défis économiques, particulièrement dans une
économie de la connaissance au niveau mondial.
Depuis les années 1990, il y a eu plusieurs révisions et améliorations du SMCF, même si ses
aspects fondamentaux ont survécu et peuvent être considérés comme ayant été un modèle
efficace pour l’enseignement des mathématiques dans les écoles, comme le soulignent les
performances des élèves singapouriens dans les ECI en mathématiques.
Les programmes de mathématiques ont certaines caractéristiques communes à travers le monde
et celui de Singapour n’est probablement pas très différent de ce qui existe dans beaucoup
d’autres pays. Pourtant, il y a des différences subtiles dans le SMCF qui le rend intéressant à
examiner. Le modèle pentagonal du SMCF (voir figure 1), avec la résolution de problèmes en
son centre, a été publié pour la première fois en 1990 dans le contexte de changements dans les
programmes de mathématiques dans de nombreuses parties du monde dès les années 1980.
Au cœur du modèle est la résolution de problèmes et les cinq côtés formant le pentagone sont :
les concepts, les processus, la métacognition, les attitudes et les habiletés. Le modèle du
pentagone va clairement au-delà de la simple énumération du contenu du programme de
mathématiques scolaires. Le SMCF met l’accent non seulement sur le contenu à enseigner, mais
aussi sur les processus et les aspects affectifs de l’apprentissage des mathématiques. Singapour a
ainsi mis au point un modèle de programme d’études adapté à ses propres besoins et en éprouve
une certaine fierté.
Le SMCF possède toutes les caractéristiques d’un modèle Tylérien (Tyler, 1949) qui met en
évidence les objectifs, le contenu, les méthodes et les aspects d’évaluation du curriculum ainsi
que les activités d’apprentissage prévues pour les élèves. Posner (1988) a décrit ce modèle
tylérien comme étant basé sur une perspective de production technique, parce que l’école est
considérée comme un système de production dans lequel l’apprentissage individuel est un
produit primaire. Toutefois, cette vision est probablement trop extrême et nous allons considérer
le SMCF d’un autre point de vue, celui de Robitaille et Dirks (1982) qui ont mis en évidence

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trois aspects du curriculum ayant ensuite servi de modèle à la Second International Mathematics
Survey (SIMS) : le curriculum officiel, le curriculum effectif et le curriculum assimilé9. Dans ce
qui suit, le SMCF sera examiné à la lumière de ces trois aspects du curriculum.

`
Figure 1 : Le Singapore Mathematics Curriculum Framework
(Ministry of Education Singapore, 2012).

III. LE CURRICULUM OFFICIEL


Bien que la résolution de problèmes soit toujours au cœur du programme de mathématiques, des
modifications mineures ont été apportées au SMCF depuis les années 1990. On peut signaler par
exemple la cure d’amaigrissement réalisée en 1998 (Kaur, 2003) qui n’a cependant pas touché
l’essentiel du programme. De la même manière que l’enseignement des mathématiques scolaires
aux USA est organisé par le National Council of Teachers of Mathematics (2000) en contenu et
en processus, le curriculum de mathématiques à Singapour au niveau primaire comporte
actuellement trois axes consacrés aux contenus et un axe consacré aux processus. Les axes de
contenu sont « nombres et algèbre », « mesure et géométrie » et « statistiques ». L’axe
« processus mathématiques » est transversal par rapport aux contenus.
À Singapour, un des principaux objectifs de l’enseignement des mathématiques, à tous les
niveaux de la scolarité, est de
développer la réflexion, le raisonnement, la communication, les applications [des mathématiques]
et les compétences métacognitives par une approche mathématique de la résolution de problèmes
(Ministry of Education Singapore, 2012, p. 30).
Les « expériences d’apprentissage » (« learning experiences ») ont été ajoutées récemment au
SMCF. Elles sont décrites de la manière suivante :
Les expériences d’apprentissage sont énoncées dans les programmes de mathématiques en vue
d’influencer la façon dont les enseignants enseignent et dont les élèves apprennent, ceci afin que

9
En anglais, les termes utilisés par Robitaille et Dirks (1982) et repris par le International Bureau of Education de
l’UNESCO (voir http://www.ibe.unesco.org) sont : « intended curriculum », « implemented curriculum » et
« attained curriculum ».

