GT4 Rapport Final Hydrogène
GT4 Rapport Final Hydrogène
GT4 Rapport Final Hydrogène
LE VECTEUR HYDROGÈNE
CO-PRÉSIDENTS :
M. Olivier APPERT (Membre de l’Académie des technologies)
M. Patrice GEOFFRON (Professeur d’économie à l’Université Paris Dauphine-PSL)
RAPPORTEUR :
M. Antoine COMTE-BELLOT (Auditeur à la Cour des comptes)
GROUPE DE TRAVAIL 4
du Comité de prospective de la CRE
#éclairerlavenir
@CRE_Propective
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2
MOT DU PRÉSIDENT
Les vents sont donc favorables pour le développement de l’hydrogène décarboné, mais la
route est encore incertaine. Dans une vaste étude réalisée en 2018 auprès d’experts de
l’énergie pour éclairer les réflexions du Comité de prospective de la CRE, l’émergence d’une
économie de l’hydrogène ressortait comme le sujet le plus controversé, voire polémique.
C’est pourquoi il m’a semblé indispensable que le Comité de prospective se penche de plus
près sur le « vecteur hydrogène ». La raison d’être de ce Comité est justement de se frotter
à l’incertitude, de rassembler, de questionner, et de confronter les regards. En bref, passer
de la polémique à la controverse sur des sujets qui animent tous les penseurs et les
professionnels de l’énergie.
« Y voir plus clair », voilà la difficile mission que j’ai confiée au groupe de travail sur le
« vecteur hydrogène », placé sous la présidence d’Olivier APPERT, Membre de l’Académie
des technologies, et de Patrice GEOFFRON, Professeur d’économie à l’Université Paris
Dauphine-PSL. Je les remercie chaleureusement pour l’œuvre collective accomplie. Elle
éclaire de façon lucide la contribution de l’hydrogène à la transition énergétique,
prioritairement dans l’industrie, ainsi que les questions qui cherchent encore des réponses.
J’en suis convaincu, l’innovation est le moteur de la transition énergétique. C’est donc par
l’innovation que l’économie de l’hydrogène bas-carbone émergera. Innovations
technologiques d’abord, avec de nombreuses avancées déjà réalisées ces dernières
années. Innovations économiques ensuite, car le modèle de l’hydrogène reste à trouver
pour de nombreux usages, surtout lorsqu’il est en concurrence avec des alternatives bas-
carbone. Parmi ces innovations, je ne compte pas l’injection d’hydrogène dans les réseaux
en mélange avec du gaz naturel, qui me semble soulever un certain nombre de
problématiques techniques et économiques. De même, vouloir se priver de l’électricité issue
de notre parc nucléaire pour alimenter les électrolyseurs est une difficulté supplémentaire –
donc superflue – dans la production d’un hydrogène bas-carbone à un coût raisonnable.
Innovations régulatoires, enfin, car l’hydrogène – qui, je le rappelle, ne relève pas à ce jour
des compétences de la CRE – questionne le principe même de régulation : faut-il réguler
dès maintenant les infrastructures de transport et de stockage d’hydrogène ? Et si oui,
comment s’y prendre ? Le cadre qui s’applique aujourd’hui aux secteurs du gaz et de
l’électricité ne me paraît pas transposable à ces futures infrastructures d’hydrogène, et c’est
pourquoi nous aurons besoin d’innover collectivement si les usages de l’hydrogène venaient
à se développer rapidement. Ce rapport sera également de première utilité pour les travaux
de la Commission de régulation de l’énergie, tant l’hydrogène est à la croisée des secteurs
de l’électricité et du gaz. L’hydrogène préfigure en cela ce que sera notre futur énergétique,
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avec des réseaux toujours plus interdépendants et des territoires toujours plus au cœur de
la transition.
« Si vous pensez que l’aventure est dangereuse, je vous propose d’essayer la routine ...
Elle est mortelle ! » écrit le romancier Paulo COEHLO. L’hydrogène est une aventure pavée
questions à résoudre. Nous pouvons nous y engager, peut-être à la lumière des
recommandations de ce rapport qui pourront, j’en suis sûr, éclairer la route qui s’ouvre
devant nous !
Jean-François CARENCO
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AVANT-PROPOS
- ce rapport, qui se veut accessible à tous les publics – y compris aux non-spécialistes
du secteur de l’énergie –, a pour ambition de nourrir le débat public, en s’appuyant
sur l’analyse des principaux acteurs, privés et publics, de l’énergie en France ;
- il est rédigé sous la seule responsabilité des deux co-présidents, Olivier APPERT et
Patrice GEOFFRON ;
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LE MOT DES CO-PRÉSIDENTS
Élément chimique le plus abondant de l’univers, l’hydrogène est source d’espoirs depuis
deux siècles. Mais l’ère post-carbone, où l’hydrogène aura contribué à évincer les énergies
fossiles, n’est pas encore advenue. Pour l’heure, ses usages sont certes très concentrés
dans l’industrie chimique (ammoniac pour la fabrication des engrais) ou la pétrochimie (pour
le raffinage), mais cet hydrogène est très « gris », produit à 95 % à partir de gaz et de
charbon (la molécule H2 n’étant pas disponible à l’état naturel). Dans le cadre de la lutte
contre le changement climatique, encore loin des espoirs, l’hydrogène fait donc partie pour
l’heure du problème, induisant l’émission de près d’un milliard de tonnes de CO 2 par an au
niveau mondial.
Mais l’Union européenne, qui vise la neutralité carbone d’ici 2050, ravive un espoir
d’émergence d’une économie de l’hydrogène propre dans son Green Deal : ce à quoi
l’Allemagne, la France et l’Italie font écho en prévoyant des milliards d’euros pour construire
une filière dans ce domaine. L’objectif est de produire en masse un hydrogène par
électrolyse de l’eau, grâce à une électricité décarbonée (éolien, photovoltaïque,
hydraulique, nucléaire, etc.) ou dont les émissions seraient captées et stockées. Au-delà de
la lutte contre le réchauffement climatique, l’enjeu est d’améliorer la qualité de l’air et la
sécurité des approvisionnements énergétiques, tout en ancrant en Europe emplois et valeur
ajoutée industrielle.
Mais la production décarbonée est beaucoup plus onéreuse que l’hydrogène « gris » issu
du vaporeformage, à des fins industrielles. Certes, l’élan politique de ce début de décennie
contribuera à une baisse des coûts, mais il est peu probable que l’hydrogène décarboné
devienne rapidement compétitif. Cette problématique fait l’objet de la première partie de
ce rapport, qui examine les perspectives de baisse des coûts de production à horizon
2030 et au terme de laquelle nous formulons les propositions suivantes :
La deuxième partie examine les usages les plus pertinents sur le plan économique
de l’hydrogène à l’échéance 2030 et les questions de leur « phasage » dans le temps
et du développement des infrastructures associées. Nous préconisons de :
- concentrer les aides publiques sur les usages les plus mûrs : la substitution à
l’hydrogène « gris » actuellement consommé dans l’industrie, puis les transports
lourds, dans une perspective de création d’une filière industrielle ;
- favoriser la création de hubs territoriaux multi-usages à proximité des zones
industrialo-portuaires et des grands axes européens de transport lourd, et
coordonner les différentes initiatives locales pour éviter un gaspillage des aides
publiques ;
- créer un comité indépendant sous l’égide de la Commission de régulation de l’énergie
pour suivre le développement des usages de l’hydrogène et identifier l’évolution des
besoins de construction d’infrastructures ;
- adapter le cadre régulatoire et de soutien en fonction du développement du marché,
notamment afin d’éviter les coûts échoués dans des infrastructures de transport
d’hydrogène surdimensionnées, sans préjudice de la poursuite des études sur la
faisabilité technique de la conversion des réseaux de gaz naturel.
La troisième partie insiste sur les enjeux de développement d’une filière industrielle
française. À cette fin nous proposons de :
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Enfin, la dernière partie rappelle que la prise en compte de la problématique de
sécurité doit être dès à présent renforcée. Ce qui implique selon nous de :
- systématiser dans les conditions d’éligibilité aux appels d’offres, notamment
territoriaux, des critères relatifs à la sécurité des biens et des personnes ;
- conduire un travail de fond sur la règlementation et l’usage de l’hydrogène, aussi bien
dans le domaine du transport que dans celui de l’habitat ;
- intensifier la participation française dans les activités de normalisation et de
coopération internationale sur les enjeux de sécurité.
Au total, si les Européens disposent déjà d’atouts industriels, la construction d’une filière de
l’hydrogène impliquera un effort sur le très long terme, avec des effets limités sur les
objectifs environnementaux de l’Union européenne en 2030. Notre conviction est que
l’hydrogène tiendra lieu de test, de la capacité d’une Union en quête de souveraineté
industrielle, à s’inscrire avec constance dans le temps long.
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LISTE DES PARTICIPANTS
Charles-
Clément MOLIZON Avere - France GAUTIER FNCCR
Antoine
Marie-
Luc BODINEAU ADEME L'HUBY GRDF
Françoise
Réseaux Gaz
Benoit Calatayud BPI FRANCE Martine MACK
naturel Strasbourg
Sicaé de la Somme
Florence LAMBERT CEA-Liten François AUSTRUY
et du Cambraisis
GOUBET-
Mathieu BOURGADE Enedis Christine UFE
MILHAUD
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LISTE DES INTERVENANTS
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LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES LORS DE LA
VISITE DU DÉMONSTRATEUR GRYHD
Élus
Alain BRUNEEL, Député de la 16ème circonscription du Nord et vice-président du groupe d’étude « hydrogène »
Jennifer de TEMMERMAN, Députée de la 15ème circonscription du Nord et secrétaire du groupe d’étude « énergies
vertes »
Julien GOKEL, Maire de Cappelle-la-Grande et vice-président de la Communauté urbaine de Dunkerque
Patrice VERGRIETE, Maire de Dunkerque et président de la Communauté urbaine de Dunkerque
Représentants de GRDF
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TABLE DES MATIÈRES
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INTRODUCTION : NOUVEL ENGOUEMENT OU
ANNONCE D’UNE RÉVOLUTION ?
L’hydrogène suscite en ce début de décennie une vague d’engouement qui n’est pas
la première. Dès le XIXème siècle, le premier moteur à combustion interne – inventé en 1805
– fonctionnait à l’hydrogène, tandis que la pile à combustible apparaît en 1829. L’économie
de l’hydrogène comme combustible puisé dans les mers a été décrite dès 1874 par Jules
VERNES dans son roman L’Île mystérieuse. Dans les années 1970, le développement du
programme nucléaire et les craintes suscitées par le premier choc pétrolier ont de nouveau
laissé entrevoir un essor de l’hydrogène, avant que l’effervescence ne se heurte aux
problématiques technologiques et économiques. En 2002, un ouvrage de l’essayiste
Jeremy RIFKIN prônant le développement d’une économie de l’hydrogène a rencontré un
certain écho dans l’Amérique de Georges BUSH.
S’il importe de mettre en perspective historique l’intérêt suscité par l’hydrogène ces
dernières années, des éléments spécifiques au contexte actuel rendent crédible, cette fois,
son essor dans les prochaines décennies. Face aux objectifs ambitieux qu’affichent un
nombre croissant de pays en matière de réduction des gaz à effet de serre, l’hydrogène fait
figure de chaînon manquant permettant, par sa production via des sources décarbonées,
d’engager dans la transition énergétique des secteurs tels que l’industrie (raffinerie,
sidérurgie) et les transports lourds (bus, camions, navires, avions). L’essor des énergies
renouvelables variables soulève aussi la problématique de leur stockage, que l’hydrogène
s’offre de contribuer à résoudre. Localement, l’hydrogène permet enfin de diminuer la
pollution de l’air en se substituant au moteur à combustion interne. L’engouement
observable vient s’inscrire dans des politiques publiques : l’Union européenne – et
singulièrement l’Allemagne ou la France en son sein – ont adopté au cours des derniers
mois des stratégies hydrogènes ambitieuses, tandis que la Chine travaille à l’élaboration de
la sienne.
Pour répondre aux attentes qu’il suscite, l’hydrogène doit surmonter différent défis,
économique pour le premier d’entre eux. Sa production décarbonée est beaucoup plus
onéreuse que l’hydrogène actuellement produit par vaporeformage à des fins industrielles,
ou aux technologies carbonées en substitution desquelles son usage est envisagé. Si la
massification entraînée par le plan de relance français et les stratégies des autres pays
entrainera une baisse des coûts, il est peu probable que l’hydrogène décarboné devienne
compétitif à l’horizon 2030. Exposées sur un marché international, et en l’absence de
mécanismes d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne, certaines
industries telles que les raffineries ou la sidérurgie pourraient alors délocaliser leur
production, si le surcoût pour utiliser de l’hydrogène s’avérait trop élevé. Outre la perte des
emplois et du tissu industriel qui en résulterait, l’effet environnemental serait nul – voire
négatif – puisque ces industries déplaceraient simplement leurs émissions dans d’autres
pays (ou seraient marginalisées par défaut de compétitivité). Se pose dès lors la question
des bons mécanismes publics à mettre en place pour soutenir l’usage d’hydrogène et
répartir le surcoût entre le consommateur, le contribuable et l’industriel. Pour certains
usages envisagés (transport, chaleur), il existe des options technologiques également
décarbonées face auxquelles la compétitivité de l’hydrogène est incertaine. Soutenir un
usage pour lequel une autre solution verte moins onéreuse et abondante existe risquerait
d’entraîner un gaspillage de ressources pour la collectivité.
