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These D'etat Guimdo

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UNIVERSITE DE YAOUNDE II

--------------------
FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES

LE JUGE ADMINISTRATIF CAMEROUNAIS


ET L'URGENCE
RECHERCHES SUR LA PLACE DE L’URGENCE DANS
LE CONTENTIEUX ADMINISTRATIF CAMEROUNAIS

THESE DE DOCTORAT D’ETAT EN DROIT PUBLIC


Présentée et soutenue publiquement

Par
Bernard-Raymond GUIMDO DONGMO
Docteur 3è Cycle en Droit Public

Sous la direction de :

Monsieur le Pr. Maurice KAMTO


Agrégé de Droit Public
Doyen de la FSJP

Devant un jury composé de :

- Pr. Geneviève KOUBI, Université de Cergy-Pontoise, Présidente


- Pr. Maurice KAMTO, Université de Yaoundé II, Directeur de la thèse
- Pr. Pierre-Henri PRELOT, Université de Cergy-Pontoise, Membre
- Pr. Stéphane DOUMBE-BILLE, Université Jean Moulin-Lyon 3, Membre
- Pr. Joseph- Marie BIPOUN WOUM, Université de Yaoundé II, Membre

Année Académique 2003-2004 27 Mars 2004


DEDICACE

A mes enfants,

Pour le bonheur et la joie


qu’ils m’ont apportés.

Je les aime très fort.

i
REMERCIEMENTS

J'exprime ma reconnaissance et ma profonde gratitude :

- Au Doyen Maurice KAMTO,


KAMTO qui a accepté de diriger ce travail
et l'a fait avec patience, rigueur et méthode.

- A Madame le Professeur Geneviève


Geneviève KOUBI,
KOUBI Directeur du
Centre d'Etudes et de Recherches : Fondements du Droit Public
(CER : FDP) de l'Université de Cergy-Pontoise qui a accepté de
nous recevoir dans son Centre, a soutenu et suivi la réalisation
de ce travail.

- A Monsieur le Professeur Pierre


Pierre-
rre-Henri PRELOT,
PRELOT Directeur de
l'Ecole doctorale de Droit et des Sciences Humaines de
l'Université de Cergy-Pontoise, pour son soutien intellectuel et
matériel.

- A Monsieur le Professeur Patrice CHRETIEN de l'Université de


Cergy-Pontoise, pour ses remarques et observations fort
judicieuses et instructives.

- A l'Agence Universitaire de la Francophonie (AUF),


(AUF) qui nous a
permis, grâce à la bourse post doctorante qu'elle nous a
accordée, non seulement d'achever ce travail, mais également
d'en réaliser un autre.

- A Monsieur Alexis TSANGNING,


TSANGNING pour la saisie et la mise en
forme de ce travail.

- Au Dr. Jean-
Jean-Paul KENFACK,
KENFACK qui a bien voulu nous aider dans
la relecture du manuscrit.

- A ma chère épouse,
épouse pour sa patience, son assistance de tous les
instants lors de l'élaboration et la réalisation de ce travail.

ii
LISTE DES ABREVIATIONS ET SIGLES

AJDA: Actualité Juridique Droit Administratif


Ass. : Assemblée
CCS : Commission Communale de Supervision
CE : Conseil d’Etat
CFJ /CAY : Cour Fédérale de Justice/ Chambre Administrative de Yaoundé
Chr.: Chronique
CNRS : Centre National de Recherche Scientifique
CS/AP : Cour Suprême /Assemblée Plénière
CS/CA : Cour Suprême/ Chambre Administrative
D.: Dalloz
D.A: Droit Administratif
Gaz. Pal.: Gazette du Palais
J. Cl. Dr. Adm : Juris Classeur Droit Administratif
Obs.: Observations
ONG : Organisations Non Gouvernementales
Ord. : Ordonnance
PCA/CS: Président de la Chambre Administrative/ Cour Suprême
RA ou Rev. Adm. : Revue Administrative
RCD : Revue Camerounaise de Droit
RDP: Revue du Droit Public et de la Science Politique
Rec. : Recueil des décisions du Conseil d’Etat
RFDA : Revue Française de Droit Administratif
S. : Sirey
Sect.: Section
TA : Tribunal Administratif

iii
SOMMAIRE
DEDICACE ........................................................................................................... i

REMERCIEMENTS .............................................................................................. ii

LISTE DES ABREVIATIONS ET SIGLES ........................................................... iii

SOMMAIRE …………………………………………………………………………….iv

INTRODUCTION GENERALE ........................................................................... 1

PREMIERE PARTIE : LES MANIFESTATIONS DE LA PRISE EN COMPTE

CONTINGENTE DE L'URGENCE DANS LA PROCEDURE CONTENTIEUSE..46

TITRE I : LA PRISE EN COMPTE CONTINGENTE DE L’URGENCE DANS

L’APPLICATION DES PROCEDURES CONTENTIEUSES ACCESSOIRES ..... 50

CHAPITRE I : LA FLUCTUATION DU CONTROLE DE LA RECEVABILITE


DES DEMANDES ANNEXES ..................................................... 52

SECTION I : L'APPRECIATION DE LA RECEVABILITE EXTERNE DES


DEMANDES ANNEXES .................................................................. 54

SECTION II : L'APPRECIATION DE LA RECEVABILITE


INTERNE DES DEMANDES ANNEXES ........................................ 98

CHAPITRE II : L’INSTABILITE DE L'INSTANCE CONTENTIEUSE


ACCESSOIRE .............................................................................. 117

SECTION I : L’INSTABILITE DE L’INSTANCE ACCESSOIRE INITIALE ............. 119

SECTION II : L’INSTABILITE DE L’INSTANCE ACCESSOIRE DERIVEE………..142

TITRE II : LA PRISE EN COMPTE CONTINGENTE DE L’URGENCE DANS

L’APPLICATION DES PROCEDURES CONTENTIEUSES SPECIALES ........... 171

CHAPITRE I : LA FLUCTUATION DU CONTROLE DE LA RECEVABILITE


DES DEMANDES .......................................................................... 173

SECTION I : L’APPRECIATION DE LA RECEVABILITE EXTERNE DES


DEMANDES .................................................................................... 174

SECTION II : L’APPRECIATION DE LA RECEVABILITE INTERNE


DES DEMANDES ........................................................................... 205

iv
CHAPITRE II : L’ALOURDISSEMENT DE L’INSTANCE CONTENTIEUSE
SPECIALE.................................................................................... 230

SECTION I : L’ALLEGEMENT LIMITE DU CADRE FORMEL


DE L’INSTANCE CONTENTIEUSE SPECIALE ............................. 231

SECTION II : L’ELASTICITE DU CADRE TEMPOREL DE L'INSTANCE


CONTENTIEUSE ............................................................................ 256

SECONDE PARTIE : LES EFFETS DE LA PRISE EN COMPTE CONTINGENTE

DE L'URGENCE SUR LA SITUATION CONTENTIEUSE .................................. 280

TITRE I : L 'EDICTION PARCIMONIEUSE DES MESURES PRESERVANT


PROVISOIREMENT LES DROITS DU DEMANDEUR ......................... 283

CHAPITRE I : L’OCTROI DISCRIMINATOIRE DU SURSIS A EXECUTION ...... 285

SECTION I : L'APPRECIATION FLUCTUANTE DES CONDITIONS


LEGISLATIVES D'OCTROI DU SURSIS A EXECUTION................ 287

SECTION II : LA PRISE EN COMPTE D’EXIGENCES PARTICULIERES


POUR L'OCTROI DU SURSIS A EXECUTION .............................. 340

CHAPITRE II : L'OCTROI EXCEPTIONNEL DU REFERE ADMINISTRATIF .... 358

SECTION I : L’APPREHENSION RELATIVEMENT STRICTE DES


CONDITIONS POSITIVES D’OCTROI DU REFERE
ADMINISTRATIF………………………………………………………….360

SECTION II : L’APPREHENSION INDECISE DES CONDITIONS


NEGATIVES D’OCTROI DU REFERE ADMINISTRATIF ............... 384

TITRE II : L ’EDICTION LIMITATIVE DES MESURES PRESERVANT


DEFINITIVEMENT LES DROITS DU DEMANDEUR .......................... 411

CHAPITRE I : LA PRESCRIPTION LIMITATIVE DE MESURES DEFINITIVES


SOLLICITEES EN MATIERE ELECTORALE .............................. 413

SECTION I : LA PRESCRIPTION LIMITATIVE DES MESURES D’URGENCE


DEFINITIVES DANS LE CONTENTIEUX DES OPERATIONS
PREPARATOIRES A L’ELECTION ................................................ 415

SECTION II : LA PRESCRIPTION LIMITATIVE DES MESURES D’URGENCE


DEFINITIVES DANS LE CONTENTIEUX DES OPERATIONS
ELECTORALES.............................................................................. 433

CHAPITRE II : LA PRESCRIPTION LIMITATIVE DE MESURES DEFINITIVES


SOLLICITEES DANS LES AUTRES MATIERES ....................... 449

v
SECTION I : L’ADMISSION SELECTIVE DE LA VALIDITE DES
CONTESTATIONS RELATIVES A LA REGULARITE DU
REFUS DE LEGALISATION DES PARTIS POLITIQUES .............. 451

SECTION II : LA MECONNAISSANCE SYSTEMATIQUE DE LA VALIDITE


DES CONTESTATIONS PORTANT SUR LA REGULARITE
DE LA DISSOLUTION DES ASSOCIATIONS .............................. 473

CONCLUSION GENERALE ................................................................................ 503

BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................. 508

ANNEXES ............................................................................................................ 530

TABLE DES MATIERES ...................................................................................... 589

vi
INTRODUCTION GENERALE

1
Gardien de la légalité administrative ou gardien administratif de la légalité1, le
juge administratif joue un rôle déterminant dans la préservation de l’Etat de droit2.
Tantôt vilipendé, tantôt loué, il est au cœur des relations entre administration et
administrés qu’il doit protéger. D’abord, en évitant que l’action administrative ne porte
atteinte aux droits et/ou libertés des administrés. Ensuite, en veillant à ce que
l’administré respecte la législation administrative. Anatole France ne disait-il pas « la
loi est morte, mais le juge est vivant »3, pour traduire le rôle majeur que joue le juge
en société ? En effet, comme l’a si bien écrit Michel Dran, « la loi est immatérielle et
lointaine, on ne peut la concevoir et l’imaginer qu’à travers des mots, des formules.
Le juge, lui, est un homme ; même s’il s’entoure d’une certaine solennité, on peut
parvenir jusqu’à lui, se faire entendre, entrer en communication avec lui et lui faire
connaître chaque situation particulière »4.

Initialement, la juridiction ou le juge administratif a été institué pour exercer


une fonction contentieuse qui consiste à trancher les litiges mettant en cause
l’administration ou ceux auxquels elle est partie. Mais, cette fonction en a engendré
d’autres de second type, les unes manifestes telle la fonction de contrôle et la
fonction normative, les autres, latentes, comme la fonction de régulation politique5.

La fonction contentieuse vise à mettre fin à une situation litigieuse, « le


recours au juge étant ici un moyen pour le requérant de sauvegarder ses droits ou
ses intérêts particuliers »6. Quant à la fonction de contrôle, elle a pour but de
soumettre l’Administration au droit ; ici, la saisine du juge « devient alors plus
largement un instrument de régulation de l’action administrative, indépendamment de
la satisfaction donnée ou non au requérant »7.

1
Lire Jean Rivero, « Le juge administratif : gardien de la légalité administrative ou gardien administratif de la
légalité ? », Mélanges Marcel Waline, Paris, LGDJ, 1974, pp.701-717.
2
Pour Yves Gaudemet in « L’avenir de la juridiction administrative », Gaz. Pal, 1979, Doctrine, p. 511, « l’Etat
de droit signifie que l’administration, dans ses interventions, est tenue au respect de la règle de droit, comme le
sont les particuliers » et « la juridiction administrative est le produit de cette conviction » car, « elle est un
système de contrôle juridictionnel qui d’une part assure la sanction des méconnaissances du droit par
l’Administration, et d’autre part, peu à peu, pas sa jurisprudence, élabore le droit ».
3
Cité par Michel Dran, in Le contrôle juridictionnel et la garantie des libertés publiques, Paris, LGDJ, 1968, p.25.
4
Ibid.
5
Danièle Lochak, La justice administrative, 3e éd., Paris, Montchrestien, 1998, p. 93. Sur ces points, voir aussi :
Prosper Weil, Le droit administratif, Que sais-je ? n°1152, 12ème éd., Paris, PUF, 1987.
6
D. Lochak, ibid.

2
La fonction normative consiste, elle, à déterminer les règles auxquelles doit
obéir l’action administrative. Dans le contexte français, c’est ce pouvoir normatif du
juge qui a « imprimé sa marque au droit administratif, qui apparaît comme un droit
autonome, d’origine essentiellement jurisprudentielle, élaboré par le juge en dehors
ou presque de toute intervention législative »8.

En assumant toutes ces fonctions, « le juge exerce au sens le plus large une
fonction de régulation qui est fondamentalement une fonction politique »9.

Le juge administratif camerounais, qu’il convient d’identifier, ne déroge pas à


cette règle.

I. IDENTIFICATION DU JUGE ADMINISTRATIF CAMEROUNAIS

Le juge administratif tel qu’il existe au Cameroun est une juridiction10.

D’abord, il examine des contestations, sa décision a « pour objet de trancher


un litige, de dire le droit »11 et dispose, pour l’essentiel, d’une certaine autorité car
elle s’impose aux parties et à lui-même.

Ensuite, ceux qui le constituent ou l’incarnent ont la qualité de magistrats ; la


procédure suivie devant lui est essentiellement contradictoire ; tandis que ses
décisions peuvent faire l’objet de recours.

Lato sensu, le juge administratif est un organe collégial ou pluripersonnel ; stricto


sensu, c’est un organe unique ou unipersonnel.

7
Ibid.
8
Ibid.
9
Ibid.
10
Sur les différentes façons dont la notion de juridiction peut être définie, lire Raymond Carré De Malberg,
Contribution à la théorie générale de l’Etat, Paris, Sirey, 1920 ,T1, pp. 691-816 ; Marcel Waline, « Du critère
des actes juridictionnels », RDP, 1933, pp 565-572 ; Charles Eisenmann, Le droit des actes (Cours du DES de
Droit public, 1953-1956), « Les cours de droit », pp. 50-114 ; Pierre Lampué, « La notion d’acte juridictionnel »,
RDP ,1946-1 ; Jean De Soto, « La notion de juridiction », Dalloz, Chr, 1956, pp 45-50 ; H. Solus et R. Perrot,
Droit judiciaire privé, Paris, Sirey, 1961, T1, n°465-481 ; Marcel Waline, Précis de droit administratif, Paris,
Montchrestien, 1969, p. 151. René Chapus, «Qu’est-ce qu’une juridiction ? la réponse de la jurisprudence
administrative », Recueil d’Etudes en hommage à Charles Eisenmann, Paris, Ed. Cujas, 1977, pp 265-292 ;
Olivier Gohin, « Qu’est ce qu’une juridiction pour le juge français ?”, Droits n°9 ( Revue Française de Théorie
juridique), 1989, pp 93-105 ; Charles Debbasch et Jean-Claude Ricci, Contentieux administratif, 7e éd., Paris,
Dalloz, 1999, pp. 162-165 ;voir aussi, la communication portant sur cette notion de juridiction in La
juridictionnalisation du droit international, Colloque SFPI, Paris, Pedone, 2002.

3
A. UN ORGANE COLLEGIAL OU PLURIPERSONNEL

« On désigne sous le terme générique de " juge administratif " l’ensemble des
juridictions administratives »12 ; mais, dans le contexte camerounais, le juge
administratif en tant qu’ organe collégial est représenté par la seule Cour Suprême
statuant en matière administrative. En effet, il n’existe pas au Cameroun une
juridiction administrative organiquement distincte de la juridiction judiciaire13. Ce qui
tient lieu de juridiction ou de juge administratif, c’est la Chambre administrative et
l’Assemblée plénière de la Cour Suprême.

1. L’inexistence d’un juge administratif organiquement autonome

Le problème de l’existence dans les Etats africains d’expression française


d’une juridiction administrative autonome est très controversé et les solutions
adoptées diffèrent d’un Etat à un autre14. Mais les différences sont de degré et non
de nature15. En effet, l’idée d’ensemble qui se dégage de ces solutions est que ces
Etats ont opté, pour l’essentiel, au - delà de quelques variances16, pour un monisme
organique ou pour ce que le Doyen Maurice Kamto appelle un « deux dans - l’un
juridictionnel » 17.

Il y a dans ces différents pays « un souci de recherche d’unité qui s’avère


difficile en raison de la qualité de l’une des parties qui est l’administration. C’est
pourquoi d’ailleurs cette unité n’a pas osé s’étendre aux règles applicables qui
demeurent le droit administratif, c’est-à-dire le droit de la puissance publique »18. Il
existe quelque particularité dans un pays comme le Cameroun où l’unité organique

11
Ch. Debbasch et J-C Ricci, ibid, p. 163.
12
Georges Vedel et Pierre Delvolvé, Droit administratif, T2, 12è éd. , Paris, PUF , 1992, p. 19.
13
Cette question a été largement étudiée par tous les auteurs qui se sont penchés sur le contentieux administratif
au Cameroun. Voir, par ex., Henri Jacquot, « Le contentieux administratif au Cameroun », RCD n° 7, janvier-
juin 1975, pp.81-91 ; Joseph Owona, Droit administratif spécial de la République du Cameroun, Paris, EDICEF,
1985, 256p. et Maurice Kamto, « La fonction administrative contentieuse de la Cour Suprême du Cameroun », in
Les Cours Suprême en Afrique, vol .III, La jurisprudence administrative, sous la direction de Gérard Conac et de
Jean de Gaudusson, Paris, Economica, 1988, pp.31-67.
14
Louis Koffi Amega, « Dix ans de droit en Afrique noire », Penant n°737, 1972, p. 293.
15
Sur l’évolution de la justice administrative dans les Etats d’Afrique d’expression française avant et après les
indépendances jusqu’ en 1965, lire Pierre Lampué , « La justice administrative dans les Etats d’Afrique
francophone », RJPIC n°1, janv.-mars 1965, pp. 3-31.
16
Voir à ce sujet, Le contentieux administratif et l’Etat de droit , Actes du Séminaire d’échanges et de
perfectionnement, Marrakech, 14-21 décembre 1996, Agence de la Francophonie, 1997, 333 p.
17
M. Kamto, « La fonction administrative contentieuse de la Cour Suprême du Cameroun », in Les Cours
Suprêmes en Afrique, III, La jurisprudence administrative, sous la direction de Gérard Conac et Jean de
Gaudusson, Paris, Economica, 1988, p. 31.
18
L. Koffi Amega, op. cit., pp. 293-294.

4
de la juridiction administrative est tributaire de son évolution politique et
institutionnelle. C’est un Etat bi-culturel, qui est à la fois francophone et
anglophone19.

Il reste que, pour l’essentiel, « tous les Etats africains marqués par la tradition
française ont opté pour le maintien d’un contentieux administratif autonome. Mais ce
choix ne se traduit pas par l’institution d’une juridiction administrative elle-même
autonome »20.

La juridiction administrative au Cameroun, ou ce qui en tient lieu, peut être


appréhendée sur le plan organique sous une double perspective, à savoir ce qui est
prévu et ce qui est effectif.

La Constitution du 18 janvier 1996 a prévu, d’une part, une Chambre


Administrative au sein de la Cour Suprême21 chargée de connaître de l’ensemble du
contentieux administratif de l’Etat et des collectivités publiques ; de connaître en
appel du contentieux des élections régionales et municipales ; de statuer
souverainement sur les décisions rendues en dernier ressort par les juridictions
inférieures en matière de contentieux administratif et de connaître de tout litige qui lui
est attribué par la loi22, d’autre part, des juridictions administratives inférieures23. A
cet effet, elle énonce que « l’organisation, le fonctionnement, la composition, les
attributions des Cours d’Appel, des Tribunaux de l’ordre judiciaire, des tribunaux
administratifs et des juridictions inférieures des comptes ainsi que les conditions de
saisine et la procédure suivie devant eux sont fixés par la loi »24.

En attendant la mise en oeuvre de cette nouvelle organisation25 de la justice


administrative, ce sont deux formations administratives de la Cour Suprême qui
officient comme juge administratif.

19
V. M. Kamto, op. cit., p. 32.
20
Jean du Bois de Gaudusson, « La Jurisprudence administrative des Cours Suprêmes en Afrique », in Les Cours
Suprêmes en Afrique, op. cit., p.5.
21
V. article 38, §2 al2 de la loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972.
22
V. article 40 de la loi n°96/06.
23
V. article 30 al. 4 de la loi n°96/06.
24
V. article 42.2 de la loi n°96/06.
25
Sur les perspectives ouvertes par cette réforme constitutionnelle de la justice administrative au Cameroun, lire
Célestin Sietchoua Djuitchoko, « Perspectives ouvertes à la juridiction administrative du Cameroun par la loi
n°96/06 du 18 janvier 1966 portant révision de la constitution du 02 juin 1972 », Annales de la Faculté des
Sciences juridiques et Politiques de l’Université de Dschang, T1 vol. 1, 1997, pp 162-175.

5
2. L’existence au sein de la Cour Suprême de deux formations officiant

comme juge administratif

Le juge administratif au Cameroun est une composante de la Cour Suprême.


Deux formations de celle-ci en sont l’expression institutionnelle : la Chambre
administrative et l’Assemblée plénière. Celles-ci ont pour ancêtres le Conseil du
Contentieux Administratif institué en 1920, le Tribunal d’Etat créé en 1959 pour
remplacer le Conseil du Contentieux Administratif, la Cour Suprême créée en 1961
pour connaître des pourvois en annulation des arrêts rendus par le Tribunal d’Etat ;
enfin, la Cour Fédérale de Justice créée en 1961 avec l’avènement de l’Etat fédéral
pour remplacer la Cour Suprême et le Tribunal d’Etat. Statuant en matière
administrative, cette Cour fédérale comprenait deux chambres administratives, juges
de 1er ressort, l’une à Yaoundé (capitale de l’Etat fédéré du Cameroun oriental) ,
l’autre à Buéa (capitale de l’Etat fédéré du Cameroun occidental) et une Assemblée
plénière, instance d’appel siégeant à Yaoundé26. La Cour fédérale de Justice a
disparu avec l’avènement de l’Etat unitaire en 1972 consacré juridiquement par la
constitution du 2 juin adoptée la même année. Celle-ci a, en effet, institué, en son
article 32, une Cour Suprême qui « regroupe en son sein l’ensemble de l’ordre
juridictionnel administratif composé d’une juridiction de premier ressort et d’une
juridiction d’appel »27 représentées respectivement par la Chambre administrative et
l’Assemblée plénière.

A l’observation, ces deux formations administratives de la Cour Suprême


« apparaissent comme une excroissance au sein de la haute juridiction. Car ce sont
les seules formations spécialisées de la Cour »28. En effet, cette dernière paraît
avoir été conçue avant tout comme l’instance judiciaire suprême à laquelle on a bien
voulu intégrer une fonction administrative contentieuse.

26
V. article 15 de loi n°69/LF du 14 juin 1969 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Fédérale de
Justice. Sur l’ensemble de la question relative à l’évolution, l’organisation, le fonctionnement, les attributions et
la composition de la justice administrative au Cameroun jusqu’en 1972, lire Joseph Marie Bipoun Woum,
« Recherches sur les aspects actuels de la réception du droit administratif dans les Etats d’Afrique noire
d’expression française : le cas du Cameroun », RJPIC n°3, 1972. pp. 359-379, surtout pp. 365-368 ; Jean
Foumane Akame, « Les grandes étapes de la construction juridique au Cameroun de 1958 à 1978 », Penant
n°764, 1979, pp. 188-196, en particulier pp. 190-195 ; Henri Jacquot, « Le contentieux administratif au
Cameroun », RDC n°7, jan-juin, 1975, pp. 9-31, en particulier pp 16-20 ; Roger Gabriel Nlep, L’administration
publique camerounaise. Contribution à l’étude des systèmes africains d’administration publique, Paris, LGDJ,
1986, pp. 364-366. M. Kamto, op. cit., pp 32-34 et Luc Ndjodo, in Le contentieux administratif et l’Etat de droit,
op. cit., pp 251-255, en particulier, pp 251-252.
27
L. Ndjodo, ibid, p. 252.
28
M. Kamto, op. cit., p 36

6
C’est l’ordonnance n°72/06 du 26 août 1972 fixant l ’organisation de la Cour
Suprême, modifiée par la loi n°76/28 du 14 décembr e 1976, qui crée la Chambre
administrative et l’Assemblée plénière de la Cour Suprême. Elles sont organisées
suivant la règle du double degré de juridiction29, ce qui leur confère certes une
autonomie interne par rapport à d’autres formations de la Cour Suprême, mais n’en
fait pas de « juridictions autonomes »30, puisqu’elles dépendent organiquement de

l’ordre judiciaire.

a. La Chambre administrative, juge administratif de premier ressort

On entend par juge de premier ressort « la juridiction qui, soit en vertu de sa


qualité de juge de droit commun, soit comme juge d’attribution, doit être saisie du
litige avant toute autre juridiction »31 . Il en est ainsi de la Chambre administrative de
la Cour Suprême créée par l’article 10 de l’ordonnance n°72/06 du 26 août 1972, qui
en fixe la composition en son article 11.al 2.

Ainsi, d’après cet article, la Chambre administrative se compose d’un


Conseiller titulaire ou suppléant, Président, assisté de deux magistrats ayant voix
délibérative, choisis parmi les magistrats du siège des Cours ou tribunaux, tous
nommés pas décret ; du Procureur Général ou de l’Avocat Général ou d’un substitut ;
d’un greffier désigné par ordonnance du Président de la Cour Suprême parmi le
personnel en service dans le Greffe de sa juridiction.

La Chambre administrative rend des jugements alors que l’Assemblée plénière, juge
d’appel, rend des arrêts.

b. L’Assemblée plénière, juge administratif d’appel

En tant que juge d’appel en matière administrative, les décisions de


l’Assemblée Plénière peuvent faire l’objet de recours en opposition32, en tierce-

29
H. Jacquot pense plutôt que « cette organisation originale s’explique (…), peut-être moins par la nécessité
d’établir un double degré de juridiction que par la pénurie de personnel qualifiée », op. cit. p. 21. Il faut situer
ses propos dans un contexte qui est celui de 1975, car aujourd’hui, le problème est moins celui de la pénurie de
personnel qualifié que celui de la gestion dudit personnel.
30
Op. cit.
31
G. Vedel et P. Delvolvé, Droit administratif, T2, 12e éd., Paris, PUF, 1992, p. 63.
32
V. art 113 et 116 de la loi n°75/17 du 8 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour Suprême statuant en
matière administrative.

7
opposition33, ainsi que de recours en rectification d’erreur matérielle34 et de recours
en révision35. Elle n’est donc pas, selon la loi, juge de dernier ressort36 .

L’Assemblée plénière statuant en matière administrative a une composition


qui « diffère de la composition ordinaire de la Cour Suprême »37 statuant en matière
judiciaire, en particulier lorsqu’elle siège comme juge de cassation des décisions
rendues par les juridictions inférieures38.

D’après l’article 11 al.2 de l’ord. 72/06, l’Assemblée plénière, statuant comme


juge administratif d’appel est composée de cinq magistrats, membres de la Cour, à
l’exception de celui ou de ceux d’entre eux qui auraient participé au jugement de
l’affaire en première instance ; du Procureur général ou de l’Avocat général près la
Cour Suprême ou un substitut du procureur Général près ladite Cour ; du Greffier en
Chef de la Cour Suprême ou d’un Greffier de ladite Cour.

Cette composition élargie de l’Assemblée Plénière laisse penser que le


législateur n’a pas entendu prévoir une instance au-dessus d’elle.

Les deux formations administratives de la Cour Suprême ne disposent pas


d’un personnel propre. Les magistrats qui y sont affectés sont polyvalents car ils
siègent également dans les autres formations de la Cour Suprême ou sont des
Magistrats de Siège des Cours et tribunaux. En fait, « aucun n’est à proprement
parler spécialisé dans le jugement du contentieux administratif »39.Ce
« dédoublement fonctionnel des magistrats judiciaires »40, qui perdure alors qu’on
pensait qu’il était provisoire, conduit la plupart du temps « à un flottement dans la
démarche des juges »41, lequel constitue une source d’incertitude jurisprudentielle
préjudiciable à la tâche d’unification du droit public national qui incombe au juge

33
V. article 118 de la loi n°75/17 sus-citée.
34
V. article 119 de la loi n°75/17.
35
V. articles 120 et 121 de la loi n°75/17.
36
V. article 10 de l’ordonnance n°72/06 du 26 août 1972 portant organisation de la Cour Suprême.
37
M. Kamto, op. cit., p. 37.
38
Dans le cas le plus fréquent, la Cour suprême est composée d’une formation réduite à trois magistrats
membres de la Cour et présidée par le Magistrat de la Cour le plus ancien dans le grade le plus élevé.
39
H. Jacquot, op. cit., p. 20.
40
J. M Bipoun Woum, op. cit., p. 366.
41
M. Kamto, op. cit.

8
administratif. D’où la nécessité, non seulement de spécialiser le juge administratif42,
mais, surtout, d’avoir un juge administratif « spécialiste »43.

Le juge administratif au Cameroun ne siège pas toujours dans sa forme


collégiale, il est des contentieux où il statue comme juge unique ou unipersonnel. Le
législateur a, avec plus ou moins de clarté, déterminé ces contentieux.

B- UN ORGANE UNIQUE OU UNIPERSONNEL

Le juge n’est pas toujours ou forcément collégial, il peut aussi être unique ou
unipersonnel.

Traitant du magistrat unique, Montesquieu disait en 1748 qu’« un tel magistrat


ne peut avoir lieu que dans le gouvernement despotique »44. Le magistrat bordelais
lui préférait, évidemment, l’organisation juridictionnelle qu’il relevait dans les
monarchies limitées où, disait-il, « les juges prennent la manière des arbitres ; ils
délibèrent ensemble ; ils se communiquent leurs pensées, ils se concilient ; on
modifie son avis, pour le rendre conforme à celui d’un autre ; les avis les moins
nombreux sont rappelés aux deux plus grands »45 . En somme, cet auteur était pour
un juge collégial et son appréciation se traduisait, à son époque, par la formule
populaire « juge unique – juge inique ». Sous l’Ancien Régime en France, en effet,
l’organisation juridictionnelle était relativement favorable au juge unique46.

Il existe certes des arguments favorables au juge collégial, mais ils ne sont pas
exempts de toutes critiques, et l’institution du juge unique a aussi des avantages.

Trois justifications sont généralement évoquées au profit de la collégialité


juridictionnelle. D’abord, la collégialité contribue à une justice de bonne qualité en ce
qu’elle suppose le débat. Ensuite, elle assure l’indépendance des juges qui ne sont
pas formellement responsables des décisions prises. Enfin, elle garantit l’impartialité
des magistrats qui s’auto contrôlent mutuellement47.

42
Sur la nécessité et les objectifs de la spécialisation du juge administratif ainsi que des dangers de la juridiction
unique, lire Francis-Paul Benoît, Le droit administratif français, Paris, Dalloz, 1969, pp. 300-324.
43
Jean-Claude Kamdem, Cours polycopié de contentieux administratif, T1, Université de Yaoundé, FDSE,
1985-1986, p. 59.
44
De l’esprit des lois, Livre VI, chap. VII.
45
Ibid., Livre VI, chap. IV, « De la manière de former les jugements ».
46
Claudie Boiteau, « Le juge unique en droit administratif », RFDA, 1996, p. 10.
47
Ibid. , pp. 10-11.

9
A l’examen de ces arguments, on peut légitiment se poser quelques questions
sur leur pertinence. Y a-t-il toujours débat, pas formellement, mais effectivement
lorsqu’une juridiction collégiale statue ? Ensuite, une bonne justice peut-elle être
forcément le fait de deux ou plusieurs magistrats réunis ? Enfin, si l’instance
collégiale peut difficilement dans son ensemble recevoir des pressions, celles-ci ne
peuvent-elles pas s’exercer sur le Magistrat qui a un pouvoir prépondérant dans le
collège ? « En vérité, ce n’est pas tant la collégialité qui assure l’indépendance du
juge que les règles de fonctionnement des juridictions »48. Dès lors, l’absence ou la
suppression de la collégialité – et donc l’institution du juge unique – pour certains
contentieux doit être perçue « dans la perspective d’un meilleur fonctionnement de la
machine judiciaire sans être pour autant un remède seulement empirique à la
pénurie du magistrat »49. C’est ainsi que dans le contentieux administratif
camerounais, des exceptions au principe de la collégialité ont été aménagées ; le
juge unique peut donc être appréhendé aujourd’hui comme « un des outils de
résolution des difficultés que connaît la justice »50, en l’occurrence administrative, au
Cameroun.

Ce phénomène, lié à l’intégration du temps dans l’exercice par le juge


administratif de sa fonction contentieuse, est admis par les textes pour accélérer la
procédure contentieuse ou le cours de la justice. En tant qu’exception à la règle de la
collégialité, le juge unique n’intervient que dans les contentieux accessoires au
contentieux principal et dans certains contentieux spéciaux. Il statue seul, certes,
mais il ne peut pas être considéré comme un juge à part distinct de la juridiction à
laquelle il appartient. Il reste que dans certains cas, il a tous les pouvoirs que peut
détenir une juridiction collégiale.

1. L’institution du juge unique dans les contentieux accessoires

Dans les contentieux accessoires, « l’intervention du juge unique, statuant


sans procédure, est une condition quasi fondamentale » de la célérité de la
procédure51. Cependant, ses pouvoirs sont soumis à deux principes, voire limites.
D’abord, il ne dispose pas de pouvoirs plus étendus que ceux du juge principal ;

48
Ibid. , p. 11.
49
Ibid.
50
Ibid.
51
Roland Drago, « La procédure du référé devant le Conseil d’Etat », RDP, 1953. 304.

10
ensuite, il ne peut prendre, en principe, que des mesures provisoires ou d’attente qui
sont dépourvues de l’autorité de la chose jugée. Il en est ainsi du sursis à exécution
qui consiste à suspendre un acte administratif contesté si son « exécution est de
nature à causer un préjudice irréparable » et s’il « n’intéresse ni l’ordre public, ni la
sécurité ou la tranquillité publique »52. Le sursis à exécution de cet acte litigieux est
ordonné par le Président de la Chambre administrative de la Cour Suprême. Il en est
de même du référé administratif qui consiste « dans tous les cas d’urgence et sauf
pour les litiges intéressant le maintien de l’ordre public, la sécurité et la tranquillité
publique » à « ordonner toutes mesures utiles sans faire préjudice au principal »53. Il
est prescrit par le Président de la Chambre administrative ou l’Assemblée plénière
de la Cour Suprême ou le Magistrat qu’il délègue.

Le juge unique intervient aussi dans certains contentieux spéciaux. A la


différence du juge unique qui édicte des mesures provisoires dans les contentieux
accessoires, ce juge unique est investi du pouvoir de prononcer des mesures
définitives.

2. L’institution du juge unique dans certains contentieux spéciaux

Les contentieux spéciaux sont ceux dont certaines règles de procédure


dérogent aux règles normales de procédure ou de droit commun. Il en est ainsi, par
exemple, de la non exigence de l’introduction du recours gracieux préalable auprès
de l’autorité administrative compétente avant la saisine du juge administratif, de la
réduction des délais de saisine du juge, de la limitation de la durée de l’instance
contentieuse et de l’institution du juge unique.

L’existence des contentieux spéciaux constitue donc une dérogation au


contentieux normal ou ordinaire. Au Cameroun, ces contentieux sont prévus par
certains lois et règlements. Ils ont pour fondement l’article 9.2 de l’ordonnance
n°72/06 du 26 août 1972 qui, déterminant le champ m atériel du contentieux
administratif, évoque au point e) « les litiges qui lui sont expressément attribués par

52
Article 16.2 de la loi n°75/17 du 08 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour suprême statuant en
matière administrative.
53
Article 122 de la loi n°75/17 sus-citée.

11
la loi ». La loi doit être comprise ici au sens large ou générique intégrant les
règlements54.

Au Cameroun, trois types de contentieux spéciaux sont confiés à un juge


administratif unique : le contentieux de la suspension et de la dissolution des
associations institué par l’article 13 de la loi n°90/053 du 19 décembre 1990 portant
liberté d’association qui dispose que, les actes portant suspension ou dissolution
d’une association sont susceptibles de recours devant « le Président de la juridiction
administrative » qui « statue par ordonnance (…) » ; le contentieux né du refus de
légalisation ou d’autorisation des partis politiques prévu par l’article 8.3 de la loi
n°90/056 relative aux partis politiques qui énonce que le refus d’autorisation d’un
parti politique est susceptible de recours devant « le Président de la juridiction
administrative » qui « statue par ordonnance (…) » ; le contentieux de la suspension
et de la dissolution des organisations non gouvernementales prévu par l’article 22.3
de la loi n°99/014 du 22 décembre 1999 régissant le s organisations non
gouvernementales qui prescrit que les actes de suspension et de dissolution des
ONG sont susceptibles de recours « devant le Président de la juridiction
administrative compétente », lequel « statue par ordonnance (…) ».

Il existe un cas de contentieux spécial dont on se demande s’il est de la


compétence du juge unique ou du juge collégial, tant la pratique juridictionnelle est
contraire à la lettre de la loi. C’est le contentieux des élections municipales. Sur le
plan pratique, en effet, c’est la Chambre administrative de la Cour Suprême, instance
juridictionnelle collégiale qui connaît de l’ensemble du contentieux mettant en cause
la régularité des opérations électorales municipales. Elle l’a fait en 1996 après les
élections municipales du 21 janvier de la même année, et en 2002 après les
élections municipales du 30 juin de la même année. Pourtant, il résulte de l’article 34
de la loi n°92/002 du 14 août 1992 fixant les condi tions d’élection des conseillers
municipaux que c’est « le président » de la juridiction administrative qui connaît de
ce contentieux. Certes, l’article 33 de cette loi énonce, sans autre précision, que
« tout électeur et tout candidat a le droit d’arguer de nullité les opérations électorales
de la commune devant le juge administratif »55 et l’alinéa 1 de l’article 34 de ladite loi

54
Il en est ainsi des décrets qui organisent le contentieux des élections au sein des chambres consulaires (ex.
chambre de Commerce, des Mines, de l’Energie et de l’Artisanat et Chambre d’Agriculture, des Pêches et de
l’Elevage).
55
C’est nous qui soulignons.

12
indique que « les contestations font l’objet d’une simple requête devant la juridiction
administrative » ; mais, il n’en demeure pas moins que l’alinéa 3 de cet article 34
énonce clairement que « le Président56 statue dans un délai de soixante (60) jours à
compter de la date de saisine ». Autrement dit, ce n’est pas le juge administratif en
tant qu’organe collégial qui devrait connaître du contentieux des élections des
conseillers municipaux mais bien le juge administratif en tant que juge unique, si tant
est que pour le législateur, il s’agit d’un contentieux qui doit être traité dans l’urgence,
notion qu’il sied de déterminer.

II. DETERMINATION DE LA NOTION D’URGENCE

Dans un travail de pionnier réalisé en 1951, Christian Gabolde affirmait que


« l’urgence telle qu’elle est comprise (…) en matière administrative ne trouve pas ses
assises dans une législation ou une jurisprudence vieilles de plus d’un siècle. Elle est
apparue en fait depuis la première guerre mondiale »57.

Les travaux de recherche et autres études consacrés à l’urgence « ne


manquent pas de souligner toute l’importance du problème, de sa nature juridique
(…) et tous sont (aussi) unanimes à avouer leur perplexité devant une notion qui leur
paraît insaisissable »58 . Ainsi, « l’urgence n’est pas susceptible d’une définition
formelle »59. Cette notion serait même « indéfinissable »60. Wattine soutient,
d’ailleurs, que « l’urgence ne se définit pas, elle se constate et elle s’affirme »61. Pour
C. Sirat, « il semble quasiment impossible de fournir un critère général de l’urgence,
notion variable dans le temps, et contingente s’il en est »62. L. Nizard parle, quant à
lui, de « l’indétermination de la notion d’urgence »63. Georges Dupuis estime, pour sa
part, que « peu de notion sont aussi vagues. L’urgence serait inspirée par le
pragmatisme du juge, c’est-à-dire qu’elle serait entièrement " immanente à l’activité

56
C’est nous qui soulignons.
57
Christian Gabolde, Essai sur la notion d’urgence en droit administratif français, Thèse de droit, Paris, 1951,
p.2.
58
Guillaume Pambou Tchivounda, « Recherche sur l’urgence en droit administratif français », RDP, 1983, p.82.
59
Ibid.
60
Alioune Sall, La notion d’urgence en droit international, thèse, Paris, Presses Universitaires du Septentrion,
Villeneuve, 1998, p.29.
61
Cité par Stéphane Rials, in Le juge administratif français et la technique du standard, thèse, Paris, LGDJ,
1980, p. 94 qui reprenait M. Grevisse dans ses conclusions in S.14. III 1958, Reconstruction, A.J., 1958. II.186.
62
C. Sirat, « L’exécution d’office, l’exécution forcée, deux procédures distinctes de l’exécution administrative,
J.C.P., 1948. I.1440.
63
L. Nizard, Les circonstances exceptionnelles dans la jurisprudence administrative, thèse, Paris, LGDJ, 1962,
p. 116.

13
humaine" »64. Quant à Ph. Jestaz, « définir l’urgence d’une façon rigoureuse est une
entreprise vouée à l’échec. La plupart des auteurs qui s’y sont essayés n’ont abouti
qu’à des formules imprécises qui gravitent toutes autour de l’idée d’un préjudice dans
le retard » ; d’après lui, « toute tentative d’établir un seuil temporel de l’urgence et de
fixer le moment à partir duquel elle est constituée ne saurait être qu’arbitraire »65.
Enfin, pour R.M Tarcinet, « la notion d’urgence n’est ni simple, ni constante (…) ; elle
est liée à une appréciation dans chaque cas d’espèce (…) et elle est relative et
contingente »66.

On peut cependant remarquer qu’aucun de ces auteurs « ne va jusqu’à nier


(…) qu’il s’agisse (l’urgence) d’une notion juridique »67 ; d’ailleurs, la plupart d’entre
eux « déduisent leur conception sur la nature de l’urgence et de son régime
juridique »68.

Il se dégage de ces différentes considérations sur l’urgence que celle-ci est


non pas une « notion conceptuelle » mais une « notion fonctionnelle » et par
conséquent polysémique. Elle est donc nécessairement protéiforme.

A. UNE NOTION FONCTIONNELLE ET POLYSEMIQUE

C’est le Doyen Georges Vedel qui, dans des études consacrées à la voie de
fait, avait, pour la première fois, opposé les notions conceptuelles et les notions
fonctionnelles69. Pour l’éminent auteur, « les notions conceptuelles sont celles qui
peuvent recevoir une définition complète selon les critères logiques habituels et leur
contenu est abstraitement déterminé une fois pour toutes (…) ; elles ont une réelle
unité conceptuelle (…). L’utilisation de toutes ces notions dépend de leur contenu ; le
contenu ne dépend pas de l’utilisation »70. La notion d’urgence ne répond pas à cette
définition.

64
Georges Dupuis, Les privilèges de l’Administration, thèse Droit, Paris, 1962, p. 484.
65
Ph. Jestaz, L’urgence et les principes classiques du droit civil, Thèse, Paris, LGDJ, 1968, p.7.
66
R.M. Tarcinet, L’acte conservatoire en droit administratif, thèse, Grenoble, Paris, LGDJ, 1979, pp.95-96.
67
G. Pambou Tchivounda, op. cit., p.82.
68
Ibid., p.83.
69
G. Vedel, « De l’arrêt Septfonds à l’arrêts Barinstein », JCP, 1948-I-682 et « La juridiction compétente pour
prévenir, faire cesser ou réparer la voie de fait administrative », JCP, 1950. I.851. V. aussi D. Lochak, op. cit., p.
132-133.
70
G. Vedel, « La juridiction compétente… », ibid.

14
Définissant les notions fonctionnelles, G. Vedel considère qu’elles ne sont pas
« un pur mot », mais « une idée ou un faisceau d’idées », des « notions ouvertes »,
prêtes à s’enrichir de tout « l’imprévu du futur »71. Ainsi, « les notions fonctionnelles
sont différemment construites. Elles procèdent directement d’une fonction qui leur
confère seule une véritable unité »72. Il en est ainsi de la notion d’urgence.

Comme l’a écrit G. Dupuis « l’étymologie n’apprend rien ici, ou fort peu (…) ;
ce qui gouverne le sens des mots ce n’est pas l’étymologie, c’est l’usage »73.

L’urgence est donc, quel que soit le domaine où elle se manifeste, « une
notion purement fonctionnelle, c’est-à-dire qui vaut plus pour son utilité pratique que
pour son contenu formel »74. En somme, « l’urgence c’est un contexte, un climat, une
ambiance qui suscitent par eux-mêmes un comportement approprié à la préservation
d’un intérêt (général et/ou particulier) menacé »75. Elle est un standard76 qui peut se
découvrir à deux niveaux de distinction. Elle est d’abord « mesurée en termes de
niveaux de normalité ; au sens le plus descriptif du terme, en tant qu’elle caractérise
une situation qui normalement selon toutes probabilités, statistiquement, doit
entraîner un préjudice » ; elle « est encore mesurée en terme de normalité en ce que
la situation qu’elle caractérise est une situation que les valeurs de la société
conduisent à reconnaître comme digne d’être défendue, en ce que l’intérêt menacé
est jugé normalement essentiel »77. Bref, « l’urgence est (…) un standard bifrons,
extrêmement descriptif d’un côté et plus dogmatique de l’autre (ou tout au moins plus
descriptif des mentalités »78.

Le caractère « diffus » et « vague » de la notion d’urgence rejaillit sur les


tentatives de définitions formulées par la doctrine. Celles-ci sont divergentes,
essentiellement fonctionnelles et polysémiques. On peut, à cet égard, dégager deux
grandes tendances. L’une appréhende l’urgence à partir de ses effets, l’autre
l’appréhende par rapport à une situation de fait donnée.

71
G. Vedel, « De l’arrêt Septfonds à l’arrêt Barinstein », op. cit.
72
« La juridiction compétente pour… », op. cit.. Sont ainsi considérées par l’auteur comme notions
fonctionnelles : l’acte de gouvernement et la voie de fait.
73
G. Dupuis, op. cit. p. 485. C’est l’auteur qui souligne lui-même.
74
A. Sall, op. cit. p. 29.
75
G. Pambou Tchivounda, op. cit., p. 83.
76
V. Jestaz, op. cit. p. 245 et Stéphane Rials, op. cit. p. 94.
77
S. Rials, ibid, pp. 94-95.
78
Ibid., V. aussi Dupond, in « Les conditions de la légalité de l’exécution forcée par la voie administrative »,
RDP, 1925, p.365. Pour cet auteur, « l’urgence, c’est la nécessité absolue et immédiate de faire face à une
situation d’un intérêt essentiel pour la collectivité, de conjurer un péril, de prévenir un danger imminent ».

15
1. L’appréhension de la notion d’urgence à partir de ses effets

Pour les partisans de cette tendance, l’urgence est une notion


« téléologique »79. Ils se basent sur le sens qu’en donne le dictionnaire Littré. Ainsi,
« est urgent ce qui ne souffre point de retardement »80 ou « ce qui ne comporte pas
de retard »81.

Pour les représentants de cette tendance, à savoir L. Nizard et G. Dupuis, le


« ce » utilisé par le dictionnaire Littré renverrait à l’action entreprise ou à
entreprendre. D’ailleurs, L. Nizard soutient que « l’urgence d’une mesure c’est (donc)
le fait qu’elle soit prise rapidement (…). L’urgence ne saurait se déduire des faits. Car
dans les mêmes conditions de fait, une mesure paraîtra ou non urgente suivant la
nature ou l’importance des intérêts à préserver par une action rapide. Ainsi s’explique
que bien souvent les opinions divergent sur l’urgence d’une mesure comme sur sa
nécessité »82. Il résulte de ce qu’écrit cet auteur que l’urgence d’une action découle
de sa nécessité.

Cependant, il ne faut pas confondre urgence et nécessité. C’est d’ailleurs la


position de la majorité de la doctrine. Pour R. Pallard, « l’urgence se réfère non pas à
la nécessité d’agir mais à la nécessité d’agir vite : elle implique toujours la prise en
considération d’un élément temporel. Ce qui compte ici, c’est le résultat que l’on peut
attendre non de l’acte lui-même, mais de son accomplissement rapide, immédiat
(…). Lorsqu’aucune considération de célérité n’est en jeu, lorsqu’on envisage l’intérêt
d’un acte en faisant abstraction du moment où il est accompli, l’emploi de la notion
d’urgence paraît impropre (…) »83 . Ph. Jestaz soutient, pour sa part, que « certains
buts sont nécessaires sans être urgents »84. Quant à Pierre-Laurent Frier,
« l’urgence ne saurait exister sans nécessité ; mais elle présente un caractère
spécifique en raison des éléments d’ordre temporel qui lui sont inhérents »85.

En somme, l’urgence se démarque de la nécessité en considération de


l’élément d’ordre temporel.

79
V. L. Nizard, op. cit. et G. Dupuis, op. cit.
80
L. Nizard, ibid., p. 113.
81
G. Dupuis, ibid., p.485.
82
Op. cit. p. 144.
83
R. Pallard, L’exception de nécessité en droit civil, Paris, LGDJ, 1948, p. 246.
84
Op. cit.
85
Pierre-Laurent Frier, L’urgence, thèse, Paris, LGDJ, 1987, p. 129.

16
Il nous semble donc que, contrairement à ce qu’affirme A. sall, l’entreprise qui
semble être celle de ces auteurs n’est pas de « dissocier la notion d’urgence et
d’affirmer son autonomie totale par rapport à la théorie de l’état de nécessité » 86, car,
il est incontestable que « tout en ayant des fondements communs », l’urgence et la
nécessité présentent chacune des caractéristiques propres qu’ils ont indiquées et qui
leur confèrent des champs d’application spécifiques87.

Il ne faut donc pas confondre « nécessité » et « état de nécessité » ; tout


comme il ne faut pas assimiler « l’urgence » à « l’Etat d’urgence ». En effet, il peut
avoir « nécessité » sans qu’il y ait « état de nécessité », tout comme « l’urgence »
peut intervenir indépendamment de « l’Etat d’urgence ».

Il existe une autre tendance qui appréhende l‘urgence à partir ou par rapport à
une situation de fait.

2. L’appréhension de la notion d’urgence par rapport à une situation de


fait

Pour Chr. Gabolde, « la caractéristique dominante de l’urgence est d’être une


notion de pur fait. L’administration placée en face de certains problèmes, de
certaines difficultés ou de certains évènements peut estimer que la situation présente
un caractère d’urgence. Ce sont les faits et eux seuls qui motivent en principe la
décision administrative ou jurisprudentielle de considérer les circonstances d’une
espèce déterminée comme urgentes »88.

En dépit de la logique apparente de cette conception de l’urgence, elle a


cependant des limites, tant au plan de la méthode que des résultats, qui ont été
relevées par G. Pambou Tchivounda. Sur le plan de la méthode d’abord, celui-ci
constate que Chr. Gabolde a exclu de son champ d’étude, d’une part, la procédure
contentieuse alors que « le droit administratif dans le cadre duquel est effectuée
l’étude de l’urgence se compose des règles qui gouvernent le fonctionnement de
l’Administration active et celui de la juridiction administrative »89 , et, d’autre part, les
« cas d’urgence » prévus par le législateur alors qu’ils fondent certaines

86
A. Sall, op. cit. p 17. C’est nous qui soulignons l’expression dans la citation.
87
V. P.-L Frier, op. .cit., pp. 123-127.
88
Chr. Gabolde, op. cit., p. 71.
89
G. Pambou Tchivounda, op. cit. , p. 91.

17
compétences du juge. Aussi, « ne s’attacher qu’aux situations de fait qui font agir
l’Administration est une démarche qui ne s’explique pas aisément »90.

Sur le plan des résultats, ensuite, G. Pambou Tchivounda fait remarquer que
« la conception " objective " de l’urgence ne peut traduire l’" élasticité " juridique de
l’urgence. Mieux, elle la nie. Faute de retenir cette gradation de l’urgence (du simple
à l’absolu voire à l’extrême), l’auteur aurait gagné à conforter sa thèse en faisant
ressortir l’opposition entre l’urgence réelle et l’urgence imaginaire ». Mais on peut se
demander en quoi consiste cette opposition car, si ce sont les faits qui inspirent
l’urgence, comme le dit à juste titre Ch. Gabolde, elle ne peut être imaginaire. Au
demeurant, on a affaire à une conception, certes déterminante de la notion
d’urgence, mais qui reste partielle, tout comme l’est celle qui insiste sur les effets de
l’urgence.

Quelle définition retenir donc de l’urgence, mieux quelle définition proposer et


qui soit aussi complète que possible ? C’est de la synthèse des tendances énoncées
ci-dessus que peut être dégagée une telle définition.

On peut donc définir l’urgence comme le caractère d’une situation ou d’un


état de fait ou de droit susceptible de causer ou de provoquer un préjudice
irréparable ou difficilement réparable s’il n’y est porté remède à bref délai. L’urgence
apparaît, en effet, « à la confrontation des droits et intérêts, du danger qui les
menace et des longueurs d’une instance ordinaire »91.

En définitive, l’urgence constitue le motif et la finalité d’un acte juridique ou


d’une action juridictionnelle. C’est elle qui suscite l’un comme l’autre ; c’est elle qui en
est l’objectif. Ses qualités essentielles sont avant tout la célérité et l’efficacité ;
l’action d’urgence devant revêtir un caractère « thérapeutique » parce qu’elle est
nécessaire. C’est sous cet angle que l’urgence sera appréhendée dans la présente
étude.

Il reste à préciser sous quelle forme elle le sera, lorsqu’on sait qu’elle est par
ailleurs une notion protéiforme.

90
Ibid.
91
A. Cossa, « L’urgence en matière de référé, Gaz. Pal. 1955, 2, Doc., p. 46.

18
B. UNE NOTION PROTEIFORME

Affirmer que « la notion d’urgence est infragmentable »92 ne signifie pas


qu’elle est formellement monolithique, car elle peut être stratifiée voire classifiée. De
même, déterminer ou rechercher les différentes formes d’urgence ne constitue pas
un « dépeçage de la notion d’urgence »93. C’est, au contraire, la rendre plus
opérationnelle et en traduire toute la richesse. On rentre donc dans des
considérations d’ordre sémantique sans réelle portée lorsqu’on soutient que « la
seule affirmation incontestable est celle des degrés de l’urgence (…) »94.

Dans la mesure où l’urgence « joue un rôle certain dans le droit public où ses
effets sont réels, la classification de la notion (d’urgence) paraît nécessaire afin de la
faire apparaître dans ses multiples composantes »95. A ce sujet, plusieurs critères
peuvent être pris en compte. On peut les regrouper en trois grandes catégories : le
critère matériel, le critère formel et le critère finaliste.

1. Le critère matériel de détermination des formes d’urgence

Ce critère s’applique ou peut être applicable « en fonction des intérêts en


jeu »96. Ces intérêts peuvent être soit d’ordre local et requérir des actions purement
locales pour leur protection (c’est le cas des immeubles menaçant ruine), soit d’ordre
national et exiger que soient prises des mesures au niveau central (c’est le cas d’une
inondation touchant plusieurs régions). Un tel critère n’est pas opérationnel dans le
cadre de la présente étude puisque, manifestement, il requiert l’intervention
d’urgence de l’administration active et non celle du juge appelé à protéger d’urgence
des droits ou des intérêts menacés.

92
G. Pambou Tchivounda, op. cit., p.92.
93
A. Sall, op. cit., p. 32.
94
Ibid., p. 33.
95
P-L. Frier, op. cit., p. 11.
96
G. Pambou Tchivounda, op. cit., p.88.

19
2. Le critère formel de détermination des formes d’urgence

Ce critère est envisageable « en fonction de la volonté du législateur » et


permet de distinguer l’urgence« explicite » de l’urgence « implicite » ou « déduite »97.
A cette distinction peut être associée celle tirée de la nature des compétences dont
elle conditionne l’exercice. Sous ce rapport, on oppose l’urgence « administrative » et
l’urgence « contentieuse ». L’urgence administrative intervient au niveau de
l’administration ; c’est ainsi, par exemple, que l’administration « dispose (…) du droit
de recourir à l’exécution forcée de sa seule volonté lorsqu’il y a urgence »98. Quant à
l’urgence contentieuse, elle conditionne ou influence l’exercice par le juge de ses
compétences. Ainsi, en fonction des cas dont il est saisi ou des exigences textuelles,
le juge agira dans l’urgence ou d’urgence, pour éviter que l’écoulement du temps ne
préjudicie les droits ou intérêts du requérant. L’urgence contentieuse concerne aussi
bien la procédure que les mesures édictées par le juge.

Dans le cadre de la présente étude, il sera question de l’urgence envisagée


sous l’angle contentieux.

3. Le critère finaliste de détermination des formes d’urgence

Le critère finaliste permet de distinguer l’urgence « préventive » de l’urgence


« réparatrice »99. L’urgence est dite préventive lorsqu’elle tend à écarter une menace
imminente ou à prévenir son arrivée100. Pour Nizard, il s’agit de « l’urgence certaine
pour faire face à un péril éventuel »101. C’est le cas en matière de référé administratif
et de sursis à exécution. A contrario, l’urgence est dite réparatrice lorsqu’elle tend à
obéir ou à répondre aux conséquences d’un événement déjà survenu102. Il en est
ainsi en matière de contentieux des élections locales et professionnelles, de
contentieux de la dissolution des associations et de contentieux de la légalisation
des partis politiques. L’urgence réparatrice nécessite l’édiction de mesures

97
Ibid., pp.87-88.
98
P.F. Benoît , op cit., p. 558.
99
Distinction opérée par P-L Frier, op. cit., p 35. Pour A. Sall, cette distinction « semble d’une utilité douteuse »,
comme toutes les autres distinctions. Il estime que l’urgence est une, op. cit., p.31 et suiv.
100
P.L. Frier, ibid.
101
L. Nizard, op. cit., p. 195.
102
Ibid.

20
(d’urgence) définitives, à la différence de l’urgence préventive qui implique la
prescription de mesures (d’urgence) provisoires.

Ces deux formes d’urgence seront prises en compte dans la présente étude à
travers l’identification et l’appréciation des mesures d’urgence édictées par le juge
administratif camerounais. Cette considération amène à s’interroger sur la place de
l’urgence dans le traitement des contentieux accessoires et spéciaux par juge
administratif camerounais.

III. LA PLACE DE L’URGENCE DANS LE TRAITEMENT DES CONTENTIEUX


ACCESSOIRES ET SPECIAUX PAR LE JUGE ADMINISTRATIF
CAMEROUNAIS : L’APPREHENSION DU PROBLEME

Comme le relève, fort pertinemment, G. Pambou Tchivounda, « au cœur de


l’urgence sied le facteur temps » ; de fait, « l’urgence n’apparaît vraiment que lorsqu’
"il n’y a plus de temps à perdre" (…) au regard de la décision à prendre pour
répondre à une situation peu commune »103.

La doctrine est unanime pour reconnaître qu’une bonne justice doit présenter
un certain nombre de qualités pour remplir convenablement sa mission et rendre les
services qu’en attendent les justiciables104. Parmi ces qualités figurent la cohérence
et l’efficacité. La cohérence implique que deux, voire plusieurs litiges identiques
doivent recevoir la même solution et que cette solution doit faire une exacte
application des textes législatifs et réglementaires en vigueur105.

Quant à l’efficacité, elle suppose « une justice qui décide vite » et dont les
décisions sont exécutées106.

La prise en compte de l’urgence fait donc partie des qualités d’une justice qui
fonctionne bien car « une justice qui décide vite » prend forcément en compte
l’urgence. Il est sans conteste que l’efficacité de la justice dépend en grande partie
de sa rapidité. Ainsi, « face à des situations qui évoluent rapidement, le bon
fonctionnement de la justice exige que des mesures immédiatement nécessaires

103
Op. cit., p. 83.
104
Henri Oberdorff, « Le justiciable, le juge administratif et le temps », in Guy Gardavaud et Henri Oberdorff,
sous la direction, Le juge administratif à l’aube du XXIè siècle, PUG, 1995, p. 281.
105
Alain Marion, « Du mauvais fonctionnement de la justice administrative et de quelques moyens d’y
remédier », Pouvoirs, n° 46, 1988, p. 21.
106
Ibid., p. 24.

21
soient édictées pour préserver les droits des parties »107. Le professeur Roland
Drago soutient d’ailleurs que « l’urgence est l’âme des procès » car, « si une partie
intente une action devant un juge, c’est parce qu’elle en espère une solution
rapide »108.

Le juge doit donc bien remplir son office, mais dans les meilleurs délais. N’a-t-
on pas dit que juger bien c’est avant tout, juger vite 109 ? Sur ce point, La Bruyère
disait déjà qu’ « une circonstance essentielle à la justice que l’on doit aux autres,
c’est de la faire promptement et sans la différer ; la faire attendre, c’est injustice »110.

Et s’il est une justice qui doit statuer rapidement, c’est bien la justice
administrative. La nécessité de cette rapidité doit être recherchée dans l’importance
des dommages que l’administration cause ou est susceptible de causer aux
particuliers et des cas d’excès de pouvoir qui résultent ou résulteraient de l’exercice
de ses prérogatives. Il faut donc que, saisi par un recours en responsabilité ou par un
recours en excès de pouvoir, le juge agisse rapidement soit pour réparer le
dommage subi par le requérant, soit pour annuler l’acte qui porte atteinte à ses
droits, pour éviter que l’écoulement du temps ne lui soit préjudiciable. Ce n’est
pourtant pas le cas en pratique car une certaine lenteur est inhérente à la procédure
administrative contentieuse.

A. LA MECONNAISSANCE DE L’URGENCE PAR LE JUGE ADMINISTRATIF


CAMEROUNAIS DANS LE TRAITEMENT DES LITIGES ADMINISTRATIFS
EN GENERAL

« Le temps du juge n’est pas celui du justiciable »111. Alors que le juge
administratif est « traditionnellement soucieux de rendre une justice de qualité, mais
peu préoccupé de l’efficacité de ses décisions et l’impact du temps sur l’enjeu du
procès »112, le justiciable attend que sa requête soit examinée rapidement ou dans

107
P-L. Frier, « un inconnu : le vrai référé administratif », AJDA, 1980, p. 67.
108
Préface à l’ouvrage d’Olivier Dugrip, L’urgence contentieuse devant les juridictions administratives, Paris,
PUF, 1991, 411 p.
109
René Chapus, Rapport de synthèse du colloque du 30è anniversaire des tribunaux administratifs, Grenoble,
1984, Ed. du CNRS, 1986, p. 341.
110
Cité par O. Dugrip, op. cit., p. 13.
111
François Ducarouge, « Le justiciable, le juge administratif et le temps : la vision des juges », in Guy
Gardavaud et Henri Oberdorff, op. cit., p. 305.
112
Roland Vandermeeren, « La réforme des procédures d’urgence devant le juge administratif », AJDA, p. 707.

22
un délai raisonnable113. Il ne faut pas perdre de vue que le procès administratif
oppose généralement deux parties qui sont dans des situations inégales à savoir
l’administration, puissance publique détentrice de prérogatives exorbitantes de droit
commun, et l’administré, sans réels pouvoirs bien que jouissant de certains droits.
Par ailleurs, le temps profite toujours au défendeur (donc à l’administration) dont il
est l’allié objectif, au détriment du requérant-administré114 pour qui le temps est
ennemi115, surtout que les recours contentieux n’ont pas d’effet suspensif.

La doctrine (administrative) en général est unanime à reconnaître que la


justice, en particulier administrative, est lente116. Alors que certains affirment que ces
lenteurs constituent une véritable « prime à l’illégalité »117, d’autres considèrent qu’
« une justice aussi longue n’est plus une justice ; c’en est une parodie »118 , car, « la
sanction contentieuse de l’arbitraire vient trop tard pour être efficace »119.

La justice administrative au Cameroun ne fait pas exception à cette règle, bien


au contraire !

113
En France, lorsque la méconnaissance du droit à un procès rendu dans des délais raisonnables a causé un
préjudice à un justiciable, il peut en obtenir la répartition : CE, 28 Juin 2002, Garde des sceaux, Ministre de la
justice contre M. M. Mariera. Voir les conclusions du Commissaire du Gouvernement Francis Lamy, le contenu
de l’arrêt et la note de M. V. in Les petites affiches n° 197, pp. 15-23.
114
D. Lochak, op. cit., p. 106.
115
Manuel Gros, « Le juge administratif, la procédure et le temps », RDP, 1999, p. 1709.
116
- Pour quelques exemples africains de lenteur caractérisée de la justice (administrative et judiciaire), v. R.
Degni Segui, « L’accès à la justice et ses obstacles », in L’effectivité des droits fondamentaux dans les pays de la
communauté francophone, Actes du Colloque de Maurice, 29 septembre – 1er octobre 1993, AUPELF-UREF,
1994 ,pp. 241-256 (l’auteur traite en particulier du cas des juridictions ivoiriennes) ; Filiga Michel Sawadogo,
« L’accès à la justice en Afrique francophone : problèmes et perspectives. Le cas du Burkina Faso », RJIC, n° 2,
1995, pp. 165-212, en particulier, pp. 185-190 ; Mahamane Boukari, in Le contentieux administratif et l’Etat de
droit, op. cit., p. 297 ;
- Pour quelques exemples de lenteurs judiciaires au Cameroun, v. Bernard-Raymond Guimdo D., « La protection
juridictionnelle de la liberté de religion au Cameroun », Revue de droit et cultures, n° 42, 2001/2, pp. 52-53 ; M.
Kamto, op. cit. ;
- Pour ce qui est de la lenteur de la justice administrative en France, v. Alain Marion, op. cit., pp. 24 et
suivantes ; Françoise Ducarouge op. cit., pp. 306 et suivantes ; Henri Oberdorff, op. cit., pp. 282 et suivantes ;
Yves Gaudemet, « L’avenir de la juridiction administrative », Gaz. Pal. , 1979, doc., p. 514 ; Patrick
Waschmann, Libertés publiques, 3è éd., Paris, Dalloz, 2000, pp. 177-178 ; Yves Gaudemet, « Les procédures
d’urgence dans le contentieux administratif », RFDA, 1988, p. 421 ; Bruno Odent, « L’avocat, le juge et les
délais », Mélanges René Chapus, Paris, Montchrestien, 1992, pp. 488-492 ; Georges Liet-Veaux, « La justice
administrative au ralenti », D., 1948, Ch., pp. 133-136.
117
CH. Gabolde, « Les nouveaux pouvoirs d’urgence du juge administratif et le sursis à exécution », D., Chr.,
1953, p. 189. L’auteur reprend ainsi une expression du Vice-président du Conseil d’Etat.
118
M. Gassié, (thèse, p. 7) cité par G. Liet-Veaux, op. cit., p. 133.
119
Chr. Gabolde, « Les nouveaux pouvoirs d’urgence… », op. cit., p. 189.

23
1. Les manifestations de la méconnaissance de l’urgence

Le juge administratif camerounais méconnaît l’urgence lorsqu’il est saisi au


moyen, soit d’un recours en indemnité, soit d’un recours en excès de pouvoir.
L’urgence n’est ni la base, ni la finalité de son action. Il arrive difficilement à faire
face aux défis du nombre et du temps. En règle générale, le délai de jugement d’une
affaire se compte en années, « même lorsque les parties se sont abstenues de tout
comportement dilatoire »120. Il s’agit d’une situation qui est non seulement anormale
mais aussi dangereuse « parce qu’elle est de nature à provoquer le découragement
des justiciables, renonçant à rechercher des satisfactions dont ils ont lieu de penser
qu’elles seront platoniques ; parce qu’elle est de nature à faire douter du sérieux et
même de la légitimité de la justice administrative »121.

La lenteur du juge administratif camerounais est attestée par des statistiques


et les décisions qu’il a déjà rendues dans le cadre des contentieux ordinaires. Quant
aux facteurs explicatifs, ils sont divers.

Sur le plan des statistiques, au 1er octobre 1996, par exemple, parmi les 690
dossiers en instance devant la Chambre administrative de la Cour Suprême, il s’en
trouvait qui remontaient à 1982.

Pendant l’année judiciaire 1995/1996, alors que 535 dossiers étaient en


instance au début de la période, 251 recours ont été formés, alors que seulement 96
décisions avaient été rendues parmi lesquelles 74 concernaient le contentieux
électoral et 22 le contentieux général. Enfin, au 1er octobre 1996, 137 dossiers
étaient en instance devant l’Assemblée plénière122.

Au niveau des décisions rendues, la lenteur s’observe également dans les


délais d’instance. De même, saisie d’un recours le 18 juin 1993, la Chambre
administrative n’a rendu son jugement de désistement que 8 mois après, soit le 24
février 1994123. Saisie d’un autre recours le 22 juin 1990, la même juridiction rendait
son jugement d’irrecevabilité le 31 mars 1994, soit plus de 3 ans et demi après sa

120
René Chapus, Le droit du contentieux administratif, 3e éd., Paris, Montchrestien, 1991, p. 471.
121
Ibid., p.472.
122
Voir le rapport de mission de Nicolas Bonnal, Magistrat, Secrétaire général de la première présidence de la
Cour de cassation française à la Cour suprême de la République du Cameroun effectuée du 2 au 12 décembre
1996, pp. 29-30.
123
CS/CA, jugement n° 22/93-94 du 24 février 1994, Mme Mayouga Yvonne, épouse Noundou contre Etat du
Cameroun.

24
saisine124. Saisie d’un autre recours le 25 janvier 1999, la même juridiction rendait
son jugement au fond – au profit du requérant – le 30 mars 2000, soit, plus d’un an
après sa saisine, alors que le requérant était sous la menace d’une procédure
disciplinaire et d’une mise à la retraite injustifiée puisque l’acte litigieux le ramenait à
un grade inférieur où la retraite se prenait plus tôt125. Enfin, saisie en 1991 dans une
affaire opposant un enseignant à son Université, elle n’a pas rendu de décision à ce
jour. Sont rarissimes les cas où le juge administratif tranche avant 7 mois126.

La situation est plus grave au niveau de l’Assemblée plénière statuant en


appel. La tendance générale est qu’elle rend ses arrêts 4 ans, voire 9 ans, après
qu’elle a été saisie. Il est clair qu’un délai d’instance qui s’éternise de la sorte
« enlève à la décision efficacité et crédibilité »127. Pire, il y a des affaires qui,
introduites depuis plusieurs années, sont définitivement sorties du rôle parce que le
juge n’en a plus fait cas lorsqu’il détermine les affaires à juger. Ce qui constitue
manifestement un déni de justice.

2. Les facteurs explicatifs de la méconnaissance de l’urgence

Les facteurs explicatifs de cet état de fait sont nombreux. Ils sont humains,
financiers, matériels, procéduraux et structurels.

Sur le plan des ressources humaines, il y a le problème de la non


spécialisation des magistrats en charge du contentieux administratif. Ils proviennent
tous des juridictions de l’ordre judiciaire. Il y a ensuite le problème de leur effectif et
de leur disponibilité ; juges polyvalents, ils sont également sollicités pour le règlement
des contentieux judiciaires. Il faut ajouter à cela le fait que certains assesseurs de la
Chambre administrative sont souvent mutés pendant l’année judiciaire dans d’autres
juridictions, alors que d’après l’article 11 alinéa 2 de l’ordonnance n° 72/06 du 26
août 1972 fixant l’organisation de la Cour Suprême, ils ne sont que deux. Il y a enfin

124
CS/CA, jugement n° 32/93-94 du 31 mars 1994, Kotto Jean-Jacques contre Etat du Cameroun.
125
CS/CA, jugement n° 42/99-00 du 30 mars 2000, Wabo Rigobert contre Etat du Cameroun.
126
Ainsi, dans une affaire relative à la légalité d’un acte qui expulsait un pharmacien d’un site inoccupé, donc
disponible, sur lequel il s’est installé, le juge administratif, saisi le 5 mars 1993, a rendu son jugement – qui
annulait l’acte querellé pour excès de pouvoir – le 30 septembre 1993, soit 6 mois et 25 jours après sa saisine ;
cf. CS/CA, jugement n° 83/ADD/92-93 du 30 septembre 1993, affaire Sighoko Fossi Abraham contre Etat du
Cameroun.
127
Jacques Georgel, « Le juge et la montre », in Etudes en l’honneur de Georges Dupuis, Paris, LGDJ, 1997, p.
116.

25
le problème lié aux « comportements empreints de laxisme habituel des
fonctionnaires africains » 128 imputable à certains magistrats.

En ce qui concerne le personnel non magistrat, on compte au niveau de la


Chambre administrative environ deux greffiers et 6 secrétaires ; tandis qu’au niveau
de l’Assemblée plénière, en dehors du greffier en chef de la Cour Suprême, un seul
agent est affecté à la Section administrative.

L’effectif du personnel non magistrat qui intervient dans le contentieux


administratif est donc très faible ; il faut ajouter à cela la faiblesse de leur
rémunération.

Sur le plan matériel, il est à noter que le matériel technique de bureau129 se


réduit à 5 machines mécaniques à écrire à la Chambre administrative et à 4
machines du même type au greffe de la Cour Suprême. Non seulement elles sont
anciennes, mais en plus, elles fonctionnent plus ou moins bien. Papier et carbone
font le plus souvent défaut. Les autres fournitures indispensables au bon
fonctionnement d’une juridiction font également défaut. Il en est ainsi des imprimés et
des chemises cartonnées. Celles-ci sont donc exigées aux requérants lors du dépôt
de leurs dossiers.

Sur le plan financier, les crédits inscrits sur le budget du Ministère de la


Justice au profit de la Cour Suprême jusqu'en 1996 l'ont souvent été de façon
théorique130. Pour l’année budgétaire 95/96, par exemple, les lignes prévues sur le
budget de ce Ministère concernant la Cour Suprême attribuaient 2,3 millions de
francs CFA à la Chambre administrative131. Mais, c’est une somme qui n’était pas en
fait disponible. Et, en tout état de cause, il s’agit d’une somme peu importante,
uniquement destinée à l’achat des fournitures de bureau.

Sur le plan structurel, il faudrait relever la centralisation de la justice


administrative132 dont les deux formations sont des composantes de la Cour

128
R. Degni-Segui, op. cit., p. 245.
129
Depuis l’année judiciaire 2002-2003, la Chambre administrative dispose d’un ordinateur et d’une
photocopieuse.
130
Il est à annoter que depuis 1996, la Cour suprême a son budget propre. Il y a lieu de penser que cette
autonomie budgétaire devrait permettre le renforcement des crédits alloués à la Chambre Administrative.
131
V. Rapport de mission de Nicolas Bonnal, op. cit., p. 18.
132
Sur les inconvénients de cette centralisation et les aménagements possibles de la justice administrative pour
une meilleure protection des droits des justiciables, lire Anicet Abanda Atangana , « A la recherche d’un cadre
juridique approprié pour une meilleure protection des droits des administrés au Cameroun », Penant, n° 818,
1995, pp. 133-155.

26
Suprême. Elle n’est pas sans poser de problème dans la gestion des dossiers. Il faut
ajouter à cela le manque de local destiné à la juridiction administrative. Elle ne
dispose pas d’un bâtiment propre. Ainsi, la Chambre administrative se trouve dans le
même bâtiment que certaines juridictions judiciaires, à l’instar de la Cour d’Appel du
Centre, et le Secrétariat général de la Cour Suprême. Par ailleurs, les bureaux sont
insuffisants et exigus, par conséquent peu propices à faciliter le travail des agents qui
les occupent.

Sur le plan procédural, enfin, la Chambre administrative tient théoriquement


une audience par mois, mais il arrive fréquemment que, pour les raisons évoquées
plus haut, une audience ne puisse se tenir et que les affaires inscrites au rôle soient
renvoyées. Cependant, le principal goulot d’étranglement semble se situer au niveau
de la rédaction des rapports. C’est ainsi que pendant l’année judiciaire 95/96, par
exemple, 200 dossiers en état attendaient la désignation d’un rapporteur133. Le
problème est d’autant plus accentué que de façon générale-pour ne pas dire
exclusive-, c’est le Président de la Chambre administrative qui rédige tous les
rapports. Les dossiers sont certes communiqués au parquet, mais il semblerait que
« cette phase de la procédure n’entraîne aucun retard »134 ou peu.

Ces différents facteurs expliquent, vraisemblablement, le fait que le juge


administratif camerounais méconnaisse l’urgence dans le traitement des recours en
indemnité et en excès de pouvoir. C’est pour remédier à cette situation que des
procédures contentieuses d’urgence ont été instituées. Est-ce une panacée ou un
placebo ? La question est importante quand on sait que les sources de lenteur n’ont
pas disparu, que c’est le même juge qui met en œuvre ces procédures, et, surtout,
que tous ces moyens « d’accélérer le traitement des affaires », selon l’expression du
Commissaire du Gouvernement Schwartz, ou de « permettre le bon fonctionnement
du service public de la justice », selon les termes du Conseil d’Etat, sont à la totale
discrétion du juge135, tant dans sa formation collégiale que dans sa formation
impersonnelle.

133
Voir rapport de mission de M. Bonnal, op. cit. p. 30.
134
Ibid.
135
Voir E. Gros, op. cit., p. 1718.

27
B. L’INSTITUTION DE PROCEDURES CONTENTIEUSES D’URGENCE136

La lenteur du procès administratif donne toute son importance à la question de


l’existence et de l’efficacité des procédures d’urgence permettant d’accélérer certains
procès ou d’aménager la situation des parties jusqu’à la décision au fond137. Ici,
« l’urgence est le contrepoint du temps, des délais inhérents »138 à la procédure
contentieuse. Certes, comme le souligne, à juste titre, le professeur Bernard
Pacteau, « il ne peut être de bon procès bâclé. Il peut même se faire, au bénéficie du
requérant, que des éléments de preuve n’apparaissent que tardivement ; le temps
peut aussi parfois permettre au requérant de bénéficier du progrès du contrôle
juridictionnel et de jurisprudence qui n’existaient pas du temps où il avait déclencher
son procès ». Mais, « il reste que le plus souvent un long procès n’est pas non plus
un bon procès »139, surtout lorsque les textes prescrivent une intervention rapide du
juge ou lorsque l’affaire à trancher a un caractère urgent.

Les procédures contentieuses d’urgence ne peuvent pas être perçues


uniquement comme « l’organisation de procédures spécifiques qui, en liaison avec la
procédure normale d’instruction au fond, permettent de donner, dans les
circonstances de l’espèce, une solution rapide, quoique provisoire ou partielle, au
contentieux administratif dans l’intérêt du requérant ou d’une bonne administration de
la justice, le principe étant que le juge de l’urgence est le juge de l’évidence »140. Une
telle vision est, en effet, étroite car elle laisse de côté d’autres procédures d’urgence
qui aboutissent à l’édiction rapide de solutions définitives. Aussi, quel que soit le
procédé utilisé – provisoire ou définitif – « il faut (…) partir du principe que dès le
moment où les procédures ont été spécialement instituées pour ne pas retarder une
issue juridictionnelle, on peut les qualifier sans peine de "procédures d’urgence" »141.
Sous ce rapport, on peut considérer qu’il existe deux sortes de procédures d’urgence
dans le contentieux administratif. On a, d’une part, les procédures d’urgence
accessoires qui permettent au juge administratif de protéger les droits et intérêts du

136
Bernard Seiller préfère parler de « procédures parallèles », « compte tenu de leur nature et du fait qu’elles ne
sont nécessairement pas conditionnées par l’urgence » et parce que « cette expression permet d’inclure diverses
procédures tendant à une décision au fond instaurées par divers textes (…) » ; v. B. Seiller, Droit administratif,
T.1, Paris, Flammarion, 2001, pp. 189-190. Une telle vision est minoritaire, voire marginale ? Comme l’attestent
les développements ci-dessus, car l’urgence est explicitement ou implicitement au cœur desdites procédures.
137
Y. Gaudemet, « Les procédures d’urgence dans le contentieux administratif », op. cit., p. 421.
138
Ibid.
139
Bernard Pacteau, Contentieux administratif, Paris, PUF, 1999, pp. 255-256.
140
Olivier Gohin, Contentieux administratif, 2e éd., Paris, Litec, 1999, p. 259.
141
Bernadette Le Baut-Ferrarese, « Les procédures d’urgence et le langage du droit », RFDA, 2002, p. 297.

28
requérant « au moyen de mesures provisoires, valables uniquement dans l’attente du
jugement au fond », et, d’autre part, les procédures d’urgence spéciales,
dérogatoires à la procédure normale, qui permettent au juge administratif de protéger
les droits et les libertés du requérant « au moyen de mesures définitives »142. Il est
indéniable que, comme l’a relevé le Professeur R. Chapus, « le signe extérieur d’une
bonne justice, c’est l’excellence de ses procédures d’urgence »143.

1. Les procédures d’urgence accessoires

La nécessité de satisfaire aux exigences de l’urgence a provoqué l’institution


de procédures adéquatement aménagées, destinées à permettre au juge
administratif de prendre, dans l’attente du jugement au fond de l’affaire et compte
tenu des circonstances de celle-ci, certaines mesures de caractère provisoire « que
l’intérêt du requérant comme celui d’une bonne administration de la justice
recommande de ne pas différer »144.

Le droit du contentieux administratif camerounais a consacré deux procédures


d’urgence accessoires : le sursis à exécution et le référé administratif. En principe,
elles « se distinguent à la fois par leur objet (suspension d’un acte ou mesures plus
diverses de sauvegarde) et par leur technique juridique »145.

a. La procédure du sursis à exécution

La procédure du sursis à exécution n’est pas explicitement considérée comme


une procédure d’urgence par le législateur. Toutefois, « ce silence n’enlève rien à la
vérité de cette règle établie selon laquelle le sursis n’atteint son but que s’il est
ordonné rapidement »146. Ainsi, au cœur de cette procédure, l’urgence opère de
manière implicite. Elle lui est ainsi incidente parce que le juge déduit généralement
l’urgence des faits plus que des considérations juridiques147. Ceci explique le
caractère exceptionnel du sursis à exécution. En effet, en vertu du privilège du

142
Gilles Lebreton, Libertés publiques et droits de l’homme, 5e éd., Paris, Armand Colin, 2001, pp. 222-223.
143
R. Chapus, Rapport de synthèse du colloque du 30e anniversaire des Tribunaux administratif, op. cit., p. 338.
144
R. Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 811.
145
B. Pacteau, op. cit., p. 286.
146
G. Pambou Tchivounda, op. cit., p. 104.
147
G. Dupuis, op. cit., p. 411.

29
préalable148 dont jouit l’acte administratif unilatéral, sa contestation devant le juge
administratif n’en suspend pas l’exécution. Lorsqu’il est édicté, il est, à compter de sa
publicité, immédiatement exécutoire. Le Conseil d’Etat français en fait une « règle
fondamentale du droit public »149, indiquant par- là que les actes administratifs sont
présumés légaux dès leur édiction et doivent être exécutés jusqu’à ce qu’un juge
saisi en décide autrement. Seulement, l’intervention du juge saisi peut durer des
mois, voire des années, d’où l’intérêt de la procédure du sursis à exécution qui
permet de demander au juge de suspendre l’exécution de l’acte querellé « sans
attendre la solution au fond du litige »150. Une telle suspension ne peut être
commandée que par l’urgence de la situation contentieuse, car elle fait échec au
caractère exécutoire de la décision administrative. Ce sont les articles 16, 17 et 18
de la loi n° 75/17 du 08 décembre 1975 fixant la pr océdure devant la Cour Suprême
statuant en matière administrative qui déterminent le régime du sursis à exécution.

Ainsi, d’après l’article 16 de cette loi, le recours contentieux contre une


décision administrative n’en suspend pas l’exécution ; toutefois, si son exécution est
de nature à causer un préjudice irréparable et que cette décision « n’intéresse ni
l’ordre public, ni la sécurité ou la tranquillité publique, le Président de la Chambre
administrative peut, après communication à la partie adverse et avis conforme du
Ministère public », en ordonner le sursis à exécution. L’article 17 précise que « la
demande en sursis peut être formée en même temps que la demande principale et
par la même requête ». Quant à l’article 18, il énonce que l’ordonnance de sursis à
exécution est, dans les 24 heures, notifiée aux parties en cause et l’effet de la
décision est suspendu à compter du jour de cette notification.

Pour M. Momo, « la grande lacune de cette procédure résulte de ce que le


droit camerounais n’impartit pas au juge administratif de délai pour statuer sur la
demande de sursis. Entre la prise de la décision administrative contestée et la
saisine du juge, il y a de fortes chances que la décision ait produit tous ses effets.
L’idéal serait que le juge soit saisi en même temps que l’autorité administrative est

148
Sur cette question, lire : Geneviève Koubi, « Acte exécutoire et actes des autorités locales », RDP, 1989, pp.
1493-1523, précisément, p. 1497 ; Yves Gaudemet, Traité de droit administratif, 16e éd., T. 1, Paris, LGDJ,
2001, p. 649 ; Martine Lombard, Droit administratif, 4e éd., Paris, Dalloz, 2001, p. 220-221.
149
CE, Ass., 2 juillet 1982, Huglo, p. 257 ; AJDA, 1982, p. 657, Concl. Biancarelli, note Lukaszewicz.
150
G. Vedel et P. Delvolvé, op. cit., p. 180.

30
saisi du recours gracieux préalable »151. L’autre limite de cette procédure est que la
décision de sursis à exécution ne suspend pas la décision incriminée « à compter de
son entrée en vigueur mais seulement à compter de la seule notification »152. Il y a
lieu de relever que ces limites ne sont pas propres au droit camerounais. Il en est de
même, par exemple, du référé-suspension en droit français153 et du sursis à
exécution en droit centrafricain154.

Quoiqu’il en soit, la procédure du sursis à exécution permet d’entraver le


pouvoir de création juridique des autorités administratives ; elle « traite en suspect
l’acte qui devrait (…) bénéficier d’une présomption de légalité (…), empêche
l’exécution d’un acte pourtant toujours juridiquement vivant et donc en vigueur »155.
Elle participe, en somme, d’une « "détention provisoire" de l’acte non encore
condamné mais déjà "inculpé" »156.

Toute autre est la procédure de référé administratif, bien que dans l’une et
l’autre procédures, les ordonnances rendues par le juge n’ont pas, à son égard,
l’autorité de la chose jugée.

b. La procédure de référé administratif

« L’urgence, écrivent J. M. Auby et R. Drago, est l’âme du référé »157. Comme


dans la procédure du sursis à exécution, il faut une situation de fait qui nécessite du
juge administratif de référé la prescription de mesures susceptibles de protéger
provisoirement les droits ou les intérêts du requérant. Le juge de référé doit donc
faire vite, même très vite, mais dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice
dont l’institution de la procédure de référé est l’une des finalités158.

La procédure de référé permet au justiciable dont les droits se trouvent


subitement menacés, d’en faire sauvegarder provisoirement l’intégralité par le juge,

151
Bernard Momo, « Le problème des délais dans le contentieux administratif camerounais », Annales de la
Faculté des sciences juridiques et politiques de l’université de Dschang, T. 1, vol. 1, 1997, p. 149.
152
Joseph Owona, Droit administratif spécial de la République du Cameroun, Paris, EDICEF, 1985, p. 29.
153
V. loi n°2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives et modifiant le
Code de Justice Administrative , ainsi que son décret d’application n°2000-1115 du 22 novembre 2000.
154
V. loi n°96. 006 portant organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs.
155
B. Pacteau, op. cit., p. 287.
156
Ibid.
157
Jean-Marie Auby et Roland Drago, Traité de contentieux administratif, 3e éd. T. 2, Paris, LGDJ, 1984, p. 48.
158
Marie-Françoise Casadei-Jung, « Etude critique et comparative du référé administratif », Gaz. Pal., 1985, I.
doc., p. 279.

31
en attendant que celui-ci fasse définitivement droit à ses prétentions. Si l’urgence de
celles-ci est avérée, « le juge sera obligé de statuer afin d’éviter que l’écoulement du
temps ne » le « défavorise (…) par rapport à l’autre »159 partie qu’est généralement la
personne publique. Pour ne pas tomber dans « le vice contraire », le juge devra
s’attacher à ne pas préjuger de la solution finale.

Outre les mesures d’instruction, la procédure de référé permet également au


juge d’ordonner des mesures conservatoires : les premières tendent « à éclairer le
juge, de façon qu’il puisse statuer en bonne connaissance de cause », tandis que les
secondes « sont destinées à sauvegarder les droits et intérêts d’une partie, dans
l’attente du règlement au fond »160. Le législateur camerounais a fait sienne cette
procédure dans le cadre du contentieux administratif. C’est ainsi qu’elle est prévue
et organisée par les articles 122, 123 et 124 de la loi n° 75/17 du 8 décembre 1975
fixant la procédure devant la Cour Suprême statuant en matière administrative.

L’article 122 de cette loi énonce que « dans tous les cas d’urgence et sauf
pour les litiges intéressant le maintien de l’ordre public, la sécurité et la tranquillité
publiques, le Président de la Chambre administrative ou l’Assemblée Plénière ou le
Magistrat qu’il délègue, peut, après avis conforme du Ministère Public, ordonner
toutes mesures utiles sans faire préjudice au principal ». L’article 123 précise que la
requête est immédiatement notifiée au défendeur éventuel, avec fixation d’un délai
de réponse raisonnable. Enfin, l’article 124 indique que l’ordonnance de référé est
immédiatement exécutoire. On peut penser qu’elle l’est dès son édiction ou 24
heures après, comme c’est le cas de l’ordonnance de sursis à exécution.

La procédure de référé en droit administratif camerounais consacre l’élément


« ordre public » longtemps abandonné en France et l’exigence de l’avis conforme du
Ministère Public, deux données qui traduisent implicitement ou explicitement
l’intention de l’Etat de contrôler sa mise en œuvre à l’instar de la procédure du sursis.

Cela étant, le référé administratif et le sursis à exécution sont des procédures


accessoires à la procédure principale qui aboutissent à des décisions provisoires et sont
destinées à éviter que l’écoulement du temps ait pour conséquence de compromettre les
droits et intérêts des demandeurs. Soumise à des conditions restrictives, leur mise en

159
Ch. Debbasch et J-C Ricci, op. cit., p. 404.
160
R. Chapus, « Le juge administratif face à l’urgence », Rapport de synthèse, Gaz. Pal., 1985, p. 318.

32
œuvre dépend, pour l’essentiel, du juge administratif. Il en est de même, avec quelques
différences cependant, des procédures d’urgence spéciales.

2. Les procédures d’urgence spéciales

La considération de l’urgence peut conduire le Législateur, voire l’Exécutif, à


instituer une procédure spéciale de règlement des litiges administratifs « pour obtenir
en toute certitude une mesure immédiate »161. Cette procédure, qui s’achève par
l’édiction de mesures définitives, tient sa spécialité à la constitution de l’organe de
juridiction - c’est en principe un juge unique qui statue -, à la non exigence de la
saisine préalable de l’administration au moyen d’un recours gracieux, à la réduction
des délais de saisine du juge et à la fixation de délais relativement courts pour
statuer. Ainsi, en matière électorale et dans d’autres matières, le contentieux est
organisé selon la procédure d’urgence.

a. Les procédures d’urgence instituées en matière électorale

Comme le relève M. Méjan, « en matière électorale, il y a toujours urgence


étant donné les courts délais impartis au tribunal administratif pour statuer »162. En
France, le tribunal administratif a deux mois pour statuer sur les litiges portant sur les
élections municipales - article R.120 du Code électoral-, faute de quoi, il est
dessaisi ; le délai d’appel est ramené à un mois -articles R. 117 et 123 du Code
électoral, article 17 du décret du 5 septembre 1973 -, tandis que le pourvoi devant le
Conseil d’Etat est jugé « comme une affaire urgente »163.

Au Cameroun, le contentieux électoral qui ressortit à la compétence du juge


administratif comprend : le contentieux électoral local ou municipal et le contentieux
professionnel, en particulier le contentieux électoral au sein des chambres
consulaires.

161
P-L Frier, L’urgence, op. cit., p. 269.
162
Méjan, « le nouveau référé administratif », RA, 1995, p. 161.
163
V. P-L. Frier, op. cit., p. 271.

33
α. Les procédures d’urgence instituées en matière de contentieux électoral
municipal

Le contentieux électoral municipal concerne d’une part les opérations relatives


à l’élection des conseillers municipaux, et, d’autre part, celles concernant l’élection
du maire ou de ses adjoints.

La procédure relative au contentieux de l’élection des conseillers municipaux


est fixée par les articles 34, 35 et 36 de la loi n° 92/002 du 14 août 1992 fixant les
conditions d’élection des conseillers municipaux.

D’après l’article 34, et par dérogation aux dispositions de l’article 12 – qui


exige l’introduction préalable d’un recours gracieux auprès de l’administration ou de
l’autorité administrative compétente – de l’ordonnance n° 72/06 du 26 août 1972
fixant l’organisation de la Cour Suprême, les contestations portant sur les opérations
électorales dans la commune font l’objet d’une simple requête devant la juridiction
administrative. Il précise, en son alinéa 2, que « le recours doit intervenir dans un
délai de dix (10) jours à compter de la date de proclamation des résultats par la
commission communale de supervision » et énonce, en son al. 3, que « le Président
statue dans un délai de soixante (60) jours à compter de la date de saisine ».

Quatre données dans ces dispositions législatives traduisent l’urgence de la


procédure. D’abord, la non exigence du recours gracieux préalable ; ensuite, la
brièveté du délai de saisine du juge administratif ; puis le délai relativement court
imparti au juge pour statuer ; enfin, la désignation d’un organe unipersonnel pour
statuer à savoir le Président – ici le Président de la Chambre administrative- ; mais
dans la pratique, c’est la Chambre administrative, organe collégial, qui statue.

Quant à l’article 35, il indique que « les conseillers municipaux dont l’élection
est contestée restent en fonction jusqu’à ce qu’il ait été définitivement statué sur les
réclamations » et que « dans le cas où l’annulation de tout ou partie des élections est
devenue définitive, les électeurs sont convoqués dans un délai de quinze (15) jours
suivant l’annulation ».

Si l’on comprend cette disposition comme impliquant un double degré de


juridiction, cela signifierait que l’appel interjeté n’a pas d’effet suspensif puisque « les
conseillers municipaux dont l’élection est contestée restent en fonction jusqu’à ce

34
qu’il ait été définitivement statué sur les réclamations » . Mais, la loi ne précise pas –
comme dans le cas français – quand est-ce que le juge est saisi et quand il statue
définitivement sur les réclamations. Il s’agit d’une lacune sérieuse, susceptible
d’édulcorer, voire d’annihiler l’urgence qui, en première instance, caractérise cette
procédure contentieuse.

Enfin, l’article 36 précise que tous les actes judiciaires intervenant dans la
procédure contentieuse électorale sont dispensés du timbre et enregistrés gratis.
Cette dérogation est aussi valable pour le contentieux de l’élection du maire et de
ses adjoints dont la procédure est déterminée assez brièvement par l’article 53
(nouveau) de la loi n° 74/73 du 5 décembre 1974 por tant organisation communale,
modifiée par la loi n° 92/003 du 14 août 1992.

D’après cet article 53 (nouveau), en effet, « en cas d’irrégularités dans


l’élection du maire ou des adjoints, l’autorité administrative territorialement
compétente ou un électeur de la commune peut, dans les 10 jours suivant la session
au cours de laquelle l’élection est intervenue, saisir la juridiction administrative
compétente en première instance aux fins d’annulation. Celle-ci se prononce dans
les 15 jours de la saisine ». Les délais de saisine et d’instance consacrés par cet
article constituent bien des délais d’urgence. Il se dégage, par ailleurs, de cette
disposition, implicitement du moins, mais certainement, la possibilité d’un second
degré de juridiction et donc d’un recours en appel puisqu’elle indique clairement
« (…) la juridiction administrative compétente en première instance (…) » . La loi est
toutefois muette sur le délai d’appel et la durée de l’instance d’appel, ce qui, en
pratique, peut annihiler l’urgence qu’elle a voulu reconnaître à cette procédure.

Le contentieux électoral au sein des chambres consulaires est aussi réglé


selon des procédures d’urgence.

β. Les procédures d’urgence instituées en matière de contentieux


électoral au sein des Chambres consulaires

A la différence d’un pays comme la France où il existe plusieurs chambres


professionnelles ou consulaires, le Cameroun n’en a que deux : la Chambre de
Commerce, des Mines de l’Industrie et de l’Artisanat et la Chambre d’Agriculture, des
Pêches et de l’Elevage. Elles ont été créées pour « assurer auprès des pouvoirs

35
publics une représentation officielle de certains intérêts privés »164. Etablissements
publics, dotés de la personnalité juridique et de l’autonomie financière, elles sont
placées respectivement sous la tutelle du Ministre Chargé du Commerce - pour ce
qui est de la Chambre de Commerce -, du Ministre de l’Agriculture et du Ministre de
l’Elevage, de la Pêche et des Industries animales- pour ce qui concerne la Chambre
d’Agriculture.

Les chambres consulaires exercent, en dehors de leur fonction de


représentation, une fonction consultative et de défense des intérêts de leurs
membres auprès des pouvoirs publics.

Avant la réforme du 27 novembre 2001, les membres de la Chambre de


Commerce étaient au nombre de 120 dont 60 titulaires et 60 suppléants, nommés
pour moitié par le Président de la République et élus pour l’autre moitié165. Elle est
désormais composée de 160 membres tous élus, à l’exception de son Président qui
est nommé par le Président de la République parmi ses membres166.

Quant à la Chambre d’Agriculture, elle se compose de 120 membres dont 60


titulaires et 60 suppléants élus ou nommés parmi les agriculteurs, les éleveurs, les
pêcheurs et les forestiers. Sont désignées par le Président de la République 5
personnalités, membres titulaires et 5 personnalités suppléantes. Ce qui revient à
dire que 110 membres sont élus par leurs pairs167.

L’organisation et le déroulement des élections des membres de ces deux


chambres consulaires ont souvent donné lieu à des contentieux dont les procédures
de règlement sont fixées par les textes qui les régissent. Ces procédures concernent
les litiges portant sur l’électorat, l’éligibilité et les opérations électorales. En dehors de
quelques différences rédactionnelles et de précisions d’ordre formel, les indications
d’ordre temporel sont les mêmes. Il en était ainsi jusqu’à la réforme du 27 novembre

164
Georges Nakseu Nguefang, Le contentieux des élections aux Chambres consulaires, Mémoire de maîtrise de
droit public, Université de Yaoundé, 1992, p. 3.
165
V. Article 3.1 et 6 du décret n° 86/231 du 13 mars 1986 portant statuts de la Chambre de Commerce
d’Industrie et des Mines.
166
V. article 18 et 25.2 du décret n° 2001/380 du 27 novembre 2001 portant changement de dénomination et
réorganisation de la Chambre de Commerce, de l’Industrie et des Mines du Cameroun. D’après l’article 2 dudit
décret, cette Chambre prend la dénomination de Chambre de Commerce de l’Industrie, des Mines et de
l’Artisanat, en abrégée CCIMA.
167
V. article 3 (nouveau) al 1 et 4 du décret n° 78/525 du 12 décembre 1978 portant statut de la Chambre
d’Agriculture, de l’Elevage et des Forêts du Cameroun.

36
2001168. Les élections qui ont suivi cette réforme n’ont pas encore été l’objet d’un
contentieux en instance devant le juge administratif169. Pour cette raison, il ne sera
question ici que de la procédure en vigueur avant cette réforme, les jugements
rendus par le juge administratif l’ayant été sur la base de cette procédure.

Pour ce qui est du contentieux de l’électorat ou du droit de vote, la


réglementation énonce que toute personne intéressée – et le bureau de la
Chambre170 – , peut se pourvoir ou intenter un recours auprès de la Chambre
administrative de la Cour Suprême dans un délai de 15 jours francs à compter de la
date de publication des listes définitives, « par simple déclaration au greffe de ladite
chambre »171 contre les décisions172, les inscriptions, radiations ou omissions faites
par la commission électorale nationale ou provinciale173 ou par le Ministre chargé du
Commerce, Président de la Commission174.

Elle indique, par ailleurs, que la Chambre administrative statue dans les
quinze (15) jours suivant l’introduction du recours ou de la requête ; « elle juge sur
mémoire ; la présence des parties n’est pas indispensable »175 ; sa décision est
notifiée au Président de la Commission électorale nationale et aux autorités
administratives locales qui en informent le requérant176 ou, par les soins de
l’Administration, au requérant et au Président de la Commission177.

168
Depuis lors, le contentieux électoral au sein de cette Chambre a changé tant dans la forme que dans le fond.
Ainsi, l’article 33 du décret n° 2001/381 du 27 novembre 2001 portant conditions d’élection des membres de la
Chambres de Commerce, d’Industrie, des Mines et de l’Artisanat du Cameroun, dispose que toute contestation
portant sur les listes électorales et d’une manière générale l’éligibilité, sont soumises à la Commission électorale
qui statue en premier ressort ; « en cas d’insatisfaction, la cause est portée devant la chambre administrative de
la Cour Suprême qui statue suivant la procédure du référé administratif ». Traitant des opérations électorales,
l’article 34 du même décret énonce que dans les quinze (15) jours suivant la publication des résultats, tout
électeur a le droit de contester par tous moyens laissant trace, les opérations de sa sous-section dans les
conditions de droit commun (…) ; « en cas de saisine de la chambre administrative de la Cour Suprême, celle-ci
statue suivant la procédure du référé administrative » ; les membres dont l’élection est contestée, avisés par voie
administrative, ont un délai de dix (10) jours présenter leur défense ; mais les élus restent en fonction jusqu’à ce
qu’il ait été statué définitivement sur les réclamations. Cette nouvelle procédure, louable dans sa finalité, est
cependant critiquable dans son articulation ; en effet, celle-ci est quelque peu confuse car si le référé permet de
rendre rapidement une décision, celle-ci reste provisoire et n’a pas autorité de la chose jugée ; par ailleurs, il ne
permet pas l’annulation d’une élection qui s’est déroulée dans des conditions manifestement irrégulières, ni de
statuer définitivement sur des réclamations en cas d’appel.
169
Les élections ont eu lieu le 12 novembre 2002.
170
V. art. 15.1 du décret n° 86/231 du 13 mars 1986 portant statuts de la Chambre de Commerce.
171
V. art. 14 (nouveau) du décret n° 78/525 du 12 décembre 1978 portant statut de la Chambre d’Agriculture.
172
V. art. 14 (nouveau) du décret n° 78/525 suscité.
173
Ibid.
174
V. art. 15.1 du décret n° 86/211.
175
V. art. 12 du décret n° 86/231.
176
V. art. 14 du décret n° 78/525.
177
V. art. 15.5 du décret n° 86/231.

37
En ce qui concerne le contentieux de l’éligibilité, l’article 17 (nouveau) al. 4 du
décret n° 78/525 du 12 décembre 1978 portant statut de la Chambre d’Agriculture
dispose que pour compter de la date d’affichage -constatée par procès-verbal- ou de
notification de la liste provisoire par section des candidatures, toute personne
intéressée dispose d’un délai de 5 jours francs pour intenter un recours contre la
décision de la commission auprès de la Chambre administrative de la Cour Suprême
qui statue dans les huit (8) jours francs suivant l’introduction du recours.

Quant à l’article 19 al. 3 du décret n° 86/231 du 1 3 mars 1986 portant statuts


de la Chambre de Commerce, il énonce que tout intéressé dispose, aussi, d’un délai
de cinq jours à compter de la publication de la liste - qui est constatée par procès-
verbal - ou de la notification personnelle pour « faire appel » de la décision de la
commission - celle-ci est donc un premier degré de juridiction- devant la Chambre
administrative de la Cour Suprême - qui est ainsi un second degré de juridiction - qui
statue dans les huit jours francs suivant la production de la requête dans les
conditions prévues en la matière.

Relativement au contentieux des opérations électorales ou de la votation178, le


délai prévu à l’effet d’intenter un recours est de 15 jours suivant la proclamation des
résultats des élections - en principe au journal officiel tant au sein de la Chambre
d’Agriculture que de la Chambre de Commerce. L’article 24.1 du décret n° 78/525 du 12
décembre 1978 portant statut de la Chambre d’Agriculture indique que ce recours est fait
« par simple déclaration au greffe » de la « Cour Suprême »179, tandis que l’article 27 du
décret n° 86/231 du 13 mars 1986 portant statuts de la Chambre de Commerce énonce
que le recours introduit « devant la Chambre administrative de la Cour Suprême » peut
l’être « au besoin par télégramme », et que, dans ce cas, « le mémoire exposant les
griefs du requérant doit être déposé au greffe de la Cour Suprême dans les quinze jours
qui suivent le dépôt de la requête initiale »180 ; il ajoute, par ailleurs, que les membres dont
l’élection est contestée sont immédiatement avisés par voie administrative et ont un délai
de 20 jours pour présenter leur défense.

178
B. Momo, op. cit., p. 146.
179
C’est nous qui soulignons. En effet, les rédacteurs du texte semblent confondre le greffe de la Chambre
administrative de la Cour suprême où sont déposés les recours lorsque cette instance est saisie et le greffe de la
Cour suprême où sont déposés d’autres recours en matière judiciaire, les recours en rétractation des décisions
rendues par l’Assemblée plénière statuant en matière administrative et où sont transmis par le greffe de la
Chambre administrative les recours en appel contre les décisions rendues par la Chambre administrative.
180
Idem.

38
Lorsque le juge administratif est saisi, il dispose dans un cas comme dans l’autre
de 90 jours à compter de sa saisine pour statuer. Cependant, les élus dont l’élection est
contestée « restent en fonction jusqu’à ce qu’il ait été statué définitivement sur les
réclamations » ou « sur les recours ». On peut se demander si c’est le juge saisi qui statue
définitivement ou si c’est un autre juge ; si c’est un autre, une telle disposition induit la voie
d’appel dont les délais d’introduction et d’instance ne sont cependant pas précisés ; au
cas contraire, on pourrait dire que d’une certaine façon, la procédure juridictionnelle
appliquée au contentieux électoral au sein des chambres consulaires est celle de
l’urgence et qu’« il s’agit d’un contentieux spécial par rapport au contentieux
administratif »181. De fait, les délais prévus dans le cadre de cette procédure « paraissent
raisonnables afin de permettre aux éventuels requérants de rentrer à temps dans leurs
droits »182. Il en est de même de ceux institués dans d’autres matières contentieuses.

b. Les procédures d’urgence instituées dans les autres matières

En l’état actuel du droit législatif camerounais, il existe quatre types de


contentieux administratifs spéciaux dont la procédure juridictionnelle de règlement
est régie par l’urgence183. Il s’agit du contentieux de la suspension et de la
dissolution des associations ; du contentieux de la légalisation, de la suspension et

181
G . Nakseu Nguefang, op. cit., p. 4.
182
Ibid.
183
Le contentieux de la censure, de la saisie et de l’interdiction des journaux en faisait partie jusqu’à la
modification de la loi n° 90/052 du 19 décembre 1990 relative à la liberté de communication sociale par la loi n°
96/04 du 04 janvier 1996. En effet, l’article 14 paragraphe 6 (ancien) de la loi n° 90/052 disposait que la décision
de censure d’un journal est susceptible de recours « devant le juge compétent qui doit statuer dans un délai d’un
(01) mois à compter de la date de saisine », tandis que l’art. 16 al 2 (ancien) énonçait que « la décision de saisie
ou d’interdiction – d’un journal est susceptible de recours dans les mêmes conditions » que celles régissant le
contentieux de la censure. Il en est de même de la décision interdisant la circulation, la distribution et la mise en
vente au Cameroun d’organes de presse étrangers (voir article 24 al. 1). La loi n° 96/04 a supprimé la censure
administrative des journaux et par conséquent, les règles contentieuses y relatives, et a attribué le règlement du
contentieux de la saisie et de l’interdiction des journaux au « juge compétent en référé d’heure en heure » ; elle
prévoit même la possibilité pour le Directeur de Publication de saisir le juge compétent « suivant les dispositions
légales analogues en vigueur dans les provinces du Nord-Ouest et du Sud-Ouest » (V. article 17 (nouveau) al. 2).
Par ailleurs, elle énonce que le juge statue à compter de sa saisine dans les vingt quatre (24) heures après avoir
entendu contradictoirement les parties (v. art. 17 (nouveau) al. 3 et qu’en cas d’appel, la décision est rendue
dans les 24 heures. Sur le plan contentieux, le problème posé est de savoir si le juge compétent en référé d’heure
en heure est le juge administratif ou le juge judiciaire ; dans l’affaire portant sur l’interdiction par l’autorité
administrative du journal « Mutations », le Président du Tribunal de Première Instance de Yaoundé s’est
reconnu compétent comme juge de référé d’heure en heure, en rejetant l’argument du représentant de l’Etat qui
soutenait que l’acte querellé était un acte administratif dont l’appréciation de la légalité relève de la compétence
du juge administratif. Par conséquent , il a ordonné la levée de la décision d’interdiction « vu l’urgence », et a, au
principal, renvoyé « les parties à se pouvoir ainsi qu’elles aviseront » (voir extrait des minutes du greffe du
Tribunal de première instance de Yaoundé du 04 juillet 1997 in journal « Mutations » n° 52 du 10 au 13 juillet
1997, p. 1, et le résumé du débat d’audience des référés du 04 juillet 1977 sur cette affaire in journal
« Expression » n° 115 du 11 juillet 1997, p. 11.

39
de la dissolution des partis politiques ; du contentieux de la reconduite aux frontières
des étrangers ; du contentieux de la suspension et de la dissolution des
organisations non gouvernementales.

D’abord, dans tous ces contentieux, l’exigence de l’introduction d’un recours


gracieux préalable auprès de l’Administration avant la saisine du juge administratif
est exclue. Ensuite, les délais de saisine du juge et d’instance contentieuse sont
abrégés. Enfin, c’est un juge unique - à l’exception du contentieux de la reconduite à
la frontière-, en l’occurrence, le Président de la Chambre administrative, qui statue en
premier ressort. Mais, ils ont aussi chacun des règles particulières.

En ce qui concerne le contentieux de la suspension et de la dissolution des


associations, l’article 13 de la loi n° 90/053 du 1 9 décembre 1990 portant liberté
d’association énonce que les décisions de suspension et/ou de dissolution d’une
association sont susceptibles de recours sur simple requête devant le Président de la
juridiction administrative ; ce recours doit intervenir dans un délai de dix (10) jours, à
compter de la date de notification de l’acte querellé à personne ou à domicile, et le
Président de ladite juridiction statue par ordonnance dans un délai de dix (10) jours.

Pour ce qui est du contentieux du refus d’autorisation des partis politiques, de


la suspension et de la dissolution, l’article 8 la loi n° 90/056 du 19 décembre 1990
relative aux partis politiques énonce que les actes y relatifs sont susceptibles de
recours, sur simple requête, devant le juge administratif ; ce recours doit intervenir
dans un délai de 30 jours à compter de la date de notification à personne ou à
domicile et le Président de la Chambre administrative statue par ordonnance dans
un délai de 30 jours.

Quant au contentieux de la suspension et de la dissolution des organisations


non gouvernementales, l’article 22 de la loi n° 99/ 014 du 22 décembre 1999 -
régissant les organisations non gouvernementales - dispose que les mesures de
suspension et de dissolution d’une ONG sont susceptibles de recours, sur simple
requête, devant « le président de la juridiction administrative compétente » ; ce
recours doit intervenir dans un délai de dix (10) jours, à compter de la date de
notification des mesures litigieuses à personne ou à domicile et le président de la
juridiction administrative compétente statue par ordonnance dans un délai de trente
(30) jours.

40
Les décisions rendues par le juge administratif dans ces différents contentieux
sont susceptibles de voies de recours dont l’exercice n’a pas d’effet suspensif.

En ce qui concerne, enfin, le contentieux de la reconduite des étrangers à la


frontière, l’article 36 de la loi n° 97/012 du 10 j anvier 1997 fixant les conditions
d’entrée, de séjour et de sortie des étrangers du Cameroun prévoit que l’étranger qui
a fait l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière « peut, dans les 48 heures
suivant notification de celle-ci, demander son annulation devant la juridiction
administrative » ; celle-ci « est tenue, d’après l’article 37, de statuer dans les huit (8)
jours qui suivent sa saisine » et le jugement qu’elle rend est susceptible d’appel
selon les règles de droit commun , mais il n’a pas d’effet suspensif. Par ailleurs,
l’article 38 précise que « la mesure de reconduite à la frontière ne peut être exécutée
avant l’expiration du délai de 48 heures suivant sa notification et avant que la
juridiction saisie n’ait statué ». Cet article donne ainsi un effet suspensif à la saisine
du juge administratif et consacre par conséquent une exception à la règle selon
laquelle les recours contentieux n’ont pas d’effet suspensif.

Il se dégage des différentes procédures d’urgence contentieuses consacrées


par les textes législatifs et réglementaires le souci de voir certains contentieux être
rapidement réglés par le juge administratif, pour éviter que l’écoulement du temps ne
porte préjudice – de façon irrémédiable – aux droits et intérêts des parties et
permettre une bonne administration de la justice.

Certes, ce souci connaît des limites inhérentes aux textes eux-mêmes, mais il
revient au juge d’apprécier les intérêts en présence en accélérant la procédure et en
statuant rapidement. Ceci nous amène à la question fondamentale qui est au cœur
de la présente étude et que l’on peut formuler en ces termes : Est- ce que le juge
administratif camerounais statue et édicte rapidement des mesures susceptibles de
préserver les droits et intérêts des justiciables dans le cadre des procédures
contentieuses d’urgence ? Autrement dit, quelle est la place qu’il accorde à l’urgence
dans le règlement des contentieux accessoires et spéciaux pour éviter que
l’écoulement du temps ne préjudicie les droits et intérêts de ceux qui l’ont saisi ?

41
C. LA PRISE EN COMPTE CONTINGENTE DE L’URGENCE DANS LE
REGLEMENT DES CONTENTIEUX ACCESSOIRES ET SPECIAUX PAR
LE JUGE ADMINISTRATIF

Il se dégage de la pratique contentieuse et des décisions rendues par le juge


administratif camerounais dans le cadre des contentieux accessoires et spéciaux une
prise en compte contingente de l’urgence, malgré les multiples tentatives de
réglementation.

1. La détermination des données méthodologiques permettant d’établir


la prise en compte contingente de l’urgence dans les contentieux
accessoires et spéciaux

Pour mener à bien notre recherche, nous avons eu recours d’abord à deux
techniques à savoir, la collecte et l’entretien ; ensuite à deux approches logiques :
l’analyse et la comparaison.

a. Les techniques utilisées

La technique de collecte des données nous a permis de recenser d’une part


tous les textes législatifs et réglementaires qui imposent au juge administratif un
jugement d’urgence ou qui lui permettent de statuer d’urgence, et, d’autre part, les
ordonnances, jugements et arrêts rendus par le juge dans le cadre des procédures
d’urgence pour voir s’il prend ou non en compte l’urgence.

Pour les contentieux accessoires, nous avons collecté :

- en matière de sursis à exécution, 223 décisions dont 195 ordonnances


d’octroi et de refus de sursis rendues de 1976 à 2001, 21 ordonnances en
rétractation rendues de 1987 à 2001 , 3 arrêts rendus en appel et 4
jugements ;

- en matière de référé administratif, 72 décisions dont 58 relatives à l’octroi


et au refus du référé, 4 portant sur le désistement ; 1 jugement et 1
ordonnance de rétractation ; 8 arrêts rendus en appel.

42
Pour les contentieux spéciaux, nous avons recensé :

- en matière électorale, 128 décisions dont 82 relatives au contentieux


électoral municipal184 et 46 portant sur le contentieux électoral au sein des
chambres consulaires - 43 concernent la Chambre de Commerce et 3 la
Chambre d’Agriculture ;

- en matière de dissolution d’association, 4 décisions, dont 3 ordonnances et


1 arrêt ;

- enfin, en matière de refus de légalisation des partis politiques, 8 décisions


dont 7 rendues en premier ressort et une intervenue en appel.

Au total, 435 décisions ont été collectées et exploitées.

Cette collecte ne s’est pas faite sans difficultés. D’abord, il n’existe pas un
Recueil des décisions de la Cour Suprême ; ensuite, il a fallu "manœuvrer" pour que
les agents de greffe de la Chambre administrative et de la Cour Suprême nous
acceptent dans leur cadre de travail et veuillent bien chercher dans les archives les
décisions dont nous avions besoin ; enfin, il fallait, comme un archéologue, retrouver
et sélectionner les décisions dans des chemises qui n’étaient, pour l’essentiel, ni
mises à jour , ni bien classées ou rangées au greffe de la Chambre administrative.

La technique de collecte a été complétée par l’entretien. C’est ainsi que nous
nous sommes entretenu avec le personnel du greffe tant au niveau de la Chambre
administrative qu’au niveau de l’Assemblée plénière. Cet entretien, d’une utilité
certaine, nous a permis de saisir le fonctionnement pratique de la juridiction
administrative, de comprendre les difficultés qu’elle rencontre, les causes des
lenteurs dans l’édiction des décisions, en particulier celles qui devraient être prises
d’ urgence. Cet entretien nous a permis d’affiner notre hypothèse de travail.

Il ne nous a pas été possible de rencontrer le Président de la Chambre


administrative et celui de la Cour Suprême pour cause d’indisponibilité due à
l’ampleur de leur tâche. Nous sommes conscient que leur éclairage nous aurait
informé d’avantage sur le fonctionnement de la justice administrative. Pour

184
Ces décisions ne concernent que le contentieux né à l’occasion des élections municipales du 21 janvier 1996
car, au moment où nous achevions ce travail, les décisions concernant les recours introduits après les élections
municipales du 30 juin 2002 n’étaient pas encore disponibles. On sait, cependant, que la Chambre
administrative a prononcé 15 annulations totales, 2 annulations partielles et déclaré 90 recours irrecevables. V.

43
compenser cette limite, nous avons, « tel l’entomologiste s’inspirant des caractères et
des mœurs des insectes pour mieux les étudier »185, suivi, dans nos analyses, la
méthode de raisonnement du juge, telle qu’elle se dégage de ses décisions et de la
pratique contentieuse que nos entretiens nous ont permis de mieux appréhender.

En plus de ces techniques, nous avons fait usage de deux approches.

b. Les approches adoptées

Nous avons adopté dans la présente étude, principalement l’approche


analytique et, accessoirement, l’approche comparative.

L’approche analytique nous a permis de comprendre et d’interpréter le


raisonnement du juge dans les différentes décisions rendues en matière d’urgence ,
d’apprécier le rapport entre les dispositions textuelles régissant l’urgence et
l’application ou l’interprétation qu’en fait le juge.

L’approche comparative nous a permis de savoir si la prise en compte


contingente de l’urgence contentieuse était le propre du juge administratif
camerounais. A cet égard, nous nous sommes, par moment, intéressé à l’action du
juge judiciaire et à celle du juge administratif français lorsqu’ils sont saisis dans le
cadre des procédures d’urgence. Cette approche nous a ainsi permis « d’introduire
une vision pluraliste »186 dans notre recherche pour pouvoir cerner, dans sa juste
mesure, sa particularité.

2. L’effectivité de la prise en compte contingente de l’urgence dans les


contentieux accessoires et spéciaux

La présente étude fait apparaître que, sous sa forme contentieuse, l’urgence


est prise en compte de façon contingente par le juge administratif dans les
contentieux accessoires et spéciaux. D’une part, cette prise en compte contingente
de l’urgence se manifeste dans la procédure contentieuse en ce qu’elle affecte
l’application des procédures d’urgence accessoires et spéciales tant au niveau de la

« Le Messager » n° 1411 du 09 décembre 2002, p. 3. Le compte rendu fait par ce journal fait ressortir une
certaine constance dans la position du juge sur bien de points analysés dans cette thèse.
185
O. Dugrip, op. cit., p. 21.
186
Mireille Delmas-Marty, in Le Figaro n° 18295 du 4 juin 2003, p. 19.

44
recevabilité des demandes qu’à celui du déroulement de l’instance (1ère partie).
D’autre part, cette prise en compte contingente de l’urgence a des effets sur le

règlement de la situation contentieuse en ce que le juge administratif n’édicte que


parcimonieusement dans les contentieux accessoires les mesures susceptibles de
préserver provisoirement les droits des requérants et limitativement dans les
contentieux spéciaux celles qui sont de nature à les protéger définitivement (2nde
partie).

45
PREMIERE PARTIE

LES MANIFESTATIONS DE LA PRISE EN


COMPTE CONTINGENTE DE L’URGENCE
DANS LA PROCEDURE CONTENTIEUSE

46
« En tant qu’art, le Droit et la Jurisprudence sont des trouveurs de
vérité sociale, des créateurs d’ordre social et de justice (…). Leurs
constructions exigent plus que de la technique, elles réclament de
l’intuition artistique, et le construit est une œuvre d’art non pas une
œuvre de technique ».

Maurice Hauriou, « L’ordre social, la justice et le droit », Revue


Trimestrielle de Droit Civil, 1927, (pp.795-825), p. 803.

47
La procédure contentieuse peut être définie comme l’ensemble des règles
régissant l’accès au juge et le comportement dans le procès187. C’est le processus
qui aboutit à un jugement, à une décision juridictionnel188. En somme, c’est le
processus de matérialisation de l’institution du contrôle juridictionnelle de l’activité
administrative, « processus qui commence par l’exercice de recours et s’achève par
l’édiction du jugement, impliquant plusieurs étapes intermédiaires (instruction,
déroulement de l’audience, décision) »189. La conduite du procès par le juge est
dominée par deux éléments : d’une part, la recevabilité de la requête, d’autre part,
les mesures prises pour arriver à une solution, partielle ou définitive, rapide190.

La procédure contentieuse a mauvaise réputation et les adjectifs qui dérivent


d’elle – processif, procédurier – sont nettement péjoratifs ; « mais, bien conçue et
intelligemment appliquée, elle ne devrait pas constituer un formalisme vain, irritant et
favorisant toutes les manœuvres »191. Elle doit, par conséquent, être libérale, c’est-à-
dire que l’accès au prétoire doit être facile, économique192 et satisfaisante. Autrement
dit, elle doit protéger le juge contre les risques d’erreurs en « le contraignant à
s’entourer de toutes les garanties nécessaires et les parties contre les risques de
décision arbitraire (…) »193. Elle doit également garantir l’impartialité dans le
déroulement du procès. Mais, « conçue comme le point de friction entre intérêts
privés et intérêt général »194, la procédure administrative contentieuse n’est pas
toujours en conformité avec de telles exigences, qui sont celles d’une bonne
administration de la justice. Complexe et lourde dans sa mise en œuvre, elle ne
permet pas toujours de donner satisfaction aux parties demanderesses tant en ce qui
concerne leur accès au prétoire que l’examen de leur demande.

C’est pour pallier ces lacunes que des procédures accessoires et spéciales
sont instituées. Celles-ci prennent en compte l’urgence au niveau de la recevabilité

187
Daniel Chabanol, Le juge administratif, Paris, LGDJ, 1993, p. 82.
188
Constantin Yannakopoulos, La notion de droit acquis en droit administratif français, Thèse, Paris, LGDJ,
1997, p. 362.
189
Ibid.
190
Gustave Peiser, « Le développement de l’application du principe de légalité dans la jurisprudence du Conseil
d’Etat », Mélanges René Chapus, Paris Montchrestien, 1992, p. 519.
191
Raymond Odent, Contentieux administratif, Institut d’Etudes Politiques, 1970-1971, Paris, p.699.
192
Ibid.
193
Ibid.
194
B. Seiller, Droit administratif, op. cit., p 152.

48
des recours et de leur jugement. Les procédures accessoires sont destinées à
permettre au juge de prendre, dans l’attente du jugement au fond, des mesures
d’attente que l’intérêt du requérant comme celui d’une bonne administration de la
justice recommandent de ne pas différer. En revanche, les procédures spéciales,
dérogatoires à la procédure de droit commun, permettent de prendre rapidement des
mesures définitives, eu regard à la nature du litige, pour éviter que l’écoulement du
temps ne préjudicie définitivement les droits ou intérêts des requérants.

Au Cameroun, ces procédures existent et sont plus ou moins rigoureusement


organisées par les textes. Toutefois, c’est au juge administratif qu’il revient de les
appliquer. Il ressort des décisions rendues dans le cadre de ces procédures et de la
pratique contentieuse que l’urgence qui en est le fondement et la finalité est prise en
compte de façon contingente par le juge. Il en est ainsi tant au niveau de
l’application des procédures contentieuses accessoires (TITRE I) que de l’application
des procédures contentieuses spéciales (TITRE II). Or, comme l’a relevé le
professeur R. Chapus, « le signe extérieur d’une bonne justice, c’est l’excellence de
ses procédures d’urgence »195.

195
R. Chapus, Rapport de synthèse du colloque du 30e anniversaire des Tribunaux administratifs, op. cit., p. 338.

49
TITRE I

LA PRISE EN COMPTE CONTINGENTE


DE L’URGENCE DANS L’APPLICATION
DES PROCEDURES CONTENTIEUSES
ACCESSOIRES

50
Comme l’affirme D. Chabanol, « une justice sans procédure verrait les parties
soumises au bon vouloir du juge qui admettrait le recours de l’un et déclarerait l’autre
irrecevable selon son humeur »196. Mais, il ne faut pas perdre de vue que c’est bien
le juge qui met la procédure en œuvre, et bien que tenu par les règles qui régissent
cette dernière, il a une importante marge d’appréciation. Il en est ainsi de l’application
des procédures contentieuses accessoires que sont les procédures du sursis à
exécution et du référé administratif.

Bien que différentes dans leur finalité, en ce que le sursis à exécution permet
d’ordonner la suspension provisoire des décisions administratives jusqu’à ce que le
juge tranche le litige au fond et que le référé permet au juge d’ordonner soit des
mesures d’instruction, soit des mesures conservatoires qui mettent les intérêts des
parties à l’abri du temps197, « ces procédures d’urgence stricto sensu »198 ont
cependant des traits communs qui les unissent. D’abord, elles ne se justifient que
parce qu’il existe une instance principale «dont il s’agit de préserver l’utilité en
protégeant les droits des parties »199, même si elles le sont à des degrés différents.
Ensuite, elles ne se justifient que par l’urgence qui, « empêchant d’attendre
l’intervention du juge du fond nécessite le prononcé immédiat de mesures
protectrices des intérêts des parties »200.

En principe, le caractère accessoire et urgent de ces procédures se traduit par


« l’allégement du régime procédural »201, c’est-à-dire des formalités d’accès au juge
et de celles portant sur le déroulement de la procédure ; l’objectif étant de protéger
rapidement en attendant l’édiction d’une mesure définitive, les droits des justiciables
qui risquent, du fait de l’écoulement du temps, d’être irrémédiablement préjudiciés.

La pratique contentieuse et les décisions rendues par le juge administratif


camerounais ne prennent pas toujours en compte cette donnée. Il s’avère que la prise en
considération de l’urgence est davantage une faculté qu’une obligation. Cela se traduit
concrètement par la fluctuation du contrôle de la recevabilité des demandes annexes
(Chapitre I) et par l’instabilité de l’instance contentieuse accessoire (Chapitre II).

196
D. Chabanol, op. cit., p. 82.
197
O. Dugrip, op. cit., p. 109.
198
Ibid., p. 110.
199
Ibid.
200
Ibid.
201
R. Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 850.

51
CHAPITRE I

LA FLUCTUATION DU CONTROLE DE LA
RECEVABILITE DES DEMANDES ANNEXES

52
En principe, avant d’examiner le fond d’une affaire, tout juge doit se demander
si l’action portée devant lui est recevable. Autrement dit, « avant de se demander
"comment juger " le juge doit se demander" faut-il juger" »202.

Pour Maurice Hauriou, « il y a examen de la recevabilité, en ce sens qu’il


existe un certain nombre de fins de non recevoir et que lorsque l’existence de l’une
de ces fins de non recevoir est constatée dans une espèce, le recours peut-être
rejeté sans être examiné au fond »203. Selon l’éminent auteur, il existe quatre fins de
non recevoir qui peuvent être tirées de la nature de l’acte, du défaut de qualité du
requérant, de l’inobservation des formes et délais, de l’existence d’un recours
parallèle204. La recevabilité est appréhendée ici au sens strict, car elle ne prend pas
en compte, par exemple, la condition liée à la compétence du juge.

Bernard Pacteau adopte aussi une définition stricte de la recevabilité lorsqu’il


écrit que « les conditions d’accès au juge par delà celles de la compétence
juridictionnelle, constituent la théorie de la recevabilité des demandes, c’est-à-dire
que leur méconnaissance interdit tout examen de la requête et de ses mérites »205.

Toutefois, lorsque le juge se demande « faut-il juger ? », « il se peut (…) que


le recours soit formé hors délai, porté devant un juge incompétent (...) »206. Il en
résulte que appréhendée lato sensu, la recevabilité intègre la condition de la
compétence juridictionnelle.

En principe, la recevabilité des demandes annexes ne devrait pas être


subordonnée à l’accomplissement de formalités qui conditionnent celle du recours
principal, même si l’on admet que « l’existence d’une instance principale, en vue de
laquelle sont organisées les procédures d’urgence accessoires, commande les
conditions dans lesquelles celles-ci doivent être mises en œuvre »207. En pratique,
ces conditions sont diversement appréciées par le juge administratif camerounais. Il
en est ainsi des conditions de recevabilité externe (Section 1) et interne (Section 2).

202
G. Vedel et P. Delvolvé, op. cit., p. 249.
203
M. Hauriou, Précis de droit administratif et de droit public général, 12e éd., Paris, Sirey, 1933, Dalloz, 2002,
réédition présentée par Pierre Delvolvé et Franck Moderne, p. 410.
204
Ibid.
205
B. Pacteau, op. cit., p. 135.
206
G. Vedel et P. Delvolvé, op. cit.
207
O. Dugrip, op. cit., p.111.

53
SECTION I : L’APPRECIATION DE LA RECEVABILITE EXTERNE

DES DEMANDES ANNEXES

En règle générale, c’est toujours à la date d’introduction de la demande que le


juge se place pour apprécier si, au regard des conditions exigées, ladite demande
est recevable208.

Les conditions relatives à la recevabilité externe de la demande annexe ne


sont pas explicitement déterminées par les textes ; c’est le juge administratif qui les
formule tant en matière de sursis à exécution qu’en matière de référé administratif.
On peut donc comprendre son inconstance dans l’appréciation de ces conditions. Si
certaines de ces conditions sont inhérentes au caractère annexe des procédures de
sursis à exécution et de référé administratif, d’autres, par contre, s’en détachent. Il se
dégage de la pratique juridictionnelle et des décisions rendues dans le cadre de ces
procédures que l’urgence ne constitue pas, dans l’office du juge camerounais, une
préoccupation permanente. C’est ainsi qu’il se prononce diversement sur la qualité
pour agir (§ 1), l’obligation de produire la décision litigieuse (§ 2), la nécessité de
justifier de l’introduction du recours gracieux (§ 3) et l’obligation d’introduire une
demande principale (§ 4).

PARAGRAPHE I : LA DETERMINATION DE LA QUALITE POUR AGIR

La qualité constitue avec la capacité et l’intérêt, les trois conditions de


recevabilité de la demande liées à la personne du requérant. Bien que parfois
confondues, elles concernent néanmoins des aspects différents de l’appréciation de
la recevabilité d’une action en justice209. La capacité c’est l’aptitude à agir en justice.
Elle suppose une majorité – d’où l’exclusion des mineurs non émancipés –, un
équilibre mental – d’où l’exclusion des aliénés mentaux et autres incapables -, et
une personnalité juridique pour les personnes morales210. Quant à l’intérêt, il sous-

208
R. Odent, op. cit., p 745.
209
V. Jean-Luc Maillot, « La "qualité pour agir" du représentant d’une personne morale devant le juge
administratif », Les Petites affiches n°149, 1998, p. 8.
210
Cette exigence a une limite. Ainsi en France, le CE a considéré qu’une société civile immobilière en cours de
formation peut être recevable à agir en justice (CE, 12 mai 1992, Ranier, Req. N°89-858 ; CE, 10 décembre
1997, société coopérative ouvrière maritime de service de Lamanage, req. n°168-238). De même, au Cameroun,
le juge administratif a accepté de connaître d’un recours présenté par une association de fait non déclarée . Cf.
CFJ/CAY, arrêt n°178 du 29 mars 1972, affaire Eitel Mouelle Koula contre République Fédérale du Cameroun
(dite « affaire des Témoins de Jéhovah »).

54
entend que « celui qui saisit la juridiction (administrative) doit justifier d’un intérêt à
demander l’annulation d’une décision »211. Plus précisément, il suppose « un espoir
de gain pécuniaire ou moral en cas de succès de l’action intentée contre
l’Administration »212.

Pour ce qui est de la qualité, R. Chapus considère qu’il s’agit d’une notion
polysémique213. Patrick Charlot, abondant dans le même sens, affirme que « la
doctrine est unanime pour reconnaître trois sens à "qualité" sans compter le sens
commun »214. Le premier recouvre la qualité à agir pour le compte d’autrui, le
deuxième « la situation juridique du demandeur, le titre en vertu duquel il peut
engager le procès »215 , autrement dit, « la qualité en laquelle le requérant
agit »216, et donc « l’intérêt en cette qualité »217 ; enfin le troisième concerne « le
pouvoir de saisir le juge et de l’obliger à statuer sur le bien fondé de la demande »218.

On peut s’apercevoir qu’il existe un point commun entre les deux derniers
sens possibles de « qualité » ; à savoir qu’ « ils ne peuvent s’entendre qu’à travers
la notion d’intérêt donnant qualité pour agir » (…)219 ; ce qui aboutit à un imbroglio
car un même terme désigne deux réalités différentes, lesquelles ne trouvent un
semblant d’explication que dans un seul et même concept : l’intérêt220. La
jurisprudence administrative – comme on le verra plus loin – a participé à cette
confusion par l’emploi souvent ambigu du terme « qualité » malgré quelques
tentatives de clarifications221.

Dans un arrêt rendu le 4 décembre 1951222 la Cour d’Appel de Lyon avait


marqué la différence entre ces deux conditions nécessaires pour exercer une action
en justice. L’argument tenait en deux attendus : « Attendu que, parmi les conditions
fondamentales que tout plaideur doit réunir pour exercer un droit en justice, figure,
outre l’intérêt, la qualité, qui est le titre auquel il peut engager le procès ; Attendu que

211
J.L Maillot, op. cit.
212
J. Owona, op. cit., p. 210.
213
R. Chapus Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 299.
214
Patrick Charlot, « L’actualité de la notion de " qualité donnant intérêt à agir" », RFDA, 1996, p. 481.
215
Ibid., pp. 481-482.
216
R.Chapus, op. cit.
217
P. Charlot, op. cit., p. 482.
218
M. Laligant, « La notion d’intérêt pour agir et le juge administratif », RDP ,1972.50.
219
P. Charlot, op. cit., p 482.
220
Ibid.
221
Ibid.
222
V. D., 1952.202.

55
seuls les époux ont qualité pour former une demande en procès »223. La notion de
qualité s’affirmait ainsi indépendamment de celle d’intérêt. Elle doit donc être
entendue comme « le titre auquel le plaideur peut engager le procès » ou comme
« le titre qui permet au plaideur d’exiger du juge qu’il statue sur le fond du litige »224.
Perçue de la sorte, « la qualité concerne indubitablement le pouvoir d’action, dès lors
que l’on admet que ce pouvoir est précisément celui d’obtenir du juge qu’il statue sur
le fond d’un litige »225 .

Statuant sur la qualité des requérants dans le cadre des procédures


accessoires d’urgence, le juge administratif camerounais n’a pas totalement fait
sienne cette définition de la qualité. En effet, s’il a eu , à bon droit, à méconnaître à
un requérant la qualité pour le saisir pour défaut de droit à préserver (B), il lui est
arrivé de déduire la qualité du requérant de son intérêt à agir, alors même que les
circonstances de l’espèce ne se prêtaient pas à une telle démarche (A).

A. LA RECONNAISSANCE DE LA QUALITE DU FAIT DE L’EXISTENCE


D’UN INTERET A AGIR

Dans une ordonnance de référé administratif rendue le 3 juin 1978226, le juge


administratif camerounais reconnaît au requérant la qualité pour agir au motif qu’il a
intérêt pour agir. Ce faisant, il déduit la qualité de l’intérêt. Pourtant, les circonstances
de l’espèce ne permettaient pas une telle déduction. Ceci amène à « se demander si
la qualité est encore une condition de recevabilité des recours » (…)227.

1. La détermination de l’intérêt à agir

Il convient, pour bien saisir la démarche du juge dans l’affaire Lélé Gustave de
rappeler les faits de l’espèce. Le sieur Lélé avait saisi le Président de la Chambre
administrative de la Cour Suprême statuant comme juge des référés d’un recours
tendant à la suspension de l’exécution des arrêtés du Ministre des Finances datant
du 24 avril 1978 dont l’un abrogeait un arrêté du 20 novembre 1976 portant

223
Cf. Claude Giverdon, « La qualité, condition de recevabilité de l’action en justice », D. I. 1952, p. 85.
224
Ibid.
225
Ibid. citant Morel, in Traité élémentaire de procédure civile, 2e éd. 1949. n°22.
226
Ordonnance de référé n°7/ORSE/CS/PCA/77-78 du 3 juin 1978, affaire Lélé Gustave contre Etat du
Cameroun (MINFI).
227
J.C. Vénezia, « Intérêt pour agir », Répertoire de Contentieux administratif, n°37, Dalloz, cité par P. Charlot,
op. cit., p. 483.

56
agrément de la Banque Unie du Crédit (BUC) et l’autre créait une Commission de
liquidation de ladite banque. Pour le requérant, ces décisions étaient arbitraires et
illégales ; de plus, il y avait urgence et péril en la demeure car la banque avait à faire
face à des engagements extérieurs et intérieurs, un personnel à payer et une
clientèle qui souffrait.

L’Etat du Cameroun, qui s’opposait à cette demande, avait conclu au principal


à son irrecevabilité pour défaut de qualité de Lélé Gustave, subsidiairement à
l’incompétence du juge des référés. Pour lui, le sieur Lélé « ne justifie pas de la
qualité pour agir au nom de la banque faute pour lui d’avoir produit un mandat à lui
délivré par le Conseil d’Administration, conformément aux dispositions de l’article 22
des statuts de la BUC ».

Le Ministère public avait également soulevé l’irrecevabilité du recours pour


défaut de qualité de la part de Lélé, « puisque d’après l’article 22 de la BUC, il aurait
dû avoir un mandat du Conseil d’Administration de la BUC seul habilité à "autoriser
toute action judiciaire" ». Statuant sur ce point, le juge Administratif met en avant
l’intérêt du requérant. Pour lui, un recours pour excès de pouvoir n’est recevable que
si son auteur justifie d’un intérêt juridique à obtenir l’annulation de l’acte attaqué ; il
ne suffit pas seulement qu’un droit individuel soit lésé. Le juge considère « qu’il y a
intérêt pour agir lorsque l’acte attaqué doit léser le requérant, lorsque l’annulation de
l’acte attaqué doit lui profiter ». D’après lui, « il n’est pas contesté que Lélé Gustave
soit aussi actionnaire de la BUC », que « la radiation de cette banque lui cause
personnellement un préjudice » et que, « par conséquent, la suspension de
l’exécution des décisions attaquées lui profite nécessairement ». Pour asseoir
définitivement sa conviction, le juge affirme que « l’intérêt personnel qui permet de
former un recours pour excès de pouvoir peut être individuel ou collectif, la notion
d’intérêt pour agir en excès de pouvoir étant beaucoup plus large que dans le
contentieux de pleine juridiction ». Il conclut donc en ces termes : « (...) il s’en suit
que Lélé Gustave a qualité pour agir dans la présente instance ».

On peut dire que dans cette l’espèce, le juge a réalisé un amalgame parfait. On
serait même tenté de dire qu’il est « hors sujet ». De fait ; il n’est pas pensable
qu’une telle prise de position soit liée à l’urgence inhérente à la situation litigieuse en
cause.

57
Le moyen d’irrecevabilité allégué dans cette espèce est bien celui de défaut de
qualité du requérant et non d’intérêt. Il n’est pas contestable que le sieur Lélé avait
intérêt puisqu’il était actionnaire de la Banque et que la radiation de celle-ci lui
causait personnellement un préjudice. Tout comme il est incontestable que la notion
d’intérêt pour agir en excès de pouvoir est beaucoup plus large que dans le
contentieux de pleine juridiction. Le problème est que « par un procédé détestable
d’amalgame entre deux notions autonomes, la qualité et l’intérêt, le Président de la
Chambre administrative en est venu à rendre une ordonnance sur ce point
hautement critiquable » ; car déduire la qualité de l’intérêt, comme il l’a fait, « est
juridiquement insoutenable au regard de la jurisprudence de la Cour qui distingue
soigneusement les deux notions comme étant des conditions autonomes de
recevabilité d’une requête »228. D’ailleurs, au regard des circonstances de cette
espèce, il y a lieu de penser que le juge a détourné la notion de qualité pour agir au
nom d’une personne morale.

2. Le détournement de la notion de qualité pour agir au nom d’une


personne morale

Le lien ou la confusion entre l’intérêt et la qualité est le fait de la jurisprudence


et de la doctrine229 . Mais, cette liaison ou cette confusion intervient dans des
situations qui n’ont rien à voir avec les circonstances de l’espèce en cause.

Pour M. Hauriou, « il faut que le requérant ait qualité pour intenter le recours,
ce qui exige deux conditions, la capacité d’ester en justice et l’intérêt à l’annulation
de l’acte »230. Abondant dans le même sens, E. Laferrière écrit que, « la qualité
requise pour former un recours naît de l’intérêt direct et personnel que la partie peut
avoir de l’annulation de l’acte »231. Cependant, l’intérêt invoqué ne sera pas reconnu
comme donnant qualité à agir s’il est trop général. Ainsi, « la qualité de citoyen ne
confère pas un intérêt personnel à agir »232.

228
M. Kamto, Observations sur l’ordonnance de référé n°7 du 3 juin 1978, affaire Lélé Gustave contre Etat du
Cameroun, in M. Kamto, Droit administratif processuel du Cameroun, Yaoundé, PUC, 1990, pp. 180-181.
229
V. P. Charlot, op. cit., pp 482 et suiv. . V. aussi, Jean-Claude Kamdem, « L’intérêt et la qualité pour agir »,
RCD n°28, 1984, pp. 59-72.
230
M. Hauriou, op. cit., p. 423 ; v. aussi, R. Odent , op. cit., p 784 ; B. Seiller, op. cit., p 164.
231
Edouard Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, préface Roland Drago,
T2, Paris, LGDJ, 1989, p. 405.
232
CE. 6 octobre 1956, Marcy, Rec. p. 493. V. Martine Lombard, Droit administratif, 4e éd., Paris, Dalloz, 2003,
p. 388.

58
Pour d’autres auteurs, c’est la qualité qui confère l’intérêt ; elle est une
condition essentielle à la reconnaissance de l’intérêt233. Ainsi, la qualité de
commerçant ou d’industriel, d’usager d’un service public ou de contributeur « confère
aux particuliers intérêt à agir contre les actes administratifs unilatéraux qui les
touchent personnellement au titre de l’une de ces qualités »234.

Il se dégage de ce qui précède que pour la doctrine administrative française,


qui se réfère à la jurisprudence du Conseil d’Etat, la dissociation de l’intérêt et de la
qualité n’est pas possible car ils « se rapprochent tous les deux à la justification de la
démarche du requérant. Ils se commandent l’un l’autre »235 . De fait, la jurisprudence
française, et même camerounaise, affirme tantôt que le requérant justifie - ou non -
d’un intérêt lui donnant qualité236, tantôt qu’il présente - ou non - une qualité lui
donnant intérêt à agir237. Mais est-ce à dire qu’il faille considérer la qualité et l’intérêt
comme intimement liés, même lorsque les circonstances ne s’y prêtent pas comme
c’est le cas dans l’affaire Lélé Gustave ?

Dans cette affaire le problème soumis au juge administratif statuant en référé


était de savoir si le sieur Lélé avait qualité pour agir au nom de la Banque dont il
était actionnaire. Autrement dit, il était demandé au juge de dire si l’intéressé avait
reçu mandat pour agir au nom de sa banque. Il était donc question pour lui de
déterminer la qualité pour agir du requérant au nom d’une personne morale qu’était
la banque dont il était actionnaire, et non en son nom ou pour son propre compte.
Cette qualité ne pouvait donc pas être déduite de l’intérêt à agir du requérant.

Lorsqu’une personne agit au nom d’une autre personne physique ou morale -


comme dans l’espèce Lélé - elle doit justifier qu’elle est bien mandatée pour le faire.
Le mandataire d’une personne morale doit produire les statuts de l’organisme et la
décision l’habilitant à introduire un recours contentieux. La qualité pour agir s’analyse
ici comme le pouvoir en vertu duquel ce représentant agit au nom de la personne
morale238. Expression de la représentation en justice des personnes morales, elle est
nécessaire pour ces dernières « qui ne peuvent saisir le juge et accomplir les actes

233
V. Concl. Mosset sur CE, 26 octobre 1956, association générale des administrateurs civils, RDP, 1956. 1309.
234
P- F Benoît, op. cit., p 578.
235
G. Vedel et P. Delvolvé, op. cit., p 268.
236
CE 5 octobre 1979, S.C.I, Adal D’Arvor, rec., p 365 ; 15 mars 1987 ; société albigeoise de spectacles, R.,
p .97 et CS/CA, jugement n°8/79/80 du 29 novembre 1979, affaire Elites Banka représentées par Mbouendeu
Jean de Dieu c/ Etat du Cameroun.
237
CE, 16 avril 1986, Compagnie luxembourgeoise de Télévision, Rec., p. 98.

59
de procédures que par l’intermédiaire de personnes physiques mandatées »239 .
Aussi, lorsque le représentant d’une personne morale – de droit privé – agit en
justice, « le juge doit vérifier qu’il dispose d’un mandat pour agir »240. A défaut de
présentation de cette habilitation, jointe à la requête et justifiant sa qualité pour agir
au nom de cette personne morale, « le juge administratif est tenu d’inviter l’intéressé
à produire tout document l’autorisant à ester en justice. En s’abstenant d’ordonner
une telle mesure d’instruction avant de se prononcer sur la recevabilité de la
demande, le tribunal administratif rendrait son jugement sur une procédure irrégulière
(…) »241. Dans le cadre de la procédure principale, ce jugement est susceptible
d’annulation242.

Dans l’affaire Lélé Gustave, le requérant n’avait pas de mandat prévu par les
statuts de l’organisme pour lequel il agissait ; il n’avait donc pas qualité pour agir en
son nom ; « le Président de la Chambre administrative en serait arrivé certainement
à la même conclusion s’il n’avait choisi un chemin de traverse qui l’a conduit en
définitive à mal motiver sa décision »243 . En détournant cette condition de
recevabilité, le juge a fait une entorse au droit. Toutefois, dans une espèce rendue
quelques années après, il a rejeté le recours pour non production d’un mandat ad
litem et pour absence d’identification des mandats244. Plus significatif, il a, dans une
autre affaire, méconnu la qualité pour agir à un requérant qui prétendait avoir des
droits à préserver.

B. LA MECONNAISSANCE DE LA QUALITE POUR AGIR POUR DEFAUT


DE DROITS A PRESERVER

Si dans l’espèce Lélé Gustave, le juge administratif a fait preuve d’une


souplesse blâmable en reconnaissant au requérant la qualité pour agir, dans l’affaire

238
J-L. Maillot, op. cit., p. 8.
239
B. Seiller, op. cit., p. 167.
240
Gustave Peiser, Contentieux administratif, 11e éd., Paris Dalloz, 1999, p. 120. V. CE. S., 29 novembre 1991,
Synd. des commerçants non sédentaires de la Savoie, AJDA, 1992, p. 237.
241
J-L. Maillot, op. cit., p. 9. Il est à noter, toutefois, que le juge administratif n’est pas tenu d’inviter le
requérant à régulariser sa demande dès lors que cette irrecevabilité aura été expressément invoquée en défense,
comme cela a été le cas dans l’affaire Lélé Gustave où l’Etat défendeur a évoqué la non production du mandat
par le requérant.
242
CE, 6 septembre 1993, mouvement pour la sauvegarde de Croissy, Req. n°133-576.
243
M. Kamto, obs. sur cette ordonnance, op. cit.
244
Ordonnance n°15/OSE/PCA/84-85 du 4 juin 1985 portant rejet d’une demande de sursis à exécution, Les
populations de Keleng et Femteu contre Etat du Cameroun.

60
Labogénie du 18 juillet 1991245, par contre, il a fait montre d’une rigueur justifiée. En
fait, il ne pouvait en être autrement, car c’est le requérant qui a, par son attitude, créé
les conditions lui déniant la qualité pour agir. Le juge a tout simplement, et de façon
implicite, mais certainement, appliqué en l’espèce l’adage "nemo auditur…".

En méconnaissant ainsi au requérant la qualité pour agir, le juge a posé,


implicitement, le problème des conditions de la détention de la qualité pour agir à son
propre compte.

1. L’application implicite de la règle "nemo auditur propriam


turpitudinem allegans"

L’adage "nemo auditur propriam turpitudinem allegans " signifie que "nul ne
peut se prévaloir de sa propre turpitude". Le rappel des circonstances de l’affaire
Labogenie permet de comprendre pourquoi et comment le juge a implicitement, mais
certainement appliqué cet adage.

Le requérant, Labogénie, avait reçu en jouissance du Ministère de l’Urbanisme et


de l’Habitat un immeuble pour servir au logement de son chef de l’Annexe de Douala ;
mais ce dernier avait préféré sa propre maison. L’immeuble abandonné fut par la suite mis
en location par le requérant. A l’effet du contrat de bail, l’occupant effectif sollicita l’achat
des lieux, lequel fut acquis par décision du Ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat. Dans
son recours aux fins de référé administratif, le requérant faisait savoir que c’est pour des
raisons stratégiques qu’il avait pris la décision de mettre l’immeuble temporairement en
location pour une période de deux ans et qu’un contrat de bail avait été signé entre lui et
l’occupant effectif des lieux ; que ce dernier avait acquis l’immeuble sur la base de
déclarations mensongères selon lesquelles la propriété était abandonnée et qu’il y avait
effectué des travaux de réfection pour 12 millions de francs CFA environ et fait certains
développements sur la propriété, alors même qu’il venait de signer un contrat de bail
quelques jours auparavant avec lui ; qu’il avait saisi à deux reprises le Ministre de
l’Urbanisme et de l’habitat mais n’avait obtenu aucune réaction de sa part. Le requérant
concluait donc que la décision autorisant la vente de l’immeuble à l’occupant effectif des
lieux constitue un acte "ultra vires", qu’elle participe d’un abus flagrant de pouvoir et qu’il y
a de ce fait urgence et péril. Il sollicitait alors l’édiction par le juge des référés de toutes

245
Ordonnance de référé n°15/OR/CS/PCA/90-91 du 18 juillet 1991, affaire Labogénie c/ Etat du Cameroun
(MINUH).

61
mesures utiles à préserver ses droits et s’entendre accorder la suspension de la décision
contestée.

L’acquéreur de l’immeuble qui sentait ses intérêts menacés par ce recours


avait introduit une requête en intervention. Pour lui, le requérant était irrecevable
pour défaut de qualité. Il fondait son argumentation sur l’article 1er de décret n°76/165
du 27 avril 1976 fixant les conditions d’obtention du titre foncier qui dispose que « le
titre foncier est la certification officielle de la propriété » et sur le fait que le requérant
n’avait produit aucune preuve de sa propriété sur l’immeuble.

Pour le juge des référés, qui suivait en cela l’avis émis par le Ministère public, la
vente de l’immeuble selon la procédure du gré à gré par le Ministre de l’Urbanisme et de
l’Habitat à l’acquéreur contesté l’a été conformément au décret fixant les modalités de
gestion du domaine privé de l’Etat ; elle était donc régulière. Il faisait observer qu’alors que
l’immeuble vendu avait été attribué en jouissance au requérant, il « l’avait abandonné en
logeant son chef d’annexe ailleurs » ; que ce faisant, il « perdait par la même occasion ses
droits de jouissance sur ledit immeuble ». Le juge de céans concluait que le requérant
était mal fondé à solliciter les mesures utiles à la préservation « des droits auxquels il a
délibérément renoncé » non sans avoir précisé que la vente, objet de la décision
querellée, avait été faite entre le Ministre de l’Urbanisme « véritable propriétaire » et
l’acquéreur, occupant effectif de l’immeuble et que le requérant n’avait pas qualité pour
solliciter la suspension de la décision litigieuse.

Par cette prise de position, le juge des référés démontre et démonte la


turpitude du requérant qui, ayant reçu un immeuble en jouissance l’a non seulement
abandonné mais mis en location comme s’il en était le propriétaire. Peut-être avait-il
des intérêts à préserver en s’opposant à la vente de l’immeuble, mais il est clair qu’il
n’avait pas qualité pour la contester et en demander la suspension.

La décision rendue par le juge des référés en l’espèce pose le problème des
conditions de détention de la qualité pour agir.

2. La détermination des conditions de détention de la qualité pour agir

A quelles conditions la personne qui agit pour son propre compte possède t-
elle cette qualité qui lui permet d’exiger le règlement du procès ? Telle est la question
fondamentale que suscite l’affaire Labogénie. S’il faut nécessairement que la

62
personne ait intérêt, celui-ci peut-être en jeu « sans que pourtant celui qui l’invoque
ait qualité pour agir »246.Il n’est donc pas exact de dire que « la qualité consiste dans
l’affirmation d’une aptitude à agir pour défendre l’intérêt lésé (…) »247.

a. L’intérêt que la personne doit nécessairement avoir doit être direct,


personnel et légitime248 car, il « est la mesure de la lésion supportée par le requérant
(…) »249 du fait, par exemple, d’un acte administratif.

L’intérêt doit être personnel en ce sens qu’il ne doit pas se confondre avec
l’intérêt général qu’a tout administré à ce que l’administration ne dépasse pas sa
compétence ou respecte le droit250. Cela signifie que le recours au juge administratif
n’est pas une "actio popularis" ouverte à tout venant. Aussi, l’intérêt justifiant le
recours « doit procéder d’une situation juridique particulière dans laquelle se trouve
le réclamant par rapport à l’acte attaqué et en laquelle cet acte ait pu lui faire
grief ».251 L’intérêt personnel peut être matériel, moral, individuel ou collectif252. Il doit
être direct en ce sens qu’il ne doit être, non pas éventuel, mais actuel et l’annulation
ou la suspension de l’acte « doit procurer une satisfaction immédiate au réclamant,
non pas une satisfaction éloignée »253. Enfin, il doit être légitime, c’est-à-dire qu’il
doit résulter d’une situation juridique définie dans laquelle l’intéressé se trouve placé
vis-à-vis de l’administration. L’intérêt est donc une condition nécessaire pour la
personne qui agit pour son propre compte. Pour certains auteurs, elle est même
suffisante ; « la qualité n’est alors que l’aspect personnel et direct de l’intérêt »254.
Mais tel n’est pas toujours le cas. Ainsi, dans l’affaire Labogénie, le requérant avait
peut-être un intérêt - financier en particulier - à protéger du fait du loyer qu’il
percevait auprès du locataire de l’immeuble ; mais bien qu’un tel intérêt personnel et
direct soit en jeu, cela ne lui conférait pas pour autant qualité pour agir ; l’immeuble
ne lui ayant été attribué qu’en jouissance ; encore qu’il l’avait d’abord abandonné

246
Cl. Giverdon, op.. cit., p. 85.
247
J. Owona, op. cit., p. 210.
248
Pour R. Chapus, l’intérêt doit être également pertinent et certain. Seulement, cette présentation ne fait pas
l’unanimité ; ainsi, selon M. Courtin, « la notion d’intérêt direct englobe celle de pertinence ou d’adéquation
distingué par certains auteurs – tel R. Chapus-, c’est-à-dire la nécessité d’un rapport suffisant entre la qualité
invoquée par le requérant pour agir et l’objet de la décision attaquée » ; v. M. Courtin, « Intérêt et qualité pour
agir », J. Cl. Dr. Adm, 1993, n°8.
249
Marie - Christine Rouault, Contentieux administratif, Paris, Gualino Editeur, 2000 ; p. 181.
250
Ibid.
251
M. Hauriou, op., cit., p. 424.
252
M. Lombard, op. cit., p. 387.
253
M. Hauriou, op. cit.
254
Cl. Giverdon, op. cit. ; en ce sens : Morel, op. cit.

63
avant de le mettre par suite en location. Intérêt et qualité doivent donc être
distingués ici. Cette nécessaire distinction pose dans toute son ampleur le problème
de la détermination de la notion de qualité.

b. Il est clair que la détermination de la notion de qualité, loin d’être absolue, ne


peut être que fonction du litige en cause. Dans chaque cas, c’est la nature particulière du
litige qui permet de déterminer les personnes qui ont ou non qualité255. Ainsi, dans un
procès dont l’objet est l’atteinte à un droit subjectif comme dans l’affaire Labogénie , a seul
qualité pour agir celui qui se prétend titulaire de ce droit . Or, en l’espèce, le requérant n’a
pas apporté la preuve de l’atteinte à un tel droit.

On peut avancer, en reprenant une idée de Cl. Giverdon, que « la qualité est
l’élément qui, dans chaque hypothèse, vient préciser la légitimité du droit d’action et
cela par référence à la question substantielle sur laquelle porte le litige »256 . Le
plaideur doit donc montrer que l’acte querellé a pour lui des conséquences
dommageables et que celles-ci « l’atteignent en tant que membre d’une catégorie
donnée (…) »257. On en est éloigné dans l’affaire Labogenie.

En définitive, l’appréciation de la condition de qualité pour agir par le juge de


l’urgence est, au regard des espèces analysées, ambivalente ; elle oscille entre la
souplesse – ou le laxisme – et la fermeté.

En plus de la qualité pour agir, le juge contrôle aussi la production de la


décision litigieuse par le requérant.

PARAGRAPHE II : L’OBLIGATION DE PRODUIRE LA DECISION

LITIGIEUSE

La décision administrative est en général un acte exécutoire, c’est-à-dire une


« déclaration de volonté en vue de produire un effet de droit vis-à-vis des administrés
émise par une autorité administrative »258, ou encore « un acte par lequel une

255
Ibid., pp. 85-86.
256
Ibid., p. 86.
257
M-C Rouault, op. cit., p. 180.
258
M. Hauriou, op. cit., p. 373.

64
autorité administrative manifeste unilatéralement sa volonté en vue de produire des
effets de droit sur les administrés »259.

La doctrine française considère l’acte exécutoire comme « le procédé type de


l’action administrative, le plus courant en pratique, le plus révélateur, au point de
vue théorique, des prérogatives de la puissance publique »260 et dont l’expression
stricto sensu est l’acte faisant grief261, seul susceptible d’être déféré à la censure du
juge administratif.

Toutes les fois qu’un acte administratif est mis en cause en matière de sursis
et de référé, le juge administratif camerounais en exige la production. Lorsque le
requérant n’est pas en mesure de le faire, sa requête est déclarée irrecevable. Le
juge estime qu’il ne peut pas rendre des mesures d’urgence alors même que les
actes contestés sont d’une existence incertaine ou matériellement inexistante. Il se
base sur l’article 5 de la loi n°75/17 du 8 décembr e 1975 fixant la procédure devant
la Cour Suprême statuant en matière administrative qui dispose que « si le recours
est dirigé contre une décision d’une autorité administrative, il est accompagné d’une
copie de cette décision ». Cette position du juge de l’urgence participe d’une
interprétation extensive de l’article 5 de la loi n°75/17 qui vise en réalité la requête
introductive d’instance dont les conditions et modalités d’introduction sont énoncées
dans les articles 1er à 8 de ladite loi. Il se dégage des ordonnances rendues en
matière de sursis (A) et de référé (B) que le juge administratif applique de façon
stricte cette disposition législative.

A. L’OBLIGATION DE PRODUIRE LA DECISION LITIGIEUSE EN


MATIERE DE SURSIS A EXECUTION

Le juge administratif camerounais a fait une application stricte de cette


obligation dans deux matières, à savoir le contentieux de la saisie des journaux et le
contentieux du recouvrement fiscal.

