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La Découverte de La Violation CP: Prix Nobel de Physique 1980

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N° 797 BULLETIN DE L’UNION DES PHYSICIENS 1637

La découverte de la violation CP*


par J.W. CRONIN
Prix Nobel de physique 1980

En 1963, nous étions en train de mesurer les propriétés d’une particule, le «meson
rho», une de ces nouvelles particules que l’on découvrait sous forme de résonance.
Cette expérience était localisée dans un faisceau de meson S au Cosmotron du
Laboratoire national de Brookhaven dans la région de Long Island. Celui-ci était un
accélérateur de 3 GeV très semblable à celui qui était en fonctionnement à Saclay en
France, appelé Saturne. A cette époque travaillaient avec moi à l’Université de
Princeton deux étudiants, Jean Christensen, Alan Clark et un jeune visiteur français,
René Turlay qui venait juste de terminer sa thèse.

En revenant en arrière et avec la sagesse due à l’âge et à l’expérience, je réalise


que l’expérience sur le «meson rho» n’était pas particulièrement importante mais la
qualité de l’appareillage utilisé était excellente. Nous avions construit deux spectromè-
tres magnétiques utilisant les chambres à étincelles qui donnaient ainsi la trace dans
l’espace des deux pions de désintégration du meson rho.

Beaucoup d’éléments nouveaux et l’enrichissement de mes connaissances en


physique des particules élémentaires sont venus de l’étude des mesons K. En général
les mesons K, de charge positive, négative ou neutre avaient révélé d’importantes
violations des lois de symétrie en physique. En 1957, la violation de la parité (symétrie
par rapport à un point) fut découverte par l’existence de la désintégration des mesons
K chargés en deux et trois pions, incompatible avec une même parité pour ces mesons.

Les mesons K neutres forment un système particulièrement intrigant et riche. Par


un raisonnement subtil reposant sur la conservation de la conjugaison de charge**, Pais
et Gell-Mann proposèrent qu’en plus du meson K neutre connu qui se désintégrait en
deux pions avec un temps de vie moyen de 10– 10 secondes, il devait exister un meson
K neutre avec un temps de vie moyen cent fois plus long. En plus, ces mesons ne
pouvaient pas se désintégrer en deux pions sur la base de la conservation CP (opération
parité P, suivie de la conjugaison de charge C). Les mesons K de vie longue furent

* Ce texte a été traduit de l’américain par René TURLAY que nous remercions très vivement.
** Opérateur faisant passer de l’état particule à l’état anti-particule.

Vol. 91 - Octobre 1997 J.W. CRONIN


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découverts très rapidement après la suggestion de Pais et Gell-Mann. Le mélange de


ces deux mesons K avait d’autres propriétés. L’une d’elles est la régénération. Un
faisceau de meson K de vie longue passant dans un matériau «régénère» une
composante de K à vie courte qui se désintègrent donc immédiatement en deux pions.
La force de cette régénération est proportionnelle à la probabilité qu’à le meson K à
vie longue d’interagir vers l’avant sur le matériau.

En 1963 une publication très troublante fut présentée par Robert Adair et son
groupe. Adair avait exposé une petite chambre à hydrogène à un faisceau de meson K
à vie longue. Il trouva que la régénération des mesons K à vie courte dans l’hydrogène
était «anormale». Le taux de régénération était un ordre de grandeur plus fort que celui
attendu. Adair qui est un physicien à l’esprit très créatif suggéra que cet effet était dû
à une «cinquième force» faible de grande portée. La grande portée produisait une
amplitude de diffusion vers l’avant importante.

Mon collègue Val Ficht de Princeton avait passé plus de dix années à travailler sur
les mesons K. Nous discutâmes le résultat d’Adair et Val suggéra de vérifier
expérimentalement la régénération «anormale». Avec l’expérience sur les «mesons
rho» nous possédions l’appareillage parfait pour regarder les paires de pions issus
d’une cible à hydrogène dans laquelle se produisait la régénération. Si nous pouvions
obtenir un faisceau adéquat, nous pouvions confirmer ou réfuter rapidement «l’effet
Adair».