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les objectifs du programme puissent être atteints. Ces affirmations exprimées sous la forme « les
élèves devraient avoir des occasions de ... » rappellent aux enseignants la nature de ces
expériences : elles sont centrées sur l’élève. Elles décrivent les actions que les élèves vont effectuer
et les activités que les élèves vont réaliser, mais aussi les opportunités d’apprentissage ainsi créées
et le guidage fourni par les enseignants. Les descriptions sont suffisamment spécifiques pour
fournir des suggestions aux enseignants, mais assez larges pour leur permettre une grande
flexibilité (p. 20).
La demande faite aux enseignants de mettre l’accent sur l’engagement des élèves dans des
Learning Experiences en mathématiques ne se fait pas par une modification du contenu
enseigné, mais par un changement de la façon dont les mathématiques sont enseignées et
apprises (Ministry of Education Singapore, 2013). Pour chaque sujet, les Learning Experiences
se concentrent sur les processus mathématiques et les compétences qui font partie intégrante de
l’apprentissage de ce sujet. En tant que tel, le MOE préconise que les élèves devraient avoir
l’occasion de :
• prendre des notes et organiser l’information de manière à lui donner du sens ;
• entraîner des compétences de base en mathématiques pour atteindre un bon niveau de
maîtrise ;
• utiliser les feedbacks pour améliorer l’apprentissage ;
• résoudre de nouveaux problèmes en utilisant un répertoire d’heuristiques ;
• discuter, articuler et expliquer des idées pour améliorer les capacités de raisonnement ;
• réaliser un projet de modélisation. (Ministry of Education Singapore, 2012, p. 20)
Un autre aspect important du SMCF est qu’il est issu d’un programme national. De plus, le
programme de mathématiques à Singapour est étroitement surveillé et mis en œuvre dans des
écoles bien dotées en ressources, par des enseignants hautement qualifiés, dont la plupart sont
des spécialistes de leur discipline. En conséquence, Singapour dispose d’un système d’éducation
centralisé, étroitement surveillé par le Ministère de l’Éducation (MOE). Le programme de
mathématiques mis en œuvre à Singapour est fortement influencé par diverses formes de tests et
d’examens dont les enjeux sont essentiels pour les élèves 10. Le Scheme of Work (schéma de
travail), document par lequel chaque école singapourienne décrit de quelle manière elle
implémente le programme national, reflète fortement une partie substantielle du curriculum de
mathématiques officiel et l’engagement fort de l’école pour le mettre en application. Cela permet
également un monitoring étroit du programme de mathématiques. Le rapport du ministère de
l’éducation (Ministry of Education Singapore, 2000) pour TIMSS 1999 a mis en évidence les
méthodes utilisées pour soutenir ou suivre la mise en œuvre du curriculum : la formation initiale
et continue des enseignants, les manuels prescrits ou recommandés, les guides méthodologiques
ou pédagogiques, les standards, les directives et notes du ministère, et les inspections ou les
audits des écoles. Ces pratiques ne sont certainement pas propres à Singapour et d’autres pays
ont des pratiques similaires. Toutefois, Singapour a probablement un avantage sur d’autres pays
pour le suivi global, car sa petite taille lui permet d’exercer un plus grand contrôle sur l’ensemble
du système éducatif. Les directives et les politiques du ministère sont diffusées rapidement et de
manière très efficace. Réciproquement, les feedbacks des écoles quant au processus de mise en
œuvre parviennent rapidement au ministère.
Des indications quant aux stratégies d’évaluation sont également fournies aux enseignants. En
plus des informations sur l’évaluation contenues dans le SMCF, les enseignants du primaire
disposent d’un document séparé et non public, intitulé Mathematics Assessment Guide, qui