259
G. Vedel et P. Delvolvé, Droit administratif, T1 12e éd. Paris, PUF, 1992, p. 244 .V. aussi, Marcel Waline,
Manuel élémentaire de droit administratif, 4e éd., Paris, Sirey, 1946, p. 361 ; Michel Rougevin-Baville , Renaud
Denoix De saint Marc et Daniel Labetoulle, Leçons de droit administratif¸ Paris, Hachette, 1989, pp. 103-104.
260
Jean Rivero et Jean Waline, Droit administratif, 16e éd., Paris, Dalloz, 1996, p. 83. V. aussi Christian
Lavialle, L’évolution de la conception de la décision exécutoire en droit administratif française, Thèse, Paris,
LGDJ, 1974, 345p.
261
Dans ce sens, v. G. Vedel et P. Delvolvé ; T1, op. cit., pp 240-241 et Jacqueline Morand-Deviller, Cours de
droit administratif, 7e éd., Paris, Montchrestien 2001, pp. 308-309.

65
1. L’application de l’obligation en matière de saisie de journaux

Dans son ordonnance rendue le 26 mai 1986 dans l’affaire "Le Messager"262,
le Président de la Chambre administrative de la Cour Suprême a déclaré irrecevable
la demande du Directeur- rédacteur en chef du journal "Le Messager" sollicitant le
sursis à exécution des décisions de saisie des éditions n°s 63 et 65 de son journal
prises par le Ministre de l’Administration Territoriale. Entre autres motifs de rejet de la
demande du requérant, le juge administratif a évoqué la non production des
« décisions litigieuses malgré l’expiration de délais à lui impartis à cet effet ».

D’après les commentateurs de cette ordonnance263, deux livraisons du journal


"Le Messager" avaient affectivement fait l’objet de saisie administrative en juillet
1985 sur décisions du Ministre de l’Administration Territoriale qui exerçait ainsi une
compétence que lui reconnaît le loi. Ces commentateurs ont été étonnés de ce que
le requérant n’ait pas pu produire la décision en cause dans sa demande, une
« formalité, au demeurant, fort simple »264. Il semblerait que cette défaillance tenait
au fait que « la notification des actes de saisie n’avait pas toujours été accomplie par
l’Administration au moment où se déroulait la procédure de sursis à exécution »265 .
Si tel est le cas, la saisie opérée participait soit « des agissements matériels
volontaires » de l’administration, lesquels « ne sont pas en eux-mêmes des actes
administratifs »266, soit « d’opérations matérielles (…) non assorties d’actes juridiques
l’ordonnant formellement »267. On peut donc s’étonner, d’une part, que bien qu’il n’ait
pas reçu notification de l’acte querellé, le requérant ait malgré tout engagé une
procédure contentieuse manifestement vouée à l’échec, et, d’autre part, que
l’administration défenderesse se soit opposée à la demande de sursis en arguant
qu’elle « est sans objet »268, indiquant par-là qu’il n’y a jamais eu d’actes écrits
ordonnant la saisie en cause ou que ces actes ont été retirés ou abrogés.

262
Ordonnance n°09/OSE/PCA/CS/85-86 du 26 mai 1986, affaire journal "Le Messager" contre Etat du
Cameroun.
263
V. Pierre-Paul Tchindji, Note sur cette ordonnance , Penant n°803, 1990, pp 331-340, M. Kamto,
observations sur la même ordonnance in M. Kamto, Droit administratif processuel du Cameroun, op. cit. pp
172-177 et Calvin Aba’a Oyono , La compétence de la juridiction administrative en droit camerounais, Thèse en
droit, Nantes, 1994, p. 242.
264
P-P Tchindji, ibid. , p. 333 et M. Kamto, ibid., p 173.
265
Ces informations sont de P.P Tchindji, ibid., qui affirme les tenir de "source proche du journal".
266
G. Vedel et P. Delvolvé, T1, op. cit., p. 235.
267
M. Kamto, Obs. sur cette ordonnance, op. cit., p. 173.
268
Ibid.

66
Dans un certain sens, on ne peut pas considérer que la requête était en l’espèce
sans objet, car on est dans une situation où "un fait volontaire" précède ou "révèle la
volonté de faire »269, c’est-à-dire que la volonté qu’ont manifesté les décisions de saisie ne
comportait aucune forme, mais a pourtant produit des effets de droit.

Dans un autre sens, on peut penser que la requête était sans objet, car le
retrait d’un acte administratif a pour effet de le faire sortir de l’ordonnancement
juridique de façon rétroactive, tandis que l’abrogation consiste à le faire disparaître
de l’ordonnancement juridique pour l’avenir ; aussi un recours dirigé contre un tel
acte ne peut être que sans objet. Mais il y a des doutes que ce soit le cas dans
l’affaire « Le Messager ».

Si on suppose que les actes de saisie des livraisons du journal "Le Messager"
ont effectivement existé et que leur exécution a simplement précédé leur notification,
cela n’est pas normal du point de vue de l’opposabilité de l’acte au tiers et cache
mal l’intention de nuire de la part de l’administration, car elle a fait produire des
effets de droit à des actes non notifiés ; cependant, le requérant pouvait vaincre
l’inertie de l’administration en introduisant auprès du Ministre de l’Administration
Territoriale, conformément à l’article 16 §1 (2) de l’ordonnance n°72/4 du 26 août
1972 fixant l’organisation judiciaire de l’Etat qui donne compétence au Tribunal de
Grande Instance pour connaître des requêtes tendant à obtenir l’accomplissement
par toute personne ou autorité d’un acte qu’elle est juridiquement tenue
d’accomplir270, une requête pour obtenir de lui la production des décisions de saisie
querellées. Encore fallait-il qu’il sache qu’une telle voie de droit existe.

2. L’application de l’obligation en matière de recouvrement fiscal

Dans l’affaire société S.I.A.B du 24 janvier 1987271, le requérant sollicitait du


juge administratif le sursis à exécution de la décision du Ministre des Finances
relative au recouvrement d’une dette fiscale se chiffrant à 248.094.085 francs CFA.
Dans son ordonnance rendue dans cette affaire, le juge, suivant en cela le Ministère

269
Sur ce point, lire : G. Vedel et P. Delvolvé, T1, op. cit., p. 236.
270
Le Chambre Administrative de la Cour suprême a déjà statué dans ce sens. Cf. CS/CA, jugement du 30
janvier 1986, Nguena Antoine c/ Etat du Cameroun (Université de Yaoundé).
271
Ordonnance n°10/OSE/PCA/CS/86-87 du 24 janvier 1987, société S.I.A.B. contre Etat du Cameroun.

67
Public, déclare le recours irrecevable pour absence de décision ministérielle
attaquée.

Pour le juge de céans, la décision du Ministre dont la suspension de


l’exécution est demandée n’était pas jointe à la demande initiale de sursis. Il fait
observer qu’en matière fiscale et conformément à la réglementation y relative – en
l’occurrence le Code Général des Impôts – le contentieux du recouvrement relève en
premier lieu du Directeur des Impôts et en second lieu du Ministre des Finances ;
que « seules les décisions du Ministre des Finances peuvent être déférées devant la
Chambre administrative de la Cour Suprême ». Or, le requérant n’a pas été en
mesure de produire la décision contestée du Ministre des Finances, se bornant à dire
que cette décision ne lui à jamais été notifiée, alors même qu’il n’avait pas suivi la
procédure qui consistait à saisir, d’abord, le Directeur des Impôts, ensuite, le
Ministre des Finances et, en cas d’insatisfaction, déférer la décision de ce dernier
devant le juge administratif.

En l’espèce, le juge a donc considéré que le demandeur sollicitait le sursis à


l’exécution d’une décision « dont l’existence même se révèle incertaine ».

Ici, comme dans l’affaire précédente, on est dans une situation où il y a eu une
opération matérielle sans acte juridique la sous-tendant. Le juge ne peut donc
prononcer la mesure sollicitée.

Ainsi, malgré l’importance de la somme à recouvrir – 248.094.085 francs CFA


– qui est de nature à asphyxier la société requérante, la non production de la
décision litigieuse par elle a amené le juge à privilégier le respect du droit au
détriment de l’urgence qui était à la base de sa saisine.

En matière de référé, la position adoptée par le juge n’est guère différente


toutes les fois qu’une décision administrative est en cause.

B. L’OBLIGATION DE PRODUIRE LA DECISION LITIGIEUSE EN


MATIERE DE REFERE

En matière de référé, toutes les fois que le recours est dirigé contre une
décision administrative, le juge administratif en exige la production au requérant,
même si ce qui lui est demandé par ce dernier est l’édiction de mesures
conservatoires pour préserver ses droits et non la suspension de la mesure en

68
cause. Mais, comme les requérants confondent souvent l’objet du référé à celui du
sursis, ils sollicitent généralement la suspension de la mesure litigieuse.

Dans deux espèces rendues respectivement le 3 décembre 1990272 et le 27


février 1992273, le juge a déclaré les recours aux fins de référé irrecevables pour non
production des actes litigieux.

1. La formulation de l’obligation en matière domaniale

A la lecture de l’ordonnance du 03 décembre 1990 relative à l’affaire Bonu


Innocent, il ressort que le requérant a saisi le juge des référés pour qu’il ordonne la
notification de sa requête au Ministre de l’Administration Territoriale avec fixation
d’un délai de réponse raisonnable , la production de l’arrêté préfectoral émanant de
la préfecture de Limbé et « le sursis en ce qui concerne l’application ayant fait de la
concession de la succession ARR et Elufa un terrain domanial, jusqu’à ce que la
juridiction de céans ait statué sur la validité dudit arrêté ».

Dans son mémoire en défense, le représentant de l’Etat a fait valoir que


l’arrêté préfectoral querellé « n’existe pas et n’a jamais été notifié au recourant » et
que pour cela, « sa demande serait sans objet ».

Après avoir constaté que le requérant n’a pas produit la décision querellée et qu’il
demande plutôt d’ordonner la production de cette décision par l’administration, le juge a
conclu au rejet de sa requête « pour absence d’acte administratif faisant grief ».

En fait, le requérant invitait le juge des référés à adresser des injonctions à


l’Administration, n’étant pas en possession de la décision contestée.

S’il est certes vrai que la prise en compte limitée de l’urgence dans
l’application des procédures accessoires est généralement le fait du juge, souvent,
les parties, en particulier les requérants, en sont aussi la cause. L’affaire Front Social
Démocratique du 27 février 1992 en est la preuve.

272
Ordonnance de référé n°03/90-91/OR/CS/PCA du 3 décembre 1990, affaire. Bonu Innocent contre Etat du
Cameroun.
273
Ordonnance de référé n°08/91-92/OR/CS/PCA du 27 février 1992, affaire SDF contre Etat du Cameroun.

69
2. La formulation de l’obligation en matière de clôture des inscriptions
sur les listes électorales

Dans son ordonnance de référé rendue le 27 février 1992 dans l’affaire SDF,
le juge des référés déclare le recours du requérant irrecevable au motif qu’il est
« dirigé contre un acte matériellement inexistant ». En effet, le requérant qui alléguait
que la décision incriminée avait été prise en violation flagrante des dispositions de
l’article 61 de la loi n°91/020 du 16 décembre 1991 fixant les conditions d’élection
des députés à l’Assemblée Nationale, ne l’avait pas produite dans son dossier. Qui
plus est, il n’a pas pu rapporter la preuve de son existence matérielle, laquelle était,
d’ailleurs, vivement contestée par le Ministre de l’Administration Territoriale dont le
représentant a fait valoir dans sa défense que « le juge des référés a été
irrégulièrement saisi d’un litige sans cause ni objet ».

Peut-être que l’autorité administrative avait donné des instructions aux


autorités locales pour qu’elles clôturent les inscriptions sur les listes électorales le 15
février 1992, sans toutefois prendre un acte exécutoire et que, c’est au vu d’un
ensemble de faits et agissements matériels de l’Administration que le requérant en a
déduit qu’une décision avait été prise dans ce sens. Sur ce point, il faut dire que
l’Administration n’est pas à l’abri de reproche car elle a une fâcheuse tendance
consistant à privilégier les opérations matérielles au détriment des actes juridiques ;
encore que dans certains cas, ces opérations matérielles ne sont pas suivies d’actes
exécutoires, et même lorsqu’elles le sont, les actes en question ne sont pas
toujours notifiés aux intéressés.

L’obligation formulée par le juge de produire la décision litigieuse dans le


cadre des procédures accessoires amène à se demander s’il n’a pas finalement une
conception restrictive de l’acte exécutoire, c’est-à-dire « l’acte qui, ayant été édicté
suivant les formes de publication ou de notification requises par la loi, produit
directement et immédiatement son effet dans l’ordre juridique (…) »274.

La question vaut son pesant juridique au regard des affaires analysées plus
haut. Si le juge a une conception restrictive de l’acte exécutoire, cela serait contraire
d’une part, à l’idée admise en doctrine et en jurisprudence suivant laquelle la
décision exécutoire n’est pas assujettie à une forme déterminée, qu’il n’existe pas de

274
G. Koubi, op. cit., p. 1497.

70
formes communes à toutes les décisions administratives , qu’au-delà de l’écrit, elles
peuvent être gestuelles ou verbales, qu’ « il y a décision exécutoire dès que l’autorité
compétente a manifesté de façon non équivoque sa volonté de produire un certain
effet juridique »275 ; et, d’autre part, à sa propre jurisprudence d’après laquelle « une
décision exécutoire en forme verbale, susceptible de causer à autrui un préjudicie est
un acte qui peut donner lieu à une action devant la Cour Suprême»276, ou que l’acte
exécutoire peut « résulter de simples agissements »277.

On peut donc se poser la question de savoir quelle attitude le juge


administratif de l’urgence pourrait adopter si la décision litigieuse est un acte gestuel
ou oral. En exigerait-il la production ?

En ce qui concerne la justification de l’introduction d’un recours gracieux


auprès de l’Administration, le juge de l’accessoire en a une appréhension ambiguë.

PARAGRAPHE III : LA JUSTIFICATION DE L’INTRODUCTION D’UN

RECOURS GRACIEUX

Dans un sens général, un recours est une voie de droit qui permet d’obtenir
une décision conforme au droit278. Il en est ainsi du recours gracieux qui est un type
de recours administratifs préalables à côté du recours hiérarchique adressé au
supérieur de l’auteur de l’acte et du recours de tutelle ou de contrôle « porté devant
une autorité dont les pouvoirs de tutelle ou de contrôle sur l’acte attaqué lui
permettent de faire disparaître cet acte ou d’en modifier le contenu ou les effets »279.
A la différence du droit administratif français qui consacre ces trois types de recours
administratifs280, le droit administratif camerounais n’a prévu que le recours
gracieux281 et le recours de tutelle282. Par ailleurs, alors qu’en droit français « le

275
J. Rivero et J. Waline, op. cit., p 90.
276
CS/CA, jugement n°8/CS/CA du 19 décembre 1975, Tonkam Pierre contre Etat du Cameroun. Dans le même
sens, ordonnance n°12/OSE/PCA/78-79 du 7 août 1979, Deudie Joseph contre Etat du Cameroun.
277
CS/AP, arrêt n°26/A du 27 juin 1996, Onana Adolphe contre communauté urbaine de Yaoundé.
278
G. Vedel et P. Delvolvé, T2, op. cit., p. 28.
279
Jean-Marie Auby, « Les modes alternatifs de règlement des litiges. Les recours administratifs préalables »,
AJDA, 1997,p. 11.
280
V. ibid. et O. Gohin, op. cit., pp 13-15. Pour ce dernier, le recours gracieux est « un auto-contrôle » - puisque
adressé à l’auteur de l’acte querellé, le recours hiérarchique quant à lui est « un endo – contrôle » - il est adressé
au supérieur de l’auteur de l’acte conteste, enfin le recours de tutelle est « un exo – contrôle » - l’acte de l’organe
décentralisé est contesté devant l’autorité de tutelle.
281
Dans son jugement n°36/93-94 du 31 mars 1884, société Moore Paragon contre Etat du Cameroun, le juge
administratif camerounais a clairement affirmé que le droit camerounais n’a pas consacré le recours

71
recours gracieux est celui qui est porté devant l’autorité même qui a pris la décision
dont on veut obtenir la réformation ou l’annulation »283 , en droit camerounais, le
recours gracieux est « adressé au Ministre compétent ou à l’autorité statutairement
habilitée à représenter la collectivité publique ou l’établissement public en cause »284.
C’est le rejet du recours par l’autorité compétente qui conditionne la saisine du juge
administratif285.

L’institution du recours gracieux, recours pré-contentieux par excellence, est


une constance dans l’histoire de la procédure administrative contentieuse au
Cameroun. En effet, l’ordonnance n°72/06 du 26 août 1972 qui consacre ce recours
en son article 12 est restée fidèle aux textes antérieurs286 qui obligeaient tout
requérant potentiel à saisir d’abord l’autorité administrative compétente avant
d’introduire son recours devant le juge administratif.

Le recours gracieux est une règle d’application générale. Ainsi, « l’obligation


pour le requérant de s’adresser à l’administration avant de saisir le juge vaut quelle
que soit la forme du contentieux en cause »287, sauf dispositions textuelles
contraires288. Il en résulte que l’obligation pour l’administré de saisir l’administration
avant de s’adresser au juge s’étend à une série de domaines très significatifs pour la
vie administrative289. En l’absence de cette saisine préalable ou de preuve de
l’introduction d’un recours gracieux, le juge administratif camerounais déclare

hiérarchique. En l’espèce, le requérant avait qualifié le recours adressé par lui au Ministre du Travail contre une
décision prise à son encontre par l’Inspecteur de Travail de recours hiérarchique ; ce qui est contraire à la
législation en la matière.
282
La loi n°74/023 du 5 décembre 1974 portant organisation communale( voir article73 al.4) et le décret n°77/du
25 mars déterminant les pouvoirs de tutelle sur les communes syndicats de communes et établissements
communaux( voir article 31) prévoient que les actes du maire peuvent faire l’objet de recours gracieux auprès de
leur auteur et qu’en cas d’insuccès , ou si le magistrat municipal garde le silence pendant un mois, « ils sont
soumis à l’appréciation de l’autorité de tutelle » - en particulier, le Préfet-, « qui dispose de deux mois pour y
donner avis » .
283
G. Vedel et P. Delvolvé, T2, op. cit., p 28.
284
Article 12.1 de l’ordonnance n°72/06 du 26 août 1972 fixant l’organisation de la Cour Suprême.
285
Cf. article 12.1 de l’ordonnance n°72/06 sus-cité. Cette règle est aussi valable pour la saisine du juge
administratif en Côte d’Ivoire ; en ce sens, v. René Degni-Segui, « Le contrôle sur l’administration Ivoirienne
par la voie du recours pour excès de pouvoir », in Cours Suprême en Afrique, T III, La jurisprudence, sous la
direction de Gérard Conac et Jean de Gaudusson, Paris, Economica, 1988, p. 163 et suiv.
286
Dans ce sens, v. ordonnance n°61/OF/6 du 4 octobre 1961, les lois du 19 novembre 1965 et du 14 juin 1969
portant réforme du contentieux administratif sous la République Fédérale.
287
H. Jacquot, op. cit., 2e partie, p. 113.
288
Il en est ainsi du contentieux de la suspension, de la dissolution des associations et des organisations non
gouvernementales ; du contentieux de la législation, de la suspension, de la dissolution des partis politiques ; du
contentieux électoral municipal et du contentieux électoral au sein des Chambres consulaires. En ce sens, v.
introduction générale, supra et Titre II de cette partie, infra.
289
Eugénie Prévédourou, Les recours administratifs obligatoires .Etude comparée des droits allemand et
français, Thèse, Paris, LGDJ, 1996, p. 107.

72
systématiquement les recours contentieux en annulation ou en indemnisation
irrecevables290. Le recours gracieux constitue donc, dans une large mesure, « un
impératif processuel »291 dans le contentieux administratif camerounais. Ce faisant, il
a une double fonction : une fonction pré-contentieuse et une fonction contentieuse.

De part sa fonction pré-contentieuse, le recours gracieux constitue « une sorte


de préalable de conciliation qui permettra peut-être aux particuliers d’éviter le
recours au juge »292, soit parce qu’il amènera « l’Administration à prendre une
nouvelle décision faisant droit »293 à leurs prétentions, soit parce que « la motivation
développée par l’Administration à l’occasion du rejet » de leurs recours les a
convaincu « du bien fondé de la décision »294 contestée. Il permet donc, au-delà de
l’information de l’administration295, un « préliminaire de conciliation » qui évite « la
formation de contentieux inutiles devant la juridiction administrative »296. Ainsi, le
recours gracieux apparaît comme « le premier degré de règlement du conflit »297.

De part sa fonction contentieuse, le recours gracieux délimite ou lie le


contentieux. Autrement dit, il détermine le cadre de l’instance contentieuse ou
juridictionnelle. Ce faisant, il cristallise le litige et constitue une source d’information
pour le juge298.

A ces « fonctions manifestes »299 , il convient d’ajouter celles que E.


Prévédourou qualifie de « fonctions latentes », à savoir que le recours gracieux
constitue un complément du contrôle juridictionnel, contribue à la démocratisation
de l’administration en associant les administrés à l’élaboration des décisions qui les
concernent300.

290
En ce sens, cf. CS/CA, jugement n°17 du 27 janvier 1983, Simo Thomas contre Etat du Cameroun ; CS/CA,
jugement n°27/98-99 du 29 avril 1999, Etémé Ongolo Gabriel et autres contre Etat du Cameroun ; CS/CA ,
jugement n°12/99-2000 du 25 novembre 1999, Nyamsi Ketsemen et autres contre Etat du Cameroun ; CS/CA,
jugement n°13/99-2000 du 25 novembre 1999, Ahanda Noah Joseph Michel contre Etat du Cameroun ; CS/CA,
jugement n°68/99-2000 du 28 septembre 2000, Nche Simon Tabong contre Etat du Cameroun .
291
M. Kamto, Droit administratif processuel du Cameroun, op. cit., p 153.
292
H. Jacquot, op. cit., p 113.
293
Jean-françois Brisson, Les recours administratifs en droit public français. Contribution à l’étude du
contentieux administratif non juridictionnel, Thèse, Paris, LGDJ, 1996, p. 446.
294
Ibid.
295
B. Momo, op. cit., 138.
296
J-F Brisson, op. cit. ; E. Prévédourou parle de « désencombrement des tribunaux administratifs », op. cit., p.
154.
297
Alain-Serges Mescheriakoff, « Le régime juridique du recours gracieux préalable dans la jurisprudence
administrative camerounaise », RDC n °15 et 16, 1978 , p. 44.
298
E. Prévédourou, op. cit., p. 302.
299
Ibid., p. 154.
300
Ibid., pp. 165-183.

73
Il résulte de la législation et de la jurisprudence administrative camerounaise
que le recours gracieux est, non seulement obligatoire mais d’ordre public301. Aussi,
pour qu’il soit pris en considération par le juge, il faut apporter la preuve qu’il a été
effectivement introduit, et qu’il l’a été auprès de l’autorité compétente dans les délais
légaux qui varient en fonction de l’objet de la demande302.

Le sursis à l’exécution et le référé, considérés comme des procédures


d’urgence et accessoires à la procédure principale, sont-ils soumis à cette formalité ?
Autrement dit, les demandes aux fins de sursis et de référé sont-elles, malgré leur
caractère annexe, soumises à la condition de l’introduction préalable d’un recours
gracieux auprès de l’administration ? Il se dégage de la jurisprudence relative à ces
matières, d’une part que le juge a une appréhension fluctuante de la nécessité
d’introduire un recours gracieux auprès de l’administration (A), et, d’autre part, qu’il a
une appréhension rigoureuse de l’obligation d’introduire ce recours auprès de
l’autorité compétente (B). Une telle attitude traduit une fois de plus l’idée que le juge
se fait de l’urgence contentieuse, à savoir qu’il s’agit d’une donnée qu’il faut prendre
en compte de façon relative.

A. L’APPREHENSION FLUCTUANTE DE LA NECESSITE D’INTRODUIRE


UN RECOURS GRACIEUX

La volonté de sauvegarder les droits des administrés devrait conduire le juge


administratif à admettre la recevabilité des demandes annexes sans exiger
l’introduction préalable d’un recours gracieux. L’orientation retenue par la
jurisprudence administrative camerounaise sur ce point reste indécise, car
constamment remise en cause tant en matière de sursis qu’en matière de référé;
d’où, toute la difficulté pour la doctrine de dégager les tendances lourdes ou les
lignes directrices en la matière.

301
V. CS/CA, jugement n°12/CS/CA/du 27 avril 1978, Item Dieudonné contre Etat du Cameroun et les
jugements cités en note 305 supra.
302
Il est de deux mois à compter de la publication ou de la notification de la décision attaquée en cas de demande
d’annulation ; de six mois suivant la réalisation ou la connaissance du dommage, en cas de demande en
indemnisation, et de quatre ans à compter de la date à laquelle une autorité a été défaillante alors qu’elle avait
compétence liée ; cf. article 12.3 de l’ordonnance n°72/06.

74
1. L’appréhension de la nécessité d’introduire le recours gracieux en
matière de sursis

On peut, schématiquement, dégager trois moments différents dans


l’appréhension par le juge de la nécessité d’introduire le recours gracieux en matière
de sursis. Ces trois moments traduisent les différentes positions qu’il a adoptées sur
cette question.

Dans un premier temps, le juge a considéré que l’introduction du recours


gracieux constituait une condition obligatoire de recevabilité de la demande de
sursis. Dans une ordonnance rendue le 26 mars 1980 dans l’affaire Beyissa
Adolphe303, il déclare irrecevable – en l’état – la demande de sursis à exécution
introduite par le recourant au motif qu’ « il ne résulte pas des pièces du dossier que
Beyissa ait formé au préalable un recours gracieux contre cette décision avant
d’introduire son recours contentieux ». De même, dans l’affaire Henri Ngatchou
Mbatkam du 25 mai 1983304 , il affirme que lorsque la demande de sursis est formée
en même temps que la demande principale, celle-ci doit être précédée d’un recours
gracieux adressé à l’autorité compétente. Il en résulte que l’irrecevabilité du recours
principal pour défaut de recours gracieux entraîne ipso facto l’irrecevabilité du
recours aux fins du sursis, demande annexe ou accessoire à la demande principale.

Dans une autre espèce rendue le 26 mai 1986305, le juge a rejeté la demande
de sursis pour entre autres motifs que le requérant n’avait pas « justifié de l’exercice
d’un recours gracieux ». Pour le Doyen Maurice Kamto, « sauf à considérer que la
demande en sursis peut être formulée avant la demande principale, cette exigence
parait d’autant moins compréhensible en la matière que la demande de sursis est
subordonnée à l’introduction d’une requête principale qui est elle-même précédée
d’un recours gracieux. Or, observe –t-il, la phase contentieuse de la procédure n’est
jamais engagée que parce que l’Administration a refusé de retirer l’acte litigieux et/ou
de procéder à la réparation conséquente »306.

Si dans les affaires Beyissa Adolphe et Ngatchou Mbatkam, l’obligation


d’introduire le recours gracieux conditionne indirectement la recevabilité de la

303
Ordonnance n° 4/OSE/CS/PCA/79-80 du 26 mars 1980, Beyissa Adolphe contre Etat du Cameroun.
304
Ordonnance n°14/OSE/CS/PCA/82-83 du 25 mais 1983, Henri Ngatchou Mbatkam contre Etat du Cameroun.
305
Ordonnance n°9/OSE/PCA/85-86 du 26 mai 1986, journal "Le Messager" contre Etat du Cameroun.

75
demande de sursis à l’exécution, dans l’affaire « Le Messager », elle en conditionne
directement la recevabilité, lui faisant ainsi perdre son caractère de recours
accessoire. Or, comme le relevait le Commissaire du Gouvernement Gilbert
Guillaume dans ses conclusions sur l’arrêt Gen rendu par le Conseil d’Etat le 30
mars 1973, le recours préalable obligatoire « retarde de quelques mois la saisine du
juge et interdit pendant cette période de recourir au sursis à l’exécution »307.

En effet, si on considère que le requérant s’est conformé à la formalité du


recours gracieux telle que prévue par la législation, cela veut dire qu’il a deux mois
pour saisir l’autorité administrative compétente, deux mois – en cas de rejet explicite,
ou trois mois – en cas de rejet implicite -308, pour constater le rejet de son recours, et
introduire sa requête contentieuse dans les soixante jours, à compter de la décision
de rejet de son recours309. Ainsi, « le temps nécessaire pour obtenir qu’un acte soit
jugé en suspension d’exécution s’étale donc sur plusieurs mois, rendant par là
même inutile ou dérisoire la solution du juge »310. Parfois même, la décision aura été
entièrement exécutée au moment où l’administration statue sur le recours préalable.

En somme, l’exigence de l’introduction ou de la justification de l’introduction


d’un recours gracieux a pour conséquence de « priver le justiciable, dans nombre de
situations, de la possibilité d’obtenir que le sursis à exécution soit ordonné »311 .

Dans un deuxième temps, le juge a considéré dans les affaires Mayouga


Yvonne et Sighoko Abraham datant respectivement du 26 juillet 1992312 et du 17
septembre 1992313 - similaires par les faits et les problèmes qu’elles soulèvent - et
l’affaire Union des Populations du Cameroun du 19 octobre 1993314, que « le seul
recours gracieux, prélude au recours contentieux est suffisant pour que le Président
de la Chambre administrative se prononce ».

306
Observations sur cette affaire in M. Kamto, Droit administratif processuel du Cameroun, op. cit. , p. 175.
307
AJDA, 1973, II, p. 268.
308
L’article 12.2 de l’ordonnance n°72/06 dispose que « constitue un rejet du recours gracieux le silence gardé
par, l’autorité pendant un délai de trois mois sur une demande ou réclamation qui lui est adressée ».
309
V. article 7.1 de la loi n°75/17 du 8 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour Suprême statuant en
matière administrative.
310
Célestin Keutcha Tchapnga, « Le régime juridique du sursis à exécution dans la jurisprudence administrative
camerounaise », Juridis Périodique n°38, avril – mai – juin 1999, p. 86.
311
Conseil d’Etat, Régler autrement les conflits : conciliation, transaction, arbitrage en matière administrative,
La documentation française, 1993, p. 35.
312
Ordonnance n°21/91-92/OSE/PCA du 14 août 1992, affaire Mayouga Yvonne contre Etat du Cameroun.
313
Ordonnance n°05/92-93/CS/PCA du 5 octobre 1992, affaire Sighoko Abraham contre Etat du Cameroun.
314
Ordonnance n°04/OSE/PCA/CS/ 93-94 du 19 octobre 1993 affaire UPC contre Etat du Cameroun.

76
L’originalité de ces affaires tient en ceci que le juge ne dit pas que le recours
gracieux est obligatoire ; mais qu’il est "suffisant". Est-ce à dire qu’il n’est pas
obligatoire ? Que serait-il advenu si les requérants ne l’avaient pas introduit ?
Certainement qu’il aurait alors rappelé son caractère obligatoire. De ce fait, si dans
ces affaires il n’exige pas l’introduction du recours gracieux, c’est simplement parce
que les requérants ont apporté la preuve qu’ils l’ont faite. Leur originalité est dont liée
au fait que le juge apprécie la nécessité ou l ‘importance du recours gracieux par
rapport au recours contentieux que les parties requérantes n’ont pas introduit ni
avant, ni pendant, ni après l’introduction de leurs demandes aux fins de sursis à
exécution.

Pour justifier le fait que le recours gracieux est le seul suffisant pour qu’il se
prononce, le juge administratif énonce – remettant ainsi en cause l’avis conforme
émis par le Ministère public –, d’abord, dans les deux premières espèces, qu’il « est
indéniable que la fermeture de la pharmacie avec tout ce qu’elle contient comme
denrée à conserver délicatement constitue un préjudice irréparable dont l’arrêt ne
saurait attendre les délais nécessaires à l’introduction d’un recours contentieux
devant la Chambre »315 ; ensuite, dans la troisième affaire, qu’il est indéniable que
l’arrêté du 24 septembre 1993 du Préfet de la Mifi interdisant la tenue du congrès de
l’U.P.C à Bafoussam « (…) est de nature à causer un préjudice irréparable
notamment eu égard à l’état d’avancement des préparatifs dont la suspension de
l’exécution ne saurait attendre l’introduction d’un recours contentieux »316.

Il se dégage de ces trois espèces que le juge a statué « en tenant compte de


l’intérêt des justiciables », vu l’urgence, « mais non point du droit positif »317. Il y a eu
certes, une certaine évolution dans la manière d’appréhender le recours gracieux
dans le procédure du sursis, puisque le comportement du requérant par rapport à ce
recours gracieux a déterminé celui du juge et par voie de conséquence les formules
qu’il a utilisées, mais aussi une volonté affichée par le juge de préserver les intérêts
menacés des parties requérantes.

315
Nous reviendrons sur la condition de recevabilité relative à l’existence d’une recours contentieux principal.
316
La question sera abordée à la Section 4 infra.
317
C. Keutcha Tchapnga, op. cit., p. 87.

77
Dans un troisième temps enfin, le juge a, par rapport au recours contentieux,
considéré dans trois espèces rendues respectivement le 31 décembre 1997318, le 14
octobre 1998319 et le 5 avril 2001320, qu’il « n’est pas lié par le recours gracieux mais
plutôt par le recours contentieux », indiquant par là que le recours gracieux n’est pas
une formalité conditionnant la recevabilité des recours aux fins de sursis à
exécution321. Mais, ce revirement s’est fait au détriment des requérants qui se sont
fondées sur le recours gracieux qu’ils ont introduit auprès des autorités
administratives compétentes, sans succès, pour saisir directement le juge du sursis.

La position du juge administratif statuant en référé, bien que moins vacillante,


n’est pas pour autant constante.

2. L’appréhension de la nécessité d’introduire un recours gracieux en


matière de référé

Si en matière de sursis le juge administratif a considéré, dans un premier


temps, que l’introduction du recours gracieux conditionne la recevabilité de la
demande de sursis et que, par la suite, il a estimé qu’il n’est pas lié par ce recours,
qu’il importe peu qu’il ait été introduit ou pas, en matière de référé, il a inversé la
perspective.

318
Ordonnance n°23/OSE/PCA/98-99 du 31 décembre 1997, Etablissement Gortzounian Sarl contre Etat du
Cameroun.
319
Ordonnance n°04/OSE/PCA/98-99 du 14 octobre 1998, Ets El Blanco contre Etat du Cameroun.
320
Ordonnance n°37/PCA/CS/2000-2001 du 5 avril 2001, Société Union Camerounaise des Brasseries contre
Etat du Cameroun.
321
Sur un autre cas, jugé "innovant"par un auteur, où le juge a, d’après lui, "discrètement" accepté un recours
aux fins de sursis sans s’intéresser à l’introduction du recours gracieux, v. ordonnance n°38/OSE/PCA/CS/ du 27
juin 1997, affaire Djanbou Maurice contre Etat du Cameroun. Dans cette affaire ; le requérant a introduit un
recours en rétractation d’un message porté du Procureur de la République en date du 25 juin 1997 en demandant
la restitution des biens saisis au profit du requérant de manière irrégulière ; le 27 juin 1997, juge administratif a
rendu une ordonnance portant sursis à exécution du dit message porté. Après s’être demandé si le recours
contentieux (sic !) du sieur Djanbou était précédé d’un recours gracieux préalable, sans y répondre, C. Keutcha
affirme, sans précaution, ni réserve qu’ « en déclarant donc recevable le recours contentieux du sieur Djanbou ,
le juge a innové. En l’espèce, il aurait dû invoquer le caractère d’ordre public du recours gracieux pour
prononcer l’irrecevabilité de la requête. En s’abstenant de le faire, il a admis que ladite demande de sursis à
exécution du message – porté était recevable en l’absence de recours gracieux », op. cit., p. 88 .Peut-être qu’en
l’espèce il y a eu innovation, surtout si on se réfère au court laps de temps qui sépare l’émission du message-
porté (25 juin 1997) et l’édiction du sursis à exécution (27 juin 1997) et au regard des conditions de forme et de
délais des recours gracieux et contentieux. Seulement, les arguments avancés par C. Keutcha pour le démontrer
sont imprécis et quelques peu confus.

78
Dans une ordonnance de référé rendue le 18 juillet 1984 dans l’affaire
Sighoko Fossi Abraham322, le juge affirme, sans équivoque, « (…) que la procédure
de référé est indépendante de la saisine préalable de l’administration ; que les
parties sont, dans la pratique, dispensées de cette formalité ; que ceci est heureux
car il faut que les mesures prises en référé interviennent rapidement ». En adoptant
une telle position, le juge a fait preuve d’un libéralisme certain car il a levé
l’hypothèque du recours gracieux considéré à juste titre comme « le casse-tête du
contentieux administratif camerounais »323. Il reconnaît ainsi « qu’en cours
d’instance, les droits et intérêts des requérants risquent parfois d’être très rapidement
compromis de façon définitive si la requête en référé introduite avant le recours
juridictionnel devait obligatoirement être précédée d’un recours gracieux »324.

Pour le juge, il paraît donc urgent d’en tenir compte en allégeant les conditions
de recevabilité par l’exclusion de celle relative au recours gracieux, surtout qu’en
statuant comme juge de référé, il n’est appelé qu’à prendre des mesures d’urgence
provisoires et non à régler l’affaire au fond et que l’administration « conserve (…) la
possibilité de revoir sa position sur le litige qui ne peut être examiné par le juge de
fond qu’après l’accomplissement de la formalité du recours gracieux préalable »325.

On a pensé que la jurisprudence ainsi consacrée allait s’inscrire dans la


durée, il n’en a rien été. De façon étonnante et brutale, le juge administratif a, dans
une espèce en date du 8 décembre 1998326, pris le contre-pied de sa jurisprudence
antérieure et ceci sans motiver sa décision. Ainsi, dans l’article 1er du dispositif de
l’ordonnance rendue dans cette affaire il déclare : « La requête de monsieur Sosso
Emmanuel est irrecevable pour défaut d’un recours gracieux préalable ».

On peut légitimement s’interroger sur les raisons qui ont amené le juge à
rendre une telle décision. On peut certes faire des conjectures327, mais ce qui est
certain c’est que dans cette affaire, le juge n’a pas entendu préserver les intérêts du

322
Ordonnance de référé n°12 du 18 juillet 1984, affaire Sighoko Fossi Abraham contre Etat du Cameroun.
323
M. Kamto, Droit administratif processuel du Cameroun, op. cit., p.153.
324
C. Keutcha Tchapnga, Note sur l’ordonnance n°12 du 18 juillet 1984, Juridis Périodique n°45, janvier –
février – mars 2000, p. 43.
325
Emile Kemfouet, Le référé devant le juge administratif camerounais, Mémoire de maîtrise en Droit public,
Université de Dschang, 1998, p.16.
326
Ordonnance de référé n° référé n°06 du 08 décembre 1998, Sosso Emmanuel contre Etat du Cameroun.
327
Dans ce sens, C. Keutcha Tchapnga, Note sur cette ordonnance, op. cit., p. 43.

79
requérant, ce qui laisse penser que pour lui, il n’ y avait pas urgence à le faire328.
Pourtant, dans une espèce antérieure rendue le 3 juin 1978, il avait affirmé que
« l’urgence constitue le fondement même de la décision de référé »329.

On peut donc se demander « comment le juge administratif statuant en référé


appréciera (…) concrètement l’urgence si la recevabilité de la demande (de référé)
est subordonnée à l’accomplissement des formalités du recours gracieux préalable,
lequel, sous peine de forclusion, doit être formé dans les deux (2) mois suivant la
publication ou la notification de la décision administrative » 330 ? A cela, il faut
ajouter le fait que le recours contentieux est introduit dans un délai de 60 jours à
compter de la décision de rejet -2 mois pour le rejet explicite et 3 mois pour le rejet
implicite - du recours gracieux. Ainsi, des mois vont s’écouler pour qu’une requête en
référé, urgente par définition, soit examinée par le juge.

Une solution réaliste s’impose donc si l’on veut que la procédure de référé soit
une véritable procédure d’urgence. Ceci est aussi valable pour la procédure du sursis
à exécution.

Il serait donc souhaitable que le juge administratif exige « des requérants


qu’ils justifient de l’urgence à prendre une mesure conservatoire avant même que
l’administration ait statué sur le recours gracieux »331, et qu’il leur demande de faire
uniquement « la preuve de l’introduction régulière d’un recours administratif préalable
(…) seul susceptible de préserver la possibilité ultérieure d’une requête en annulation
recevable »332. Le Conseil d’Etat français a d’ailleurs rendu un arrêt dans ce sens le
12 octobre 2001, suivant en cela les conclusions du Commissaire du
Gouvernement333. Dans cet arrêt, le CE énonce en substance : « Considérant que
l’objet du référé (…) est de permettre, dans tous les cas où l’urgence le justifie, la
suspension dans les meilleurs délais d’une décision administrative contestée par le
demandeur, qu’une telle possibilité est ouverte y compris dans le cas où un texte
législatif ou réglementaire impose l’exercice d’un recours administratif préalable

328
D’ailleurs, dans l’article 02 du dispositif de l’ordonnance rendue dans cette affaire il « se déclare
incompétent pour connaître de ce litige ».
329
Ordonnance de référé n°7 du 3 juin 1978, affaire Lélé Gustave contre Etat du Cameroun. Pour la relation des
faits et les analyses, lire M. Kamto, Droit administratif …, op. cit., pp. 177-183.
330
C. Keutcha, Note, op. cit., p 44.
331
Pascale Fombeur, Conclusions sur Conseil d’Etat, Section, 12 octobre 2001, Société Produits Roche, RFDA,
2002, p. 319.
332
Ibid., p 320.
333
CE, 12 octobre 2001, Société Produits Roche, RFDA, 2002, pp. 323-324, conclusions de Pascale Fombeur.

80
avant de saisir le juge de l’excès de pouvoir, sans donner un caractère suspensif à
ce recours obligatoire ; que dans une telle hypothèse, la suspension peut être
demandée au juge des référés sans attendre que l’administration ait statué sur le
recours préalable, dès lors que l’intéressé a justifié, en produisant une copie de ce
recours, qu’il a engagé les démarches nécessaires auprès de l’administration pour
obtenir l’annulation ou la réformation de la décision contestée ».

Si une telle solution est adoptée par le juge administratif camerounais, il ne lui
sera pas fait grief d’appréhender rigoureusement l’exercice du recours gracieux
quant à son destinataire, comme il le fait déjà.

B. L’APPREHENSION RIGOUREUSE DE L’OBLIGATION D’INTRODUIRE


LE RECOURS GRACIEUX AUPRES DE L’AUTORITE COMPETENTE

Beaucoup d’administrés se perdent en conjectures lorsqu’il s’agit d’introduire


un recours gracieux auprès de l’Administration, soit pour demander l’annulation ou la
réformation d’une décision dont ils estiment qu’elle leur fait grief ou qu’elle lèse leurs
droits, soit pour demander la réparation d’un dommage que l’administration par
action ou par inaction leur a causé. Deux raisons à cela : l’ignorance et la complexité
de l’organisation de l’administration.

Le juge, pour sa part, n’applique que la loi, rien que la loi, en particulier l’article
12 de l’ordonnance n°72/06 du 26 août 1972 qui disp ose que le recours devant la
Cour Suprême n’est recevable qu’après rejet d’un recours gracieux adressé «au
« Ministre compétent ou à l’autorité statutairement habilitée à représenter la
collectivité publique ou l’Etablissement Public en cause ».

Lorsque le juge est en présence d’un cas qui ne rentre pas dans les
hypothèses prévues par la loi, il détermine l’autorité habilitée à recevoir le recours
gracieux, non sans avoir interprété les textes, souvent épars, qui organisent
l’administration en cause. C’est ainsi que pour la Présidence de la République et les
services qui lui sont rattachés, il a décidé, après quelques hésitations et remise en
cause334, que c’est le Président de la République ou le Secrétaire Général de la

334
V. par ex., jugement n°71/CS/CA/75-76 du 13 mars 1976, affaire Bene Bela Lambert contre Etat du
Cameroun et CS/CA, jugement du 29 novembre 1979, affaire Essimi Fabien contre Etat du Cameroun.

81
Présidence de la République qui sont habilités à recevoir le recours gracieux lorsque
ces structures sont mises en cause335.

Ainsi, de façon systématique et récurrente, lorsqu’un recours gracieux est


adressé à une autorité incompétente, le juge administratif camerounais déclare
irrecevable le recours contentieux336. Cette appréhension stricte de l’introduction du
recours gracieux auprès de l’autorité compétente ne concerne pas seulement les
recours en annulation ou en indemnisation. Ainsi, malgré l’urgence des procédures
accessoires, le juge administratif déclare toute demande annexe irrecevable lorsqu’il
est établi que le recours gracieux a été mal dirigé. Dans certains cas, il déduit
l’irrecevabilité de la demande annexe de l’irrecevabilité de la demande principale ;
dans d’autres cas, l’irrecevabilité de la demande annexe est directement déclarée
par rapport à la mauvaise orientation du recours gracieux. Trois ordonnances
rendues en matière de sursis illustrent cette double tendance.

Dans une ordonnance rendue le 14 novembre 2000337, le juge déclare


irrecevable une demande aux fins de sursis au motif « (…) qu’il appert du dossier
que le recours gracieux préalable a été adressé à une autorité inhabile en
l’occurrence le Ministre de l’Administration Territoriale au lieu de celui de
l’Urbanisme et de l’Habitat ; (…) que le recours contentieux étant irrecevable, le
sursis y greffé ne peut qu’être rejeté ».

Dans une autre ordonnance rendue le 28 novembre 2000338, le juge a déclaré


également irrecevable la demande aux fins de sursis au motif que « (…) l’étude
succincte du dossier de procédure dégage que le recours contentieux est dirigé
contre une autorité inhabile, le MINAT au lieu du MINUH, s’agissant d’une matière
ressortissant de la compétence du Ministre chargé des Domaines ». Il en conclut
que « le Ministre intéressé n’ayant pas été saisi par un recours gracieux, il serait
judicieux de rejeter cette demande ».

335
Dans ce sens, CS/CA, jugement n°5/84-85 du 25 octobre 1984, affaire Mauger Pierre contre Etat du
Cameroun et jugement n°69/CS/CA du 29 juin 1989, affaire Che Michael Nde contre Etat du Cameroun.
336
Il en est ainsi, par exemple, lorsque le recours gracieux est adressé à un Sous-Préfet alors qu’il devait être
adressé au Ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat ministre compétent en matière foncière : CS/CA, jugement
n°18/99-2000 du 25 novembre 1999, affaire, Nwame à Menthong Raphaël contre Etat du Cameroun ; ou lorsque
le recours gracieux est adressé à un Préfet alors qu’il devrait être adressé au Ministre de l’Administration
Territoriale, compétent pour les question relative à la désignation des chefs traditionnels : CS/CA, jugement
n°24/99-2000 du 30 décembre 1999, Ondigui Onana Théodore contre Etat du Cameroun.
337
Ordonnance n°05/ORSE/PCA/CS/99-2000 du 14 novembre 2000, affaire Dame veuve Pente née Djabou
Marie contre Etat du Cameroun.

82
De lege lata, le recours gracieux adressé à une autorité incompétente
constitue un non recours. La jurisprudence estime qu’un tel recours ne peut devenir
valable que s’il a été, en temps utile, communiqué au Ministre réellement compétent
pour le recevoir ; elle évoque alors le principe de l’unicité de l’administration339.

Dans une troisième ordonnance de sursis rendue le 14 novembre 2000340, le


juge administratif déclare directement l’irrecevabilité de la demande de sursis sans
se référer au recours contentieux. En l'espèce, le syndicat requérant s’insurgeait
contre la décision d’affectation d’un fonctionnaire dépendant du Ministère de
l’Education Nationale. Pour le juge de céans, il « devait dans ce cas introduire son
recours gracieux auprès du Ministre de l’Education Nationale et non du Préfet ». Et la
conclusion qu’il en tire est sans équivoque et d’évidence : « (…) dès lors, l’on ne peut
ordonner la suspension de cette décision en l’état alors et surtout que le Ministre n’a
pas été saisi ».

Il se dégage des décisions ainsi examinées quatre idées forces. La première


est que le juge estime qu’il est nécessaire de bien diriger le recours gracieux faute de
quoi la demande contentieuse sera déclarée irrecevable. La deuxième idée est que
le juge prend soin d’indiquer l’autorité à qui devrait être adressée le recours
gracieux. La troisième idée concerne le lien que le juge établit entre le recours
principal et la demande accessoire du point de vue de leur recevabilité. Ainsi,
l’irrecevabilité d’un recours principal pour saisine d’une autorité inhabile à recevoir le
recours gracieux entraîne l’irrecevabilité de la demande de sursis et/ou de référé qui
y est greffée. La quatrième idée, enfin, est que le juge ne se sent pas tenu de statuer
d’urgence ou lié par l’urgence des procédures accessoires lorsque le recours
gracieux, qu’il considère comme étant une « condition d’ordre public »341et dont le
défaut peut être soulevé d’office par lui, est mal dirigé.

A contrario, le juge a une position plus nuancée, voire plus équivoque sur
l’obligation d’introduire ou de justifier de l’existence d’une demande principale pour

338
Ordonnance n°11 /ORSE/PCA/CS/00-2001 du 28 novembre 2000, affaire Famille Song Bahanag contre Etat
du Cameroun.
339
Dans ce sens, jugement n°62/CS/CA du 22 avril 1976,.affaire BICIC contre Etat du Cameroun.
340
Ordonnance n°06/ORSE/PCA/CS/99-2000 du 14 novembre 1999, affaire syndicat National Autonome de
l’Enseignement Secondaire (SNAES) contre Etat du Cameroun.
341
En ce sens, jugement n°12/99-2000 du 25 novembre 1999, affaire Nyamsi Ketsemen et autres contre Etat du
Cameroun et jugement n°13/99-2000 du 25 novembre 1999, affaire Ahanda Noah Joseph contre Etat du
Cameroun.

83
que la demande annexe de sursis ou de référé soit recevable. Ici, l’urgence est, non
pas en ballottage, mais ballottée.

PARAGRAPHE IV : L’OBLIGATION D’INTRODUIRE UNE DEMANDE

PRINCIPALE

Si en droit français la doctrine et la jurisprudence sont d’accord ou presque sur


le fait que les demandes de sursis à exécution et de référé administratif sont
accessoires ou annexes à la demande principale en annulation ou en indemnisation,
il n’en va pas de même quant à la détermination de la nature et du degré de liaison
entre les premières et la seconde. On s’interroge toujours sur le point de savoir si
elles sont ou non détachables les unes de l’autre. Sur ce point, le juge administratif
camerounais a une conception qui varie selon qu’il s’agit du sursis ou du référé. S’il
a une conception ambiguë de l’obligation d’introduire la demande principale en
matière de sursis (A), il a une conception, pour l’instant, tranchée voire stricte de
cette obligation en matière de référé (B).

A. UNE CONCEPTION AMBIGUË DE L’OBLIGATION D’INTRODUIRE UNE


DEMANDE PRINCIPALE EN MATIERE DE SURSIS A EXECUTION

Le législateur égyptien interdit toute dissociation entre la demande de sursis et


la demande en annulation ; ce qui n’est pas sans effets sur les conditions de leur
recevabilité342. Quant au législateur marocain, il n’a pas apporté de précision sur ce
point, contrairement à ce qu’il a fait pour la demande de suspension de l’exécution
des jugements en cas d’opposition ou d’appel343.

Avant l’entrée en vigueur en France de la réforme du 30 juin 2000 qui a unifié


les procédures d’urgence au sein d’une procédure de référé344, la jurisprudence
administrative française avait consacré le caractère accessoire ou annexe de la
demande de sursis et conditionné sa recevabilité à l’introduction d’un recours

342
V. Mankar Bennis, « Les pouvoirs du juge : réflexions à partir du droit du sursis à l’exécution des décisions
administratives au Maroc », in Le contentieux administratif et l’Etat de droit, Actes du séminaire d’échanges et
de perfectionnement, Marrakech, 14-21 décembre 1996, Agence de la francophonie, 1997, pp. 115-129.
343
Ibid.
344
V. loi n° 2000/577 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridiction administratives, JORF du 1er juillet
2000, p. 9948 et Décret n° 2000-1115 du 22 novembre 2000 pris pour application de la loi n° 2000-597 du 30

84
principal. Cette consécration a donné lieu, en doctrine, à des interprétations diverses,
parfois divergentes. La raison en est que les auteurs se référaient très souvent à des
arrêts différents345.

On peut retenir de ces positions doctrinales françaises, au-delà de leur


diversité, deux idées essentielles. D’abord, la recevabilité de la demande de sursis
est conditionnée par l’introduction d’une demande principale. Ensuite, le juge
administratif « ne peut prescrire le sursis à exécution d’un acte administratif que s’il
est saisi, préalablement ou simultanément, d’un recours au fond contre cet acte »346 ,
la demande de sursis n’étant en fait que « le développement incident de la demande
principale »347. Est-ce une solution de bon sens, comme le soutiennent P.
Mouzouraki348 et M. Piedbois pour qui « l’on ne pourrait concevoir une décision
provisoire accordant le sursis, alors que le juge, faute d’être saisi, n’aurait jamais à
se prononcer sur le fond du droit »349 ? Peut-être ; mais, il ne faut pas perdre de vue
que l’urgence qui caractérise la procédure du sursis invite aussi le juge à statuer
rapidement. Est-ce qu’en conditionnant la recevabilité de la demande de sursis à
l’introduction préalable ou simultanée de la demande principale, on ne privilégie pas
le caractère accessoire ou annexe de la demande de sursis au détriment de son
caractère urgent ?

Au Cameroun, bien que le législateur ait prescrit que « la demande en sursis


peut être formée en même temps que la demande principale et par la même
requête »350, le juge administratif a, non seulement estimé qu’il s’agit d’« une faculté
qui n’exclut nullement une requête séparée, bien au contraire… »351, mais aussi,
adopté une conception ambiguë en considérant tantôt que l’introduction du recours

juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives et modifiant le Code de Justice
Administrative, JORF du 23 novembre 2000, p. 18611.
345
Voir, par ex. G. Vedel et P. Delvolvé, T2,op. cit., p.191; O. Dugrip, op. cit.,p.111; Christian Gabolde,
Procédure des Tribunaux administratifs et Cours administratives d’appel, 6è éd., Paris, Dalloz, 1997, p.167 ; B.
Pacteau, op. cit., p.299 ; R. Odent, op. cit., p. 914, l’auteur cite les arrêtés du Conseil d’Etat du 31 mars 1965,
ville d’Armentières et du 28 Mai 1965, Erbland ; J-M Auby et R. Drago, T 2, op. cit., p. 38 ; Jean-René
Etchegaray, « Les limites du sursis à exécution », Gaz Pal, 1985.1 , p. 88. R. Chapus, Droit du contentieux
administratif, op. cit., p. 812 et p.867.
346
Paraskeri Mouzouraki, L’efficacité des décisions du juge de la légalité administrative dans le droit français et
allemand, Thèse, Paris, LGDJ, 199, p. 75. Voir CE, 25 février 1985, Mourad Mersad, AJDA, 1985, p. 295.
347
J. Rigaud, note sous CE, 28 mai 1965, Epoux Erbland, AJDA, 1966. II.380.
348
P. Mouzouraki, op. cit.
349
M. Piedbois, in Répertoire de contentieux administratif, « Procédures d’urgence », n° 26.
350
Article 17 de la loi n° 75/017 du 08 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour Suprême statuant en
matière administrative.

85
principal conditionne la recevabilité de la demande de sursis, tantôt qu’elle ne la
conditionne pas . Sa jurisprudence en la matière manque de fil conducteur. Il est
partisan à la fois du formalisme procédural et de l’allègement procédural en matière
de sursis. Il a une conception assimilable à un « tango jurisprudentiel », pour ne pas
dire à un « désordre jurisprudentiel ».

1. La considération de l’introduction du recours principal comme


condition de recevabilité de la demande de sursis

Le juge administratif camerounais est parfois partisan du formalisme


procédural. C’est ainsi que, d’une part, il rejette l’idée d’une demande de sursis
introduite avant la demande principale, bien qu’il relativise le moment de
l’introduction de la demande principale en affirmant qu’il suffit de prouver son
existence au moment où il statue, et que, d’autre part, il minore l’importance du
recours gracieux, qui, d’après lui, ne lie pas le juge.

a. Le rejet de l’idée d’une demande de sursis introduite avant la


demande principale

Par des formules variées, mais qui se rapprochent dans le fond, le juge
administratif rejette l’idée d’une demande de sursis formée antérieurement à la
demande principale ou directement sans que le recours contentieux ait été
préalablement introduit. Pour lui, la « demande de sursis à exécution est
essentiellement une demande accessoire incidente dans un recours contentieux »352,
et « la procédure de sursis à exécution est fonction d’une procédure déjà
pendante »353.

351
Ordonnance n° 5/OSE/CS/PCA/82-83 du 06 février 1993, Mbiama Messanga Casimir contre Etat du
Cameroun.
352
Ordonnance n° OSE/CS/PCA/77-78, Ngankeu Pierre contre Etat du Cameroun.
353
Ordonnance de référé n° 7/ORSE/CS/PCA/77-78 du 3 juin 1978, affaire Lélé Gustave contre Etat du
Cameroun.

86
C’est ainsi que dans l’affaire Mveng Mbarga Constantin354, il déclare qu’il ne
résulte pas du dossier que le requérant ait attaqué en annulant l’ordre de recettes
contestée et « qu’il n’est fait en outre aucune allégation à cet ordre de recettes dans
sa requête introductive d’instance », et conclut que « la requête dirigée
exclusivement contre l’exécution de l’ordre de recettes est irrecevable en l’état ».

De même, dans l’affaire Journal « Le Messager »355, il rejette la demande de


sursis pour, entre autres motifs, que le requérant n’a pas justifié de « l’introduction
d’un recours contentieux contre ces prétendus actes » qu’il conteste. Dans sa note
sur cette affaire, J.J Tchindji affirme que l’« exigence d’un recours principal lié à la
demande de sursis à exécution est une formalité caractéristique du droit processuel
camerounais » ; qu’en « doit privée (…), le sursis à exécution d’une décision
provisoire suppose toujours l’existence d’un recours principal qui décidera du sort de
cette décision provisoire » ; il soutient que « cela permet de ne pas annuler le bienfait
de l’exécution provisoire par un sursis trop librement accordé »356.

M. Kamto, pour sa part, dans ses observations sur la même affaire, estime
que subordonner la recevabilité d’une demande de sursis à exécution à l’introduction
d’un recours principal est une condition « extrêmement utile » car « elle permet au
juge d’avoir des éléments de fond lui permettant d’apprécier le bien fondé du sursis
qu’on lui demande et d’éviter de la sorte d’ordonner un sursis que ne pourra justifier
la solution définitive du litige »357.

Ces analyses sont certes pertinentes, mais il y a lieu de relever, d’une part
que l’urgence qui est au cœur de la procédure de sursis n’est pas prise en compte,
et, d’autre part, que l’état de la jurisprudence en la matière montre que l’octroi du
sursis ne conditionne pas toujours l’obtention d’une décision favorable au fond. Cette
exigence semble donc trouver sa justification dans un certain formalisme procédural
et dans l’idée que le juge se fait de chaque cas qui lui est soumis. Cela étant, on ne
peut pas perdre de vue le fait que, pour apprécier non seulement l’urgence, mais
s’assurer aussi qu’il n’y a pas un motif d’ordre public qui empêche l’octroi du sursis,

354
Ordonnance n° 5/OSE/CS/PCA/79-80 du 26 mars 1980, affaire Mveng Mbarga Constantin contre Etat du
Cameroun.
355
Ordonnance n° 9/OSE/PCA/85-86 du 26 mai 1986, affaire « Le Messager » contre Etat du Cameroun.
356
J.J Tchindji, op. cit., p. 334.
357
M. Kamto, op. cit., p. 174.

87
le juge a besoin des éléments que l’on n’a généralement que dans la demande
principale.

Dans l’affaire Dame Ekoumou Enyegue Dorothée358, le juge affirme que « la


demande de sursis ne peut pas ne pas accompagner un recours principal,
effectivement exercé en vue de l’annulation de la décision en cause ; que présentée
isolément, comme c’est le cas en l’espèce, une telle demande ne peut qu’être
déclarée irrecevable ».

Dans les affaires Nye Safinda Maurice359, Djou Gilbert360, Otto Bitjoka et La
FIB361 et Société Union Camerounaise des Brasseries (UCB)362, le juge rejette, en
usant d’autres formules, les demandes de sursis au motif que les requérants ont saisi
directement le juge administratif sans avoir au préalable introduit un recours
contentieux, violant ainsi l’esprit de la loi n° 75 /17 du 08 décembre 1975. Pour lui,
« la demande en suspension à exécution ne peut être recevable que si elle est
introduite en même temps que la demande principale, par la même requête ou par
requête séparée, et pour ce dernier cas, après le dépôt du recours au fond »363.

Usant d’une formule similaire, mais non identique, le juge affirme, dans
l’affaire Zoa Apollinaire364, que « la demande en suspension d’exécution ne peut être
recevable que si elle est introduite en même temps que la demande principale et par
la même requête ou par requête séparée soit en même temps, soit après le dépôt du
recours au fond ». Pour rejeter la demande de sursis en l’espèce, il estime que le
requérant « s’insurge contre deux décisions distinctes dans ses requêtes, d’une part,
dans le recours contentieux le duplicata n° 2 (Muta tion), et, d’autre part, dans la
demande de sursis à exécution de la décision du Secrétaire d’Etat aux Domaines
rapportant la radiation de la mutation contenue dans la décision n°
00114/4.7/MINUH/D.310 du 16 janvier 1997 » ; or, constate-t-il, « cette dernière
décision n’a pas fait l’objet d’un recours contentieux ».

358
Ordonnance n° 02/87/88/PCA/CS du 16 octobre 1987, Dame Ekoumou Enyengué Dorothée contre Etat du
Cameroun.
359
Ordonnance n° 16 (bis) /OSE/PCA/91-92 du 16 juin 1992, affaire Nyé Safinda Maurice contre Etat du
Cameroun.
360
Ordonnance n° 17/OSE/CS/PCA/91-92 du 13 juillet 1992, affaire Djou Gilbert contre Etat du Cameroun.
361
Ordonnance n° 26/OSE/PCA/CS/93-94 du 28 juin 1994, affaire Otto Bidjoka et La FIB contre Etat du
Cameroun.
362
Ordonnance n° 37/OSE/PCA/CS/00-01 du 05 avril 2001, affaire Société Union Camerounaise des Brasseries
contre Etat du Cameroun.
363
En fait, il fait sienne l’argumentation présentée par le Ministère Public.
364
Ordonnance n° 73/OSE/PCA/CS/98-98 du 30 juillet 1999, affaire Zoa Apollinaire contre Etat du Cameroun.

88
Dans les affaires Ahanda Dieudonné et Elites intérieures de l’Arrondissement
de Yokadouma365, le juge administratif déclare que « la demande de suspension
d’exécution ne peut être recevable que si elle est consécutive à la demande
principale et formée par la même requête, soit en même temps, soit après le dépôt
du recours au fond ». Cette formule, comme les précédentes, nous semble
contenir quelque contradiction et pose le problème de la signification de la notion de
« requête séparée » dont le juge reconnaît lui-même la possibilité de l’introduire.

En effet, comment former la demande de sursis et la demande principale « par


la même requête » et ceci « soit en même temps, soit après le dépôt du recours au
fond » ?

Dans une formule plus élaborée, le juge déclare dans l’affaire Etablissements
Gortzounian SARL366 que « la demande en suspension à exécution ne peut être
recevable que si elle est greffée sur la demande principale introduite
concomitamment par la même requête ou ultérieurement par requête séparée ». Ici,
le caractère annexe ou accessoire de la demande de sursis se dégage de façon
explicite : c’est une demande « greffée » à la demande principale.

Enfin, dans l’affaire Ets El Blanco367, le juge établit, dans une formule mieux
élaborée, le lien indissociable entre la demande de sursis et la demande principale. Il
affirme à cet effet que « la demande de suspension d’exécution ne peut être
recevable que si elle est introduite en même temps que la demande principale
déposée devant le juge de fond ou postérieurement à celle-ci ».

Au delà de leur diversité, ces formules ont en commun un double intérêt.


D’abord, elles établissent le caractère accessoire ou annexe de la demande de
sursis. Ensuite, elles permettent au juge de prendre position sur le problème de
savoir si le recours principal doit être antérieur, concomitant ou postérieur à la
demande de sursis368. Le recours principal peut être antérieur ou concomitant à la
demande de sursis ; donc, celle-ci doit être postérieure ou concomitante à celui-là.

365
Voir ordonnance n° 5/OSE/CS/PCA/82-83 du 6 février 1983, Mbiama Messanga Casimir contre Etat du
Cameroun.
366
Ordonnance n° 23/OSE/PCA/CS/97-98 du 31 décembre 1997, affaire Etablissement Gortzounian Sarl contre
Etat du Cameroun.
367
Ordonnance n° 04/OSE/PCA/98-99 du 14 octobre 1998, affaire Ets El Blanco contre Etat du Cameroun.
368
Dans ce sens, voir M. Kamto, Observation, op. cit., p. 175 et J.J Tchindji, Note, op. cit., p. 334.

89
Le juge a édulcoré cette jurisprudence en considérant que « le moment
d’introduction du recours principal importe peu, il suffit que l’on prouve l’existence de
ce recours au moment où le Président de la Chambre Administrative examine pour la
première fois la demande de sursis »369. Ce faisant, il admet que le recours principal
peut être introduit en instance d’instruction de sursis. En effet, comment prouver
l’existence de ce recours autrement qu’en l’introduisant, l’essentiel étant qu’il soit
introduit au moment où le juge examine pour la première fois la demande de sursis.
N’est-ce pas là reconnaître que le recours principal peut être postérieur à la
demande de sursis ou que celle-ci peut être antérieure à celui-là ? Mais, lorsque
dans les affaires Ahanda Dieudonné du 26 juin 1996370 et Elites intérieures de
l’arrondissement de Yokadouma du 04 juillet 1996371, le juge affirme que l’existence
de la demande principale « doit être justifiée à l’introduction de la demande de
sursis », on est perplexe et dubitatif . En effet, « prouver l’existence » du recours
principal « au moment où » le juge « examine pour la première fois la demande de
sursis » ne peut pas signifier le prouver ou le justifier « à l’introduction de la demande
de sursis ». On n’est pas à « un tango jurisprudentiel » près, et ce d’autant plus que,
pour exprimer l’obligation d’introduire le recours principal, le juge du sursis minore la
portée du recours gracieux qu’il a pourtant considéré – on n’est pas à une
contradiction près – dans d’autres espèces, comme une condition de recevabilité de
la demande de sursis.

369
Voir ordonnance n° 26/OSE/PCA/CS/93/94 du 28 juin 1994, Otto Bidjoka et La FIB précitée ; ordonnance n°
73/OSE/PCA/CS/98/99 du 30 juillet 1999, Zoa Apollinaire, précitée ; ordonnance n° 23/OSE/PCA/CS/97-98 du
32 décembre 1997 ; Etablissement Gortzounian Sarl, précitée ; ordonnance n° 04/OSE/CS/PCA/98-99 du 14
octobre 1998, Ets El Blanco, précitée et ordonnance n° 37/OSE/PCA/CS/2000-2001 du 05 avril 2001, société
Union Camerounaise des Brasseries (UCB), précitée.
370
Ordonnance n° 39/OSE/CS/PCA/95-96 du 26 juin 1996, affaire Ahanda Dieudonné contre Etat du Cameroun.

90
b. La minoration du recours gracieux comme condition de recevabilité
de la demande de sursis

Dans les affaires « Le Messager »372 et Henri Ngatchou Mbatkam373, le juge


administratif a fait du recours gracieux une condition obligatoire de recevabilité de la
demande de sursis. Dans les affaires Mayouga Yvonne374, Sighoko Abraham375 et Union
des Populations du Cameroun376, il en a fait une condition suffisante au détriment du
recours contentieux377. Prenant à contre - pied cette jurisprudence, il a considéré dans
trois espèces rendues respectivement le 30 décembre 1997378, le 14 octobre 1999379 et le
5 avril 2001380 que seul le recours contentieux conditionne la recevabilité de la demande
de sursis. Dans ces espèces, les requérants avaient introduit des recours gracieux et
saisi directement le juge au moyen de requêtes aux fins de sursis à exécution « sans avoir
introduit un recours contentieux ». Le juge a saisi cette occasion pour affirmer que « le
juge du contentieux administratif n’est pas lié par le recours gracieux mais plutôt par le
recours contentieux ».

Par cette prise de position, le juge administratif indique donc que


l’appréciation de la recevabilité de la demande de sursis ne peut être faite que par
rapport au recours contentieux et non par rapport au recours gracieux. Or, le recours
gracieux est la condition de recevabilité du recours contentieux et est d’ordre public.
Il n’est donc pas possible de les dissocier en matière de contentieux. Le juge peut- il,
sur la base de cette jurisprudence, admettre des requêtes aux fins de sursis si les
requérants n‘ont pas introduit de recours gracieux ? On peut en douter, puisque
dans d’autres espèces, il a méconnu l’obligation d’introduire le recours contentieux
comme condition de recevabilité de la demande de sursis.

371
Ordonnance n° 40/OSE/CS/PCA/95-96 du 04 juillet 1996, affaire Elites intérieures de l’arrondissement de
Yokadouma contre Etat du Cameroun.
372
Ordonnance n° 9/OSE/PCA/85-86 du 26 mai 1986, Journal « Le Messager », précitée.
373
Ordonnance n° 14/OSE/CS/PCA/82-83 du 25 mai 1983, Henri Ngatchou Mbatkam, précitée
374
Ordonnance n° 21/91-92/OSE/PCA du 14 août 1992, précitée.
375
Ordonnance n° 05/92-93/CS/PCA du 05 octobre 1993, précitée.
376
Ordonnance n° 4/OSE/PCA/93-94 du 19 octobre 1993, précitée.
377
Voir supra §3, A, 1, (b) et infra §4, A, 2 (b).
378
Ordonnance n° 23/OSE/PCA/CS/97-98 du 31 décembre 1997, affaire Etablissement Gortzounian Sarl,
précitée
379
Ordonnance n° 04/OSE/PCA/98-99 du 14 octobre 1998, Ets El Blanco, précitée.
380
Ordonnance n° 37/OSE/PCA/CS/00-01 du 5 avril 2001, Société Camerounaise des Brasseries (UCB),
précitée.

91
2. La méconnaissance de l’obligation d’introduire le recours principal
comme condition de recevabilité de la demande de sursis

Moins formaliste, davantage partisan de l’allégement de la procédure de


sursis et d’un traitement accéléré des demandes y relatives, le juge administratif
considère, par ailleurs, que l’exigence du recours contentieux est incompatible avec
la rapidité qui caractérise la procédure du sursis et que le recours gracieux est
suffisant pour qu’il se prononce sur la demande de sursis.

a. L’incompatibilité entre l’exigence du recours contentieux et la


procédure de sursis à exécution

Pour démontrer cette incompatibilité, le juge s’appuie sur l’article 17 de la loi


n° 75/17 du 08 décembre 1975 fixant la procédure de vant la Cour Suprême statuant
en matière administrative. Ainsi, dans une ordonnance rendue le 03 septembre
1985381,il soutient, sans détours, que cet article « ne subordonne nullement la
recevabilité de la demande en sursis à l’exécution d’un recours contentieux ; qu’une
telle exigence est incompatible avec la rapidité qui caractérise la procédure
d’urgence instituée par l’article 16 de la loi précitée, dans la mesure où ladite
procédure ne pourrait être envisagée qu’après l’aboutissement du recours gracieux
qui, seul, demeure un préalable ».

Il s’avère, en effet, que le déclenchement de la procédure administrative


contentieuse ne peut avoir lieu qu’ « après rejet d’un recours gracieux adressé au
Ministre compétent ou à l’autorité statutairement habilitée à représenter la collectivité
publique ou l’Etablissement public en cause »382 ; que ce recours gracieux doit être
formé « dans les deux mois de publication ou de notification de la décision
attaquée »383 ; qu’il est considéré comme rejeté lorsque l’autorité saisie garde le
silence « pendant un délai de trois mois »384 ; et que c’est à compter du rejet de ce
recours que la décision attaquée doit, ou peut faire l’objet de recours contentieux en
annulation « dans un délai de 60 jours »385, qui court, pour les actes notifiés, « du

381
Ordonnance n° 19/OSE/CS/PCA/84-85 du 03 septembre 1985, affaire Mbiayi Philippe contre Etat du
Cameroun.
382
Article 12.1 de l’ordonnance n° 72/06 du 26 août 1972 fixant l’organisation de la Cour suprême.
383
Article 12.3 de l’ordonnance n° 72-06.
384
Article 12.2 de l’ordonnance n° 75/17.
385
Article 7.1 de la loi n° 75/17.

92
lendemain du jour de leur notification à personne où à domicile »386. Ainsi, entre
l’introduction du recours gracieux et la saisine du juge administratif, il s’écoule un
temps considérable – plusieurs mois –, incompatible avec l’urgence qui caractérise la
procédure de sursis, puisqu’il s’agit d’éviter la survenance d’un préjudice irréparable.
Il en résulte que cette procédure doit être allégée.

Sur ce point, la décision du juge, en l’espèce, constitue une limitation du


formalisme procédural préjudiciable pour les intérêts des justiciables. Le sont
également les décisions où il affirme que le recours gracieux est suffisant pour qu’il
se prononce sur le sursis sollicité ; mais en le faisant, il dévalorise le recours
contentieux.

b. La dévalorisation du recours contentieux au profit du recours


gracieux

Comme l’a relevé un auteur, « les affaires Mayouga Yvonne et Sighoko


Abraham rendues respectivement le 26 juillet 1992 et le 17 septembre 1992 (…) sont
les manifestations de la tendance libérale du juge administratif (…) »387.

Dans ces affaires388, en effet, le juge administratif, en l’occurrence le Président


de la Chambre administrative, « a adopté une position audacieuse en admettant la
possibilité d’être saisi directement d’une demande de sursis contre des décisions de
fermeture des pharmacies, à la suite d’un recours gracieux préalable et sans
attendre l’introduction d’un recours contentieux »389. Il l’a fait au triple motif suivant :
d’abord, « il est indéniable que la fermeture de la pharmacie avec tout ce qu’elle
contient comme denrée à conserver délicatement constitue un préjudice irréparable
dont l’arrêt ne saurait attendre les délais nécessaires à l’introduction d’un recours
contentieux devant la Chambre Administrative » ; ensuite, « le seul recours gracieux,
prélude au recours contentieux est suffisant pour que le Président de la Chambre
Administrative se prononce » ; enfin, « on ne saurait demander à un administré, qui
subit un préjudice grave du fait d’une décision administrative d’attendre les délais de
recours contentieux ( plus de trois mois) pour pouvoir saisir le juge administratif afin

386
Article 7.2 de la loi n° 75/7.
387
C. Keutcha Tchapnga, « Le régime juridique du suris à exécution dans la jurisprudence administrative
camerounaise », op. cit., pp. 86-87. L’auteur a cependant confondu les dates d’introduction des recours à celle
d’édiction des ordonnances qui sont respectivement le 14 août 1992 et le 05 octobre 1992.
388
Voir respectivement, ordonnance n° 21/91-92/OSE/PCA du 14 août 1992 et ordonnance n° 05/92-93/CS/PCA
du 05 octobre 1992.

93
d’y voir mettre fin, alors surtout qu’il a déjà été décidé que la seule procédure qui
suspend une décision administrative est celle du sursis à exécution prévue par
l’article 16 de la loi susvisée ( S.D.F contre Etat du Cameroun) »390.

Les arguments ainsi avancés par le juge sont peut-être discutables sur le plan
du droit391 et encore ! A cet égard, il convient de dire que le droit n’est vivant et
opératoire que parce que, non seulement le juge l’applique, mais aussi et surtout, il
l’interprète. D’ailleurs, on ne peut pas dire que dans ces espèces, le juge n’a pas
tenu compte « du droit positif »392, puisque c’est lui qui, pratiquement, le fait. De
même, il ne faut pas perdre de vue que le droit positif, jurisprudentiel en particulier,
est essentiellement instable, comme le démontre, à suffisance, les prises de position
du juge sur les conditions de recevabilité des demandes de sursis et dans d’autres
matières.

Contrairement à ce qu’écrit un auteur à savoir que « ces deux espèces sont


393
restées isolées » , le juge administratif a, dans une autre affaire en date du 19
octobre 1993394, repris les arguments qu’il a développés dans ces espèces - les
affaires Mayouga Yvonne et Sighoko Abraham . En effet, sollicité pour suspendre
l’exécution de l’arrêté du Préfet du Département de la Mifi interdisant la tenue, à
Bafoussam, chef - lieu dudit Département, du congrès organisé par le parti politique
"Union des Populations du Cameroun" (UPC), le juge a, prenant à contre - pied
l’avis émis par le Ministère Public, déclaré la demande recevable, alors que le
requérant n’avait pas introduit une demande principale. Il l’a fait au double motif
d’une part qu’il est indéniable que l’arrêté querellé « est de nature à causer un
préjudice irréparable dont la suspension de l’exécution ne saurait attendre
l’introduction d’un recours contentieux », et, d’autre part, que « le seul recours
gracieux prélude au recours contentieux est suffisant pour que le Président de la
Chambre se prononce ».

389
C. Keutcha Tchapnga, op. cit. , p. 87.
390
Ce troisième motif a été évoqué dans l’affaire Sighoko Abraham du 5 octobre 1992.
391
V. C. Keutcha Tchapnga, op. cit., pp 86-87, qui parle, à ce propos d’ « avancées discutées » ( p.86). Peut-être
devrait-il dire "discutables". L’ordonnance n°21/91-92/OSE du 14 août 1992, Mayouga Yvonne a fait l’objet
d’appel du Ministère Public le 18 août 1992. Nous n’avons pas d’information sur le sort qui a été réservé à cet
appel.
392
En ce sens, ibid., p. 87.
393
Ibid.
394
Ordonnance n° 04/OSE/CS/PCA/93-94 du 19 octobre 1993, affaire UPC contre Etat du Cameroun. Dans le
fond, le juge a déclaré la demande de sursis sans objet parce qu’elle n’a fait l’objet de réquisition du Ministère
Public que après la période prévue pour la tenue du congrès.

94
Au fond, le problème est l’absence de lignes directrices dans l’appréciation
de la recevabilité des demandes aux fins de sursis à exécution par le juge. Peut-être
qu’il en est ainsi parce que l’urgence est une notion contingente, saisie mais non
réglementée par le droit et qu’elle est laissée à l’appréciation discrétionnaire du juge.

En matière de référé, le juge a une conception rigide de l’obligation


d’introduire la demande principale qu’il considère, d’ailleurs, comme une condition
nécessaire de recevabilité de la requête en référé.

B. UNE CONCEPTION RIGIDE DE L’OBLIGATION D’INTRODUIRE UN


RECOURS PRINCIPAL EN MATIERE DE REFERE ADMINISTRATIF

Se fondant sur la jurisprudence du Conseil d’Etat, la doctrine française dans


son ensemble considère que la demande de référé, à la différence de la demande de
sursis, « peut être exercée avant même que l’instance principale ne soit ouverte »395.
Autrement dit, elle peut-être diligentée « indépendamment de toute procédure au
fond »396, ou « indépendamment de toute action principale, de façon pré
contentieuse (…) pourvu seulement qu’ » elle « puisse "se rattacher à un litige
principal, actuel ou éventuel, relevant de la compétence du tribunal
administratif" »397. Ainsi, l’instance de référé n’est pas indissolublement liée à
l’instance principale398. Le juge administratif français a pu souligner, en ce sens, « la
spécificité de la procédure en matière de référé »399 et l’a considérée comme « une
procédure particulièrement adaptée à la nature de la demande et à la nécessité
d’assurer une décision rapide »400.

Il se dégage de ce qui précède qu’en droit administratif français, la procédure


de référé peut être mise en œuvre de façon autonome et que la demande de référé
peut aussi être présentée dans le courant de l’instance principale401.

Dans un premier temps, le juge administratif camerounais a considéré que les


demandes de référé devaient intervenir avant ou lors de l’introduction d’un recours

395
R. Chapus, op. cit, p. 812.
396
G. Vedel et P. Delvolvé, T2, op.cit., p. 191.
397
B. Pacteau, op.cit., p. 312.
398
O. Dugrip, op .cit. , p.112.
399
CAA, Nantes, plén. , 20 décembre 1995, Port Autonome de Nantes Saint-Nazaire, Rec. CE. 562.
400
CE, 21 juillet 1995, Société « Les trois résidences Hestia » Rec. CE. 544. Seule la procédure de référé-
provision est subordonnée à la présentation d’une demande au fond.
401
CE, 30 janvier 1963, Belin.

95
contentieux. Il admettait donc que la demande de référé peut précéder la demande
principale ; autrement dit, qu’elle « peut ne pas être formée en même temps que la
demande principale »402 ; mais qu’elle ne peut pas être introduite après la demande
principale. En l’absence de cette dernière, la demande en référé ne peut être
recevable. Cette position est clairement énoncée dans l’affaire Guinness Cameroun
du 07 août 1980403. En l’espèce, la requérante avait introduit une demande en référé
auprès du Président de la Chambre Administrative aux fins de le voir « ordonner la
réouverture de son dépôt fermé (…) par le service provincial des prix du Littoral » ;
mais, jusqu’au moment où le juge statuait sur cette demande, l‘intéressé n’avait pas
introduit le recours contentieux. Après avoir fait observer à la partie requérante que
« les demandes en référé devant le Président de la Chambre Administrative
interviennent avant ou lors de l’introduction d’un recours contentieux », le juge a fait
observer « qu’il ne ressort pas des déclarations de son conseil que cette société soit
sur le point de saisir la Chambre administrative d’un recours contentieux, ni que cette
juridiction ait déjà été saisie d’un pareil recours ».

Dans un second temps, le juge administratif camerounais a rejeté la possibilité


d’introduire la demande de référé avant le recours contentieux. Etablissant de façon
stricte le caractère accessoire de la procédure de référé, il a considéré que la
demande de référé doit être formée en même temps que la demande principale.
Ainsi, dans l’affaire Ossongo Eteme François du 25 juin 1987,404 faisant siens les
arguments du Ministère Public que ce dernier a, d’après lui, fait valoir « à tort ou à
raison », le juge a considéré que « le référé administratif a le caractère d’une
procédure accessoire en ce sens que la demande en référé ne peut ne pas
accompagner un recours principal, effectivement exercé en vue de l’annulation de la
décision en cause ». La demande en référé du requérant a donc été rejetée « parce
que présentée isolément ».

Le problème dans cette affaire est que le juge a épousé les arguments du
Ministère public parce que, comme il le dit lui-même, « l’obligation (…) lui est faite de
se conformer à l’avis du Ministère Public ». Aussi, lorsqu’il affirme que « le Ministère

402
M. Kamto, Droit administratif processuel du Cameroun, op.cit, p. 71.
403
Ordonnance de référé n° 10/ORA/CA/79-80 du 07 août 1980, affAire Guinness Cameroun contre Etat du
Cameroun.
404
Ordonnance de référé n° 03/ORSE/PCA/CS/86-87 du 25 juin 1987, affaire Ossongo Etémé François contre
Etat du Cameroun.

96
Public fait valoir, à tort ou à raison que (…) », cela n’enlève rien à la position qu’il
adopte en définitive – surtout que dans d’autres espèces, il ne se sent pas lié par
l’avis du Ministère public qu’il ne suit pas toujours – à savoir que la demande en
référé est irrecevable lorsqu’elle est « présentée isolément », c’est-à-dire, « en
l’absence de toute demande principale »405.

Au regard de cette décision, on ne peut plus affirmer – sauf changement de


jurisprudence qu’il ne faut pas exclure, vu la versatilité du juge administratif – que la
demande en référé « peut ne pas être formée en même temps que la demande
principale » ou qu’« elle peut être introduite avant la requête introductive
d’instance »406. Elle doit être formée en même temps que la demande principale. Or,
l’article 122 de la loi n° 75/017 du 08 décembre 19 75 qui a institué le référé n’a pas
prévu une telle exigence.

La possibilité de solliciter un référé avant le déclenchement de l’instance au


fond atténue, certes, les liens entre ces deux instances, mais elle a l’avantage de
« donner le pas à la procédure d’urgence sur la règle de la liaison du contentieux »407
en allégeant et en accélérant la procédure d’examen de la demande de référé.

Le juge administratif français est, quant à lui, de plus en plus favorable à la


recevabilité des demandes annexes introduites isolément ou en l’absence de toute
demande principale – tout comme, il admet une demande adressée au juge de référé
alors même que l’administration n’a pas encore statué sur le recours préalable dès
lors que le requérant produit une copie dudit recours408.

Le juge administratif camerounais ne gagnerait-il pas à suivre cette tendance


jurisprudentielle, même si l’urgence s’apprécie en fonction de l’ensemble des
circonstances de chaque espèce ? Il y a lieu, non seulement de le croire, mais
surtout de l’y inviter.

De même, il gagnerait à avoir une appréciation plus objective de la


recevabilité interne des demandes de référé et de sursis pour qu’elle soit moins
fluctuante.

405
O. Dugrip, op. cit., p. 113.
406
M. Kamto, op. cit., p. 71.
407
Christian Gabolde, Manuel de procédures d’urgence, p. 65, cité par O. Dugrip, op. cit., p. 113.
408
Voir CE, Section, 12 octobre 2001, Société Produits Roche, RFDA, 2002, pp. 323-324, avec les conclusions
du Commissaire du Gouvernement Pascale Fombeur, RFDA, 2002, pp. 315-323.

97
SECTION II : L’APPRECIATION DE LA RECEVABILITE INTERNE DES

DEMANDES ANNEXES

Trois conditions sont prises en compte par le juge administratif camerounais


pour se prononcer sur la recevabilité interne des demandes annexes : sa
compétence en tant que juge de l’urgence (§ 1) ; la subordination de la recevabilité
de la demande annexe à celle de la demande principale (§ 2) ; enfin, l’exigence qu’il
n’y ait pas matière à non lieu au moment où il statue (§ 3). En pratique, l’appréciation
de ces conditions par le juge est relativement fluctuante.

PARAGRAPHE I : LA COMPETENCE DU JUGE ADMINISTRATIF

DE L’URGENCE

En principe, « le juge compétent pour statuer sur la demande de mesures


d’urgence doit être (…) le juge à la compétence duquel ressortira l’instance
principale »409. Il en est ainsi en matière de contentieux administratif où les
demandes accessoires ne sont recevables que si la demande principale relève de la
compétence du juge administratif. Aussi, le juge de l’urgence ne peut pas statuer sur
tous les actes ou litiges dont il est saisi. Sa compétence matérielle est limitée tant en
matière de sursis à exécution (A) qu’en matière de référé (B). Une juridiction étant
« toujours juge de sa propre compétence »410, le juge de l’urgence rappelle cette
limitation de sa compétence lorsqu’il estime qu’il est saisi à tort.

A. LA LIMITATION DE LA COMPETENCE DU JUGE DU SURSIS A


EXECUTION

Compte tenu du fait que la demande de sursis est, en principe, une demande
accessoire au recours en annulation, les règles de compétence applicables en
matière d’annulation s’appliquent ainsi en matière de sursis à exécution. Par
conséquent, seul le juge compétent pour annuler la décision querellée peut ordonner
qu’il soit sursis à son exécution. Autrement dit, le juge compétent pour ordonner le
sursis doit être également compétent pour annuler la décision en cause. Il est, dès
lors, conforme au caractère accessoire de l’instance du sursis que, en application de

409
Ch. Debbasch et J-C. Ricci, Contentieux administratif, 7e éd., op. cit., p. 409.

98
l’adage « l’accessoire suit le principal », « l’incompétence du juge saisi au fond
rejaillisse sur son pouvoir d’ordonner le sursis »411.

Il faut donc que la compétence du juge du sursis et celle du juge du fond


coïncident. Cette règle, considérée par la doctrine française comme « parfaitement
justifiable »412, se fonde sur des considérations pratiques, à savoir que « dès lors que
la juridiction saisie du recours en annulation détient le dossier du litige au fond, c’est
elle qui peut facilement, en le consultant, apprécier si les conditions nécessaires à
l’octroi du sursis sont remplies »413.

Le juge administratif camerounais a fait sienne cette limitation en énonçant


dans une ordonnance que « la Chambre administrative de la Cour Suprême ne peut
se prononcer sur une demande de sursis que si et seulement si elle est habile à
connaître le recours au fond »414. Mais, il l’a relativisée, par ailleurs.

1. La consécration de la limitation de la compétence du juge du sursis

Le juge administratif camerounais a consacré la règle selon laquelle il ne peut


se prononcer sur une demande de sursis que s’il est compétent pour statuer sur le
recours au fond dans deux cas : d’abord, à propos d’une demande dans laquelle le
requérant sollicitait la suspension de l’exécution des décisions rendues par des
tribunaux de l’ordre judiciaire ; ensuite, au sujet d’une demande dans laquelle le
requérant sollicitait la suspension de l’exécution des actes portant désignation des
chefs traditionnels.

a. Le refus de connaître des demandes sollicitant la suspension de


l’exécution des décisions rendues par des tribunaux de l’ordre
judiciaire

Saisi d’une demande dans laquelle le requérant sollicitait qu’il soit ordonné la
suspension de l’exécution « de toute décision judiciaire » intervenue sur un terrain
litigieux jusqu’à l’aboutissement du recours au fond, le juge a estimé, suivant en cela

410
J. de Soto, « La notion de juridiction », Dalloz, Chr., 1956, p. 45.
411
O. Dugrip, op. cit., pp. 126-127.
412
Georges Dupuis, Marie-José Guédon et Patrice Chrétien, Droit administratif, 6ème éd., paris, Armand Colin,
1998, p. 452.
413
Mankar Bennis, op. cit., p. 119.
414
Ordonnance n° 12/OSE/PCA/CS/95-96.

99
l’avis du Ministère public, que « le juge administratif ne peut, sans outrepasser ses
pouvoirs, suspendre l’exécution d’une décision de justice »415.

Saisi d’une autre demande dans laquelle le requérant l’invitait à ordonner qu’il
soit sursis à statuer par un tribunal de l’ordre judiciaire et de renvoyer à son rôle
général la saisine de la partie mise en cause jusqu’à ce qu’il soit autrement statué
par la Chambre administrative sur le recours contentieux qu’il a introduit, le juge
administratif a fait observer qu’il ne peut « ordonner ce genre de sursis » sans
outrepasser ses pouvoirs, que, « seule la juridiction saisie d’un litige peut ordonner
un sursis à statuer si elle le juge opportun après appréciation de la cause »416. Ici, le
juge se déclare incompétent, mais il n’exclut pas l’octroi du sursis à exécution qui doit
être le fait de la juridiction compétente au principal417.

Le juge du sursis refuse aussi de connaître des demandes sollicitant la


suspension de l’exécution des actes portant désignation des chefs traditionnels.

b. Le refus de connaître des demandes sollicitant la suspension de


l’exécution des actes portant désignation des chefs traditionnels

Incompétent pour connaître au fond des contestations relatives à la


désignation des chefs traditionnels418, le juge administratif rejette toute demande

415
Ordonnance n° 15/92-93/ORSE du 15 avril 1993, affaire Boog Maurice et autres contre Etat du Cameroun.
416
Ordonnance n° 09/OSE/PCA/CS/93-94 du 08 février 1994, affaire La succession Tsiazock contre Etat du
Cameroun.
417
C’est ainsi qu’il s’est reconnu compétent pour se prononcer sur la suspension du jugement rendu par la
juridiction administrative. Dans l’affaire Tchoutezo Jules-Pierre contre Etat du Cameroun (ordonnance n°
02/OSE/PCA/CS/98-9 du 06 octobre 1998) il a suspendu l’exécution d’un jugement dont tierce – opposition était
demandée au motif que cette exécution « n’est pas opportune en l’état » ; par contre, dans l’affaire Zibi Jean
contre Etat du Cameroun (ordonnance n° 74/OSE/PCA/CS/98-99 du 30 juillet 1999), il n’a pas suspendu
l’exécution dont tierce opposition était demandée pour la raison qu’ « en tenant compte des faits et des
circonstances qui entourent la cause », l’octroi du sursis à exécution était « inopportun ».
418
Voir arrêt n° 17/AP du 19 mars 1981, Etat du Cameroun contre enfants Banka, Collectivité Deido Douala et
Kouang Guillaume Charles ; jugement n° 39/CS/CA/88-89 du 25 mai 1989, Egbe Bessong Alfred contre Etat du
Cameroun ; jugement n° 66/CS/CA/88-89 du 29 juin 1989, Nkfru Simon Ngawe contre Etat du Cameroun ;
jugement n° 16/CS/CA/89-90 du 23 novembre 1989, Eyong Egbe Martin contre Etat du Cameroun. Il est à noter
que jusqu’en 1980, le juge administratif se reconnaissait compétent pour connaître de ce contentieux : voir
jugement n° 40/CS/CA/79-80 du 29 mai 1980, Monkam Tientcheu David contre Etat du Cameroun. Le motif
était que la loi du 30 juin 1979 qui donnait compétence à l’autorité administrative pour connaître en premier et
denier ressort de tels litiges n’excluait pas le recours pour excès de pouvoir qui est ouvert même sans texte contre
tout acte administratif faisant grief et conformément aux principaux généraux du droit (cf., CE, 17 février 1950,
Dame Lamotte).

100
sollicitant la suspension de l’exécution des actes portant désignation des chefs
traditionnels419.

Pour justifier ce rejet, le juge se fonde d’une part, sur l’article 1er de la loi n°
80/31 du 27 novembre 1980 qui énonce que « les juridictions de droit commun et de
l’ordre administratif sont dessaisies d’office de toutes les affaires pendantes devant
elles et relatives aux contestations soulevées à l’occasion de la désignation des
chefs traditionnels », et, d’autre part, sur la loi n° 79/17 du 30 jui n 1979 qui attribue
cette compétence à l’autorité investie du pouvoir de désignation, laquelle se
prononce en premier et dernier ressort. Autrement dit, les actes portant désignation
des chefs traditionnels jouissent d’une immunité juridictionnelle. Ce sont donc des
actes de gouvernement420.

La limitation de la compétence du juge du sursis n’est cependant pas absolue


car il lui arrive d’ordonner le sursis alors même qu’il est incompétent pour connaître
la cause en annulation.

2. La relativisation de la limitation de la compétence du juge du sursis

Dans deux espèces, le juge administratif a remis en cause la règle selon


laquelle seule le juge compétent pour annuler une décision attaquée peut ordonner
qu’il soit sursis à son exécution en prononçant la suspension de l’exécution des
décisions litigieuses.

Ainsi, dans l’affaire Kouam Maurice Calvin du 24 juin 1996421, le juge a


ordonné la suspension de l’exécution de la décision par laquelle l’administration
avait licencié pour motifs économiques le requérant , pourtant agent de l’Etat
relevant du Code du Travail, donc régi par le droit privé. Or, il est incompétent pour
connaître d’un tel litige au fond, lequel ressortit à la compétence du juge judiciaire.
En fait, le juge a pris en compte l’urgence de la situation au détriment de la règle de
droit relative à la répartition de compétences. Il a estimé qu’il était urgent de protéger

419
Voir ordonnance n° 27/CS/PCA du 27 mars 1997, Balla Benoît contre Etat du Cameroun ; ordonnance n°
25/ORSE/PCA/CS/97-98 du 31 décembre 1997, affaire Manga Myoungou Ebenezer contre Etat du Cameroun ;
ordonnance n° 78/ORSE/PCA/CS/97-98 du 23 septembre 1998, affaire Famille Bonam contre Etat du
Cameroun.
420
En ce sens, lire M. Kamto, « Actes de gouvernement et droit de l’homme au Cameroun », Lex Lata n° 26,
Mai, 1996, pp. 9-14.
421
Ordonnance n° 28/OSE/PCA/95-96 du 24 juin 1996, Koum Maurice Calvin contre Etat du Cameroun.

101
provisoirement les intérêts du requérant qui allait perdre son salaire du fait de son
licenciement. Ce faisant, il a détaché l’accessoire du principal.

C’est également pour protéger les intérêts du requérant qui risquait « de


perdre sans compensations ses importants investissements réalisés (…) » que le
juge administratif a, dans l’affaire Société SOGETHORE du 9 octobre 1998422, retenu
sa compétence et ordonné le sursis à l’exécution des décisions du Ministre du
Tourisme portant résiliation du contrat de gérance libre qui liait l’Etat au requérant. Il
s’avère pourtant que ce contrat concerne, aux termes des dispositions de l’article 9
de l’ordonnance n° 72/06 du 26 août 1972, implicite ment la catégorie de contrats
conclus sous l’empire du droit privé, ce qui l’exclut du domaine du contentieux
administratif. Il s’avère également que selon l’article 33 de ce contrat , « le Tribunal
de Grande Instance de Yaoundé est compétent en cas de litige opposant les deux
parties », ce qui excluait de manière expresse la compétence du juge administratif.

Cette souplesse, juridiquement discutable, mais socialement compréhensible,


du juge du sursis, n’est pas de règle en matière de référé. Ici, le juge procède à une
limitation stricte de sa compétence.

B. LA LIMITATION DE LA COMPETENCE DU JUGE DE REFERE


ADMINISTRATIF

Seul le juge compétent pour trancher le litige au fond est habilité à ordonner le
référé administratif. En effet, « l’exigence d’un litige né et actuel (…) auquel la
procédure de référé doit pouvoir se rattacher, fournit la clef du problème de la
compétence du juge des référés »423.

Le caractère accessoire de la procédure de référé justifie qu’il en soit ainsi.


Cezar-Bru et Hebraud l’expliquaient déjà dans Le traité des référés et des
ordonnances en ces termes : « La juridiction du référé peut être considérée comme
une émanation de la juridiction du fond pour la compléter et suppléer à ses carences.
On ne peut pas supposer une juridiction du référé isolée et se suffisant à elle-même,

422
Ordonnance n° 03/OSE/PCA/CS/98-99 du 09 octobre 1998, affaire Société SOGETHORE contre Etat du
Cameroun.
423
Lasry, Concl., CE 15 juillet 1957, Ville de Rouen, RDP, 1958, p. 112.

102
puisqu’elle doit réserver le fond qui sera tranché par le tribunal. C’est pourquoi la
compétence du juge des référés se modèle sur celle du tribunal »424.

Le juge administratif camerounais a fait sienne cette règle en limitant de façon


stricte sa compétence en matière de référé. Ainsi, il n’est « pas compétent à
connaître en référé des litiges qui ne sont point de sa compétence au fond »425. Le
juge judiciaire en fait de même. Il en est ainsi du juge civil des référés qui, en tant
qu’émanation du Tribunal de Première Instance, a sa compétence limitée à celle de
cette juridiction. En effet, il « ne peut statuer, même au provisoire, sur les matières
qui ressortent, quant au fond, de la compétence des juridictions répressives ou
administratives. Cette incompétence est d’ordre public et peut être opposée en tout
état de cause ».426En ce qui concerne le juge administratif des référés, la limitation
de sa compétence est fonction des actes mis en cause et des litiges à connaître.

1. La limitation liée à la nature des actes mis en cause

Le juge des référés refuse de connaître des actes constitutifs de voies de fait
car, aux termes de l’article 9 (4) de l’ordonnance n° 72/6 du 26 Août 1972 fixant
l’organisation de la Cour Suprême, ce sont les tribunaux judiciaires qui connaissent
de la voie de fait, ordonnent toute mesure pour qu’il y soit mis fin.

Le juge des référés ne connaît pas non plus de l’exception préjudicielle. Celle-
ci doit être soulevée devant l’Assemblée plénière de la Cour Suprême. Il l’a
clairement affirmé dans deux ordonnances de référé rendues respectivement le 7
Août 1980427 et le 19 Mars 1991428.

« Il y a voie de fait lorsque l’administration par un acte grossièrement illégal


porte atteinte à une liberté publique ou à la propriété privée »429. La voie de fait peut
résulter soit d’une décision manifestement irrégulière, c’est ce qu’on a appelé, à la
suite du Doyen Maurice Hauriou, la voie de fait par manque de droit ; soit de

424
Cézar-Bru et Hebraud, Le traité des référés et des ordonnances, éd. 1938, t. 1, p. 21, cité par O. Dugrip, op.
cit., p. 136.
425
CFJ/CAY, 13 mai 1971, arrêt n° 159, Nliba Nguimbous c/Etat fédéré du Cameroun Oriental.
426
Jacques FIPA, « Le référé devant les juridictions camerounaises », Juridis Périodique n° 38, avril- mai- juin
1999, p. 78.
427
Ordonnance de référé n° 10/ORA/PCA/79-80 du 7 août 1980, affaire Guinness Cameroun c/ Etat du
Cameroun.
428
Ordonnance de référé n° 11/OR/CS/PCA/90-91 du 19 mars 1991, affaire Docteur Edou André c/ Etat du
Cameroun. Dans cette affaire, le juge n’a pas explicitement évoqué l’exception préjudicielle.
429
H. Jacquot, « Le contentieux administratif camerounais », RCD, n° 7, 1975, p.29.

103
l’exécution illégale d’une décision même légale, c’est la voie de fait par manque de
procédure430.

Le juge des référés se déclare également incompétent pour statuer sur des
actes qu’il considère comme étant des actes de gouvernement. Ainsi, saisi des
recours dans lesquels il lui est demandé de « suspendre l’application et déclarer nul
comme étant illégal le décret n° 92/194 du 17 Septe mbre 1992 portant convocation
du corps électoral pour le 11 Octobre 1992 », il déclare que « la convocation du
corps électoral est un acte de gouvernement qui échappe au contrôle du juge »431,
se référant ainsi à « un vieil arrêt du Conseil d’Etat français »432 rendu le 6 août
1912. Or, la nature de l’acte de convocation du corps électoral, y compris pour les
élections législatives, a changé en France sous la Vè République.

Par cette prise de position, le juge des référés a procédé à une extension de
la notion d’acte de gouvernement en droit camerounais433et, par voie de
conséquence, à la restriction du contrôle des actes édictés par l’administration,

430
Sur l’ensemble de la question en droit français, v. F-P. Benoît, op. cit., pp. 422-430 ; Yves Gaudemet, Traité
de droit administratif, 16è éd., T1, Paris, LGDJ, 2001, pp. 424-425 et en droit camerounais, v. H. Jacquot, op.
cit., Roger Gabriel Nlep, Observations sur le jugement n° 12/CS/CA du 28 janvier 1982, Dame Binam née Ngo
Ndjom Fidèle, PENANT, 1986, p 347et suiv. ; Rose Djila, « Contribution à l’étude de la protection de la liberté
individuelle au Cameroun depuis 1990 », Juridis Périodique n° 26, avril-mai-juin 1996 , p 93 ; les arrêts n° 10
CFJ/AP, du 17 Octobre 1968, Mvé Ndongo et n° 8 CFJ /AP du 16 octobre 1968, Etat du Cameroun c/ Max
Keller Ndongo ; les jugements dame Binam suscité et n° 63/CS/CA du 26 mai 1988, Nomeny Nguissi c/ Etat du
Cameroun.
431
Ordonnance de référé n° 01/OR/CS/PCA/92-93 du 02 octobre 1992, affaire Union Démocratique
Camerounaise (UDC) c/ Etat du Cameroun ; ordonnance n° 02/OR/CS/PCA/92-93 du 02 octobre 1992, affaire
Social Democratic Front (SDF) c/ Etat du Cameroun et ordonnance n° 03/OR/CS/PCA/92-93 du 2 octobre 1992,
affaire Social Democratic Front (SDF) et Union des Forces Démocratiques du Cameroun (UFDC) c/ Etat du
Cameroun. Sur ces différentes affaires, voir résumé des faits et observations de Bernard Guimdo, in Juridis Info
n° 14, Avril-Mai-Juin 1993, p 60, les analyses approfondies et profondes du Doyen Maurice Kamto, in « Le
contentieux électoral au Cameroun », Lex Lata n° 020, Nov. 1995, pp 5-6, le mémoire de Maîtrise en droit
public de Nicolas Amayena, Le contentieux de l’élection présidentielle au Cameroun, Université de Yaoundé,
1992, pp 57-62 et le mémoire de fin d’études de Christophe Oumbé Foné, Le contentieux électoral au
Cameroun, ENAM, 1993.
432
B. Guimdo, Obs. sur l’ordonnance n° 01/OR/CS/PCA/92-93 du 2 Octobre 1992, Union Démocratique du
Cameroun (UDC) c/ Etat du Cameroun, Juridis Info, op. cit., p.60.
433
Sur l’évolution de la question en France, v. M. Hauriou, op. cit., pp. 416-423 ; F-P Benoît, op. cit., pp. 418-
420 ; R. Odent, Contentieux administratif, op. cit., pp. 298-305, G. Vedel et P. Delvolvé, Droit administratif, T1,
12è éd., Paris, PUF, 1992, pp. 509-516 ; Martine Lombard, op cit., pp67-69 ; Y. Gaudemet, op. cit. , pp 590-
597 ; Jean -Claude Vénézia, « Eloge de l’acte du gouvernement », Mélanges Jean Waline, Paris, Dalloz, 2002 ,
pp. 723-731 ; Josiane Auvret-Finck, « Les actes du gouvernement, irréductible peau de chagrin ? », RDP, 1995,
pp.131-174 ; Pierre-Henri Chalvidan, »Doctrine et acte de gouvernement », AJDA, 1982, pp. 4-19 ; René
Chapus, « L’acte de gouvernement, monstre ou victime ? », D.,Chr,1958, pp 5-10 ; Louis Favoreu, « L’acte de
gouvernement, acte provisoirement et accidentellement injusticiable », Note de jurisprudence , RFDA, 1987, pp.
544-547 ; Maxime Mignon, « Une emprise nouvelle du principe de légalité : les actes de gouvernement », D.I.
Chr. 1951, pp. 53-60 ; Jacques Puisoyé, « Pour une conception plus restrictive de la notion d’acte de
gouvernement », AJDA, 1965, pp. 221-220.

104
puisque l’article 9.5 de l’ordonnance n° 72/06 du 2 6 Août 1972 énonce qu’ « aucune
cour ou tribunal ne peut connaître des actes de gouvernement ».

Enfin, le juge des référés se déclare incompétent pour suspendre une


ordonnance rendue par le juge du sursis à l’effet de rétracter une ordonnance de
sursis. Il estime, d’une part, que « la mesure sollicitée concerne l’exécution d’une
décision de justice que le juge des référés ne saurait ordonner sans outrepasser ses
pouvoirs », et, d’autre part, que les mesures provisoires qu’il peut édicter ne doivent
pas faire préjudice au principal, qu’elles « ne peuvent intervenir que pour
sauvegarder une situation mise en péril par un acte administratif »434.

2. La limitation liée à la nature du litige

Le juge administratif des référés ne peut intervenir que dans des litiges ayant
un caractère administratif. Ainsi, il se déclare incompétent si le litige est de nature
privée ou insusceptible d’être rattaché au contentieux administratif. C’est le cas des
litiges opposant des particuliers qui ressortissent à la compétence du juge
judiciaire435 ; des contestations nées de l’indemnisation pour expropriation pour
cause d’utilité publique436qui, aux termes de l’article 13 de l’ordonnance n° 74/03 du
6 Juillet 1974 relative à la procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique,
relèvent de la seule compétence du Tribunal de Première Instance du lieu de
situation de l’immeuble objet du litige ; des litiges nés de la rupture d’un contrat de
gérance libre conclu entre l’Etat et un particulier qui concerne, aux termes de l’article
9 de l’ordonnance n° 72/06, implicitement la catégo rie des contrats conclus sous
l’empire du droit privé et qui stipule de surcroît, que « le Tribunal de Grande Instance
de Yaoundé est compétent en cas de litige opposant les deux parties »437 . C’est le
cas des litiges insusceptibles d’être liés au contentieux administratif tels que

434
Ordonnance de référé n° 08/OR/PCA/CS/97-98 du 31 octobre 1997, affaire Société SOCIB Maritime et
autres C/Etat du Cameroun.
435
V. ordonnance de référé n° 06/ORSE/CS/PCA/84-85 du 25 décembre 1984, affaire Kameni Marcellin c/
Mondo Isaac et la Société Camerounaise d’Agrégats du Littoral.
436
Ordonnance de référé n°11/OR/CS/PCA/91-92 du 19 mars 1991, affaire Docteur Edou André c/ Etat du
Cameroun.
437
Ordonnance de référé n° 46/OR/PCA/CS/98-99 du 12 mai 1999, affaire SOGETHORE c/ Etat du Cameroun.
En l’espèce, le requérant demandait au juge des référés d’ordonner la réintégration immédiate de la
SOGETHORE dans les locaux et la gestion du Centre Climatique de Dschang par le Ministre du Tourisme sous
astreinte de 10 000 000 de francs CFA par jour de retard.

105
l’inscription du requérant au registre de commerce « en dehors de toute allégation
sur l’existence ou sur l’éventualité d’un contentieux à caractère administratif »438.

Le juge des référés ne peut être compétent que s’il y a incertitude quant à la
nature du litige principal , ceci compte tenu des caractères propres de la procédure
de référé ,et dès lors que la demande qui lui est présentée n’est pas manifestement
insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction
administrative .

Par ailleurs, le juge des référés administratifs ne peut se prononcer sur un


litige que même le juge du principal est inhabile à traiter. Il en est ainsi des
contestations des « résultats d’un scrutin dans un contexte de parti unique », et par
voie de conséquence, de la détermination du caractère prononçable ou non des
« mesures utiles » sollicitées par le requérant, pour protéger ses intérêts et ceux des
membres de sa liste, « en attendant que le Ministre de tutelle (sic !) statue sur ce cas
d’illégalité flagrante »439. En effet, comme l’affirme le juge dans l’affaire Fonacho
Georges Isaih, « le juge des référés administratifs, comme le juge civil des référés,
ne peut avoir une compétence plus étendue que celle de la juridiction dont il est une
émanation »440 . De fait, sous le parti unique, aucune loi n’organisait le règlement
juridictionnel des litiges relatifs aux élections au Cameroun. Le juge des référés ne
pouvait donc pas prendre de mesures excédant les pouvoirs du juge administratif ; la
règle en la matière étant que la compétence du juge du fond doit servir de modèle à
la compétence du juge de l’urgence.

En somme, en matière de référé, le juge administratif camerounais considère


que lorsque le litige principal ne rentre pas dans la compétence de la juridiction
administrative, il ne peut ordonner la mesure d’urgence sollicitée. Ce faisant, il
admet, d’une certaine façon, l’existence d’un lien de subordination entre la
recevabilité de la demande annexe et la recevabilité de la demande principale.

438
Ordonnance de référé n° 07/OR/CS/PCA/87-88 du 31 mars 1988, affaire Kamsu Joseph c/Etat du Cameroun.
439
Ordonnance de référé n°08/OR/PCA/CS du 31 mars 1988, affaire Fonacho Georges ISAIH contre Etat du
Cameroun.
440
Ibid.

106
PARAGRAPHE II : LA SUBORDINATION DE LA RECEVABILITE DE LA
DEMANDE ANNEXE A LA RECEVABILITE DE LA
DEMANDE PRINCIPALE

La subordination de la recevabilité de la demande annexe à la recevabilité de


la demande principale permet de concilier deux impératifs opposés : d’un côté,
permettre au juge de l’urgence « de statuer rapidement sans se livrer à une étude
sérieuse de la recevabilité ; et d’un autre côté rejeter des demandes »441annexes
« dont l’action au fond est vouée sûrement à l’échec pour irrecevabilité »442.

Pour J-M. Auby et R. Drago, cette condition est assez inattendue en matière
de référé « puisque le juge des référés ne doit pas préjuger le fond »443. Il reste que,
comme l’a écrit O. Dugrip, « en raison de la finalité des procédures d’urgence, il est
normal que la recevabilité de la demande présentée au juge de l’urgence soit liée à
la recevabilité de la demande principale »444. Comme l’a dit Mme Latournerie au sujet
du référé, ce qui est aussi valable pour le sursis à exécution, « pour
l’accomplissement de la mission du juge qui est de trancher des litiges par
application du droit en vigueur, il n’est d’aucun intérêt pratique d’accepter d’intervenir
au niveau » des procédures d’urgence « s’il est évident qu’il sera impossible de
statuer au fond sur les conclusions principales que ces procédures ont pour objet de
rendre utiles »445.

Il s’avère que la liaison des instances annexe et principale sur le plan de la


recevabilité participe de ce souci « d’assurer une cohérence entre les pouvoirs du
juge administratif » lorsqu’il statue dans le cadre de l’instance annexe et de l’instance
principale446. Il est pourtant symptomatique de constater que « cette condition est en
pratique moins restrictive que l’apparence peut le laisser croire »447. Jusqu’à
maintenant, en effet, le juge administratif camerounais ne l’a exigée qu’en matière de
sursis et dans une seule espèce (A). C’est toujours en cette matière qu’elle lui a
apporté des atténuations (B), tenant ainsi compte de l’urgence et des caractères
propres de cette procédure.

441
M. Tourdias, « Référé administratif et constat d’urgence », J. C. P., 1961 I. 1628.
442
Ibid.
443
J- M. Auby et R. Drago, Traité de contentieux administratif, T2, Paris, LGDJ, 1984, p. 47.
444
O. Dugrip, op. cit., p. 141.
445
Latournerie, Concl. sur CE, Ass., 17 décembre 1976, Férignac, Rec., p. 553.
446
Ibid.
447
M. Tourdias, op. cit.

107
A- L’EXIGENCE DE LA SUBORDINATION EN MATIERE DE SURSIS A
EXECUTION

C’est tout à fait normalement qu’on conçoive « que la recevabilité de la


demande de sursis à exécution soit conditionnée par la recevabilité de la requête du
fond »448. De fait, l’on soutient que « l’octroi du sursis n’aurait pas de sens si le juge
ne pouvait prononcer l’annulation de la décision attaquée »449. Il faut donc que le
recours principal exercé, ou qui pourrait être exercé relativement au litige éventuel
auquel est liée la demande de mesures d’urgence - ici le sursis à exécution-, ne soit
pas irrecevable450 , ou, plus précisément, comme le dit le Conseil d’Etat français,
« qu’il ne soit pas manifestement irrecevable », ou entachée d’une « irrégularité
manifeste »451. Aussi, le juge administratif français est-il amené à apprécier la
recevabilité de la requête principale pour statuer sur la demande de sursis. Au regard
des liens étroits qui existent entre ces deux instances, il « ne saurait se contenter
d’apprécier si les conclusions sur lesquelles il doit statuer ne sont pas manifestement
irrecevables »452. La demande principale étant présentée au juge, et sa recevabilité
conditionnant celle des conclusions aux fins de sursis, il devrait « anticiper, en
jugeant le sursis, ce qu’il dira de la requête au fond »453.

Le juge administratif français fait de la recevabilité de la demande principale


une condition du bien-fondé des conclusions tendant à ce qu’il soit sursis à
454
exécution de la décision contestée .

Il en est de même du juge administratif camerounais. En effet, dans une


espèce rendue le 11 mars 1988455 et dans laquelle le requérant sollicitait le sursis à
exécution d’un titre foncier, il a affirmé que « le sursis à exécution n’est possible
qu’en cas de recours recevable », non sans avoir indiqué que « (…) la juridiction de
céans a déjà eu à préciser à travers de nombreuses décisions qu’un recours formé

448
O. Dugrip, op. cit., p. 143.
449
Ibid., pp. 143-144.
450
R. Chapus, Droit du contentieux administratif, 3 éd., Paris, Montchrestien, 1991, p. 852.
451
CE, sect., 13 juillet 1956, Secrétaire d’Etat à la Reconstruction C/ Piéton-Guibout, Rec., p. 338 (en l’espèce,
absence d’irrecevabilité manifeste) ; CE, 23 février 1979, Soc. Gardiennage Industriel de la Seine, RDP, 1979,
p. 1521 (en l’espèce, existence d’irrecevabilité manifeste).
452
O. Dugrip, op. cit., p. 144.
453
Lassere et Delarue, Chr. sous CE, sect., 9 décembre 1983, Ville de Paris et Soc. des mobiliers urbains pour la
publicité et l’information, AJDA, 1984, p. 85.
454
CE, 22 juillet 1977, Loukil, Rec., p. 928 ; CE, 28 mars 1979, Soc. Carrières et Sablières des Iles, Rec., p. 839.
455
Ordonnance n° 05/87-88/PCA/CS du 11 mars 1988, affaire Onana Jean contre Etat du Cameroun.

108
directement contre le titre foncier, acte que la loi déclare inattaquable par sa nature,
est irrecevable ; Qu’il échet dès lors, de rejeter la demande de sursis à exécution
que le sieur Onana Jean a formée ». Le juge camerounais fait donc de la demande
du sursis un accessoire du recours en annulation car son examen doit
« s’accompagner d’un pré examen de la recevabilité de ce recours »456. Seulement, il
n’en est pas toujours ainsi. En effet, l’urgence et les caractères propres du sursis
l’amènent à atténuer cette subordination selon des formes variées.

B- L’ATTENUATION DE LA SUBORDINATION EN MATIERE DE SURSIS A


EXECUTION

En principe, la demande de sursis est recevable dès lors que la décision


attaquée est de celles dont le juge administratif est habilité à prononcer l’annulation.
Le juge préjuge ainsi de la recevabilité de la demande principale mais son pré
jugement n’est que relatif. D’abord, la décision relative au sursis ne fait nullement
obstacle à l’examen par le juge statuant au fond de l’ensemble des questions
soulevées par la demande tant en ce qui concerne sa recevabilité que les moyens
d’annulation allégués457. Ensuite, la recevabilité de la demande principale étant
appréciée par le juge du sursis à exécution à la date à laquelle il statue, il ne peut se
prononcer avec certitude sur celle-ci. C’est pour cette raison que les ordonnances de
sursis à exécution ne sauraient en aucun cas être revêtues de l’autorité de la chose
jugée458. Il en résulte que « le fait que le juge rejette pour irrecevabilité les
conclusions à fin de sursis ne fait pas obstacle à ce qu’il admette par la suite la
recevabilité de la requête principale »459. De même, le fait pour le juge d’octroyer le
sursis n’implique pas qu’il admette la recevabilité de la demande principale.

De fait, « le sursis est, ou devrait être, une procédure d’urgence susceptible


seulement de produire effet à titre provisoire. Il ne faut pas la transformer en une
première étape de jugement d’une affaire, en une nouvelle forme de jugement avant
- dire - droit où il serait loisible à un tribunal administratif de préjuger des questions
de compétence, de recevabilité ou de fond »460.

456
B. Pacteau, Contentieux administratif, op. cit., p. 294.
457
V. TA Paris, 13 juillet 1977, Ass., SOS Paris, cité par M. Genevois dans ses conclusions sur CE, Sect., 9
décembre 1983, Ville de Paris, Rec. p. 501.
458
V. CE, Sect., 9 décembre 1983, Ville de Paris.
459
O. Dugrip, op. cit., p. 145.
460
B. Genevois, Concl. sur CE, sect., 9 décembre 1983, Ville de Paris et autres Rec., p. 501.

109
Pour cette raison, le juge administratif camerounais rejette ou octroie le sursis
en se fondant sur des éléments propres à la procédure d’urgence et non sur le
caractère présumé irrecevable du recours principal. C’est ainsi que dans une
décision rendue le 24 juin 1996461, il a ordonné le sursis à exécution du licenciement
pour motif économique d’un agent de l’Etat régi par le Code du travail, alors qu’il
n’est pas compétent pour connaître d’un tel litige au fond qui relève de la
compétence du juge judiciaire462. Le juge n’a donc pas pris en compte l’exigence de
subordination de la recevabilité de la demande du sursis à la recevabilité de la
requête au fond, l’urgence à statuer pour éviter que l’écoulement du temps ne
préjudicie définitivement les droits du requérant ayant prévalu.

De même, dans une espèce rendue le 09 octobre 1998463, le juge a ordonné


le sursis à exécution de la résiliation d’un contrat de gérance libre régi par le droit
privé, au motif « qu’elle est de nature à causer un préjudice irréparable à la société
requérante qui risque de perdre sans compensation ses importants investissements
réalisés sur les lieux ». Cependant, statuant sur la requête principale, il s’est déclaré
incompétent, estimant que le litige dont il était saisi relève de la compétence du juge
judiciaire464.

En méconnaissant ainsi la subordination de la recevabilité de la demande de


sursis à la recevabilité de la demande principale, le juge « souligne la spécificité de la
procédure de sursis à exécution »465 . Toutefois, cela ne le met pas à l’abri des
décisions contradictoires.

Si le juge administratif camerounais applique très limitativement la condition


relative à la subordination de la demande annexe à la recevabilité de la demande
principale, il n’en est pas de même de la condition relative à l’exigence qu’il n’y ait
pas matière à non lieu.

461
Ordonnance n° 28/OSE/PCA/CS/95-96 du 24 Juin 1996, affaire Kouam Maurice Calvin contre Etat du
Cameroun.
462
V. en ce sens,CS/CA, jugement n°36/90-91 du 29 novembre 1990, affaire Njiki Isaac contre Etat du
Cameroun et CS/CA, jugement n°42/90-91 du 29 novembre 1990, affaire Dame Kwi Shwe née Simo Jeanne
contre Etat du Cameroun.
463
Ordonnance n° 03/OSE/PCA/CS/98-99 du 9 octobre 1998, affaire Société SOGETHORE contre Etat du
Cameroun.
464
CS/CA, jugement n° 20/ 98-99 du 31 mars 1999, affaire Société SOGETHORE contre Etat du Cameroun.
465
O. Dugrip, op. cit., p. 146.

110
PARAGRAPHE III : L’EXIGENCE QU’IL N’ Y AIT PAS MATIERE A NON LIEU

Le juge administratif ne peut ordonner le sursis à exécution ou le référé que


s’il n’y a pas matière à non lieu. Il faut donc que le recours dont il est saisi ait -
encore - un objet.

Il y a non lieu lorsque le juge statuant en première instance a annulé la


décision querellée avant que se soit prononcé le juge devant lequel son jugement sur
la demande annexe a été porté ; celle-ci ayant perdu sa raison d’être466.

Il y a également matière à non lieu dans le cas où la juridiction saisie de la


demande de sursis ou de référé « procède immédiatement au jugement du recours
principal, l’instruction de ce recours ayant pu être faite rapidement ou ayant été
accélérée »467.

Le juge administratif camerounais a consacré des cas de non lieu qui


l’amènent à rejeter systématiquement des demandes annexes au motif qu’elles n’ont
plus d’objet (A). Seulement, le fait pour lui d’exiger qu’il n’y ait pas matière à non lieu
dans le cadre des procédures d’urgence a des effets pervers (B).

A- LE REJET SYSTEMATIQUE DES DEMANDES ANNEXES POUR


DEFAUT D’OBJET

Il se dégage de la jurisprudence que le juge rejette, pour défaut ou disparition


d’objet, les demandes annexes dans deux hypothèses : dans le cas où il y a
changement de circonstance et dans le cas où la décision querellée a déjà été
exécutée.

1. Le cas de changement de circonstance

En droit français, des conclusions aux fins de sursis à exécution peuvent


devenir sans objet dans le cas où des travaux publics prévus par la décision dont le
sursis à exécution est demandé sont achevés lors du jugement de la demande de
sursis468. Le juge administratif camerounais a considéré, quant à lui, qu’est sans

466
R. Chapus, op. cit., p. 877 ; v. CE, 27 mars 1963, Ville de Cherbourg, Rec., p. 960.
467
R. Chapus, ibid.
468
CE, 30 janvier 1957, Dame d’Heureux, Rec., p. 75.

111
objet la demande de sursis à exécution de l’arrêté d’un Préfet interdisant la tenue du
congrès d’un parti politique au motif qu’elle n’a fait l’objet de réquisitions du Ministère
public qu’ après « la période prévue pour la tenue du Congrès »469, alors même qu’il
a reconnu que son exécution est « de nature à causer un préjudice irréparable
notamment eu égard à l’état d’avancement des préparatifs » dudit Congrès. La
demande est donc devenue sans objet du fait du changement de circonstance. Par
ailleurs, dans une espèce en date du 11 mars 1999470 dans laquelle le requérant
sollicitait le sursis à l’exécution des notes de service du Préfet qui le suspendaient de
ses fonctions de Maire et nommait un intérimaire, le juge a déclaré la demande sans
objet pour la raison que « le conseil municipal a déjà élu un nouveau Maire (…) ».

Dans une autre espèce rendue le 28 avril 1994471 en matière de référé dans laquelle
le requérant sollicitait que le juge des référés ordonne la suspension des épreuves
orales et toutes publications des résultats de l’examen d’aptitude au stage d’avocat
jusqu’à la décision ministérielle à intervenir, ce dernier a déclaré la demande de
référé sans objet en se fondant sur les déclarations du représentant de l’Etat qui
affirmait que les épreuves orales dont suspension était demandée, avaient déjà eu
lieu et les résultats définitifs proclamés par arrêté du Ministre de la justice.

Il se dégage de ces différentes décisions que, si à la date où elle est


présentée la demande de sursis ou de référé est dépourvue d’objet, « il y a non lieu
à statuer provoquant l’irrecevabilité de la demande »472. Un autre cas est celui où la
décision a été déjà exécutée.

2. Le cas de la décision déjà exécutée

Constitue un cas notable de non lieu « et qui montre combien il est important
que les demandes de sursis soient rapidement jugées »473 celui où le non lieu tient
au fait que la décision contestée s’est trouvée « avant la présentation de la demande
de sursis »474 ou « en cours d’instance, entièrement exécutée, avant que le juge ait

469
Ordonnance n° 04/OSE/PCA/CS/ 93-94 du 19 octobre 1993, affaire Union des Populations du Cameroun
(UPC) contre Etat du Cameroun.
470
Ordonnance n° 17/OSE/PCA/CS/98-99 du 11 mars 1999, affaire Lozenou Nana Jean –Paul contre Etat du
Cameroun.
471
Ordonnance de référé n° 18/OR/PCS/CS/93-94 du 28 avril 1994, affaire Me Ndzinga Sébastien et autres
contre Etat du Cameroun.
472
R. Chapus, op. cit., p. 869.
473
Ibid., p. 877.
474
Ibid., p. 869.

112
été en mesure de se prononcer »475. Certes, la décision querellée demeure
susceptible d’annulation, mais le prononcé d’un sursis à exécution n’a plus de
sens476. En effet, « pris de vitesse, le juge ne pourra que se résigner à constater qu’il
n’y a plus lieu à statuer »477, ou « qu’il n’y a plus de place pour une décision de
sursis à exécution »478, celui-ci ayant pour seul but d’empêcher l’exécution de la
décision attaquée « en la privant d’effets juridiques pour l’avenir »479. Ceci est
particulièrement regrettable dans le cas où, statuant finalement sur le recours en
annulation, le juge est amené à prononcer l’annulation sollicitée. Il s’agit donc d’une
« limite »480 à la procédure du sursis, car l’annulation est prononcée nonobstant
exécution.

Parce qu’elle repose sur la spécificité du régime du sursis à exécution,


l’irrecevabilité de la demande de sursis fondée sur l’exécution de la décision
querellée « rompt la liaison entre la demande accessoire et la demande d’annulation
puisque, dans ce cas, la décision susceptible d’annulation est insusceptible de
sursis »481.

Normalement, pour savoir si la demande de sursis à exécution n’a plus


d’objet, le juge devrait apprécier à partir de quel moment la décision litigieuse a
perdu ses effets de droit. Mais cette appréciation n’est guère aisée et la
jurisprudence administrative camerounaise en la matière manque de clarté et de
netteté.

Ainsi, dans une espèce rendue le 16 juin 1999482 dans laquelle le requérant
sollicitait le sursis à exécution de la décision qui le licencie de l’Université, le juge
déclare la demande sans objet au motif que « la décision de licenciement de
l’intéressé a déjà été exécutée depuis belle burette ».

De même, dans une espèce intervenue le 25 juin 1999483 dans laquelle le


requérant sollicitait le sursis à exécution de la décision qui le suspendait des cours à

475
Ibid., p. 877.
476
Ibid.
477
Ibid.
478
M. Rougevin-Baville, Renaud Denoix De saint Marc et Daniel Labetoulle, Leçons de droit administratif,
Paris, Hachette, 1989, p. 107.
479
O. Dugrip, op. cit., p. 151.
480
J-R Etchegaray, « Les limites du sursis à exécution », Gaz. Pal., 1985, p. 87.
481
O. Dugrip, op. cit., p. 152.
482
Ordonnance n° 55/OSE/PCA/CS/98-99 du 16 juin 1999, affaire Begoudé Jean-Pierre contre Etat du
Cameroun.
483
Ordonnance n° 59/OSE/PCA/CS/98-99 du 25 juin 1999, Tepou Gilles Georges contre Etat du Cameroun.

113
l’Ecole Nationale Supérieure des postes et Télécommunications, le juge déclare la
demande sans objet pour la raison que « l’exécution de cette décision est effective ».
Le juge ne dit ni quand et comment cette exécution est effective. Or, pour apprécier
si la demande de sursis est sans objet et qu’il y a donc matière à non lieu, il est
nécessaire de déterminer ce que l’on entend par « décision (…) exécutée depuis
belle burette » ou « décision (…) effective ». Le juge a-t-il voulu signifier par là que
les décisions querellées avaient été entièrement exécutées et, par conséquent,
produit tous leurs effets de droit ? Tel semble être, probablement, le cas.

Le juge administratif français, quant à lui, a eu à déterminer ce que l’on doit


entendre par décision « entièrement exécutée ». Il l’a fait, par exemple, en matière
d’expropriation. C’est ainsi que le permis de construire est entièrement exécuté
lorsque tous les travaux pour lesquels le permis est nécessaire ont été achevés,
c’est-à-dire lorsque le sont, non seulement le gros œuvre, mais aussi tous les
aménagements et revêtements extérieurs auxquels le permis se rapporte ; peu
importe que les travaux d’aménagement intérieur ne soient pas commencés ou
terminés, puisqu’ils sont étrangers au permis484. De même, dès lors que le juge de
l’expropriation a ordonné le transfert des parcelles déclarées cessibles par l’autorité
administrative par une décision qui est devenue définitive, le juge administratif
considère que cette décision administrative a reçu toute l’exécution qu’elle était
susceptible de recevoir et que le sursis ne peut plus être ordonné485.

Les solutions retenues par le juge administratif camerounais en matière de


non lieu sont, certes justes, pour l’essentiel ; mais il reste qu’elles ne sont pas
totalement satisfaisantes.

B- LES EFFETS PERVERS DE L’EXIGENCE QU’IL N’ Y AIT PAS MATIERE


A NON LIEU

Si le raisonnement qui conduit le juge à la solution retenue, à savoir le rejet de


la demande de sursis ou de référé pour changement de circonstance ou pour
exécution intégrale de la décision querellée, est, « sur le plan des principes

484
V. CE, Sect., 11 octobre 1963, Aguzou et autres, Rec., p. 485.
485
V. CE, 6 juillet 1966, Garaud, Rec., p. 448 ; CE, 13 juillet 1967, Commune de Cassis, Rec., p. 980.

114
juste »486, il reste qu’ « on éprouve toujours un certain sentiment d’insatisfaction »487
lorsqu’on le juge affirme que la demande de sursis ou de référé est devenue sans
objet parce qu’elle n’a fait l’objet de réquisitions du Ministère Public que bien
après « la période prévue pour la tenue du Congrès »488 du parti requérant, ou parce
que « le conseil municipal a déjà élu un nouveau maire »489, ou encore que la
décision de licenciement querellée « a déjà été exécutée depuis belle burette »490,
alors que la date exacte à laquelle l’acte a reçu son entière exécution n’est
nullement précisée, bien que l’on n’ait pu dire qu’il n’est pas toujours aisé de le
faire491.

De fait, la jurisprudence relative à l’absence d’objet a, certes sa logique, mais,


elle « a aussi ses périls en risquant de faire la part belle à l’empressement
administratif : plus expéditive serait l’administration et plus désarmé serait le
juge »492. Elle fait le lit d’un « juridisme étroit » qui peut aboutir « à un véritable déni
de justice »493. Elle est donc susceptible de constituer une prime au mauvais vouloir
de l’Administration qui, sachant que l’exécution de ses décisions contestées va être
suspendue, s’empressera de leur faire produire tous leurs effets de droit.

Cette jurisprudence est aussi susceptible d’encourager les lenteurs judiciaires


préjudiciables aux requérants. En effet, il suffit que le juge tarde à statuer ou que le
Ministère Public tarde à remettre ses réquisitions pour que l’acte querellé produise
tous ses effets juridiques.

Aussi, afin de ne pas restreindre outre mesure l’utilité des procédures


d’urgence, en particulier celle du sursis, « en raison du fait que l’administration ou les
tiers bénéficiaires de l’acte ont tout intérêt à hâter l’exécution pour le mettre devant le
fait accompli »494, le juge administratif devrait essayer d’adapter la technique du
sursis à des hypothèses très restrictives, et repousser « au maximum les frontières
de l’irrecevabilité »495 . Il devrait, d’abord, statuer vite ; ensuite, s’assurer que la

486
G. Braibant, Concl. sur CE, 11 octobre 1963, sieur Aguzou et autres, AJDA, 1963, p. 630, chr., J. Fourre-M.
Puybasse, Rec., p. 485.
487
R. Drago, Note sous CE, 19 décembre 1967 et 9 février 1968, Leguin, RDP, 1968, p. 1117.
488
Ord. n°04/OSE/PCA/CS /93-94 du 19 octobre 1993, affaire UPC c/ Etat du Cameroun.
489
Ord. n°17/OSE/PCA/CS/98-99 du 11 mars 1999, affaire Lozenou Nana Jean-Paul c/ Etat du cameroun.
490
Ord. n° 55/OSE/PCA/CS/98-99 du 16 juin 1999, affaire Begoudé Jean- Pierre c/ Etat du Cameroun.
491
P. Mouzouraki, op. cit., p. 79.
492
B. Pacteau, Contentieux administratif, op. cit., p. 296.
493
J- C. Piedbois, « Procédures d’urgence », Répertoire Droit et Contentieux administratif, n° 93.
494
P. Mouzouraki, op. cit., p. 78.
495
Ibid.

115
décision querellée a été effectivement et entièrement exécutée ou que le
changement de circonstance est effectif et justifié. A cet égard, il faudra qu’il procède
« à une analyse des effets que peut avoir l’acte administratif en question »496 ou la
circonstance en cause et ne renonce à statuer sur la demande de sursis ou de référé
que dans le cas où il est avéré que tous les effets de droit se sont produits ; dans le
cas contraire, il devrait prononcer la mesure d’urgence sollicitée. Encore faut-il que
celle-ci intervienne dans une instance contentieuse stable. En effet, il s’avère qu’en
pratique, l’instance contentieuse en matière de sursis à exécution et de référé est,
pour l’essentiel, instable.

496
Ibid.

116
CHAPITRE II

L’INSTABILITE DE L’INSTANCE

CONTENTIEUSE ACCESSOIRE

117
L’efficacité du contrôle « de l’activité administrative suppose le bon
fonctionnement des procédures d’urgence »497. Celles-ci donnent lieu à des
jugements « sententia interlocutoria » (Avant-dire-droit), par opposition aux
jugements « sententia définitiva ». Parce que ces procédures ont été instituées
« pour faire échec à l’écoulement du temps, les mesures auxquelles elles donnent
lieu doivent être prononcées avec la plus grande célérité »498. Cela suppose donc
une instance (contentieuse) appropriée ; c’est-à-dire un ensemble d’actes
« processuels accomplis par le juge et les parties », une situation procédurale se
superposant à une situation juridique qui « met en présence non plus des titulaires
de droits et d’obligations mais des requérants et défendeurs agissant en tant que
tels »499.

Déclenchée par l’exercice d’un « recours », l’instance a le caractère d’une


« instance initiale » qui peut renaître ou se prolonger sous le forme d’ « instances
dérivées », en conséquence de l’exercice contre le jugement rendu (en premier ou
en dernier ressort) d’ « une voie de recours »500.

Les mesures d’urgence édictées pour faire obstacle à l’écoulement du temps


interviennent aussi bien au niveau de l’instance contentieuse accessoire initiale qu’à
celui de l’instance dérivée.

Bien que l’ensemble des procédures d’urgence soient instituées pour


satisfaire à cette finalité, l’urgence qui en est le fondement est prise en compte de
façon contingente tant en ce qui concerne le sursis à exécution que le référé
administratif. En effet, le juge qui a la charge d’assurer la bonne marche et la célérité
de l’instance accessoire est très peu diligent. Il se dégage ainsi de la pratique
juridictionnelle et des décisions rendues par le juge administratif camerounais que
« la mission de gestion de l’urgence »501 n’est pas convenablement remplie au
regard de l’instabilité tant de l’instance accessoire initiale (Section I) que de l’instance
accessoire dérivée (Section II).

497
Jacqueline Morand-Deviller, « Le contrôle de l’administration : la spécificité des méthodes du juge
administratif et du juge judiciaire », CERAP, collectif, Le contrôle juridictionnel de l’administration. Bilan
critique, Paris, Economia, 1991, p.190.
498
O.Dugrip, op. cit., p 157.
499
H. Motulsky, Droit processuel. Les cours de droit, 1973, p. 145 et suiv., cité par Laurent Richer, « L’instance
de référé d’urgence », RFDA, 2002 , p. 269.
500
R. Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit., p 471.
501
J. Morand-Deviller, op. cit.

118
SECTION I : L’INSTABILITE DE L’INSTANCE ACCESSOIRE INITIALE

Une instance contentieuse a deux aspects : un aspect formel et un aspect


temporel.

L’aspect formel concerne l’ensemble des organes et actes de procédure qui


participent à l’édiction de la norme juridictionnelle. Quant à l’aspect temporel, il a trait
au temps ou à la durée que le juge met pour statuer.

Envisagée sous ce double angle, l’instance accessoire initiale ne présente


guère d’intérêt, car elle ne se singularise pas à tous points de vue de l’instance
principale. Pour l’appréhender dans sa spécificité, il faut en examiner « les éléments
constitutifs et les principes »502. Ceux-ci procèdent de ce que, d’une part, le juge
statue en urgence, et, d’autre part, qu’il est juge de l’évidence et du provisoire.
L’instabilité de l’instance accessoire se manifeste par la fluctuation de son cadre
formel (§ 1) et l’élasticité de son cadre temporel (§ 2), traduisant la maîtrise
approximative du temps par le juge administratif.

PARAGRAPHE I : LA FLUCTUATION DU CADRE FORMEL DE

L’INSTANCE ACCESSOIRE INITIALE

L’instruction et le jugement sont les deux phases essentielles du cadre formel


d’une instance. Dans le cadre des procédures d’urgence, les demandes doivent être
instruites et jugées aussi rapidement que possible. Ce qui signifie que l’instruction et
le jugement doivent se caractériser par « l’amenuisement, par rapport au régime
normal, de la part faite au principe de la contradiction, dont le plein respect ralentirait
le déroulement de la procédure »503.

La célérité procédurale s’impose donc lorsque le juge administratif examine


les demandes de sursis et de référé.

Au Cameroun, si l’instruction et le jugement des requêtes introductives


d’instance sont suffisamment organisés par les textes504, l’instruction des demandes
annexes est organisée de façon laconique, voire imprécise, tandis que leur jugement

502
L.Richer, op. cit., p. 269.
503
R. Chapus, op. cit., p. 953.
504
V. loi n°75/017 du décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour Suprême statuant en matière
administrative.

119
n’est régi par aucune disposition textuelle explicite . Le juge de l’urgence a donc de
larges pouvoirs pour instruire et juger les demandes de sursis et de référé. Mais la
mise en œuvre de ces pouvoirs se traduit par la fluctuation du cadre formel de
l’instance tant en ce qui concerne l’instruction (A) que le jugement (B) des demandes
annexes.

A. L’INSTRUCTION DES DEMANDES ANNEXES

L’instruction505 est la phase de l’instance contentieuse destinée à mettre le


procès en l'état d'être jugé506. Il s’agit, non pas d’une faculté, mais d’une obligation507
qui est, d’après le Conseil d ’Etat français, une « formalité essentielle »508 s’imposant
à toute juridiction.

L’instruction a pour objet de préparer la décision du juge, « en l’éclairant sur


l’ensemble des données, de fait et de droit, des litiges »509. Elle constitue « la phase
d’investigation au cours de laquelle le juge use de tous les moyens de droit en son
pouvoir pour rechercher tous les éléments susceptibles de l’aider à faire la lumière
dans l’affaire »510.

L’instruction a trois caractères. Elle est essentiellement écrite et se traduit par


la rédaction et l’échange des mémoires des parties. Ainsi, à l’audience, les
« observations orales » présentées par les parties ne sont que le complément de
l’écrit. Elle est inquisitoriale511, en ce sens qu’elle est dirigée par le juge qui organise
les échanges de mémoires, impartit les délais de réponse et édicte toute mesure utile
pour la recherche de la vérité juridique. Le juge est donc au centre de l’instruction
512
dont il est l’unique chef d’orchestre, « le maître » . Enfin, l’instruction est
contradictoire en ce sens que « le juge ne peut juger que s’il est informé et (…) ne

505
V.R. Chapus, « De l’office du juge : contentieux administratif et nouvelle procédure civile, EDCE, 1977-
1978, n°29, pp 13-65, en particulier, pp.15-43 ; Renaud Denoix de Saint Marc et Daniel Labetoulle, « Les
pouvoirs d’instruction du juge administratif » ; EDCE, 1970, pp.69-91 ; Jean Lapanne-Joinville, « La direction
de la procédure devant les tribunaux », AJDA, 1965, pp. 324-331.
506
V. Ch. Debbasch et J-C Ricci, op. cit., p.386 et M. Lombard, Droit administratif , 4e éd, Paris, Dalloz, 2001,
p. 391.
507
M. Lombard, ibid. ; R. Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 517.
508
CE, Section., 25janvier 1957, Raberanto, Rec., p. 66.
509
R.Chapus, Droit administratif général, T1, 13e éd., Paris, Montchrestien, 1999 , p. 775.
510
M. Kamto, « La fonction administrative contentieuse de la Cour Suprême du Cameroun », op. cit., p. 46.
511
V.J. Morand-Deviller, op. cit., p. 188 et suiv. ; R.Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit. pp. 520-
521 ; G. Vedel et P.Delvolvé , T2, op. cit., p. 198 ; M. Waline, Précis de droit administratif, Paris,
Montchrestien, 1969 , p. 174.
512
R. Denoix de Saint Marc et D. Labetoulle, op. cit., p. 70.

120
peut se fier raisonnablement à l’information que chacune des parties lui fournit que si
les autres ont pu en prendre connaissance et, le cas échéant, la contredire et la
réfuter ou, au moins, la rectifier en la complétant d’éléments nouveaux »513. Le
caractère contradictoire de l’instruction « tend à assurer l’égalité des parties devant le
juge »514.

L’instruction des demandes dans le cadre des procédures d’urgence a les


mêmes caractères que ceux de l’instance principale, mais ils connaissent une
atténuation en ce qui concerne le principe du contradictoire ou la contradiction.

Au Cameroun, l’instruction des demandes de sursis et de référé est lacunaire


sur le plan organisationnel et source de lenteur sur le plan pratique. Le juge utilise à
fond son pouvoir inquisitorial à la limite du discrétionnaire tant en ce qui concerne
l’application de la contradiction qui est à géométrie variable, que l’examen des
incidents de procédure. La seule limite formelle à ce pouvoir est que le juge doit
communiquer la requête au Ministère Public pour avis ; mais, ceci ne constitue
nullement un facteur d’accélération de l’instruction, bien au contraire.

1. L’application à géométrie variable de la contradiction

Le principe du contradictoire ou la contradiction « c’est l’association des


parties au procès, le droit du plaideur d’y être présent et actif, et même acteur ; c’est
la garantie de participer pleinement au débat judiciaire »515. Autrement dit, c’est « le
droit pour toute personne directement intéressée de se voir assurer une information
utile dans l’instance, par la communication des différents éléments du dossier produit
dans un délai suffisant , en vue de leur discussion devant le juge »516.

Si la contradiction est largement appliquée dans la procédure contentieuse


principale517, elle est, du fait de l’urgence, allégée dans les procédures contentieuses
accessoires.

L’article 16.1 de la loi n°75/17 du 8 décembre 1975 énonce que le Président


de la Chambre administrative peut ordonner le sursis à exécution,« après

513
Victor Haїm, « L’écrit et le principe du contradictoire dans la procédure administrative contentieuse », AJDA
n°10, 1996 , p. 715.
514
CE, 29 juillet 1998, Mme Esclaine, AJDA, 1999. 69, note Rolin.
515
B.Pacteau, op. cit., p. 229.
516
O.Gohin, La contraction dans la procédure administrative contentieuse, Thèse, Paris, LGDJ, 1988, p. 24.
517
V .Ch. Debbasch et J-C Ricci op. cit., pp. 395-401.

121
communication à la partie adverse » de la demande de sursis ; tandis que l’article
123 de la même loi dispose que la notification de la requête aux fins de référé « est
immédiatement faite au défendeur éventuel, avec fixation d’un délai de réponse
raisonnable », avant que le Président de la Chambre administrative, l’Assemblée
Plénière, ou le Magistrat qu’il délègue, ne puisse ordonner toutes mesures utiles.

Le laconisme de ces dispositions législatives permet au juge de procéder à


une application à géométrie variable de la contradiction tant en matière de sursis
qu’en matière de référé.

Pour des raisons qui ne sont pas forcément liées à l’urgence, la contradiction,
appréhendée comme « la première condition d’une justice véritable »518,est donc soit
supprimée, soit limitée.

a. La suppression de la contradiction

La non communication de la requête aux fins de sursis ou de référé à la partie


adverse par le juge administratif n’est pas prévue par la loi n°75/017. C’est de façon
prétorienne que le juge supprime souvent cette formalité ; ce faisant, il prive les
parties de l’instruction. Il le fait soit de façon explicite, soit de façon implicite.

α. La suppression explicite de la contradiction

Cette suppression ne signifie nullement que « les exigences de la contradiction


sont adaptées à celle de l’urgence »519, car l’urgence n’en est ni la justification ni la finalité.
Le juge peut donc, pour des raisons autres7 que celles liées à l’urgence, supprimer la
contradiction en ne communiquant pas la requête au défendeur. C’est ainsi, par exemple,
que le Conseil d’Etat français estime que l’exigence de la communication de la requête au
défendeur est jugée n’être pas imposée sous peine de nullité de la procédure « quand les
circonstances rendent impossible la notification aux personnes susceptibles d’avoir la
qualité de défendeur »520.

518
R. Chapus, Droit administratif général, op. cit. , p. 776.
519
D. Richer, « La procédure contradictoire et le juge administratif de l’urgence », RFDA, 2001, p 320.
520
CE, 15 février 1989, Port autonome de Dunkerque, p 844, D.A, 1989, n° 192.

122
Les cas de suppression explicite521 de la contradiction par le juge administratif
camerounais ne participent pas de telles circonstances. Ils sont dus au fait que les
requérants ont introduit isolément leurs requêtes aux fins de sursis à l’exécution,
sans y joindre la demande principale. Dans les deux espèces y relatives, le juge
déclare en substance : « Cette requête n’a nullement été communiquée à la
communauté Urbaine de Douala, défendeur dans la présente cause, au motif que le
requérant n’a sollicité que le sursis à l’exécution sans toutefois y joindre la demande
principale ». Dans d’autres cas, la suppression de la contradiction n’est pas
explicitement formulée.

β. La suppression non explicitement formulée de la contradiction

Alors que dans certaines ordonnances de sursis et de référé le juge indique


clairement que la requête a été communiquée au défendeur ainsi que les moyens
de défense de l’Etat, dans d’autres, par contre, il ne fait nullement mention de la
communication de la requête au défendeur ni de la réponse écrite ou orale de ce
dernier. Trois hypothèses peuvent être émises pour tenter de comprendre cette
« omission », sans pour autant la justifier.

D’abord, cela peut vouloir signifier que bien que le juge a communiqué la
requête au défendeur, il n’a pas jugé utile de le dire dans l’ordonnance qu’il rend ;
mais ceci paraît surprenant dans la mesure où il le fait dans d’autres ordonnances.

Ensuite, cela peut vouloir signifier que bien que le juge ait effectivement
communiqué la requête au défendeur, celui-ci a, soit répondu ou gardé le silence,
mais le juge n’a pas estimé utile de l’indiquer explicitement dans la décision parce
que c’est sans influence sur l’idée qu’il se fait de l’issue du litige. Seulement, dans
d’autres ordonnances, le juge signale bien que le défendeur - en l’occurrence l’Etat -
a réagi ou a gardé le silence.

Enfin, cette « omission » peut vouloir signifier que le juge n’a pas communiqué
la requête au défendeur, ou qu’il l’a fait mais n’a pas attendu sa réponse pour édicter
son ordonnance. Cette hypothèse semble être la plus plausible. Deux raisons
peuvent être avancées pour comprendre une telle position. La première peut être liée

521
V. ordonnance n° 16 (bis) /OSE/PCA/91-92 du 16 juin 1992, affaire Nye Safinda Maurice contre
Communauté Urbaine de Douala et ordonnance n°17//OSE/CA/PCA/91-92 du 13 juillet 1992, affaire Djou
Gilbert contre Communauté Urbaine de Douala.

123
au fait que l’irrecevabilité manifeste de la requête ne nécessite pas cette
communication. La seconde raison peut tenir en la précarité de la situation litigieuse
qui nécessite une intervention rapide de la part du juge pour éviter que les droits ou
intérêts du requérant ne soient irrémédiablement atteints. Il en a été ainsi dans
522
l’affaire société Forestière PETRA du 16 janvier 2001 dont la décision a d’ailleurs
fait l’objet d’un recours en rétractation de la part de l’Etat523. En l’espèce, le juge
justifie le non respect de la contradiction en ces termes : « Attendu que l’urgence est
de règle en matière de sursis et que les conséquences de l’inobservation des délais
d’échange de mémoires y afférents ne sont pas d’ordre public ». Il a confirmé cette
position dans une affaire identique opposant toujours la Société forestière PETRA au
Ministère de l’Environnement et des Forêts524.

Il existe d’autres ordonnances en matière de sursis et de référé dans


lesquelles le juge ne dit pas s’il a ou non communiqué la requête au défendeur et si
celui-ci a réagi ou pas525. On y retrouve aussi bien des ordonnances qui octroient
que celles qui refusent le sursis ou le référé. A ces cas de suppression implicite de la
contradiction, il faut ajouter ceux relatifs à sa limitation.

b. La limitation de la contradiction

Certes, « c’est par une réduction de la durée de l’instruction, d’abord, que


l’urgence se manifeste dans la procédure »526, mais, de façon directe et surtout
indirecte, le juge réduit aussi matériellement l’instruction. L’analyse des ordonnances
rendues en matière de sursis et de référé par le juge administratif camerounais
permet de dégager une limitation variée de la contradiction tant sur le plan matériel
que sur le plan temporel. Ainsi, au-delà des indications textuelles, au demeurant
laconiques et insuffisantes en matière de sursis et de référé, c’est « le juge qui fixe
les limites réciproques et antagonistes du principe du contradictoire et de la rapidité

522
Ordonnance n°14/OSE/PCA/CS/00-01 du 16 janvier 2001, affaire société forestière PETRA contre Etat du
Cameroun.
523
V. ordonnance n°38/OSE/PCA/CS/00-01 du 5 avril 2001, Ministère de l’environnement et des forêts
(MINEF) contre Société forestière PETRA. La requête aux fins de rétractation a été rejetée au fond.
524
Ordonnance n°41/OSE/PCA/CS/00-01 du 10 avril 2001, affaire Société forestière PETRA contre Etat du
Cameroun.
525
Nous avons, à ce sujet, dénombré près de 76 ordonnances de sursis et 13 ordonnances de référé.
526
O. Dugrip, op. cit., p. 158.

124
de la procédure »527. En ces matières, et en raison de leur finalité, il paraît logique
« que le principe de la contradiction connaisse des limitations »528.

Le problème du juge administratif camerounais est que lorsqu’il limite ou


entend limiter la contradiction dans les procédures d’urgence, il ne le dit pas
expressément. Certes, la loi dit qu’en matière de sursis le juge statue après
communication de la requête au défendeur, et qu’en matière de référé il édicte des
mesures utiles après notification de la requête à la partie adverse éventuelle avec
fixation d’un délai raisonnable de réponse ; mais en pratique, les modalités de mise
en œuvre de ce minimum de contradiction ne sont pas généralement fixées. Dans
certains cas, le juge évoque la communication de la requête à la partie adverse et ne
dit pas si elle a répondu ou pas. La formule utilisée est généralement la suivante :
« Attendu que cette requête a été communiquée pour ses observations, à (…) par
lettre n° (…) du greffier en chef de la Chambre adm inistrative »529. Dans d’autres
cas, le juge indique la réponse ou les moyens allégués par le défendeur sans dire si
et quand la requête lui a été communiquée530. Mais, on peut déduire de la réponse
de l’Etat qu’il a eu communication de la requête même si on ne peut déterminer la
date à laquelle elle a eu lieu. Dans d’autres cas encore, il est bien indiqué, soit que la
requête a été communiquée au défendeur et qu’il a répondu – par écrit ou
oralement531 –, soit qu’il n’a pas réagi532dans le délai de réponse que le juge lui a
prescrit.

Il est frappant de constater que toutes les fois que l’Etat ne réagit pas, le juge
est très prolixe et que c’est à cette occasion qu’on a des précisions sur la date à
laquelle la communication de la requête lui a été faite et sur le délai de réponse qui
lui a été donné pour fournir ses observations.

527
M. Gros, « Le juge administratif, la procédure et le temps », RDP, 1999, p. 1718.
528
Claudie Boiteau, «Le juge unique en droit administratif », RFDA, 1996, p. 24.
529
V. ordonnance n°07/OSE/PCA/88-89 du 15 septembre 1989, affaire Pamansié Josué contre Etat du
Cameroun ; ordonnance n°16/OSE/CS/PCA/90-91 du 19 septembre 1991, affaire Yem Luc contre Etat du
Cameroun ; ord. n°05/92-93/CS/PCA du 05 octobre 1992, affaire Sighoko Abraham contre Etat du Cameroun ;
ord. n°04/OSE/PCA/CS/93-94 du 19 octobre 1993, Union des populations du Cameroun contre Etat du
Cameroun ; ordonnance de référé n°01/ORSE/PCA/CS/86-87 du 23 octobre 1986, la succession Roggow contre
Etat du Cameroun ; ord. de référé n°7/OSE/PCA/CS/86/87 du 18 décembre 1986, Ngimbous Jean-François
contre Etat du Cameroun ; ord. de référé n°09/ORSE/CS/PCA/88-89 du 28 septembre 1989, Tamo Pelap Jean-
Claude contre Commune Urbaine de Bafoussam.
530
Nous avons, à ce sujet recensé près de 6 ordonnances en matière de sursis et 26 ordonnances en matière de
référé.
531
7 ordonnances en matière de sursis et 3 ordonnances en matière de référé ont été recensées à ce propos.
532
16 ordonnances en matière de sursis et 4 ordonnances en matière de référé ont été recensées à ce sujet.

125
Sur le plan de la limitation temporelle de la contradiction, les délais impartis à
la défense pour déposer ses observations ou son mémoire en défense sont très
variables et fixés à la discrétion du juge. Cependant, ils sont suffisamment réduits et
n’excèdent pas 15 jours. Ils varient de 8, 10, 12 à 15 jours. Donc, sur le plan
temporel, la contradiction, et par voie de conséquence l’instruction des demandes
annexes, est théoriquement allégée. Les délais fixés ainsi au minimum533 doivent
être rigoureusement respectés faute de quoi le juge devrait passer outre.

Chaque cas étant l’objet d’un examen particulier, « les délais de réponse
doivent être fixés de façon telle que l’administration soit invitée à se prononcer avant
toute mesure d’exécution »534, pour que le sursis et le référé sollicités aient un sens.
Le juge doit donc évaluer d’une part le temps matériellement indispensable à
l’administration pour établir son mémoire d’observation, et, d’autre part, le laps de
temps disponible avant le jour fixé pour l’exécution de la décision ou avant la
survenance du dommage. Pour cela , il n’est pas nécessaire que le requérant
obtienne – absolument – communication des observations présentées par
l’administration en réponse à la notification qui lui a été faite de sa requête comme
l’exigent les règles normales de procédure535. Cependant, le juge est tenu, avant de
statuer, de communiquer la requête ou le dossier de l’affaire au Ministère public.

2. La communication de la requête au Ministère Public

La loi n°75/017 du 8 décembre 1975 fixant la procéd ure devant la Cour


Suprême statuant en matière administrative ne dit pas expressément que la requête
aux fins de sursis ou de référé est communiquée au Ministère Public. Elle énonce en
ses articles 16.2 - pour le sursis à exécution - et 122 - pour le référé administratif-
que le juge administratif peut ordonner le sursis ou des mesures utiles « après avis
conforme du Ministère public ». Mais, cet avis ne peut être émis que si le Ministère
public a reçu communication de la requête ou du dossier de l’affaire. L’avis
conforme émis par le Ministère public participe à la fois d’une condition de procédure
et d’une condition de fond536 d’octroi du sursis et du référé.

533
P-L. FRIER, L’urgence, op. cit., p 264 et Chr. Gabolde, Procédure des TA et CAA, op. cit., p. 168.
534
Chr. Gabolde, ibid.
535
CE, 19 avril 1972, département de la Haute Loire, Rec., p. 297 ; CE, 6 décembre 1985 ; Mme Delannay, Dr.
Adm., n°57.
536
Cet avis sera abordé comme condition de fond dans les 2 chapitre 1 et 2 du titre 1er de la 2nde partie de la
présente étude.V infra.

126
a. Une condition de procédure

L’obtention de l’avis conforme du Ministère public suite à la communication de


la requête est une obligation pour le juge administratif, puisque, par définition, l’ avis
conforme est d’abord un avis qu’un organe est tenu de recueillir auprès d’une autre
autorité ou d’un organisme. La requête est ainsi communiquée à une autorité
judiciaire « qui est en relation étroite avec le Ministère de la Justice »537 ; en
l’occurrence le Procureur général près la Cour Suprême qui est un magistrat du
Parquet relevant administrativement de la seule autorité du Ministre de la Justice
dont il lui est hiérarchiquement subordonné, conformément à l’article 3 du décret
n°95/048 du 08 mars 1995 portant Statut de la Magis trature. Ainsi, la communication
de la requête au Ministère public implique aussi l’information du Ministre de la Justice
qui, « connaissant l’esprit et la lettre de la loi dont il est souvent l’initiateur (…) peut
orienter les réquisitions du Ministère public dans le sens de la stricte application de la
loi »538.

Le fondement de la communication de la requête au Ministère public est bien


différent du fondement de la communication de cette requête à la partie adverse, car
« ce n’est pas le principe du contradictoire qui en jeu, mais plutôt la défense de
l’ordre juridique »539. En rendant obligatoire cette communication, le législateur a
voulu, non seulement que le « Procureur de la loi » soit informé, mais surtout, que
son point de vue soit recueilli et pris en compte par le juge administratif, puisqu’il est
« le représentant de la société devant les juridictions » et « doit donc veiller au
respect de la loi »540 en tant que défenseur de l’ordre juridique existant. La
communication de la requête au Ministère public au niveau de l’instruction a une
portée ambivalente.

b. Une portée ambivalente

A partir du moment où le juge est tenu de communiquer les requêtes de sursis


et de référé au Ministère public pour avoir son avis, il ne peut pas, en principe,
statuer tant que ce dernier n’a pas réagi. Dans le pratique, il arrive que, après avoir
reçu communication de la requête, le Ministère public rédige et dépose dans les

537
J. Owona, op. cit., p. 219.
538
Déclaration faite par le Ministre de la Justice au cours d’une conférence de presse donnée le 10 décembre
1999 et reprise par le quotidien national Cameroon - Tribune n°6996/3285 du 13 décembre, p. 10.
539
J.J. Tchindji, Note sur l’affaire « Le Messager », op. cit., p. 335.

127
meilleurs délais ses réquisitions, et les retards observés alors ne sont imputables
qu’au juge et à ses services. Mais, il arrive aussi que les retards à statuer soient le
fait du Ministère public. Cela a été le cas dans l’affaire Union des Populations du
Cameroun du 19 octobre 1993541. En effet, le requérant a vu sa demande rejetée
pour défaut d’objet parce que le Ministère public a produit ses réquisitions
postérieurement à la période prévue pour la tenue du congrès interdit du parti
politique UPC.

En dépouillant les ordonnances de référé et de sursis rendues par le juge


administratif camerounais, on se rend compte que la communication de la requête
au Ministère public ralentit l’instruction. Ceci est le fait, d’abord, du Président de la
Chambre administrative et de ses services, car les requêtes ne lui sont pas
communiquées rapidement et à temps, et il ne les fait pas adresser avec diligence au
Ministère public ; ensuite, du Ministère public lui-même, ses réquisitions n’étant pas
toujours déposées dans des délais qui permettent au juge de statuer rapidement.
Dans un cas comme dans l’autre, il y a un écart très variable des délais, souvent de
l’ordre de plusieurs semaines voire de plusieurs mois, entre la date d’introduction de
la requête, celle du dépôt des réquisitions et la date d’édiction de l’ordonnance.