Dans le prolongement des questions qui viennent d’être soulevées, le présent rapport se
propose d’évaluer l’apport environnemental, la faisabilité technique et la pertinence
économique des différents modes de production et usages de l’hydrogène, ainsi que les
problématiques industrielles et de sécurité que soulève son développement. L’analyse est
organisée comme suit :
- compte tenu de leur importance dans l’émergence d’un modèle économique pour les
différentes utilisations, la première partie de ce rapport analyse la dynamique des
coûts de production à horizon 2030, pour l’hydrogène décarboné ;
- la deuxième partie examine les usages les plus pertinents sur le plan économique de
l’hydrogène à cette échéance et l’organisation de leur « phasage » dans le temps et
du développement des infrastructures associées ;
- la troisième partie insiste sur les enjeux de développement d’une filière industrielle
permettant de capter valeur et ajoutée et emplois en France ;
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1. L’HYDROGÈNE DÉCARBONÉ PRÉSENTERA
ENCORE UN COÛT ÉLEVÉ À L’HORIZON 2030 PAR
RAPPORT A SON ÉQUIVALENT « GRIS »
Il existe plusieurs modes de production d’hydrogène, dont les deux principaux reposent sur
le vaporeformage d’énergie fossile et la décomposition de la molécule d’eau par
électrolyse.
Le vaporeformage d’énergie fossile consiste à exposer du gaz ou du charbon à une
vapeur très chaude, afin de libérer le dihydrogène1. Ce mode de production est aujourd’hui
dominant, avec 75 millions de tonnes d’hydrogène chaque année produites dans le monde,
dont environ 900 000 tonnes en France. Les usages sont principalement la production
d’engrais et le raffinage. Cet hydrogène « gris » est particulièrement émetteur de gaz à
effet de serre puisqu’une tonne d’hydrogène dégage environ 10 tonnes de CO2. Les
1 milliard de tonnes de CO2 émises par la production d’hydrogène représentent 2,5 % du
total des émissions mondiales.
Toutefois, il est possible de produire un hydrogène avec de faibles émissions de carbone à
partir de vaporeformage de sources fossiles ou de biogaz couplé à une chaîne de captage,
de transport puis de stockage du carbone (CCS) : cet hydrogène est alors qualifié de
« bleu »2. Cette technique n’émet alors qu’un résidu d’une tonne de CO 2 par tonne
d’hydrogène produite en cas de captage à 90 %.
Le second procédé repose sur la décomposition de la molécule d’eau, par électrolyse –
technique par laquelle un courant électrique décompose chimiquement l’eau en dioxygène
et dihydrogène – ou par cycles thermochimiques – la molécule se dissocie sous l’effet de
températures de l’ordre de 800 à 1 000 °C. L’hydrogène produit est désigné par plusieurs
couleurs selon la source d’électricité utilisée. Il est qualifié de « vert » lorsque la source
d’électricité est composée exclusivement d’énergies renouvelables ou de « rose » lorsqu’il
est produit avec de l’énergie nucléaire. Toutefois, en France, l’hydrogène produit à partir du
réseau électrique – parfois caractérisé en « jaune » – dégage peu de CO2 compte tenu de
la faible teneur en carbone du mix français largement composé de l’électricité des centrales
nucléaires3 et de l’hydroélectricité des barrages. RTE estime ainsi que le remplacement de
l’hydrogène d’origine fossile par son équivalent électrolytique, produit à partir du réseau,
permettrait ainsi de réduire nos émissions de 6 Mt de CO2/an à horizon 2030. En revanche,
dans les autres pays européens dont le mix repose en partie sur les centrales à charbon ou
à gaz, l’hydrogène électrolytique produit à partir du réseau dégage encore plus de CO 2 que
le recours au vaporeformage.
L’Ademe a mesuré les émissions de CO2 dégagées par la production d’un kilo d’hydrogène
selon ces différents modes de production, en prenant en compte l’intégralité du cycle de vie.
1 Le procédé majoritaire est le vaporeformage du gaz naturel (41 % de la production nationale), qui génère
environ 10 kg de CO2 par kg d’hydrogène (41 % de la production nationale), suivi de l’oxydation partielle des
hydrocarbures, qui émet 13 kg de CO2/kg de H2 (40 % de la production nationale) et de la gazéification du
charbon, qui génère 20 kg de CO2/kg de H2 (14 % de la production nationale).
2 L’hydrogène bleu désigne aussi le vaporeformage de biométhane.
3 Le mix électrique français est décarboné à 93 % selon RTE.
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Le vaporeformage dégage en moyenne 11 kg de CO2 par kg d’hydrogène (auquel il convient
d’ajouter 1 kg pour 100 km de transport), tandis que l’hydrogène vert n’en émet que 1,9 kg
et l’hydrogène jaune 3 kg. Comparativement, l’hydrogène produit à partir du réseau
d’électricité européen produit quant à lui plus de 20 kg de CO2. Concernant le CCS, les
émissions dépendent du type de captage. La seule captation du flux de CO2 issu du procédé
de reformage réduit les émissions de 56 %. Le captage du CO2 issu de l’installation
thermique (chaudière) qui génère la vapeur d’eau, plus dur à capter, permet de réduire les
émissions de l’ensemble de l’installation de vaporeformage de 90 %, comme indiqué plus
haut.
La Commission européenne conduit actuellement un travail de définition d’une taxonomie
de l’investissement durable pour orienter les flux vers les technologies décarbonées. Cette
taxonomie vise à définir un seuil d’émissions de CO2 en-deçà duquel telle technologie ou
activité sera considérée comme contribuant à l’évolution positive du climat. L’acte délégué
présenté le 23 avril 2021 par la Commission définit comme éligible à la taxonomie verte la
production qui dégage moins de 3 kg de CO2 par kg d’hydrogène, un seuil qui rend éligible
le recours au mix électrique français.
En résumé, l’hydrogène décarboné regroupe l’hydrogène vert produit par électrolyse à partir
d’énergie renouvelable, mais aussi, au moins de manière transitoire, l’hydrogène bleu
produit par vaporeformage avec CCS et l’hydrogène jaune produit à partir d’un système
électrique dominé par l’énergie nucléaire. Cette nomenclature colorée semble bien installée
– elle présente des vertus didactiques – mais ne doit pas cloisonner les débats : in fine, les
indicateurs pertinents, bien plus que l’origine de l’énergie primaire utilisée ou la technologie
employée, sont les émissions de gaz à effet de serre 4, ainsi que les autres impacts
environnementaux que l’on peut également évaluer à partir des analyses de cycle de vie.
1.2. Certaines des technologies de production sont déjà mûres pour une
production industrielle
4 Voir l’ordonnance n° 2021-167 du 17 février 2021 relative à l’hydrogène, qui distingue l’hydrogène
renouvelable, bas-carbone et carboné et fixe comme condition d’appartenance à chacune de ces catégories
des émissions de CO2 inférieurs à des seuils qui doivent encore être définis par la règlementation.
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jusqu’à à 20 MW5 – leur rendement et leur durée de vie pour dégager des économies
d’échelle et diminuer leur coût (cf. infra).
La technologie de CCS possède également une maturité industrielle. L’enjeu réside dans
la construction de l’infrastructure de collecte – adaptation des installations industrielles –,
de transport – gazoduc ou navires – et de stockage du CO2. Le CO2 doit être stocké dans
des aquifères salins profonds, via des puits qui sont forés ou dans des champs de gaz
déplétés, ce qui induit des problèmes d’acceptabilité de la technologie (cf. infra).
Les autres modes de production d’hydrogène sont encore au stade de la recherche et
développement. Parmi eux, l’électrolyse à haute température, dispose d’un degré de
maturité encore trop faible pour être industrialisé (TRL de 5 à 6) car l’électrolyseur nécessite
une température entre 700 et 850 °C et sa durée de vie est pour l’instant encore trop faible.
Elle dispose néanmoins d’un meilleur rendement que les autres électrolyseurs, situé entre
75 et 85 % en cas d’apport externe de chaleur, et fait l’objet d’efforts importants en termes
de recherche et développement aux États-Unis ou en Europe.
La technologie thermochimique à haute température, qui repose sur l’utilisation d’un cycle
iode/soufre ou chlore/cuivre pour réduire l’hydrogène présent dans l’eau, possède
également une maturité moins élevée. Les rendements théoriques se situent autour de
50 %, mais les démonstrations actuelles affichent plutôt des niveaux avoisinant les 30 à
40 %. En outre, son coût élevé limite les perspectives de compétitivité. La technologie
plasma, qui permet de produire de l’hydrogène à partir de méthane sans dégager de CO2,
mais seulement du carbone solide, est prometteuse en raison de la faible quantité d’énergie
requise et de l’utilisation du carbone produit, bien que les débouchés soient réduits. Elle
souffre néanmoins, selon l’Académie des technologies, d’un manque d’intérêt à ce stade de
la part des industriels et des pouvoirs publics français.
La pyrolyse du méthane, la production par activité bactérienne ou encore la recherche
d’hydrogène natif constituent d’autres pistes pour la recherche.
1.3.1. L’hydrogène produit par électrolyse est environ trois fois plus cher que
l’hydrogène gris …
5 Le nouvel électrolyseur du site d’Air Liquide à Bécancour, au Canada, comporte 4 unités distinctes dotées
de la technologie PEM (Membrane Échangeuse de Protons) pour une puissance totale de 20 MW.
6 Des pays disposant de gaz naturel moins cher peuvent descendre à un coût de production inférieur à 1 €/kg.
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s’élève aujourd’hui à 42 €/MWh pour l’électricité nucléaire à prix règlementé (ARENH). Il
convient d’ajouter au prix de l’électricité les tarifs d’utilisation du réseau d’électricité
(TURPE), soit une fourchette allant de 11 à 16,5 €/MWh, selon l’éligibilité de l’électrolyseur
à un abattement sur ce tarif (cf. infra). Le coût de production de l’hydrogène électrolytique
s’élève entre 4,5 et 6 €/kg en 2020.
La production de l’hydrogène par vaporeformage avec CCS représente, quant à elle, un
surcoût situé entre 1 et 2,5 €/kg par rapport au vaporeformage simple7. Le coût d’un kilo
d’hydrogène produit par vaporeformage et CCS s’élève donc entre 2,5 et 4,5 €/kg.
Au total, les coûts actuels de production de l’hydrogène électrolytique (4,5 à 6 €/kg) sont
encore très élevés par rapport au vaporeformage (1,5 €/kg) et même par rapport à
l’hydrogène bleu (2,5 à 4,5 €/kg). Le développement d’une demande pour l’hydrogène
produit par électrolyse dans les prochaines années nécessitera donc une baisse
significative des prix de production et un soutien public pour couvrir la différence de coût.
1.3.2. … avec des surcoûts encore élevés en 2030, en fonction du prix de l’électricité
et du mode de fonctionnement de l’électrolyseur
7 Total indique, par exemple, que le coût total de captage, de transport et de stockage d’une tonne de CO 2
pour son projet Nothern Lights, en Norvège, s’élève à 150 € la tonne, soit un surcoût de 1,5 €/kg.
8 Source : France Stratégie, La Valeur de l’action climat, février 2019.
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et de n’utiliser que les surplus de production d’électricité pour produire de l’hydrogène, afin
de bénéficier des prix les plus bas. Ce fonctionnement s’avère être le plus onéreux, car le
taux de charge des électrolyseurs est particulièrement faible compte tenu de l’intermittence
des renouvelables, mais aussi dès lors que la majeure partie de la production électrique est
dévolue au marché9. En outre, cette configuration oblige à surdimensionner l’électrolyseur
pour qu’il puisse recevoir le plus possible d’électricité produite par la centrale. Cette
configuration d’électrolyse, qui fait fortement dépendre le coût de l’hydrogène produit des
CAPEX de l’électrolyseurs, ne deviendra donc avantageuse sur le plan économique que
lorsque ces derniers descendront à un à niveau très bas, autour de 100 €/kW, qui ne sera
vraisemblablement pas atteint à l’horizon 2030 (cf. infra). Le graphique ci-dessous, produit
par l’IFPEN, illustre l’importance de disposer d’un taux de charge minimal (indiqué ici en
heures/an) pour diminuer le prix de production de l’hydrogène lorsque les CAPEX sont
compris entre 250 et 500 €/kW.
Source : IFPEN
Le deuxième mode consiste à relier les électrolyseurs directement au réseau, afin qu’ils
fonctionnent toute l’année, sauf pendant certaines périodes de tension où les prix de
l’électricité sont élevés. Ce fonctionnement est aujourd’hui le mode le plus économique, car
il nécessite moins de capacité d’électrolyse pour un même volume d’électricité et permet
ainsi d’amortir plus rapidement le coût d’investissement. Afin de respecter des exigences
règlementaires ou commerciales, il est possible de coupler ce fonctionnement avec des
garanties « électricité d’origine renouvelable ».
Source : RTE
Seuls les deux derniers modes – connexion au réseau raccordement à un site d’énergie
renouvelable dédié – permettent donc d’optimiser le coût de production d’hydrogène à
horizon 2030. Si la première de ces deux configurations est à l’heure actuelle la moins
onéreuse, le choix entre ces deux configurations dans les prochaines années dépendra des
10Enedis considère, par ailleurs, que le raccordement indirect de ces électrolyseurs aux réseaux de distribution
d’électricité serait une brèche dans l’égalité de traitement et dans la péréquation tarifaire, et méconnaîtrait le
monopole de gestion de ces réseaux.
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hypothèses d’évolution des prix de l’électricité renouvelable et des prix de l’électricité sur le
marché de gros, et dans une moindre mesure des CAPEX11.