10
En anglais, on parle de high stakes examinations. Ces examens déterminent le futur de l’élève.

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contient des notes plus détaillées sur les différents types d’évaluation.
Dans la période qui a suivi TIMSS 2003, l’American Institutes for Research (AIR, 2005) a
comparé le SMCF avec les documents similaires aux États-Unis. La conclusion fut que le SMCF
était un cadre national mathématiquement logique et uniforme qui développait les sujets en
profondeur à chaque niveau scolaire. L’étude AIR a également souligné que le SMCF au niveau
primaire comprenait un nombre relativement restreint de sujets, soigneusement classés par
niveau dans un programme en spirale, dans lequel les sujets sont étudiés à plusieurs reprises au
cours de la scolarité, à un niveau chaque fois plus avancé. On attend des élèves singapouriens
qu’ils résolvent des problèmes assez difficiles dès le niveau primaire. Par exemple, on demande
aux élèves du niveau primaire (ici grade 6, voir tableau 1) de résoudre les types de problèmes
suivants sans utilisation formelle de variables.
1. Les participants à un concours sont des élèves P5 et P6 dans la proportion de 2:1. Tous les
participants P5 sont des filles. Parmi les participants P6, la proportion de filles par rapport aux
garçons est de 4:3. Il y a 30 filles P5 de plus que de filles P6 qui participent à la compétition.
Combien de participants à la compétition sont-ils des filles ? (PSLE) ;
2. Papa a donné à Jason 50 timbres. 16 % d’entre eux venaient d’Australie. Après que Mary a
donné à Jason d’autres timbres d’Australie, le pourcentage de ses timbres qui étaient d’Australie a
augmenté à 30 %. Combien de timbres Mary a-t-elle donné à Jason ? (PSLE).
Les élèves de Singapour utilisent la fameuse Model Method, qui est essentiellement une méthode
pré-algébrique picturale utilisant des modèles en barres, pour résoudre de tels problèmes. À titre
d’illustration, nous avons observé dans une classe de grade 4 de Singapour la résolution du
problème suivant :
3. Louis et Clark ont chacun la même somme d’argent. Après que Louis a dépensé 1 200 $ et que
Clark a dépensé 900 $, Clark avait 3 fois plus d’argent que Louis. Combien d’argent Louis a-t-il
dépensé ?
Les élèves ont déployé plusieurs méthodes, la plupart utilisant des modèles en barres, dont la
figure 2 donne une illustration :

Figure 2 : Résolution du problème 3 sur une ardoise par un élève de grade 4.

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L’analyse de l’utilisation de ce modèle dépasse le cadre de cette contribution, mais nous
espérons y revenir dans un article futur. Nous souhaitons surtout insister ici d’une part sur le fait
que le programme de mathématiques prévu met fortement l’accent sur la résolution de problèmes
à un très jeune âge et, d’autre part, sur un aspect très important du programme SMCF, son
approche baptisée CPA : concrète-picturale-abstraite. Cette approche est basée sur la théorie de
Bruner (1966) qui préconise les phases énactive, iconique et symbolique de l’apprentissage.
Cette caractéristique permet aux élèves qui ont des difficultés à saisir des concepts
mathématiques abstraits d’utiliser la représentation visuelle de ces concepts (AIR, 2005). Ces
représentations visuelles sont d’ailleurs très présentes dans les manuels de mathématiques.
À Singapour, les manuels pour l’école primaire, ainsi que les livres du maître qui les
accompagnent, sont publiés par des éditeurs indépendants depuis 2001, mais doivent être
approuvés par le ministère de l’éducation (MOE). Ces manuels sont imprimés en deux volumes
d’environ 140 pages chacun, voire moins. Cela contraste avec les manuels de 700 à 1000 pages
publiés aux États-Unis (National Mathematics Advisory Panel, 2008). De plus, toujours selon le
National Mathematics Advisory Panel, les manuels de mathématiques élémentaires à Singapour
contiennent des problèmes beaucoup plus difficiles que les problèmes arithmétiques plus faciles
des manuels américains. L’étude de l’American Institutes for Research (AIR, 2005) a également
été très positive à propos des manuels scolaires singapouriens. Elle a affirmé que les manuels de
Singapour construisent une compréhension profonde des concepts mathématiques à travers des
problèmes à plusieurs étapes ainsi que grâce à des exemples concrets illustrant comment des
concepts mathématiques abstraits sont utilisés pour résoudre des problèmes de plusieurs
manières différentes. Il y a moins de sujets dans les manuels de Singapour que dans les manuels
américains. Bien que le programme d’études en mathématiques soit de nature spiralaire, les
manuels ne répètent pas le contenu enseigné précédemment, mais partent du point auquel le
programme de l’année précédente est arrivé, car les élèves apprennent à maîtriser la matière dès
la première fois. Pour chaque chapitre, le concept enseigné est présenté de manière directe et
cette présentation est suivie de tâches mathématiques impliquant le concept. Cette modalité, qui
se distingue de ce qui est pratiqué dans d’autres pays d’Asie, notamment au Japon, est considéré
comme importante pour les jeunes élèves afin qu’ils ne soient pas distraits par ce que Skemp
(2012) a appelé « le bruit » ou par des données qui ne sont pas pertinentes quant à la présentation
d’un concept. Les manuels mettent l’accent sur la résolution de problèmes ainsi que sur
l’utilisation de matériel de manipulation. Étant donné que les calculatrices sont autorisées dans
les épreuves centralisées, les éléments de résolution de problèmes qui nécessitent l’utilisation
d’une calculatrice sont clairement marqués d’un signe distinctif.