Les délais d’instruction des requêtes de sursis et de référé sont rarement


raccourcis et ce d’autant plus que le juge administratif est souvent amené à statuer
sur les incidents de procédure.

3. L’examen des incidents de procédure

Il arrive qu’au cours de l’instruction d’une demande de sursis ou de référé, le


juge soit saisi par des tiers qui souhaitent intervenir dans l’instance, ou même par le
requérant qui demande à se désister de son recours. Dans le premier cas, c’est une
intervention volontaire, qui est un incident interruptif d’instance ; tandis que dans le
second, c’est un désistement qui est, quant à lui, un incident extinctif d’instance. Leur
examen par le juge de l’urgence a une influence certaine sur le cours de l’instruction.

En principe, l’intervention volontaire rallonge l’instance accessoire, tandis


que le désistement la raccourcit. Mais leur gestion temporelle par le juge administratif

540
Cf. déclaration du Ministre de la Justice in Cameroon- Tribune, op. cit.
541
Ordonnance n°04/OSE/PA/CS/93-94 du 19 octobre 1993, affaire Union des Populations du Cameroun contre
Etat du Cameroun.

128
tend à les rapprocher de telle sorte qu’ils sont tous deux des facteurs d’extension de
l’instance accessoire.

a. L’examen de l’intervention ou le rallongement de l’instruction

D’après J-M Auby et R. Drago, « l’intervention est l’acte par lequel un tiers
intervient dans un litige déjà engagé entre deux ou plusieurs parties »542. Elle peut
être volontaire ou forcée. Seule la première est concernée ici.

L’intervention volontaire « est le fait d’une personne physique ou morale qui se


joint spontanément à une instance qu’elle n’a pas introduite et dans laquelle elle n’a
pas été mise en cause »543. Son acceptation par le juge repose sur des conditions
liées à la personne de l’intervenant et sur celles relatives à sa demande544. Ainsi,
celle-ci doit, entre autres, être connexe à la demande principale ; obéir aux
conditions générales de recevabilité liées à la personne ; être formée par une
requête distincte de la requête principale ; être intentée en tout état de cause avant
la clôture de l’instruction ; contenir des conclusions ; provenir d’une personne qui a
un intérêt distinct de celui des parties en procès ; émaner , s’il s’agit d’un contentieux
de pleine juridiction, d’une personne qui se prévaut d’un droit auquel la décision à
rendre est susceptible de préjudicier; être formée dans un contentieux où les
décisions juridictionnelles sont rendues en séance publique545.

Les procédures de sursis et de référé sont-elles concernées par


l’intervention ? Pour B. Pacteau « a priori, tous les contentieux comme tous les
recours se prêtent à intervention (…) y compris les procédures d’urgence (…) »546.

Traitant de l’intervention, la loi n°75/017 du 8 dé cembre 1975 fixant la


procédure devant la Cour Suprême statuant en matière administrative énonce, en
son article 88, qu’elle « est admise de la part de tous ceux qui ont un intérêt au
jugement du litige. Elle est formée par requête soumise aux mêmes conditions que
les requêtes introductives d’instance ». La loi précise, en son article 90, que « les
demandes d’intervention (…) sont recevables en tout état de cause jusqu’au
prononcé de la décision ».

542
J-M Auby et R. Drago, Traité de contentieux administratif, T1, 3e éd., Paris, LGDJ, 1984, pp. 976-977.
543
R.Odent, Contentieux administratif, op. cit., p. 798.
544
V. Ch. Debbasch et J-C Ricci, op. cit., pp. 364-369.
545
V. R.Odent, op. cit., p 804.
546
B. Pacteau, op. cit., p. 212.

129
A s’en tenir aux dispositions de cette loi, on serait tenté de dire que les
procédures d’urgence, à savoir le sursis et le référé, ne sont pas concernées par
l’intervention ; mais les décisions rendues par le juge administratif en ces matières
apportent la preuve du contraire. En effet, les interventions y sont examinées tant en
ce qui concerne leur recevabilité que leur validité. Il arrive même que le juge précise
la qualité de partie principale pour la distinguer de l’intervenant en l’instance. Il
considère qu’est une « partie principale au procès » et non un intervenant volontaire
toute personne dont le nom figure dans la requête introductive d’instance, au côté de
l’Etat, comme défendeur547 ; il en va ainsi même lorsque sur l’instrumentum de
l’ordonnance, le défendeur est qualifié d’intervenant548.

Le juge procède à l’examen des interventions volontaires au double point de


vue de la recevabilité et de la validité, tant en matière de sursis qu’en matière de
référé.

En matière de sursis, il a déclaré une intervention recevable mais non


fondée549 et une autre recevable et fondée550.

En matière de référé, il a rendu trois ordonnances dans lesquelles les


intervenants ont eu gain de cause tant au niveau de la recevabilité qu’au niveau du
fond551.

L’examen des interventions par le juge de l’urgence a des conséquences sur


le cours de l’instruction. D’abord, il provoque une extension formelle de l’instruction
en ce qu’il se déroule comme celui d’une requête introductive d’instance. On a donc
affaire à « un procès dans un procès ». Ensuite, il génère un rallongement temporel
de l’instruction dans la mesure où l’intervenant n’est pas tenu par les délais de
recours ; la seule limite à son action est qu’il doit introduire sa demande en tout état
de cause avant la clôture de l’instruction. il est évident que lorsqu’il le fait cela

547
V. ordonnance de référé n°40/OR/PCA/CS/97-98 du 5 mars 1998, affaire Mbongo Mounoume Thomas contre
Etat du Cameroun (MINUH) et société Idéal voyages Sarl.
548
V. ordonnance de référé n°02/OR/PCA/CA/97-98 du 02 octobre 1997, affaire Kouogan Claude contre Etat du
Cameroun (MINUH) et Ngouomepene Joseph (intervenant). Dans la motivation de cette ordonnance, parlant de
ce dernier, il dit « (…) maître MBEN avocat à Yaoundé constitue par le défendeur Ngoumepene Joseph (…) ».
549
V. ordonnance n°60/OSE/PCA/CS/97-98. du 30 juin 1998, affaire Djike Bernard contre Etat du Cameroun.
550
V. ordonnance n°56/ORSE/PCA/CS/98-99 du 24 juin 1999, affaire Pelami Luc contre Etat du Cameroun
(MINUH) et Kongue Esso Pierre (intervenant).
551
V. ordonnance de référé n°15/OR/CS/PCA/90-91 du 24 juillet 1991, Labogénie contre Etat du Cameroun ;
ordonnance de référé n°07/OR/PCA/CS/93-94 du 25 novembre 1993, Nsegué Joseph et autres contre Etat du
Cameroun (MINAT) et Mission d’Aménagement et d’Equipement des Terrains Urbains et Ruraux (MAETUR)

130
provoque ipso facto un rallongement de l’instruction, alors que celle-ci devrait être
allégée et rapide.

Formellement, le désistement du requérant raccourcit l’instruction. Mais tel n’est


pas le cas en pratique ou sur le plan temporel.

b. L’examen du désistement ou le raccourcissement purement formel de


l’instruction

Au sens large du terme, le désistement « est la renonciation à une initiative


prise dans le cadre d’une instance juridictionnelle et dont les effets ne sont pas
encore acquis »552. Survenant après l’introduction de la demande en justice, il
apparaît comme un incident susceptible de mettre fin à l’instruction et au procès.

On distingue, d’une part, le désistement d’action, qui porte sur le droit ou le


pouvoir, du désistement d’instance qui suppose seulement la renonciation à
l’exercice de ce pouvoir553, et, d’autre part, le désistement volontaire du désistement
d’office554 ou forcé555. Dans le premier cas, le requérant renonce ou « abdique »
totalement ou partiellement à ses prétentions dans le cadre de l’instance qu’il a
entreprise. Dans le second cas, le requérant est « déchu » de sa requête pour
n’avoir pas répondu aux communications des pièces qui lui ont été faites.

Le désistement obéit aux règles générales de présentation des recours et peut


intervenir jusqu’à la clôture des débats. « Il émane certes de la volonté du
demandeur, mais il appartient au juge de lui donner un certain effet »556. Il affecte le
déroulement normal de la procédure de l’instance dans la mesure où il amène le juge
à ne pas statuer sur le fond du litige. En général, il met fin au procès, totalement ou
partiellement.

(partie intervenante) ; ordonnance de référé n°47/OR/PCA/CS/98-99 du 12 mai 1999, Tchutchamo Mathias


contre Etat du Cameroun (MINUH) et dame venue Sadjeu née Madjou Colette (intervenante).
552
A. Heurté, « Le désistement dans la jurisprudence du Conseil d’Etat », AJDA, 1959, p. 81.
553
A Heurté ajoute à cette première distinction le désistement d’un acte de procédure « qui ne concerne qu’un
élément ou une expression isolable du rapport d’instance », ibid.
554
V.J-M. Auby et R. Drago, T1, op. cit., pp. 985-986 ; Ch. Debbasch et J - C Ricci, op. cit., p. 468.
555
V.B. Pacteau , op. cit. , p. 217.
556
Catherine Eude, « Le désistement dans la procédure administrative contentieuse », AJDA, 1984, p. 3.

131
Le désistement a donc pour finalité « l’extinction prématurée de l’instance en
cours ou de l’action engagée devant le juge (…) »557. En principe, il doit être accepté
par le défendeur.

L’alinéa 1er de l’ article 92 de la loi n°75/017 du 8 décembre 1975 dispose que


« le désistement (…) est fait soit par acte signé, soit par déclaration à l’audience » .
L’al.2 du même article précise qu’ « il est soumis à l’acceptation de la partie
adverse ». L’article 93.1 de cette loi énonce, quant à lui, que « la juridiction rend une
décision de donner acte du désistement (…) ».

Au regard de ces prescriptions législatives, le désistement concerne les


recours au fond ; rien n’est explicitement dit sur les recours accessoires que sont le
référé et le sursis. Par une interprétation extensive, le juge administratif a appliqué
ces dispositions en matière de référé. C’est ainsi qu’il a eu à rendre, au moins, quatre
ordonnances de désistement, après acceptation de l’Etat défendeur558, ou après

132
désistement ; mais c’est le 07 novembre 1991, soit plus d’un mois après, qu’il a
rendu sa décision de désistement.

Enfin, dans l’affaire Société de Financement et de Recouvrement du


Cameroun, la requête de référé a été introduite le 02 septembre 1991 ; la lettre de
désistement l’a été le 12 novembre 1991, et c’est le 12 décembre 1991, soit un mois
après, que l’ordonnance de désistement a été rendue.

En somme, l’urgence n’est pas prise en compte dans l’édiction des


ordonnances de désistement, bien que celui-ci soit un incident qui devrait raccourcir
l’instruction qui précède et, surtout, conditionne l’effectivité du jugement de la
demande contentieuse, principale ou annexe.

B. LE JUGEMENT DES DEMANDES ANNEXES

Toute instance, quelle qu’elle soit, appelle le prononcé d’un jugement, c’est-à-
dire d’une décision juridictionnelle qui marque ainsi la fin de l’instance devant la
juridiction qui l’a prononcée, laquelle est désormais dessaisie et ne pourra intervenir
que si elle est saisie en rétractation.

D’un point de vue juridique, le jugement revêt deux aspects. D’abord, comme
« action de juger », il « correspond à la phase de jugement qui est normalement
consécutive à la phase d’instruction, sous réserve des mesures d’instruction à
l’audience ». Ensuite, comme « résultat de l’action de juger », il « correspond à la
décision de justice administrative »560. Autrement dit, le jugement comprend : un
aspect procédural et un aspect décisoire. Ces deux aspects sont consacrés dans la
loi n°75/01 du 8 décembre 1975 pour le règlement de s litiges administratifs par la
Cour suprême saisie au principal. Cette loi n’a explicitement rien prévu pour le
règlement des litiges accessoires.

C’est de façon prétorienne que le juge administratif a adapté les règles


applicables au litige principal aux litiges annexes. Il lui revient ainsi de fixer le
moment où il convient de rendre le jugement en matière de sursis et de référé. Dans
les faits, « cette liberté d’appréciation, sur laquelle devrait reposer l’efficacité des
procédures d’urgence, perd son intérêt en raison du délai excessif nécessité par

560
Ch. Debbasch et J-C Ricci, op. cit., p. 285.

133
l’instruction de la requête »561. Ce phénomène touche aussi bien la procédure de
sursis que celle de référé. Mais, si le jugement en matière de sursis est moins
hétérogène qu’en matière de référé, le résultat n’est pas différent, car il est aussi
tardivement rendu.

1. La relative homogénéité du jugement en matière de sursis

Pour R. Drago, « l’intervention d’un jugement statuant sans procédure est une
condition quasi fondamentale » de la célérité de la procédure562.

Théoriquement, le jugement en matière de sursis répond à cette considération


dans la mesure où lorsque le juge administratif est saisi, il statue en l’état à la date à
laquelle il se prononce ou en l’état du dossier. Et s’il est tenu d’analyser tous les
moyens à peine d’irrégularité du jugement, il fait usage de formules stéréotypées et
laconiques pour motiver sa décision. Pour O. Dugrip, il s’agit d’une technique qui
« prive les destinataires de la décision de toute précision sur les raisons de droit
qui » l’« ont déterminé (…) à statuer comme il l’a fait »563. Copper - Royer estime,
quant à lui, qu’ « on ne saurait qualifier de motif une formule susceptible de
s’appliquer à toute espèce, quels qu’en soient les éléments »564.

Le jugement en matière de sursis ne connaît pas la phase d’audience. Le juge


motive laconiquement sa décision, statue sur pièce, en son Cabinet. Dans certains
cas – assez nombreux –, il signe seul la décision. Dans d’autres cas - assez rares -,
il se fait assister par un greffier de la Chambre administrative qui peut signer aussi la
décision.

D’après l’article 18 de la loi n°75/017 du 8 décemb re 1975, l’ordonnance de


sursis à l’exécution est, dans les 24 heures notifiée aux parties en cause et l’effet de
la décision est suspendu à compter du jour de cette notification. Dans les faits, cette
disposition n’est pas toujours respectée. D’abord, le juge n’indique pas dans toutes
les ordonnances le délai de leur notification aux parties. Ensuite, ceci justifiant cela,
ces ordonnances sont rarement notifiées dans les 24 heures aux intéressées. Dans
la plupart du temps, ce sont les parties, en particulier les demandeurs, qui viennent
chercher les exemplaires des ordonnances rendues au greffe de la Chambre

561
O. Dugrip , op cit., p. 172.
562
R. Drago, « La procédure de référé devant le Conseil d’Etat », RDP, 1953, p. 304.
563
O.Dugrip, op.cit., p. 179.

134
administrative et font appel à des huissiers, s’ils ont eu gain de cause, pour faire
notifier la mesure édictée au défendeur à l’effet de lui faire produire rapidement ses
effets. Le même procédé est aussi utilisé en matière de référé ; le jugement ici est
cependant moins homogène. Il en est ainsi tant sur le plan procédural que sur celui
de l’édiction de l’ordonnance.

2. L’hétérogénéité du jugement en matière de référé administratif

L’hétérogénéité du jugement en matière de référé concerne aussi bien ses


modalités que le prononcé de l’ordonnance par le juge.

a. L’ambivalence des modalités de jugement

En ce qui concerne les modalités de jugement, elles sont essentiellement


variables. Leur mise en œuvre est fonction des espèces et dépend surtout du juge.
Dans certains cas, le juge utilise la procédure de jugement qu’il applique en matière
de sursis à l’exécution. il juge sur pièces et rend son ordonnance565. En général,
cette procédure est appliquée dans des affaires qui ne sont pas complexes ou dans
celles dont l’urgence est extrême et nécessite l’édiction rapide de mesures utiles
sollicitées, pour éviter que les intérêts des parties ne soient irrémédiablement
préjudiciés.

Dans d’autres cas, par contre, le juge tient une audience suivie d’un délibéré,
avant d’édicter l’ordonnance566.

Le régime de la convocation à l’audience est en relation directe avec le


caractère oral de la procédure de jugement, car les parties ou leurs avocats prennent
la parole à l’audience pour présenter leurs observations, en principe, dans la limite
de leurs conclusions écrites.

L’audience organisée par le juge administratif est restreinte ; réunissant les


parties, le Ministère public et le juge, elle se tient au cabinet de ce dernier. Elle n’est
donc pas publique ; d’ailleurs, « la publicité des audiences n’est exigée devant les
juridictions administratives qu’à la condition qu’un texte législatif ou réglementaire

564
Copper-Royer, Note sous CE, 22 octobre 1947, SA Soprofil, AJDA, 1954 11. 483.
565
Sur un échantillon de 54 ordonnances, nous avons recensé 35 ordonnances rendues selon cette procédure.
566
Nous avons recensé 19 cas sur un échantillon de 54 ordonnances.

135
impose l’observation de cette règle de procédure »567. Or, en matière de référé
administratif au Cameroun, aucun texte n’a prévu ni organisé l’audience publique, ni
même l’audience tout court. L’absence de publicité de l’audience est peut être
« justifiée par la nécessité du traitement de l’urgence au moyen de procédures visant
à protéger les intérêts et les droits en présence »568.

Comme l’ont écrit certains auteurs, « les audiences de référé sont les lieux de
moins de plaidoiries en droit, de plus en plus de discussions de faits. Le juge devient
ainsi un organe dont la marge de décision n’est pas bornée par les écrits ; mais il est
éclairé par le débat oral (…). Il participe à une concertation tendant le plus souvent
possible à trouver un terrain d’entente. Ce n’est plus un tribunal devant lequel on
plaide. C’est un magistrat auquel on demande de trouver dans l’instant une solution
d’apaisement à un conflit plus ou moins aigu »569. Il reste que le juge de référé n’est
pas obligé de convoquer les parties ni de les entendre, l’urgence pouvant « justifier la
suppression totale des formalités relatives à l’audition des intéressés »570.

En général, l’audience est un complément de l’instruction. Mais on constate


qu’en pratique, le Ministère Public, qui devrait déposer ses réquisitions écrites
avant la tenue de l’audience, ne le fait pas et les présente plutôt oralement à
l’audience571. Le juge permet également au défendeur – ici l’Etat – de présenter ses
observations sans avoir au préalable déposé son mémoire572. De telles pratiques
sont souvent des sources de lenteur et de ralentissement de la procédure. De fait,
« les exigences d’un débat contradictoire ne doivent pas aboutir à retirer à la
procédure de référé son principal avantage qui est la célérité »573.

567
R Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 615.
568
Cl. Boiteau, op. cit., p. 27.
569
Jean-François Burgelin, Jean-Marie Coulon et Marie-Anne Frison-Roche, « Le juge des référés au regard des
principes procéduraux », D.,Chr. 1995 , p. 67.
570
P-L Frier , op. cit., p. 266.
571
En ce sens, v. ordonnance de référé n°7/ORSE/PCA/CS/86-87 du 18 décembre 1986 ; ordonnance de référé
n°14/ORSE/PCA/86-87 du 25 juin 1987, Fouda Etama contre Etat du Cameroun ; ordonnance de référé
n°19/ORSE/PCA/86-87 du 17 septembre 1987, Ossongo Etémé François contre Etat du Cameroun ; ordonnance
de référé n°02/OR/S/PCA/88-89 du 16 mars 1989, Sakutu Amvené Jules contre Etat du Cameroun ; ordonnance
de référé n°08/OR/CS/PCA/88-89 du 28 septembre 1989, NGWIE Emmanuel Mbang contre Etat du Cameroun ;
ordonnance de référé n°03/90-91/OR/CS/PCA du 03 décembre 1990, Bonu Innocent contre Etat du Cameroun.
572
En ce sens, ordonnance de référé n°04/OR/CS/PCA/90-91 du 29 novembre 1990, société Plantera (SARL)
contre Etat du Cameroun (MINAGRI) , SODECAO et Banque Mondiale ; ordonnance de référé
n°04/OR/CS/PCA/ 92-93 du 2 octobre 1992, dame Mayouga Yvonne contre Etat du Cameroun.
573
Concl. Lasry sur CE, 10 mai 1957, Sous- Secrétaire d’Etat à la Marine Marchande de Saint- Brévin - Les-
Pins, Rec., AJDA, 1957, p. 246.

136
C’est à l’issue de l’audience que « la discussion au cours de laquelle le
jugement sera élaboré »574, à savoir le délibéré, a lieu.

b. L’édiction protéiforme de l’ordonnance de référé

L’édiction de l’ordonnance de référé par le juge administratif camerounais est


protéiforme. Dans certains cas, il prononce l’ordonnance et la signe seul. Dans
d’autres cas, il se fait assister par un greffier avec qui il signe l’ordonnance. Dans
d’autres cas enfin, il édicte l’ordonnance assisté d’un greffier et en présence du
représentant du Ministère public. Cette versatilité ne trouve son fondement dans
aucun texte. Elle n’est pas non plus justifiée par l’urgence ; au contraire, elle est
parfois source de lenteur.

Il est donc nécessaire que cette pratique soit harmonisée, tout comme il est
souhaitable que les ordonnances soient rapidement notifiées aux parties pour être
immédiatement exécutoires, comme le prescrit l’article 124 de la loi n°75/017. Ceci
contribuerait à rendre le cadre temporel de l’instance accessoire initiale moins
élastique, donc moins long qu’il ne l’est actuellement.

574
R. Chapus , op. cit., p. 555.

137
PARAGRAPHE 2 : L’ELASTICITE DU CADRE TEMPOREL DE

L’INSTANCE ACCESSOIRE INITIALE

Le législateur camerounais n’a pas prescrit au juge administratif de délais pour


statuer en matière de sursis et de référé, lui laissant ainsi la faculté d’apprécier, voire le
pouvoir de déterminer les affaires accessoires urgentes et de statuer dans des délais qu’il
estime raisonnables. Il en résulte que lorsqu’il est saisi, il « n’est pas toujours tenu de
vérifier et de faire apparaître l’existence d’une situation d’urgence »575.

Mais, peut-on douter que la qualification d’une procédure comme étant une
procédure de référé ou de sursis à exécution est tout autant significative de la nécessité
d’un jugement rapide576 ? Il s’avère pourtant que dans les faits, le cadre temporel de
jugement des demandes annexes est élastique. Cette élasticité est récurrente aussi bien
en matière de sursis à exécution (A) qu’en matière de référé (B).

A. L’ELASTICITE DU CADRE TEMPOREL DE L’INSTANCE DU SURSIS A


EXECUTION

S’il est vrai que l’urgence n’est pas explicitement exigée par le législateur
camerounais comme condition d’octroi du sursis, sa nécessité se dégage de
l’exigence du risque de préjudice irréparable qu’il a formulé. Aussi, pour que le sursis
soit efficace, il devrait être prononcé rapidement par le juge ; son but étant de
tempérer les effets de la règle du caractère exécutoire des décisions administratives
et du principe de l’effet non suspensif des recours contentieux.

Or, le juge administratif camerounais statue dans des délais trop longs.
S’agissant d’une procédure d’urgence, le délai de jugement devrait se compter, en
général, en semaines577. Il s’avère pourtant qu’il se compte en mois et pas seulement
de quelques mois, mais de plusieurs mois.

Il apparaît donc que le sursis remplit mal son rôle, car en réalité, les
demandes de sursis ne sont pas, pour l’essentiel, traitées d’urgence.

575
R. Chapus, op.cit , p. 812.
576
Ibid.
577
Ibid., p. 854.

138
Le dépouillement systématique de 185 ordonnances rendues par le juge
administratif camerounais de 1977 à 2001 a permis de se rendre compte que le
sursis reste une procédure très longue.

Ainsi, sur ces 185 ordonnances, 18 - soit 9,72% - ont été rendues en moins
d’un mois ; 38 entre un et deux mois ; 42 entre deux et trois mois ; 31 entre trois et
quatre mois ; 11 entre quatre et cinq mois ; 07 entre cinq et six mois ; 09 entre six et
sept mois ; 09 entre sept et huit mois ; 01 entre huit et neuf mois ; 04 entre neuf et
dix mois ; 02 entre onze et douze mois ; 10 après un an et 02 après deux ans. En
somme, 167 ordonnances - soit 90, 27% – ont été rendues après un mois.

On peut, au regard de ce qui précède, s’interroger sur l’efficacité et la portée


des sursis octroyés plusieurs mois après l’introduction de la demande, surtout qu’il
peut arriver que la décision dont la suspension de l’exécution est demandée produise
tous ses effets de droit en cours d’instance ou avant que le juge ne se trouve en
mesure de statuer sur la demande de sursis. Quelques exemples permettent de
comprendre cette appréhension.

Saisi d’une requête aux fins de sursis le 07 décembre 1998 pour suspendre
les effets d’un titre foncier datant du 07 octobre 1997, le juge ne s’y est prononcé
favorablement que trois mois après, en motivant ainsi sa décision : « Attendu que
dame Anaba né Mengue Juliette peut subir un préjudice irréparable du fait de
l’existence de ce titre foncier, celle-ci étant menacée d’expulsion alors et surtout
qu’elle a déjà aliéné le terrain litigieux »578. Peut-être qu’à la date où la requérante
saisissait le juge, elle était menacée d’expulsion. Mais entre la date de saisine et
l’édiction du sursis, son expulsion pouvait intervenir. On ne peut donc pas dire que
l’urgence a présidé au jugement de l’affaire.

Saisi d’une autre requête le 16 décembre 1993 dans laquelle le requérant


sollicitait la suspension de l’exécution de la décision du Ministre de l’Enseignement
Supérieur en date du 03 juin 1993 qui l’excluait des établissements de toutes les
institutions universitaires nationales, le juge n’y a fait droit que le 25 mars 1994, soit
plus de trois mois après sa saisine, en faisant valoir que l’exécution de cette décision
risquait d’occasionner pour le requérant un préjudice difficilement réparable en ce
que « l’intéressé se trouve dans l’impossibilité de poursuivre ses études et son

578
Ordonnance n°13/OPRSE/PCA/CS/98-99 du 10 mars 1999, affaire Madame veuve Anaba née Mengue
Juliette contre Etat du Cameroun.

139
avenir sera ainsi sérieusement hypothéqué »579. Il s’avère qu’au Cameroun, l’année
universitaire commence au mois d’octobre ; or, l’ordonnance est édictée le 25 mars
1994, soit près de cinq mois après. Ce qui revient à dire que le requérant - du fait du
retard mis pour statuer sur sa demande de sursis - ne pouvait plus s’inscrire dans
une Université nationale pendant l’année académique 1993/94. En effet, on imagine
mal que les autorités académiques n’aient pas exécuté cet acte qui , par définition,
est un acte exécutoire, pendant l’année académique suivante. Le requérant aura
donc, d’une certaine façon, subi un préjudice qui a consisté en la perte d’une année
académique ; ce qui n’est pas forcément réparable.

Par ailleurs, c’est huit mois après sa saisine que le juge a ordonné la
suspension de l’exécution d’une décision du Ministre de Travail et de la Prévoyance
Sociale réintégrant un travailleur dans son entreprise580 ; or, entre temps, le
travailleur licencié avait repris son travail et était rémunéré par son employeur . Ainsi,
bien que ce dernier ait eu gain de cause, il reste qu’il a effectué des sorties
financières qui n’auraient pas eu lieu si le juge avait statué rapidement.

Enfin, que dire d’une décision rendue par le juge plus de deux ans après sa
saisine ordonnant le sursis à l’exécution des impositions faites par l’Etat au requérant
plusieurs années auparavant, au motif que « si cette décision venait à être exécutée
elle causerait un préjudice irréparable au requérant »581 ? Il faut bien que l’Etat soit
laxiste ou complice pour attendre aussi longtemps avant d’exécuter une telle
décision. A supposer que ce soit le cas, le fait que le juge statue deux ans après
l’introduction du recours aux fins de sursis démontre, à suffisance, que pour lui,
l’urgence ne conditionne pas le traitement des demandes de sursis. La situation n’est
guère différente en matière de référé.

B. L’ELASTICITE DU CADRE TEMPOREL DE L’INSTANCE DE REFERE

La procédure de référé permet de prononcer soit des mesures d’instruction,


soit des mesures conservatoires. En principe, le juge doit le faire rapidement puisqu’il

579
Ordonnance n°16/ORSE/CS/PCA/93-94 du 25 mars 1994, affaire Nyam Charles contre Etat du Cameroun.
580
V. ordonnance n°05/CS/PCA/92-93 du 24 février 1993, affaire société Moore Paragon contre Etat du
Cameroun.
581
Ordonnance n°/ORSE/PCA/CS/91-92 du 1er novembre 1991, affaire N’Dengué Thomas Byll contre Etat du
Cameroun.

140
s’agit, non seulement de mesures d’urgence, mais également de mesures qui
interviennent dans une procédure d’urgence.

En pratique, le juge administratif camerounais a tendance à remettre en cause


la liaison entre le référé et l’urgence, tant les délais qu’il met pour statuer sont
élastiques. Ceci amène à penser que cette liaison n’est pas indissociable ou
indissoluble.

Le dépouillement de 54 ordonnances rendues en la matière de 1977 à 2000


montre que le juge met beaucoup de temps pour statuer.

En effet, sur ces 54 ordonnances, 11 seulement – soit 20,37 % – sont


intervenues en deçà d’un mois ; tandis que les 43 autres – soit 79,62 % – ont été
rendues après plus d’un mois comme suit : 11 plus d’ un mois après ; 09 après deux
mois ; 08 après trois mois ; 05 après quatre mois ; 01 après cinq mois ; 02 après six
mois ; 02 après sept mois ; 01 après huit mois ; 01 après neuf mois ; 01 après onze
mois ; 01 après un an et 01 quatre ans après. Lorsqu’on se rend compte que parmi
ces ordonnances qui sont intervenues plus d’un mois après la saisine du juge il y en
a qui prescrivaient soit des mesures d’instruction, soit des mesures conservatoires,
on peut légitimement se demander si l’urgence a été prise en compte par le juge. Il y
a lieu d’en douter.

Ainsi, à titre d’exemple, c’est plus de trois mois après qu’il a été saisi que le
juge a, dans l’affaire Dutchou Jean582, ordonné la suspension de l’exécution d’une
décision du Ministre de l’Agriculture portant nomination à des postes de
responsabilités dans ledit Ministère, alors qu’en général lorsque des nominations
interviennent, les personnes concernées prennent leurs fonctions quelques jours ou
semaines après, faisant ainsi produire à l’acte de nomination ses effets juridiques,
même lorsque la décision est rédigée « avec des termes ambigus sur le titulaire du
poste d’affectation » ; car l’autorité régularise toujours la situation. Elle peut,
d’ailleurs, le faire avant que le juge saisi en référé ne statue.

De même, c’est plus de sept mois après sa saisine que le juge a, dans l’affaire
Tamo Pelap Jean-Claude583, ordonné l’arrêt des travaux effectués sur le terrain du

582
Ordonnance de référé n°46/OR/PCA/CS/97-98 du 09 avril 1998, affaire Dutchou Jean contre Etat du
Cameroun.
583
Ordonnance de référé n° 09/ORSE/CS/PCA/88-89v du 21 février 1989 affaire Tamo Pelap Jean-Claude
contre Commune Urbaine de Bafoussam.

141
requérant par des personnes à qui la Commune Urbaine de Bafoussam avait attribué
ledit terrain alors qu’il était affecté à Garoua. Le requérant pouvait, du fait du retard
mis pour statuer, être confronté à une situation de « fait accompli », puisque les
travaux engagés pouvaient s’achever avant ou pendant l’examen de sa requête.

Ce n’est pas une mauvaise chose en soit qu’avant d’ordonner le référé, le juge
auditionne les parties ; mais il ne faut pas que l’audience devienne source de
ralentissement et d’extension de l’instance. En effet, sur les 19 ordonnances rendues
par le juge après la tenue d’une audience, 16 sont intervenues au delà d’un mois.

Il se dégage de ce qui précède qu’en matière de référé comme en matière de


sursis, la question des délais est lancinante. On se rend compte que le juge « est
libre de son temps, libre de choisir les affaires dont il décide d’assurer un traitement
rapide, libre de laisser les autres en attente »584. Seulement, à trop tarder à juger, il
encourage l’administration et les tiers à s’affranchir du respect du droit, surtout que le
sort réservé à ses décisions au niveau de l’instance accessoire dérivée est incertain,
tant cette instance est, elle aussi, instable.

SECTION II : L’INSTABILITE DE L’INSTANCE ACCESSOIRE DERIVEE

L’instance dérivée prolonge l’instance initiale. En effet, ce qui est en cause


dans l’instance dérivée c’est la décision rendue par le juge dans l’instance initiale.
Cette remise en cause peut être le fait, soit du demandeur insatisfait, soit du
défendeur, soit d’un tiers.

Le prolongement de l’instance contentieuse sous la forme d’instance dérivée


se fait par le biais de l’exercice des voies de recours.

En règle générale, toutes les décisions juridictionnelles peuvent faire l’objet de


voies de recours, sauf dispositions textuelles contraires.

Devant le juge administratif camerounais, deux types de voies de recours


peuvent être exercées. On a les voies de rétractation dont la finalité est d’amener le
juge qui a statué à retirer ou à revenir sur sa décision Elles comprennent
l’opposition585, la tierce-opposition586, la révision587et le recours en rectification

584
Bruno Odent, « L’avocat, le juge et les délais », Mélanges René Chapus, Paris, Montchrestien, 1992, p. 490.
585
V. articles 113 à 117 de la loi n°75/017 du 8 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour Suprême statuant en
matière administrative.
586
V. article 118 de la loi n°75/017.

142
d’erreur matérielle588. On a aussi la voie de réformation ou l’appel, qui consiste à
saisir le juge supérieur pour qu’il remette en cause la décision rendue par le juge
inférieur. La voie de cassation n’existe pas dans la procédure administrative
contentieuse au Cameroun.

Il se dégage de la loi n°75/017 du 8 décembre 1975 que les voies de recours


ont été instituées pour être exercées contre les jugements et arrêts rendus,
respectivement, par la Chambre administrative et l’Assemblée plénière589. Cette loi
est muette sur les voies de recours contre les ordonnances de sursis et de référé
rendues par le Président de la Chambre administrative. Il en est de même de
l’ordonnance n°72/06 du 26 août 1972 fixant l’organ isation de la Cour Suprême.

Il se pose donc le problème de savoir si les ordonnances de sursis et de


référé peuvent faire l’objet de recours, en considération, d’une part, du silence de la
loi et, d’autre part, de l’urgence qui doit régir le traitement des requêtes de référé et
de sursis.

L’exercice des voies de recours en matière de sursis et de référé ne serait-il


pas contraire à la célérité et à la rapidité qui doivent caractériser le traitement de ces
requêtes ? Ou alors, faut-il laisser les parties épuiser toutes les voies de recours en
faisant jouer à fond la contradiction, pour le triomphe du droit ? Sur ces points, le
juge camerounais est fort embarrassé. Mais finalement, c’est l’urgence qui en sort
perdante dans la mesure où le juge a, d’une part, une appréciation discriminatoire
des voies de recours en rétractation (Paragraphe 1), et, d’autre part, une
appréciation contingente de la voie d’appel ( Paragraphe 2).

587
V. articles 120 et 121 de la loi n°75/017.
588
V. article 119 de la loi n° 75/017.
589
V. article 112 de la loi n°75/017 et article 14 (nouveau) al 3, 4, 5, 6 et 7de l’ordonnance n°72/06 du 26 août
1972 fixant l’organisation de la Cour suprême.

143
PARAGRAPHE 1 : L’APPRECIATION DISCRETIONNAIRE DES VOIES DE
RECOURS EN RETRACTATION

A l’exception du recours en rectification d’erreur matérielle, le juge administratif


camerounais a eu se prononcer sur l’exercice des autres voies de recours dans le cadre
des procédures de sursis et de référé. Mais, il est difficile de dégager les lignes de force
ou directrices de sa jurisprudence, tant elle est contradictoire et constamment remise en
cause. Leur examen est essentiellement fluctuant (A) et le juge statue dans des délais qui
sont tellement hétérogènes et extensifs qu’ils font perdre au sursis et au référé leur
caractère de procédure d’urgence (B).

A. LA FLUCTUATION DE L’EXAMEN DES RECOURS EN RETRACTATION

La question est de savoir si le juge administratif peut revenir sur une


ordonnance de sursis ou de référé qu’il a rendue. Si on considère le fait que la
législation camerounaise n’a pas expressément prévu cette hypothèse, on répondrait
par la négative . Mais, si on prend en compte le fait qu’en droit, ce qui n’est pas
interdit est permis, on répondrait par l’affirmative, le juge devant appliquer les règles
de droit commun. En répondant dans les deux sens, on aboutit à une situation
alambiquée, voire confuse. C’est pourtant cette voie qu’a choisie le juge administratif
camerounais tant en ce qui concerne l’appréciation des recours en opposition que
des recours en tierce-opposition et en révision.

1. L’appréciation des recours en opposition

Malgré quelques différences de formulation, les définitions doctrinales


relatives à l’opposition se recoupent et se rapprochent.

Pour G. Vedel et P. Delvolvé, « l’opposition est une voie de recours ouverte à


la personne condamnée par défaut, c’est-à-dire sans avoir participé, elle-même ou
par l’intermédiaire d’un représentant, à l’instance à l’issue de laquelle a été rendu le
jugement ou l’arrêt »590. Ch. Debbasch et J. C. Ricci, pour leur part, la définissent
comme « une voie de recours ouverte au défendeur contre lequel a été pris un
jugement par défaut en vue d’en obtenir la rétractation par la juridiction qui l’a

590
G. Vedel et P. Delvolvé, Droit administratif, T2, op. cit., p. 237.

144
rendu »591. R. Chapus, quant à lui, l’appréhende comme « la voie de recours que,
devant la juridiction qui a statué, une partie défaillante (c’est-à-dire qui n’a produit
aucunes observations ou aucunes observations régulières au cours de l’instance)
peut exercer contre le jugement rendu par défaut »592. Enfin, R. Odent, pour sa part,
la définit comme « la voie de recours ouverte à la partie défaillante contre les
593
décisions rendues par défaut » .

Il se dégage de ces définitions d’une part que seules les parties mises en
cause et qui n’ont produit ni mémoires, ni observations peuvent faire opposition, et,
d’autre part, que l’opposition a pour effet d’entraîner un nouvel et entier examen de
l’affaire.

D’après l’article 116 de la loi n°75/17, « le jugement ou l’arrêt ne peut être


exécuté » pendant le délai imparti pour l’introduction de la requête en opposition à
compter de la notification de la décision de défaut, « à moins que, en cas d’urgence
ou de péril en la demeure, l’exécution provisoire avec ou sans caution n’ait été
ordonnée ». Ceci revient à dire que l’opposition a un effet suspensif.

Statuant dans deux espèces594 sur des recours en opposition contre des
ordonnances de sursis qu’il a rendues, le juge administratif a adopté des positions
pour le moins étonnantes. Dans la première espèce595, il déclare le recours
irrecevable au motif que le sursis à exécution régi par les articles 16 et suivants de la
loi n°75/17 du 8 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour Suprême statuant
en matière administrative « est une mesure essentiellement provisoire qui n’est pas
susceptible de recours » ; mais, au lieu de prononcer le rejet du recours en la forme,
il l’examine au fond, et ne procède à son rejet que parce que, « subsidiairement (…),
le représentant de l’Etat, n’apporte aucun élément nouveau pouvant provoquer la
modification de l’ordonnance attaquée ». Autrement dit, il serait revenu sur son
ordonnance si le représentant de l’Etat avait apporté des éléments nouveaux, bien
qu’il ait déclaré le recours irrecevable. Cette position est bien curieuse, car le juge
admet que la déclaration d’irrecevabilité peut être remise en cause par des éléments

591
Ch Debbasch et J-C Ricci ; op. cit., p. 569.
592
R.Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 792.
593
R. Odent, Contentieux administratif, op. cit., p. 983.
594
Ordonnance n°71/OSE/PCA/CS/97-98 du 2 septembre 1998, affaire société Socadic contre Etat du Cameroun
(MINAT) et ordonnance n°15/ORDRO/PCA/CS/99-2000, affaire Kéau Ngani André contre Etat du Cameroun,
Procureur général près la Cour d’appel du Centre et Sahely Cameroon Motors.
595
Ordonnance n°71/PCA/CS/97-98 du 2 septembre 1998.

145
de fond. Il en résulte que le motif d’irrecevabilité n’a plus sa raison d’être. Ceci est
d’autant plus plausible que dans la seconde affaire, il a repris l’idée du Ministère
public sur l’irrecevabilité de la demande en rétractation introduite par le Procureur
Général près la Cour d’Appel du Centre au motif que « le sursis à exécution est une
mesure provisoire qui n’est pas susceptible de recours », mais, a, malgré tout,
déclaré ladite demande « recevable en la forme pour avoir été faite dans les formes
et délais prévus par la loi (sic !) », et l’a examinée au fond. Il ne l’a rejetée à ce stade
que parce que « le sursis à l’exécution (…) n’a été accordé que dans le but de
préserver les intérêts des parties en attendant les issues des instances de
fond ;(…) » et qu’ « il ne saurait dès lors être opportun, au risque de préjudicier à
ces intérêts des parties de rétracter l’ordonnance querellée ».

Prises séparément ou ensemble, ces deux décisions défient toute logique


juridique. On peut se demander si le juge n’a pas rendu plutôt des « décisions
politiques », vu les intérêts en présence et surtout vu la qualité des personnes qui
l’ont saisi. On ne peut pas l’exclure. D’ailleurs, son attitude dans l’examen de la tierce
opposition fait également réfléchir.

2. L’appréciation des recours en tierce opposition596

Si la tierce opposition est facile à définir, la détermination du tiers opposant


par le juge n’est pas aisée comme l’attestent les décisions rendues par le juge
administratif camerounais en matière de sursis et de référé.

R. Odent appréhende de façon précise la tierce opposition comme « la voie de


recours ouverte à ceux qui n’ont pas été appelés, n’ont pas été représentés ou ne
sont pas spontanément intervenus dans une instance ayant abouti à une décision
contentieuse qui préjudicie à leurs droits »597.

596
Sur cette notion et ses conditions d’exercice, lire André Heurte, « La tierce – opposition en droit
administratif », D., Chr 1955, pp. 67-72 et Raymond Guillien « Tierce opposition », Répertoire de Droit public
et administratif, 1959, T2, pp. 919-920.
597
R.Odent, op. cit., p. 986. Pour Marcel Waline, « la tierce opposition est la voie de recours contre une décision
de justice par une personne qui n’a pas été partie à l’instance, mais qui estime que le jugement préjudice à ses
droits », v. M. Waline, Précis de droit administratif, Paris, Montchrestien, 1969, pp. 182-183. Ch. Debbasch et J-
C Ricci, pour leur part, définissent la tierce opposition comme « une voie de droit ouverte aux personnes qui
n’ont pas été présentes ou représentées dans une instance pour leur permettre de remettre en cause un jugement
qui préjudicie à leurs droits », v. Ch. Debbasch et J-C Ricci, op. cit., p. 576.

146
Ainsi, la tierce opposition « est offerte à ceux qui tout à la fois n’ont pas figuré à
l’instance - et qui ne disposent donc pas des voies de recours ordinaires -, et qui étaient
pourtant concernés par le procès qui y a été tranché et qui auraient donc mérité d’y être
associés »598. On peut donc considérer qu’elle est la réponse à l’idée selon laquelle « il
n’est bon procès sans large débat »599 et qu’elle constitue la sanction du principe selon
lequel « l’action en justice (…) ne doit pas devenir le moyen d’obtenir un titre à l’encontre
de personnes qui n’ont pu se faire entendre du juge »600.

Il se dégage de ce qui précède deux idées essentielles. D’abord, le tiers


opposant est celui qui n’a pas été partie au procès ; ainsi, « celui qui aurait pu
intervenir dans l’instance sans acquérir la qualité de partie n’est pas recevable à faire
tierce opposition »601. Ensuite, le tiers opposant est celui qui aurait dû être appelé au
procès ; aussi, « une personne non appelée dans une instance n’est pas recevable à
faire tierce opposition si le tribunal n’était pas tenu de l’y appeler, parce qu’elle n’y
aurait pas été partie »602. Les conditions de recevabilité relatives à la personne du
tiers opposant sont donc complexes603 et leur mise en œuvre ne se fait pas sans
difficulté. On s’en rend compte à l’examen des ordonnances rendues sur cette
question en matière de sursis à exécution par le juge camerounais. Il faut ajouter à
cela le fait que le juge a du mal à fixer sa jurisprudence sur la tierce opposition tant
en matière de sursis que de référé.

a. L’appréciation de la tierce opposition en matière de sursis à


exécution

Saisi par la voie de la tierce opposition en matière de sursis à exécution, le


juge administratif camerounais a eu à se prononcer aussi bien sur sa recevabilité que
sur sa validité.

Au niveau de la recevabilité, il a statué sur la légitimité juridique de


l’introduction du recours en tierce opposition en matière de sursis et sur la qualité du
recourant.

598
B. Pacteau, op. cit., p. 404.
599
Ibid.
600
A. Heurte, op. cit., p. 67.
601
R. Chapus, op. cit., p. 795.
602
Ibid.
603
A. Heurte, op. cit ., p. 69.

147
Sur le premier point, il a eu à rejeter comme irrecevables des recours en tierce
opposition, tantôt au motif que « seules peuvent être rétractées les décisions
judiciaires susceptibles de recours normaux »604, tantôt au motif que « la loi n°75/17
du 8 décembre 1975 n’a pas prévu les cas de rétractation de l’ordonnance de sursis
à exécution »605, tantôt au motif que « la rétractation n’est pas prévue en cette
matière »606, ou que « le sursis à exécution est une mesure essentiellement
provisoire qui n’est pas susceptible de voies de recours, aucun texte ne l’ayant
prévu »607, ou encore que « la loi n’a pas prévu de rétractation pour une ordonnance
de sursis qui est une mesure essentiellement provisoire »608, ou alors au motif que
« le sursis à l’exécution est une mesure essentiellement provisoire qui n’est pas
susceptible de voies de recours »609, ou même que « le sursis à exécution est une
procédure essentiellement provisoire qui n’est susceptible d’aucune voie de recours,
nul texte ne l’ayant prévu »610, ou enfin que, « le sursis à exécution est une mesure
essentiellement provisoire qui n’est pas susceptible de recours, aucun texte de loi ne
l’ayant prévu »611.

Lorsque dans l’affaire Atangana François et autres612, le requérant excipe une


ordonnance portant rétractation d’une ordonnance de sursis qu’il a rendue613, le juge
affirme que cela est vain car « cette décision n’émanant pas de l’Assemblée Plénière
de la Cour Suprême ne peut constituer une jurisprudence ». Pour donner une base

604
Ordonnance n°04/OSE/PCA/CS/87-88 du 25 novembre 1987, affaire MAETUR contre Nobra et Etat du
Cameroun.
605
Ordonnance n°24/OSE/PCA/CS/93-94 du 02 juin 1994, affaire Banque Méridien BIAO Cameroun contre
S.C.I-Ponty et Etat du Cameroun.
606
Ordonnance n°11/OSE/PCA/CS/98-99 du 9 février 1999, affaire Keuko Alexandre contre Etat du Cameroun
et Feupissie Jean-Marie (intervenant).
607
Ordonnance n°25/PCA/CS/98-99 du 29 avril 1999, affaire, la Cameroon Development Corporation contre
Etat du Cameroun et société Bonchon Compagny Limited ; ordonnance n°09/ORTO/PCA/CS/00-2001 du 28
novembre 2000, affaire Cheikh Daouda Mohaman contre Etat du Cameroun et Nji Mpempeme Moussa ;
ordonnance n°15/ORSE/PCA/CS/00-2001 du 25 janvier 2001, affaire Teumi Jean- Paul contre Etat du
Cameroun et Pemite Jean-Calixte (intervenant) et ordonnance n°22/ORSE/PCA/CS/2000-2001 du 26 février
2001, affaire Andjongo Germain contre Etat du Cameroun et Succession Koa Maurice.
608
Ordonnance n°64/OSE/PCA/CS/98-99 du 12 juillet 1999, affaire Atangana François et autres contre Etat du
Cameroun et Mamadou Rouphaï (intervenant).
609
Ordonnance n°19/OSE/PCA/CS/99-2000 du 31 mars 2000, affaire Mademoiselle Nkwein Gwa Nzouetchom
Diane contre Etat du Cameroun et dame Noukedio née Tchounang Thérèse (intervenant volontaire).
610
Ordonnance n°10/ORTO/PCA/CS/00-2001 du 28 novembre 2000, affaire Cheikh Daouda Mohaman contre
Etat du Cameroun et Nji Mpempeme Moussa.
611
Ordonnance n°32/ORSE/PCA/CS/00-01 du 23 mars 2001, affaire ONEPI contre Etat du Cameroun et Nji
Mpempeme Moussa.
612
Ordonnance n°64/OSE/PCA/CS/98-99 du 12 juillet 1999.
613
Il s’agit de l’ordonnance n°51/OSE/PCA/CS/96-97 du 30 juillet 1997 portant rétractation de l’ordonnance
n°37/OSE/PCA/CS/96-97 du 21 juin 1997.

148
juridique au motif de rejet allégué, il affirme, dans l’affaire Andjongo Germain614 que
l’ordonnance « a été rendue sur avis conforme du Ministère public ».

Sur le second point, à savoir la qualité du requérant, le juge administratif a


adopté une position dont l’ambiguïté le dispute à la confusion et à la contradiction.
Dans certaines espèces, il dénie au requérant la qualité pour former tierce
opposition au motif que le requérant s’est abstenu « d’intervenir dans la procédure
ayant abouti » à l’ordonnance contestée615, ou que l’intervention du requérant est
survenue alors que l’ordonnance litigieuse a été prise à une date à laquelle il « n’était
pas partie au procès »616, ou encore que le requérant « n’est pas partie au procès,
car il n’a pas introduit une demande en intervention volontaire mêmement aucun
appel en garantie n’a été initié à son encontre »617

149
s’attaque à un préjudice prétendument né de la chose jugée et qui doit donc exister
réellement »621. Aussi, « il ne peut du tout être considéré comme certain que le droit
d’intervention fonde le droit de tierce – opposition »622, comme semble vouloir l’établir
le juge dans l’affaire MAETUR. Si le tiers opposant doit être réellement concerné par
le jugement qu’il met en cause, « il ne doit naturellement pas avoir participé à la
première instance, c’est-à-dire y avoir participé ou été représenté »623 . Il doit avoir
été « tiers à l’instance initiale »624, pour « se prévaloir d’un droit auquel la décision
entreprise aurait préjudicié »625. Sur ce point, on est d’accord avec le juge lorsqu’il
affirme, toujours dans l’affaire MAETUR, que pour être admis à se pourvoir contre
une décision judiciaire, il faut « en avoir éprouvé un préjudice ».

L’ambiguïté, la confusion et la contradiction s’entremêlent dans l’appréciation


de la légitimité juridique de l’introduction de la tierce opposition et de la qualité pour
agir en tiers opposant dans la mesure où, bien qu’il considère que le sursis à
exécution n’est pas susceptible de recours ou qu’une ordonnance de sursis ne peut
être rétractée parce que la loi ne l’a pas prévue, le juge examine, malgré tout , le
recours au fond et transforme la tierce opposition en intervention volontaire ou
n’évoque ni la légitimité de la tierce opposition, ni la qualité du requérant et examine
directement la requête au fond. Dans l’affaire Keuko Alexandre626, il rejette le recours
en tierce opposition pour un motif de fond avant d’y adjoindre le motif de forme. Ainsi,
avant d’affirmer que la rétractation n’est pas prévue en matière de sursis, il fait
observer que la requête « n’apporte aucun élément nouveau pouvant faire fléchir la
position de la Cour ». Ce qui laisse croire que s’il y avait eu un élément nouveau, le
moyen tiré de l’irrecevabilité n’aurait pas été évoqué. La démarche est inversée dans
l’affaire Ncthoutcha Gaston627. Ici, la requête n’est pas rejetée, comme
précédemment, pour des motifs de forme et de fond, mais pour des motifs de fond.
Le juge l’a déclarée recevable en la forme alors même qu’il a fait sien l’avis du

621
Ch. Debbasch et J-C Ricci, ibid.
622
Raymond Guillien, op. cit., p. 920.
623
B. Pacteau, op. cit., p. 406 ; v. CE, 20 novembre 1931, France , Rec., 1017 ; CE, 2 avril 1993, ville de Bastia,
Rec. , p.494.
624
O. Gohin , op. cit., p. 360.
625
Ibid., p. 361. Cette condition résulte de la transposition dans la procédure administrative contentieuse de la
règle générale posée par l’ancien Code de Procédure Civile de 1806.
626
Ordonnance n°11/OSE/PCA/CS 98-99 du 09 février 1999.
627
Ordonnance n°13/ORDRO/PCA/CS/99-2000, affaire Ncthoutcha Gaston contre Etat du Cameroun et dame
Edanha née Enyegue Antoine.

150
Ministère public, à savoir que « le sursis à exécution est une mesure provisoire qui
n’est pas susceptible de recours ». Il l’a rejetée au fond au motif qu’ « en accordant
le sursis à exécution querellé, le juge administratif n’a fait que prendre, dans le cadre
de ses compétences, une mesure provisoire visant à préserver les intérêts des
parties dans l’attente de l’issue à intervenir au fond (…) ; qu’il ne saurait donc dès
lors être question au risque de préjudicier à ces intérêts des parties, de rétracter
628
l’ordonnance dont s’agit ». Dans les affaires Tsanga Messi et Momnza Betty
André629, alors même que les requérants avaient bel et bien introduit des recours en
tierce opposition, il a, fort curieusement, pour ne pas avoir à se prononcer sur leur
qualité, transformé la tierce – opposition en intervention volontaire et déclaré les
recours recevables en la forme, arguant comme motif le fait que la Chambre
administrative n’a « pas encore statué sur le recours introduit au fond ». Il déclare en
substance630 : « Attendu que cette action - la tierce opposition - s’analyse en réalité
comme une intervention volontaire prévue par l’article 88 de la loi n°75/17 du 8
décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour Suprême statuant en matière
administrative, qui l’admet en tout état de cause pour tous ceux qui ont un intérêt
dans le règlement du litige ».

Cette façon de voir est critiquable à un double point de vue. D’abord,


l’intervention volontaire intervient en cours d’instance ; or, l’instance accessoire ayant
abouti à l’ordonnance querellée est antérieure au recours en rétractation ; donc, il
s’agit bien d’un recours en tierce opposition et non d’une intervention volontaire, qui
est un incident de procédure. Ensuite, le juge confond l’instance principale et
l’instance accessoire. En considérant que l’action est recevable en la forme parce
que la Chambre administrative n’a pas encore statué sur le recours au fond, il insinue
par-là que cette action concerne l’instance principale qui est en cours ; ce qui n’est
pas exact. Par ailleurs, on ne peut pas fonder la recevabilité d’une action contre une
décision déjà intervenue sur une instance en cours ; autrement dit, l’intervention eût
été valable si elle était intervenue avant l’édiction de l’ordonnance dont la rétractation
est demandée.

628
Ordonnance n°19/OSE/PCA/CS/97-98 du 15 décembre 1997, affaire Tsanga Messi contre Etat du Cameroun.
629
Ordonnance n°20°OSE/PCA/CS/97-98 du 15 décembre 1997, affaire Momnza Betty André contre Etat du
Cameroun.
630
La formule utilisée est identique dans les deux espèces.

151
Il y a lieu de regretter une telle confusion qui paraît avoir été entretenue à
dessein, car dans le fond, les tiers opposants, devenus pour les besoins de la cause
intervenants, ont obtenu la rétractation des ordonnances contestées, le juge ayant
considéré dans l’un et l’autre cas que les arguments avancés par les représentants
de la partie « "intervenante" 631 dans la cause sont pertinents », sans pour autant dire
pourquoi et en quoi.

On savait que la rétractation des décisions de justice s’opérait par les voies de
l’opposition, de la tierce opposition et de la révision. Le juge, dans ces deux affaires,
y a ajouté une autre voie : l’intervention volontaire. Ne dit-il pas dans l’une et l’autre
affaires, après avoir admis que les recours introduits participent d’une intervention
volontaire, qu’« il y a lieu de rétracter l’ordonnance attaquée » et qu’ « (…) il est
ordonné la rétractation de l’ordonnance n° (…) » ?

Enfin, dans les affaires Nacho C.H.S et sociétés SOCIB Maritime Navron632,
le juge n’a évoqué ni le moyen tiré de la légitimité juridique de l’exercice de la tierce
opposition ni le moyen tiré de la qualité des requérants. Dans la première affaire, il
n’a procédé au rejet des recours qu’au motif que le tiers opposant n’a apporté
« aucun élément nouveau susceptible de justifier ladite demande de rétractation » ;
tandis que dans la seconde affaire, il n’a rejeté le recours que parce que les sociétés
requérantes n’ont apporté « à l’instance aucun élément nouveau susceptible de
fléchir la position de la Chambre de céans ». Mais on se demande comment le juge
pouvait, en particulier dans la seconde affaire, rétracter l’ordonnance querellée qui
était déjà une ordonnance portant rétractation d’une autre ordonnance de sursis633,
d’autant plus qu’il considère que « rétractation sur rétractation ne vaut ».

On peut dire, en définitive, que la jurisprudence relative à l’exercice de la


tierce opposition en matière de sursis est confuse, indécise et imprécise. En matière
de référé on n’en est pas très éloigné.

631
Le terme est du juge. Dans ces deux espèces, la partie intervenante est la même à savoir la Caisse Nationale
de la Prévoyance Sociale.
632
Ordonnance n°16/OSE/PCA/CS/ 97-98, affaire Sociétés SOCIB Maritime Navron contre Etat du cameroun.

152
b. L’appréciation de la tierce opposition en matière de référé

Le juge administratif s’est prononcé sur l’exercice de la tierce opposition en


matière de référé dans deux espèces, respectivement le 28 septembre 1991634et le
28 septembre 1998635.

Dans la première espèce, dont la particularité est qu’il s’agit d’un jugement et
non d’une ordonnance comme il est de tradition en matière de référé, le juge a
déclaré le recours irrecevable sur la base des règles édictées par le droit commun. Si
la démarche adoptée se justifie, le fondement juridique du rejet laisse perplexe.

La démarche adoptée se justifie dans la mesure où le juge s’est appuyé sur


l’article 118.1 de la loi n°75/17 du 8 décembre 197 5 d’après lequel « la tierce
opposition devant l’Assemblée Plénière ou la Chambre administrative est soumise
aux règles édictées par le droit commun ». Même s’il y a lieu de se demander si le
référé est concerné par cette disposition, il reste que, comme aucune disposition de
cette loi n’interdit l’exercice de voies de recours en cette matière, on peut
comprendre que le juge s’y réfère.

Les règles de droit commun auxquelles la loi fait allusion sont contenues dans
le Code de Procédure Civile et Commerciale. Il s’agit des dispositions de l’article 185
d’après lesquelles « les ordonnances sur référé ne feront aucun préjudice au
principal,… Elles ne sont pas susceptibles d’opposition… ».

Là où le bật blesse, c’est que nulle part dans cet article, il n’est fait allusion à
la tierce opposition, qui est bien différente de l’opposition à laquelle il se réfère.
Pourtant, il n’y a pas de doute que dans l’espèce en question, le requérant a bien
saisi le juge administratif « aux fins de tierce opposition ».

On ne peut pas croire que traitant du recours en tierce opposition, le juge ait
choisi délibérément de supprimer le membre de la phrase de l’article qui y fait
allusion. En somme, le motif de rejet allégué par le juge paraît tiré par les cheveux.
Quand on se rend compte que c’est la Chambre administrative dans sa composition
statutaire qui a siégé en l’espèce, cela laisse l’analyste perplexe et dubitatif.

633
Il s ‘agit de l’ordonnance n°51/OSE/PCA/CS/96-97 du 30 juillet 1997 qui a rétracté l’ordonnance
n°37/OSE/PCA/96-97 du 26 juin 1997.
634
Jugement n°7/CS/CA/91-92 du 28 novembre 1991, affaire Kenkeu Théophile contre Commune Urbaine de
Bafoussam et Tamo Pelap (intervenant volontaire).
635
Ordonnance de référé n°77/OR/PCA/CS/97-98 du 21 septembre 1998, affaire Société Royal Flush contre Etat
du Cameroun et SOCADIC (intervenante).

153
Dans la seconde espèce, le juge s’est déclaré incompétent, pas parce qu’il ne
peut pas se prononcer sur la tierce opposition, mais plutôt parce que « la rétractation
n’est pas prévue en matière de sursis à exécution (sic !) ». Une telle motivation,
discutable dans sa formulation, et, a priori, incompréhensible, ne peut être
appréhendée que si l’on se réfère à l’objet du recours introduit par le requérant. En
effet, ce dernier a saisi le Président de la Chambre administrative, « juge des référés
en tierce opposition pour rétracter l’ordonnance de sursis à exécution
n°59/OSE/PCA/CS97/98 du 18 juin 1998 rendue par le magistrat susvisé ». Il est
donc clair que le juge a mal motivé sa décision. Il aurait dû dire que le juge des
référés est incompétent pour ordonner la rétractation d’une ordonnance de sursis. En
statuant comme il l’a fait, il s’est substitué au juge du sursis, tout en restant juge des
référés. Il s’agit d’un dédoublement fonctionnel que rien juridiquement ne justifie,
bien que ce soit le même juge - le Président de Chambre administrative - qui statue
dans ces deux matières.

On se demande alors si ce sont des considérations d’urgence qui sont à


l’origine de cette de substitution fonctionnelle opérée par le juge des référés. Tout
comme il y a lieu de se demander si ce sont des considérations d’urgence qui sont à
la base de cet équilibrisme auquel il se livre dans l’appréciation des recours en
révision en matière de sursis à exécution.

3. L’appréciation des recours en révision

On peut définir le recours en révision comme « une voie de rétractation


ouverte aux parties à l’instance contre un jugement contradictoire pour des causes
déterminées »636. Il « est destiné à faire revenir une juridiction sur sa décision à
raison d’un vice grave dont elle est entachée - et qui est nécessairement autre
qu’une erreur matérielle »637.

L’article 120 de la loi n°75/17 du 8 décembre 1975 énumère les quatre cas
dans lesquels la révision d’une décision contradictoire peut être demandée, à savoir :

- lorsqu’il y a eu dol personnel ;

- lorsqu’il a été statué sur les pièces reconnues ou déclarées fausses depuis
la décision ;

636
Ch. Debbasch et J-C.Ricci , op. cit., p. 584.
637
G. Vedel et P. Delvolvé, op. cit., p. 238.

154
- lorsqu’une partie a succombé, faute de présenter une pièce décisive
retenue par son adversaire ;

- lorsque la décision intervient sans qu’aient été observées les dispositions


de l’ordonnance n°72/06 du 26 août 1972 fixant l’or ganisation de la Cour
Suprême relatives à la composition de l’Assemblée Plénière et de la
Chambre Administrative et les dispositions de ses articles 13 paragraphe
1er – relatives au dépôt des mémoires en réplique et en duplique - , 14
paragraphe 2 - relatives à la notification de tous les documents aux parties
adverses et aux délais qui leur sont impartis pour les discuter -, 19 -
relatives aux modalités de tenue des audiences de la Chambre
administrative -, et 41 - relatives aux délais et modalités de dépôt du
rapport par le rapporteur au greffe, aux délais dans lesquels le Procureur
général rétablit le dossier au greffe avec ses conclusions et ses
propositions pour inscription de l’affaire au rôle.

Il se dégage de la définition donnée plus haut et des dispositions de la loi


n°75/17 que le recours en révision doit être le f ait des parties au procès, celles qui y
ont effectivement participé.

Un tel recours est-il possible en matière de sursis à exécution ? Dans deux


espèces datant toutes du 05 avril 2001638, le juge administratif semble répondre par
l’affirmative.

Dans la première espèce, le juge ne se prononce pas sur la qualité de la


personne qui sollicite la révision de son ordonnance de sursis ; ce qui est normal,
puisqu’il s’agit de l’Etat qui est partie au procès. Il ne se prononce pas non plus sur la
légitimité de l’introduction dudit recours en cette matière comme le fait le juge
administratif français pour qui le recours en révision n’existe pas sans texte
express639. C’est à l’issue d’une longue motivation qu’il rejette le recours au fond. Il
commence par rappeler que le sursis à exécution, qui du reste, est une mesure
provisoire, « relève de l’appréciation souveraine du Président habilité à l’accorder ou
à le rejeter à tout moment tout en tenant compte de la loi et des éléments du

638
V. ordonnance n°38/OSE/PCA/CS/00-01 du 05 avril 2001, affaire Ministère de l’Environnement et des Forêts
(MINEF) contre Société forestière PETRA S.A et Cameroon United Forest et ordonnance n°39 /OSE/PCA/CS
00-01 du 05 avril 2001 affaire Cameroon United Forest (C .U .F), Etat du Cameroun (MINEF) contre Société
forestière PETRA S.A.

155
dossier », en ayant « le souci de s’abstenir à se prononcer sur les arguments qui
relèvent du fond du litige ». Il indique, ensuite, que « l’urgence est de règle en
matière de sursis et que les conséquences de l’inobservation des délais d’échange
de mémoire y afférents ne sont pas d’ordre public ». Enfin, il évoque la nécessité
d’éviter des analyses ayant trait à l’examen au fond de l’affaire, les arguments
avancés par les parties en présence et les observations pertinentes contenues dans
les réquisitions du Ministère public, les contestations relatives à l’affaire et « la
nécessité de maintenir les parties dans leurs droits issus de l’ordonnance
n°14/OSE/PCA/CS/00-01 du 16 janvier 2001 en attenda nt l’examen au fond dudit
dossier ».

Dans la seconde espèce, par contre, il a rejeté le recours en révision pour


défaut de qualité du requérant. Ce qui est tout à fait justifié dans la mesure où
l’intéressé n’avait pas la qualité de partie au procès. A ce sujet, il déclare : « Attendu
que la Cameroon United Forest n’était pas partie au procès qui opposait uniquement
la société forestière PETRA S.A au Ministère de l’Environnement et des Forêts et
dont l’ordonnance qui fait l’objet de la requête en rétractation est issue ». Il y a lieu
de relever cependant que cette décision et toutes les autres, relatives aussi bien au
sursis qu’au référé, n’ont pas été rendues dans des délais d’urgence. En effet, la
durée d’examen des recours en rétractation est essentiellement variable et
extensible.

B. LA VARIATION ET L’EXTENSION DE LA DUREE D’EXAMEN DES


RECOURS EN RETRACTATION

Aucun délai n’est prescrit par les textes au juge pour statuer sur les recours
en rétractation. La conséquence en est que le temps qu’il met pour statuer est
essentiellement variable et extensible. Il s’avère que cet état de fait relativise, voire
annihile l’urgence qui devrait régir les procédures accessoires.

On peut dès lors s’interroger sur l’opportunité et la nécessité des recours en


rétractation dans des procédures où le juge doit statuer d’urgence où les décisions
sont provisoires et n’ont pas, par conséquent, autorité de la chose jugée.

639
V. CE, Ass. , 4 mars 1995, dame veuve Sticotti, Rec., p.131, RDP, 1955, p. 733. Conclusions Jacomet, AJDA,
1955. II, 370, note Copper-Royer.

156
En matière de sursis, la durée d’examen des recours en rétractation connaît une
variation récurrente, tandis qu’en matière de référé, elle connaît une extension excessive.

1. La variation récurrente de la durée d’examen des recours en


rétractation en matière de sursis

Le dépouillement de vingt (20) ordonnances rendues par le juge administratif


a permis d’établir la variation récurrente de la durée d’examen des recours en
rétractation en matière de sursis.

En ce qui concerne les recours en opposition, le juge met plus d’un mois pour
statuer. Ainsi, dans l’affaire société SOCADIC640, il a statué le 02 septembre 1998,
alors qu’il a été saisi le 20 juillet 1998.

Quant aux recours en tierce opposition, une seule affaire a été traitée en
641
moins d’un mois. Il s’agit de l’affaire Société SOCIB Maritime Navron dans
laquelle le juge a rendu sa décision 24 jours après avoir été saisi. A la lecture de
cette ordonnance, on comprend pourquoi elle a été rendue dans ce délai. En effet, le
requérant demandait la rétractation d’une ordonnance qui avait rétracté une autre
ordonnance. En l’espèce, le juge a rejeté le recours en déclarant que « rétractation
sur rétractation ne vaut ».

En dehors de ce cas d’espèce, toutes les autres ordonnances ont été édictées
au-delà d’un mois642. On retrouve ainsi des ordonnances édictées quatre643 ; cinq644,
huit645, neuf646, voire douze mois647, après l’introduction des recours. Pour le cas de
douze mois, le recours a été introduit le 06 novembre 1986 et c’est le 25 novembre
1987 que le juge a rendu son ordonnance de rejet.

640
Ordonnance n°71/OSE/PCA/CS/97-98 du 2 septembre 1998.
641
Ordonnance n°16/OSE/PCA/CS 97-98, affaire SOCIB Maritime Navron contre Etat du Cameroun.
642
Les ordonnances rendues au delà d’un mois et en deçà de deux mois sont essentiellement des ordonnances qui
ont prononcé la rétractation des ordonnances de sursis querellées. V. ordonnance n°20/OSE/PCA/CS/97-98 du
15 décembre 1997 et ordonnance n°66/OSE/PCA/CS/97-98 du 15 décembre 1997.
643
V. ordonnance n°64/OSE/PCA/CS/98-99 du 12 juillet 1999 et ordonnance n°22/ORSE/PCA/CS/2000-2001
du 26 février 2001.
644
V. ordonnance n°09/ORTO/PCA/CS/00-2001 du 28 novembre 2000 et ordonnance n°10/ORTO/PCA/CS/00-
2001 du 28 novembre2000.
645
V. ordonnance n°32/ORSE/PCA/CS/00-01 du 23 mars 2001.
646
V. ordonnance n°15/ORSE/PCA/CS/00-01 du 25 novembre 2001.
647
V. ordonnance n°04/OSE/PCA/CS/87-88 du 25 novembre 1987.

157
Pour ce qui est des recours en révision, la durée moyenne d’examen est de
648
deux mois. Le juge met le même temps pour se prononcer sur la recevabilité et
pour statuer sur le fond649.

Il se dégage de ce qui précède que le juge n’intègre pas dans l’examen des
recours en rétractation la notion de temps ou plus exactement d’urgence. De fait, il
n’a pas le temps de l’urgence et le temps de l’urgence n’est pas son temps.
L’extension excessive de la durée d’examen des recours en rétractation en matière
de référé en constitue une autre preuve patente.

2. L’extension excessive de la durée d’examen des recours en


rétractation en matière de référé

Les deux décisions que l’on a pu obtenir en matière de référé ont été rendues
dans des délais extrêmement longs. L’une l’a été plus de douze mois après la saisine
du juge650 ; tandis que l’autre l’a été plus de quatorze mois après l’introduction du
recours651.

L’importance de ces délais ne peut pas simplement s’expliquer par


l’engorgement du prétoire. Il y a aussi, et surtout, le fait que le juge traite les
demandes de référé comme s’il s’agissait des demandes de fond. C’est ainsi qu’il
applique généralement, sauf exception, les principales règles classiques de
l’instruction - échanges de mémoires entre les parties - et du jugement - audience et
délibéré -. L’affaire Kenkeu Théophile en est l’illustration parfaite. Son originalité est
d’avoir fait l’objet non pas d’une ordonnance mais d’un jugement. Instruite selon les
règles classiques, son jugement a mobilisé toute la Chambre administrative dans sa
composition statutaire, a donné lieu à une audience publique avec débats et audition
des conclusions – et non des réquisitions comme c’est le cas en matière de référé –
du Ministère public, suivie d’un délibéré. Bien qu’il s’agisse de la seule espèce ayant
été organisée et présentée sous cette forme en matière de référé, elle apporte, tout
de même, la preuve que le traitement des affaires urgentes selon les règles et
modalités classiques a une influence certaine sur le cadre temporel de l’instance.

648
En ce sens, ordonnance n°39/OSE/PCA/CS/00-01 du 05 avril 2001.
649
En ce sens, ordonnance n°38/OSE/PCA/CS/00-01 du 5 avril 2001.
650
V. jugement n°7/CS/CA/91-92 du 28 novembre 1991, Kenkeu Théophile contre Etat du Cameroun.
651
V. ordonnance de référé n°77/OR/PCA/CA /97-98.

158
En définitive, le temps mis par le juge pour statuer prolonge de façon
excessive les procédures d’urgence accessoires ; Par ailleurs, la rétractation des
mesures provisoires, qui ne sont pourtant édictées que pour préserver les droits des
parties dans l’attente du règlement du litige au fond, pose problème. En effet, faut-il
rétracter une décision qui de toutes les façons finira par perdre ses effets dès
l’édiction et la notification aux parties de la décision au fond ? On est tenté de
répondre par la négative. Mais lorsqu’on sait qu’il existe des ordonnances de sursis
et de référé qui ont été rendues sans que le recours au fond ait été introduit et que,
par ailleurs, il en est d’autres qui ont été rendues et que l’instance au fond est
pendante depuis des années devant le juge administratif, on est plus réservé sur la
réponse à donner.

Ainsi, le référé et le sursis sont détournés de leur finalité. Mais, l’importance


que les parties leur accordent est telle que l’Assemblée Plénière est sollicitée par la
voie d’appel. Il s’avère cependant que cette dernière statue de façon contingente,
sans considération de l’urgence.

PARAGRAPHE 2 : L’APPRECIATION CONTINGENTE DE L’APPEL PAR


L’ASSEMBLEE PLENIERE

Dans le Traité de procédure civile de Glasson , Morel et Tissier, l’appel est


défini comme « la voie de recours par laquelle une partie défère un jugement rendu
contre elle au juge du degré supérieur et en demande la réformation »652.

De façon plus précise, l’ appel « est une voie de recours dirigée contre un
jugement rendu en premier ressort afin d’obtenir de la juridiction à laquelle il est
adressé qu’elle censure ce jugement et adopte une nouvelle décision sur le litige
auquel il a donné lieu »653. Il s’agit donc d’une voie de réformation qui fait bénéficier
les justiciables d’un double degré de juridiction en portant les procès « devant un
juge supérieur »654.

Considéré comme « une des garanties majeures du justiciable »655, le double


degré de juridiction est consacré par l’article 14 de l’ordonnance n°72/06 du 26 août
1972 et l’article 122 de la loi 75/17 du 8 décembre 1975 au terme duquel « les

652
Cité par Paul Louis-Lucas, « Recours pour excès de pouvoir et double degré du juridiction », D., Chr. 1975,
p.116.
653
G. Vedel et P.Delvolvé; op. cit.. p. 312.
654
P. Louis-Lucas, op. cit. p 116.
655
Roger Gabriel Nlep, L’administration publique camerounaise, Paris LGDJ, 1986, p. 368.

159
jugements rendus par la Chambre administrative sont susceptibles d’appel devant
l’Assemblée plénière de la Cour Suprême ».

Le législateur camerounais a attaché un certain nombre d’effets à l’appel : il


est suspensif656 et dévolutif657. Il est suspensif en ce qu’il interrompt provisoirement
les effets de la décision rendue par la Chambre administrative. Il est dévolutif parce
qu’il donne à l’Assemblée plénière « le droit de juger à nouveau totalement le
litige »658, mais dans le strict respect de ce qui a été jugé en première instance.

Il se dégage de ce qui précède que l’appel consacré par le législateur


camerounais est formé contre les jugements rendus par la Chambre administrative
et non contre les ordonnances de sursis ou de référé rendues par le Président de
ladite Chambre. Le double degré de juridiction est-il donc possible ou obligatoire en
matière de sursis et de référé ?

D’après le Conseil d’Etat français, « en l’absence de toutes dispositions


prévoyant que les décisions sont susceptibles d’appel », celles-ci sont réputées être
rendues en premier et dernier ressort et susceptibles du seul recours en cassation659.

Malgré l’impératif de célérité, le juge administratif camerounais n’a pas exclu


l’appel dans les procédures d’urgence accessoires. C’est ainsi que l’Assemblée
plénière admet les appels interjetés contre les ordonnances de sursis et de référé
rendues par le Président de la Chambre administrative. Mais, lorsqu’elle les reçoit,
elle les examine de façon contingente et applique, non pas des règles de procédure
spécifiques qui prennent en compte l’urgence, mais celles prévues pour le traitement
des litiges au fond (A). Aussi, la durée de l’instance d’appel ne connaît pas de limite
et la tendance est au déni de justice (B).

656
L’article 14 al .5(nouveau) de l’ordonnance n°72/ 06 du 26 août 1972 dispose que « l’appel sauf décision
contraire de l’Assemblée plénière suspend l’exécution » (de la décision de la Chambre administrative).
657
L’article 14 al 4 (nouveau) de l’ordonnance n° 72/06 parle d’« un effet dévolutif général ».
658
Maxime Letourneur, « L’effet dévolutif de l’appel et l’évolution dans le contentieux administratif », EDCE
n°21 , 1968, p.60.
659
V. CE , 6 juin 1949, Favret, Rec., p. 288.

160
A. L’APPLICATION DES REGLES CLASSIQUES REGISSANT L’APPEL

Il se dégage de l’examen des arrêts rendus par l’Assemblée plénière en


matière de sursis et de référé qu’elle applique les conditions et les règles classiques
de recevabilité et d’examen des recours en appel en matière administrative. Elle ne
fait donc pas de distinction entre les recours au fond et les recours accessoires. Les
recours en réformation des ordonnances de sursis et de référé ne bénéficient donc
pas d’un régime d’urgence quant à leur recevabilité, leur instruction et leur jugement.

1. La recevabilité de l’appel en matière de sursis et de référé

L’Assemblée Plénière a eu à se prononcer sur les conditions de recevabilité


tels que la production du mémoire ampliatif et le respect des délais d’introduction de
l’appel, tant en matière de sursis et qu’en matière de référé.

a. La production du mémoire ampliatif

Dans une espèce rendue en matière de sursis le 27 avril 2000660,


l’Assemblée Plénière a déclaré l’appel irrecevable pour défaut de production de
mémoire par l’Etat, partie appelante. En effet, l’article 28 al. 1 de la loi n°75/017 du 8
décembre 1975 dispose que «dans les trente jours de la déclaration du recours, le
demandeur ou l’avocat constitué dépose au greffe de la Cour Suprême, ou adresse
au greffier en chef par voie postale un mémoire ». L’Etat avait, certes, déposé son
recours en appel, mais plus de trente jours après, il n’avait pas déposé son mémoire.
Invité par le juge à le régulariser, conformément à l’article 34.1 de la loi n°75/17, il ne
l’a pas fait.

Il en a été de même dans une espèce rendue en matière de référé le 23


novembre 2000661.

Dans une espèce ultérieure rendue en matière de référé662, l’Assemblée


plénière a prononcé la déchéance contre l’Etat appelant au motif qu’il n’avait pas
déposé son mémoire ampliatif. Mais, dans une espèce rendue après que l’Etat s’est
conformé à cette exigence, elle a pris un arrêt de rabat de la déchéance en indiquant

660
CS/AP, arrêt n°5/A du 27 avril 2000, Etat du Cameroun contre Etokè Joël.
661
CS/AP, arrêt n°8/A du 23 novembre 2000, Etat du Cameroun contre Collectivité de Maképé.
662
CS/AP, arrêt n°1/A du 16 février 1989, Etat du Cameroun contre succession Roggow.

161
que l’instruction du recours allait se poursuivre663. En fait, dans cette espèce, la
régularisation a eu lieu à l’initiative du Président de la Cour Suprême, conformément
à l’article 34 de la loi n°75/17 du 8 décembre 1975 qui dispose que si le demandeur
ne s’est pas conformé aux prescriptions relatives aux conditions et modalités de
dépôt du mémoire, « le Président l’invite à régulariser son recours dans un délai de
quinze jours à peine d’irrecevabilité ».

Si le requérant peut être invité à régulariser son recours, celui-ci doit avoir été
déposé dans le délai légal d’appel.

b. Le délai d’appel

D’après l’article 14 (nouveau) al 4 de l’ordonnance n°72/06, « l’appel doit, à


peine de forclusion, être formé avant l’expiration d’un délai de deux mois suivant
notification de la décision de la Chambre administrative ». Le délai d’appel ainsi
prescrit par le législateur a « un caractère impératif »664. il ne peut donner lieu à
prorogation. En la matière, le juge est très rigoureux. Tout recours introduit hors délai
est systématiquement rejeté.

Ainsi, dans l’affaire Etat du Cameroun contre Nyam Charles du 18 avril


1996665, l’Etat a vu son recours en appel rejeté parce qu’il l’a introduit hors délai. En
l’espèce, l’Etat sollicitait la réformation de l’ordonnance n°16/OSE/CS/PCA/93-94 du
25 mars 1994 par laquelle le juge avait suspendu l’exécution de la décision du
Ministre de l’Enseignement Supérieur excluant le sieur Nyam de tous les
établissements des Institutions universitaires du Cameroun.

Autant le juge applique les conditions traditionnelles de recevabilité de l’appel


aux recours introduits en matière de sursis et de référé, autant il instruit et juge ces
recours selon les règles applicables aux litiges classiques.

663
CS/AP, arrêt n°1/A du 2 novembre 1989, Etat du Cameroun contre Succession Roggow.
664
R.G. Nlep, op. cit., p. 369.
665
CS/AP, arrêt n°18/A du 18 avril 1996, Etat du Cameroun contre Nyam Charles.

162
2. L’instruction et le jugement de l’appel en matière de sursis et de référé

Il ressort des arrêts rendus par l’Assemblée Plénière en matière de sursis et


de référé, d’une part, que l’instruction de l’appel est menée de façon approfondie
comme le sont les appels interjetés dans les matières classiques , et , d’autre part,
que le jugement est prononcé selon les règles de droit commun.

a. L’instruction de l’appel

Lorsque le dossier est en l’état, le Président de la Cour Suprême ordonne la


communication au défendeur des copies du recours, du mémoire et des pièces
annexées. Cette communication se fait par le truchement du greffier en chef de la
Cour Suprême. Le défendeur doit, dans les trente jours, déposer son mémoire en
défense au greffe de ladite Cour666. Ce mémoire est transmis au demandeur pour
son mémoire en réponse. Le demandeur et le défendeur ont 15 jours pour déposer,
respectivement, leur mémoire en réponse et en réplique667.

Ainsi, la contradiction est pleinement respectée dans l’instruction des recours


en appel en matière de sursis et de référé eu égard aux échanges de mémoires
ampliatifs, en réponse et en réplique, qui ont lieu entre les parties, sous la direction
du Président de la Cour Suprême. Ce n’est qu’après ces échanges que « le
Président désigne un rapporteur et lui transmet le dossier »668.

Le rapporteur désigné « peut mettre les parties en demeure de fournir dans le


délai de quinze jours toutes explications écrites ou tous documents dont la
production lui paraît nécessaire pour la solution du litige » ; ceux-ci sont, à la
diligence du greffier en chef de la Cour suprême, notifiés « aux autres parties en
cause, qui ont un délai de quinze jours pour les discuter »669.

Le rapporteur assure ainsi la poursuite de la contradiction engagée par le


Président de la Cour Suprême. C’est à l’issue de cet échange qu’il rédige son rapport
et le remet, avec l’ensemble du dossier, au greffe de la Cour Suprême qui se charge
de transmettre le dossier de l’affaire au Procureur Général près la Cour Suprême
pour la rédaction de ses conclusions.

666
V. article 28 al. 1 de la loi n°75/017.
667
V. article 38 al. 2 de la loi n°75/017.
668
Article 40 al c.1 de la loi n°75/017.

163
Le Procureur Général doit, en principe, dans les trente jours de la
transmission dudit dossier le rétablir « au greffe avec ses conclusions et ses
propositions pour l’inscription de l’affaire au rôle »670. Cette inscription est arrêtée
par le Président de la Cour Suprême. Le greffier en chef se charge alors d’envoyer
aux parties ou à leurs représentants « une convocation qui précise la date et l’heure
de l’audience à laquelle » l’ « affaire est appelée »671 pour être jugée.

b. Le jugement de l’appel

C’est l’Assemblée plénière, organe collégial constitué conformément à l’article


11.1 de l’ordonnance n°72/06 du 26 août 1972 672 qui juge les appels interjetés en
matière de sursis et de référé. Les audiences, dites « ordinaires », sont publiques. Le
huis clos peut être ordonné d’office ou à la demande d’une partie « pour toute partie
des débats lorsque la publicité paraît dangereuse pour la sûreté de l’Etat, l’ordre
public ou les bonnes mœurs »673. Mais, en général, les audiences sont publiques et
donnent lieu aux auditions des parties et aux débats.

C’est pendant l’audience que la Cour entend la lecture par le rapporteur de son
rapport ainsi que les conclusions du Procureur Général ou de son représentant. A l’issue
de l’audience, au vu des mémoires ampliatifs, en réponse et en réplique produits par les
parties, l’Assemblée Plénière, après avoir délibéré – conformément à la loi – rend « en
audience publique ordinaire »674 son arrêt. Mais pour en arriver là, elle met plusieurs mois,
voire plusieurs années. Qui plus est, il existe des appels – assez nombreux – qui n’ ont
jamais été examinés ou inscrits au rôle, alors qu’ils ont été introduits il y a belle lurette . Il
s’agit d’une situation constitutive de déni de justice.

669
Article 40 al 2 de la loi n°75/017.
670
Article 41 al 2 de la loi n°75/017
671
article 43 al. 3 de la loi n°75/017.
672
D’après cet article, l’Assemblée plénière, juge d’appel en matière administrative, comprend cinq magistrats,
membres de la Cour Suprême, à l’exception de celui ou de ceux d’entre eux qui auraient participé au jugement
de l’affaire en première instance ; le Procureur Général ou l’Avocat Général près la Cour Suprême ou un
Substitut du Procureur Général près ladite Cour ; le greffier en chef de la Cour Suprême.
673
Article 44 al. de la loi n°75/017.
674
En ce sens, voir en matière de référé, CS/AP, arrêt n°5/A du 21 novembre 1985, affaire Procureur Général
Cour Suprême contre Sighoko Fossi Abraham.

164
B. UNE DUREE D’INSTANCE D’APPEL CONSTITUTIVE DE DENI DE
JUSTICE

Devant l’Assemblée plénière de la Cour Suprême, l’urgence ne perd pas


seulement de son intensité, mais aussi et surtout de sa substance. En effet, les
matières de sursis et de référé sont complètement dépouillées de leur particularité.

En plus du fait que c’est une formation collégiale normale de la juridiction


administrative qui statue, l’appel est examiné suivant la procédure traditionnelle,
source principale de ralentissement et de blocage de l’instance d’appel675. La
situation est telle qu’elle est constitutive de déni de justice.

Le Doyen L. Favoreu définit le déni justice comme « un manquement de l’Etat


à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu »676 qu’il distingue bien d ’ « un
manque du juge à sa mission »677. On peut considérer comme tel « un retard
anormal mis par une juridiction à rendre sa décision, car indépendamment de toute
défaillance personnelle du juge, ce retard traduit une mauvaise organisation ou un
mauvais fonctionnement de la justice »678.

Dans un jugement rendu le 6 juillet 1994679, le Tribunal de Grande Instance de


Paris a consacré cette définition du déni de justice. C’est ainsi que pour cette
juridiction, « il faut entendre par déni de justice non seulement le fait de ne pas
répondre aux requêtes ou le fait de négliger de juger les affaires en état de l’être,
mais aussi plus largement, tout manquement de l’Etat à son devoir de protection
juridictionnelle de l’individu ».

Cette appréhension du déni de justice répond parfaitement au sort réservé par


l’Assemblée plénière de la Cour Suprême aux appels interjetés contre les
ordonnances de sursis et de référé. En effet, la durée excessive de l’examen de
certains recours le dispute au retard anormal à statuer sur d’autres recours.

675
Dénoncé par M.Waline dans le contexte français, v. RDP, 1973, p 1064-, elle est la source de non lieu à
statuer au cas où le tribunal administratif tranche le fond avant que le juge d’appel se soit prononcé sur le sursis :
CE 27 mars 1963, Ville de Cherbourg, Rec., p. 960 ; CE, 24 février, 1959, Secrétaire d’Etat à la reconstruction
contre Boissmery, Rec., p. 149.
676
Louis Favoreu, Du déni de justice en droit public français, Paris LGDJ, 1964, p. 534.
677
Ibid.
678
Gérard Pluyette et Pascal Chauvin, in JurisClasseur de procédure civile, Fasc. 74 (daté 6/1993), cité par L.
Favoreu, « Résurgence de la notion de déni de justice et droit au juge », Mélanges Jean Waline, Paris, Dalloz,
2002, p.515.
679
V. Gaz. Pal., 25 août 1994, p. 589, Note Serge Petit.

165
Quant à l’affaire Ngassam Thomas Débonnaire685, l’arrêt de l’Assemblée
plénière y relatif est intervenu près de onze (11) ans après qu’elle a été saisie. En
effet, saisie le 21 janvier 1990, elle a statué le 4 janvier 2001.

En ce qui concerne l’affaire Etat du Cameroun contre Collectivité de Maképé


II, saisie le 25 février 1994, l’Assemblée plénière a rendu son arrêt le 23 novembre
2000, soit plus de six (06) ans après.

Enfin, pour l’affaire Sienche Maurice et autres contre Etat du Cameroun686, le


juge d’appel a mis plus de trois (03) ans et demi pour rendre son arrêt qui est
intervenu le 27 juin 1996.

Si la durée d’examen de certains recours en appel par l’Assemblée plénière


participe, par son ampleur, de la déconsidération de l’urgence inhérente au référé et
au sursis, la récurrence des retards anormaux mis par la même juridiction pour
statuer sur d’autres recours en constitue la remise en cause radicale.

2. La récurrence des retards anormaux à statuer687

Les retards mis par l’Assemblée plénière pour statuer sur les recours en appel
en matière de sursis et de référé constituent la forme presqu’ achevée de déni de
justice. Il en est ainsi de cinq (05) recours en appel introduits depuis plusieurs
années et qui n’ont jamais été jugés.

A la lecture des registres du greffe de la Cour Suprême, on se rend compte


que des dossiers ont été communiqués au Président de ladite Cour pour désignation
de rapporteur. Parmi ces dossiers, trois sont relatifs aux appels interjetés contre des
ordonnances de sursis et deux concernent les appels introduits contre des
ordonnances de référé.

a. Les retards anormaux à statuer sur les appels en matière de sursis

Relativement aux retards anormaux à statuer en matière de sursis, on a


l’appel de l’Etat interjeté le 25 mars 1992 contre l’ordonnance n°04/OSE/PCA/91-92

685
CS/AP, arrêt n° 28/A du 4 janvier 2001, Ngassam Thomas Débonnaire contre Etat du Cameroun.
686
CS/AP, arrêt n°29/A du 27 janvier 1996, Sienche Maurice et autres contre Etat du Cameroun.
687
Les informations et données produites sur ce point ont été recueillies au greffe de la Cour Suprême au courant
de l’année 2002. Il est donc possible que les choses aient évolué entre temps ; mais cette évolution n’est pas de
nature à remettre en cause l’idée centrale relative au déni de justice.

167
du 4 février 1992. Le dossier relatif à ce recours a été communiqué au Président de
la Cour Suprême pour désignation du rapporteur le 10 juin 1994, soit deux ans après
son introduction, mais, jusqu’à la fin de l’année 2002, l’affaire n’était pas encore
jugée, c’est-à-dire près de huit ans après la transmission du dossier au Président de
la Cour Suprême, et dix ans après l’introduction de l’appel.

On a, ensuite, l’appel de l’Etat introduit le 12 mai 1992 contre l’ordonnance


n°10/OSE/PCA/CS/91-92 du 17 mars 1992 dont l’ensemb le du dossier a été
communiqué le 19 juillet 2000 au Président de la Cour Suprême pour désignation du
rapporteur ; mais, jusqu’à la fin de l’année 2002, il n’avait pas encore fait l’objet de
jugement. Ainsi, il a fallu attendre plus de huit ans pour que le dossier de l’affaire soit
communiqué au Président de la Cour Suprême et plus de dix ans après, l’affaire
n’était toujours pas inscrite au rôle.

On a, enfin, l’appel introduit par l’Union des Populations du Cameroun par le


biais de son conseil le 15 mars 1994 contre l’ordonnance n°04/OSE/PCA/CS/93-94
du 19 octobre 1993 dont le dossier a été communiqué au Président de la Cour
Suprême pour désignation du rapporteur le 17 février 1997 mais qui, jusqu’à la fin
de l’année 2002, n’était toujours pas jugé. C’est plus de trois ans après que le
dossier de l’affaire a été transmis au Président de la Cour Suprême et jusqu’à la fin
de l’année 2002, soit plus de cinq ans près la communication du dossier à ce dernier
et huit ans après l’introduction de d’appel, l’Assemblée Plénière n’avait pas encore
statué. Le scénario est identique en matière de référé.

b. Les retards anormaux à statuer sur les appels en matière de référé

Relativement aux retards anormaux à statuer en matière de référé , on a,


d’abord, un appel interjeté le 27 octobre 1997 contre l’ordonnance de référé
n°02/OR/PCA/CS/97-98 du 2 octobre 1997 dont le doss ier n’a été communiqué au
Président de la Cour Suprême pour désignation du rapporteur que le 15 novembre
2000, soit plus de trois ans après son introduction ; mais, jusqu’à la fin de l’année
2002, c’est-à-dire deux ans après la transmission du dossier au Président de la Cour
Suprême et six ans après l’exercice de l’appel, l’Assemblée n’avait pas toujours
statué.

168
On a, ensuite, un appel introduit le 11 mars 1998 contre l’ordonnance de
référé n°40/OR/PCA/CS/97-98 du 5 mars 1998 dont le dossier n’a été communiqué
au Président de la Cour Suprême que le 15 novembre 2000 pour désignation du
rapporteur, soit plus de deux ans après cet appel et jusqu’à la fin de l’année 2002,
c’est-à-dire près de quatre ans après son exercice, cet appel n’était toujours pas
jugé.

CONCLUSION DU TITRE I

En principe, le caractère accessoire des procédures de sursis et de référé


devait se traduire par un allègement de la procédure, l’objectif étant de protéger
provisoirement et rapidement, en attendant l’édiction des mesures définitives, les
droits et intérêts des justiciables qui risquent, du fait de l’écoulement du temps, d’être
irrémédiablement préjudiciés. Mais, la pratique contentieuse et les décisions rendues
par le juge administratif camerounais prennent très peu en compte cette donnée. La
considération de l’urgence en ces matières est contingente et se traduit par la
fluctuation du contrôle de la recevabilité des demandes de sursis et de référé et par
l’instabilité de leur instance d’examen. Il s’avère, en effet, que les conditions de
recevabilité de ces demandes sont très diversement appréciées par le juge qui ne
prend en compte l’urgence qu’au coup par coup. Par ailleurs, il n’assure pas la
célérité et la sérénité de l’instance d’examen de ces demandes. De fait, au niveau de
cette instance, il ne remplit pas comme il se doit sa « mission de gestion de
l’urgence »688, car elle se caractérise par une instabilité formelle et temporelle tant
dans sa phase initiale que dans sa phase dérivée.

Que dire en définitive ? Il est important que le juge administratif camerounais


statuant en premier ressort et en appel ait toujours présent à l’esprit le fait que le
sursis à exécution et le référé administratif sont des procédures d’urgence dont la
mise en œuvre doit être objectivement allégée et méthodiquement accélérée. Par
ailleurs, il faut qu’il parvienne à un équilibre approprié entre le temps à consacrer,
d’une part, au traitement des demandes de sursis et de référé, et, d’autre part, au
règlement au fond des litiges, « dans un délai raisonnable eu regard aux

688
J. Morand-Deviller, « Le contrôle de l’administration : la spécificité des méthodes du juge administratif et du
juge judiciaire », op. cit., p.190.

169
caractéristiques propres de chaque catégorie de contentieux »689 . Il est un fait
aujourd’hui que « la demande sociale d’effectivité réelle et rapide de la décision du
juge s’accroît »690 . C’est pourquoi les pouvoirs publics camerounais ont aménagé
d’autres procédures dites spéciales au niveau de la procédure administrative
contentieuse pour que le juge administratif statue dans des délais relativement brefs
sur des affaires dont le caractère urgent est avéré. Mais, la considération par lui de
l’urgence dans ces procédures est, comme dans les procédures accessoires,,
contingente.

689
Marie-Aimée Latournerie, « Réflexions sur l’évolution de la juridiction administrative française », RFDA,
n°16, 2000, p.928.
690
Ibid., p. 926.

170
TITRE II

LA PRISE EN COMPTE CONTINGENTE DE


L’URGENCE DANS L’APPLICATION DES
PROCEDURES CONTENTIEUSES SPECIALES

171
A la différence des procédures contentieuses accessoires qui sont annexes à
la procédure principale, les procédures contentieuses spéciales sont une
composante de la procédure contentieuse mais dont certaines règles dérogent à
celles de la procédure normale ou ordinaire dans le but de l’alléger et permettre au
juge de statuer rapidement pour éviter que l’écoulement du temps ne porte
définitivement atteinte aux droits et intérêts du requérant. Ces procédures concernent
des matières limitativement déterminées par le législateur et le Pouvoir
réglementaire.

Il résulte de la pratique juridictionnelle que la mise en œuvre des procédures


contentieuses spéciales ne prend pas toujours en compte l’urgence qui en est le
fondement et la finalité. En effet, leur application se caractérise par la fluctuation du
contrôle de la recevabilité des demandes (Chapitre I) et par un alourdissement de
l’instance contentieuse (Chapitre II).

172
CHAPITRE I

LA FLUCTUATION DU CONTROLE DE LA
RECEVABILITE DES DEMANDES

173
L’institution des procédures d’urgence spéciales ne remet pas en cause toutes
les conditions d’introduction de la demande devant le juge administratif. Aussi, bien
que devant statuer rapidement, le juge est généralement amené à examiner la
demande sur le plan de la recevabilité, comme il le fait dans le cadre de la procédure
contentieuse normale. Il en examine ainsi la recevabilité externe (section I) et la
recevabilité interne (section II). Ce contrôle, qui est fonction de chaque cas d’espèce,
est essentiellement fluctuant. Il traduit à la fois la démarcation et le rapprochement
des procédures d’urgence spéciales de la procédure contentieuse ordinaire et
permet d’appréhender l’étendue et les limites de la prise en compte de l’urgence par
le juge administratif camerounais.

SECTION I : L’APPRECIATION DE LA RECEVABILITE EXTERNE DES


DEMANDES

L’examen de la recevabilité externe des demandes dans le cadre des


procédures d’urgence spéciales se rapproche et se démarque de celui effectué par
le juge dans le cadre de la procédure contentieuse normale. Dans certains cas, les
règles que le juge applique leur sont propres ; dans d’autres cas, ce sont celles qu’il
applique lors de l’examen de la recevabilité externe des demandes dans la
procédure contentieuse normale.

L’examen des décisions rendues dans des matières soumises aux procédures
d’urgence spéciales montre que l’application par le juge des règles relatives à la
recevabilité externe des demandes est fluctuante. Il en est ainsi lorsqu’il détermine
la qualité pour agir (§ 1), vérifie la conformité des recours aux délais contentieux (§
2), et exige la production des éléments annexes de la demande (§ 3).

PARAGRAPHE I : LA DETERMINATION DE LA QUALITE POUR AGIR

La qualité est une notion polysémique691. La doctrine lui attribue trois sens,
sans compter le sens commun. Le premier sens « recouvre la qualité à agir pour le
compte d’autrui et n’a un sens que par rapport à la notion de représentation »692.

691
V. M. Courtin, « Intérêt et qualité pour agir », J.-Cl. Dr. Adm, 1993, n° 51 et P. Charlot, « L’actualité de la
notion de "" qualité donnant intérêt à agir », RFDA, 1996, p. 481.
692
P. Charlot, ibid.

174
La qualité peut aussi « recouvrir la situation juridique du demandeur, le titre en
vertu duquel il peut engager le procès »693. Enfin, c’ est « le pouvoir de saisir le juge
et de l’obliger à statuer sur le bien- fondé de la demande »694.

Ainsi entendue, « la qualité concerne indubitablement le pouvoir d’action, dès


lors que l’on admet que ce pouvoir est précisément celui d’obtenir du juge qu’il
statue sur le fond d’un litige »695.

Il apparaît donc que la qualité est une condition de recevabilité tenant à la


personne du requérant696. Elle lui permet de plaider devant le juge.

Dans le cadre des procédures d’urgence spéciales, le juge camerounais a eu


à déterminer la qualité pour agir en matière de contentieux électoral municipal.

Comme l’écrit E. Laferrière, « le droit de réclamer contre les élections doit être
largement accordé à tout le corps électoral, il doit l’être aussi à l’administration, non
dans l’intérêt de ses préférences, mais dans un intérêt supérieur de la légalité et de
bon ordre »697. Ce droit appartient à tout électeur de la commune où se fait
l’élection ; il appartient également à tout candidat698. Peut-il appartenir aussi à tout
candidat ou individu « même s’il n’est pas électeur dans la circonscription »699 alors
même que la loi ne lui a pas explicitement reconnu ce droit ? Le Conseil d’Etat
français l’a admis pour le candidat non électeur en indiquant que ce droit résulte de
sa qualité de partie intéressée700. Sur cette question, la position du juge administratif
camerounais n’est pas définitivement établie. Si dans certains cas il détermine de
façon stricte la qualité pour former une réclamation ou une protestation contre les
opérations relatives aux élections au sein de la commune (A) ; dans d’autres cas, par
contre, il le fait de façon extensive (B).

693 693
Ibid., pp. 481-482.
694
M. Laligant, « La notion d’intérêt pour agir et le juge administratif », RDP, 1971, p. 50.
695
- Cl. Giverdon, « La qualité, condition de recevabilité de l’action en justice », D.I, 1952, p.85 ; V. aussi
Morel, Traité élémentaire de la procédure civile, 2e éd., Paris, 1949, n° 22.
696
Cl. Giverdon, op. cit., p. 85 Marie-Christine Rouault, Contentieux administratif, Paris, Gualino Editeur, 2000,
p. 180.
697
E. Lafferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, préface R. Drago, T1, Paris,
LGDJ , 1989 ,p .325.
698
V. article 33 de la loi n° 92/002 du 14 août 1992.
699
E. Laferrière op. cit.
700
CE, 20 Juin 1865, El. De Fresnes, v. E . Laferrière, ibid.

175
A. UNE DETERMINATION STRICTE DE LA QUALITE POUR AGIR

La qualité pour agir en matière électorale est attribuée par la loi à certaines
catégories de requérants. En principe, cette qualité « leur est confiée pour défendre
l’intérêt public qui s’attache au respect de la démocratie, plus que pour l’intérêt privé
qui peut s’y trouver mêlé »701. C’est ainsi qu’en application des prescriptions
législatives, le juge camerounais détermine de façon stricte la qualité pour contester
les opérations relatives aux élections des conseillers municipaux et à l’élection de
l’exécutif municipal.

1. La qualité pour contester les opérations relatives aux élections des


conseillers municipaux

Dans le cadre du contentieux des opérations relatives aux élections des


conseillers municipaux, le juge a eu à se prononcer sur le point de savoir si un
candidat ou un mandataire d’un parti pouvait saisir le juge administratif pour solliciter
la disqualification d’une liste ou l’annulation des opérations électorales pour fait de
diffamation. Il s’est également prononcé sur le point de savoir si le Président d’une
Commission Communale de Supervision avait qualité pour solliciter auprès de lui la
disqualification d’une liste après la proclamation des résultats du scrutin par sa
commission. Dans ces deux cas, il a dénié aux requérants la qualité pour agir.

a. La qualité pour contester la régularité des opérations relatives à


l’élection des conseillers municipaux en cas de diffamation

Dans deux espèces rendues respectivement le 19 avril 1996702et le 09 mai


1996703, le juge indique que conformément à la loi, seul le Préfet est habilité à le
saisir en cas de faits diffamatoires imputables à un candidat. En effet, la loi prescrit
que si « la victime des faits diffamatoires peut par requête et sans préjudice de
poursuites pénales contre l’auteur et/ou les complices, en saisir la Commission

701
J- C Masclet, Droit électoral, Paris, PUF, 1989, p.27.
702
CS/CA, jugement n° 29/95-96 du 19 avril 1996, affaire RDPC (Rassemblement Démocratique du Peuple
Camerounais) (C.U. d’Edéa) contre Etat du Cameroun.
703
CS/CA, jugement n° 34/95-96 du 19 mai 1996, affaire PDC (Parti des Démocrates Camerounais) contre Etat
du Cameroun.

176
locale de supervision »704, « (…) au cas où le candidat auteur des faits est élu avant
que la Commission Locale de Supervision ne statue sur son cas, la décision
intervenue est transmise par le Préfet dans les 10 jours qui suivent la proclamation
des résultats à la juridiction administrative compétente pour disqualification
éventuelle du candidat élu »705. Ainsi, la victime du fait diffamatoire706 ou son
mandataire707 ne peut pas saisir directement le juge administratif. Une telle saisine
est irrecevable pour défaut de qualité.

b. La qualité pour solliciter la disqualification d’une liste après la


proclamation des résultats du scrutin

D’après les articles 26 et 27 de la loi 92/002 du 14 août 1992, le recours


portant contestation de la décision d’acceptation ou de rejet d’une candidature ou
d’une liste de candidats peut être introduit par le candidat, le mandataire de la liste
intéressée ou de toute autre liste et par tout électeur inscrit sur les listes électorales
devant la Commission communale de Supervision. Celle-ci décide de la régularité ou
de la disqualification du candidat ou de la liste contestée, conformément à l’article 12
alinéa 2, § 5 de la loi n°92/002.

Au regard de ce qui précède, le président d’une CCS n’est pas habilité à saisir
le juge administratif après que sa commission a proclamé les résultats de scrutin
pour solliciter la disqualification d’une liste. C’est ce qu’a décidé le juge dans l’affaire
Enandjoum Bwanga (PCCS) (C.R de N’ Samba), RDPC du 09 mai 1996708. En
l’espèce, le Président de la CCS avait saisi le juge au motif que la liste en cause,
portée très tardivement à la connaissance de sa commission, ne respectait en rien
les prescriptions ayant présidé à la confection des listes et l’investiture même des
candidats et que le parti qui l’avait investie n’avait pas battu campagne dans la
commune de son ressort.

Se référant à l’article 33 de la loi n° 92/002 qui dispose que « tout électeur et


tout candidat a droit d’arguer de nullité les opérations électorales de la commune

704
Alinéa 2 article 28 de la loi n° 92/002 du 14 août 1992 fixant les conditions d’élection des conseillers
municipaux.
705
Alinéa 3 article 28 de la loi n° 92/002 du 14 août 1992.
706
V. CS/CA, jugement n° 29/95-96 du 19 avril 1996, affaire RDPC (C.U d’Edéa) contre Etat du Cameroun.
707
V. CS/CA, jugement n° 34/95-96 du 09 mai 1996, affaire P.D.C contre Etat du Cameroun.
708
. CS/CA, jugement n° 33/95-96 du 09 mai 1996, affaire Enandjoum Bwanga (PCCS) (C.R. de N’samba),
RDPC contre Etat du Cameroun.

177
devant le juge administratif », le juge en a déduit que la requête du Président de la
CCS était irrecevable pour défaut de qualité. S’il l’intéressé l’avait fait en tant
qu’électeur, le juge aurait eu du mal à lui denier cette qualité ; d’abord, parce qu’il
n’est pas interdit au Président de la CCS d’être électeur dans la circonscription
électorale où intervient sa commission ; ensuite, parce qu’il résulte de la loi, comme
le dit le juge lui - même que « seul un électeur ou un candidat peut saisir le juge
administratif en annulation ».

Dans le cadre du contentieux de l’élection de l’exécutif communal, le juge a


également eu à déterminer de façon stricte la qualité des requérants pour le saisir.

2. La qualité pour contester l’élection de l’Exécutif municipal

D’après l’article 53 (nouveau) alinéa 1er de la loi n° 92/003 du 14 août 1992


modifiant certaines dispositions de la loi n° 74/23 du 5 décembre 1974 portant
organisation communale, « en cas d’irrégularités dans l’élection du Maire ou des
Adjoints, l’autorité administrative territorialement compétente ou un électeur de la
commune peut, dans les 10 jours qui suivent la session au cours de laquelle
l’élection est intervenue, saisir la juridiction administrative compétente en première
ressort aux fins d’annulation (…) ».

Il se dégage de cette disposition législative qu’ont qualité pour contester


devant le juge administratif l’élection de l’exécutif communal : l’autorité administrative
territorialement compétente - le Sous-Préfet ou le Préfet - et un électeur de la
commune. Pour cette élection, les électeurs directs sont les conseillers municipaux.
On ne peut donc pas leur denier la qualité pour la contester s’ils estiment qu’elle s’est
déroulée dans des conditions irrégulières. C’est ce qu’a décidé le juge dans l’affaire
conseillers municipaux de la commune rurale de Nanga-Eboko du 29 mars 1996709.
En effet, le représentant de l’Etat, défendeur en l’instance soutenait qu’en violation
flagrante des dispositions pertinentes de l’article 4 de la loi n° 75/17 du 8 décembre
1975 fixant la procédure devant la Cour Suprême statuant en matière administrative,
la requête introductive d’instance avait omis la mention des noms, prénoms,
profession et domicile de la partie demanderesse, ce qui l’assimile à une lettre

709
CS/CA, jugement n° 24/95-96 du 29 mars 1996, affaire Conseillers municipaux de la Commune rurale de
Nanga Eboko contre Etat du Cameroun.

178
anonyme, et que la fiche d’émargement jointe en souche à la dite requête ne pouvait
être créditée d’aucune valeur juridique parce que non légalisée et s’apparentant dès
lors à un simple tract. Le juge a rejeté ce moyen aux motifs, d’une part, que « (…) les
mentions de la requête introductive d’instance dont l’omission est alléguée par le
représentant de l’Etat figurent bien sur la fiche jointe à la dite requête, notamment les
noms et domiciles des recourants , ainsi que leur qualité de conseillers municipaux,
électeurs du scrutin attaqué, qualité requise aux termes de l’article 53 (nouveau)(1)
de la loi n° 92/003 du 14 août 1992 (…) », et, d’autre part, que la fiche en question
faisant partie intégrante de la même requête, la formalité de légalisation ne saurait lui
être imposée, l'article 34 de la loi n° 92/003 ayan t prescrit que le recours s’introduit
par simple requête.

La prise de position du juge en l’espèce est amplement justifiée et participe


d’une juste et saine application de la loi. En effet, il n’y a pas de doute qu’un
conseiller municipal est un électeur de la commune au sens de la loi.

Si dans cette espèce le juge a procédé à une détermination stricte de la


qualité pour agir, dans d’autres, par contre, il l’a fait de façon extensive.

B. UNE DETERMINATION EXTENSIVE DE LA QUALITE POUR AGIR

Le recours en matière électorale n’est pas l’exercice d’un droit privé710 . Il


s’agit d’une action ouverte dans l’intérêt public. C’est la raison pour laquelle « le
législateur a déterminé par avance les catégories de personnes qui ont qualité pour
agir »711. Ici, point n’est besoin de se préoccuper de l’intérêt particulier à agir dès lors
qu’un pouvoir d’ester en justice est attribué en raison de la personne. Ainsi, « dans le
contentieux électoral, le requérant n’a pas à démontrer l’avantage d’ordre pécuniaire
ou moral attendu de la décision du juge »712.

Il se dégage de la loi n° 92/002 que les personnes ayant qualité pour contester
les opérations relatives à l’élection des conseillers municipaux ont été limitativement
déterminées. Mais, dans la pratique, le juge a étendu cette qualité à d’autres
personnes juridiques.

710
J-C Masclet, op. cit., p.336.
711
Ibid.
712
Ibid., pp. 336-337.

179
1. L’attribution législative de la qualité pour agir

Aux termes de l’article 33 de la loi n° 92/002 du 1 4 août 1992, « tout électeur


et tout candidat a le droit d’arguer de nullité les opérations électorales de la
commune devant le juge administratif ». Ainsi, le droit électoral législatif lie le droit
d’agir à l’électorat et à l’éligibilité, sous réserve du recours pour disqualification d’un
candidat exercé par le Préfet au nom des pouvoirs publics au cas où, auteur de faits
diffamatoires, ce candidat est élu avant que la CCS n’ait statué sur son cas713. C’est
une conception « marquée d’individualisme puisqu’elle ignore les groupements »714,
tels les associations et partis politiques.

La loi n° 92/002 attribue donc de façon limitative le droit ou la qualité pour agir
dans le contentieux des opérations relatives à l’élection des conseillers municipaux.
Mais, la jurisprudence a procédé à une détermination extensive de cette qualité.

2. L’extension jurisprudentielle de la qualité pour agir

La conception retenue par le législateur relative à la qualité pour contester les


opérations relatives à l’élection des conseillers municipaux devrait conduire le juge
administratif à déclarer irrecevables les recours des personnes morales -tels les
associations et partis politiques ou leurs mandataires-, puisqu’ils ne sont ni électeurs
ni candidats. Ainsi, par exemple, un parti politique ou une association soutenant un
candidat n’a pas qualité pour déférer les opérations électorales au juge de l’élection.

Le juge administratif camerounais a, cependant, dans deux jugements rendus le


18 juillet 1996715, étendu la qualité pour le saisir en matière de contentieux électoral
municipal. Dans le premier jugement portant sur l’affaire UPC (CR/ Penka-Michel), il a
reconnu la qualité de candidat à un requérant, et de ce fait la qualité pour le saisir, alors
que l’intéressé n’était pas candidat à l’élection contestée mais mandataire de son parti, en
sa qualité de Président dudit parti et chargé de déposer la liste de ses candidats dans la
circonscription électorale où il sollicitait le suffrage de la population. C’est donc à cause

713
V. article 28 alinéa 3 articles 2 de la loi n° 92/002.
714
J-C Masclet, op. cit., p. 337.
715
CS/CA, jugement n° 40/95-96 du 09 juillet 1996, affaire UPC (CR/ Penka-Michel) contre Etat du
Cameroun et CS/CA, jugement n° 56/95-96 du 18 juillet 1996, affaire PAP (Parti d’Action Paysanne) CR/
Ngambe contre Etat du Cameroun.

180
d’une erreur d’appréciation des faits de l’espèce, que le juge a estimé que le recours de
l’intéressé ne porte « pas sur la représentation du parti dont il se réclame », alors même
que c’est à ce titre qu’il avait déposé la liste de candidats de son parti et qu’il contestait les
résultats du scrutin devant lui.

Dans le second jugement portant sur l’affaire PAP (CR/Ngambé), la partie


intervenante excipait l’exception d’irrecevabilité de la demande en annulation des
opérations électorales aux motifs qu’il s’agissait d’un recours anonyme formé en
infraction de l’article 4 de la loi n°75/17 du 8 dé cembre 1975 fixant la procédure
devant la Cour Suprême statuant en matière administrative et de l’article 33 de la loi
n°92/002 qui prescrivent, pour le premier, que l’au teur du recours doit y apporter
son identification : noms, prénoms, profession, domicile, et, pour le second, que la
saisine du juge administratif en matière de contentieux à la suite des élections
municipales n’est ouverte qu’aux candidats et aux électeurs de la circonscription.

Prenant à contre pied cette argumentation, le juge a estimé, en se référant au


recours de la partie requérante, que celle-ci s’est suffisamment identifiée, et, surtout,
que le défaut de qualité allégué n’était pas justifié. Pour lui, il résulte des dispositions
combinées des articles 19 et 22 de la loi n° 92/002 « que le candidat est intimement
lié au parti qui de ce fait ne saurait être exclu de la possibilité de solliciter l’annulation
des opérations électorales ». Le rejet du moyen allégué par la partie intervenante, en
l’espèce, est doublement contestable. D’abord, nulle part dans les articles 19 et 22 il
n’est fait mention du lien entre le candidat et son parti qui donnerait qualité pour agir
au parti. L’article 19 de la loi n°92/02 dispose en substance :
« (1) La déclaration prévue par la présente loi est accompagnée pour chaque
candidat :
a) d’un extrait d’acte de naissance (…) ;
b) d’un bulletin n°3 du casier judiciaire (…) ;
c) d’une déclaration par laquelle l’intéressé certifie sur l’honneur qu’il n’est
candidat que sur cette liste et qu’il ne se trouve dans aucun des cas
d’inéligibilité prévus par la présente loi ;
d) d’un certificat d’imposition ;
(2) La déclaration est également accompagnée d’une attestation par laquelle
le parti politique investit l’intéressé en qualité de candidat ».

181
Le lien que cet article établit entre le candidat et son parti politique est relatif à
l’investiture et ne concerne nullement la qualité pour agir du parti qui a investi le
candidat.

Quant à l’article 22 (nouveau), il dispose : « N’est pas recevable toute liste :

a) incomplète ;

b) non accompagnée des pièces énumérées à l’article 19 (…) ;

c) comportant des candidats non membres du parti concerné ».

Le problème traité par cet article est celui de l’appartenance du candidat au


parti politique qui l’a investi ; il n’implique en aucun cas le droit pour le parti politique
de contester les opérations électorales devant le juge administratif. Ensuite, et
surtout, l’article 33 de la loi 92/02 énonce clairement que c’est « tout candidat » et
« tout électeur » qui « a le droit d’arguer de nullité les opérations électorales de la
commune devant le juge administratif ». Or, un parti politique ne peut être ni électeur
ni candidat. Il n’a donc pas au regard de cette disposition législative qualité pour
contester les opérations électorales devant le juge administratif.

Cette analyse est d’autant plus défendable que la jurisprudence ainsi établie
en 1996 et selon laquelle les partis politiques pouvaient introduire des requêtes en
matière électorale a reviré en 2002 lors de l’examen des recours introduits au près
du juge administratif après les élections municipales du 30 juin 2002, « faisant en
sorte que tous les chefs de partis qui se sont fondés sur cette jurisprudence - de
1996 - soient déclarés irrecevables »716 pour défaut de qualité. Ce revirement a fait
dire, à un avocat, et à juste titre, qu’ « on aurait dû, dès le départ en 1996, ne s’en
tenir qu’à la lettre de la loi qui veut que seuls des candidats ou des électeurs
puissent contester la validité d’une élection municipale »717.

La détermination fluctuante de la qualité pour agir permet au juge de filtrer


l’accès au prétoire et participe de ce fait de la prise en compte contingente de
l’urgence dans l’application des procédures spéciales. Qu’en est-il de la vérification
de la conformité des recours aux délais légaux de saisine du juge ?

716
Me Nkouendjin Yonta Maurice, interview in Le Messager n° 1411 du lundi 09 septembre 2002, p. 3.
717
In Mutations n° 746 du jeudi 19 septembre 2002, p. 15.

182
PARAGRAPHE II : LA VERIFICATION DE LA CONFORMITE DES RECOURS
AUX DELAIS LEGAUX DE SAISINE DU JUGE

En règle générale, l’exercice d’un recours devant le juge administratif


camerounais est conditionné par l’introduction préalable d’un recours gracieux
auprès de l’autorité administrative compétente.

L’institution de ce recours « est une constante dans la brève histoire de la


procédure administrative contentieuse au Cameroun »718. L’ordonnance n° 72/06 du
26 août 1972 qui le prescrit est restée fidèle aux textes antérieurs719.

En tant que « mécanisme de déclenchement du procès »720 ou de la


procédure contentieuse, l’ exercice du recours gracieux est enfermé dans des délais
fixés par l’article 12 alinéa 3 de l’ordonnance n° 72/06 du 26 août 1972. D’après cet
article, en son alinéa 3, « le recours gracieux doit, à peine de forclusion être formé :

a) dans les deux mois de publication ou de notification de la décision


attaquée ;

b) en cas de demande d’indemnisation dans les six mois suivant la réalisation


du dommage ou sa connaissance ;

c) en cas d’abstention d’une autorité ayant compétence liée dans les quatre
ans à partir de la date à laquelle la dite autorité était défaillante ».

Ces délais ont un caractère impératif et leur non respect donne


systématiquement lieu au rejet du recours contentieux721. Ainsi, suivant qu’il est
formé ou non dans ces délais, il « bloque ou au contraire déclenche la phase
proprement contentieuse de la procédure »722.

Lorsque le recours gracieux est introduit, le demandeur doit considérer qu’il


est rejeté si l’autorité saisie a gardé le silence pendant un délai de trois mois. En cas
de demande en indemnisation, cette autorité dispose, après s’être le cas échéant,

718
M. Kamto, « La fonction administrative contentieuse de la Cour Suprême du Cameroun », op. cit., p. 42.
719
Notamment l’ordonnance n° 61/OF/6 du 4 octobre 1961 et les lois du 19 novembre 1965 et du 14 juin 1969
portant réforme du contentieux administratif sous la République Fédérale.
720
M. Kamto, op. cit., p. 43.
721
V., par ex., CFJ/ CAY, arrêt n°137 du 26 juin 1971, Alaï Belobo Nestor contre Etat du Cameroun ; CS/CA,
jugement n°8 du 25 novembre 1976, Libam Kouang Melchiade contre Etat du Cameroun.
722
M. Kamto, op. cit., p. 43.

183
prononcée favorablement sur le principe de l’indemnisation, d’un délai
supplémentaire de trois mois pour en proposer le montant723.

Si le demandeur n’a pas obtenu satisfaction ou gain de cause auprès de


l’autorité saisie, il dispose d’un délai de 60 jours, sous peine de forclusion, à compter
de la décision de rejet de recours gracieux, pour saisir le juge administratif724. Ce
délai peut être prorogé si le requérant a, en temps utile, saisi une juridiction
incompétente ou déposé une demande d’assistance judiciaire725.

Les affaires ayant un caractère urgent ne sont pas soumises à cette longue
726
procédure. C’est ainsi que l’exigence du recours gracieux a été écartée et les
délais de saisine du juge réduits727 ; celui-ci devant être rapidement saisi pour éviter
que l’écoulement du temps ne préjudicie les droits et intérêts des requérants.
Comme l’écrit R. Odent, « l’intérêt général exige que la stabilité des situations
administratives ne puisse être discutée que pendant un bref délai : le fonctionnement
normal des services publics risquerait d’être entravé si des menaces d’annulation
pesaient trop longtemps sur l’administration »728 . Aussi, « il est (…) conforme à
l’ordre public et aux nécessités du bon fonctionnement des services publics que le
recours exercé devant le juge administratif soit enfermé dans un bref délai »729.

Dans le cadre du contrôle de la recevabilité des demandes portant sur les


affaires urgentes, le juge administratif camerounais s’assure, généralement, que les
requérants l’ont saisi dans les délais d’urgence prescrits par les textes. Il en est ainsi
en matière électorale (A) et dans les autres matières (B).

723
V. article 12 alinéa 2 de l’ordonnance n° 72/06 du 26 août 1972 fixant l’organisation de la Cour Suprême.
724
V. article 7. 1de la loi n° 75/17 du 8 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour Suprême statuant en
matière administrative.
725
V. article 7. 1de la loi n° 75/17 du 8 décembre 1975.
726
Jusqu’en 1986, ce recours était exigé dans le contentieux électoral au sein de la Chambre du Commerce. C’est
le décret n° 86/231 du 13 mars 1986 portant statuts de la dite Chambre qui y a mis fin. Sur cette question, v.
Georges Nakseu Nguefang, Le contentieux électoral au sein des chambres consulaires, Mémoire de maîtrise en
droit public, Université de Yaoundé , 1992, pp 53-54 et CCA, jugement n° 680 du 21 mars 1958, Compagnie
Pastorale Africaine contre Administration du Territoire ; CCA, jugement n°480 du 23 juin 1956, Babayel
Malloum Yaya contre Administration Territoriale ; CCA, jugement n°683 du 21 mars 1958, Bala Laurent contre
Administration Territoriale et CCA, jugement n° 694 du 28 mars 1958, Etablissement C.H. Belton et
Compagnie contre Administration Territoriale .
727
Il n’est donc pas exact de dire, comme l’a écrit un auteur, « qu’il n’y a pas de délais spéciaux à certains
contentieux comme c’est le cas en France », v. B Momo, « Le problème des délais dans le contentieux
administratif camerounais », Annales de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, Université de Dschang,
T1, vol. 1, 1997, p. 141.
728
R. Odent, Contentieux administratif, IEP, Paris, 1971, p. 808.
729
J.M Auby et R. Drago, Traité de contentieux administratif, T1, op. cit., p. 898.

184
A. LA VERIFICATION DU RESPECT DES DELAIS DE RECOURS
CONTENTIEUX EN MATIERE ELECTORALE

Les délais dans lesquels les recours doivent, à peine d’irrecevabilité, être
introduits, varient selon qu’il s’agit du contentieux électoral municipal ou du
contentieux électoral au sein des Chambres consulaires. Le contrôle exercé par le
juge par rapport au respect de ces délais est d’intensité variable. Si en matière de
contentieux électoral municipal ce contrôle est furtif, en matière de contentieux
électoral au sein des chambres consulaires, il est assez strict.

1. Un contrôle furtif du respect des délais de recours en matière de


contentieux électoral municipal

Le délai de saisine du juge est différent selon qu’il s’agit du contentieux des
opérations relatives à l’élection des conseillers municipaux ou du contentieux né de
l’élection du Maire et des adjoints. Mais, l’intensité du contrôle effectué par le juge
est la même.

En ce qui concerne le contentieux des opérations relatives à l’élection des


conseillers municipaux, un délai de dix (10) jours, suivant la proclamation des
résultats, est imparti par l’article 28 al. 3 §2 de la loi n°92/02 au Préfet pour
transmettre au juge administratif la décision de la CCS intervenue après qu’un
candidat, accusé de faits diffamatoires, a été élu avant que ladite commission n'ait
statué sur son cas, pour disqualification éventuelle de l’intéressé.

Le juge n’a pas encore eu occasion de statuer sur le respect de ce délai par
l’autorité préfectorale.

Un délai identique est prescrit à tout électeur ou tout candidat par l’article 34
alinéa 2 de la loi n° 92/002 pour contester, à compter de la date de proclamation des
résultats par la Commission Communale de Supervision, la régularité des opérations
électorales dans la commune. Il résulte de cette disposition d’une part que le délai
de saisine du juge est très bref, et, d’autre part, que ce délai court, non pas à
compter « du jour même de l’élection »730, mais de la publication ou proclamation de

730
J.-C Masclet, op. cit., p.516.

185
des résultats . Autrement dit, le point de départ du délai de saisine du juge est la date
de proclamation des résultats.

Dans deux espèces rendues respectivement le 19 avril 1996731 et le 18 juillet


1996732, le juge a, de façon furtive, vérifié le respect de ce délai par les requérants. Il
a établi que ces derniers ont introduit leur recours dans le délai, mais n’a ni énoncé la
disposition législative y relative ni procédé à la computation du délai pour l’affirmer, ni
déterminé la nature du délai. En la matière, le juge administratif français est plus
explicite. Il apprécie la recevabilité de la protestation à la date de sa réception par le
secrétariat du tribunal et non à la date d’expédition et compte tenu du délai normal
d’acheminement du courrier733. Il estime qu’il ne suffit pas que la protestation ait été
envoyée dans le délai734 ; mais passé ce délai, la réclamation est invariablement
déclarée irrecevable735. Par ailleurs, il considère que dans tous les cas, le délai de
saisine n’est jamais un délai franc ; c’est-à-dire que « s’il exclut le dies a quo, il inclut
toujours le dies ad quem »736 ; autrement dit, « le dies a quo n’est pas inclus et le
délai comprend le jour du dépôt »737.

Pour ce qui est du contentieux de l’élection du Maire et des Adjoints, les règles
légales applicables sont différentes ; mais, le délai de saisine du juge est identique à
celui prescrit pour le contentieux des opérations relatives à l’élection des conseillers
municipaux. De même, le contrôle du juge en matière de respect de délai d’
introduction du recours est furtif.

D’après l’article 53 (nouveau) (1) de la loi n°92/0 03 du 14 août 1992 modifiant


certaines dispositions de la loi 74/23 du 5 décembre1974 portant organisation
communale, « en cas d’irrégularités dans l’élection du Maire et des Adjoints, l’autorité
administrative territorialement compétente ou un électeur de la commune peut, dans
les 10 jours qui suivent la session au cours de laquelle l’élection est intervenue, saisir

731
CS/CA, jugement n° 31/95-96 du 19 juillet 1996, affaire UFDC (Union des Forces Démocratiques du
Cameroun) contre Etat du Cameroun.
732
CS/CA, jugement n° 64/95 du 18 juillet 1996, affaire RDPC (CR de Penja) contre Etat du Cameroun.
733
CE, 27 novembre 1989, Elections municipales de Valavoine (Alpes-de-Haute-Provence), req. N° 108540 ;
CE, 6 avril 1990, Elections municipales de Tremblay (Maine-et-Loire), Req. N° 107702 ; v. B. Maligner, « Le
contentieux des élections municipales de 1989 », RFDA, 1991, p. 4.
734
CE, 17 janvier 1990, Elections municipales de Chalo-Saint-Mars (Essonne), Req., n° 107656 ; V. Ibid.
735
CE, 3 novembre 1989, Elections municipales de l’Ile de Sein, Req. 108360 : CE, 23 février 1990, Elections
municipales de Garu, Req. n° 107811 ; V. Ibid.
736
Ch. Debbasch et J-C Ricci, op. cit., p. 727.
737
J-C Masclet, op. cit., p. 344. V. CE, 11 janvier 1984, Elections municipales de St-Avention, Re., n° 52097 et
CE, 10 novembre 1989, Elections municipales de Breteau (Loiret), Req. n° 107. 803.

186
la juridiction administrative compétente en première instance aux fins d’annulation
(…) ». Ici, le délai de recours court, non pas à compter de la date de proclamation
des résultats du scrutin, mais du lendemain du jour qui suit la tenue de la session au
cours de laquelle l’élection contestée est intervenue. Autrement dit, « le délai de
recours commence à courir 24 heures après l’élection »738. Il en résulte que si, par
exemple, l’élection du maire et des adjoints a eu lieu le 23 mars, le délai expire non
pas le 1er, mais le 2 avril.

Dans un jugement rendu le 29 mars 1996739, le juge a procédé à la vérification


du respect de ce délai par le requérant en se contentant d’indiquer que le recours a
« été (…) introduit dans le délai légal », sans que l’on sache quand est-ce que
l’élection contestée avait eu lieu.

Bien que cela ne soit pas indiqué par la jurisprudence, le caractère impératif
des délais de recours prescrits par les textes dans le contentieux électoral municipal
traduit l’urgence de cette matière et s’oppose à leur prorogation . Cependant, le juge
pourrait admettre, si un tel cas se produisait, que le délai soit prolongé lorsqu’il expire
un dimanche, ou même un samedi740. De même, du moment qu’un grief a été
soulevé dans le délai, le juge pourrait admettre qu’il soit « développé par de
nouveaux motifs dans un mémoire ampliatif postérieur ». Il serait donc possible qu’il
se fonde sur l’un de ces motifs pour annuler l’élection741.

Si en matière de contentieux électoral municipal le juge administratif n’a


jusque-là exercé qu’un contrôle furtif du respect des délais d’introduction des
recours, il n’en est pas de même en matière de contentieux électoral au sein des
chambres consulaires où il exerce un contrôle strict .

2. Un contrôle strict du respect des délais de recours en matière de


contentieux électoral au sein des chambres consulaires

C’est le décret n° 78/525 du 12 décembre 1978 porta nt statut de la Chambre


d’Agriculture modifié et complété par le décret n° 84/004 du 10 janvier 1984 et le
décret n° 86/ 231 du 13 mars 1986 portant statuts d e la Chambre de

738
B. Maligner, op. cit., p.5.
739
CS/CA, jugement n° 24/95-96 du 29 mars 1996, affaire conseillers municipaux de la commune rurale de
Nanga-Eboko contre Etat du Cameroun.
740
C’est ce qu’a décidé le juge français : CE, 18 novembre 1977, Elections municipales de Cortevaix, Rec., p.841.
741
Le juge français l’a admis. V. CE, 21 décembre 1977, Elections municipales d’Erbajolo, Rec., p. 527.

187
Commerce742qui organisent le contentieux électoral au sein des Chambres
consulaires. C’est ainsi qu’ils déterminent les délais de saisine du juge administratif
en matière de contentieux de l’électorat, de l’éligibilité et des opérations électorales.

Saisi de recours portant sur le contentieux de l’électorat au sein de la


Chambre de Commerce, le juge a eu à prendre en compte le fait que la date de
publication des listes électorales n’était pas déterminée pour établir que les
requérants avaient introduit leurs recours dans le délai prescrit par la réglementation.

Par contre, saisi d’un recours portant sur les opérations électorales au sein de
la Chambre d’Agriculture, il a pris en compte la date de la proclamation des résultats
du scrutin pour établir que le requérant avait introduit son recours au-delà du délai
prescrit par le texte réglementaire.

a. La prise en compte de l’indétermination de la date de publication des


listes électorales

En matière de contentieux de l’électorat, toute personne intéressée ou le


Bureau de la Chambre de Commerce743 peut intenter un recours auprès de la
Chambre Administrative de la Cour Suprême dans un délai de 15 jours francs à
compter de la date de publication des listes définitives contre les décisions, les
inscriptions, les radiations ou omissions faites par la commission électorale nationale
ou provinciale744 ou par le Ministre chargé du Commerce, Président de la
Commission745.C’est la publication des listes définitives qui déclenche le délai de
recours contentieux. Autrement dit, c’est leur « prise de connaissance »746 officielle
par les personnes intéressées qui fait courir les délais de recours contentieux,
puisqu’elle les rend opposables à leur égard747. Ainsi, l’acte contenant les listes
électorales est un acte réglementaire en ce qu’il concerne « les personnes se

742
Ceci jusqu’en 2001, car ce décret a été abrogé par les décrets n°2001/382 et n°2001/381 du 27 novembre
2001.
743
Pour la Chambre de Commerce, uniquement, v.. art. 15.1 du décret n° 86/231.
744
Pour la chambre d’Agriculture, v. art. 14 (nouveau) décret n° 78/525.
745
Pour la Chambre de Commerce, v. art, 15.1 du décret n°86/231.
746
V. G. Koubi, « Acte exécutoire et actes des autorités locales », RDP, 1990, p. 1502.
747
Sur cette question, V. G. Koubi, ibid. ; J-P Dubois, « L’entrée en vigueur des normes administratives
unilatérales », Etudes en l’honneur de Georges Dupuis, Paris, LGDJ, 1997, pp. 103-114 ; R. Hostiou, Procédure
et formes de l’acte administratif unilatéral en droit français, Thèse, Paris, LGDJ, 1975, pp. 133-141 ; J. Carbajo,
L’application dans le temps des décisions administratives exécutoires, Thèse, Paris, 1980,LGDJ, pp. 40-45 ; R.
Chapus, Droit administratif général, T1, 13e éd., Paris, Montchrestien, 1999, pp. 1095-1097.

188
trouvant dans une même situation »748 et s’applique à eux indistinctement.
Qu’advient-il si la date de publication de cet acte est ignorée ? Les personnes qui
s’estiment lésées par cet acte peuvent-elles, malgré tout, saisir le juge ? Dans
plusieurs espèces rendues en matière de contentieux de l’électorat au sein de la
Chambre de Commerce, le juge a admis des recours portant sur l’omission des noms
sur les listes électorales alors même que la date de publication de l’acte querellé
n’était pas connue, et a considéré que les requérants l’avaient saisi dans les délais. Il
l’a fait, soit de façon explicite en énonçant que « la date de publication de l’arrêté
critiqué reste ignorée et que le recours (…) doit, quant à la forme, être considéré
comme introduit dans le délai et donc, recevable »749 , soit, de façon implicite, au
motif que « la date de publication de l’arrêté critiqué reste ignorée»750.

On peut déduire de cette jurisprudence que bien que l’acte réglementaire non
publié ou dont la date de publication est ignorée, ne soit pas opposable, l’administré
ou tout intéressé est admis à anticiper le déroulement normal de la procédure en le
contestant devant le juge. Un tel acte est donc considéré comme susceptible de faire
grief.

On peut également déduire de cette jurisprudence que « les administrés


susceptibles de se voir appliquer l’acte non encore publié se trouvent dans une
situation particulièrement protégée puisque le délai du recours (…) ne court pas,
faute d’une publication régulière »751.

Enfin, cette jurisprudence confirme l’idée selon laquelle « l’acte réglementaire


existe dès sa signature »752 ; qu’ « il faut considérer que dès sa signature », il « est
susceptible de faire grief dans la mesure où sa publication doit être considérée
comme un événement probable »,753et qu’un recours peut être valablement formé

748
R. ODENT, op. cit., p. 851.
749
Ex., CS/CA, jugement n° 69/86-87 du 13 août 1987, affaire Mukete Plantations Limited contre Etat du
Cameroun ; CS/CA, jugement n° 71/86-87 du 13 août 1987, affaire Baba Youssoufa contre Etat du Cameroun ;
CS/CA, jugement n° 72/86-87 du 13 août 1987, affaire société Menuiserie –Ébénisterie Yankam Richard contre
Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n° 73/86-87 du 13 août 1987, affaire Djidjou Prosper contre Etat du
Cameroun ; CS/CA, jugement n° 74/86-87 du 13 août 1987, affaire Atsama Foumena contre Etat du Cameroun ;
CS/CA, jugement n° 77/86-87 du 13 août 1987, affaire Marc Ambassa née Ntsama Agnès contre Etat du
Cameroun ; CS/CA, jugement n° 14/87-88 du 13 août 1987, affaire Hirondelle Voyages contre Etat du
Cameroun ; CS/CA, jugement n° 15/87-88 du 29 octobre 1987, affaire dame Mache contre Etat du Cameroun.
750
Ex., CS/CA, jugement n° 68/86-87 du 13 août 1987, affaire Electrical Construction contre Etat du Cameroun ;
CS/CA, jugement n° 70/86-87 du 13 août 1987, affaire Société Faïenceries Cameroun (SOFACAM) contre Etat
du Cameroun
751
J. Carbajo, op. cit., p. 29.
752
Ibid.
753
Ibid.

189
contre un acte non publié ou dont la date de publication est ignorée, mais déjà
signé754.

Il y a donc lieu de se féliciter de voir la jurisprudence chercher à


« humaniser », comme l’avait souhaité le Doyen M. Hauriou755, le délai de recours
contentieux, car comme l’écrivait l’éminent auteur, « il y aurait avantage à faciliter les
recours plutôt qu’à multiplier les déchéances »756. Il reste que, les situations faites et
acceptées par les parties ne peuvent être éternellement dérangées. Aussi, le juge
est-il tenu de s’assurer que le requérant qui le saisit s’est conformé aux prescriptions
légales relatives aux délais de recours. Il en est ainsi en matière de contentieux des
opérations électorales où le juge prend en compte la date de proclamation des
résultats du scrutin pour s’assurer du respect du délai d’introduction des recours par
le requérant.

b. La prise en compte de la date de proclamation des résultats des


élections

En matière de contentieux des opérations électorales au sein des chambres


consulaires, la réglementation y relative prévoit que dans les quinze jours suivant la
proclamation des résultats757ou leur publication au journal officiel758, tout électeur
peut ou a le droit d’intenter un recours contre les opérations électorales de sa
section759 ou sa sous-section760 auprès de la Cour Suprême761 ou de la Chambre
Administrative de la dite Cour762.

Le point de départ du délai du recours est donc, en cette matière, la date de


proclamation des résultats des élections au sein de la Chambre d’Agriculture et la
date de la publication desdits résultats au sein de la Chambre de Commerce. Ce
délai n’est pas un délai franc. Le dies a quo n’est pas inclus et il comprend le jour du
dépôt du recours. C’est un délai impératif ; lorsqu’il expire, l’élection est réputée

754
c’est aussi la position du juge français : CE, sect., 26 juin 1959, Syndicat général des ingénieurs conseils, Rec.
Lebon, p. 394.
755
M. Hauriou, note sous CE, 25 mai 1928, Reynaud, S., 1928, 3, 9.
756
M. Hauriou, note sous CE, 29 novembre 1901, Drouet, et 14 février 1902, Durant, S., 1902, 3,9.
757
V. Article 24 (1) du décret n° 78/525 du 12 décembre 1978 portant statut de la Chambre d’Agriculture.
758
V. Article 27(1) du décret n° 86/231 du 13 mars 1986 portant statuts de la Chambre de Commerce.
759
Article 24 (1) du décret n° 78/525.
760
Article 27(1) du décret n° 86/231.
761
Article 24 (1) du décret n° 78/525.
762
Article 27(1) du décret n° 86/231.

190
définitive et aucune prorogation n’est admise. Ainsi, est forclos tout requérant qui
saisit le juge au-delà de ce délai. C’est ce qu’a décidé le juge dans une espèce
rendue le 25 mai 1989763 dans laquelle le requérant sollicitait l’annulation de
l’élection des membres de la Chambre d’Agriculture de l’Elevage et des Forêts du 15
juin 1986. Il affirme à ce propos : « Attendu que les résultats ont été proclamés le 20
juin 1986 dans la Province du littoral ; le demandeur devait, dès cette date saisir la
Chambre Administrative dans les 15 jours, soit le 6 juillet au plus tard. Mais qu’en
saisissant la Cour le 11 août 1986, le sieur Tchatchoua Jean-Pierre l’a fait
tardivement ; que son recours mérite d’être rejeté pour forclusion ».

Comme l’a écrit R. Chapus, « le délai expiré, l’irrecevabilité du recours est


irrémédiable »764. D’ « application stricte par le juge de l’élection »765, ce délai est
d’ordre public ; de ce fait, son respect s’impose au juge qui se doit de soulever
d’office la fin de non recevoir tirée de ce que le requérant ne s’y est pas conformé.
Ainsi, « la forclusion tirée de la tardiveté doit être soulevée par le juge au besoin
d’office »766.

En définitive, il y a lieu de dire que l’expiration du délai de recours contentieux


rend forclos celui qui n’a pas saisi le juge dans le délai légal.

Ce n’est pas seulement en matière électorale que le juge administratif


s’assure que les recours dont il est saisi ont été introduits dans les délais prescrits
par les textes. Il le fait aussi dans les autres matières qui ont aussi un caractère
urgent comme le contentieux électoral.

B. LA VERIFICATION DU RESPECT DES DELAIS DE RECOURS


CONTENTIEUX DANS LES AUTRES MATIERES

Dans les matières tels le contentieux de la dissolution des associations et celui


de la légalisation des partis politiques, le juge vérifie toujours que le recours
contentieux a été introduit dans les délais légaux. Pour ce faire, il prend en compte la
date de la notification de l’acte querellé au requérant. Et lorsqu’il s’avère qu’il

763
CS/CA, jugement n° 41/88-89 du 25 mai 1989, affaire Tchatchoua Jean-Pierre contre Etat du Cameroun.
Dans le même sens, V. TE, jugement n° 273 du 6 mais 1963, Kam Jean-Paul.
764
R. Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit. p 404
765
O. Gohin, Revue de jurisprudence administrative, RDP, 1991, p. 584.
766
R. Odent, op. cit., p. 848.

191
n’existe aucune trace de notification, il considère que le recours a été introduit dans
les délais.

1. La prise en compte de la date de notification de l’acte

Comme l’écrit J-P Dubois, « les normes d’obligations ne lient leur destinataire
qu’après notification, parce qu’il est nécessaire que l’information du débiteur de
l’obligation soit certaine et complète pour que cette obligation soit exigible : si l’auteur
d’une " norme de droits " (qui à son égard est " norme d’obligations ") la connaît
nécessairement dès la signature, le destinataire d’une " norme d’obligations " n’est
censé ne pas l’ignorer qu’après qu’il a été mis formellement en mesure de la
connaître »767. C’est dire que la notification est, non seulement, « la condition
d’entrée en vigueur des normes administratives individuelles »768, mais, surtout, la
condition de leur opposabilité aux intéressés769, car elle fait courir le délai de
recours. Il en est ainsi dans les contentieux de la dissolution des associations et de
la législation des partis politiques.

a. La prise en compte de la notification dans le contentieux de la


dissolution des associations

D’après l’article 13 al 3 de la loi n° 90/053 du 19 décembre 1990 portant liberté


d’association, le recours contre la décision de dissolution d’une association « doit
intervenir dans un délai de dix (10) jours à compter de la date de notification à
personne ou à domicile ». D’une part, cet article prescrit un délai très bref, vu
l’urgence de la matière en cause, mais aussi, « pour éviter de laisser planer une
longue incertitude sur la validité »770 de la décision contestée. D’autre part, il énonce
comme point de départ du recours la notification de l’acte contesté à l’intéressé qui
doit être faite à personne ou à domicile.

Faisant application de cette disposition législative dans trois espèces rendues


le 26 septembre 1991771, le juge a considéré que les requérants s’y étaient

767
J-P Dubois, op. cit., p. 111.
768
R. Hostiou, op. cit., p. 151.
769
V. J. Carbajo, op. cit., pp 46 – 47 et G. Koubi, op. cit., pp. 1502-1503.
770
J. Rivero et J.Waline, Droit administratif, 16ème éd., Paris, Dalloz, 1996, p. 192.
771
Ordonnance n° 19/0/PCA/CS du 26 septembre 1991, affaire OCDH contre Etat du Cameroun ; ord. n°
20/0/PCA/CS du 26 septembre 1991, affaire Kom Ambroise contre Etat du Cameroun et ; ord. n° 21./0/PCA/CS
du 26 septembre 1991, affaire CAP-Liberté contre Etat du Cameroun.

192
conformés car, ils avaient introduit leur recours dans le délai qu’elle a prescrit. Ainsi,
dans l’affaire Organisation Camerounaise des Droits de l’Homme (OCDH)772, le juge
déclare que « la requérante a reçu notification à personne » de l’arrêté de dissolution
contesté « le 16 août 1991 ; qu’elle a saisi le Président de la Chambre Administrative
de la Cour Suprême le 21 août 1991, donc dans les dix jours de la notification ». La
date de notification retenue par le juge dans cette affaire est celle à laquelle la
requérante a obtenu de son huissier transmission d’une photocopie de l’arrêté
querellé. On peut dire qu’en l’espèce, le juge n’a pas été formaliste, car il n’ y a pas
eu véritablement notification à personne. Ceci revient à dire, comme l’admet le
conseil d’Etat français, que la notification au mandataire est suffisante au regard du
mandat773.

De même, dans l’affaire Kom Ambroise774, le juge a admis que la partie


requérante a reçu notification à personne de l’arrêté querellé « le 28 août 1991 ;
qu’elle a saisi le Président de la Chambre Administrative de la Cour Suprême le 30
août 1991, donc dans les dix jours de la notification ».

Enfin, dans l’affaire CAP-Liberté775, le juge affirme que la requérante a reçu


notification à personne de l’arrêté de dissolution contesté « le 30 août 1991 ; qu’elle
a saisi le Président de la Chambre Administrative de la Cour Suprême le 5
septembre 1991, donc dans les dix jours de la notification ».

Dans le contentieux de la légalisation des partis politiques, le juge prend


également en compte la date de la notification de l’acte pour établir si le requérant l’a
saisi dans le délai prescrit par la loi.

b. La prise en compte de la notification dans le contentieux de la


légalisation des partis politiques

D’après l’article 8 alinéa 3 de la loi n° 90/ 056 d u 19 décembre 1990 relative


aux partis politiques, le recours contre la décision de refus d’autorisation d’un parti
politique « doit intervenir dans un délai de 30 jours à compter de la notification à
personne ou à domicile ».

772
Ord. n° 19./0/PCA/CS du 26 septembre 1991.
773
V. CE, 5 décembre 1952, Desgouillon, S. 1953, III, 81, Concl. Gazier.
774
Ord. n° .20/0/PCA/CS du 26 septembre 1991.
775
Ord. n° 21/0/PCA/CS du 26 septembre 1991.

193
Dans deux espèces rendues respectivement le 30 septembre 1992776 et le 16
décembre 1992777, le juge administratif a eu à faire application de cette disposition
législative.

Si dans la seconde espèce778 il en a fait une juste application en ce que la


requérante ayant reçu notification de l’acte querellé le 30 novembre 1992 par le biais
de son conseil a saisi le juge le 9 décembre 1992, donc dans les 30 jours de la
notification, il n’en a pas fait de même dans la première affaire779. En effet, la
notification de la décision de refus d’autorisation du parti politique a eu lieu le 9
janvier 1992, alors que le requérant avait déjà saisi le juge. Autrement dit, le juge a
été saisi avant la notification de l’acte contesté. Il le dit lui-même en ces termes :
« (…) en l’espèce la notification a été faite le 9 janvier 1992, soit une semaine après
l’intervention de la requête » ; mais, au lieu de dire que le recours est prématuré, il
affirme « qu’il y a lieu par conséquent de déclarer la requête recevable en la forme ».
Or, il est admis que les décisions individuelles ne sont opposables aux destinataires
qu’à dater de leur notification780et que « si la date de la signature compte seule pour
apprécier la validité intrinsèque de l’acte, la date de la notification est seule
déterminante pour apprécier l’opposabilité de l’acte, le délai du recours contentieux
courant à partir de la date de la réception de la dite notification au domicile du
destinataire »781ou à personne.

Ainsi, « par principe, et par logique »782, « le délai de recours ne peut être
déclenché contre une décision que par la mesure officielle d’information qui en est
donnée et qui se concrétise, soit par sa publication ou son affichage, soit par sa
notification(…) »783. En effet, c’est elle qui détermine « l’enclenchement du compte à
rebours qui va lui faire acquérir sa " définitiveté" »784.

En somme, « pour le destinataire de l’acte individuel (…) la notification fait


partir le délai de recours »785. Tout recours intervenu donc avant est prématuré.

776
Ord. n° 32/CS/PCA/91-92 du 30 septembre 1992, affaire Divine Kingdom People’s Party of Cameroon contre
Etat du Cameroun.
777
Ord. n° 02/0/PCA/CS du 16 décembre 1992, affaire UPC-Manidem contre Etat du Cameroun
778
Ord. n° 02/CS/PCA/91-92 du 16 septembre 1992.
779
Ord. n° 02/CS/PCA/91-92 du 16 septembre 1992.
780
V. CE, 30 avril 1954, Counord, RPDA, 1954 n° 235, p. 134.
781
J. Carbajo, op. cit., p. 46, V. aussi CE, 4 novembre 1964, Phan Van Ngoi, Rec., p. 965.
782
B. Pacteau, op. cit., p. 174
783
R.Chapus, Droit administratif général, T1, 13e éd., Paris, Montchrestien, 1999, p. 764.
784
B. Pacteau, op. cit., p. 174.
785
G. Vedel et P. Delvolvé, Droit administratif, T2, 12e éd., Paris, PUF, 1992, p. 157.

194
Certes, il arrive que le juge considère que le délai de recours a commencé à
courir à une date antérieure à la mesure de la publicité ; « cette solution
apparemment choquante se justifie par un souci de réalisme »786. Cette exception
aux règles relatives au point de départ du délai de recours est admise au titre de la
connaissance acquise. Il s’agit d’une théorie qui peut s’appliquer « à des hypothèses
où le requérant montre, par son attitude, qu’il a nécessairement eu connaissance
d’une décision, encore qu’elle n’ait été ni publiée ni notifiée »787. Sinon, le simple fait
qu’une personne ait en pratique connu une décision qui n’a fait l’objet d’aucune
publicité n’est pas de nature à faire courir le délai de recours à son encontre788. Mais
cela n’exclut pas que le juge puisse déclarer son recours recevable en la forme.

2. La prise en compte du défaut de notification de l’acte

En règle générale, « un acte défavorable pour son destinataire n’entre en


vigueur qu’à partir de sa notification »789. Ceci est admis par la jurisprudence
administrative française790qui considère, en revanche, qu’un tel acte, lorsqu’il est
créateur de droits au profit des tiers, entre en vigueur dès sa signature791.

L’acte portant refus d’autorisation d’un parti politique étant un acte


défavorable, parce que créateur d’obligations et non de droits, ne peut donc entrer
en vigueur qu’à partir du moment où il a été notifié à l’intéressé. Il devient de ce fait
opposable à ce dernier qui peut à partir de ce moment – là, et conformément à
l’article 83 de la loi n° 90/056 du 19 décembre 199 0 relative aux partis politiques,
contester sa légalité devant le juge administratif. Qu’adviendrait-il si un tel acte n’est
pas notifié à l’intéressé ou si le juge établit que sa notification n’a pas eu lieu ? Le
recours peut-il être recevable et le délai de recours pris en compte ?

786
B. Seiller, Droit administratif, T1, Paris, Flammarion, 2001, p. 181.
787
G. Vedel et P. Delvolvé, op. cit., p. 159. V. CE, Ass., 4 avril 1951, Gerlaud, S., 1952. 3. 97, 3e espèce, note
Auby.
788
V. par ex : CE, 13 novembre 1970, Moreau, Rec., p. 661, Concl Braibant, D., 1971. J. 70, note Dumas
789
C. Yannakopoulos, La notion de droits acquis en droit administratif français, Thèse, Paris, LGDJ, 1997,
p. 148.
790
V. par ex. CE, 28 novembre 1952, Dame Lefranc, Rec., p. 534 ; CE, 28 octobre 1988, Dlle Gallien, p. 606.
791
V. par ex. CE, sect., 12 juin 1959, Syndicat Chrétien du Ministère de l’Industrie et du Commerce, Rec., p.360,
AJDA, 1960. 2. 61, concl. H. Hayras.

195
Dans des espèces intervenues le 18 septembre 1992792 et le 23 septembre
1992793, le juge administratif camerounais a déclaré les recours recevables, sans
considération de délai, au motif qu’il n’ y avait pas trace de notification des actes
contestés. Cette prise de position pose le problème de la preuve de la notification et
montre que, dans ces espèces, le juge a refusé d’appliquer la "théorie de la
connaissance acquise".

a. Le problème de la preuve de la notification de l’acte

En matière de notification, la charge de la preuve pèse sur l’autorité


administrative. « Cette preuve peut cependant se trouver facilitée par le destinataire
de l’acte lorsqu’il ne conteste pas avoir reçu la notification de la décision »794. Tel n’a
pas été le cas dans les affaires R.D.R795, U.N.C796 et F.P.S-P.C797 où l’administration
n’a pas déclaré avoir notifié l’acte querellé aux intéressés et où ces derniers n’ont
pas déclaré avoir reçu notification dudit acte. Le silence de l’administration, confirmé
par celui des requérants, apporte la preuve que la notification n’a pas eu lieu et que
même si les requérants ont eu connaissance de l’acte contesté, celle-ci n’a pas été
officielle. Ils ont malgré tout introduit des recours que le juge a déclaré recevables
pour absence de trace de notification. Ceci revient à dire qu’ils avaient connaissance
de l’existence et du contenu des actes contestés.

Tout autre est l’affaire P.S.L.D798 . Ici, le requérant a reconnu avoir reçu l’acte
querellé, malgré cela, le juge a estimé que la notification n’a pas eu lieu. Il l’a dit en
ces termes : « (…) il n’y a pas trace de notification, Mboua Massock ayant
simplement porté sur la copie qui lui a été remise la mention " Bien reçu ce jour 30
juillet 1992 aux services du MINAT à Yaoundé" ». Le juge a donc estimé qu’il n’y a
pas eu notification au sens de la loi. Celle-ci énonce que le recours contre la décision
de refus d’autorisation « doit intervenir dans un délai de 30 jours à compter de la

792
Ord. n° 25/CS/PCA/91-92 du 18 septembre 1992, affaire Regroupement Démocratique pour la République
(RDR) contre Etat du Cameroun ; ord. n° 26/CS/PCA/91-92 du 18 septembre 1992, Programme Social pour la
Liberté et la Démocratie (PSLD) contre Etat du Cameroun
793
Ord. n° 28/CS/PCA/91-92 du 23 septembre 1992, affaire Union Nationale Camerounaise (UNC) contre Etat
du Cameroun ; ord. n° 29/CS/PCA/91-92 du 23 septembre 1992, affaire Front Patriotique pour le Salut du
Peuple Camerounais (FPS-PC) contre Etat du Cameroun.
794
J. Carbajo, op. cit., p. 51.
795
Ordonnance n°25/CS/PCA/91-92 du 18 septembre 1992.
796
Ordonnance n°28/CS/PCA/91-92 du 23 septembre 1992.
797
Ordonnance n°29/CS/PCA/91-92 du 23 septembre 1992.
798
Ordonnance n°26/CS/PCA/91-92 du 18 septembre 1992.

196
notification à personne ou à domicile ». En l’espèce, le juge a été formaliste. Le juge
français, par exemple, considère qu’il y a preuve de la notification lorsque le
destinataire de l’acte ne conteste pas avoir reçu la notification de la décision799. De
même, il admet qu’une simple lettre missive est suffisante800, ainsi qu’une notification
verbale, dès lors que le destinataire a été « informé d’une manière officielle de
l’existence et du contenu de la décision »801. Tel a été le cas dans l’affaire P.S.L.D.,
puisque le requérant a reçu copie de l’acte querellé et y a bien indiqué quand et où il
l’a reçue.

En acceptant les recours pour défaut de notification de l’acte contesté, le juge


admet que les intéressés en ont eu connaissance ; mais, il ne prend pas en compte
le délai de recours prévu par la loi. Ce faisant, il se refuse de prendre en compte "la
théorie de la connaissance acquise".

b. Le refus de prendre en compte "la théorie de la connaissance


acquise"

A défaut de notification ou de publication, la jurisprudence administrative


française admet souvent « que le fait que l’acte a été porté à la connaissance de
l’intéressé par une démarche de l’administration sert, lorsqu’il n’est pas douteux, de
point de départ au délai »802. Elle applique ainsi la théorie dite de la connaissance
acquise.

Il est admis que l’application de cette théorie atténue le principe selon lequel
l’acte non créateur de droit, à l’instar de l’acte portant refus d’autorisation d’un parti
politique, « est inopposable aux administrés aussi longtemps qu’il n’a pas été porté
à la connaissance par un mode de publicité régulier dont l’administration peut faire
la preuve »803. Lorsque cette théorie est mise en œuvre, « l’exigence d’une
804
information officielle des décisions est éludée » et « la connaissance de fait des

799
CE, 6 février 1953, Dinnat.
800
CE, 10 juillet 1954, Sautter, Rec., p. 733 ; CE, 8 novembre 1961 Société du tricotage méditerranéen Trilime,
Rec., p. 918.
801
CE, 2 mai 1945, Beauvallet, Rec. p. 88 ; CE, 15 mars 1967, Lawrosky, Rec. p. 126.
802
M Hauriou, Précis de droit administratif et de droit public, 12è éd. , op cit., p. 431.
803
J. Carbajo, op. cit., p. 34.
804
R. Chapu, Droit du contentieux administratif, op.cit., p.392.

197
décisions va provoquer le déclenchement du délai à l’égard de ceux qui en ont une
telle connaissance »805.

Il apparaît, au regard de sa jurisprudence, que le juge administratif


camerounais est très réservé à l’égard de cette théorie,806sans pour autant y
renoncer807. Il paraît déterminer son appréciation en fonction des intérêts en
présence et de l’attitude adoptée par le destinataire de la mesure contestée. On
serait tenté de dire que lorsque l’intéressé se montre passif, ignore ou feint d’ignorer
qu’un acte le concernant a été pris, cet acte ne lui est pas opposable et le délai du
recours contentieux ne court pas808 ; mais lorsqu’il s’avère qu’il « ne pouvait ignorer
la décision prise à son égard »809, le juge considère qu’il en a eu connaissance810,
même s’il ne prend pas en compte le délai de recours.

Dans les affaires analysées et relatives au refus de légalisation des partis


politiques, il est clair que les requérants ont eu connaissance de l’existence du
contenu des actes contestés, sinon ils n’auraient pas saisi le juge. D’ailleurs, dans
l’affaire P.S.L.D du 18 septembre 1992, le requérant en a apporté la preuve en
inscrivant sur la copie qui lui a été remise la mention : « Bien reçu ce jour 30 juillet
1992 aux services du MINAT à Yaoundé ». En admettant les recours sans faire
appel , même implicitement, à la théorie de la connaissance , le juge a voulu indiquer
que « la connaissance de la décision ne vaut pas connaissance du délai utile pour la
contester »811 . Ce faisant, il rejette cette « science infuse » 812
qu’est la théorie de la
connaissance acquise, théorie que M. Hauriou dénonçait comme étant « (…) pleine
de dangers en ce qu’elle ne permet plus de distinguer si l’intéressé a eu
connaissance du texte de la décision ou simplement de son existence (et) en ce
qu’elle remplace par des présomptions la certitude de la notification (…) ». Pour le

805
Ibid.
806
En ce sens, CFJ/CAY, 30 septembre 1969, aff. Messomo Atenen Pierre c/ Etat du Cameroun ; CS/CA,
jugement du 29 juin 1981, aff. Njikiakam Towa Maurice c/ Eat du Cameroun ; CS/CA, jugement du 19
septembre 1983, aff. Ndjoumi Maurice c/ Etat du Cameroun ; CS/AP, arrêt du 24 mar 1983, aff. Njikiakam
Towa Maurice c/ Etat du Cameroun.
807
V. en ce sens, CFJ/CAY, arrêt n° 51 du 25 mars 1969, affaire. Dame Ngue Andrée c/ Commune de Plein
Exercice de Mbalmayo ; CS/CA, jugement du 31 janvier 1991, affaire Me Noufele Simo c/ Etat du Cameroun.
808
Cf. les affaires Njikiakam Towa Maurice précitées.
809
J. Carbajo, op cit , p. 35.
810
V. aff. Dame Ngue Andrée C/ Commune au Pleine Exercice de Mbalmayo précitée.
811
J-J Thouroude, « La moralisation des délais de recours contentieux devant les juridictions administratives » ;
D., 1998, n° 18, Dernière actualité, p. 12.
812
Ibid., p. 1.