Concernant la configuration en autoproduction sur site, selon les scénarios les plus
optimistes présentés par l’Hydrogen Council12 ou encore Bloomberg13, le prix de l’électricité
renouvelable baissera nettement en raison du fort recul du coût de ces énergies dans le
monde, encore plus prononcé dans certaines zones à fort potentiel comme l’Espagne ou le
Chili, et atteindra une fourchette comprise entre 13 et 37 €/MWh en Europe. Selon ces
études, les CAPEX diminueront pour atteindre un niveau autour de 250 €/kWe grâce à
l’industrialisation (effet d’apprentissage) de l’ensemble de la filière (électrolyseurs,
développeurs, installateurs, exploitation et maintenance, etc.) et à des économies d’échelle
(passage d’une puissance unitaire de 2 MW à plusieurs dizaines voire centaines de MW) et
des gains d’efficience (hausse du rendement des électrolyseurs de 65 à 70 %). L’Hydrogen
Council retient ainsi pour le prix des électrolyseurs un taux d’apprentissage de 10 % par an,
qu’il juge conservateur par rapport à ceux des énergies renouvelables, de l’ordre de 35 %
pour le solaire par exemple (entre 2010 et 2012). À ces conditions, l’hydrogène sera produit
autour de 2 €/kg à horizon 2030 et deviendrait compétitif. Ces estimations optimistes doivent
néanmoins être tempérées. Concernant les CAPEX, si une baisse à 250 €/kW ne peut pas
être exclue, la plupart des études14 font néanmoins état d’un coût autour de 500 €/kW dans
10 ans. S’agissant du prix de l’électricité, les prévisions utilisées par la CRE et la DGEC
pour calculer le montant de la CSPE se fondent sur un prix autour de 30 €/MWh pour le
photovoltaïque et de 34 €/MWh pour l’éolien en France en 2030 dans un scénario favorable
et des prix autour de 50 €/MWh dans un scénario défavorable. S’il ne peut être écarté que
certains sites produisent de l’électricités renouvelables à très bas coût (en dessous de
20 €/MWh) en Europe voire en France, ils seront vraisemblablement limités et l’hydrogène
sera en concurrence avec d’autres usages pour utiliser cette électricité. RTE estime ainsi
que, dans un scénario de référence, la production d’hydrogène à partir d’électricité
photovoltaïque s’élèvera à 3,8 €/kg.
Concernant la configuration en connexion au réseau, le prix de production de l’hydrogène
dépendra très fortement du prix de l’électricité sur le marché de gros, qui détermine en
moyenne 75 % du coût total d’un kilo d’hydrogène.
Il est probable que ce prix, situé aujourd’hui autour de 43 €/MWh, ne baissera pas à horizon
2030 pour plusieurs raisons. La diminution progressive à 50 % de la part du nucléaire dans
le mix électrique à horizon 2035 pourrait exercer un impact à la hausse sur les prix. En outre,
l’intégration des marchés européens limiterait l’impact à la baisse sur les prix du marché de
la construction de capacités d’énergies renouvelables supplémentaires à des prix inférieurs
à ceux du marché. Ainsi, alors que l’Allemagne a construit près de 100 GW de capacité de
renouvelable supplémentaire contre seulement 10 GW aux Pays-Bas, le prix de l’électricité
est resté sensiblement le même dans les deux pays en 2019, car ce sont les coûts
marginaux des centrales à charbon qui fixent le prix du marché la grande majorité du temps.
Enfin, un prix de l’électricité trop bas ne permettrait pas d’inciter à l’investissement dans les
11 Certaines règlementations, comme la directive relative aux énergies renouvelables (RED II) qui impose une
connexion directe de l’électrolyseur avec des capacités de renouvelables supplémentaires pour les connecter
à l’électrolyseur, pourraient aussi être allégées pour ne pas contraindre les possibilités d’électrolyse.
12 Source : Hydrogen Council, Hydrogen Insights, février 2021.
13 Source : Bloomberg, Hydrogen Economy Outlook, key message, 30 mars 2021.
14 Par exemple, Agence internationale de l’énergie, Hydrogen in North Western Europe, a vision toward 2030,
Avril 2021.
22
capacités de production, car il ne permettrait pas aux industriels de récupérer leurs coûts
d’investissement, et pourrait avoir pour conséquence d’augmenter le prix sur le marché de
capacité, et donc le coût de l’électricité. Il est donc raisonnable d’anticiper un prix de
l’électricité sur le marché de gros qui sera compris entre 45 et 60 €/MWh15.
Par ailleurs, il convient d’ajouter à ce prix de l’électricité sur le marché du gros les tarifs
d’utilisation du réseau (TURPE)16, dans le mode de connexion au réseau. De tels coûts
renchérissent actuellement le prix de l’électricité obtenue par un électrolyseur dans une
fourchette allant de 11 à 16,5 €/MWh selon que ce dernier est raccordé au réseau public de
transport ou de distribution d’électricité17.
S’ils répondent aux conditions prévues par le décret du 10 avril 2021, les électrolyseurs
peuvent bénéficier d’un abattement allant jusqu’à 80 % sur le TURPE.
15 Les prévisions établies par la DGEC dans le cadre de l’élaboration de la nouvelle Programmation
pluriannuelle de l’énergie (PPE) et qui ont servi, notamment, au chiffrage des charges de service public de
l’énergie engendrées par les nouvelles installations d’énergies renouvelables s’élèvent, en 2030, à 44 € dans
un scénario bas et à 65 € dans un scénario haut.
16 La quantité d’électricité utilisée pour les besoins d’un procédé électrolyse n’est pas soumise à la CSPE en
d’électricité un volume d'électricité supérieur à 10 GWh, avec une durée d'utilisation du réseau supérieure ou
égale à 7 000 heures.
23
En prenant en compte un tel abattement, le Comité de Prospective estime que le prix
d’électricité après coût d’accès au réseau de transport d’électricité s’établira dans une
fourchette entre 47 et 62 €/MWh en fonction des scénarios. Le graphique ci-dessous illustre
que ces niveaux de prix d’électricité ne permettront pas d’atteindre un prix de 2,5 €/kg
d’hydrogène, soit la parité avec l’hydrogène gris avec un prix de CO2 à 100 €/tonne, même
en prenant des hypothèses très favorables sur la réduction du coût des électrolyseurs à
horizon 203019. Il aurait fallu pour cela atteindre que le prix descende en dessous de
36 €/MWh, un niveau qui semble difficilement atteignable en 2030.
4,5 €
4,0 €
3,5 €
3,0 €
2,5 €
2,0 €
1,5 €
1,0 €
0,5 €
0,0 €
32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60
€ € € € € € € € € € € € € € € € € € € € € € € € € € € € €
19 Électrolyseur connecté au réseau, CAPEX de 250 €/kW contre plus de 1 000 €/kW aujourd’hui, taux
d’efficience de 68 %, durée de vie de 20 ans.
24
Coût de l’hydrogène à horizon 2030 selon différents scénarios et hypothèses
2,3 $ (1,2 $
dans les régions
Hydrogen Council Autoproduction 13 à 37 $MWh 250 $/kW à fortes
ressources
renouvelables)
Agence Autoproduction (éolien
40 à
Internationale de off-shore en mer du 38 à 70 €/MWh 581 €/kW 2,5 à 3,5 €
60 %
l’Energie21 Nord)
Autoproduction
RTE (photovoltaïque, 43 €/MWh22 700 €/kW < 30 % 3,8 €
scénario de référence)
Autoproduction
(scénario optimiste de
baisse des coûts du
RTE 2,6 €
photovoltaïque de 30 %
par rapport au scénario
de référence)
Comité de
46,2 €/MWh (prix
prospective de la
sur le marché de
CRE –
Réseau gros à 44 €/MWh + 250 €/kW > 50 % 3,1 €
estimation
TURPE à 2,2 €) si
scenario
électro-intensif
favorable
Comité de 62,24 €/MWh (prix
prospective de la sur le marché de
CRE – Réseau gros à 60 €/MWh + 500 €/kW > 50 % 4,3 €
estimation TURPE à 2,2 €) si
défavorable électro- intensif
4500-
EDF Réseau 50 €/MWh23 850 €/kW 3,8 €
7500 h
Ce tableau illustre qu’il sera difficile d’atteindre un prix compétitif de l’hydrogène décarboné
en 2030. La principale cause réside dans le prix de l’électricité, dans la configuration en
réseau.
Une dernière problématique doit être prise en compte concernant la production d’hydrogène
par électrolyse et a trait à l’impact du prix du CO2 sur le marché de l’ETS. En raison des
20 L’Hydrogen Council n’intègre pas les coûts liés au TURPE, contrairement à EDF.
21 Source : AIE, Hydrogen in North-Western Europe Hydrogen supply and demand, A vision towards 2030,
avril 2021.
22 Les hypothèses de coût du PV utilisées par RTE sont les suivantes : CAPEX 550 €/kW, OPEX fixes
15 €/kW/an, durée de vie 25 ans, WACC 5 %/an. Ces hypothèses sont en ligne avec la trajectoire de référence
de la concertation pour du PV au sol à l’horizon 2035. L’annuité correspondante est de 54 €/kW/an. Avec un
facteur de charge simulé de 1 250 h/an (moyenne France), le coût de revient est de 43 €/MWh. Seuls 58 %
de cette production sont utilisés pour produire de l’hydrogène, permettant un facteur de charge des
électrolyseurs de 38 %. L’excédent de production photovoltaïque (42 % de la production totale) est vendu sur
les marchés de l’électricité au prix moyen de 40 €/MWh.
23 EDF estime que le prix de l’électricité sur le marché de gros s’établirait autour de 50 €/MWh dans dix ans.
Le groupe retient la moyenne des scénarios indiqués dans la PPE (décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 relatif
à la programmation pluriannuelle de l’énergie), soit 53 €/MWh pour une fourniture continue. En évitant les
heures les plus chères, le coût d’approvisionnement d’une électrolyse est typiquement moindre d’une dizaine
d’euros par MWh, tandis qu’on peut considérer un peu moins de 10 €/MWh au titre de l’accès au réseau (pour
des installations de grande taille). D’où un coût d’environ 50 €/MWh.
25
interconnexions électriques européennes, les centrales à charbon produisant de l’électricité
ou les centrales à gaz fixent pendant de longues périodes le prix marginal de l’électricité sur
le marché européen. En France, le prix de l’électricité a été déterminé en 2019 à 25 % par
l’importation d’électricité produite par des centrales à charbon et à 20 % par des prix de
centrale à gaz. RTE estime ainsi qu’un prix de 100 € la tonne de CO2 sur le marché ETS
renchérirait le prix du kilo d’hydrogène de 1,4 € par kilo, comme l’indique le graphique ci-
dessous. Surtout, cet impact du prix de l’ETS est plus important pour l’hydrogène produit
par électrolyse que pour celui produit par vaporeformage, ce qui risque de creuser le
désavantage compétitif du premier.
Source : RTE
24Ces contrats peuvent par exemple prendre la forme de Power purchase agreement (PPA), contrats de gré
à gré (OTC) bilatéraux plus ou moins sur mesure, qui peuvent s’appuyer sur des montages complexes et
peuvent exposer les contractants à des risques de contrepartie, de profil, de liquidité, etc. Autre exemple, les
contrats futures standardisés cotés sur les marchés organisés, sans risque de contrepartie. Il convient de noter
néanmoins pour ces derniers qu’il n’existe pour l’instant que peu de liquidité au-delà d’un an et aucune à partir
de 4 ans, ce qui limite les possibilités de hedging à long terme.
26
Obtenir un hydrogène électrolytique compétitif à horizon 2030 par rapport au
vaporeformage dépendra donc fortement du prix de l’électricité à cet horizon. Afin de
minimiser les surcoûts, il conviendra de mettre en place les modes de fonctionnement les
plus optimaux pour les électrolyseurs.
En France, cela passe par un raccordement au réseau d’électricité, sauf dans les zones
où le prix des renouvelables connaît une baisse importante ; par des électrolyseurs d’une
puissance suffisante pour être raccordés directement au réseau public de transport et
obtenir ainsi un abattement sur le TURPE, ou à défaut, par un raccordement indirect à ce
réseau ; par la contractualisation d’un approvisionnement en électricité permettant d’éviter
l’effet de la hausse du prix du carbone sur le prix de l’électricité et de préserver les
producteurs d’hydrogène du risque-marché.
À titre transitoire, et dans une optique de stimuler la demande d’hydrogène décarboné dans
l’industrie et la mobilité, il pourrait être envisagé de recourir de manière complémentaire à
l’hydrogène bleu produit après CCS. Aujourd’hui situé autour de 2,5 à 4,5 €/kg, le prix de
ce dernier devrait diminuer dans une fourchette entre 2 et 2,5 €/kg à l’horizon 2030. Total
estime que le coût de la chaîne de captage, transport et stockage de son projet Northern
Light en Norvège pourrait diminuer d’un coût de 150 à 75 € la tonne de CO2 grâce aux effets
d’échelle, soit un surcoût de 0,75 € par kilo d’hydrogène produit par rapport au
vaporeformage. Néanmoins, compte tenu du coût significatif de l’exploration et de la
construction de zones de stockage de CO2 en France et de la durée que prendraient de tels
projets (environ 8 ans), sans compter les questions d’acceptabilité de cette technologie, la
décision de recourir à l’hydrogène bleu ne peut être réalisée indépendamment du choix plus
global de faire appel ou non à cette technique en France pour diminuer les émissions dans
d’autres secteurs. En outre, cette option aurait l’inconvénient de ne pas concourir au
développement de la filière française d’électrolyseur.