IV. LE CURRICULUM IMPLÉMENTÉ


Le curriculum implémenté correspond à ce qui est effectivement mis en œuvre dans les classes
par l’organisation scolaire. Singapour est un très petit pays et il dispose d’un système centralisé
qui est plus facile à gérer que les systèmes décentralisés d’autres pays comme l’Australie, les
États-Unis, l’Allemagne ou la Suisse. Chaque école développe son Scheme of Work (Schéma de
Travail, ST) basé sur le SMCF. Au niveau primaire, le programme mis en œuvre du grade 1 au
grade 4 (voir tableau 1) est le même pour les élèves de toutes les écoles. Aux degrés 5 et 6, deux
cursus légèrement différents sont mis en place : le programme de Standard Mathematics pour les
élèves qui ont des résultats satisfaisants en mathématiques et les Foundation Mathematics pour
les élèves moins performants. Le programme de Foundation Mathematics constitue un sous-
ensemble de celui des Standard Mathematics.

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Pour les manuels scolaires, chaque école primaire peut choisir une des collections de manuels
approuvées par le MOE et publiés par des entreprises privées. Les schémas de travail des écoles
sont basés sur les contenus de ces manuels, avec des variations mineures entre les écoles quant à
l’ordre de présentation des sujets. Bien que les manuels scolaires soient utilisés de manière
approfondie, les enseignants accomplissent un travail important de préparation des leçons par
eux-mêmes ou en équipe. Il existe une certaine « culture de la fiche de calcul » à Singapour. Les
enseignants préparent des fiches pour les élèves, individuellement ou en équipes constituées de
collègues enseignant au même niveau primaire. Les enseignants travaillent souvent au-delà de
l’horaire prévu afin d’aider les élèves les plus faibles grâce à des travaux rattrapage.
Fréquemment, ils restent ainsi bénévolement tard à l’école lorsque c’est nécessaire. Selon l’étude
TALIS (2013), les enseignants du secondaire inférieur singapouriens travaillent 47,61 11 heures
durant une semaine de travail ordinaire, mais selon certaines estimations, cette quantité serait
même supérieure (Teng, 2014).
La mise en œuvre de tout programme dépend des ressources matérielles et humaines disponibles
dans un pays. À Singapour, le curriculum est mis en œuvre dans des écoles très bien dotées en
ressources (elles ont obtenu le meilleur résultat sur ce point parmi tous les pays participants à
TIMSS-2003) et par des enseignants hautement qualifiés. L’étude AIR (2005) a souligné que les
enseignants primaires singapouriens doivent démontrer des compétences en mathématiques
supérieures à celles de leurs homologues américains avant de débuter leur formation
d’enseignants. Les enseignants viennent d’ailleurs généralement des 30% d’une classe d’âge
ayant les meilleurs résultats scolaires (Wong, Boey, Lim-Teo & Dindyal, 2012) et suivent une
formation rigoureuse de niveau minimal Bachelor avant d’être envoyés dans les écoles. Cette
formation se déroule dans deux disciplines et peut être réalisée consécutivement à un Bachelor
disciplinaire (16 mois) ou conjointement à l’étude des contenus disciplinaires (sur 4 ans). Les
enseignants singapouriens continuent ensuite à améliorer leurs connaissances et leurs
compétences grâce à une formation professionnelle annuelle de 100 heures au minimum12. Cette
formation continue est le plus souvent organisée au niveau des écoles, la demande pouvant
parvenir du ministère, des écoles ou des enseignants eux-mêmes. Depuis les années 2000, une
partie de ces formations ont lieu de manière collaborative au sein des écoles sous forme de
lesson studies (Lim, C., Lee, Saito, & Syed Haron, 2011). De plus, bon nombre d’enseignants
primaires suivent des formations post-grades de niveau Master. Selon AIR (2005), à chaque
étape de la formation initiale et continue, les enseignants singapouriens reçoivent une meilleure
formation que leur collègues des USA, à la fois en ce qui concerne le contenu mathématique et
les connaissances pédagogiques du contenu. Pourtant, si les ressources et la formation des
enseignants est essentielle, le grand public occidental ne voit souvent, comme le relate The
Independent (2009), que les salles de classe singapouriennes sont des lieux bruyants où les
enfants apprennent en pliant du papier, en construisant des modèles et en réarrangeant des