198
Maître de Toulouse, « le danger de l’absence des formalités solennelles est que l’on
tombe dans les questions de fait »813.

En définitive, la vérification du respect des délais de recours contentieux


permet au juge administratif de s’assurer que les requérants se sont conformés à
une prescription qui est d’ordre public. Non seulement il a l’obligation de le faire,
mais il est tenu de rejeter d’office tout recours intervenu au delà de ces délais. Ce
faisant, il prend en compte l’urgence qui fonde la fixation de ces délais.

Il peut arriver qu’en plus de cette vérification, le juge demande au requérant


de produire, à peine d’irrecevabilité, des éléments annexes indispensables pour
l’examen du recours.

PARAGRAPHE III : L’OBLIGATION DE PRODUIRE DES ELEMENTS


ANNEXES DE LA DEMANDE

La possession de la qualité pour agir et l’introduction du recours dans les


délais légaux ne suffisent pas toujours à rendre celui-ci recevable.

En fonction de la nature de l’affaire, le juge peut exiger du requérant la


production des éléments qui sont prescrits par les textes ou qui lui permettront de
trancher l’affaire au fond. Le caractère urgent de la procédure ou de la matière
n’exclut pas l’application de cette exigence par le juge. C’est ainsi qu’il conditionne
la recevabilité de certains recours à la consignation d’une provision (A) et à la
production des pièces justificatives de la demande (B).

A. LA CONSIGNATION D’UNE PROVISION

D’après l’article 3 alinéa 1 de la loi n°75/17 du 8 décembre 1975 fixant la


procédure devant la Cour Suprême statuant en matière administrative, « toute
requête introductive d’instance donne lieu à la consignation d’une provision de
15.000 francs » ; celle-ci n’est exclue qu’en cas de « dispense résultant d’une
disposition législative expresse ». L’alinéa 2 de cet article précise qu’ « une
consignation supplémentaire peut être ordonnée par le Président de la juridiction en
cas de nécessité » ; enfin, son alinéa 3 indique que les personnes morales de droit
public sont dispensées de cette consignation.

813
M. Hauriou, note au Sirey, 1910, 3, 33, cité par B. acteau, op.cit, p. 184.

199
En matière électorale, l’obligation de consigner une provision est limitée à
certains contentieux. Il en est de même dans les autres matières ; pourtant, il n’existe
pas dans ces matières une dispense résultant d’une disposition législative expresse.

1. L’exigence limitée de la consignation d’une provision en matière


électorale

Dans le cadre du contentieux des opérations relatives à l’élection des


conseillers municipaux, le juge n’exige pas des requérants la consignation d’une
provision, en application de l’article 36 de la loi n° 92/002 du 14 août 1992 fixant les
conditions d’élection des conseillers municipaux d’après lequel « tous les actes
judiciaires sont, en matière électorale, dispensés de timbre et enregistrés gratis ». Il a
étendu cette dérogation au contentieux de l’élection du maire et des adjoints alors,
que ce contentieux est régi, non pas par la loi n° 92/002, mais par celle n° 74/23 du 5
décembre 1974 modifiée et complétée par la loi n° 9 2/003 du 14 août 1992, laquelle
n’a pas prévu une telle dispense814. Par contre, dans le contentieux électoral au sein
des chambres consulaires, le juge rejette les recours pour absence de consignation
de provision. Il le fait après s’être conformé à l’article 9 alinéa 2 de la loi n° 75/17 du
8 décembre 1975 qui dispose que si le requérant n’a pas versé la provision prescrite
en son article 3, « le rapporteur l’invite à régulariser sa demande dans les quinze
jours à compter de cet avertissement et cela sous peine d’irrecevabilité ».Il en a été
ainsi dans les affaires Tchatchoua Jean-Pierre du 25 mai 1989815et Mvondo Tsang
Richard du 28 mars 1999816 relatives au contentieux électoral au sein de la Chambre
d’Agriculture. Dans l’affaire Mvondo Nsang Richard, par exemple, le juge déclare :
« Attendu que par lettre (…) du 18 octobre 1987 rappelé par celle (…) du 12 janvier
1989 à lui livrée le 30 janvier 1989, le greffier en chef de la Chambre Administrative a
invité Nvondo Tsang Richard à se conformer aux prescriptions de l’article 3 alinéa
1(…) ; que cette injonction est demeurée sans effet alors que le délai à lui imparti est
expiré le 16 février 1989 ; (….) ceci étant, il échet de rejeter le recours de Nvondo
Tsang Richard comme irrecevable pour absence de consignation ». Il en a été de

814
En ce sens, v. CS/CA, jugement n° 24/95-96 du 19 mars 1996, affaire Conseillers municipaux de la
commune rurale de Nanga Eboko contre Etat du Cameroun.
815
CS/CA, jugement n°41/88-89 du 25 mai 1989 ( rejet du recours pour absence de provision supplémentaire).
816
CS/CA, jugement n°101/90-91du 28 mars 1991 ( rejet pour absence de consignation d’une provision).

200
même dans des affaires portant sur l’omission des noms sur les listes électorales au
sein de la Chambre de Commerce817.

Le juge exige, de façon limitée, également, la consignation d’une provision


dans les matières non électorales.

2. L’exigence limitée de la consignation d’une provision dans des


matières non électorales

La loi n°90/053 du 19 décembre 1990 portant sur la liberté d’association n’a


pas prévu de façon expresse que les recours portant sur la suspension ou la
dissolution d’association sont dispensés de la consignation d’une provision ;
pourtant, le juge ne l’exige pas, comme le prescrit l’article 3.1 de la loi n° 75/17.

Il en est de même de la loi n° 90/056 relative aux partis politiques. Ainsi dans
des affaires intervenues en matière de refus de légalisation des partis politiques, le
juge n’exige pas la consignation d’une provision.

La seule et unique exception est l’affaire UPC du 17 septembre 1992818. En


l’espèce, le requérant sollicitait l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du
Ministre du l’Administration Territoriale « qui a rejeté son dossier de mise à jour du
parti politique UPC créé le 10 avril 1960 ». Le juge a rejeté le dit recours pour, entre
autres motifs, que le requérant ne s’est pas conformé à l’article 3.1 de la loi n° 75/17
qui prescrit que le demandeur doit, sauf dispense résultant d’une disposition
législative expresse, consigner au greffe une provision de quinze mille francs, alors
qu’il a été invité, conformément à l’article 9.2 de ladite loi, à régulariser sa demande
sous peine d’irrecevabilité. En fait, la lettre mise à la poste sous pli recommandé a
été retournée au Greffe car non réclamée par le requérant qui ne résidait plus à
l’adresse communiquée au Greffe. Ce changement d’adresse n’ayant pas été signalé
à la juridiction de céans, le juge a considéré que le requérant était sensé avoir été
notifié « même s’il n’a pu par son fait satisfaire aux exigences à lui réclamés ».

817
CS/CA, jugement n°19/87-88 du 29 octobre 1987, affaire Melon Simon contre Etat du Cameroun ; CS/CA,
jugement n°51/87-88 du 28 janvier 1988, affaire Mbanda Marie Claude contre Etat du Cameroun ; CS/CA,
jugement n° 61/87-88 du 31 mars 1988, affaire Destiny Entreprises contre Etat du Cameroun et CS/CA,
jugement n° 17/87-88 du 29 octobre 1987, affaire Sociéquip Cameroun contre Etat du Cameroun.
818
CS/CA, jugement n° 60/91-92 du 17 septembre 1992, affaire Union des Populations du Cameroun (UPC)
contre Etat du Cameroun.

201
En dehors de la consignation d’une provision, le juge peut aussi exiger la
production des pièces justificatives de la demande.

B. LA PRODUCTION DES PIECES JUSTIFICATIVES DE LA DEMANDE

Le juge ne conditionne pas la recevabilité de tous les recours portant sur des
affaires urgentes à la production des pièces justificatives de la demande. Il ne le fait
ni dans le contentieux électoral municipal819, ni dans le contentieux de la dissolution
des associations820, par exemple. Par contre, statuant sur la recevabilité des recours
dans le contentieux des listes électorales au sein de la Chambre de Commerce et
dans l’affaire UPC du 17 septembre 1992 relative à la mise à jour du dossier du parti
politique UPC, il a exigé des requérants la production des pièces justificatives de leur
demande.

1. L’exigence des pièces justificatives de la demande dans le


contentieux des listes électorales au sein de la Chambre de
Commerce

Les pièces justificatives de la demande exigées par le juge comme conditions


de recevabilité du recours dans le contentieux des listes électorales au sein de la
Chambre de Commerce sont : le certificat de non redevance envers le fisc et le
bulletin n°3 du casier judiciaire.

En formulant cette exigence, le juge veut s’assurer que les requérants


remplissent bel et bien les conditions prescrites par la réglementation pour faire
821
partie du « collège électoral appelé à élire les membres titulaires et suppléants »
de la Chambre ou pour « être portés sur les listes électorales » et « participer à
l’élection »822. En effet, d’après l’article 9 du décret n°86/231, pour faire partie du
collège électoral au sein de la Chambre de Commerce, il faut, entre autres
conditions, jouir de ses droits civiques et politiques ; être inscrit au rôle de la
contribution des patentes ; être en règle avec le fisc, en ce qui concerne le paiement
des droits et taxes afférents à l’exercice de sa profession.

819
L’article 34.1 de la loi n°92/02 énonce que « les contestations font l’objet d’une simple requête devant la
juridiction administrative ».
820
L’article 13. 3 de la loi n°90/053 dispose que les actes portant suspension ou dissolution d’association « sont
susceptibles de recours, sur simple requête devant la juridiction administrative ».
821
Article 9 du décret n° 86/231.
822
Article 10 du décret n° 86/231.

202
L’article 10 du même décret précise que ne peuvent être portés sur les listes
électorales ni participer à l’élection, s’ils ont été inscrits sur ces listes, les individus
condamnés soit à des peines criminelles, soit à des peines correctionnelles pour des
faits qualifiés de crimes par la loi ; les individus condamnés pour vol, escroquerie,
recel, abus de confiance, usure, soustraction commise par les dépositaires de
deniers publics, attentats aux mœurs ; les individus condamnés à l’emprisonnement
pour infraction aux lois sur les maisons de jeu, les loteries et les maisons de prêts sur
gages ; les individus condamnés pour délits prévus par le Code Pénal823 ; les
individus condamnés à l’emprisonnement par application des lois sur les sociétés ;
et, en général, toute personne privée de ses droits civiques et politiques dans le pays
dont il a la nationalité.

En somme, le juge veut s’assurer que les requérants qui contestent l’omission
de leurs noms sur les listes électorales ont la capacité requise pour être électeurs.

Dans une jurisprudence relativement abondante, le juge a eu à déclarer


irrecevables de nombreux recours parce que, invités par plusieurs lettres du greffier
en chef à produire le certificat de non redevance envers le fisc et le bulletin n°3 du
casier judiciaire824ou le certificat de non redevance envers le fisc uniquement825, les
intéressés ne l’ont pas fait.

En principe, le juge n’exige pas la production des pièces justificatives de la


demande en matière d’autorisation de partis politiques ; il l’a cependant fait dans
l’affaire UPC du 17 septembre 1992.

823
Il s’agit de l’insolvabilité organisée (art. 181 CP) ; de la soustraction et destruction de pièces publiques (art.
188 CP) ; de la contrefaçon (art. 201 à 209, 212 à 214 et 315 CP) ; de l’atteinte au crédit de l’Etat et au
développement national (art. 222 à 224 CP) ; de l’atteinte aux règlements de conditionnement (art. 226 CP) ; du
chèque sans provision (art. 253 CP) ; de l’atteinte à la liberté du travail (art. 255 CP) ; de la destruction de
denrées (art. 257 CP) ; de l’extorsion d’un acte, d’une signature, d’un blanc-seing (art. 308 CP) et de la faillite
(art. 331 à 336 CP).
824
En ce sens, par ex. CS/CA, jugement n° 16/87-88 du 29 octobre 1987, affaire Soggerom, contre Etat du
Cameroun ; CS/CA, jugement n°17/87-88 du 29 octobre 1987, affaire Sociequip Cameroun contre Etat du
Cameroun ; CS/CA, jugement n°18/87-88 du 29 octobre 1987, affaire Takam Bernard contre Etat du Cameroun ;
CS/CA, jugement n°19/87-88 du 29 octobre 1987, affaire Melong Simon contre Etat du Cameroun ; CS/CA,
jugement n°20/87-88 du 29 octobre 1987, affaire Mme Mbanga Marie Claude contre Etat du Cameroun ;
CS/CA, jugement n°25/87-88 du 29 octobre 1987, affaire Etablissements Noah Noah et Cie contre Etat du
Cameroun ; CS/CA, jugement n°27/87-88 du 29 octobre 1987, affaire Société de Transport, de Commerce et
l’Industrie contre Etat du Cameroun.
825
V. par ex., CS/CA, jugement n°33/87-88 du 26 novembre 1987, affaire Pharmacie Yaoundé contre Etat du
Cameroun ; CS/CA, jugement n°36/87-88 du 26 novembre 1987, affaire Dame Nguetti Joséphine contre Etat du
Cameroun ; CS/CA, jugement n°47/87-88 du 28 novembre 1987, affaire La Construction Mécanique de l’Ouest
contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n°54/87-88 du 31 mars 1988, affaire Sodyco-Cameroun contre Etat
du Cameroun.

203
2. L’exigence de pièces justificatives de la demande dans l’affaire UPC
du 17 septembre 1992

Dans l’affaire UPC du 17 septembre 1992826, le juge estime que les


exceptions d’ordre public peuvent être soulevées ou invoquées d’office, et en tout
état de cause par le juge administratif, s’il apparaît au vu de la requête introductive
d’instance ou d’un certain niveau d’instruction que la solution est d’ores et déjà
certaine.

En l’espèce, évoquant l’article 6 alinéa 1 de la loi n° 75/17 qui énonce qu’à la


requête doivent être jointes des copies sur papier libre, certifiées conformes par le
requérant ou son mandataire, tant de la requête elle-même que des pièces jointes, le
juge observe qu’invité à régulariser sa demande dans les quinze jours à compter de
la réception de la lettre à lui adressée, en application de l’article 9 de la loi n° 75/17,
le requérant n’a pas fait parvenir à sa juridiction les 4 copies du recours gracieux et
les 4 copies du décret du 10 avril 1948 qui lui étaient exigées. La raison en est que la
lettre en question a été retournée au greffe parce que non réclamée par l’intéressé
qui ne résidait plus à l’adresse communiquée au greffe. Pour le juge, « ce
changement d’adresse fait par le requérant n’a pas été communiqué à la juridiction
de céans (…) ; il est (cependant) censé avoir été notifié, même s’il n’a pu par son fait
satisfaire aux exigences à lui réclamées ». Aussi, le recours de l’intéressé a-t-il été
déclaré irrecevable.

L’affaire UPC est restée unique en matière de contentieux d’autorisation des


partis politiques quant aux problèmes de recevabilité qui y ont été soulevés, le juge
ayant fait application, non pas de la loi n° 90/056 relative aux partis politiques qui
allège les conditions de recevabilité des demandes en la matière en tant que norme
spéciale qui déroge aux règles de droit commun, mais de la loi n°75/17 qui fixe
justement les conditions de droit commun de recevabilité des recours.

En définitive, l’appréciation de la recevabilité externe des demandes relatives


aux affaires urgentes n’est pas uniforme. Faite en fonction des espèces et selon
l’idée que s’en fait le juge, elle est essentiellement fluctuante. Il en est de même de
l’appréciation de la recevabilité interne desdites demandes.

826
CS/CA, jugement n°60/91-92 du 17 septembre 1992.

204
SECTION II : L’APPRECIATION DE LA RECEVABILITE INTERNE DES
DEMANDES

Dans le cadre de l’application des procédures d’urgence spéciales, le juge


examine également la recevabilité interne des recours qui lui sont adressés. Ce
contrôle de la recevabilité porte exclusivement sur sa compétence.

S’il est vrai que les notions de compétence et de recevabilité sont distinctes, il
n’en demeure pas moins vrai qu’elles peuvent se rejoindre. Aussi, il n’y a rien de très
étrange à présenter comme recevable un moyen que le juge peut accueillir. Il en est
ainsi de celui relatif à sa compétence.

Il résulte de la jurisprudence rendue dans le cadre des procédures d’urgence


spéciales que le juge détermine sa compétence de façon ambivalente, tant en
matière de dissolution des associations (§ 1) qu’en matière de contentieux électoral
municipal (§ 2).

PARAGRAPHE I : LA DETERMINATION DE LA COMPETENCE DU JUGE


ADMINISTRATIF EN MATIERE DE DISSOLUTION DES
ASSOCIATIONS

Le principe de la légalité est la traduction la plus immédiate des exigences de


l’Etat de droit.

Comme l’écrit D. Lochak, « l’Etat de droit suppose que chaque acte de


l’administration s’inscrive dans l’ensemble des normes hiérarchisées dont se
compose l’ordre juridique. Il suppose aussi, plus concrètement, que les citoyens
soient garantis contre l’arbitraire du pouvoir »827. Mais, cet Etat de droit ne peut être
effectif que grâce à l’intervention du juge, et en particulier du juge administratif. Celui-
ci « est ainsi revêtu de la double mission de faire respecter la hiérarchie des normes
par l’administration et de veiller à ce que les pouvoirs de l’administration, même
investie de compétences discrétionnaires, s’exercent sans arbitraire »828.

827
D. Lochak, La justice administrative, 3ème éd., Paris, Montchrestien, 1998, p.111.
828
Ibid.

205
En principe, le juge administratif n’exerce son contrôle que sur la légalité de
l’activité administrative et non sur l’opportunité des choix qu’elle effectue829 en vertu
de son pouvoir discrétionnaire. C’est ainsi que, statuant en matière de contentieux de
la dissolution des associations, le juge administratif camerounais a clairement affirmé
que s’il « est compétent pour connaître si l’association dissoute tombe par ses
agissements sous le coup de la loi, il n’apprécie cependant pas l’opportunité de la
dissolution »830. Il en résulte que si le juge admet qu’il est compétent pour connaître
des faits reprochés aux associations dissoutes (A), il ne se reconnaît pas compétent
pour apprécier l’opportunité de la dissolution des associations (B).

A. LA CONNAISSANCE DES FAITS REPROCHES AUX ASSOCIATIONS


DISSOUTES

Dans les affaires relatives à la dissolution des associations, le juge


administratif camerounais ne se reconnaît compétent que pour apprécier les faits
reprochés aux associations dissoutes dans le but d’établir si elles sont ou non
tombées par leurs agissements sous le coup de la loi. Autrement dit, le juge vérifie la
qualification juridique des faits qui leur sont reprochés pour s’assurer « qu’ils
correspondent bien aux situations prévues par la loi »831. Il se pose donc le problème
de la consistance et de la portée de la connaissance de ces faits.

1. La consistance de la connaissance des faits reprochés aux


associations dissoutes

Pendant longtemps, on a considéré que le contrôle du juge de l’excès de


pouvoir ne pouvait porter que sur l’application des règles de droit par l’administration,
« les questions de fait étant appréciées de façon discrétionnaire par elle sans que le
juge pût vérifier l’exactitude matérielle des faits invoqués par l’administration encore

829
V. Jaques Robert et Jean Duffar, Droits de l’homme et libertés fondamentales, Paris, Montchrestien, 1993, p.
174.
830
Ordonnance n° 19/0.PCA/CS du 26 septembre 1991, affaire OCDH contre Etat du Cameroun ; ordonnance
n° 20//0.PCA/CS du 26 septembre 1991, affaire Kom Ambroise contre Etat du Cameroun ; ordonnance
n°21//0.PCA/CS du 26 septembre 1991, affaire Cap-Liberté contre Etat du Cameroun.
831
D. Lochak, op. cit., p. 114.

206
moins leur qualification juridique »832. En France, par exemple, le Conseil d’Etat n’est
véritablement devenu juge du fait qu’à partir des arrêts Gomel833 et Camino834.

Dans les affaires O.C.D.H, Kom Ambroise et Cap-Liberté835, le juge


camerounais a, sans le dire explicitement, agi comme juge du fait puisqu’il s’est
reconnu compétent pour connaître si les associations dissoutes tombaient par leurs
agissements sous le coup de la loi relative à la liberté d’association. Celle-ci énonce
en effet que « le Ministre chargé de l’Administration Territoriale peut (…), par arrêté,
dissoudre toute association qui s’écarte de son objet et dont les activités portent
gravement atteinte à l’ordre public et à la sécurité de l’Etat »836. Il en résulte que, la
loi étant faite « pour régler des faits sociaux »837, le juge doit apprécier lui-même les
faits pour voir s’il y a eu violation de la loi soit par les parties mises en cause, soit
par la décision incriminée. La finalité de ce contrôle est de vérifier si « la mesure
prise est appropriée aux faits tels qu’ils sont prévus dans la loi »838 ou si ces faits
sont intervenus en violation de la loi.

En se reconnaissant compétent pour procéder à la qualification juridique des


faits en matière de dissolution d’association, le juge cherche, après avoir
implicitement établi la matérialité des faits, à vérifier si ceux-ci rentrent bien dans la
catégorie juridique déterminée par la loi et s’ils ont été de nature à justifier la décision
de dissolution querellée. « Une appréciation des faits doit donc être entreprise ; c’est
cette appréciation que contrôle le juge »839. Ce faisant, le juge est amené à exercer
un contrôle dit « normal » qui consiste à rechercher si les faits, c’est-à-dire par
définition l’exercice de la liberté d’association, « constituaient un trouble ou une
menace de trouble pour l’ordre public »840et pour la sécurité de l’Etat.

Comme l’écrit un auteur, « les motifs de fait sont en général définis avec
beaucoup moins de précision que les motifs de droit »841, laissant ainsi aux autorités
administratives une assez large latitude quant à l’appréciation de l’existence des

832
J-M. Auby et R. Drago, op. cit., p. 392.
833
CE, 4 avril 1914, p. 488, S. 1917. III. 25, note Hauriou.
834
CE, 14 janvier 1916, p. 15, S. 1922. III. 10, concl. Corneille, RDP, 1917, p. 463, concl. Corneille, note Jèze
835
V. note 856, supra.
836
Article 13 alinéa 2 de la loi n°90/053 du 19 décembre 1990.
837
M. Hauriou, op. cit., p. 450.
838
Ibid.
839
G. Vedel et P. Delvolvé, T2, op. cit., p.321.
840
M. Dran, op.cit., p. 311.
841
F-P Benoїt, Le droit administratif français, Paris, LGDJ, 1968, p. 547.

207
circonstances de nature à justifier la prise de la décision. Ceci implique par
conséquent « un rôle important du juge administratif en matière de qualification des
faits »842, et une démarche plus ou moins complexe843dont il convient de déterminer
la portée.

2. La portée de la connaissance des faits reprochés aux associations


dissoutes

La qualification juridique des faits est une opération qui met en présence le
droit et le fait, au terme d’ « un cheminement à double direction : le juge tire en effet,
dans une première étape, d’un texte abstrait une règle pratique - autrement dit, un
" concept qualificateur " - mais, parallèlement, soumet le fait à l’abstraction, l’élève à
la généralité de la loi »844 ; dans une seconde étape, il peut rechercher l’identité entre
les deux termes de sa démarche, du général au particulier, du particulier au général ;
« il s’interrogera alors si le " concept qualificateur " dégagé de la norme recouvre
bien le cas d’espèce »845. Il s’agit donc d’un contrôle complexe qui « demeure
cependant objectif en ce qu’il porte sur la conformité des motifs de fait à l’intention
exprimée (ou supposée) du législateur, le juge recherchant si le fait est de nature à
justifier légalement la décision »846incriminée. A l’instar du contrôle de l’existence
matérielle des faits, il fait « partie intégrante du contrôle de la légalité au même titre
que l’erreur de droit »847.

Pour J. Morand-Deviller, « appelé à un large développement, le contrôle de la


qualification juridique des faits donne au juge le pouvoir de censurer l’erreur commise
dans la démarche intellectuelle (objective) de l’autorité administrative (…). L’intérêt
de cette technique d’investigation est tel que la qualification juridique est souvent
utilisée comme critère de délimitation entre le contrôle normal et le contrôle restreint
(…) »848.

842
Ibid.
843
G. Xynopoulos, op. cit., p. 25.
844
J.C Venezia, Le pouvoir discrétionnaire, Thèse, Paris, LGDJ, 1959, p. 27, cité par G. Xynopoulos, ibid.
845
G. Xynopoulos, ibid.
846
J- M. Auby et R. Drago, T2, op. cit., p. 371.
847
Ch. Debbasch et J-C Ricci, op. cit., p. 693.
848
J. Morand-Deviller, Cours de droit administratif, 7ème éd., Paris, Montchrestien, 2001, p. 694.

208
En se reconnaissant compétent pour apprécier si les associations dissoutes
ont par leurs agissements violé la loi sur la liberté d’association, le juge se donne le
droit et le devoir de qualifier juridiquement les faits qui leur étaient reprochés. Mais, la
mise en œuvre de sa compétence est limitée, car il « s’en tient à la qualification
opérée par l’autorité compétente, tenant de ce fait pour régulière, légale la mesure
édictée »849. Or, parce que le législateur n’a posé qu’une règle générale régissant la
mesure de dissolution, « c’est en réalité au juge qu’incombe la tâche de rendre la
règle légale déterminant l’étendue du pouvoir de police »850en la matière.

En se confinant ainsi à la qualification juridique opérée par l’Administration, le


juge « renonce en fait à l’exercice de son contrôle » . Il régresse de ce fait « du stade
moyen de la qualification juridique des faits au stade inférieur de la matérialité des
faits »851 ; par voie de conséquence, il renonce à lier le pouvoir discrétionnaire de
l’administration en matière de dissolution d’association. Il est donc logique qu’il
refuse d’apprécier l’opportunité de cette dissolution.

B. LE REFUS D’APPRECIER L’OPPORTUNITE DE LA DISSOLUTION


DES ASSOCIATIONS

Comme l’écrit M. Letourneur, « l’un des problèmes fondamentaux qu’a eu à


résoudre depuis l’origine le juge de l’excès de pouvoir est celui de l’étendue de son
pouvoir de contrôle »852. Il ne suffit pas, soutient-il, « pour le trancher, d’affirmer que
le juge du recours pour excès de pouvoir est le juge de la légalité de l’action
administrative, l’Administration restant maîtresse de l’opportunité de celle-ci. Ce
serait à la fois reculer la difficulté et masquer la véritable question »853. C’est ce qu’a
pourtant fait le juge administratif camerounais dans le contentieux de la dissolution
des associations. En effet, il s’est refusé d’apprécier l’opportunité de la dissolution
des associations prononcée par le Ministre de l’Administration Territoriale854.

849
R. Degni-Segui, « Le contrôle sur l’administration par la voie du recours pour excès de pouvoir », in G. Conac et J. de
Gaudusson, Les Cours Suprêmes en Afrique, III, La jurisprudence administrative, Paris, Economica , 1988, p. 182.
850
S. Ktistaki, Thèse, op. cit., p. 127.
851
R. Degni-Segui, op. cit., p. 182.
852
M. Letourneur, « L’étendue du contrôle du juge de l’excès de pouvoir », EDCE, p. 51.
853
Ibid. Sur la thèse classique de la légalité et de ses défenseurs, lire S. Ktistaki, op. cit., pp. 247-252
854
Sans dire pourquoi et comment, il cite deux arrêts du Conseil d’Etat français rendus en 1936 (CE, 4 avril 1936, affaire
Pujo et autres et CE, 27 novembre 1936, Association des Croix de feu et Briscards) : v. ord. n° 19/0/PCA/CS du 26
septembre 1991, OCDH contre Etat du Cameroun ; ord. n° 20/0/PCA/CS du 26 septembre 1991, affaire Kom Ambroise
contre Etat du Cameroun et ord. n° 21/0/PCA/CS du 26 septembre 1991, CAP-Liberté contre Etat du Cameroun.

209
En procédant de la sorte, le juge camerounais a restreint sa compétence,
alors que rien ne lui interdisait d’exercer un contrôle de l’erreur manifeste
d’appréciation dans l’édiction de la dissolution contestée ainsi qu’un contrôle de
proportionnalité sur ladite dissolution, celle-ci posant en effet un problème
d’adéquation et donc d’opportunité qui est fréquent en matière de police
administrative et qui constitue une question de légalité855.

1. Le refus d’exercer le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation des


faits à la base de la dissolution

Les hypothèses où l’Administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire se


sont multipliées à un rythme considérable et s’étendent dans tous les domaines où
elle intervient. C’est ainsi que les textes se bornent de plus en plus à définir des
objectifs, « en laissant l’administration maître des moyens à employer pour les
atteindre, ou bien lui laissant la faculté d’accorder des dérogations aux règles qu’ils
posent en fonction de considérations d’opportunité »856. Le juge a donc le choix entre
l’exercice d’un contrôle purement formel de l’action administrative et l’exercice d’un
contrôle qui l’amène à apprécier l’opportunité de cette action.

L’évolution de la jurisprudence administrative française des vingt dernières années


montre que c’est bien la seconde voie que le juge français a choisie, après quelques
hésitations cependant. Ainsi, « la notion d’erreur manifeste d’appréciation (…), apparue en
1961, lui permet de censurer des erreurs patentes, grossières, qui jusque-là échappaient
à sa censure puisque commises dans l’exercice par l’administration de son pouvoir
discrétionnaire (…) »857. Sous le couvert de cette notion, il «accroît de façon
potentiellement illimitée l’étendue de son contrôle puisque c’est lui qui décide, en dernière
analyse, qu’une erreur est manifeste ou non »858.

Née d’une volonté d’« extension du contrôle minimum »859, l’erreur manifeste
d’appréciation a tendance à englober aujourd’hui en droit administratif français, le
contrôle de la qualification des faits, au point où certains auteurs considèrent qu’ « on

855
Sur la nouvelle conception de la légalité qui intègre l’examen de l’opportunité et ses partisans, v. S. Ktistaki,
op. cit., pp 252-258.
856
D. Lochak, op. cit., p. 114.
857
Ibid.
858
Ibid.
859
J . M Auby et R. Drago, Traité de contentieux administratif, T2, op. cit., p.398.

210
peut dire que ce dernier procédé de contrôle a pratiquement disparu »860 . En effet,
le contrôle de l’erreur manifeste est exercé dans tous les cas de contrôle
minimum861qu’il a d’ailleurs « dépassé pour se généraliser dans différents domaines
du contentieux des motifs et constituer un moyen de transition vers un contrôle
normal de la décision administrative »862.Ainsi, s’il apparaît que la qualification des
faits est si évidemment erronée que même un non technicien peut l’infirmer, le juge
français annule la décision querellée863.

Lorsque le juge administratif français exerce le contrôle de l’erreur manifeste


d’appréciation, il « se réserve de décider si l’appréciation des faits à laquelle
l’administration s’est livrée n’est pas manifestement erronée, c’est-à-dire entachée
d’une erreur grave, qui saute aux yeux »864.

En introduisant ce contrôle dans son système de contrôle, le juge français a


voulu limiter les abus auxquels peut donner lieu l’exercice par l’administration de son
pouvoir discrétionnaire865. Depuis sa mise en œuvre, il « s’étend à toute hypothèse
où le juge se refuse encore à contrôler pleinement la qualification juridique des
faits »866.

Dans les affaires relatives à la dissolution des associations, le moyen tiré de


l’erreur manifeste d’appréciation n’a pas été évoqué par le juge administratif
camerounais. Pourtant, il pouvait étendre son contrôle dans la recherche de l’erreur
manifeste de qualification des conditions légales justifiant la mesure de dissolution. Il
a plutôt choisi l’autolimitation de sa compétence.

La question qui vient alors à l’esprit est de savoir si un tel moyen pouvait être
opérant en cette matière. Le droit jurisprudentiel français ayant été transposé au
Cameroun, aussi longtemps que le juge camerounais ne se sera pas prononcé sur
un point de droit pour le rejeter, celui-ci doit être présumé s’appliquer en droit
administratif camerounais. Il appartient donc au juge administratif camerounais de

860
J . M Auby et R. Drago, Traité des recours en matière administrative, Paris, Litec, 1992, p. 526.
861
V. Ibid. p. 399, avec les illustrations jurisprudentielles.
862
S. Ktistaki, op. cit., p. 355.
863
V., par ex , CE, 29 mars 1968, Société du Lotissement de la plage de Pampelonne, AJ, 1968, p. 341 ; CE ; 6
novembre 1970, Guye, AJ, 1971, p.54.
864
Jean-Paul Costa, « Le principe de proportionnalité dans la jurisprudence du Conseil d’Etat », AJDA, 1988, p.
435
865
Dans le même sens, Patrick Wachsmann, Libertés publiques, 3ème éd.., Paris, Dalloz, 2000, p. 164.
866
S. Ktistaki, op. cit., p. 357.

211
l’utiliser et de le développer dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice ;
sinon, il limite les modalités de son contrôle qui, du reste, comporte d’autres limites.

Au demeurant, en se déclarant incompétent pour apprécier l’opportunité de la


dissolution des associations, le juge camerounais a refusé d’exercer le contrôle de
proportionnalité sur ladite dissolution.

2. Le refus d’exercer le contrôle de proportionnalité sur la mesure de


dissolution

En refusant d’apprécier l’opportunité de la dissolution des associations, le juge


administratif camerounais s’est refusé d’en contrôler la proportionnalité, alors même
qu’il s’agit d’une mesure de police. Or, rien ne s’opposait à ce qu’il exerce un tel
contrôle.

Dans le cadre de ce contrôle, le juge s’interroge sur le point de savoir si


l’événement ou le fait qui, en matière de police, est la menace de désordre, est assez
grave pour imposer la décision qui a été prise. De fait, « il doit y avoir adaptation aux
circonstances et toute limitation des libertés publiques n’est régulière que si elle est
nécessaire face à une situation de fait »867. Le juge contrôle donc l’adéquation des
moyens aux fins. Ici, la gravité de la mesure doit correspondre à la gravité de la
menace. En fait, « au nom du principe de proportionnalité, il (le juge) censure en
réalité des décisions qu’il estime inopportunes »868.

La question de savoir si l’autorité administrative doit justifier de la nécessité de


l’atteinte que la décision qu’elle a édictée porte à une liberté ne peut se poser que
dans le cadre du contrôle entier. Il devrait en être ainsi en matière de dissolution
d’associations. En effet, « la théorie de la police administrative enseigne (…) que
l’autorité de police administrative ne peut porter atteinte à une liberté " reconnue "
(…) qu’à cette condition »869. C’est ainsi que dans le célèbre arrêt Benjamin rendu
par le Conseil d’Etat français870, l’interdiction de la réunion que le requérant devait
tenir à Nevers a été annulée en raison du fait que la menace alléguée à l’ordre public
− l’existence d’une manifestation hostile −, pour certaine qu’elle ait été, ne présentait
pas un degré de gravité tel qu’elle ne pouvait être parée par des moyens moins

867
G. Dupuis, M- J. Guédon et P. Chrétien, Droit administratif, 6e éd., Paris, Armand Colin, 1998, p.473.
868
Ibid.
869
P. Wachsmann, op. cit., p. 169.

212
rigoureux. L’autorité de police doit donc tenter de sauvegarder la liberté « reconnue »
autant qu’il est possible de telle sorte que son sacrifice n’intervienne qu’à titre
d’ultima ratio.

En général, le contrôle de la nécessité de la mesure administrative est


pratiqué en matière de police générale lorsque les mesures prises portent atteinte à
des libertés comme la liberté de la presse871,d’association872, d’aller et venir873,
d’opinion874 ou du commerce et de l’industrie875. Il intervient également en matière de
police spéciale. On est donc surpris de constater qu’en matière de dissolution
d’associations, le juge camerounais ne fasse pas intervenir ce contrôle. La question
étant de savoir si la mesure de dissolution prononcée à l’encontre des associations
concernées était proportionnelle aux faits qui leur étaient reprochés ; autrement dit, si
elle était nécessaire donc opportune, la loi ayant prévu une mesure moins radicale
qui est la suspension876. Ainsi , l’opportunité de la mesure s’avère donc être une
condition de sa légalité, la liberté reconnue, définie et nommée étant considérée
comme un principe premier qu’il convient de sauvegarder en priorité.

Le juge doit, par conséquent, non seulement « contrôler la réalité des motifs
d’ordre public de la décision, car elle est une condition de sa légalité, mais encore il a
le droit d’apprécier les circonstances de fait qui ont déterminé l’action du pouvoir de
police »877. Pour déceler l’adéquation de la mesure de police aux circonstances de
l’espèce, le juge de l’excès de pouvoir se livre à un examen minutieux des faits ; « il
se demande quelle mesure il convient de prendre dans le cas concret pour prévenir
les désordres »878.

S’il est acquis que le contrôle normal du juge administratif s’arrête en principe
à l’opération de la qualification juridique des faits, qui est « la traduction en termes

870
CE, 19 mai 1933, GAJA, p. 298.
871
V. CE, 23 novembre 1951, Société Nouvelle d’imprimerie, d’édition et de publicité, Rec. p. 553, RDP. 1951,
p. 1098, note Waline, concl. Latourneur.
872
V. CE, 11 juillet 1956, Amicale des Annamites de Paris, Rec. p. 317 ; AJDA, 1956, II, 400, Chr. Fournier et
Braibant ; CE, 12 juillet 1956, M’Paye, N’gom et Moumié, Rec. p. 331
873
en ce sens CFJ / CAY, arrêt du 27 janvier 1970, aff. Obame Eteme Joseph c/ Etat du Cameroun Fédéral.
874
V. CE, 26 oct. 1956, Association des Combattants de la paix et de la liberté, Rec., p. 391 RDP, 1957, p. 540
concl. Heumann ; AJDA, 1956, II, p. 490 Chr. Fournier et Braibant.
875
V. CE, 30 mais 1952, Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes, Rec., p. 289.
876
V. article 13 alinéa 1er de la loi n° 90/053 du 19 décembre 1990 portant sur la liberté d’association.
877
M. Dran, op. cit., p. 313. V. aussi, Teigen, La police municipale, Thèse, Nancy 1934 ; J. Castagne, Le contrôle
juridictionnel de la légalité des actes de police administrative, Thèse, Paris, LGDJ, 1964, pp.152 et suiv.
878
S. Ktistaki, op. cit., p. 130.

213
juridiques des données concrètes de l’espèce »879, il est banal d’affirmer aujourd’hui
qu’il est des cas largement reconnus dans lesquels le juge ne s’arrête pas là.
D’ailleurs en droit français, le juge exerce non seulement un contrôle de
proportionnalité ou de la nécessité de la mesure querellée mais également un
contrôle dit du bilan coût-avantage qui participe également de l’appréciation de
l’opportunité de ladite mesure. Il s’agit en fait d’une modalité nouvelle du contrôle de
proportionnalité qui permet à la légalité de rejoindre l’opportunité.

Comme l’écrit A. de Laubadere, « il y aura contrôle de l’opportunité lorsque le


juge estimera, à la suite de sa propre ré -appréciation des circonstances de l’affaire,
que la mesure critiquée convenait ou non »880. Le recours au « bilan » permet au
juge, dans certaines hypothèses où l’erreur manifeste serait difficile à découvrir, donc
à censurer, de contrôler efficacement l’action administrative. Le juge camerounais
pouvait, par ce biais, contrôler la légalité des mesures de dissolution d’associations
prises par l’Administration. Faute de l’avoir fait dans les affaires O.C.D.H, Kom
Ambroise et Cap-Liberté, il a restreint sa compétence pour des motifs d’opportunité.
Pourtant, l’opportunité participe - de plus en plus - d’une condition de légalité des
mesures administratives en général et des mesures de police en particulier.

Comme l’écrit, à juste titre, D. Chabanol, « la frontière entre contrôle de


légalité et contrôle d’opportunité n’est ni linéaire ni tranchée (…) ; il n’est point de
domaine dans lequel l’appréciation portée par l’administration – son choix en
opportunité- échappe au contrôle, restreint ou normal, du juge. C’est dire que le
contrôle de légalité incorpore et implique pour une bonne part un contrôle
d’opportunité pouvant aller jusqu’à la substitution totale du juge à l’administrateur,
non point certes pour édicter l’acte correct, mais pour le définir (…). Il est donc
parfaitement erroné d’opposer contrôle de légalité et contrôle d’opportunité, le
second étant partie intégrante du premier »881.

Il se dégage de ce qui précède qu’« il faut renoncer à tout expliquer en disant :


le juge contrôle la légalité, non l’opportunité, bien au contraire, faut-il dire : le juge

879
Y.Gaudemet, Les méthodes du juge administratif, Thèse, Paris, LGDJ, 1972, p. 25.
880
A. de Laubadère, « Le contrôle juridictionnel du pouvoir discrétionnaire dans la jurisprudence récente du
Conseil d’Etat », Mélanges Waline, Paris, 1974, p. 533.
881
D. Chabanol, « Contrôle de légalité et liberté de l’administration », AJDA, 1984, pp.14-15.

214
contrôle la légalité, ce qui peut l’obliger dans certains cas à contrôler
l’opportunité »882. Il devrait en être ainsi de la dissolution des associations.

Ce n’est pas seulement en matière de dissolution d’associations que le juge


administratif détermine de façon ambivalente sa compétence. Il en est de même en
matière de contentieux électoral municipal.

PARAGRAPHE II : LA DETERMINATION DE LA COMPETENCE DU JUGE


ADMINISTRATIF EN MATIERE DE CONTENTIEUX
ELECTORAL MUNICIPAL

Selon l’excellente définition de M. Hauriou, « l’élection est une opération


administrative par laquelle une majorité de votants, parmi les électeurs inscrits dans
le corps électoral, nomme un ou plusieurs représentants par la voie du scrutin »883.
La vie administrative se fondant en grande partie sur elle, « l’organisation du contrôle
tendant à assurer le fonctionnement normal des institutions électives revêt une
grande importance »884. D’où la nécessité, en cas de contentieux, de vérifier par la
voie juridictionnelle ou non juridictionnelle la régularité des opérations y relatives,
« car il s’agit, en l’occurrence de constituer des corps administratifs chargés de faire
marcher un service public »885.

Le contentieux électoral traite « des litiges qui sont relatifs au processus


électoral »886 . Il s’appréhende comme « l’ensemble des contestations ou de litiges
liés à l’organisation, au déroulement et aux résultats des élections, et de l’ensemble
des règles régissant la solution de ces litiges par voie juridictionnelle »887 et/ou non
juridictionnelle. Les litiges ou différends que traite ce contentieux ne naissent pas en
un jour- celui du scrutin. Ils s’inscrivent dans un processus ou un ensemble
d’opérations « qui se réalisent avant, pendant ou après le scrutin »888.

Le contentieux électoral a un double objectif : d’une part, vérifier la régularité


externe de l’élection en s’assurant du bon accomplissement des formes, des

882
M. Waline, « Etendue et limites du contrôle du juge administratif sur les actes de l’administration », EDCE,
1956, p. 28.
883
M. Hauriou, Précis de droit administratif et de droit public, Paris, Sirey, 1919, pp. 209-210.
884
E. Prévedourou, op. cit., p. 114.
885
Ibid.
886
F. Delpérée, Le contentieux électoral, 1ère éd., Paris, Que sais-je ?, PUF, 1998, p. 3.
887
M. Kamto, « Le contentieux électoral au Cameroun », Lex Lata , n°20, Nov. 1995, p.3.
888
F. Delpérée, op. cit., p. 3.

215
procédures et des opérations qui l’accompagnent ; d’autre part, vérifier la régularité
interne de l’élection en s’assurant de la validité des résultats et de la qualité des élus.
Ce contentieux se développe en amont : on parle de contentieux préélectoral ou
contentieux des opérations antérieures à l’élection et porte aussi bien sur la
constitution des listes d’électeurs, l’établissement et la distribution de cartes
d’électeurs, les candidatures que sur la campagne électorale. Il peut rebondir en aval
ou après l’élection et porte sur les opérations électorales : on parle de contentieux
post électoral. Ici, « il s’agit, plus fondamentalement de s’interroger sur la régularité
de l’élection »889. Mais, comme l’écrit F. Delpérée, « la distinction entre les
contentieux préélectoral et post électoral est délicate à établir »890 et pose le
problème de la détermination de l’étendue et des limites des compétences des
organes appelés à statuer. Il en est ainsi du contentieux électoral municipal au
Cameroun dans lequel interviennent la Commission communale de Supervision et le
juge administratif. La répartition des compétences en la matière revêt une certaine
complexité. En effet, si « l’existence de plusieurs structures chargées d’apurer les
litiges électoraux à divers stades du processus électoral n’est pas en soi une
mauvaise chose », encore « faut-il que ces divers éléments puissent s’emboîter afin,
non pas d’empêcher le respect des droits des uns et des autres, citoyens et partis
politiques engagés dans la joute électorale, mais d’aider à leur meilleure
concrétisation »891. De fait, « la subsidiarité contentieuse et le souci de proximité des
formations de jugement ne sauraient justifier des situations juridiques confinant au
déni de justice, ou compliquer l’accès au juge en rendant difficilement lisibles les
règles présidant au portage des compétences entre les instances intervenant au
contentieux »892. Il résulte pourtant de la jurisprudence relative au contentieux
électoral municipal que c’est ce à quoi on assiste lorsque le juge administratif statue
sur sa compétence. En effet, dans certains cas, il refuse de connaître des litiges
portant sur des opérations antérieures ou liées à l’élection des conseillers
municipaux (A), tandis que dans d’autres, il accepte de connaître des litiges relevant
des opérations antérieures à la même élection (B).

889
Ibid.
890
Ibid.
891
A. D. Olinga, « Contentieux électoral et Etat de droit au Cameroun », Juridis Périodique n° 41, Jan-Fév. Mars
2000, p. 38.
892
Ibid.

216
A. LE REFUS DE CONNAITRE DES LITIGES PORTANT SUR DES
OPERATIONS ANTERIEURES OU LIEES A L’ELECTION DES
CONSEILLERS MUNICIPAUX

Il se dégage de la jurisprudence relative au contentieux électoral municipal


que le juge administratif se refuse, dans certains cas, de connaître des litiges portant
sur les opérations antérieures à l’élection et sur les opérations liées directement à
l’élection. Ce faisant, il méconnaît l’urgence qui fonde ce contentieux, surtout que
son refus n’est pas toujours juridiquement justifié.

1. Les litiges portant sur des opérations antérieures à l’élection

Le juge administratif décline sa compétence tant en ce qui concerne les litiges


portant sur l’électorat, les candidatures, le comportement des candidats ou leurs
représentants que ceux relatifs aux faits commis lors de la campagne électorale.

a. Les litiges portant sur l’électorat

D’après l’article 12 al. 2 §2 de la loi n° 92/002 d u 14 août 1992, le CCS


connaît toutes les réclamations ou contestations concernant les listes électorales et
les cartes électorales. Elle ordonne, par ailleurs, toutes rectifications rendues
nécessaires à la suite de l’examen, par elle, des réclamations ou contestations
dirigées contre les actes de l’autorité administrative concernant les listes et les cartes
électorales893. Aussi, saisi des recours portant sur l’établissement des listes
électorales894, l’établissement et à la délivrance des cartes électorales895, le juge
administratif se déclare incompétent pour en connaître, estimant qu’il s’agit
d’opérations préélectorales qui relèvent de la compétence de la CCS.

893
V. § 4 al. 2 de l’article 12 de la loi n° 92/002 du 14 août 1992 fixant les conditions d’élection des conseillers
municipaux.
894
V. CS/CA, jugement n° 34/95-96 du 09 mai 1996, affaire PDC contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement
n° 59/95-96 du 18 juillet 1996, affaire Epale Roger contre Etat du Cameroun (CR de Bare-Moungo); CS/CA,
jugement n° 68/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UNDP contre Etat du Cameroun ; CE/CA, jugement n° 64/95-
96 du 18 juillet 1996, affaire UFDC contre Etat du Cameroun .
895
V. CS/CA, jugement n° 34/95-96 du 09 mai 1996, affaire PDC contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement
n° 35/95-96 du 09 mai 1996, affaire PDC ( CR d’Obala) contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n° 36/95-
96 du 09 mai 1996, affaire PAL contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n° 63/95-96 du 18 juillet 1996,
affaire SDF – UNDP- UDC et ADD ( CU de Yaoundé Vè) contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n°
64/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UFDC contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n° 66/95-96 du 18
juillet1996, affaire USC contre Etat du Cameroun et CS/CA, jugement n° 68/95-96 du 18 juillet 1996, affaire
UNDP contre Etat du Cameroun.

217
En France, par contre, la jurisprudence distingue en ce qui concerne les litiges
relatifs aux listes électorales le contrôle de la régularité formelle des opérations de
révision de la liste électorale, qui relève du juge administratif, conformément au Code
électoral, et le contrôle du bien-fondé des inscriptions et des radiations sur la liste
électorale qui relève, d’après le même Code, des tribunaux judiciaires896.

Au Gabon, la loi a confié le contentieux de l’inscription sur les listes électorales


au tribunal administratif897.

Le juge administratif camerounais se reconnaît également incompétent pour


se prononcer sur les litiges portant sur les candidatures et le comportement des
candidats ou leurs représentants.

b. Les litiges portant sur les candidatures et le comportement des


candidats ou leurs représentants

Le juge administratif camerounais considère qu’il n’est pas compétent pour


connaître de la régularité des candidatures. Il soutient qu’un tel contentieux ressortit
à la compétence de la CCS qui statue définitivement ou en premier et dernier ressort.
Il se fonde en cela sur l’article 12 alinéa 2 et § 5 de la loi n° 92/002 du 14 août 1992
qui énonce que la CCS « connaît des contestations et du contentieux portant sur les
candidatures et le comportement des candidats ou leurs représentants en période
électorale », et sur l’article 27 de la même loi qui prescrit que les recours relatifs au
contentieux de candidatures sont portés devant la CCS qui statue « définitivement
dans les trois (3) jours au plus tard suivant la déclaration de recours ».

Ainsi, le juge administratif estime que, conformément à la loi n° 92/002, seule


la CCS est compétente pour connaître des contestations liées au rejet d’une liste de
candidats et qu’il ne peut, par conséquent, statuer sur de telles contestations898.

Il estime également que, au regard la loi n° 92/002 , seule la CCS statue sur la
décision d’acceptation ou de rejet d’une candidature ou d’une liste ; aussi, les litiges

896
V.B. Lassere et S. Hubac, « Le contentieux des élections municipales », AJDA, 1984, pp. 314-315 ; Y.
Landon-Toutain, « Le juge du tribunal d’instance et le contentieux de la liste électorale », Gaz. Pal., 1988, pp.
714-717 ; B. Maligner, « Le contentieux des élections municipales de 1989 », RFDA, 1991, pp. 26-27 et Ch.
Debbasch et J-C Ricci, op. cit., pp. 724-725.
897
V. article 80 alinéa 6 de la loi n°7/94 du 16 septembre 1994 portant organisation de la justice.
898
CS/CA, jugement n° 58/95-96 du 18 juillet 1996, affaire Le Parti Conservateur Républicain (PCR) contre
Etat du Cameroun ;

218
portant sur la qualification899 ou la disqualification900 des candidats et des listes de
candidats relèvent, non pas de sa compétence, mais de celle de ladite Commission
qui statue souverainement. Il considère donc comme vain le fait pour un requérant de
produire aux débats des photocopies d’une requête qu’il aurait adressée sans suite à
la CCS, soit parce que la preuve que ladite requête a atteint sa destination n’est pas
rapportée901, soit parce que la copie de la dite requête ne comporte aucune trace de
décharge902.

De même, le juge refuse de statuer sur des contestations relatives au rejet de


candidature lorsqu’il est établi par la CCS, compétente en la matière, s’est déjà
prononcée sur la question903.

Se fondant sur le fait que la CCS connaît de l’ensemble des contestations


relatives aux candidatures et qu’elle statue à cet effet « souverainement » ou en
« premier et dernier ressort », le juge administratif camerounais « a bâti deux univers
juridictionnels autonomes, deux blocs de compétence nettement séparés ».904 Il
résulte de sa jurisprudence en la matière que le contentieux préélectoral relève de la
CCS, tandis que le contentieux post électoral ressortit à sa compétence905.

En ce qui concerne les contestations relatives aux comportements des


candidats ou leurs représentants en période électorale, le juge estime également
que, conformément à la loi, elles relèvent, non pas de sa compétence, mais de celle
de la CCS906. Par ailleurs, il décline sa compétence pour connaître des faits commis
lors de la campagne électorale tels que les faits de diffamation.

899
CS/CA, jugement n° 30/95-96 du 19 avril 1996, affaire UPC contre Etat du Cameroun.
900
CS/CA, jugement n° 33/95-96 du 09 mai 1996, affaire Enandjoum Bwanga (PCCS) (CR de N’Samba) ; RDPC contre Etat
du Cameroun ; CS/CA, jugement n° 35/95-96 du 09 mai 1996, affaire PDC (CR d’Obala) contre Etat du Cameroun ; CS/CA,
jugement n° 46/95-96 du 19 avril 1996, affaire UNDP contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n° 59/95-96 du 18 juillet
1996, affaire Epalè Roger Delore contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n° 60/95-96 du 18 juillet 1996, affaire RDPC
contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n° 69/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UNDP contre Etat du Cameroun.
901
V. CS/CA, jugement n° 35/95-96 du 19 avril 1996, affaire PCD ( CR d’Obala) contre Etat du Cameroun ;
CS/CA, jugement n° 36/95-96 du 19 avril 1996, affaire PAL contre Etat du Cameroun.
902
V. CS/CA, jugement n° 70/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UNDP (CR de Makary, Kousseri et Zina) contre
Etat du Cameroun.
903
V. CS/CA, jugement n° 40/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UPC (C.R de Penka Michel)contre Etat du Cameroun ;
CS/CA, jugement n° 41/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UPC contre Etat du Cameroun (CR de Bamendjou ).
904
A. D Olinga, op. cit., p. 39.
905
V. par ex, CS/CA, jugement n° 47/95-96 du 18 juillet 1996, affaire SDF et PCR contre Etat du
Cameroun (CU Yaoundé III).
906
CS/CA, jugement n° 69/95-96 du 18 Juillet 1996, affaire UNDP (CR de Zina) contre Etat du Cameroun (dans cette
affaire, le candidat d’une liste concurrente est accusé d’avoir menacé de mort un candidat de la liste du parti requérant);
CS/CA, jugement n° 69/95-96 du 18 Juillet 1996, affaire UNDP (CR de Makary, Kousseri et Zina) contre Etat du
Cameroun ( le requérant accuse les chefs traditionnels d’avoir détourné l’intention de vote des électeurs en leur promettant le
reclassement de leur chefferie en cas de victoire du parti adverse).

219
c. Les faits commis lors de la campagne électorale

Les actes commis lors de la campagne électorale sont réglés par l’article 28
de la loi n° 92/002. L’alinéa 1 er de cet article dispose qu’ « il est interdit à tout
candidat de porter atteinte à l’honneur ou à la considération d’un autre candidat par
quelque moyen que ce soit, dans un lieu ouvert au public, ou par des faits dont il ne
peut rapporter la preuve ». L’alinéa 2 du même article dispose, quant à lui, que « la
victime des faits diffamatoires, peut, par requête et sans préjudice des poursuites
pénales contre l’auteur et/ou ses complices, en saisir la Commission communale de
Supervision, laquelle doit statuer dans un délai de trois (3) jours à compter de la date
de saisine (…) ». Pour le juge, il résulte de ces dispositions légales que les litiges
portant sur les faits diffamatoires commis lors de la campagne électorale relèvent de
la compétence de la CCS907.

Quant aux actes d’intimidation, l’atteinte à l’intégrité physique et aux biens qui
ne figurent pas parmi les cas énumérés par les dispositions législatives relatives aux
conditions d’élection des conseillers municipaux, le juge considère qu’ils ne peuvent
être portés ni devant la CCS ni devant lui, « ces faits relevant des juridictions de droit
commun »908.

Alors même que la loi donne compétence au juge pour connaître du


contentieux relatif aux opérations électorales, il décline sa compétence lorsqu’il est
sollicité pour statuer sur des opérations liées à l’élection.

2. Les litiges portant sur des opérations liées à l’élection

D’après l’article 33 de la loi n° 92/00 2 du 14 août 1992, « tout électeur et tout


candidat a le droit d’arguer de nullité les opérations électorales de la commune
devant le juge administratif ». Mais, cet article ne dit pas ce qu’elle entend par
opérations électorales.

Lorsqu'on se réfère à la loi n° 91/020 du 16 déce mbre 1991 fixant les


conditions d’élection des députés de l’Assemblée Nationale dont les dispositions
« sont applicables mutatis mutandis à l’élection des conseillers municipaux, sous

907
V. CS/CA, jugement n° 54/95-96 du 8 juillet 1996, affaire UNDP contre Etat du Cameroun ; CS/CA,
jugement n° 64/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UFDC contre Etat du Cameroun.
908
CS/CA, Jugement n° 54/95 du 18 juillet 1996, affaire UNDP contre Etat du Cameroun.

220
réserve de celles particulières fixées par »909 la loi n° 92/002 fixant les conditions
d’élection desdits conseillers municipaux, il en ressort que les opérations électorales
concernent l’organisation et le fonctionnement des bureaux de vote910, le
déroulement911 et le dépouillement du scrutin912.

Au regard de cette disposition législative, on peut déduire que le contentieux


des opérations électorales « est lié aux opérations concourant directement à
l’expression du suffrage des électeurs »913, c’est-à-dire « celui du vote et de ses
résultats »914 . Il doit donc être distingué du contentieux des opérations préparatoires
à l’élection.

Concrètement donc, le contentieux des opérations électorales concerne les


litiges liés au fonctionnement des bureaux de votes, au déroulement et au
dépouillement du scrutin915 qui s’achève par la publication des résultats consignés au
procès-verbal. Pourtant, le juge administratif camerounais a, de façon inattendue,
décliné sa compétence pour connaître des litiges portant sur le déroulement du
scrutin, sur la remise et la falsification des procès-verbaux de dépouillement de
scrutin.

a. Les litiges relatifs au déroulement du scrutin

Le déroulement du scrutin concerne l’ensemble des opérations qui


aboutissent à l’expression du suffrage par les électeurs.

Pour le juge administratif, ces opérations ressortissent à la compétence de la


CCS au même titre que les opérations préparatoires à l’élection. Il range ainsi le
contentieux portant sur le déroulement du scrutin dans le contentieux préélectoral
qu’il ne peut connaître.

Ainsi, dans l’affaire P.D.C du 9 mai 1996916, le juge considère que les
contestations formulées par le requérant portant sur le vote des mineurs et des
électeurs étrangers à la circonscription électorale de par leur origine, leur résidence

909
Article 1er de la loi n° 82/002 du 14 août 1992.
910
Voir article 95 à 97 de la loi n° 91/020.
911
Voir articles 98 à 103 de la loi n° 91/020.
912
Voir article 104 à 114 de la loi n° 91/020.
913
M. Kamto, « Le contentieux électoral au Cameroun », op. cit., p. 10.
914
J-C Masclet, op. cit., p. 319.
915
Voir M. Kamto, op. cit.
916
CS/CA, jugement n° 35/96-86 du 09 mai 1996, affaire P.D.C. contre Etat du Cameroun.

221
et leur domicile et celles portant sur le transport des « allogènes » pour qu’ils votent
dans une circonscription autre que la leur, font partie du contentieux préélectoral qui
relève de la CCS. Pour lui, en effet, il résulte de la loi n° 92/002 du 14 août 1992 que
« toutes les réclamations du requérant alléguées depuis l’établissement des listes
électorales jusqu’au déroulement du scrutin (…) sont de la compétence de ladite
commission ».

De même, dans l’affaire P.A.L du 09 mai 1996917, le juge estime que les
contestations du requérant relatives au bourrage des urnes, aux inscriptions
multiples des mêmes personnes dans le même bureau de vote et dans plusieurs
bureaux de vote, « relèvent des attributions de la commission communale de
supervision ». Il se fonde ainsi sur l’article 12 de la loi n° 92/ 002 qui dispose que la
CCS est chargée de veiller à la régularité des opérations électorales.

Relèvent également de la compétence de la CCS, selon le juge, les


contestations portant sur l’insuffisance des bulletins de vote de la liste d’un parti
politique dans des bureaux de vote et celles portant sur le vote de personnes qui ont
voté sans avoir présenté leur carte nationale d’identité918.

Pourtant, toutes ces contestations, qui portent sur le déroulement du scrutin,


font partie des opérations électorales qui, d’après l’article 33 de la loi n°92/002, sont
susceptibles d’être contestées devant le juge administratif.

Il est vrai que l’imprécision de l’article 33 et l’apparente contradiction entre


ledit article et l’article 12 de la loi n°92/002 so nt de nature à favoriser cette
dénégation de compétence par le juge administratif. Mais cela justifie-t-il qu’il se
déclare incompétent aussi pour connaître des litiges portant sur la remise et la
falsification des procès-verbaux de dépouillement du scrutin ?

b. Les litiges portant sur la remise et la falsification des procès-verbaux


du dépouillement du scrutin

Le dépouillement du scrutin est l’opération électorale qui consiste à ouvrir


l’urne du scrutin, à vérifier le nombre des enveloppes qu’elle contient et à procéder

917
CS/CA, jugement n° 36/95-96 du 09 mai 1996, affaire P.AL. contre Etat du Cameroun.
918
CS/CA, jugement n° 63/95-96 du 18 juillet 1996, affaire S.D.F-UNDP-UDC et ADD (C.U de Yaoundé Vè)
contre Etat du Cameroun.

222
au décompte des voies. Elle s’achève par la publication des résultats du scrutin et
leur consignation dans des procès-verbaux.

D’après l’article 31 de la loi n° 92/002, la CCS es t compétente pour vérifier la


régularité desdits procès-verbaux. En cas de simple vice de forme, elle peut en
demander la régularisation immédiate aux membres de la Commission locale.

Par ailleurs, l’article 12 de la même loi habilite la CCS pour veiller sur la
régularité, l’impartialité et l’objectivité des élections. A ce titre, elle centralise et vérifie
les opérations de décompte des votes effectuées par les commissions locales.

C’est au regard de ces dispositions législatives que, dans l’affaire PNP du 18


juillet 1996919, le juge a soutenu que les faits dénoncés par le requérant en ce que la
remise des procès-verbaux de dépouillement du scrutin a été systématiquement
refusée aux scrutateurs de son parti malgré des démarches faites tant auprès du
Sous-préfet que du Président de la CCS, en violation de l’article 30 de la loi 92/002,
constituent un contentieux lié au dépouillement du scrutin qui relève de la CSS
conformément à l’article 12 de la loi n° 92/002.

De même, dans l’affaire PAP du 18 juillet 1996920, le juge décline sa


compétence sur une contestation portant sur la falsification des résultats de
dépouillement du scrutin estimant que les faits dénoncés par le requérant rentrent
dans le cadre des prescriptions de l’article 12 de la loi n° 92/002. Il affirme qu’au
terme de cet article, « la CSS est chargée de veiller à la régularité des opérations
électorales et statue souverainement en la matière ».

Si donc la CCS connaît des contestations portant sur les opérations


électorales, comme l’affirme le juge, il y a lieu de s’interroger sur la substance et la
portée de l’article 33 de la loi n° 92/002 qui énon ce clairement que « tout électeur et
tout candidat a le droit d’arguer de nullité les opérations électorales de la commune
devant le juge administratif ». Il s’avère que le juge remet en cause les deux blocs de
compétences nettement séparés qu’il a lui- même bâtis dans les affaires UPC921,

919
CS/CA, jugement n° 65/95-96 du 18 juillet 1996, affaire PNP (CR/Mbam) contre Etat du Cameroun.
920
CS/CA, jugement n° 56/95-96 du 18 juillet 1996, affaire PAP (Parti d’Action Paysanne) contre Etat du
Cameroun.
921
CS/CA, jugement n° 41/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UPC contre Etat du Cameroun – Commune rurale de
Bamendjou.

223
SDF et PRC922 et SDF-UNDP-UDC et ADD923 intervenues le même jour que les
précédentes, à savoir le 18 juillet 1996.

Dans l’affaire SDF et PRC, par exemple, il a soutenu, en effet, qu’aux termes
de l’article 12 de la loi n° 92/002, « il existe un contentieux préélectoral qui lui, relève
de la compétence exclusive de la CCS et un contentieux post électoral qui est de la
compétence de la juridiction administrative ».

De même, dans l’affaire SDF-UNDP-UDC et ADD, il a clairement affirmé que


« (…) le rôle de la CCS se limite à la proclamation des résultats dont elle se dessaisit
du procès-verbal, les réclamations éventuelles sur les opérations électorales devant
être portées devant la juridiction administrative ».

Il résulte donc de la jurisprudence du juge administratif camerounais relative


au contentieux des opérations électorales « une situation (…) de profonde incertitude
juridique »924, car on ne sait plus finalement ce qui relève de la CCS et ce qui
ressortit à sa compétence. La preuve en est qu’il admet sa compétence dans des
matières relevant des opérations antérieures à l’élection des conseillers municipaux.

B. LA CONNAISSANCE DES LITIGES PORTANT SUR DES OPERATIONS


ANTERIEURES A L’ELECTION DES CONSEILLERS MUNICIPAUX

Au regard de l’article 33 de la loi n° 92/002, le j uge administratif connaît des


contestations et contentieux portant sur les opérations électorales. Celles-ci
concernent, au sens de la loi n° 91/0016 du 18 juil let 1991 fixant les conditions
régissant l’élection des députés à l’Assemblée Nationale applicable, sauf dispositions
particulières, à l’élection des conseillers municipaux, l’organisation, le fonctionnement
des bureaux de vote, le déroulement et le dépouillement du scrutin. Seulement, dans
la pratique, le juge s’intéresse au contentieux survenu avant les opérations liées à
l’élection donc antérieures à celle-ci. Il connaît ainsi, d’une part, des contestations
portant sur la régularité des actes pris par le Préfet dans le cadre de la préparation
des élections, et, d’autre part, du contentieux portant sur le refus implicite de la CCS
de statuer sur les litiges concernant les candidatures.

922
CS/CA, jugement n° 47/95-96 du 18 juillet 1996, affaire SDF et PCR contre Etat du Cameroun (CU Yaoundé III).
923
CS/CA, jugement n° 63/95-96 du 18 juillet 1996, affaire SDF-UNDP-UDC et ADD (Commune urbaine de
Yaoundé V) contre Etat du Cameroun.
924
A-D .Olinga, op. cit., p. 39.

224
1. La connaissance des litiges portant sur la régularité des actes pris
par le Préfet dans le cadre des opérations préparatoires aux élections
municipales

On distingue le contentieux de l’élection stricto sensu, c’est-à-dire celui du


vote et des résultats du contentieux des actes et des opérations préparatoires à
l’élection.

La question se pose de savoir si ces opérations et ces actes préparatoires


doivent être considérés comme détachables de l’élection et susceptibles de donner
prise à un contentieux distinct de celui qui est porté devant le juge de l’élection .
Autrement dit, un recours pour excès de pouvoir peut-il être formé contre une
décision administrative qui constitue le préliminaire de l’opération électorale ? Il s’agit
là de l’une des questions les plus complexes du droit électoral.

En France, par exemple, « la tendance du juge administratif, juge de l’excès


de pouvoir, qui possède une compétence de principe pour connaître de la légalité
des actes administratifs, est d’opposer l’irrecevabilité aux requêtes dirigées contre les
actes préparatoires »925. En effet, la jurisprudence administrative française est restée
longtemps fixée sur des positions que J-C. Masclet résume de la manière suivante :
«Le juge considère, de façon générale, que les actes administratifs qui constituent le
préliminaire des opérations électorales ne sont pas détachables de ces opérations.
Par conséquent, ils peuvent être contestés devant le juge de l’élection, mais pas
devant le juge de l’excès de pouvoir »926.

Pour le juge administratif camerounais, les actes administratifs pris dans le


cadre des opérations préparatoires à l’élection ne sont pas détachables de celle-ci ;
aussi est-il appelé, en tant que juge de l’élection, à statuer sur les litiges y relatifs. Il
en est ainsi des litiges concernant les actes édictés par le Préfet et portant, soit sur la
constitution des CCS , soit sur le refus de candidatures.

925
J.C. Masclet, op. cit., p. 324.
926
Ibid.

225
a. La connaissance des litiges portant sur la régularité de la constitution
de la CCS par le Préfet

Deux espèces rendues le 18 juillet 1996927 ont permis au juge de retenir sa


compétence sur des litiges relatifs à la régularité de la constitution de la CCS par le
Préfet. Ainsi, dans l’affaire SDF et PCR, il estime que « la Chambre Administrative
peut valablement statuer sur les contestations concernant non seulement les
résultats du scrutin (…), mais aussi sur toutes les opérations électorales antérieures
ne relevant pas de la compétence exclusive de la commission communale de
supervision (…) ; que l’acte préfectoral incriminé en l’espèce faisant partie de telles
opérations (…) la compétence de la Chambre Administrative ne peut être déniée
(…) ». Cette prise de position faisait suite à l’affirmation du défendeur selon laquelle
l’arrêté préfectoral portant composition de la CCS relève du contentieux pré-électoral
que ne peut connaître le juge administratif.

Pour retenir sa compétence, le juge se fonde sur les dispositions des articles
12, 14 (2) et 33 de la loi n° 92/002 du 14 août 199 2. L’article 12 de la loi n° 92/002
énonce, en substance, que créée au niveau de chaque commune, la CCS est
chargée de veiller à la régularité, à l’impartialité et l’objectivité des élections. Quant à
l’article 14 (2), il dispose que « la composition de la commission est constatée par
arrêté du Préfet ». Enfin, l’article 33 donne compétence au juge pour connaître des
contestations portant sur les opérations électorales.

Pour le juge, l’acte préfectoral fait partie des opérations qu’il nomme
« opérations électorales antérieures » qui ne relèvent « pas de la compétence
exclusive de la CSS ». Intervenant dans le cadre de l’article 14 (2) de la loi n°
92/002, il s’agit d’un acte administratif unilatéral que le juge administratif est
compétent pour connaître, car il est susceptible de faire grief dans le cadre du
processus électoral.

De même, dans l’affaire UNDP, le juge admet implicitement sa compétence


pour connaître d’un arrêté préfectoral portant composition de la CCS contestée par le

927
CS/CA, jugement n° 47/95-96 du 18 juillet 1996, affaire SDF et PCR contre Etat du Cameroun (CU de
Yaoundé III) et CS/CA, jugement n° 52/95/96 du 18 juillet 1996, affaire UNDP (représentée par Marcel
Goutalo) contre Etat du Cameroun.

226
requérant au motif que saisi pour statuer sur sa régularité, le Préfet n’a pas donné
suite à la requête à lui adressée.

En somme, le juge administratif, juge du contentieux électoral municipal, est


compétent pour connaître des litiges portant sur les actes pris par le Préfet dans le
cadre du processus électoral dans la mesure où ceux-ci ont un caractère obligatoire
et exécutoire et sont susceptibles de faire grief. C’est le cas des actes portant refus
de candidature.

b. La connaissance des litiges portant sur la régularité du refus de


candidature par le Préfet

Bien qu’en matière d’acceptation ou de rejet de candidature l’intervention du


Préfet est sans effet sur la décision de la CCS qui, conformément à l’article 27 de la
loi n° 92/002, est définitive, le juge se reconnaît compétent pour connaître de la
régularité de cette intervention. C’est ainsi que dans l’affaire SDF du 9 mai 1996928, il
a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par le défendeur quant à la
connaissance par lui de la régularité du refus de la candidature de la liste du parti
SDF par le Préfet en arguant de ce que « le recours fait reproche à l’autorité
administrative de n’avoir pas accepté la liste du parti recourant en dépit de la
décision (…) de la CCS qui aurait statué favorablement sur son cas, ce qui
constituerait une irrégularité sur laquelle se fonde la demande d’annulation ».

Si dans cette espèce le juge a explicitement établi sa compétence avant de


statuer au fond, dans une affaire antérieure intervenue le 29 mars 1996929, il a gardé
le silence sur le moyen allégué de l’incompétence de la juridiction administrative pour
connaître des actes du Préfet. Il reste qu’en statuant au fond, en l’espèce, il a admis
implicitement, mais certainement, sa compétence à connaître de la régularité de
l’intervention du Préfet en matière d’acceptation et de refus de candidature.

Si le juge administratif refuse de connaître des litiges portant sur les actes
explicitement émis par la CCS en matière de candidature, il retient cependant sa
compétence lorsque cette commission a implicitement refusé de statuer sur des
réclamations portant sur les candidatures.

928
CS/CA, jugement n° 37/95/96 du 09 mai 1996, affaire Social Democratic Front contre Etat du Cameroun
(Commune Rurale de Manjo).
929
CS/CA, jugement n° 25/95-96 du 29 mars 1996, affaire FPN (C.R de Mboma) contre Etat du Cameroun.

227
2. La connaissance du contentieux portant sur le refus implicite de la
CCS de statuer sur les contestations de candidature

D’après l’article 27 de la loi n° 92/002 du 14 août 1992, le recours portant sur


la décision d’acceptation ou de rejet d’une candidature ou d’une liste de candidats
est porté devant la CCS qui statue définitivement.

Se prononçant sur la portée de cet article, le juge considère que seule la CCS
est compétente pour connaître les contestations liées au rejet d’une liste de
candidats et qu’elle statue en premier et dernier ressort930. Il en résulte que, lorsque
la CCS s’est prononcée sur le rejet d’une candidature, le juge déclare irrecevable le
recours introduit auprès de lui contre ce rejet931.

Qu’en est-il lorsque la CCS a implicitement refusé de se prononcer sur les


contestations de candidatures dont elle est saisie ? Le juge peut-il connaître de ce
refus tacite ? Il résulte de l’affaire R.D.P.C du 19 avril 1996932 que le juge
administratif admet implicitement mais certainement sa compétence pour connaître
de la carence de la CCS dans l’examen des contestations relatives aux candidatures.
Il estime que cette carence ou ce refus implicite de statuer vicie la régularité des
opérations électorales. Il justifie ainsi son intervention : s’il est établi par la loi n°
92/002 que la CCS est compétente pour connaître des litiges relatifs aux
candidatures ou aux listes de candidats et qu’elle statue souverainement, « il est
cependant constant en l’espèce que saisie dans la journée du 21 janvier 1996 des
réclamations de Tanko Jean portées par requête de ladite date sur les listes du
S.D.F et de l’U.N.D.P, la CCS mise en cause n’a pas statué ».

Cela étant, cet exemple « n’épuise pas la question de principe posée de


délimitation par la loi du champ de compétence des instances appelées à intervenir
au contentieux »933 des candidatures. Au demeurant, l’instance contentieuse
spéciale instituée pour examiner les demandes portant sur ce contentieux ainsi que
sur les autres affaires urgentes est passablement alourdie, tant sur le plan formel que
sur le plan temporel.

930
CS/CA, jugement n° 41/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UPC contre Etat du Cameroun.
931
Voir par exemple CS/CA, jugement n° 40/95-96 du 95-96 du 18 juillet 1996, affaire UPC (CR Penka-Michel)
contre Etat du Cameroun.
932
CS/CA, jugement n° 31/95-96 du 19 avril 1996, affaire RDPC (CR de Penja) contre Etat du Cameroun.
933
A. D. Olinga, op. cit., p. 39.

228
CHAPITRE II

L’ALOURDISSEMENT DE L’INSTANCE
CONTENTIEUSE SPECIALE

229
Les affaires urgentes ne peuvent pas être traitées selon les règles applicables
aux affaires ordinaires. Il faut faire vite pour éviter que l’écoulement du temps ne
préjudicie les droits et intérêts des demandeurs. Il est donc nécessaire de prévoir
une procédure spécifique permettant un traitement accéléré desdites affaires. Il
revient par conséquent au juge de prendre les mesures nécessaires pour alléger sur
le plan formel leur examen en se conformant aux délais que les textes lui ont
prescrits pour statuer.

Il se dégage de la pratique que l’instance contentieuse dans laquelle le juge


administratif camerounais examine les affaires urgentes est alourdie du fait, d’une
part, de l’allègement limité de son cadre formel (Section I) et, d’autre part, de l’
élasticité de son cadre temporel (Section II). Il en est ainsi du contentieux électoral
municipal, du contentieux électoral au sein des chambres consulaires, du contentieux
de la dissolution des associations et du contentieux de la légalisation des partis
politiques.

SECTION I : L’ALLEGEMENT LIMITE DU CADRE FORMEL DE


L’INSTANCE CONTENTIEUSE SPECIALE

La célérité de la procédure contentieuse nécessitée par l’urgence du


traitement de la situation litigieuse « suppose que le cadre formel de l’intervention
soit adapté aux exigences de l’urgence »934. Cette adaptation devrait résulter de
deux facteurs, l’un spécifique à la cause, l’autre général. D’abord, la modification du
cadre formel de l’instance contentieuse peut se traduire dans le cadre particulier des
affaires urgentes par l’assouplissement du formalisme procédural. En simplifiant la
procédure, on fait une économie de temps ce qui favorise la réduction de la durée
de l’instance935. Ensuite, la célérité de la procédure contentieuse dépend de facteurs
moins immédiats et plus généraux tenant à l’adaptation des moyens matériels de la
juridiction administrative à sa mission, et notamment aux exigences d’ordre temporel
qui peuvent l’affecter. Ainsi, « en mettant le juge à même de répondre efficacement
aux impératifs de l’urgence, la modernisation de la gestion des juridictions
administratives favorise aussi l’accélération de la procédure »936.

934
O. Dugrip, op. cit., p. 91.
935
Ibid.
936
Ibid.

230
Si le formalisme procédural peut constituer « une garantie pour l’examen des
causes, l’excès de formalisme entraîne une lenteur dans l’examen des affaires »937.
Son allègement peut donc permettre un jugement plus rapide des affaires. Aussi, la
possibilité pour le juge de statuer d’urgence suppose qu’il puisse assouplir la
procédure lorsque celle-ci résulte des textes spéciaux. Mais, il se dégage de la
pratique juridictionnelle que le cadre formel de l’instance spéciale n’est allégé que
de façon limitée tant au stade de l’instruction (§ I) qu’à celui du jugement (§ II).

PARAGRAPHE I : L’ALLEGEMENT LIMITE DE L’INSTRUCTION DES


DEMANDES

Le principe est que les affaires dont la juridiction administrative « est saisie ne
peuvent pas être jugées sans avoir fait l’objet d’une instruction propre à les mettre en
état d’être réglées par cette juridiction en aussi bonne connaissance de cause
possible »938. L’importance du principe explique que le juge ne peut céder qu’en cas
d’urgence liée à la nature de l’affaire ou lorsqu’il apparaît, « au vu de la requête
introductive d’instance », que la solution de l’affaire est « d’ores et déjà certaine ».

L’instruction est inquisitoriale en ce sens « qu’elle est sous la maîtrise, non


des parties, mais du juge »939. De fait, elle est « dirigée par le juge »940. Au terme de
l’article 9 de l’ordonnance n°75/17 du 08 décembre 1975, cette tâche incombe au
président la juridiction saisie et au rapporteur chargé de l’affaire. Par ailleurs, elle est
principalement écrite. En effet, le juge administratif statue « uniquement sur des
documents écrits » ; c’est ainsi que « les mémoires des parties doivent être
entièrement rédigés, les avocats pouvant seulement à l’audience faire quelques
observations orales portant exclusivement sur les moyens invoqués par écrit dans
les mémoires »941. Enfin, elle est contradictoire « conformément à un principe
général de droit applicable à toute procédure juridictionnelle »942. Ainsi, « toute partie
doit non seulement être avisée d’une instance, mais être mise à même de connaître
tous les éléments »943 et donner son point de vue.

937
Ibid.
938
.R. Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 517.
939
Ibid, p. 520.
940
H. Jacquot, op. cit., p. 119.
941
P- F. Benoїt, Le droit administratif Français, Paris, Dalloz, 1968, p. 384.
942
G. Vedel et Delvolvé, T2, op.cit., p. 119.
943
Ibid.

231
Si « ce raffinement (procédural) est une garantie du sérieux avec laquelle
chaque affaire est examinée »944, il devient une entrave à la célérité procédurale
lorsqu’il est excessif. Aussi, afin de statuer d’urgence, le juge devrait alléger la
procédure d’instruction. Mais, il s’avère que dans la pratique, c’est la forme classique
de l’instruction qu’il applique en matière électorale (A) et que c’est formellement qu’il
limite l’instruction des autres affaires urgentes (B).

A. L’APPLICATION DE LA FORME CLASSIQUE DE L’INSTRUCTION EN


MATIERE ELECTORALE

La possibilité reconnue au juge de statuer d’urgence implique qu’il puisse


assouplir la procédure d’instruction pour permettre un examen plus rapide de
l’affaire. Cet assouplissement peut prendre la forme d’un allègement du débat
contradictoire entre les parties et d’une modification dans ses méthodes de travail.

En matière électorale, cet assouplissement est minimisé, voire ignoré. En


effet, le juge applique généralement en cette matière la forme classique de la
contradiction ainsi que ses méthodes traditionnelles de travail.

1. L’application de la forme classique de la contradiction

La contradiction ou le principe du contradictoire peut être appréhendé comme


« l’association des parties au procès, le droit du plaideur d’ y être présent et actif, et
même acteur, c’est la garantie de participer pleinement au débat judiciaire »945. Il
s’agit, en vérité, d’« une exigence primordiale et même élémentaire du procès
administratif aussi bien que de tout procès »946 au service d’une justice « efficace »
et « équitable »947.

Comme l’écrit R. Odent, « de toutes les règles de procédure, celle qui impose
le caractère contradictoire de la discussion préalable est la plus vénérable et la plus
générale (…) même en l’absence de texte »948.

944
Jacqueline Morand-Deviller, « Le contrôle de l’administration : la spécificité des méthodes du juge
administratif et du juge judiciaire », CERAP, Collectif, Le contrôle juridictionnel de l’administration, Bilan
critique, Paris, Economica, 1991, p. 188.
945
B. Pacteau, op.cit, p. 229.
946
Ibid.
947
O. Gohin, La contradiction dans la procédure administrative contentieuse, thèse, Paris, LGDJ, 1988, pp. 60
et suivantes.
948
R. Odent, Contentieux administratif, op.cit, p. 721.

232
Consacré par la Haute juridiction administrative française comme « un principe
général applicable à toutes les juridictions administratives »949, le « principe du
contradictoire » - ou la contradiction - « tend à assurer l’égalité des parties devant le
juge »950. Il est, selon l’expression de O. Gohin, « de l’essence même de la
juridiction »951.

Appréhendé comme « le droit pour toute personne directement intéressée de


se voir assurer une information utile dans l’instance, par la communication des
différents éléments du dossier produit dans un délai suffisant, en vue de leur
discussion devant le juge »952, le principe du contradictoire ou la contradiction
connaît une double implication . D’abord, il garantit aux parties le droit d’être informé.
Comme l’écrit B. Pacteau, il s’agit de leur « droit au savoir »953 qui suppose « le droit
à l ‘information de chaque partie sur les éléments constitutifs du dossier
d’instruction »954. Ensuite, il implique pour les parties le droit d’informer : c’est leur
droit à « faire savoir »955 ; c’est-à-dire « à répondre aux observations de leur
adversaire, avec la garantie de disposer à cet effet d’un délai "suffisant" pour cette
réplique »956.

En matière électorale, la procédure appliquée par le juge est généralement


contradictoire en ce sens que les parties ont un droit égal à faire valoir et à défendre
leurs prétentions. Ainsi, dans la quasi totalité des cas, les contestations donnent lieu
à une instruction contradictoire. En effet, « un dialogue ordonné par le juge s’instaure
entre les parties au litige »957. Par ailleurs, les délais accordés aux parties pour
produire leur mémoire sont variables ; le principe étant que « le juge est libre de fixer
ces délais sous réserve de laisser aux intéressés un temps suffisant »958.

Il se dégage donc de la jurisprudence relative au contentieux électoral que le


principe du contradictoire est, pour l’essentiel, respecté. Il ne connaît pas de

949
CE, section ; 12 mai 1961 ; somme. La Huta, Rec., 313 ; CE, 13 décembre 1968, Syndicat des Propriétaires
de Champigny-sur-Marme, Rec. 645.
950
CE, 29 juillet, Mme Esclatine.
951
O. Gohin, Contentieux administratif, op. cit., p.220.
952
O. Gohin, La contradiction dans la procédure administrative contentieuse, op. cit. p.24.
953
B. Pacteau, op.cit., p. 230.
954
Ibid.
955
Ibid.
956
Ibid.
957
R. Denoix de Saint Marc et D. Labetoulle, « Les pouvoirs d’instruction du juge administratif », EDCE, 1970,
p. 71.
958
Ibid.

233
« dispense liée à l’urgence »959. La contradiction n’est assouplie dans certains cas
que parce que le juge n’estime pas utile l’intervention écrite de la partie
défenderesse même si celle-ci est informée de la contestation.

Dans le cadre du contentieux électoral municipal, la contradiction dirigée par


le juge est appliquée de diverses manières. Dans certains cas, elle se traduit par la
communication de la requête du demandeur au défendeur suivie de la réponse de ce
dernier960 . Dans d’autres cas, elle se manifeste par l’introduction de la requête
d’instance suivie d’une requête additive puis de la réponse du défendeur961, voire
d’un mémoire en défense additif962 . Dans d’autres cas encore, elle se traduit par
l’introduction de la requête d’instance, de sa communication au défendeur, de la
réponse de ce dernier, et de la transmission de celle-ci au demandeur pour la
réplique, laquelle peut être faite963 ou non964.

959
Victor Haim, « L’écrit et le principe du contradictoire dans la procédure administrative contentieuse », AJDA, 1996, p
718.
960
En ce sens, V, par ex : CS/CA, jugement n°24/95-96 du 29 mars 1996, affaire conseillers municipaux de la commune
rurale de Nanga Eboko contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n°25/95-96 du 29 mars 1996, affaire FPN (CR
MBOMA) contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n°29/95-96 du 19 avril 1996, affaire RDPC (C.U d’Edéa) contre Etat
du Cameroun ; CS/CA, jugement n°30/95-96 du 19 avril 1996, affaire UPC contre Etat du Cameroun et M.L.J.C (CU
d’Edéa) ; CS/CA, jugement n°33/95-96 du 09 mai 1996, affaire Nandjoum Bwanga (PCCS) (C.R de N’samba), RDPC contre
Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n°35/95-96 du 09 mai 1996,affaire PDC (CR d’Obala), contre Etat du Cameroun ;
CS/CA, jugement n°37/95-96 du 09 mai 1996, affaire SDF contre Etat du Cameroun (CR de Manjo), CS/CA, jugement
n°40/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UPC (CR de Penka Michel) contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n°41/95-96
du 18 juillet 1996, affaire UPC contre Etat du Cameroun (C.R de 1996, affaire UPC contre Etat du Cameroun et M.L.J.C (CU
d’Edéa) ; CS/CA, jugement n°33/95-96 du 09 mai 1996, affaire Enandjoum Bwanga (PCCS) (CR de N’samba), RDPC contre
Etat du Cameroun ; CS/CA jugement n34/95-96 du 09 mai 1996, affaire P.D.C contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement
n°35/95-96 du 09 mai 1996, affaire PDC (CR d’Obala) contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n37/95-96 du 09 mai
1996, affaire SDF contre Etat du Cameroun (CS de Manjo) ; CS/CA, jugement n°40/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UPC
(CR de Penka Michel) contre Etat du Cameroun CS/CA, jugement n°41/95-96 de 18 juillet 1996, affaire UPC contre Etat du
Cameroun (CR de Bamendjou ; CS/CA, jugement n47/95-96 du 18 juillet 1996, affaire SDF et PCR contre Etat du Cameroun
(CU de Yaoundé IIIe ) ; CS/CA, jugement n°56/95-96 du 18 juillet 1996, affaire PAP (CR de Ngambe) contre Etat du
Cameroun ; CS/CA, jugement n°58/95-96 du 18 juillet 1996 affaire PCR contre Etat du Cameroun ; CS/CA jugement
n°59/95-96 du 18 juillet 1996, affaire Epalè Roger Pierre contre Etat du Cameroun (CR de Bare-Moungo) ; CS/CA, jugement
n°60/95-96 du 18 juillet 1996, affaire RDPC contre Etat du Cameroun, CS/CA, jugement n°65/95-96 du 18 juillet 1996,
affaire PNP (CR/Mbam) contre Etat du Cameroun ; CS/CA jugement n°66/95-96 du 18 juillet 1996, affaire USC contre Etat
du Cameroun, CS/CA jugement n70/95-96 du 18 juillet 1996 affaire UNDP (CR de Marary, Kousseri et Zina) contre Etat du
Cameroun.
961
Voir par ex : CS/CA, jugement n°31/95-96 du 19 avril 1996, affaire RDPC (CR de Penja) contre Etat du Cameroun ;
CS/CA, jugement n°36/95-96 du 09 mai 1996, affaire PAL contre Etat du Cameroun.
962
Voir par ex CS/CA, jugement n°64/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UFDC contre Etat du Cameroun.
963
V par ex, CS/CA, jugement n°44/95-96 du 18 juillet, affaire UNDP et SDF (CU de Yaoundé II)e contre Etat du
Cameroun ; CS/CA, jugement n°50/95-96 du 18 juillet 1996 affaire SDF contre Etat du Cameroun (CR de Demdeng) ;
CS/CA, jugement n°52/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UNDP contre Etat du Cameroun ; CS/CA jugement n°63/95-96 du
18 juillet 1996, affaire SDF, UNDP, UDC et ADD (CU de Yaoundé Ve) contre Etat du Cameroun.
964
V. par ex : CS/CA, jugement n°46/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UNDP contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement
n°53/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UNDP (CR de Biyonha) contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n°54/95-96 du
18 juillet 1996 affaire UNDP contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n°68/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UNDP ( CR
de Biyouha) contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n°69/95-96 18 juillet 1996, affaire UNDP (CR de Zina) contre Etat
du Cameroun.

234
Bref, le contentieux électoral municipal s’avère être le terrain privilégié de la
contradiction, car l’échange de documents entre les parties est, non seulement
effectif, mais se fait sous diverses formes ou à des degrés divers.

Lorsqu’on sait que le juge a, selon la loi, soixante (60) jours pour statuer, il y a
lieu de se demander si cette contradiction intégrale n’est pas en porte-à-faux avec
l’obligation qu’il a de statuer d’urgence en cette matière où la préoccupation d’un
jugement aussi rapide que possible devrait atténuer le caractère contradictoire de
l’instruction965.

Dans le cadre du contentieux électoral au sein de la Chambre d’Agriculture,


l’instruction contradictoire se traduit par la communication de la requête du
demandeur au défendeur et le dépôt du mémoire en défense de ce dernier966.

C’est dans le cadre du contentieux des listes électorales au sein de Chambre


de Commerce que la contradiction est allégée. Ainsi, afin de statuer d’urgence, le
juge porte atteinte au droit du défendeur à présenter ses observations. Il n’y a donc
pas à proprement parler échange d’observations ou de documents, le juge statuant
sur la base de la contestation et de la réglementation applicable audit contentieux967.
Bref, « le principe de la contradiction n’est pas mis en œuvre avec la totale rigueur à
laquelle on pourrait s’attendre »968 par le juge.

En matière électorale, les méthodes de travail du juge ne changent pas . Ce


sont celles qu’il applique habituellement dans l’instruction de tous les recours
contentieux.

965
O. Dugrip, op. cit., p.92.
966
V. par exemple : CS/CA, jugement n°41/88-89 du 25 mai 1989, affaire Tchatchoua Jean-Pierre contre Etat du
Cameroun ; CS/CA, jugement n°101/90-91 du 28 mars1991, affaire Mvondo Nsang Richard contre Etat du
Cameroun . CS/CA, jugement n°54/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UNDP contre Etat du Cameroun ; CS/CA,
jugement n°68/95-96 18 juillet 1996, affaire UNDP contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n°69/95-96 18
juillet 1996, affaire UNDP (CR de Zina) contre Etat du Cameroun
967
Voir par ex. : CS/CA, jugement n°68/86-87 du 13 août 1987, affaire Electrical Construction contre Etat du
Cameroun ; CS/CA, jugement n°69/86-87 du 13 août 1987, affaire Mukete Plantations Limited contre Etat du
Cameroun ; CS/CA, jugement n°71/86-87 du 13 août 1987, affaire Baba Youssoufa contre Etat du Cameroun
CS/CA, jugement n°73/86-87 du 13 août 1987, affaire Djidjou Prosper contre Etat du Cameroun ; CS/CA,
jugement n°74/86-87 du 13 août 1987, affaire Atsama Foumena contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement
n°14/87-88 du 29 octobre 1987, affaire Hirondelle Voyages contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement
n°17/87-88, du 29 octobre 1987, affaire Sociequip Cameroun contre Etat du Cameroun.
968
R. Chapus, op. cit., p.523.

235
2. L’application des méthodes classiques de travail

Les textes qui régissent le contentieux électoral au sein des chambres


consulaires et le contentieux électoral municipal ne déterminent pas les méthodes de
travail de la juridiction administrative qui statue sur ces matières. La conséquence en
est que c’est la loi n° 75/17 du 8 Décembre 1975 fi xant la procédure devant la Cour
Suprême statuant en matière administrative qui s’applique dans ses dispositions
relatives aux méthodes de travail du juge administratif. C’est ainsi que le Président
de la Chambre administrative est en même temps rapporteur et que les incidents de
procédure sont examinés selon les règles classiques.

a. La pratique du Président - rapporteur

Comme dans les autres matières contentieuses, dès l’enregistrement de la


requête en matière électorale, le Président de la Chambre Administrative de la Cour
Suprême désigne un rapporteur qui, sous son autorité, dirige l’instruction de
l’affaire969. C’est à lui qu’il « appartiendra de prendre les initiatives propres à
l’acheminer vers son jugement »970.

Lorsque la requête est régulière, le rapporteur propose au Président d’en


ordonner la communication aux défendeurs.

En matière électorale, comme dans les autres matières, le rapporteur désigné


est généralement le Président de la Chambre administrative lui-même. Grâce à ce
dédoublement fonctionnel, il préside à l’échange des mémoires, fixe aux parties les
délais dans lesquels ces mémoires, ainsi que les observations doivent être fournis,
procède à l’étude du dossier de l’affaire. Une fois son rapport établi, le greffier le
transmet, avec le dossier de l’affaire au Procureur Général qui le rétablit, dans les 30
jours au greffe, avec ses conclusions971.

Le Président-rapporteur est donc maître de l’instruction. Cette maîtrise lui


permet « de fixer discrétionnairement le rythme de l’instance »972 . Ainsi, « il peut,
selon les exigences concrètes de l’affaire, accélérer ou ralentir l’instruction en

969
V. article 9.1 de la loi n° 75/17 du 8 décembre 1975.
970
R. Chapus , op. cit., p. 521.
971
V. article 15 de la loi n°75/17 du 8 décembre 1975.
972
CH Debbasch et J-C Ricci , op. cit., p. 390.

236
déterminant les délais dans lesquels les parties doivent produire leurs mémoires ou
leurs observations »973. Lorsqu’une partie s’abstient de répondre ou de répliquer
dans le délai à lui imparti, il le constate et passe outre974 ; sauf s’il lui accorde, à sa
demande, un délai supplémentaire. Mais, il ne prend aucune sanction à son
encontre ; car il estime « que le texte qui prévoit les délais de dépôt des mémoires
en défense ou en réplique n’édicte aucune sanction dans le cas d’inobservation de
cette formalité »975.

Lorsque le Président de la Chambre administrative estime que l’affaire est en


état d’être jugée, il fixe une date à partir de laquelle les mémoires ne sont plus reçus.
C’est ainsi que « les pièces présentées après la clôture de l’instruction, qu’elles
contiennent des conclusions, de moyens ou même un désistement, sont dépourvus
de valeur »976 . Toutefois, les parties peuvent encore présenter leurs observations
sur un moyen d’ordre public qui leur a été communiqué.

Le fait que le Président de la Chambre Administrative soit aussi rapporteur


dans tous les contentieux y compris le contentieux électoral est-il facteur de
ralentissement ou d’accélération de l’instruction ? Analysant la question dans le
contexte français, O. Dugrip estime que le juge peut apporter à ses méthodes de
travail des modifications, « quelles que soient la nature des affaires et la juridiction
saisie »977. Il soutient que « la possibilité reconnue au président - de la juridiction
saisie - d’être lui même rapporteur, allégeant l’étude du dossier, permet d’accélérer la
phase préliminaire au jugement et de statuer plus rapidement » ; de ce fait,« le
Président ne se contente plus de superviser l’instruction, il assume personnellement
la charge de celle-ci » (…) ; ce qui permet, d’après cet auteur, « une accélération
notable, de l’instruction justifiant son utilisation pour les affaires urgentes »978.

Si ce que dit cet auteur est vrai en théorie, dans la pratique juridictionnelle au
Cameroun, c’est le contraire qui a tendance à se produire. En effet, l’importance

973
Ibid.
974
V. par ex : CS/CA, jugement n°46/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UNDP du 18 juillet 1996 contre Etat
Cameroun ; CS/CA, jugement n°53/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UNDP (CR de Biyouha) contre Etat du
Cameroun ; CS/CA, jugement n°54/95-96 du 18 juillet 1996 affaire UNDP contre Etat du Cameroun ; CS/CA,
jugement n°68/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UNDP (CR de Zina) contre Etat Cameroun.
975
CFJ/CAY, arrêt n°42 du 30 avril 1968, Ekwalla Edoubè Eyango Stéphane contre Etat du Cameroun oriental ;
V. aussi CFJ/CAY, arrêt n°160 du 8 juin 1971, Fouda Mballa Maurice contre Etat du Cameroun.
976
Ch. Debbasch et J-C Ricci op. cit., p. 392.
977
O. Dugrip, op. cit., p 96.
978
Ibid., p 97.

237
quantitative des contentieux, en particulier en matière électorale, les délais impartis
au juge pour statuer, auxquels il faut ajouter tous les problèmes d’ordre matériel,
financier, humain et structurel, ne permettent pas au Président - rapporteur d’assurer
avec diligence et célérité sa double mission de superviseur et de directeur de
l’instruction. Il en résulte des lenteurs et des retards dans le déroulement de
l’instruction et par conséquent dans le prononcé du jugement979. L’examen des
incidents de procédure par le juge selon les règles classiques, loin d’atténuer cette
état de fait, l’accentue plutôt.

b. La connaissance des incidents de procédure selon les règles


classiques

En matière électorale, le juge administratif a eu à connaître deux types


d’incidents de procédure : l’intervention volontaire et le désistement. Il l’a fait selon
les règles classiques applicables en ces matières. Ainsi, au lieu de raccourcir ou
d’accélérer l’instruction, l’examen de ces incidents l’a plutôt prolongée, puisque les
décisions du juge sont intervenues globalement au-delà des délais qui lui prescrits
par les textes pour statuer.

α. La connaissance des interventions volontaires

Dans le cadre de l’instance contentieuse, on a : les parties originaires que sont


le demandeur et le défendeur et les parties tierces qui ont, selon les cas, « la qualité
des parties ou celle de simples participants à l’instance »980. De telles possibilités
offertes conduisent à distinguer l’intervention et la mise en cause pour observations
qui font partie, avec l’acquiescement, le désistement, les péremptions et les reprises
d’instance et la récusation, des incidents de procédure.

L’intervention peut être volontaire ou forcée. En matière électorale, elle est


toujours volontaire. Ainsi, une personne qui n’est ni partie ni représentée à l’instance
ouverte, « peut estimer avoir intérêt à y être présente et saisir en conséquence le
juge de conclusions en intervention »981 . Celle-ci lui permet donc de s’associer à

979
La question (de la durée d’instance) sera abordée dans la section 2 de ce chapitre. V. infra.
980
R Chapus, op. cit., p 476.
981
Ibid. p 477.

238
cette instance « soit pour soutenir la requête, soit au contraire pour contribuer à la
combattre »982.

D’après l’article 88 de la loi n° 75/17 du 8 décemb re 1975, « l’intervention est


admise de la part de ceux qui ont un intérêt au jugement du litige. Elle est formée par
requête soumise aux mêmes conditions que les requêtes introductives d’instance ».
Elle est recevable « en tout état de cause, jusqu’au prononcé de la décision »983.

Ouverte sans condition de délai984, l’intervention ne saurait toutefois retarder le


jugement de l’affaire.

Abondantes dans le contentieux électoral municipal, les interventions


volontaires sont essentiellement, voire exclusivement, le fait des partis politiques.

Il résulte de la jurisprudence que leur examen est, certes systématique, mais


sommaire car, « l’intérêt de l’intervention n’est jamais exprimé de manière claire et
convaincante »985, le juge se contentant la plupart du temps soit d’indiquer que
l’intervention est recevable en la forme comme faite conformément à la loi986, soit,
d’invoquer « l’intérêt au jugement du litige » des parties intervenantes987, soit encore
d’énoncer l’objet de leur intervention988, sans analyse circonstanciée supplémentaire.

Toutefois, bien que certains intervenants ne déposent aucune écriture au greffe


alors que leur demande a été déclarée recevable et qu’ils ont reçu notification des pièces
du dossier989, il résulte de la pratique que d’autres intervenants prennent une part
importante dans le déroulement du procès électoral, au point de faire ombrage aux parties

982
B. Pacteau, op.cit, p. 212.
983
Article 90 de la loi n° 75/17 du 8 décembre 1975.
984
CE, 20 octobre 1965, Gonidec, Rec, 538.
985
A. D Olinga , op.cit., p. 44
986
V. par exemple CS/CA, jugement n° 58/95-96 du 18 juillet 1996, affaire. P.C.R contre Etat du Cameroun, CS/CA,
jugement n° 60/95-96 du 18 juillet 1996, affaire RDPC contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n° 68/95-96 du 18 juillet
1996 affaire UNDP contre Etat du Cameroun.
987
V. par exemple CS/CA, jugement n° 30/95-96 du 19 avril 1996, U.P.C. contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n°34/
95-96 du 09 mai 1996, affaire P.D.C contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n° 35/95-96 du 09 mai 1996, affaire PDC
contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n° 36/95-96 du 09 mai 1996, affaire PAL contre Etat du Cameroun ; CS/CA,
jugement n° 37/95-95 du 09 mai 1996, affaire S.D.F contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n°41/95-96 du 18 juillet
1996, affaire U.P.C Contre Etat du Cameroun ( CR de Bamendjou) ; CS/CA, jugement n°46/95-95 du 18 juillet 1996, affaire
UNDP contre Etat du Cameroun ; CS/CA jugement n°47/95-96 du 18 juillet 1996, affaire SDF et PCR contre Etat du
Cameroun ( CU de Yaoundé IIIe ) ; CS/CA, jugement n° 54/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UNDP contre Etat du
Cameroun ; CS/CA, jugement n° 58/95-96 du juillet 1996, affaire P.C.R contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement
n°68/95-96 du 18 juillet affaire UNDP contre Etat du Cameroun.
988
V. par exemple : CS/CA, jugement n° 70/95-96 du 18 juillet 1996, affaire U.N.D.P (CR de Makary, Kousseri et Zina)
contre Etat du Cameroun.
989
V. par exemple : CS/CA, jugement n°52/95-96 du juillet 1996, affaire UNDP contre Etat du Cameroun ; CA/CS, jugement
n°53/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UNDP ( C.R Biyouha) contre Etat du Cameroun ; CS/CAA, jugement n°64/95-96 du
18 juillet 1996, affaire UFDC contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n°69/95-96 (CR de Zina) contre du Cameroun ;
CS/CA, jugement n°65/95-96 du 18 juillet 1996, PNP contre Etat du Cameroun, CS/CA, jugement n°66/95-96 du 18 juillet
1996, affaire U.S.C contre Etat du Cameroun.

239
originaires au procès et de prolonger celui-ci ; le juge étant souvent amené à examiner
leur intervention au fond. Ainsi, dans l’affaire R.D.P.C (C.U d’Edéa) du 19 avril 1996990, le
sieur Marcel Yondo, candidat élu aux élections dans la commune urbaine d’Edéa, a fait
acte d’intervention volontaire en soulevant l’irrecevabilité du recours de Pegngo Batta
requérant en l’instance, faisant valoir que, conformément à la loi n° 92/002, l’intéressé
n’avait pas qualité pour saisir le juge administratif, s’agissant d’un cas de diffamation, la
CCS ayant déjà proclamé les résultats ; que seul le Préfet est habilité à le saisir. Le juge a
admis la pertinence de ce moyen d’irrecevabilité en reconnaissant qu’il résulte
effectivement de l’article 28 (3) de la loi n° 92/0 02 que « la Chambre administrative de la
Cour Suprême ne peut être saisie que par le Préfet qui transmet la décision de la CCS -
portant proclamation des résultats- et non la victime ». De même, dans l’affaire P.A.P du
18 juillet 1996991, le R.D.P.C a fait acte d’intervention volontaire excipant l’irrecevabilité du
recours du Parti d’Action Paysanne (P.A.P) en ce que ce recours ne permettait pas
d'identifier son auteur et que celui-ci n’avait pas qualité pour contester les élections et en
solliciter l’annulation. Le juge a déclaré cette intervention non fondée puisqu’il ressortait de
la requête que son auteur était suffisamment identifié et qu’en tant que parti politique
ayant présenté des candidats, il avait qualité pour saisir le juge. Dans l’affaire UPC du 18
juillet 1996992, également, le Sieur Frédéric Kodock a fait acte d’intervention volontaire
pour demander au juge de ne pas se méprendre sur la qualité du requérant - M. Ndeh
Ntumazah - à agir au nom de l’U.P.C. Mais, le juge a fait observer que le recours de
l’intéressé ne porte pas sur la représentation du parti dont il se réclame, que c’est en tant
que candidat qu’il a saisi la Chambre Administrative ; aussi a-t-il déclaré l’intervention de
993
sieur Kodock non fondée. Dans l’affaire Epale Roger Delore du 18 juillet 1996 , sans
indiquer en quoi consiste l’acte d’intervention volontaire du SDF, le juge a, après l’avoir
déclaré recevable en la forme, estimé « qu’il apparaît au fond sans objet, la solution du
litige n’étant pas susceptible de compromettre les intérêts du parti intervenant ». Enfin,
dans l’affaire RDPC (CR/Penja) du 19 avril 1996994, deux actes d’intervention volontaire
sont intervenus : celui du S.D.F et celui du R.D.P.C. Dans son intervention volontaire, le
SDF excipait l’irrecevabilité du recours pour incompétence du juge à connaître du litige

990
CS/CA, jugement n°29/95-96 du 19 avril 1996, affaire RDPC (C.U d’Edéa) contre Etat du Cameroun.
991
CS/CA , jugement n° 56/95-96 du 18 juillet 1996, affaire P.A.P (C.R Ngambé) contre Etat du Cameroun.
992
CS/CA, jugement n°40/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UPC (CR de Penka Michel) contre Etat du
Cameroun.
993
CS/CA, jugement n° 59/95-96 du 18 juillet 1996, affaire Epale Roger Delore contre Etat du Cameroun (CR
de Bare-Mungo), SDF (intervenant).
994
CS/CA, jugement n° 31/95-96 du 19 avril 1996, affaire RDPC (CR Penja) contre Etat du Cameroun.

240
relatif aux candidatures. Si pour le principe le juge a admis son incompétence, il a rejeté
l’intervention au fond parce que la CCS réellement compétente en la matière s’est
abstenue de statuer alors qu’elle a été saisie. Dans son intervention volontaire, par contre,
le RDPC soutenait et adoptait les motifs exposés dans la requête introductive d’instance
du candidat requérant. Se référant d’une part aux dispositions législatives relatives aux
élections municipales, le juge a estimé que cette intervention est sans objet, car « le
candidat est indissociable de son parti qui de ce fait n’est pas tiers au procès initié par
l’intéressé », et, d’autre part, à la loi n° 75/17 du 8 décemb re 1975 fixant la procédure
devant la Cour Suprême statuant en matière administrative, il a déclaré l’intervention
relative à la non communication du dossier au parti intervenant non justifiée, car il résulte
du dossier que cette communication a été faite suivant récépissé de notification au conseil
constitué par le requérant et que suivant cette loi, la notification des actes de procédure
est faite aux parties sans qu’il soit tenu compte du nombre de leurs conseils ou de leurs
mandataires.

Il se dégage de ce qui précède que, « l’examen du caractère fondé ou non des


interventions n’est pas satisfaisante et uniforme » 995 ; car il est parfois incohérent996.
En effet, le raisonnement mené par le juge dans certains cas est étonnant de sorte
que sa généralisation « rendrait superflues la plupart des interventions »997. De plus,
l’examen de ces interventions ne se fait pas avec célérité, prolongeant de ce fait
l’instruction. Le juge connaît aussi des demandes de désistement.

β. La connaissance des demandes de désistement

Le désistement est « l’acte par lequel le demandeur renonce totalement ou


partiellement à ses prétentions998 ». Il se fait par acte signé par le demandeur ou son
mandataire et déposé au greffe, ou par une déclaration à l’audience999.

Bien que l’alinéa 2 de l’article 92 de la loi n° 75 /17 prescrit que le désistement


« est soumis à l’observation de la partie adverse », le juge administratif camerounais
ne semble pas exiger- à la différence de son homologue français - qu’il soit accepté

995
A. D Olinga, op.cit p. 44.
996
V. par exemple : CS/CA , jugement n° 59/95-96 du 18 juillet 1996, affaire SDF contre Etat du Cameroun et
CS/CA, jugement n° 60/95-96 du 18 juillet 1996, affaire SDF contre Etat du Cameroun.
997
A.D. Olinga , op.cit., p. 45.
998
H. Jacquot, op.cit, p. 125.
999
Article 92.1 de la loi n° 75/17 et CFJ/ CAY, arrêt n° 21 du 18 août 1972, Dame Makondo Agnès Flore contre
Etat Fédéral du Cameroun, RDC n° 3, pp 61 et suiv., observations H. Jacquot.

241
par le défendeur1000. Toutefois, il rappelle qu’en matière administrative, lorsqu’il n’est
rien prévu, le désistement est un désistement d’action c’est-à-dire que le demandeur
qui s’est désisté n’est plus recevable à former un nouveau recours contre la même
décision1001.

Si on ne peut renoncer d’avance à former un recours contentieux, on peut se


désister d’un recours déjà formé ; à cet effet, « un jugement intervient pour en donner
acte »1002 ou plutôt la juridiction saisie rend une décision pour en donner acte1003. Il
en est ainsi en matière électorale.

Dans une espèce rendue le 26 novembre 1987 relative au contentieux de la


liste électorale au sein de la Chambre de Commerce1004, la requérante a déclaré se
désister de son action en raison du fait que l’omission de son nom par elle signalée
dans sa précédente requête a, dans l’intervalle, été réparée par l’autorité
administrative. Après avoir constaté que ce désistement est régulier en la forme, le
juge de céans a donné acte de désistement à l’intéressée. Seulement, le problème
est moins l’acceptation du désistement que le temps mis par le juge pour statuer. En
effet, saisi le 17 juin 1987 par la requérante, le juge n’avait pas encore rendu sa
décision jusqu’à l’introduction de la demande de désistement intervenue le 18
novembre 1987, soit plus de quatre (mois), alors que la réglementation prescrit qu’il
statue dans les quinze jours suivant l’introduction de la requête1005 . Aussi,
l’empressement à rendre sa décision de donner acte de désistement 8 jours après la
déclaration de désistement, à savoir le 26 novembre 1987, ne change rien à la
situation, car il n’a pas statué dans les délais impartis par la réglementation.

Dans une autre espèce intervenue le 18 avril 1996 relative au contentieux de


l’installation d’un maire1006, le requérant a déclaré se désister de son recours dans
lequel il s’opposait à l’installation du maire de la commune rurale de Sangmélima.
Après avoir déclaré son désistement régulier en la forme, le juge en a donné acte à

1000
V. CFJ / CAY, arrêt n° 13 du 20 mars 1968, Ekongolo Nlate Albert contre Etat du Cameroun.
1001
CS/AP, arrêt 10/A du 18 décembre 1980, Société Theraplix contre Etat du Cameroun.
1002
M. Waline , Précis de droit administratif, Paris, Montchrestien, 1969, p. 181.
1003
V. Article 93.1 de la loi n° 75/17.
1004
CS/CA, jugement n° 34/87-88 du 26 novembre 1987, affaire Gecirobac contre Etat du Cameroun
(MINDIC).
1005
V. Article 15 al 2 du décret n° 86/231 du 13 mars 1986 portant statuts la Chambre de Commerce, d’Industrie
et des Mines.
1006
CS/CA, jugement n° 27/95-96 du 18 avril 1996, affaire Engono Essame Emmanuel contre Etat du
Cameroun.

242
l’intéressé. Le jugement de désistement rendu le même jour où il a été saisi de la
demande y relative, intervenait plus de 60 jours après qu’il avait été saisi de la
requête précédente, alors que la loi lui prescrit un délai de 15 jours pour statuer.

De même, dans une espèce rendue le 18 juillet 19961007, le juge a, après avoir
constaté que le désistement était régulier en la forme, donné acte à l’intéressé. En
l’espèce, le requérant a déclaré se désister de son recours introduit le 29 janvier
1996 dans lequel il sollicitait l’annulation des élections municipales du 21 janvier
1996 dans la commune urbaine de Yaoundé Ier« pour des raisons d’opportunité
politique ». Jusqu’à la date d’introduction de la demande de désistement, il s’est
écoulé plus de 90 jours sans que le juge se soit prononcé, alors que la loi lui donne
60 jours pour statuer. Par ailleurs, il s’est prononcé sur le désistement plus de 70
jours après l’introduction de la demande y relative ; en effet saisi le 2 mai 1996, il a
rendu sa décision le 18 juillet de la même année.

Enfin, dans une espèce rendue le 18 décembre 1986 relative au contentieux


des élections au sein de la Chambre d’Agriculture1008, le juge a, certes donné au
requérant acte de désistement de son recours portant contestation des résultats du
scrutin du 15 juin 1986, mais en méconnaissance de la limitation textuelle du cadre
temporel de l’instance. En effet, le requérant avait introduit son recours le 22 juillet
1986 . Selon la réglementation, le juge avait 90 jours à compter de sa saisine pour
1009
statuer ; mais, plus de 120 jours après, c’est-à-dire jusqu’à la déclaration de
désistement, il n’avait pas statué. De plus, après l’introduction de la demande de
désistement le 20 octobre 1986, il n’a pris sa décision de donner acte de désistement
que le 18 décembre 1986, c’est-à-dire près de 60 jours plus tard.

Il résulte de ce qui précède que si le désistement est un incident de procédure


qui met fin au procès et écourte par conséquent l’instance contentieuse, en matière
électorale, il met certes fin à l’instance, mais, au lieu de l’écourter, il l’allonge plutôt.

En, somme, l’allègement de l’instruction en matière électorale participe non


pas "du sein" mais du "sollen". Qu’en est-il dans les autres matières ?

1007
CS/CA, jugement n° 42/95-96 du 18 juillet 1996, affaire P.A.L contre Etat du Cameroun (Commune Urbaine
de Yaoundé).
1008
CS/CA, jugement n° 12/86-87 du 18 décembre 1986, affaire Oyie Tsogo Joseph contre Etat du
Cameroun.
1009
V. article 24 al 2er du décret n° 78/525 du 12 décembre 1978 portant statut de la Chambre d’Agriculture, de
l’Elevage et des Forêts du Cameroun modifié et complété par le décret n° 84-004 du 10 janvier 1984.

243
B. LA LIMITATION DE L’INSTRUCTION DANS LES AUTRES MATIERES

La possibilité pour le juge de statuer d’urgence suppose aussi qu’il puisse


assouplir la procédure. Cet assouplissement peut résulter ou non de textes spéciaux.
En matière de contentieux de la dissolution des associations et de refus de
légalisation de partis politiques, l’assouplissement du formalisme de la procédure
permet une instruction plus rapide de l’affaire. Ici, cet assouplissement prend la
forme d’un allègement, voire d’une exclusion du débat contradictoire et d’une
modification dans les méthodes de travail du juge.

1. La suppression de la contradiction

Le juge administratif peut réduire la durée de l’instance lorsqu’il y a possibilité


de mettre un terme à l’instance sans continuation de l’instruction. Ici, il provoque la
suppression de la contradiction. Il peut également juger sans instruction lorsque
l’affaire en cause en est dispensée par un texte spécial ; dans ce cas, la suppression
de la contradiction est dite normale.

a. La suppression provoquée de la contradiction

En général, le juge ne dispense d’instruction que les requêtes dont il s’estime


manifestement incompétent pour connaître ainsi que celles qui sont entachées d’une
irrecevabilité évidente1010. Dans ces cas, le juge considère que la solution de l’affaire
est certaine au vu de la requête introductive d’instance. Les moyens ou les
« exceptions » d’ordre public constituent l’un des champs d’application privilégiés de
cette jurisprudence. Il en est ainsi dans l’affaire UPC du 17 septembre 19921011. En
l’espèce, le juge a eu à rappeler cette jurisprudence : « Attendu que les exceptions
d’ordre public peuvent être soulevées ou invoquées d’office, et en tout état de cause
par le juge administratif ; Que peu importe que l’instance soit liée ou non par
l’échange de mémoire entre les parties ; Que peu importe également le caractère
contradictoire de l’instruction inquisitoriale du contentieux administratif, lorsqu’il y a
possibilité de mettre un terme à l’instance sans continuation de l’instruction, s’il
apparaît au vu de la requête introductive d’instance ou d’un certain niveau de

1010
O. Dugrip, op. cit., p 94.
1011
CS/CA, jugement n°60/91/92 du 17 septembre 1992, affaire UPC contre Etat du Cameroun.

244
l’instruction, que la solution est d’ores et déjà certaine ; Que cette procédure permet
au Tribunal d’écarter les demandes manifestement irrecevables comme en
l’espèce ». Il résulte en effet des circonstances de l’espèce que, pour avoir changé
d’adresse sans en informer le juge, le requérant n’a pas consigné au greffe la
provision de quinze mille(15000) francs exigée par loi, ni produit les pièces qui lui
étaient exigées pour l’instruction de son recours.

Le pouvoir dont dispose ainsi le juge administratif de rejeter les requêtes en


sautant la phase d’instruction n’est pas sans intérêt, même limité aux cas
d’irrecevabilité manifeste comme en l’espèce, « dans la mesure où il peut permettre
au requérant d’exercer à nouveau son droit d’action en justice dans des conditions
régulières »1012.

La suppression de l’instruction contradictoire n’est pas toujours provoquée.


Elle peut aussi résulter d’une disposition légale pour permettre au juge de statuer vite
du fait du caractère urgent de l’affaire dont il est saisi.

b. La suppression normale de la contradiction

La procédure instituée par l’article 13 al. 3 de la loi n°90/053 du 19 décembre


1990 portant sur la liberté d’association et l’article 8 al. 3 de la loi n°90/056 relative
aux partis politiques est celle d’ordonnance sur requête.

Il résulte de ces articles qu’en matière de dissolution d’association et de refus


de légalisation de partis politiques, le recours est formé sur simple requête devant le
Président de la juridiction administrative qui statue par ordonnance. Ainsi, dans ces
matières, l’instruction contradictoire est d’office exclue par les textes. Aussi, le juge
statue-t-il sans avoir à avertir ou à informer la partie adverse. Il l’a clairement dit dans
trois espèces rendues en matière de dissolution d’association le 26 septembre 1991
en ces termes1013 : « Attendu que la procédure instituée par l’article 13 alinéa 3 de la
loi n°90/053 du 19 décembre 1990 est celle de l’ord onnance sur requête, que par
conséquent le Président de la Chambre Administrative se prononce sans avoir
entendu la partie adverse et sans même que cette dernière ait été avertie ».

1012
O.Dugrip, op. cit., p. 95.
1013
Ordonnance n°19/O/PCA/CS du 26 septembre 1991, affaire O.C.D.H contre Etat du Cameroun ; ordonnance
n°20/O/PCA/CS du 26 septembre 1991, affaire Kom Ambroise contre Etat du Cameroun ; ordonnance
n°21/O/PCA/CS du 26 septembre 1991, affaire CAP-Liberté contre Etat du Cameroun.

245
Par ailleurs, le juge a exclu la contradiction, sans toutefois le dire, dans des
espèces rendues en matière de refus de légalisation des partis politiques1014,
puisque l’Etat, partie adverse, n’a ni été entendu ni même averti.

En excluant l’instruction contradictoire, le législateur a voulu éviter l’excès de


formalisme qui entraînerait une lenteur dans l’examen des affaires qu’il considère
comme urgentes. Ce faisant, il a entendu favoriser un jugement plus rapide desdits
affaires et donner la possibilité au juge de statuer d’urgence. Il est donc tout à fait
logique que le juge procède à « une suppression pure et simple de l’instruction »1015
lorsqu’il statue sur des recours portant sur ces affaires et qu’il modifie par ailleurs ses
méthodes de travail.

2. La modification des méthodes de travail

La modification des méthodes habituelles de travail du juge administratif


permet aussi une économie de temps et facilite par voie de conséquence un
jugement d’urgence. Cette modification de méthodes de travail n’est pas
expressément consacrée par les textes qui régissent le contentieux de la dissolution
des associations et celui du refus de légalisation des partis. Elle se déduit des
modalités de saisine et d’intervention du juge que les textes consacrent dans ces
matières.

Ainsi, la pratique du rapporteur ou du président - rapporteur est exclue ; les


incidents de procédure, à l’instar des interventions volontaires sont absents ; la
saisine du Ministère public est écartée. On a affaire à une procédure qui fait
l’économie d’une séance d’instruction et permet un traitement accéléré des affaires.

Il résulte de ceci que pour statuer d’urgence en matière de dissolution


d’association et de refus de légalisation des partis politiques, le juge est amené à
adapter ses méthodes de travail à l’exigence qui lui est faite de statuer sur
ordonnance, puisqu’il n’est saisi que sur simple requête et dans des délais assez

1014
Dans ce sens, V ordonnance n°25/CS/PCA/91-92 du 18 septembre 1992, affaire RDR contre Etat du
Cameroun ; ordonnance n°26/CS/PCA/91-92 du 18 septembre 1992 , affaire PSLD contre Etat du Cameroun ;
ordonnance n°28/CS/PCA/91-92 du 23 septembre 1992, affaire UNC contre Etat du Cameroun , ordonnance
n°29/CS/PCA/91-92 du 23 septembre 1992, affaire FPS-PC contre Etat du Cameroun ; ordonnance
n°32/CS/PCA/CS/91-2 du 30 septembre 1992, affaire Divine Kingdom people’s party of Cameroon contre Etat
du Cameroun ; ordonnance n°02/O/PCA/CS du 16 décembre 1992, affaire UPC - Manidem contre Etat du
Cameroun.
1015
O. Dugrip, op. cit., p. 92.

246
brefs. En ce qui concerne le jugement des recours dans l’instance contentieuse
spéciale, il connaît, comme l’instruction, un allégement limité.

PARAGRAPHE II : L’ALLEGEMENT LIMITE DU JUGEMENT DES


RECOURS

D’un point de vue juridique, le jugement des recours contentieux peut être
appréhendé sous deux aspects différents : d’abord comme action de juger en ce
sens qu’il « correspond à la phase de jugement qui est normalement consécutive à la
phase d’instruction sous réserve des mesures d’instruction à l’audience »1016 ;
ensuite, comme « résultat de l’action de juger », en ce sens qu’il « correspond à la
décision de justice administrative »1017.

Toute instance contentieuse appelle le prononcé d’un jugement1018 ; c’est-à-


dire d’une décision juridictionnelle. Par ce jugement, l’instance prend fin – en tout cas
devant la juridiction qui l’a prononcé - et la juridiction qui l’a rendu est dessaisie1019.

Dans la phase de jugement, la procédure administrative contentieuse se


« dépouille, en grande partie, de son caractère original pour se rapprocher de la
procédure civile »1020, dans la mesure où les règles applicables sont inspirées « des
règles dégagées (…) à cette intention, par la procédure civile »1021. Si en matière
électorale c’est la forme classique de jugement qui est appliquée (A), dans les autres
matières urgentes, le jugement est simplifié (B).

A. L’APPLICATION DE LA FORME CLASSIQUE DE JUGEMENT EN


MATIERE ELECTORALE

La forme classique du jugement en matière administrative, qui s’inspire de


celle en vigueur en matière civile, est contenue dans la loi n°75/17 du 08 décembre
1975 fixant la procédure devant la Cour Suprême statuant en matière administrative.
Son application en matière électorale se traduit par la collégialité de l’organe de
jugement et l’adoption de sa procédure de jugement.

1016
O. Gohin, Contentieux administratif, op. cit., p. 285.
1017
Ibid.
1018
R. Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 559.
1019
Idid.
1020
M. Hauriou, op. cit., p. 499.
1021
Ibid.

247
1. La collégialité de l’organe de jugement

Le jugement dans sa forme classique est rendu par un organe collégial.

Au Cameroun, ce jugement ressortit à la compétence de la Chambre


administrative de la Cour Suprême , un organe collégial qui se compose d’un conseiller
titulaire ou suppléant, Président, assisté de deux magistrats ayant voix délibérative ; du
Procureur Général ou de l’Avocat Général ou d’un Substitut ; d’un greffier1022. C’est cette
instance juridictionnelle qui statue en matière électorale en premier ressort. Si son
intervention dans le contentieux électoral au sein des chambres consulaires et dans le
contentieux de l’élection du maire et ses adjoints est juridiquement justifiée, elle l’est moins
dans le contentieux des opérations relatives à l’élection des conseillers municipaux. En
effet, le décret n°78/525 du 12 décembre 1978 porta nt statut de la Chambre d’Agriculture
et le décret n°86/231 du 13 mars 1986 portant statu ts de la Chambre de Commerce
prévoient expressément que c’est la Chambre Administrative qui statue en matière de
contentieux de l’électorat1023, de contentieux de l’éligibilité1024 et connaît du contentieux
des opérations électorales1025.

Quant à la loi n°74/035 du 5 décembre 1974 portant organisation communale modifiée


par la loi n°92/003 du 14 août 1992, elle indique, en son article 53 (nouveau), que c’est
« la juridiction administrative compétente en premier ressort », en l’occurrence, la
Chambre Administrative de la Cour Suprême, qui est saisie en cas d’irrégularités dans
l’élection du maire et des adjoints. A contrario, la loi n°92/002 du 14 août 1992 fixant les
conditions d’élection des conseillers municipaux a confié le jugement des contestations
portant sur les opérations relatives à l’élection des conseillers municipaux, non pas à la
Chambre Administrative de la Cour Suprême, bien qu’elle énonce à l’alinéa 1 de l’article
34 que ces « contestations font l’objet d’une simple requête devant la juridiction
administrative », mais à son « Président »1026, organe unique ou unipersonnel. Pourtant,
dans la pratique, c’est la Chambre Administrative qui statue sur les contestations relatives
aux opérations portant sur l’élection des conseillers municipaux. Il en a été ainsi aussi

1022
V. article 11 al. 2 de l’ordonnance n°72/06 du 26 août 1972 fixant l’organisation de la Cour suprême.
1023
V. article 14 du décret n) 78/525 du 12 décembre 1978 portant statut de la Chambre d’Agriculture et article
15 du décret n°86/231 du 13 mars 1986 portant statuts de la Chambre de Commerce.
1024
V. article 17 (nouveau) al. 4 du décret n°78/525 suscité et article 19 al. 3 du décret n°86/231 suscité.
1025
V. article 24 du décret n°78/525 suscité (cet article parle de la Cour Suprême. Il faut entendre par- là la Cour
Suprême statuant en matière administrative et en premier ressort ; ce qui renvoie à la Chambre Administrative) et
article 27 de décret n°86/231 suscité.

248
bien en 1996 après les élections du 21 janvier de la même année qu’en 2002 après les
élections du 30 juin de la même. Elle a statué dans sa composition classique telle qu’elle
est prévue par l’article 11 al. 2 de l’ordonnance n°72/06.

Il y a , manifestement, de la part du juge, une méprise de la loi, même si on


peut, légitimement, se demander si de telles contestations peuvent être examinées
par un seul juge.

La collégialité de l’organe de jugement en matière électorale n’est pas le seul


aspect qui participe de l’application, en cette matière, de la forme classique de
jugement , l’adoption de la procédure classique de jugement en est un autre.

2. L’adoption de la procédure classique de jugement

Classique, la procédure de jugement en matière administrative « permet à la


juridiction saisie du litige d’en approfondir la connaissance et de statuer »1027. Elle
comprend deux phases : l’audience puis le délibéré. C’est à la suite de ces deux phases
que le jugement est rendu. Cette procédure s’applique dans son intégralité en matière
électorale, alors même qu’elle ne permet pas au juge de statuer d’urgence.

a. La tenue d’audience publique

Quand il estime l’instruction terminée et le procès en état d’être jugé1028, le


Président de la Chambre Administrative convoque les parties à l’audience.

Comme l’écrit R. Chapus, « "la convocation" des parties ou de leurs avocats à


l’audience de jugement est subordonnée à une demande adéquate de leur part »1029.
Sur ce point, l’article 22 al. 1er de la loi n°75 du 8 décembre 1975 précise que « dix
jours au moins avant la date de l'audience, chaque partie reçoit une convocation
d’avoir à s’y présenter. Cette convocation lui est adressée par le greffier,
conformément aux dispositions de la présente loi relatives aux motivations ».

1026
V. al.3 article 34 de la loi n°92/002 du 14 août 1992. Il dispose : « Le président statue dans un délai, de
soixante (60) jours à compter de la date de saisine ».
1027
G. Vedel et P. Delvolvé, T2, op. cit., p. 207.
1028
J. Lapanne-Joinville, « La direction de la procédure devant les tribunaux administratifs », AJDA, 1965, p.
324.
1029
R. Chapus, « De l’office de juge : contentieux administratif et nouvelle procédure civile », EDCE, 1977-
1978 n°29, p. 39.

249
Les audiences de la Chambre Administrative se tiennent à la date fixée par
son Président après avis du Procureur général. Elles sont publiques, « à moins que
la Chambre n’estime cette publicité dangereuse pour l’ordre public ou les bonnes
mœurs »1030. En pratique, toutes les audiences en matière électorale sont publiques,
les parties et leurs conseillers sont tenus informés et invités par le Président de la
Chambre à « s’exprimer avec modération et (…) garder en tout le respect dû à la
justice »1031.

Parlant de la publicité des séances de jugement, Boulatignier affirmait qu’elle


« oblige les juges à se respecter et les contient dans les limites de leurs
devoirs »1032. Elle avait une si grande importance à ses yeux qu’il préférait « des
juges amovibles jugeant publiquement à des tribunaux composés de membres
inamovibles siégeant à huis clos »1033 .

Le rapport de chaque affaire en matière électorale est fait en audience par le


rapporteur et les parties présentes soit en personne, soit par mandataire, peuvent
faire « des observations orales à l’appui de leurs conclusions écrites »1034 . Mais,
elles doivent « s’en tenir à ce qui a été développé dans les mémoires écrits pour
soutenir tel ou tel point »1035 oralement ; par suite, le Procureur général donne ses
conclusions sur tous les points soumis à la décision de la Chambre.

Le juge ne reçoit pas, conformément à l’alinéa 22 de la loi n°75/17, des


demandes nouvelles présentées à l’audience. Ainsi, le débat est clos par les
conclusions du Procureur Général, « avant que ne s’ouvre la phase du
délibéré »1036à la suite de laquelle le jugement est prononcé.

1030
Article 19 al.2 de la loi n°75/17.
1031
Article 20 al. 1er de la loi n°75/17.
1032
Cité par Ch. Debbasch et J-C Ricci, op. cit., p. 483.
1033
Ibid.
1034
Article 22 al, 1er de la loi n°75/17.
1035
M. Lombard, Droit administratif, 4ème éd., Paris, Dalloz, 2001, p. 393.
1036
B. Seiller, Droit administratif, T1 Paris, Flammarion, 2001, p. 193.

250
b. L’existence du délibéré et le prononcé du jugement

A la fin de l’audience, la Chambre Administrative entre en délibéré. C’est de


celui-ci, dirigé par le Président de la Chambre, que le jugement est le fruit, « chacun
des magistrats étant tenu, par un vote (…), de se prononcer dans un sens
déterminé »1037. Le jugement de l’affaire est donc celui qui est issu du vote « à la
majorité des voies des juges ayant suivi les débats »1038.

Le délibéré est secret. Cela signifie que les juges délibèrent hors la présence,
tant du public que des parties et de leurs avocats, et qu’il leur est interdit de divulguer
« à quelque époque que ce soit et à qui que ce soit (…) ce qu’ont été les discussions
et (…) la façon dont chacun des magistrats s’est prononcé »1039. Il est acquis
nonobstant des changements intervenus dans la composition de la Chambre lors de
la lecture de la décision en audience.

Après le délibéré, le rapporteur établit, en principe, le texte définitif de la


décision. Mais, très souvent, il le fait plus tard. Il reste que les jugements en matière
électorale sont lus en audience publique dans tous les cas.

Les jugements rendus sont contradictoires « soit lorsque les parties ont
comparu ou ont été représentées à l’audience soit qu’elles ont produit leurs
mémoires sans comparaître à l’audience bien que régulièrement convoquées »1040.

L’article 26 de la loi n°75/17 énonce que les jugem ents de la Chambre


Administrative « sont notifiés aux parties dans les huit jours de leur enregistrement »,
tandis que son article 27 précise que « les expéditions des jugements définitifs
destinées à être notifiées aux parties sont établies sans frais » . Ces prescriptions
s’appliquent aux jugements rendus en matière électorale, qu’il s’agisse du
contentieux électoral municipal ou du contentieux au sein des chambres consulaires.

Il résulte de ce qui précède que le déroulement du jugement en matière


électorale ne permet pas un traitement d’urgence des affaires, les recours étant
jugés selon les règles classiques. Dans les autres matières, par contre, le jugement

1037
R.Chapus, Doit du contentieux administratif, op. cit., p. 615.
1038
Article 23 de la loi n°75/17 du 8 décembre 1975.
1039
R. Chapus, op. cit., p. 620.
1040
Article 24 al. 2 de la loi n°75/17.

251
est conceptuellement et formellement simplifié, bien que dans les faits il ne connaît
pas la célérité voulue par le législateur.

B. LA SIMPLIFICATION DU JUGEMENT DANS LES AUTRES MATIERES

En matière de dissolution d’association et de refus de légalisation de partis


politiques, le jugement des recours est simplifié en ce que d’une part la loi n°75/17
du 8 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour Suprême ne leur est pas
applicable, et, que, d’autre part, les lois qui les régissent ont institué une procédure
sur ordonnance de requête. Ainsi, l’organe de jugement et la procédure du jugement
sont simplifiés, l’objectif étant de permettre au juge de statuer d’urgence.

1. La simplification de l’organe de jugement

L’économie du temps procurée par la simplification du jugement résulte de la


modification ou de la simplification de la composition de la formation de jugement.

En matière de dissolution d’association et de refus de légalisation de partis


politiques, il est porté atteinte à la collégialité de la formation de jugement. Ainsi, les
recours sont examinés par un seul juge ou un juge unique, en l’occurrence le
Président de la Chambre Administrative.

Les articles 13 al 3 de la loi n°90/053 du 19 déce mbre 1990 portant liberté


d’association et 8 alinéa 3 de la loi n°90/056 du 1 9 décembre 1990 relative aux partis
politiques énoncent, en effet, que les recours se font « sur simple requête, devant le
Président de la juridiction administrative » et que « le Président statue par
ordonnance (…) ».

252
Dans les espèces rendues en matière de dissolution d’association1041 et de
refus de légalisation d’association1042, c’est effectivement le Président de la Chambre
Administrative qui a eu à statuer par ordonnance1043.

Eu égard aux délais de jugement, particulièrement brefs, imposés par le


législateur, à savoir : dix (10) jours pour le recours portant sur la dissolution d’ une
association et trente (30) jours pour celui relatif au refus de légalisation d’un parti
politique, l’intervention du juge unique s’imposait dans ces matières. Il apparaît donc
« que le système du juge unique peut être un utile moyen, lorsqu’il est entouré de
garanties procédurales, pour accélérer le jugement »1044.

Hormis les hypothèses évoquées, le juge unique statue également en matière


de suspension d’association1045, de suspension1046et de dissolution1047 de partis
politiques, ainsi qu'en matière de suspension et de dissolution d’organisations non
gouvernementales1048.

Aujourd’hui, le juge unique se présente « comme un des outils de résolution


des difficultés que connaît la justice »1049. On ne peut plus dire comme l’affirmait
Montesquieu qu’ « un tel magistrat ne peut avoir lieu que dans le gouvernement
despotique »1050. Son institution se justifie « dans la perspective d’un meilleur
fonctionnement de la machine judiciaire (…)»1051. Il en est de même de la
simplification de la procédure de jugement.

1041
V. ordonnance n°19/O/PCA/CS du 26 septembre 1991, affaire Organisation Camerounaise des Droits de l’Homme
(O.C.D.H) contre Etat du Cameroun , ordonnance n°20/O/PCA/CS du 26 septembre 1991, affaire Kom Ambroise contre Etat
du Cameroun ; ordonnance n°21/O/PCA/CS du 26 septembre 1991 affaire CAP-LIBERTE contre Etat du Cameroun.
1042
V. par ex : ordonnance n°25//CS/PCA/91-92 du 18 septembre 1992, affaire RDR contre Etat du Cameroun ; ordonnance
n°26/CS/PCA/91-92 du 23 septembre 1992, affaire UNC contre Etat du Cameroun ; ordonnance n°29/CS/PCA/91-92 du 23
septembre 1992, affaire FPS-PC contre Etat du Cameroun ; ordonnance n°32/CS/PCA/91-92 du 30 septembre 1992, affaire
Divine Kingdom people’s party of Cameroon contre Etat du Cameroun ; ordonnance n°02/O/PXCA/CS du 16 décembre
1992, affaire UPC-Manidem contre Etat du Cameroun.
1043
La seule exception qui est restée un cas d’espèce c’est l’affaire UPC du 17 septembre 1992 rendue, non pas
par un juge unique, mais par la Chambre administrative de la Cour Suprême . Le problème portait non pas
exactement sur le refus de légalisation du parti UPC mais, selon le terme de la requête, sur le rejet par le Ministre
de l’Administration Territoriale du « dossier de mise du parti politique UPC crée le 10 avril 1948 » et dont le
requérant a été le premier secrétaire élu en 1960. V CS/CA, jugement n°60/91-92 du 17 septembre 1992, Union
des populations du Cameroun (UPC) contre Etat du Cameroun.
1044
O. Dugrip, op. cit. 101.
1045
V. article 30 de la loi n°90/056 du 19 décembre 1990.
1046
V. article 17.2 de la loi n°056 du 19 décembre 1990.
1047
V. article 18. 2 de la loi n°90/056 du 19 décembre 1990.
1048
V. article 22 de la loi n°99/014 du 22 décembre 1999 régissant les organisations non gouvernementales.
1049
Cl. Boiteau, « Le juge unique en droit administratif », RFDA, 1996, p. 11.
1050
Montesquieu , De l’esprit des lois, Livre VI, chapitre VII.
1051
Cl. Boiteau, op. cit. ; p 11.

253
2. La simplification de la procédure de jugement

En matière de dissolution d’association et de refus de légalisation de partis


politiques, l’économie du temps procurée par la simplification de la procédure de
jugement est liée d’une part à la suppression de l’intervention du Ministère public, et
d’autre part, à la modification des méthodes de travail du juge.

a) La dispense de conclusions du Procureur Général permet de mettre plus


rapidement en état le dossier à soumettre au juge, après ou sans instruction. C’est
ainsi que la loi n°90/053 du 19 décembre 1990 porta nt liberté d’association et la loi
n°90/056 du 19 décembre 1990 relative au partis pol itiques n’ont pas prévu
l’intervention du Procureur général dans la procédure contentieuse de règlement des
litiges portant sur les associations et les partis politiques et le juge n’a pas remis en
cause cet état de droit législatif en appliquant les dispositions de la loi n°75/17 du 8
décembre 1975 qui fixe la procédure devant la Cour Suprême statuant en matière
administrative et prévoit l’intervention du Procureur Général dans la phase de
jugement. Le Président de la Chambre Administrative statue donc seul sans la
présence du Ministère public. Il en a été ainsi dans toutes les espèces rendues en
matière de dissolution d’association et de refus de légalisation des partis politiques.
La seule exception a été l’affaire U.P.C du 17 septembre 1992 ; espèce unique en
son genre en matière de contentieux de reconnaissance des partis politiques dont le
jugement a été rendu « en présence de l’Avocat général près la Cour Suprême »,
après que « le Ministère public » a été « entendu en ses conclusions »1052.

b) Autre moyen d’économiser du temps, la modification des méthodes de


travail du juge dans la phase de jugement. En effet, en matière de dissolution
d’association et de légalisation de partis politiques et dans toutes les matières où le
juge qui statue est unique, il n’existe pas d’audience et de délibéré1053. Le Président
de la Chambre Administrative statue seul en son cabinet sur la base de la requête et
du dossier de l’affaire, sans avoir à entendre la partie adverse. D’ailleurs, il le dit, lui-
même, explicitement, dans les espèces rendues en matière de dissolution
d’association, et la pratique en matière de refus de légalisation de partis politiques

1052
CS/CA, jugement n°60/91-92 du 17 septembre 1992.
1053
La seule exception, unique en son genre, c’est l’affaire UPC du 17 septembre 1992 . Le jugement a été rendu
par la Chambre administratif ; V. jugement n°60/91-92 du 17 septembre 1992, affaire UPC contre Etat du
Cameroun.

254
l’atteste. Ainsi dans les affaires OCDH1054 Kom Ambroise1055, Cap-Liberté1056 du 26
septembre 1991, il déclare : « Attendu que la procédure présente instituée par
l’article 13 alinéa 3 de la loi n°90/053 du 19 déce mbre 1990 est celle d’ordonnance
sur requête, que par conséquent le Président de la Chambre Administrative se
prononce sans avoir entendu la partie adverse et sans même que cette dernière ait
été avertie ». Une telle procédure est également prévue par l’article 8 alinéa 3 de la
loi n°90/056 du 19 décembre 1990 relative aux parti s politiques.

Pourtant, malgré le gain de temps qu’elle procure et le fait qu’elle « affecte


l’office du juge dans son cœur même »1057 , cette procédure n’est pas mise en œuvre
dans toute sa plénitude. En effet, elle connaît un cadre temporel élastique qui remet
en cause et les dispositions légales y relatives et son caractère urgent. Il en est de
même de la procédure appliquée en matière électorale.

SECTION II : L’ELASTICITE DU CADRE TEMPOREL DE L’INSTANCE


CONTENTIEUSE SPECIALE

En général, les textes n’impartissent à la juridiction administrative aucun délai


pour statuer sur les recours dont elle est saisie. « Bien qu’une bonne administration
de la justice s’accommode mal d’une instruction rapide »1058, il est évidemment
souhaitable que ses « décisions interviennent sans trop de retard, sinon elles sont
privées de la majeure partie de leur efficacité pratique »1059.

Le juge administratif dispose donc « de larges pouvoirs d’appréciation dans le


déroulement de l’instance »1060. Aussi, le silence d’une juridiction ne fait jamais
naître, sans texte, une décision juridictionnelle implicite de rejet1061. « Souveraine
dans la conduite de l’instruction des affaires »1062, la juridiction administrative peut
plusieurs fois de suite inscrire une affaire à son rôle, l’enrayer et reporter ainsi le
moment où elle la jugera 1063.

1054
Ordonnance n°19/O/PCA/CS du 26 septembre 1991.
1055
Ordonnance n°20/O/PCA/CS du 26 septembre 1991.
1056
Ordonnance n°21/O/PCA/CS du 26 septembre 1991.
1057
O.Dugrip, op. cit., p 103.
1058
André Heurte, « Le délai pour statuer en matière électorale », AJDA, 1958, p. 25.
1059
R. ODENT, op. cit., p 728.
1060
A. Heurte, op. cit., p 25.
1061
V . CE, 26 novembre 1937, Logot et CE, 29 mai 1970, Sté conforma, Rec, 375.
1062
Ch. Debbasch et J-C Ricci, op. cit, 402.
1063
CE, 9 mai 1962 ministre de la Santé publique contre Fresnais, Rec., p 310.

255
Mais, la considération de l’urgence, liée à des données d’ordre divers, peut
conduire le juge « à spontanément accélérer l’instruction d’une affaire de façon à la
régler aussi rapidement que possible »1064. De même, la considération de l’urgence
peut conduire les pouvoirs publics à fixer, pour certaines matières, des délais plus ou
moins brefs, dans lesquels la décision du juge doit intervenir. Il en est ainsi du
contentieux électoral municipal, du contentieux électoral au sein des chambres
consulaires, du contentieux de la suspension et de la dissolution des associations et
des organisations non gouvernementales, du contentieux de la légalisation, de la
suspension et de la dissolution des partis politiques, du contentieux des actes portant
reconduite d’un étranger à la frontière.

Il résulte toutefois de la pratique que, de façon récurrente, le juge méconnaît la


limitation textuelle du cadre temporel de l’instance contentieuse des affaires
urgentes (§ 1). Cette méconnaissance s’accompagne d’un allongement du cadre
temporel de l’instance au niveau de l’examen des voies de recours exercées contre
les décisions rendues par le juge dans ces matières (§ 2).

PARAGRAPHE I : LA MECONNAISSANCE DE LA LIMITATION


TEXTUELLE DU CADRE TEMPOREL DE L’INSTANCE
CONTENTIEUSE SPECIALE

Dans certains cas, les textes déterminent « les affaires qui doivent bénéficier
d’un jugement accéléré et prescrivent au juge administratif de les juger
prioritairement »1065. Pour cela, ils lui fixent des délais dans lesquels il devrait se
prononcer. La durée de l’instance contentieuse est alors préfixée ou prédéterminée.
Il en résulte que « le jugement devant être rendu avant le terme fixé par le texte, le
juge perd la maîtrise du temps procédural »1066. Le jugement d’urgence lui est donc
imposé ; aussi, s’il lui est possible de juger plus rapidement encore, il ne peut, en
principe, juger plus lentement1067.

Les cas dans lesquels le juge administratif est tenu de statuer dans des délais
déterminés en vertu d’une disposition textuelle expresse sont assez rares et se

1064
R. Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 811.
1065
O. Dugrip, op. cit., p. 29.
1066
Ibid.
1067
Ibid.

256
présentent donc comme une exception. Ceci démontre que les pouvoirs publics
n’imposent des délais au juge qu’avec la plus grande réserve. Quoi qu’il en soit,
dans la pratique, le juge va au-delà des délais qui lui sont prescrits par les textes
pour statuer (A), remettant ainsi en cause l’autorité qui leur est attachée (B).

A. LE DEPASSEMENT DES DELAIS PRESCRITS PAR LES TEXTES


POUR STATUER

Les prescriptions textuelles n’obéissent apparemment pas à des principes ou


à des logiques bien déterminées ni en ce qui concerne la matière, ni en ce qui
concerne la durée des délais. En effet, « les textes imposent au juge de statuer dans
un délai préfixé dans des matières hétérogènes et lui fixent des délais variables »1068.
Cette diversité des délais est telle qu’elle « ne fait pas toujours apparaître une
logique de l’urgence »1069. Pourtant, le juge ne parvient pas à se conformer à ces
délais, que ce soit en matière électorale ou dans les autres matières.

1. Le dépassement des délais légaux pour statuer en matière électorale

Le jugement d’urgence suppose la limitation du cadre temporel de l’instance


contentieuse, « action directe contre le temps »1070, en plus de la modification du
cadre formel de l’instance, « action indirecte contre le temps »1071 . Il en est ainsi de
la matière électorale organisée selon la procédure d’urgence. M. Mejan écrit,
d’ailleurs, qu’en « matière électorale, il y a toujours urgence étant donné les courts
délais impartis au tribunal administratif pour statuer »1072. Pourtant, en cette matière,
la limitation textuelle du cadre temporel de l’instance est largement méconnue par le
juge administratif camerounais. Il en est ainsi en matière de contentieux électoral au
sein des chambres consulaires et en matière de contentieux électoral municipal. Or,
il est « lié par l’existence d’un délai de jugement qui constitue la durée maximum que
les textes lui accordent pour statuer »1073.

1068
Ibid., p. 31.
1069
F. Moderne, « La durée des instances », Colloque du 30ème anniversaire des tribunaux administratif, éd. du
CNRS, 1986, p. 61.
1070
O.Dugrip, op. cit., p. 71.
1071
Ibid.
1072
Méjan, « Le nouveau référé administratif », Rev. Adm., 1955, p. 161.
1073
O. Dugrip, op. cit., p. 73.

257
a. Le dépassement des délais légaux pour statuer dans le contentieux
électoral au sein des chambres consulaires

Il résulte de la pratique que les délais que le juge met pour statuer tant dans le
contentieux des listes électorales au sein de la Chambre de Commerce que dans le
contentieux des opérations électorales au sein de la Chambre d’Agriculture vont au
delà de ceux prescrits par les textes.

α. Les délais mis pour statuer dans le contentieux des listes électorales

D’après l’article 15 du décret n°86/231 du 13 mars 1986 portant statuts de la


Chambre de Commerce, la Chambre Administrative de la Cour Suprême « statue
dans les quinze jours suivant l’introduction de la requête (…) contre les inscriptions,
radiations ou omissions faites par le Ministre chargé du commerce, Président de la
commission » électorale. Un tel délai paraît raisonnable pour « permettre aux
éventuels requérants de rentrer à temps dans leurs droits »1074. Seulement, en
pratique, le juge ne respecte pas cette obligation temporelle lorsqu’il statue. C’est
ainsi qu’il a rendu des jugements sur des recours portant sur l’omission et l’erreur sur
les noms dans les listes électorales au-delà du délai de quinze jours prescrit par le
décret n°86/231.

Les délais mis par le juge pour statuer vont de 41 jours à 261 jours1075.

Les jugements relatifs à l’irrecevabilité des recours ont été rendus entre 91et 224
jours. A titre d’exemple, saisi le 30 juillet 1987 dans l’affaire Société de Transport de
Commerce et de l’Industrie, le juge a statué le 29 octobre 1987, soit 91 jours
après1076 ; par ailleurs, saisi le 19 août 1987 dans l’affaire Destiny Enterprises, il n’a
rendu son jugement que le 31 mars 1988, soit 224 jours après1077.

Quant aux jugements au fond, ils sont intervenus entre 41 et 180 jours. Ainsi,
par exemple, le juge a mis : 41 jours pour statuer dans l’affaire Electrical

1074
B. Momo, « Le problème des délais dans le contentieux administratif camerounais », op. cit., p. 147.
1075
Dans le jugement rendu 261 jours après sa saisine, le juge a rejeté le recours pour absence d’objet, l’omission
du nom alléguée par le recourant ayant été réparée par l’Administration : CS/CA, jugement n° 71/87-88 du 14
juillet 1988, affaire Société Ruccotel contre Etat du Cameroun. ( recours introduit le 26 octobre 1987).
1076
CS/CA jugement n°27/87-88 du 29 octobre, affaire Sté de Transport, de Commerce et de l’Industrie contre
Etat du Cameroun..
1077
CS/CA, jugement n°61/87-88 du 31 mars 1988, affaire Destiny Enterprises contre Etat du Cameroun.

258
Construction du 13 août 19871078 et ordonner que le nom de la partie requérante soit
inscrit sur les listes électorales, alors qu’il avait été saisi le 3 juillet 1987 ; 180 jours
dans l’affaire D.A Nangah du 28 janvier 19981079 pour refuser l’inscription de la partie
requérante parce qu’elle ne remplissait pas les conditions réglementaires requises,
alors qu’il avait été saisi le 13 juillet 1987 ; et, 90 jours dans l’affaire Teta Michel du
29 octobre 19871080, pour ordonner la rectification du nom de l’intéressé qui l’avait
saisi le 30 juillet 1987.

En se référant au délai de quinze (15) jours impartis au juge pour statuer, vu


l’urgence, l’on admettra que les décisions intervenues l’ont été très tardivement et
quel que soit leur sens, elles n’étaient plus susceptibles de rendre vraiment
satisfaction aux requérants. On observe le même dépassement de délais légaux
pour statuer dans le contentieux des opérations électorales au sein de la Chambre
d’Agriculture.

β. Les délais mis pour statuer dans le contentieux des opérations


électorales

D’après l’article 24 du décret n°78/525 du 12 décem bre 1978 portant statut de


la Chambre d’Agriculture, la Cour Suprême saisie du recours d’un électeur contre les
opérations électorales de sa section « statue dans les 90 jours de saisine ». En
pratique, il n’en est rien. Ainsi, dans l’espèce Tchatchoua Jean-Pierre1081, alors que
les résultats des élections ont été proclamés par la commission électoral du Littoral le
20 juin 1986 et que le recours a été intenté contre ces élections le 5 juillet 1986, le
juge n’a rendu son jugement que le 25 mai 1989, soit près de trois ans – plus
exactement deux ans et 10 mois - après sa saisine, non pas au fond, mais en la
forme ; le recours ayant été déclaré irrecevable en ce qu’il a été introduit au delà du
délai prescrit par la réglementation et pour absence de versement d’une provision
supplémentaire. Plus grave, la décision du juge dans l’affaire Mvondo Tsang
Richard1082 est intervenue plus de quatre (04) ans après sa saisine, c’est-à- dire le

1078
CS/CA, jugement n°52/87-88 du 13 août 1987 Electrical construction contre Etat du Cameroun..
1079
CS/CA, jugement n°52/87-88 du 28 janvier 1988, D.A Nangah contre Etat du Cameroun..
1080
CS/CA, jugement n°26/87-88 du 29 octobre 1987, affaire Teta Michel contre Etat du Cameroun.
1081
CS/CA, jugement n°41/88-89 du 25 mai 1989, affaire Tchatchoua Jean-Pierre contre Etat du Cameroun.
1082
CS/CA, jugement n°101/90-91 du 28 mars 1991 affaire Mvondo Tsang Richard contre Etat du
Cameroun.

259
28 mars 1991, alors que le recours a été introduit le 1er août 1986. En l’espèce, le
recours a été déclaré irrecevable pour non consignation d’une provision.

L’intervention tardive du juge s’observe également dans le contentieux


électoral municipal.

b. Le dépassement des délais légaux pour statuer dans le contentieux


électoral municipal

L’ensemble du contentieux électoral municipal est organisé selon la procédure


d’urgence, le juge devant trancher dans des délais légaux réduits les contestations
concernant les opérations relatives à l’élection des conseillers municipaux, du maire
et des adjoints. Il n’en est pourtant pas ainsi dans les faits, les délais mis par le juge
pour statuer étant largement au-dessus de ceux prescrits par les textes.

α. Les délais mis pour statuer dans le contentieux des opérations


relatives à l’élection des conseillers municipaux

Un délai de soixante (60) jours à compter de la date de saisine est imparti par
le législateur au Président de la Chambre Administrative de la Cour Suprême1083
pour statuer sur la régularité des opérations électorales de la commune1084.

Dans les faits, ce délai n’est pas respecté. Ainsi, sur soixante dix huit (78)
jugements rendus après les élections municipales du 21 janvier 1996, un seul est
intervenu dans le délai de 60 jours prévus par la loi. En l’espèce, le juge a statué 59
jours après sa saisine1085. En effet, saisi le 30 janvier 1996, il a rendu sa décision le
29 mars de la même année. Tous les autres jugements sont intervenus au-delà de
60 jours. Les délais vont de 78 à 278 jours1086. Il en est ainsi, par exemple, du
jugement U.P.C (C.U Edéa) rendu le 18 avril 19961087, alors que le juge a été saisi le
31 janvier 1996, soit 78 jours après ; du jugement R.D.P.C (C.R Baham) rendu le 18
avril 19961088, alors que le recours a été introduit le 30 janvier 1996, soit 79 jours

1083
V. article 34 al de la loi n°92/002 du 14 août 1992 fixant les conditions d’élection des conseillers
municipaux.
1084
V. article 33 de la loi n°92/002 du 14 août 1992.
1085
CS/CA, jugement n°25/95-96 du 29 mars 1996, affaire Front Patriotique National (FPN) (CR de Mboma)
contre Etat du Cameroun.
1086
Voir tableau récapitulatif en annexes.
1087
CS/CA, jugement n°30/95-96 du 18 avril 1996, affaire UPC (C.U d’Edéa) contre Etat du Cameroun.
1088
CS/CA, jugement n°28/95-96 du 18 avril 1996, affaire RDPC (C.R Baham) contre Etat du Cameroun.

260
après ; du jugement RDPC (CR N’samba) rendu le 9 mai 19961089 alors que le juge a
été saisi le 26 janvier 1996, soit 104 jours après ; du jugement UNDP-SDF (CU de
Yaoundé IIe) prononcé le 18 juillet 19961090 à la suite d’une saisine intervenue le 31
janvier 1996, soit à 169 jours après ; du jugement Chefs traditionnels de Melong
prononcé le 31 octobre 19961091, alors que le recours a été introduit le 27 janvier
1996, soit 278 jours après.

Le retard du juge à statuer s’observe aussi dans le contentieux des


contestations portant sur l’élection du maire et des adjoints.

β. Les délais mis pour statuer dans le contentieux des opérations


relatives à l’élection du maire et des adjoints1092

Un délai très bref de quinze (15) jours à compter de la date de saisine est
imparti par le législateur à « la juridiction administrative compétente en première
instance », pour se prononcer sur les « cas d’irrégularités dans l’élection du maire ou
des adjoints »1093. Il s’agit d’un délai d’urgence que le juge méconnaît en pratique. A
titre d’exemple, dans l’affaire conseillers municipaux de Nanga Eboko décision du 29
mars 19961094 , le juge a statué 53 jours après sa saisine qui a eu lieu le 5 février
1996 ; dans l’affaire SDF (CU de Douala IIIe ), il a statué le 9 mai 19961095alors que
l’introduction du recours a eu lieu le 7 février 1996, donc 92 jours après ; de même,
dans l’affaire Essomba Marcel (CR de Ngomedzap), saisi le 14 mars 1996, il a statué
le 26 septembre 19961096, soit 196 jours après sa saisine ; enfin, dans l’affaire
conseillers municipaux de Goulfei1097, alors que le recours est intervenu le 27 janvier
1996, il a statué le 31 octobre 19961098, soit 278 jours après.

1089
CS/CA, jugement n°33/95-96 du 9 mai 1996, affaire RDPC(C.R N’samba) contre Etat du Cameroun.
1090
CS/CA, jugement n°44/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UNDP-SDF (CU de Yaoundé IIe) contre Etat du Cameroun.
1091
CS/CA, jugement n°12/96-97 du 31 octobre 1996, affaire chefs traditionnels de Mélong contre Etat du Cameroun.
1092
Sur l’évolution des modes de désignation de l’exécution municipal au Cameroun, lire Bernard-Raymond
Guimdo, « L’Emprise de l’Etat sur l’exécutif communal au Cameroun», Lex lata n° 021, Déc.1995,pp.8-16.
1093
article 53 de la loi n°74/23 du 5 décembre 1974 portant organisation communale modifiée et complétée par
la loi n°92/003 du 14 août 1992.
1094
CS/CA, jugement n°24/95-96 du 29 mars 1996, affaire Conseillers municipaux de Nanga Eboko contre Etat
du Cameroun.
1095
CS/CA, jugement n°39/95-96 du 9 mai 1996, affaire SDF (CU de Douala IIIe) contre Etat du Cameroun..
1096
CS/CA, jugement n°4/96-97 du 24 septembre 1996, affaire Essomba Marcel (CR Ngomedzap) contre Etat du Cameroun
1097
CS/CA, jugement n°24/95-96 du 29 mars 1996, affaire Conseillers municipaux de Nanga Eboko contre Etat du
Cameroun.
1098
CS/CA, jugement n°13/96-97 du 31 octobre 1996, affaire conseillers municipaux de Goulfei contre Etat du Cameroun.

261
Il se dégage de ce qui précède que le juge ne prend pas en compte l’urgence
temporelle de la procédure en matière électorale. Ainsi, la prescription des pouvoirs
publics consistant à limiter le cadre temporel de l’instance d’examen du contentieux
électoral ne conduit pas le juge à statuer d’urgence en accélérant l’instruction et le
jugement des recours. Il en est de même dans les autres matières dont le cadre
formel de l’instance a été pourtant allégé.