Le CCS pourrait être une option à court terme pour la production d’hydrogène alimentant
les sites industriels en zone portuaires comme à Dunkerque ou au Havre, pour lesquels le
CO2 capté pourrait être exporté et stocké en mer du Nord sans qu’il soit besoin de procéder
à un stockage en France. Le site de stockage Northern Lights sera ainsi opérationnel dès
2023. Ces zones de stockage en mer du Nord sont néanmoins susceptibles d’être l’objet de
concurrence entre de nombreux industriels européens et de nombreuses sources de CO2
autres que la production d’hydrogène. En outre, il conviendrait d’évaluer le bilan carbone en
incluant le CO2 émis par le transport par navire pour vérifier la pertinence environnementale
de cette solution.
27
L’utilisation d’hydrogène produit par vaporeformage et capture et stockage
du CO2 : exemples à l’étranger
Pour que l’hydrogène bleu devienne une possibilité sur le plan industriel, les
capacités de stockage devront être développées. En 2020, seules 35 millions de
tonnes de capacités de stockage sont en projet, principalement aux États-Unis
(25 Mt), alors qu’il faudrait 800 millions de tonnes pour seulement stocker le carbone
issu de la seule production d’hydrogène, qui ne représente elle-même que 1 % du
total des émissions de CO2.
Les pays européens les plus avancés sur le CCS, la Norvège, les Pays-Bas ou
encore le Royaume-Uni, cherchent à développer cette filière par la mise en place de
mécanismes mélangeant incitation et sanction, en couplant des taxes croissantes
sur le CO2 et de subventions couvrant le différentiel de coût entre le prix du CCS et
celui de la tonne de carbone. Les Pays-Bas ont ainsi instauré une taxe carbone de
30 € en 2020 qui augmentera jusqu’à 125 € en 203025, tandis que la mise en place
de contrat pour différence (CfD) sur la valeur du CO2 permet le financement de
100 % de l’écart entre les coûts du projet et le prix du CO2 (dans une limite de 156 €/t
pour le CCS). Il convient de noter l’existence de discussions germano-russes
destinées à explorer la possibilité d’exporter de l’hydrogène produit en Russie à
partir de méthane avec CCS.
Le développement du CCS en France nécessiterait de déployer des capacités de
stockage de CO2 ou transporter ce dernier vers les zones de stockage en Mer du
Nord. Des études dans le Nord de la France ont permis d’identifier des petites
structures de stockage. D’autres se situeraient probablement en off-shore sur la côte
atlantique. Le potentiel est estimé à quelques centaines de millions de tonnes de
CO2. Leur exploitation nécessiterait néanmoins des campagnes d’exploration
(forages de puits, campagne sismique) longues (8 ans entre le début du projet et sa
mise en service) et coûteuses (creuser un puits en mer du nord coûte environ
100 M$). Le choix de recourir à cette technique en France ne peut donc concerner
uniquement la production d’hydrogène. L’exportation de CO2 capté en France, plus
immédiate, nécessiterait, sur le plan juridique, un accord bilatéral avec le pays
d’importation. Le coût de transport d’une tonne de CO2 par navire vers les Pays-Bas
est estimé par Total autour de 20 €. Elle serait limitée à l’hydrogène produit à
proximité d’un port pour des raisons logistiques.
25 Laquelle ne s’ajoute pas au prix du carbone sur l’ETS mais le complète jusqu’au niveau souhaité.
28
Des technologies de rupture – telle l’électrolyse à haute température – pourront également
émerger vers l’horizon 2030 et entraîner des baisses de coûts, à la condition de poursuivre
les efforts de recherche et développement.
26Source : Feuille de route du Nuclear Industry Council (NIC) pour l’hydrogène vert, publiée le 18 février 2021.
27Le groupe américain Nuscale, producteur de SMR, projette d’utiliser une des tranches de 60 MW pour tester
son couplage avec la technologie SOEC.
29
Il faudra par ailleurs veiller à ne pas multiplier les dispositifs, au risque d’en complexifier le
suivi budgétaire, ce qui pourrait entraîner des surcoûts pour la collectivité. Enfin, ces
mécanismes devront permettre, dans un premier temps, de couvrir les producteurs du
risque-marché, notamment en ce qui concerne les évolutions du prix de l’électricité et du
TURPE. La pierre angulaire du développement d’une nouvelle filière est en effet la facilité à
l’investissement et le coût du capital immobilisé.
Dès lors que l’hydrogène n’est pas produit à proximité immédiate de son lieu d’usage, les
coûts de compression, de transport et de distribution acquièrent une importance
significative dans les modèles économiques de ses différents usages.
Les caractéristiques de l’hydrogène, et notamment sa légèreté et sa faible densité
énergétique, le rendent en effet délicat et cher à transporter. L’hydrogène doit d’abord être
comprimé ou liquéfié pour répondre aux usages envisagés. Les réservoirs des véhicules
nécessitent ainsi une compression de 350 à 700 bars, quand l’hydrogène produit par
électrolyse se situe entre 10 et 50 bars.
La compression d’hydrogène jusqu’à 700 bars coûte environ 0,1 €/kg selon l’Académie des
technologies. La liquéfaction, qui nécessite plus d’énergie, car la température descend à
- 253 °C, coûte environ 0,4 €/kg.
Le coût du transport dépend quant à lui du mode qui varie selon la distance. Le transport de
longue distance, supérieure à 3 000 km, nécessite un transport par navire, l’hydrogène étant
liquéfié ou transformé en ammoniac. La stratégie allemande reposant largement sur
l’importation d’hydrogène issu de pays ensoleillés, l’EWI de Cologne a estimé, dans une
étude de décembre 2020, que les coûts de transport par bateau (liquéfaction, chargement,
transport, regazéification) s’élèvent à 3,2 $/kg aujourd’hui et pourraient diminuer jusqu’à
1,2 $/kg en 2050. Un tel niveau, auquel il convient d’ajouter les coûts de production, rend
l’importation d’hydrogène par navire plus chère à moyen terme que la production locale par
électrolyse28.
Le transport sur des moyennes distances peut être réalisé par hydrogénoduc. En effet, le
transport direct d’hydrogène par tuyau s’avère beaucoup moins onéreux que le transport
par le réseau électrique de l’électricité produite dans une zone à bas prix vers les lieux de
production d’hydrogène29. Cela suppose la mise en place d’un réseau dédié par
conversion des infrastructures existantes ou par construction de nouvelles
canalisations. Ce sujet du transport de l’hydrogène par réseaux de gaz fera l’objet d’un
chapitre dédié dans la deuxième partie du présent rapport. Le transport sur courte distance
peut être effectué sous forme comprimée par camion, pour des coûts à partir de 1 €/kg en
fonction de la distance.
28 L’étude publiée par Agora Energiewende en février 2021 et citée dans la deuxième partie du rapport établit
ainsi qu’en 2050 l’hydrogène produit localement en Allemagne restera moins cher que l’hydrogène importé
par navire depuis l’Algérie.
29 Selon GRTgaz et Teréga, dans la configuration d’un besoin d’hydrogène à Lyon et une électricité
renouvelable produite moins chère à Marseille, la solution consistant à transporter de l’hydrogène produit par
électrolyse à Marseille par les infrastructures de gaz coûte deux à quatre fois moins cher que celle consistant
à transporter l’électricité de Marseille vers Lyon et de réaliser l’électrolyse dans cette dernière ville.
30
Le stockage d’hydrogène peut également être envisagé pour garantir aux fournisseurs
d’hydrogène un exutoire, aux consommateurs une sécurité d’approvisionnement et au
territoire une économie circulaire et la possibilité de décentraliser l’énergie renouvelable.
L’hydrogène peut être stocké sous forme liquide ou sous forme d’ammoniac, pour un coût
encore très élevé, supérieur à 2 €/kg selon l’Académie des technologies. Il peut être stocké
sous forme gazeuse en cavité saline ou dans des champs de gaz déplétés.
Le coût d’une infrastructure de stockage en cavité saline, qui dépend de la taille de
cette dernière, de la quantité à stocker et de la fréquence de cyclage de l’hydrogène,
s’élève entre 0,2 0,6 €/kg selon Storengy. La technique de stockage d'hydrogène en cavité
saline est mûre et est déjà utilisée au Royaume-Uni (site de Teeside) et aux États-Unis. Il
convient d'adapter les pratiques pour un cyclage plus fréquent, en réponse aux besoins du
marché. Des zones de stockage se situent en France au niveau d’Etrez, dans la région
AURA, ou dans le Sud-Est du pays.
Enfin, il importe d’ajouter les coûts de distribution en station-service pour les usages de
mobilité. Une station à hydrogène dimensionnée pour accueillir une vingtaine de camions
coûte environ 15 M€. Toutefois, selon l’Hydrogen Council, des perspectives importantes de
réduction de ces coûts sont envisageables grâce à une massification du déploiement
des stations. Contrairement aux voitures à batterie, pour lesquelles l’augmentation du
nombre de stations entraîne un renchérissement du coût de l’infrastructure, les stations
hydrogène peuvent accueillir un nombre très important de véhicules compte tenu de la
rapidité du chargement, rendant possible la création d’économies d’échelles et de séries.
Augmenter à la fois le nombre de stations et leur taille (avec des capacités de chargement
entre 500 kg et une tonne par jour) permettrait de diminuer les coûts de distribution à
1 €/kg en 2030. Selon le cabinet E-Cube, en revanche, il serait difficile de diminuer le coût
de la distribution à moins de 2 à 3 €/kg à horizon 2030.
Ces coûts logistiques peuvent enchérir, parfois de façon significative, le coût final de
l’hydrogène disponible. Ils doivent conduire à effectuer un arbitrage entre production locale
et importation d’hydrogène depuis des zones où l’électricité est moins chère ou dans
lesquelles est installé un gros électrolyseur. Par ailleurs, il convient d’inclure dans le bilan
environnemental de l’hydrogène décarboné le transport par camion ou par navire. Selon
l’Ademe, le recours au camion induit l’émission de 1 kg de CO2 par kg d’hydrogène pour
100 kilomètres.
31
Propositions du groupe de travail sur la production d’hydrogène
32
2. DES USAGES MULTIPLES, MAIS AUX MODÈLES
ÉCONOMIQUES INCERTAINS ET À LA MATURITÉ
ÉLOIGNÉE
Par la grande variété des usages auxquels il se prête, l’hydrogène est souvent présenté
comme un vecteur-clé de la transition énergétique. Il peut être utilisé comme combustible
pour la mobilité, comme source de chaleur pour l’industrie et le résidentiel, comme matière
première dans la chimie ou la production de certains biens industriels (acier, verre) ou
encore comme vecteur de stockage de l’électricité pour pallier la variabilité de certains
renouvelables ou décongestionner un réseau.
Il y a cependant loin de la faisabilité scientifique à l’utilisation industrielle. Certaines
applications de l’hydrogène présentent des surcoûts très élevés qui rendent leur
généralisation peu probable à horizon 2030, en plus des contraintes en matière de sécurité
qui seront évoquées dans la partie suivante.
Il convient de distinguer les usages pour lesquels il n’existe pas de solution bas-carbone
autre que l’hydrogène, telles certains procédés industriels, de ceux pour lesquels une telle
solution existe, comme le transport ou le chauffage. Pour la première catégorie, le recours
à l’hydrogène décarboné est inéluctable à terme : l’existence d’un modèle économique à
horizon 2030 dépendra à la fois du degré de contrainte de la règlementation contre les
émissions de gaz à effet de serre mise en œuvre par les pouvoirs publics et de la
comparaison du coût de l’hydrogène décarboné et gris, comparaison pour laquelle les prix
de l’électricité et du CO2 sont décisifs. En revanche, pour les usages où d’autres solutions
de décarbonation existent, le recours à l’hydrogène sera conditionné à sa compétitivité.
L’hydrogène ne sera pas acheté par les acteurs économiques de certains secteurs, s’il
existe une autre technique bas-carbone, moins chère et disponible. Subventionner
l'hydrogène serait une utilisation discutable des finances publiques.
Pour les usages où l’hydrogène s’avèrerait pertinent, son adoption impliquera
vraisemblablement un surcoût à l’horizon 2030, compte tenu des perspectives de coût de
production encore élevé exposées dans la première partie du rapport. Se pose dès lors la
question de la répartition du financement de ce surcoût entre les industriels, le contribuable
et les consommateurs finals – avec, s’agissant de ces derniers, la définition des mesures
sociales d’accompagnement –30. Cette équation dépendra fortement de la mise en place
d’un mécanisme d’ajustement carbone à l’échelle européenne, sans lequel le risque de
délocalisation est réel dans certaines industries très concurrentielles en cas de surcoût
imposé. Même si la Commission européenne présente une proposition en ce sens, la mise
en œuvre d’un tel dispositif sera difficile sur le plan géopolitique.
L’hydrogène nécessitant un régime de subvention de longue durée, le présent rapport
préconise une priorisation de ses usages en fonction de leur degré de maturité, afin de
concentrer les ressources publiques sur des secteurs qui ont un vrai potentiel à l’échelle
industrielle à horizon 2030 et ainsi favoriser la massification de ces derniers.
30Par exemple, le remplacement d’un train diesel par un train hydrogène peut entraîner, selon la SNCF, un
renchérissement du prix du billet entre 10 et 30 %, si le surcoût est entièrement supporté par le voyageur.