11
À titre de comparaison, toujours selon l’étude TALIS (2013), les enseignants français du secondaire inférieur
travaillent 36,5 heures par semaine ordinaire. La Suisse n’a pas pris part à cette étude. Selon une étude réalisée en
2009 pour le syndicat des enseignant Suisse alémaniques auprès de ses membres, ce temps de travail oscille entre
48,7 et 50 heures en Suisse alémanique (Landert & Brägger, 2009). Nous n’avons pas trouvé de données
concernant la Suisse romande, mais une étude est en cours en 2018, mandatée par le syndicat des enseignants
romands.

À titre de comparaison, ce nombre d’heures annuelles obligatoires, en France, est théoriquement de 18 heures
12

comprises dans le temps de travail (en fait une partie peut être effectuée à distance, voire dans des réunions
syndicales). Dans le canton de Vaud, les enseignants ont droit à 4 jours de formation continue par année, mais
n’ont aucune obligation. Ces formations sont le plus souvent de courte durée (moins de 15 heures) et sont le plus
souvent à l’initiative des enseignants, individuellement ou en groupes.

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morceaux de fruits ou des bâtonnets de sucettes. Plus précisément, soulignant comment les
enseignants abordent l’enseignement des mathématiques en utilisant l’approche concrète-
picturale-abstraite (voir figure 2), la BBC (2013) rapporte :
Ils construisent la confiance avec les idées élémentaires d’ajouter et d’enlever. Il y a ensuite une
deuxième étape consistant à faire un dessin représentant les objets. Ce n’est qu’ensuite qu’ils
commencent à ajouter des nombres à leurs dessins.
Singapour partage une caractéristique avec d’autres systèmes scolaires performant de manière
similaire dans les études internationales, c’est la taille des classes. Alors que les classes avec
effectif important sont décriées dans le monde occidental, les classes singapouriennes comporte
généralement environ 40 élèves13. Comme l’ont souligné Barber et Mourshed (2007) « la
réduction de la taille des classes n’a pas beaucoup d’impact sur les résultats des élèves » (p 14).
À Singapour, les montants économisés peuvent alors être investis dans le recrutement, la
formation et le développement professionnel des enseignants. En ce qui concerne les systèmes
performants, Barber et Mourshed (2007, p. 16) constatent que :
• ils parviennent à recruter les personnes adéquates pour devenir enseignants (la qualité
d’un système éducatif ne peut pas être plus élevée que la qualité de ses enseignants) ;
• ils favorisent leur développement professionnel afin d’en faire des enseignants efficaces
(la seule façon d’améliorer les résultats est d’améliorer l’enseignement) ;
• ils mettent en place un soutien ciblé pour s’assurer que chaque enfant puisse bénéficier
d’un excellent enseignement (la seule manière pour le système d’atteindre la meilleure
performance est d’élever le niveau de chaque élève).
Ainsi, comme nous l’avons décrit, Singapour a accordé une attention particulière à tous les
points soulevés par Barber et Mourshed.