2. Le dépassement des délais légaux pour statuer dans les autres


matières

Afin de hâter le jugement des matières urgentes autres que le contentieux


électoral, les textes ont fixé des délais dans lesquels le juge doit statuer. Il en est
ainsi du contentieux de la dissolution des associations et du contentieux du refus de
légalisation des partis politiques. Dans les faits, ces délais ne sont pas respectés.

a. Les délais mis pour statuer dans le contentieux de la dissolution des


associations

L’article 13 al 3 de la loi n°90/053 du 19 décembre 1990 impartit un délai de


dix (10) jours, au « président de la juridiction administrative » à compter de la date de
sa saisine pour statuer sur les recours portant sur la dissolution d’association. Il s’agit
d’un délai d’urgence qui permet d’éviter que l’écoulement du temps ne préjudicie les
droits et intérêts du demandeur. Il résulte des décisions rendues en la matière que le
juge ne se conforme pas à cette exigence législative. Ainsi, dans l’affaire OCDH1099,
il a statué 37 jours après sa saisine. En effet, saisi le 21 août 1991, il a rendu sa
décision le 26 septembre de la même année. De même, dans l’affaire Kom
Ambroise1100, il a statué le 26 septembre 1991, alors qu’il a été saisi le 30 août 1991,
donc 28 jours après. Enfin, dans l’affaire Cap-Liberté1101, saisi le 05 septembre 1991,
il s’est prononcé le 26 du même mois, soit 21 jours après.

Tout en reconnaissant qu’il résulte de la loi qu’il statue dans un délai de dix
jours, le Président de la Chambre Administrative a justifié ce retard à statuer par le
fait qu’il« n’a pas de vice-président », qu’il « n’est rentré de son congé annuel que le

1099
Ordonnance n°19/O/PCA-CS du 26 septembre 1991, affaire OCDH contre Etat du Cameroun.
1100
Ordonnance n°20/O/PCA/CS du 26 septembre 1991, affaire Kom Ambroise contre Etat du Cameroun.
1101
Ordonnance n°21/O/PCA/CS du 26 septembre 1991, affaire Cap-Liberté contre Etat du Cameroun.

262
6 septembre 1991 »et que, par conséquent, il « ne pouvait statuer dans le délai
imparti à compter de l’enregistrement de la requête » . Il a ainsi estimé « qu’il y a là
cas de force majeure ». Cette justification, aussi légitime soit elle, n’est pas à l’abri de
toute critique. D’abord, il est un truisme que la Chambre Administrative n’a pas de
Vice-président, puisque la loi ne l’a pas prévu ; mais, il est assisté de deux
assesseurs qui sont, comme lui, des magistrats. Ensuite, il existe au sein de la Cour
Suprême plusieurs conseillers dont l’un peut lui suppléer au cas où il est empêché.
Par ailleurs, le départ en congé du Président de la Chambre administrative ne devrait
pas paralyser le fonctionnement de la justice administrative, surtout lorsque les
recours introduits ou en instance ont un caractère urgent ; l’intérim devrait donc être
organisé dans ce cas. Enfin, dire « qu’il y a là cas de force majeure », c’est-à-dire un
fait imprévisible dans sa survenance et irrésistible dans se effets, est un argument
qui ne tient pas , puisque le congé annuel du président n’est pas imprévisible, sauf
s’il est justifié par un cas de maladie ou d’accident, par exemple . Il n’est pas non
plus irrésistible dans ses effets, puisqu’on peut y remédier par la désignation d’un
intérimaire. Quoi qu’il en soit, et quelles que soient les raisons avancées, le juge
administratif n’a pas statué d’urgence.

En matière de refus de légalisation des partis politiques, le non respect des


délais légaux pour statuer est aussi de règle.

b. Les délais mis pour statuer dans le contentieux de la légalisation des


partis politiques

L’article 8 al 3 de la loi n°90/056 du 19 décembre 1990 a prescrit au juge


administratif un délai de trente (30) jours à compter de sa saisine pour statuer sur les
recours relatifs au refus de légalisation des partis politiques. Dans la pratique
cependant, ce délai est ignoré par le juge. La seule exception c’est l’affaire UPC-
Manidem dont la décision est intervenue huit (08) jours après la saisine du juge1102.
Ainsi, saisi le 04 avril 1991 dans l’affaire U.P.C1103 , le juge s’est prononcé le 17
septembre 1992, soit 532 jours après, c’est-à-dire après 1 an, 5 mois et 22 jours.

1102
Saisi le 9 décembre 1992, le juge a statué le 16 du même mois. V. ordonnance n°02/PCA/CS du 16 décembre
1992, affaire UPC-Manidem contre Etat du Cameroun.
1103
CS/CA, jugement n°60/91-92 du 17 septembre 1992, affaire UPC contre Etat du Cameroun.

263
Pour l’affaire RDR, le juge a statué le 18 septembre 19921104, alors qu’il a été saisi le
7 août 1992, donc 43 jours après. En ce qui concerne l’affaire PSLD, il est intervenu
le 18 septembre 19921105 alors que le recours lui a été adressé le 17 août 1992 ; il
s’est donc prononcé 39 jours après. Quant à l’affaire UNC, le juge a statué le 23
septembre 19921106, alors qu’il a été saisi le 9 avril 1992, donc 168 jours après. Pour
ce qui est de l’affaire F.P.S-P.C, la décision du juge est intervenue le 23 septembre
19921107, alors que sa saisine a eu lieu le 16 juillet 1992 ; il a donc statué 70 jours
après. Enfin, pour l’affaire Divine Kingdom People’s party of Cameroon, le juge a
rendu sa décision le 30 septembre 19921108 alors que le recours a été introduit le 7
janvier 1992, soit 267 jours après sa saisine.

Dans les affaires R.D.C, P.S.L.D et F.P.S-P.C le Président de la Chambre


Administrative a justifié le retard qu’il a mis pour statuer par les mêmes raisons que
celles avancées dans les affaires relatives au contentieux de la dissolution des
associations, à savoir qu’il « n’est rentré de son congé annuel que le 14 septembre
1992 », que, par conséquent, il « ne pouvait statuer dans le délai imparti à compter
de l’enregistrement de la requête »,que par conséquent, «il s’agit d’un cas de force
majeure ». Cette justification encourt les mêmes critiques que celles formulées
précédemment dans les affaires portant sur la dissolution des associations. Il en est
ainsi d’autant plus que dans des décisions rendues dans la même période, il n’a pas
ou plus justifié le retard qu’il a mis pour statuer. C’est le cas de l’ordonnance rendue
le 23 septembre 1992 dans l’affaire U.N.C et de l’ordonnance rendue le 30
septembre 1992 dans l’affaire Divine Kingdom people’s party of Cameroon.

Le fait pour le juge de statuer au-delà des délais prescrits par les textes
contribue ou constitue une remise en cause de leur autorité.

1104
Ordonnance n°25/CS/PCA/91-92 du 18 septembre 1992, affaire Regroupement Démocratique pour la
République (RDR) contre Etat du Cameroun.
1105
Ordonnance n°26/CS/PCA/91-92 du 18 septembre 1992, affaire Programme Social pour la Liberté et la
Démocratie (PSLD) contre Etat du Cameroun.
1106
Ordonnance n°29/CS/PCA/91-92 du 23 septembre 1992 affaire Union Nationale Camerounaise (UNC)
contre Etat du Cameroun.
1107
Ordonnance n°29/CS/PCA/91-92 du 23 septembre 1992, affaire Front Patriotique pour le Salut du Peuple
Camerounais (FPS-PC) contre Etat du Cameroun.
1108
Ordonnance n°32/CS/PCA/91-92 du 30 septembre affaire Divine Kingdom people’s party of Cameroon
contre Etat du Cameroun.

264
B. LA REMISE EN CAUSE DE L’AUTORITE DES DELAIS PRESCRITS
PAR LES TEXTES POUR STATUER

Si le juge administratif paraît bien tenu par l’existence de délais de jugement


qui constituent la durée maximum que les textes lui accordent, la pratique révèle
cependant qu’il ne reconnaît à ces délais aucune autorité et ce d’autant plus qu’il
n’existe pas de prescriptions légales qui en garantissent le respect par lui.

1. Le caractère impératif des délais prescrits par les textes pour statuer

Il n’y a pas de doute que lorsque les textes prescrivent au juge des délais pour
statuer, ses décisions doivent normalement mettre un terme au litige avant
l’expiration de ces délais ; « statuant au-delà, le juge méconnaîtrait la volonté » des
pouvoirs publics « de doter le contentieux en cause d’une procédure d’urgence »1109.
En effet, tenu par les textes de rendre ses décisions dans les délais qui lui sont
imposés, le juge administratif est lié par une obligation de résultat1110.

La rédaction des textes ne peut en effet laisser de doute sur la volonté des
pouvoirs publics « d’imposer au juge l’obligation de statuer dans le délai fixé »1111 .

Ainsi, le délai pour statuer présente toujours un caractère impératif1112. En


effet, lorsqu’il prescrit un délai au juge pour statuer, le législateur ou l’exécutif
« entend bien qu’il soit respecté même s’il est conscient que cela peut poser

1109
O. Dugrip, op. cit., p 73.
1110
Dans ce sens, A. Heurte, op. cit., p 25.
1111
O.Dugrip, op cit., p.73.
1112
Par exemple : l’article 15.2 du décret n°86/231 du 13 mars 1986 portant statuts de la Chambre de Commerce
traitant des recours contre les inscriptions, radiations ou omissions faites sur les listes électorales par le Ministre
chargé du Commerce, président de la commission électorale, dispose : « La Chambre Administrative de la Cour
Suprême statue dans les quinze jours suivant l’introduction de la requête » ; l’article 24.2 du décret n°78/525 du
12 décembre 1978 portant statut de la Chambre d’Agriculture concernant les recours intentés contre les
opérations électorales au sein de la Chambre d’Agriculture énonce : « La Cour statue dans les 90 jours de sa
saisine » ; l’article 34.3 d la loi n°92/002 du 14 août 1992 fixant les conditions d’élection des conseillers
municipaux ,parlant des contestations des opérations électorales dispose : « Le président statue dans un délai de
soixante (60) jours à compter de la date de saisie » ; l’article 53 (nouveau) de la loi n°74/23 du 5 décembre
1974 modifiée et complétée par la loi n°92/003 du 14 août 1992, traitant des cas d’irrégularités dans l’élection du
maire ou des adjoints prescrit que « la juridiction administrative compétente en première instance (…) se
prononce dans les 15 jours de la saisine» ; l’article 13.3 de la loi n°90/053 du 19 décembre 1990 portant sur la
liberté d’association dispose que « le président de la juridiction administrative (…) statue (…) dans un délai de
dix (10) jours » sur le recours portant sur la suspension ou de la dissolution d’une association ; enfin l’article 8.3
de la loi n°90/056 du 19 décembre 1990 relative aux partis politiques prescrit que « le président de la juridiction
administrative (…) statue (…) dans un délai de 30 jours » sur le recours portant sur le refus d’autorisation ,la
suspension ou la dissolution du parti politique.

265
problème au juge »1113. Pourtant, malgré l’autorité conférée aux délais de jugement
en matière électorale, en matière de dissolution d’association et de refus de
légalisation des partis politiques, le juge ne se sent par lié, car le traitement de ces
matières n’est pas rapide comme l’ont souhaité le législateur et l’exécutif.

En statuant au-delà des délais prescrits par les textes, le juge, sans le dire
explicitement, « se reconnaît le pouvoir souverain de ne pas rendre son jugement
dans le délai, faisant ainsi prévaloir son appréciation de l’urgence sur celle du
législateur, lorsqu’il ne l’ignore pas purement et simplement »1114. Par exemple, à la
suite des élections municipales du 21 janvier 1996, le contentieux qui en a résulté a
donné lieu à des audiences qui ont été renvoyées les unes après les autres et cela
au-delà du délai prescrit au juge pour statuer1115, bien qu’on ait expliqué certains
retards, lenteurs et renvois de jugements par l’empêchement du Président de la
Chambre administrative et par le fait qu’il a fallu procéder à des « gymnastiques »
juridiques pour désigner un autre magistrat, conseiller à la Cour Suprême, pour
assurer l’ intérim1116.

L’attitude générale du juge administratif par rapport aux délais qui lui sont
prescrits pour statuer dans des affaires jugées urgentes amène à dire ou à penser
que ces délais n’ont pour lui qu’une valeur « purement indicative » ou
« comminatoire »1117, « simplement destinés à inciter la juridiction à s’efforcer de
statuer rapidement »1118 , ou n’exprimant qu’un vœu1119.

Mais, les appréciations ainsi formulées « doivent être comprises comme une
description de la jurisprudence ; elles ne sauraient constituer un jugement sur la
valeur intrinsèque de ces délais (…) »1120. En effet, en dotant certains contentieux
d’une procédure d’urgence par la fixation des délais d’instance, la loi ou le règlement
« a entendu établir à leur profit une priorité dans l’inscription au rôle (…) »1121, bien

1113
O. Dugrip, op. cit., pp. 73-74.
1114
Ibid., p. 74.
1115
Sur ce point, lire Abel Eyinga, « le Cour suprême ne fait pas son travail » in La Nouvelle Expression n°325
du 16 juillet 1996, p. 2.
1116
V. ordonnance n°200/CAB/PCS du 7 février 1996 du Président de la Cour Suprême déléguant le conseiller
Atangana Clément, aux fonctions de Président par intérim de la Chambre administrative.
1117
C. Heller, « Le contentieux des élections universitaires : contribution à une théorie générale du droit
électoral ? », AJDA, 1979, p. 3.
1118
R. Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit., p 518.
1119
R. Odent, op. cit., p 968.
1120
O. Dugrip, op. cit., p 75.
1121
Ibid.

266
que celle-ci ait pour effet, à certains égards, de retarder le jugement d’autres
contentieux, augmentant encore, à leur égard, la lenteur de la justice administrative.

Manifestement établi contre la lettre des textes, le fait pour le juge de statuer
au-delà des délais légaux n’est pas sans inconvénients et est susceptible de
provoquer de graves conséquences pour le requérant. En effet, il est admis que le
retard à juger qu’on aligne sur le refus de juger est constitutif de déni de justice. Le
Doyen L. Favoreu écrit que « le déni de justice ne s’analyse plus uniquement en un
refus brutal de juger mais qu’il peut consister dans la négligence ou le retard apporté
au jugement des affaires en état »1122 .

Dans sa note sous l’arrêt Michel du 22 décembre 1967, la Pr. de Lanversin


soutenait que le « non respect d’un délai prescrit est une des plus graves fautes à
laquelle le juge s’expose »1123 . En effet, il est susceptible de toucher les intérêts du
requérant qui peuvent être de plus en plus gravement menacés avec l’écoulement du
temps, « la décision de l’administration devant être exécutée en vertu du privilège du
préalable dont bénéficie la puissance publique »1124. Pourtant, le non respect des
délais prescrits par les textes par la juridiction administrative camerounaise
« n’entache point d’irrégularité la décision rendue par cette juridiction qui peut ainsi,
valablement statuer après l’expiration du délai légal »1125. Il en est ainsi à cause de
l’absence de prescriptions légales garantissant l’autorité des délais qui lui sont
impartis pour statuer.

2. L’absence de prescriptions légales garantissant l’autorité des délais


prescrits par les textes pour statuer

La remise en cause de l’autorité des délais impartis par les textes au juge pour
statuer s’explique et se justifie dans une large mesure par l’inexistence d’une part de
voies de droit ouvertes aux parties en cas de dépassement de ces délais, et, d’autre
part, par l’absence de mesures légales sanctionnant ce dépassement de délais par
le juge.

1122
L. Favoreu, Du déni de justice en droit publie français, Thèse, Paris, LGDJ, 1964, p. 8.
1123
Note sous CE, 22 décembre 1967, Michel, JCP, 1968, n°15488.
1124
O. Dugrip, op. cit., p. 78.
1125
Ch. Debbasch et J-C Ricci, op. cit., p 402. V, CE, Sect., 1er février 1946, Roux, Rec., p. 30.

267
a. L’inexistence de voies de droit ouvertes aux parties en cas de
dépassement de délais pour statuer

Le droit administratif camerounais ne prévoit aucune voie de droit ouverte aux


parties pour enjoindre au juge administratif de statuer sur un litige dont il est saisi.
Les parties n’ont pas non plus la possibilité de passer outre à l’inertie du juge saisi
pour s’adresser à une juridiction supérieure, encore moins la possibilité d’obtenir
réparation du préjudice subi causé par le retard à statuer du juge. Sur ce dernier
point, les choses ont relativement évolué en droit français.

En effet, après avoir longtemps estimé que les décisions prises dans l’exercice
de la fonction juridictionnelle ne sont pas de nature à ouvrir une action en
responsabilité contre l’Etat, le Conseil d’Etat a, depuis 1978, construit « une
jurisprudence qui admet le principe de la responsabilité de l’Etat du fait de la
juridiction administrative tout en lui apportant une considérable limite »1126. Il a ainsi
admis dans l’arrêt Darmont qu’ « une faute lourde commise dans l’exercice de la
fonction juridictionnelle par la juridiction administrative est susceptible d’ouvrir droit à
indemnité »1127. Il a confirmé cette jurisprudence dans l’arrêt consorts Levi rendu le
12 octobre 19831128.

Intervenue à la suite de l’adoption de la loi du 5 juillet 1972, cette


jurisprudence, « dont la formulation paraît reprendre le dispositif » de cette loi, est
limitée dans son ampleur par son fondement : celui de la faute prouvée, qualifiée de
« lourde »1129 et exclut la mise en jeu de la responsabilité de l’Etat « dans le cas où
la faute alléguée résulterait du contenu même de la décision juridictionnelle et où
cette décision serait devenue définitive »1130.

A la lumière de la jurisprudence Darmont, il conviendrait, pour se prononcer


sur la responsabilité de l’Etat en cas de dépassement par le juge du délai pour
statuer ou d’inertie de sa part, « d’apprécier le caractère éventuellement fautif d’une

1126
O. Gohin, Contentieux administratif, op. cit., p. 372.
1127
CE, sect., 29 décembre 1978, Darmont, Rec. 542, AJDA, novembre 1979, p 45 note M. Lombard.
1128
CE, 12 octobre 1983, consorts Levi Rec., p 406, D., 1984, IR. 77, abs, M. Vasseur, D., 1985. IR. 203, Chr.
F. Modrene et P. Bon.
1129
O. Gohin, op. cit., p 372 . V. CE, 7 décembre 1990 ; SCI Les Mouettes, Rec. 983, D. 1991, obs., P. Bon et
Terneyré.
1130
CE, sect. 29 décembre 1978, Darmont, précité.

268
si longue inertie »1131 ou d’un tel retard à statuer. Que dire de l’inexistence de
mesures légales sanctionnant le non respect des délais légaux par le juge ?

b. L’inexistence de mesures légales sanctionnant le non respect des


délais légaux pour statuer

Parce que le juge administratif camerounais ne s’estime pas tenu de statuer


dans les délais prescrits par les textes, il se reconnaît, implicitement la faculté, voire
le pouvoir de statuer au delà desdits délais. Il en résulte que le dépassement des
délais n’épuise pas son pouvoir juridictionnel, surtout qu’il n’en est autrement disposé
par les textes. Parce que ceux-ci n’ont attaché aucune conséquence à l’expiration
des délais, la solution du litige est suspendue jusqu’à l’intervention de la décision du
juge qui seule mettra un terme à l’instance.

D’abord, la péremption d’instance est inconnue en la matière en droit


camerounais. Aussi, « une action en justice devant les juridictions administratives
doit toujours se terminer par une décision »1132. De ce fait, « disposant de tout le
temps nécessaire pour rendre sa décision, le juge administratif, passé le délai, reste
compétent pour statuer »1133. C’est le cas tant en matière électorale qu’en matière de
dissolution d’association et de refus de légalisation des partis politiques.

Ensuite, les textes camerounais n’ont pas donné une signification à l’expiration
des délais et ne leur ont pas attaché certaines conséquences afin qu’ils soient
respectés par le juge administratif. En effet, ils n’ont pas prévu le sort de la requête
en cas de dépassement de délai ou de silence du juge au-delà du délai qui lui est
imparti pour statuer. Une telle hypothèse est prévue en matière électorale en France
où, lorsque le tribunal administratif, saisi, par exemple, du contentieux de
l’enregistrement des candidatures pour l’élection des conseillers municipaux ne
statue pas dans le délai de trois jours prescrit par les textes, la déclaration de
candidature doit être enregistrée1134.

Enfin, ces textes n’ont pas prévu le dessaisissement du juge à l’expiration du


délai du jugement. En droit français, c’est une sanction « très énergique » qui fait

1131
Note M. Lombard, sous l’arrêt Darmont suscité.
1132
O. Dugrip, op. cit, p.80.
1133
Ibid.
1134
V. Ibid., p. 82.

269
obstacle à ce que le juge administratif statue après l’expiration du délai1135. Il a
d’ailleurs prévu plusieurs hypothèses de dessaisissement1136. Tantôt, l’expiration du
délai sans qu’un jugement soit intervenu dessaisit la juridiction qui était saisie1137 ;
tantôt, le dessaisissement entraîne la caducité des actes administratifs déférés au
juge1138. Ainsi, dès lors que le délai de jugement est dépassé, « que le tribunal ait ou
non statué, ses pouvoirs lui échappent définitivement, il est devenu incompétent
ratione temporis »1139.

Certes, « l’existence d’une sanction ne constitue jamais qu’une incitation un


peu plus pressante à statuer : elle ne constitue généralement pas un obstacle absolu
à l’inertie juridictionnelle »1140. D’ailleurs, en France, « la volonté du législateur de
sanctionner la méconnaissance du délai de jugement par le juge administratif afin
d’assurer l’urgence de la procédure contentieuse reste-t-elle largement vaine »1141 ;
mais, il n’en demeure pas moins que sa prescription en droit camerounais est, non
seulement souhaitée, mais nécessaire. Elle permettra, non pas de mettre fin au
dépassement de délai par le juge, mais, au moins de le limiter, les habitudes ayant la
peau dure.

Au demeurant, l’organisation d’une procédure d’urgence, même strictement


réglementée ne peut totalement affecter « le pouvoir du juge administratif de diriger
l’instruction souverainement et de clore l’instance lorsque cela lui paraît
opportun »1142. Que dire alors lorsqu’elle n’est même pas réglementée ? On assiste
forcément à l’allongement du cadre temporel de l’instance contentieuse. Il en est
ainsi de l’examen des voies de recours formées contre les décisions rendues dans
l’instance contentieuse spéciale.

1135
Ibid, p. 83.
1136
En ce sens, Ibid.
1137
Par exemple, le tribunal administratif au profit de la Cour administrative d’Appel ou du Conseil d’Etat qui
statuera comme juge de premier ressort. C’est le cas du contentieux portant sur l’élection des maires et adjoints
et du contentieux de l’élection des conseillers municipaux. V. Ch. Debbasch et J-C. Ricci, op. cit. p. 402 et O.
Dugrip, Ibid., pp. 83-84.
1138
V. CE, 25 juillet 1985, Mme Dagostini, Rec., p 225.
1139
A. Heurte, op. cit., p. 26.
1140
O. Dugrip, op. cit., p 81.
1141
Ibid. p 85.
1142
Ibid.

270
PARAGRAPHE II : L'ALLONGEMENT DU CADRE TEMPOREL DE

L'INSTANCE CONTENTIEUSE SPECIALE DANS LE


CADRE DE L'EXAMEN DES VOIES DE RECOURS

Déclenchée par l'exercice d'un "recours", l'instance contentieuse a le caractère


d'une "instance initiale" ; elle peut reconnaître ou se prolonger sous la forme
d'"instances dérivées", en conséquence de l'exercice contre le jugement d'une "voie
de recours"1143. Celle-ci constitue une garantie fondamentale du droit des parties
ainsi que des participants à l'instance initiale «de prendre part à la contradiction dans
la procédure administrative contentieuse »1144.

Au Cameroun, si le cadre temporel de l’instance contentieuse spéciale est


légalement déterminé dans sa phase initiale, il n'en est pas de même lorsque cette
instance se prolonge dans sa phase dérivée par l'examen des voies de recours (A).
Aussi assiste- t-on, en pratique, à un allongement excessif de l’instance dérivée (B).

A. L'INDETERMINATION DU CADRE TEMPOREL DE L'EXAMEN DES


VOIES DE RECOURS

Le cadre temporel de l'instance contentieuse initiale où sont examinés les


recours en matière électorale, en matière de dissolution d'association et de
légalisation des partis politiques est strictement organisé par les textes. Bien qu'il ne
soit pas globalement respecté par le juge, il limite le renvoi indéterminé des affaires
urgentes et permet un jugement moins long que celui des affaires ordinaires. A
contrario, le cadre temporel de l'instance contentieuse dérivée où sont examinées les
voies de recours exercés contre les jugements rendus sur ces matières n'est pas
déterminé. Il est laissé à l’appréciation discrétionnaire du juge.

1. L'indétermination du cadre temporel de l'examen des voies de


recours en matière électorale

Qu'il s'agisse des textes régissant le contentieux électoral au sein des


chambres consulaires ou de ceux organisant le contentieux électoral municipal,

1143
En ce sens, v. R. Chapus, op. cit., p. 471.
1144
O. Gohin, La contradiction dans la procédure administrative contentieuse, op. cit., p. 355.

271
aucun d'eux n'a prévu le temps que doit mettre le juge pour statuer sur les voies de
recours exercées contre les jugements rendus en ces matières. Il ne pouvait en être
autrement dans la mesure où même le cadre formel de cette instance est
insuffisamment déterminé ; parfois même, les textes sont muets à ce sujet.

a. L'indétermination du cadre temporel de l’examen des voies de


recours en matière électorale au sein des chambres consulaires

En ce qui concerne le sort de la décision rendue par la Chambre


Administrative de la Cour Suprême dans le cadre du contentieux des listes
électorales au sein des chambres consulaires, les textes prévoient soit que cette
décision « est notifiée par les soins de l'Administration au requérant et au Président
de la Commission »1145, soit qu'elle « est notifiée au Président de la Commission
électorale nationale et aux autorités administratives locales qui en informent le
requérant »1146 . Ils ne font nullement allusion aux voies de recours contre cette
décision, encore moins au cadre temporel de leur examen.

Pour ce qui est du sort de la décision rendue par la même Chambre dans le
contentieux de l'éligibilité au sein desdites chambres, ni le décret n° 78/525 du 12
décembre 1978 portant statut de la Chambre d'Agriculture, ni le décret n° 86/231 du
13 mars 1986 portant statuts de la Chambre de Commerce ne font allusion aux voies
de recours contre ladite décision. Ils énoncent seulement que la Chambre
Administrative statue dans les huit jours francs suivant la production de la requête1147
ou du recours1148 et que la liste définitive des candidats « est publiée par le président
de la commission électorale provinciale et affichée dans toutes les unités
administratives de la province 30 jours au plus tard, avant le scrutin »1149, ou « doit
être notifiée par le Président de la Commission aux Préfets et Sous-Préfets pour
affichage immédiat, dix jours au plus tard avant la date du scrutin »1150.

Quand au sort du jugement rendu dans le contentieux des opérations


électorales, les textes indiquent que les élus contestés restent en fonction jusqu’à ce

1145
Article 15.2 du décret n°86/231 du 13 mars 1986 portant statuts de la Chambre de Commerce.
1146
Article 14 (nouveau) §2 du décret n°78/525 du 12 décembre 1978 portant statut de la Chambre
d’Agriculture.
1147
V. article 19.3 du décret n° 86/231 du 13 mars 1986.
1148
V. article 17 (nouveau) al. 4 du décret n° 78/525 du 12 décembre 1978.
1149
Article 17 (nouveau) al. 5 du décret n°78/525.
1150
Article 19.4 du décret n°86/231.

272
qu’il ait été définitivement statué sur les réclamations1151 ou sur les recours1152. Ici,
les textes parlent de " réclamations" ou de "recours" et non de " voies de recours" ;
autrement dit, il est "définitivement statué" dans l’instance contentieuse initiale et
non dans l’instance contentieuse dérivée. Les voies de recours sont donc ignorées
ici. Qu’en est-il en matière électorale municipale ?

b. L’indétermination du cadre temporel de l’examen des voies de


recours en matière électorale municipale

La loi n°92/002 du 14 août 1992 fixant les conditio ns d’élection des conseillers
municipaux est muette sur les délais prescrits au juge pour statuer dans l’instance
dérivée où sont examinées les voies de recours exercées contre les jugements
rendus sur les contestations portant sur les opérations électorales au sein de la
commune. D’ailleurs, même le cadre formel de cette instance est imprécis. En effet,
après avoir précisé, en son article 34.3, que le Président de la juridiction
administrative « statue dans un délai de soixante ( 60) jours à compter de la date de
saisie », la loi n°92/002 indique, en son article 35 que les « conseillers municipaux
dont l’élection est contestée restent en fonction jusqu’à ce qu’il ait été définitivement
statué sur les réclamations» et que, « dans le cas ou l’annulation de tout ou partie
des élections est devenue définitive, les électeurs sont convoqués dans un délai de
quinze ( 15) jours suivant l’annulation ». Ici, l’existence d’une instance dérivée est
présumée, car non explicitement consacrée.

Quant à la loi n° 74/23 du 5 décembre 1974 portant organisation communale


modifiée et complétée par la loi n° 92/003 du 14 ao ût 1992, elle ne fait pas
explicitement cas des voies de recours contre les jugements rendus sur les
contestations portant sur l’élection du maire et des adjoints. Mais, il résulte de l’article
53 (nouveau) de cette loi que ces jugements peuvent être contestés devant une
instance supérieure. En effet, cet article énonce qu’en cas d’irrégularités dans
l’élection du maire ou des adjoints « la juridiction administrative compétente en
première instance » peut être saisie « aux fins d’annulation ». Toutefois, il est muet
sur les délais d’appel et la durée de son instance.

1151
V. article 27.4 du décret n° 86/231.
1152
V. article 24.3 du décret n° 78/525.

273
En pratique, saisi d’un recours en matière électorale, le juge administratif
statue « en premier ressort » ; ceci induit l’existence ou la possibilité d’exercice de
recours en appel. Certains jugements qu’il a rendus en la matière ont d’ailleurs fait
l’objet de tels recours devant l’Assemblée plénière de la Cour Suprême. Celle-ci,
faute d’un cadre formel et temporel spécifique pour en connaître, a fait usage du
cadre formel traditionnel déterminé par la loi n° 7 5/17 du 8 décembre 1975 fixant la
procédure devant la Cour Suprême statuant en matière administrative et a pris tout
son temps pour les examiner. Le cadre temporel d’examen des voies de recours
exercées dans les autres matières est lui aussi indéterminé.

2. L’indétermination du cadre temporel de l’examen des voies de


recours dans les autres matières

Le cadre temporel de l’examen des voies de recours exercées contre les


ordonnances rendues par le Président de la Chambre Administrative en matière de
contentieux de la dissolution des associations institué par la loi n° 90/053 du 19
décembre 1990 portant sur la liberté d’association et en matière de contentieux de la
légalisation des partis politiques prévu par la loi n° 90/056 du 19 décembre 1990
relative aux partis politiques n’est pas légalement et explicitement déterminé. Ces
deux textes indiquent simplement que « l’exercice des voies de recours n’a pas
d’effet suspensif »1153. Aussi, lorsque des voies de recours sont exercées contre des
décisions rendues par le Président de la Chambre administrative en ces matières, il
les instruit et les juge selon les règles de procédure définies par la loi n° 75/17 du 8
décembre 1975. Ce faisant, elles perdent leur caractère urgent parce que le juge ne
statue pas d’urgence sur ces voies de recours. Il en est de même en matière
électorale.

B. LA DUREE EXCESSIVE DE L’EXAMEN DES VOIES DE RECOURS

Le régime appliqué à l’examen des voies de recours contre les décisions


rendues en matière électorale, en matière de dissolution d’association et en matière
de légalisation des partis politiques n’est pas adapté aux exigences de l’urgence.
Qu’il s’agisse de l’instruction ou du jugement de ces voies de recours, le juge leur

1153
Article 13 al.4 de la loi n° 90/053 du 19 décembre 1990 portant sur la liberté d’association et article 8 al.4 de
la loi n° 90/056 du 19 décembre 1990 relative aux partis politiques.

274
applique les règles régissant toutes les voies de recours qui sont définies par la loi n°
75/17 du 8 décembre 1975. La conséquence en est que la durée de leur examen est
excessive, ce qui est source d’effets pervers préjudiciables.

1. L’ampleur de la durée de l’examen des voies de recours

Les décisions rendues par le juge administratif à la suite de l’exercice des


voies de recours sont peu nombreuses en matière électorale et dans les autres
matières. Toutefois, elles ont été prononcées très tardivement, traduisant ainsi le fait
que le juge leur dénie tout caractère urgent, les textes ne lui imposant, d’ailleurs,
aucun cadre temporel pour statuer. C’est ainsi que, saisi d’un recours en tierce
opposition par le Secrétaire général de l’UPC le 16 mars 1993 contre son
ordonnance du 16 décembre 1992 qui annulait la décision du Ministre de
l’Administration Territoriale portant refus de légalisation du parti politique UPC-
Manidem et dont il demandait la rétractation, le Président de la Chambre
administrative n’a rendu son décision que le 13 décembre 19931154, soit plus de huit
(8) mois après sa saisine, pour déclarer mal fondée ladite tierce opposition.
« Soumise aux règles édictées par le droit commun » et « instruite comme une
requête introductive d’instance »1155, cette tierce opposition a donc connu une issue
tardive, ce qui était de nature, du fait de l’écoulement du temps, à préjudicier les
intérêts des parties.

Par ailleurs, saisie d’un recours en appel par l’Organisation Camerounaise des
Droits de l’Homme (OCDH) le 22 août 1991 contre l’ordonnance du Président de la
Chambre Administrative du 26 septembre 19911156 qui confirmait la légalité de la
décision du Ministre de l’Administration Territoriale qui l’avait dissoute, l’Assemblée
plénière de la Cour Suprême n’a rendu son arrêt que le 4 janvier 20011157, soit 9 ans
4 mois 12 jours plus tard. En l’espèce, elle a déclaré le recours de l’O.C.D.H
irrecevable. Elle a également statué tardivement sur des appels exercés en matière
électorale. Ainsi, saisie d’un appel de l’Etat le 12 août 1996 contre un jugement
rendu le 18 juillet 1996 par la Chambre Administrative en matière de contentieux

1154
Ordonnance n° 08/0/PCA/CS/93-94 du 13 décembre 1993, affaire Union des Populations du Cameroun
(UPC) contre Etat du Cameroun et UPC- Manidem.
1155
Article 118 de la loi n° 75/17 du 8 décembre 1975.
1156
Ordonnance n° 19/0/PCA/CS du 26 septembre 1991, affaire OCDH contre Etat du Cameroun.
1157
CS/AP, arrêt n° 35/A du 4 janvier 2001, affaire OCDH contre Etat du Cameroun.

275
électoral municipal, elle n’a rendu son arrêt que le 5 avril 20011158 ,c’est-à-dire 4 ans
7 mois et 24 jours après sa saisine. En l’espèce, elle a déclaré l’appel non justifié et
confirmé le jugement entrepris. De même, après avoir reçu un recours en appel de
1159
l’Etat le 14 juin 1996 contre un jugement rendu le 29 mars 1996 par la Chambre
administrative toujours en matière de contentieux électoral municipal, ladite
Assemblée ne s’est prononcée que 4 ans 6 mois et 17 jours après, à savoir le 14
janvier 20011160. En l’espèce, elle a estimé que ledit recours n’était pas justifié et a
confirmé le jugement contesté. Ici, comme ailleurs, l’Assemblée Plénière s’est
prononcée conformément aux règles procédurales qui la régissent. Saisie par l’effet
dévolutif, elle a procédé au rejugement des demandes d’appel sans considération
d’urgence, exerçant ainsi son pouvoir discrétionnaire qui consiste à « diriger
l’instruction souverainement et de clore l’instance lorsque cela lui paraît
opportun »1161. Mais, le fait pour le juge administratif de statuer dans un cadre
temporel indéterminé et dans un temps excessivement long sur les voies de recours
portant sur des affaires urgentes a des effets pervers préjudiciables.

2. Les effets pervers de la durée excessive de l’examen des voies de


recours

L’allongement de l’instance contentieuse lors de l’examen des voies de


recours relatives aux affaires urgentes a des conséquences néfastes. Outre le fait
qu’il multiplie les contentieux, il a des effets secondaires inacceptables car ils sont
irréversibles. Ainsi, il est source de gâchis économique et social et nuit à l’image de
la justice administrative. Celle-ci est discréditée, les justiciables sont exaspérés, les
avocats sont découragés.

Si « le juge (…) est libre de son temps, libre de choisir les affaires dont il décide
d’assurer un traitement rapide, libre de laisser les autres en attente »1162, la durée
excessive de l’instance débouche sur un déni du justice. En effet, il y a déni de
justice lorsque le juge saisi renvoie « la cause à un temps indéterminé »1163ou

1158
Arrêt n° 46/A du 5 avril 2001, Etat du Cameroun (MINAT) contre S.D.F.
1159
CS/CA, jugement n° 25/95-96 du 29 mars 1996, affaire Front Patriotique National (FPN) contre Etat du
Cameroun.
1160
CS/AP, arrêt n° 39/A du 14 janvier 2001, Etat du Cameroun contre Front Patriotique National.
1161
O. Dugrip, op. cit., p.85.
1162
B. Odent, « l’avocat, le juge et les délais », Mélanges René Chapus, Paris, Montchrestien, 1992, p. 491.
1163
L. Favoreu, op.cit., p. 14.

276
lorsqu’il néglige ou tarde à juger les affaires en état ; ce qui revient au même, car
« le retard à juger est (…) aligné sur le refus de juger pour constituer un déni de
justice »1164.

Il est donc incontestable que le retard mis par le juge administratif camerounais
pour statuer sur les voies de recours en matière électorale, en matière de dissolution
d’association et de légalisation des partis politiques participe du déni de justice.
Comme l’écrit R. Chapus, « anormale, cette situation est aussi dangereuse parce
qu’elle est de nature à provoquer le découragement des justiciables, renonçant à
rechercher des satisfactions dont ils ont lieu de penser qu’elles seront platoniques ;
parce qu’elle est de nature à faire douter du sérieux et même de la légitimité de la
justice administrative »1165.

Déplorer la lenteur du juge dans l’examen des voies de recours portant sur les
affaires urgentes ne signifie pas qu'on souhaite qu’il soit expéditif. Mais, « il faut
bien se persuader que des délais du jugement qui ne sont pas brefs (…) ne peuvent
être des délais raisonnables »1166.

CONCLUSION DU TITRE II ET DE LA PREMIERE PARTIE

Au terme de cette réflexion, il est établi que l’urgence est prise en compte de
façon contingente par le juge administratif camerounais dans l’application des
procédures contentieuses spéciales. Cela se traduit, d’une part, par la fluctuation du
contrôle de la recevabilité des demandes introduites en matière électorale, en
matière de dissolution d’associations et de légalisation des partis politiques, et,
d’autre part, par l’alourdissement de l’instance contentieuse tant en ce qui concerne
son cadre formel que son cadre temporel.

Plus généralement, la prise en compte contingente de l’urgence affecte la


procédure contentieuse, car elle se manifeste non seulement dans l’application des
procédures contentieuses spéciales, mais également dans l’application des
procédures contentieuses accessoires où elle se traduit aussi par la fluctuation du
contrôle de la recevabilité des demandes annexes dans ses aspects externe et
interne et par l’instabilité de l’instance accessoire, tant dans sa phase initiale que

1164
O. Dugrip, op.cit., p. 77.
1165
R. Chapus, op.cit., p. 472.
1166
Ibid.

277
dans sa phase dérivée, son cadre formel étant inconstant et son cadre temporel
élastique.

De fait, il n’existe pas dans l’application des procédures accessoires et


spéciales une jurisprudence constante et fermement établie de la prise en compte
régulière et permanente de l’urgence par le juge administratif camerounais. Ce qui
tient lieu de jurisprudence est un ensemble de décisions éparses, sans cohérence
réelle, ni continuité ; ce qui dénote une instabilité dans l’appréhension de l’urgence
par le juge administratif et est susceptible de déstabiliser le justiciable. On observe
également une certaine influence de la politique sur la pratique du juge en ce qui
concerne particulièrement le contentieux électoral municipal, le contentieux des
associations et celui des partis politiques, tant le parti pris le dispute aux
incohérences et aux contradictions dans les décisions qu’il a rendues en ces
matières. Comme une hydre, la prise en compte contingente de l’urgence par le juge
administratif camerounais a également des effets sur la situation contentieuse en ce
qu’ elle affecte son règlement.

278
SECONDE PARTIE
LES EFFETS DE LA PRISE EN COMPTE
CONTINGENTE DE L’URGENCE SUR
LA SITUATION CONTENTIEUSE

279
« (…) la mission du droit, la mission du juge, est avant tout de
créer de la sécurité par la stabilité et la généralité de la règle ».

Jean Rivero, « Apologie pour "les faiseurs de systèmes" », D.II,


chr. , 1951, (pp. 99-102), p. 102.

280
La prise en compte contingente de l’urgence par le juge administratif
camerounais ne se manifeste pas seulement au niveau de la procédure
contentieuse. Elle affecte aussi le règlement de la situation contentieuse. En effet,
les solutions que le juge apporte à cette situation ne sont pas toujours de nature à
« préserver les intérêts du demandeur face à l’écoulement du temps »1167. Compte
tenu du fait que les situations susceptibles d’être considérées comme urgentes sont
variées, la nature et la portée des solutions qu’il leur apporte sont différentes.

Si l’application des procédures d’urgence accessoires aboutit à des solutions


provisoires, l’application des procédures d’urgence spéciales donne lieu à des
solutions définitives. C’est en fonction de cette considération que l’on peut apprécier
les effets de la prise en compte contingente de l’urgence par le juge administratif
camerounais sur la situation contentieuse dont il a été saisi. Il résulte ainsi des
décisions rendues par lui dans le cadre de ces procédures qu’il n’édicte que
parcimonieusement les mesures permettant de préserver provisoirement les droits
du demandeur (Titre I) et ne prescrit que de façon limitative les mesures
susceptibles de garantir définitivement les droits et intérêts du requérant (Titre II)
contre l’écoulement du temps.

1167
O. Dugrip, op. cit., p. 201.

281
TITRE I :

L’EDICTION PARCIMONIEUSE DES MESURES


PRESERVANT PROVISOIREMENT
LES DROITS DU DEMANDEUR

282
Le législateur camerounais a mis à la disposition du juge administratif deux
moyens lui permettant, avant toute instance au fond, de préserver provisoirement les
droits du demandeur en particulier, et des parties en général, contre l’écoulement du
temps. L’un permet de suspendre les effets de l’acte administratif litigieux : c’est le
sursis à exécution1168 ; tandis que l’autre permet, plus largement, au juge de prendre
des mesures conservatoires utiles à sauvegarder les intérêts du requérant : c’est le
référé administratif1169. Ces deux moyens sont tous commandés par l’urgence et
permettent d’éviter que le jugement rendu au fond ne devienne inutile et la situation
litigieuse compromise du fait de l’écoulement du temps. L’utilisation de ces moyens
par le juge administratif n’est pas fréquente, encore moins automatique. C’est ainsi
que le sursis à exécution des décisions administratives contestées n’est ordonné que
de façon discriminatoire (Chapitre I), alors que le référé administratif n’est édicté que
de façon exceptionnelle (Chapitre II).

1168
Voir articles 16, 17 et 18 de la loi n° 75/17 du 8 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour suprême
statuant en matière administrative.
1169
Voir articles 122, 123 et 124 de la loi n° 75/17.

283
CHAPITRE I

L’OCTROI DISCRIMINATOIRE DU
SURSIS A EXECUTION

284
La procédure de sursis à exécution des décisions administratives est liée au
principe de l’effet non suspensif des recours exercés devant le juge administratif. Ce
principe est consacré par la loi n° 75/17, en son a rticle 16 al. 1er, en ces termes : « Le
recours contentieux contre une décision administrative n’en suspend pas
l’exécution ». C’est donc dire que la mise en œuvre de la procédure du sursis met,
ou est susceptible de mettre, en échec le caractère exécutoire des décisions
administratives que le Conseil d’Etat français a qualifié de « règle fondamentale du
droit public »1170. Il résulte de ceci que le sursis à exécution est une exception au
principe de l’effet non suspensif des recours contentieux et que son octroi ne peut
être ni général ni généralisé. Il est d’ailleurs présenté par la doctrine administrative
française comme « un régime d’exception »1171, tant sa mise en œuvre constitue un
« obstacle » au « pouvoir d’action unilatérale de l’administration »1172.

Mais, le sursis à exécution est une mesure provisoire « décidée dans l’attente
du jugement du recours en annulation dont la demande de sursis est
l’accessoire »1173. Par conséquent, les ordonnances qui le prononcent n’ont pas, à
l’égard de la juridiction, l’autorité de la chose jugée. Il en résulte qu’ « il ne peut y
avoir d’obstacle de principe à ce que, statuant sur le recours en annulation, la
juridiction apprécie divers aspects du litige autrement qu’ils l’avaient été lors du
jugement de la demande de sursis »1174. Le sursis à exécution est donc un
« correctif »1175 au principe de l’effet non suspensif des recours contentieux, un
mécanisme « permettant au requérant de rester à l’abri des effets de l’acte qu’il
conteste pendant la durée de l’instance au fond »1176. En tant que correctif, il « serait
particulièrement intéressant »1177 si la jurisprudence n’avait pas une appréciation
fluctuante des conditions prescrites par le législateur pour son octroi (Section I) d’une
part, et si le juge ne prenait pas en compte des conditions particulières pour l’édicter
(Section II).

1170
CE, Ass., 2 juillet 1982, Huglo et autres.
1171
R. Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 861.
1172
Ch. Debbasch et J.-C. Ricci, op. cit., p. 417.
1173
R. Chapus, op. cit., p. 862.
1174
Ibid.
1175
R. Chapus, Droit administratif général, T. 1, 13è éd. Paris, Montchrestien, 1999, p. 772.
1176
P. Mouzouraki, L’efficacité des décisions du juge de la légalité administrative dans le droit français et
allemand, Thèse, Paris, LGDJ, 1999, p. 26.
1177
R. Chapus, Droit administratif général, op. cit., p. 772.

285
SECTION I : L’APPRECIATION FLUCTUANTE DES CONDITIONS
LEGISLATIVES D’OCTROI DU SURSIS A EXECUTION

En tant que « décision par laquelle le juge, à la demande du requérant, décide


de suspendre provisoirement l’exécution de l’acte administratif dont la légalité est
contestée devant lui »1178, ou « ordre » que le juge « donne à l’administration de
différer l’exécution » d’un acte « jusqu’à ce qu’il ait statué au fond »1179, le sursis à
exécution n’est possible que si certaines conditions législatives sont remplies.
D’après l’article 16 al. 2 de la loi n° 75/17, si l ’exécution d’une décision administrative
« est de nature à causer un préjudice irréparable et que la décision attaquée
n’intéresse ni l’ordre public, ni la sécurité ou la tranquillité publique, le Président de la
Chambre Administrative peut, après communication à la partie adverse et avis
conforme du Ministère Public, ordonner le sursis à exécution ».

Il se dégage de cette disposition législative trois conditions de fond d’octroi du


sursis à exécution. La première est que l’exécution de la décision doit être de nature
à causer au requérant un préjudice irréparable (§ 1) ; la deuxième condition est que
la décision litigieuse ne doit pas intéresser l’ordre public (§ 2) ; quant à la troisième
condition, elle est relative à l’exigence de l’avis conforme du Ministère Public (§ 3).
Le juge apprécie ces conditions de façon variable, en fonction des espèces et des
circonstances.

PARAGRAPHE 1 : LE RISQUE D’UN PREJUDICE IRREPARABLE

L’exigence d’un « préjudice irréparable »1180 , condition du sursis à l’exécution


d’un acte administratif litigieux, est énoncée avec précision par la loi n° 75/17.

1178
Yves Gaudemet, « Les procédures d’urgence dans le contentieux administratif », RFDA, 1988, p. 422.
1179
J. Rivero et J. Waline, op. cit., p. 194.
1180
Sur l’origine de la condition dite « du préjudice », voir Chr. Gabolde, « Aménager le sursis à exécution », in
Droit Adm., 1993, Fasc., 635.2, pp. 1-3.

286
En dépit de cette précision textuelle, la jurisprudence utilise souvent une
terminologie variée. Elle évoque tantôt « un préjudice difficilement réparable »1181,
tantôt « un préjudice inestimable »1182, tantôt « un préjudice grave »1183, tantôt « un
préjudice important »1184, ou alors « un préjudice »1185 sans le qualifier, comme si
ces termes étaient interchangeables, en lieu et place de « préjudice irréparable »,
ceci, sans aucune progression logique. Il reste que c’est cette dernière formule qui
est récurrente dans les ordonnances de sursis1186.

On peut cependant se demander si cette variation terminologique est un


problème de conceptualisation et de précision de cette exigence1187 ou une question
de finesse et d’efficacité du juge, qui cherche à « brouiller à dessein les cartes du
jeu »1188. Ce qui est certain, c’est que ces différentes formules ne sont pas
synonymiques. Par exemple, il n’est pas douteux qu’un préjudice peut être grave ou
important, même très grave ou très important, sans pour autant être irréparable1189.
De ce fait, « en refusant d’être précis, le juge administratif s’attribue les pleins
pouvoirs »1190 dans l’appréciation du préjudice qu’est susceptible de causer
l’exécution d’un acte administratif contesté.

1181
En ce sens, voir par ex., ordonnance n° 04/OSE/PCA/CS/91-92 du 04 février 1992, affaire. Eboule Ndoumbe Maurice
contre Etat du Cameroun ; ordonnance n° 11/91-92/CS/PCA du 25 mars 1992, affaire Ebanga François contre Etat du
Cameroun ; ordonnance n° 15/OSE/PCA/CS/93-94 du 16 mars 1994, affaire Noumen Ntchao Justin contre Etat du
Cameroun ; ordonnance n° 16/OSE/CS/PCA/93-94 du 25 mars 1994, affaire. Nyam Charles contre Etat du Cameroun ;
ordonnance n° 20/OSE/PCA/CS/93-94 du 10 mai 1994, affaire Société Sintrabois contre Etat du Cameroun ; ordonnance n°
09/OSE/PCA/CS/97-98 du 06 novembre 1997, affaire Tchasse Jean Claude contre Etat du Cameroun et ordonnance n°
21/OSE/PCA/CS/99-2000 du 11 avril 2000, affaire société Cambois contre Etat du Cameroun.
1182
Voir en ce sens, ordonnance n° 18/91-92/OSE/PCA/CS du 27 juillet 1992, affaire Kamdoum Zachée contre
Etat du Cameroun.
1183
Voir en ce sens, ordonnance n° 05/92-93/CS/PCA/ du 05 octobre 1992, affaire Sighoko Abraham contre Etat
du Cameroun.
1184
Voir à ce sujet, ordonnance n° 32/OSE/PCA/CS/93-94 du 15 septembre 1994, affaire Ngwem Honoré contre
Etat du Cameroun et ordonnance n° 33/OSE/PCA/93-94 du 15 septembre 1994, affaire Ngo Ngwem Isabelle
contre Etat du Cameroun.
1185
Voir par exemple, ordonnance n° 60/OSE/PCA/CS/98-99 du 29 juin 1999, affaire Ebelle Nyoungou Charles
contre Etat du Cameroun et ordonnance n° 21/ORSE/PCA/CS/2001-2002 du 26 février 2001, affaire ONEPI
(Organisation Nationale de l’Enseignement Privé Islamique) contre Etat du Cameroun.
1186
Sur 195 ordonnances de sursis recensées de 1976 à 2001, le juge utilise cette formule dans près de 180.
1187
C. Keutcha Tchapnga, « Le régime juridique du sursis à exécution dans la jurisprudence administrative
camerounaise », Juridis périodique n° 38, 1999, p. 88.
1188
J-J. Gleizal, « Le sursis à exécution des décisions administratives. Théorie et politique jurisprudentielles »,
AJDA, 1975, p. 391.
1189
M. Kamto, Observations sur l’ordonnance n° 9/OSE/PCA/CS/85-86 du 26 mai 1986, affaire Le Messager
contre Etat du Cameroun, in M. Kamto, Droit administratif processuel du Cameroun, Yaoundé, PUC, 1990, p.
175. Pourtant Ch. Debbasch considère que « Le préjudice grave causé au requérant est l’élément le plus exact
du sursis », voir Ch. Debbasch et J-J. Ricci, op. cit., p. 420. Voir aussi Chr. Gabolde, « Les nouveaux pouvoirs
d’urgence du juge administratif et le sursis à exécution », D., Chr., 195, p. 192.
1190
J-J. Gleizal, op. cit., p. 391.

287
Comme l’a clairement exprimé dans ses conclusions, à propos de la question
en droit français, le Commissaire du Gouvernement Laurent, un dommage doit être
considéré comme irréparable lorsque les conséquences entraînées par l’exécution
immédiate de la décision ne peuvent être effacées, réparées ou compensées par un
procédé quelconque, fût-il indemnitaire, au cas d’annulation par le juge du fond de
l’acte administratif en cause1191.

R. Odent est du même avis, mais sa position est un peu nuancée. Pour lui, un
dommage est considéré comme irréparable lorsque « l’exécution de la décision
attaquée risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables, c’est-à-dire
des conséquences que l’allocation d’une indemnité en argent ne répare
qu’imparfaitement ou incomplètement »1192. J-M Février, quant à lui, parle, à ce sujet,
d’«effets irréversibles et non compensables financièrement »1193. M. de Saint-Marc
ne partage pas cette conception du préjudice irréparable. Selon lui, « dire qu’une
décision entraîne des conséquences difficilement réparables ne signifie pas que le
dommage ne pourrait pas être réparé par l’allocation d’une somme d’argent. Si tel
était le cas, la condition ne serait jamais remplie, car par une fiction juridique
unanimement admise, tout préjudice est réparable en argent, même l’atteinte à la
réputation et la douleur morale. La notion de préjudice difficilement réparable
n’équivaut donc pas à la notion de préjudice non compensable »1194. Mais, comme
l’écrit O. Dugrip, « chacune de ces explications est, à elle seule, insuffisante pour décrire
la jurisprudence. Ces deux conceptions ne sont pas exclusives l’une de l’autre mais
cumulatives » ; car, « pour être difficilement réparables, les conséquences entraînées par
l’exécution de la décision attaquée doivent toujours être difficilement réversibles. Mais ce
n’est que si cette irréversibilité ne peut être entièrement compensée, au prix d’une fiction,
par le versement d’une indemnité que le juge estime les conséquences difficilement
réparables »1195. Cette considération permet de comprendre pourquoi la détermination du
préjudice irréparable ou difficilement réparable par le juge administratif camerounais est
fluctuante. En effet, « le juge administratif ne se détermine pas par rapport à des

1191
Laurent, Conclusions sur CE, Sect., 1er octobre 1954, Ministre des Finances et Affaires économiques c/
Crédit Coopératif Foncier, Rec., p. 432.
1192
R. Odent, op. cit., p. 113.
1193
Jean Marc Février, Recherches sur le contentieux administratif du sursis à l’exécution, Paris, Montréal,
L’Harmattan, 2000, p. 365.
1194
R. Denoix de Saint-Marc, « Les notions de " préjudice difficilement réparable" et de "moyen sérieux" », Gaz.
Pal., 27-28 février 1985, p. 6.
1195
O. Dugrip, op. cit., pp. 259-260.

288
définitions abstraites, mais par rapport à des situations concrètes »1196 et la fluctuation de
sa jurisprudence lui permet « de remplir une fonction sociale en sauvegardant (…)
certaines valeurs et institutions »1197. C’est pourquoi ses solutions « varient selon les
époques, selon les contentieux et selon les intérêts en cause »1198. Cette variation
jurisprudentielle intervient tant dans la détermination des préjudices d’ordre matériel (A)
que social (B) et pécuniaire (C).

A. LA DETERMINATION DU PREJUDICE D’ORDRE MATERIEL

Comme le notent, à juste titre, J-M Auby et R. Drago, « c’est surtout dans le
contentieux immobilier (…) que la procédure de sursis à exécution présente
aujourd’hui le plus grand intérêt pratique »1199. En effet, les décisions de sursis à
exécution rendues par le juge administratif camerounais en matière foncière et
d’urbanisme sont fort nombreuses, surtout ces dernières années. Ainsi, lorsque
l’exécution de la décision litigieuse « est de nature à apporter une modification dans
l’état physique des lieux, le juge admet très largement que » la condition de préjudice
irréparable « est remplie »1200.

L’état de la jurisprudence en matière foncière et domaniale et en matière


d’urbanisme montre que le juge accorde largement le sursis. On a l’impression que
pour lui, il n’existe dans ces matières « aucun autre moyen de remédier à l’atteinte
grave que risque d’apporter à la situation existante un acte administratif suspect pour
sa légalité »1201 et que le sursis « apparaît comme l’ultima ratio pour éviter un
préjudice qui apparaît alors comme irréversible »1202.

1196
J-J Gleizal, op. cit., p. 391.
1197
Ibid.
1198
Y. Gaudemet, « Les procédures d’urgence dans le contentieux administratif », op. cit., p. 424. Dans le même
sens, Marie-Claire Ponthoreau, « Réflexions sur la motivation des décisions juridictionnelles en droit
administratif français », RDP, 1994, p. 758.
1199
J-M Auby et R. Drago, Traité de contentieux administratif, T. 2, op. cit., p. 42.
1200
M. Rougevin-Baville, R. Denoix de St Marc et D. Labetoulle, Leçons de droit administratif, op. cit., p. 110.
1201
P. Mouzouraki, op. cit., p. 44.
1202
Chr. Gabolde, Procédure des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel, Paris, Dalloz, 1997,
p. 160.

289
1. La détermination du préjudice en matière foncière et domaniale

En général, le juge accorde le sursis lorsque les décisions litigieuses portent


sur la matière foncière ou domaniale. Il s’agit de décisions administratives dont
l’exécution est de nature à entraîner directement ou indirectement des modifications
matérielles de l’état des lieux. Ici, le préjudice est toujours apprécié in concreto par le
juge compte tenu des circonstances de l’affaire . Ainsi, « plus que la matière
concernée, ce sont la nature et les caractères du dommage qui importent »1203.

a. Le préjudice lié au titre foncier

Le juge considère que l’exécution d’une décision portant règlement d’une


opposition à une demande d’obtention d’un titre foncier sur le terrain du domaine
national est de nature à causer un préjudice irréparable à la personne qui s’y
oppose, soit parce que l’administration a manifesté l’intention de rapporter la décision
querellée1204, soit parce que « si la décision entreprise était exécutée, il serait plus
tard impossible pour les requérants de s’attaquer au titre foncier subséquent » qui ,
au regard de la réglementation, est « inattaquable, intangible et définitif »1205.

La jurisprudence relative aux demandes de sursis à exécution des titres


fonciers est également la preuve que le juge s’attache surtout à la nature et aux
caractères du dommage. Il considère, de façon générale, que, l’exécution,
l’utilisation, l’existence ou l’usage du titre foncier contesté est de nature à causer un
préjudice irréparable à ceux qui s’y opposent, soit parce que « les détenteurs du titre
foncier risquent d’hypothéquer les droits des requérants par la vente et autres actes
d’aliénation »1206, soit alors parce que le requérant risque l’expulsion1207, ou parce
que la requérante est « menacée d’expulsion alors et surtout qu’elle a déjà aliéné le

1203
O. Dugrip, op. cit., p. 260.
1204
Ordonnance n° 06/ORSE/CS/PCA/88-89 du 04 septembre 1989, affaire Kamdem Lazare contre Etat du Cameroun.
1205
Ordonnance n° 01/OSE/PCA/C5/90-91 du 15 novembre 1990, affaire Tchimtezeu Chrétien et Consorts
contre Etat du Cameroun.
1206
Ordonnance n° 14/OSE/PCA/CS/93-94 du 7 mars 1994, affaire Collectivité de Maképé II contre Etat du
Cameroun.
1207
Ordonnance n° 08/OSE/PCA/CS/98-99 du 15 octobre 1998, affaire Tamgho Jean-Marie contre Etat du
Cameroun ; ordonnance n0 27/OSE/PCA/CS/98-99 du 3 mai 1999, affaire Tsoungui Akama Charles contre Etat
du Cameroun.

290
terrain litigieux »1208, ou encore parce que le requérant « risque d’être dépossédé de
son immeuble »1209, ou de son terrain1210 et perdre ses investissements1211, ou voir le
terrain litigieux1212 ou son immeuble aliéné1213.

Mais, il arrive aussi que le juge considère que l’exécution des effets d’un titre
foncier n’ est pas de nature à causer un préjudice à la partie requérante1214.

En ce qui concerne la jurisprudence relative à la rectification des titres


fonciers, elle est favorable aux demandeurs qui en sollicitent la suspension. Le juge
estime, en effet, que « la rectification d’un titre foncier doit s’effectuer dans des
conditions particulières prévues par la loi »1215, ou qu’elle « mettrait en péril le
caractère inattaquable, intangible et définitif du titre foncier »1216.

Le juge considère aussi que l’annulation des titres fonciers est de nature à
causer un préjudice irréparable car la personne au détriment de qui l’annulation a eu
lieu « risque indubitablement d’être expulsée et de perdre ses investissements faits
sur le site »1217.

Pour ce qui est de la mutation des titres fonciers, le juge estime également
qu’elle est susceptible de causer un préjudice irréparable à celui qui la conteste « en
ce sens que le terrain objet du titre muté risque d’être aliéné et qu’il sera fort difficile
de conserver le caractère inattaquable, intangible et définitif du titre foncier au cas où

1208
Ordonnance n° 13//OSE/PCA/CS/98-99 du 7 décembre 1998, affaire Madame veuve Anaba née Mengue
Juliette contre Etat du Cameroun.
1209
Voir ordonnance n° 20/OSE/PCA/CS/98-99 du 20 janvier 1999, affaire Tchendou Joseph contre Etat du Cameroun ;
ordonnance n° 53/OSE/PCA/CS/98-99 du 16 juin 1999, affaire Moukoko Koffi Emmanuel Black contre Etat du Cameroun ;
ordonnance n° 58/OSE/PCA/CS/98-99 du 25 juin 1999, affaire Dame Noukedio née Tchounang Thérèse contre Etat du
Cameroun ; ordonnance n° 62/OSE/PCA/CS/98-99 du 26 juin 1999, affaire Yeyap Lietmbouo Abdou contre Etat du
Cameroun ; ordonnance n° 69/OSE/PCA/CS/98-99 du 4 juillet 1999, affaire Nleng Simon contre Etat du Cameroun ;
ordonnance n° 28/OSE/PCA/CS/99-2000 du 17 mai 2000, affaire Nguiakam Marie et autre contre Etat du Cameroun et
ordonnance n° 25/OSE/PCA/CS/2000-2001 du 7 mars 2001 1999, affaire Ignace Foyet contre Etat du Cameroun.
1210
Ordonnance n° 66/OSE/PCA/CS/98-99 du 19 juillet 1999, affaire Famille Bonayaka de Bonenoale II contre
Etat du Cameroun et ordonnance n° 71/OSE/PCA/CS/98-99 du 28 juillet 1999, affaire Dame veuve Edanha née
Enyegue Antoinette contre Etat du Cameroun et Ntchoutcha Gaston.
1211
Voir ordonnance n° 68/OSE/PCA/CS/98-99 du 28 juillet 1999, affaire Meula Jean Léonard, Moliedje Jacques, Simo et
Nguembe Michel contre Etat du Cameroun et ordonnance n° 12/OSE/PCA/CS/99-2000 du 01 mars 2000, affaire Cameroon
Agricultural Farmers Association (CAFA) contre Etat du Cameroun
1212
Ordonnance n° 20/OSE/PCA/CS/2000-2001 du 26 février 2001, affaire Edzimbi Paul contre Etat du Cameroun.
1213
Ordonnance n° 36/OSE/PCA/CS/2000-2001 du 03 avril 2001, affaire Ayants Droit de Ngomsi Simon contre Etat du
Cameroun.
1214
Ordonnance n° 26/OSE/PCA/CS/2000-2001 du 19 mars 2001, affaire succession Fotso Marcel contre Etat du Cameroun.
1215
Ordonnance n° 14/OSE/PCA/CS/90-91 du 04 juillet 1991, affaire Chedjou Gabriel contre Etat du Cameroun.
1216
Ordonnance n° 11/91-92/OSE/PCA/CS du 14 avril 1992, affaire Zock Ibrahim ; ordonnance n° 13/91/92/OSE/PCA/CS
du 16 juin 1992, affaire Bambot Laurence contre Etat du Cameroun contre Etat du Cameroun.
1217
Ordonnance n° 01/OSE/PCA/CS/97-98 du 5 octobre 1998, affaire famille Koum Mbappe Bell contre Etat du Cameroun.

291
l’examen au fond donnerait raison à la requérante »1218, ou que le requérant « risque
d’être expulsé »1219. Le juge fait généralement droit aux demandes des requérants
« pour ne pas faire entorse aux dispositions de l’article 1er de la loi n° 80/22 du 14
juillet 1980 »1220.

En matière de retrait de titre foncier, le juge considère, en général, qu’il y a


risque de préjudice irréparable si l’acte de retrait est exécuté1221 ; soit parce que le
requérant, de bonne foi, « a dû aliéner l’immeuble litigieux »1222, ou parce que « le
caractère inattaquable, intangible et définitif du titre foncier (subséquent) sera mis en
péril au cas où la juridiction administrative annulerait l’acte entrepris »1223. Il estime,
d’ailleurs, que le titre foncier « ne saurait être annulé qu’autant qu’une erreur a été
commise lors de son établissement et non pour des motifs extra-
professionnels »1224. Il l’a clairement exprimé dans l’affaire Eog Christine : « Attendu
que c’est à tort qu’après l’établissement du titre foncier (…), sieur Ngwem Honoré,
parent de Eog Christine et alors Directeur des domaines a reçu une correspondance
de Monsieur le Vice-Premier Ministre chargé de l’Urbanisme et de l’Habitat selon
laquelle toutes les attributions de lots domaniaux dont ses parents sont bénéficiaires
et tous les titres fonciers qui en sont issus sont purement et simplement annulés ;
que cette seule raison ne saurait remettre en cause la procédure d’acquisition des
lots prévus par l’article 8 du décret n° 75/167 du 27 avril 1976 »1225. Il en est de
même lorsque le requérant risque de perdre sa propriété1226, son immeuble1227, tous

1218
Voir ordonnance n° 5/OSE/PCA/CS/92-93 du 26 octobre 1993, affaire Société civile immobilière de la rue
Ponty (SCI-Ponty) contre Etat du Cameroun ; ordonnance n° 31/OSE/PCA/CS/2000-2001 du 22 mars 2001,
affaire Ndongo Seme Antoine et autres contre Etat du Cameroun.
1219
Ordonnance n° 22/OSE/PCA/CS/98-99 du 13 Avril 1999, affaire Wandji Thomas contre Etat du Cameroun.
1220
Ordonnance n° 31/OSE/PCA/CS/2000-2001 du 22 mars 2001, affaire Ndongo Seme Antoine et autres contre
Etat du Cameroun.
1221
Ordonnance n° 09/OSE/PCA/CS/87-88 du 03 mai 1988, affaire Fouda Etoundi André contre Etat du
Cameroun.
1222
Ordonnance n° 49/OSE/PCA/CS/98-99 du 27 mai 1999, affaire Sogecco Cameroun contre Etat du
Cameroun.
1223
Ordonnance n° 06/OSE/PCA/CS/92-93 du 24 février 1993, affaire Ngapeth Jean Claude contre Etat du
Cameroun . Dans le même sens, ordonnance n° 25/OSE/PCA/CS/92-93 du 27 septembre 1993, affaire Sa’a
Dominique contre Etat du Cameroun et ordonnance n° 76/OSE/PCA/CS/98-99 du 30 juillet 1999, affaire Njoh
Philibert contre Etat du Cameroun.
1224
Ordonnance n° 31/OSE/PCA/CS/93-94 du 15 septembre 1994, affaire Dame Ngo Eog Christine contre Etat
du Cameroun.
1225
Ordonnance n° 35/OSE/PCA/CS/93-94 du 15 septembre 1994, affaire Dame Ngo Eog Christine contre Etat
du Cameroun.
1226
Ordonnance n° 52/OSE/PCA/CS/98-99 du 15 juin 1999, affaire les familles Beyissa, Ngongui, Eboua Robert
et Sonoue contre Etat du Cameroun.
1227
Ordonnance n° 76/OSE/PCA/CS/98-99 du 30 juillet 1999, affaire Njoh Philibert contre Etat du Cameroun.

292
ses investissements1228, voir ses intérêts préjudiciés1229 ou lorsque le terrain objet de
retrait du titre foncier peut être aliéné1230.

Le juge ne refuse de suspendre le retrait du titre foncier que si celui ou celle


qui est susceptible de subir un préjudice irréparable est, non pas le requérant, mais
une tierce personne. Il en est ainsi lorsque cette dernière est la première a avoir
obtenu le titre foncier sur le terrain litigieux. Le juge l’a clairement affirmé dans
l’affaire Pelami Luc objet de l’ordonnance rendue le 24 juin 19991231 : « Attendu que
s’il y quelqu’un qui doit subir un préjudice irréparable c’est sieur Kongue qui se trouve
être le premier à avoir obtenu le titre foncier et dont son immeuble contient celui du
requérant ». Mais le refus du juge se fonde aussi sur le respect du « caractère
intangible, inattaquable et définitif du titre foncier ».

b. Le préjudice lié au règlement des litiges fonciers

En matière de règlement de litiges fonciers, la tendance jurisprudentielle est à


la suspension de l’exécution de l’acte litigieux. Le juge ne rejette la demande que
lorsqu’il ne voit pas en quoi le règlement du litige sera préjudiciable au requérant, en
particulier lorsque celui-ci conteste l’adjonction du nom du donateur du terrain, même
décédé1232. Aussi, le juge sera amené à suspendre l’exécution de l’acte portant
règlement d’un litige foncier, soit parce que le requérant risque d’être expulsé du
terrain litigieux qu’il a mis en valeur1233 ou de l’immeuble sur lequel il a investi1234, soit
parce qu’il risque d’être expulsé de l’établissement objet du titre foncier en cours1235
ou de perdre sa propriété1236.

Ce souci du juge de protéger les intérêts du requérant est également présent


dans les autres matières foncières.

1228
Ordonnance n° 08/OSE/PCA/CS/1999-2000 du 21 novembre 2000, affaire société ALPICAM contre Etat du
Cameroun.
1229
Ordonnance n° 60/OSE/PCA/CS/97-98 du 30 juin 1998, affaire Djike Bernard contre Etat du Cameroun.
1230
Ordonnance n° 29/OSE/PCA/CS/93-94 du 27 juillet 1994, affaire Fongang Moise contre Etat du Cameroun.
1231
Ordonnance n° 56/OSE/PCA/CS/98-99 du 24 juin 1999, affaire Pelami Luc contre Etat du Cameroun et
Kongue Esso Pierre.
1232
Ordonnance n° 11/91-92/CS/PCA du 11 mars 1992, affaire Ebanga François contre Etat du Cameroun.
1233
Ordonnance n° 15/OSE/PCA/CS/98-99 du 11 mars 1999, affaire Choup Jean contre Etat du Cameroun.
1234
Ordonnance n° 16/OSE/PCA/CS/98-99 du 11 mars 1999, affaire Djomeni Tchoumbou Joseph contre Etat du
Cameroun et ordonnance n° 60/OSE/PCA/CS/98-99 du 28 juin 1999, affaire Ebelle Nyongou Charles contre Etat
du Cameroun.
1235
Ordonnance n° 48/OSE/PCA/CS/98-99 du 27 mai 1999, affaire Etoga Longui contre Etat du Cameroun et
ordonnance n° 50/OSE/PCA/CS/98-99 du 2 juin 1999, affaire Tchouamani David contre Etat du Cameroun.

293
c. Le préjudice lié à d’autres matières foncières

C’est pour éviter que le requérant ne perde à jamais ses terres1237, ou qu’il soit
expulsé du terrain litigieux1238, ou que le caractère inattaquable, intangible et définitif
du titre foncier obtenu par le requérant ne soit mis en péril au cas où la juridiction
administrative annulait l’acte litigieux,1239 que le juge suspend l’attribution en
concession provisoire d’une dépendance du domaine national. C’est également pour
protéger également les intérêts du requérant et le caractère intangible, inattaquable
et définitif du titre foncier qu’il est amené à suspendre l’exécution d’une décision
administrative portant déchéance des droits réels de propriété du requérant sur une
parcelle de terrain domanial1240.

Par ailleurs, le juge considère que l’exécution d’une décision administrative qui
autorise un tiers à occuper les terres appartenant à une communauté, alors même
qu’une procédure judiciaire qui les oppose est pendante devant la Cour Suprême,
est de nature à causer un préjudice irréparable à cette communauté,
« indubitablement exposée à la perte d’une partie de sa propriété ancestrale »1241.

De même, le juge estime que l’exécution d’une décision qui autorise la


conclusion d’un bail sur un terrain du domaine public maritime est de nature à causer
un préjudice irréparable à la personne qui y est installée parce qu’elle « risque
d’être dépossédée de son immeuble régulièrement immatriculé »1242. Il considère
aussi que l’exécution de l’acte par lequel une autorité administrative interdit l’accès à
l’école publique d’un village est de nature à causer un préjudice irréparable à ce
village « qui risque de perdre sa parcelle de terrain et les installations y édifiées sans
faire cas de l’école qui ne fonctionne pas depuis belle lurette »1243. Il en va de même
de l’exécution d’un acte portant expropriation du terrain d’un particulier « qui verra

1236
Ordonnance n° 57/OSE/PCA/CS/98-99 du 25 juin 1999, affaire Ngando Bebey Joseph et Bounya Ndambwe
contre Etat du Cameroun.
1237
V. ordonnance n° 20/OSE/PCA/CS/1999-2000 du 3 avril 2000, affaire Communauté Yoké de Mbanga contre
Etat du Cameroun.
1238
V. ordonnance n° 9/OSE/PCA/CS/98-99 du 09 décembre 1999, affaire Ouafo contre Etat du Cameroun.
1239
V. ordonnance n° 31/OSE/PCA/CS/91-92 du 30 décembre 1992, affaire familles Nzeufack de Badoumla
contre Etat du Cameroun.
1240
V. ordonnance n° 13/OSE/PCA/CS/93-94 du 7 mars 1994, affaire Nanhou Jacques contre Etat du Cameroun.
1241
V. ordonnance n° 53/OSE/PCA/CS/98-99 du 18 juin 1998, affaire communauté Njombé-Fan contre Etat du
Cameroun.
1242
V. ordonnance n° 69/OSE/PCA/CS/98-99 du 28 juillet 1999, affaire Tantchou Pierre contre Etat du
Cameroun.
1243
V. ordonnance n° 34/OSE/PCA/CS/2000-2001 du 23 mars 2001, affaire village Kulabei contre Etat du
Cameroun.

294
son patrimoine aliéné par des tiers et sera indubitablement expulsé de son
immeuble »1244, ou d’un acte portant attribution de terrains à titre de recasement aux
familles victimes des opérations d’aménagement d’une ville parce que la personne
qui en demande la suspension « risque de perdre son lot de recasement »1245.

A contrario, le juge administratif rejette toute demande tendant à la


suspension de l’exécution d’un acte qui annule des ventes effectuées sur des
terrains domaniaux lorsqu’il s’avère que ces derniers ont été, par suite, reversés au
domaine privé de l’Etat1246, ou lorsqu’il considère que le Ministère de l’Urbanisme et
de l’Habitat a « apprécié souverainement ces ventes effectuées au profit du
requérant et de sa famille alors que celui-ci était directeur des domaines audit
Ministère »1247. Aussi, estime-t-il que « l’annulation de leur acquisition est sans
préjudice important pour le requérant ».

La jurisprudence en matière d’urbanisme est également très libérale dans la


détermination du préjudice matériel.

2. La détermination du préjudice en matière d’urbanisme

Les ordonnances rendues par le juge administratif en matière d’urbanisme


reconnaissent le caractère irréparable du préjudice que peut susciter l’exécution des
actes administratifs dans cette matière. Aussi, le juge considère qu’est de nature à
causer un préjudice irréparable au requérant la démolition -par la MAETUR- de son
entrepôt1248, l’exécution d’un procès-verbal de mise en demeure faisant injonction à
une succession de démolir sa case1249, et l’exécution d’une lettre portant annulation
de l’autorisation provisoire de construire, parce que le requérant « risque de perdre
son immeuble qui est grevé d’une obligation de mise en valeur dans un délai de 3

1244
Voir ordonnance n° 54/OSE/PCA/CS/98-99 du 16 juin 1999, affaire Nnanga Mbe Casimir contre Etat du
Cameroun.
1245
Voir ordonnance n° 40/OSE/PCA/CS/2000-2001 du 06 avril 2001, affaire Mbida Evongo Martin contre Etat
du Cameroun.
1246
Ordonnance n° 33/OSE/PCA/CS/93-94 du 15 septembre 1994, affaire Ngo Ngwem Isabelle.
1247
Ordonnance n° 32/OSE/PCA/CS/93-94 du 15 septembre 1994, affaire Ngwen Honoré contre Etat du
Cameroun.
1248
Ordonnance n° 02/OSE/PCA/CS/86-87 du 20 octobre 1986, affaire Les Nouvelles Brasseries Africaines
(NOBRA) contre Etat du Cameroun et Commune Urbaine de Douala.
1249
Ordonnance n° 23/OSE/PCA/CS/98-99 du 29 avril 1999, affaire Succession Ngongue Célestin contre
communauté urbaine de Yaoundé.

295
ans »1250. De même, il considère que l’exécution d’un permis de construire contesté
est de nature à causer un préjudice irréparable au requérant, car elle risque de lui
faire perdre « indubitablement son immeuble »1251.

En somme, en matière d’urbanisme, comme en matière foncière et domaniale,


le juge, appréciant le préjudice in concreto, au cas par cas, donc compte tenu des
circonstances de chaque affaire, est plus enclin à accéder à la demande du
requérant eu égard à la nature et aux caractères du dommage que ce dernier peut
subir du fait de l’exécution de l’acte contesté. Dans la détermination du préjudice
d’ordre social, il a tendance à adopter la même attitude, mais de façon limitée.

B. LA DETERMINATION DU PREJUDICE D’ORDRE SOCIAL

Lorsque l’exécution de la décision contestée est susceptible d’entraîner sur le


plan social des conséquences sur lesquelles il serait difficile voire impossible de
revenir et que ne pourrait qu’imparfaitement ou incomplètement compenser le
versement d’une somme d’argent, le juge administratif considère qu’il s’agit d’un
préjudice qui mérite l’édiction du sursis à exécution. Mais, lorsqu’il n’en est pas ainsi,
il rejette la demande comme non fondée. Il est donc amené à apprécier le préjudice
susceptible d’avoir des répercussions d’une part, sur les conditions d’existence de la
personne physique et, d’autre part, sur les conditions de fonctionnement de la
personne morale.

1. La détermination du préjudice susceptible d’avoir des répercussions


sur les conditions d’existence de la personne physique

L’analyse de la jurisprudence montre que le juge administratif accepte


généralement de suspendre l’exécution de la décision administrative litigieuse
lorsqu’il s’avère, comme l’écrit le Commissaire du Gouvernement Rigaud, qu ’« elle
risquerait de porter une atteinte décisive "à la situation personnelle du requérant"
même si de telles conséquences sont de la nature de celles pour lesquelles on

1250
Ordonnance n° 24/OSE/PCA/CS/98-99 du 29 avril 1999, affaire société Idéal Voyages SARL contre Etat du
Cameroun.
1251
Ordonnance n° 14/OSE/PCA/CS/1999-2000 du 1er mars 2000, affaire succession Koa Maurice contre Etat du
Cameroun.

296
pourrait concevoir la possibilité d’une réparation pécuniaire »1252 qui, somme toute,
ne serait qu’insuffisante. Il en est ainsi de l’interruption du cursus universitaire d’un
étudiant. En effet, de façon automatique, le juge admet que l’exécution d’une
décision excluant un étudiant des établissements de toutes les institutions
universitaires nationales « risque d’occasionner pour le requérant un préjudice
difficilement réparable en ce que l’intéressé se trouve dans l’impossibilité de
poursuivre ses études et son avenir sera ainsi sérieusement hypothéqué »1253 et que,
l’exécution d’une décision excluant une étudiante de son Université est de nature à
lui causer un préjudice irréparable1254.

A contrario, lorsque la décision porte sur la situation professionnelle d’une


personne physique, le juge n’admet pas de façon automatique que son exécution est
de nature à lui causer un préjudice irréparable. Il procède à un examen au cas par
cas et tient compte des circonstances de chaque espèce.

En matière de licenciement, si le juge estime que le fait pour l’administration


de licencier un agent régi par le Code du Travail, pour motif économique, est de
nature à causer à l’intéressé un préjudice irréparable1255 et que l’autorisation de
licencier un agent dans une société à capital public est susceptible de lui causer
aussi un même préjudice parce que l’intéressé « ne pourra plus exercer ses activités
syndicales »1256, il a, cependant, eu à refuser de reconnaître que l’autorisation de
licenciement d’un travailleur est de nature à causer à l’intéressé un tel préjudice,
pour la raison « qu’il peut être dédommagé ou réintégré en cas d’annulation de la
décision incriminée »1257.

En matière de fonction publique, le juge considère que la suspension d’un


enseignant de ses fonctions d’enseignant1258 et de chef de département pour une
durée de trois (03) ans et trois (03) mois et de toutes activités académiques1259 est
de nature à causer à l’intéressé un préjudice irréparable. Il en est de même en cas

1252
Rigaud, Conclusions sur CE, Sect., 15 Avril 1966, Pennec , JCP, 1966.14850.
1253
Ordonnance n° 16/OSE/PCA/CS/93-94 du 25 mars 1994, affaire Nyam Charles.
1254
Ordonnance n° 13/OSE/PCA/CS/2000-2001 du 07 décembre 2000, affaire Mlle Mama Biloa Sandrine contre
Université de Ngaoundéré.
1255
Ordonnance n° 28/OSE/PCA/CS/95-96 du 24 juin 1996, affaire Kouam Maurice Calvin contre Etat du
Cameroun.
1256
Ordonnance n° 14/OSE/PCA/CS/98-99 du 10 mars 1999, affaire Kaptue Tobou Germain.
1257
Ordonnance n° 27/OSE/PCA/CS/93-94 du 12 juillet 1994, affaire Zintchem Barong Nicodème contre Etat du
Cameroun.
1258
Ordonnance n° 29/OSE/PCA/CS/95-96 du 24 juin 1996, affaire Joseph Tita contre Etat du Cameroun.
1259
Ordonnance n° 13/92-93/OSE/PCA/CS/95-96 du 24 juin 1996, affaire Kameni Pierre contre Etat du Cameroun.

297
d’interruption par l’administration du stage d’un fonctionnaire1260. Tout comme il
estime que l’affectation d’un enseignant est de nature à lui causer un préjudice « en
ce que celui-ci devrait supporter l’éclatement de son foyer vu la précarité de la santé
de son enfant qui devrait absolument rester à Yaoundé »1261, ou parce que
l’intéressé est « muté pratiquement chaque année scolaire » et doit de ce fait
délaisser sa famille1262, ou en ce que « sa famille risque d’être délaissée et que
l’intéressé ne peut subvenir à ses besoins du fait de la suspension de son
salaire »1263 ou parce que le requérant est un « malade grave qui doit être suivi par
l’Hôpital Central et Annexe Jamot de Yaoundé »1264, ou aussi parce que sa « famille
est (…) exposée à l’instabilité »1265. Il admet aussi qu’il y a risque de préjudice
irréparable dans l’affectation d’un enseignant « pour les raisons pertinentes
exposées dans sa requête »1266. Mais lorsqu’il estime que ces raisons ne le sont pas,
il ne suspend pas l’affectation1267.

De même, le juge admet que l’affectation d’un médecin - qui enseigne à


l’Université - dans un hôpital provincial situé dans une localité très éloignée est de
nature à causer à l’intéressé un préjudice irréparable, car, il « risque de perdre son
statut de détaché à l’Université »1268. A contrario, il ne considère pas que l’affectation
d’un fonctionnaire du Ministère des Postes et Télécommunications est de nature à
causer à l’intéressé un préjudice irréparable1269. Par ailleurs, s’il considère que le
rappel à son administration d’origine d’un fonctionnaire détaché dans un organisme
international est de nature à lui causer un préjudice irréparable « pour des raisons
pertinentes exposées par le demandeur »1270, il n’admet pas, par contre, que
l’exécution d’une sanction d’abaissement d’échelon infligée à un fonctionnaire est de
nature à lui causer un tel préjudice, parce qu’il « peut être rétabli dans ses droits
lorsque cette décision viendrait à être annulée »1271 . Il en est de même de

1260
Ordonnance n° 10/91-92/OSE/PCA/CS du 17 mars 1992, affaire Kamdoum Zachée.
1261
Ordonnance n° 23/OSE/PCA/CS/93-94 du 2 juin 1994, affaire Kamto Maurice contre Etat du Cameroun.
1262
Ordonnance n° 09/OSE/PCA/CS/97-98 du 06 Novembre 1998, affaire Tchasse Jean Claude contre Etat du Cameroun.
1263
Ordonnance n° 14/OSE/PCA/CS/97-98 du 26 novembre 1997, affaire Bikoko Jean Marc contre Etat du Cameroun.
1264
Ordonnance n° 38/OSE/PCA/CS/97-98 du 2 mars 1998, affaire Njandja Félix contre Etat du Cameroun.
1265
Ordonnance n° 68/OSE/PCA/CS/97-98 du 31 août 1998, affaire Ntchamande Augustin contre Etat du Cameroun.
1266
Ordonnance n° 47/OSE/PCA/CS/97-98 du 14 avril 1998, affaire Leumessi Jean contre Etat du Cameroun.
1267
Ordonnance n° 24/OSE/PCA/CS/2000-2001 du 7 mars 2001, affaire Tiomela Michel contre Etat du Cameroun.
1268
Ordonnance n° 18/OSE/PCA/CS/98-99 du 19 mars 1999, affaire Tetanye Ekoe contre Etat du Cameroun.
1269
Ordonnance n° 10/OSE/PCA/CS/98-99 du 8 mars 1999, affaire Mendendana Dzenguene Joseph contre Etat du
Cameroun.
1270
Ordonnance n° 66/OSE/PCA/CS/97-98 du 8 juillet 1998, affaire Takougang Bernard contre Etat du Cameroun.
1271
Ordonnance n° 21/OSE/PCA/CS/92-93 du 30 juillet 1993, affaire Kingue Jean Bosco contre Etat du
Cameroun.

298
l’exécution d’un arrêté rapportant un autre arrêté portant avancement d’échelon et de
grade au choix d’un adjudant des Douanes, « les droits acquis de par cet arrêté
pouvant lui être reversés au cas où la chambre Administrative lui donnerait raison au
fond »1272.

Dans d’autres matières relatives à l’exercice d’une activité professionnelle, le


juge adopte également une attitude duale. S’il considère le rejet de la candidature
d’un postulant à l’exercice de la profession d’huissier1273, le retrait de l’accréditation
d’un correspondant d’une chaîne de Radio internationale1274 et la résiliation d’une
attestation d’attribution de boutique dans un marché1275, comme étant de nature à
causer aux intéressés un préjudice irréparable, aux motifs respectifs que le candidat
à la profession d’huissier « avait déposé son dossier de candidature en 1979 alors
que la licence ne lui était pas encore exigée et qu’à ce jour, il est au bord de la
retraite après sa mise en disposition », que le correspondant de la chaîne de radio
internationale « sera obligé de suspendre l’exercice de ses fonctions de
correspondant » et que le commerçant dont l’attestation a été résiliée « risque d’être
expulsé », à contrario, il n’admet pas que l’exécution du décret portant nomination
des membres du Conseil Supérieur de la Magistrature est de nature à causer un
préjudice irréparable à un député qui n’a pas été nommé, lequel « n’était pas certain
d’être élu nonobstant sa position de Président du groupe parlementaire d’un parti
politique, en ne détenant point une majorité à l’Assemblée Nationale »1276. Tout
comme il ne considère pas que l’exécution d’une décision destituant un maire de ses
fonctions est de nature à causer à l’intéressé un même préjudice1277. Il faut signaler,
sur ce dernier point, que le Conseil d ’Etat français considère qu’est irréparable le
préjudice causé par la dissolution d’un Conseil municipal entraînant de nouvelles
élections municipales1278.

1272
Ordonnance n° 19/OSE/PCA/CS/98-99 du 23 mars 1999, affaire Wabo Rigobert contre Etat du Cameroun.
1273
Ordonnance n° 16/OSE/PCA/CS/90-91 du 19 septembre 1991, affaire Yem Luc contre Etat du Cameroun.
1274
Ordonnance n° 48/OSE/PCA/CS/97-98 du 24 avril 1998, affaire Ndachi Tagne David contre Etat du
Cameroun.
1275
Ordonnance n° 81/OSE/PCA/CS/98-99 du 28 Septembre 1999, affaire Pemité Jean Calixte.
1276
Ordonnance n° 07/OSE/PCA/CS/99-00 du 8 décembre 1998, affaire Honorable Joseph Mbah-Ndam contre
état du Cameroun.
1277
Ordonnance n° 08/OSE/PCA/CS/99-00 du 2 février 2000, affaire Mosima Fritz Matute contre Etat du
Cameroun.
1278
CE, Ass., 23 décembre 1976, Perrault et autres, Rec., p. 577 ; AJDA, 1977, p. 161.

299
Par ailleurs, le juge estime que la prise en compte des élections du Président
et des membres au Conseil supérieur d’une organisation professionnelle n’est pas
de nature à causer un préjudice à ceux qui la contestent lorsqu’ils « ne justifient pas
d’un intérêt particulier lésé par ces élections »1279.

Le juge administratif a également une position duale lorsqu’il détermine le


préjudice susceptible de causer des changements sur les conditions de
fonctionnement de la personne morale.

2. La détermination du préjudice susceptible d’avoir des répercussions


sur les conditions de fonctionnement de la personne morale

Les domaines dans lesquels le juge administratif a eu à apprécier l’impact du


préjudice dans les conditions du fonctionnement de la personne morale sont
nombreux et variés.

Il ne considère pas de façon systématique et générale que le préjudice subi


par la personne morale du fait de l’exécution d’une décision administrative est
irréparable ou difficilement réparable.

Dans le domaine de l’enseignement, le juge estime que la destruction d’un


établissement d’enseignement est de nature à causer un préjudice irréparable1280. Il
en est de même de la suspension du centre d’examen d’un établissement
d’enseignement pour la raison que celui-ci peut connaître un « départ massif de ses
élèves »1281. Par contre, il rejette la demande de sursis à exécution d’une décision
portant fermeture d’un établissement scolaire lorsque le requérant « ne prouve pas »
que la fermeture de cet établissement « lui causait un préjudice irréparable », surtout
lorsqu’il « ne conteste pas avoir été condamné à une peine d’emprisonnement ferme
pour émission de chèque sans provision, condamnation qui entache par conséquent
sa considération et fait douter de sa moralité »1282 . Tout comme il considère que
l’exécution de la décision destituant les responsables d’une organisation nationale de
l’Enseignement privé n’est pas de nature à causer un préjudice à cette organisation

1279
Ordonnance n° 4/OSE/PCA/CS/2000-2001 du 14 novembre 2000, affaire Tongbong Thomson Louis Marie
et consorts contre Etat du Cameroun.
1280
Ordonnance n° 17/OSE/PCA/CS/95-96 du 8 avril 1996, affaire Wambo Abraham.
1281
Ordonnance n° 35/OSE/PCA/CS/97-98 du 12 février 1998, affaire Nacho Comprehensive High School
Bamenda contre Etat du Cameroun.
1282
Ordonnance n° 3 bis/OSE/PCA/CS/79-80 du 10 mars 1980, affaire Onguene Obama Jean contre Etat du
Cameroun.

300
dans la mesure où « d’autres responsables peuvent être nommés à la place de ceux
destinés par l’arrêté incriminé »1283.

En matière syndicale, le juge est plus libéral. Il protège la liberté syndicale


contre les entraves de l’administration. C’est ainsi qu’il considère que l’exécution de
la circulaire des greffiers des syndicats de la chambre d’enregistrement des
syndicats du Ministère de l’Emploi, du Travail et de la Prévoyance Sociale1284 et les
communiqués du Ministre dudit Ministère1285 est de nature à causer un préjudice
irréparable à une confédération syndicale en ce qu’elle risque d’occasionner une
« paralysie de ses activités syndicales ». C’est dans la même optique qu’il admet que
l’exécution de la décision du Ministre de l’Emploi, du Travail et de la Prévoyance
Sociale validant le congrès jugé illégal d’un syndicat est de nature à causer à ce
syndicat et à son Président un préjudice irréparable en ce que ce Président risque
d’être dans l’impossibilité d’exercer son rôle de Président dudit syndicat lequel sera
ainsi fragilisé1286.

En matière d’agrément, la position du juge est également libérale. Il en est


ainsi en cas de retrait de l’agrément d’un courtier d’assurance et de suspension de
l’agrément d’un concessionnaire en douanes. Dans le premier cas, il estime que
l’exécution de la décision portant retrait de l’agrément d’un courtier d’assurance est
de nature à lui causer un préjudice irréparable, lorsqu’il s’avère que ce retrait semble
uniquement fondé sur la crainte que la société requérante « ne soit plus compétitive
que d’autres organismes de courtage d’assurances privilégiés plus ou moins
tacitement par l’administration » et que la décision contestée « paraît insuffisamment
motivée » en ce qu’elle ne fait pas grief à la société requérante « ni d’avoir violé les
conditions de capacité professionnelle ou d’honorabilité, ni d’exercer une
concurrence contraire aux prescriptions de l’ordonnance 73/14 du 10 mai 1973
relative aux organismes d’assurances »1287. Dans le second cas, il considère que
l’exécution de la décision de suspension de l’agrément d’un concessionnaire en

1283
Ordonnance n° 21/OSE/PCA/CS/2000-2001 du 26 février 2001, affaire ONEPI (Organisation Nationale de
l’Enseignement Privé Islamique) contre Etat du Cameroun.
1284
Ordonnance n° 77/OSE/PCA/CS/97-98 du 22 septembre 1998, affaire Confédération Syndicale des
Travailleur du Cameroun (CSTC) contre Etat du Cameroun.
1285
Ordonnance n° 76/OSE/PCA/CS/97-98 du 21 Septembre 1998, Confédération Syndicale des Travailleurs du
Cameroun (CSTC) contre Etat du Cameroun.
1286
Ordonnance n° 72/OSE/PCA/CS/98-99du 30 juillet 1999, affaire Prince Njapoum Jean Trapez contre Etat du
Cameroun.
1287
Ordonnance n° 02/OSE/PCA/CS/79-80 du 08 février 1980, affaire société « Assurance Conseils Franco-
Africains (ACFRA) contre Etat du Cameroun.

301
douane, constatée par procès-verbal du Comité consultatif national des
concessionnaires en douanes agréés au Cameroun, est susceptible de causer à la
société requérante un préjudice irréparable en ce qu’elle risque d’être « exposée à la
paralysie de ses activités »1288.

En matière de licenciement, le juge a opté pour un libéralisme progressif, mais


qui s’applique en dents de scie. Dans un premier temps, il a considéré que
l’exécution de la décision du Ministre du Travail rejetant l’autorisation de licenciement
du salarié d’une entreprise n’était pas de nature à causer à celle-ci un préjudice
irréparable1289, surtout que les faits reprochés à l’agent n’étaient pas établis. Par la
suite, il a admis que l’exécution d’une telle décision pouvait lui causer un préjudice
irréparable1290. Mais quelques mois après, il est revenu sur sa jurisprudence en
estimant que le maintien de l’employé dans l’entreprise n’est pas de nature à causer
à celle-ci un préjudice irréparable1291. Quelques temps après, il a considéré que la
décision portant refus d’autorisation de licenciement et réintégration de l’agent dans
la société1292 ou rejetant la demande d’autorisation de licenciement d’un délégué du
personnel1293 est de nature à causer à la société requérante un préjudice
irréparable. De même, il a admis que l’exécution d’une décision infirmant
l’autorisation de licenciement d’un travailleur et ordonnant sa réintégration et le
paiement de ses salaires est de nature à causer un préjudice difficilement réparable
à la société requérante en ce que la réintégration de l’agent en question « créera
indubitablement un climat non propice au bon fonctionnement de l’entreprise »1294.
Par cette jurisprudence, il marque sa préférence pour un fonctionnement sans heurts
de la personne morale en attendant le règlement au fond du litige lequel peut, soit
infirmer la décision querellée, en donnant raison à la société requérante, qui devra,

'1288Ordonnance n° 37/OSE/PCA/CS/97-98 du 25 février 1998, affaire Société SOTRACO-Cameroun contre Etat


du Cameroun.
1289
Ordonnance n° 30/91-92/OSE/PCA/CS/du 30 septembre 1992, affaire Hôtel Méridien contre Etat du
Cameroun.
1290
Ordonnance n° 05/CS/PCA//92-93 du 24 février 1993, affaire Société Moore Paragon Cameroun contre Etat
du Cameroun.
1291
Ordonnance n° 18/CS/PCA//92-93 du 29 juillet 1993, affaire Crédit Foncier du Cameroun contre Etat du
Cameroun et MISSOKA Antoine (intervenant).
1292
Ordonnance n° 11/OSE/PCA/CS/99-00 du 22 février 2000, affaire Société Chanas Privat contre Etat du
Cameroun.
1293
Ordonnance n° 42/OSE/PCA/CS/00-01 du 10 avril 2001, affaire Société ARNO contre Etat du Cameroun.
1294
Ordonnance n° 21/OSE/PCA/CS/99-00 du 11 avril 2000, affaire Société CAMBOIS contre Etat du
Cameroun.

302
conformément aux règles du droit du travail, régler les droits de l’agent, soit la
confirmer et l’agent pourra alors être dédommagé ou réintégré1295.

En matière forestière, le juge se montre plus libéral dans l’appréciation du


préjudice, « sans doute sensibilisé par son aspect collectif »1296. Dès qu’il est établi
que la situation résultant de l’exécution de la décision attaquée paraît irréversible, il
admet que le préjudice qui en résulterait ne pourrait qu’être irréparable sur le plan
social. C’est ainsi qu’il considère que l’application d’un arrêté portant retrait d’une
partie de la licence d’exploitation forestière accordée à une société est de nature à
occasionner un préjudice irréparable tant aux employés qui seront compressés qu’au
requérant qui risque, d’ « arrêter les activités de plusieurs sociétés d’intérêt
public »1297. De même, il admet que l’exécution des adjudications de concession
forestière au profit d’une autre société que la société requérante est de nature à
causer à celle-ci un préjudice irréparable en ce qu’elle risque de ne pas redémarrer
l’activité sur le site choisi conformément aux engagements pris par les parties dans la
convention de privatisation d’une entreprise publique, en l’espèce la SOFIBEL1298 . Il
estime qu’un préjudice semblable peut être créé à la société requérante qui a signé
une convention de collaboration avec l’Etat du Cameroun ; aussi considère-t-il que
ne pas accorder le sursis à exécution « peut compromettre l’aménagement du site du
sanctuaire et la conservation de la forêt périphérique compte tenu des besoins liés à
la préservation de l’environnement »1299.

Il résulte de cette jurisprudence en matière forestière que dès lors que


l’exécution de la décision contestée est de nature à entraîner des changements
notables dans les conditions de fonctionnement de la personne morale, « le juge
accorde assez libéralement le sursis à exécution à condition que le préjudice soit de
nature sociale »1300.

1295
Ordonnance n° 27/OSE/PCA/CS/93-94 du 12 juillet 1994, affaire Zintchem Baroung Nicodème contre Etat
du Cameroun.
1296
O. Dugrip, op. cit., p. 273
1297
Ordonnance n° 17/OSE/PCA/CS/93-94 du 21 avril 1994, affaire Khoury Miguel contre Etat du Cameroun.
1298
Ordonnance n° 01/OSE/PCA/CS/00-01 du 03 octobre 2000, affaire Compagnie des Scieries Africaines
(SCAF) contre Etat du Cameroun.
1299
Ordonnance n° 41/OSE/PCA/CS/00-01 du 10 avril 2001, affaire Société Forestière Petra contre Etat du
Cameroun. Dans le même sens, Ordonnance n° 14/OSE/PCA/CS/00-01 du 16 janvier 2001, affaire Société
Forestière PETRA A SOFOPETRA contre Etat du Cameroun.
1300
O. Dugrip, op. cit., p. 274.

303
Dans les autres matières, le juge est moins libéral. En effet, s’il considère que
la fermeture d’une pharmacie « avec tout ce qu’elle comporte comme denrée à
conserver délicatement constitue un préjudice irréparable »1301, que l’exécution de la
décision portant expulsion de la gérante d’ un établissement cause à ses occupants
un préjudice irréparable « en ce que liés au propriétaire par un contrat, ils ne
pourront plus honorer à leurs obligations »1302, ou que causerait un préjudice
irréparable l’exécution d’une décision portant transfert d’un casino de l’Hôtel Méridien
à l’Hôtel Sawa de Douala, en ce que la société requérante risque de perdre ses
énormes investissements réalisés en vertu d’un bail notarié avec fixation d’une
échéance, surtout que l’acte incriminé ne fait nullement état d’une éventuelle
résiliation dudit bail1303, ou encore que l’exécution des décisions portant réalisation
du contrat de gérance libre d’un Centre Climatique causerait un préjudice irréparable
à la société requérante en ce qu’elle « risque de perdre sans compensation ses
importants investissements réalisés sur les lieux »1304, ou, enfin, que l’exécution
d’une décision contenue dans un message-porté du Procureur général de la Cour
d’Appel du Centre suspendant la vente aux enchères publiques d’un véhicule « est
de nature à causer un préjudice irréparable au requérant en ce qu’elle fait entrave à
l’exécution d’une décision de justice »1305. A contrario, il estime que n’est pas
susceptible de causer un préjudice irréparable au requérant l’exécution d’un décret
qui modifie et complète le décret déterminant les communes et leur ressort
territorial1306, l’exécution de la lettre – circulaire d’un Gouverneur de Province
portant application de l’instruction du Premier Ministre relative au règlement du
contentieux entre les collectivités publiques locales et une agence de publicité – en
l’occurrence Cameroun Publi – Expansion –, en ce qu’elle n’interdit pas à la société
requérante « d’exécuter son contrat qui d’ailleurs exclut explicitement en son article 2

1301
Ordonnance n° 21/91-92/OSE/PCA du 14 août 1992, affaire Mayouga Yvonne contre Etat du Cameroun et
Ordonnance n° 05/92-93/OSE/PCA du 05 octobre 1992, affaire Sighoko Abraham contre Etat du Cameroun..
1302
Ordonnance n° 03/OSE/PCA/CS/93-94 du 19 octobre 1993, affaire Moutaka Locko Julienne contre Etat du
Cameroun.
1303
Ordonnance n° 59/OSE/PCA/CS/97-98 du 18 juin 1998, affaire Société SOCADIC contre état du Cameroun.
1304
Ordonnance n° 03/OSE/PCA/CS/98-99 du 09 octobre 1998, affaire société Sogethore contre Etat du
Cameroun.
1305
Ordonnance n° 70/OSE/PCA/CS/98-99 du 28 juillet 1999, affaire Keau Ngani André contre Etat du
Cameroun.
1306
Ordonnance n° 22/OSE/PCA/CS/93-94 du 30 mai 1994, affaire Bouba Bello Maïgari contre Etat du
Cameroun.

304
alinéa 1, toute situation de monopole en faveur de la société Media Plus »1307, ainsi
que l’exécution des arrêtés d’un Gouverneur de Province nommant des agents
d’affaires dans sa province1308. De même, il considère que l’acte de déclaration
d’association n’est pas de nature à causer un préjudice à une association qui en
demande la suspension « en ce que la loi n° 90/053 du 19 décembre 1990 gara ntit la
liberté d’association »1309. Qu’en est-il lorsqu’il est saisi d’une demande de sursis à
exécution d’une décision dont les conséquences sont essentiellement d’ordre
pécuniaire ? Autrement dit, comment détermine-t-il le préjudice d’ordre pécuniaire ?

C. LA DETERMINATION DU PREJUDICE D’ORDRE PECUNIAIRE

On ne peut pas dire que la détermination du préjudice d’ordre pécuniaire par


le juge administratif camerounais a connu la même évolution qu’en France 1310.

En France l’idée de base a été que les préjudices de caractère pécuniaire,


c’est-à-dire tous ceux qui, sans artifice majeur peuvent être réparés par l’octroi d’une
indemnité, ne pouvaient pas donner lieu à une décision de sursis du fait que,
résultant de l’exécution de la décision attaquée, ils étaient alors tenus pour
réparables1311. Aujourd’hui, ce principe demeure mais connaît de plus en plus de
dérogations et d’exceptions1312. Au Cameroun, l’évolution n’a pas été et n’est pas
linéaire. Si dans certains cas le juge considère que le préjudice d’ordre pécuniaire
n’est pas de nature à causer un préjudice irréparable parce que les requérants n’en
rapportent pas la preuve ou parce que les sommes précomptées peuvent être
remboursées à l’intéressé si le juge du fond lui donne raison, dans d’autres cas, il
estime que les conséquences pécuniaires de la décision sont si lourdes qu’elles
compromettraient l’avenir de la personne physique ou morale concernée. En effet,
« l’exécution de la décision attaquée peut avoir des effets secondaires sur la
situation du requérant que le juge peut difficilement ignorer »1313. Il peut s’agir d’effets

1307
Ordonnance n° 25/OSE/PCA/CS/93-94 du 27 juin 1994, affaire Société Media Plus contre Etat du
Cameroun.
1308
Ordonnance n° 33/OSE/PCA/CS/97-98 du 04 février 1998, affaire Ordre National des Avocats (Bafoussam)
contre Etat du Cameroun.
1309
Ordonnance n° 09/OSE/PCA/CS/99-00 du 02 février 2000, affaire Association Bangoulap de Yaoundé
contre Etat du Cameroun.
1310
Contrairement à ce qu’écrit un auteur. Voir. C. Keutcha Tchapnga, op. cit., p. 89.
1311
M. Rougevin-Baville, R. Denoix de St Marc et D. Labetoule, op. cit., p. 110.
1312
O. Dugrip, op. cit., pp. 275 et suivantes.
1313
Ibid.., p. 275.

305
tellement graves pour le requérant qu’ils rendent le préjudice irréparable ou
difficilement réparable.

C’est sur la base de ces considérations que le juge administratif camerounais


apprécie le préjudice d’ordre pécuniaire tant dans le contentieux général mettant en
cause les agents publics et les personnes privées que dans le contentieux fiscal.

1. La détermination du préjudice d’ordre pécuniaire dans le contentieux


général mettant en cause l’agent public et la personne privée

Le contentieux général portant sur le préjudice financier concerne la mise en


débet des agents publics, les litiges liés à l’émission d’ordre de recettes et celui
portant sur les effets financiers d’un abaissement de grade.

a. Le préjudice en matière de mise en débet

L’appréciation de ce préjudice par le juge est fluctuante ; autrement dit, elle


n’est pas linéaire. Il paraît donc difficile de dégager une politique jurisprudentielle
cohérente en la matière. Cette appréciation se fait donc au cas par cas et selon les
circonstances de chaque affaire. Dans certains cas, le juge rejette la demande aux
fins de sursis à exécution de la décision litigieuse, soit aux motifs que le requérant ne
prouve pas que l’exécution de cette décision « lui cause un préjudice qui peut
s’avérer irréparable »1314, soit que l’exécution de cette décision n’est pas de nature à
lui causer un préjudice irréparable en ce que les sommes précomptées peuvent lui
être remboursées si le juge du fond lui donnait raison1315. Dans d’autres cas, par
contre, il admet que la décision de mise en débet « pourrait causer au requérant un
préjudice irréparable »1316, ou que si « elle venait à être exécutée, elle causerait un
préjudice difficilement réparable »1317 au requérant, ou encore qu’elle « est de nature
à occasionner un préjudice inestimable au requérant qui devra supporter le

1314
Ordonnance n° 59/CS/PCA du 31 mars 1977, affaire Michel Njine Ngangley contre Etat du Cameroun.
1315
En ce sens, ordonnance n° 06/OSE/PCA/CS/90-91 du 30 janvier 1991, affaire More Mbongoue Guillaume
contre Etat du Cameroun ; ordonnance n° 10/OSE/PCA/CS/93-94 du 16 février 1994, affaire Kenfack Etienne
contre Etat du Cameroun et ordonnance n° 36/OSE/PCA/CS/93-94 du 26 septembre 1994, affaire Madame
Djamen Ndjiya Ide contre Etat du Cameroun.
1316
Ordonnance n° 59/CS/PCA du 31 mars 1977, affaire Michel Njine Ngangley contre Etat du Cameroun.
1317
Ordonnance n° 07/OSE/PCA/CS/88-89 du 15 septembre 1989, affaire Pamansie Josué contre Etat du
Cameroun

306
financement de son stage à l’étranger »1318. Dans l’affaire Noucti Tchokwago du 13
mai 19961319 , le juge a renforcé cette tendance jurisprudentielle en affirmant
clairement que l’exécution prématurée des sanctions pécuniaires en cause « est de
nature à causer un préjudice difficilement réparable au requérant, compte tenu des
difficultés de trésorerie qu’éprouvent actuellement l’Etat et les organismes sous sa
tutelle, situation qui ne faciliterait pas le remboursement des sommes encaissées en
cas d’issue heureuse du recours au fond ». En protégeant les intérêts financiers du
requérant1320, il a voulu également protéger les deniers publics. En effet, dans cette
affaire, il préserve aussi bien l’intérêt privé – celui du requérant – et l’intérêt public.

En matière d’émission d’ordre de recettes, la détermination du préjudice par le


juge est, jusqu’à présent, moins fluctuante.

b. Le préjudice en matière d’émission d’ordre de recettes

Pour l’essentiel, la jurisprudence est défavorable à l’octroi du sursis à


exécution en matière d’ordre de recettes. Lorsqu’il s’agit d’un agent public, le juge
rejette la demande de sursis à exécution, soit au motif que le requérant « ne rapporte
pas la preuve que l’exécution de l’ordre de recette (…) est de nature à lui causer un
préjudice irréparable »1321, soit que « la somme imputée à l’intéressé » pourrait « être
remboursée par l’Etat au cas où le juge de fond lui donnait raison »1322, ou que « les
sommes précomptées sur son salaire lui seront dûment remboursées au cas où la
chambre administrative ferait droit à sa demande en annulation de l’acte
attaqué »1323. Lorsqu’il s’agit d’une personne morale privée, il rejette la demande aux
fins de sursis à exécution des ordres de recettes émis à son encontre au motif qu’elle
n’est pas de nature à lui créer un préjudice irréparable, «les sommes retenues par le
Trésor Public pouvant lui être remboursées en cas d’une décision favorable au
fond »1324.

1318
Ordonnance n° 04/OSE/PCA/CS/91-92 du 04 février 1992, affaire Eboule Ndoumbe Ndomube Maurice
contre Etat du Cameroun.
1319
Ordonnance n° 25/OSE/PCA/CS/95-96 du 13 mai 1996, affaire Noucti Tchokwago contre Etat du
Cameroun et Chambre de Commerce (Intervenante).
1320
C. Keutcha Tchapnga, op. cit., p. 89.
1321
Ordonnance n° 7/OSE/PCA/CS/78-80 du 5 juin 1980, affaire Socrate Clonaris contre Etat du Cameroun.
1322
Ordonnance n° 08/OSE/PCA/CS/90-91 du 11 mars 1991, affaire Ebode Jean-Marie contre Etat du
Cameroun.
1323
Ordonnance n° 22/91-92/CS/PCA du 23 septembre 1992, affaire Ntchana Zacharie contre Etat du Cameroun.
1324
Ordonnance n° 12/OSE/PCA/CS/91-92 du 4 mai 1992, affaire Brasseries du Cameroun contre Etat du
Cameroun.

307
Lorsqu’il arrive que le juge ordonne le sursis à l’exécution d’un ordre de
recettes, c’est essentiellement pour une raison sociale voire humanitaire. C’est ainsi
qu’il a estimé que l’exécution d’un ordre de recettes d’un montant de 4 040 717 de
francs CFA risquait d’occasionner un préjudice difficilement réparable pour le
requérant, « retraité de son état et démuni »1325. Il n’a pas la même souplesse
lorsqu’il s’agit d’une sanction disciplinaire.

c. Le préjudice en matière de sanction disciplinaire

Il résulte de l’unique jurisprudence en la matière que le juge refuse de


considérer comme susceptible de causer un préjudice irréparable à un fonctionnaire
l’exécution d’une sanction disciplinaire qui a des effets financiers.

Dans l’affaire Tchaleu Wouako Gabriel du 1er décembre 19861326, en effet, le


requérant sollicitait la suspension de la sanction d’abaissement de grade qui lui avait
été infligée pour la raison que son exécution est de nature à lui causer un préjudice
irréparable ; mais, le juge de céans a estimé que « le préjudice résultant de la perte
de salaire est susceptible d’être réparé ultérieurement en cas d’annulation de la
décision attaquée ».

La jurisprudence formulée en matière fiscale montre, par contre, que le juge


est plutôt favorable à l’octroi du sursis à exécution.

2. La détermination du préjudice en matière fiscale

La jurisprudence existante en matière fiscale permet de dire que les


contribuables, personnes physiques ou morales, peuvent obtenir le sursis à
l’exécution des décisions de recouvrement des impôts, des décisions d’imposition,
des décisions portant commandement de payer et des saisies-exécution, bien que le
préjudice soit toujours d’ordre pécuniaire1327. En ce qui concerne, d’abord, le
recouvrement des impôts, le juge a considéré que si ce recouvrement est effectif, il
entraînera inexorablement un préjudice irréparable pour la personne qui le

1325
Ordonnance n° 15/OSE/PCA/CS/93-94 du 16 mars 1994, affaire Noumen Ntchao Justin contre Etat du
Cameroun.
1326
Ordonnance n° 06/OSE/PCA/CS/86-87 du 1er décembre 1986, affaire Tchaleu Wouako Gabriel contre Etat
du Cameroun.

308
conteste1328, surtout lorsque la conjoncture économique est « particulièrement
difficile »1329. Quant à l’exécution de l’imposition, il estime de façon récurrente que si
elle a lieu, elle causerait un préjudice irréparable à la personne requérante1330.
Dans le cas particulier d’un Cabinet d’Etude, le juge soutient que cette exécution
peut occasionner sa fermeture le faisant ainsi perdre sa clientèle1331. En cette
matière, le juge tient compte moins de l’importance de l’imposition que de la taille
financière de la personne requérante et du régime d’imposition auquel elle est
soumise pour accorder le sursis. Pour ce qui est du commandement de payer que
les services des Impôts de l’Etat adressent aux contribuables qui, à tort ou à raison,
n’ont pas pu satisfaire à leurs obligations fiscales, il admet que son exécution est de
nature à causer un préjudice difficilement réparable à la personne requérante, soit
parce qu’elle « peut faire l’objet d’une saisie »1332, soit parce que, du fait qu’elle peut
être saisie, elle est susceptible de « faire l’objet d’une vente aux enchères »1333.
Enfin, il considère qu’un procès-verbal de saisie-exécution établi par la Recette des
finances enjoignant un contribuable de payer la somme d’argent qu’il doit à l’Etat et
en scellant son étude est de nature à faire subir à la société requérante un préjudice
irréparable, à savoir « la fermeture de son étude »1334.

En définitive, s’il est possible de dégager quelques orientations de la


jurisprudence relative à la condition de préjudice irréparable, il y a lieu de dire que,
pour l’heure, il n’y a pas de domaines où les solutions sont définitivement fixées ou
acquises, et qu’il n’est pas encore possible de définir avec plus ou moins d’exactitude
la notion de « préjudice irréparable ». D’abord parce que « le juge s’en fait une
appréciation contingente et subjective »1335 et que très souvent,« il prend garde de

1327
P. Dibout, « Le développement du sursis à exécution en matière fiscale », AJDA, 1984, p. 584 et O. Fouquet,
« Le sursis à exécution en matière fiscale », Gaz Pal, 20 décembre 1987.
1328 1328
Ordonnance n° 10/OSE/PCA/CS/90-91 du 14 mars 1991, affaire Etoke Joël contre Etat du Cameroun.
1329
Ordonnance n° 06/OSE/PCA/CS/91-92 du 11 mars1992, affaire Ngameleu Dominique contre Etat du
Cameroun.
1330
Ordonnance n° 17/OSE/PCA/CS/90-91 du 17 septembre 1992, affaire Ndengue Thomas Byll contre Etat du
Cameroun et ordonnance n° 01/OSE/PCA/CS/91-92 du 1er novembre 1991, affaire Ndengue Thomas Byll Justin
contre Etat du Cameroun.
1331
Ordonnance n° 38/OSE/PCA/CS/93-94 du 26 septembre 1994, affaire Ndengue Thomas Byll contre Etat du
Cameroun.
1332
Ordonnance n° 20/OSE/PCA/CS/93-94 du 10 mai 1994, affaire Société Sintrabois contre Etat du Cameroun.
1333
Ordonnance n° 21/OSE/PCA/CS/93-94 du 10 mai 1994, affaire Etablissements Efeck contre Etat du
Cameroun.
1334
Ordonnance n° 07/OSE/PCA/CS/97-98 du 29 octobre 1998, affaire Société Civile Professionnelle contre Etat
du Cameroun. Dans le même sens, ordonnance n° 20/OSE/PCA/CS/92-93 du 30 juillet 1993, affaire Ngando
Bebey Joseph contre Etat du Cameroun.
1335
P. Mouzouraki, op. cit., p. 49.

309
ne pas livrer le secret de ses solutions pour se garder la possibilité de revenir,
éventuellement sur celles-ci »1336. Ensuite, parce qu’il utilise des formules variées
pour qualifier ce préjudice, lesquelles ne renvoient pas toujours ou forcément à la
même réalité. Toutefois, il n’est pas contestable que la notion de préjudice
irréparable exprime bien l’urgence de la situation litigieuse puisque l’appréciation de
celle-ci suppose un jugement sur l’intérêt menacé1337. De même, il n’est pas
contestable que la jurisprudence en la matière est à la foi libérale et restrictive.
Comme l’écrit J -J Gleizal, « tout ce passe comme si le juge était là pour rappeler à
l’administration les institutions qu’il importe de respecter. Un jour, c’est un arbre, un
autre jour une entreprise industrielle, autres temps, autres mœurs »1338. Cela étant,
la notion de préjudice irréparable n’est pas la seule condition législative que le juge
prend en compte pour octroyer le sursis à exécution des décisions administratives
contestées. Il y a également celle relative à l’exclusion des décisions intéressant
l’ordre public.

PARAGRAPHE II : L’EXCLUSION DES DECISIONS INTERESSANT

L’ORDRE PUBLIC

D’après l’alinéa 2 de l’article 16 de la loi n° 75/ 17 du 8 décembre 1975, le


sursis à exécution d’une décision administrative contestée ne peut être ordonné que
si cette décision « n’intéresse ni l’ordre public, ni la sécurité ou la tranquillité
publique ». Cette limitation du sursis à exécution par le législateur camerounais est
une reprise de l’article 9 alinéa 2 d’un décret du 30 septembre 1953 portant réforme
du contentieux administratif en France qui interdisait aux tribunaux administratifs de
prononcer le sursis à exécution des décisions administratives « intéressant le
maintien de l’ordre, la sécurité et la tranquillité publiques »1339. L’origine de ce décret
est connue. C’est lors de la discussion portant sur la réforme du contentieux
administratif le 26 mars 1953 que l’Assemblée Nationale française, suivant le
rapporteur de la commission de l’Intérieur M. Coste-Floret, admit que du domaine
d’application des procédures d’urgence,« il est indispensable d’exclure les décisions
intéressant le maintien de l’ordre, la sécurité et la tranquillité publiques, afin d’éviter

1336
Ibid., pp. 49-50.
1337
P. Jestaz, L’urgence et les principes classiques de droit civil, op. cit., p. 8 et p. 235.
1338
J-J. Gleizal, op. cit., p. 391.

310
que la décision du juge ne puisse compromettre l’ordre dont l’administration a la
charge »1340. Seulement, le 27 janvier 1983 un décret « est intervenu pour faire
disparaître toute restriction tenant à l’ordre public pour le prononcé du sursis par les
tribunaux administratifs »1341.

Deux justifications avaient été données à cette restriction du sursis. La


première était relative à la jeunesse des tribunaux administratifs qui ne « permettait
point encore de préjuger de leur capacité en cette matière à obtenir l’obéissance des
autorités administratives particulièrement sourcilleuses sur leurs prérogatives de
police »1342. La seconde était liée au principe du caractère exécutoire des mesures
administratives qui trouvait « encore plus profondément l’occasion de s’appliquer,
s’agissant des décisions relatives à l’ordre public »1343. Aussi, seul le Conseil d’Etat
était habilité à se prononcer sur le sursis à exécution des décisions administratives
intéressant l’ordre public.

La réception et le maintien de cette limitation par le législateur camerounais


sont moins liés à la jeunesse de la juridiction administrative qu’à la défiance des
pouvoirs publics à son égard. Ils se justifient par la volonté de la soumettre à des
restrictions et contrôles qui sont, pourtant, incompatibles avec le bon fonctionnement
de la justice. De fait, sans bénéfice d’inventaire, le législateur camerounais a repris
une exigence1344 qui restreint le domaine du sursis. Le juge, pour sa part, apprécie
cette exigence avec plus ou moins de bonheur. En général, « il se borne à invoquer
l’ordre public ou un de ses aspects, comme si le concept était évident, et sans jamais
éprouver le besoin de le circonscrire avec exactitude »1345.

Une analyse attentive de la jurisprudence amène à se rendre compte que


lorsque le juge détermine de façon ambiguë la condition relative à l’ordre public.

1339
Sur les applications jurisprudentielles de cette disposition réglementaire, voir J-M Auby et R. Drago, T2, op.
cit., pp. 35-36.
1340
J-J. Gleizal, op. cit., p. 396.
1341
Y. Gaudemet, « Les procédures d’urgence dans le contentieux administratif », op. cit., p. 423.
1342
Ch. Debbasch et J-C. Ricci op. cit., p. 421.
1343
Ibid.
1344
En effet, la détermination de l’origine de cette décision permet de comprendre pourquoi elle est formulée
ainsi par l’article 16 alinéa 2 de la loi n° 75/17, c’est-à-dire l’énumération de trois notions les unes à la suite des
autres comme « s’il s’agissait de notions autonomes ». La doctrine qui a commenté cette disposition a justement
critiqué cette conception mais en donnait l’impression que l’idée était du législateur camerounais alors qu’il n’a
fait que reprendre une disposition juridique consacrée par l’Exécutif français dans sa réforme du contentieux
administratif de 1953. A ce sujet, lire P. P. Tchindji, note sur l’affaire Le Messager, Penant n° 803 1990, op. cit.,
p. 337 ; M. Kamto, Observations sur l’affaire Le Messager, in Droit administratif processuel du Cameroun, op.
cit., p. 177 et C. Keutcha Tchapnga, op. cit., p. 90.
1345
C. Keutcha Tchapnga, ibid.

311
Dans certains cas, il la détermine de façon stricte en se conformant à la prescription
législative en la matière(A) ; dans d’autres cas, par contre, il la détermine de façon
lâche en dénaturant ladite prescription légale (B).

A. UNE DETERMINATION STRICTE DE L’EXIGENCE RELATIVE A


L’EXCLUSION DES DECISIONS INTERESSANT L’ORDRE PUBLIC

On aurait pu penser que le juge utiliserait la condition relative à l’exclusion des


décisions intéressant l’ordre public du sursis à exécution pour rejeter un nombre
important de recours. Il n’en est rien. Ce qui est certain, c’est qu’il s’assure de façon
systématique que les demandes de sursis sont conformes à cette condition.

En général, le juge estime que les décisions contestées ne concernent pas


l’ordre public.

Il arrive qu’il garde le silence sur cette exigence et considère que l’exécution
de la décision en cause est de nature à causer un préjudice irréparable au requérant,
alors même que cette décision concernait l’ordre public. Il en a été ainsi dans l’affaire
UPC du 19 octobre 19931346 à propos de l’interdiction par le Préfet de la Mifi de la
tenue du congrès du parti politique UPC à Bafoussam, chef lieu de son département.

Lorsque le juge administratif procède à une détermination stricte de l’exigence


relative à l’ordre public, il est amené à indiquer celles des décisions qui n’intéressent
pas l’ordre public, d’une part, et celles des décisions qui intéressent l’ordre public,
d’autre part.

1. La détermination des décisions n’intéressant pas l’ordre public

Cette détermination est faite soit directement par le juge lui-même, soit par le
biais du Ministère Public dans ses réquisitions, lesquelles sont reprises par le juge.
Ce dernier a eu à procéder à cette détermination dans un certain nombre de
matières. Il en est ainsi en matière foncière, en matière professionnelle, en matière
sanitaire et en matière financière.

1346
Ordonnance n° 04/OSE/PCA/CS/93-94 du 19 octobre 1993, affaire Union des Populations du Cameroun
contre Etat du Cameroun.

312
En matière foncière, le juge considère comme n’intéressant pas l’ordre public,
la sécurité ou la tranquillité publique l’arrêté ordonnant le retrait d’un titre foncier1347 ;
la décision portant règlement d’une opposition à la demande d’obtention d’un titre
foncier1348 ; la décision portant ou ordonnant la rectification d’un titre foncier1349 ;
l’arrêté portant déchéance des droits réels de propriété sur un terrain domanial1350 ;
la décision portant attribution d’un titre foncier1351. En matière professionnelle, le juge
considère comme n’intéressant ni l’ordre public, ni la sécurité ou la tranquillité
publique, la décision portant rejet du dossier d’un candidat à la profession
d’huissier1352 ; l’arrêté portant interruption du stage de formation d’un fonctionnaire à
l’étranger1353 ;la décision portant expulsion d’une gérante d’un immeuble sous
contrat1354 ;la décision portant autorisation de licenciement d’un employé1355.En
matière sanitaire, il admet que la décision portant fermeture d’une officine
pharmaceutique ne concerne pas l’ordre public, la sécurité ou la tranquillité
publique1356. En matière financière, il estime que les décisions mettant en débet des
agents publics1357 ne concernent pas l’ordre public. Il en est de même de la décision
émettant à l’encontre d’une personne morale privée des ordres de recettes1358, et, en

1347
Ordonnance n° 09/OSE/PCA/CS/88-89 du 3 mai 1998, affaire Fouda Etoundi André contre Etat du
Cameroun .
1348
Ordonnance n° 06/OSE/PCA/CS/88-89 du 04 septembre 1989, affaire Kamdem Lazare contre Etat du
Cameroun.
1349
Ordonnance n° 14/OSE/PCA/CS/90-91 du 04 juillet 1991, affaire Chedjou Gabriel et ordonnance n° 11/91-
91/OSE/PCA/CS du 14 avril 1991, affaire ZOCK Ibrahim contre Etat du Cameroun.
1350
Ordonnance n° 13/OSE/PCA/CS/93-94 du 07 mars 1994, affaire Nanhou Jacques contre Etat du Cameroun.
1351
Ordonnance n° 14/OSE/PCA/CS/93-94 du 07 mars 1994, affaire Collectivité de Maképé II contre Etat du
Cameroun.
1352
Ordonnance n° 16/OSE/PCA/CS/90-91 du 19 septembre 1991, affaire Yem Luc contre Etat du Cameroun.
1353
Ordonnance n° 10/OSE/PCA/CS/91-92 du 17 mars 1992, affaire Kamdou Zachée contre Etat du Cameroun.
1354
Ordonnance n° 03/OSE/PCA/CS/93-94 du 19 octobre1993, affaire Moutaka Locko Julienne contre Etat du
Cameroun.
1355
Ordonnance n° 27/OSE/PCA/CS/93-94 du 12 juillet 1994, affaire Zintchem Baroung Nicodème contre Etat
du Cameroun.
1356
Ordonnance n° 05/92-93/CS/PCA du 05 octobre 1992, affaire Sighoko Abraham contre Etat du Cameroun.
1357
Ordonnance n° 07/OSE/PCA/CS/88-89 du 15 septembre 1989, affaire Pamansie Josué contre Etat du
Cameroun ; ordonnance n° 04/OSE/PCA/CS/91-92 du 04 février 1992, affaire Eboule Ndoumbe Maurice contre
Etat du Cameroun ; ordonnance n° 10/OSE/PCA/CS/93-94 du 16 février 1994, affaire Kenfack Etienne contre
Etat du Cameroun.
1358
Ordonnance n° 12/OSE/PCA/CS/91-92 du 4 mai 19929, affaire Brasseries du Cameroun (SABC) contre Etat
du Cameroun et ordonnance n° 08/OSE/PCA/CS/90-91 du 11 mars 1991, affaire Ebode Jean-Marie contre Etat
du Cameroun.

313
matière fiscale, des impositions1359 et des décisions ordonnant les recouvrements
d’impôts1360.

Il arrive des fois qu’ après avoir admis que la décision querellée ne concerne
ni l’ordre public, ni la sécurité publique ou la tranquillité publique, le juge considère
que c’est plutôt son exécution qui « est de nature à porter atteinte à l’ordre public, à
la sécurité ou à la tranquillité publique à cause de son impact sur la population »1361.
Ce faisant, le juge protège, non pas l’Etat, mais les citoyens contre les effets
néfastes d’une décision administrative sur la paix sociale dans leur localité.

A contrario, en déterminant les décisions intéressant l’ordre public, il protège


plutôt l’Etat contre les citoyens puisqu’il est amené à rejeter leur recours au fond .

2. La détermination des décisions intéressant l’ordre public

Il existe très peu d’ordonnances de sursis dans lesquelles le juge administratif


a rejeté les demandes au fond aux motifs qu’elles contestent des décisions
intéressant l’ordre public.

On aurait pu penser que dans l’affaire UPC du 19 octobre 1993, le juge allait
évoquer ce motif dans la mesure où la décision contestée interdisait la tenue du
congrès d’un parti politique ; il ne l’a pas fait, alors que l’interdiction d’une réunion ou
d’une manifestation publique, comme la tenue du congrès d’un parti politique,
intéresse nécessairement et directement l’ordre public. Non seulement il n’a pas
évoqué ce motif, mais en plus, il a reconnu que cette interdiction est de nature à
causer un préjudice irréparable au requérant. Le recours de ce dernier n’a été rejeté
comme sans objet que parce qu’il n’a fait l’objet de réquisitions du Ministère Public
que postérieurement à la période prévue pour la tenue du congrès1362. En adoptant
une telle attitude, le juge a ainsi ouvert une brèche dans la condition qui exclut du
sursis à exécution les décisions intéressant l’ordre public. Mais il ne s’est agi que

1359
Ordonnance n° 03/OSE/PCA/CS/78-80 du 24 mars 1980, affaire Nguepi Joseph contre Etat du Cameroun ;
ordonnance n° 06/OSE/PCA/CS/78-80 du 15 avril 1980, affaire Sundjio Justin contre Etat du Cameroun ;
ordonnance n° 17/OSE/PCA/CS/90-91 du 17 septembre 1991, affaire Ndengue Thomas Byll contre Etat du
Cameroun.
1360
Ordonnance n° 10/OSE/PCA/CS/90-91 du 14 mars 1991, affaire Etoke Joël contre Etat du Cameroun et
ordonnance n° 06/OSE/PCA/CS/91-92 du 11 mars 1992, affaire Ngamaleu Dominique contre Etat du Cameroun.
1361
Ordonnance n° 07/91-92/OSE/PCA/CSdu 20 mars 1992, affaire Elites et notables du village Bamoudjo
contre Etat du Cameroun.
1362
Ordonnance n° 04/OSE/PCA/CS/93-94 du 19 octobre 1993, affaire Union des Populations du Cameroun
(UPC) contre Etat du Cameroun.

314
d’une exception au principe car dans d’autres affaires, certes peu nombreuses, il a
rejeté les demandes au fond aux motifs qu’elles sollicitent le sursis à l’exécution de
décisions intéressant l’ordre public.

Ainsi dans l’affaire société Mondiana Sarl du 30 janvier 19961363, le juge a


considéré que la décision dont le sursis à exécution était demandé concernait l’ordre
public en ce qu’elle visait à la sécurité des populations contre la consommation des
sachets de glutamate qui était susceptible de mettre leur santé en danger. De même,
dans l’affaire mesdemoiselles Carle Julia et Tchangongom Tcheumaka du 13 octobre
19971364, il a admis que le décret par lequel le Président de la République déclarait
nuls et de nul effet les ventes, les compensations et les actes s’y rapportant pris sur
les terrains relevant du domaine public et privé de l’Etat intéressait l’ordre public au
motif qu’en l’édictant, « le Président de la République a visé les nécessités d’ordre
public ».

Cette prise de position indique, d’une part, que la matière foncière peut être
aussi concernée par l’ordre public, et, d’autre part, qu’ il suffit que l’administration
vise « les nécessités d’ordre public » dans sa décision, sans aucune motivation à
l’appui, pour lier celle du juge. Ainsi, toutes les fois que la décision contestée visera
l’ordre public, le juge aura compétence liée. D’ailleurs, son caractère changeant en
fait une arme redoutable entre les mains de l’Administration qui peut en user pour
limiter l’intervention du juge et rendre pratiquement impossible l’obtention du sursis à
exécution des décisions contestées. Cela est d’autant plus vrai que dans l’affaire
BICEC du 26 novembre 19971365, le juge a refusé le sursis au motif que l’acte
contesté du Procureur de la République « est intervenu dans l’optique de préserver
l’ordre public et la paix sociale.

Ce que l’on peut regretter dans cette prise de position du juge sur la question
relative à l’ordre public, c’est le laconisme de la motivation de ses décisions, alors
qu’il s’agit d’une question importante mettant en jeu les libertés individuelles et
publiques. Pourtant, comme l’écrit J-M. Février, la motivation des décisions
juridictionnelles revêt une dimension « pédagogique » et évite que « le silence

1363
Ordonnance n° 33/OSE/PCA/CS/95-96 du 30 janvier 1996, affaire Société Mondiana SARL contre Etat du
Cameroun.
1364
Ordonnance n° 05/OSE/PCA/CS/97-98 du 13 octobre 1997, affaire Mesdemoiselles Carle Julia et
Tchangongom Tcheumaka contre Etat du Cameroun.
1365
Ordonnance n°15/PCA/CS/97-98 du 26 novembre 1997, affaire BICEC contre Etat du Cameroun.

315
génère le doute ». Pour cet auteur, en effet, la transparence du raisonnement
juridictionnel « doit permettre la confiance en ceux qui rendent la justice, tout comme
la lisibilité de la règle constitue par elle-même une garantie pour les justiciables »1366.

Ce laconisme, voire cette quasi absence de motivation des décisions du juge,


en particulier en matière de sursis, est récurrent. Il en est ainsi même lorsqu’il
procède à une détermination lâche de l’exigence relative à l’exclusion des décisions
intéressant l’ordre public.

B. UNE DETERMINATION LACHE DE L’EXIGENCE RELATIVE A


L’EXCLUSION DES DECISIONS INTERESSANT L’ORDRE PUBLIC

A force de vouloir s’assurer que les demandes de sursis à exécution des


décisions administratives ne portent pas sur des décisions intéressant l’ordre public,
le juge a fini par s’en mêler les pédales au point de dénaturer la lettre et l’ esprit de
la loi. Ainsi, lorsque la détermination par lui de cette exigence n’est pas confuse, elle
est imprécise.

1. La détermination confuse de l’exigence de l’exclusion des décisions

intéressant l’ordre public

Il se dégage d’ une lecture attentive des ordonnances rendues en matière de


sursis que le juge détermine souvent de façon confuse l’exigence relative à l’ordre
public. Dans une ordonnance rendue le 30 janvier 19921367, il rejette une demande
« comme mal fondée puisque » la décision contestée « n’intéresse ni l’ordre public,
ni la sécurité ou la tranquillité publiques ». Autrement dit, si cette décision intéressait
l’ordre public, la demande serait fondée.

Cette prise de position est contraire à la lettre de la loi, puisque celle-ci interdit
justement le sursis à exécution des décisions intéressant l’ordre public. Ainsi, en
rejetant une demande au motif que la décision attaquée ne concerne pas l’ordre
public, le juge dénature la loi. Qui plus est, il introduit une condition totalement
incompréhensible et aberrante, car son application impliquerait le rejet de la majorité

1366
J-M. Février, Recherche sur le contentieux administratif du sursis à exécution, op. cit., p. 313.
1367
Ordonnance n° 06/OSE/PCA/CS/90-91 du 30 janvier 1991, affaire More Mbonguè Guillaume contre Etat du
Cameroun.

316
des demandes en matière de sursis. Il y a donc lieu d’espérer qu’il s’est agi dans
cette ordonnance d’un problème de rédaction.

De même qu’on peut espérer qu’il s’est agi d’un problème de rédaction dans
l’ordonnance qu’il a rendue dans l’affaire Kamdoum Zachée du 7 juillet 19921368
lorsqu’il prend en compte non pas l’objet de l’acte contesté mais son lieu
d’application pour affirmer que l’ordre public n’est pas concerné. Dans cette affaire,
en effet, le juge déclare, en reprenant les réquisitions du Ministère Public, que
« l’arrêté incriminé est de nature à occasionner un préjudice inestimable au requérant
qui devra supporter le financement de son stage à l’étranger où la tranquillité
publique ne sont pas concernées (sic !) ». Quel que soit l’angle sous lequel on prend
cette affirmation, elle est incompréhensible quant à la référence faite à la tranquillité
publique.

Dans d’autres ordonnances, assez nombreuses, le juge confond l’objet ou la


matière sur laquelle porte l’acte incriminé et son application ou son exécution. Ce qui
est, non seulement contraire à la lettre et à l’esprit de la loi, mais également
juridiquement incorrect. Dans certaines ordonnances, on peut lire ceci : « …
l’exécution du commandement et de la contrainte concernés n’intéresse ni l’ordre
public, ni la sécurité ou la tranquillité publique »1369 ; dans d’autres, il est écrit : « …
l’exécution de ladite lettre-circulaire… »,1370 ou : « l’exécution de cette
décision… »1371 ou encore : « … son exécution… »1372, ou même : « … l’exécution
de la décision… »1373, ou alors : « … l’exécution de la décision attaquée1374,

1368
Ordonnance n° 18/91/92/OSE/PCA/CS du 7 juillet 1992, affaire Kamdoum Zachée contre Etat du Cameroun.
1369
Ordonnance n° 20/OSE/PCA/CS/93-94 du 10 mai 1994, affaire société Sintrabois contre Etat du Cameroun ; ordonnance
n° 21/OSE/PCA/CS/93-94 du 10 mai 1994, affaire Etablissement EFECK contre Etat du Cameroun.
1370
Ordonnance n° 25/OSE/PCA/CS/93-94 du 27 juin 1994, affaire Société Média Plus contre Etat du
Cameroun.
1371
Ordonnance n° 17/OSE/PCA/CS/93-94 du 21 avril 1994, affaire Khouri Miguel ; ordonnance
n°23/OSE/PCA/CS/93-94 du 02 juin 1994, affaire Kamto Maurice contre Etat du Cameroun ; ordonnance
n°09/OSE/PCA/CS/98-99 du 09 décembre 1998, affaire Ouafo contre Etat du Cameroun ; ordonnance
n°19/OSE/PCA/CS/98-99 du 23 mars 1999, affaire Wabo Rigobert contre Etat du Cameroun ; ordonnance
n°41/OSE/PCA/CS/00-01 du 10 avril 2001, affaire Société forestière Petra contre Etat du Cameroun.
1372
Ordonnance n° 48/OSE/PCA/CS/98-99 du 27 mai 1999, affaire Etoga Longui contre Etat du Cameroun et
ordonnance n° 13/OSE/PCA/CS/00-01 du 07 décembre 2000, affaire Mlle Mama Biloa Sandrine contre
Université de Ngaoundéré.
1373
Ordonnance n° 59/OSE/PCA/CS/97-98 du 18 juin 1998, affaire Société SOCADIC contre Etat du
Cameroun.
1374
Ordonnance n° 35/OSE/PCA/CS/97-98 du 12 février 1998, affaire Nacho Comprehensive High School
Bamenda contre Etat du Cameroun ; ordonnance n° 68/OSE/PCA/CS/97-98 du 31 août 1998, affaire
Ntchamandé Augustin contre Etat du Cameroun ; ordonnance n° 74/OSE/PCA/CS/97-98 du 07 septembre 1998,
affaire Ntonè Félicien contre Etat du Cameroun.

317
litigieuse1375 ou querellée1376 ne concerne ni l’ordre public… » . Dans d’autres, enfin,
on peut lire ceci : « … l’exécution de l’arrêté querellé »1377, ou : « de cet arrêté »1378
ou : « de ce décret »1379, ne concerne ni l’ordre public, ni la sécurité ou la tranquillité
publiques.

De telles formules sont en contradiction avec la loi. En effet, l’exécution d’un


acte consiste à lui faire produire ses effets de droit ; il s’agit d’une opération
extérieure à l’acte, qui n’a rien à voir avec son objet ou la matière sur laquelle il
porte ; cette matière étant un élément de fond de l’acte. Certes, l’exécution d’un acte
peut concerner ou ne pas concerner l’ordre public ; autrement dit, on peut faire
produire à un acte ses effets juridiques, lesquels sont susceptibles de concerner
l’ordre public ; mais, il s’agit- là d’une hypothèse qui n’a rien à voir avec celle
énoncée par législateur. En effet, procédant à la détermination des conditions
d’octroi du sursis à exécution d’une décision administrative, ce dernier affirme
clairement ceci : « (…), si l’exécution est de nature à causer un préjudice irréparable
et que la décision attaquée n’intéresse ni l’ordre public, ni la sécurité ou la tranquillité
publiques (…) »1380. Le législateur vise donc, non pas l’exécution de la décision mais
son objet, sa matière.

En définitive, la détermination de l’exigence de l’exclusion des décisions


intéressant l’ordre public par le juge en matière de sursis est confuse car elle
s’attache non pas à ce sur quoi porte la décision administrative, mais plutôt à ses
effets juridiques, voire pratiques. Ce faisant, le juge formule implicitement, sans peut-
être s’en rendre compte, une autre condition d’octroi du sursis. Il en est de même
lorsqu’il détermine cette exigence législative en disant que la demande de sursis ne
concernant ni l’ordre public, ni la sécurité ou la tranquillité publique. Il en est ainsi
dans l’affaire famille Nzeuback de Badoumla du 30 Septembre 19921381 où il déclare

1375
Ordonnance n° 03/OSE/PCA/CS/98-99 du 09 octobre 1998, affaire société SOGETHORE contre Etat du
Cameroun.
1376
Ordonnance n° 10/OSE/PCA/CS/98-99 du 08 mars 1999, affaire Mendendana Dzenguene Joseph contre Etat
du Cameroun.
1377
Ordonnance n° 60/OSE/PCA/CS/97-98 du 30 juin 1998, affaire Djike Bernard contre Etat du Cameroun.
1378
Ordonnance n° 40/OSE/PCA/CS/00-01 du 06 avril 2001, affaire Mbida Evondo Martin contre Etat du
Cameroun.
1379
Ordonnance n° 07/OSE/PCA/CS/98-99 du 08 décembre 1998, affaire Honorable Joseph Mbah-Ndam contre
Etat du Cameroun.
1380
Article 16 alinéa 2 loi n° 75/17 du 08 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour Suprême statant en
matière administrative.
1381
Ordonnance n° 31/CS/ PCA/91-92 du 30 septembre 1992, affaire familles Nzeuback de Badoumla contre
Etat du Cameroun.

318
en substance : « Attendu que monsieur le Procureur Général pour sa part est
favorable à cette demande puisque introduite conforment aux dispositions de l’article
16 de la loi n° 75/17 du 08 décembre 1975 (…) et ne concerne ni l’ordre public, ni la
sécurité ou la tranquillité publique ». Il le dit également dans l’affaire Lozenou Nana
Jean-Paul du 11 mars 19991382 en ces termes : « Attendu que cette demande de
suspension n’intéresse ni l’ordre public ni la sécurité ou la tranquillité publiques ». Or,
d’après la loi, ce n’est pas la demande qui ne doit pas intéresser l’ordre public, mais
bien la décision litigieuse dont le sursis à exécution est sollicité. Enfin, il détermine
de façon confuse cette exigence légale dans l’affaire Dame veuve Pente née Djabou
Marie1383. En effet, il l’examine avant une condition de recevabilité externe, alors qu’il
devait le faire après, puisqu’elle est une condition de fond. Encore qu’il ne devait
même pas le faire dans la mesure où la condition de recevabilité n’était pas remplie,
le requérant s’étant trompé sur l’autorité auprès de laquelle il devait adresser son
recours gracieux préalable. Ainsi, après avoir affirmé «( …) que ni l’ordre public, ni la
sécurité ou la tranquillité publiques ne sont concernés »,il déclare : « Mais attendu
qu’il appert du dossier que le recours gracieux préalable a été adressé à une autorité
inhabile (…) ; attendu que le recours contentieux étant irrecevable, le sursis y greffé
ne peut qu’être rejeté ». Dans cette affaire, l’appréciation du juge est non seulement
confuse, mais également imprécise. Il en est ainsi dans bon nombre d’ordonnances
de sursis.

2. La détermination imprécise de l’exigence de l’exclusion des décisions

intéressant l’ordre public

Dans un nombre considérable d’ordonnances de sursis, le juge affirme,


généralement, après avoir déclaré la demande recevable en la forme, «(…) que ni
l’ordre public, ni la sécurité ou la tranquillité publiques ne sont concernés »1384, pour

1382
Ordonnance n° 17/OSE/PCA/CS/98-99 du 11 mars 1999, affaire Lozanou Nana Jean-Paul contre Etat du
Cameroun.
1383
Ordonnance n° 05/OSE/PCA/CS/99-00 du 14 septembre 2000, affaire dame veuve Pente née Djabou Marie
contre Etat du Cameroun.
1384
Ordonnance n° 07/OSE/PCA/CS/97-98 du 29 octobre 1998, affaire Société Professionnelle Muna et Muna
contre Etat du Cameroun ; ordonnance n° 14/OSE/PCA/CS/97-98 du 26 novembre 1997, affaire Bikoko Jean
Marc contre Etat du Cameroun ; ordonnance n° 33/OSE/PCA/CS/97-98 du 04 février 1998, affaire Ordre
National des Avocats (Bafoussam) contre Etat du Cameroun ; ordonnance n° 14/OSE/PCA/CS/98-99 du 10 mars
1999, affaire Kaptué Tobou Germain contre Etat du Cameroun ; ordonnance n° 51/OSE/PCA/CS/98-99 du 9
juin 1999, affaire Bisso Augustin contre Etat du Cameroun ; ordonnance n° 08/OSE/PCA/CS/99-00 du 02
février 2000, affaire Mosima Frizt contre Etat du Cameroun ; ordonnance n° 01/OSE/PCA/CS/00-01 du 13

319
indiquer que le contentieux ne porte pas sur une mesure intéressant l’ordre public.
La formule est laconique et pèche par son imprécision. En effet, affirmer que l’ordre
public n’est pas concerné, sans autre précision, peut avoir plusieurs significations ou
interprétations. D’abord, cela peut signifier que l’ordre public n’est pas concerné par
la demande qui a été déclarée recevable ; une telle interprétation n’est pas à rejeter
dans la mesure où le juge lui-même a eu à le dire. Mais, elle n’est pas conforme à
l’alinéa 2 de l’article 16 de la loi n° 75/17. Ensu ite, cela peut signifier que l’ordre
public n’est pas concerné par l’exécution de l’acte contesté ; cette interprétation est
aussi plausible puisque le juge lui-même l’a consacrée dans de nombreuses
ordonnances. Mais, il s’agit également d’une lecture qui n’est pas en phase avec
alinéa 2 de l’article 16 de la loi n° 75/17. Enfin , cela peut signifier que l’ordre public
n’est pas concerné par la décision attaquée au regard de son objet ou de la matière
sur laquelle elle porte. Une telle interprétation est, non seulement plausible, mais
exacte car conforme à la lettre et à l’esprit de l’article 16.2 de la loi n° 75/17.

Il résulte de ce qui précède que la formule stéréotypée utilisée par le juge


manque de clarté et de précision. La recherche de la concision ne doit pas l’amener
à perdre de vue le fait que ses décisions doivent aussi être compréhensibles et
intelligibles. Il y va de la transparence de son raisonnement qui « doit permettre la
confiance en ceux qui rendent la justice »1385, et de la lisibilité de ses décisions qui
« constitue par elle-même une garantie pour les justiciables »1386. Il devrait donc dire
clairement que la décision attaquée concerne ou ne concerne ni l’ordre public ni la
sécurité ou la tranquillité publique et motiver suffisamment ses décisions pour
qu’elles soient moins répétitives et stéréotypées. Ceci est valable pour la
détermination de la condition relative à l’avis conforme du Ministère Public qui est un
véritable anachronisme juridique.

PARAGRAPHE III : L’AVIS CONFORME DU MINISTERE PUBLIC

Le Ministère Public est représenté au niveau de la juridiction administrative


(Chambre administrative et Assemblée plénière de la Cour suprême) par le

octobre 2001, affaire Compagnie des Scieries Africaines (SCAF) contre Etat du Cameroun ; ordonnance
n°20/OSE/PCA/CS/00-01 du 26 février 2001, affaire Edzimbi Paul contre Etat du Cameroun ; ordonnance
n°25/OSE/PCA/CS/00-01 du 07 mars 2001, affaire Ignace Foyet contre Etat du Cameroun et ordonnance
n°42/OSE/PCA/CS/00-01 du 10 avril 2001, affaire Société Arno contre Etat du Cameroun.
1385
J-M. Février, op. cit., p. 313.
1386
Ibid.

320
Procureur général ou l’Avocat général près la Cour Suprême ou un substitut du
Procureur Général près ladite Cour1387.

Théoriquement, le Ministère Public est le représentant de la société auprès


des tribunaux ; « sa mission est de faire entendre, face aux plaidoiries contradictoires
des parties adverses, une voix impartiale et désintéressée, même lorsqu’il soutient
l’accusation »1388. A ce titre, il doit veiller au respect de la loi. Sur le plan juridique, il
relève administrativement de la seule autorité du Ministre de la Justice1389 à qui il est
hiérarchiquement subordonné. Pour cette raison, le Ministre de la Justice « peut
orienter les réquisitions du Ministère Public dans le sens de la stricte application de la
loi »1390, ou dans le sens de la préservation des intérêts de l’Etat ou de ceux de la
société.

Dans le cadre de la procédure de sursis, la loi prévoit que le Président de la


Chambre Administrative peut suspendre l’exécution d’une décision contestée après
« avis conforme du Ministère Public »1391. C’est une exigence qui accentue « la
complication d’une procédure déjà suffisamment alourdie et rendue pratiquement
inopérante par diverses autres conditions tant de forme que de fond »1392.

Juridiquement, l’exigence d’un avis conforme implique « que le titulaire du


pouvoir normateur, l’auteur, soit obligatoirement tenu de susciter la manifestation de
la volonté de l’organe consultatif et qu’il soit obligé de suivre cette dernière. C’est-à-
dire de la reproduire purement et simplement »1393 . Ceci revient à dire que, non
seulement le Président de la Chambre administrative doit recueillir l’avis du Ministère
Public, mais qu’il doit aussi le suivre. Autrement dit, le refus ou l’octroi du sursis par
le juge administratif dépend de l’avis du Ministère public. Le Président de la Chambre
administrative est donc amputé d’un élément essentiel de son pouvoir de décision. Il
ne prend plus lui-même la décision d’ordonner le sursis ou de rejeter la demande de
sursis puisqu’il n’a pas de pouvoir d’appréciation. Cette décision « ne peut être émise
que du consentement exprès du donneur d’avis »1394 qui est le Ministère Public.

1387
Article 11 alinéa 1 et 2 de l’ordonnance n° 72/06 du 26 août 1972 fixant l’organisation de la Cour Suprême.
1388
Extrait du propos liminaire du Ministre de la Justice, Garde des sceaux au cours d’une conférence de presse
donnée vendredi le 10 décembre1999. Voir Cameroun Tribune n° 6995/3 285 du 13 décembre 1999, p. 10.
1389
Article 3 du décret n° 95/048 du 08 mars 1995 portant Statut de la Magistrature.
1390
Extraits du propos liminaire du Ministre de la Justice, op. cit., p. 10.
1391
Article 16 alinéa 2 de la loi n° 75/17.
1392
M. Kamto, Observations sur l’affaire « Le Messager », op. cit., p. 176.
1393
R. Hostiou, Procédure et formes de l’acte administratif en droit français, Thèse, paris, LGDJ, 1975, p. 28.
1394
Ibid.

321
Comme l’a écrit E. Laferrière, les avis conformes ou avis impératifs « constituent une
collaboration effective à la décision, celle-ci ne peut pas être prise sans le concours
de deux autorités, celle qui fait l’acte et celle qui lui donne autorité, celle qui fait l’acte
et celle qui lui donne son assentiment sous forme d’avis »1395.

Ainsi, l’avis conforme du Ministère Public n’est pas une formalité de procédure
contentieuse qui viserait simplement à éclairer le juge administratif sur l’exercice de
sa compétence en matière de sursis ; il « se traduit par un véritable partage de cette
compétence »1396 avec le Ministère Public. Tout comme il« n’est pas du domaine de
la procédure consultative, il relève de celui de la capacité normative de l’auteur »1397.
On a donc affaire à un « co-consentement »1398 . Comme l’écrit P- F. Benoit, « on
sort ici en réalité du domaine consultatif pour entrer dans un véritable système de
compétence co-partagée »1399.

Il résulte de ce qui précède qu’en matière de sursis, le juge administratif « ne


peut décider que conformément à l’avis »1400 du Ministère Public, le législateur ayant
décidé de l’associer étroitement à l’exercice de son pouvoir de décision.

Comment le juge administratif appréhende-t-il cette entrave légale à sa liberté


de juger ? Il se dégage de la jurisprudence qu’il a, sur cette question, une position
ambivalente. En effet, si dans certains cas il reconnaît qu’il a l’obligation de se
conformer à l’avis émis par le Ministère Public (A), dans d’autres cas, il relativise
cette obligation (B).

A. LA RECONNAISSANCE DE L’OBLIGATION DE STATUER


CONFORMEMENT A L’AVIS EMIS PAR LE MINISTERE PUBLIC

Tenu par la loi de se prononcer sur le sursis sollicité après l’avis conforme du
Ministère Public, le juge administratif est souvent amené à reconnaître explicitement
cette obligation qui lui incombe. Bien qu’il existe des cas où il suit l’avis du Ministère

1395
E. Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, préface de R. DRAGO, T. 2,
Paris, LGDJ, 1989, p. 503.
1396
R. Hostiou, op. cit., p. 32.
1397
Ibid.
1398
G. Dupuis, J. Moreau, Cours de droit administratif, 2ème année, Rennes, 1969-1970, cité par R. Hostiou, ibid.
1399
P- F. Benoît, Le droit administratif français, op. cit., n° 193, p. 127. Le juge administratif camerounais parle
de « co-décision ». V. jugement n° 50/CS/CA du 7 avril 1983, Akoa Dominique contre Université de Yaoundé.
1400
R. Chapus, Droit administratif général, T 1, 13ème Ed., Paris, Montchrestien, 1999, p. 1070.

322
Public sans l’énoncer formellement dans les visas de l’ordonnance1401 ou sans en
donner la substance1402, le juge formule cette obligation avant de l’appliquer, ou
l’applique sans la formuler explicitement.

1. La formulation de l’obligation de statuer conformément à l’avis du

Ministère public

Il se dégage de la jurisprudence que le juge formule de deux manières


l’obligation qui lui est faite de statuer conformément à l’avis du Ministère public. Il le
fait soit directement, soit de façon détournée.

a. La formulation directe de l’obligation de statuer conformément à


l’avis du Ministère Public

Dans l’affaire Tchaleu Wouako Gabriel du 1er décembre 19961403, le juge


énonce que « s’il appartient au juge de l’excès de pouvoir de suspendre
provisoirement l’exécution de certaines décisions administratives susceptibles de
causer un préjudice irréparable par application de l’article 16 (2) de la loi n° 75/17 du
8 décembre 1975, c’est, précise ce texte, à condition de se conformer à l’avis du
Ministère Public »; il rejette donc le recours au fond comme l’a requis le Ministère
Public. De même, dans l’affaire Dame Ekoumou Enyengue Dorothée du 16 octobre
19971404, en évoquant les réquisitions du Ministère Public relativement à la demande

1401
Nous avons recensé au moins deux ordonnances dans lesquelles le juge n’évoque ni formellement ni
substantiellement l’avis du Ministère Public : v. ordonnance n°17/OSE/PCA/CS/93-94 du 14 avril 1994, affaire
Khoury Miguel contre Etat du Cameroun et ordonnance n° 26/OSE/PCA/CS/93-94 du 28 juin 1994, affaire Otto
Bidjoka et La FIB contre Etat du Cameroun.
1402
Dans de nombreuses ordonnances, le juge énonce l’avis dans les visas mais n’en donne pas la substance dans
la partie consacrée à la motivation : v., par ex., ordonnance n° 06/OSE/PCA/CS/88-89 du 04 avril 1989, affaire
Kamdem Lazare contre Etat du Cameroun ; ordonnance n° 07/OSE/PCA/CS/88-89 du 15 septembre 1989,
affaire Pamansie Josué contre Etat du Cameroun ; ordonnance n° 22/OSE/PCA/CS/93-94 du 30 mai 1994,
affaire Bouba Bello Maïgari contre Etat du Cameroun ; ordonnance n° 23/OSE/PCA/CS/93-94 du 02 juin 1994,
affaire Kamto Maurice contre Etat du Cameroun ; ordonnance n° 05/OSE/PCA/CS/97-98 du 13 octobre 1997,
affaire Mesdemoiselles Carle Julia et Tchangongom Tchumaka contre Etat du Cameroun ; ordonnance n°
33/OSE/PCA/CS/97-98 du 04 février 1998, affaire Ordre National des Avocats contre Etat du Cameroun ;
ordonnance n° 10/OSE/PCA/CS/98-99 du 08 mars 1999, affaire Mendendana Dzenguene Joseph contre Etat du
Cameroun ; ordonnance n° 01/OSE/PCA/CS/00-01 du 3 octobre 2000, affaire Compagnie des Scieries
Africaines contre Etat du Cameroun ; ordonnance n° 40/OSE/PCA/CS/00-01 du 06 avril 2001, affaire Mbida
Evondo Martin contre Etat du Cameroun.
1403
Ordonnance n° 06/OSE/PCA/CS/86-87 du 1er décembre 1986, affaire Tchaleu Wouako Gabriel contre Etat
du Cameroun.
1404
Ordonnance n° 0287-88/PCA/CS du 16 octobre 1987, affaire Dame Ekoumou Enyegue Dorothée contre Etat
du Cameroun.

323
de suspension de l’exécution d’un titre foncier formulée par la requérante , il déclare :
« (…) ainsi que le Ministère Public l’a si bien relevé dans ses réquisitions (…),
réquisitions aux quelles le juge administratif ne peut, de toute manière, que se
conformer, le sursis à exécution (…) a le caractère d’une procédure accessoire en ce
sens que la demande ne peut pas ne pas accompagner un recours principal,
effectivement exercé en vue de l’annulation de la décision en cause ». En l’espèce,
la requérante avait présenté isolement le recours aux fins de sursis. Dans l’affaire
société Ngankeu et Compagnie du 21 mars 19981405, il formule également de façon
directe l’obligation qui lui incombe de statuer conformément à l’avis du Ministère
Public. Il le dit en ces termes : « Attendu que dans ses conclusions du 07 mars 1988,
auxquelles le Président de la Chambre Administrative ne peut que se conformer, le
Procureur Général près la Cour Suprême déclare ne pas s’opposer au sursis à
exécution sollicité par la société NGankeu et Cie ». Aussi, conclut-il qu’ « (…) il
échet, dès lors, de faire droit à la requête à fin de sursis à exécution que cette
société a formée ». En l’espèce, le juge a non seulement suivi, mais a reproduit
purement et simplement l’avis du Ministère Public. Enfin, dans l’affaire Eboule
1406
Ndoumbe Maurice du 04 février 1992 , il va plus loin. Il ne parle plus de
réquisitions du Ministère public auxquelles il ne peut que se conformer. Il affirme,
plutot, que, « par application de l’article 16 alinéa 2 de la loi n° 75/77 8 décembre
1975 (…), le juge administratif doit rendre une ordonnance conforme à l’avis du
Ministère Public ».

Il arrive aussi que le juge formule plutôt de façon détournée l’obligation pour
lui de statuer conformément à l’avis du Ministère Public.

b. La formulation détournée de l’obligation de statuer conformément à


l’avis du Ministère public

Deux affaires sont illustratives à cet égard. Il s’agit, d’abord, de l’affaire


Chedjou Gabriel du 04 juillet 19911407, ensuite, de l’affaire Ndengue Thomas Byll du
1er novembre 19911408.