33
2.1. L’industrie constitue l’usage le plus mûr sur le plan économique à horizon 2030
Il convient de distinguer deux types d’usages industriels pour l’hydrogène. D’une part, des
industries utilisent déjà l’hydrogène comme intrant31 : le raffinage de pétrole (60 % du
volume utilisé), la production d’ammoniac pour fabriquer des engrais (25 %), la chimie pour
produire notamment du méthanol (10 %), la verrerie ou la métallurgie et l’industrie du chlore
(5 %). En France, près de 900 000 tonnes d’hydrogène sont utilisées annuellement dans
ces secteurs - dont près de la moitié est coproduite32 -, qui émettent 11 Mt de CO2, soit 3 %
des émissions totales françaises et 15 % de celles de l’industrie. D’autre part, certaines
industries très émettrices, telle la métallurgie, pourraient utiliser l’hydrogène décarboné
comme agent de réaction chimique pour, par exemple, réduire le minerai de fer.
L’usage le plus naturel pour l’hydrogène décarboné réside dans la substitution à l’hydrogène
gris déjà consommé dans l’industrie du raffinage, de la production d’engrais et de méthanol
ou encore dans la métallurgie et la verrerie, dès qu’aucune autre solution n’émerge. Dans
ces marchés captifs, l’utilisation d’hydrogène décarboné sera donc nécessaire pour tenir les
objectifs de neutralité. L’enjeu réside davantage dans la mise en place des mécanismes de
soutien appropriés qui permettent à la fois de faire progressivement diminuer le prix de
production d’hydrogène décarboné et de limiter le coût de cette substitution pour les
industriels. Pour ces derniers, l’hydrogène représente une matière première importante
dans leur processus de production. Dès lors, imposer un basculement vers l’hydrogène
décarboné sans accompagnement créerait un risque de délocalisation et des « fuites de
carbone » associées.
Pour une petite partie de ces usages (10 %), principalement dans les secteurs de la
métallurgie et de la verrerie, l’hydrogène électrolytique peut déjà s’avérer plus compétitif
que l’hydrogène gris lorsque sa consommation actuelle est diffuse, en raison des coûts de
logistique aval (l’hydrogène est liquéfié, puis transporté par camion) qui renchérissent le prix
du kilo au-dessus de 8 €/kg. Le positionnement d’un électrolyseur à proximité de ces sites
permettrait de fournir dès à présent un hydrogène décarboné compétitif.
Pour les plus gros consommateurs (raffineries, sites de production d’engrais et de
méthanol), qui produisent sur site par vaporeformage autour de 1,5 €/kg, l’hydrogène
décarboné reste néanmoins aujourd’hui beaucoup trop cher (4,5 €/kg)33 et sa compétitivité
à horizon 2030 n’est pas assurée.
31 Il peut s’agir d’utilisation d’hydrogène pur, comme dans le raffinage et la production d’ammoniac, ou en
mélange, comme pour la production de méthanol.
32 C’est-à-dire sans que l’hydrogène soit le produit recherché par leur procédé de production. L’hydrogène
coproduit peut néanmoins être utilisé en tant que matière au sein même du procédé (raffinerie par exemple).
33 Aujourd’hui, le projet de bioraffinerie de Total, à La Mède, qui repose sur la mise en place d’un électrolyseur
d’une puissance de 40 MW (5 tonnes d’hydrogène par jour) relié à des panneaux solaires de 100 MW sur
plusieurs sites de la région va produire un hydrogène vert quatre fois plus cher que l’hydrogène gris.
34
Impact du coût H2 sur la marge brute Ainsi, le prix maximum auquel une raffinerie peut,
Schéma : hydrocraqueur, brut moyen à léger (Europe par exemple, acheter de l’hydrogène sans
2017) remettre en cause sa viabilité se situe à 2,5 €/kg,
niveau qui ne permet toutefois pas à l’exploitant de
dégager une marge. Ce prix correspond à
l’hypothèse la plus optimiste du coût de production
d’hydrogène décarboné à horizon 2030 (cf. ci-
contre34). En outre, les risques de délocalisation
sont élevés dans ce secteur, en l’absence d’un
mécanisme d’ajustement carbone aux
frontières . Il est donc plausible qu’utiliser le seul
35
34 Source : IFPEN.
35 La Commission européenne prévoit de déposer en juin 2021 une proposition d’instauration d’un tel
mécanisme.
36 Sur la base du prix d’une tonne de CO évoluant sur le marché ETS de 50 € la tonne de CO en 2024 à
2 2
100 € la tonne de CO2 en 2030.
37 Source : ADEME, Hydrogène : analyse des potentiels industriels et économiques en France, décembre
2019.
38 Source: IEA, Hydrogen in North-West Europe: A vision towards 2030.
35
2.1.2. La sidérurgie constitue un débouché très significatif, mais incertain pour
l’hydrogène
La production mondiale d’acier émet chaque année 2,3 milliards de tonnes de CO2, soit
environ 7 % des émissions de la planète. Elles sont causées principalement par la réduction
dans les hauts fourneaux de l’oxygène contenu dans le minerai de fer avec du charbon. Les
émissions de la filière sidérurgique en France se sont élevées à 19 millions de tonnes de
CO239 en 2017, soit 4 % des émissions françaises.
La sidérurgie constitue l’un des secteurs les plus difficiles à décarboner. À l’heure actuelle,
les seules solutions à l’étude sont le recyclage de ferraille au four à arc électrique, la
technologie CCS et enfin le recours à l’hydrogène. Ce dernier peut être utilisé dans la
production d’acier pour diminuer significativement les émissions de deux manières. D’une
part, il peut être injecté dans les hauts fourneaux comme substitut au charbon pour la
réduction du minerai de fer, ce qui diminue les émissions d’environ 20 % et représente donc
une solution de court terme, prolongeant la durée de vie des hauts fourneaux. D’autre part,
l’hydrogène peut être utilisé pour produire du minerai de fer pré-réduit à travers la
technologie dite « DRI » (Direct Reduced Iron). Cette technologie existe déjà et utilise du
gaz naturel. L’hydrogène se substituerait à ce dernier comme agent réducteur. Ce procédé,
qui doit encore établir sa maturité à l’échelle industrielle40, permet de produire du fer en une
étape unique au lieu de deux dans le processus haut fourneau-convertisseur. Le métal pré-
réduit est ensuite comprimé pour être utilisé dans des hauts fourneaux (DRI-BF41) ou des
fours à arc électriques (DRI-EAF42), une technique concurrente qui représente déjà 20 %
de la production mondiale, principalement aux États-Unis43. La combinaison du DRI et des
fours à arc électrique, présentée comme une « sidérurgie verte », permettrait de réduire les
émissions de 90 %, voire plus si le four est alimenté par de l’énergie bas carbone.
Bloomberg estime, dans une étude de mars 202144, qu’un prix d’hydrogène à 3 €/kg,
atteignable en France à horizon 2030, conduirait à un prix de la tonne d’acier de 700 $ pour
la technologie DRI-EAF. Le prix du CO2 devra s’élever entre 30 et 100 € en fonction du prix
du charbon à cet horizon pour que l’hydrogène devienne compétitif45.
46 Source : https://www.carboncommentary.com/blog/2020/1/14/the-extra-costs-of-decarbonised-steel .
37
production actuelle de 13 millions de tonnes d’acier vers la technique du DRI-EAF s’élèverait
à 10 Md€, soit un investissement de 770 M€ par million de tonnes d’acier.
Les surcoûts significatifs de l’usage d’hydrogène pour la sidérurgie font qu’il n’existe
aujourd’hui pas de modèle économique. La décision de ces industriels de basculer vers
cette technologie dans les prochaines années dépendra de plusieurs facteurs. Si le prix de
la tonne de CO2 sur l’ETS apparaît décisif, les cycles de vie des différents hauts fourneaux
en Europe seront déterminants au vu des très grands coûts d’investissements
nécessaires47. La mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières est
également indispensable pour éviter que le surcoût de la tonne d’acier décarbonée
n’entraîne une délocalisation de la production ou une substitution vers l’acier importé,
induisant en réalité des « fuites de carbone ». La disposition des consommateurs à payer
un premium pour l’acier vert étant pour l’instant réduite48, la règlementation sera aussi
déterminante, notamment pour répartir le surcoût entre le contribuable, le consommateur et
l’industriel. Enfin, le basculement vers la technologie DRI dépendra de la place du recyclage
d’acier dans l’offre et la demande49.
Il convient de noter qu’un tel basculement modifierait significativement l’économie de
l’hydrogène. ArcelorMittal indique ainsi que l’injection d’hydrogène directement dans un seul
haut fourneau nécessiterait 20 000 tonnes par an. La technologie DRI nécessiterait environ
80 000 tonnes d’hydrogène par an pour produire 1,5 millions de tonnes d’acier. La
production française actuelle d’acier s’élevant à 10 millions de tonnes d’acier en 2019, le
marché total s’élèverait donc à environ 500 000 tonnes, soit le niveau de la consommation
totale d’hydrogène non coproduit aujourd’hui en France. Cela impliquerait également la mise
en place d’électrolyseurs d’une capacité de 500 MW pour chaque site et donc la création de
capacités électriques supplémentaires significatives.
Plusieurs sidérurgistes européens ont annoncé récemment des projets visant à tester la
technologie DRI, comme l’illustre le tableau ci-dessous. ArcelorMittal prévoit par exemple
de développer une technologie hybride DRI-hauts fourneaux dans son site de Dunkerque,
en développant une aciérie électrique capable de produire 2 millions de tonnes d’acier par
an. Un partenariat avec Air liquide a été conclu en mars 2021. Le projet semble toutefois
conditionné à l’obtention par le groupe d’un IPCEI (Important Projects of Common European
Interest).
47 La durée de vie d’un haut fourneau peut être prolongée de 15 à 20 ans par la réalisation d’importants travaux
de rénovation. Compte tenu du coût de ces derniers (plusieurs centaines de millions d’euros), les industriels
devront choisir entre prolonger les hauts fourneaux ou passer à la technologie du DRI-EAF. Les hauts
fourneaux d’ArcelorMittal à Fos-sur-Mer ont par exemple encore 10 ans de durée de vie devant eux.
48 Ce marché est estimé à quelques milliers de tonnes pour un volume de production de plusieurs dizaines de
actuels, en raison des impuretés de l’acier produit. Certaines études plus optimistes évaluent ces usages
jusqu’à 80 %. La capacité de l’acier secondaire à répondre à la demande dépendra en premier lieu du taux de
collecte des aciers, mais aussi et surtout du taux de pollution des aciers notamment par le cuivre et de la
séparation de ces aciers lors de la collecte, de la capacité à séparer ces impuretés par la suite par une phase
de traitement supplémentaire et des exigences de qualité à l’aval. Ces dernières sont faibles dans la
construction, mais très élevées dans le secteur des véhicules.
38
Projets de déploiements de solutions « DRI » par les aciéristes européens d’ici 2030
2.2.1. Une absence très probable de modèle économique pour les véhicules légers
à horizon 2030
Le véhicule à hydrogène est une réalité sur le plan technique. En tant que vecteur d’énergie,
l’hydrogène peut être stocké dans le réservoir d’une voiture, puis libéré sous forme
d’électricité vers un moteur électrique grâce à l’utilisation d’une pile à combustible.
Contrairement à l’industrie, l’espace économique pour l’hydrogène dans les transports se
mesure comparativement aux batteries ou aux biocarburants.
L’hydrogène présente des avantages par rapport aux batteries : le temps de chargement
est inférieur à cinq minutes, contre une heure au minimum pour les batteries en l’absence
de borne de recharge rapide. L’autonomie est similaire à celle d’un véhicule à essence. La
batterie est enfin plus lourde.
Analyse comparée des véhicules électriques à batterie par rapport aux véhicules
avec pile à combustible
40
Véhicule utilitaire – émissions de CO2
Source : ADEME
51 Hypothèses : mise en place d’électrolyseurs d’une taille moyenne de 2,2 MW sur site afin de supprimer les
coûts de transport, prix d’électricité à 60 €/MWh, TVA de 20 %, absence de TICPE, exclusion de la marge
opérateur.
52 Bien que les véhicules les plus modernes pourraient aller jusqu’à 2 litres.
41
hydrogène doivent enfin évoluer pour diminuer la place que prennent actuellement les
bonbonnes, à travers par exemple le développement des réservoirs polymorphes, moins
intrusifs, et les compresseurs d’air doivent améliorer leur performance. La réalisation de ces
hypothèses, optimistes, permettrait au véhicule hydrogène d’atteindre un coût total de
possession presque comparable à celui de certains véhicules électriques pour des usages
supérieurs à 30 000 km par an (cf. graphique ci-dessous).
Etude PFA / BIPE, modèle TCO 2035 – scénario France, « Green constraint »
Source : PFA
53Le scénario pro-hydrogène repose sur l’hypothèse d’une réduction du prix des PAC de 60 % par rapport au
scénario médian, d’un prix de l’hydrogène de 40 % moins élevé, distribué à 3 € le kilo en 2040, des prix de
véhicule divisé par 3 (27 000 €) et une aide de l’État sur l’achat de véhicules constante sur la période à
10 000 €. À ces conditions seulement, l’hydrogène supplanterait le véhicule à batterie.
42
Scénario médian IFPEN Coût total de possession, SUV
Brut moyen à léger, Europe 2017
Source : IFPEN
Au total, compte tenu des perspectives de réduction des coûts qui existent également pour
le véhicule électrique léger, mais aussi du coût de déploiement d’une nouvelle infrastructure
dédiée54, il est peu probable que le véhicule à hydrogène trouve un marché à horizon 2030,
sauf pour certains débouchés très spécifiques (flottes à usage intensif). Cela n’exclut
néanmoins pas son essor au-delà de cet horizon, compte tenu de l’incertitude du véhicule
électrique à répondre à l’ensemble des besoins de mobilité décarbonée. Des études 55
montrent ainsi qu’à terme, en cas de massification, le coût de production du véhicule
hydrogène rejoindra celui du véhicule à batterie.