Un faisceau de meson K à vie longue fut disponible à l’AGS (Alternated Gradient


Synchroten) accélérateur de 30 GeV situé à Brookhaven et qui avait commencé à être
opérationnel en 1960.

Une proposition d’expérience fut arrêtée pour le programme scientifique de l’AGS


et très rapidement acceptée. Quand cette expérience fut acceptée il paraissait évident
qu’avec un tel faisceau et un tel appareillage d’autres mesures pouvaient être faites.
Nous savions tous que le meson K à vie longue ne pouvait se désintégrer en deux pions.
A cette époque la limite supérieure d’une telle interdiction était le 1/300. Avec une
semaine de prise de données nous étions capables de réduire cette limite à 1/10 000.
Je pense que personne ne croyait que l’on pouvait voir une désintégration en deux
pions du meson K à vie longue, mais c’était sûrement intéressant de repousser cette
limite le plus loin possible.

L’expérience fut approuvée en avril 1963 et au commencement de l’été nous étions


prêts à prendre des données. Notre appareillage fut installé dans une partie de l’AGS
plutôt peu commode et poussiéreuse où il faisait très chaud et notre électronique à
l’époque n’avait pas l’air conditionné ! Les données furent enregistrées sur des films

La découverte de la violation CP B.U.P. n° 797


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photographiques et mesurées plus tard après la prise de données. Pendant un mois


durant lequel l’expérience fonctionna plusieurs mesures furent enregistrées. A l’au-
tomne nous avons commencé à regarder les films. La priorité fut donnée à la
régénération dans l’hydrogène (effet Adair). Val Fitch était particulièrement intéressé
à la différence de masse des mesons à vie longue et courte. René Turlay regarda pour
la désintégration de meson K à vie longue en deux pions. Ces données furent
enregistrées en remplaçant la cible à hydrogène par un large sac d’hélium - le vide du
pauvre ! -.

Nous trouvâmes rapidement que la régénération anormale dans l’hydrogène n’était


pas là, et tout était donc normal. Mais au début de l’année 1964, René Turlay trouva
quelques évidences pour la désintégration du meson K en deux pions. Si nous étions
sûrs de cela, à part une explication due à des phénomènes inconnus, la symétrie
pente-charge conjugaison (PC) devait être violée. Nous nous concentrâmes alors tous
pour démontrer la justesse de nos observations. Nous mesurâmes à nouveau tous les
événements avec plus de précision. L’effet devint plus convaincant. Au total nous
dénombrâmes quarante-sept cas de désintégration en deux pions sur cinq mille
désintégrations du meson K à vie longue : la symétrie CP était violée !

En juillet 1964 nous publiâmes notre résultat. Beaucoup de physiciens doutèrent


des résultats de cette expérience et commença alors un effort énorme pour confirmer
notre résultat : notre expérience s’avérait exacte.

La révélation d’une faible violation de la symétrie CP déchaîna la créativité de


beaucoup de physiciens. En particulier Andrei Sakharov, en 1967, utilisa la violation
CP, l’instabilité du proton et un non équilibre thermique pour comprendre l’évolution
de la domination de la matière sur l’antimatière après la naissance de l’Univers.

De nos jours on ne comprend toujours pas complètement la violation CP. Il y a à


peu près mille huit cents physiciens (trop à mon goût) qui étudient les différentes
manifestations de la violation CP.

La science progresse d’une manière inattendue. Une explication incorrecte d’une


expérience pourtant astucieuse, conduisit à une découverte d’une faible violation de
symétrie, en retour cette violation a des conséquences extraordinaires sur les théories
de l’évolution de l’Univers et de l’existence de notre vie.

Vol. 91 - Octobre 1997 J.W. CRONIN

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