1405
Ordonnance n° 06/OSE/PCA/CS/87-88 du 21 mars 1988, affaire Société Ngankeu et Cie contre Etat du Cameroun.
1406
Ordonnance n° 04/OSE/PCA/CS/91-92 du 04 février 1992, affaire Eboule Ndoumbe Maurice contre Etat du
Cameroun.
1407
Ordonnance n° 14/OSE/PCA/CS/90-91 du 04 juillet 1991, affaire Chedjou Gabriel contre Etat du Cameroun.
1408
Ordonnance n° 01/OSE/PCA/CS/91-92 du 1er novembre 1991, affaire N’dengue Thomas Byll contre Etat du
Cameroun.

324
Dans ces deux affaires, le Ministère Public avait requis la suspension de
l’exécution des décisions contestées. Dans la première , il estimait que la rectification
d’un titre foncier doit s’effectuer dans des conditions particulières prévues par la loi.
Dans la seconde , il soutenait que l’exécution de l’imposition contestée est de nature
à causer un préjudice irréparable au requérant. Après avoir admis la pertinence de
l’argumentation du Ministère Public dans ces affaires, le juge déclare : « (…) encore
que le juge administratif ne peut rendre qu’une ordonnance conforme à l’avis du
Ministère Public, en application de l’article 16 alinéa 2 de la loi n° 75/17 du 08
décembre 1975 (…) ». En fait, il s’est rendu compte qu’en appréciant l’avis du
Ministère public, il se démarquait de la loi. On comprend alors pourquoi il poursuit
son argumentation en reconnaissant qu’il ne peut que suivre cet avis comme l’y
oblige la loi.

Le juge ne formule pas dans tous les cas l’obligation légale qui lui est faite de
statuer conformément à l’avis du Ministère Public, il arrive qu’il l’applique
directement.

2. L’application de l’obligation de statuer conformément à l’avis du


Ministère Public

Dans certaines espèces, l’avis conforme du Ministère Public porte sur la


recevabilité de la demande de sursis ; tandis que dans d’autres, il concerne le fond
de l’affaire. Dans l’un ou l’autre cas , le juge tranche dans le sens indiqué par le
Ministère Public, même s’il ne le dit pas toujours explicitement.

a. Le respect de l’avis émis par le Ministère Public sur la recevabilité


de la demande de sursis

La demande de sursis n’est examinée au fond que si elle a rempli les


conditions de recevabilité exigées par les textes ou la jurisprudence. En général,
lorsque le Ministère public estime que la demande est irrecevable, il ne prend pas
position sur le fond.

Dans certains cas, l’avis du Ministère Public n’est pas énoncé de façon
détaillée au point où on puisse savoir s’il porte sur la forme ou sur le fond de la
demande. C’est à la lecture de la motivation de l’ordonnance qu’on s’en fait une idée.

325
Ainsi, dans l’affaire Beyissa Adolphe du 26 mars 19801409, il est indiqué dans le visa
de l’ordonnance que le Ministère Public a requis le rejet de la demande de sursis à
exécution de la décision contestée ; Mais, c’est à la lecture de la motivation de
l’ordonnance qu’on comprend pourquoi. En l’espèce, le requérant n’avait pas formé
au préalable un recours gracieux contre la décision litigieuse avant d’introduire son
recours contentieux. Il en est de même dans l’affaire Mveng Mbarga Constantin du
26 mars 19801410. En effet, c’est dans le visa de l’ordonnance rendue dans cette
affaire que l’avis du Ministère Public tendant au rejet de la demande du requérant qui
sollicitait le sursis à exécution d’un ordre de recettes est indiqué sans autre précision.
C’est à la lecture de la motivation de l’ordonnance qu’on se rend compte que cet avis
défavorable est par le fait que le requérant n’a pas introduit un recours en annulation
de l’ordre de recettes contesté et qu’il n’est fait aucune allusion à cet ordre de
recettes dans la requête introductive d’instance. Conformément aux avis émis par le
Ministère Public, le juge a déclaré les recours irrecevables dans ces deux espèces.
Dans d’autres cas, par contre, l’avis du Ministère Public sur la recevabilité du recours
est clairement déterminé et le juge s’y conforme après l’avoir au préalable explicité.
Ainsi, dans l’affaire Société SIAB du 24 janvier 19871411, le Ministère Public avait
requis le rejet de la requête au motif qu’à la demande initiale de sursis n’était pas
jointe la décision ministérielle dont la suspension de l’exécution était sollicitée ;
suivant cet avis, le juge de l’espèce, a explicité les motifs de rejet en indiquant que la
société requérante n’était pas en mesure de produire pareille décision puisqu’elle
n’avait pas suivi la procédure lui permettant de l’obtenir. Elle était donc irrecevable à
solliciter le sursis à l’exécution d’une décision dont l’existence même se révélait
incertaine. De même, dans l’affaire La succession Tsiazock du 08 février 19941412, le
Ministère Public avait requis le rejet de la requête au motif que le juge administratif
« ne peut surseoir qu’à l’exécution d’un acte administratif », le requérant ayant
sollicité un sursis à statuer sur une cause pendante devant une juridiction de l’ordre
judiciaire ; se conformant à cet avis , le juge a précisé que le Président de la
Chambre Administrative ne peut « ordonner ce genre de sursis sans outrepasser ses

1409
Ordonnance n° 04/OSE/PCA/CS/79-80 du 26 mars 1980, affaire Beyissa Adolphe contre Etat du Cameroun.
1410
Ordonnance n° 05/OSE/PCA/CS/79-80 du 26 mars 1980, affaire Mveng Mbarga Constantin contre Etat du
Cameroun.
1411
Ordonnance n° 10/OSE/PCA/CS/86-87 du 24 janvier 1987, affaire société SIAB contre Etat du Cameroun.
1412
Ordonnance n° 09/OSE/PCA/CS/93-94 du 08 février 1994, affaire La Succession Tsiazock contre Etat du Cameroun.

326
pouvoirs » et que seule la juridiction saisie d’un litige peut ordonner un sursis à
statuer s’il le juge opportun après appréciation de la cause.

Le juge adopte la même démarche pour se conformer à l’avis du Ministère


Public dans l’examen de la demande de sursis au fond.

b. Le respect de l’avis émis par le Ministère Public sur le fond de la


demande de sursis

Dans certaines affaires, l’avis du Ministère Public est très laconiquement


indiqué dans les visas de l’ordonnance ; aussi, pour savoir si le juge s’y est
conformé, il faut se référer à la motivation de l’ordonnance. Il en est ainsi dans
l’affaire société « Assureurs Conseils Franco - Africains » du 08 février 19801413
relative au retrait d’agrément d’un courtier d’assurance, dans l’affaire Onguene
Obama Jean du 10 mars 19801414 relative à la fermeture d’un établissement
scolaire, dans les affaires Nguepi Joseph du 24 mars 19801415 et Sundjio Justin du
15 avril 19801416 relatives aux impositions , dans les affaires Socrate Clonaris du 8
juin 19801417 et Matcham Albert du 16 Août 19801418 relatives l’émission d’ ordres de
recettes et dans l’affaire Oba-Mvele Jean Samuel du 22 juillet 19801419 relative à la
mise en débet.

Dans l’affaire société « Assureurs Conseils Franco-Africains » du 8 février


1980, le Ministère Public avait requis le sursis à l’exécution de la décision retirant
l’agrément de la société requérante. Le juge s’est conformé à cet avis en précisant
que le retrait de l’agrément semblait uniquement fondé sur la crainte que cette
société ne soit plus compétitive que d’autres organismes de courtages d’assurances
privilégiés par l’Administration de façon plus ou moins tacite, et que la décision
querellée paraissait insuffisamment motivée. Dans l’affaire Onguene Obama Jean du
10 mars 1980, le Ministère Public avait plutôt requis le rejet de la demande de sursis
à l’exécution de la décision portant fermeture de l’établissement scolaire du

1413
Ordonnance n° 02/OSE/PCA/CS/79-80 du 08 février 1980, affaire « Assureurs Conseils Franco Africains »
contre Etat du Cameroun.
1414
Ordonnance n° 3 bis/OSE/PCA/CS/79-80 du 10 mars 1980, affaire Onguene Obama Jean contre Etat du Cameroun.
1415
Ordonnance n° 03/OSE/PCA/CS/79-80 du 24 mars 1980, affaire Nguepi Joseph contre Etat du Cameroun.
1416
Ordonnance n° 06/OSE/PCA/CS/79-80 du 21 mars 1980, affaire société Ngankeu et Cie contre Etat du Cameroun.
1417
Ordonnance n° 07/OSE/PCA/CS/79-80 du 05 juin 1980, affaire Socrate Clonaris contre Etat du Cameroun.
1418
Ordonnance n° 09/OSE/PCA/CS/79-80 du 16 août 1980, affaire Natcham Albert contre Etat du Cameroun.
1419
Ordonnance n° 08/OSE/PCA/CS/79-80 du 22 juillet 1980, affaire Oba Mvele Jean Samuel contre Etat du Cameroun.

327
requérant ; se conformant à cet avis, le juge a indiqué que le requérant, condamné à
une peine d’emprisonnement ferme pour émission de chèque sans provision voit sa
considération entachée et sa moralité remise en cause , qu’il tombe alors sous le
coup de la loi qui lui interdit d’exercer certaines activités (en l’espèce la gestion d’un
établissement scolaire). Dans les affaires Nguepi Joseph du 24 mars 1980 et Sundjio
Justin du 15 avril 1980, le Ministère Public avait requis le sursis à l’exécution des
impositions contestées par les requérants. Suivant cet avis, le juge a estimé que ces
impositions ne concernent pas l’ordre public, que le silence de l’Etat dans l’affaire
Nguepi Joseph constitue la preuve du bien - fondé des prétentions du requérant ,
que le fait pour l’administration de reconnaître dans l’affaire Sundjio que le requérant
avait déjà payé les 20 % des impôts contestés est une reconnaissance implicite
mais nécessaire que le requérant réunissait les conditions légales pour bénéficier du
sursis à l’exécution de ses impositions. Quant aux affaires Socrate Clonaris du 5 juin
1980 et Matcham Albert du 16 août 1980, le Ministère Public avait requis le rejet des
demandes de sursis à l’exécution des ordres de recettes contestées. Se conformant
à cet avis, le juge a justifié le rejet de la demande du sieur Socrate Clonaris par le fait
que l’intéressé ne rapportait pas la preuve que l’exécution de l’ordre de recettes
contesté était de nature à lui causer un préjudice irréparable. Quant au rejet de la
demande de sieur Matcham Albert, il l’a justifié par le fait que, non seulement
l’intéressé ne contestait pas le bien-fondé de l’ordre de recettes, se contentant
d’indiquer que les retenues mensuelles sur son traitement étaient trop élevées eu
égard à ses charges de famille, mais en plus qu’il était tenu, en vertu de la législation
en vigueur, « de restituer à l’Etat les deniers publics dont il n’a pu justifier
l’utilisation ». Enfin, pour ce qui est de l’affaire Oba Mvele Jean Samuel du 22 juillet
1980, le Ministère avait requis le rejet de la demande de sursis à l’exécution de la
mise en débet du requérant ; se conformant à cet avis, le juge a motivé son
ordonnance en deux points : d’abord, le requérant ne semblait pas contester la
matérialité des faits qui sont à l’origine de sa mise en débet ; ensuite, il se devait, en
vertu de la loi, de restituer à l’Etat les deniers publics dont il n’a pas pu justifier
l’utilisation.

En adoptant une telle approche, le juge se donne une marge de manœuvre


dans la motivation de ses ordonnances. En effet, il fait sienne l’argumentation
développée par le Ministère Public dans ses réquisitions comme pour montrer qu’il

328
est l’auteur réel de la décision. Mais, il reste que celle - ci est conforme à l’avis émis
par le Ministère Public ; un avis impératif qui s’impose à lui car il doit, non
seulement le demander, mais également s’y conformer1420.

Si dans certaines affaires l’avis du Ministère Public est indiqué très


sommairement dans les visas de l’ordonnance de sursis, dans d’autres, par contre, il
est énoncé, certes de façon concise, mais avec précision dans la motivation de
l’ordonnance. Pour l’appliquer, le juge utilise des formules variées. Mais celles-ci
expriment toutes une obligation de faire ou d’agir dans le sens indiqué par le
Ministère Public. Dans l’affaire Zock Ibrahim du 14 avril 19921421, après avoir donné
l’avis du Ministère Public qui est favorable à la demande du requérant en ce que
l’exécution de l’arrêté querellé ordonnant la rectification du titre foncier mettrait en
péril le caractère inattaquable, intangible et définitif du titre foncier et que cet arrêté
n’intéresse ni l’ordre public ni la sécurité ou la tranquillité publiques, il conclut qu’
« (…) il échet dès lors de suspendre l’exécution de l’arrêté incriminé ». Par cette
formule, le juge montre qu’il ne peut que trancher dans le sens indiqué par le
Ministère Public. L’expression « dès lors » est significative à cet égard ; car elle est la
conclusion logique de la motivation de la décision. Dans l’affaire Noumen Ntchao
Justin du 16 mars 19991422, il adopte la même démarche. Bien que sa conclusion soit
formulée différemment, elle traduit aussi l’obligation qui lui est faite de suivre l’avis du
Ministère Public. Ainsi, après avoir indiqué la position du Ministère Public qui fait
valoir que l’exécution de l’ordre de recettes querellé risque d’occasionner pour le
requérant un préjudice difficilement réparable parce que l’intéressé est non
seulement retraité mais démuni, le juge conclut qu’ « (…) il y a lieu de surseoir à son
exécution jusqu’à l’issue de la procédure au fond ». Il s’agit d’une conclusion logique,
conforme à l’avis du Ministère Public, qui démontre, à suffisance, que le juge ne
pouvait décider autrement. De même dans l’affaire Nyam Charles du 25 mars
19941423, il énonce une conclusion qui traduit le fait qu’il ne pouvait agir que dans le
sens indiqué par le Ministère public. En effet, après avoir donné l’avis de ce dernier
pour qui l’exécution de la décision du Ministre de l’Enseignement Supérieur excluant

1420
E. Laferrière, op. cit., p. 503.
1421
Ordonnance n° 11/91-92/OSE/PCA/CS du 14 avril 1992, affaire Zock Ibrahim contre Etat du Cameroun.
Dans le même sens, ordonnance n° 13/OSE/PCA/CS/93-94 du 07 mars 1994, affaire Nanhou Jacques contre Etat
du Cameroun.
1422
Ordonnance n° 15/OSE/PCA/CS/93-94 du 16 mars 1994, affaire Noumem Ntchao contre Etat du Cameroun.
1423
Ordonnance n° 16/OSE/PCA/CS/93-94 du 25 mars 1994, affaire Nyam Charles contre Etat du Cameroun.

329
le requérant des établissements de toutes les institutions universitaires nationales
risque d’occasionner pour l’intéressé un préjudice difficilement réparable au regard
du fait qu’il se trouve dans l’impossibilité de poursuivre ses études et que son avenir
sera ainsi sérieusement hypothéqué, le juge conclut qu’ « (…) il y a lieu de
suspendre l’exécution de la décision litigieuse ». Si dans cette affaire, et dans les
précédentes, le juge administratif se conforme à l’avis du Ministère Public et
reconnaît qu’il est tenu de le suivre puisqu’il s’agit d’une exigence légale, dans
d’autres par contre il a tendance à relativiser cet avis au point même de le remettre
en cause.

B. LA RELATIVISATION DE L’OBLIGATION DE STATUER


CONFORMEMENT A L’AVIS EMIS PAR LE MINISTERE PUBLIC

Il faut peut-être le rappeler, en matière d’avis conforme, l’autorité


théoriquement compétente ne prend plus elle-même une décision, « puisqu’elle n’a
pas de pouvoir d’appréciation »1424 ; elle « reproduit purement et simplement »1425
l’avis émis par l’organe consulté. Rapporté à la matière de sursis, cela signifie que le
juge administratif ne peut apprécier l’avis du Ministère Public, il doit se contenter de
le suivre ou de l’appliquer. Il s’avère, cependant, qu’il n’en est pas toujours ainsi. En
effet, non seulement il arrive que juge apprécie l’avis émis par le Ministère Public
avant de l’appliquer, mais également qu’il le remette en cause en décidant
autrement.

1. L’appréciation de l’avis émis par le Ministère Public avant application

Apprécier une idée, une attitude ou une notion c’est dire ce qu’on en pense au
regard de ses connaissances, de son expérience ou des éléments d’ordre théorique,
pratique, juridique ou extra juridique. Cette appréciation peut être positive ou
négative, favorable ou défavorable, voire nuancée. Une telle appréciation n’est pas,
en principe, admise lorsqu’on a affaire à un avis conforme. Ainsi, le juge administratif
doit se contenter d’appliquer l’avis émis par le Ministère Public sans dire ce qu’il en
pense puisqu’ il s’impose à lui. Tel n’est pourtant pas le cas en pratique, du moins si
on se réfère à certaines ordonnances rendues en matière de sursis. En effet, par des

1424
R. Hostiou, op. cit., p. 31.
1425
Ibid., p. 28.

330
formules diverses et variées, le juge apprécie souvent l’avis conforme du Ministère
Public avant de l’appliquer . Parfois même, il l’apprécie en même temps qu’il
examine les arguments émis par le requérant.

Les formules utilisées sont les suivantes : «Cette argumentation est


pertinente »1426 ; «Ces assertions sont pertinentes »1427 ; « Cette argumentation est
judicieuse »1428 ; « Cet argument est judicieux »1429. Ceci l’amène à conclure , selon
les cas, en ces termes : «(…)il y a lieu par conséquent d’ordonner le rejet de la
requête de sursis à exécution »1430 ; «(…)il y a lieu de rejeter cette demande de
sursis exécution »1431 ; «(…)il échet dès lors de surseoir à l’exécution de cette
décision »1432ou « de ce titre foncier »1433 ; «(…)il échet dès lors de rejeter la
demande de sursis à exécution dont s’agit »1434 ; «(…)il y a lieu pour le juge
administratif d’accorder la suspension de cet arrêté »1435 ; «(…)il y a lieu de rendre
une ordonnance conforme à l’avis du Ministère Public »1436 ; «(…)il y a lieu de rejeter
la demande de sursis à exécution (…) comme mal fondée »1437.

Il arrive aussi que, le juge énonce l’avis du Ministère public, le considère


comme une « argumentation (…) pertinente », avant de conclure « qu’il y a lieu pour
le juge administratif de rendre une ordonnance conforme aux réquisitions du
Ministère Public »1438, ou « qu’il y a lieu par conséquent de rendre une ordonnance

1426
V. par ex., ordonnance n° 09/OSE/PCA/CS/90-91 du 26 février 1991, affaire Kotto Jean Jacques contre Etat
du Cameroun ; ordonnance n° 2391-92/OSE/CS/PCA du 28 septembre 1992, affaire Potouonjou Taponzie
Daniel contre Etat du Cameroun ; ordonnance n° 06/OSE/PCA/CS/92-93 du 22 février 1993, affaire Ngapeth
Jean Claude contre Etat du Cameroun ; ordonnance n° 14/OSE/PCA/CS/93-94 du 07 mars 1994, affaire
Collectivité de Makepé II contre Etat du Cameroun.
1427
Ordonnance n° 15/92/93/ORSE du 15 avril 1993, affaire Boog Maurice et autres contre Etat du Cameroun.
1428
Ordonnance n° 12/OSE/PCA/CS/91-92 du 4 mai 1992, affaire Brasseries du Cameroun (SABC) contre Etat du
Cameroun.
1429
Ordonnance n° 08/OSE/PCA/CS/90-91 du 11 mars 1991, affaire Ebode Jean-Marie contre Etat du
Cameroun.
1430
Ordonnance n°09/OSE/PCA/CS/90-91 du 26 février 1991, affaire Kotto Jean-Jacques contre Etat du Cameroun . Voir
aussi, ordonnance n°06/OSE/CS/PCA/90-91 du 30 janvier 1991, affaire More Nbongue Guillaume contre Etat du Cameroun ;
ordonnance n° 08/OSE/PCA/CS/90-91 du 11 mars 1991, affaire Ebode Jean-Marie contre Etat du Cameroun.
1431
Ordonnance n° 11/9192/CS/PCA du 25 mars 1992, affaire Ebanga François contre Etat du Cameroun, Ordonnance n°
22/91/92/CS/PCA du 23 septembre 1992, affaire Ntchana Zacharie contre Etat du Cameroun ; ordonnance n° 23/91-
92/CS/PCA du 28 septembre 1992, affaire Potounjou Taponzie Daniel contre Etat du Cameroun et ordonnance n°
30/91/92/CS/PCA du 30 septembre 1992, affaire Hôtel Méridien contre Etat du Cameroun.
1432
Ordonnance n°03/OSE/PCA/CS/93-94 du 19 octobre 1993, affaire Moutaka Locko Julienne contre Etat du Cameroun
1433
Ordonnance n° 14/OSE/PCA/CS/93-94 du 07 mars 1994, affaire Collectivité de Maképé II contre Etat du Cameroun.
1434
Ordonnance n° 10/OSE/PCA/CS/93-94 du 16 février 1994, affaire Kenfack Etienne contre Etat du Cameroun.
1435
Ordonnance n° 31/OSE/PCA/CS/91-92 du 30 septembre 1992, affaire familles Nzeubcak de Badoumla contre Etat du
Cameroun.
1436
Ordonnance n° 15/92-93/ORSE du 15 avril 1993, affaire Boog Maurice et autres contre Etat du Cameroun.
1437
Ordonnance n° 12/OSE/PCA/CS/91-92 du 04 mai 1992, affaire Brasseries du Cameroun contre Etat du Cameroun.
1438
Ordonnance n° 10/91-92/OSE/PCA/CS du 17 mars 1992, affaire Kamdoum Zachée contre Etat du
Cameroun ; ordonnance n° 07/91/92/OSE/CS du 20 mars 1992, affaire Elites et Notables du village Bamoudjou
contre Etat du Cameroun.

331
conforme à l’avis du Ministère Public »1439 , avant d’ajouter : « … par application de
l’article 16 de l’alinéa 2 in fine de la loi n° 75/ 17 du 8 décembre 1995 fixant la
procédure devant la Cour Suprême statuant en matière administrative »1440. Il arrive
même qu’il apprécie concomitamment l’avis du Ministère Public les moyens de la
partie requérante. Ainsi, dans l’affaire succession Koa Maurice du 1er mars 20001441,
il déclare : « Attendu que l’argumentaire développé par la succession Koa Maurice et
les réquisitions du Ministère Public sont pertinents, convaincants et donc fondés ;
qu’il échet par conséquent de faire droit à la demande et ordonner le sursis à
exécution de la décision (…) ». Dans l’affaire Nguiakam Marie et autres du 17 mai
20001442, il apprécie non seulement les arguments des requérants et du Ministère
Public, mais également le silence du défendeur, pour conclure que les recourants
sont fondés en leur demande et qu’il échet d’y faire droit : « Attendu qu’autant
l’argumentaire développé et soutenu par les recourants que les réquisitions du
Ministère Public sont convaincants et que faute pour le défendeur de n’avoir fait
valoir aucun moyen pour faire échec aux prétentions des autres parties, il échet de
dire que les recourants sont fondés en leur demande et d’y faire droit ».

En somme, le juge ne tranche dans le sens indiqué par le Ministère Public que
parce que l’argumentaire de ce dernier est pertinent, judicieux et convaincant. Ce qui
revient à dire que s’il ne l’était, il statuera dans le sens contraire.

En agissant de la sorte, le juge relativise la portée de l’avis conforme du


Ministère Public. Cette relativisation est renforcée lorsqu’avant de statuer, il apprécie
concomitamment les arguments du Ministère public, les moyens allégués par la
partie requérante et l’attitude du défendeur.

Une telle façon de faire démontre, à suffisance, que le juge éprouve un certain
malaise à se conformer à l’avis du Ministère Public. En effet, pour ne pas donner

1439
Ordonnance n°16 bis/OSE/PCA/CS/91-92 du 16 juin 1992, affaire Nye Safinda Maurice contre Communauté
Urbaine de Douala ; ordonnance n° 17/OSE/PCA/CS/91-92 du 13 juillet 1992, affaire Djou Gilbert contre
Communauté Urbaine de Douala et ordonnance n° 18/91-92/OSE/PCA/CS du 27 juillet 1992, affaire Kamdoum
Zachée contre Etat du Cameroun.
1440
Ordonnance n° 02/OSE/PCA/CS/86-87 du 20 octobre 1986, affaire Les Nouvelles Brasseries Africaines
(NOBRA) contre Etat du Cameroun. Dans le même sens, ordonnance n° 01/OSE/PCA/CS/90-91 du 15
novembre 1990, affaire Tchimtezeu Chrétien et consorts contre Etat du Cameroun ; ordonnance
n°10/OSE/PCA/CS/91-92 du 14 mars 1992, affaire Etoke Joël contre Etat du Cameroun ; ordonnance
n°17/OSE/PCA/CS/90-91 du 17 septembre 1991, affaire Ndengue Thomas Byll contre Etat du Cameroun ;
ordonnance n° 16/OSE/PCA/CS/90-91 du 19 septembre 1991, affaire Yem Luc contre Etat du Cameroun et
ordonnance n° 06/OSE/PCA/CS/90-91 du 11 mars 1992, affaire Ngameleu Dominique contre Etat du Cameroun.
1441
Ordonnance n° 14/OSE/PCA/CS/99-00 du 1er mars 2000, affaire Succession Koa Maurice contre Etat du Cameroun.
1442
Ordonnance n° 28/OSE/PCA/CS/99-00 du 17 mai 2000, affaire Nguiakam Marie et autres contre Etat du Cameroun.

332
l’impression que la décision qu’il va rendre est conditionnée par cet avis, il procède à
son appréciation, avant de statuer dans le sens qu’il a indiqué ; ce faisant, il indique,
certes implicitement, mais certainement, que le Ministère Public « n’est pas (pour
autant) investi d’un pouvoir de décision puisque, seul, il ne peut qu'émettre un avis
sans force exécutoire »1443.

Il arrive que le juge aille très loin dans la relativisation de l’avis émis par le
Ministère Public au point de le remettre en cause. Cette relativisation radicale
constitue l’expression achevée du malaise qu’il éprouve à se conformer à cette
obligation légale qui, manifestement, limite sérieusement son pouvoir d’appréciation.

2. La remise en cause de l’avis émis par le Ministère Public

Juridiquement, le juge administratif ne peut statuer en méconnaissant ou en


remettant en cause l’avis émis par le Ministère Public dans la mesure où il s’agit
d’un avis conforme. Seulement, la loi qui a institué cet avis dit une chose et son
contraire. En effet, l’obligation faite au juge par l’alinéa 2 de l’article 16 de la loi n°
75/17 de se conformer à l’avis du Ministère Public est précédé d’un verbe qui limite
sa portée et permet par conséquent au juge de statuer comme il l’entend . Cet alinéa
dispose que le Président de la Chambre Administrative « peut (…) après avis
conforme du Ministère Public ordonner le sursis à exécution » ? Autrement dit, si le
juge administratif peut (faculté de faire) ordonner le sursis à exécution d’une décision
contestée, c’est après l’avis du Ministère Public qu’il est tenu d’obtenir et de suivre
(obligation de faire). Ainsi, en matière de sursis, le juge a, dans le même temps, la
faculté d’octroyer ou de refuser le sursis à exécution, mais aussi l’obligation de
l’octroyer ou de le refuser conformément à l’avis émis par le Ministère Public. En
exploitant cette rédaction défectueuse de la loi, le juge statue souvent contre l’avis
du Ministère Public aussi bien au niveau de la recevabilité de la demande de sursis
qu’au niveau de son examen au fond.

1443
R. Hostiou, op.cit., p. 31.

333
a. La remise en cause de l’avis émis par le Ministère public au niveau de
la recevabilité de la demande de sursis

Cette remise en cause est intervenue dans les affaires Mayouga Yvonne du
14 août 19921444, Sighoko Abraham du 05 octobre 19921445, et UPC du 19 octobre
19931446. Alors que le Ministère Public avait requis dans ces trois espèces
l’irrecevabilité des recours aux fins de sursis au motif que la suspension de
l’exécution d’un acte administratif ne peut être recevable que si elle est appuyée par
une demande au fond introduite en même temps et par la même requête ou par une
requête séparée, soit concomitamment, soit postérieurement au dépôt du recours au
fond, que les requérants avaient saisi directement le juge administratif d’une
demande de suspension sans avoir au préalable introduit un recours contentieux,
que les recours gracieux qu’ils avaient introduits auprès de l’Administration ne liaient
pas le juge administratif, mais que ce dernier n’était lié que par le recours
contentieux, le juge ne l’a pas suivi dans ses réquisitions ; il a plutôt admis la
recevabilité desdits recours. En se référant à l’article 16 alinéa 2 de la loi n° 75/17 du
8 décembre 1975, le juge a considéré d’une part, dans les affaires Mayouga Yvonne
et Sighoko Abraham qu’« il est indéniable que la fermeture de la pharmacie avec tout
ce qu’elle contient comme denrée à conserver délicatement constitue un préjudice
irréparable dont l’arrêt ne saurait attendre les délais nécessaires à l’introduction d’un
recours contentieux devant la chambre administrative », et, d’autre part, dans l’affaire
UPC qu’il « il est indéniable que l’arrêté n° 986/AP/F.35/SF du 24 septembre 1993 du
Préfet de la Mifi interdisant la tenue du congrès de l’UPC à Bafoussam du 1er au 30
octobre 1993 est de nature à causer un préjudice irréparable notamment eu égard à
l’état d’avancement des préparatifs dont la suspension de l’exécution ne saurait
attendre l’introduction d’un recours contentieux ».

1444
Ordonnance n° 21/91/92/OSE du 14 août 1992, affaire Mayouga Yvonne contre Etat du Cameroun. Cette
ordonnance a fait l’objet d’un recours en appel du Ministère Public le 18 août 1992. Les recherches effectuées au
greffe de la Cour Suprême pour connaître la suite qui a été donnée à ce recours par l’Assemblée Plénière ont été
infructueuses, car tous les registres consultés n’indiquaient aucune trace du dossier de l’affaire.
1445
Ordonnance n° 05/92-93/CS/PCA du 05 octobre 1993, affaire Sighoko Abraham contre Etat du Cameroun.
Cette ordonnance a aussi fait l’objet d’appel de la part du Ministère Public le 28 octobre 1992 ; le dossier de
l’affaire a été communiqué le 30 avril 1995 au Président de la Cour Suprême pour désignation d’un rapporteur ;
mais jusqu’à la rédaction de la présente étude l’affaire n’était toujours pas jugée.
1446
Ordonnance n° 04/OSE/PCA/CS/93-94 du 19 octobre 1993, affaire Union des Populations du Cameroun
contre Etat du Cameroun. Cette ordonnance a elle aussi fait l’objet d’appel par le Conseil de l’UPC le 15 mars
1994.Il contestait le fait que le juge ayant déclaré son recours recevable l’ait rejeté au fond parce qu’il était
devenu sans objet.

334
Dans ces trois affaires, le juge administratif a admis que « le seul recours
gracieux, prélude au recours contentieux est suffisant pour que le Président de la
Chambre Administrative se prononce ». Allant plus loin dans l’affaire Sighoko
Abraham, il a estimé « qu’on ne saurait demander à un administré qui subit un
préjudice grave du fait d’une décision administrative d’attendre les délais de recours
contentieux (plus de trois mois au moins) pour pouvoir saisir le juge administratif afin
d’y voir mettre fin, alors et surtout qu’il a déjà été décidé que la seule procédure qui
suspend une décision administrative est celle du sursis à exécution prévue par
l’article 16 de la loi susvisée (S.D.F contre Etat du Cameroun) ».

L’opposition entre le juge et le Ministère Public dans ces trois affaires est,
d’une part, l’illustration de la versatilité du juge administratif dans l’appréciation des
1447
conditions de recevabilité externe des demandes annexes et, d’autre part, la
traduction du souci qui l’anime de statuer vite, de tenir compte de l’urgence qui est le
fondement et la finalité de la procédure du sursis. Mais ce qui frappe dans cette
opposition, c’est que les arguments développés par le juge pour admettre la
recevabilité des recours portent à la fois sur des éléments de forme et de fond. C’est
ainsi qu’il soutient que l’exécution des mesures prises par l’administration, à savoir :
la fermeture de la pharmacie et l’interdiction de la tenue du congrès du parti politique
UPC, est susceptible de causer un préjudice irréparable - élément ou condition de
fond - aux requérants, pour en déduire que le seul recours gracieux - élément ou
condition de forme - qui annonce le recours contentieux, suffit pour qu’il statue au
fond. Dans l’affaire Sighoko Abraham, en particulier, il estime que les délais de
recours contentieux - plus de trois mois au moins - sont tels qu’il ne serait pas
indiqué de demander à un administré qui subit un préjudice grave du fait d’une
décision administrative portant fermeture de sa pharmacie de les attendre pour
pouvoir saisir le juge administratif pour qu’il y mette fin. Il évacue donc l’exigence du
recours contentieux dont les délais sont incompatibles avec l’urgence de la situation
contentieuse par un argument qui participe de l’évidence et qui donne l’impression
qu’il enfonce une porte ouverte, puisqu’il dit : « (…) alors et surtout qu’il a été décidé
que la seule procédure qui suspend une décision administrative est celle du sursis à
exécution (…) ». En réalité, là n’est le problème. Le problème est de savoir si une
procédure d’urgence comme celle du sursis à exécution doit être soumise à la

1447
V., à ce sujet, paragraphes 3 et 4, section 1, chapitre 1, titre 1 de la 1ère partie, supra.

335
condition du recours contentieux au fond alors même que ce recours est introduit
dans des délais qui sont incompatibles avec une telle procédure. Autrement dit, ne
faut-il pas, du fait de l’urgence de la situation litigieuse, admettre la saisine du juge
aux fins de sursis à exécution sans qu’il ne soit exigé du requérant l’introduction
préalable ou concomitante du recours contentieux au fond, puisqu’il n’est possible
qu’après plusieurs mois ?

Il faut dire que la remise en cause de l’avis du Ministère Public au niveau de


la recevabilité du recours aux fins de sursis n’est pas sans intérêt. Elle démontre, à
suffisance, que s’il est certes vrai que la procédure de sursis est une procédure
accessoire, elle ne peut être efficace et effective que si elle précède la procédure
principale. Tout comme n’est pas sans intérêt la remise en cause par le même juge
de cet avis au niveau de l’examen au fond de ladite demande.

b. La remise en cause de l’avis émis par le Ministère Public au niveau de


l’examen au fond de la demande de sursis

Trois affaires intervenues respectivement le 31 mars 19771448, le 23 décembre


19971449 et le 10 mai 20001450, illustrent à suffisance, la tendance qu’a le juge
administratif à remettre en cause ou à ne pas se conformer à l’avis émis par le
Ministère Public au niveau de l’examen au fond des demandes de sursis à exécution.
Dans l’affaire Michel Njine Ngangley portant sur l’arrêté de mise en débet du
requérant par l’Etat, le Ministère Public avait requis le sursis à l’exécution de l’arrêté
querellé jusqu’à l’issue du recours contentieux au fond. Après avoir indiqué que pour
le requérant les condamnations pécuniaires prononcées par l’arrêté querellé étaient
sans fondement parce que les composantes de « la somme fabuleuse » concernée
n’avaient jamais fait l’objet d’un examen contradictoire devant le Conseil de
Discipline Budgétaire, le Ministère Public avait fait valoir qu’il ne se dégage pas de
cet arrêté que le requérant avait été traduit devant le Conseil de Discipline
Budgétaire dans les formes prescrites par l’article 12 de la loi n° 70/LF/2 du 20 mai
1970 relative au contrôle des ordonnateurs et gestionnaires de crédit pour justifier
de l’usage qu’il avait fait de la somme qui lui était réclamée. Prenant à contre pied les

1448
Ordonnance n° 59/CS/PCA du 31 mars 1977, affaire Michel Njine Ngangley contre Etat du Cameroun.
1449
Ordonnance n° 22/OSE/PCA/CS/97-98 du 23 décembre 1997, affaire Mvogo Jean-Marie contre Etat du Cameroun.
1450
Ordonnance n° 22/ORSE/PCA/CS/99-00 du 10 mai 2000, affaire Watia Pierre contre Etat du Cameroun.

336
réquisitions du Ministère Public, le juge a rejeté la demande de sursis au double motif
que le requérant n’avait pas prouvé d’une part que les retenues opérées sur sa solde
étaient pratiquées en violation des dispositions du décret n° 75/459 du 29 juin 1975
déterminant le régime de rémunération des personnels civils, et, d’autre part, que
l’exécution de la décision administrative contestée lui causait un préjudice qui pouvait
s’avérer irréparable. Alors que le Ministère Public s’est placé sur le terrain de la
violation des droits de la défense du requérant par l’administration, donc sur le plan
du non respect d’une règle de procédure d’édiction de l’acte administratif unilatéral
pour requérir le sursis à l’exécution de la mise en débet querellée, le juge s’est plutôt
situé sur celui de la preuve juridique et matérielle à savoir la preuve de la violation de
la loi et de l’existence d’un préjudice pouvant s’avérer irréparable, donc sur le plan du
respect des éléments de fond de l’acte administratif unilatéral. Quant à la deuxième
affaire opposant le sieur Mvogo Jean Marie à l’Etat du Cameroun, le Ministère Public
avait requis le sursis à exécution de la décision admettant provisoirement une
personne autre que le requérant à exercer les fonctions de Consul Honoraire de la
République Démocratique du Congo à Douala aux motifs que son exécution causait
à l’intéressé un préjudice irréparable ; prenant à contre pied cet avis, le juge avait
déclaré la demande de sursis non fondée en ce que « contrairement aux réquisitions
du Ministère Public, la voie reste ouverte au requérant de demander l’indemnisation
dans le cadre du recours au fond pour le préjudice prétendument subi ». Pour le juge
donc, le recours en indemnisation pouvait permettre au requérant de faire réparer le
préjudice qu’il prétendait avoir subi ; ce qui revient à dire qu’implicitement mais
certainement, qu’il a rejeté l’idée d’un préjudice irréparable en l’espèce. Pour ce qui
est de la troisième espèce enfin, à savoir L’affaire Watia Pierre, le Ministère Public
avait requis que soit ordonné le sursis à l’exécution de l’arrêté contesté qui autorisait
le retrait du titre foncier en arguant de ce que, d’une part, cet arrêté ne concernait ni
l’ordre public, ni la sécurité ou la tranquillité publique, et, d’autre part, que son
exécution était de nature à causer un préjudice irréparable au requérant qui avait
sûrement aliéné l’immeuble en cause. Dans une approche subtile qui évitait toute
opposition frontale avec le Ministère Public, mais qui participait d’une remise en
cause de ses réquisitions, le juge s’était intéressé plutôt aux arguments du requérant
et aux circonstances de fait antérieures à sa saisine pour déclarer le requérant non
fondé en sa demande de sursis à l’exécution de la mesure querellée. Ce dernier
soutenait que ses procédures d’entrée et de sortie de l’indivision étaient régulières,

337
qu’aucune fraude n’avait été commise et que c’est à tort que le Ministre de
l’Urbanisme et de l’Habitat avait autorisé le retrait du titre foncier sur la base duquel il
avait, par morcellement, obtenu le sien propre. Pour le juge, cette argumentation du
requérant était contraire à la motivation de l’arrêté querellé. Il estimait qu’ il ressortait
de cet arrêté qu’un tiers avait usé de fraude pour obtenir le titre foncier sur un terrain
indivis appartenant à une collectivité dont le requérant n’était même pas membre.
Aussi justifiait-il le retrait du titre foncier litigieux par le fait des dénonciations de
fraude dans lesquelles le requérant était l’un des principaux mis en cause. Par cette
prise de position, le juge démontre clairement que le retrait de l’acte litigieux n’était
nullement susceptible de causer un préjudice irréparable au requérant qui l’a obtenu
frauduleusement. D’ailleurs, il est de jurisprudence constante qu’un acte obtenu par
la fraude ne crée pas de droits à l’égard de celui qui s’en prévaut car il s’agit d’un
acte matériellement inexistant qui peut être retiré à tout moment1451.

Il apparaît, en définitive, que si le juge administratif est lié légalement par l’avis
du Ministère Public - ce qui constitue une entrave à son pouvoir d’appréciation – et
qu’ il reconnaît et applique cette obligation, il a tendance à le remettre en cause.
Une telle situation est à la fois préjudiciable et regrettable. Préjudiciable d’abord,
parce qu’elle ne permet pas l’édiction d’une jurisprudence cohérente et lisible au
profit du justiciable. Regrettable, ensuite, parce qu’elle n’est pas comparable à celle
en vigueur dans le contentieux judiciaire où l’avis du Ministère public ne lie plus le
juge. En effet, l’avis conforme du Ministère Public par réquisitions écrites avait été
institué dans la procédure de sursis à exécution provisoire des décisions de justice
en matière non répressive par la loi n° 74/6 du 16 juillet 1974 et maintenu après la
modification apportée par la loi n° 79/3 du 29 juin 1979 ; mais, il s’est avéré, dans la
pratique, « qu’une telle exigence constituait une contrainte anormale »1452 et « une
sérieuse entrave au pouvoir du juge »1453 . C’est ainsi que la loi n° 84/14 du 5
décembre 1984 y a mis fin, restituant au juge civil son entier pouvoir de décision.
L’article 1er de cette loi dispose, en effet, que « le Président statue sur réquisitions
écrites du Ministère Public » et non plus sur « réquisitions conformes », comme le
prescrivaient les précédentes lois. Ainsi, Le juge non répressif « est libre de statuer

1451
Voir, dans ce sens, CS/CA, jugement n° 36/91-92 du 30 avril 1992, affaire Mveng Mbarga Constantin
contre Etat du Cameroun et CE, 13 novembre 1992, Riaz.
1452
M. Kamto, op. cit., p. 177.
1453
P.P. Tchindji, op. cit., p. 338.

338
selon sa souveraine appréciation, quelles que soient les réquisitions du Ministère
Public »1454.

Il y a lieu d’espérer que le législateur s’avisera à étendre cette réforme dans le


contentieux administratif du sursis à exécution pour le rendre plus efficace, cohérent
et lisible. Il reste que cette réforme ne saurait être une panacée. D’ailleurs,
l’exigence de l’avis conforme du Ministère Public n’exclut pas que le juge
administratif prenne en compte des exigences particulières pour octroyer le sursis à
exécution.

SECTION II : LA PRISE EN COMPTE D’EXIGENCES PARTICULIERES

POUR L’OCTROI DU SURSIS A EXECUTION

L’intérêt de l’administré commande que l’action administrative soit arrêtée dès


lors qu’elle peut lui être gravement dommageable tant que le juge n’a pas affirmé sa
légalité1455. Mais on ne saurait, à des fins purement dilatoires, arrêter cette action qui,
a priori, est menée dans l’intérêt général et qui, pour cette raison, est présumée
légale tant que le juge ne l’a pas déclaré illégale. Il résulte de ceci que même lorsque
les conditions législatives d’octroi du sursis sont réunies, « le juge n’est jamais tenu
de l’ordonner, et il lui appartient d’apprécier les circonstances particulières à chaque
espèce »1456. Ceci revient à dire qu’en définitive, « le sursis à exécution n’est pour le
juge qu’une simple faculté »1457. Celui-ci prend en compte des exigences autres que
celles énoncées par le législateur pour l’octroyer. Il se dégage de la jurisprudence
que, pour lui, il n’y a urgence à arrêter l’action administrative que si la protection du
droit ou de l’intérêt menacé du demandeur est utile ou nécessaire (§ 1), voire
opportune (§ 2).

1454
Ibid., p. 339.
1455
O. Dugrip, op. cit., p. 279.
1456
Gérard Porcell, « Le sursis à exécution au cœur du débat », AJDA, 1984, p. 147. En ce sens, voir CE, Ass.,
13 février 1976, Assoc. de sauvegarde du quartier Notre Dame, Rec., p. 100.
1457
CE, 2 juillet 1982, Huglo et Autres.

339
PARAGRAPHE I : LA NECESSITE DE L’OCTROI DU SURSIS A EXECUTION

L’urgence ne justifie le prononcé du sursis à exécution que s’il existe une


contestation sérieuse. De même, le sursis à exécution ne peut être prononcé que s’il
y a urgence. C’est la raison pour laquelle le juge est souvent amené à apprécier les
moyens allégués par le requérant à l’appui de sa demande (A) et à fonder sa
décision sur l’existence ou non de l’urgence (B), faisant ainsi de celle-ci une condition
explicite du sursis à exécution.

A. L’EXIGENCE DE MOYENS SUSCEPTIBLES DE JUSTIFIER LE SURSIS


A EXECUTION

Il se dégage de la jurisprudence que pour octroyer le sursis, le juge est


souvent amené à apprécier les moyens allégués par le requérant à l’appui de sa
demande du point de vue de la légalité, et qu’il « ne consent à donner le sursis que
s’il est convaincu du bien-fondé de la requête »1458. Ainsi, l’examen des moyens
invoqués par le requérant « conduit à des débats de fond » , réalisant « une sorte de
" préjugement " pouvant affecter l’indépendance de l’instance qui aura à trancher
ensuite le procès »1459. Seulement, le juge s’oblige à examiner « l’argumentation
juridique du requérant sans donner de solution définitive à l’instance »1460. Pour lui, le
sursis doit être justifié par des motifs de droit et de fait puissants, car, « il faut que
l’acte concerné soit réellement suspect »1461.

1. L’appréciation des moyens de droit

Les moyens de droit sont ceux qui se fondent sur une norme juridique
existante. En général, ils sont évoqués en matière de recours pour excès de pouvoir
lorsque estimant que l’acte qui lui fait grief est illégal, le requérant en sollicite
l’annulation par le juge. Mais, ils ne sont pas étrangers à la matière de sursis à
exécution, et leur appréciation par le juge préjuge de la décision qu’il pourra rendre
au fond. Le juge administratif camerounais a eu à apprécier les moyens de droit

1458
R. Odent, op. cit., p. 919.
1459
B. Pacteau, op. cit., p. 293.
1460
Ch. Debbasch et J.-C. Ricci, op. cit., p. 450.
1461
B. Pacteau, op. cit., p. 292.

340
allégués par le requérant tant en matière financière qu’ en matière foncière et dans le
contentieux relatif à la fermeture d’officines pharmaceutiques.

a. L’appréciation des moyens de droit en matière financière

Dans une affaire où le requérant sollicitait le sursis à exécution d’une mise en


débet au motif que les condamnations pécuniaires prononcées à son encontre
étaient sans fondement car il n’avait pas été traduit devant le conseil de Discipline
Budgétaire, le juge a estimé que le requérant n’avait pas prouvé que les retenues
opérées sur sa solde étaient pratiquées en violation de la réglementation relative au
régime de rémunération des personnels civils1462. Il a donc considéré que le
requérant n’avait pas apporté la preuve de l’illégalité interne de l’acte contesté.

Dans des affaires relatives aux impositions, le juge a également eu à


apprécier les moyens de droit invoqués par les requérants. Ainsi, dans l’affaire
Nguepi Joseph du 24 mars 19801463, il a estimé que les moyens allégués par le
requérant étaient fondés en ce « qu’il a été établi que les impositions contestées ont
été établies en violation des articles 258 et 259 du code général des impôts ». De
même, dans l’affaire Sundjio Justin du 15 avril 19801464 où le requérant sollicitait la
suspension de l’exécution des avertissements émis à son encontre au motif qu’il a
payé ses impôts ainsi que les tiers provisionnels, conformément aux prescriptions du
Code Général des Impôts et qu’il était créancier de l’administration fiscale, il a , après
avoir procédé au contrôle de légalité de la mesure querellée, admis le bien fondé des
moyens allégués par le requérant. Pour le juge, le fait pour l’administration de
reconnaître que l’intéressé avait déjà payé les 20 % des impôts contestés et qu’il lui
appartient, pour bénéficier du sursis, de constituer les garanties prévues par l’article
289 du Code Général des Impôts, constitue, implicitement mais nécessairement, la
preuve que le requérant réunissait les conditions légales pour bénéficier du sursis à
l’exécution de ses impositions, la garantie paraissant en fait déjà assurée non
seulement par le trop perçu par la Direction des Impôts, mais également par la
pharmacie exploitée par le requérant.

1462
Ordonnance n° 59/CS/PCA du 31 mars 1977, affaire Michel Njine Ngangley contre Etat du Cameroun.
1463
Ordonnance n° 3/OSE/CS/PCA/78-79 du 24 mars 1980, affaire Nguepi Joseph contre Etat du Cameroun.
1464
Ordonnance n° 06/OSE/CS/PCA/79-80 du 15 avril 1980, affaire Sundjio Justin contre Etat du Cameroun.

341
Il se dégage de ce qui précède que, lorsque le requérant apporte la preuve
qu’il a rempli les conditions exigées par le Code Général des Impôts ; autrement dit,
lorsqu’il est établi qu’il s’est conformé à la légalité, le juge ordonne le sursis à
exécution de l’imposition litigieuse1465 ; au cas contraire, il rejette la demande de
sursis comme mal fondée. Il en a été ainsi dans l’affaire Etablissement El Blanco du
8 avril 19991466 . En l’espèce, le requérant sollicitait, sur le fondement de l’article 289
(nouveau) de l’ordonnance n° 73/21 du 21 mai 1973 p ortant Code Général des
Impôts qui fixe comme conditions pour surseoir au paiement de la partie contestée
des impositions, entre autres , la justification « du paiement d’au moins 20% du
montant des impositions en cause », le sursis à exécution du procès-verbal de saisie
– exécution ayant fermé sa salle de jeux et lui réclamant le paiement de divers
impôts et taxes. Le juge a estimé que le requérant n’avait pas justifié le paiement des
20% exigés par le Code Général des Impôts. De même, dans une espèce
postérieure en date du 22 mars 2001, relative également à la contestation d’une
imposition dont le sursis à exécution était sollicité par l’intéressée, le juge a estimé
que « les arguments avancés par la requérante au soutien de sa demande de sursis
à exécution ne sont pas de nature à militer pour le blocage de la décision
ministérielle querellée »1467.

En matière foncière, le juge examine aussi les moyens de droit allégués par le
requérant pour se prononcer sur le sursis sollicité.

b. L’appréciation des moyens de droit en matière foncière

1468
L’affaire Eock Ngwem Léonard du 15 septembre 1994 est la parfaite
illustration de l’exercice par le juge du contrôle de la légalité de la décision
administrative en matière de sursis à exécution au travers des moyens de droit
invoqués par le requérant. En l’espèce, le requérant sollicitait le sursis à exécution de
la décision du Ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat, car il estimait qu’elle avait été
prise en violation de l’article 8 du décret n°76/16 7 du 27 avril 1976 fixant les

1465
Ordonnance n° 29/OSE/PCA/CS/00-01 du 20 mars 2001, affaire Société Inter Logistic System (ILS) S.A
contre Etat du Cameroun.
1466
Ordonnance n° 21/OSE/PCA/CS/98-99 du 8 avril 1999, affaire Etablissement El Blanco contre Etat du
Cameroun.
1467
Ordonnance n°30/OSE/PCA/CS/2000-2001 du 22 mars 2001, affaire Société Industrielle pour la Diffusion
des Equipements Mécaniques au Cameroun S.A. (SIDEM) contre Etat du Cameroun.
1468
Ordonnance n° 34/OSE/PCA/CS/93-94 du 15 septembre 1994, affaire Eock Ngwem Léonard contre Etat du
Cameroun.

342
modalités de gestion du domaine privé de l’Etat, et au seul motif qu’il était parent au
Directeur des Domaines. Le juge a admis le bien - fondé de cet argument, d’autant
plus que, sitôt la décision querellée prise, le Ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat
avait, quelques jours après, autorisé, par une autre décision, la vente du lot litigieux
au profit de quelqu’un d’autre. Il a fait observer que, sans raison valable, l’on risquait
« le chevauchement de deux procédures sur le même lot et ce, au détriment du
premier acquéreur ». Aussi, a-t-il considéré qu’il paraissait « judicieux d’ordonner le
sursis à exécution dans cette cause sans préjudicier au principal ». Cette précision
finale, à savoir « sans préjudicier au principal », montre bien que le juge a senti qu’il
était à la limite d’une appréciation qui ressortit à la compétence du juge de l’excès de
pouvoir. On ne voit donc pas comment, agissant comme juge de fond, il ne prendra
pas une décision d’annulation, puisqu’il reconnaît comme fondé l’argument du
requérant, lequel repose sur la violation d'un règlement. Saisi pour ordonner le
sursis à exécution des décisions ayant ordonné la fermeture de deux pharmacies, il
est allé plus loin encore dans l’appréciation des moyens de droit allégués par les
requérants, au point d’agir, moins comme juge du sursis, mais davantage comme
juge de l’excès de pouvoir.

c. L’appréciation des moyens de droit dans le contentieux relatif à la


fermeture d’officines pharmaceutiques

Dans les affaires Mayouga Yvonne1469 et Sighoko Abraham1470, les requérants


sollicitaient le sursis à exécution des décisions du Ministre de la Santé Publique
ordonnant la fermeture de leurs pharmacies. Dans l’examen au fond des requêtes, le
juge a été amené à se prononcer sur la légalité interne des actes querellés au point
de déboucher sur une conclusion qui pose plutôt le problème, non pas de la
fermeture, mais de l’ouverture d’une officine pharmaceutique.

Le point de départ et la base de la motivation de la décision du juge au fond


était l’alinéa 4 l’article 7 de la loi n°90/035 du 10 août 1990 relative à l’exercice de la
profession de pharmacie. D’après cet alinéa, passé un délai de quatre vingt dix jours
à compter du dépôt du dossier, le silence gardé par le Conseil de l’Ordre des
Pharmaciens vaut acceptation de la demande du postulant qui peut s’installer. Le

1469
Ordonnance n° 21/91-92/OSE du 14 août 1992, affaire Mayouga Yvonne contre Etat du Cameroun.
1470
Ordonnance n° 05/92-93/CS/PCA du 05 octobre 1993, affaire Sighoko Abraham contre Etat du Cameroun

343
juge a constaté qu’il est constant que les requérants ont régulièrement introduit des
demandes sollicitant l’autorisation d’ouverture d’officines, lesquelles ont été
reversées au Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens, mais qu’après les 90
jours prévus par la loi, les requérants n’avaient toujours pas reçu de réponse. L’un
des requérants, le sieur Sighoko Abraham devait d’ailleurs saisir le Président du
Conseil de l’Ordre des Pharmaciens pour l’informer de l’ouverture de son officine.
Considérant que les requérants s’étaient conformés à la loi en ce que le silence du
Conseil de l’Ordre au-delà du délai légal prévu pour accepter ou rejeter les dossiers
valait acceptation, le juge a admis que les requérants étaient en droit de s’installer
sur les sites qu’ils avaient choisis et qui ont été créés par le Ministre de la Santé
conformément à la législation.

En adoptant une telle position, le juge du sursis a dépassé le cadre de ses


prérogatives, car, il a agi, non pas comme juge de l’accessoire , bien qu’il ait rendu
une décision provisoire consistant à suspendre l’exécution des mesures
administratives querellées, mais comme juge de fond.

En définitive, lorsque le juge du sursis procède à l’appréciation des moyens de


droit allégués par le requérant, il est forcément amené à empiéter sur le fond du
litige ; et bien que cette appréciation n’aboutisse pas à une solution définitive, elle
est susceptible d’affecter l’indépendance de l’instance qui aura à trancher le procès
au fond. Il en est de même lorsqu’il apprécie les moyens de fait invoqués par le
requérant.

2. L’appréciation des moyens de fait

Dans une espèce intervenue en matière foncière le 26 mars 19801471, le juge a


considéré comme n’étant « pas sérieuses » les prétentions du requérant selon
lesquelles la décision attaquée rendue en faveur "d’occupants illégaux", était
« injuste car aucune suite n’a été donné à la demande » qu’il avait introduite « pour
l’immatriculation du terrain litigieux ». Qu’entendait-il par-là ? A-t-il voulu signifier que
le procès que le requérant faisait à l’acte attaqué n’était pas sérieux ou que les
moyens qu’ils alléguaient ne l’étaient pas ? Il est fort probable qu’il faisait allusion

1471
Ordonnance n°4/CS/PCA/79-80 du 26 mars 1980, affaire Beyissa Adolphe contre Etat du Cameroun.

344
aux moyens invoqués par le requérant. Il se pose, dès lors, la question de savoir
quand est-ce qu’un moyen est sérieux.

Dans son acception classique, le moyen sérieux est « celui qui fait réfléchir un
juriste raisonnablement compétent à premier examen de l’affaire »1472. Pour S.
RIALS, un moyen est dit sérieux lorsqu’il « mérite d’être considéré, (qui) nécessite
réflexion pour un juge sérieux, c’est-à-dire normalement capable de distinguer ce qui
fait et ce qui ne fait pas de difficulté »1473.

Les moyens sérieux sont ceux qui ont un caractère non dilatoire et
n’apparaissent pas comme devant être rejetés de plano.

La doctrine présente généralement l’exigence des moyens sérieux comme


constituant un principe de bon sens1474. Mais, pour J-J. Gleizal, celui-ci n’a rien à
voir dans l’affaire. Il soutient que « les moyens sérieux sont un instrument
supplémentaire que le juge s’est donné pour pleinement maîtriser l’octroi du
sursis »1475.

On peut donc dire qu’en considérant que les prétentions du requérant ne sont
pas sérieuses, le juge veut signifier par-là qu’elles n’apparaissent pas pratiquement
fondées, en l’état du dossier, à la date à laquelle il statue1476.

Dans deux espèces rendues respectivement le 22 juillet 19801477 et le 16 août


19801478, le juge, après avoir constaté, en particulier dans la première espèce relative
à l’affaire Oba - Mvelle Jean Samuel que le requérant ne semblait pas contester la
matérialité des faits qui étaient à l’origine de l’acte attaqué, a eu à rejeter les recours
aux fins de sursis comme mal fondés au motif que, en vertu de la législation en
vigueur, les requérants étaient tenus de restituer à l’Etat les deniers publics dont ils
n’ont pas pu justifier l’utilisation. Dans ces deux espèces, les requérants ne
contestaient pas le bien-fondé des mesures d’ordre financier prises à leur encontre,

1472
S. Rials, op.cit., p.193.
1473
Ibid.
1474
V. J- J Gleizal, op.cit. , p. 392.
1475
Ibid.
1476
Sur la question, v. R. de Saint Marc, « Les notions de "préjudice difficilement réparable" et de "moyen
sérieux" », Gaz. Pal., 1985, p. 124.
1477
Ordonnance n°8/OSE/CS/PCA/79-80 du 22 juillet 1980, affaire Oba-Mvelle Jean Samuel contre Etat du
Cameroun.
1478
Ordonnance n°09/OSE/CS/PCA/79-80 du 16 août 1980, affaire Matcham Albert contre Etat du Cameroun.

345
mais estimaient que les retenues effectuées mensuellement sur leur traitement en
exécution de ces mesures étaient très élevées eu égard à leurs charges de famille.

En prenant position sur des arguments de fait avancés par les requérants, le
juge du sursis a examiné le fond de l’affaire, sans pour autant trancher sur celle-ci.
Toutefois, il ne s’est livré « qu’à un examen incomplet de l’argumentation au fond qui
peut encore, par définition, évoluer »1479. En effet, le sursis n’étant qu’ « une
procédure d’urgence susceptible seulement de produire effet à titre provisoire », « il
ne faut pas le transformer en une première étape du jugement de l’affaire »1480.

Enfin, dans une affaire en date 7 septembre 19981481, le juge a estimé, en


examinant les moyens de fait de la demande de sursis à exécution de la décision
contestée du Ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat relative à l’affectation d’un
logement administratif, que « les arguments soutenus par le requérant ne sont pas
pertinents ; le logement litigieux ne lui ayant jamais été attribué » . Il a ainsi opéré un
pré jugement du recours au fond pour rejeter la demande de sursis.

Il se dégage de ce qui précède que l’appréciation des moyens invoqués par le


requérant pour solliciter le sursis à exécution amène le juge à procéder à un certain
préjugement du fond du litige. Mais comme il ne peut définitivement prendre parti sur
le bien-fondé de la requête, ce préjugement n’est que relatif.

Lorsque le juge n’exige pas que les moyens allégués soient de nature à
justifier le sursis à exécution, il conditionne celui-ci à la preuve de l’urgence.

B. L’EXIGENCE DE L’URGENCE

En général, « l’urgence résulte de l’impossibilité de réparer ou de supprimer le


préjudice que l’exécution de la décision administrative serait susceptible de causer à
l’administré »1482. Elle n’est pas explicitement exigée par le législateur comme
condition d’octroi du sursis. Aussi, son rôle est-il plus difficile à mettre en valeur dans
cette procédure1483.

1479
O. Dugrip, op.cit, p. 285.
1480
B. Genevois, Concl. sur CE, sect. 9 décembre 1983, Rec. p, 499, AJDA, 1984, p. 82, chr. Lasserre et Delarue.
1481
Ordonnance n° 74/OSE/PCA/CS/97-98 du 07 septembre 1998, affaire Ntonè Félicien contre Etat du Cameroun.
1482
Manhar Bennis, op.cit, p.123.
1483
P-L. Frier, L’urgence, op.cit ; p.308.

346
Mais le silence du législateur « n’enlève rien à la vérité de cette règle établie
selon laquelle le sursis à exécution n’atteint son but que s’il est ordonné
rapidement »1484. En effet, au cœur de cette procédure, l’urgence opère de manière
implicite. Le silence du législateur n’exclut pas aussi que le juge fasse de l’urgence
une condition explicite d’octroi du sursis.

1. L’appréhension classique de l’urgence comme condition implicite en


matière de sursis

Lorsque le juge statue en matière de sursis, il doit avoir présent à l’esprit que
son action doit être fondée sur l’urgence pour éviter que l’irréparable ne se produise.
L’urgence est donc intimement liée au sursis à exécution bien qu’elle ne soit pas
énoncée explicitement dans les ordonnances de sursis. Il est incontestable qu’elle
sous-tend toute la procédure du sursis et conditionne souvent l’exécution de cette
mesure conservatoire.

C’est à travers l’exigence d’un préjudice irréparable pouvant résulter de


l’exécution de l’acte administratif contesté qu’elle intervient, jouant ainsi un « rôle
caché, souterrain »1485, mais essentiel. Le sursis à exécution est donc accordé quand
il y a urgence . Il ne l’est pas quand il est possible d’attendre le jugement sur le fond
parce que le péril n’est pas imminent ou parce que le préjudice n’est pas difficilement
réparable.

De façon exceptionnelle, mais certaine, le juge administratif camerounais a


explicitement admis dans certaines espèces l’urgence comme condition d’octroi du
sursis à côté de celle relative au préjudice irréparable.

2. La considération explicite de l’urgence comme condition d’octroi du


sursis

A partir d’une appréciation in concreto de l’urgence, le juge administratif


camerounais a déterminé les décisions dont l’exécution devrait être suspendue et
celles dont la suspension de l’exécution ne se justifie pas.

1484
G. Pambou Tchivounda, op.cit, p.104.
1485
P-L. Frier, op.cit, p.309.

347
En faisant ainsi explicitement de l’urgence une condition d’octroi du sursis, le
juge administratif s’est certes affranchi des conditions légales d’octroi du sursis, mais
il ne l’a pas définie concrètement. En effet, les critères ayant présidé à l’exercice de
son pouvoir d’admettre ou de méconnaître l’urgence restent d’une grande opacité.
Les solutions consacrées amènent à penser qu’il a probablement pris en compte
l’intérêt général, l’intérêt des parties et peut-être celui d’une bonne administration de
la justice.

Si dans les affaires Dame Ngo Eog Christine1486 et Eog Christine1487 du 15


septembre 1994, le juge administratif a reconnu explicitement qu’il y avait urgence à
suspendre l’exécution des décisions contestées, dans les affaires Ngwem Honore1488
et Ngo Ngwem Isabelle1489 intervenus à la même date, il a méconnu, explicitement
aussi, l’urgence du sursis à l’exécution des actes querellés.

Dans l’affaire Dame Ngo Eog Christine la requérante sollicitait le sursis à


exécution de l’arrêté du Ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat annulant sa décision
autorisant la vente d’un lot domanial au profit de l’intéressée et dont le titre foncier
avait déjà été établi et délivré, au motif qu’elle était parente du Directeur des
Domaines de son Ministère. Pour le juge, le titre foncier étant inattaquable, intangible
et définitif ne saurait être annulé qu’autant qu’une erreur a été commise lors de son
établissement « et non pour des motifs extra-professionnels », comme en l’espèce ; il
a donc estimé que « vu l’urgence (…), il (…) paraît judicieux d’ordonner le sursis à
exécution sans préjudicier au fond ».

Quant à l’affaire Eog Christine, la requérante sollicitait le sursis à exécution de


l’arrêté du Ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat qui annulait l’autorisation de mise
en vente de gré à gré d’un lot situé sur terrain domanial et le titre foncier qu’elle avait
obtenu sur ce lot. Le juge a estimé que c’est à tort qu’après l’établissement de ce titre
foncier, le V/Premier Ministre chargé de l’Urbanisme et de l’Habitat avait adressé une
correspondance au Directeur des Domaines, parent de la requérante, pour lui
signifier que toutes les attributions de lots domaniaux dont ses parents étaient
bénéficiaires et tous les titres fonciers qui en étaient issus étaient purement et
simplement annulés. Pour lui, cette seule raison ne saurait remettre en cause la

1486
Ordonnance n°31/OSE/PCA/CS/93-94 du 15 septembre 1994, affaire Dame Ngo Eog Christine contre Etat du Cameroun.
1487
Ordonnance n°35/OSE/PCA/CS/93-94 du 15 septembre 1994, affaire Eog Christine
1488
Ordonnance n°32/OSE/PCA/CS/93-94 du 15 septembre 1994, affaire Ngwem Honoré contre Etat du Cameroun.
1489
Ordonnance n°33/OSE/PCA/CS/93-94 du 15 septembre 1994, affaire Ngo Ngwem Isabelle contre Etat du Cameroun.

348
procédure d’acquisition des lots domaniaux prévue par l’article 8 du décret n°76/167
du 27 avril 1976 fixant les modalités de gestion du domaine privé de l’Etat. il a dès
lors conclu comme dans la précédente affaire que « vu l’urgence (…), il (…) paraît
judicieux d’ordonner un sursis à exécution dans préjudicier au principal ».
Cependant, dans des affaires similaires, mais sur la base d’autres motifs, le juge va
refuser de prendre en compte l’urgence. Ainsi, dans l’affaire Ngwem Honoré, il a
refusé d’ordonner le sursis à exécution de la décision du Ministère de l’Urbanisme et
de l’Habitat qui annulait l’acte de vente d’un lot domanial établi au profit du requérant
alors que celui-ci estimait qu’elle ne reposait sur aucune base légale et qu’elle violait
l’article 8 du décret n°76/167 du 27 avril 1976 qui dispose que toute personne peut
être bénéficiaire d’un lot domanial pourvu qu’elle respecte la procédure légale
d’acquisition. Le juge a considéré que le Ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat «
a apprécié souverainement ces ventes effectuées au profit du requérant et de sa
famille alors que celui-ci était Directeur des Domaines audit Ministère ». Il a ensuite
fait observer que lesdits terrains domaniaux ont été reversés au domaine privé de
l’Etat. Aussi a-t- il a conclu, non sans ambiguïté, que « l’annulation de leur acquisition
est sans préjudice important et urgent pour le requérant ». Dans l’affaire Ngo
Ngwem Isabelle, il a corrigé cette ambiguïté quant à la notion de préjudice important
et urgent. Ainsi, ce n’est pas le préjudice qui était urgent mais plutôt le prononcé du
sursis sollicité par le requérant. Dans cette affaire, la requérante sollicitait elle aussi
le sursis à exécution de la décision du Ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat qui
annulait l’acte de vente d’un lot domanial acquis par elle, estimant qu’elle n’avait
aucune base légale. Le juge a rejeté la demande de l’intéressée au motif que le
terrain domanial en cause a été reversé au domaine privé de l’Etat et qu’« en
l’absence de toute urgence signalée, l’annulation de cette acquisition est sans
préjudice important pour la requérante ». Ici, le juge rattache explicitement la
condition d’urgence à celle de préjudice ; ce faisant, il indique que « l’urgence et le
préjudice (irréparable) ne sont que deux éléments d’un même ensemble pris
seulement à un stade différent de raisonnement »1490.

Il se dégage de ce qui précède que pour le juge administratif, il n’y a urgence


que lorsque l’exécution d’un acte administratif est de nature à porter atteinte de
manière suffisamment importante et immédiate à un intérêt public, à la situation du

1490
P-L. Frier, op.cit, p.314.

349
requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il apprécie donc « concrètement,
compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l’acte litigieux
sont de nature à caractériser une urgence justifiant que sans attendre le jugement au
fond, l’exécution de la décision soit suspendue »1491.

Il reste que la notion d’urgence est, pour l’essentiel, subjective ; sa


« négation » ou sa « reconnaissance (…) résulte d’une appréciation personnelle et
subjective du juge »1492 du sursis. Ce constat semble ne pas être propre au
contentieux administratif. Il est aussi valable pour le contentieux civil. Cette similitude
est justement relevée par Pierre Estoup qui présente la notion d’urgence en cette
matière comme une « notion relative, empreinte de subjectivité et d’empirisme, ce qui
explique les variations et les différences d’appréciation observées d’un juge à
l’autre »1493. Mais, il n’ y a pas que l’urgence qui dépend de l’appréciation personnelle
et subjective du juge. En effet, même lorsque les conditions légales sont remplies, le
juge apprécie s’il est opportun d’octroyer le sursis.

PARAGRAPHE II : L’OPPORTUNITE DE L’OCTROI DU SURSIS A EXECUTION

Il est admis que « le sursis à exécution est le remède donné par la loi aux
juridictions administratives pour pallier les conséquences irréversibles que pourrait
entraîner le caractère non suspensif d’un recours devant l’une de ces
juridictions »1494. Or, la pratique suivie par le juge administratif camerounais a
tendance à contredire l’objet même du sursis qui « est d’empêcher que l’application
d’un acte de légalité douteuse ne crée une situation sur laquelle son annulation
ultérieure permettrait trop difficilement de revenir »1495.

Il s’avère que le juge camerounais est très souvent réticent à l’égard de cette
procédure « qui risque d’aboutir à la paralysie des collectivités publiques et substitue

1491
Pierre-François Racine, « les grands principes spécifiques au procès administratif », in Remy Cabrillac,
Marie-Anne Frison-Roche et Thierry Revet, sous la dir., Libertés et droits fondamentaux, 8e éd., Paris, Dalloz,
2000, p.631. Dans ce sens, voir : CE, Sect. 19 janvier 2001, confédération des radios libres, CE, Sect. 28 février
2001, Préfet des Alpes-Maritimes. Lire aussi Cédric Senelar-Gil, les conditions de mise en œuvre de l’article
L521.2 du Code de Justice administrative relative au référé – liberté, Mémoire de DEA de Droit Public
« Théories et pratiques », Université du Cergy – Pontoise, Sept. 2002, en particulier, pp. 17-29.
1492
O. Dugrip, op.cit, p. 327.
1493
Pierre Estoup, La pratique des procédures rapides – référés, ordonnances sur requête, procédures
d’injonction, Paris, Litec, 1990, p 59., n°70.
1494
M. Copper - Royer, Note sur CE, 22 juin 1956, Secrétaire d’Etat à la Reconstruction et au Logement, AJDA,
1956, II. 314.
1495
B. Pacteau, Note sous CE, Ass., 11 juin 1976, Moussa Koné, D., 1977. J. 40.

350
le juge à l’administrateur » 1496. C’est ainsi qu’il a introduit une exigence particulière à
l’octroi du sursis, à savoir que celui-ci ne doit intervenir que s’il est opportun. Ce
faisant, il « se reconnaît un pouvoir discrétionnaire pour prononcer le sursis,
consistant dans le fait qu’il estime ne pas être tenu de le faire alors que ses
conditions sont satisfaites »1497. Certes, il a jusque-là fait très peu usage de cette
exigence; mais, toutes les fois qu’il a fait appel à des considérations d’opportunité, il
a refusé d’ordonner le sursis à exécution (A) , restreignant encore le champ de la
procédure du sursis (B).

A. LE REFUS D’ORDONNER LE SURSIS A EXECUTION POUR DES


CONSIDERATIONS D’OPPORTUNITE

En faisant usage des considérations d’opportunité pour refuser d’ordonner le


sursis à exécution, le juge estime, implicitement mais certainement, qu’en cette
matière, sa compétence n’est pas liée, qu’au contraire, il se réserve, dans chaque
espèce, « le pouvoir d’apprécier l’opportunité du sursis »1498.

En général, le juge ne s’explique pas toujours sur ce qui l’a déterminé à


considérer comme inopportun l’octroi du sursis ; ce n’est que très exceptionnellement
qu’il motive son refus.

1. L’absence d’explication sur les considérations d’opportunité


constitutives de contre-indications à l’octroi du sursis

Dans une espèce portant sur le contentieux foncier intervenue le 30 juillet


19991499, le juge ne fait rien de plus qu’évoquer « l’état actuel de la procédure » et
« les faits de la cause » pour estimer inopportun l’octroi du sursis, « avant l’examen
au fond de la demande tendant à l’annulation de l’arrêté (…) » contesté du Ministre
de l’Urbanisme et de l’Habitat. De même, dans deux affaires intervenues le même
jour1500, il estime « inopportun (…) d’interférer avec la décision du défendeur avant

1496
M. Long, P. Weil, G. Braibant, GAJA, 1984, p. 260.
1497
P. Mouzouraki, op.cit, p.66.
1498
D. Dugrip, op.cit, p. 297.
1499
Ordonnance n° 75/OSE/PCA/CS/98-99 du 30 juillet 1999, affaire société BOTAC S.A. contre Etat du
Cameroun .
1500
Ordonnance n° 77/ORSE/PCA/CS/98-99 du 30 juillet 1999, affaire Tikum Frédéric Njei contre Etat du Cameroun et
ordonnance n° 78/ORSE/PCA/CS/98-99 du 30 juillet 1999, affaire Tchinda Louis contre Etat du Cameroun.

351
d’examiner l’affaire au fond », en évoquant, sans plus, « les circonstances de cette
affaire ».

Il se dégage de ce qui précède qu’il y aurait donc pour le juge à tenir des
« faits de la cause » ou des « circonstances de l’affaire » pour refuser un sursis
théoriquement fondé. Ceci est d’autant plus vrai que dans deux affaires rendues le
même jour que les précédentes, il a évoqué également les « circonstances de
l’affaire » pour justifier l’inopportunité de toute interférence avec la décision du
défendeur avant l’examen de l’affaire au fond. Dans la première affaire1501, le
requérant sollicitait le sursis à l’exécution des impositions mises à sa charge par
l’Administration fiscale ; tandis que dans la seconde1502, le requérant sollicitait le
sursis à l’exécution des décisions du Ministre de la Santé Publique et de l’Ordre
National des Pharmaciens du Cameroun ordonnant la fermeture de sa pharmacie et
sa radiation de l’Ordre des pharmaciens du Cameroun.

On peut voir dans cette jurisprudence l’application à la matière du sursis à


exécution "d’un nouveau bilan coût avantage". En effet, la considération des faits de
la cause et des circonstances de l’affaire permettent au juge de « refuser un sursis
qui n’aurait que des inconvénients ou même dont les inconvénients l’emporteraient
sur les avantages »1503. Il est ainsi amené à « s’ériger en protecteur de l’opportunité
administrative, s’autorisant en cela du fondement de son pouvoir
discrétionnaire »1504.

En somme, comme le fait observer B. Pacteau, « c’est à la fois une marge de


discrétionnarité juridictionnelle et une sorte de "bilan coût - avantage" qui pénètrent
dans le droit du sursis »1505. On comprend pourquoi le juge ne se sent pas obligé de
justifier les motifs qu’il évoque pour considérer comme inopportun l’octroi du sursis,
même s’il lui arrive de le faire.

1501
Ordonnance n°79/ORSE/PCA/CS/98-99 du 30 juillet 1999, affaire Momo Momo André contre Etat du
Cameroun
1502
Ordonnance n°80/ORSE/PCA/CS/98-99 du 30 juillet 1999, affaire Nganoa Emmanuel Blaise contre Etat du Cameroun.
1503
R. Chapus, Rapport de synthèse sur le juge administratif face à l’urgence, Gaz. Pal., 1985, p. 320.
1504
O. Dugrip, op.cit, p. 299.
1505
B. Pacteau, Contentieux administratif, op.cit, p. 297.

352
2. La justification exceptionnelle des considérations d’opportunité
constitutives de contre-indications à l’octroi du sursis

Il arrive que le juge apporte des justifications sur les considérations


d’opportunité qui l’ont conduit à refuser d’octroyer le sursis à exécution. Mais, comme
il a été dit précédemment, il ne se sent pas obligé de le faire. Ainsi, dans l’affaire
Mvogo Jean-Marie du 23 décembre 19971506, il considère comme inopportune la
suspension de l’exécution de la décision du Ministre des Relations Extérieures
admettant provisoirement une personne autre que le requérant à exercer les
fonctions de Consul Honoraire de la République Démocratique du Congo à Douala
en invoquant le fait que l’intéressé, désigné en remplacement du requérant, a « déjà
été officiellement installé dans ses fonctions » et que, la suspension de son activité
« ne saurait être ordonnée sans troubler les relations diplomatiques entre la
République Démocratique du Congo qu’il représente et l’Etat du Cameroun ». Si
cette décision fait apparaître « ce que peut être le bon usage de sa liberté par le
juge »1507, dans la mesure où il se refuse d’interférer dans les relations diplomatiques
de deux Etats, il reste que, en faisant usage des considérations d’opportunité en
matière de sursis, il restreint davantage son champ d’application.

B. UNE RESTRICTION SUPPLEMENTAIRE DU CHAMP DU SURSIS A


EXECUTION

La prise en compte des considérations d’opportunité en matière de sursis


constitue, au regard de la jurisprudence y relative, « une entrave supplémentaire sur
la route du sursis »1508, même si elle est visiblement limitée. D’abord, elle amène le
juge à considérer l’octroi du sursis comme directement contraire au principe de l’effet
immédiat des décisions administratives1509 . Ensuite, elle fait de l’institution du sursis
une institution d’exception.

1506
Ordonnance n°22/OSE/PCA/CS/97-98 du 23 décembre 1997, affaire Mvogo Jean-Marie contre Etat du Cameroun
1507
R. Chapus, Droit du Contentieux administratif, op.cit, p.892.
1508
B. Pacteau, op.cit, p.297.
1509
Ch. Debbasch et J-C. Ricci, op.cit, p. 422.

353
1. La protection du caractère exécutoire des décisions administratives

Il se dégage de la jurisprudence analysée plus haut que tant que la mesure de


sursis à exécution porte atteinte au caractère exécutoire de la décision attaquée, le juge
administratif refuse de l’ordonner. Il affirme ainsi « son pouvoir de faire prévaloir
l’exécution de la décision administrative dans un but de bonne administration bien qu’elle
consiste en un agissement dommageable et abusif de la puissance publique »1510.

On comprend pourquoi lorsqu’un requérant sollicite la suspension de l’exécution


des impositions mises à sa charge1511 ou qu’il demande le sursis à exécution des
décisions ordonnant la fermeture de sa pharmacie et sa radiation de l’Ordre des
Pharmaciens du Cameroun, le juge estime qu’ « il est inopportun vu les circonstances de
cette affaire, d’interférer avec la décision du défendeur avant d’examiner l’affaire au
fond »1512, ou qu’ « il est inopportun en l’état actuel de la procédure et vu les faits de la
cause, d’accorder la demande de sursis à exécution avant l’examen au fond de ce litige ».

Il résulte de cette considération que le sursis à exécution des décisions


administratives serait « une anomalie, en ce qu’il aboutit à traiter comme annulé un
acte encore en vigueur »1513, et qu’ «il entrave le pouvoir de création juridique des
autorités administratives et jette la suspension sur un acte qui bénéficie d’une
présomption de légalité »1514. Ainsi, comme l’écrit un auteur, « le sursis à exécution
n’est pas un droit (…), c’est une grâce en l’état actuel du droit »1515. Aussi, lorsque le
juge administratif exerce son pouvoir discrétionnaire en la matière, il n’exprime pas
autre chose que sa réserve à son égard. Mais, cet exercice n’est pas sans troubler la
compréhension de l’état de droit, en particulier celui relatif au caractère du sursis à
exécution qui s’avère être, enfin de compte, une institution d’exception.

1510
O. Dugrip, op.cit, p.300.
1511
Voir Ordonnance n°79/ORSE/PCA/CS/98-99 du 30 juillet 1999, affaire Momo Momo André Contre Etat du
Cameroun
1512
Dans le même sens, mais en matière foncière, ordonnance n° 77/ORSE/PCA/CS/98-99 du 30 juillet 1999,
affaire Tikum Frédéric Njei Contre Etat du Cameroun et ordonnance n°78/ORSE/PCA/CS/98-99 du 30 juillet
1999, affaire Tchinda Louis Contre Etat du Cameroun.
1513
B. Pacteau, Note sous CE, Ass., 18 juin 1976, Moussa Koné, op., cit.
1514
J. Morand-Deviller, « Le contrôle de l’administration : la spécificité des méthodes du juge administratif et
du juge judiciaire », op.cit, p.191.
1515
F. Gazier, cité par O. Dugrip, op.cit ; p.301.

354
2. Le caractère exceptionnel du sursis à exécution

Dans ses conclusions sur l’affaire Ministre des Finances et des Affaires
Economiques c/ Crédit Coopératif Foncier, M. Laurent affirmait très précisément que « du
fait même qu’il s’oppose à un acte administratif, le sursis ne peut avoir qu’un caractère
strictement exceptionnel »1516. Cette affirmation est d’autant plus actuelle que dans les
affaires Momo Momo André1517, Tikum Frédéric Njei1518 et Tchinda Louis1519 du 30 juillet
1999, le juge administratif camerounais considère qu’il est inopportun vu les circonstances
de l’affaire « d’interférer avec la décision du défendeur avant d’examiner l’affaire au
fond ». Il n’ admet donc pas le sursis à exécution comme une institution normale dans la
procédure administrative contentieuse.

Pourtant, que le sursis constitue une exception dans la mesure où il déroge à la


règle du caractère exécutoire des décisions administratives, cela ne justifie pas « qu’il
doive être contenu dans des limites aussi étroites »1520. En réalité, comme l’écrit F.
Moderne, le sursis à exécution est « victime des ambiguïtés qui caractérisent les relations,
toujours fragiles, entre une administration qui répugne à la censure juridictionnelle et une
juridiction qui s’efforce tant bien que mal de remplir sa mission (…) » 1521. La considération
que le juge a du sursis « reflète nécessairement de telles tensions et, au nom du réalisme
(plus simplement peut être pour préserver son existence), le juge administratif pratique
une autocensure sans doute inévitable »1522.

Il se dégage de la jurisprudence en cause que la préoccupation majeure du


juge administratif camerounais semble être « de ne pas se substituer à
l’administration active, de ne pas énerver l’action de cette administration, ni affaiblir
son autorité »1523, avant l’examen de l’affaire au fond.

En n’ordonnant pas le sursis à exécution pour des motifs d’opportunité, le juge


cherche probablement à éviter « de paralyser des décisions dont l’opportunité ne
serait pas douteuse »1524. Ce faisant, cependant, il limite le champ d’application du

1516
Laurent, concl. sous CE, 1er octobre 1954, Rec., p.492.
1517
Ordonnance n°79/ORSE/PCA/CS/98-99 du 30 juillet 1999, affaire Momo Momo André Contre Etat du Cameroun.
1518
Ordonnance n°77/ORSE/PCA/CS/98-99 du 30 juillet 1999, affaire Tikum Frédéric Njei Contre Etat du Cameroun.
1519
Ordonnance n°78/ORSE/PCA/CS/98-99 du 30 juillet 1999, affaire Tchinda Louis Contre Etat du Cameroun.
1520
O. Dugrip, op.cit., p. 302.
1521
F. Moderne, Colloque IEJ, Pau, p, 268, cité par O. Dugrip, ibid.
1522
Ibid.
1523
G. Braibant, Note sous CE, 1er octobre 1954, Ministre des Finances et des Affaires Economiques contre
Crédit coopératif foncier, AJDA, 1954, II, 424.
1524
Ibid.

355
sursis à exécution. Il paraît donc difficile d’admettre la position adoptée par le juge,
car aucune justification n’a été avancée par lui pour justifier l’inopportunité
« d’interférer avec la décision du défendeur avant d’examiner l’affaire au fond » s’il
ordonne la suspension de l’ exécution des décisions mises en cause.

Le sursis à exécution devrait, pourtant, être orienté dans le sens de la


protection du citoyen et de l’individu et non dans celui de la défense de
l’Administration. Tout en évitant un alignement automatique sur la position du
requérant, le juge devrait empêcher qu’il y soit irrémédiablement porté atteinte. Le
sursis devrait donc être ordonné chaque fois qu’il s’avère nécessaire de faire
obstacle à l’exécution immédiate des décisions administratives dont les
conséquences seraient graves pour les requérants et dont l’illégalité est avérée.
C’est le meilleur moyen « d’empêcher la création d’une situation de fait sur laquelle
on pourrait redouter de ne point pouvoir revenir »1525. C’est aussi à cette condition
que le sursis à exécution sera effectivement et certainement une procédure
d’urgence mise en oeuvre de façon moins discriminatoire. Cela est également
valable pour le référé administratif qui est exceptionnellement ordonné par le juge
administratif camerounais.

1525
O. Dugrip, op.cit, pp. 238-239.

356
CHAPITRE II

L’OCTROI EXCEPTIONNEL DU REFERE


ADMINISTRATIF

357
Classiquement, le référé administratif est essentiellement destiné à la
préparation des procès et à la conservation ou à la recherche d’éléments de preuve
sur des dommages ou situations1526.

A l’instar du sursis à l’exécution, le référé administratif est une mesure


d’attente dont la finalité est de geler la situation contentieuse afin d’écarter
immédiatement un péril qui menace à court terme l’intérêt du requérant. Il assure
ainsi, en sauvegardant les droits des parties, « que le jugement, quand il sera rendu
sur le fond, produira tous ses effets, et ne sera pas simplement " un coup d’épée
dans l’eau" »1527.

Le référé trouve donc sa justification dans la nécessité d’une intervention


rapide du juge administratif, « à peine de priver le pouvoir juridictionnel de toute
effectivité »1528. L’urgence est sa raison d’être. C’est la raison pour laquelle il
n’intervient qu’en « cas d’urgence ».1529 Elle en est aussi l’une des conditions
d’octroi.

D’après l’article 122 de la loi n°75/17 du 8 décemb re 1975 fixant la procédure


devant la Cour Suprême statuant en matière administrative, « dans tous les cas
d’urgence et sauf pour les litiges intéressant le maintien de l’ordre public, la sécurité
et la tranquillité publiques, le Président de la Chambre Administrative ou l’Assemblée
Plénière, ou le Magistrat qu’il délègue, peut, après avis conforme du Ministère public,
ordonner toutes mesures utiles sans faire préjudice au principal ». Il se dégage de
cet article que les conditions d’ octroi du référé administratif sont : l’urgence de la
situation ; l’exclusion des litiges intéressant le maintien de l’ordre public ; l’utilité des
mesures sollicitées ; l’avis conforme du Ministère Public ; l’interdiction de préjudicier
au principal. A ces conditions, le juge a ajouté l’interdiction de faire obstacle à
l’exécution d’une décision administrative.

Ces conditions peuvent être regroupées en deux grands groupes. D’une part,
les conditions positives, et, d’autre part, les conditions négatives. Leur prise en
compte par le juge est fonction de chaque espèce qui lui est soumise. Mais, un
examen attentif de la jurisprudence amène à dire que si le juge appréhende de façon

1526
B. Pacteau, op. cit., p. 310.
1527
P.L. Frier, L’urgence, op. cit., p. 296.
1528
O. Dugrip, op. cit., p. 305.
1529
Article 122 de la loi n°75/17 du 8 décembre 1975.

358
relativement stricte les conditions positives (Section I), son appréhension des
conditions négatives est plutôt indécise (Section II).

SECTION I : L’APPREHENSION RELATIVEMENT STRICTE DES


CONDITIONS POSITIVES D’OCTROI DU REFERE
ADMINISTRATIF

Le référé ne présente d’intérêt que s’il permet au juge de répondre


efficacement aux exigences des situations de fait qui lui sont soumises. Pour cette
raison, la loi ne devrait pas limiter les possibilités d’intervention de juge mais
permettre celle-ci chaque fois qu’elle s’impose.

Justifiée par l’existence d’une situation d’urgence, l’intervention du juge du


référé doit être limitée à ce que l’urgence commande. Ainsi, le juge doit seulement
pouvoir protéger les droits et intérêts des parties dans l’attente du jugement au fond.
Le législateur a donc prescrit des conditions positives d’intervention du juge pour
octroyer ou refuser le référé. Mais, leur appréhension dépend, pour l’essentiel, du
juge. Il en est ainsi de l’urgence de la situation (§ 1) ; de l’utilité de la mesure
sollicitée ( § 2) et de l’avis conforme du Ministère Public ( §3).

PARAGRAPHE I : L’URGENCE DE LA SITUATION

L’urgence conditionne le prononcé par le juge administratif du référé. Elle


donne la mesure de son intervention en ce qu’ « elle en est la condition mais aussi
la limite »1530.

Tout le monde s’accorde pour voir dans la notion d’urgence « le fondement de


toute ordonnance de référé »1531. Mais, comme l’écrit R. Chapus, « elle est appréciée
de façon concrète, compte tenu des particularités de chaque espèce et des
circonstances que le requérant doit prendre soin d’invoquer ».1532 « Notion de
fait »1533, voire de « pur fait »1534, l’urgence en tant qu’elle est une condition légale
d’intervention du juge est aussi une notion de droit. On peut donc dire qu’il s’agit

1530
O. Dugrip, op. cit., p. 306.
1531
J-C Piedbois, « l’urgence et l’utilité dans la procédure du référé », Gaz. Pal., 1985, p.121.
1532
R. Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit., p 826.
1533
C. Cézar-Bru, P. Hebraud, J. Seignolle et G. Odoul, La juridiction du président du tribunal, t.1 : des référés,
Lib. Techn. ,1978, p. 39, cité par O. Dugrip, op. cit., p. 308.
1534
Chr. Gabolde, « L’exception d’urgence en droit administratif », D., 1952, Chr., p. 42.

359
d’une notion qui participe à la fois du fait et du droit. Aussi, lorsque le juge doit
apprécier ou déterminer l’existence d’une situation d’urgence, il est amené à donner
aux faits de l’espèce une qualification juridique d’où il résultera des conséquences de
droit.

Si la loi fait de l’urgence une condition d’octroi du référé, elle ne la définit pas.
En effet, Elle se borne à autoriser l’intervention du juge « dans tous les cas
d’urgence », sans autre précision. Le législateur s’est donc refusé à donner des cas
d’urgence une énumération qui serait toujours incomplète même si elle était
suffisamment détaillée. Ce faisant, il a laissé la latitude au juge pour déterminer son
intervention, sans même lui indiquer un « critère lui permettant de distinguer tel " cas
d’urgence" de tel autre cas qui ne serait pas d’urgence »1535. Le juge administratif
camerounais lui-même n’a pas non plus donné une définition de l’urgence lorsqu’il
statue au vu des circonstances de chaque espèce.

Comme le notait M. Grevisse dans ses conclusions dans l’affaire Secrétaire


d’Etat à la Reconstruction et au Logement c/consorts Hué, « en matière de référé,
l’urgence ne saurait être définie dans une formule abstraite, le juge doit la découvrir
dans chaque cas particulier et son appréciation discrétionnaire ne peut être révisée
en appel qu’avec circonspection pour ne pas gêner par une conception trop étroite
le fonctionnement d’une des institutions les mieux adaptées aux nécessités d’une
bonne justice »1536. Il considérait alors, à la suite de Wattine, que « l’urgence ne se
1537
définit pas, elle se constate et elle s’affirme » . De fait, l’opération de qualification
de la situation d’urgence par le juge peut être considérée comme constituant la
traduction de sa conception de l’urgence « et il est possible, par la multiplication de
ses prises de position, d’en cerner les contours »1538.

Le juge étant donc amené à identifier les circonstances de fait à la condition


d’urgence énoncée par la loi et à lui donner, par conséquent, un contenu pratique,
prend en compte tantôt les éléments temporels (A), tantôt les éléments finalistes (B)
qui ont présidé à l’institution du référé . Ces éléments qui sont de l’essence du référé,
« commandent directement la détermination de l’urgence par le juge »1539.

1535
G. Pambou Tchivounda, op. cit., p. 103.
1536
AJDA, 1958, II. 188.
1537
Ibid.
1538
O. Dugrip, op. cit., p. 311.
1539
Ibid., p. 312.

360
A. L’APPREHENSION TEMPORELLE DE L’URGENCE

C’est un truisme de dire que le temps est inhérent, voire consubstantiel à


l’urgence. Par définition, l’urgence est une question de temps. Celui-ci est de ce fait
un élément déterminant dans l’appréhension de l’urgence, car celle-ci « n’apparaît
vraiment que lorsqu’il n’y a plus de temps à perdre »1540 .

Appréhendée du point de vue temporel, l’urgence résulte d’une part de


l’écoulement du temps nécessitant une intervention rapide du juge et, d’autre part,
de l’existence d’un préjudice dans le retard à statuer. Comme l’a relevé la Cour
d’Appel d’Amiens en France, « (…), la notion d’urgence suppose qu’un retard dans la
décision à intervenir entraînerait en fait un préjudice » 1541.

On a classiquement vu dans l’urgence « l’âme du référé »1542. De fait, c’est


« assurément dans la logique même du référé qui doit permettre au juge d’agir plus
vite que parce que le temps passe »1543.

Il se dégage des ordonnances de référé rendues par le juge administratif


camerounais que, dans l’attente de l’examen au fond, il est amené à appréhender
l’urgence sur le plan temporel dans deux hypothèses : d’un côté par rapport au
risque de préjudice matériel, et, de l’autre, par rapport au risque de préjudice
financier.

1. L’appréhension de l’urgence par rapport au risque de préjudice matériel

L’existence d’une situation d’urgence est reconnue par le juge lorsque, à


défaut d’une prompte intervention de sa part, l’écoulement du temps risque
d’entraîner la réalisation ou l’aggravation d’un dommage matériel suffisamment
important pour justifier une mesure immédiate. Il s’agit pour lui de prévenir une
situation qui risque de devenir irréparable ou à tout le moins difficilement réparable
ou alors susceptible de se détériorer rapidement1544.

1540
G. Pambou Tchivounda, op. cit., p.81.
1541
CA , Amiens, 26 juin 1950, Bull. doc., 3. 76. 239, cité par O. Dugrip, op. cit., p. 313.
1542
J-M. Auby et R. Drago, Traité de contentieux administratif, T2, op. cit., p.47.
1543
B. Pacteau, op. cit., p. 314.
1544
CFJ/CAY, arrêt n°91 du 06 janvier 1970, Nkwenkam Molhie Luc contre Commune de Pleine Exercice de
Yaoundé.

361
Ainsi, le juge considère « qu’il y a urgence à prescrire » une mesure
conservatoire constituant à ordonner, par provision, la suspension de l’exécution de
la décision prise par le Secrétaire d’Etat au Tourisme portant nomination d’un
administrateur séquestre dans un hôtel, dans le but d’éviter la détérioration du
patrimoine immobilier dudit hôtel1545, surtout que cette autorité a agi au mépris de la
réglementation applicable en matière touristique et hôtelière.

De même, le juge estime qu’il y a urgence à ordonner l’arrêt provisoire des


travaux sur un terrain litigieux « pour garantir les droits de tout un chacun »1546 ou
alors ceux du requérant en particulier « sur l’immeuble objet de la contestation » 1547
ou sur un immeuble qui a fait l’objet d’un titre foncier1548.

Le juge reconnaît, également, qu’il y a urgence à ordonner le référé en


désignant un expert dans une cause du fait de « la compétition de deux titres
fonciers établis sur un même terrain, mettant dans l’embarras deux propriétaires
distincts »1549 ; tout comme il reconnaît l’existence d’une situation d’urgence lorsque
« les travaux dont l’arrêt est sollicité sont de nature à causer un préjudice irréparable
à la collectivité requérante dont les membres qui occupent les lieux litigieux depuis
plusieurs décennies risquent de les perdre définitivement, même en cas de remise
en cause des titres fonciers attaqués »1550.

2. L’appréhension de l’urgence par rapport au risque de préjudice financier

Le juge admet aussi l’urgence lorsqu’il s’agit d’éviter un préjudice menaçant


les finances du requérant. Ainsi, en matière d’imposition, il y a urgence à suspendre
l’exécution d’un commandement servi à trois redevables distincts en ce que les trois
redevables peuvent être saisis, avec le risque de faire du tort à l'un d'eux1551.

1545
Ordonnance de référé n°01/ORSE/PCA/CS/86-87 du 23 octobre 1986, affaire La Succession Roggow C/Etat du
Cameroun.
1546
Ordonnance de référé n°06/OR/PCA/CS/93-94 du 25 novembre 1993, affaire Collectivité de Maképé II
C/Etat du Cameroun.
1547
Ordonnance de référé n°19/OR/CS/PCA/92-93 du 29 juillet 1993, affaire collectivité Kambo contre Etat du Cameroun.
1548
Ordonnance de référé n°02/PCA/CS/97-98 du 02 octobre 1997, affaire Kouogan Claude contre Etat du
Cameroun et Ngoum-Pene Joseph (intervenant).
1549
Ordonnance de référé n°21/OR/PCA/CS/97-98 du 16 décembre 1997, affaire Ngouempemeu Joseph C/Etat du
Cameroun.
1550
Ordonnance de référé n°05/OR/PCA/CS/98-99 du 15 octobre 1998, affaire collectivité Villageoise Minkwele
C/Etat du Cameroun.
1551
Ordonnance de référé n°12/OR/PCA/CS/93-94 du 04 mars 1994, affaire société SINTRABOIS contre Etat du Cameroun.

362
Mais, la condition d’urgence n’est pas d’application absolue. Ainsi, même
lorsqu’elle est remplie, la mesure sollicitée peut ne pas être ordonnée. C’est le cas
lorsque l’intervention du juge de référé risque de préjudicier au principal ; lorsque le
requérant a saisi le juge de référé pour qu’il constate que l’avenant d’un marché lie
l’Etat uniquement à son débiteur qui en est le seul signataire et qu’il ordonne en
conséquence la rectification des décomptes établis en faveur d’un tiers en exécution
de cet avenant1552.

Il résulte de ceci que le juge n’exige pas que le dommage redouté soit toujours
irréparable. La reconnaissance de l’urgence repose donc, essentiellement, « sur la
considération que la situation peut évoluer avant l’intervention du juge du fond,
entraînant un préjudice pour le demandeur »1553. Dès lors, l’urgence suppose
l’existence d’un élément finaliste.

B. L’APPREHENSION FINALISTE DE L’URGENCE

L’élément finaliste de l’urgence est uniquement appréhendé par rapport à la


finalité de la procédure de référé qui n’est rien d’autre qu’une procédure accessoire
destinée à faciliter ou à permettre la solution d’un éventuel litige au fond. Ainsi, la
condition d’urgence est satisfaite dès lors que la prescription de la mesure sollicitée
permet au requérant d’obtenir des éléments d’information ou des documents dont
aura besoin le requérant pour défendre ses intérêts lors de l’instance principale.

Pour ordonner la mesure sollicitée par le requérant, le juge ne prend plus en


compte l’écoulement du temps qui risque de préjudicier ses intérêts. Il se base plutôt
sur l’utilité que présente la mesure sollicitée en vue de la solution du litige au fond
lorsque l’affaire viendra devant le juge du principal. L’urgence résulte dans ce cas de
la nécessité de communiquer en temps utile au demandeur les documents qui lui
permettront d’exercer son recours contentieux. C’est ainsi que dans l’affaire Ndjofang
Frédéric du 31 mars 19771554, le juge a admis que le requérant avait « droit à la
communication du bulletin de toutes ses notes qu’il a obtenues à l’examen d’entrée
en 4e année de l’ENAES ainsi qu’à l’obtention des thermocopies des épreuves

1552
Ordonnance de référé n°19/ORSE/PCA/86-87 du 17 septembre 1987, affaire Ossongo Eteme François contre
Etat du Cameroun.
1553
O. Dugrip, op. cit., p. 329.
1554
Ordonnance de référé n°60/77/OR1/CS/CA du 31 mars 1977, affaire Ndjofang Frédéric contre Etat du
Cameroun.

363
écrites qu’il a subies en vue d’une contestation éventuelle de l’authenticité de ces
documents (…) ».

A contrario, le juge refuse de prescrire la mesure sollicitée lorsqu’elle est sans


influence sur l’exercice éventuel d’un recours pour excès de pouvoir ou lorsqu’elle
tend à faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative. C’est ainsi que dans
l’affaire Lélé Gustave du 3 juin 19781555, il déclare que s’il « est constant que
l’urgence constitue le fondement même de la décision de référé », elle « ne peut plus
entrer en ligne de compte lorsque la mesure demandée tend à faire obstacle à
l’exécution d’une décision administrative ».

l’urgence n’existe donc dans l’hypothèse examinée « qu’autant que le recours


au fond n’a pas été formée »1556.

De fait, l’appréhension de l’urgence d’un point de vue finaliste par le juge


n’est pas pour autant dépourvue de toute considération d’ordre temporel. Comme
l’écrit O. Dugrip, « elle contient par nature, une connotation temporelle même si celle-
ci ne fonde pas immédiatement la reconnaissance de l’urgence »1557.

Il se dégage de l’analyse de la condition d’urgence que cette notion couvre


des faits si divers que l’on ne peut en donner une définition générale et uniforme. Il
s’agit d’une notion générique ayant un contenu variable. Mais, le juge de référé
n’intervient que s’il y a urgence, et la mesure sollicitée ne peut être ordonnée par lui
que s’il y a urgence au moment où il statue. Il faut noter, par ailleurs, que l’urgence
est aussi relative aux circonstances de l’affaire, à la nature des mesures sollicitées
et au juge qui statue. Il faut relever, enfin, que le juge a une appréciation subjective
de l’urgence bien que la déclaration de l’urgence par lui suppose que le requérant
invoque les éléments de nature à conférer un caractère d’urgence aux mesures qu’il
sollicite.

Reposant donc sur une analyse des circonstances de l’affaire exposées par le
demandeur, « la négation ou la reconnaissance de l’urgence résultent d’une

1555
Ordonnance de référé n°7/ORSE/CS/PCA/77-78 du 3 juin 1978, affaire Lélé Gustave contre Etat du
Cameroun. Suite à l’appel interjeté par le sieur Lélé, cette ordonnance a été confirmée par l’Assemblée plénière.
V. arrêt n°06/A du 25 février 1999, Lélé Gustave C/Etat du Cameroun.
1556
O. Dugrip, « Mesures conservatoires et effet suspensif dans la procédure administrative », Cahiers n°4 de
IDEDH, Université de Montpellier I, Faculté de Droit et des Science Economiques, 1995 , p. 45.
1557
O. Dugrip L’urgence contentieuse devant les juridictions administratives, op. cit., p. 326.

364
appréciation personnelle et subjective du juge du référé »1558. Du fait de l’imprécision
législative de la notion, le juge peut , en effet, lui donner le contenu de son choix.
Aussi, le fait qu’il en ait une appréhension contingente, relative et subjective1559 ne
saurait surprendre. D’ailleurs, cette appréhension flexible de l’urgence lui permet
d’appréhender aussi la condition de l’utilité des mesures sollicitées.

PARAGRAPHE II : L’UTILITE DE LA MESURE SOLLICITEE

La condition d’utilité de la mesure sollicitée n’est pas explicitement énoncée


par l’article 122 de la loi n° 75/77 du 8 décembre 1975. Cet article indique, en effet,
que « dans tous les cas d’urgence (…), le Président de la Chambre Administrative
(…) peut(…) ordonner toutes mesures utiles sans faire préjudice au principal ». Mais,
il résulte de cette disposition législative que les mesures que peut ordonner le juge
doivent être utiles. Cette exigence vient compléter celle selon laquelle les mesures
demandées doivent être urgentes. Ainsi, « indispensable à l’intervention du juge du
référé, l’urgence et l’utilité sont (…) deux notions complémentaires ». De fait, le juge
ne peut ordonner que des mesures urgentes qui sont utiles. Cependant, l’urgence et
l’utilité relèvent chacune de deux logiques distinctes, étant entendu que chacune
d’elles constitue l’expression d’un des caractères essentiels de la procédure de
référé, à savoir le caractère urgent et le caractère accessoire. Il résulte de ceci que
l’exigence que les mesures sollicitées soient utiles à la solution du litige est l’objet
d’une appréciation spécifique fondée sur le but de la procédure de référé.

Comme l’écrit P-L. Frier, la recherche de l’utilité par le juge « lui permet de
déterminer s’il faut prescrire les mesures demandées et cela indépendamment de
tout élément temporel. Il s’interroge pour savoir si les demandes formulées
permettraient effectivement de sauvegarder les droits des parties et apportent un
quelconque bénéfice pour la solution du litige »1560. Aussi, pour appréhender l’utilité
des mesures sollicitées, le juge administratif camerounais s’assure d’une part
qu’elles sont nécessaires à la préservation des droits menacés du requérant (A), et,
d’autre part, qu’elles présentent un intérêt pour la solution du litige (B).

1558
Ibid., p. 332.
1559
O.Dugrip, op. cit. p. 334. Dans le même sens, J-C. Piedbois, op. cit., p. 122.
1560
P.L Frier, op. cit., p. 307.

365
A. L’UTILITE DE LA MESURE POUR LA PRESERVATION DES DROITS
MENACES DU REQUERANT

L’intervention du juge du référé n’a d’autre finalité que la sauvegarde des


droits du requérant dans l’attente du jugement au fond. Elle est d’autant plus
nécessaire que ces droits peuvent être remis en cause de façon irrémédiable du fait
de l’écoulement du temps. A défaut, la mesure sollicitée n’est pas utile. Ainsi, les
mesures utiles sont « celles qui, compte tenu de l’urgence, sont de nature à
permettre la préservation des droits des administrés (…) »1561. Seulement, elles ne le
sont en matière de référé que si leur prescription ressortit à la compétence du juge
de référé ; au cas contraire, elles sont inutiles.

1. L’utilité des mesures relevant de la compétence du juge des référés

Ainsi que l’indique le juge dans l’affaire Fouda Etama du 25 juin 19871562, si
l’article 122 de la loi n°75/17 « ne concrétise pas les mesures susceptibles d’être
prononcées » en matière de référé, « se bornant à énoncer que le Président de la
Chambre Administrative ou l’Assemblée Plénière peut dans certaines conditions et
limites , ordonner " toutes mesures utiles " (…), le juge des référés administratifs ne
peut, en tant que tel prononcer que des mesures provisoires ou conservatoires »1563.
Il peut s’agir soit des mesures utiles à sauvegarder une situation mise en péril par un
acte administratif1564, soit des mesures utiles à éviter une situation mettant en péril
les intérêts des parties1565. Mais, le juge ne peut ordonner ces mesures utiles que
sous la réserve de ne pas faire préjudice au principal et de ne pas faire obstacle à
l’exécution d’aucune décision administrative1566. Autrement dit, la mesure utile « ne

1561
G.Vedel et P. Delvolvé, Droit administratif, T2, op. cit., p. 185. V. aussi conclusions de Mme Latournerie
sur CE, 17 décembre 1976, Ferignac, où elle écrit qu’ « une mesure qui est demandée au juge des référés est
utile si elle est de nature à sauvegarder ou à protéger un droit du demandeur » ; Rec., p .564.
1562
Ordonnance de référé n°14/ORSE/PCA/86-87 du 25 juin 1987, affaire Fouda Etama C/Etat du Cameroun.
1563
Dans le même sens, ordonnance de référé n°63/OR/PCA/CS/97/98 du 6 juillet, affaire Melingui Melingui
Narcisse Balise C/Etat du Cameroun.
1564
Ordonnance de référé, n°16/OR/PCA/CS/91-92 du 4 juin 1992, affaire Sienche Maurice et autres contre Etat
du Cameroun ; ordonnance de référé n°02/OR/PCA/CS/93-94 du 07 octobre 1993, affaire Ahanda François
contre Etat du Cameroun ; ordonnance de référé n°30/OR/PCA/CS/97-98 du 21 janvier 1998, affaire Société
Antenne Electrique Alarme (AEA) C/Etat du Cameroun ; ordonnance de référé n°67/OR/PCA/CS/97-98 du 24
août 1998, affaire Madame Nedjeumen Emilienne C/Etat du Cameroun ; ordonnance de référé
n°06/OR/PCA/CS/98-99 du 8 décembre 1998, affaire SOSSO Emmanuel C/Etat du Cameroun.
1565
Ordonnance de référé n°01/OSE/PCA/CS/97-98 du 2 octobre 1997, affaire Dame Abanda Metogo née Noah
clémentine C/Etat du Cameroun
1566
Ordonnance de référé n°07/OR/PCA/CS/93-94 du 25 novembre 1993 affaire Nsegué Joseph & autres c/Etat
du Cameroun et la MAETUR (intervenante).

366
doit nullement être une solution finale au fond du litige » 1567. Elle doit être une
mesure provisoire ou conservatoire destinée à sauvegarder les droits et intérêts
d’une partie, dans l’attente du règlement au fond du litige. Mais, c’est aussi une
mesure qui affecte et modifie la situation des parties, car elle se traduit « par une
obligation de faire ou de ne pas faire à la charge de l’une d’elles »1568, bien entendu,
« de façon provisoire et durant le procès »1569. A ce titre, est utile la mesure
ordonnant l’arrêt des travaux sur un terrain litigieux1570 soit pour garantir les droits de
tout un chacun et éviter que les agissements de l’une des parties « n’ébranlent la
paix sociale et l’ordre public »1571, soit pour éviter que le requérant ne subisse un
préjudice irréparable1572 ou que ses intérêts ne soient définitivement compromis1573.
Il en est ainsi parce qu’il s’agit d’une mesure qui relève de la compétence du juge de
référé et qui ne touche pas le fond du litige. Sont, a contrario, inutiles les mesures qui
ne relèvent pas de sa compétence.

2. L’inutilité des mesures ne relevant pas de la compétence du juge des


référés

La mesure sollicitée est inutile lorsque d’autres procédures spécifiques sont


envisageables ou prévues, ou lorsqu’elle est susceptible d’être décidée par le juge
du fond, ou enfin, lorsqu’elle ne relève pas de la compétence du juge administratif.

Ainsi, est inutile la mesure tendant à obtenir du juge des référés la suspension
de l’exécution d’une décision contestée du fait qu’il ne peut y procéder « sans
examiner préalablement le bien fondé en fait et en droit de la demande (…) ou au
mieux sans faire préjudice au principal »1574, ou alors « sans outrepasser ses

1567
Ordonnance de référé n°16/PCA/CS/91-92 du 4 juin 1992 ; ordonnance de référé n°02/OR/PCA/CS/93-94
du 7 octobre 1993 ; ordonnance de référé n°01/OSE/PCA/CS/97-98 du 2 octobre 1997 ; ordonnance de référé
n°30/OR/PCA/CS/97-98 du 21 juin 1998 ; ordonnance de référé n°67/OR/PCA/97-98 du 24 août 1998 ;
ordonnance de référé n°06/OR/PCA/CS/98-99 du 8 décembre 1998.
1568
R. Chapus, Rapport de synthèse, op. cit., p. 318.
1569
Y. Gaudemet, « Les procédures d’urgence dans le contentieux administratif », op. cit., p. 428.
1570
Ordonnance de référé n°09/ORSE/CS/PCA/88-89 du 28 septembre 1989, affaire , Tamo Pelap Jean-claude
contre Commune Urbaine de Bafoussam ; ordonnance de référé n°19/OR/CS/PCA/92-93 du 29 juillet 1993,
affaire Collectivité Kambo C/Etat du Cameroun.
1571
Ordonnance de référé n°06/OR/PCA/CS/93-94 du 25 novembre 1993, affaire collectivité Makepé II C/Etat du
Cameroun.
1572
Ordonnance de référé n°05/PCA/CS/98-99 du 15 octobre 1998, affaire Collectivité villageoise Minkwele
contre Etat du Cameroun.
1573
Ordonnance de référé n°16/OR/PCA/CS/97-98 du 02 octobre 1998, affaire Kouogan Claude contre Etat du Cameroun.
1574
V. ordonnance de référé n°16/OR/PCA/CQ/91-92 du 4 juin 1992, affaire Sienche Maurice et autre C/Etat du
Cameroun ; ordonnance de référé n°02/OR/PCA/CS/93-94 du 07 octobre 1993, affaire Ahanda François C/Etat
du Cameroun ; ordonnance de référé n°01/OSE/PCA/CS/97-98 du 02 octobre 1997, affaire Dame Abanda

367
pouvoirs »1575. Il en est de même de la mesure tendant à ce que les parties soient
maintenues « en l’état en attendant l’aboutissement de la procédure du fond » en ce
qu’elle ne constitue guère une mesure provisoire1576, de celle sollicitant la
suspension du commandement enjoignant le requérant à payer une certaine somme
d’argent à l’administration fiscale et la main-levée des scellés1577 ou tendant à ce qu’il
soit ordonné la discontinuité des poursuites engagées contre le requérant1578. Tel
est le principe qui n’est pas cependant absolu. En effet, Il arrive que le juge le
remette en cause. C’est ainsi que dans l’affaire la Succession Roggow du 23 octobre
19861579, il a admis la mesure tendant à suspendre l’exécution d’une décision
nommant un administrateur séquestre dans un hôtel en se conformant à l’avis du
Ministère Public qui estimait qu’une telle mesure serait judicieuse « pour limiter les
dégâts (…) ».

Par ailleurs, est également inutile la mesure tendant à obtenir du juge


l’annulation des résultats contestés des examens dans une école de formation ; le
juge de référé étant incompétent pour décider, par ordonnance, du fond d’un tel
litige1580. De même, est inutile la mesure consistant à condamner l’Etat à l’allocation
d’une indemnité pour des travaux effectués sur un chantier de construction d’un
immeuble public en ce que le juge de référé ne peut « apprécier le bien fondé d’une
demande d’indemnisation et encore moins, allouer l’indemnité réclamée même à
titre provisionnel »1581.

Enfin, est inutile la mesure consistant à protéger les intérêts du requérant et


des tiers dans un litige touchant au contentieux électoral, en ce qu'aucune
contestation par voie judiciaire n’est admise dans ce domaine au regard des textes
en vigueur1582.

Metogo née Noah Clémentine C/Etat du Cameroun ; ordonnance de référé n°30 OR/PCA/CS/97-98 du 21
janvier 1998, affaire Société Antenne Electronique Alarme (AEA) C/Etat du Cameroun.
1575
Ordonnance de référé n°07/ OR/PCA/CS/93-94 du 25 novembre 1993 affaire Nsegue Joseph et autres C/Etat
du Cameroun et MAETUR (intervenante).
1576
Ordonnance de référé n°63/ OR/PCA/CS/97-98 du 6 juillet 1998, affaire Melingui Melingui Narcisse Blaise
C/Etat du Cameroun.
1577
Ordonnance de référé n°67OR/PCA/CS/97-98 du 24 août 1998, affaire Madame Nedjeumen Emilienne
contre Etat du Cameroun.
1578
Ordonnance de référé n°01/ORSE/PCA/CS/86-87 du 23 octobre 1986, affaire La Succession Roggow contre
Etat du Cameroun.
1580
Ordonnance de référé n°60/77/OR1/CS/CA du 31 mars 1977, affaire Ndjofang Frédéric contre Etat du Cameroun.
1581
Ordonnance de référé n°14/ORSE/PCA/86-87 du 25 juin 1987, affaire Fouda Etama contre Etat du Cameroun.
1582
Ordonnance de référé n°08/ OR/PCA/CS/ du 31 mars 1988, affaire Fonacho Georges Isaih contre Etat du Cameroun.

368
Il apparaît donc que le juge écarte la demande pour défaut d’utilité lorsque son
intervention n’est pas nécessaire ou lorsqu’elle ne s’impose pas au regard de son
champ de compétence. Mais, la nécessité de cette intervention n’est qu’un des
éléments de détermination ou d’appréciation de l’utilité de la mesure sollicitée. Pour
être utile, il faut encore qu’ elle présente un intérêt pour la solution du litige.

B. L’UTILITE DE LA MESURE SOLLICITEE POUR LA SOLUTION DU LITIGE

La reconnaissance de l’utilité de la mesure sollicitée ne saurait relever d’une


affirmation de principe. Elle dépend de l’objet même de la mesure. Celle-ci doit ou
devrait présenter un intérêt pour la solution du litige. Il en est ainsi de la mesure
relative à la remise du document sollicité par le requérant et des mesures
d’instruction.

1. L’utilité de la communication de document sollicité par le requérant

Le juge estime généralement utile d’ordonner la communication ou la remise


au requérant des documents qui lui permettent de faire valoir ses droits dans une
instance au fond. C’est ainsi que dans l’affaire Ndjofang Frédéric du 31 mars
19771583, il a considéré que « la remise au requérant du relevé des notes qu’il a
obtenus à l’examen d’entrée en 4ème année ainsi que les thermocopies des épreuves
écrites qu’il a subies en vue d’une contestation éventuelle de l’authenticité de ces
documents constitue une mesure utile qui ne fait pas préjudice au principal » et que
le requérant avait donc droit à la communication desdits documents. Ce faisant, le
juge a crée à l’égard de l’Administration une obligation de faire.

Une telle mesure présente un intérêt pour la solution du litige tant en référé
qu’au fond en cas de recours en annulation. Il en est de même des mesures
d’instruction relatives à l’expertise.

1583
Ordonnance de référé n°60/77/OR1/CS/CA du 31 mars 1977.

369
2. L’utilité des mesures d’instruction relatives à l’expertise

Les mesures d’instruction servent « à éclairer le juge, de façon qu’il puisse


statuer en bonne connaissance de cause »1584. Elles sont, à la différence des
mesures conservatoires, « sans effets sur la situation des parties »1585. Elles se
traduisent par la production de pièces, des opérations de vérification, des enquêtes
ou des expertises. Bref, « elles sont un outil du juge dans la recherche de la vérité
qui lui incombe »1586.

Lorsqu’une personne sollicite par voie de référé des mesures utiles d’expertise
ou d’instruction, elle n’ a pas à invoquer forcément l’urgence ; « il lui suffit seulement
de prouver voire d’alléguer, l’"utilité" de la mesure sollicitée » 1587. Mais, celle-ci ne
doit pas préjudicier au principal1588.

Il résulte de ce qui précède qu’est utile la mesure d’expertise tendant à


« confirmer que l’immeuble du requérant ne se trouve pas dans le domaine
public »1589, en ce qu’ elle ne fait nullement préjudice au principal. Par contre, n’est
pas utile l’ « expertise dont l’objet est entièrement lié au fond du litige »1590.

Est également utile la désignation d’un expert dans le cas où deux titres
fonciers sont en compétition sur un même terrain, dans la mesure où il devra préciser
lequel des deux titres a pour objet le terrain litigieux1591. Il en est de même lorsque la
désignation de l’expert permet de déterminer si l’immeuble du requérant, menacé de
destruction par l’autorité municipale, se trouve dans le domaine public ou pas1592. Le
travail de l’expert doit porter exclusivement sur des questions de fait. Comme le juge
principal, le juge du référé ne peut pas lui confier le soin de se prononcer sur des
questions de droit telles, par exemple, les conséquences juridiques à tirer du résultat

1584
R.Chapus, Rapport de synthèse, op. cit., p. 318.
1585
Ibid.
1586
Y. Gaudemet, « Les procédures d’urgence… », op. cit., p. 427.
1587
Ch. Debbasch et J-C. Ricci, op. cit., p. 406.
1588
Ordonnance de référé n°30/ OR/PCA/CS/97-98 du 21 janvier 1998, affaire Société Antenne Electronique
Alarme contre Etat du Cameroun.
1589
ordonnance de référé n°63/OR/PCA/CS/97-98 du 6 juillet 1998, affaire Melingui Meligui Narcisse Blaise
contre Etat du Cameroun.
1590
Ordonnance de référé n°30/ OR/PCA/CS/97-98 du 21 janvier 1998, affaire Société Antenne Electronique
Alarme C/Etat du Cameroun.
1591
Ordonnance de référé n°21/V97-98 du 16 décembre 1997, affaire Ngouempemeu Joseph C/Etat du
Cameroun et Kouogan Claude.
1592
Ordonnance de référé n°63/ OR/PCA/CS/97-98 du 6 juillet 1998, affaire Melingui Melingui Narcisse Balise
C/Etat du Cameroun.

370
de ses investigations1593; le bien fondé d’une prétention ; l’étendue d’un droit ou
d’une obligation ; ou encore, la qualification juridique des faits relevés1594. Il
détermine la mission de l’expert « dans les limites des conclusions dont il est
saisi »1595.

Exprimée par la condition d’utilité, la finalité du référé est également


commandée par l’intervention urgente du juge. Aussi, la mesure ne peut être utile
qu’autant qu’elle s’inscrit dans le cadre temporel limité par l’urgence et durant lequel
elle présente effectivement un intérêt pour la solution du litige. Comme l’écrit M.
Grevisse, dans ses conclusions sur l’affaire Secrétaire d’Etat à la Reconstruction et
au Logement, « le critère de la mesure utile doit être recherché dans les exigences
que comporte la situation de fait qui a été estimée suffisamment urgente pour
justifier l’intervention du juge des référés »1596. Toutefois, l’urgence et l’utilité ne sont
pas les seules conditions exigées pour l’octroi du référé. Le juge administratif
camerounais prend également en compte l’avis du Ministère Public qui, d’après la loi,
est un avis conforme.

PARAGRAPHE III : L’AVIS CONFORME DU MINISTERE PUBLIC

Comme en matière de sursis à exécution, l’avis du Ministère Public doit être


requis et suivi par le juge administratif lorsqu’il statue sur des demandes en référé. Il
s’agit d’une obligation contenue dans l’article 122 de la loi n° 75 du 8 décembre 1975
qui énonce que « dans tous les cas d’urgence, le Président de la Chambre
Administrative (…) peut, après avis conforme du Ministère Public ,ordonner toutes
mesures utiles (…) ».

Dans l’ordre juridictionnel camerounais, le Ministère Public représente la


société devant les juridictions où il est chargé de veiller au respect de la loi. Sa
mission est de faire entendre, face aux positions contradictoires des parties, une voix
impartiale et désintéressée.

Sur le plan administratif, le Ministère Public est hiérarchiquement subordonné


au Ministre de la Justice1597 de qui il peut recevoir des instructions et qui peut

1593
V.C.E, 2 mai 1958, Douesnard, Rec., p. 257.
1594
R.Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 832.
1595
Ibid.
1596
Conclusions sur CE, Section, 14 mars 1958, AJDA, 1958. II. 189.
1597
V. article 3 du décret n°95/048 du 08 mars 1995 portant Statut de la Magistrature.

371
orienter ses réquisitions ou les influencer. C’est dire si par cette voie, le Ministre de la
Justice, et donc l’Etat, peut peser sur les décisions rendues par le juge ; surtout que
la loi fait obligation à celui-ci, en matière de référé, de se conformer aux réquisitions
du Ministère public.

En matière de référé administratif, en effet, l’exigence de l’avis conforme du


Ministère public implique que le juge administratif est tenu à la fois de demander et
de suivre cet avis. Autrement dit, le juge, titulaire du pouvoir normateur, est tenu de
susciter la manifestation de volonté du Ministère public et obligé de la suivre, c’est-à-
dire « de la reproduire purement et simplement »1598. Ainsi, l’ordonnance de référé
« ne peut être émise du consentement expresse »1599 du Ministère Public.

Il résulte de ce qui précède que l’avis conforme ou impératif du Ministère


public est plus qu’un avis. Il constitue « une collaboration effective à la décision »1600
du juge, car celle-ci ne peut être prise sans son concours. En d’autres termes, le juge
1601
ne prend la décision projetée « qu’avec l’accord » du Ministère public « qui se
trouve ainsi étroitement associé à l’exercice du pouvoir de décision »1602.

En faisant obligation au juge de statuer en référé après avis conforme du


Ministère public, le législateur ampute un élément essentiel de son pouvoir de
décision, car bien que théoriquement compétent, il ne décide plus seul et « n’ a pas
de pouvoir d’appréciation »1603; même si le Ministère public, agissant ainsi comme
organe consultatif, « n’est pas pour autant investi d’un pouvoir de décision, puisque,
seul, il ne peut qu’émettre un avis sans force exécutoire »1604.

Il se dégage de la jurisprudence relative au référé que, si pour l’essentiel, le


juge reconnaît l’obligation légale qui lui est faite de statuer conformément à l’avis
émis par le Ministère public (A), il arrive souvent qu’il la relativise (B).

1598
R. Hostiou, op. cit., p. 28
1599
Ibid.
1600
E. Laferrière, T2, op. cit., p. 505.
1601
R. Chapus, Droit administratif général, op. cit., p. 1070.
1602
Ibid.
1603
R. Hostiou, op. cit., p. 31.
1604
Ibid.

372
A. LA RECONNAISSANCE DE L’OBLIGATION DE STATUER

CONFORMEMENT A L’AVIS DU MINISTERE PUBLIC

De façon générale, le juge administratif décide dans le sens indiqué par le


Ministère public, même lorsqu’il omet d’indiquer formellement1605 ou
substantiellement1606 son avis . Sa présence dans la phase de jugement1607 et
l’absence de recours en appel introduit par lui attestent ou indiquent que le juge s’est
conformé à son avis.

Le juge reconnaît l’obligation légale qui lui est faite de statuer dans le sens
des réquisitions du Ministère public1608 d’une part, en la formulant, et, d’autre part, en
l’appliquant.

1. La formulation de l’obligation de statuer conformément à l’avis émis


par le Ministère public

Le juge formule de diverses manières l’obligation légale qui lui est faite de se
conformer à l’avis du Ministère public. Dans certains cas, il la formule en ces termes :
« Attendu qu’en cas de réquisitions défavorables comme celui de l’espèce,
l’obligation qui lui est faite de se conformer à l’avis du Ministère Public dispense le
juge des référés administratifs de discuter les moyens invoqués par les parties »1609.
Dans d’autres cas, après avoir indiqué l’avis défavorable du Ministère public, il
précise que « dans ce cas obligation est faite au juge des référés de se conformer à
l’avis du Ministère public »1610, ou que « le juge des référés administratifs ne peut,

1605
Dans ce sens, ordonnance de référé n°07/OR/CQ/PCA/87/88 du 31 mars 1988, affaire Kamsu Joseph C/Etat
du Cameroun ; ordonnance de référé n°08/91-92 OR/CS/PCA du 27 février 1992, affaire Front Social
Democratic, Parti politique (SDF) c/Etat du Cameroun et ordonnance de référé n°02/PCA/CS/97-98 du 2
octobre 1997, affaire Kouogan Claude C/Etat du Cameroun.
1606
Dans se sens, ordonnance de référé n°01/CS/PCA/92-93 du 02 octobre 1992, affaire Union Démocratique
Camerounaise (UDC) c/Etat du Cameroun ; ordonnance de référé n°04/ORCS/PCA/92-93 du 02 octobre 1922,
affaire Dame Mayouga Yvonne c/Etat du Cameroun ; ordonnance de référé n°18/OR/PCA/CS/93-94 du 28 avril
1994, affaire Me Ndzinga Sébastien et autres C/Etat du Cameroun ; ordonnance de référé n°46/OR/PCA/CS/98-
99 du 12 mai 1998, affaire SOGETHORE c/Etat du Cameroun.
1607
V. par ex., ordonnance de référé n°01/OSE/PCA/CS/97-98 du 2 octobre 1997, affaire dame Abanda Metogo
née Noah Clémentine c/Etat du Cameroun ; ordonnance de référé n°4/OR/PCA/CS/97-98 du 09 avril 1998,
affaire Dutchou Jean c/Etat du Cameroun ; ordonnance de référé n°63/OR/PCA/CS/97-98 du 6 juillet 1998,
affaire Melingui Melingui Narcisse Blaise contre Etat du Cameroun.
1608
Ordonnance de référé n°14/ORSE/PCA/86-87 du 25 juin 1987, affaire Fouda Etama contre Etat du Cameroun.
1609
Ordonnance de référé n°03/ORSE/PCA/CS/86-87 du 25 juin 1987, affaire Ossongo Eteme François c/Etat du
Cameroun et ordonnance de référé n°08 OR/CSPCA/88-89 du 28 septembre 1989 affaire Ngwie Emmanuel
Mbang c/Etat du Cameroun.
1610
Ordonnance de référé n°03/90-91/OR/CS/PCA du 03 décembre 1990, affaire Bonu Innocent contre Etat du Cameroun.

373
suivant les prescriptions de l’article 122 de la loi n°75/17 du 8 décembre 1975,
qu’entériner les conclusions du Ministère public »1611 . Dans d’autres cas enfin, après
avoir énoncé l’avis favorable du Ministère public, il déclare « qu’il convient de rendre
une ordonnance conforme à l’avis énoncé ci-dessus, par application de l’article 122
in fine précité »1612 ou « qu’il échet de faire droit » à la demande du requérant
« conformément à l’avis du ministère public »1613. Cette formulation de l’obligation de
statuer selon l’avis du Ministère public implique pour le juge l’obligation de
l’appliquer.

2. L’application de l’obligation de statuer conformément à l’avis du


ministère public

Le juge administratif applique de deux façons l’obligation qui lui est faite de se
conformer à l’avis du Ministère public. Tantôt il l’appliquer sans examiner les moyens
de la cause ; tantôt il le fait tout en examinant les moyens de la cause.

a. L’application de l’avis du Ministère public sans examen des moyens de la


cause

Dans certaines affaires, le juge affirme clairement, après avoir énoncé l’avis
du ministère public qu’il dit s’imposer à lui, qu’il n’est pas tenu « de discuter les
moyens invoqués par les parties »1614. Dans d’autres affaires, il formule d’abord
l’obligation avant de rejeter les recours. Il en est ainsi dans l’affaire Ngassam
Thomas Débonnaire du 30 mars 19891615 où, après avoir formulé cette obligation, il
conclut qu’ « (…) en conséquence le rejet de la demande de Ngassam Thomas
Débonnaire s’impose ». il en est de même dans l’affaire Bonu Innocent du 03
décembre 19901616 où il conclut « qu’il y a lieu par conséquent de jeter cette requête
pour absence d’acte administratif faisant grief ». Dans d’autres affaires encore, il

1611
Ordonnance de référé n°19/ORSE/PCA/86-87 du 17 septembre 1987, affaire Ossongo Eteme François C/Etat
du Cameroun. Dans le même sens, ordonnance de référé n°03/OR/CS/PCA/88-89 du 30 mars 1989, affaire
Ngassam Thomas débonnaire c/Etat du Cameroun.
1612
Ordonnance de référé n°01/ORSE/PCA/CS/86-87 du 23 octobre 1986, La Succession Roggow contre Etat du Cameroun.
1613
Ordonnance de référé n°09/ORSE/CS/PCA/88-89 du 28 septembre 1989, affaire Tamo Pelap Jean-Claude
C/Etat du Cameroun.
1614
Dans ce sens, ordonnance de référé n°03/ORSE/PCA/Q/86-87 du 25 juin 1987, affaire Ossongo Eteme
François C/Etat du Cameroun et ordonnance de référé n°08 /OR/CS/PCA/88-89 du 28 septembre 1989, affaire
Ngwie Emmanuel Mbang, C/Etat du Cameroun.
1615
Ordonnance de référé n°03/OR/CS/PCA/CQ/ 88-89 du 30 mars 1989.
1616
Ordonnance de référé n°03/90-91/OR/CS/PCA du 03 décembre 1990.

374
énonce l’avis du Ministère public et en tire les conséquences qui s’imposent, sans
examiner les moyens de la cause. Ainsi, lorsque le Ministère public requiert son
incompétence, il déclare « qu’il en découle que le juge des référés administratifs est
incompétent pour connaître ce litige, sans excéder son pouvoir en préjudiciant au
principal »1617 ou que « le juge des référés ne peut que se déclarer incompétent sa
décision risquant de préjudicier au principal »1618. De même, lorsque le Ministère
public requiert le rejet d’une demande au motif que le requérant a saisi le juge des
référés après le jugement au fond rendu dans une même affaire par le juge
administratif, il affirme « qu’il en découle que le juge des référés administratifs ne
peut que rejeter cette demande »1619. Il arrive qu’il aille au-delà en examinant les
moyens de la cause.

b. L’application de l’avis conforme du Ministère Public avec examen des


moyens de la cause

Il arrive que le juge des référés soit plus pédagogique dans l’application de
l’avis du Ministère public. Sans l’apprécier ou l’interpréter, il permet de mieux le
comprendre en examinant directement ou indirectement les moyens allégués par les
parties, en particulier le requérant. Quelques exemples suffisent pour illustrer cette
tendance.

Dans l’affaire Fouda Etama du 25 juin 19871620, lorsque le Ministère public


conclut au rejet de la demande pour incompétence en raison du risque de préjudice
au principal, le juge explique cette position en disant que même si la loi ne concrétise
pas les mesures susceptibles d’être prononcées en matière de référé, se bornant à
dire que le juge peut ordonner toutes « mesures utiles », « l’interdiction de faire
préjudice au principal a pour conséquence que le juge des référés administratifs ne
peut, en tant que tel prononcer que des mesures provisoires ou conservatoires » .
Ceci l’amène, logiquement, à dire que dans le cas d’espèce ni lui ni l’Assemblée
plénière ne peuvent au cours de la procédure de référé apprécier, comme le sollicite

1617
Ordonnance de référé n °15/OR/CS/PCA/CAY/91-92 du 4 juin 1992, affaire Nkengue Vincent de Paul c/Etat du
Cameroun.
1618
Ordonnance de référé N)05/OR/CS/PCA/90-91 du 29 novembre 1990, affaire Kotto Jean-Jacques c/Etat du Cameroun.
1619
Ordonnance de référé n°08/OR/CS/PCA/92-93 du 09 mars 1993 , affaire Ngangmufuh Fon Martin C/Etat du
Cameroun et Zangue Puis (intervenant).
1620
Ordonnance de référé n°14/ORSE/PCA/86-87 du 25 juin 1987, affaire Fouda Etama c/Etat du Cameroun

375
le requérant, « le bien fondé de la demande d’indemnisation et, encore moins,
allouer l’indemnité, même à titre provisionnel ».

De même, dans l’affaire Ossongo Eteme François du 17 septembre 19871621,


après avoir indiqué que le représentant du Ministère public a conclu à l’incompétence
de la juridiction des référés pour connaître de la mesure sollicitée par le requérant
pour risque de préjudice au principal et qu’il ne peut qu’entériner ses conclusions
suivant les prescriptions de la loi, le juge explique cela en disant qu’ il suffit de se
rapporter aux requêtes principale et de référé du demandeur pour se convaincre que
les deux demandes tendent l’une et l’autre à l’annulation de l’avenant contesté et la
rectification des décomptes établis en faveur d’une autre personne en exécution de
l’avenant dont l’annulation est sollicitée. Il estime que dans ces conditions, le risque
de préjudice au principal est incontestablement, et alors, par ailleurs, que
« l’interprétation des contrats, ne relève pas du juge des référés ». Quand en
audience le requérant change l’objet de sa requête et sollicite le sursis à exécution
de la décision attaquée, il lui fait savoir qu’une telle mesure ne peut être ordonnée
que dans le cadre d’une procédure spéciale prévue par la loi et qui est distincte de
celle du référé 1622 . De la même façon, dans l’affaire Ahanda François du 07 octobre
19931623, lorsque le Ministère public conclut au rejet de la requête qui sollicite le
sursis à exécution d’un arrêté contesté au motif que les décisions du juge des référés
administratifs ne peuvent ordonner que des mesures conservatoires qui ne doivent
nullement être une solution au fond du litige, le juge le suit en expliquant que « le
juge des référés ne peut ordonner la suspension de l’arrêté incriminé sans examiner
préalablement le bien fondé en fait et en droit de la demande du sieur Ahanda
François ou mieux sans faire préjudice au principal ». Dans l’affaire Nsegue Joseph
du 25 novembre 19931624, il précise, d’ailleurs, que « le juge des référés ne peut
ordonner la mesure sollicitée sans outrepasser ses pouvoirs » ; tandis que dans
l’affaire Sienche Maurice du 4 juin 19921625, il indique que « la seule procédure

1621
Ordonnance de référé n°19/ORSE/PCA/86-87 du 17 septembre 1987, affaire Ossongo Etémé François c/Etat
du Cameroun.
1622
Dans le même sens, ordonnance de référé n°16/OR/PCA/CS/ 91-92 du 4 juin 1992, affaire Sientche Maurice
et autres C/Etat du Cameroun.
1623
Ordonnance de référé n° 02/OR/PCA/CS/93-94 du 07 octobre 1993, affaire Ahanda François c/Etat du
Cameroun.
1624
Ordonnance de référé n°07/OR/PCA/CS/93-94 du 25 novembre 1993, affaire Nsegué Joseph et autres c/Etat
du Cameroun et MAETEUR (intervenante).
1625
Ordonnance de référé n°16/OR/PCA/CS/91-92 du 4 juin 1992.

376
susceptible de suspendre l’exécution d’une décision administrative est celle prévue
par l’article 16(2) de la loi n°75 du 8 décembre 19 75 ».

La même posture pédagogique a été adoptée par le juge dans l’affaire


Docteur Edou André du 19 mars 19911626, où, après avoir indiqué que le Ministère
public a conclu à l’incompétence du juge administratif, il a expliqué que le litige
portait sur l’ indemnisation découlant de l’expropriation pour cause d’utilité publique
et que, aux termes de la législation y relative, « seul le tribunal de première instance
du lieu de situation de l’immeuble est compétent pour connaître des contestations
nées de l’indemnisation pour expropriation ». Il a ajouté que la voie de fait alléguée
par le requérant relevait, selon l’ordonnance portant organisation de la Cour
Suprême, de la compétence des tribunaux de l’ordre judiciaire. Il en a été de même
dans l’affaire collectivité de Maképé II du 25 novembre 19931627 où, justifiant l’avis du
Ministère public favorable à l’octroi du référé, il a affirmé que les agissements des
mis en cause pourraient ébranler la paix sociale et l’ordre public. En l’espèce, les
mis en cause avaient frauduleusement obtenu un titre foncier sur un terrain litigieux
qu’ils avaient mis en vente et sur lequel des travaux étaient engagés. De la même
façon, dans l’affaire Anong Machia Abdoulaye du 3 décembre 19901628, il a soutenu
l’avis du Ministère public au motif que la mise en débet du requérant était fondée
parce qu’il ressortait de la contre vérification que le déficit financier qui lui avait été
imputé était effectif et qu’une suspension de l’exécution de l’acte contesté était
contre la loi et la réglementation en vigueur. Aussi a-t-il conclu que « les arguments
soutenus dans la demande de sursis à exécution, qui du reste tendent à préjudicier
au principal, ne sont pas fondés ».

On retrouve ce même souci d’expliquer et de préciser l’avis émis par Ministère


public dans les affaires journal « Le Messager » du 19 mars 19911629 et du 25 avril
19911630. Dans ces affaires, le requérant sollicitait du juge des référés qu’il ordonne
la main levée de la mesure de censure dont avait été l’objet son journal et la
publication des articles censurés, le Ministère public avait conclu à l’incompétence du

1626
Ordonnance de référé n°11/OR/CS/PCA/90-91 du 19 mars 1991, affaire Docteur Edou André C/communauté
urbaine de Yaoundé.
1627
Ordonnance de référé n°06/DR/PC/CS 93-94 du 25 novembre 1993, affaire collectivité de Makepe II C/Etat du
Cameroun.
1628
Ordonnance de référé n°02/OR/CS/PCA/90-91 du 3 décembre 1990, affaire Anong Machia Abdoulaye C/Etat du
Cameroun.
1629
Ordonnance de référé n °13/OR/CS/PCA/90-91 du 19 mars 1991 ,affaire journal « Le Messager » C/ Etat du Cameroun.
1630
Ordonnance de référé n°13/OR/CS/PCA/90-91 du 25 avril 1991, affaire journal « Le Messager » C/Etat du Cameroun.

377
juge des référés administratifs pour la raison que l’article 14 de la loi n°90/052 du 19
décembre 1990 relative à la communication sociale n’avait pas prévu de procédure
de référé et qu’elle avait confié les litiges nés de la censure au juge de fond. Pour
confirmer et justifier ces conclusions, le juge a eu à rappeler le contenu de la
disposition législative évoquée par le Ministère public avant d’affirmer « Qu’il en
découle que le juge de référé ne saurait, sans excéder son pouvoir en préjudiciant au
principal connaître des litiges nés de la censure ». Mais, il arrive que le juge aille au -
delà de l’explication ou qu’il ne se contente pas de suivre l’avis du Ministère public.
Autrement dit, il lui arrive de relativiser l’obligation qui lui est faite de statuer
conformément à l’avis émis par le Ministère public.

B. LA RELATIVISATION DE L’OBLIGATION DE STATUER


CONFORMEMENT A L’AVIS EMIS PAR LE MINISTERE PUBLIC

Relativement à l’avis conforme, le principe est que l’autorité consultante est,


non seulement tenue de l’obtenir de l’organe consultatif, mais aussi, et surtout
obligée de le suivre ou de s’y conformer. Elle n’ a pas le droit d’émettre des réserves,
ni d’apprécier, ni de remettre en cause l’avis obtenu. Elle doit la reproduire purement
et simplement. A ce titre, l’avis conforme est différent de l’avis facultatif et de l’avis
obligatoire ou consultatif. Les avis sont facultatifs « quant l’autorité qui les provoque
n’est pas obligée ni de les demander ni de les suivre »1631,et les avis sont
obligatoires ou consultatifs quand l’autorité consultative « est obligée de les
demander, mais non de les suivre »1632. Elle détient donc dans ces deux cas un
pouvoir d’appréciation de la décision à prendre. Elle peut l’édicter ou ne pas
l’édicter . Elle peut décider au-delà ou contre l’avis de l’organe consultatif.

Il se dégage de certaines ordonnances rendues par le juge administratif en


matière de référé que ce dernier tend à considérer les avis du Ministère public
comme des avis obligatoires ou consultatifs. C’est ainsi qu’il lui arrive soit de les
apprécier avant de les adopter, soit de les dépasser en évoquant d’autres moyens de
rejet ou d’acceptation du recours, soit, enfin de les remettre en cause.

1631
E. Laferrière op. cit., p.503.
1632
Ibid.

378
1. L’appréciation de l’avis conforme du Ministère Public avant son adoption

En matière d’avis conforme, « l’autorité théoriquement compétente ne prend


plus elle-même une décision puisqu’elle n’a pas de pouvoir d’appréciation »1633. Elle
doit reproduire purement et simplement la manifestation de volonté de l’organe
consultatif. Or, il se dégage de certaines ordonnances de référé que l’avis conforme
du Ministère public « est une simple formalité de nature analogue à l’avis simple
mais comportant pour l’auteur de l’acte un plus fort degré de pression »1634. En effet,
l’appréciation que le juge porte sur cet avis avant de l’adopter porte à croire qu’il peut
décider autrement s’il a une opinion différente ou si l’avis a été formulé autrement.
1635
Dans l’affaire société Plantera (SARL) du 29 novembre 1990 , le juge
adopte l’avis du Ministère public, qui a requis que le recours soit rejeté parce que mal
fondé, au motif que l’allégation qu’il a « développée est judicieuse et pertinente ».
Dans l’affaire Tsoungui Ayissi Laurent du 30 janvier 19911636 où le Ministère public
conclut d’une part à la suspension du Bulletin de Liquidation de Recettes contesté,
et, d’autre part, à l’incompétence du juge administratif pour ordonner le
remboursement des sommes précomptées et annuler le Bulletin de Liquidation de
Recettes litigieux, il déclare que « cette argumentation est pertinente, qu’il y a lieu de
rendre une ordonnance conforme à l’avis du Ministère public ». De même, dans
l’affaire Labogénie du 18 juillet 19911637 où le Ministère public a conclu au rejet de la
requête au motif que le requérant n’ a aucune qualité pour agir dans la cause, il a
considéré que « cette assertion est pertinente, il y a lieu de rendre une ordonnance
conforme à l’avis du ministère public ». De la même façon, il juge l’argumentation du
Ministère public pertinente lorsque celui-ci est favorable à la demande du requérant
qui sollicite l’arrêt des travaux effectués par des tiers sur un terrain objet de
contestation1638 ou lorsqu’il conclut à ce qu’il soit ordonné le sursis à exécution d’un
commandement servi au requérant avec injonction de payer une somme d’argent à

1633
R. Hostiou, op. cit., p. 31.
1634
R. Bourdonclé, Note sous CE, 19 décembre 1958, D., 1959 ; J.559 , cité par R. Hostiou, ibid.
1635
Ordonnance de référé n° 04/OR/CS/PCA/90/91 du 29 novembre 1990, affaire société PLANTERA (S.A.R.L)
contre Etat Cameroun, SODECAO et Banque Mondiale.
1636
Ordonnance de référé n°/07/OR/CS/PCA/90-91 du 30 janvier 1991, affaire Tsoungui Ayissi Laurent contre
Etat du Cameroun.
1637
Ordonnance de référé n°15/OR/CS/PCA/90/91 du 18 juillet 1991, affaire Labogénie contre Etat du
Cameroun..
1638
V. ordonnance de référé n°19/OR/CS/PCA/90-91 du 18 juillet 1993, affaire collectivité Kambo c/ Etat du Cameroun.

379
l’Etat au titre de la dette fiscale1639. Tout comme il considère comme « pertinente et
fondée» l’argumentation relative à l’incompétence du juge de référés soutenue par le
Ministère public dans l’affaire Belibi François du 13 juin 20001640, pour la raison que
la contestation soulevée par les parties, parce que fondée sur la question de
propriété, est sérieuse et de ce fait échappe à la compétence du juge des référés
administratifs.

En appréciant ainsi l’argumentation du Ministère public, le juge indique


implicitement, mais certainement, que son avis, bien que conforme, est « sans force
exécutoire »1641 et qu’il est seul investi d’un pouvoir de décision. On comprend alors
pourquoi il ne s’en contente pas toujours ou uniquement.

2. Le dépassement de l’avis conforme émis par le Ministère Public

L’exigence de l’avis conforme n’est pas une formalité de procédure qui viserait
simplement à éclairer l’auteur de l’acte sur l’exercice de sa compétence1642 . Elle
implique, pour l’autorité consultante, une prise en compte intégrale de l’idée
exprimée par l’organe consultatif. L’autonomie qui lui reste est seulement le pouvoir
de ne prendre aucune décision ou de provoquer un nouvel avis. Au lieu de procéder
ainsi, le juge administratif est souvent amené à compléter et à dépasser l’avis du
Ministère public, sans cependant le contredire. Ainsi, dans l’affaire Guinness
Cameroun du 07 août 19801643, alors que dans ses réquisitions le Ministère public
invitait le juge administratif à se déclarer incompétent pour connaître du litige et
partant à renvoyer la société requérante à mieux se pourvoir, au regard de l’objet de
sa demande qui portait sur la voie de fait, le juge n’y a pas souscrit directement. Il a
évoqué d’abord des problèmes liés à la recevabilité externe de la demande avant
d’aborder ceux relatifs à sa compétence : « Attendu qu’il convient de prime abord de
faire remarquer à la société Guinness que les demandes en référé devant le
Président de la Chambre administrative interviennent avant ou lors de l’introduction
d’un recours contentieux (…) qu’il ne ressort pas des déclarations de son conseil que
cette société soit sur le point de saisir la Chambre administrative d’un recours

1639
V. ordonnance de référé n° 12/OR/PCA/CS 93-94 du 4 mars 1994, affaire société SINTRABOIS C/ Etat du Cameroun.
1640
Ordonnance de référé n°38/OR/PCA/CS/99-2000 du 13 juin 2000, affaire Belibi François, c/Etat du Cameroun.
1641
R. Hostiou, op. cit., p. 31.
1642
Ibid., p. 32.
1643
Ordonnance de référé n°10/OR/PCA/79-80 du 07 août 1980 affaire Guinness Cameroun contre Etat du Cameroun.

380
contentieux, ni que cette juridiction ait déjà été saisie d’un pareil recours ». En
évoquant ce moyen, le juge dépasse donc le cadre de l’avis du Ministère public et
fait de celui-ci, non pas l’élément, mais un des éléments devant concourir à l’édiction
de la décision contestée.

De la même façon, dans l’affaire Nguimbous Jean-François du 18 décembre


19861644 où le Ministère public a conclu au rejet de la demande faisant valoir que le
requérant qui prétend avoir été autorisé verbalement par le Ministre de l’Urbanisme à
s’installer dans le logement d’où il a été expulsé sur ordre de cette autorité, «ne
rapporte pas la preuve de ses affirmations », le juge s’est référé plutôt à l’objet de la
demande portant sur le sursis à exécution de la décision contestée , ce qui l’a
amené à rejeter ladite demande, non pas parce que le demandeur « ne rapporte pas
la preuve de ses affirmations », comme l’a affirmé le Ministère public, mais « pour
incompétence du juge des référés administratifs à ordonner le sursis à exécution ».

La même tendance au dépassement de l’avis du Ministère public se dégage


dans l’affaire Mongo Mbock Philippe du 29 décembre 19861645. Bien qu’ayant suivi
l’avis du Ministère public qui avait conclu au rejet de la requête au motif d’une part
que le juge ne peut faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative par des
injonctions qu’il pourrait adresser à l’administration, et , d’autre part, que la décision
contestée a déjà été exécutée, le juge a ajouté, surabondamment, que le requérant,
qui avait obstinément refusé de recevoir notification du texte incriminé, ne pouvait se
prévaloir du fait que l’acte ne lui a pas été notifié « sans se mettre en position
d’alléguer sa propre turpitude ». Il a adopté une posture similaire dans les affaires
journal « Le Messager » du 19 mars 19911646 et du 25 avril 19911647 où il examine
les questions relatives à l’ordre public et aux bonnes mœurs, qui n’ont pas été
évoquées par le Ministère public dans ses réquisitions. Il arrive aussi qu’il statue
contre l’avis émis par ce dernier.

1644
Ordonnance de référé n°7/ORSE/PCA/CS/86-87 du 18 décembre 1986 affaire Nguimbous Jean-François
contre Etat du Cameroun.
1645
Ordonnance de référé n°08/ORSE/PCA/CS/86-87 du 29 décembre 1986, affaire Mongo Mbock Philippe
contre Etat du Cameroun.
1646
Ordonnance de référé n°12/OR/CS/PCA/90-91 du 19 mars 1991, affaire journal « Le Messager » contre Etat du
Cameroun.
1647
Ordonnance de référé n°13/OR/CS/PCA/90-91 du 25 avril 1991, affaire journal « Le Messager » c/Etat du Cameroun.

381
3. La remise en cause de l’avis émis par le Ministère public

En matière de référé, la remise en cause par le juge administratif de l’avis


émis par le Ministère public reste exceptionnelle. D’abord, parce qu’il est conscient
du fait que cet avis s’impose légalement à lui et qu’en cas de non respect , ce
dernier peut interjeter appel auprès l’Assemblée Plénière . Ensuite, parce que cette
dernière, dans une espèce en date du 21 novembre 19851648, a annulé une
ordonnance de référé qu’il a rendue le 18 juillet 1984 1649 et dans laquelle il ne s’était
pas conformé à l’avis du Ministère public ; en effet, «(…) en décidant comme il l’a fait
le Président de la Chambre administrative de la Cour Suprême a violé les
dispositions de l’article 122 de la loi du 8 décembre 1975 qui lui font obligation de se
conformer aux conclusions du Ministère public »1650.

Les espèces n’ayant pas fait l’objet d’appel du Ministère public sont celles
dans lesquelles la remise en cause de son avis par le juge n’a pas eu une influence
réelle ou significative sur le décision finale. Il en est ainsi des affaires Ndjofang
Frédéric du 31 mars 19771651 et Lélé Gustave du 3 juin 19781652. Dans l’affaire
Ndjofang Frédéric, le Ministère public avait requis le rejet de la requête en référé au
motif que le demandeur n’avait pas articulé la mesure utile sollicitée. Le juge a
estimé, par contre, que « la remise au requérant de relevé des notes qu’il a
obtenues à l’examen d’entrée 4éme année ainsi que les thermocopies des épreuves
écrites qu’il a subies (…) constituent une mesure utile (…) », mais a débouté le
requérant sur la prétention relative à l’annulation des examens attaqués, pour
incompétence. Quant à l’affaire Lélé Gustave, le Ministère public avait soulevé
l’irrecevabilité du recours d’une part pour défaut de qualité de la part du requérant,
et, d’autre part, parce que l’intéressé demandait au juge des référés de prononcer le
sursis à exécution de la décision contestée qui est une procédure parallèle distincte
de celle de référé qui ne relève pas de la compétence du juge des référés. Sur le
premier point, le juge a statué à l’opposé de l’avis émis par le Ministère public

1648
CS/AP . arrêt n5 A du 21 novembre 1985, affaire Procureur Général, Cour suprême c/Sighoko Fossi Abraham.
1649
Ordonnance de référé n°12/ORSE/CS/PCA/83-84 du 18 juillet 1984 affaire Sighoko Fossi Abraham contre
Etat du Cameroun.
1650
Dans le même sens, CS/AP arrêt n°9 A du 29 juin 1989, Procureur général, Cour Suprême c/Ets Nziko
André. L’ordonnance querellée ordonne la levée des scellés, alors que le Ministère public avait émis un avis
contraire. Elle a donc été infirmée par l’Assemblée Plénière de la Cour Suprême.
1651
Ordonnance de référé n°60/77/OR1/CS/CA/ du 31 mars 1977, affaire Ndjofang Frédéric c/ Etat du
Cameroun.
1652
Ordonnance de référé n°7/ORSE/CS/PCA/77-78 du juin 1978, affaire Lélé Gustave c/Etat du Cameroun.

382
estimant que le requérant avait bien qualité pour agir, car actionnaire dans la banque
pour laquelle il agissait, la radiation de celle-ci lui causait personnellement un
préjudice et que, par conséquent, la suspension de l’exécution des décisions
attaquées lui profitait nécessairement1653. C’est sur le second point qu’il a tranché,
plus ou moins, conformément à l’avis du Ministère public en évoquant, non pas
l’irrecevabilité du recours pour défaut de recours aux fins de sursis, comme le
requérait le Ministère public, mais plutôt l’incompétence du juge des référés à
ordonner une telle mesure qui fait l’objet d’une procédure parallèle.

Il résulte de ce qui précède que l’exigence de l’avis conforme du Ministère


public fait problème dans la mesure où, non seulement elle limite considérablement
le pouvoir d’appréciation du juge, mais en plus, elle complique davantage une
procédure soumise par ailleurs à d’autres conditions de forme et de fond aussi
contraignantes les unes que les autres. Il en est ainsi des conditions négatives dont
la finalité est de limiter les possibilités d’octroi du référé. L’appréhension de ces
conditions par le juge administratif est, pour l’essentiel, indécise.

SECTION II : L’APPREHENSION INDECISE DES CONDITIONS

NEGATIVES D’OCTROI DU REFERE ADMINISTRATIF

Le législateur a prévu deux conditions négatives d’octroi du référé


administratif. La première interdit au juge administratif d’octroyer le référé si le litige
intéresse l’ordre public, la sécurité et la tranquillité publiques ; tandis que la seconde
lui interdit de faire préjudice au principal1654. Il existe une troisième condition
négative qui a été introduite par le juge camerounais, à savoir que la mesure
sollicitée en référé ne doit pas faire obstacle à l’exécution d’une décision
administrative.

Toutes ces conditions limitent l’intervention du juge de référé. C’est la raison


pour laquelle elles sont qualifiées de négatives. Elles ont toutes leur origine dans le
droit administratif français. En effet, jusqu’en 1969, il était interdit au Président du
tribunal administratif en France d’avoir à connaître en référé des « litiges intéressant

1653
Dans cette affaire, le juge fonde la qualité du requérant sur l’intérêt pour agir. Cette position a été discutée en
son temps lorsque nous examinions le point relatif à l’appréciation par le juge de l’accessoire des conditions de
recevabilité externe des demandes annexes (voir 1ère partie, titre 1 chapitre 1 section 1).
1654
V. article 122 de la loi n°75/17 du 8 décembre 1975

383
l’ordre public et la sécurité publique »1655. Quant à l’interdiction de préjudicier au
principal et à l’interdiction de faire obstacle à l’exécution d’une décision
administrative, elles étaient, jusqu’à la réforme des procédures d’urgence
accessoires du 30 juin 2000, contenues dans le Code des tribunaux Administratifs et
des Cours administratives d’Appel qui disposait que le juge des référés peut « dans
tous les cas d’urgence ordonner toutes mesures utiles sans faire préjudice au
principal et sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative »1656.

Ces limitations se justifient par le fait que la procédure de référé a un


caractère accessoire et urgent. En effet, intervenant à l’issue d’une procédure
accélérée et provisoire, « le juge de l’urgence ne saurait avoir des pouvoirs aussi
étendus que le juge du principal »1657. Le juge de référé n’intervient donc que pour
prendre des mesures propres à empêcher une aggravation de la situation du
demandeur.

Il se dégage de la jurisprudence relative au référé que le juge administratif


camerounais a une appréhension indécise de ces conditions négatives ; qu’il
s’agisse de l’interdiction de se prononcer sur les litiges intéressant le maintien de
l’ordre public (§ 1), de l’interdiction de préjudicier au principal (§ 2) ou de l’interdiction
de faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative (§ 3).

PARAGRAPHE I : L’INTERDICTION DE CONNAITRE DES LITIGES


INTERESSANT LE MAINTIEN DE L’ORDRE PUBLIC

Estimant que les questions relatives à l’ordre public sont délicates, le


législateur les a soustraites de la compétence du juge des référés, comme il l’a fait
en matière de sursis à exécution. Dans le même temps, il a facilité l’action de
l’administration dans le domaine du maintien de l’ordre en évitant qu’elle ne soit
paralysée, même provisoirement, par le juge. Mais, il s’agit d’une précaution qui
s’avère en pratique superflue. D’abord, parce que le juge des référés ne se prononce
sur cette limitation que de façon contingente (A) ; ensuite, parce que lorsqu’il le fait, il
s’y prend de manière confuse (B).

1655
cette limite a été supprimée par le décret du 29 janvier 1969, en son article 9,. V. R. Chapus, Droit du
contentieux administratif, op. cit., 822.
1656
Article R 130 du code. V. B. Pacteau, op. cit., pp. 315 316 ; Ch. Debbasch et J-C. Ricci, op. cit., p. 412 et
O.Dugrip, « Mesures conservatoires et effet suspensif dans la procédure administrative » op. cit., p. 39.
1657
O. Dugrip, L’urgence contentieux…, op. cit., p. 343.

384
A. L’APPREHENSION CONTINGENTE DES LITIGES PAR RAPPORT AU

MAINTIEN DE L’ORDRE PUBLIC

Il se dégage de la jurisprudence administrative en matière de référé que


lorsque le juge statue, il appréhende rarement le litige par rapport au maintien de
l’ordre public . La raison en est que l’essentiel des litiges dont il est saisi sont l’ordre
social, foncier et financier et n’ont rien à voir directement ou indirectement avec le
maintien de l’ordre public. Ainsi, par exemple, sur 54 ordonnances de référé
recensées rendues de 1976 à 2000, le juge n’a appréhendé les litiges dont il était
saisi par rapport au maintien de l’ordre public que dans 10. A l’occasion, il a eu à
déterminer laconiquement les litiges n’intéressant pas le maintien de l’ordre public et
incidemment ceux qui intéressent le maintien de l’ordre public.

1. La détermination laconique des litiges intéressant le maintien de


l’ordre public

La détermination des litiges intéressant le maintien de l’ordre public par le juge


des référés a lieu lorsque la demande du requérant a de forte chance d’aboutir. Il
n’en va autrement que de façon exceptionnelle. Ainsi, dans l’affaire Tamo Pelap
Jean-Claude du 28 septembre 19891658, le juge a admis, après avoir estimé que la
requête du recourant tendant à ce qu’il ordonne l’arrêt des travaux sur le terrain objet
du litige était pertinente et ne préjudiciait pas au principal, que « le litige n’intéresse
ni le maintien de l’ordre public, ni la sécurité et la tranquillité publique ». Il en a été de
même dans les affaires collectivité Kambo du 29 juillet 19931659, Collectivité de
Maképé II du 25 novembre 19931660 , Kouogan Claude du 02 octobre 19971661 où il a
ordonné l’arrêt des travaux sur les terrains litigieux et dans l’affaire Ngouempemeu
Joseph du 16 décembre 19971662où, du fait de la compétition de deux titres fonciers
établis sur un même terrain, il a désigné un expert pour clarifier les faits de la cause.