V. LE « CURRICULUM ASSIMILÉ »
Le « curriculum assimilé » est ce que les élèves montrent avoir appris au cours de leur scolarité.
Il n’est pas seulement déterminé par les résultats des élèves, mais aussi par leurs attitudes et par
d’autres caractéristiques affectives que les élèves développent durant leur scolarité. Dans des
pays comme les États-Unis, diverses évaluations scolaires, les examens et les tests standardisés
fournissent une indication de ce qui a été appris par les élèves. Singapour a différents types
d’évaluation. Si les évaluations au sein des écoles contribuent très peu à la certification finale des
cycles primaire (grades 1 à 6), secondaire inférieur (grades 7 à 10) ou pré-universitaire
(grades 11 à 12), des examens dont les enjeux sont élevés pour les élèves déterminent leur niveau
atteint à la fin de chacun de ces cycles. En tant que tel, Singapour peut être considéré comme un
système axé sur les examens. Les questions du Primary School Leaving Education (certificat de
fin d’études primaires) de grade 6 de sont plus difficiles que ceux de grade 8 du National
Assessment of Educational Progress aux USA (AIR, 2005). Pourtant, 85 % des élèves
singapouriens ont un score supérieur à 50 % des points de cet examen. Les questions les plus
complexes sont d’ailleurs spécifiquement conçues pour aider Singapour à détecter les meilleurs
élèves. Afin de responsabiliser chaque école, mais aussi chaque élève, Singapour utilise une
mesure de la contribution de chaque école à la réussite des élèves. Les écoles qui dépassent les
attentes sont reconnues et récompensées.

13
À titre de comparaison, les classes primaires comptent en moyenne 23,1 élèves en France (Direction de
l’évaluation de la prospective et de la performance, 2017) et entre 18 et 20 élèves dans le canton de Vaud (État de
Vaud, 2012).

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Un aperçu de la performance des élèves dans les études comparatives internationales (ECI) peut
également donner une image du niveau en mathématiques des élèves de Singapour. Cependant,
comme tout test international peut ne pas représenter fidèlement le niveau réel de réussite des
élèves dans un pays, les résultats de ces études doivent toujours être interprétés avec prudence.
Les élèves singapouriens de grade 4 ont été parmi les plus performants dans chacune des cinq
études TIMMS réalisées de 1995 à 201514.
Année

1995 2003 2007 2011 2015

Singapour Singapour Hong Kong Singapour Singapour


1
625 594 607 606 618

Corée du Sud Hong Kong Singapour Corée du Sud Hong Kong


Rang 2
611 575 599 605 615

Japon Japon Taiwan Hong Kong Corée du Sud


3
597 565 576 602 608
Tableau 2 : Performance TIMSS en grade 4.

Tous les indicateurs de l’étude TIMSS 2015 ne sont pourtant pas positifs pour les élèves de
grade 4 de Singapour : d’après Mullis, Martin, Foy, et Hooper (2015), seulement 55 % des
élèves trouvent l’enseignement des mathématiques très intéressant (64 % pour la France) ;
seulement 39 % aiment beaucoup apprendre les mathématiques (50 % pour la France) ; 23 %
n’aiment pas les mathématiques (14 % pour la France); et seulement 19 % sont très confiants en
mathématiques (33 % pour la France) alors que 39 % ne sont pas confiants dans le sujet (21 %
pour la France).

VI. CONCLUSION : FORCES ET FAIBLESSES DU SMCF


Le SMCF doit être considéré non seulement à l’aune des résultats des études TIMSS, mais
également dans un contexte socioculturel très spécifique qui accorde une importance primordiale
à l’éducation. Comme tout autre curriculum de mathématiques dans le monde, le SMCF
démontre une certaine force et aussi quelques faiblesses. Ce curriculum n’est évidemment pas
parfait et il n’est pas seulement « pro-TIMSS ». Cependant les élèves utilisant le SMCF ont bien
réussi dans TIMSS, c’est un fait. Par exemple, sur la base des données de l’étude TIMSS 2015
(Mullis et al., 2015), les élèves de Singapour de grade 4 s’améliorent continuellement, passant
d’un score de 590 en 1995 à 618 en 2015. Environ 50 % des élèves singapouriens sont au-dessus
du seuil élevé (placé à un score de 625). C’est une véritable réussite, surtout si on ajoute le fait
que le test est en anglais et que seulement 28% des élèves parlent uniquement l’anglais à la
maison.
Comme Singapour a été un des pays les plus performants dans les études TIMSS, le système
éducatif du pays a attiré beaucoup d’attention. Suite à l’étude TIMSS 99, un groupe de
chercheurs américains ont rédigé un rapport pour la National Science Foundation (NSF) dans

14
À titre de comparaison, la France a obtenu un score de 488 en 2015. Cette étude « place tout simplement la
France au dernier rang des 19 pays participants » (Villani & Torossian, 2018, p. 5). La Suisse n’a pas participé à
cette étude.