L’hydrogène apparaît comme une solution plus réaliste à l’horizon 2030 dans le secteur du
transport lourd. Les batteries électriques souffrent de handicaps que ne connaît pas la pile
à combustible. Leur poids plus important diminue la capacité de charge disponible des
véhicules lourds, rendant plus difficile leur usage pour les camions, les bus ou les engins de
chantier. Leur plus faible autonomie et leur temps de charge plus élevé se prêtent également
mal à des modes de transports volumineux ou de forte intensité : par exemple des poids
lourds qui doivent parcourir le plus rapidement possible des longues distances ou des flottes
54 Lequel s’ajouterait au développement des infrastructures pour les voitures à batteries électriques.
55 Par exemple, celles du Department of Energy des États-Unis de juillet 2020.
43
de véhicules (engins de chantier, services de livraison) qui doivent recharger rapidement et
disposer d’une forte autonomie pour maintenir l’intensité de leur service.
Plusieurs conditions détermineront l’apparition d’un modèle économique à l’horizon 2030.
La première réside dans une réduction forte des coûts de possession sur l’ensemble du
cycle de vie d’un camion ou d’un bus hydrogène. Un camion hydrogène coûte aujourd’hui
450 000 € contre 90 000 € pour un camion diesel et 120 000 € pour le gaz naturel, un
surcoût qui s’explique notamment par le prix de la pile à combustible. Les économies
d’échelle entraînées par une hausse de la production seront donc indispensables. Les
récentes annonces dans le secteur56 indiquent une hausse des volumes de production. Le
coût des infrastructures demeure également très élevé, autour de 1 M€ pour une station à
350 bars et une capacité d’avitaillement de 200 kg par jour. Afin d’économiser les
ressources publiques, les stations devront donc être déployées à proximité des principaux
corridors routiers et des principales flottes captives. Elles devront également être adaptées
aux différents usages (inclure des recharges à 350 et 700 bars), contrairement aux stations
des taxis Hype, par exemple, qui ne sont compatibles qu’avec leurs propres véhicules. Des
progrès technologiques demeurent également nécessaires car la pile à combustible n’a
qu’un potentiel de roulage de 7 000 heures, loin des besoins pour le transport routier, où la
durée de vie minimale doit dépasser 30 000 heures.
L’essor de l’hydrogène sera donc d’abord conditionné à une progression rapide de
l’amélioration de la technologie et de la baisse des coûts, ainsi qu’au durcissement de la
fiscalité ou de la règlementation sur le diesel. Une étude du cabinet E-Cube (cf. graphique
infra) a évalué le coût total de possession d’un camion à pile à combustible, qui s’élève
aujourd’hui à 245 000 € par an, soit un surcoût par rapport à un diesel de près de 100 %.
Dans le scénario le plus favorable à horizon 2030, le coût total de possession d’un camion
à pile à combustible s’élèverait à 150 000 € par an, un niveau compétitif si le prix d’un litre
de diesel évolue de 1 €57 à près de 2 €, ce qui valorise le CO2 autour de 410 € la tonne58.
Les hypothèses de ce scénario paraissent néanmoins optimistes. Elles reposent sur une
réduction du coût de la pile à combustible de 40 %, une très forte baisse des coûts de
maintenance grâce à une massification de l’utilisation et une baisse du prix de l’hydrogène
distribué à 5 €/kg, ce qui suppose un coût de production inférieur à 3 €/kg, et de distribution
en-deçà de 2 €/kg, dans la configuration d’un électrolyseur sur site pour limiter les coûts de
transport. Ces calculs n’incluent néanmoins pas l’externalité positive entraînée par la
réduction de la pollution de l’air, qui devrait être chiffrée dans le cadre d’autres travaux.
56 La filiale Hino de Toyota a annoncé un prototype pour le marché américain pour le 1er semestre 2021. Iveco
et la Start up Nikola Motors prévoient de commercialiser ses camions en Europe d’ici 2024. Daimler sortira sa
première offre commerciale d’ici 2025. Hyundai, enfin, a déjà livré 10 prototypes en Suisse possédant 400 km
d’autonomie et développe une version à 1 000 km d’autonomie.
57 Incluant déjà une taxe sur le carbone à 44 €/t de CO .
2
58 Un litre de gasoil émet 2,67 kg de CO .
2
44
Estimation du coût total de possession annuel d’un véhicule hydrogène avec pile à
combustible
L’Hydrogen Council chiffre le coût de la tonne de CO2 évitée à 50 € à l’horizon 2030 pour le
camion à hydrogène. Il se fonde néanmoins sur des hypothèses optimistes : une réduction
des CAPEX de 70 % (contre 40 % pour le cabinet E-Cube) et un prix de l’hydrogène
distribué à 4 $/kg.
Sauf réalisation du scénario optimiste, l’utilisation de l’hydrogène dans les transports lourds
à horizon 2030 conservera donc un surcoût important par rapport au diesel, qui sera délicat
à répartir. Le secteur du transport routier ne dégage par exemple que de faibles marges, de
sorte que la capacité des acteurs à payer un premium restera limitée. Cela impose de
comparer la solution hydrogène avec les autres options technologiques vertes.
La deuxième condition du développement dans la mobilité lourde réside dans sa
compétitivité par rapport à la mobilité électrique et au gaz naturel vert. Malgré les limites
soulignées précédemment concernant les batteries, des progrès importants semblent
accessibles dans les prochaines années sur les technologies en termes d’autonomie et de
temps de chargement, qui peuvent être complétés par une électrification des autoroutes.
Surtout, le bioGNV est aujourd’hui à un niveau de maturité économique plus avancé que
l’hydrogène. D’une part, si le coût de ce gaz vert (90 €/MWh) est actuellement quatre fois
supérieur au gaz naturel, il nécessite un faible surcoût de motorisation, identique à celui du
gaz naturel et beaucoup moins élevé celui d’un camion à hydrogène. D’autre part, les
réseaux de transport et de distribution sont déjà en partie en place en raison du
développement du gaz naturel. La capacité de la filière du biométhane à répondre à la
totalité de la demande du transport lourd reste néanmoins limitée, en raison des incertitudes
sur la quantité de ressources, agricoles ou de culture intermédiaire, disponibles pour réaliser
45
la méthanisation59 et de la forte demande de biométhane pour décarboner d’autres usages.
En outre, le bioGNV est moins efficace que l’hydrogène pour diminuer la pollution de l’air,
car il ne supprime pas entièrement les émissions d’oxyde d’azote, de sorte que certaines
collectivités pourraient privilégier l’hydrogène ou l’électrique. Il est donc probable que le
bioGNV, les batteries et l’hydrogène soient des solutions complémentaires plutôt que
concurrentes à moyen terme pour décarboner le transport lourd, mais une étude
comparative approfondie serait nécessaire pour évaluer le marché de ces différentes
solutions.
La piste du moteur à combustion à hydrogène, potentiellement beaucoup moins onéreuse,
car nécessitant peu d’adaptation par rapport aux véhicules à combustion fossile, pourrait
également être explorée (cf. encadré ci-dessous).
59
Le rapport du Comité de prospective de la CRE sur le gaz vert de 2019 estime que la méthanisation pourra
raisonnablement représenter 10 % de la consommation de gaz à horizon 2030. À horizon 2050, l’Ademe
évalue le potentiel de production de biométhane en France à 322 TWh, quand l’ICCT l’évalue à seulement
39 TWh. Le cabinet Carbone 4 (Transport routier, quelles motorisations alternatives pour le climat ?, novembre
2020) estime quant à lui que, dans une hypothèse optimiste, le biométhane ne pourra répondre qu’à 24 % de
la demande de transport lourd à horizon 2050.
46
2.2.3. Le secteur ferroviaire
47
Comparaison du TCO de la solution trains « Thermique vs H2 » - coût en absolu
ramené à un train
Source : SNCF
Le transport maritime émet chaque année 900 millions de tonnes de CO2, soit 2,6 % des
émissions mondiales, susceptibles de croître jusqu’à 1,7 milliards de tonnes à horizon 2050
selon l’Organisation Maritime Internationale.
La transition de ce secteur requerra la production de carburants décarbonés, dont plusieurs
options sont à l’étude : le gaz naturel liquéfié – qui diminue les émissions de CO2 de 30 %
mais représente des risques de fuite de méthane – le biométhane, l’ammoniac, le méthanol
ou encore l’hydrogène liquide.
60À la demande du gouvernement belge, le bureau d’étude Transport & Mobility Leuven (TML) a jugé le train
à hydrogène trop cher et recommandé l’électrification des lignes, complétée d’un recours à des locomotives à
batterie pour les tronçons peu utilisés.
48
Si l’hydrogène peut être utilisé pour des navires de faible puissance – tels que des ferries
ou des navettes fluviales grâce à des piles à combustible – l’hydrogène liquide ou ses
dérivés (ammoniac, méthanol) seront néanmoins encore très chers à horizon 2030 pour le
transport maritime de longue distance. L’Hydrogen Council estime ainsi – à partir de ses
hypothèses optimistes d’un coût de production d’hydrogène de 2,4 $ en 2030 – que le coût
d’abattement de l’hydrogène liquide s’élèvera à 330 $/tonne de CO2, soit un niveau élevé
par rapport à la valeur de l’action climat. Bloomberg estime qu’à l’horizon 2050, pour un
hydrogène à 1 $/kg, l’ammoniac vert sera compétitif avec le pétrole pour un prix du CO 2 de
145 $/t.
Il est donc vraisemblable que le transport maritime ne constituera pas un secteur
d’application pour l’hydrogène à l’horizon 2030. À plus long terme, en revanche, l’hydrogène
pourrait faire partie des solutions.
2.2.5. L’aviation
Le secteur aérien, qui représente 2 à 3 % des émissions mondiales de CO2, constitue l’un
des secteurs les plus difficiles à décarboner. Airbus a annoncé, à l’automne 2020, le
lancement d’un premier avion à hydrogène à horizon 2035, le plan de relance de 2020
prévoyant un soutien spécifique à cette filière.
Le recours à l’hydrogène soulève cependant d’importantes difficultés techniques qui devront
être résolues. La principale concerne le poids des réservoirs, facteur critique pour l’aviation.
Selon Eric DAUTRIAT – ancien Directeur des lanceurs du CNES – un Airbus A320 contient
23 tonnes de kérosène, soit l’équivalent énergétique de 9 tonnes d’hydrogène. Toutefois,
cet hydrogène occuperait, sous forme comprimée, un volume huit fois plus important que le
kérosène, et un volume encore quatre fois plus important sous forme liquéfiée – impliquant
de repenser fondamentalement l’architecture des avions. Au décollage, le kérosène
représentant 30 % du poids d’un moyen-courrier et 45 % de celui d’un long-courrier, un
réservoir trop lourd impliquerait moins de place pour des passagers ou du fret mais aussi
un besoin plus important d’énergie pour décoller. La puissance des piles à combustibles est
pour l’instant trop faible pour propulser un avion, ce qui nécessitera sans doute d’injecter
directement l’hydrogène dans les turbines à gaz. L’utilisation d’hydrogène dans les
aéroports implique, également, de résoudre toute une série de difficultés logistiques en
termes d’acheminement et de remplissage des avions.
Sur ces différents points, les problématiques de sécurité seront cruciales compte tenu des
caractéristiques de l’hydrogène (cf. 4ème partie), tout accident étant susceptible de remettre
en cause ce type de technologie.
D’un point de vue environnemental, enfin, l’impact du rejet de la vapeur d’eau à la limite de
la troposphère par un avion à hydrogène doit être expertisé, en étant susceptible de
contribuer à l’effet de serre.
À l’horizon 2030, l’avion à hydrogène ne devrait pas apparaître, hormis certains
micromarchés tels que les roulages sur tarmac. Au-delà, un potentiel de l’hydrogène est
subordonné à la capacité à surmonter les difficultés évoquées ci-dessus. À noter que
l’usage d’hydrogène sous forme de e-jet fuel constitue une autre piste qui éviterait de
transformer la motorisation de l’avion tout en réduisant significativement ses émissions.
49
2.3. Une injection dans les réseaux de distribution plus chère que le biométhane
L’hydrogène peut être injecté dans des réseaux de gaz pour plusieurs finalités : en mélange
avec le gaz naturel, il permet d’en décarboner les usages, le système gazier étant
responsable d’environ 100 Mt de CO2/an en France, soit 30 % des émissions. L’hydrogène
peut être également utilisé pour être couplé à du CO 2 afin de valoriser ce dernier et de
produire du méthane (méthanation), réinjecté ensuite dans les réseaux.
Il convient de bien distinguer ces deux finalités de l’injection d’hydrogène dans des réseaux
dédiés, gazoducs reconvertis ou nouvellement construits, pour faciliter sa distribution sur le
territoire, point qui sera abordé dans la sous partie suivante.