1658
Ordonnance de référé n°09/ORSE/CS/PCA/88-89 du 28 septembre 1989, affaire Tamo Pelap Jean-Claude
c/commune urbaine de Bafoussam.
1659
Ordonnance de référé n°/19/OR/CS/PCA/92-93 du 29 juillet 1993, affaire collectivité Kambo contre Etat du Cameroun.
1660
Ordonnance de référé n°06/OR/PCA/CS/97-98- du 25 novembre 1997, affaire collectivité Makepe II contre
Etat du Cameroun.
1661
Ordonnance de référé n°02/OR/PCA/CS/97-98 du 02 octobre 1997, affaire Kouogan Claude contre Etat du Cameroun.
1662
Ordonnance de référé n°21/OR/PCA/CS/97-98 du 16 décembre 1997, affaire Ngoumepemeu Joseph c/Etat du Cameroun.

385
Par contre, dans l’affaire Mbongo Mounoume Thomas du 5 mars 19981663, bien qu’il
ait admis que le litige n’intéressait pas le maintien de l’ordre public, il s’est déclaré
incompétent au motif qu’il s’est dégagé des débats « une contestation sérieuse sur la
dualité des titres fonciers prétendument affectés à l’immeuble litigieux ».

En général, le juge ne dit pas en quoi et pourquoi le litige qui lui est soumis
n’intéresse pas le maintien de l’ordre public. Il se contente des formules stéréotypées
et laconiques du genre : « Attendu que le litige n’intéresse ni l’ordre public, ni la
sécurité et la tranquillité publiques »1664 ou : « Attendu que ni l’ordre public ni la
sécurité ou la tranquillité publique ne sont concernés »1665. Ce laconisme pose
problème parce que législateur n’a pas déterminé ce qui ressortit à l’ordre public, à
la sécurité et à la tranquillité publiques. Or, il s’avère qu’il s’agit de formules qui ne
sont en fait que l’expression d’une même notion à savoir l’ordre public. En se
contentant de reprendre telle quelle la formule législative sans l’expliciter, le juge
entretient le flou sur cette interdiction, ce qui est de nature à favoriser des abus
administratifs. En effet, il suffit que l’administration évoque dans sa décision ou dans
sa défense des nécessités de l’ordre public qui ont été à la base de son action pour
que le juge refuse d’intervenir dans la cause.

A contrario, lorsque le juge détermine de façon incidente les litiges intéressant


l’ordre public, il est plus explicite, bien qu’il ne précise pas toujours le contenu de
cette notion.

2. La détermination incidente des litiges intéressant le maintien de


l’ordre public

C’est de façon incidente que le juge administratif statuant en référé détermine


les litiges intéressant le maintien de l’ordre public. C’est ainsi que, invité par le
Ministère public dans les affaires journal « Le Messager » du 19 mars 19911666 et du

1663
Ordonnance de référé n°40/OR/PCA/CS/97-98 du 5 mars, affaire Mbongo Mounoume Thomas C/Etat du Cameroun.
1664
Ordonnance de référé n°09/ORSE/CS/PCA/88-89 du 28 septembre 1989, affaire Tamo Pelap Jean-Claude
C/Commune urbaine de Bafoussam.
1665
V. ordonnance de référé n°19/OR/CS/PCA/92-93 du 29 juillet 1993, affaire collectivité Kambo ; ordonnance
de référé n°06/OR/PCA/CS/93-94 du 25 novembre 1993, affaire collectivité Maképé II ; ordonnance de référé
n°21/OR/PCA/CS/97-98 du 16 décembre 1997, affaire Ngouempemeu Joseph et ordonnance de référé
n°04/OR/PCA/CS/97-98 du 5 mars 1998, affaire Mbongo Mounoume Thomas.
1666
Ordonnance de référé n°12/OR/CS/PCA/90-91 du 19 mars 1991, affaire journal « Le Messager » C/Etat du Cameroun.

386
25 avril 19911667 à se déclarer incompétent pour la raison que l’article 14 de la loi
n°/052 du 19 décembre 1990 relative à la liberté de communication sociale n’a pas
prévu de procédure de référé pour les litiges intéressant la censure administrative
des journaux, mais qu’il a confié ces litiges au juge de fond, il a, certes reconnu
qu’au regard de cette loi, il ne pouvait sans excéder son pouvoir, en préjudiciant au
principal, connaître de ces litiges, mais a indiqué, que la contestation était sérieuse
dans la mesure où elle était relative à l’ordre public et aux bonnes mœurs, « des
questions de fait dont l’appréciation relève du juge du fond »et que ne peut connaître
« le juge provisoire qu’est le juge de référé ». Ce faisant, il indiquait que les litiges
relatifs à la censure intéressaient le maintien de l’ordre public et qu’il ne peut en
connaître, en application de l’article 122 de la loi n °75/17 du 8 décembre 1975.

L’intérêt de cette jurisprudence est qu’elle renseigne sur la nature des litiges
portant sur l’ordre public, bien qu’elle ne définisse pas ce dernier. Il s’agit d’une
« contestation sérieuse » qui, sur le plan juridictionnel, ressortit à la compétence,
non pas du juge de l’accessoire ou du provisoire, mais du juge de fond, donc du
principal.

Mais, si dans les affaires journal « Le Messager », le juge a développé un


argumentaire concis et précis sur son incompétence à connaître en référé des
questions intéressant le maintien de l’ordre public, il n’en a pas été de même dans
d’autres espèces où il a une appréhension pour le moins confuse de cette
interdiction.

B. L’APPREHENSION CONFUSE DE L’INTERDICTION DE CONNAITRE


DES LITIGES INTERESSANT LE MAINTIEN DE L’ORDRE PUBLIC

Le juge des référés n’a pas toujours une appréhension exacte ou juste de
l’interdiction qui lui est faite de connaître des litiges intéressant le maintien de l’ordre
public. Il a tendance à la confondre à celle qui est faite au juge du sursis de
connaître des décisions intéressant l’ordre public ; ce qui n’est pas sans
implications.

1667
Ordonnance de référé n°13/OR/CS/PCA/90-91 du 25 avril 1991 ; affaire journal « Le Messager » c/Etat du
Cameroun.

387
1. L’objet de la confusion

Dans l’appréhension de l’interdiction qui lui est faite de connaître des litiges
intéressant l’ordre public, le juge confond la cause de sa saisine et son objet.
Autrement dit, il confond le litige, à savoir la difficulté ou le problème qui oppose le
demandeur en référé et l’administration et la solution sollicitée pour ce litige par le
demandeur.

Cette confusion a été faite, par exemple, dans deux espèces rendues
respectivement le 9 avril 1998 1668 et le 5 octobre 19981669. Dans la première espèce,
le litige portait sur la nomination à des postes de responsabilités au sein du Ministère
de l’Agriculture. Le requérant contestait cette nomination au motif que la décision
avait été rédigée avec des termes ambigus sur le titulaire du poste d’affectation qu’il
occupait ; il avait donc saisi le juge en référé pour qu’il ordonne la suspension de
l’exécution cette décision contestée. Le juge a accédé à sa demande, car il a estimé
que « la mesure sollicitée ne concerne ni le maintien de l’ordre public ni la sécurité
et la tranquillité », alors qu’il devait, en tant que juge des référés, dire que le litige
n’intéresse pas le maintien de l’ordre public… Dans la seconde espèce, le Ministre
de l’Urbanisme et de l’Habitat avait établi au profit des tiers un titre foncier sur des
parcelles de terrain appartenant à une collectivité villageoise. Alors que les
détenteurs desdits titres avaient engagé des travaux sur le terrain litigieux, le juge
des référés fut saisi par la collectivité requérante d’un recours tendant à ordonner
l’arrêt provisoire desdits travaux. Il accéda à cette demande au motif que « la
mesure sollicitée ne concerne ni l’ordre public, ni la sécurité ou la tranquillité
publiques », alors qu’en référé, c’est le litige, et non la décision, qui ne doit pas
concerner le maintien de l’ordre public. Ici encore, le juge a confondu l’interdiction
telle quelle est énoncée en matière de sursis et celle qui est consacrée en matière de
référé.

La loi est pourtant claire sur ce point. En matière de sursis, l’article 16 (2) de la
loi n°75/17 énonce que le juge ne peut ordonner le sursis à exécuter que si «(…) la
décision attaquée n’intéresse ni l’ordre public, ni la sécurité ou la tranquillité
publiques » ; alors qu’en matière de référé, l’article 122 de la même loi prescrit que le

1668
Ordonnance de référé n°45/OR/PCA/CS/97-98 du 9 avril 1998, affaire Dutchou Jean c/Etat du Cameroun.
1669
Ordonnance de référé n°05/OR/PCA/CS/98-99 du 15 octobre 1998, affaire collectivité villageoise Minkwele
c/Etat du Cameroun.

388
juge peut ordonner toutes mesures utiles «( …) sauf pour les litiges intéressant le
maintien de l’ordre public, la sécurité et la tranquillité publiques ».

La confusion entretenue par le juge des référés a nécessairement des


implications.

2. Les implications de la confusion

Ces implications sont de trois ordres. Premièrement, en confondant le litige


qui lui est soumis à la mesure sollicitée, le juge assimile le référé au sursis à
exécution ; or, bien que l’un et l’autre soient des mesures provisoires ou
conservatoires en ce qu’il tendent à la préservation des intérêts menacés du
requérant en attendant l’examen au fond du litige, ils demeurent deux mesures
autonomes, distinctes l’une de l’autre. Comme l’a écrit le Doyen M. Kamto, « s’il n’en
était point ainsi l’institution des deux procédures serait injustifiée »1670.
Deuxièmement, en considérant que c’est la mesure sollicitée, et non le litige, qui
n’intéresse pas le maintien de l’ordre public, le juge procède à une interprétation
extensive de l’article 122 de la loi n°75/17 relati ve à l’octroi du référé. En effet, dans
l’affaire Dutchou Jean du 9 avril 1998, il a suspendu les effets de la décision portant
nomination au Ministère de l’Agriculture au motif « qu’une telle mesure ne saurait
échapper à l’application des dispositions de l’article 122 de la loi susvisée, qui
s’avèrent de portée générale, alors que le sursis à exécution prévu à l’article 16 de la
même loi ne peut intervenir que si le juge administratif est saisi au fond du
contentieux dirigé contre la décision querellée ». Une telle argumentation est
discutable car, si l’article 122 dit que le juge peut « ordonner toutes mesures utiles »,
la jurisprudence estime que ces mesures ne doivent pas avoir pour finalité de faire
obstacle à l’exécution d’une décision administrative, comme c’est le cas en l’espèce.
La troisième implication, qui découle de ce qui vient d’être dit, est que, en ordonnant
le sursis à exécution, le juge des référés outrepasse ses pouvoirs , car il se
substitue au juge du sursis à exécution, créant ainsi une confusion entre ces deux
procédures, pourtant distinctes.

1670
M. Kamto, observations sur l’ordonnance de référé n°7/ORSE/CS/PCA/77-78 du 3 juin 1978, affaire Lele
Gustave C/Etat du Cameroun, in Droit administrative processuel du Cameroun, op. cit., p.181.

389
Dans l’appréhension de l’interdiction qui lui est faite de préjudicier au principal
lorsqu’il ordonne les « mesures utiles », le juge adopte aussi souvent, des positions
pour le moins confuses.

PARAGRAPHE II : L’INTERDICTION DE FAIRE PREJUDICE AU PRINCIPAL

L’interdiction faite au juge des référés par l’article 122 de la loi n°75/17 du 8
décembre 1975 de ne pas prononcer des mesures faisant « préjudice au principal »
est issue du Code de procédure civile français de 1806 - article 809 - reprise à
l’origine par la loi française de 19551671 et plus tard par le Code des tribunaux
administratifs et des cours administratives d’appel1672 jusqu’à la réforme des
procédures d’urgence le 30 juin 2000.

On peut s’interroger sur la nécessité de cette interdiction lorsqu’on sait que les
mesures édictées par le juge des référés ont toujours un caractère provisoire et n’ont
pas l’autorité de la chose jugée. Comment donc le juge des référés pourrait-il
préjudicier au jugement du principal et limiter la liberté du jugement du tribunal en
anticipant sur le règlement au fond du litige ?

Comme l’écrit J-C Piedbois, « l’idée que le juge des référés ne saurait prendre
position sur le fond et limiter les pouvoirs de la juridiction en orientant sa décision
future est l’une des idées les moins contestées et les plus faciles à comprendre »1673.
En effet, « l’interdiction de préjudicier au principal tend à exclure que le juge des
référés puisse statuer sur des questions de droit relevant de la compétence du juge
du principal, c’est-à-dire sur des questions de fond : celles qui seront débattues au
cours de l’instance ouverte par le recours principal »1674 ; et « même si les parties ne
soumettent jamais au juge le jugement du principal, les mesures de référé ne
sauraient empiéter sur la mission attribuée au juge du fond »1675, puisqu’elles sont
édictées dans le cadre d’une procédure provisoire et accessoire.

1671
V. Y Gaudemet, « les procédures d’urgence… » op. cit., p 429 ; Marie Françoise Casadei-Jung, « Etude
critique du référé administratif », Gaz. Pal., 1985. I. 279. Lors de la refonte du Code de procédure civile en
1975, cette notion de « préjudice au principal » a été définitivement. abandonnée.
1672
V. R. Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 830. L’auteur considère que la
formule « préjudice au principal » est une « expression quelque peu anarchique ».
1673
J-C Piedbois, « Procédure d’urgence ». Répertoire de contentieux administratif, Encyclopédie Dalloz, op. cit.
1674
R. Chapus, op. cit., p. 829.
1675
O. Dugrip, L’urgence contentieux… , op. cit. p. 344.

390
L’interdiction faite au juge des référés de préjudicier au principal répond aussi
au souci de donner à la procédure de référé la célérité nécessaire. En effet, la
connaissance des « contestations sérieuses » nécessite de longues investigations,
lesquelles sont incompatibles avec la rapidité qui caractérise la procédure de
référé1676. Par ailleurs, cette interdiction « incite le juge des référés à faire preuve
d’une certaine timidité chaque fois que la demande qui lui est présentée risquerait de
l’amener à prendre position sur une question délicate concernant le fond même du
litige »1677. Ainsi, dans l’intérêt des parties, dont les droits sont de ce fait préservés,
l’interdiction « assure la conciliation de l’efficacité de l’intervention du juge et du
respect des garanties d’une bonne administration »1678 . Elle empêche le juge des
référés, qui intervient dans une procédure où les garanties juridictionnelles restent
limitées, de porter un préjugement sur le litige, de trancher à ce stade une question
de droit et d’orienter ainsi la solution du différend1679.

Il se dégage de ce qui précède que l’ordonnance de référé doit laisser


« intacts les droits des parties sur le fond »1680 et ne doit pas résoudre le litige au
fond. En un mot, le juge des référés administratifs ne doit pas prendre « position sur
une question touchant le fond du droit »1681.

Ainsi, dans la procédure administrative contentieuse, « seul le juge du


principal peut se prononcer sur le fond du droit »1682. Le juge des référés
préjudicierait donc au principal s’il intervenait aussi sur le fond du droit. Mais,
comme l’écrivent Ch. Debbasch et J-C. Ricci, « s’il est facile de définir ainsi, en
principe, la notion de préjudice au principal, il est beaucoup plus difficile de
déterminer, dans la pratique, la ligne de démarcation des mesures préjudiciant au
fond »1683. Il s’avère qu’en lui-même, le prononcé des mesures de référé
« "préjudicie" toujours au principal d’une certaine façon, puisqu’il a pour objet
d’aménager la situation des parties par ailleurs en litige »1684. R. Chapus estime, à

1676
V.CFJ/CAY arrêt n°50 du 27 juin 1968, affaire Bernard Auteroche contre Ordre National des Médecins du
Cameroun.
1677
Francis Hamon et Herbert Mails, « L’urgence et la protection des libertés contre l’administration », Dalloz,
Chr., 1982, p. 52.
1678
O.Dugrip ; op. cit., p. 344.
1679
P-L Frier, L’urgence , op. cit. p. 315.
1680
CE, 2 mai 1959, Douesnard ; CE, 16 octobre 1985, Chauffou, D.A , 1985, n°563.
1681
Grevisse, Conclusions sur CE, 14 mars 1958, Secrétaire d’Etat à la Reconstruction et au Logement contre
Consorts Hue, AJDA, 1985 II. 186.
1682
O.Dugrip, « Mesures conservatoires et effet suspensif dans la procédure administrative », op. cit. p. 39.
1683
Ch. Debbasch et J-C. Ricci, op. cit. P. 413.
1684
Y. Gaudemet, op. cit., p. 429.

391
ce propos, que l’interdiction faite au juge des référés de préjudicier au principal « n’a
pas de sens en matière de mesure conservatoire », que « si le juge s’y tenait
vraiment, il ne pourrait jamais ordonner de telles mesures (…), il doit " composer "
avec cette interdiction »1685.

En droit privé, le juge des référés peut ordonner des mesures d’urgence
nécessaires, même touchant le fond du droit, « dès lors qu’elles ne soulèvent pas de
contestation juridique sérieuse »1686 . En effet, les particuliers peuvent lui demander
« de faire cesser jusqu’au jugement sur le fond une violation unilatérale » de leurs
droits et de « rétablir le statu quo ante de fait »1687. Le juge judiciaire peut ainsi
ordonner en référé des séquestres, des expulsions et des saisies - arrêts1688. C’est la
raison pour laquelle le juge administratif français a explicitement remplacé
l’interdiction de faire préjudice au principal en 1997 « par une autre exigence,
légitime celle-là, et inspirée par le nouveau Code procédure civile : celle de
1689
l’absence de contestation sérieuse » qu’il a appliquée jusqu’à l’entrée en vigueur
de la réforme du 30 juin 2000.

Comment est-ce que le juge administratif camerounais, statuant en référé


prend en compte cette interdiction ? Autrement dit, comment appréhende-t-il
l’obligation qui lui est faite de préserver les droits des parties sur le fond en ne
statuant pas sur le fond du droit d’une part, et en ne laissant pas prévoir la solution à
donner par le juge au fond, d’autre part ? Il se dégage de sa jurisprudence qu’il a une
conception ambiguë de l’interdiction de juger le fond du droit (A) et une conception
rigoureuse de l’interdiction de préjuger le fond du droit (B).

A. UNE CONCEPTION AMBIGUË DE L’INTERDICTION DE JUGER LE

FOND DU DROIT

En indiquant que le juge des référés peut ordonner dans tous les cas
d’urgence toutes mesures utiles sans faire préjudice au principal, le législateur lui
interdit de se prononcer expressément sur des questions relatives au fond du droit
que le juge du principal peut seul trancher.

1685
R.Chapus, Rapport de synthèse, op. cit., pp. 318-319.
1686
P-L Frier , op. cit, p 301
1687
F. Méjan, « Référé administratif, sursis à exécution, expertise d’urgence, Rev. Adm, 1954, p. 260.
1688
P-L Frier, « une inconnu : le vrai référé administratif », op. cit., p. 68.
1689
Ibid. p 319.

392
Si de façon générale, le juge des référés se conforme à cette interdiction en
refusant de statuer sur des demandes qui portent sur des questions de fond dont il
est incompétent pour connaître, il arrive, cependant, qu’il rejette au fond des
demandes portant sur des questions qui touchent le fond du droit, alors qu’il devait
se déclarer incompétent.

1. Le refus de statuer sur des demandes portant sur des questions


relatives au fond du droit

Le juge des référés considère que préjudicie au principal toute demande


tendant à l’annulation d’une décision administrative. Il a ainsi indiqué qu’il ne peut
annuler, ni les résultats des examens contestés par un élève parce qu’il « est
incompétent pour décider par ordonnance du fond du litige »1690, ni l’avenant
contesté d’un contrat administratif1691, ni la décision prise à l’encontre d’un architecte
par le Conseil de l’Ordre National des Architectes1692, ni le Bulletin de Liquidation de
Recettes contesté par le requérant 1693, ni la censure administrative d’un journal1694,
ni la décision fixant la clôture de l’inscription sur la liste électorale1695, ni le décret
portant convocation du corps électoral aux élections présidentielles1696.

De même, il rappelle qu’il ne peut adresser des injonctions à l’administration,


mesure également interdite à la juridiction administrative en général. Ainsi, il ne peut
ordonner la rectification à la charge de l’administration des décomptes en exécution
d’un avenant au profit d’une société1697, ni ordonner l’interruption de l’exécution
d’une décision administrative déjà commencée, quand bien même il serait allégué

1690
Ordonnance de référé n °60/77/OR1/CS/CA du 31 mars 1977, affaire Ndjofang Frédéric contre Etat du Cameroun.
1691
Ordonnance de référé n19/ORSE/PCA/86-87 du 17 septembre 1987, affaire Ossongo Eteme François contre
Etat du Cameroun.
1692
Ordonnance de référé 05/OR/CS/PCA/90-91 du 29 novembre 1990, affaire Kotto Jean-Jacques contre Etat du Cameroun.
1693
Ordonnance de référé n°07/OR/CS/PCA/90-91 du 30 janvier 1991, affaire Tsoungui Ayissi Laurent contre
Etat du Cameroun.
1694
Ordonnance de référé n°12/OR/CS/PCA/90-91 du 19 mars 1991, affaire journal « Le Messager » contre Etat
du Cameroun et ordonnance de référé n°13/OR/CS/PCA/90-91 du 25 avril 1991, affaire journal « Le Messager »
contre Etat du Cameroun.
1695
Ordonnance de référé n°08/91-92/OR/CS/PCA du 27 janvier 1992, affaire Front Social Démocratique. Parti
Politique (SDF) contre Etat du Cameroun.
1696
Ordonnance de référé n°01/OR/CS/PCA/92-93 du 02 octobre1992, affaire Union Démocratique
Camerounaise (UDC) contre Etat du Cameroun, ordonnance de référé n°02/OR/CS/PCA/92-93 du 02 octobre
1992, affaire Social Democratic Front (SDF) contre Etat du Cameroun et ordonnance de référé
n°03/OR/CS/PCA/92-93 du 02 octobre 1992, affaire Social Democratic Front (SDF) et Union des forces
Démocratique du Cameroun (UFDC) contre Etat du Cameroun.
1697
Ordonnance de référé n°19/ORSE/PCA/86-87 du 17 septembre 1987, affaire Ossongo Eteme François contre
Etat du Cameroun.

393
par le requérant « un défaut de notification préalable, cette circonstance ne pouvant
avoir pour effet d’entraîner une prorogation de compétence »1698, ni le
remboursement des sommes précomptées sur le solde d’un agent objet d’un ordre
de recettes 1699, ni la publication des articles censurés d’un journal1700, ni l’intégration
d’un fonctionnaire dans une catégorie de la Fonction publique1701.

De la même façon, il se reconnaît incompétent pour interpréter un contrat car


« le risque de préjudice au principal est incontestable »1702.

Le juge des référés se reconnaît également incompétent pour apprécier le


bien fondé d’une demande d’indemnisation et pour condamner l’administration au
paiement de dommages-intérêts1703. A ce sujet, il rappelle, dans l’affaire Fouda
Etama du 25 juin 19871704que « l’interdiction de faire préjudice au principal a pour
conséquence que le juge des référés administratifs ne peut, en tant que tel,
prononcer que des mesures provisoires ou conservatoires ». Pour les mêmes
raisons, il ne peut connaître des litiges qui, de par leur nature, relèvent directement
du juge du principal. C’est ainsi qu’il considère que « la notion d’acte de
gouvernement est une question de fait dont l’appréciation relève du juge de
fond »1705. Il en est de même des contestations fondées sur la question de propriété
telle celle portant sur la dualité de titres fonciers affectés à un même immeuble1706 ou
celle relative à la démolition d’un immeuble sur un terrain dont une partie a fait l’objet
d’expropriation pour cause d’utilité publique1707. Il estime qu’il s’agit de contestations
sérieuses qui échappent à sa compétence, qu’il ne peut en connaître ou trancher

1698
Ordonnance de référé n°/ORSE/PCA/CS/86-87 du 29 décembre 1986, affaire Mongo Mbock Philippe contre
Etat du Cameroun.
1699
Ordonnance de référé n°07/OR/CS/PCA/90-91 du 30 janvier 1991, affaire Tsoungui Ayissi Laurent contre
Etat du Cameroun.
1700
Ordonnance de référé n°12/OR/CS/PCA/90-91 du 19 mars 1991, affaire Journal « Le Messager contre Etat
du Cameroun ; ordonnance de référé n°13/OR/CS/PCA/90-91 du 25 avril 1991 affaire journal le journal «Le
Messager » contre Etat du Cameroun.
1701
Ordonnance de référé n°15/OR/CS/PCA/CAY/91-92 du 4 janvier 1992, affaire Nkengue Vincent de Paul
contre Etat du Cameroun.
1702
Ordonnance de référé n°19/ORSE/PCA/86-87 du 17 septembre 1987, affaire Ossongo Eteme François contre
Etat du Cameroun.
1703
Ordonnance de référé n°14/ORSE/PCA/86-87 du 25 juin 1987, affaire Fouda Etama contre Etat du
Cameroun ; ordonnance de référé n°0/OR/PCA/CS/96-97 du 21 octobre 1996, affaire International United Black
Funding (I.U.B.F) contre Etat du Cameroun.
1704
Ordonnance de référé n°14/ORSE/PCA/86-87 du 25 juin 1987 précitée.
1705
Ordonnance de référé n°09/OR/CS/PCA/91-92 du 27 février 1992, affaire Front Social Démocratique Parti
Politique (SDF) concernant Etat du Cameroun.
1706
Ordonnance de référé n°40/OR/PCA/CS/97-98 du 5 mars 1998, affaire Mbongo Mounoume Thomas contre
Etat du Cameroun.
1707
Ordonnance de référé n°38/OR/PCA/CS/99-2000 du 13 juin 2000, affaire Belibi François contre Etat du Cameroun.

394
sans préjudicier au fond du litige. Ainsi, la demande qui a pour objet le règlement
d’un litige faisant nécessairement préjudice au principal, ne peut être examinée par
le juge des référés administratifs.

Certes, le juge des référés prend en compte de façon récurrente cette


limitation de ses pouvoirs, mais, il lui arrive de l’infléchir en statuant au fond sur des
demandes qu’il aurait dû rejeter pour incompétence.

2. L’appréciation au fond des contestations portant sur le fond du droit

Exceptionnelle et dérogatoire, la procédure de référé ne saurait être utilisée


par le juge pour trancher une question de droit, la juridiction ordinaire étant seule
compétente pour le faire. Ceci revient à dire que toutes les fois que le juge de référé
sera invité à trancher une question de droit, il devra se déclarer incompétent pour ne
pas préjudicier au principal ou plus exactement pour ne pas juger le fond du droit.

Il ressort de la jurisprudence que tel n’est pas toujours le cas. En effet, le juge
des référés est souvent amené à apprécier au fond des contestations touchant le
fond du droit, et s’il n’ordonne pas la mesure sollicitée, c’est parce qu’il estime que
ces contestations ne sont pas fondées. Ainsi, dans l’affaire Kamsu Joseph du 31
mars 19881708, se fondant sur des dispositions réglementaires, il a rejeté, comme non
fondée, la demande du requérant, estimant que l’intéressé « ne peut, en l’absence
d’une décision administrative l’autorisant à poursuivre son stage dans quelque autre
Etude d’huissier, exercer légalement les fonctions d’huissier » et que sa
demande « ne repose sur aucune base légale ». De la même façon, il a jugé mal
fondée, mais sans dire pourquoi et comment, la demande d’un requérant tendant à
l’annulation d’un contrat1709. Il reste qu’en la déclarant « mal fondée », il a outrepassé
son pouvoir et, de ce fait, a préjudicié au principal, puisque seul le juge du fond peut
déclarer fondée ou non fondée une demande en annulation d’un acte unilatéral ou
contractuel de l’Administration. C’est pour rétablir l’état de droit en la matière que,
saisie en appel par le requérant, l’Assemblée Plénière de la Cour Suprême, dans un
arrêt en date du 4 Janvier 2001,1710a infirmé l’ordonnance rendue dans cette affaire

1708
Ordonnance de référé n° 07/OR/CS/PCA/87-88 du 31 mars 1988, affaire Kamsu Joseph contre Etat du
Cameroun.
1709
Ordonnance de référé n° 03 /OR/CS/PCA/88-89 du 30 mars 1989, affaire Ngassam Thomas Débonnaire
contre Etat du Cameroun.
1710
CS/AP, arrêt n° 28/ du 4 janvier 2001, affaire Ngassam Thomas Débonnaire contre Etat du Cameroun.

395
par le Président de la Chambre Administrative, en consacrant l’incompétence du juge
des référés à connaître de ce litige . Le juge d’appel reconnaît ainsi que le juge de
l’urgence a empiété sur la compétence du juge de fond.

Dans une autre espèce où les requérants sollicitaient qu’il donne « un ordre
urgent pour faire arrêter les dommages et souffrances irréparables que subissent les
victimes du sinistre du Lac Nyos provenant du Préfet du Département de la
Menchum dans la province du Nord-Ouest »1711, le juge des référés a, se conformant
à l’avis du Ministère Public, rejeté, comme mal fondée, la demande des requérants,
sans avoir à « discuter les moyens invoqués par les parties » . Ce faisant, il a statué,
certes implicitement, mais certainement, sur le fond du litige, alors même que,
manifestement, la mesure sollicitée concernait une injonction à adresser à
l’Administration, mesure qu’il ne peut édicter sans préjudicier au principal.

Dans le même sens, en se référant à une disposition réglementaire1712selon


laquelle « les litiges relatifs à l’interprétation où à l’exécution des marchés publics
ressortissent, sauf dérogation spéciale découlant des accords ou conventions
internationaux, de la compétence de la Chambre Administrative de la Cour
Suprême », il a , dans une espèce rendue le 29 novembre 19901713, examiné au fond
une demande dans laquelle le requérant sollicitait qu’il autorise les partenaires aux
contrats qui les lient « à poursuivre l’exécution de ceux –ci en passant outre le visa
du Ministre de l’Agriculture ». Il n’a rejeté la demande au fond, sur avis du Ministère
Public, qu’au motif qu’il résultait des stipulations des marchés en cause que ceux-ci
seront définitifs après leur approbation par le Ministre de l’Agriculture et (qu’ils )
entreront en vigueur après notification au fournisseur. En statuant ainsi sur un litige
relatif à l’interprétation et à l’exécution d’un marché public, le juge des référés a
méconnu les limites de sa compétence. Il a tranché une question de droit qui relève
de la compétence du juge de fond. Il a donc préjudicié au principal. De même, dans
une espèce rendue le 3 décembre 19901714, il a, après avoir estimé que les
arguments soutenus par le requérant qui sollicitait la suspension de l’exécution de
l’arrêté de débet pris contre lui tendaient à préjudicier au principal, déclaré que ces

1711
Ord. de référé n° 08/OR/CS/PCA/88-89 du 28 septembre 1989, affaire Ngwie Emmanuel Mbang c/Etat du Cameroun.
1712
Article 143 du décret n° 86/903 du 18 juillet 1986.
1713
Ord. de référé n° 04/OR/CS/PCA/90-91 du 29 novembre 1990, affaire Société PLANTERA (SARL) contre
Etat du Cameroun, SODECAO et Banque Mondiale.
1714
Ord. de référé n° 02/OR/CS/PCA/90-91 du 3 décembre 1990, affaire Anong Machia Abdoulaye c/Etat du Cameroun.

396
arguments n’étaient pas fondés. Le motif avancé par lui est qu’il ressortait de la
contre vérification faite que le déficit reproché au requérant était réel et qu’une
suspension de l’exécution de l’arrêté de mise en débet serait contre la loi et la
réglementation en vigueur. Il en résulte que c’est pour des motifs de légalité qu’en
l’espèce, la demande a été rejetée au fond . En procédant de la sorte, le juge des
référés a statué sur le fond du droit, alors qu’il aurait dû considérer, comme il l’a fait,
que la demande l’invitait à préjudicier au principal et se déclarer incompétent pour en
connaître.

Comme on peut le constater, le juge administratif a souvent du mal à faire le


départ entre ce qu’il doit et peut faire et ce qu’il ne doit pas ou ne peut pas faire en
matière de référé relativement à l’interdiction qui lui est faite de ne pas juger le fond
du droit. Pourtant, lorsqu’il s’agit de prescrire des mesures d’urgence utiles ne
préjudiciant pas au principal, il a une position rigoureuse quant au fait qu’il ne doit
pas préjuger le fond du droit.

B. UNE CONCEPTION RIGOUREUSE DE L’INTERDICTION DE


PREJUGER LE FOND DU DROIT

Autant le juge des référés ne doit pas juger le fond du droit, autant il ne doit
pas préjuger de la solution qui sera donnée au fond par le juge du principal. Ceci
revient à dire qu’il ne peut pas prendre « des mesures qui laissent prévoir son
sentiment sur les droits des parties quant au fond »1715. Il en résulte qu’il fait
préjudice au principal s’il prend parti sur le fond du droit au lieu de s’en tenir à des
mesures strictement provisoires.

Même lorsqu’il laisse intacts les droits des parties et bien que sa décision ne
lie pas le juge de fond qui reste libre d’agir autrement, le juge des référés jugerait
provisoirement le fond du litige, et, par conséquent, préjudicierait au principal, s’il
dévoile simplement son intention sur ce point, car « sa décision préjuge de la solution
à donner par le tribunal au fond du procès »1716.

Il se dégage de la jurisprudence que le juge administratif camerounais,


statuant en référé, a une appréhension ferme, voire rigoureuse, de l’interdiction de

1715
O. Dugrip, « Mesures conservations et effet suspensif… », op. cit., p. 40.
1716
J. Seignolle , « De l’évolution de la juridiction des référés, l’évolution des pouvoirs du juge des référés »,
JCP, 1954. 1. 1205.

397
préjuger le fond du droit. Il en est ainsi lorsqu’il détermine les mesures d’instruction et
les mesures conservatoires qui ne préjudicient pas au principal.

1. La détermination des mesures d’instruction ne faisant pas préjudice


au principal

S’agissant des mesures d’instruction, le juge des référés considère que, ne


préjudicie pas au principal, la désignation d’un expert dans une affaire où deux titres
fonciers sont en compétition sur un même terrain, « mettant dans l’embarras deux
propriétaires distincts », aux fins de préciser lequel de ces titres fonciers a pour objet
le terrain litigieux1717. Il estime que l’expertise est une mesure d’instruction qui ne fait
nullement préjudice au principal. C’est ainsi qu’il peut l’ordonner « pour confirmer que
l’immeuble du requérant ne se trouve pas dans le domaine public » et désigner à cet
effet un expert1718. Mais, il arrive qu’il considère que la demande d’expertise
préjudicie au principal compte tenu du fait que « son objet est entièrement lié au
fond du litige ». La raison avancée est qu’il ne peut y accéder sans en examiner
préalablement le bien-fondé, en fait et en droit. C’est ainsi qu’il a estimé que
préjudicie au principal la demande en référé tendant à la désignation d’experts pour
vérifier les installations de la société requérante dans les villes où l’administration
avait ordonné le démontage de ses câbles et équipements de vidéo communication
installés sur les poteaux téléphoniques1719. Lorsqu’il ordonne des mesures
conservatoires, il adopte une conception semblable de la notion de préjudice au
principal.

2. La détermination des mesures conservatoires ne préjudiciant pas au


principal

Le juge des référés affirme de façon récurrente qu’il ne peut ordonner que des
mesures provisoires ne portant pas sur le fond du droit . Il soutient, en effet, qu’il ne
peut prescrire que des mesures provisoires et conservatoires. Pourtant, « ordonner
des mesures conservatoires, c’est en réalité imposer une obligation de faire ou de ne

1717
Ord. de référé n° 21/OR/PCA/CS/97-98 du 16 décembre 1997, affaire Ngouempemeu Joseph c/Etat du Cameroun.
1718
Ord. de référé n° 63/OR/PCA/CS/97-98 du 6 juillet 1998, affaire Melingui Melingui Narcisse Blaise c/Etat du
Cameroun.
1719
Ord. de référé n° 30/OR/PCA/CS/97-98 du 21 janvier 1998, affaire Société Antenne Electronique Alarme
(AEA) contre Etat du Cameroun

398
pas faire » 1720. Il s’avère qu’ « en lui-même, le prononcé des mesures conservatoires
en référé " préjudicie " toujours au principal d’une certaine façon puisqu’il a pour objet
d’aménager la situation des parties par ailleurs en litige »1721. Ainsi, dans une
certaine mesure, le juge des référés « préjuge le sens dans lequel le litige sera jugé
et affecte la situation des parties »1722. D’ailleurs, il n’est pas interdit au juge des
référés d’aménager ou d’affecter la situation de fait des parties et ce d’autant plus
que, comme l’écrit R. Chapus, « les mesures conservatoires (…) destinées à
sauvegarder les droits et intérêts d’une partie dans l’attente du règlement au fond
(…) affecte et modifie la situation des parties » et se traduisent « par une obligation
de faire ou de ne pas faire à la charge de l’une d’elles »1723.

Il résulte de ce qui précède que l’interdiction de faire préjudice au principal


concerne uniquement le fond du droit ou du litige. Aussi, dès lors que le juge des
référés s’abstient de prendre parti sur le fond du litige et ne laisse pas entrevoir la
solution que le juge du principal donnera au litige, la mesure conservatoire qu’il
ordonne, tout en notifiant la situation de fait des parties, ne fait pas préjudice au
principal. Le juge est donc amené à déterminer les mesures conservatoires qui ne
préjudicient pas au principal et celles qui y font préjudice. Pour lui, constitue « une
mesure utile qui ne fait pas préjudice au principal (…) la remise au requérant du
relevé des notes qu’il a obtenue à l’examen d’entrée en quatrième année (dans une
école de formation) ainsi que les thermocopies des épreuves écrites qu’il a
subies »1724. De même, ne préjudicie pas au principal la mesure de référé ordonnant
l’arrêt des travaux sur un terrain litigieux1725. C’est ainsi que, estimant qu’il « est
compétent pour ordonner toutes mesures conservatoires tendant à éviter toute
situation mettant en péril les intérêts des parties », il justifie l’arrêt des travaux
ordonné par lui dans l’affaire Kouogan Claude du 2 octobre 19971726par le fait que
« les travaux entrepris sont de nature à compromettre définitivement les intérêts du
requérant, détenteur sur les mêmes lieux d’un titre foncier qui, bien qu’antérieur à
celui délivré au mis en cause, risque paradoxalement de demeurer sans effet ». Ici,

1720
M. F. Casadei-Jung, op. cit., p. 281.
1721
Y. Gaudemet, op. cit., p. 429.
1722
O. Dugrip, L’urgence contentieuse…, op. cit., p.349.
1723
R. Chapus, Rapport de synthèse, op. cit., p. 318.
1724
Ord. de référé n° 60/77/DR/CS/CA du 31 mars 1977, affaire Ndjofang Frédéric contre Etat du Cameroun.
1725
Ord. de référé n° 09/ORSE/CS/PC/88-89 du 28 septembre 1989, affaire Tamo Pelap Jean-Claude contre
Commune Urbaine de Bafoussam.
1726
Ord de référé n° 02 /OR/PCA/CS/97-98 du 02 octobre 1997, affaire Kouogan Claude c/Etat du Cameroun.

399
comme dans les cas précédents, les pouvoirs du juge des référés s’arrêtent là où
commence la contestation d’un droit. D’après le Commissaire du Gouvernement
Rougevin-Baville, le fait pour le juge des référés d’ordonner l’arrêt des travaux en
attendant l’intervention au fond du juge du principal « est le type même de mesure
conservatoire »1727, car elle n’hypothèque pas le principal.

A contrario, le juge des référés estime que les mesures consistant à maintenir
les parties en l’état1728et à ordonner la main-levée des scellés1729 ne constituent pas
de mesures provisoires, car il ne peut les ordonner sans en examiner préalablement
le bien-fondé en droit et en fait, voire sans faire préjudice au principal. Pour lui, le
juge des référés ne doit ordonner que des mesures conservatoires, en tout cas utiles
à sauvegarder une situation mise en péril par l’acte administratif ; ces mesures ne
doivent nullement être une solution finale au fond du litige. Elles doivent être des
mesures provisoires ne faisant pas préjudice au fond. De la même façon, il estime
qu’il ne peut ordonner, sans préjudicier au principal, la suspension de l’exécution
d’un acte administratif. Il refuse ainsi de suspendre l’exécution d’un arrêté du Ministre
de l’Urbanisme et de l’Habitat portant autorisation d’occupation des parcelles de
terrain situées dans le domaine public1730 ; de suspendre les effets d’un titre foncier
contesté1731 ; de suspendre une mise en demeure servie par l’autorité communale
ordonnant au requérant d’arrêter les travaux par lui entrepris et de démolir sans délai
l’immeuble en cours d’élévation et la baraque construite sur le terrain litigieux, la
poursuite des travaux entrepris mettant « en péril la réglementation domaniale dont
le contrôle incombe à l’autorité municipale mise en cause »1732; de suspendre
l’exécution d’une décision de l’autorité municipale mettant le requérant en demeure
de démolir dans un délai de 30 jours ses constructions réalisées sur le domaine
litigieux, « le requérant ne justifiant pas avoir saisi le juge du fond d’un recours

1727
M. Rougevin-Baville, Concl. Sur CE, sect., 25 janvier 1980, Soc. des terrassements mécaniques (SOTEM) et
Mariani, AJDA, 1980, p. 615
1728
Ord. de référé n° 63/OR/PCA/CS/97-98 du 6 juillet 1998, affaire Melingui Melingui Narcisse Blaise c/Etat
du Cameroun.
1729
Ord. de référé n° 67/OR/PCA/CS/97-978 du 24 août 1998, affaire Madame Nedjeumen Emilienne contre
Etat du Cameroun et CS/AP, arrêt n°9/A du 29 juin 1989, Procureur général près la Cour Suprême contre
Etablissements Nziko André. Dans cet arrêt, l’Assemblée Plénière infirme une ordonnance du Président de la
Chambre Administrative qui prescrivait la levée des scellés dont avait été l’objet la société mise en cause et
déclare la cour incompétente pour connaître de cette affaire en référé.
1730
Ord. de référé n° 02/OR/PCA/CS/93-94 du 07 octobre 1993, affaire Ahanda François c/Etat du Cameroun
1731
Ord. de référé n° 09/OR/PCA/CS/95-96 du 7 décembre 1995, affaire Mme nana Liliane c/Etat du Cameroun
1732
Ord. de référé n° 01/OSE/PCA/CS/97-98 du 02 octobre 1997, affaire Dame Abanda Metogo née Noah
Clémentine contre Etat du Cameroun

400
principal »1733; de suspendre le commandement enjoignant le requérant à s’acquitter
de sa dette fiscale1734; d’ordonner la discontinuation des poursuites engagées par
l’Administration contre le requérant et de suspendre toute procédure
d’immatriculation sur un terrain litigieux au bénéfice de l’une des parties en litige1735.
Le juge soutient, comme précédemment, que sa décision ne doit ordonner que des
mesures conservatoires, utiles à sauvegarder une situation mise en péril par un acte
administratif ; qu’elle ne doit nullement être une solution au fond du litige. Pour lui,
ordonner la suspension d’une décision administrative l’amènerait à examiner
préalablement le bien-fondé de la demande du requérant et donc à faire préjudice
au principal. Il découle de ceci que le juge des référés ne peut intervenir que pour
préserver un état de choses et non pour le modifier ou anticiper sur la solution du
fond. La mesure édictée ne doit donc pas modifier le droit. De cette limitation, le juge
en déduit qu’il est interdit au juge administratif, statuant en référé, de prendre une
mesure susceptible de faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative. La
mise en œuvre de cette interdiction par le juge des référés est flexible, voire limitée.

PARAGRAPHE III : L’INTERDICTION DE FAIRE OBSTACLE A


L’EXECUTION D’UNE DECISION ADMINISTRATIVE

Comme tout juge administratif, le juge des référés est soumis aux limites qui
tiennent à la particularité du droit public et qui pèsent généralement sur la juridiction
dont il est l’émanation. il est ainsi assujetti au respect « du principe de la séparation
de la justice administrative et de l’administration active »1736 et l’interdiction de se
substituer à l’administration qui en découle s’impose à lui. Il résulte de ceci que
« l’existence d’une situation d’urgence n’a pas pour effet d’accroître les pouvoirs du
juge des référés »1737.

Les pouvoirs du juge des référés sont limités par une interdiction spécifique, à
savoir qu’il lui est interdit de faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative.

1733
Ord. de référé n° 63/OR/PCA/CS/97-98 du 6 juillet 1998, affaire Melingui Melingui Narcisse Blaise contre
Etat du Cameroun
1734
Ord. de référé n° 67/or/PCA/CS/ 97-98 du 2 août 1998, affaire Madame Nedjeumen Emilienne c/Etat du Cameroun.
1735
Ord. de référé n° 12 /ORSE/CS/PCA/84-85 du 28 mars 1985, affaire société SODEXHO contre Etat du
Cameroun ; ord. de référé n° 06/02/
1736
CFJ/CAY, arrêt n° 50 du 27 juin 1968, Bernard Auteroche contre Ordre National des Médecins du Cameroun.
1737
Ainsi, il n’est pas au pouvoir du juge des référés administratifs d’organiser l’intérim d’un office public ou
ministériel. En ce sens, ordonnance de référé n° 08/ORSE/PCA/CS/86/87 du 29 décembre 1986, affaire Mongo
Mbock Philippe contre Etat du Cameroun

401
Tout différent est le référé en matière civile. En cette matière, le référé permet à une
partie d’obtenir du juge qu’il fasse cesser jusqu’au jugement sur le fond une violation
unilatérale de ses droits par un particulier. Ainsi, « le but que permet de poursuivre le
référé civil introduirait, s’il était transposé en droit administratif, la possibilité de
surseoir en référé à l’exécution d’une décision administrative »1738.

L’interdiction faite au juge des référés de faire obstacle à l’exécution d’une


décision administrative pose « en principe l’indépendance des procédures du sursis
et du référé : une mesure de sursis ne peut être prononcée en référé »1739 .
Autrement dit, tout sursis est « interdit par cette voie, comme toute mise en cause
d’une décision publique »1740.

Si cette interdiction a été instituée en France par un texte, au Cameroun, elle


a été consacrée par le juge qui l’a déduite de l’interdiction qui lui est faite par la loi de
préjudicier au principal et justifiée par l’existence d’une procédure spéciale et
parallèle, aboutissant au même résultat. Dans une large mesure, il respecte cette
interdiction (A) ; toutefois, il lui arrive d’en limiter la portée, dans la mesure où il a
tendance à l’infléchir (B), restreignant, de ce fait, « les décisions à l’exécution
desquelles le juge des référés ne peut pas faire obstacle »1741.

A. LE RESPECT DE L’INTERDICTION DE FAIRE OBSTACLE A


L’EXECUTION D’UNE DECISION ADMINISTRATIVE

C’est une règle de portée générale que « le référé ne doit pas paralyser
l’administration : ses prérogatives traditionnelles ne peuvent pas être tenues en
échec par la procédure de référé »1742. Le juge des référés ne peut ainsi ordonner
des mesures qui auraient pour effet d’entraver l’exécution ou l’application d’une
décision administrative1743, d’une part, parce qu’il existe une procédure à cet effet, et,
d’autre part, parce que cette prohibition résulte de l’interdiction expresse qui lui est
faite de préjudicier au principal.

1738
Ch. Debbasch et J-C. Ricci op. cit., p. 414.
1739
Y. Gaudemet, op. cit., p. 430.
1740
B. Pacteau, op. cit., p. 316, voir CE, 4 juillet 1975, Guemache, Rec., p. 407,( à propos d’un acte même
« inexistant »).
1741
R. Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 828.
1742
P. Fanachi, Référé, répertoire de droit public et administratif, Dalloz, 1985.
1743
Ordonnance de référé n° 10/OR/PCA/79-80 du 07 août 1980, affaire Guinness Cameroun contre Etat du Cameroun

402
1. L’existence d’une procédure permettant de suspendre l’exécution des
actes administratifs

Pour le juge des référés, toute requête tendant directement ou indirectement à


obtenir de lui le sursis à exécution d’une décision administrative ne peut être que
rejetée pour incompétence, « en raison de l’existence d’une telle procédure spéciale
et parallèle aboutissant au même résultat »1744. Il en est ainsi du recours tendant à la
suspension de l’exécution des décisions abrogeant la décision portant agrément
d’une banque et créant une commission de liquidation de cette banque1745 ; du
recours sollicitant la suspension de l’exécution de l’avenant d’un marché1746 ; de la
demande tendant à la suspension de l’exécution du décret convoquant le corps
électoral aux élections législatives1747 ou présidentielles1748 ; de la requête tendant à
la suspension de l’exécution de la décision du Ministre des Finances annulant une
vente aux enchères publiques1749. Il en est de même du recours tendant à voir le
juge des référés « ordonner des mesures conservatoires ne serait-ce que pour
accorder aux exposants une période de grâce aux fins de leur permettre d’achever
les négociations qu’ils ont entamées avec la MAETUR » sur les terrains litigieux1750.
Pour le juge, une telle requête s’analyse en une demande en suspension au juge des
référés des mises en demeure servies aux requérants.

Le juge des référés considère que la seule procédure pouvant aboutir à la


suspension d’un acte administratif est celle du sursis à exécution prévue par l’article
16 de la loi n° 75/17 du 8 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour
Suprême statuant en matière administrative et qu’il outrepasserait ou excéderait ses
pouvoirs s’il ordonnait une telle mesure. Il estime qu’il ne peut ordonner la

1744
Ordonnance de référé n° 01/ORSE/CS/PCA/94/85 du 07 novembre 1984, affaire SO’O Georges contre Etat du
Cameroun.
1745
Ordonnance de référé n° 07/ORSE/CS/PCA/77-78 du 3 juin 1978, affaire Lélé Gustave contre Etat du Cameroun.
1746
Ordonnance de référé n° 19/ORSE/CS/PCA/86-87 du 17 septembre 1987, affaire Ossongo Eteme Francis
contre Etat du Cameroun.
1747
Ordonnance de référé n° 09/ORSE/CS/PCA/91-92 du 27 février 1992, affaire Front Social Démocratique,
Parti Politique (SDF) contre Etat du Cameroun.
1748
Ordonnance de référé n° 01/ORSE/CS/PCA/92-93 du 02 octobre 1992, affaire Union Démocratique du
Cameroun (UDC) contre Etat du Cameroun ; ordonnance de référé n° 02/ORSE/CS/PCA/92-93 du 02 octobre
1992, affaire Social Democratic Front (SDF) contre Etat du Cameroun ; ordonnance de référé n°
03/ORSE/CS/PCA/92-93 du 02 octobre 1992, affaire Social Democratic Front et Union des Forces
Démocratique du Cameroun (UFDC) contre Etat du Cameroun.
1749
Ordonnance de référé n° 16/ORSE/CS/PCA/91-92 du 4 juin 1992, affaire Sienche Maurice et autres contre
Etat du Cameroun.

403
suspension de l’exécution d’une telle mesure « sans examiner préalablement le bien-
fondé ou au mieux sans faire préjudice au principal ». Le lien entre l’interdiction de
faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative et l’interdiction de faire
préjudice au principal est ainsi établi par le juge : la première découle de la seconde.

2. La déduction de l’interdiction de faire obstacle à l’exécution d’une


décision administrative de l’interdiction de faire préjudice au principal

Pour le juge des référés, l’interdiction de faire obstacle à l’exécution d’une


décision administrative découle de l’interdiction de faire préjudice au principal.

Le juge a consacré cette interdiction « afin que la procédure du référé ne


puisse être utilisée pour obtenir du juge une mesure de sursis à exécution »1751.
Comme l’a écrit R. Drago, « le juge des référés ne peut s’opposer à l’exécution d’une
décision administrative parce qu’il lui est expressément interdit de faire préjudice au
principal ou de préjuger le fond »1752.

En rattachant l’interdiction de faire obstacle à l’exécution d’une décision


administrative à l’interdiction de faire préjudice au principal, le juge des référés
soutient que « la procédure du référé administratif fixé par l’article 122 de la loi n°
75/17 du 8 décembre 1975 (…) est par son objet radicalement différente de la
procédure du sursis à exécution prévue par l’article 16 de la même loi et avec
laquelle elle ne saurait être confondue »1753. Il estime donc qu’il existe une différence
de fond entre ces deux procédures. C’est pourquoi, il se déclare incompétent lorsque
le requérant sollicite le sursis à l’exécution de la décision du Ministre de l’Urbanisme
et de l’Habitat l’expulsant d’un logement administratif1754 ; lorsqu’il lui est demandé de
« remettre en cause les mesures d’exécution prises par l’administration
consécutivement au décret » mettant à la retraite un notaire, et relatives à la mise
sous scellés de son Etude et au blocage des comptes bancaires ouverts au nom de

1750
Ordonnance de référé n° 07/ORSE/CS/PCA/93-94 du 25 novembre 1993, affaire Nsegué Joseph et autres
contre Etat du Cameroun et Missions d’Aménagement et d’Equipement des Terrains Urbains et Ruraux
(MAETUR) (partie intervenante).
1751
O. Dugrip, « Mesures conservatoires et effet suspensif dans la procédure administrative », op. cit., p. 42.
1752
R. Drago, « La procédure de référé devant le Conseil d’Etat », RDP, 1953, p. 297.
1753
Voir ordonnance de référé n° 07/ORSE/CS/PCA/86-87 du 18 décembre 1986, affaire Nguimbous Jean
François contre Etat du Cameroun ; ordonnance de référé n° 08/ORSE/CS/PCA/86-87 du 29 décembre 1986,
affaire Mongo Mbock Philippe contre Etat du Cameroun.
1754
Ordonnance de référé n° 07/ORSE/CS/PCA/86-87 du 18 décembre 1986, affaire Nguimbous Jean François
contre Etat du Cameroun.

404
cette Etude1755 ; lorsque la mesure sollicitée s’apparente à un sursis à exécution en
ce qu’ elle vise à empêcher que l’administration ne puisse déduire de la décision par
laquelle elle a résilié un marché de travaux les conséquences qu’elle entraîne pour la
poursuite desdits travaux1756. Il en est de même lorsque la mesure sollicitée
s’apparente à un sursis à exécution en ce qu’elle vise à l’arrêt par l’administration
des poursuites contre le requérant1757, ou lorsque le requérant sollicite
l’immatriculation d’un terrain objet de litige1758.

Bien que le juge ait clairement affirmé son incompétence à ordonner le sursis
à exécution en matière de référé et qu’il ait le souci légitime de donner à l’interdiction
de faire obstacle à l’exécution des décisions administratives toute sa portée, il arrive
cependant qu’il infléchisse cette interdiction en ordonnant la suspension de
l’exécution de certaines décisions litigieuses.

B. L’INFLECHISSEMENT DE L’INTERDICTION DE FAIRE OBSTACLE A


L’EXECUTION D’UNE DECISION ADMINISTRATIVE

Il se dégage de la jurisprudence que le juge des référés ne respecte pas dans


l’absolu l’interdiction de faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative. Il
en limite la portée en ce sens qu’il lui arrive d’avoir, comme l’écrit R. CHAPUS, « une
conception restrictive des décisions à l’exécution desquelles le juge des référés ne
peut pas faire obstacle »1759. Si en France, la jurisprudence a limité la portée de cette
interdiction en distinguant entre les décisions administratives impératives, qui
bénéficient toujours de l’interdiction, et les actes permissifs de l’administration dont
l’exécution peut être suspendue par le juge des référés1760, au Cameroun, le juge
s’est basé plutôt sur l’urgence et sur la portée des dispositions législatives régissant
le référé pour l’infléchir.

1755
Ordonnance de référé n° 08/ORSE/CS/PCA/86-87 du 29 décembre 1986, affaire Mongo Mbock Philippe
contre Etat du Cameroun.
1756
Ordonnance de référé n° 07/O/PCA/CS du 08 septembre 1988, affaire Entreprise SOGEBA c/Etat du Cameroun.
1757
Ordonnance de référé n° 06/ORSE/CS/PCA/98-99 du 8 décembre 1998, affaire Sosso Emmanuel c/Etat du Cameroun.
1758
Ordonnance de référé n° 47/ORSE/CS/PCA/98-99 du 12 mai 1999, affaire Tchutchamo Mathias c/Etat du Cameroun.
1759
R. Chapus, op. cit., p. 828.
1760
V. Ibid., pp. 828-829 ; O. Dugrip, L’urgence contentieux…, op. cit., pp. 361-364 et O. Dugrip, « Mesures
conservatoires et effet suspensif dans la procédure administrative », op. cit., p. 43.

405
1. La prise en considération de l’urgence

Deux espèces rendues respectivement le 23 octobre 19861761 et le 04 mars


19941762 illustrent cette tendance à infléchir l’interdiction de faire obstacle à
l’exécution d’une décision administrative en se fondant sur l’urgence.

Dans la première espèce, le requérant avait saisi le juge des référés pour
obtenir une ordonnance aux fins de surseoir à l’exécution d’une décision prise par la
Secrétaire d’Etat au Tourisme nommant un administrateur - séquestre dans l’Hôtel
du propriétaire décédé, en attendant l’aboutissement des formalités judiciaires
relatives à sa succession. Sur avis du Ministère Public qui estimait , d’une part, que
le Secrétaire d’Etat ne peut, au regard de la réglementation, désigner un séquestre
que lorsqu’une juridiction est préalablement saisie d’une ou plusieurs infractions qui
seraient commises par l’établissement hôtelier et que le séquestre ainsi désigné
cesse ses fonctions quand la justice a rendu une décision devenue définitive, et,
d’autre part, qu’ il est judicieux de limiter les dégâts consistant à la détérioration du
patrimoine de l’hôtel mis sous administration séquestre, en ordonnant le sursis à
exécution de la décision litigieuse, le juge des référés a admis « qu’il y a urgence à
prescrire la mesure sollicitée », c’est-à-dire, le sursis à l’exécution de la décision
querellée.

Dans la seconde espèce, la société requérant sollicitait le sursis à l’exécution


par le juge des référés du commandement qui lui avait été servi par l’administration
fiscale avec injonction de payer la somme d’argent exigée au titre de sa dette fiscale.
Dans un premier temps, le juge a déclaré qu’il était « incompétent pour ordonner la
suspension d’une décision administrative » et « que la seule procédure susceptible
d’arrêter l’exécution d’une telle décision est celle prévue par l’article 16 de la loi n°
75/17 du 8 décembre 1975 ». Mais, sur avis contraire du Ministère Public qui faisait
observer d’une part, qu’en l’espèce un même commandement avait été servi à trois
redevables distincts, alors que l’impôt est personnel à chaque redevable, qu’il y avait
risque de faire du tort à l’un d’eux, et, d’autre part, qu’il y avait urgence en ce que les
trois redevables pouvaient être saisis, le juge a changé de position en affirmant
« qu’il y a lieu de surseoir audit commandement ». La particularité de cette affaire est

1761
Ordonnance de référé n° 01/ORSE/PCA/CS/86-87 du 23 octobre 1986, affaire La succession Roggow contre
Etat du Cameroun.
1762
Ordonnance de référé n° 12/OR//PCA/93-94 du Société SINTRABOIS, affaire So’o Georges c/Etat du Cameroun.

406
double. Premièrement, en se fondant sur l’urgence, le juge a ordonné la suspension
de l’exécution du commandement querellé ; secondement, dans le dispositif de
l’ordonnance, le juge s’est déclaré incompétent sur la requête en référé et a reçu la
requête de sursis à exécution qu’il a déclaré fondée ; ce faisant, il s’est substitué au
juge de sursis, semant ainsi « une confusion qui est de nature (…) à jeter le trouble
dans l’esprit des justiciables »1763, car il a remis en cause la séparation fonctionnelle
qui existe entre le juge des référés et le juge du sursis.

Cette remise en cause prend une autre dimension lorsque, pour infléchir
l’interdiction de faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative, le juge des
référés donne une portée générale aux dispositions législatives régissant le référé.

2. La consécration de la portée générale des dispositions législatives


régissant le référé pour infléchir l’interdiction

Cette consécration est intervenue dans l’affaire Dutchou Jean du 09 avril


19981764. En l’espèce, saisi d’un recours tendant à la suspension de l’exécution
d’une décision portant nomination à des postes de responsabilités au Ministère de
l’Agriculture, le juge des référés constate qu’il ressort « des débats que la décision à
l’origine du litige a été rédigée avec des termes ambigus sur le titulaire du poste
d’affectation » ; aussi a-t-il estimé qu’il y avait lieu de suspendre les effets de cette
décision en attendant la régularisation de la situation ainsi créée, mesure que,
précise-t-il, l’administration mise en cause envisageait au demeurant de prendre à
son niveau. Pour le juge des référés, la mesure ordonnée ne saurait échapper à
l’application des dispositions de l’article 122 de la loi n° 75/17 du 08 décembre 1975
relatives au référé administratif qui « s’avèrent de portée générale alors que le sursis
à exécution prévu à l’article 16 de la même loi ne peut intervenir que si le juge
administratif est saisi au fond du contentieux dirigé contre la décision querellée ». Le
juge considère donc que la mesure de référé a une portée plus grande ; qu’elle est
plus globalisante et qu’elle intègre le sursis qui est plus restrictif dans sa portée en ce
qu’il n’est admis que si un recours principal a été introduit.

1763
C. Keutcha Tchapnga, Note sur l’ordonnance de référé n° 06/OR/PCA/CS/PCA/98-89 du 08 décembre 1998,
affaire Sosso Emmanuel contre Etat du Cameroun, Juridis Périodique n° 45, op. cit., p. 45.
1764
Ordonnance de référé n° 46/OR/PCA/CS/97-98 du 09 avril 1998, affaire Dutchou Jean c/Etat du Cameroun.

407
En adoptant une telle posture, le juge des référés remet en cause la distinction
opérée par le législateur entre le sursis à exécution et le référé qui sont des
procédures autonomes et différentes l’une de l’autre ; et « s’il n’en était point ainsi,
l’institution des deux procédures serait injustifiée »1765.

Par ailleurs, le juge des référés semble admettre que le référé peut intervenir
même sans une procédure au fond, alors que le sursis ne le peut. Autrement dit, il
considère, comme l’a écrit M. Labetoulle, que « la demande de référé ne se rattache
pas à un litige principal, mais au contraire qu’elle est autonome et trouve sa fin en
elle-même »1766. Si telle est la position du juge des référés, c’est qu’il n’est ni à une
contradiction près, ni à sa première contradiction quant au caractère accessoire de la
procédure du référé1767.

Quoi qu’il en soit, que le juge soit saisi au fond ou pas, la procédure de référé,
et celle de sursis sont des procédures accessoires et provisoires dont le but est de
préserver les droits des parties sans juger ou préjuger le fond du droit dans l’attente
d’une instance au fond, qu’elle soit éventuelle ou effective. Par ailleurs, bien qu’elle
ait une portée générale, « la procédure de référé est bien distinguée de celle du
sursis, en cela que le référé ne peut jamais faire obstacle à l’exécution d’une décision
administrative »1768, même s’il faut reconnaître, au regard de ce qui précède, qu’à
travers certaines de ses décisions, le juge des référés tend à en apporter la preuve
du contraire en ordonnant, en référé, la suspension de l’exécution d’une décision
administrative contestée au motif que celle-ci est identique par son contenu et son
objet à une décision dont l’exécution a déjà été suspendue par le juge des
référés1769.

1765
M. Kamto, Observations sur l’ordonnance de référé n° 7/ORSE/CS/PCA/77-78 du 3 juin 1978, affaire Lélé
Gustave contre Etat du Cameroun, in Droit administratif processuel du Cameroun, op. cit., p. 181.
1766
D. Labetoulle, Concl. sur CE, 3 mars 1978, AJDA, 1978, p. 581. Pour une contestation de ce point de vue,
voir P-L. Frier, « Un inconnu le vrai référé administratif », op. cit., p. 71..
1767
Voir les développements y relatifs dans la section 1, consacrée aux conditions de recevabilité externe des
demandes annexes, du chapitre1, du titre1 de la 1ère partie de la présente étude.
1768
Y. Gaudemet, Traité de droit administratif, op. cit., p. 469.
1769
Ordonnance de référé n° 07/OR/CS/PCA/90-91 du 30 janvier 1991, affaire Tsoungui Ayissi Laurent c/Etat du
Cameroun.

408
CONCLUSION DU TITRE I

Il se dégage de développements qui précèdent que si les demandes tendant


au prononcé de mesures conservatoires par le juge des référés butent sur
l’interdiction qui pèse sur lui de paralyser l’action administrative, et que si l’on peut
estimer, à tort ou à raison, que « cela limite (…) le champ des mesures
conservatoires susceptibles d’être ordonnées par le juge à la demande des
administrés »1770, il n’en demeure pas moins vrai que le juge des référés, dans une
démarche, globalement discutable, tente par moment d’infléchir la tendance par
l’édiction du sursis à exécution, sans cependant remettre en cause le fondement et la
nécessité de l’interdiction de ne pas paralyser l’exécution des décisions
administratives.

Cela dit, il faut reconnaître qu’en raison des limites prescrites par le législateur
et/ou par le juge administratif et appréciées ou prise en compte de façon plus ou
moins rigide et fluctuante par ce dernier, « le rôle des mesures d’urgence pré-
contentieuses n’est pas toujours suffisant pour permettre une protection efficace des
droits des administrés »1771 . Même l’urgence de la situation litigieuse ne permet pas
toujours de franchir ces limites. Ainsi, le sursis à exécution est accordé de façon
discriminatoire, tandis que le référé est octroyé de façon exceptionnelle. Il se dégage
de la jurisprudence, en effet, d’une part, que l’appréciation par le juge des conditions
prescrites par le législateur pour ordonner le sursis est essentiellement fluctuante,
qu’en plus, il a édicté d’autres conditions qui en restreignent l’édiction ; et, d’autre
part, qu’il appréhende de façon relativement stricte les conditions positives et de
façon indécise les conditions négatives d’octroi du référé. Il en résulte une prise en
compte contingente de l’urgence dans l’édiction des mesures d’attente par le juge
administratif camerounais.

Il s’avère aussi que l’urgence de la situation litigieuse ne permet pas toujours


ou forcément la prescription par le juge administratif des mesures d’urgence
définitives sollicitées par les demandeurs dans les affaires urgentes instituées par les
textes.

1770
O. Dugrip, « Mesures conservatoires et effet suspensif dans la procédure administrative », op. cit., p. 43.
1771
F. Hamon et H. Mails, op. cit., p. 49.

409
TITRE II

L’EDICTION LIMITATIVE DES MESURES


PRESERVANT DEFINITIVEMENT LES
DROITS DU DEMANDEUR

410
Les mesures d’urgence contentieuses ou mesures contentieuses justifiées
par l’urgence participent des conséquences de l’urgence sur la situation
contentieuse. Elles constituent la réponse du juge à la sollicitation du requérant
quand les conditions de fond d’urgence sont remplies. Autrement dit, c’est le résultat
de l’action normative du juge.

Dans le cadre du contentieux électoral, du contentieux de l’autorisation des


partis politiques et du contentieux de la dissolution des associations, le juge
administratif est appelé à rendre des mesures d’urgence définitives de caractère
résolutoire ou réparatoire ; c’est-à-dire celles qui ne se limitent pas à empêcher la
situation contentieuse de s’aggraver, comme le sursis à l’exécution et le référé
administratif, mais qui « apportent immédiatement une solution finale »1772 au litige
ou qui, « lorsqu’un préjudice est déjà survenu, permettent en général, de réparer les
dommages causés »1773. Il en résulte que le juge administratif est appelé, dans le
cadre de ces matières, à agir comme un juge du principal. Et, à dire vrai, « il est
précisément un juge du principal »1774, avec la particularité que, statuant comme juge
unique ou comme juge collégial, il devra se prononcer dans les plus brefs délais.
Ainsi, en ces matières, « le juge a pour mission d’assurer définitivement c’est-à-dire
de fixer la situation juridique pour mettre fin à un différend, une contestation »1775.

Il se dégage de la jurisprudence administrative camerounaise qu’ en matière


électorale (Chapitre I)et dans les autres matières urgentes (Chapitre II), le juge
administratif prescrit de façon limitative les mesures d’urgence définitives sollicitées
par les requérants.

1772
P-L. Frier, L’urgence, op. cit., pp. 327-328.
1773
Ibid.
1774
R. Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 842.
1775
M. Dran, Le contrôle juridictionnel et la garantie des libertés publiques, thèse, Paris, LGDJ, 1968, p. 32.

411
CHAPITRE I

LA PRESCRIPTION LIMITATIVE DES


MESURES DEFINITIVES SOLLICITEES
EN MATIERE ELECTORALE

412
Comme l’écrit F. Delpérée, « le contentieux électoral n’est (…) pas un
contentieux comme les autres. Le temps, l’espace, l’action ne se présentent pas ici
comme ailleurs »1776. Mabileau disait déjà qu’il était « l’une des plus grandes
questions politiques qui aient été présentées »1777.

Opération étapiste, le contentieux électoral peut se développer, d’abord, en


amont de l’élection : c’est le contentieux des opérations préparatoires à l’élection ou
contentieux préélectoral qui porte sur des questions litigieuses relatives à la
constitution des listes électorales, de candidats, au dépôt de candidatures. Mais ces
questions ne sont pas nécessairement réglées par le juge. Elles peuvent l’être par
des commissions ou par des autorités politiques et administratives. Il peut, ensuite,
rebondir dès l’après l’élection : c’est le contentieux des opérations électorales ou
contentieux post électoral qui porte sur la régularité de l’élection.

Par son objet, le recours dans le contentieux électoral tend « à obtenir du


juge toute décision utile, telle que l’annulation de l’élection qui, ne constituant pas un
acte administratif unilatéral, ne relève pas du contentieux de l’excès de pouvoir »1778,
ou la réparation d’une omission ou d’une erreur susceptible de priver un tiers de son
droit électoral.

Il ressort de la jurisprudence électorale que, globalement, le juge administratif


ne prescrit que limitativement les mesures définitives sollicitées par les requérants
qui contestent la régularité des opérations préparatoires à l’élection (Section I) et les
opérations relatives à l’élection elle - même (Section II).

1776
F. Delpérée, Le contentieux électoral, 1ère éd., que sais-je ?, PUF, Paris, 1998, p.4.
1777
Cité par F. Delpérée, ibid., p 7.
1778
G.Vedel et P. Delvolvé, Droit administratif, T2 op. cit., p 54.

413
SECTION I : LA PRESCRIPTION LIMITATIVE DES MESURES D’URGENCE
DEFINITIVES DANS LE CONTENTIEUX DES OPERATIONS
PREPARATOIRES A L’ELECTION

En général, l’opinion publique n’appréhende le contentieux électoral que sous


l’angle des litiges liés au déroulement des opérations électorales proprement dites et
par les résultats des élections. Or, la phase préparatoire aux élections donne lieu
aussi à un contentieux spécifique, mais bien moins connu, qui n’est pas sans intérêt
pour autant.

S’il est vrai que « l’office principal du juge de l’élection consiste, par définition,
à contrôler la régularité des opérations électorales »1779, il n’est nullement exclu qu’il
soit amené à connaître de la régularité des opérations préliminaires à l’élection, soit
parce que les textes lui en donnent compétence - il en est ainsi des opérations
préparatoires à l’élection des membres des Chambres consulaires ; soit parce que,
« les opérations préliminaires à une élection ne sont pas détachables de celle-ci et
ne peuvent être mises en cause que par un recours direct contre l’élection elle-
même »1780- tel est le cas des opérations préparatoires à l’élection des conseillers
municipaux.

Statuant sur des contestations portant sur les opérations préparatoires à


l’élection au sein de la Chambre de Commerce, le juge a reconnu comme justifiées
l’essentiel des contestations formulées par les requérants (§ 1). Par contre, il n’a
reconnu que de façon assez limitée la validité des contestations portant sur les
opérations préparatoires à l’élection des conseillers municipaux (§ 2).

1779
B.Maligner, op. cit., p. 25
1780
Ch. Debbasch et J-C. Ricci, op. cit., p. 737. Voir aussi : CE, 3 décembre 1980, Confédération nationale des
Groupes Autonomes de l’Enseignement public, Req. n° 16. 989.

414
PARAGRAPHE I : UNE RECONNAISSANCE DE LA VALIDITE DES
CONTESTATIONS PORTANT SUR LES OPERATIONS
PREPARATOIRES A L’ELECTION AU SEIN DE LA
CHAMBRE DE COMMERCE

Toutes les décisions rendues au fond par le juge administratif dans le


contentieux électoral au sein des chambres consulaires portent sur des contestations
relatives à la régularité des opérations préparatoires à l’élection au sein de la
Chambre de Commerce. Mais, elles sont peu nombreuses. La raison en est que la
plupart des recours ont été déclarés irrecevables pour défaut de production de
pièces exigées par le juge1781.

Les opérations préparatoires à l’élection au sein de la Chambre de


Commerce ont donné lieu à des contestations portant sur l’établissement des listes
électorales. Statuant sur ces contestations, le juge a reconnu qu’elles étaient
fondées. Il en est ainsi, d’une part, des contestations relatives à l’omission du nom
sur les listes électorales (A), et, d’autre part, de la contestation portant sur
l’inscription erronée du nom sur la liste électorale (B).

A. LA RECONNAISSANCE DE LA VALIDITE DES CONTESTATIONS


RELATIVES A L’OMISSION DU NOM SUR LA LISTE ELECTORALE

Au sein de la Chambre de Commerce, les listes électorales sont dressées par


section et sous-section. Elles sont établies neuf mois avant la fin de chaque mandat
au vu des listes dressées par la Direction des Impôts, pour chaque province. Mais, la
liste définitive est établie par le Président de la commission électorale, en
l’occurrence le Ministre chargé du Commerce, qui les fait tenir aux Préfets et Sous-
Préfets pour affichage immédiat. La date de cet affichage est constatée par procès-
verbal. Toute personne intéressée et le bureau de la Chambre peuvent, à compter
de la date de publication des listes électorales définitives, se pourvoir auprès du juge

1781
Sur ce point, cf. section 1 relative aux conditions de recevabilité externe de la demande dans les procédures
d’urgence spéciales, chapitre1 du titre 2 de la Ière partie, supra.

415
administratif « contre les inscriptions, radiations ou omissions faites par le Ministre
chargé du commerce, président de la commission »1782.

C’est sur la base de cette disposition réglementaire que des personnes qui
font partie du corps électoral de la Chambre de Commerce ont eu à saisir le juge
administratif après avoir constaté, après la publication des listes électorales, que
leurs noms avaient été omis. Pour donner droit aux intéressées et ordonner leur
inscription sur les listes électorales, Le juge a eu à s’assurer, d’une part qu’elles
remplissaient les conditions d’inscription sur les listes électorales, et, d’autre part,
qu’elles n’étaient pas frappées d’incapacités qui les excluaient des listes électorales
et de l’élection.

1. La prise en compte des conditions d’inscription sur les listes électorales

Pour être inscrit sur une liste électorale dressée au sein de la Chambre de
Commerce pour l’élection de ses membres, il faut jouir de ses droits civiques et
politiques ; exercer une profession commerciale, industrielle, artisanale ou de
prestations de service ; être âgé de vingt un ans accomplis au 1er janvier de l’année
d’élection ; être inscrit au rôle de la contribution des patentes dans des catégories
fixées par la réglementation ou être titulaire d’un permis minier à l’exception d’un
permis de prospection. Il est par ailleurs exigé de l’impétrant qu’il soit établi dans
l’exercice de sa profession au Cameroun depuis six mois au moins au 1er janvier de
l’année de l’élection ; qu’il soit en règle avec le fisc en ce qui concerne le paiement
des droits et taxes afférents à l’exercice de sa profession1783.

C’est en considération de ces conditions que le juge se prononce sur la


justesse des contestations portant sur l’omission du nom des requérants sur la liste
électorale. Ainsi, si dans l’affaire D.A Nangah du 28 janvier 19881784, il a constaté
qu’il résultait du bordereau de situation établi par la trésorerie de Buéa que le
requérant n’était pas tout à fait en règle vis-à-vis du fisc pour justifier l’omission de

1782
Article 15 al 1er du décret n° 89/231 du 13 mars 1986 portant statuts de la Chambre de Commence,
d’Industrie et des Ministre abrogé par le décret n° 2001/381 du 27 novembre 2001.
1783
Voir. article 9 du décret n° 68/231 du 13 mars 1986.
1784
CS/CA, jugement n° 52/87-88 du 28 janvier 1988, affaire D.A Nangah contre Etat du Cameroun (MINDIC).

416
son nom sur la liste électorale et a, par conséquent, rejeter son recours, dans
d’autres affaires, assez nombreuses, intervenues le 13 août 19871785 et le 29
octobre 19871786, il a, après examen des pièces produites par les requérants, admis
le bien-fondé de leurs contestations. En effet, cet examen a révélé que les intéressés
remplissaient « toutes les conditions fixées par l’article 9 du décret n° 86/231 du 13
mars 1986 ».
Il résulte de ce qui précède que lorsque le requérant remplit les conditions
réglementaires pour faire partie du collège électoral, le juge reconnaît la justesse de
sa contestation. Mais, il s’assure aussi que l’intéressé n’est pas frappé de l’une des
incapacités prévues par les dispositions réglementaires régissant les conditions
d’élection au sein de la Chambre de Commerce.

2. La prise en compte des prescriptions réglementaires portant sur les


incapacités

D’après l’article 10 du décret n°86/231 - abrogé pa r le décret n°2001/381 du


novembre 2001-, ne peuvent être portés sur les listes électorales ni participer à
l’élection au sein de la Chambre de Commerce les individus condamnés soit à des
peines criminelles, soit à des peines correctionnelles pour des faits qualifiées de
crimes par la loi ; les individus condamnés pour vol, escroquerie, recel, abus de
confiance, usure, soustraction commise par des dépositaires de deniers publics,
attentats aux mœurs ; les individus condamnés à l’emprisonnement pour infraction
aux lois sur les maisons de jeu, les loteries et les maisons de prêts sur gages ; les
individus condamnés pour des délits prévus par le Code pénal relatifs à l’insolvabilité
organisée, la soustraction et destruction de pièces publiques, la contrefaçon,

1785
V. CS/CA, jugement n° 68/86-87 du 13 août 1987, affaire Electrical Construction contre Etat du Cameroun ;
CS/CA, jugement n°69/86-87, affaire Mukete Plantations Limited contre Etat du Cameroun ; CS/CA jugement
n°70/86-87 du 13 août 1987, affaire société Faienceries Cameroun ; CS/CA jugement n° 72/86/87 du 13 août
1987 , affaire Société Menuiserie-Ebenisterie Yankam Richard contre Etat du Cameroun ; CS/CA jugement
n°73/86/87 du 13 août 1987 affaire Djidjou Prosper contre Etat du Cameroun ; CS CA ; jugement n° 74/86-87 du
13 août 1987, affaire Atsama Foumane contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n° 75/86-87 du 13 août
1987, affaire Société Commerciale Industrielle des Retraités des Forces Armées, Police et Forces auxiliaires du
Cameroun (SO.CIR.FAP) contre Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n°76/86-87 du 13 août 1987 ; affaire
société commerciale du centre contre Etat du Cameroun et CS/CA, jugement n°77/86-87 du 13 août 1987, affaire
Mme Ambassa née Ntsama Agnès contre Etat du Cameroun.
1786
V. CS/CA, jugement n°14/87-88 du 29 octobre 1987, affaire Hirondelle Voyages contre Etat du Cameroun ;
CS/CA, jugement n°15/87-88 du 29 octobre 1987, affaire Dame Mache contre Etat du Cameroun ; CS/CA,
jugement n°16/87-88 du 29 octobre 1987, affaire Soggerom contre Etat du Cameroun.

417
l’atteinte au crédit de l’Etat et au développement national, l’atteinte au règlement de
conditionnement , l’émission de chèque sans provision, l’atteinte à la liberté du
travail, la destruction de denrée, l’extorsion d’un acte, d’une signature d’un blanc-
seing et à la faillite . Il en est de même des individus condamnés à l’emprisonnement
par l’application des lois sur les sociétés ; des individus condamnés à une amende
de 500.000 F CFA sans sursis ou à une peine supérieure pour infraction aux lois
fiscales ou douanières, aux lois et règlements concernant les changes, le commerce,
les prix, les poids et mesures ; les notaires greffiers et officiers ministériels destitués
en vertu de décisions judiciaires ou disciplinaires, les faillis non réhabilités dont la
faillite a été déclarée soit par un tribunal camerounais, soit par un jugement rendu à
l’étranger et reconnu au Cameroun, et de façon générale, toute personne privée de
ses droits civiques et politiques dans le pays dont il a la nationalité.

C’est cet ensemble de prescriptions réglementaires relatives aux incapacités -


qui peuvent être à l’origine de la non inscription d’un nom sur les listes électorales -
que le juge prend en compte pour s’assurer du bien-fondé des contestations portant
sur l’omission du nom sur lesdites listes.

Il résulte des jugements rendus en la matière que le juge a reconnu la validité


de l’essentiel des contestations. Il a, en effet, constaté que tous les requérants qui
l’ont saisi n’étaient frappés d’aucune des incapacités pour être électeurs ou être
inscrits sur les listes électorales. C’est sur cette base qu’il a été amené à ordonner
leur inscription sur les listes électorales pour le renouvellement des membres de la
Chambre de Commerce.

Ce faisant, le juge indique qu’il ne suffit pas de remplir les conditions


d’inscription , mais qu’il faut aussi être de bonne moralité. Tout autre a été la
démarche l’ayant conduit à reconnaître la justesse de la contestation portant sur
l’erreur commise sur le nom d’un requérant dans la liste électorale.

418
B. LA RECONNAISSANCE DE LA VALIDITE DE LA CONTESTATION
RELATIVE A L’ERREUR SUR LE NOM INSCRIT DANS LA LISTE
ELECTORALE

L’article 15 du décret n°86/231 du 13 mars 1986 n’a pas expressément prévu


le cas de pourvoi devant la Chambre Administrative contre l’erreur commise sur un
nom dans la liste électorale. Il évoque de façon générique la possibilité de pourvoi
contre les inscriptions. Mais, il n’ y a pas de doute qu’une contestation relative à
l’erreur sur le nom fait partie du contentieux de l’inscription. On peut donc
comprendre qu’il ait statué sur une telle contestation dans l’affaire Teta Michel du 29
octobre 19871787. En l’espèce, le requérant s’était pourvu, en application de l’article
15 du décret n°86 /231 devant le juge administrati f contre l’erreur commise sur son
nom par le Ministre de l’Industrie dans son arrêté du 1er juin 1987 portant
renouvellement des membres de la Chambre de Commerce. Sur la base des pièces
produites par l’intéressé, notamment le titre de patente , le juge a reconnu le bien-
fondé de sa contestation dans la mesure où il a été établi qu’il s’appelait Teta Michel
et non Teta Jean comme porté sur l’arrêté ministériel querellé. Aussi a-t-il « ordonné
la rectification en Teta Michel du nom du candidat Teta Jean porté sur l’arrêté (…) du
1er juin 1987 ».

Une telle prescription n’est pas inutile ou anodine. En effet, l’erreur commise
était de nature à causer à l’intéressé un préjudice ; d’abord, comme électeur ;
ensuite, comme candidat, puisqu’ il aurait fallu qu’il prouve que Teta Jean est bel et
bien Teta Michel, l’un n’étant pas forcément l’autre. En saisissant le juge, l’intéressé
a donc choisi la voie appropriée pour faire réparer l’erreur dans la mesure où son
problème était relatif à l’inscription sur la liste électorale dont le contentieux relève du
juge administratif . Tout autre choix eu été risqué car n’étant pas juridiquement
organisé.

L’enjeu de la contestation était d’autant plus important que pour être certain de
sa justesse, le juge a eu à procéder à un contrôle sur pièces, en exigeant la
production de documents qui permettaient d’établir l’erreur. C’est dire que la
prescription des mesures définitives d’urgence par le juge ne va pas de soi. Cela
est d’autant plus vrai que c’est très limitativement qu’il reconnaît le bien-fondé des

1787
CS/CA, jugement n°26/87-88 du 29 octobre 1987, affaire Teta Michel.

419
contestations portant sur les opérations préparatoires à l’élection des conseillers
municipaux.

PARAGRAPHE II : UNE RECONNAISSANCE LIMITEE DE LA VALIDITE


DES CONTESTATIONS PORTANT SUR LES
OPERATIONS PREPARATOIRES A L’ELECTION DES
CONSEILLERS MUNICIPAUX

Le juge administratif n’est pas directement investi par le législateur pour


connaître des contestations portant sur les opérations préparatoires à l’élection des
conseillers municipaux. Celles-ci ressortissent, en principe, de la compétence de la
Commission Communale de Supervision (CCS). Seulement, il est des contestations
portant sur des irrégularités qui concernent directement cette commission et dont la
méconnaissance est de nature à affecter les opérations électorales, mais qu’elle ne
peut pas elle-même connaître. Il est donc admis que le juge administratif peut
intervenir dans le contentieux des opérations préparatoires à l’élection lorsque les
irrégularités alléguées « sont de nature à altérer la sincérité du scrutin ou à fausser
ses résultats »1788. Toutefois, il n’est pas fréquent que l’irrégularité alléguée des
opérations préparatoires « entraîne de manière automatique l’annulation des
opérations électorales »1789. En effet, le juge recherche quels ont été les effets
possibles de ces irrégularités sur les résultats du scrutin. Il « apprécie
souverainement les faits et les preuves. Il demeure libre de former sa conviction. Il
lui appartient d’apprécier la force probante des divers documents portés à sa
connaissance »1790. En outre, il bénéficie d’une grande liberté pour apprécier les
conséquences à tirer des irrégularités dénoncées ou qu’il constate. On comprend
alors pourquoi, saisi des contestations formulées contre la constitution et le
fonctionnement de la Commission Communale de Supervision (A) et des
contestations portant sur les candidatures (B), il n’admet que limitativement leur
bien-fondé.

1788
B . Maligner, op. cit., p. 40.
1789
J-C.Masclet, op.cit., p 356.
1790
Ibid.

420
A. L’ADMISSION LIMITEE DE LA JUSTESSE DES CONTESTATIONS
PORTANT SUR LA CONSTITUTION ET LE FONCTIONNEMENT DE LA
CCS

Instituée par la loi n°92/002 du 14 août 1992 fixan t les conditions d’élection
des conseillers municipaux, la Commission Communale de Supervision (CCS) est
chargée, au niveau de chaque commune, « de veiller à la régularité, à l’impartialité et
à l’objectivité des élections »1791. Sa composition, fixée par la loi, est constatée par
arrêté du Préfet.

La CCS n’est pas à l’abri des récriminations et des contestations, tant en ce


qui concerne sa constitution que son fonctionnement. Aussi, lorsque le juge est
saisi, il recherche la force probante desdites contestations pour en apprécier le bien-
fondé.

1. La recherche de la force probante des contestations portant sur la


constitution de la CCS

D’après l’article 13 al 1er de la loi n°92/002, la CCS comprend : « Une


personnalité indépendante désignée par le Préfet, en accord avec tous les partis
politiques en compétition dans la circonscription : président ; cinq représentants de
l’Administration désignés par le Préfet ; cinq représentants des partis politiques ».
L’alinéa 2 de cet article précise qu’il est prévu pour chaque représentant des partis
politiques un suppléant qui peut le remplacer en cas d’empêchement. Ce suppléant
est choisi parmi les partis politiques en compétition n’ayant pas de représentant
titulaire.

Cette composition de la CCS est constatée par arrêté du Préfet. Elle est ainsi
juridiquement consacrée par un acte administratif unilatéral.

La loi ne prévoit pas explicitement que la constitution de la CCS peut être


attaquée devant le juge administratif. Mais, comme elle est constatée par un acte
administratif unilatéral et qu’elle peut influencer positivement ou négativement les
opérations électorales, le juge admet et examine au fond les contestations y
relatives. C’est ainsi que dans trois affaires intervenues le 18 juillet 1996, il s’est

1791
Article 12 al. 1er de la loi n°92/002 du 14 août 1992.

421
prononcé sur la validité des contestations portant sur la régularité de la constitution
de la CCS.

Dans la première espèce, à savoir l’affaire Social Democratic Front et Parti


Conservateur Républicain1792, les requérants ont saisi le juge pour solliciter
l’annulation de l’arrêté de Préfet du Mfoundi constatant la composition de la CCS des
élections municipales du 21 janvier 1996 pour l’Arrondissement de Yaoundé IIIe. ils
soutenaient que l’absence de leurs représentants dans la composition de la CCS
était susceptible de leur causer un préjudice. Le juge a estimé que le préjudice
allégué n’était pas justifié. Se basant sur l’article 13 de la loi n° 92/002, qui détermine
la composition de la CCS, il a déclaré qu’il résulte de cette disposition « que tous les
partis politiques en compétition ne peuvent pas être représentés à la Commission
communale de Supervision » et « qu’il n’est pas interdit pour un parti politique d’avoir
plus d’un représentant titulaire et un représentant suppléant ». Cette interprétation
de la loi par le juge est à la fois juste et excessive. Elle est juste parce que, comme il
le dit, tous les partis politiques en compétition ne peuvent pas faire partie de la CCS,
puisque la loi fixe le nombre de représentants des partis politiques qui est de cinq. Il
est clair que s’il y a plus de cinq partis en compétition dans une commune, ils ne
seront pas tous représentés. Elle est également juste, en partie, pour la raison
qu’effectivement, il n’est pas interdit pour un parti politique d’avoir plus d’un
représentant titulaire. En effet, cette hypothèse est envisageable et plausible dans le
cas où moins de cinq partis sont en compétition ; mais s’il sont cinq ou plus, on ne
comprendrait pas qu’un parti ait plus d’un représentant, l’équité devant être pris en
compte dans la constitution de la commission. Toutefois, l’interprétation du juge est
excessive, voire contra legem , lorsqu’il admet qu’il est possible pour un même parti
d’avoir un représentant titulaire et un représentant suppléant, sans indiquer dans
quel cas cela est possible et si dans le cas de l’espèce cela devait ou pouvait être
possible. Si l’alinéa de l’article 13 de la loi 92/002 dispose qu’ « il est prévu pour
chaque représentant des partis politiques un suppléant qui peut le remplacer en cas
d’empêchement », il précise clairement que « le suppléant est choisi parmi les partis
politiques en compétition n’ayant pas de représentant titulaire ». Autrement dit,
l’hypothèse envisagée par le juge n’est qu’une dérogation, car tant qu’il est possible

1792
CS/CA, jugement n°47/95-96 du 18 juillet 1996, affaire Social Democratic Front (SDF) et Parti Conservateur
Républicain (PCR) contre Etat du Cameroun (Commune Urbaine de Yaoundé IIIème) RDPC (intervenant).

422
de choisir un suppléant parmi les partis politiques en compétition qui n’ ont pas de
représentant titulaire, il est exclu qu’un même parti politique ait un représentant
titulaire et un représentant suppléant. Le juge aurait gagné en clarté dans son
interprétation de la loi s’il l’avait dit ainsi.

Si dans la première espèce analysée le juge rejette la contestation au fond


parce que le préjudice allégué n’est pas justifié, dans la deuxième, à savoir l’affaire
UNDP1793, il a admis le recours comme fondé au double motif, d’une part, qu’il
ressort des espèces du dossier qu’après désignation des membres de la
Commission communale de Supervision par arrêté préfectoral, « cette décision été
contestée par l’UNDP, par lettre en date du 20 janvier 1996 adressé au Préfet
compétent qui n’a pas donné de suite à cette correspondance », et, d’autre part, que
« ni l’arrêté querellé, ni aucun autre document ne fait ressortir la mention de l’accord
de tous les partis politiques en compétition sur la désignation du Président de la
Commission, ce qui constitue une violation de l’article 13 al. 1 de la loi n°92/002 ».
Pour le juge, de tels manquements de la part de l’Administration exposent
nécessairement les opérations électorales à la sanction de nullité. Il résulte de cette
espèce que le juge peut être amené à annuler les opérations électorales lorsque
l’irrégularité d’une opération préparatoire à l’élection « a été de nature (…) a altérer la
sincérité du scrutin »1794.

Comme l’écrivent B. Lassere et S. Hubac, « la violation de la loi ou du


règlement ne conduit à l’annulation des opérations que si elle a pu avoir une
influence sur les résultats de celles-ci »1795. Dans l’affaire UNDP analysée, on peut
considérer que c’était le cas, sinon le juge n’aurait pas annulé les opérations
électorales. Par contre, dans l’affaire PNP (Parti National pour le Progrès)
CR/Mbam1796, il a estimé que le recours du parti n’était pas fondé pour la raison qu’il
n’a pas justifié qu’il avait contesté devant les instances compétentes la désignation
du Président de la CCS. En l’espèce, le requérant soutenait que cette désignation
avait été faite en violation de l’article 13 al 1er de la loi n°92/002 qui prescrit que la
personnalité indépendante qui assure les fonctions de président est désignée par le

1793
CS/CA jugement n° 052/95-96 du 18 juillet 1996, UNDP (représentée par Marcel Goutalo) c/Etat du Cameroun.
1794
B. Lassere et S. Hubac, « Le contentieux des élections municipales », Chronique générale de jurisprudence
administrative française, AJDA, 1984, p 333.
1795
Ibid.
1796
CS/CA, jugement n°65/95-96 du 18 juillet 1996, affaire P.N.P (CR/Mbam) contre Etat du Cameroun

423
Préfet en accord avec tous les partis politiques en compétition dans la
circonscription ; ce qui , aux dires du requérant, n’a pas été le cas en l’espèce. Le
juge a reproché au parti requérant le fait de ne pas prouver qu’il a contesté la
désignation litigieuse ; en d’autres termes, qu’il n’a pas démontré la réalité du fait
allégué, en présentant « des éléments de conviction de nature à entraîner »1797 une
décision favorable du juge. Or, « à l’égard du juge, faire la preuve consiste à produire
des éléments qui emporteront sa décision »1798. En application de la règle « actori
incumbit probatio », c’est à celui qui met en branle la machine judiciaire d’apporter la
preuve des faits qu’il invoque à l’appui de ses prétentions. Lorsqu’il ne la fait pas, « il
est légitime qu’il supporte les conséquences d’un défaut de preuve »1799, comme en
l’espèce. En effet, ayant allégué qu’il n’avait pas donné son accord préalable à la
désignation de la personnalité indépendante contestée, le requérant n’a pas prouvé
ou justifié qu’il avait saisi le Préfet pour manifester son désaccord. Encore faillait-il
qu’il sache qu’il devait le faire avant de saisir le juge qui ne peut intervenir que pour
apprécier ex-post l’action ou l’inaction de l’autorité préfectorale et/ou de la CCS.

2. La recherche de la force probante des contestations portant sur le


fonctionnement de la CCS

D’après la loi, la CCS connaît de l’ensemble de litiges relatifs aux


candidatures et aux listes de candidats tant en ce qui concerne leur acceptation que
leur rejet1800. Saisie à cet effet par le candidat, le mandataire de la liste intéressée et
par tout électeur inscrit sur les listes électorale1801 dans les 5 jours suivant la
notification de la décision de rejet ou d’acception, la CCS a 3 jours pour statuer
définitivement sur le recours1802. Il résulte de ceci que lorsque la CCS est saisie, elle
est tenue de statuer. Elle ne peut pas, pour quelques motifs que ce soit, refuser ou
s’abstenir de statuer. Si elle est saisie après les opérations électorales, elle ne peut

1797
Alain Plantey, « La preuve devant le juge administratif », JCP, 1986 I. 3245.
1798
Ibid.
1799
Ch. Debbasch, « La charge de la preuve devant le juge administratif », D., Chr, I .1983 , p.43.
1800
Dans ce sens, les articles 12 et 26 de la loi n°92/002.
1801
V. article 26 de la loi n°92/002 du 14 août 1992.
1802
V. article 27 de la loi n°92/002.

424
s’abstenir de traiter le recours ; il lui revient dans ce cas de constater sur procès-
verbal le retard mis par le requérant pour le saisir1803.

Pour le juge, lorsque la CCS s’abstient de régler un litige dont elle a été
« valablement saisie au cours des opérations électorales », elle « n’a pas assuré la
régularité desdites opérations qui de ce fait se trouvent viciées »1804. Le juge estime,
en effet, que quand la CCS est saisie des griefs qui relèvent de sa compétence, en
vertu de l’article 12 de la loi n° 92/002, elle ne doit pas s’abstenir de statuer sur
lesdits griefs ; si elle le fait, elle expose « les opérations électorales à la sanction de
nullité »1805. Mais , lorsque la CCS mise en cause a normalement statué sur les
contestations qui lui ont été adressées, il rejette toute requête qui demande
l’annulation du texte constatant sa composition en arguant qu’elle a tardé à statuer
sur lesdites contestations causant un préjudice au parti requérant. Il en a été ainsi
dans l’affaire Social Democratic Front (SDF) et Parti Conservateur Républicain
(PCR) du 18 juillet 19961806. En l’espèce, les partis requérants dénonçaient le retard
accusé par la CCS pour régler leurs requêtes et l’intervention de l’arrêté du Préfet
« qui n’aurait pas permis l’installation de la dite commission à temps » ce qui leur a
causé un préjudice. Le juge a estimé qu’ils n’avaient subi aucun préjudice, « la
commission en question ayant normalement examiné le rejet de leurs listes de
candidatures ».

Il se dégage de ce qui précède que le juge sanctionne toute abstention de la


CCS par l’annulation des opérations électorales, car il considère que lorsqu’elle ne
statue pas sur les griefs qui lui sont adressés , le processus électoral est vicié et
donc la sincérité du vote et des résultats. Par contre, lorsqu’il est établi que la CCS
s’est effectivement prononcée sur les contestations qu’elle a reçues, il rejette tout
recours qui allègue un préjudice subi du fait du retard qu’elle a mis pour statuer ;
l’essentiel étant, selon le juge, que la Commission statue, et si elle ne le peut, faute
de temps ou parce que saisie tardivement, elle doit le signaler sur procès-verbal.

1803
CS/CA, jugement n°31/85-96 du 16 avril 1996 affaire RDPC (Rassemblement Démocratique du Peuple
Camerounais) (CR de Penja) contre Etat du Cameroun.
1804
CS/CA, jugement n°31/95-96 du 19 avril 1996, sus-cité.
1805
CS/CS, jugement n°52/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UNDP contre Etat du Cameroun.
1806
CS/CA, jugement n°47/95-96 du 18 juillet, affaire Social Democratic Front (SDF) et Parti Conservateur
Républicain (PCR) contre Etat du Cameroun.

425
En somme, bien que la CCS soit chargée de veiller à la régularité,
l’impartialité et l’objectivité des élections municipales, c’est au juge administratif qu’il
revient d’apprécier la régularité de son action ou de son inaction. C’est ainsi qu’il se
prononce sur la validité des contestations portant sur le rejet des candidatures par la
CCS. Mais, il ressort des décisions rendues en la matière qu’il n’admet que très
limitativement leur validité. En effet, il se réserve, autant que possible, de porter
atteinte à la souveraineté des décisions rendues par la CCS.

B. L’ADMISSION LIMITEE DE LA JUSTESSE DES CONTESTATIONS


RELATIVES AU REJET DES CANDIDATURES

Les candidatures à l’élection des conseillers municipaux font l’objet, auprès du


Sous-Préfet compétent, au plus tard quarante (40) jours avant le jour du scrutin, et
avant l’heure normale de fermeture des bureaux, d’une déclaration en triple
exemplaire, revêtue des signatures légalisées des candidats. Celle-ci est déposée
contre récépissé. Dans un délai maximum de sept (07) jours, le Préfet s’assure que
la liste de candidatures ou que la candidature est conforme aux prescriptions de la loi
n°92/002 et l’accepte ou la rejette.

Lorsque la liste est rejetée, le Préfet doit, dans un délai maximum de sept (07)
jours, motiver sa décision, en informer le mandataire et transmettre le dossier à la
Commission Communale de Supervision compétente1807. La décision d’acceptation
ou de rejet d’une liste de candidats ou d’une candidature prise par le Préfet peut être
attaquée par le candidat, le mandataire de la liste intéressée ou de toute autre liste,
et par tout électeur inscrit sur les listes électorales auprès de la CCS. Celle-ci statue
définitivement dans les trois (03) jours au plus tard suivant la déclaration de
recours1808. Toutefois, les personnes ou les partis dont les listes ont été rejetées qui
estiment n’avoir pas obtenu gain de cause auprès de la CCS peuvent saisir le juge
soit pour demander la réhabilitation de leurs listes, soit pour solliciter l’annulation de
l’élection. Lorsque le juge retient sa compétence, il examine les contestations au
fond. Il se dégage des décisions rendues en la matière que sa jurisprudence
ambivalente. En effet, si dans certains cas il reconnaît la justesse des contestations
des requérants, dans d’autres, par contre, il les réfute.

1807
Voir article 20 de la loi n°92/002.
1808
Voir, articles 26 et 27 de la loi n°92/002.

426
1. La reconnaissance de la justesse des contestations portant sur le
rejet des candidatures

Il se dégage des décisions rendues par le juge administratif à la suite du


scrutin du 21 janvier 1996 qu’il a eu à reconnaître la justesse des contestations
portant sur l’irrégularité du rejet des listes de candidatures pour trois motifs. Le
premier motif est lié à la disqualification des listes de candidatures par la CCS après
la proclamation des résultats ; le deuxième motif concerne le détournement de
pouvoir commis par la CCS et le troisième motif est relatif au refus du Préfet de tenir
compte de la décision d’acceptation d’une liste prise par la CCS.

a. L’irrégularité de la disqualification des listes de candidats par la CCS


après la proclamation des résultas du scrutin

Pour le juge administratif, s’il est exact que la disqualification d’une liste de
candidats relève de la compétence de la CCS qui « (…) connaît des contestations et
contentieux portant sur les candidatures et le comportement des candidats ou leurs
représentants en période électorale »1809, en particulier ceux relatifs aux décisions
d’acceptation ou de rejet de candidature ou de liste de candidatures, conformément
aux articles 26 et 27 de la loi n°92/002, « il demeure que la dite commission doit être
saisie avant la proclamation des résultats qui marque (…) la fin de son rôle ». Il en a
décidé ainsi dans l’affaire UNDP et SDF relative à la Commune urbaine de Yaoundé
IIe du 18 juillet 19961810 et dans l’affaire SDF - UNDP- UDC et ADD concernant la
Commune urbaine de Yaoundé Ve intervenue le même jour1811. Dans la première
affaire, la CCS avait, sur requête introduite par le RDPC, disqualifié la liste de
l’UNDP alors qu’elle avait déjà proclamé les résultats du scrutin. Le juge a donc
estimé « qu’en statuant en la matière sur une requête introduite tardivement et qui de
ce fait doit être écartée, la CCS a outrepassé ses pouvoirs ». Dans la seconde
affaire, sur requête toujours du RDPC, la CCS avait procédé, après proclamation des
résultats de l’élection, à la disqualification de la liste du SDF ; le juge a considéré
« qu’en statuant sur ce point sur la requête du RDPC introduite après la proclamation

1809
Article 12 al. 255 de la loi n°92/02.
1810
CS/CA, jugement n°44/95-96 du 18 juillet affaire UNDP et SDF (Commune urbaine de Yaoundé IIe ) contre
Etat du Cameroun.
1811
CS/CA, jugement n°63/95-96 du 18 juillet, 1996, affaire SDF- UNDP- UDC et ADD (Commune urbaine de
Yaoundé Ve) contre Etat du Cameroun.

427
du 21 janvier 1996 et qui de ce fait doit être écartée, la CCS ,n’a pas donné de base
légale à sa décision ».

Le juge a, dans ces deux espèces, fixé, de façon fort judicieuse, la


compétence temporelle de la CCS dans la connaissance des litiges relatifs à
l’acceptation ou au rejet des listes de candidats. Si celle-ci est habilitée par la loi à
connaître de ces litiges, elle ne peut être saisie qu’avant la proclamation des
résultats qui marque la fin de son rôle et non après . Il a également eu à repréciser
la compétence matérielle de la CCS qui a commis un détournement de pouvoir en
disqualifiant une liste alors qu’elle n’a pas été saisie d’une contestation à ce sujet.

b. La commission du détournement de pouvoir par la CCS

D’après la loi n°92/002 , la CCS connaît des contes tations et du contentieux


portant sur les candidatures et le comportement des candidats ou leurs
représentants en période électorale1812. Il en résulte que la saisine de la CCS est
subordonnée à une contestation, c’est-à-dire une proposition de point de vue sur un
point de droit ou de fait ou « une divergence d’interprétation ou d’application d’une
règle de droit »1813, ou à un contentieux. Autrement dit, pour que la CCS statue sur
l’acceptation ou le rejet d’une candidature ou d’une liste de candidats, elle doit avoir
été saisie soit par le candidat, le mandataire de la liste intéressée ou toute autre liste,
soit par tout électeur inscrit sur les listes électorales de la commune1814. Sa saisine
ne peut donc se faire d’office ; plus exactement, la CCS ne peut pas s’auto saisir,
n’en étant pas habilitée par la loi. Si elle le fait, elle commet un détournement de
pouvoir. C’est ce qu’ a décidé le juge dans l’affaire UNDP (CR de Biyouha) du 18
juillet 19961815. En effet, alors que personne n’avait déposé de recours contre la liste
du parti requérant, la CCS s’était saisie après le vote et avait procédé au retrait de
cette liste. Le juge a estimé qu’ en se saisissant dans cette « cause en l’absence de
tout recours, la CCS a outrepassé ses pouvoirs, exposant ainsi à l’annulation la
décision ayant écarté la liste de l’UNDP et le résultat subséquents proclamés par le
président de ladite commission ». Par ailleurs, dans une espèce où le Préfet s’était
abstenu de tenir compte de la décision d’acceptation d’une liste prise par la CCS, il a

1812
Voir article 12 al 255 de la loi n°92/002.
1813
Ch. Debbasch et J-C. Ricci, op. cit., p.264.
1814
V. article 26 de la loi n°92/002.
1815
CS/CA, jugement n°53/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UNDP (CR/Biyouha) contre Etat du Cameroun.

428
pris soin de rappeler et de repréciser le domaine de compétence de la CCS ; ce qui
lui a permis d’établir l’irrégularité du refus du Préfet.

c. L’irrégularité du refus du Préfet de tenir compte de l’acceptation


d’une liste de candidats par la CCS

Si l’article 20 de la loi n°92/002 reconnaît au Pré fet le pouvoir d’accepter ou de


rejeter une liste de candidats ou une candidature après s’être assuré qu’elle s’est ou
non conformée à ses prescriptions, sa décision peut être contestée devant la CCS
qui statue définitivement sur l’acceptation ou le rejet de la liste. Ainsi, lorsque la CCS
disqualifie une liste et qu’après des modifications survenues en son sein, elle revient
sur sa décision en réhabilitant cette liste, le Préfet est lié par cette décision qu’ il est
tenu de prendre en compte. S’il ne le fait pas, non seulement il remet en cause la
décision de la CCS, qui d’après la loi est définitive, mais en plus, il lèse les intérêts
du parti requérant. Le juge en a décidé ainsi dans l’affaire FPN du 29 mars 19961816.
En l’espèce, la liste du parti requérant avait été disqualifiée par la CCS désignée par
arrêté préfectoral la 09 janvier 1995, aux termes de son procès-verbal du 14
décembre 1995. Mais ladite commission, modifiée par un autre arrêté préfectoral,
était revenue sur sa décision de disqualification et avait proposé la réhabilitation de
cette liste à l’autorité administrative, en l’occurrence le Préfet, qui n’en avait pas tenu
compte, laissant ainsi les opérations électorales se poursuivre en l’état. Le juge a
estimé que la situation ainsi créée « a lésé les intérêts du parti recourant » ; aussi a-
il annulé les élections dans la commune concernée.

Cette position du juge confirme l’idée selon laquelle il n’annule le scrutin que
lorsqu’il est établi que l’irrégularité alléguée est « de nature à altérer la sincérité du
scrutin ou à fausser ses résultats »1817. Mais, lorsqu’il statue sur les contestations
portant sur le rejet de candidatures, il se garde de prendre la place la CCS, en
s’assurant qu’ elle a été effectivement saisie et qu’ elle a statué. Aussi est-il amené à
méconnaître la justesse des contestations portant sur le rejet des candidatures par
la CCS.

1816
CS/CA, jugement n°25/95-96 du 29 mars 1996, affaire FPN (Front Patriotique National) C.R/ Mboma contre
Etat du Cameroun.
1817
B. Maligner, op. cit., p. 40.

429
2. La méconnaissance de la justesse des contestations portant sur le
rejet des candidatures par la CCS

Lorsqu’un requérant met en cause une décision de rejet de candidature prise


par la CCS , le juge exige qu’il apporte la preuve qu’il a saisi la CCS à cet effet. Par
ailleurs, il rejette tout recours qui allègue de l’acceptation de la liste par la CCS alors
même que celle-ci aurait dû la rejeter.

a. L’absence de preuve attestant de la saisine effective de la CCS

An matière de candidature, le juge n’intervient que si la CCS s’est abstenue


de statuer alors qu’elle a été valablement saisie, si elle a enfreint la loi en décidant
du rejet ou de l’acceptation d’une liste ou si le Préfet a empiété dans le domaine de
compétence de la CCS. Ainsi, lorsqu’un parti requérant le saisit pour contester le
rejet de sa liste, il exige qu’il apporte la preuve que le recours adressé à la CCS lui
est effectivement parvenu. Si le recours parvient à la CCS et qu’elle s’abstient de
statuer, le juge sanctionne cette abstention en annulant les opérations électorales. A
contrario, si « le recourant ne rapporte pas la preuve que sa requête adressée (…)
au Président de la CCS a atteint son destinataire »1818, il considère que l’allégation
de rejet de la liste n’est pas fondée. « A l’égard du juge, faire la preuve consiste à
produire des éléments qui emporteront sa décision »1819. Il s’agit de « démontrer la
réalité d’un fait ou la véracité d’une information », de « présenter des éléments de
conviction de nature à entraîner la décision »1820 du juge. Dans l’affaire UNDP du 18
juillet 19961821, le requérant soutenait que le Président de la CCS avait été saisi
conformément aux dispositions de la loi par lettre-recommandée avec accusé de
réception et que la lettre est restée sans effet parce que le Sous-Préfet avait
confisqué l’accusé de réception tout en émargeant sur le registre de la poste. Le juge
a estimé cependant qu’il n’a pas rapporté la preuve que la requête est parvenue au
Président de la CCS, surtout que le Sous-Préfet mis en cause contestait l’objectivité
du récépissé de la poste produit par le requérant, lequel indiquait que la requête a
été envoyée sous son couvert.

1818
CS/CA, jugement n°46/95-96 du 18 juillet 1996, affaire UNDP contre Etat du Cameroun.
1819
A. Plantey, op. cit.
1820
Ibid.
1821
CS/CA, jugement n°46/95-96 du 18 juillet 1996.

430
Cette affaire démontre, à suffisance, les difficultés que peuvent éprouver le
requérant pour « apporter la preuve des faits qu’il invoque à l’appui de ses
prétentions »1822. En faisant peser sur le demandeur la charge de la preuve, le juge
reconnaît « à l’administration un privilège supplémentaire, celui de n’avoir aucune
preuve à apporter »1823. Ainsi, dans l’affaire UNDP analysée, il a suffi que l’autorité
administrative mette en cause l’objectivité du récépissé de la poste produit par le
requérant pour que le juge conclut que ce dernier n’a pas rapporté la preuve que sa
requête a atteint le Président de la CCS. Or, comme l’écrit Ch. Debbasch, « le plus
souvent, les éléments de preuve sont détenus par l’administration. On ne peut donc
pas la dispenser de toute collaboration à la recherche de la preuve »1824. Le juge
pouvait donc user de son pouvoir inquisitorial « pour établir sa conviction sans faire
peser une charge excessive sur le demandeur »1825. Ne l’ayant pas fait, il a conforté
l’administration dans ses prérogatives de puissance publique, alors même qu’en
matière électorale, elle n’est guère transparente.

Autant le juge rejette comme non fondé un recours parce que le requérant n’a
pas prouvé qu’il a effectivement saisi la CCS, autant il rejette la contestation au fond
lorsqu’il est établi, contrairement aux allégations du requérant, que le CCS a , non
pas accepté, mais rejeté sa liste.

b. L’effectivité du rejet de la liste de candidats par la CCS

Saisi d’un recours aux fins d’annulation des élections du 21 janvier 1996 dans
la commune rurale de Manjo par le parti politique SDF1826 qui soutenait que sa liste
rejetée par le Préfet le 15 décembre 1995 avait été acceptée par la CCS le 22
décembre 1995 mais que la Préfet avait plutôt expédié au Ministère de
l’Administration territoriale un faux procès-verbal rejetant sa liste, le juge a fait
observer, en s’appuyant sur le procès-verbal de la CCS du 22 décembre 1995, que,
contrairement aux affirmations du parti requérant, « cette Commission a constaté le
bien-fondé du rejet de la liste litigieuse, mais devant la pression du recourant, elle a
soumis l’opportunité de cette décision à l’appréciation du Préfet qui a maintenu sa

1822
Ch. Debbasch, op. cit., p. 43.
1823
Ibid.
1824
Ibid.
1825
Ibid.
1826
CS/CA, jugement n°37/95-96 du 09 mai 1996, affaire Social Democratic Front contre Etat du Cameroun
(CR de Manjo).

431
position ». Autrement dit, pour le juge, et au vu du procès-verbal, la liste du parti
requérant n’a jamais été acceptée ; son rejet a été effectivement constaté et jugé
fondé par la CCS.

Cette affaire a donné l’occasion au juge d’apporter d’importantes clarifications


sur la portée de l’intervention du Préfet dans le contentieux de l’acceptation ou du
rejet de candidature et par ricochet sur l’étendue des compétences de la CCS en la
matière. Il a ainsi posé qu’ « en matière d’acceptation ou de rejet de candidature,
l’intervention du Préfet est sans effet sur la décision de la CCS qui, conformément à
l’article 27 de la loi n°92/002 du 14 août 1992, es t définitive ». Il en résulte que la
CCS ne peut pas abandonner à un autre organe, même administratif à l’instar du
Préfet , le soin d’édicter une décision de rejet ou d’acceptation d’une liste en cas de
contestation. L’édiction de cette décision lui incombe de manière exclusive. Cette
décision est définitive, c’est-à-dire irrévocable ou insusceptible de recours
administratif. L’autorité administrative ne peut donc pas retirer une liste déjà
acceptée par elle ou accepter une liste déjà rejetée par elle. Sur ce point, on ne peut
plus dire que « la loi ne précise guerre l’effet des décisions (…) rendues »1827 par la
CCS, le juge l’ayant fait. Il reste qu’à l’égard de ce dernier, ces décisions ont une
autorité relative de la « chose décidée ». C’est la raison pour laquelle il peut
considérer, au regard des circonstances de l’espèce, que le refus de les éditer ou
que leur édiction est irrégulière et que de ce fait les opérations électorales encourent
annulation, alors même qu’elles participent en principe des opérations préparatoires
à l’élection. Cependant, les annulations prononcées par le juge en la matière restent
très limitées. Il en est de même lorsque sont mises directement en cause les
opérations électorales proprement dites.

SECTION II : LA PRESCRIPTION LIMITATIVE DES MESURES


D’URGENCE DEFINITIVES DANS LE CONTENTIEUX DES
OPERATIONS ELECTORALES

Le contentieux des opérations électorales s’entend comme celui qui portant sur les
opérations concourant directement à l’expression du suffrage des électeurs1828. Il

1827
A.D Olinga, « L’exigence de la prise en compte des "composantes sociologiques de la circonscription" en
droit électoral camerounais », Juridis-périodique n° 28 , octobre, novembre, décembre. 1996, p.71.
1828
M. Kamto, « Le contentieux électoral au Cameroun », op. cit., p. 10.

432
concerne de façon précise les litiges liés à l’organisation et au fonctionnement des
bureaux de vote, au déroulement et au dépouillement du scrutin et à la proclamation des
résultats du scrutin.

Comme l’écrit E. Laferrière, « ce qui fait l’élection, c’est la majorité, le juge de


l’élection a donc nécessairement le pouvoir d’apprécier tous les éléments qui
concourent à la former »1829. Il a ainsi « pleine compétence pour apprécier la
régularité des opérations électorales, et pour annuler celles dont la légalité lui
semblerait compromise par l’omission de formalités essentielles »1830. Cependant, le
juge n’annule l’élection que lorsque « les infractions commises aux règles de la
procédure électorale (…) font suspecter la loyauté des opérations ou l’exactitude de
leurs résultats »1831.

Il se dégage de la jurisprudence relative au contentieux électoral municipal


que le juge administratif camerounais, agissant comme juge de l’élection, annule
rarement les opérations électorales. D’abord, parce que la majorité des recours sont
rejetés pour incompétence ou pour non respect des conditions de recevabilité
externe1832. Ensuite, parce que dans le fond, il ne reconnaît qu’exceptionnellement
l’irrégularité des opérations de vote (§ 1) et partiellement l’irrégularité des opérations
de proclamation des résultats du scrutin ( § 2).

PARAGRAPHE I : LA RECONNAISSANCE EXCEPTIONNELLE DE


L’IRREGULARITE DES OPERATIONS DE VOTE

Les opérations de vote participent de la mise en œuvre des mesures relatives


à l’ouverture et à la clôture du scrutin, à la composition et au fonctionnement du
bureau de vote, au mode de réception et de dépouillement du vote et aux
dispositions matérielles de la salle du vote.

Il est clair que si toutes ces mesures étaient prescrites à peine de nullité des
opérations électorales, peu d’élections seraient tout à fait inattaquables. Il s’avère
que très souvent, surtout dans les petites communes, en particulier dans les
communes rurales, l’ignorance ou la négligence des personnes impliquées dans les

1829
E. Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, op. cit., p. 317.
1830
Ibid., p. 320.
1831
Ibid.
1832
Voir les développements y relatifs dans le chapitre1 du titre2 de la 1ère partie de la présente étude.

433
opérations électorales favorisent des omissions, des irrégularités qui sont
regrettables, même lorsqu’elles ne révèlent aucune intention de fraude. Ainsi, lorsque
le juge statue sur les recours qui lui sont adressés, il recherche si les irrégularités
qu’on dénonce et dont on lui fournit la preuve sont de nature à compromettre le
secret ou la liberté de vote ou à jeter un doute sur le résultat réel des opérations.
L’analyse des décisions rendues par le juge administratif camerounais dans le
contentieux électoral municipal montre, d’une part, qu’il n’admet que très
restrictivement le bien-fondé des contestations portant sur les opérations de vote du
maire et des adjoints (A), et, d’autre part, qu’il méconnaît le bien-fondé de celles
portant sur les opérations de vote des conseillers municipaux (B).

A. L’ADMISSION RESTRICTIVE DE LA VALIDITE DES CONTESTATIONS


PORTANT SUR LES OPERATIONS DE VOTE DU MAIRE ET DES
ADJOINTS

Le juge apprécie l’irrégularité alléguée des opérations de vote du Maire et de


ses Adjoints par rapport aux dispositions législatives qui les organisent et par rapport
à l’attitude de l’administration et à la justesse des arguments de la partie requérante.
Avant de voir pourquoi il détermine restrictivement l’irrégularité des opérations de
vote de l’exécutif municipal, il convient au préalable d’indiquer les règles qui les
régissent.

1. Les règles régissant les opérations de vote de l’exécutif municipal1833

A sa première session, qui se tient nécessairement le deuxième mardi après


les élections, le Conseil municipal de la commune urbaine ou rurale élit le Maire et
ses Adjoints parmi ses membres. La répartition des postes d’Adjoints au Maire doit,
autant que possible, refléter la configuration politique du Conseil municipal1834.
L’élection a lieu au scrutin secret. La Maire est élu au scrutin nominal à deux tours. Si
la majorité absolue n’est pas acquise au premier tour, la majorité relative suffit au
second tour, et, en cas d’égalité de suffrages, le plus âgé des candidats est déclaré

1833
Sur la genèse et l’évolution des modes de désignation de l’exécutif municipal au Cameroun, lire B.R. Guimdo,
« L’emprise de l’Etat sur l’exécutif communal au Cameroun », Lex Lata n°021, décembre 1995, pp. 9-16.
1834
Voir article 52 (nouveau) al 1er de la loi n°74/26 du 5 décembre 1974 portant organisation communale
modifiée et complétée par le loi n°92/003 du 14 août 1992.

434
élu. Il est procédé après l’élection du Maire à celle des Adjoints. Celle-ci a lieu au
scrutin de listes, à la représentation proportionnelle1835.

D’après l’al 7 de l’article 52 (nouveau) de la loi n°74/23, « l’élection du Maire et


des Adjoints est constatée par arrêté du Ministre chargé de l’Administration
Territoriale au vu d’un procès verbal de séance établi signé par chacun des
conseillers municipaux et transmis au Ministre chargé de l’Administration Territoriale
dans les quinze (15) jours qui suivent la session au cours de laquelle l’élection a eu
lieu ». Cependant, comme le prescrit l’article 52 (nouveau) de la loi n°74/23, cette
élection peut, en cas d’irrégularité l’ayant entachée, faire l’objet de recours devant le
juge administratif à l’initiative soit de l’autorité administrative territorialement
compétente, soit d’un électeur de la commune. Il résulte des décisions rendues par le
juge que c’est très restrictivement qu’il établit l’irrégularité de l’élection de l’exécutif
municipal.

2. L’établissement restrictif de l’irrégularité de l’élection de l’exécutif


municipal

Sur trois jugements rendus en 1996 et relatifs aux opérations de vote de


l’exécutif municipal, un seul a établi l’irrégularité desdites opérations.

Ainsi, dans l’affaire SDF (Commune Urbaine d’Arrondissement de Douala IIIe)


du 9 mai 19961836, le juge a estimé que la contestation de l’élection du Maire et des
Adjoints par le parti requérant n’était pas fondé dans la mesure où l’élection s’était
déroulé selon les règles définies par la loi. De même, dans l’affaire Essomba Marcel
(CR/ Ngomezap)1837, il a considéré que la contestation de l’élection du 1er Adjoint au
Maire n’était pas fondé, la loi ayant fixé les règles et conditions d’élection des
Adjoints au Maire qui ont été prises en compte dans l’élection contestée. C’est dans
l’affaire conseillers municipaux de la Commune rurale de Nanga-Eboko du 29 mars
19961838 qu’il a établi l’irrégularité de l’élection du Maire et des Adjoints se fondant
sur le comportement de l’Administration qui refusait de produire le procès-verbal mis

1835
Voir article 52 (nouveau) al .3 de la loi n°74/23 du 5 décembre 1974.
1836
CS/CA, jugement n°39/95-96 du 9 mai 1996, affaire SDF (C.U. d’Arrondissement de Douala III ) contre Etat
du Cameroun.
1837
CS/CA, jugement n°04/96-96 du 26 août 1996, affaire Essomba Marcel (CR Ngomezap) contre Etat du Cameroun.
1838
CS/CA, jugement n°24/95-96 du 29 mars 1996, affaire conseillers municipaux de la Commune rurale de
Nanga-Eboko contre Etat du Cameroun.

435
en cause par les requérants. En effet, les requérants soutenaient, en contestation de la
régularité de l’élection du maire et de ses adjoints, qu’ils n’avaient pas signé le procès-
verbal y relatif comme le prescrit l’article 52 (nouveau) alinéa 7 de la loi n°92/003 du 14
août 1992 modifiant et complétant la loi n°74/23 d u 5 décembre 1974 portant organisation
communale. Cet article dispose que l’élection du Maire et de ses Adjoints est constatée
par arrêté du Ministre chargé de l’Administration Territoriale « au vu d’un procès-verbal de
séance établi, signé par chacun des conseillers municipaux, et transmis au Ministre
chargé de l’administration territoriale (…) ». Pour s’opposer aux prétentions des
requérants, le représentant de l’Etat demandait que ces derniers produisent l’acte
incriminé, à savoir le procès-verbal qu’ils n’avaient pas signé. Le juge a rejeté ce
moyen estimant « qu’il ne saura être demandé aux requérants (…) la production de
l’acte incriminé alors que les intéressés attaquent plutôt le vote même des dirigeants
de la commune (…) en soutenant qu’ils n’ont pas signé le procès-verbal afférent
audit vote comme le prévoit l’article 52 (nouveau) alinéa 7 de la loi n°92/003 du 14
août 1992 ». Pour le juge, il résulte de ce texte que l’administration étant le seul
destinataire du procès-verbal de l’élection du Maire et de ses Adjoints, « c’est à elle
qu’il revient de le produire en cas de contestation de ladite élection ». Ne l’ayant pas
fait, elle a, d’après le juge, confirmé les irrégularités dénoncées par les requérants.
En effet, il est de règle que le juge peut exiger des parties les renseignements qu’il
estime utiles pour la solution du litige. Il peut ainsi « requérir des personnes privées
aussi bien que de l’administration qu’elles produisent telle pièce ou tel document.
Devant le refus d’une telle production, le juge tirera le plus souvent des
conséquences défavorables à la thèse de la personne qui n’a pas déféré à la
demande de communication »1839. C’est ce qu’a fait le juge en l’espèce. Il a tiré la
conclusion selon laquelle « le fait pour l’administration de ne pas produire le
document litigieux confirme les irrégularités dénoncées ». En obligeant de la sorte
l’administration à découvrir les mobiles de son action, le juge permet « de rétablir
l’égalité entre les parties dans le domaine de la preuve »1840. Mais, ce rétablissement
n’est jamais permanent ; il est essentiellement contingent et fonction des espèces.
C’est ainsi qu’elle été battue en brèche par le juge dans le contentieux des
opérations de vote des conseillers municipaux en ce qu’il a méconnu la validité des
contestations portant sur la régularité de ces opérations.

1839
Ch. Debbasch et J-C. Ricci, op. cit., p. 439.
1840
Ibid.

436
B. LA MECONNAISSANCE DE LA VALIDITE DES CONTESTATIONS
PORTANT SUR LES OPERATIONS DE VOTE DES CONSEILLERS
MUNICIPAUX

Les opérations de vote des conseillers municipaux, c’est-à-dire celles relatives


à l’organisation et au fonctionnement des bureaux de vote, au déroulement et au
dépouillement du scrutin, n’ont pas, jusqu’à ce jour, fait l’objet d’un contentieux
important ; l’essentiel des recours étant rejeté par le juge pour incompétence ou pour
défaut de qualité du requérant.

Du dépouillement de décisions rendues par le juge administratif à la suite des


contestations à lui adressées après l’élection du 21 janvier 1996, une seule affaire
est relative aux opérations de vote. C’est l’affaire PNP (CR/Mbam) du 18 juillet
19961841. En l’espèce, la parti requérant contestait la désignation des scrutateurs
faite par l’autorité administrative pour le compte de l’un des partis en compétition. Le
juge a réfuté l’argumentaire développé par ce parti, mais de façon lacunaire. Avant
de dire pourquoi, il convient, au préalable, de donner la substance de la contestation
formulée par le parti requérant.

1. La substance de la contestation

Le parti requérant soutenait qu’il y a eu violation de la loi n°92/002 du 14 Août


1992 en ce que la décision du Sous-Préfet portant désignation des membres des
commissions locales de vote avait, pour certains bureaux de vote de la
circonscription électorale, porté son choix sur les chefs traditionnels membres d’un
parti en compétition et de surcroît candidats à l’élection, et fait de certains candidats
du même parti des scrutateurs, qui étaient, d’ailleurs, en surnombre alors même que
ses scrutateurs étaient chassés des bureaux de vote. Pour le parti requérant, cette
situation a permis au parti mis en cause de procéder à toutes sortes de
manipulations des opérations de vote. En conclusion, le parti requérant faisait
observer que le principe établi d’une compétition électorale veut que les candidats ne
participent pas au déroulement des opérations électorales. Le juge a méconnu la
validité de cette contestation mais de façon lacunaire.

1841
CS/CA, jugement n°65/95-96 du 18 juillet 1996, affaire PNP (Parti National par le Progrès) C.R/Mbam
contre Etat de Cameroun.

437
2. La réfutation de la contestation

Pour le juge administratif, « la loi n’interdit pas qu’un candidat soit choisi
comme scrutateur ». C’est un argument qui n’est pas faux en soi. Seulement, il est
très laconique et imprécis. Il est laconique parce que le juge ne traite pas dans les
détails les différentes irrégularités évoquées par le parti requérant. En plus du
problème des scrutateurs désignés, il y a celui concernant la désignation des chefs
traditionnels, membres et candidats d’un parti concurrent, dans des bureaux de vote
et la mise à l’écart des scrutateurs du parti requérant. Pourtant, il s’agissait des
questions qui méritaient des clarifications de la part du juge. Sur le problème de la
désignation des membres d’un parti concurrent dans des bureaux de vote, le juge
aurait pu invoquer les dispositions de la loi n°91 /020 du 16 décembre 1991 fixant les
conditions d’élection des députés à l’Assemblée nationale qui s’appliquent mutatis
mutandis à l’élection des conseillers municipaux1842 et qui traitent justement de la
composition des commissions locales de vote. D’après l’article 31 al. 1er de cette loi ,
la commission locale du vote agissant comme bureau de vote est composée du
Président qui est un représentant de l’administration désigné par le Préfet ; des
membres qui comprennent un représentant de chaque candidat ou liste de
candidats. Cet article précise que le mandataire de chaque liste peut « désigner
pour chaque bureau de vote, son délégué parmi les électeurs inscrits sur la liste
électorale correspondant audit bureau ». La déclaration des représentants des partis
est faite au Sous-Préfet qui constate, par décision, la composition de la commission.

Sur la base de cette disposition législative, le juge aurait pu régler le problème


peut-être autrement ; mais il a préféré passer outre, en choisissant le chemin de
traverse. Il en est de même de la mise à l’écart des scrutateurs du parti requérant. Le
juge pouvait apprécier souverainement les faits et les preuves pour former sa
conviction, car « il bénéficie d’une grande liberté pour apprécier les conséquences à
tirer des irrégularités qu’il constate »1843. Il pouvait donc rechercher si cette
irrégularité dénoncée par le parti requérant est « de nature à compromettre le secret
ou la liberté du vote ou à jeter un doute sur le résultat réel des opérations »1844 de
vote. Par ailleurs, la réfutation de l’irrégularité alléguée de la désignation des

1842
Il en est ainsi lorsque la loi n°92/002 est silencieuse sur un point traité par la loi n°91/025. Tel est le cas des
commissions locales de vote.
1843
J-C. Masclet, op. cit., p. 356.
1844
Ibid.

438
scrutateurs est imprécise dans la mesure où le juge s’est contenté de dire que « la loi
n’interdit pas qu’un candidat soit choisi comme scrutateur . D’abord, il ne dit pas de
quelle loi il s’agit ; ensuite, le silence de la loi n’exclut pas qu’il puisse apprécier
l’impact ou la portée de cette désignation sur les opérations électorales tant le rôle
du scrutateur n’est pas minime. C’est à tort que le parti requérant s’est référé à la loi
n°92/002 pour dénoncer l’irrégularité en cause. Le juge semble l’avoir suivi dans
cette voie. Pourtant, la loi n°92/002 n’évoque null ement la désignation des
scrutateurs et ne comporte d’ailleurs aucune disposition sur l’organisation et le
fonctionnement des bureaux de vote. Ces questions sont traitées plutôt par la loi
n°91/020 qui s’applique mutatis mutandis à l’électi on des conseillers municipaux en
cas de silence de la loi n°92/002 1845. D’après l’article 31 al. 3 de cette loi, « chaque
liste peut (…) désigner deux personnes pour servir comme scrutateurs dans chaque
bureau de vote ». Mais, il n’indique pas les conditions du choix des scrutateurs. On
peut donc subodorer que ces scrutateurs peuvent aussi être des candidats. C’est
l’article 108 de la même loi qui donne quelques précisions sur la qualité du
scrutateur. D’après cet article, « le dépouillement du scrutin est opéré par les
membres de la commission locale de vote ou (…) par les scrutateurs désignés par
eux parmi les électeurs présents sachant lire et écrire. Les noms des scrutateurs
ainsi désignés sont consignés au procès-verbal de chaque bureau de vote ». Il
résulte de cette disposition législative que le scrutateur doit avoir la qualité
d’électeur ; cela induit-il que le candidat-électeur peut être scrutateur ? Si on
appréhende l’électeur stricto sensu ; c’est-à-dire en considérant qu’il n’est
qu’électeur, on pourrait en douter ; a contrario, si on l’appréhende lato sensu ; c’est-
à-dire comme électeur pouvant être candidat ou qui est candidat, on en douterait
moins. Mais, est-il moralement, juridiquement et pratiquement judicieux de désigner
ou d’accepter un candidat comme scrutateur ? La sincérité du vote ne serait-elle pas
menacée ou compromise ? La question vaut son pesant juridique au regard du rôle
que la loi assigne aux scrutateurs dans le dépouillement du scrutin. En effet, d’après
l’article 109 de la loi n°91/020, le dépouillement du scrutin est opéré comme suit :
l’urne du scrutin est ouverte et le nombre des enveloppes contenues est vérifié ;
ensuite, « l’un des scrutateurs extrait le bulletin de chaque enveloppe et le passe,

1845
Voir article 1er de la loi n°92/002 du 14 août 1992 fixant les conditions d’élection des conseillers
municipaux.

439
déplié, à un autre scrutateur ; celui-ci le lit à haute voix ; les titres des listes et les
noms des candidats portés sur les bulletins sont relevés par deux scrutateurs au
moins sur des feuilles de pointages préparés à cet effet ». Celles-ci sont annexées
au procès-verbal.

Peut-on légitimement, au regard de cette prescription législative, concevoir


que des candidats soient désignés comme scrutateurs, c’est-à-dire qu’ils soient juges
et parties ? Et lorsque, comme dans l’espèce analysée, le parti requérant soutient
que les scrutateurs du parti concurrent étaient en surnombre et que les siens avaient
été chassés des bureaux de vote, il y a lieu d’émettre quelques réserves sur la
sincérité du vote. Fort de ces éléments, le juge aurait dû aller plus loin dans la
motivation du rejet de l’irrégularité alléguée pour démontrer pourquoi et comment la
désignation d’un candidat comme scrutateur dans son bureau de vote paraît
exempte « d’esprit de fraude et sans influence sur les opérations (…) » ou sur
« l’exactitude de leur résultats »1846. Il est admis que « les irrégularités dont les effets
retirent nécessairement au scrutin toute garantie de sincérité ou qui rendent suspects
les résultats provoquent invariablement l’annulation de l’élection » et que « ce critère
d’appréciation s’applique spécialement aux irrégularités commises pendant les
opérations de vote et de dépouillement »1847. Ceci revient à dire que sur la base des
éléments évoqués plus haut, le juge aurait pu décider autrement qu’il ne l’a fait. On
ne peut pas penser qu’il ignore les dispositions de la loi n°91/020 relatives au rôle
des scrutateurs dans le dépouillement du scrutin et qu’il ne sait pas qu’il peut
apprécier souverainement les preuves et les faits de la cause en usant de son
pouvoir inquisitorial. En somme, le juge a choisi la solution de facilité. Il s’est
contenté du principe qui veut qu’en droit ce qui n’est pas interdit est permis.

Bien que dans l’examen des contestations portant sur les opérations de
proclamation des résultats du scrutin le juge n’a admis que partiellement l’irrégularité
de ces opérations , il a été plus offensif et plus rigoureux dans son argumentaire.

1846
E. Laferrière, op. cit., p. 320.
1847
B.Malig,ner, op., pp. 45-46.

440
PARAGRAPHE II : LA RECONNAISSANCE PARTIELLE DE L’IRREGULARITE
DES OPERATIONS DE PROCLAMATION DES RESULTATS
DU SCRUTIN

La proclamation des résultats du scrutin constitue la phase finale des


opérations électorales. Elle marque l’achèvement du processus électoral. C’est à
cette occasion que sont rendus publics les noms des candidats ou des listes de
candidats qui ont remporté les élections. Mais, cette proclamation ouvre une autre
phase, post électorale, qui permet aux candidats, aux électeurs ou à toute personne
intéressée par les élections d’en contester la régularité devant le juge administratif.
Seulement, peu de recours portent directement sur l’irrégularité de la proclamation
des résultats du scrutin, l’essentiel étant dirigé contre les opérations préparatoires à
l’élection. il se dégage de la jurisprudence que le peu de recours portant strictement
et directement sur la contestation de la proclamation des résultas de vote concerne
l’élection des conseillers municipaux. Statuant sur ces recours, le juge a admis
partiellement le bien-fondé des contestations portant sur les opérations de
proclamation des résultats de vote. C’est ainsi qu’il a d’une part rejeté la contestation
relative à la falsification des procès-verbaux de dépouillement de vote des
commissions locales de vote validés par la Commission Communale de Supervision
(A) et, d’autre part, admis l’irrégularité des mesures prises par la CCS ultérieurement
à la proclamation des résultats du scrutin et remettant en cause ceux-ci (B).

A. LA REFUTATION DE LA CONTESTATION RELATIVE A LA


FALSIFICATION DES PROCES-VERBAUX DE DEPOUILLEMENT DE
VOTE VALIDES PAR LA CCS

C’est dans l’affaire Union Sociale Camerounaise (USC) du 18 juillet 19961848


que le problème de la falsification de procès-verbaux au niveau de la commission
locale de vote a été soulevé. Avant de voir pourquoi le juge a réfuté la contestation
du parti requérant en l’espèce, il n’est pas sans intérêt de donner la substance de
cette contestation.

1848
CS/CA, jugement n°66/95-96 du 18 juillet 1996, affaire Union Sociale Camerounaise (USC) contre Etat
Cameroun.

441
1. La substance de la contestation

Pour le parti requérant, les procès-verbaux de l’essentiel des bureaux de vote


de la commune rurale de Mbangassina où sa liste était en course n’ont pas été
établis selon les exigences de l’article 38 de la loi n°91/020 du 16 décembre 1991
applicables aux élections municipales. Selon cet article, le procès-verbal doit être
signé par tous les membres de la Commission, si un ou plusieurs membres ne
savent lire ou écrire le français ou l’anglais, mention en est faite au procès-verbal. Le
requérant fait observer, par ailleurs, que certains procès-verbaux ont été rédigés « au
crayon ordinaire en violation de la loi, ce qui a facilité la fraude » dans les bureaux de
vote au profit d’un parti concurrent ; que d’autres n’avaient pas le nombre de
signatures requis par la loi ; que d’autres encore comportaient des noms fictifs ; que
d’autres enfin, n’avaient que les signatures des membres d’un seul parti.

Le problème dans cette argumentation est que nulle part le parti requérant ne
démontre en quoi et comment les procès-verbaux ont été falsifiés. C’est donc sans
difficulté et à raison que le juge a réfuté sa contestation.

2. La justesse de la réfutation de la contestation

D’après l’article 30 de la loi n°92/002, « les résultats du scrutin sont


immédiatement consignés au procès-verbal. Celui-ci rédigé en autant d’exemplaires
qu’il y a de membres présents, est signé par ceux-ci. L’original est remis au
Président de la Commission Communale de Supervision ». Le parti requérant
n’évoque nullement cette disposition législative pour en établir la violation. Par
ailleurs, l’article 31 de la même loi précise que « la CCS vérifie la régularité du
procès-verbal. En cas de simple vice de forme, elle peut en demander la
régularisation immédiate aux membres de la commission locale de vote. Elle dresse
un procès-verbal qui est joint à celui de la commission locale ». Le procès-verbal de
la CCS est, selon l’article 12 al 3 de la même loi « signé de tous les membres
présents de la Commission ». Il s’avère que, dans le cas d’espèce, la CCS n’a
signalé aucune irrégularité, que le parti requérant n’a fait aucune réserve sur le
procès-verbal de la CCS qu’il a signé par ailleurs, indiquant par-là que les opérations
de dépouillement de vote s’étaient déroulées sans problème. C’est donc à juste titre
que le juge a réfuté sa contestation en déclarant « qu’il ressort du procès-verbal des

442
travaux de la Commission Communale de Supervision qu’il a été signé sans réserve
par tous les membres de ladite Commission dont celui de l’U.S.C », c’est-à-dire le
représentant du parti requérant. Celui-ci a donc voulu se prévaloir de sa propre
turpitude. C’est également à juste titre que le juge a admis l’irrégularité des mesures
prises par la CCS pour remettre en cause les résultats du scrutin constatés par des
procès-verbaux.

B. L’ADMISSION DE L’IRREGULARITE DES MESURES PRISES PAR LA


CCS POUR REMETTRE EN CAUSE DES RESULTATS DE SCRUTIN
CONSTATES PAR DES PROCES-VERBAUX

La CCS est chargée de veiller à la régularité à l’impartialité et à l’objectivité


des élections des conseillers municipaux. A ce titre, « elle proclame les résultas des
élections au niveau de la circonscription électorale »1849. Le juge estime que si telle
est la mission finale de la CCS, celle-ci ne peut plus revenir sur des résultats qu’elle
a proclamés et contestés sur des procès-verbaux. Une telle reprise est irrégulière.
De même, le juge estime que la CCS méconnaît les dispositions de la loi lorsqu’elle
annule des élections dont les résultats ont été constatés par des procès-verbaux des
commissions locales de vote.

1. L’irrégularité de la reprise de la proclamation des résultats du scrutin


par la CCS

Le fait pour la CCS d’être chargée de proclamer les résultats des élections
des conseillers municipaux ne lui donne pas compétence pour statuer sur des
requêtes qui contestent lesdits résultats, de les modifier et d’en proclamer d’autres.
Le juge administratif l’a clairement dit dans deux espèces rendues le 18 juillet
19961850. Il s’est employé, à cet égard, à circonscrire le rôle de la CCS.

Dans la première espèce, à savoir l’affaire UNDP et SDF relative à la


commune urbaine d’arrondissement de Yaoundé IIe, la CCS avait procédé à une
première proclamation des résultats le 21 janvier 1996 constatés sur procès-verbal.

1849
Article 12 al 2 § 7 de la loi n°96/002.
1850
CS/CA, jugement n°44/95-96 du 18 juillet, affaire UNDP et SDF (commune urbaine de Yaoundé IIe) contre
Etat du Cameroun et RDPC (Intervenant) et CS/CA, jugement n°63/95-96 du 18 juillet 1996, affaire SDF-
UNDP-UDC et ADD (commune urbaine de Yaoundé Ve) contre Etat du Cameroun.

443
Saisie par le RDPC, la CCS se réunissait six jours après, soit le 27 janvier 1996, et,
« malgré le caractère définitif »des résultats qu’elle a proclamés et constatés sur
procès-verbal, elle a procédé à une nouvelle proclamation des résultats du même
scrutin constatés dans un autre procès-verbal qui relevait le caractère provisoire de
celui établi le 21 janvier 1996. Pour établir l’irrégularité de cette opération, le juge a
fait observer que « la Commission (…) consciente qu’elle était dessaisie des litiges
électoraux après la proclamation des résultats du 21 janvier 1996, a tenté de se
rattraper en qualifiant cette proclamation de provisoire et en relevant que le procès-
verbal y afférent comportait des réserves sur les procès-verbaux qui ne lui avaient
pas alors été envoyés par certains bureaux de vote (…), qu’en fait, il ne s’agissait
pas de réserves, le procès-verbal incriminé faisant ressortir que la Commission est
passée outre ces cas pour arrêter les résultats du scrutin ». Pour lui, si la CCS
voulait conserver sa compétence en l’espèce, il lui appartenait « de surseoir à la
proclamation des résultats en attendant la réception desdits procès-verbaux, la loi ne
lui imposant aucun délai sur ce point (…) ; faute de l’avoir fait, la Commission (…) n’a
pas justifié la régularité des résultats proclamés aux termes du procès-verbal du 27
janvier (…). C’est donc tout logiquement que le juge a conclu qu’ « (…) en procédant
(…) à une nouvelle proclamation des résultats, la CCS, bien que régulièrement
composée (…) a méconnu les dispositions législatives (…) ».

Le juge a saisi l’occasion dans cette affaire pour rappeler que - contrairement
aux allégations des partis intervenants dans cette affaire - la validité de la
proclamation des résultats du scrutin n’est pas liée à l’affichage des résultats,
formalité qui n’est pas prévue par la loi, mais à l’établissement du procès-verbal par
la CCS, signé de tous ses membres présents et transmis à l’autorité administrative.

Dans la second espèce, à savoir l’affaire S.D.F - UNPD - UDC et A.D.D


relative à la commune urbaine d’arrondissement de Yaoundé Ve, la CCS avait
procédé à une première proclamation des résultats donnant le RDPC vainqueur à
une majorité absolue de 52,26 %. Huit jours plus tard, sur requête du RDPC et de
l’UNDP, la même Commission s’était encore réunie pour proclamer de nouveaux
résultats donnant le RDPC vainqueur à la majorité relative - et procéder, par ailleurs,
à la disqualification de certaines listes. Pour le juge, « en retenant ainsi sa
compétence sur des contestations soulevées après la proclamation des résultats

444
intervenue le 21 janvier 1996 alors qu ‘ elle était dessaisie du contentieux électoral
après ladite proclamation, la CCS a méconnu les textes (…) » .

Pour justifier l’irrégularité de la reprise de la proclamation des résultats du


scrutin par la CCS dans les espèces sus analysées, le juge s’est appuyé sur les
article 12 et 33 de la loi n°92/002. L’article 12 é nonce que la CCS proclame les
résultats des élections au niveau de la circonscription électorale et précise que les
travaux de cette Commission sont consignés dans un procès-verbal qui est transmis
au Préfet pour acheminement au Ministre chargé de l’Administration Territoriale.
Quant à l’article 33, il dispose que« tout électeur et tout
candidat a le droit d’arguer de nullité les opérations électorales de la commune
devant le juge administratif ». Pour le juge, « il résulte de la combinaison de ces
textes que le rôle de la CCS se limite à la proclamation des résultats dont elle se
dessaisit du procès-verbal, les réclamations éventuelles sur les opérations
électorales devant être portées devant la juridiction administrative ».

Par cette prise de position, le juge a procédé à la délimitation de la


compétence temporelle de la CCS. La proclamation des résultats établie sur procès-
verbal marque la fin de sa compétence dans le temps ; toute contestation relative à
la proclamation de ces résultats doit être portée devant le juge administratif qui seul
est compétent pour en connaître. On comprend alors qu’il ait déclarée irrégulière
l’annulation par la CCS des résultats du scrutin constatés par les procès-verbaux des
commissions locales de vote.

2. L’irrégularité de l’annulation par la CCS des résultats du scrutin


constatés par le procès-verbal de la Commission locale de vote

Lorsque la Commission locale de vote achève le dépouillement du scrutin, elle


consigne immédiatement les résultats dans un procès-verbal. Celui-ci est transmis à
la CCS qui vérifie sa régularité ; « en cas de simple vice de forme, elle peut en
demander la régularité immédiate aux membres de la commission locale de vote.
Elle en dresse procès-verbal, qui est joint à celui de la commission locale »1851, après
avoir proclamé les résultats de l’élection au niveau de la commune. D’après l’article
32 de la loi n°92/002, « un exemplaire des procès-verbaux de la CCS et de la

1851
Article 31 de la loi n°92/002.

445
commission locale de vote est aussitôt transmis avec les pièces annexées par le
Président de le CCS au Préfet par la voie la plus rapide pour acheminement au
Ministre chargé de l’Administration territoriale »1852.

La CCS peut-elle donc annuler ou redresser les résultats constatés par


procès-verbal par la commission locale de vote ? La loi ne répond pas expressément
à cette question. Pour le juge, si la CCS peut, conformément à l’article 31 vérifier la
régularité du procès-verbal établi par la commission locale de vote, elle n’est pas
habilitée à annuler les résultats du scrutin constatés par ledit procès-verbal. Elle peut
seulement, en cas de simple vice forme, en demander la régularisation immédiate
aux membres de la Commission locale, comme le prescrit la loi. Il en a décidé ainsi
dans l’affaire Social Democratic Front (SDF) (commune rurale de Demdeng) du 18
juillet 19961853. En l’espèce, saisie par des plaintes qui dénonçaient le comportement
d’un candidat du SDF, militaire de son état, qui aurait intimidé les électeurs avec sa
tenue dans certains bureaux de vote, la CCS a estimé qu’elles étaient justifiées ;
aussi a-t-elle procédé à l’annulation des résultats des bureaux de vote en cause, en
vertu des articles 33, 34 et 35 de la loi n°92/002 qui régissent le contentieux électoral
devant le juge. Pour ce dernier, « en statuant ainsi, la CCS a outrepassé ses
pouvoirs, les articles 33 et suivants auxquels elle s’est référée attribuant plutôt cette
tâche au juge administratif ». C’est tout à fait logiquement qu’il a annulé les résultats
des élections dans la commune concernée.

Il résulte de ce qui précède que le contentieux des opérations électorales ne


ressortit pas à la compétence de la CCS, mais du juge administratif. Saisie d’ un tel
contentieux, la CCS doit se déclarer incompétente, car si la loi l’habilite à vérifier la
régularité du procès-verbal des résultats du scrutin établi par la Commission locale
de vote, cela ne signifie nullement qu’elle peut l’annuler . D’ailleurs, la même loi
précise que si elle constate un simple vice de forme, « elle peut demander la
régularisation immédiate aux membres de la commission locale de vote ».

Il faut cependant dire que les précisions apportées par le juge dans cette
affaire n’épuisent pas le problème de la délimitation par la loi du champ de
compétence respectif de la CCS et du juge administratif en matière de contentieux

1852
Article 32 al 1er de la loi n°92/002.
1853
CS/CA, jugement n°50/95-96 du 18 juillet 1996, affaire Social Democratic Front (SDSF) contre Etat du
Cameroun (commune rurale de Demdeng), RDPC (intervenant).

446
de l’élection des conseillers municipaux ; tant de points d’ombre demeurent, le juge
en étant souvent à l’origine.

Au demeurant, la prise en compte contingente de l’urgence par le juge n’a


pas que des effets sur la matière électorale. En effet, autant le juge prescrit de
manière limitative des mesures d’urgence définitives en matière électorale, autant il
en fait dans les autres matières. Il en est ainsi en matière de dissolution d’association
et en matière de refus de légalisation des partis politiques.

447
CHAPITRE II

LA PRESCRIPTION LIMITATIVE DES MESURES


DEFINITIVES SOLLICITEES DANS LES
AUTRES MATIERES

448
Il n’est pas qu’en matière électorale que le juge prescrit limitativement les
mesures d’urgence au profit des requérants. Il en est de même dans les autres
matières que sont le contentieux de la légalisation des partis politiques et celui de la
dissolution des associations. Les effets de la prise en compte contingente de
l’urgence par le juge sur la situation contentieuse sont donc divers et variés. Il se
dégage ainsi de la jurisprudence que si le juge admet de façon sélective la validité
des contestations portant sur le refus d’autorisation des partis politiques (Section I),
il méconnaît systématiquement la validité des contestations relatives à la dissolution
des associations (Section II)

449
SECTION I: L’ADMISSION SELECTIVE DE LA VALIDITE DES
CONTESTATIONS RELATIVES A LA REGULARITE DU
REFUS DE LEGALISATION DES PARTIS POLITIQUES

Un parti politique est « un groupement organisé en vue de participer au


fonctionnement des institutions représentatives et d’y faire prévaloir les idées et les
intérêts de ses membres »1854.

Historiquement, les partis politiques ont été « conçus pour soutenir des
candidats, encadrer les élus et informer les électeurs » . Mais, ils « sont devenus
aujourd’hui des rouages essentiels de la démocratie de masse » passant d’« une
existence officieuse » 1855 à une existence officielle.

D’après l’article 3 de la Constitution camerounaise du 18 janvier


1856
1996 , « les partis et formations politiques concourent à l’expression du suffrage
(…). Ils se forment et exercent leurs activités conformément à la loi ».

C’est la loi n°90/056 du 19 décembre 1990 qui régit la formation et l’activité


des partis politiques. Elle énonce, en son article 2, que « les partis politiques se
créent et exercent librement leurs activités dans le cadre de la Constitution » et de
celui qu’elle a prescrit.

Au Cameroun, les partis politiques sont soumis au régime de l’autorisation et


non de la déclaration. La demande de création d’un parti politique doit se faire « par
dépôt d’un dossier complet auprès des services du Gouverneur territorialement
compétent »1857 et « une décharge mentionnant le numéro et la date
1858
d’enregistrement du dossier est délivrée au déposant » et c’est le Ministre de
l’Administration Territoriale qui prend « la décision autorisant » son « existence
légale »1859. Il le fait après s’être assuré que ce parti remplit les conditions prescrites
1860
par la loi . Le refus d’autorisation « doit être motivé au déposant, par tout moyen
laissant trace écrite »1861. Ce dernier peut, le cas échéant, saisir le juge administratif.

1854
Benoît Jeanneau, Droit constitutionnel et institutions politiques, 8ème éd, Paris, Dalloz, 1991, p. 63.
1855
Ibid.
1856
Loi n° 96/006 du 18 Janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 Juin 1972.
1857
Alinéa 1er de l’article 4 de la loi n°90/056 du 19 décembre relative aux partis politiques.
1858
Alinéa 2 ou l’article 4 de la loi n°90/056.
1859
Article 7 alinéa 1er de la loi n°90/056.
1860
Voir articles 5, 9,10 et 11 de la loi n°90/056.
1861
Article 8 alinéa 2 de la loi n°90/056.

450
Lorsque le Ministre de l’administration Territoriale garde le silence pendant
trois mois à compter de la date de dépôt du dossier auprès des services du
Gouverneur territorialement compétent « le parti est réputé exister légalement »1862 :
c’est la légalisation tacite ou implicite. Il résulte de la jurisprudence que le juge
applique de façon discriminatoire cette disposition législative (§ I) et qu’il n’admet que
très limitativement les contestations portant sur la régularité des motifs de refus de
légalisation (§ II)

PARAGRAPHE I : L’APPLICATION DISCRIMINATOIRE DE LA DISPOSITION


LEGISLATIVE RELATIVE A LA LEGALISATION IMPLICITE
DES PARTIS POLITIQUES

Au regard de l’article 7 de la loi n°90/056, il exi ste deux formes de légalisation


de partis politiques : la légalisation explicite qui est « la décision autorisant
l ‘existence légale d’un parti politique (…) prise par le Ministre de l’administration
territoriale »1863, et la légalisation tacite ou implicite qui résulte « du silence gardé
pendant trois mois (par l’administration) à compter de la date de dépôt du dossier
auprès des services du Gouverneur territorialement compétent »1864.

La légalisation explicite est le principe, tandis que la légalisation implicite est


l’exception. Celle-ci marque « le souci de simplifier et d’accélérer les procédures et la
volonté de respecter davantage les droits des administrés »1865. Sa consécration par
le législateur semble « s’inscrire dans un souci de plus grande protection de
l’administré et dans une volonté de plus grande ouverture de l’administration »1866.

En tant que décision implicite d’acceptation1867, la légalisation implicite


« donne une satisfaction immédiate aux intéressés »1868. Elle « est créatrice de
droit » ; le parti politique qui en est bénéficiaire « est dans une situation comparable
à celle que lui aurait conféré une décision expresse d’autorisation (….) »1869. Ainsi,

1862
Article 7 alinéa 2 de la loi n°90/056.
1863
Article 7 alinéa 2 de la loi n°90/056.
1864
Alinéa 2 de l’article 7 de la loi n° 90/056.
1865
Monique Pauti, « Les décisions implicites d’acceptation et la jurisprudence administrative » RDP,1975, p.1545.
1866
Ibid., p. 1546.
1867
Sur l’ensemble de la question dans le contexte Camerounais, lire, Maurice Kamto et Bernard R. Guimdo,
« Le silence de l’administration en droit administratif camerounais », Lex Lata n°059, déc.1994, pp.10-14 et C.
Keutcha Tchapnga, « L’autorisation tacite, cinq ans après sa consécration en droit positif camerounais », Juridis
Périodique n°28, nov.- oct.- déc. 1996, pp.73-81.
1868
Mireille Monnier, Les décisions implicites d’acceptation de l’administration, Thèse, Paris, LGDJ ; 1992 , p. 7.
1869
Ibid.

451
bien qu’étant un acte qui a un caractère fictif1870, elle est une décision exécutoire et
obligatoire qui s’impose à l’administration. Celle-ci ne peut donc légalement notifier à
un parti politique qui en a bénéficié un acte portant refus de le légaliser. Le juge saisi
à cet effet devrait annuler cet acte puisqu’il est intervenu après que ce parti politique
a, du fait du silence de l’administration, acquis une existence légale. Seulement,
dans la pratique, le juge a eu à appliquer de façon discriminatoire la disposition
législative relative à la légalisation implicite. C’est ainsi que dans un premier temps, il
la implicitement méconnue (A), avant de la prendre en compte, explicitement, dans
un second temps (B).

A. LA MECONNAISSANCE IMPLICITE DE LA DISPOSITION LEGISLATIVE


RELATIVE A LA LEGALISATION IMPLICITE DES PARTIS POLITIQUES

Certes, le juge n’est pas tenu d’examiner tous les moyens allégués par le
requérant dans son recours. Mais, il reste que lorsqu’il s’agit des moyens décisifs et
de surcroît fondés parce que s’appuyant sur une disposition législative claire, il doit
se donner la peine de s’y pencher ; son rôle étant avant tout de veiller au respect du
droit et de sanctionner tous les actes qui ne s’y conforment pas. Pourtant, dans deux
espèces rendues respectivement le 18 septembre 19921871 et le 30 septembre
19921872, le juge a implicitement méconnu la violation alléguée de la disposition
législative relative à la légalisation implicite des partis politiques qui avait été remise
en cause par l’administration par un acte explicite de refus.

1. La substance de la violation alléguée de la disposition législative


relative à la légalisation implicite des partis politiques

Dans la première espèce, à savoir l’affaire Programme Social Pour la Liberté


et la Démocratie intervenue le 18 septembre 1992, le parti requérant soutenait que
son dossier complet avait été adressé au Ministre compétent le 22 avril 1992 sous
décharge du 22 avril du service du Gouverneur du Littoral ; que jusqu’au 22 juillet

1870
R.Chapus, Droit administratif général, I1, 4ème éd, Paris, Montchrestien, 1988, p.322 et C. Keutcha
Tchapnga, « L’autorisation tacite, cinq ans après sa consécration en droit positif Camerounais », op. cit, pp. 73-
83.
1871
Ordonnance n°26/CS/PCA/91-92 du 18 septembre 1992, affaire Programme Social pour la Liberté et la
Démocratie (P.S.L.D) contre Etat du Cameroun
1872
Ordonnance n°32/CS/PCA/91-92 DU 30 septembre 1992 affaire Divine Kingdom People’s Party of
Cameroon contre Etat du Cameroun.

452
1992, le Ministre chargé de l’Administration Territoriale était resté coi. Considérant
que le silence gardé par ce dernier pendant plus de trois mois lui donnait une
existence légale, le parti requérant signifiait son « existence légale à Monsieur le
Ministre de l’Administration Territoriale le 23 juillet 1992 » par une correspondance
datée du 22 juillet 1992 et sur décharge des autorités provinciales. Suite à des
rumeurs qui couraient dans les services du Gouverneur du Littoral relatives à une
correspondance adressée au parti requérant par le Ministre de l’Administration
Territoriale annonçant le refus de celui-ci de reconnaître son existence légale-
correspondance qu’il n’avait jamais reçue -, son premier responsable se rendit à
Yaoundé où il lui fut remis en date du 30 juillet 1992 la copie de la lettre du Ministre
de l’Administration Territoriale en date du 19 juin 1992 qui répondait à celle du parti
requérant datée du 20 avril 1992 et qui lui notifiait le refus de le légaliser au motif
que son mémorandum versé au dossier reprenait les dispositions des projets de
société des autres partis politiques. Pour le parti requérant, il y avait excès du
pouvoir en ce que la lettre du Ministre de l’Administration Territoriale ayant été
portée à sa connaissance par sa curiosité et après sa notification du 23 juillet 1992,
soit plus de trois mois après le dépôt de son dossier complet dans les services du
gouverneur compétent, ne lui était pas opposable « car hors délai conformément à
l’article 7 al 2 de la loi (…) ». Bien que pertinente et conforme à la réalité, cette
argumentation a été ignorée par le juge. Au lieu de confirmer l’existence légale du
parti requérant en constatant la violation de la loi par l’administration, il a plutôt
procédé à l’annulation de l’acte explicite de refus de légalisation dudit parti sur la
base d’un autre motif.