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lequel ils ont comparé les manuels de Singapour avec les manuels similaires aux États-Unis. Ils
ont mis en évidence que les manuels de Singapour étaient très traditionnels, qu’ils étaient
destinés à servir de livre de référence sous l’autorité d’un enseignant traditionnel et qu’ils
comportaient beaucoup d’exercices pour les élèves (National Science Foundation, 2001). Ceci
est assez différent des conclusions de l’étude AIR (AIR, 2005) mentionnée plus haut. Bien que le
rapport de la NSF affirme que la qualité et la rigueur des mathématiques dans les manuels de
Singapour sont élevées, il est ajouté que :
Alors que les mathématiques dans le curriculum de Singapour peuvent être considérées comme
rigoureuses, nous avons remarqué qu’elles n’engagent pas souvent les élèves dans des
compétences de réflexion d’ordre supérieurs... Les élèves de Singapour sont rarement, voire
jamais, invités à analyser, refléter, critiquer, développer, synthétiser ou expliquer. La grande
majorité des tâches du curriculum de Singapour est basée sur le calcul, ce qui renforce uniquement
le rappel des faits et des procédures [...] mais nous pensons qu’il décourage les élèves de devenir
des apprenants autonomes (p. 8).
Ce type de caractérisation du curriculum singapourien est assez souvent mise en avant. L’étude
AIR (2005) avait d’ailleurs également mentionné le manque de compétences de réflexion d’ordre
supérieur dans le programme scolaire singapourien. Cependant, nous pensons qu’il est difficile
de concilier le fait que les élèves qui sortent d’un système qui n’encouragerait pas le higher
order thinking seraient les plus performants au monde en mathématiques. Les tests TIMSS ne
doivent pas tester la mémoire ou des techniques uniquement apprises et appliquées. Les auteurs
du rapport NSF ajoutent d’ailleurs :
Cependant, les tests TIMSS ont été conçus pour tester la compréhension des concepts en plus des
compétences [en mathématiques]. Les inférences qui peuvent être faites deviennent ainsi plus
obscures. D’un côté, nous devons reconnaître que le système éducatif de Singapour — le
programme, les enseignants, le soutien parental, la culture sociale et le soutien gouvernemental
fort à l’éducation — a réussi à produire des élèves qui, globalement, comprennent les
mathématiques à un niveau supérieur et réussissent ces tests avec plus de compétence et de fluidité
que les élèves américains qui les ont aussi passés (p. 51).
Certains arguments vont d’ailleurs au-delà des simples limites du curriculum. Par exemple, M.
Brown (1999) a affirmé que « Singapour et Taiwan semblent obtenir de bons résultats en
utilisant un enseignement transmissif traditionnel d’un type plutôt ennuyeux » (p. 201). De plus,
Brown ajoute que les élèves des pays bordant le Pacifique sont poussés par leurs enseignants à
avoir de bons résultats pour prouver que leur pays est supérieur car le nationalisme est un
élément important dans ces pays. D’autres critiques ont été adressées au SMCF et nécessiteraient
un examen attentif allant au déjà des possibilités de cet article. Disons simplement que ces
critiques portent notamment sur l’utilisation inadéquate des technologies, sur le manque de
probabilités et de statistiques dans les petites classes, sur le déséquilibre des genres dans les
exemples ou encore sur la prise en compte inadéquate de la variété des styles d’apprentissage des
élèves.
En conclusion, on peut dire que le SMCF s’est avéré être un curriculum robuste pour Singapour.
Cependant, de notre point de vue, il ne devrait pas être considéré comme un modèle de
curriculum de mathématiques pour d’autres pays. Le contexte socioculturel spécifique dans
lequel opère le SMCF doit être dûment pris en compte. Il faut également se garder d’utiliser le
SMCF comme modèle permettant l’amélioration des résultats d’un pays dans des études
comparatives internationales telle TIMSS. Le SMCF a d’ailleurs besoin d’améliorations et
certains changements sont à venir. Cependant, ces changements n’affecteront pas le cœur du
curriculum.

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Enfin, nous avons décrit dans cet article un élément essentiel de l’enseignement des
mathématiques à Singapour, le curriculum. Nous pensons que d’autres éléments, brièvement
évoqués ici, sont également importants : la formation des enseignants et les manuels utilisés.
Nous espérons développer ces deux aspects et les exemplifier dans un futur article.

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