L’injection d’hydrogène en mélange avec du méthane dans les canalisations
existantes est techniquement possible jusqu’à 20 % comme l’a illustré l’expérience
GRHYD à Dunkerque. Cette dernière a consisté à injecter dans un nouveau réseau de
distribution un mélange d’hydrogène et de gaz naturel 61, avec des taux variables, pour
alimenter une centaine de logements neufs et une installation tertiaire. L’expérimentation a
confirmé la réduction des émissions de CO2 et de NOx. Elle a été bien acceptée par les
utilisateurs finaux de la zone. Toutefois, le retour d’expérience conclut à la limitation de ce
mode d’injection à des zones à fort débit et à saisonnalité réduite. Les faibles débits de
transit de gaz naturel durant l’été induisent une incapacité à injecter de l’hydrogène, car ils
empêchent une bonne régulation du taux de dilution de ce dernier. En revanche, cette
injection présente un coût économique élevé qui devrait rester très nettement supérieur à
celui du biométhane, principale autre option décarbonée. Selon l’Académie des
technologies – un kilo d’hydrogène fournissant 39 kWh d’énergie – l’injection coûte environ
125 €/MWh, pour un hydrogène électrolytique produit à 5 €/kg, contre 22 €/MWh pour le gaz
naturel, ce qui valorise le coût de carbone évité à 520 €/t62 et doit être comparé au coût de
production du biométhane, aujourd’hui de 90 à 100 €/MWh63 pour un gain environnemental
équivalent64. À l’horizon 2030, avec l’hypothèse d’un hydrogène produit à 3 €/kg, l’injection
dans les réseaux coûtera environ 75 €/MWh, soit une tonne évitée pour 300 €, niveau élevé
par rapport à la valeur de l’action climat. Ce prix de 75 €/MWh doit en outre être rapporté à
celui du biométhane, dont les perspectives d’efficience laissent espérer un prix autour de
60 €/MWh d’ici 2028 selon la PPE 2019 et qui présente, par ailleurs, des externalités
positives liées à la valorisation des déchets agricoles ou à la réduction de la pollution des
eaux65. Enfin, ces prix ne prennent pas en compte les coûts d’adaptation en aval (compteur,
systèmes de détection, adaptation des équipements domestiques fonctionnant au gaz
naturel), alors que ces équipements sont compatibles avec le biométhane. Toutefois, très
peu d’éléments sont disponibles à l’heure actuelle pour estimer des coûts d’adaptation
potentiellement très élevés.
La fabrication de méthane de synthèse (méthanation) à partir d’hydrogène consiste à
faire réagir de l’hydrogène et du CO2 pour fabriquer du biométhane. Elle vise à valoriser
localement le CO2 dans un contexte de solutions de CCS très limitées en France et peut
2019.
64 Autour de 20 g de CO /kWh.
2
65 Source : Comité de prospective de la Commission de régulation de l’énergie, Le verdissement du gaz, Juillet
2019.
50
être réalisée dans l’industrie ou dans les méthaniseurs. Compte tenu du prix du méthane et
du coût de l’installation de méthanation et de son fonctionnement. Pour un hydrogène
produit à 3 €/kg, le prix du CO2 s’élève autour de 350 €/tonne66.
2.4. Une absence de modèle économique à horizon 2030 pour le stockage des
excédents d’électricité
66L’Académie des technologies évalue cet usage compétitif à partir d’un prix du CO 2 de 260 € la tonne pour
un hydrogène décarboné produit à 2,5 €/kg et de 720 € pour un hydrogène issu d’EnR produit à 5 €/kg.
51
fonctionnant par piles à combustible pour la réalimentation provisoire du réseau de
distribution en cas d’incidents ou de travaux.
À l’horizon plus lointain de 2050, le recours à l’hydrogène dépendra fortement des choix
réalisés en matière de mix électrique, qui pourraient créer de forts besoins en stockage
inter-saisonniers. Selon EDF, ces besoins seront faibles, si un socle d’une vingtaine de GW
de capacité nucléaire est conservé. À noter que dans les scénarios envisageant une
production électrique reposant sur 100 % d’énergies renouvelables, l’hydrogène jouer un
rôle important. EDF estime qu’un stockage saisonnier d’environ 50 TWh d’électricité serait
nécessaire, et devrait être assuré en combinant différents moyens (hydrogène, biogaz).
Cette capacité de production aurait un coût de 200 à 300 €/MWh "utile". Par ailleurs, un
certain nombre de défis devraient être relevés dont l’adaptation des infrastructures pour
accueillir cet hydrogène et le stocker.
Enfin, il convient de noter que si le déploiement de l’hydrogène nécessitera la mise en place
de capacités électriques supplémentaires, RTE souligne que, sur le plan technique, le
système électrique est en mesure d’absorber le développement de l’électrolyse. L’objectif
de la stratégie nationale de produire 630 000 tonnes/an d’hydrogène électrolytique à
horizon 2035 entraînera la consommation de 30 TWh d’électricité, soit 6 % de la production
électrique totale à horizon 2035. Cet objectif est réalisable par rapport au mix de production
prévu dans le cadre de la PPE, qui prévoit un productible de 615 TWh d’électricité
décarbonée. Le système électrique français resterait largement exportateur à cet horizon.
Une révision à la hausse des ambitions françaises de production d’hydrogène par
électrolyse, conduisant par exemple à une consommation d’électricité de 40 TWh, est
compatible avec les caractéristiques du système électrique. Des analyses de RTE doivent
confirmer ce point.
52
2.5. Prioriser les usages et concentrer les infrastructures de distribution auprès des
grands centres de production et de consommation
Les développements qui précèdent illustrent que les différents usages de l’hydrogène sont
loin de disposer du même degré de maturité, seuls certains (substitution à l’hydrogène
carboné dans l’industrie, transport lourd) étant susceptibles de rencontrer un modèle
économique à l’horizon 2030.
68 Sur la base d’un hydrogène électrolithique à 4 € et un prix du carbone qui augmente de 50 € la tonne de
CO2 en 2024 à 100 € la tonne de CO2.
69 L’objectif est de créer 6,5 GW d’électrolyse à horizon 2030.
70 Source : Estimating Long-Term Global Supply Costs for Low-Carbon Hydrogen, Gregor Brändle Max
qui prévoyait d’importer massivement de l’électricité renouvelable depuis les pays du Maghreb. En outre, les
émissions de CO2 étant globales, l’importation d’hydrogène décarboné depuis les pays du Maghreb ne doit se
faire au détriment de la décarbonation de ces pays.
54
Prix de l’hydrogène en Allemagne en fonction de la zone de production à horizon
2050
55
La compatibilité de l’hydrogène avec les canalisations de gaz existantes fait
encore l’objet de recherche et d’évaluation
L’utilisation de canalisations de gaz naturel existantes pour faire circuler de
l’hydrogène, en mélange ou pur, nécessitera plusieurs chantiers avant d’être
développée. Le code de l’énergie prévoit que le passage du gaz naturel à
l’hydrogène est soumis à l’octroi d’une nouvelle autorisation d’exploiter sur la base
d’un dossier contenant notamment une étude des risques associés.
La compatibilité de l’hydrogène avec l’acier des tuyaux doit être examinée car ce
gaz pénètre et se diffuse plus facilement dans la maille cristalline des aciers
généralement utilisés pour les gazoducs et peut donc les fragiliser. En France, les
transporteurs de gaz naturel (GRTgaz et Teréga) ont lancé des programmes de
recherche liés au comportement des aciers et des soudures en présence
d’hydrogène en ce qui concerne le mélange de l’hydrogène avec le gaz naturel. Les
programmes de R&D relatifs à l’intégrité des aciers en présence de 100 %
d’hydrogène sont lancés en 2021 par RICE, le centre R&D de GRTgaz, sur ses
nouveaux bancs d’essai FenHYx dédiés à l’hydrogène et basés à Alfortville. Teréga
mènera également en 2021 des essais de comportement de soudures anciennes et
récentes en présence d’hydrogène à 100 %, en partenariat avec l’institut PPRIME,
structure dépendante du CNRS. Au sein de l’association technique européenne
Marcogaz, les transporteurs de gaz naturel élaborent un document présentant les
mesures mitigatoires à mettre en œuvre pour préserver l’intégrité des canalisations
hydrogène.
Le deuxième enjeu concerne la compatibilité au 100 % hydrogène des
équipements de compression actuels. Cette compatibilité est analysée
conjointement par les transporteurs de gaz et les fabricants ; les adaptations
nécessaires sont étudiées et font actuellement l’objet d’évaluations financières.
D’autre part, le marché de la compression pour l’hydrogène s’étoffe ; des offres sont
déjà disponibles ou en phase finale de qualification ; ces équipements sont en cours
d’évaluation
La dernière problématique a trait à l’intégrité des équipements des réseaux,
notamment les compteurs, les vannes et les détendeurs. Ces équipements devront
faire l’objet de tests permettant de vérifier leur intégrité en présence d’hydrogène.
GRTgaz va réaliser des essais à partir de mi-2021.
Ces travaux en cours permettront d’évaluer les conditions de conversion d’ouvrage
gaz en hydrogène et l’opportunité de développer, ou non, un réseau de transport
français et européen d’hydrogène.
d’hydrogène, seront à cet égard décisives. Si les producteurs d’aciers décident d’utiliser massivement de
l’hydrogène, il pourrait être opportun de déployer des gazoducs vers l’Espagne pour des importations à bas
coût en complément de productions locales sur le territoire français.
75 Une telle approche est partagée par l’Agence européenne de coopération des régulateurs de l’énergie
(ACER), qui, dans une publication parue en février 2021, recommande de mener une approche graduée pour
la régulation des réseaux de transport d’hydrogène, en lien avec le développement des usages.
57
Propositions du groupe de travail sur les usages
Concentrer les aides publiques sur les usages les plus mûrs : la substitution à
l’hydrogène gris actuellement consommé dans l’industrie, puis les transports lourds,
dans une perspective de création d’une filière industrielle.
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3. LE SOUTIEN À L’HYDROGÈNE DOIT S’EFFECTUER
DANS UNE LOGIQUE D’ÉMERGENCE D’UNE FILIÈRE
INDUSTRIELLE FRANÇAISE
Si la France est bien positionnée dans la course internationale qui se profile à la technologie
hydrogène – vert, jaune et bleu – la mise en place d’une stratégie sera indispensable pour
ne pas reproduire la situation qu’a connue l’industrie française avec les panneaux solaires
et les éoliennes.
Les industriels français sont présents sur toute la chaîne de valeur de l’hydrogène. Cette
nouvelle filière est d’abord constituée d’un écosystème d’entreprises dynamiques de taille
moyenne ou intermédiaire :
- McPhy, Elogen (ancien Areva H2Gen) et Genvia pour les électrolyseurs ;
- Symbio (joint-venture entre Michelin et Faurecia), Hélion (rachetée par Alstom) et
Pragma pour la mobilité et les piles à combustible ;
- SAFRA pour les bus ;
- Plastic Omnium et Faurecia pour les réservoirs ;
- Atawey, McPhy et HRS pour les stations-service ;
- Alcrys, Ad-Venta pour la connectique ;
- Sylfen pour les systèmes hybrides pour bâtiment autonome.
Cette filière est également constituée de grands groupes intégrateurs :
- Air Liquide, spécialiste mondial de l’hydrogène ;
- EDF qui, à travers sa filiale dédiée Hynamics, vise l’industrie et la mobilité et prend
des participations capitalistiques dans le secteur ;
- Engie est présent sur le power-to-gas avec des projets d’injection dans les réseaux
ou de stockage dans les cavités salines avec Storengy ;
- Total, qui privilégie la voie du reformage avec CCS, avec des projets en Norvège et
aux Pays-Bas. Le groupe a développé le projet Masshylia qui vise la décarbonation
de l’hydrogène industriel de la bioraffinerie de La Mède.
Toutefois, si la France est bien positionnée, elle doit faire face à la concurrence américaine,
allemande et surtout Chinoise. Ce dernier pays a en effet lancé une stratégie hydrogène
ambitieuse en 2020 et pourrait produire rapidement des composants compétitifs.
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Le pays affiche une ambition forte pour le développement de l’hydrogène dans la
mobilité. La Chine constitue déjà le premier marché mondial pour les ventes de
véhicules commerciaux à hydrogène (principalement des véhicules lourds comme
les bus) avec plus de 7 000 véhicules à pile à combustible vendus depuis 2016 et
des objectifs de 100 000 véhicules vendus en 2025 et 1 M en 2035.
Le Chine cherche à rattraper son retard par rapport à d’autres nations sur
beaucoup des composantes clés des piles à combustible, avec des produits
moins performants et une durée de vie moins longue, qui contraint aujourd’hui
les équipementiers chinois à importer depuis l’étranger des composants à des prix
plus élevés. Pour ce faire, le gouvernement chinois a supprimé l’ancien mécanisme
de subvention à l’achat de véhicules à hydrogène au profit d’un nouveau mécanisme
à point visant à inciter au développement d’une chaine industrielle complète pour les
piles à combustible et à permettre la maitrise des technologies clés. Ce mécanisme,
qui reprend celui mis en place pour les véhicules électriques en 2009, repose sur la
création de dix zones de démonstrations, situées dans des grandes villes ou des
alliances de villes. Ces dix zones seront hiérarchisées en fonction de l’atteinte de
critères tels que la capacité à produire un hydrogène sûr et bon marché et à créer
des conditions de marché pour la commercialisation de véhicules à piles à
combustibles ou encore du nombre de stations hydrogène créées. Les subventions
accordées seront comprises entre 2,5 et 5 Md$ sur 4 ans.
L’objectif recherché par la formation de ces clusters industriels est d’acquérir en
quatre ans des technologies avancées sur chacune des composantes des piles à
combustible et de créer des économies d’échelle pour faire baisser le prix de
l’hydrogène à la distribution en dessous de 5 €/kg, ainsi que celui des composants.
Selon le CEA, la réduction des coûts dans l’industrie des PAC serait de 30 % par
an, de sorte que le gouvernement estime que les subventions ne seront plus
nécessaires d’ici 4 ans si ce rythme se poursuit.
Un autre pan de cette nouvelle stratégie réside dans l’implication des grandes
sociétés d’État publiques – des compagnies d’électricité telles que State Power
Investment Corp. et pétrolières telle China Energy – sur la production d’hydrogène
et la construction de véhicules, de PAC et de stations-services. Les compagnies
internationales accélèrent également leur arrivée sur le marché chinois, qu’il
s’agisse de constructeurs d’électrolyseurs (Air Liquide, Siemens) ou automobile. Au
total, l’investissement dans le secteur a représenté 25 Md$ en 2020.
Enfin, sur les aspects normatifs, la Chine est très active dans les comités de
standardisation et cherche à transposer sa centaine de normes nationales au niveau
international.
Bien que la Chine affirme son ambition de s’orienter à terme vers la production
renouvelable, une partie de l’hydrogène déployé dans la mobilité sera carboné dans
un premier temps afin de créer rapidement des effets d’échelle. L’hydrogène vert ne
devrait représenter que 15 % de la production en 2030 et 70 % en 2050. L’usage du
CCS dépendra principalement des percées technologiques dans ce secteur. La
Chine s’intéresse aussi à l’hydrogène produit par l’énergie nucléaire, eu égard aux
100 réacteurs actuellement en chantier.
Les pouvoirs publics doivent donc mettre en œuvre une stratégie intelligente de soutien aux
producteurs et fabricants nationaux qui produisent et fabriquent certains composants
essentiels (électrolyseurs, PAC, réservoirs, électronique de puissance et embarquée), mais
60
aussi les composants élémentaires à valeur ajoutée ou stratégique. Les stacks (assemblage
de cellules) des électrolyseurs et des piles à combustible sont ainsi constitués de deux
composants clés : l’assemblage d’électrode à membrane (MEA) et les plaques bipolaires,
obtenues par une technologie simple et accessible. Ces composants doivent ensuite être
assemblés (cf. graphique ci-dessous). Si DuPont de Nemours possède une maitrise de la
fabrication de MEA avec le Nafion, des petits fabricants nationaux peuvent émerger. La
France doit également pouvoir se doter de fabricants de plaque bipolaire et d’une
gigafactory d’assemblage. Les catalyseurs des électrolyseurs apparaissent également
comme des composants clés.
Composants d’un électrolyseur
Les pouvoirs publics doivent mobiliser l’écosystème français et européen au service de ces
fabricants de composants. Ces derniers sont souvent des petites entreprises qui ont besoin
d’augmenter leur capacité de production pour diminuer les coûts et améliorer leur potentiel
à l’export. Or, les grands groupes ont des comportements classiques, privilégiant l’achat
des composants les moins chers sur les marchés internationaux, ce qui risque d’empêcher
la création d’un effet d’entraînement pour les petits fabricants. Certains projets en cours de
développement sur le territoire français privilégient ainsi le recours à des technologies
chinoises.
Le Projet important d’intérêts européen commun (PIIEC) en cours de montage dans le
secteur de l’hydrogène76, ainsi que le soutien national à l’achat d’hydrogène décarboné
annoncé lors du plan de relance, pourraient accorder une attention particulière à ces
fabricants français et européens de composants essentiels, bénéficiaires par ailleurs d’aides
ciblées (aides à l’exportation, aides de BPI). En outre, les acteurs publics pourraient
favoriser l’approvisionnement en composants français et européens dans le cadre de la
commande publique (par exemple en renforçant les critères environnementaux ou d’impact
sur la structuration de la filière nationale) ou des appels à projets auxquels ils répondent.
Des rapprochements entre les fabricants et les acteurs, par exemple les constructeurs de
PAC, les fabricants de camions et les acheteurs de poids lourds à travers la FNTR,
pourraient être favorisés, au sein des différents comités stratégiques de filière qui
considèrent l’hydrogène dans leur feuille de route et du Conseil national de l’hydrogène. La
76 La pré-notification est attendue pour mi-2021, la notification d’ici fin 2021 et le démarrage début 2022.
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filière française pourrait en outre se montrer davantage active dans les comités de
normalisation afin de promouvoir ses normes.
L’État doit également protéger la filière de la concurrence déloyale d’autres pays. Il convient
d’être vigilant quant au dumping de la Chine et d’activer si nécessaire les outils de protection
au niveau européen. Les entreprises produisant les technologies les plus prometteuses
pourraient être protégées d’acquéreurs étrangers au titre du décret n° 2014-479 du 14 mai
2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable.
Il existe enfin un risque sur l’approvisionnement en matières premières. La ressource en
nickel est indispensable pour la fabrication de catalyseurs pour les électrolyseurs alcalins.
Si ce métal connaît aujourd’hui une surproduction, l’absence d’investissement dans des
usines nouvelles risque de créer des tensions d’ici cinq ans. Les ressources en nickel de la
Nouvelle-Calédonie représentent pour notre pays un atout à mobiliser. Le platine pour les
PAC et surtout l’Iridium pour les électrolyseurs PEM sont encore plus critiques. Il existe enfin
une menace sur l’utilisation en Europe de produits fluorés comme la membrane en PFSA
utilisée dans les PAC et électrolyseurs PEM. Pour faire face à ces risques en termes de
matériaux, mais aussi pour accompagner les industriels, un très fort soutien en termes de
R&D est indispensable aussi bien au niveau français qu’européen.
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Propositions du groupe de travail sur la structuration industrielle d’une filière
hydrogène
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4. LE DÉVELOPPEMENT DE L’HYDROGÈNE DOIT
IMPÉRATIVEMENT S’ACCOMPAGNER DE LA PRISE EN
COMPTE DES ENJEUX DE SÉCURITÉ
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station-service en Norvège a conduit à la suspension provisoire de la vente de véhicules à
hydrogène par Toyota et Hyundai et la fermeture provisoire des autres stations.
Source : INERIS
L’hydrogène est manipulé de longue date dans les secteurs industriels. Ces derniers ont
donc acquis une maitrise des propriétés de ce gaz. L’Institut national de l'environnement
industriel et des risques (INERIS) souligne ainsi le peu d’accidentalité dans ce secteur.
Toutefois, l’extension de l’utilisation de l’hydrogène à de nouveaux usages, par des
acteurs non nécessairement formés au risque H2, nécessite des travaux d’ampleur de
compréhension des risques, de définition de l’architecture des systèmes de sécurité pour
chaque nouvel usage, d’amélioration de la fiabilité et de la robustesse des composants, de
formation de la main-d’œuvre et enfin d’évolution du cadre règlementaire.
Il convient d’abord de mieux comprendre les risques liés à chaque nouvelle utilisation
pour pouvoir définir l’architecture de sécurité des nouveaux systèmes à hydrogène.
Dans la mobilité, le déploiement de l’hydrogène débouchera sur de nouveaux modes de
stockage à bord des véhicules et dans les infrastructures, à une utilisation prévisible de
l’hydrogène liquide ou comprimé pour améliorer la densité énergétique alors qu’il existe peu
de connaissances en termes d’accidentologie pour l’hydrogène liquide, ou encore à
l’adaptation des infrastructures (ports, gares, aéroports, tunnels, parkings, ateliers de
maintenance). Ces nouveaux usages doivent être précédés d’un travail d’analyse des
risques et de définition des mesures pour les maitriser, comme les systèmes de détection
des fuites, de ventilation et d’évent, de l’adaptation des protocoles de remplissage, de la
démonstration de la prise en compte du risque d’explosion (certification) et enfin de travaux
pré-normatifs. Par ailleurs, au même titre que lorsque l’hydrogène est utilisé sur des sites
industriels, il sera nécessaire d’envisager l’implantation de capteurs pour détecter
d’éventuelles fuites. L’autorisation des véhicules à hydrogène à circuler dans les tunnels ou
à stationner dans un parking souterrain doit également être expertisée.
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Le travail de maîtrise des risques de sécurité mené à la SNCF pour le train à
hydrogène
La SNCF travaille à la maîtrise des risques de la conception, exploitation,
avitaillement, jusqu’à la maintenance.
Au stade de la conception, un travail est mené avec le constructeur Alstom sur
l’intégration des systèmes hydrogène pour évaluer la résistance aux différents types
de chocs et pour limiter et contrôler les fuites.
Concernant le stockage et l’avitaillement, la SNCF travaille de concert avec les
énergéticiens et les services de l’État (DREAL, DGPR) sur l’interface entre le train
et la station. La règlementation nécessite d’être adaptée.
Pour la sécurité de l’exploitation, un travail est réalisé sur des fuites potentielles avec
l’INERIS et la DGITM, avec des simulations de fuite dans un tunnel ou une gare
souterraine. Les trains à hydrogène ne pourront circuler que dans les tunnels
inférieurs à 5 km. En outre, le stockage de l’hydrogène est réalisé dans plusieurs
réservoirs, de sorte qu’une fuite sera limitée en quantité. Un système de détection
sera mis en place. Enfin, des batteries offriront une capacité de traction
supplémentaire pour que le train ne soit pas arrêté dans le tunnel.
La sécurité de la maintenance du train porte sur l’analyse des risques dans les
technocentres. Le matériel sera purgé de l’hydrogène résiduel avant d’entrer dans
l’établissement. Au cas où cette purge n’aurait pas été réalisée, des capteurs
détecteront les éventuelles fuites.
Le stockage en cavité nécessite d’évaluer les pertes d’hydrogène par diffusion à travers
les roches ou les puits d’accès ou encore les interactions, de nature géochimique et
biologique entre l’hydrogène et la cavité. Le transport par canalisation nécessite d’évaluer
la compatibilité des matériaux des canalisations avec l’hydrogène (cf. 2ème partie),
l’adéquation des dispositifs de sécurité et la conversion métrologie gaz.
Il s’avère indispensable d’étudier et d’améliorer la fiabilité et la robustesse des
composants, par exemple les compresseurs ou des composants domestiques (bruleur) en
cas d’utilisation d’hydrogène pour le chauffage ou des composants des voitures. La
problématique se pose de manière accrue pour les composants de sécurité, qu’il s’agisse
de leur compatibilité avec l’hydrogène, de leur tenue dans le temps (cyclage) ou de
l’adaptation à un usage non industriel, qui implique des possibilités moindres en termes de
maintenance et de tolérance aux erreurs.
Pour l’ensemble des usages, un travail doit être mené sur la formation et la certification
des compétences de la nouvelle main-d’œuvre du secteur de l’hydrogène. Cette
formation concerne d’abord les techniciens de maintenance (notamment pour les matériels
ATEX et ESP), les techniciens d’exploitation, les ingénieurs (conception, règlementation,
analyse de risques, ATEX), mais aussi les décideurs publics au niveau des territoires, qui
doivent acquérir une connaissance des risques et du cadre règlementaire et une culture de
sécurité. Les futurs utilisateurs devront également être sensibilisés. L’INERIS travaille avec
les services de secours sur les interventions d’accidents à hydrogène compte tenu de
l’invisibilité de la flamme, qui nécessite l’équipement en capteurs de température. L’École
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nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (ENSOSP) a mis au point les
procédures d’intervention en situation accidentelle impliquant de l’hydrogène et forme les
compagnies de pompiers en France.
Enfin, il conviendra de capitaliser sur les retours d’expérience des accidents et des
incidents. Une base de données européenne (HIAD) vient d’être mise en place et est gérée
par le Centre commun de recherche européen. Selon l’INERIS, l’accident en Norvège
semble avoir eu pour cause un problème de conception initiale des réservoirs, mais aussi
des facteurs humains, notamment sur la phase de montage de la station, une procédure de
serrage de boulon n’ayant pas été respectée. Cet accident soulève l’importance de la
formation et du facteur humain, de la détection d’hydrogène, ainsi que de la nécessité
d’approfondir la compréhension des mécanismes d’inflammation80.
Ces axes de travail doivent être accompagnés d’adaptations du cadre règlementaire.
Concernant les installations classées, une adaptation récente a eu lieu pour le déploiement
des stations-service. Concernant la mise sur le marché des équipements, des directives
(DESP, Machine, ATEX, CEM) prévoient que le risque explosion est en partie évalué par
auto-certification. Le code du travail (ATEX) nécessite des guides d’application de la
règlementation pour définir des scénarios de référence. L’homologation des véhicules et
des composants est prise en charge par la règlementation européenne ((EC) 79/2009 et
R 134), laquelle nécessite d’être complétée à partir de 2022 pour la mobilité lourde,
l’hydrogène liquide et la mobilité légère (deux-roues, tricycles et quadricycles). Une
règlementation spécifique à l’hydrogène doit être développée pour encadrer la sécurité des
transports ferroviaire, naval, fluvial, aérien ou encore les infrastructures de parking, ports,
aéroports et tunnels.
Les organisations internationales de standardisation (ISO et IEC) disposent de comités
techniques sur les technologies de l’hydrogène (TC 197) et les piles à combustible (TC 105).
Chaque comité a développé des standards internationaux sur la sécurité couvrant la
production, le stockage et son utilisation avec des PAC et en développe des nouveaux pour
répondre aux nouvelles applications81. Ces standards servent souvent de bases pour les
réglementations nationales et européennes. Il apparaît donc opportun d’intensifier la
participation française dans les activités de normalisation et de coopération internationale
sur les enjeux de sécurité.
Enfin, les assureurs devront mener une analyse approfondie sur les risques liés à des
usages non industriels pour pouvoir assurer le risque hydrogène dans la mobilité ou l’usage
résidentiel, qui n’est, à ce jour, pas réassurable.
80 L’hypothèse selon laquelle cette dernière aurait été causée par l’impact du jet d’hydrogène sur les graviers
n’a pas encore été vérifiée.
81 Par exemple, un groupe a été lancé par Alstom à l’IEC sur les trains à hydrogène.
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Propositions du groupe de travail sur la sécurité
Introduire dans les conditions d’éligibilité aux appels d’offres, notamment territoriaux,
des critères relatifs à la sécurité des biens et des personnes.
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#éclairerlavenir
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