Dans le second espèce, à savoir l’affaire Divine Kingdom People’s Party of


Cameroon du 30 septembre 1992, le parti requérant a été moins chanceux.
L’intéressé soutenait aussi qu’il avait acquis son existence légale en raison du
silence gardé par l’administration dans le délai prescrit par la loi. Il le justifiait par le
fait qu’il avait déposé dans les services du Gouverneur du Sud-Ouest en date du 1er
octobre 1991, en application des articles 4 et 5 de le loi n°90/056 et contre récépissé,
un dossier complet pour sa légalisation ; que ce n’est que plus de trois mois après ce
dépôt, soit le 9 janvier 1992, que la lettre de rejet de demande de sa légalisation par
le Ministre de l’Administration Territoriale datée du 6 décembre 1991 lui a été
signifiée par le préfet de Muyuka ; or, « le délai de trois mois exigé par l’article 7 (2)

453
expirait le 31 décembre 1991 (…) ». Il était donc « réputé exister légalement à la
date du 1er janvier 1992 ». Malgré la véracité et la pertinence de ces arguments, le
juge les a ignorés. Alors même que le parti requérant avait déjà une existence légale,
il a approuvé, sur la base de motifs discutables, son refus de légalisation. Pourtant,
ce refus était illégal parce que intervenu après la légalisation implicite dudit parti.

2. L’illégalité du refus de légalisation intervenu après la légalisation


implicite

« Le régime des décisions implicites ayant pour objet essentiel d’obliger


l’administration à prendre rapidement position, il est (alors) normal que le juge
sanctionne tout dépassement de délai et qu’il n’admette que difficilement que le
cours puisse être interrompu »1873 . Il en résulte que, « seule la négligence du
demandeur ou la décision expresse prise en temps voulu peut alors en différer les
effets »1874.

Il est admis, par ailleurs, qu’une décision expresse de refus qui intervient
postérieurement à l’écoulement des délais prescrits par les textes et sans que soient
réunies les conditions d’un retrait légal « est un acte émanant d’une autorité ayant
épuisé sa compétence et sanctionné, en conséquence, pour violation de la loi »1875.
Par conséquent, et comme l’écrit M. Bertrand, la décision implicite d’acceptation « ne
peut être légalement rapportée, même si les conditions auxquelles la jurisprudence
subordonne la légalité du retrait des actes administratifs individuels se trouvent
remplies »1876. En effet, comme le dit, à juste titre, R. Chapus, « la possibilité de
retrait … priverait de toute signification le délai imparti à l’administration pour décider
explicitement, puisqu’elle lui permettrait de décider à toute époque ; en même temps,
elle lui donnerait le moyen, en s’abstenant volontairement de décider explicitement,
de revenir à tout moment sur les décisions implicites d’acceptation illégales »1877. De
ce fait, « l’administration ne peut s’en prendre à elle-même si elle laisse s’écouler le
délai qui lui est donné sans s’être prononcée. L’impasse dans laquelle elle se place

1873
M. Pauti, op.cit, p.1557.
1874
Ibid.
1875
Ibid.
1876
L. Bertrand, Conclusions sur CE, Section, 14 novembre 1969, sieur Eve, S., p. 498, AJDA, p.864.
1877
R. Chapus, Droit administratif général, T1, Paris, Montchrestien, 1990, pp. 792- 793.

454
est alors la sanction, voulue par la loi ou le règlement, de la carence »1878. C’est
ainsi que dans une espèce en date du 16 décembre 1992, le juge a pris en compte
la disposition législative relative à la légalisation implicite des partis politiques pour en
constater et sanctionner la violation par l’administration.

B. LA RECONNAISSANCE DE LA VIOLATION PAR L’ADMINISTRATION


DE LA DISPOSITION LEGISLATIVE RELATIVE A LA LEGALISATION
IMPLICITE DES PARTIS POLITIQUES

La décision implicite d’acceptation naît de l’expiration des délais. Dès cet


instant, elle prend son entier effet. Ainsi, une décision explicite positive intervenue
après n’ajoute rien à cette décision implicite. En ce cas, en effet, « la décision
expresse ultérieure est une répétition, une redondance, un double emploi de sorte
que la véritable décision, qui statue sur l’objet de la demande et épuise à cet égard la
compétence de son auteur, est et reste la décision initiale…La décision expresse
1879
ultérieure n’ a aucune vertu propre » . Par contre, « une décision expresse de
refus, intervenue postérieurement à l’écoulement de ces délais (...) est (….) un acte
émanant d’une autorité ayant épuisé sa compétence et sanctionné, en conséquence,
pour violation de la loi »1880. Il est donc judicieux et justifié que le juge sanctionne tout
dépassement de délai par l’administration, et ce d’autant plus que, prescrit par la loi
pour « obliger l’administration à prendre rapidement position »1881 et « assurer un
1882
meilleur respect des droits des administrés » , ce délai a un caractère impératif. Il
résulte de ceci qu’en matière de légalisation des partis politiques, lorsque
l’administration s’abstient de répondre à la demande de légalisation d’un parti
politique plus de trois mois après son dépôt, ce parti est, au regard de l’article 7 (2)
de la loi n°90/056, « réputé exister légalement » . Autrement dit, le silence de
l’administration à l’expiration du délai légal consacre la légalisation implicite dudit
parti et par conséquent le dessaisissement de l’administration. Le juge l’a clairement
exprimé dans l’affaire Union des populations du Cameroun - Manidem (UPC-

1878
Arrêt ADD n° 55/CFJ/SCAY du 25 mars 1969, affaire sieur Emini Tina Etienne contre Etat fédéré du
Cameroun oriental.
1879
Lasry, Conclusions sur CE, 12 octobre 1956, Baillet, Dalloz, 1956, p . 665.
1880
M. Pauti, op. cit., p.1557.
1881
Ibid.
1882
Ibid., p.1546.

455
MANIDEM) du 16 décembre 19921883. Pour comprendre pourquoi et comment il l’a
fait, il convient de déterminer les faits de la cause ainsi que les moyens allégués par
le parti requérant et pris en compte par le juge.

1. La détermination des faits et des moyens pris en compte

Le parti politique UPC-MANIDEM avait déposé le 18 Août 1992 un dossier


complet relatif à sa légalisation dans les services du Gouverneur de la Province du
Littoral, conformément à la loi n°90/056. Le 19 nov embre 1992, soit trois mois après
le dépôt du dossier, il informait, pour la bonne règle, les services du Gouverneur du
Littoral de ce qu’il avait pris bonne note du silence réservé à sa demande, silence
qui, au sens de la loi valait autorisation d’exercer son activité et de sa décision
d’exercer, en toute légalité, ses activités politiques. Mais, le 30 novembre 1992, le
parti requérant recevait à son domicile élu, une correspondance du Gouverneur du
Littoral datée du 27 novembre 1992 par laquelle il lui notifiait la lettre du Ministre de
l’Administration Territoriale en date du 22 novembre 1992 portant refus de le
légaliser. Ce refus intervenait ainsi plus de trois mois après le dépôt par ce parti de
sa demande de légalisation. Ce dernier estimait alors que l’Administration ne s’est
pas conformée à la loi ; car « si elle l’avait fait, nul doute ne subsisterait dans les
esprits, car, elle aurait notifié son refus, dans les délais prescrits, par un écrit
comportant décharge du requérant ». Il considérait donc qu’il jouissait d’une
existence légale, l’Administration n’ayant « pas agi dans les délais légaux » et
dénonçait alors l’attitude de ladite Administration qui relevait « de l’abus d’autorité et
de l’excès de pouvoir, et non de l’administration régulière de la chose publique et de
l’application objective des lois de la République ». La juge l’a suivi dans son
argumentation.

2. L’effectivité de la violation par l’administration de la disposition


législative relative à la légalisation implicite des partis politiques

Suivant le parti requérant dans son argumentation, le juge a admis, dans


l’affaire UPC-Manidem , « qu’il est constant et avéré que l’UPC-Manidem a déposé le

1883
Ordonnance n°02/0/PCA/CS/92-93 du 16 décembre 1992, affaire UPC-Manidem contre Etat du Cameroun,
observations B. Guimdo, Juridis info n°16, octobre-novembre-décembre. 1993, pp. 56-58.

456
18 Août 1992 un dossier complet relatif à sa légalisation, entre les mains des
services du Gouverneur de la Province du Littoral (…) ; que le 19 novembre 1992,
soit trois mois après le dépôt, alors que l’UPC-Manidem informait le Gouverneur de
la Province du Littoral que conformément à la loi elle considérait sa légalisation
comme acquise en raison du silence gardé par l’Administration (…), elle a reçu en
retour une lettre (…) en date du 27 novembre 1992 (…) lui notifiant la lettre (…) du
22 septembre du Ministre de l’Administration Territoriale portant refus de légalisation
dudit parti au motif que sa dénomination est de nature à créer la confusion avec
l’Union des populations du Cameroun (UPC) déjà reconnu (…) ». Il a fait observer
qu’aux termes de l’article 7 (2) de le loi n°90/05 6, en cas de silence gardé pendant
trois mois, à compter de la date de dépôt du dossier auprès des services du
Gouverneur territorialement compétent, le parti est réputé exister légalement, « que
dans le cas d’espèce (…), le dossier de l’UPC-Manidem a été déposé dans les
services du Gouverneur de la province du littoral le 18 Août 1992, et que jusqu’au
30 novembre 1992, aucune suite n’y a été donné » ; que « conformément à la loi, au
19 décembre 1992, en raison du silence gardé par l’administration », l’« existence
légale » du parti requérant « était déjà acquise en dépit de la lettre dont il est
demandé l’annulation (…) » qui, d’ailleurs, a été « fabriquée pour les besoins
inavoués, mais, sûrement dans l’intention de nuire ».

La position ainsi adoptée par le juge est intéressante à plusieurs égards. Elle
confirme le fait que les autorisations « tacites produisent leurs effets dès l’expiration
des délais impartis à l’administration »1884. Lorsqu’elle se tait, elle est réputée « avoir
manifesté son acceptation »1885. Par ailleurs, elle conforte une jurisprudence
esquissée dans le cadre du sursis à exécution concernant l’ouverture1886 et le
transfert1887 d’officines pharmaceutiques et confirmée par un jugement rendu le 30
septembre 1993 dans l’affaire Sighoko Fossi Abraham1888. En l’espèce, et en
application de la loi n°90/035 du 10 Août 1990 rela tive à l’exercice de la profession
de pharmacien qui dispose, en son article 7 alinéa que « (…..) passé un délai de
quatre vingt dix (90) jours à compter du dépôt du dossier, le silence gardé par le
consul de l’ordre vaut acceptation de la demande du postulant qui peut s’installer »,

1884
M. Pauti, op.cit, p. 1557.
1885
M. Monnier, op.cit, p.7.
1886
Ordonnance n° 21/0SE/CS/PCA/91-92 du 26 juillet, affaire Mayouga Yvonne contre Etat du Cameroun.
1887
Ordonnance n°05/0SE//CS/PCA/92-93 du 17 septembre 1992, affaire Sighoko Abraham c/Etat du Cameroun
1888
CS/CA, jugement n°83/ADD du 30 septembre 1993, affaire Sighoko Fossi Abraham c/Etat du Cameroun.

457
le juge a admis « (….) qu’il y a eu bel et bien autorisation implicite du fait pour le
Conseil de l’Ordre de garder le silence pendant plus de 90 jours » par rapport à la
demande du requérant qui sollicitait le transfert de son officine pharmaceutique de
Mbouda à Bafoussam. Enfin, outre le fait qu’elle participe d’une saine administration
de la justice en ceci que le juge a fait une juste et bonne application de la loi, cette
position contribue de façon significative à l’édification de l’Etat de droit et au
renforcement de la jurisprudence relative aux actes administratifs implicites qui est
formulée, en particulier, dans le jugement Nguenang Joseph du 29 septembre 1983 ;
à savoir que, « (…) l’acte administratif n’est pas seulement écrit, il peut même être
implicite (…) »1889.

Le contentieux de la légalisation des partis politiques pose aussi le problème


de la légalité des motifs avancés par l’administration pour refuser de légaliser un
parti politique. Il se dégage de la jurisprudence qu’ il limite l’admission de l’irrégularité
desdits motifs.

PARAGRAPHE II : L’ADMISSION LIMITEE DE L’IRREGULARITE DES MOTIFS


DE REFUS DE LEGALISATION DES PARTIS POLITIQUES

Comme l’écrit Chantal Pasbecq, « la légalité d’une décision est sa conformité


aux normes hiérarchiquement supérieures »1890. Aussi, existe-il des cas d’ouverture
de recours pour excès de pouvoir qui permettent « de vérifier la conformité de l’acte
administratif (….) à ces normes » ou de « rechercher la violation du droit par
l’administration »1891.

De fait, « ce qui fonde l’existence de l’examen de l’excès de pouvoir, c’est


l’existence d’une règle »1892. C’est la raison pour laquelle lorsque le juge de l’excès
de pouvoir statue, il se fonde sur une norme pour apprécier la légalité de l’acte mis
en cause. Il en est ainsi en matière de contentieux de la légalisation des partis
politiques.

1889
CS/CA, jugement n°102/82-83 du 29 septembre 1983, affaire Nguenang Joseph contre Etat du Cameroun.
1890
C. Pasbecq, « De la frontière entre la légalité et l’opportunité dans la jurisprudence du juge de l’excès de
pouvoir », RDP, 1980, p.806.
1891
Ibid.
1892
Michel Dubisson, La distinction entre la légalité et l’opportunité dans la théorie du recours pour excès de
pouvoir, thèse, Paris, LGDJ,1958, p. 215.

458
Pour apprécier la légalité du refus de l’administration de reconnaître un parti
politique, le juge se fonde sur la loi n°90/056 du 19 décembre 1990 qui détermine les
modalités et les conditions de légalisation des partis politiques. Il se dégage de cette
loi que l’administration ne peut refuser de légaliser un parti politique que si celui-ci ne
remplit pas les conditions qu’elle a édictées. Aussi donne t-elle la possibilité aux
partis dont la légalisation a été refusée de saisir le juge pour contester ce refus et
l’inviter à se prononcer sur sa légalité. Il se dégage de la jurisprudence que lorsque
le juge estime que l’administration ne s’est pas conformée à la loi, il admet
l’irrégularité des motifs de refus (A). A contrario, lorsqu’il considère que c’est le
requérant qui n’a pas respecté les conditions de légalisation édictées par la loi, il
méconnaît cette irrégularité (B).

A. L’ETABLISSEMENT DE L’IRREGULARITE DES MOTIFS DE REFUS

Le motif est l’élément de l’acte qui consiste « dans les donnés allégués par
l’agent comme justification de son acte »1893. Il « relie l’acte à un stade donné de la
formation du droit, à l’ordonnancement juridique » 1894.

Comme l’écrit G. Peiser, « le contrôle sur les motifs (…) est devenu (…) le
moyen d’annulation le plus important en matière d’excès de pouvoir (…) ; il permet
au juge de contrôler la totalité de l’acte juridique »1895.

Relativement à la légalisation des partis politiques, les motifs de refus sont


prescrits par la loi1896. Celle-ci exige que tout refus d’autorisation d’un parti politique
soit motivé1897 . Il en résulte que lorsque l’administration refuse de légaliser un parti
politique, elle est tenue de le justifier en invoquant les motifs contenus dans la loi.
Ainsi, lorsque le motif allégué n’est pas prévu par la loi, le juge considère que
l’administration a commis un excès de pouvoir ; ce faisant, il met en cause l’existence
légale du motif allégué ainsi que sa valeur juridique.

1893
Ch. Eisenmann, Cours de droit administratif, Diplôme d’études supérieurs de droit public, 1949-1950,
« L’action de l’Administration », cours polycopié, les cours de droit, 198, rue Saint-Jacques, Paris (5e ), p.411,
cité par ch. Goyard, « Les idées de Ch. Eisenmann sur la théorie du contrôle des motifs » op.cit, p.351
1894
Ch. Goyard, ,ibid.
1895
G. Peiser, Contentieux administratif, op. cit., p.184.
1896
article 8 al 2 de la loi n°90/059 du 19décembre 1990.
1897
V. article 8 al. 2 de la loi n° 90/056 du 19 décembre 1990.

459
1. La mise en cause de l’existence légale des motifs de refus de
légalisation

Comme l’a écrit M. Waline, « le juge administratif doit se préoccuper (….) de


l’existence des motifs susceptibles de justifier légalement la décision » 1898 querellée.
Cette existence est une condition de sa légalité. De fait, si ces motifs n’existent pas
en réalité, la décision « perd sa base légale »1899.

Pour vérifier la légalité de l’acte querellé, le juge va rechercher si la condition


de l’existence de motifs a été remplie. Il en est ainsi en matière de refus de
légalisation des partis politiques où « le pouvoir de l’administration est subordonné à
l’obligation de respecter les conditions imposées par la loi »1900 . Le juge s’assure
donc que les motifs de refus invoqués par l’administration ont une existence légale.

Lorsque les motifs allégués par l’administration pour refuser de légaliser un


parti politique n’ont pas été prévus par la loi, le juge considère que la décision de
refus « est entachée d’excès de pouvoir, donc illégale et encourt de ce fait
l’annulation avec toutes les conséquences de droit ». Il en a décidé ainsi
respectueusement dans les affaires Regroupement Démocratique pour la
République ( R.D.R) du 18 septembre 19921901, Programme Social pour la Liberté et
1902
la Démocratie (PSLD) du 18 septembre-1992 , Union Nationale Camerounaise
(UNC) du 23 septembre 19921903 et UPC-Manidem du 16 décembre 19921904.

Dans les deux premières affaires, le Ministre de l’Administration Territoriale


avait refusé de légaliser les partis requérants au motif que « le mémorandum versé
au dossier reprend les dispositions des projets de société des autres partis
politiques ». Le juge a estimé que c’est vainement qu’on rechercherait dans l’article
9 de la loi n°90/056 du 19 décembre 1990, qui énum ère de façon exhaustive et
limitative les cas de refus de légalisation des partis politiques, le motif allégué par
l’administration. Le juge a adopté la même position dans l’affaire UNC lorsque pour

1898
M. Waline, « Etendue et limites du contrôle du juge administratif sur les actes de l’administration », op.cit.,
p. 31.
1899
M. Waline, Manuel de Droit administratif, 4e éd, Paris, Sirey, 1946, p. 124.
1900
M.Letourneur, « L’étendue du contrôle du juge de l’excès de pouvoir », op.cit, p.57.
1901
Ordonnance n°25/CS/PCA/91-92 du 18 septembre 1992, affaire.R.D.R. contre Etat du Cameroun.
1902
Ordonnance n°26/CS/PCA/91111-92 du 18 septembre 1992, affaire P.S.L.D contre Etat du Cameroun.
1903
Ordonnance n°28/CS//PCA/91-92 du 23 septembre 1992, affaire UNC contre Etat du Cameroun,
commentaire B. Guimdo, Juridis Info n°19, juillet-Aout-Septembre 94, pp 27-33
1904
Ordonnance n°02/0//PCA//CS du 16 décembre 1992, affaire UPC-Manidem contre Etat du Cameroun,
observations B. Guimdo, Juridis Info n°16, octobre-novembre-décembre ,1993, pp. 56-58.

460
refuser la légalisation du parti requérant, le Ministre de l’Administration Territoriale a
invoqué comme motif le fait que « ce parti ne peut pas être légalisé en raison
notamment de la dénomination " Union Nationale Camerounaise " et de sa devise
"Paix - Travail - Patrie " qui n’est que celle de la République du Cameroun », et dans
l’affaire UPC-Manidem où, pour refuser de légaliser le parti recourant, l’administration
a donné comme motif que « (…) sa dénomination est de nature à créer la confusion
entre l’Union des Populations du Cameroun (UPC), déjà reconnue et dont le sigle
est juridiquement protégé à l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle
(O.A.P.I) ».

Le juge a donc estimé que les motifs invoqués par l’administration dans ces
espèces ne sont nullement contenus dans l’énumération des cas de refus faite par
l’article 9 de la loi n°90/056. Il a fait observer que « c’est vainement qu’on
rechercherait dans cette énumération exhaustive et limitative les cas invoqués (...) »
par l’administration. En effet, aux termes de l’article 9 de la loi n°90/056 du 19
décembre 1990, « ne peut être autorisé , tout parti politique qui :

- porte atteinte à l’intégrité territoriale, à l’unité nationale, à la souveraineté


nationale, à la forme républicaine de l’Etat , à la souveraineté nationale,
notamment par toutes sortes de discriminations basées sur les tribus, les
provinces, les groupes linguistiques ou les confessions religieuses;

- prône le recours à la violence ou la mise sur pied d’une organisation


militaire ou para- militaire ;

- reçoit les subsides de l’étranger ou dont l’un des dirigeants statutaires


réside à l’étranger ;

- favorise la belligérance entre les composantes de la Nation ou entre des


pays ».

En établissant que les motifs de refus invoqués par l’administration ne sont


pas prévus par la loi, le juge met ainsi en cause leur valeur juridique.

461
2. La mise en cause de la valeur juridique des motifs de refus de
légalisation

Dans les affaires R.D.C et P.S.L.D du 18 septembre 1992, le juge a pris soin,
après avoir établi que le cas de « reprise des dispositions des projets de société
des autres partis » allégué par l’administration pour refuser de légaliser les partis
requérants n’existe pas dans la loi, de préciser «(…) que les partis politiques ont des
moyens de droit pour lutter contre le plagiat de leurs programmes ». De même, dans
l’affaire UNC du 23 septembre 1992, il a considéré qu’en justifiant le refus de
légalisation du parti requérant au motif que sa dénomination est « Union Nationale
Camerounaise, » et que sa devise « Paix –Travail –Patrie » n’est autre que celle de
la République du Cameroun, « la décision attaquée a ajouté à la loi ». Enfin, dans
l’affaire UPC-Manidem du 16 décembre 1992, il a estimé, après avoir établi que le
motif de refus n’est pas consacré par la loi, que « les partis politiques légalement
reconnus (et de surcroît ayant fait protéger leur sigle) disposent des moyens
juridictionnels pour faire respecter leurs droits sans aucune ingérence du Ministre de
l’Administration Territoriale (…) ; qu’en essayant – maladroitement d’ailleurs- de
justifier son refus de légaliser un parti politique dont l’existence légale est désormais
acquise conforment à la loi, la décision attaquée est illégale (…) »1905.

Il se dégage de ces différentes prises de position du juge la mise en cause de


la valeur juridique des motifs de refus allégués par l’administration. Ce faisant, il
reconnaît, sans le dire explicitement, que l’administration a violé sa compétence liée
dans l’édiction des motifs de refus et commis un détournement de pouvoir en la
matière.

a. La reconnaissance implicite de la violation par l’administration de sa


compétence liée

L’administration est dans une situation de compétence liée « lorsqu’en vertu


des lois et règlements, elle est tenue de décider d’une certaine manière sans avoir la

1905
Cette position a été réitérée dans son ordonnance rendue en tierce opposition : voir ordonnance
n°088/PCA/CS/93-94 du 13 décembre 1993, affaire Union des Populations du Cameroun (UPC) contre Etat du
Cameroun (MINAT) et Union des Populations du Cameroun - MANIDEM (UPC-MANIDEM), Obs. B-R
Guimdo, Juris Info n°24, octobre-novembre-décembre 1995, pp. 64-65.

462
possibilité de choix »1906 . Dans ce cas, « sa conduite lui est dictée à l’avance par la
règle de droit »1907, qui lui impose « d’agir dans un sens déterminé »1908, ou « de
prendre une décision déterminée, positive ou négative »1909. Il en est ainsi de
l’édiction par l’administration des motifs de refus de légalisation des partis politiques.
Elle « n’est pas libre de choisir les motifs, ceux-ci lui sont imposés par la loi »1910. Il y
a donc pour elle compétence liée . De fait, la loi ayant pris soin d’indiquer les motifs
qui doivent servir de base à sa décision de refus, « il ne lui est pas possible , à moins
de le faire exprès, d’en choisir d’autres, il violerait trop ouvertement la loi »1911, et
même si ceux-ci ne sont pas expressément en contradiction avec la loi, ils visent ,
cependant,« des circonstances autres que celles que la loi avait prévus »1912.

Il résulte de la jurisprudence qu’en énumérant les cas de refus de légalisation


des partis politiques, la loi a entendu imposer à l’administration les motifs qui doivent
servir de base à sa décision. Mais, en présence des situations qui pourraient
précisément constituer ces motifs, l’administration peut être amenée à « apprécier
s’il est opportun d’agir ou de s’abstenir, de choisir les mesures à ordonner »1913. En
effet, si elle est liée par des motifs déterminés par la loi, celle-ci « ne l’oblige pas à
agir effectivement et, dans un certains sens, toutes les fois que ces motifs
existeraient en fait ».

Au demeurant, en établissant que l’administration ne s’était pas conformée


aux cas de refus énoncés par la loi, le juge a implicitement admis la remise en cause
par l’Administration de sa compétence lié ; aussi a-il estimé qu’elle a ajouté à la loi .
Dans le même temps, et de façon directe, le juge a admis implicitement qu’il y avait
eu de la part de l’administration un détournement implicite de pouvoir.

1906
G. Vedel et P. Delvolvé, Droit administratif, T1, 12-ed, Paris, PUF, 1992 , p. 528.
1907
Y. Gaudemet, Traité de Droit administratif, op.cit, p.580
1908
B. Kornprobst, « La compétence liée », RDP , 1961, p. 941 ; V aussi G. Timsit, « Compétence liée et
principe de légalité », D., 1964, Chr., p. 217-22.
1909
R. Chapus, Droit administratif général, T1, 13 éd., Montchrestien , Paris, 1999, p. 1014.
1910
M.Reglade, op.cit, p. 435.
1911
Ibid.
1912
Ibid.
1913
Ibid., p. 436.

463
b. L’admission implicite de la commission du détournement de pouvoir par
l’administration

A la différence du particulier qui choisit librement le but de ses actes,


l’administration se voit imposer la fin que son action doit poursuivre1914. De façon
générale, elle doit exercer ses compétences en vue de satisfaire l’intérêt public ou
général. Elle commettrait un détournement de pouvoir si « tout en accomplissant un
acte de sa compétence, tout en observant les formes prescrites, tout en ne
commettant aucune violation formelle de la loi », elle « use de son pouvoir pour des
motifs autres que ceux en vue desquels ce pouvoir lui a été conféré, c’est -à dire,
autre que la sauvegarde de l’intérêt général et le bien du service »1915.

Selon le Doyen M. Hauriou, « le détournement de pouvoir dépasse en


profondeur d’action la violation de la loi »1916 . Il n’est pas « la violation de l’esprit de
la loi, cas particulier de la violation de la loi »1917.

Pour E. Laferrière, le vice que désigne l’expression « détournement de pouvoir


(…) consiste à détourner un pouvoir légal du but pour lequel il a été institué, à le faire
servir à des fins auxquelles il n’est pas destiné »1918 . Il constitue « un abus du
mandat que l’administration a reçu ; celui qui le commet prend sous une fausse
apparence de légalité, des décisions qu’il ne lui appartient pas de prendre, et qui
sont entachées d’une sorte d’incompétence, sinon par les prescriptions qu’elles
édictent, du moins par le but qu’elles poursuivent »1919.

Comme l’a dit M. Hauriou, « c’est dans les motifs de l’acte (….) que le
détournement de pouvoir est saisissable (…) »1920. Seulement, sur le plan pratique,
la preuve du détournement de pouvoir est délicate voir difficile à établir, car elle
amène à scruter les intentions de l’auteur de l’acte. Ainsi, dans de nombreux cas, le
détournement de pouvoir est soit qualifié, soit substitué1921 à travers « l’extension de
la notion de violation de la loi »1922 . De fait, « la pratique de l’annulation pour

1914
J. Rivero et J .Waline, op. cit., p. 222
1915
M. Hauriou, Précis de droit administratif et de droit public, 12 éd. ; op.cit, p., 442.
1916
Ibid., p. 443.
1917
Ibid.
1918
E. Laferrière, Traité de la juridiction administrative…, T2, op., cit., p, 521
1919
Ibid.
1920
M. Hauriou, op. cit., p. 444.
1921
Manuel Gros, « Fonctions manifestes et latentes du détournement pouvoir », RDP, 1997, pp.1244 et
suivantes.
1922
G Vedel et P. Delvolvé, Droit administratif, T2, op. cit., p 333

464
détournement de pouvoir apparaît largement comme destinée à dénoncer la
mauvaise foi de l’autorité administrative qui, en connaissance de cause, a détourné
de son but le pouvoir qu’elle a exercé »1923. C’est pourquoi dans les affaires
analysées, le juge n’a pas, en évoquant l’illégalité des décisions de refus, fait appel
au moyen tiré du détournement de pouvoir, préférant plutôt parler d’excès de
pouvoir ; pourtant, après avoir établi que les motifs allégués par l’administration ne se
trouvent pas dans l’énumération exhaustive et limitative des cas de refus par la loi, il
a déclaré, dans l’affaire R.D.R1924 que « les partis politiques ont des moyens de droit
pour lutter contre le plagiat de leurs programmes », et dans l’affaire UPC-
Manidem1925 que « les partis politiques légalement reconnus (et de surcroît ayant fait
protéger leur sigle) disposent des moyens juridictionnels pour faire respecter leurs
droits sans aucune ingérence du Ministre de l’Administration Territoriale » qui a
essayé « maladroitement (…) de justifier son refus de légaliser un parti politique dont
l’existence légale est désormais acquise conformément à la loi ».

Ces prises de position traduisent, implicitement, l’existence d’un détournement


de pouvoir. Le juge ne le dit pas explicitement parce que « la preuve de cette
déviation vers des buts irréguliers est difficile à apporter »1926. Il s’avère que « sonder
des intentions et analyser des mobiles psychologiques subjectifs est une démarche
malaisée pour le juge, plus familier d’un raisonnement et de critères objectifs »1927. Il
en résulte que comme moyen officiel d’annulation, le détournement de pouvoir
constitue assurément un difficile cas d’ouverture à utiliser par les requérants et à
mettre en œuvre par le juge. Seulement, comme l’écrit E. Gros, « limiter sa fonction
contentieuse aux seules hypothèses où il est expressément retenu par le juge serait
occulter les fonctions latentes de ce moyen »1928. Les espèces analysées montrent
que malgré son absence formelle, le détournement de pouvoir s’y révèle à l’état
latent . Dans ces espèces, il y a une absence d’indication expresse voire
d’insinuation d’un détournement de pouvoir constitué ; mais il est expressément
sanctionné par l’allusion à « l’excès de pouvoir » .

1923
R. Chapus, Droit administratif général, op. cit., pp 1003-1004.
1924
Ord. n°25/CS/PCQ/91-92 du 18 septembre 1992 et Ordonnance n°26/CS/PCA/91-92 du 18 septembre 1992.
1925
Ordonnance n°02/0/PCA/CS/du 16 décembre 1992
1926
J. Morand-Deviller, op. cit., p 687.
1927
Ibid.
1928
E. Gros, op cit, p. 1243.

465
Ainsi, « malgré la constitution probable d’un détournement de pouvoir, le juge
préfère souvent retenir un autre moyen d’annulation d’apparence plus
objective »1929.

On peut donc dire, au regard de ce qui précède, que « certaines annulations


sont (….) " teintées" de détournement de pouvoir »1930 bien qu’elles interviennent
pour d’autres motifs. Mais, la considération selon laquelle « l’attitude de
l’administration montre une véritable intention de nuire »1931, n’est pas étrangère
dans l’esprit du juge et qu’il en tient compte même s’il n’évoque pas le détournement
du pouvoir.

Si officiellement, le juge a dans les espèces analysées sanctionné l’irrégularité


des motifs de refus allégués par l’Administration, confirmant sa jurisprudence
antérieure selon laquelle « lorsqu’un acte administratif est assorti de motifs, ceux-ci
doivent être réguliers »1932, il a officieusement sanctionné le détournement de pouvoir
en mettant en cause la valeur des motifs invoqués. C’est d’ailleurs très rarement qu’il
le fait de façon explicite1933.

En matière de légalisation des partis politiques, le juge administratif n’a pas une
position uniforme dans l’appréciation de refus invoqués par l’administration. Ainsi, autant il
est amené, en se fondant sur la loi, à reconnaître l’irrégularité de ces motifs, autant, il lui
arrive d’en méconnaître l’irrégularité, en se basant toujours sur la loi.

B. LA MECONNAISSANCE DE L’IRREGULARITE DES MOTIFS DE REFUS

Les motifs de l’acte sont une condition de sa légalité. Le juge en contrôle non
seulement l’existence mais aussi la valeur. Comme l’écrit M. Waline, « le contrôle
des motifs a pu faire penser (…) que la frontière était bien arbitraire entre ce qui
relève du contrôle du juge, et ce qui lui échappe. Et cette frontière n’est pas toujours
facile à délimiter ». Ainsi, « l’attitude du juge administratif contrôlant les motifs,
exprimés ou non, des décisions administratives attaquées devant lui, a pu paraître à

1929
Ibid., p. 1247.
1930
J- M. Auby et R. Drago, Traité de contentieux administratif, T2, p. 413.
1931
Ibid.
1932
CCA/arrêt n°39 du septembre 1950, Ngollo Nyacke contre Administration du Territoire.
1933
Il a ainsi, de façon explicite, considéré comme entaché de détournement de pouvoir l’acte expropriant des
biens immobiliers au bénéfice du personnel d’une société d’économie mixte sans objectif immédiat de participer
au service public de fourniture de l’électricité dans la ville de Yaoundé .V. CFJ/CAY, arrêt n°160 du 8 juin 1971,
affaire Fouda Mballa contre Etat du Cameroun Oriental.

466
certains égards, audacieuse. Les uns en auront loué la hardiesse ; d’autres se seront
inquiétés (…) »1934.

Le problème est que, par le biais du contrôle des motifs, le juge est souvent
amené à apprécier l’exercice par l’administration de son pouvoir discrétionnaire et à
débusquer explicitement ou implicitement un détournement de pouvoir, ou à agir
comme son supérieur hiérarchique en réformant ses décisions ou en les approuvant,
alors même que leur légalité, qui n’est pas évidente, est mise en cause par des
particuliers. C’est ainsi qu’en matière de légalisation des partis politiques, pour
méconnaître l’irrégularité alléguée des motifs de refus invoqués par l’Administration,
le juge a eu à substituer ses motifs à ceux de l’administration et à clarifier le motif de
refus qu’elle a allégué pour le valider.

1. La substitution des motifs de refus

En règle générale, le juge n’est pas en droit de substituer ni une base légale à
la base erronée ou illégale donnée par l’Administration à son acte, ni un motif exact
ou légal au motif illégal ou erroné invoqué par l’auteur de l’acte1935. Il en résulte que,
« s’il agissait autrement, il interviendrait dans le domaine de l’opportunité qui
appartient exclusivement à l’administration : celle-ci doit disposer seule du choix des
moyens d’action et du choix de ses motifs d’action »1936 que ceux-ci soient prescrits
par la loi ou non.

Mais, « au cas de substitution de motifs, le juge procède, en fait, à la réfection


de l’acte pour éviter d’avoir à l’annuler »1937 ; or, « s’il est compétent pour annuler, il
ne l’est pas pour reformer, pour modifier »1938. Par exception à ce principe, il est
admis que le juge peut opérer une substitution (de base légale ou) de motifs dans le
cas ou l’Administration a compétence liée, c’est-à-dire « dans l’hypothèse où en tout
état de cause, l’Administration avait l’obligation de prendre la décision qui a été
prise »1939. Autrement dit, chaque fois que l’Administration doit prendre une décision
« peu importe (la base et) les motifs inexacts qu’elle a donnés à son acte ; pour que

1934
M. Waline, « Etendue et limites du contrôle du juge administratif », op.cit, pp. 31-32.
1935
En ce sens, CE, 22 juin 1955, Société civile des Dervalliers, CE, 10 octobre 1958, sieur Delarbre.
1936
M. Letourneur, « L’étendue du contrôle du juge de l’excès de pouvoir », EDCE, 1962, p.54.
1937
Ibid.
1938
Ibid.
1939
G. Peiser, Contentieux administratif, op. cit., p. 185 ; V. CE, 8 juin 1934, Augier.

467
celui-ci soit irréprochable, il suffit que le juge précise (la base et) les motifs corrects »
1940
. Comme l’écrit Ch. Pasbecq, « le juge se transforme en administrateur purement
et simplement ; il refait l’appréciation sans avoir tous les éléments en main, comme
l’administrateur actif, même s’il est particulièrement éclairé sur ces problèmes »1941.
L’affaire Front Patriotique Pour le Salut du Peuple Camerounais (FPS- PC) du 23
septembre 19921942 en est l’ illustration topique. En l’espèce, pour refuser la
légalisation du parti requérant, le Ministre de l’Administration Territoriale a donné
dans sa décision mise en cause le motif suivant : « Les statuts ne font pas mention
de l’organe directeur. Par ailleurs, le mémorandum du FPS-PC reprend les
dispositions des projets de société d’autres partis politiques ». Dans sa requête
introductive d’instance, le parti requérant a soutenu le contraire en indiquant d’une
part que l’article 16 de ses statuts énonce que les organes de direction et de décision
du FPS-PC sont par ordre hiérarchique :

- 1er Le Haut Commandement ;

- 2e Le Bureau Politique National ;

- 3e Le Comité Central Provincial ; que les articles 17, 18 et 19 desdits


statuts sont explicites à cet égard sur la structure et le fonctionnement du
FPS-PC. D’autre part, le parti requérant, a indiqué que son mémorandum
est le fruit d’une réflexion et d’un travail intellectuel personnel que son
fondateur a élaboré bien avant que plusieurs partis soient légalisés.

Il résulte de ce qui précède que le litige se situe au niveau du contenu des


statuts et concerne l’organe directeur et l’originalité du mémorandum.

C’est à propos de l’organe directeur que le juge a procédé à une substitution


de motif. Alors que l’Administration a fondé son motif de refus sur le fait que « les
statuts ne font pas mention de l’organe directeur », le juge s’est plutôt référé à la
demande de légalisation déposée avec l’ensemble du dossier auprès de
l’Administration. Citant l’article 5 alinéa 1er de la loi n° 90/056 du 19 décembre 1990
d’après lequel la demande de légalisation d’un parti politique doit être timbrée et
indiquer les noms, adresse ainsi que l’identité complète, la profession et le domicile

1940
M. Letourneur, op. cit., p. 54.
1941
Ch. Pasbecq, op. cit., p. 825.
1942
Ordonnance n° 29/CS/PCA/91-92 du 23 septembre 1992, Front Patriotique pour le Salut du Peuple
Camerounais (FPS- PC) contre Etat du Cameroun.

468
de ceux qui sont chargés de la direction et / ou de l’administration, il affirme « qu’il ne
fait pas de doute que c’est cette disposition légale qui est visée dans la lettre de
refus même si celle-ci fait état de la " mention de l’organe directeur "». Or, l’article 5
alinéa 1er dont s’agit détermine la composition du dossier à déposer pour la
légalisation et distingue bien la demande (§1, alinéa 1er), dont il détermine le
contenu, des statuts (§4 al 1er) qui doivent être produits en triple exemplaire et dont
l’articulation et le contenu ne sont pas précisés par la loi.

Le problème est que, s’étant rendu compte que le motif allégué par
l’administration ne pouvait prospérer puisque portant sur le contenu des statuts, le
juge s’est rabattu sur la demande de légalisation qui pouvait être facilement
contrôlée, la loi ayant déterminé son contenu. Il s’avère, par ailleurs, que dans sa
requête, le parti requérant avait indiqué de façon incomplète la composition de son
organe directeur, donnant ainsi l’occasion au juge d’assurer définitivement la
substitution de motifs pour ne pas avoir à annuler la décision de refus : « Attendu
que dans sa requête Ediriong donne la liste des membres du bureau directeur
provisoire (…) ; liste indiquée sur la demande de légalisation, sans autres précisions
sur l’adresse, l’identité complète, la profession et le domicile desdits membres
directeurs conformément aux exigences de la loi (….) ; c’est donc à bon droit que le
Ministre de l’Administration Territoriale a refusé la légalisation du dit parti (…) ». Ce
motif a donc suffi pour rejeter le recours du parti requérant bien que le juge ait
reconnu l’illégalité du motif de refus allégué par l’administration quant à la reprise
dans son mémorandum des dispositions des projets de société d’autres partis
politiques. Pourtant, dans des espèces antérieures, le juge a retenu le moyen tiré de
l’irrégularité de ce motif pour annuler la décision de refus de légalisation des partis
politiques requérants1943.

Il résulte de ce qui précède que lorsqu’un acte est fondé sur plusieurs motifs
dont certains sont irréguliers, le juge ne procède à son annulation que si les motifs
irréguliers ont eu une influence déterminante dans son édiction. Il procède ainsi « à
une distinction subtile entre motifs déterminants et motifs surabondants »1944 ou non

1943
Ordonnance n° 25/CS/PCA/91-92 du 18 septembre 1992, affaire Regroupement Démocratique pour la
République (RDR) contre Etat du Cameroun et ordonnance n° 26/CS/PCA/91-92 du 18 septembre 1992, affaire
Programme Social pour la Liberté et la Démocratie (PSLD) contre Etat du Cameroun.
1944
G. Peiser, op. cit., p. 184.

469
déterminants1945. Dans l’espèce analysée, le juge a fait du premier motif un motif
déterminant et du second un motif non déterminant, justifiant ainsi le rejet de la
demande d’annulation de l’acte querellé.

Il arrive aussi que pour réfuter l’irrégularité du motif de refus de légaliser un


parti politique, le juge soit amené à clarifier ce motif pour admettre sa validité.

2. La clarification des motifs de refus

L’existence dans un texte législatif d’une condition à l’action administrative a


pour effet d’introduire un élément de légalité dans un domaine qui sans cela
relèverait du pouvoir discrétionnaire1946. Il en est ainsi de l’édiction par la loi n°
90/056 des motifs de refus de légalisation des partis politiques auxquelles doit se
conformer l’Administration. Pour rester dans les termes de la loi, l’Administration se
doit de faire une juste appréciation de ces motifs avant de les appliquer.

Cependant, c’est l’intervention du juge qui permet de savoir si l’Administration


s’est conformée ou non aux prescriptions légales dans l’édiction de son acte. En
général, « le contrôle exercé par le juge de l’excès de pouvoir sur la légalité des
motifs est fonction de l’existence et de la précision de la règle de droit applicable, de
la munitie avec laquelle la règle aura ou n’aura pas été formulée »1947. Dans les cas
où les textes sont imprécis sur la nature des mesures que peut édicter l’autorité
administrative, « c’est au juge administratif d’apprécier si les mesures prises lui
paraissent conformes ou non à l’esprit de la loi »1948. C’est ainsi que dans l’affaire
Divine Kingdom People’s of Party of Cameroon (DKPPC) du 30 septembre 19921949,
le juge a eu à réfuter l’irrégularité du motif de refus de légalisation du parti requérant
après avoir démontré qu’il était conforme à la loi.

En effet, pour refuser de légaliser le parti requérant, le Ministre de


l’Administration Territoriale avait donné comme motif que son projet de société est
contraire à l’article 9 de la loi n° 90/056 relativ e aux partis politiques, sans plus. Il
s’avère que cet article énumère plusieurs situations dans lesquelles un parti politique

1945
Sur la question des motifs déterminants, voir A. Gandolfi, « Les motifs déterminants dans le recours pour
excès de pouvoir », JCP, 1964. I, 1835.
1946
M. Letourneur, op. cit., p. 60
1947
Cl. Goyard, op. cit., p. 339.
1948
P.-F. Benoíît, op. cit., p. 549.
1949
Ordonnance n°32/CS/PCA/91-92 du 30 septembre 1992, affaire Divine Kingdom People’s of Party of
Cameroon (Martin I. Mokili Mbue) contre Etat du Cameroun

470
ne peut être autorisé. On ne pouvait donc savait pour quel motif exact le parti
requérant n’a pas été légalisé. Aussi, lorsque ce parti a saisi le juge, il a soutenu qu’il
s’est conformé à l’article 9 sus-visé, car rien dans son manifeste n’indique qu’il a
l’intention de porter atteinte à l’intégrité territoriale, à l’unité nationale, à la forme
républicaine de l’Etat, à la souveraineté nationale (…), ni d’encourager le recours à la
violence, de recevoir des subsides de l’extérieur, ni d’encourager la belligérance.
Pour le parti requérant, le mot Kingdom (Royaume) n’exprime pas une intention de
sa part de transformer le pays en royaume ; il « tend à rappeler aux fils du Cameroun
qu’ils sont des enfants de Dieu, le Roi des rois, dont le royaume est un ensemble
dont fait parti le Cameroun ». Il soutient qu’il « se présente comme un forum
politique où le dialogue fraternel et la réconciliation peuvent se réaliser et créer une
atmosphère de paix, d’unité, de justice et de progrès ». Ces arguments n’ont pas
emporté l’adhésion du juge qui, après avoir déterminé les dispositions légales
exactes sur lesquelles l’Administration s’est fondée pour refuser de le légaliser , a
affirmé, sans vraiment le justifier, que l’intéressé les avait violées : « Attendu qu’aux
termes de l’article 9 de la loi n° 90/056 du 19 déc embre 1990 relative aux partis
politiques, ne peut être autorisé, tout parti politique qui " … porte atteinte à la
souveraineté nationale et à l’intégration nationale, notamment par toutes sortes de
discriminations basées sur les confessions religieuses… " ;

Attendu que le DKPP ou parti Camerounais du Peuple du Royaume Divin dont


la dénomination elle-même est tout un programme, viole ces dispositions légales,
alors surtout que les associations religieuses sont régies par une loi spéciale à
laquelle aurait dû se conformer le DKPP » .

Il se dégage de ce qui précède que le parti requérant n’a pas été légalisé
parce qu’il portait ou était susceptible de porter atteinte à la souveraineté nationale et
à l’intégration nationale du fait de son caractère ou de sa nature religieuse.
Autrement dit, il était susceptible de favoriser la discrimination fondée sur la religion
et constituait, par conséquent, une menace pour la cohésion nationale tant par sa
dénomination, qui « est tout un programme », que par son projet de société, qui a un
fondement religieux. Seulement, le juge n’a pas dit en quoi ce parti violait les
dispositions légales auxquelles il fait référence. Et alors même que le problème est
celui de la dénomination du parti en cause et de son projet, il dit que c’est une

471
association religieuse qui devrait se conformer à la loi spéciale applicable aux
associations.

Cela étant, l’intérêt de cette affaire est que le droit positif camerounais interdit
la constitution de partis politiques à caractère religieux, d’autant plus que l’Etat est
constitutionnellement laïc. Accepter de tels partis politiques, c’est remettre en cause
la laïcité, la neutralité et l’impartialité de l’Etat alors et surtout que les partis et
formations politiques- reconnus- concourent à l’expression du suffrage et ont
vocation à conquérir et à exercer le pouvoir. Dans certains pays et pour des raisons
liées à leur histoire, il existe des partis politiques fondés sur une idéologie à caractère
religieux. Le juge aurait donc dû, eu égard à l’imprécision du motif invoqué par
l’Administration pour refuser de légaliser le DKPP, affiner son argumentaire pour
mieux clarifier ce motif.

Il est de plus en plus avéré que c’est surtout dans la recherche de la violation
de la loi que le juge pourrait devenir un concurrent de l’administrateur et, plus
particulièrement dans le contrôle des motifs1950. Le contentieux de la dissolution des
associations en est la preuve. Le juge y agit comme un véritable supérieur
hiérarchique de l’administration en méconnaissant systématiquement la validité des
contestations portant sur la régularité de la dissolution des associations prononcée
par l’Administration. Ce faisant, il refuse d’admettre l’urgence de la mesure sollicitée
par les requérants dans un domaine qui mérite, pourtant, protection de sa part.

SECTION II : LA MECONNAISSANCE SYSTEMATIQUE DE LA VALIDITE


DES CONTESTATIONS PORTANT SUR LA REGULARITE
DE LA DISSOLUTION DES ASSOCIATIONS

Le professeur F. Terre écrit que la soif qu’inspire la liberté « est toujours


exaltante et son discours est plus porteur d’espoir que le silence et l’oppression.
Encore faudrait-il ne jamais oublier qu’elle est un bien fragile et qu’à vouloir trop
souffler sur la flamme, on risque de l’éteindre »1951. Il en est ainsi de la liberté

1950
Dans ce sens, v. M. Reglade, op. cit., p. 413 ; R. Alibert, Le contrôle juridictionnel de l’administration au
moyen du recours pour excès de pouvoir, Paris, Payot, 1926 ; Ch. Eisenmann, « Le droit administratif et le
principe de légalité, EDCE, 1957, p.25 ; M. Dubisson, op. cit., ;Ch. Pasbecq, op. cit., p. 807 et suiv.
1951
François Terré, « Sur la notion de libertés et droits fondamentaux » in Libertés et droits fondamentaux, sous
la direction de Remy Cabrillac, Marie-Anne Frison-Roche et Thierry Revet, 8e éd, Paris, Dalloz, 2000, p. 3.

472
d’association proclamée par le préambule de la Constitution camerounaise du 18
janvier 1996 et régie par la loi n° 90/053 du 19 dé cembre 1990.

Appréhendée comme « la faculté de créer une association, d’y adhérer ou de ne


pas adhérer »1952, la liberté d’association « est reconnue à toute personne physique ou
morale sur l’ensemble du territoire national »1953 camerounais. Cependant, les
associations fondées sur une cause ou en vue d’un objet contraire à la Constitution, aux
lois et aux bonnes mœurs, ainsi que celles qui auraient pour but de porter atteinte
notamment à la sécurité, à l’intégrité territoriale, à l’unité nationale, à l’intégration nationale
et à la forme républicaine de l’Etat, sont nulles et de nul effet1954.

La loi n° 90/053 définit les associations comme des conventions par lesquelles
« des personnes mettent en commun leurs connaissances ou leurs activités dans un
but autre que de partager des bénéfices »1955. Elles obéissent à deux régimes : le
régime de la déclaration et le régime de l’autorisation. Relèvent du régime de
l’autorisation les associations étrangères et les associations religieuses ; toutes les
autres formes (d’associations) sont soumises au régime de la déclaration. Sont
exclues de ces deux régimes, parce que régis par des textes particuliers, les
associations de fait d’intérêt économique ou socio-culturel, les partis politiques et les
syndicats1956.

Alors que les associations étrangères peuvent voir leur autorisation leur « être
retirée à tout moment »1957, les associations déclarées et les associations religieuses
peuvent être suspendues et/ ou dissoutes par l’autorité administrative. Ainsi, d’après
l’article 13 de la loi n°90/053, le Ministre de l’A dministration Territoriale « peut, sur
proposition motivée du Préfet, suspendre par arrêté, pour un délai maximum de trois (03)
mois, l’activité de toute association pour trouble à l’ordre public »1958 . Il peut également,
« par arrêté, dissoudre toute association qui s’écarte de son objet et dont les activités
portent gravement atteinte à l’ordre public et à la sécurité de l’Etat »1959. De même, le
Ministre de l’Administration Territoriale peut « pour troubles à l’ordre public », suspendre

1952
Article 1er al. 2 de la loi n° 90/053 du 19 décembre 1990 portant sur la liberté d’association.
1953
Article 1er al. 3 de la loi n° 90/053.
1954
Article 4 de la loi n° 90/053.
1955
Article 2 de la loi n° 90/053.
1956
Article 5 al. 3 et 4 de la loi n° 90/053.
1957
Article 17 alinéa de la loi n° 90/053.
1958
Alinéa 1er de l’article 13 de la loi n° 90/053.
1959
Alinéa 2 de l’article 13 de la loi n° 90/053.

473
toute association religieuse1960 qui peut aussi être dissoute, après un préavis de deux
mois resté sans effet, par décret du Président de la République, si après son autorisation,
elle se dévie par la suite de son objet initial1961.

Les associations suspendues ou dissoutes peuvent contester les mesures


prises à leur encontre auprès du juge administratif dans un délai de dix (10) jours à
compter de la date de notification à personne ou à domicile desdites mesures. Le
juge statue par ordonnance dans un délai de dix (10) jours1962. Le législateur a ainsi
confié un rôle de premier plan au juge administratif en matière de liberté
d’association : « à lui revient la tâche, combien difficile, de réaliser l’équilibre entre la
mission d’intérêt général qui incombe à la puissance publique, et l’exercice des droits
et libertés qui appartiennent aux individus »1963 .

Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 90/056, le juge administratif n’a été saisi
que trois fois pour connaître des contestations relatives à la dissolution des
associations1964. Il se dégage des décisions rendues en la matière qu’il méconnaît
l’irrégularité de la prescription de la mesure de dissolution contestée ( § 1) ainsi que
l’irrégularité de son application( § 2). En reprenant une idée de M. Dran, on peut
formuler en ces termes sa jurisprudence en cette matière : Si « la liberté jouit d’un
régime renforcé de protection », celle-ci « doit aller de paire avec les exigences de la
vie sociale et le nécessaire maintien de l’ordre et de la sécurité publique, sans lequel
il n’est pas de vie commune possible »1965.

PARAGRAPHE I : LA MECONNAISSANCE DE L’IRREGULARITE DE LA


PRESCRIPTION DE LA MESURE DE DISSOLUTION
D’ASSOCIATIONS

La dissolution d’une association est une mesure de police qui, comme toute
décision administrative, doit émaner de l’autorité compétente et être édictée, le cas

1960
Article 30 de la loi n° 90/053.
1961
Article 31 de la loi n° 90/053.
1962
Voir article 13 de la loi n° 90/053
1963
M. Dran, Le contrôle juridictionnel…, op. cit., p.296.
1964
En ce sens, ordonnance n° 19/0/PCA/ 90-91 du 26 septembre 1991, affaire Organisation Camerounaise des
Droits de l’Homme (OCDH) contre Etat du Cameroun ; ordonnance n° 20/PCA/CS/90-91 du 26 septembre 1991,
affaire Kom Ambroise (Human Rights Watch) contre Etat du Cameroun et ordonnance n° 21/PCA/CS/90-91 du
26 septembre 1991, affaire Comité d’Action Populaire pour la Liberté et la Démocratie ( Cap-Liberté) contre
Etat du Cameroun.
1965
M. Dran, op. cit., p.167.

474
échéant, selon les procédures et dans les formes légales. Quant au fond, elle doit
être conforme au principe, notamment, de l’égalité de tous devant la loi ; c’est-à-dire
« ne pas traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations
semblables »1966. Elle doit aussi, bien entendu, avoir été prise en vue du maintien de
l’ordre public « et non pas surtout en vue d’un intérêt financier ou pour satisfaire un
intérêt personnel ou celui de tiers »1967 ; ce qui l’entacherait de détournement de
pouvoir. Enfin, elle doit être prononcée sur le fondement du texte régissant la liberté
d’association, en l’occurrence la loi n° 90/053 du 19 décembre 1990.

Il résulte de ceci que saisi d’une contestation relative à la régularité de la


prescription de la dissolution d’une association, le juge peut être amené à vérifier le
respect des compétences, des formes, des procédures, ainsi que la régularité de son
but et de ses motifs de droit et de fait. Le juge administratif camerounais refuse de
contrôler l’opportunité de la dissolution d’une association ; il considère qu’il n’ « est
compétent (que) pour connaître si l’association dissoute tombe par ses agissements
sous le coup de la loi. »1968 ; il ne vérifie donc pas si la dissolution d’une association
correspond à la gravité de la menace, « si elle est nécessaire face à une situation de
fait »1969 donnée. Pourtant, l’édiction de la dissolution d’une association dans le but
de maintenir l’ordre public « peut aisément couvrir des actions politiques »1970, tandis
que l’appréciation de l’atteinte à l’ordre public « est souvent font subjective »1971.

Il ressort de la jurisprudence actuelle rendre en matière de dissolution


d’association que le juge administratif camerounais récuse les contestations portant
tant sur la l’illégalité externe (A) que sur l’illégalité interne (B) de la dissolution.

A. LA RECUSATION DES CONTESTATIONS PORTANT SUR


L’ILLEGALITE EXTERNE DE LA DISSOLUTION D’ASSOCIATION

Comme l’écrit P. Soler-Couteaux, « la forme et le contenu de la décision ne


sont que les deux volets d’une même déclinaison de la règle de fond : la première

1966
R. Chapus, Droit administratif général, T1, 13e éd., op. cit., p. 691.
1967
Ibid., p. 691.
1968
Ord. n° 19/0/PCA/ 90-91 du 29 septembre 91 ; ord. n° 20/0/PCA/CS/ 90-91 du 29 septembre 91 et ord. n°
21/0/PCA/ CS/ 90-91 du 29 septembre 1991. Cette limitation de sa compétence matérielle en matière de
dissolution d’association a été analysée dans le chapitre 3 du Titre 2 de la 1ère partie, V. supra.
1969
G. Dupuis, M-J., Guédon et P. Chrétien, op. cit., p. 474.
1970
Ibid.
1971
Ibid.

475
doit être construite en fonction de la seconde ; cette dernière doit trouver dans celle-
ci tous les éléments de nature à justifier son bien fondé »1972. Ainsi, l’illégalité
formelle d’un acte peut déteindre sur son contenu et vice versa ; mais, cela ne peut
conduire à la remise en cause de la distinction entre illégalité ou légalité externe et
illégalité ou légalité interne « qui a pour principal intérêt d’être pédagogique quand il
s’agit de présenter les cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir »1973. C’est
la raison pour laquelle, sans les opposer ou les considérer comme « deux ensembles
antagonistes »1974, le juge les apprécie séparément.

Adoptant cette démarche dans le contentieux de dissolution des associations,


le juge administratif camerounais s’est prononcé au plan de la légalité externe sur la
régularité de la nature de l’acte de dissolution, sur le défaut de motivation dudit acte
et sur la violation du principe des droits de la défense par l’administration lors de son
édiction.

1. L’appréciation de la régularité de la nature de l’acte de dissolution

Il existe en droit administratif trois critères permettant de déterminer les


diverses catégories d’actes administratifs unilatéraux, à savoir : le critère formel, le
critère organique et le critère matériel. Le critère formel permet de distinguer l’acte
écrit de l’acte non écrit ; le critère organique prend en compte l’auteur de l’acte ; le
critère matériel, enfin, s’intéresse au contenu et à la portée de l’acte et permet ainsi
de distinguer l’acte réglementaire, qui a un caractère général et impersonnel, de
l’acte non réglementaire, qui peut être individuel, collectif ou sui generis.

Dans l’affaire Organisation Camerounaise des Droits de l’Homme du 26


septembre 19911975, la requérante reprochait à l’administration de n’avoir pas
respecté le critère matériel dans l’édition de l’acte de dissolution, évoquant, dans une
formule juridiquement inexacte, mais qu’allait malheureusement reprendre le juge, la
« violation de la forme de l’acte ». Pour la requérante « alors que l’interdiction d’une
association est un acte administratif individuel et non un acte administratif
réglementaire, le Ministre de l’Administration Territoriale a pris un arrêté collectif

1972
P. Soler-Couteaux, « Réflexions sur le thème de l’insécurité du droit administratif ou la dualité moderne du
droit administratif », Mélanges offerts à Jean Waline, Paris, Dalloz, 2002, p. 393.
1973
Ibid., pp. 391-392.
1974
Ibid., p. 392.
1975
Ordonnance n° 19/0/PCA/CS/90-91 du 26 septembre 1991.

476
contre des associations aux objectifs divers » ; il « aurait dû prendre un arrêté de
dissolution pour chaque association en indiquant à chaque fois les griefs articulés
mis à sa charge ». Ne l’ayant pas fait, la requérante a donc estimé que « l’acte
querellé est nul dans sa forme apparente puisque procédant d’une confusion d’entre
l’acte réglementaire et l’acte individuel ».

L’argumentation de la partie requérante est juridiquement inopérante et


inexacte. C’est donc à juste titre que le juge l’a écartée. Il l’a fait de façon judicieuse
et convaincante. Il déclare à ce sujet : « Attendu que contrairement à l’opinion de la
requérante, à la catégorie des actes individuels se rattachent également les actes
collectifs, c’est-à-dire qui s’appliquent à plusieurs personnes juridiques, mais
également désignées nominativement ; que l’arrêté incriminé est bien un acte
collectif assimilable à un acte individuel raison pour laquelle chacune des
associations concernées y est désignée nominativement ; (…) qu’il en est ainsi par
exemple d’un fonctionnaire intégré dans la Fonction Publique par une décision
individuelle mais qui, pour son avancement de grade ou d’échelon, peut se retrouver
sur une décision collective ».

Cette position du juge rappelle celle du juge administratif français pour qui
l’acte réglementaire est une décision de l’autorité administrative qui édicte une règle
juridique caractérisée par sa généralité et son impersonnalité, qui régit une situation
indéterminée dans la mesure où il ne vise pas un individu mais une situation
générale pouvant intéresser une catégorie d’individus et qui dès lors qu’il a un tel
objet, est toujours règlement même s’il concerne une personne physique ou morale
individualisée1976. Il importe peu que, au moment où la règle est édictée, elle ne
s’applique qu’à un petit nombre d’intéressés. il en ainsi de la décision attribuant
certaines fonctions à une autorité administrative, car elle est appelée à régir pour une
période indéterminée une situation abstraite faite de ses titulaires successifs1977.

La mesure de dissolution querellée ne répond nullement à cette


appréhension de l’acte réglementaire. Il en résulte qu’il s’agit plutôt d’un acte non
réglementaire. La distinction entre l’acte non réglementaire et l’acte réglementaire se
réfère non pas à un ordre quantitatif mais à un ordre qualitatif tenant à leur contenu
et à leur portée. La catégorie d’acte non réglementaire recouvre trois types d’actes

1976
V. CE, 20 janvier 1989, Fédération française de Karaté.
1977
V. CE, 27 novembre 1935, Colomb.

477
que sont l’acte individuel, l’acte collectif et l’acte particulier ou sui generis. La
décision individuelle vise telle ou telle personne donnée, elle peut aussi viser
plusieurs personnes mais qui ne sont pas liées. C’est le cas de la délibération d’un
jury d’examen déclarant les candidats reçus ou ajournés. Quant à la décision
collective, elle concerne plusieurs personnes liées par une relation de solidarité.
C’est le cas de l’arrêté de dissolution d’association querellée. Enfin, l’acte particulier
ou sui generis est un acte qui s’applique à une situation donnée mais qui est
susceptible d’atteindre un nombre indéterminé de personnes. Il a donc un régime
mixte qui tient à la fois du régime de l’acte réglementaire que de celui de l’acte
individuel. C’est le cas de la déclaration d’utilité publique1978.

Au regard de ce qui précède, le moyen portant sur la « violation de la forme


de l’acte » de dissolution allégué par la partie requérante dans l’affaire OCDH ne
pouvait prospérer. Si le juge a judicieusement et pertinemment justifié la mise à
l’écart de ce moyen, il n’en est pas de même celui portant sur le défaut de motivation
de l’acte de dissolution.

2. L’appréciation du défaut de motivation de l’acte de dissolution

La motivation fait partie de règles de forme qui gouvernent l’élaboration de


l’acte administratif unilatéral écrit. Elle participe de « l’instrumentum » ou du
« factum ». Elle « se rapporte à l’exigence de prendre une décision sur un motif et
dans certains cas à motiver cette décision par des motifs précis, particuliers et
limités dans leur nombre comme dans leur nature »1979. Plus concrètement, « la
motivation est la formulation des motifs qui sont à la base de la décision. Elle se
rapporte ainsi à l’aspect externe de l’acte »1980.

Le problème est de savoir si cette règle de forme s’impose à l’administration


lorsqu’elle édicte son acte. Dans l’affaire Kom Ambroise du 26 septembre 19911981,
la partie requérante reproche à l’arrêté portant dissolution de son association de
n’avoir pas indiqué les raisons qui étaient à la base de son édition en se contentant
d’indiquer en guise de motivation : « participation avérée à des activités non

1978
V. CE, 10 mai 1968, Commune de Brovers.
1979
Guillaume Blanc, « Motifs et motivation des décisions administratives », Rev. Adm., 1998 , p.495.
1980
G. Vedel et P. Delvolvé, Droit administratif , T1, 12e éd. , op. cit., p.291.
1981
Ordonnance n°20/0/PCA/CS/90-91 du 26 septembre 1991.

478
conformes à leur objet statutaire et troubles graves portant atteinte à l’ordre public et
à la sécurité de l’Etat », sans dire en ce qui concerne particulièrement son
association, en quoi ont consisté lesdites activités, en quoi elles ont été non
conformes à son objet statutaire. Examinant ce moyen de défaut de motivation de
l’acte de dissolution querellé, le juge a émis une argumentation qui n’est pas un
modèle de clarté. Il l’a formulée ainsi : « Attendu que s’agissant du défaut de motif,
que l’absence de motif ou une motivation très succincte est sans influence sur la
validité de l’acte administratif »1982. Le seul mérite de cette argumentation est qu’elle
permet de se rendre compte que pour le juge, le moyen allégué est un moyen
inopérant, c’est-à-dire un moyen « qui ne peut exercer aucune influence sur le sort
réservé à l’acte par le juge »1983. Pour le reste, le juge confond défaut de motif et
défaut de motivation. Bref, il assimile la motivation au motif. Portant, il s’agit de deux
formalités distinctes, même si elles sont complémentaires. En effet, si « la motivation
est la formulation des motifs qui sont à la base de la décision »1984, et se rapporte à
la légalité externe, « les motifs sont constitués par les raisons de fait et de droit qui
fondent la décision et relèvent de la légalité interne de l’acte »1985.

Par ailleurs, alors qu’une décision a toujours des motifs, bons ou mauvais,
« elle ne fait pas toujours l’objet d’une motivation, c’est-à-dire qu’elle n’exprime pas
toujours ces motifs »1986.

Enfin, si « les motifs sont inhérents à la légalité fondatrice de la décision


administrative régulière (…), la motivation est constitutive d’une légalité
supplémentaire, subséquente aux raisons d’être juridiques de l’acte
1987
administratif » . Elle « apparaît au moment où il s’agit d’assurer une diffusion de la
mesure administrative et non pas au moment où il s’agit de l’élaborer et de le fonder
sur des bases juridiques »1988. Il peut donc y avoir défaut de motivation sans défaut
de motif et vice versa. De même que l’absence de motifs ne peut pas être appréciée
de la même façon qu’une motivation insuffisante.

1982
Il cite, à ce sujet, deux arrêts du CE ; l’un du 22 avril 1955, Association franco-ruisse Rousky Dom ; l’autre
du 16 décembre 1955, Dame Bourgokba.
1983
M. Letourneur, op cit., p.53.
1984
G. Vedel et P. Delvolvé, op cit., p. 291.
1985
Ibid.
1986
Ibid.
1987
G. Blanc, op. cit., p. 496.
1988
Ibid.

479
La complémentarité entre motifs et motivation intervient au niveau du contrôle
du but poursuivi par les responsables de la décision administrative dans le processus
de celle-ci, « dans la perception par les administrés du rôle qu’exerce
l’administration, et enfin dans la sanction par le juge du principe de légalité »1989.

Le problème qui se pose dans l’affaire Kom Ambroise est, précisément, de


savoir si le Ministre de l’Administration Territoriale, auteur de l’acte de dissolution
querellé, était tenu d’exprimer les motifs qui l’ont amené à le prendre.

Si l’acte juridictionnel doit toujours être motivé, il n’en est pas de même de
l’acte administratif. Telle est la règle dont il convient de préciser le contenu avant
d’en indiquer les limites.

La jurisprudence relative au principe de la non motivation des actes


administratifs est globalement établie ; mais elle est, sur certains points, critiquable et
même critiquée. Ainsi, en l’absence d’une disposition législative ou réglementaire
expresse, l’administration n’est pas obligée de motiver ses actes1990 . il s’agit d’une
position de principe que le juge a réaffirmée à plusieurs reprises1991. Mais, il
reconnaît aussi à ce principe des limites. Dans l’affaire Atangana Mbarga Adalbert du
26 décembre 19961992, il le dit en ces termes : « Considérant en effet que si la
décision administrative n’a pas besoin d’énoncer les motifs qui la sous-tendent, ce
principe connaît un tempérament lorsque s’agissant d’une sanction disciplinaire
(…), cette motivation apparaît comme une garantie en faveur de l’agent public
concerné ».

Les limites au principe de la non motivation des actes administratifs sont à la


fois d’ordre textuel et jurisprudentiel.

Il existe des lois et règlements qui imposent la motivation des décisions


administratives. Il en est ainsi, par exemple, de la loi n° 90/056 du 19 décembre 1990
relative aux partis politiques qui exige, en son article 8 al 2, la motivation du refus de
légalisation d’un parti ; de la loi n° 99/14 du 22 décembre 1999 relative aux
organisations non gouvernementales qui , en son article 9 al 2, impose la motivation
du rejet de toute demande d’agrément d’une ONG et du décret n° 94/199 du 7

1989
Ibid.
1990
TE, arrêt n° 208 du 22 juin 1962, Ngongang Alexandre contre Etat du Cameroun.
1991
V. CS/CA, jugement n°75/90-91 du 31 janvier 1991, Mbarga Emile c/ Communauté Urbaine de Yaoundé ;
CS/CA, jugement n°15/97-98 du 26 mars 1998, Noucti Tchokwago c/ Etat du Cameroun.
1992
CS/AP, arrêt n° 02/A du 26 décembre 1996, Atangana Mbarga Albert contre Etat du Cameroun.

480
octobre 1994 portant Statut Général de la Fonction Publique de l’Etat qui exige, en
son 94 al. 1, que toute sanction disciplinaire infligée à un fonctionnaire doit être
motivée. Sans qu’on sache pourquoi, le législateur n’en est pas fait de même pour la
dissolution des associations alors même qu’elle participe d’une remise en cause
d’une liberté publique.

Il arrive qu’en l’absence d’une prescription textuelle, que le juge, exige la


motivation des actes administratifs. Mais, cette exigence est rarissime et
exceptionnelle. Dans une espèce rendue le 26 février 19961993, il a annulé une
décision administrative pour la raison qu’elle n’était pas motivée : « Attendu, en effet,
que sans aucun souci de motivation alors que toute décision administrative doit être
motivée, c’est-à-dire contenir les éléments de fait et de droit qui justifient la mesure
ordonnée, la décision attaquée se contente de la formule (…) ; qu’il s’en suit que le
recours est justifié et qu’il y a lieu de prononcer l’annulation de la décision
litigieuse ». Dans une autre espèce intervenue le 25 janvier 20011994, il a formulé la
même exigence : « Il importe de rappeler que toute décision administrative doit
énoncer les raisons de fait et de droit qui sont à la base de la décision ».

Il se dégage de ce qui précède que le juge pouvait valablement exiger la


motivation de l’acte de dissolution querellé à l’administration, au lieu de se réfugier
derrière une jurisprudence française datant de 1955 et qui a beaucoup évolué dans
le sens de la limitation du principe de la non motivation.

En rejetant le moyen tiré du défaut de motivation de l’acte de dissolution


attaqué pour la raison que « (…) l’absence de motifs ou une motivation très succincte
est sans influence sur la validité de l’acte administratif », le juge applique, pour ne
pas gêner l’action de l’Administration, « une présomption qui lui est favorable (…).
Cette situation est grave pour les libertés publiques »1995. De fait, comme l’écrit M.
Dran, « une protection efficace des libertés supposerait que, par un raisonnement
inverse, le juge, appliquant une présomption favorable à la liberté (…) édicte la règle
de l’obligation pour l’Administration de motiver ses décisions ; afin de permettre à la
victime éventuelle de se défendre dans les meilleures conditions »1996. En ne le

1993
CS/CA, jugement n° 07/97-98 du 26 février 1996, affaire Takoté Megne Madeleine épouse Tignokpa contre
Etat du Cameroun.
1994
CS/CA, jugement n°15/2000-2001 du 25 janvier 2001, affaire Succession Mbarga Raphaël contre Etat du
Cameroun.
1995
M. Dran, op. cit., pp. 594-595.
1996
Ibid. p. 595.

481
faisant pas, « il permet à l’autorité administrative de rester dans ses rapports avec les
administrés, distante, secrète et silencieuse » ; il en résulte une obscurité qui « ne
peut que réduire l’exercice et la portée du contrôle juridictionnel et dont de la
protection des libertés »1997.

En exigeant la motivation de certaines décisions à l’administration, en


particulier celles portant sur les libertés, le juge l’amène à faire attention aux erreurs
et à la précipitation, à prendre des décisions explicites, à bien évaluer l’état de la
situation de fait et l’oblige à un examen particulier de la question, « sous réserve bien
entendu, que l’Administration ne procède pas à des falsifications »1998 .

Autant le juge a méconnu le défaut de motivation de la mesure de dissolution


contestée, autant il a écarté le moyen tiré de la violation par l’Administration du
principe des droits de la défense.

3. L’appréciation de la violation du principe des droits de la défense

Le principe des droits de la défense est une composante du principe du


contradictoire1999, lequel fait partie des règles de procédure gouvernant l’élaboration
de l’acte administratif unilatéral. Considéré comme l’un des premiers principes
généraux du droit consacrés par la jurisprudence administrative2000, il implique, selon
le Conseil d’Etat français, que toute mesure ayant le caractère d’une sanction soit
précédée d’une procédure permettant à l’intéressé de discuter les griefs formulés
contre lui2001. Il s’applique aussi aux mesures défavorables prises en considération
de la personne.

Le principe des droits de la défense peut aussi résulter d’un texte législatif ou
réglementaire.

Pour G. Dellis, les droits de la défense sont « un principe-satellite de la liberté


individuelle et de la règle in du bio pro liberto ». Ils sont, d’après lui, principalement
liés « à la procédure pénale, puisque la nature répressive de cette dernière a
tendance à porter atteinte à la liberté individuelle » ; aussi, conclut-il, que « la notion

1997
Ibid.
1998
R. Hostiou, op. cit., p. 175.
1999
Voir Hocine Zeghbib, « Principe du contradictoire et procédure administrative non contentieuse », RDP,
1998, pp. 467-503.
2000
M. Lombard, op. cit., p. 192.
2001
CE, 5 mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier, GAJA, Paris, Dalloz, 1999, n°61, pp.363-368.

482
de droit de la défense doit donc être réservée à la procédure d’élaboration d’une
décision répressive, qui constitue une institution administrative essentiellement
influencée par les principes du droit pénal »2002. Inspiré par les règles de procédure
contentieuse, « le principe du respect des droits de la défense a un contenu et une
portée sensiblement moins exigeants dans la procédure non contentieuse »2003. En
effet, le juge « veille (…) à la liberté d’action de l’administration et retient une
conception stricte des droits de la défense »2004. Lorsqu’un texte ne l’a pas prévu, il
rejette tout moyen pris de l’irrégularité de la procédure d’édiction de l’acte pour
non respect du principe des droits de la défense. Il en est ainsi dans l’affaire
Organisation Camerounaise des Droits de l’Homme du 26 septembre 19912005 où le
juge a considéré que l’arrêté portant dissolution d’ associations n’avait pas violé ce
principe, comme l’a soutenu la partie requérante, pour la raison que « la loi n°
90/053 du 19 décembre 1990 n’a prévu aucune procédure préalable à l’intervention
de l’arrêté de dissolution du Ministre chargé de l’Administration Territoriale,
notamment une demande d’explication, un avertissement ou une sommation à
l’association qui ne se conforme pas à ladite loi ». A contrario, le juge estime que les
droits de la défense doivent être respectés pour toutes mesures intéressant un
fonctionnaire à partir du moment où un texte l’a prescrit. Il en est ainsi des mesures
disciplinaires2006.

Ce n’est qu’exceptionnellement que le juge peut annuler un acte administratif


pour violation des droits de la défense alors même qu'un texte n’a pas imposé leur
respect. Il a ainsi annulé pour cette raison une décision de l’Administration qui
interdisait à un particulier d’avoir à séjourner dans un Département parce que sa
présence était susceptible de troubler l’ordre public2007. Ceci revient à dire que le
juge pouvait valablement retenir le moyen pris de la violation du principe des droits
de la défense allégué dans l’affaire organisation Camerounaise des droits de
l’homme. Fidèle à une jurisprudence française classique qui exclut l’application de ce

2002
G. Dellis, Droit pénal et droit administratif. L’influence des principes du droit répressif sur le droit
administratif, Thèse dactylographiée, Paris II, 1994, n° 496, cité par Yannakapoulos, op. cit., p. 377.
2003
Y. Gaudemet, Traite de droit administratif, op. cit., p. 621.
2004
Ibid.
2005
Ord. n°19/0/PCA/CS/90-91 du 26 septembre 1991.
2006
En ce sens, v. CCA, 25 octobre 1957, Ebonguè Jean Adalbert contre Administration du Territoire ; CFJ/AP,
19 mars 1969, Moukoko James contre Etat du Cameroun Oriental, CS/CA , jugement n° 05/ 90-91 du 29
novembre 1990, Amougou Linus contre Etat du Cameroun.
2007
CFJ/CAY, 27 janvier 1970, Obam Etémé Joseph contre République Fédérale du Cameroun.

483
principe aux mesures de police2008 pour la raison que celles-ci sont prises dans
l’intérêt de l’ordre public, il a rejeté ce moyen.

Que serait-il advenu s’il s’était agi de la violation d’un principe prescrit par
la loi et constituant de ce fait une formalité substantielle ? Là encore, rien n’obligerait
le juge à retenir ce moyen et à annuler l’acte de dissolution querellé. En effet, en
droit français comme en droit camerounais, le juge accepte, pour diverses raisons
d’espèce, de ne pas considérer comme une source d’illégalité l’inobservation des
règles de procédure, alors même qu’elles ont un caractère « substantiel », estimant
que la méconnaissance de la règle procédurale n’a pas été susceptible d’avoir
réellement une influence sur la décision entreprise2009. Le juge administratif le dit
clairement dans l’affaire OCDH : « Attendu que quand bien même cela était et qu’il
s’agirait d’une formalité substantielle, la doctrine émet que le juge peut être amené à
trouver dans les circonstances particulières de l’affaire des motifs de rejeter le moyen
tiré de l’irrégularité de la procédure quand il ressort du dossier, comme en l’espèce,
que la prétendue irrégularité est sans influence sur le sens de la décision alors
surtout que le but visé par le législateur (respect de l’ordre public) a été atteint en
fait ». Il est donc clair que le juge n’était pas disposé à annuler la mesure de
dissolution querellée, même si la loi imposait le droit pour la requérante « de
développer, pour la défense de ses intérêts, des objections contre » cette
décision2010.

En somme, la violation d’une formalité obligatoire ne constitue pas toujours


pour le juge une irrégularité substantielle. Il apprécie l’influence qu’elle a pu avoir sur
la décision querellée. On se rend donc compte qu’en rejetant le moyen pris de la
violation du principe des droits de la défense dans l’affaire OCDH, le juge a
implicitement pris position sur le fond de l’affaire, puisqu’il affirme que le but visé par
le législateur, à savoir le respect de l’ordre public, a été atteint par la décision de
dissolution mise en cause. Les jeux étaient donc faits. Ont peut donc comprendre
qu’il ait réfuté les contestations relatives à l’illégalité interne de cette décision.

2008
CE ; Ass. 21 juillet 1970, Krivine et Franck, p. 499, AJ 1970, p.607 Chronique D. Labetoulle et P.
Cabanes, JCP. 11971 n° 16672, note D. Lochak : dissolution d’une association ; CE, 18 juin 1975, Dame Conu,
p. 362, D. 1975, IR, p 219 ; fermeture d’un débit de boisson.
2009
V.CE, 4 juillet 1952, Decharme, Rec. P. 362, CE, ASS 7 mars 1975, Association des amis de l’Abbaye de
Fonte-vraud, AJDA, 1976, p. 208, note Hostiou.
2010
V. CE, Sect,15 juillet 1964, Sterboul, Rec., p . 406 ; CE, 29 juin 1990, Mme Poncin, Rec. P. 818.

484
B. LA REFUTATION DES CONTESTATIONS PORTANT SUR
L’ILLEGALITE INTERNE DE LA MESURE DE DISSOLUTION

Un acte est légal sur le plan interne lorsque son contenu, ses motifs et son but
sont conformes au droit en vigueur ou plus précisément au texte sur lequel il se
fonde. L’illégalité interne d’un acte implique soit que cet acte a violé la loi ou le
règlement en vigueur, soit qu’il s’est détourné du but qui devrait être le sien2011.

L’article 13 al 2 de la loi n° 20/053 sur la libert é d’association énonce que « le


Ministre de l’Administration Territoriale peut (…), par arrêté, dissoudre toute
association qui s’écarte de son objet et dont les activités portent gravement atteinte à
l’ordre public et à la sécurité de l’Etat ». Il se dégage de cette disposition législative
que l’acte du Ministre de l’Administration Territoriale sera légal s’il est conforme à
l’objectif qu’elle lui assigne, à savoir pouvoir dissoudre une association qui se
détourne de son objet et qui porte gravement atteinte par ses activités à l’ordre
public et à la sécurité de l’Etat. Seulement, cette disposition reste générale dans sa
formulation. Aussi, si le Ministre est lié par le but de l’acte qu’il doit édicter, il reste
libre d’apprécier les faits de la cause et l’opportunité de son édiction. Il dispose donc
en la matière d’une compétence liée et d’un pouvoir discrétionnaire. Dans ce cas
comme dans l’autre, son acte peut faire l’objet de recours contentieux s’il s’avère qu’il
a violé la loi en prescrivant la dissolution de l’association en cause, ou s’il s’est
détourné du but que la loi lui a assigné.

Il résulte de la jurisprudence en la matière de dissolution d’associations que le


juge rejette l’illégalité interne de la dissolution des associations prononcée par le
Ministre de l’Administration Territoriale. Dans les ordonnances rendues le 26
2012
septembre 1991, les parties requérantes alléguaient la violation de la loi et le
détournement de pouvoir2013 par le Ministre de l’Administration Territoriale. Mais,
pour le juge, qui s’est situé sur le plan de la qualification des faits, en participant à
des activités contraires à leur objet statutaire les associations dissoutes ont violé la
loi ; de plus, cette participation était de nature à porter atteinte à l’ordre public et à la

2011
Sur ces questions, V. R Chapus, Droit administratif général, T1, 13e éd, op. cit., pp. 994 et suiv. ; G. Dupuis,
M.- J. Guédon et P. Chrétien, op.cit, pp. 436-439.
2012
Ordonnance n° 19/0/PCA/CS/ 90-91 du 26 septembre 1991, affaire OCDH contre Etat du Cameroun :
ordonnance n° 20/0/PCA/CS/90-91 du 26 septembre 1991, affaire Kom Ambroise contre Etat du Cameroun.
2013
Ordonnance n° 19/0/PCA/CS/90-91 du 26 septembre 1991 et ord. n°21/0/PCA/CS/90-91 du 26 septembre
1991, affaire Cap-Liberté contre Etat du Cameroun.

485
sécurité de l’Etat. Le contexte et les arguments utilisés par le juge pour réfuter
l’illégalité interne de la mesure de dissolution amènent à penser que le juge a
construit en matière de dissolution d’association, une jurisprudence plus politique
que juridique. En refusant de prescrire la mesure d’urgence définitive sollicitée par
les parties requérantes, il a pris le parti de l’Etat ; or, en matière de police
administrative, la liberté doit être le règle et la restriction (de police) l’exception.

1. La participation des associations dissoutes à des activités contraires


à leur objet statutaire

Il se dégage des affaires rendues en matière de dissolution que


l’Administration reprochait aux associations en cause de s’être détournées de leur
objet statutaire en participant aux assises des partis politiques au sein de la
« Coordination des partis d’opposition et associations ». Pour les associations en
cause, un tel motif n’était pas fondé, car l’Administration n’avait pas dit en quoi cette
participation était non conforme à leur objet statutaire.

Dans l’affaire OCDH, la partie requérante a indiqué que selon ses statuts, son
association a pour objet « la promotion et la défense des droits de l’homme et
notamment par l’information, l’éducation, la culture et tout moyen pacifique ainsi que
tous autres intérêts s’y rattachant directement ou indirectement et qu’il était constant
que depuis sa création, elle avait engagé une vaste campagne d’information et de
sensibilisation des citoyens camerounais sur leur droits et leurs devoirs ».

Dans l’affaire Kom Ambroise, la partie requérante a soutenu qu’elle ne voyait


pas en quoi la participation de son association à la Coordination des partis
d’opposition et associations n’était pas conforme à son objet statutaire qui est « la
défense des libertés civiques et la promotion des droits de la personne humaine tels
que définis dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, le Pacte
international relatif aux droits Economiques et sociaux et la Charte Africaine des
Droits de l’Homme et des Peuples ».

Quant au requérant dans l’affaire Cap-Liberté, sans nier la participation de son


association à la « Coordination des partis d’opposition et associations », il a déclaré
que son association est une association humanitaire, que la coordination des partis
d’opposition et associations œuvrait pour l’instauration d’une réelle démocratie au

486
Cameroun et que ses réunions et décisions allaient dans ce sens, que dès lors, la
participation de son association aux travaux et activités de la coordination entrait
dans le cadre de son objet statutaire. Pour lui, l’Administration devait préciser en quoi
son association s’était écarté de son objet ; le simple fait de dire que son association
a pris part aux travaux de la Coordination des partis politiques d’opposition et
associations « n’établit pas ipso facto (…) que Cap-Liberté s’est écarté de son objet
statutaire ».

Au regard de ce qui précède, le problème était donc de savoir, non pas si les
associations dissoutes ont participé aux travaux de la coordination des partis
politiques et associations, mais si cette participation était conforme à leur objet
statutaire. Le juge était donc appelé à effectuer un contrôle de qualification des faits.
Comme l’écrit Patrice Rolland, « l’efficacité du juge se mesure (…) à son aptitude à
déclarer la violation. Il le fera techniquement en interprétant le droit en vigueur et en
qualifiant les faits ou les actes juridiques. C’est là qu’il pourra faire preuve de timidité
ou d’audace dans la définition de ce qui constitue la violation et qu’on trouvera les
limites humaines de ce procédé de protection ».2014 Ainsi, « le juge précise ou clarifie
le droit et aide par là au respect des libertés garanties »2015. Tel n’a pas été l’attitude
du juge dans la qualification des faits reprochés aux associations dissoutes. Dans
les trois décisions rendues, il a estimé qu’en s’associant au sein de la « Coordination
des partis politiques d’opposition et associations », aux partis politiques dont le but
est par essence, « la lutte pour la prise du pouvoir », ces associations, organismes
qui se veulent défenseurs des droits de l’homme, donc en principe apolitiques, se
sont écartés de leur objet.

Pour le juge donc, les faits reprochés aux associations dissoutes justifiaient la
décision prise par l’Administration. Ceci revient à dire que, au de-là du fait qu’elle a
« exactement examiné la situation dans sa matérialité »2016, elle l’a « qualifiée
juridiquement d’une manière correcte »2017.

Dans l’affaire Kom Ambroise, le juge cite l’article 4 des statuts de l’association
dissoute pour démontrer que l’association dissoute s’est détournée de son objet en
s’associant aux partis politiques. Cet article 4 dispose qu’elle « travaillera pour que la

2014
Patrice Rolland, La protection des libertés en France, Paris Dalloz, 1995 , p.56.
2015
Ibid.
2016
Ch. Debbasch et J-C. Ricci, op. cit., p. 62.
2017
Ibid.

487
loi fondamentale, les textes et législatifs et réglementaires de la République, les
Accords et Conventions auxquels le Cameroun sera partie, obéissent aux
prescriptions de base des instruments internationaux de référence de la protection et
de la promotion des droits de l’homme (…) » . Dans l’affaire OCDH, il cite également
une disposition statutaire de l’association dissoute selon laquelle ses fondateurs
« s’engagent à fonder leur action sur les textes internationaux régulièrement ratifiés
par le Cameroun, sur sa Constitution, sur ses lois et bonnes mœurs (…) », pour
démontrer qu’elle s’est écartée de son objet statutaire.

Il faut dire, à la vérité, que ces références aux statuts des associations ne
prouvent nullement qu’elles se sont détournées de leur objet statutaire et ce d’autant
plus qu’en tant qu’organisations agissant dans le domaine des Droits de l’homme,
elles étaient forcément appelées à s’intéresser à la politique, pas au sens de
conquête et d’exercice du pouvoir, mais dans ses rapports avec les citoyens, dans le
sens du respect des droits et libertés de ceux-ci par l’Etat. Autrement dit, ces
associations, comme toutes les autres, n’avaient pas une vocation politique, mais
étaient appelées à protéger et à promouvoir les droits de l’homme qui sont aussi
bien politiques, sociaux, économiques que culturels. Il est clair que même si elles ne
devaient pas faire de la politique ou s’ingérer dans les affaires politiques, elles ne
pouvaient pas s’en désintéresser non plus, bien qu’elles soient, en principe apolitique
comme l’a dit le juge. De fait, un « organisme qui se veut défenseur des droits de
l’homme », se préoccupe forcément des questions relatives à la démocratie et aux
droits politiques des citoyens ; son rôle étant de les protéger et de les promouvoir.

Le vrai problème dans ces affaires est qu’elles ont eu une connotation
politique, amenant à penser que le juge a rendu une décision plus politique que
juridique. En effet, vu le contexte d’alors, le juge n’a pas voulu, probablement,
affaiblir un pouvoir qui était déjà fortement contesté dans l’opinion, par les partis
politiques et surtout par des associations qui avaient une très grande capacité de
mobilisation des masses populaires et dont l’influence au sein de la « Coordination
des partis politiques d’opposition et associations » était immense. Le pouvoir ne
pouvait reprendre le contrôle de la situation qu’en prononçant la dissolution des
associations les plus représentatives dans l’opinion pour réduire la capacité
d’influence et d’action des partis politiques de l’opposition. Le soutien du juge a donc
été le bienvenu, voire salutaire. C’est tout logiquement qu’il a estimé que la

488
participation des associations dissoutes aux assises de ces partis d’opposition était
non seulement contraire à leur objet statutaire mais qu’en plus elle était de nature à
porter atteinte à l’ordre public et à la sécurité de l’Etat.

2- La participation des associations dissoutes à des activités susceptibles


de porter atteinte à l’ordre public et à la sécurité de l’Etat

A l’origine de toute opération d’édition d’un acte juridique, il y a


nécessairement une situation de fait. L’acte y trouve sa raison d’être et traduit alors
dans la réalité ce qui est prévu par la norme applicable. Ceci revient à dire que
« l’autorité administrative est conduite à agir obligatoirement ou facultativement selon
la norme applicable dans le cas d’espèce, en présence d’un certain fait qui
déclenche le processus de décision ».2018 Aussi, dans tous les cas où l’action
administrative se fonde directement ou indirectement sur des éléments de fait, le
juge administratif est tenu d’en vérifier non seulement l’exactitude matérielle, mais
aussi leur qualification juridique2019, c’est-à-dire « la conformité des motifs de fait à
l’intention exprimée (ou supposée) du législateur », en « recherchant si le fait est de
nature à justifier légalement la décision »2020.

Le problème des motifs de fait est qu’ils sont en général définis avec
beaucoup moins de précision que les motifs de droit ; « c’est dire qu’est laissée aux
autorités administratives une assez large latitude quant à l’appréciation de l’existence
des circonstances de nature à justifier la prise d’une décision »2021. Ceci implique,
par conséquent, « un rôle important du juge administratif en matière de qualification
des faits »2022 ; un rôle qu’il doit assumer avec efficacité, neutralité et impartialité ; le
contrôle de la qualification des faits étant considéré comme un contrôle objectif2023.

Dans les affaires relatives à la dissolution des associations, le juge a peiné à


qualifier les faits reprochés aux associations dissoutes lorsqu’il a fallu démontrer que
leur participation aux activités de la coordination des partis politiques et associations

2018
S. Ktistaki, L’évolution du contrôle juridictionnel des motifs de l’acte administratif, Thèse, Paris, LGDJ,
1991, p.2.
2019
CS/CA, jugement n° 04/91-92 du 28 novembre 1991, Chi Stephen contre Etat du Cameroun.
2020
J-M Auby et R. Drago, T2, op. cit.,p.371. V. aussi, R. Degni-Segui, « Le contrôle sur l’administration
ivoirienne par la voie du recours pour excès de pouvoir », op. cit., p.175.
2021
F-P. Benoît, op. cit. , p. 547.
2022
Ibid.
2023
J.M. Auby et R. Drago, T2, op. cit., p. 371.

489
avait porté « gravement atteinte à l’ordre public et à la sécurité de l’Etat »2024 comme
l’avait soutenu l’Administration dans sa décision. Les arguments avancés par les
parties requérantes y ont été certainement pour quelque chose.

Dans l’affaire OCDH, la requérante estimait, d’une part que nulle part dans
l’arrêté il n’était dit en quoi son association avait porté atteinte à l’ordre public,
« encore que cette notion ne puisse s’appliquer aux activités d’une organisation
humanitaire dont les buts sont la recherche d’une société dans laquelle chacun soit
instruit de ses droits et de ses devoirs vis-à-vis de la collectivité », et, d’autre part,
que « l’atteinte à la sécurité de l’Etat est une notion extrêmement précise dont la
gravité implique des preuves et éléments qui » font défaut dans l’arrêté critiqué.
Pour lui, le Ministre de l’Administration Territoriale a détourné son pouvoir à d’autres
fins, d’autant plus qu’il n’a pas prononcé la dissolution de toutes les associations qui
avaient participé aux travaux de la coordination des partis politiques d’opposition et
associations. Dans l’affaire Kom Ambroise, le requérant observait que ce Ministre
n’avait ni prouvé, ni offert de prouver en quoi les actes de son association avaient
porté gravement atteinte à l’ordre public et à la sécurité de l’Etat, au sens de l’article
13 al 2 de la loi n° 90/053. Enfin, dans l’affaire Cap-Liberté, le requérant estimait que
le motif de « troubles graves portant atteint à l’ordre public et à la sécurité de l’Etat »
allégué par l’Administration était Sibyllin dans le sens où il était difficile pour le juge
administratif « de savoir si les troubles reprochés à Cap-Liberté existent et s’ils
existent, sont-ils de nature à troubler l’ordre public et la sécurité de l’Etat ». Il
constatait, comme les autres requérants, que le libellé de l’arrêté litigieux ne précisait
pas « lesquelles des activités de Cap-Liberté ont porté gravement atteinte à l’ordre
public et à la sécurité de l’Etat ».

Pour réfuter ces différents arguments et montrer que par leurs agissements
les associations dissoutes avaient violé la loi, le juge a procédé à une démonstration
dont l’imprécision le dispute au parti pris. Pour lui, ces associations se sont rendues
coupables de la violation de la loi par leur participation à la coordination des partis
politiques d’opposition et associations « dont les mots d’ordre sont " villes mortes" et
"désobéissance civique", slogans qui par leur évocation même ne peuvent que
troubler l’ordre public, voire porter atteinte à la sécurité de l’Etat ».

2024
Al.2 article 13 de la loi n° 90/053.

490
Il faut en convenir que cette argumentation n’atteste nullement la violation de
la loi par les associations dissoutes. D’une part, la matérialité des faits reprochés à
ces associations, à savoir l’atteinte à l’ordre public et à la sécurité de l’Etat n’est pas
établie ; elle est virtuelle, projetée ; d’autre part, leur qualification juridique est
supposée et non vérifiée. Ce qui est finalement reproché à ces associations par le
juge ce n’est pas qu’elles aient porté atteinte à l’ordre public et à la sécurité de l’Etat,
puisqu’il ne le dit et ne le démontre pas, c’est le fait qu’elles aient participé au sein
d’une structure dont les mots d’ordre sont "villes mortes" - concept qui peut être
compris ou appréhendé diversement-, "désobéissance civique" - notion dont la
conceptualisation et la mise en œuvre sous d’autres cieux a permis la libération des
peuples de l’emprise des régimes dictatoriaux ou favorisé l’émancipation des
peuples et citoyens opprimés du fait de la couleur de leur peau-, qu’il considère
comme des « slogans qui par leur évocation même ne peuvent que troubler l’ordre
public, voire porter atteinte à la sécurité de l’Etat ». Le juge n’a pas recherché si les
faits reprochés aux associations dissoutes constituaient un trouble ou une menace
de trouble pour l’ordre public et une atteinte à la sécurité de l’état ou si ces faits
constituaient « une menace effective de désordre »2025.

Il est généralement admis que « le souci du maintien de l’ordre public dans la


vie sociale ne doit pas aboutir à la négation des droits des citoyens et vice-
2026
versa » ; aussi, « concilier l’exercice des libertés avec les exigences de l’ordre,
sans sacrifier aucun d’eux » devrait constituer « la préoccupation dominante du juge
dans ce domaine »2027. De fait, comme le législateur ne pose qu’une règle générale
régissant les mesures de police, « c’est en réalité au juge qu’incombe la tâche de
rendre la règle légale déterminant l’étendue du pouvoir de police »2028. En pratique,
c’est le juge qui, compte tenu du fait que « l’ordre public ne recouvre pas une notion
pré-existante »2029, recherche sa substance « a posteriori pour déterminer si la
mesure administrative attaquée tendait bien à sa réalisation » 2030.

2025
G. Dupuis, M.-J. Guédon et P. Chrétien, op.cit, p. 473.
2026
S Ktistaki, op.cit , p. 105.
2027
Ibid.
2028
Ibid.
2029
Ibid., p, 127.
2030
Achille Mestre, Le Conseil d’Etat, protecteur des prérogatives de l’administration, Paris, LGDJ, 1974,
p. 212.

491
L’esprit de la politique jurisprudentielle du juge administratif en matière de
dissolution d’associations pour des motifs d’ordre public peut être comprise à partir
des conclusions du Commissaire du Gouverneur Corneille dans l’affaire Baldy2031 où
il énonçait ce qui suit : « Il n’est pas nécessaire que la mesure de police soit justifiée
par des troubles déjà survenus, des faits positifs, il suffit qu’elle vise de façon précise
des faits éventuels… que le fait prohibé par l’acte attaqué soit susceptible, après
l’expérience passé, d’après des analyses de circonstances, d’amener des troubles
ou simplement de regrettables contre-manifestations ». On mesure alors « le
caractère obligatoirement paradoxal du raisonnement auquel se livre » le juge
administratif qui ne se fonde que « sur de simples conjectures »2032. Ainsi,« la
solution par lui donnée est déduite d’un avenir hypothétique qui n’a jamais été vécu.
La condition supposée virtuellement réalisée », il «prétend en mesurer le degré »2033.

Il faut ajouter à cela le fait que ni l’ordre public, ni la sécurité de l’Etat ne sont
définis ; de même, les cas dans lesquels ils ont été menacés n’ont pas été clairement
déterminés par le juge. Pourtant, c’est à lui qu’il revenait de le faire. Il lui appartient
de dire « quels sont les troubles ou les menaces de trouble qui justifient
l’intervention des autorités de police (…) »2034 ; ce qui l’amène à définir le contenu
abstrait de la loi.

La jurisprudence formulée par le juge en matière de dissolution d’association


pour atteinte à l’ordre public dégage une certaine inclination de sa part « à se penser
protecteur de l’Etat contre les particuliers ».2035 De ce point de vue, il y a lieu de
dire, comme l’a écrit J-M. Bipoun Woum, que « le droit positif camerounais fait
apparaître une certaine préférence pour la défense de l’ordre, sans qu’apparaisse
toujours un souci corrélatif de limitation - et donc de contrôle juridictionnel- des
pouvoirs attribués à l’administration (…) »2036. Pourtant, l’ordre public reste une
notion imprécise « qui n’a cessé d’être entendue plus largement au fur à mesure
que se » développe « le rôle de la puissance publique »2037, lequel « permet toutes

2031
Conclusions Corneille sur CE, 10 Août 1917, Rec., p. 6637.
2032
A. Mestre, op.cit, p. 213.
2033
Ibid.
2034
M. Dran, op. cit., p. 311.
2035
Luc Ndjodo, in Le contentieux administratif et l’Etat de droit, Actes du séminaire d’échange et de
perfectionnement, Marrakech , 14-21 décembre 1996, Agence de la francophonie, 1997 , p.253.
2036
Joseph-Marie Bipoun Woum, « Recherches sur les aspects actuels de la réception du droit administratif
dans les Etats d’Afrique noire d’expression française : le cas du Cameroun », RJPIC n°3, 1972 , p. 374.
2037
Pierre le Mire, « La stabilité des situations juridiques (l’évolution de la jurisprudence relative au retrait et à
l’abrogation) », AJDA, 1980, p. 208.

492
sortes d’interprétations et légitime toutes les interventions du pouvoir (…) »2038.
D’ailleurs, les tentatives doctrinales d’appréhension de la notion de l’ordre public
demeurent soit partielles, soit partiales, et évoluent en fonction de l’appréciation
qu’en fait le juge administratif2039 .

La définition qu’a donnée le Doyen Maurice Hauriou, à savoir que, « l’ordre


public, au sens de la police, est l’ordre matériel et extérieur considéré comme un
état de fait opposé ou désordre, l’état de paix opposé à l’état de trouble »2040, et qui
est concrétisée par la trilogie classique : sécurité, tranquillité et salubrité, a été
complétée, voire critiquée2041 par d’autres auteurs.

Dans les affaires OCDH, Kom Ambroise et Cap-Liberté, le juge ne disposait,


en définitive, que de références imprécises sur l’atteinte à l’ordre public et à la
sécurité de l’Etat par les associations dissoutes. On est donc conduit à se
demander au regard des raisons qu’il a avancées si en matière de police
administrative la liberté est encore la règle et la restriction l’exception, selon la
formule du Commissaire du Gouvernement Corneille dans ses conclusions dans
l’affaire Baldy2042 et réaffirmée dans l’arrêt Benjamin2043.

Comme l’écrit François Sarda, « le juge est soumis à de nombreuses


influences ». A celles de ses propres partis pris de ses opinions, de son
caractère « 2044 . Par ailleurs, « la pesanteur du pouvoir sur les affaires judiciaires
est (…) constante et voyante dans les affaires de sûreté de l’Etat. Elle est rare et
discrète dans les affaires de la justice de tous les jours »2045. On comprend
pourquoi, comme l’affirmait le Commissaire du Gouvernement Chardeau dans ses
conclusions sur l’arrêt Grange rendu par le Conseil d’Etat français2046, « (dans) le
domaine de la protection de la sécurité publique, le juge a pour souci essentiel de ne

2038
Joseph Binyoum, Le contentieux de la légalité en droit administratif camerounais, thèse, Droit, Toulouse,
1979, p. 66.
2039
Voir par ex., Etienne Picard, La notion de police administrative , thèse, Paris, LGDJ, 1984, T1 et T2 ; Paul Bernard, La
notion de l’ordre public en droit administratif, thèse, Paris, LGDJ, 1962, 262p ; Philippe Beaud, La notion de liberté
publique en droit français, thèse Paris, LGDJ, 1968, 476 p. ;.M. Dran, op.cit ; Jean Yves Chérot, « La notion d’ordre public
dans la théorie de l’action administrative », in La police administrative existe-t-elle ?, la dir. de Didier Linotte, Presses
Universitaires d’Aix Marseille, 1985, pp. 30-35.
2040
M. Hauriou, Précis de droit administratif et de droit public, op. cit., p.549.
2041
Dans ce sens, voir P.-F Benoît, op. cit. , pp. 749-746.
2042
Concl. Corneille Précitées.
2043
CE, 19 mai 1933, Benjamin.
2044
Français Sarda, « L’intervention du pouvoir dans les instances judiciaires », Pouvoirs n° 16, 1981, p. 78.
2045
Ibid..
2046
Concl., sur CE, 31 janvier 1959, Grange, Rec., p. 85.

493
pas entraver l’action des autorités publiques », bien que souvent, il s’efforce « de
concilier les nécessité de l’ordre public avec l’aspect des libertés individuelles ».
C’est pour d’autres raisons, juridiquement valables, cependant, que le juge
administratif a méconnu l’irrégularité de l’application de la mesure de dissolution
d’associations prononcée par l’administration.

PARAGRAPHE II : LA MECONNAISSANCE DE L’IRREGULARITE DE


L’APPLICATION DE L’ACTE DE DISSOLUTION
D’ASSOCIATIONS

L’acte administratif unilatéral est à l’image de son auteur : il naît, vit et meurt.
Sa naissance résulte d’un processus qui intègre des règles de compétence, de
forme, de procédure et de fond. Sa vie est relative à son application, laquelle prend
en compte son entrée en vigueur et son exécution ; enfin, sa mort se traduit par sa
sortie de vigueur qui peut être de son fait, le fait de l’Administration, du juge ou même
le fait d’un événement imprévu.

En ce qui concerne en particulier l’application de l’acte administratif, elle


concerne son entrée en vigueur et son opposabilité et son exécution. En effet,
« l’acte administratif entre en vigueur du fait et à partir de son émission par l’autorité
administrative »2047. L’administration est, dès ce moment, tenue de s’y conformer.
Mais, il ne devient opposable aux administrés que du jour où il a été porté à leur
connaissance par un procédé de publicité.

Cette conception, généralement admise par la doctrine, est cependant


contestée par certains auteurs. Il s’agit, en particulier, de Ch. Eisenmann, qui a
soutenu que l’entrée en vigueur de l’acte ne peut résulter que de sa publicité2048.

De fait, si la validité d’un acte administratif, autrement dit sa régularité à


l’égard du droit, s’apprécie au jour de sa signature qui marque son entrée en vigueur,
son opposabilité, c’est-à-dire « son aptitude à produire des effets juridiques à l’égard
des personnes concernées, s’apprécie au jour où ces personnes en ont eu
connaissance par une publicité adéquate »2049. Ainsi, un acte peut être valable sans

2047
Y. Gaudemet, Traité de droit administratif, op. cit., p. 622.
2048
Ch. Eisenmann, « Sur l’entrée en vigueur des normes administratives unilatérales », Mélanges
Stassinopoulos, LGDJ, 1974, p. 201, aussi Jean-Pierre Dubois, « L’entrée en vigueur des normes administratives
unilatérales », Etudes en l’honneur de Georges Dupuis, Paris, LGDJ, 1997, p. 103.
2049
J. Morand-Deviller, op. cit., p. 332.

494
être opposable aux tiers. Le juge administratif camerounais a eu à le préciser dans
l’affaire Messomo Atenen Pierre du 30 septembre 19692050 en ces termes : « (…)
considérant qu’il échet de distinguer entre la validité de l’acte administratif et son
opposabilité aux tiers ; que l’acte administratif entre en vigueur du fait et à partir de
son émission par l’autorité administrative même s’il ne devient opposable aux
administrés que du jour où il a été porté à leur connaissance après un procédé de
publicité ; qu’en d’autres termes, l’acte administratif est exécutoire et opposable à
l’administration elle-même dès sa signature indépendamment de toute publicité dont
l’objet est en effet non pas de rendre la loi ou le décret exécutoire mais seulement
opposable aux tiers ». Cependant, si la publicité n’est pas une condition de la validité
de l’acte, « en revanche, elle conditionne l’applicabilité de la norme »2051. A défaut
d’accomplissement de cette formalité, « l’acte est pratiquement dépourvu
d’effet »2052.

Par ailleurs, l’effet produit par l’acte émis et publié ne doit concerner que
l’avenir ; autrement dit, l’administration ne peut faire remonter l’effet de l’acte au-delà
de la date à laquelle il intervient : c’est la règle de la non rétroactivité des actes
administratifs.

Dans les affaires OCDH et Kom Ambroise, le juge a été confronté à ces questions
de publicité et de non rétroactivité des actes administratifs. En ce qui concerne d’abord la
formalité de publicité, les requérants dans ces deux affaires ont estimé qu’elle avait été
violée en ce que l’Administration n’avait pas cru devoir leur notifier l’acte de dissolution
querellé, moyen que le juge a rejeté comme vain, la formalité ayant effectivement eu lieu
(A). Pour ce qui est de la règle de la non rétroactivité, c’est dans l’affaire Kom Ambroise
que le requérant a soutenu qu’elle avait été violée par l’administration en ce que celle-ci
avait fait rétroagir la décision de dissolution à la date de sa signature. Ce moyen a été
également rejeté par le juge (B).

A. LA REFUTATION DU DEFAUT DE PUBLICITE DE L’ACTE DE


DISSOLUTION

Le défaut de publicité est sans effet sur la validité de l’acte qui doit s’apprécier
au moment de l’émission de celui-ci. Ainsi, l’acte non publié n’en demeure pas moins

2050
CFJ /CAY, arrêt n° 90 du 30 septembre 1969, Messomo Atenen Pierre contre Etat du Cameroun.
2051
R. Hostiou, op. cit., p. 133.

495
valide. Le défaut de publicité a seulement pour conséquence de le rendre
inopposable aux tiers. Encore qu’il faille distinguer pour les actes particuliers ceux qui
sont créateurs de droits et ceux que ne le sont pas.

D’après la jurisprudence administrative française, l’acte particulier créateur


des droits simplement signé crée, dès sa signature, des droits au profit de ses
bénéficiaires2053 ; à contrario, l’acte particulier non créateur de droits existe certes
dès sa signature, mais est inopposable aux administrés aussi longtemps qu’il n’a pas
été porté à leur connaissance par un mode de publicité régulier dont l’administration
peut faire la preuve2054.

La publicité de l’acte administratif se fait selon deux modalités : la publication


et la notification. La publication concerne les actes réglementaires : elle se fait par le
biais du Journal Officiel ou par d’autres moyens telle la procédure d’urgence
constituée de la presse parlée ou écrite ou encore de la voie d’affichage. Quant à la
notification, elle concerne les actes individuels. Elle consiste à adresser
« nominalement aux destinataires »2055 la décision qui les intéresse. Dans les affaires
OCDH et Kom Ambroise, les requérants ont estimé que cette formalité avait été
méconnue par l’Administration. Le rejet de ce moyen par le juge lui a permis, dans un
premier temps, de déterminer le moment à partir duquel une notification est
considérée comme valable, et, dans un second temps, d’ indiquer la date à laquelle
les requérants ont reçu notification de l’acte querellé .

1. La détermination du moment où la notification est considérée comme


valable

Dans les affaires OCDH et Kom Ambroise, les requérants ont argué que
l’Administration n’a pas cru devoir leur notifier l’acte querellé alors que la publicité a
pour effet de porter la décision à la connaissance des intéressés, de faire courir les
délais de recours et de rendre l’acte opposable. Citant un arrêt du CE en date du 2
mai 1945, Beauvallet, le juge a réfuté cet moyen en affirmant que « la notification est
considérée comme valable lorsque l’intéressé en a simplement entendu la lecture ».

2052
Ibid.
2053
CE, Sect., 19 décembre 1952, Demoiselle Mattei.
2054
CE, 22 mars 1907, Dame des Planches, Rec. p. 293 ; S. 1910, III, 33, note Hauriou ; CE, 19 janvier 1973,
Ministre de l’Education Nationale contre Battais et autres.
2055
G. Dupuis, M -J. Guédon et P. Chrétien, op. cit., p. 633.

496
Dans l’affaire OCDH, en particulier, il fait observer « qu’il ressort de l’aveu même de
la requérante qu’elle a entendu lecture de l’arrêté querellé par la voie des ondes ».
Ce faisant, il admet qu’ en plus du fait que la notification doit consister « en la remise
à l’intéressé d’une copie de l’acte »2056, elle peut aussi être faite par voie de radio.
Une telle possibilité doit cependant être regardée comme une exception au principe.
D’abord, parce que l’intéressé peut ne pas être à l’écoute de la radio au moment où
l’acte est lu, et si tel est le cas, l’acte ne saurait lui être opposable. Ensuite, il faudra
rapporter la preuve que la lecture de l’acte a été entendu à la radio. Une telle
modalité ne peut être appliquée que si l’acte est favorable à l’intéressé. D’ailleurs,
alors même qu’il avait énoncé cette modalité de notification, le juge n’a pas cru
devoir l’appliquer dans les espèces analysées, car s’il l’avait fait, les requérants
auraient été déclarés forclos. Aussi, a-t-il procédé à la détermination de la date à
laquelle ils avaient effectivement reçu notification de l’acte de dissolution contesté.

2. La détermination de la date de notification de l’acte de dissolution

L’article 13 alinéa 3 §2 de la loi n° 90/053 portan t sur la liberté d’association


dispose que le recours contre les actes de suspension ou de dissolution
d’association « doit intervenir dans un délai de dix (10) jours à compter de la
notification à personne ou à domicile ». Il en résulte que la notification de l’acte de
dissolution ne peut pas se faire par voie de presse écrite ou parlée . Elle doit
consister en la remise de l’acte à l’intéressé personnellement ou à son domicile ; faite
autrement, elle serait, au regard de la loi, irrégulière ; en conséquence, les délais de
recours ne sauraient courir.

C’est pour cette raison que dans les affaires OCDH et Kom Ambroise, le juge
a été amené à déterminer la date à laquelle les intéressés avaient reçu notification
de l’acte querellé. Ainsi, dans l’affaire OCDH, bien qu’il ait déclaré qu’il ressort de
l’aveu même de la requérante qu’elle a entendu lecture de l’arrêté querellé par voie
des ondes, il a tenu à préciser ce qui suit : « Attendu qu’effectivement l’ OCDH a eu
par ailleurs notification de l’arrêté attaqué le 16 août 1991, date prise en
considération par la présente ordonnance comme point de départ du délai de recours
contre ledit arrêté ». Il faut cependant indiquer qu’il ressort de la relation des faits par

2056
M. Hauriou, op. cit., p. 430.

497
la requérante que c’est à cause de ses multiples démarches auprès de
l’Administration qu’elle a pu avoir copie de l’acte querellé à la date retenue par le
juge. Dans l’affaire Kom Ambroise, il a indiqué que le requérant a reçu notification à
personne de l’arrêté querellé le 28 août 1991, date qu’il a pris en compte comme
point de départ du délai de son recours.

Il résulte de ce qui précède que non seulement la notification a été faite, mais
qu’en plus, elle a été régulière. La jurisprudence ainsi formulée par le juge dans ces
affaires a été confirmée dans des décisions ultérieures. Pour le juge, en effet, la date
de la notification est celle à laquelle l’intéressé a reçu copie de l’acte. Si cette date
n’est pas connue ou donnée avec précisions par les différentes parties, le juge
considère, pour la computation des délais de recours, comme date de notification
celle à laquelle une copie de l’acte a été signée et certifiée conforme2057.

En définitive, pour le juge administratif camerounais, la notification doit


consister en « la remise à l’intéressé de la copie " in extenso" de la pièce à notifier ou
tout au moins d’un écrit contenant tous les éléments nécessaires pour lui permettre
de se faire un compte exact de la mesure prise à son égard ainsi que les motifs pour
lesquels elle a été prise »2058.

Si l’acte administratif n’est opposable aux tiers qu’à partir du moment où il a


été porté à leur connaissance par le procédé de la publicité, il n’y a violation du
principe de la non rétroactivité des administratifs que si ses effets courent à compter
de sa signature. Le juge l’a dit dans l’affaire Kom Ambroise pour réfuter le moyen
allégué de la violation de ce principe par l’acte de dissolution.

B. LA REFUTATION DE LA VIOLATION DU PRINCIPE DE LA NON


RETROACTIVITE DES ACTES ADMINITRATIFS

Le principe de la non rétroactivité des actes administratifs unilatéraux pose le


problème de leurs effets dans le temps. Le problème est de savoir à partir de quel
moment un acte administratif unilatéral prend effet2059.

2057
CE/ CA, jugement n° 30/93-94 du 31 mars 1994, affaire Tchouankeu Joseph contre Etat du Cameroun.
2058
CCA, arrêt n° 636 du 10 août 1957, Njock Jean contre Administration Territoriale. Dans le même sens,
CS/AP, arrêt n° 01 /A du 11 décembre 1997, Procureur Général près la Cour Suprême contre Eba Emmanuel.
2059
G. Vedel et P. Delvolvé, T1 op. cit., p. 303.

498
Si l’Administration peut retarder l’entrée en vigueur d’un acte en indiquant
expressément que son application prendra effet à une date postérieure à sa
publication où à sa notification, elle ne peut, par contre, prévoir que cet acte
commencera à prendre effet à une date antérieure à son édiction. Tel peut être saisi
le principe de la non rétroactivité des actes administratifs unilatéraux qui naguère
rattaché à l’article 2 du Code Civil, a été consacré par les juges administratifs
français2060 et camerounais2061 comme un principe général du droit.

Pour le Doyen G. Vedel, cette règle « relève (…) de la simple logique


juridique », car, « les effets ne peuvent être antérieurs à l’acte qui est leur
cause »2062.

Dans l’affaire Kom Ambroise, la partie requérante reprochait, justement, à


l’Administration d’avoir violé ce principe en indiquant dans l’arrêté portant dissolution
de son association qu’il prend effet à compter de sa signature. Mais, il s’agit d’une
conception erronée dudit principe, que le juge a, à juste titre, rejetée, car elle ne
correspond pas au droit positif jurisprudentiel en la matière.

Pour le requérant, en faisant rétroagir la décision querellée à la date de sa


signature au lieu de lui reconnaître un effet exécutoire à partir de la date de la
notification, l’Administration avait violé le principe de la non rétroactivité. L’intéressé
a pensé que la décision querellée ne devrait produire ses effets qu’à compter de la
date à laquelle elle a été portée à sa connaissance et non à compter du jour où elle a
été signée. Une telle lecture du principe de la non rétroactivité n’est pas exacte. En
effet, c’est la signature de l’acte qui consacre son entrée dans l’ordre juridique et
permet d’apprécier sa validité. Aussi, un acte qui prend effet à compter de sa
signature ne viole pas le principe de la non rétroactivité. Ne violent ce principe que
« les actes qui ont assigné leur effet à une date antérieure à celle de leur émission,
c’est-à-dire à celle de leur signature par l’autorité qui les a pris ou tout en étant
postérieure à leur signature, était cependant antérieure à leur publication ou à leur
notification »2063. Dans l’espèce Kom Ambroise, le juge camerounais ne dit pas autre
chose lorsqu’il affirme « qu’il y a rétroactivité lorsqu’un acte administratif doit

2060
V . CE, 2 mai 1947, Devouge, S. 1948 ; 3.8 ; CE, 25 juin 1948, Société du Journal l’Aurore, S. 1948, 2. 69,
concl. Letourneur, D., 1948. J. 437, note Waline ; JCP, 1948. 2. 4427, note Mestre.
2061
CFJ /CAY, 29 mars 1969, sieur Emini Tina Etienne contre Etat du Cameroun.
2062
G. Vedel et Delvolvé, T1, op. cit., p. 303.
2063
Olivier Dupeyroux, La règle de la non rétroactivité des actes administratifs, thèse, Paris, LGDJ, 1953, p. 50,
cité par C. Yannakopoulos, op. cit., p. 158.

499
s’appliquer à des faits ou des actes antérieurs à la date à laquelle cet acte est
devenu opposable aux tiers par l’accomplissement des formalités de publicité
requises » . C’est pourquoi il réfute le moyen de violation allégué par le requérant :
« Attendu que le fait qu’un acte administratif dispose qu’il prend effet à compter de la
date de signature ne viole pas le principe de la non rétroactivité lorsqu’il n’est pas
établi ni évoqué que son application a violé les formalités de publicité à savoir la
notification, celle-ci étant par ailleurs considérée comme valable lorsque l’intéressé
en a simplement entendu lecture ». Comme l’écrit J-F Brisson, « la volonté d’assurer
la sécurité des rapports juridiques entre l’administration et les administrés apparaît à
l’évidence comme le fondement principal de ce principe »2064. En effet, il serait
« illogique et inéquitable »2065 d’exiger des administrés qu’ils agissent avant la règle
en fonction de ce qui ne peut exister que par elle2066. A partir du moment où « la
fonction du droit est d’assurer la sécurité, la stabilité des situations juridiques », elle
« serait méconnue si l’on appliquait une règle juridique à des actes ou à des
agissements intervenus à une époque où l’on ne connaissait pas l’existence de cette
règle »2067.

Comme beaucoup de principes, celui de la non rétroactivité des actes


administratifs comporte quelques exceptions. Ainsi, la rétroactivité n’est pas toujours
condamnée par le droit positif2068. L’autorité administrative peut y déroger si elle y
est autorisée expressément par la loi. L’administration dispose aussi du pouvoir
d’annuler elle-même ses décisions en décidant leur retrait ; elle peut aussi prendre
des mesures rétroactives pour tirer les conséquences d’une annulation pour excès
de pouvoir. La rétroactivité est également admise pour des actes nécessaires au
règlement d’une situation née antérieurement à leur adoption. Par contre, « dès lors
que l’Administration fait usage de son pouvoir de réformation, le principe de non
rétroactivité reprend tout sa valeur »2069.

2064
J-F. Brisson, op. cit. p. 295.
2065
J. Puisoye, « L’application du principe de non rétroactivité des actes administratifs », S., 1961, I, p. 45.
2066
CE, 30 Janvier 1959, Metge, Rec. p. 89 : « L’autorité administrative ne saurait sans porter atteinte au
principe de non rétroactivité des actes administratifs, fixer le point de départ d’un délai à une date antérieure à
celle de l’entrée en vigueur du texte instituant le dit délai ».
2067
M. Rougevin-Baville, R. Denoix de Saint Marc et D. Labetoulle, Leçons de droit administratif, Paris,
Hachette, 1989, p. 114.
2068
Pour un développement exhaustif sur les limites au principe de la non rétroactivité des actes administratifs, voir. J.
Carbajo, L’application dans le temps des décisions administratives exécutoires, thèse, Paris, LGDJ, pp. 73-103.
2069
M. Rougevin-Baville et autres, op. cit., p. 296.

500
Il se dégage de ce qui précède que l’acte portant dissolution d’associations
édicté par le Ministre de l’Administration territoriale n’était pas un acte rétroactif .Sur
ce point, sa validité ne pouvait et ne peut être contestée.

CONCLUSION DU TITRE II ET DE LA SECONDE PARTIE

Au terme de cette réflexion sur les mesures édictées par le juge administratif
camerounais en matière électorale, en matière de légalisation de partis politiques et
de dissolution d’associations, il y a lieu de se rendre compte que le fait pour le
législateur d’avoir prévu des dispositions spéciales pour le règlement desdites
affaires n’implique pas forcément que le juge est tenu de prendre des mesures
d’urgence définitives au profit des requérants. L’analyse menée a montré que la prise
en compte de l’urgence dans l’édiction des décisions par le juge est essentiellement
contingente en particulier en matière électorale et en matière de légalisation des
partis politiques. En matière de dissolution des associations, l’urgence dans la
prescription des mesures est méconnue totalement par le juge. Il est vrai qu’en cette
matière, les décisions rendues jusque-là sont peu nombreuses. Ceci justifie peut-être
cela. Dans cette matière comme dans les autres, toute analyse est essentiellement
provisoire ; il en est de même des conclusions que l’on peut en tirer. La raison en est
que la matière juridique en général et contentieuse en particulier est essentiellement
mouvante, fluctuante et évolutive. Cette réserve faite, il y a lieu de dire que la prise
en compte contingente de l’urgence par le juge administratif camerounais affecte
dans toutes ses composantes la situation contentieuse tant dans les matières
accessoires que dans les matières spéciales.

501
CONCLUSION GENERALE

502
Au terme de ce travail, il se dégage et se confirme que l’urgence est prise en
compte de façon contingente par le juge administratif camerounais dans les
contentieux accessoires et spéciaux. Le temps du juge n’est pas le temps du
justiciable. Les solutions apportées par lui ne sont pas toujours celles auxquelles
s’attend le requérant. Cette considération au coup par coup de l’urgence affecte la
procédure contentieuse et a des effets sur la situation contentieuse. Ce faisant, elle
constitue une cause majeure des rythmes insatisfaisants de la justice administrative
au Cameroun.

A. LA PRISE EN COMPTE CONTINGENTE DE L’URGENCE, CAUSE


MAJEURE DES RYTHMES INSASTIFAISANTS DE LA JUSTICE
ADMINISTRATIVE AU CAMEROUN

La prise en compte contingente de l’urgence par le juge administratif


camerounais se manifeste dans la procédure en ce que l’application des procédures
accessoires et spéciales ne se fait pas de façon accélérée et n’est pas suffisamment
allégée au regard de l’urgence des affaires que le juge doit examiner.

En ce qui concerne, d’abord, l’application des procédures accessoires, le


contrôle de la recevabilité des demandes de sursis et de référé est fluctuant. Il en
est ainsi du contrôle de la recevabilité interne et du contrôle de la recevabilité
externe. De même, l’instance dans laquelle ces demandes sont examinées est très
instable ; qu’il s’agisse de l’instance initiale ou de l’instance dérivée. L’instance
initiale est instable du fait, d’une part, de la fluctuation de son cadre formel tant en ce
qui concerne l’instruction que le jugement des demandes, et, d’autre part, de
l’élasticité de son cadre temporel. Cette élasticité remet en cause l’urgence qui
fonde et caractérise le sursis et le référé. Quant à l’instance dérivée, son instabilité
est liée au fait qu’en l’absence de texte la régissant, le juge apprécie
discrétionnairement les recours en rétractation sur les plans formel temporel, et de
façon contingente le recours en appel, d’où une certaine au tendance au déni de
justice.

S’agissant, ensuite, de l’application des procédures spéciales, il en résulte que


l’examen de la recevabilité des demandes est également fluctuante tant sur le plan
interne que sur le plan externe. En effet, le juge décide souverainement de rejeter ou

503
de recevoir telle ou telle demande, indépendamment de toute considération
d’urgence. L’instance contentieuse, quant à elle, est alourdie en ce que, d’une part,
le cadre formel connaît un allégement limité aussi bien au niveau de l’instruction qu’à
celui du jugement des demandes, et que, d’autre part, le cadre temporel s’étire au-
de-là de la limitation textuelle et s’allonge au niveau de l’examen des voies de
recours. Il en est ainsi en matière électorale et dans les autres matières.

La prise en compte contingente de l’urgence a des effets sur la situation


contentieuse en ce qu’elle aboutit d’une part, à l’édiction parcimonieuse des mesures
d’urgence provisoires, que sont le sursis et le référé, et, d’autre part, à l’édiction
limitative des mesures d’urgence définitives, tant en matière électorale qu’en matière
de légalisation des partis politiques et de dissolution des associations. En effet ,
l’octroi du sursis et du référé n’est ni récurent ni automatique. En ce qui concerne le
sursis à exécution des décisions administratives, il est prononcé de façon
discriminatoire. La raison en est que les conditions prescrites par la loi sont
diversement appréciées par le juge ; par ailleurs, il est soumis par le juge à des
conditions particulières qui en restreignent l’édiction. Quant au référé administratif, il
est ordonné de façon exceptionnelle compte tenu du fait que la prise en compte de
ses conditions d’octroi par le juge est fonction de chaque espèce et qu’il appréhende
plus ou moins strictement les conditions positives et prend en compte de façon
indécise les conditions négatives, pour édicter les mesures utiles à la préservation
des droits des requérants, dans l’attente du jugement au fond.

Par, ailleurs, la prescription des mesures d’urgence définitives est faite


limitativement tant en matière électorale que dans les autres matières que sont le
contentieux de la légalisation des partis politiques et le contentieux de la dissolution
des associations. En matière électorale, les mesures d’urgence sont ordonnées
limitativement aussi bien au niveau du contentieux des opérations préparatoires à
l’élection qu’au niveau du contentieux des opérations liées à l’élection. Dans les
autres matières, cette limitation dans la prescription des mesures d’urgence
sollicitées par les requérants est liée au fait que le juge admet sélectivement la
validité des contestations portant sur le refus de légalisation des partis politiques et
méconnaît systématiquement la justesse des contestations concernant la dissolution
des associations.

504
Il se dégage de ce qui précède la nécessité de prendre en compte l’urgence
de façon permanente, car elle est un gage certain d’une meilleure administration de
la justice administrative au Cameroun.

B. LA PRISE EN COMPTE PERMANENTE DE L’URGENCE, GAGE


CERTAIN D’UNE MEILLEURE ADMINISTRATION DE LA JUSTICE
ADMINISTRATIVE AU CAMEROUN

« Si l’heure n’est sans doute plus à une révolution prétorienne de la justice


administrative »2070, les inconvénients générés par la prise en compte contingente de
l’urgence « sont à prendre en compte comme facteurs déterminants » pour
l’amélioration « de la juridiction administrative »2071. Ceci devrait se traduire par la
prééminence à accorder à l’urgence, gage certain d’une meilleure administration de
la justice administrative.

Pour ce faire, il y a des conditions de possibilité qui doivent être remplies.


Certaines sont spécifiques, d’autres sont générales.

Les conditions spécifiques de possibilité d’une meilleure administration de la


justice administrative sont au nombre de cinq. D’abord, il est nécessaire de fixer des
délais de jugement dans les procédures de sursis et de référé pour éviter leur
extension excessive. Ensuite, il faut que la priorité soit accordée par le juge au
règlement des affaires urgentes par détermination textuelle ou par nature ; que les
délais prescrits par les textes pour statuer soient respectés, et que des sanctions
soient instituées et appliquées en cas de dépassement de délais par le juge.

Par ailleurs, il est nécessaire et urgent de renforcer les effectifs des


magistrats, greffiers et agents du secrétariat en service dans la juridiction
administrative, et d’assurer leur perfectionnement et recyclage permanents.

Il est également nécessaire d’accroître les moyens matériels de la justice


administrative en mettant un accent particulier sur l’informatisation des services.

Tout ceci ne serait pas suffisant ou n’aurait pas d’effet réel s’il ne s’instaure
et ne se développe au sein de cette juridiction une véritable « culture de l’urgence ».

2070
Laurent Cohen-Tanugui, « L’avenir de la justice administrative », Pouvoirs n°46, 1988, p.20.
2071
Y. Gaudemet, « L’ avenir de la juridiction administrative », Gaz. Pal., 1979, p.512.

505
En plus des conditions spécifiques de possibilité, il faut également des
conditions généraux de possibilité soit remplies pour une justice efficiente et
efficace.

D’abord, il est nécessaire d’instituer une véritable juridiction administrative tant


sur les plan organique, territorial et fonctionnel, pour mieux assurer son efficacité.
Ceci suppose la modernisation et l’harmonisation des textes qui régissent tant son
organisation, son fonctionnement, que ses attributions et sa saisine. Aussi,
l’élaboration d’un Code de la Justice Administrative doit être envisagée dans une
échéance raisonnable.

C’est à ces conditions que l’urgence pourra avoir droit de cité dans l’activité
juridictionnelle du juge administratif camerounais. Car, comme le disait le sage
Solon, « il ne saurait y avoir de vent favorable pour celui qui ne sait où il va ».

506
BIBLIOGRAPHIE

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NLEP (Roger Gabriel), Note sur CS/CA, jugement n°12 du 28 janvier 1982, affaire
dame BINAN née NGO NJOM Fidèle c/ Etat du Cameroun,
Penant, 1986, pp.347-360.

RIGAUD (Jacques), Note sous CE, 28 mai 1965, Ep. ERBLAND et autres, AJDA.II.,
pp.380-381.

ROUGEVIN- BAVILLE (Michel), Conclusions sur CE, Section, 25 janvier 1980, Soc.
des Terrassements mécaniques (SOTEM) et Mariani , AJDA,
1980, pp.615- 617.

525
PACTEAU (Bernard), Note sous CE, Ass., 11 juin 1976, Moussa KONE, D., 1977.I.,
pp.38-41.

TCHINDJI (Pierre-Paul), Note sur ordonnance n°9/OSE /PCA/CS/85-86 du 26 mai


1986, affaire Journal « Le Messager » c/ Etat du Cameroun,
Penant n°803, 1990, pp.331-340.

V. TEXTES JURIDIQUES ET RECUEILS DE TEXTES

A- TEXTES JURIDIQUES INTERNATIONAUX

- La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948

- Le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques de 1966.

- La Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de Juin 1981.

B- TEXTES JURIDIQUES NATIONAUX

1. Textes juridiques camerounais

a. Constitution et lois

Loi n°96/06 du 18 Janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin 1972

Loi n°69-LF-19 du 12 juin 1967 sur la liberté d’ass ociation

Loi n°69/LF/du 14 juin 1969 fixant l’organisation e t le fonctionnement de la Cour


Fédérale de Justice

Ordonnance n°72/06 du 26 Août 1972 fixant l’organis ation de la Cour Suprême


(modifiée par la loi n°76/28 du 14 décembre 1976).

Loi n°74/23 du 5 décembre 1974 portant organisation communale (modifiée et


complétée par la loi n°92/003 du 14 août 1992).

Loi n°75/17 du 8 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour Suprême


statuant en matière administrative.

Loi n°90/052 du 19 décembre 1990 relative à la libe rté de la communication sociale


(modifiée par la loi n°96/04 du 04 janvier 1996).

Loi n°90/053 du 19 décembre 1990 portant sur la lib erté d’association (modifiée et
complétée par la loi n°99/011 du 20 juillet 1999).

Loi n°90/056 du 19 décembre 1990 relative aux parti s politiques.

526
Loi n°91/020 du 16 décembre 1991 fixant les conditi ons d’élection des députés à
l’Assemblée Nationale (modifiée et complétée par la loi n°97/013
du19 mars 1997).

Loi n°92/002 du 14 août 1992 fixant les conditions d’élection des conseillers
municipaux.

Loi n°97/012 du 10 janvier 1997 fixant les conditio ns d’entrée, de séjour et de sortie
des étrangers au Cameroun.

Loi n°99/014 du 22 décembre 1999 régissant les Orga nisations Non


Gouvernementales.

b. Règlements

Décret n°78/525 du 12 décembre 1978 portant statut de la Chambre d’Agriculture de


l’Elevage et des Forets du Cameroun (modifiée et complétée par
le décret n°84/004 du 10 janvier 1984).

Décret n°86/231 du 13 mars 1986 portant statut de l a Chambre de Commerce,


d’Industrie et des Mines.

Décret n°2001/380du 27 novembre 2001 portant change ment de dénomination et


réorganisation de la Chambre de Commerce, de l’Industrie et
des Mines.

Décret n°2001/381 du 27 novembre 2001 fixant les co nditions d’élection des membre
de la Chambre de Commerce, d’Industrie, des Mines et de
l’Artisanat du Cameroun.

Arrêté n°CF149/MINDIC/CAB du 6 septembre 2002 porta nt publication des listes


électorales en vue de l’élection des membres de la commission
électorale de Chambre de Commerce, de l’Industrie, des Mines
et de l’Artisanat.

Décision n°074MINDIC/CAB du 12 décembre 2002 fixant les modalités du


déroulement des élections des membres de la Chambre de
Commerce, de l’Industrie, des Mines et de l’Artisanat du
Cameroun.

2. Textes juridiques de quelques pays africains et de la France

a. Gabon

Loi n°7/94 du 16 septembre 1994 portant organisatio n de la Justice.

Loi organique n°10/94 du 17 septembre 1994 fixant l ’organisation, la composition, la


compétence et le fonctionnement de la Cour Administrative.

527
b. Centrafrique

Loi n°96. 006 portant organisation et fonctionnemen t des tribunaux administratifs.

c. France

Loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions


administratives (JORF du 1er juillet 2000, p.9948).

Décret n°2000-1115 du 22 novembre 2000 pris pour ap plication de la loi n°2000-597


du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions
administratives et modifiant le Code de Justice administrative
(JORF du 23 novembre 2000, p.18611).

VI. AUTRES DOCUMENTS

Le Figaro n°18295 du 4 juin 2003, p 19 (Interview de Mireille DELMAS- MARTY).


Journal Le Messager n°1411 du 9 septembre 2002, p.3 .
Journal Mutations n°746 du 19 septembre 2002, p.15.
Journal La Nouvelle Expression n°325 du 16 juillet 1996, p.2.
Journal Expression n°145 du 11 juillet 1997, p.11.
KAMDEM (Jean-Claude), Cours polycopié de contentieux administratif, Université de
Yaoundé, Fac. de Droit et des Sciences Economiques,
1988/1989.

528
ANNEXES

530
531
532
533
534
535
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582
583
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ANNEXE 9
Contentieux électoral municipal de 1996
(quelques jugements rendus par la Chambre
administrative de la Cour suprême)

585
586
587
588
TABLE DES MATIERES

589
DEDICACE ........................................................................................................... i
REMERCIEMENTS .............................................................................................. ii
LISTE DES ABREVIATIONS ET SIGLES ........................................................... iii
SOMMAIRE .......................................................................................................... iv
INTRODUCTION GENERALE ............................................................................. 1
I. IDENTIFICATION DU JUGE ADMINISTRATIF CAMEROUNAIS .................... 3
A- UN ORGANE COLLEGIAL OU PLURIPERSONNEL....................................... 4
1- L’inexistence d’un juge administratif organiquement
autonome.......................................................................................................... 4
2- L’existence au sein de la Cour suprême de deux formations
officiant comme juge administratif .................................................................... 6
a. La Chambre administrative, juge administratif de
Premier ressort ................................................................................................. 7
b. L’Assemblée plénière, juge administratif d’appel .............................................. 7
B. UN ORGANE UNIQUE OU UNIPERSONNEL ................................................. 9
1. L’institution du juge unique dans les contentieux accessoires .......................... 10
2. L’institution du juge unique dans certains contentieux spéciaux....................... 11
II. DETERMINATION DE LA NOTION D’URGENCE ........................................... 13
A. UNE NOTION FONCTIONNELLE ET POLYSEMIQUE .................................. 14
1.L’appréhension de la notion d’urgence à partir de ses effets............................. 16
2. L’appréhension de la notion d’urgence par rapport à une situation de fait........ 17
B. UNE NOTION PROTEIFORME ....................................................................... 19
1. Le critère matériel de détermination des formes d’urgence .............................. 19
2. Le critère formel de détermination des formes d’urgence ................................. 20
3. Le critère finaliste de détermination des formes d’urgence............................... 20
III. LA PLACE DE L’URGENCE DANS LE TRAITEMENT DES CONTENTIEUX
ACCESSOIRES ET SPECIAUX PAR LE JUGE ADMINISTRATIF
CAMEROUNAIS : L’APPREHENSION DU PROBLEME ........................................ 21
A. LA MECONNAISSANCE DE L’URGENCE PAR LE JUGE ADMINISTRATIF
CAMEROUNAIS DANS LE TRAITEMENT DES LITIGES ADMINISTRATIFS
EN GENERAL............................................................................................................... 22
1. Les manifestations de la méconnaissance de l’urgence ................................... 24
2. Les facteurs explicatifs de la méconnaissance de l’urgence ............................ 25
B. L’INSTITUTION DE PROCEDURES CONTENTIEUSES D’URGENCE ......... 28

590
1. Les procédures d’urgence accessoires ............................................................ 29
a. La procédure du sursis à exécution…………………………………..…………….29
b. La procédure de référé administratif……………………………….………………..31
2. Les procédures d’urgence spéciales.. .............................................................. .33
a. Les procédures d’urgence instituées en matière électorale .............................. .33
α. Les procédures d’urgence instituées en matière de contentieux électoral
municipal ......................................................................................................... 34
β. Les procédures d’urgence instituées en matière de contentieux électoral
au sein des Chambres consulaires ................................................................... 35
b. Les procédures d’urgence instituées dans les autres matières ........................ 39

C. LA PRISE EN COMPTE CONTINGENTE DE L’URGENCE DANS


LE REGLEMENT DES CONTENTIEUX ACCESSOIRES ET SPECIAUX
PAR LE JUGE ADMINISTRATIF ................................................................... 42
1. La détermination des données méthodologiques permettant d’établir la prise
en compte contingente de l’urgence dans les contentieux accessoires et
spéciaux ........................................................................................................... 42

a. Les techniques utilisées.................................................................................... 42


b. Les approches adoptées .................................................................................. 44
2. L’effectivité de la prise en compte contingente de l’urgence dans
les contentieux accessoires et spéciaux ........................................................... 44
PREMIERE PARTIE : LES MANIFESTATIONS DE LA PRISE EN COMPTE
CONTINGENTE DE L’URGENCE DANS LA
PROCEDURE CONTENTIEUSE ...................................... 46
TITRE I : LA PRISE EN COMPTE CONTINGENTE DE L’URGENCE
DANS L’APPLICATION DES PROCEDURES
CONTENTIEUSES ACCESSOIRES ..................................................... 50
CHAPITRE I : LA FLUCTUATION DU CONTROLE DE LA RECEVABILITE
DES DEMANDES ANNEXES ......................................................... 52
SECTION I : L’APPRECIATION DE LA RECEVABILITE EXTERNE
DES DEMANDES ANNEXES ......................................................... 54
PARAGRAPHE I : LA DETERMINATION DE LA QUALITE POUR AGIR .......... 54
A. LA RECONNAISSANCE DE LA QUALITE DU FAIT
DE L’EXISTENCE D’UN INTERET A AGIR.................................................... 56

591
1. La détermination de l’intérêt à agir ................................................................... 56
2. Le détournement de la notion de qualité pour agir au nom d’une personne
morale............................................................................................................... 58
B. LA MECONNAISSANCE DE LA QUALITE POUR AGIR POUR DEFAUT
DE DROITS A PRESERVER............................................................................ 60
1. L’application implicite de la règle "nemo auditur Propriam turpitudinem
allegans" ........................................................................................................... 61
2. La détermination des conditions de détention de la qualité pour agir ............... 62
PARAGRAPHE II : L’OBLIGATION DE PRODUIRE LA DECISION
LITIGIEUSE .......................................................................... 64
A. L’OBLIGATION DE PRODUIRE LA DECISION LITIGIEUSE EN MATIERE
DE SURSIS A EXECUTION ............................................................................. 65
1. L’application de l’obligation en matière de saisie de journaux .......................... 66
2. L’application de l’obligation en matière de recouvrement fiscal ........................ 67
B. L’OBLIGATION DE PRODUIRE LA DECISION LITIGIEUSE EN MATIERE
DE REFERE ..................................................................................................... 68
1. La formulation de l’obligation en matière domaniale ......................................... 69
2. La formulation de l’obligation en matière de clôture des inscriptions sur
les listes électorales.......................................................................................... 70
PARAGRAPHE III : LA JUSTIFICATION DE L’INTRODUCTION D’UN
RECOURS GRACIEUX ....................................................... 71
A. L’APPREHENSION FLUCTUANTE DE LA NECESSITE D’INTRODUIRE
UN RECOURS GRACIEUX .............................................................................. 74
1. L’appréhension de la nécessité d’introduire le recours gracieux en matière
de sursis ........................................................................................................... 75
2. L’appréhension de la nécessité d’introduire un recours gracieux en matière
de référé ........................................................................................................... 78
B. L’APPREHENSION RIGOUREUSE DE L’OBLIGATION D’INTRODUIRE
LE RECOURS GRACIEUX AUPRES DE L’AUTORITE COMPETENTE ......... 81
PARAGRAPHE IV : L’OBLIGATION D’INTRODUIRE UNE DEMANDE
PRINCIPALE ....................................................................... 84
A. UNE CONCEPTION AMBIGUË DE L’OBLIGATION D’INTRODUIRE UNE
DEMANDE PRINCIPALE EN MATIERE DE SURSIS A EXECUTION ............ 84
1. La considération de l’introduction du recours principal comme condition de

592
recevabilité de la demande de sursis ............................................................... 86
a. Le rejet de l’idée d’une demande de sursis introduite avant la demande
principale .......................................................................................................... 86
b. La minoration du recours gracieux comme condition de recevabilité de
la demande de sursis........................................................................................ 91
2. La méconnaissance de l’obligation d’introduire le recours principal comme
condition de recevabilité de la demande de sursis ........................................... 92
a. L’incompatibilité entre l’exigence du recours contentieux et la procédure
de sursis à exécution ........................................................................................ 92
b. La dévalorisation du recours contentieux au profit du recours gracieux ........... 93
B. UNE CONCEPTION RIGIDE DE L’OBLIGATION D’INTRODUIRE
UN RECOURS PRINCIPAL EN MATIERE DE REFERE ADMINISTRATIF .... 95
SECTION II : L’APPRECIATION DE LA RECEVABILITE INTERNE DES
DEMANDES ANNEXES ................................................................. 98
PARAGRAPHE I : LA COMPETENCE DU JUGE ADMINISTRATIF
DE L’URGENCE ..................................................................... 98
A. LA LIMITATION DE LA COMPETENCE DU JUGE DU SURSIS
A EXECUTION ................................................................................................. 98
1. La consécration de la limitation de la compétence du juge du sursis ............... 99
a. Le refus de connaître des demandes sollicitant la suspension de l’exécution
des décisions rendues par des tribunaux de l’ordre judiciaire .......................... 99
b. Le refus de connaître des demandes sollicitant la suspension de l’exécution
des actes portant désignation des chefs traditionnels ...................................... 100
2. La relativisation de la limitation de la compétence du juge du sursis ................ 101
B. LA LIMITATION DE LA COMPETENCE DU JUGE DE REFERE
ADMINISTRATIF .............................................................................................. 102
1. La limitation liée à la nature des actes mis en cause ........................................ 103
2. La limitation liée à la nature du litige ................................................................. 105
PARAGRAPHE II : LA SUBORDINATION DE LA RECEVABILITE
DE LA DEMANDE ANNEXE A LA RECEVABILITE
DE LA DEMANDE PRINCIPALE ........................................ 107
A. L’EXIGENCE DE LA SUBORDINATION EN MATIERE DE SURSIS A
EXECUTION..................................................................................................... 108
B. L’ATTENUATION DE LA SUBORDINATION EN MATIERE DE SURSIS A

593
EXECUTION..................................................................................................... 109
PARAGRAPHE III : L’EXIGENCE QU’IL N’ Y AIT PAS MATIERE A NON LIEU ...... 111
A. LE REJET SYSTEMATIQUE DES DEMANDES ANNEXES POUR DEFAUT
D’OBJET........................................................................................................... 111
1. Le cas de changement de circonstance ........................................................... 111
2. Le cas de la décision déjà exécutée ................................................................. 112
B. LES EFFETS PERVERS DE L’EXIGENCE QU’IL N’ Y AIT PAS MATIERE
A NON LIEU ..................................................................................................... 114
CHAPITRE II : L’INSTABILITE DE L’INSTANCE CONTENTIEUSE
ACCESSOIRE ............................................................................... 117
SECTION I : L’INSTABILITE DE L’INSTANCE ACCESSOIRE INITIALE ............. 119
PARAGRAPHE I : LA FLUCTUATION DU CADRE FORMEL DE
L’INSTANCE ACCESSOIRE INITIALE ................................. 119
A. L’INSTRUCTION DES DEMANDES ANNEXES .............................................. 120
1. L’application à géométrie variable de la contradiction ...................................... 121
a. La suppression de la contradiction ................................................................... 122
α. La suppression explicite de la contradiction ..................................................... 122
β. La suppression non explicitement formulée de la contradiction........................ 123
b. La limitation de la contradiction ........................................................................ 124
2. La communication de la requête au Ministère Public ....................................... 126
a. Une condition de procédure.............................................................................. 127
b. Une portée ambivalente.................................................................................... 127
3. L’examen des incidents de procédure .............................................................. 128
a. L’examen de l’intervention ou le rallongement de l’instruction .......................... 129
b. L’examen du désistement ou le raccourcissement purement formel de
l’instruction........................................................................................................ 131
B. LE JUGEMENT DES DEMANDES ANNEXES ................................................ 133
1. La relative homogénéité du jugement en matière de sursis.............................. 134
2. L’hétérogénéité du jugement en matière de référé administratif ....................... 135
a. L’ambivalence des modalités de jugement ....................................................... 135
b. L’édiction protéiforme de l’ordonnance de référé.............................................. 137
PARAGRAPHE 2 : L’ELASTICITE DU CADRE TEMPOREL DE
L’INSTANCE ACCESSOIRE INITIALE ................................ 138

594
A. L’ELASTICITE DU CADRE TEMPOREL DE L’INSTANCE DUSURSIS
A EXECUTION ................................................................................................. 138
B. L’ELASTICITE DU CADRE TEMPOREL DE L’INSTANCE DE REFERE ........ 140
SECTION II : L’INSTABILITE DE L’INSTANCE ACCESSOIRE DERIVEE......... 142
PARAGRAPHE 1 : L’APPRECIATION DISCRETIONNAIRE DES
VOIES DE RECOURS EN RETRACTATION ....................... 144
A. LA FLUCTUATION DE L’EXAMEN DES RECOURS EN RETRACTATION ... 144
1. L’appréciation des recours en opposition ......................................................... 144
2. L’appréciation des recours en tierce opposition................................................ 146
a. L’appréciation de la tierce opposition en matière de sursis à l’exécution.......... 147
b. L’appréciation de la tierce opposition en matière de référé .............................. 153
3. L’appréciation des recours en révision ............................................................. 154
B. LA VARIATION ET L’EXTENSION DE LA DUREE D’EXAMEN DES
RECOURS EN RETRACTATION ..................................................................... 156
1. La variation récurrente de la durée d’examen des recours en
rétractation en matière de sursis ...................................................................... 157
2. L’extension excessive de la durée d’examen des recours en
rétractation en matière de référé ...................................................................... 158
PARAGRAPHE 2 : L’APPRECIATION CONTINGENTE DE L’APPEL
PAR L’ASSEMBLEE PLENIERE ......................................... 159
A. L’APPLICATION DES REGLES CLASSIQUES REGISSANT L’APPEL .......... 161
1. La recevabilité de l’appel en matière de sursis et de référé .............................. 161
a. La production du mémoire ampliatif .................................................................. 161
b. Le délai d’appel ................................................................................................ 162
2. L’instruction et le jugement de l’appel en matière de sursis et de référé ......... 163
a. L’instruction de l’appel ...................................................................................... 163
b. Le jugement de l’appel...................................................................................... 164
B. UNE DUREE D’INSTANCE D’APPEL CONSTITUTIVE DE DENI
DE JUSTICE..................................................................................................... 165
1. La durée excessive de l’examen des recours ................................................... 166
2. La récurrence des retards anormaux à statuer ................................................. 167
a. Les retards anormaux à statuer sur les appels en matière de sursis ............... 167
b. Les retards anormaux à statuer sur les appels en matière de référé ............... 168
CONCLUSION DU TITRE I .................................................................................. 169

595
TITRE II : LA PRISE EN COMPTE CONTINGENTE DE L’URGENCE DANS
L’APPLICATION DES PROCEDURES CONTENTIEUSES
SPECIALES ........................................................................................ 171
CHAPITRE I : LA FLUCTUATION DU CONTROLE DE LA RECEVABILITE
DES DEMANDES............................................................................ 173
SECTION I : L’APPRECIATION DE LA RECEVABILITE EXTERNE
DES DEMANDES............................................................................ 174
PARAGRAPHE I : LA DETERMINATION DE LA QUALITE POUR AGIR .......... 174
A. UNE DETERMINATION STRICTE DE LA QUALITE POUR AGIR ................ 176
1. La qualité pour contester les opérations relatives aux élections
des conseillers municipaux ............................................................................... 176
a. La qualité pour contester la régularité des opérations relatives à
l’élection des conseillers municipaux en cas de diffamation ............................. 176
b. La qualité pour solliciter la disqualification d’une liste après la
proclamation des résultats du scrutin ............................................................... 177
2. La qualité pour contester l’élection de l’Exécutif municipal ............................... 178
B. UNE DETERMINATION EXTENSIVE DE LA QUALITE POUR AGIR ............ 179
1. L’attribution législative de la qualité pour agir ................................................... 180
2. L’extension jurisprudentielle de la qualité pour agir .......................................... 180
PARAGRAPHE II : LA VERIFICATION DE LA CONFORMITE DES RECOURS
AUX DELAIS LEGAUX DE SAISINE DU JUGE .......................... 183
A. LA VERIFICATION DU RESPECT DES DELAIS DE RECOURS
CONTENTIEUX EN MATIERE ELECTORALE ................................................ 185
1. Un contrôle furtif du respect des délais de recours en matière
de contentieux électoral municipal.................................................................... 185
2. Un contrôle strict du respect des délais de recours en matière
de contentieux électoral au sein des chambres consulaires ............................. 187
a. La prise en compte de l’indétermination de la date de publication
des listes électorales ........................................................................................ 188
b. La prise en compte de la date de proclamation des résultats des élections ..... 190
B. LA VERIFICATION DU RESPECT DES DELAIS DE RECOURS
CONTENTIEUX DANS LES AUTRES MATIERES .......................................... 191
1. La prise en compte de la date de notification de l’acte ..................................... 192
a. La prise en compte de la notification dans le contentieux de la

596
dissolution des associations ............................................................................. 192
b. La prise en compte de la notification dans le contentieux de la
légalisation des partis politiques ....................................................................... 193
2. La prise en compte du défaut de notification de l’acte ...................................... 195
a. Le problème de la preuve de la notification de l’acte ........................................ 196
b. Le refus de prendre en compte "la théorie de la connaissance acquise".......... 197
PARAGRAPHE III : L’OBLIGATION DE PRODUIRE DES ELEMENTS
ANNEXES DE LA DEMANDE ............................................. 199
A. LA CONSIGNATION D’UNE PROVISION ....................................................... 199
1. L’exigence limitée de la consignation d’une provision en matière électorale .... 200
2. L’exigence limitée de la consignation d’une provision dans des
matières non électorales................................................................................... 201
B. LA PRODUCTION DES PIECES JUSTIFICATIVES DE LA DEMANDE .......... 202
1. L’exigence des pièces justificatives de la demande dans le contentieux
des listes électorales au sein de la Chambre de Commerce ............................ 202
2. L’exigence de pièces justificatives de la demande dans l’affaire UPC
du 17 septembre 1992 ...................................................................................... 204
SECTION II : L’APPRECIATION DE LA RECEVABILITE INTERNE DES
DEMANDES .................................................................................... 205
PARAGRAPHE I : LA DETERMINATION DE LA COMPETENCE DU
JUGE ADMINISTRATIF EN MATIERE DE DISSOLUTION
DES ASSOCIATIONS ............................................................ 205
A. LA CONNAISSANCE DES FAITS REPROCHES AUX ASSOCIATIONS
DISSOUTES ..................................................................................................... 206
1. La consistance de la connaissance des faits reprochés aux associations
dissoutes .......................................................................................................... 206
2. La portée de la connaissance des faits reprochés aux associations dissoutes 208
B. LE REFUS D’APPRECIER L’OPPORTUNITE DE LA DISSOLUTION
DES ASSOCIATIONS ...................................................................................... 209
1. Le refus d’exercer le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation des
faits à la base de la dissolution ......................................................................... 210
2. Le refus d’exercer le contrôle de proportionnalité sur la mesure de
dissolution......................................................................................................... 212

597
PARAGRAPHE II : LA DETERMINATION DE LA COMPETENCE DU JUGE
ADMINISTRATIF EN MATIERE DE CONTENTIEUX
ELECTORAL MUNICIPAL .................................................. 215
A. LE REFUS DE CONNAITRE DES LITIGES PORTANT SUR DES
OPERATIONS ANTERIEURES OU LIEES A L’ELECTION DES
CONSEILLERS MUNICIPAUX ......................................................................... 217
1. Les litiges portant sur des opérations antérieures à l’élection ......................... 217
a. Les litiges portant sur l’électorat ....................................................................... 217
b. Les litiges portant sur les candidatures et le comportement des candidats
ou leurs représentants ...................................................................................... 218
c. Les faits commis lors de la campagne électorale ............................................. 220
2. Les litiges portant sur des opérations liées à l’élection ..................................... 220
a. Les litiges relatifs au déroulement du scrutin .................................................... 221
b. Les litiges portant sur la remise et la falsification des procès-verbaux du
dépouillement du scrutin ....................................................................................... 222
B. LA CONNAISSANCE DES LITIGES PORTANT SUR DES OPERATIONS
ANTERIEURES A L’ELECTION DES CONSEILLERS MUNICIPAUX ............ 224
1. La connaissance des litiges portant sur la régularité des actes pris par
le Préfet dans le cadre des opérations préparatoires aux élections
municipales……………………………………………………………….………….. 225
a. La connaissance des litiges portant sur la régularité de la constitution de
la CCS par le Préfet ......................................................................................... 226
b. La connaissance des litiges portant sur la régularité du refus de candidature
par le Préfet ...................................................................................................... 227
2. La connaissance du contentieux portant sur le refus implicite de la CCS
de statuer sur les contestations de candidature ............................................... 228

CHAPITRE II : L’ALOURDISSEMENT DE L’INSTANCE CONTENTIEUSE


SPECIALE .................................................................................... 230
SECTION I : L’ALLEGEMENT LIMITE DU CADRE FORMEL DE L’INSTANCE
CONTENTIEUSE SPECIALE.......................................................... 231
PARAGRAPHE I : L’ALLEGEMENT LIMITE DE L’INSTRUCTION DES
DEMANDES ........................................................................... 232

598
A. L’APPLICATION DE LA FORME CLASSIQUE DE L’INSTRUCTION EN
MATIERE ELECTORALE ................................................................................. 233
1. L’application de la forme classique de la contradiction ..................................... 233
2. L’application des méthodes classiques de travail ............................................. 237
a. La pratique du Président - rapporteur ............................................................... 237
b. La connaissance des incidents de procédure selon les règles classiques ...... 239
α. La connaissance des interventions volontaires ................................................ 239
β. La connaissance des demandes de désistement ............................................. 242
B. LA LIMITATION DE L’INSTRUCTION DANS LES AUTRES MATIERES ........ 245
1. La suppression de la contradiction ................................................................... 245
a. La suppression provoquée de la contradiction ................................................. 245
b. La suppression normale de la contradiction ..................................................... 246
2. La modification des méthodes de travail........................................................... 247
PARAGRAPHE II : L’ALLEGEMENT LIMITE DU JUGEMENT DES RECOURS 248
A. L’APPLICATION DE LA FORME CLASSIQUE DE JUGEMENT EN
MATIERE ELECTORALE ................................................................................. 248
1. La collégialité de l’organe de jugement............................................................. 249
2. L’adoption de la procédure classique de jugement........................................... 250
a. La tenue d’audience publique ........................................................................... 250
b. L’existence du délibéré et le prononcé du jugement ......................................... 252
B. LA SIMPLIFICATION DU JUGEMENT DANS LES AUTRES MATIERES ....... 253
1. La simplification de l’organe de jugement ......................................................... 253
2. La simplification de la procédure de jugement.................................................. 255
SECTION II : L’ELASTICITE DU CADRE TEMPOREL DE L’INSTANCE
CONTENTIEUSE SPECIALE.......................................................... 256
PARAGRAPHE I : LA MECONNAISSANCE DE LA LIMITATION TEXTUELLE
DU CADRE TEMPOREL DE L’INSTANCE CONTENTIEUSE
SPECIALE ............................................................................. 257
A. LE DEPASSEMENT DES DELAIS PRESCRITS PAR LES TEXTES
POUR STATUER ............................................................................................. 258
1. Le dépassement des délais légaux pour statuer en matière électorale ............ 258
a. Le dépassement des délais légaux pour statuer dans le contentieux
électoral au sein des chambres consulaires ..................................................... 259
α. Les délais mis pour statuer dans le contentieux des listes électorales ............ 259

599
β. Les délais mis pour statuer dans le contentieux des opérations électorales ... 260
b. Le dépassement des délais légaux pour statuer dans le contentieux
électoral municipal ............................................................................................ 261
α. Les délais mis pour statuer dans le contentieux des opérations relatives à
l’élection des conseillers municipaux ............................................................... 261
β. Les délais mis pour statuer dans le contentieux des opérations relatives à
l’élection du maires et des adjoints ................................................................... 262
2. Le dépassement des délais légaux pour statuer dans les autres matières....... 263
a. Les délais mis pour statuer dans le contentieux de la dissolution des
associations ...................................................................................................... 263
b. Les délais mis pour statuer dans le contentieux de la légalisation des
partis politiques…………………………………………………………………………..264
B. LA REMISE EN CAUSE DE L’AUTORITE DES DELAIS PRESCRITS
PAR LES TEXTES POUR STATUER ............................................................. 266
1. Le caractère impératif des délais prescrits par les textes pour statuer ............. 266
2. L’absence de prescriptions légales garantissant l’autorité des délais
prescrits par les textes pour statuer ................................................................. 268
a. L’inexistence de voies de droit ouvertes aux parties en cas de
dépassement de délais pour statuer ................................................................. 269
b. L’inexistence de mesures légales sanctionnant le non respect des
délais légaux pour statuer................................................................................. 270
PARAGRAPHE II : L’ALLONGEMENT DU CADRE TEMPOREL DE
L'INSTANCE CONTENTIEUSE SPECIALE DANS LE
CADRE DE L'EXAMEN DES VOIES DE RECOURS .......... 272
A. L'INDETERMINATION DU CADRE TEMPOREL DE L'EXAMEN DES
VOIES DE RECOURS ...................................................................................... 272
1. L'indétermination du cadre temporel de l'examen des voies de recours
en matière électorale ........................................................................................ 272
a. L'indétermination du cadre temporel de l’examen des voies de recours
en matière électorale au sein des chambres consulaires ................................. 273
b. L’indétermination du cadre temporel de l’examen des voies de recours
en matière électorale municipale ...................................................................... 274
2. L’indétermination du cadre temporel de l’examen des voies de recours
dans les autres matières................................................................................... 275

600
B. LA DUREE EXCESSIVE DE L’EXAMEN DES VOIES DE RECOURS ........... 275
1. L’ampleur de la durée de l’examen des voies de recours ................................. 276
2. Les effets pervers de la durée excessive de l’examen des voies de recours ... 277
CONCLUSION DU TITRE II ET DE LA PREMIERE PARTIE .............................. 278
SECONDE PARTIE : LES EFFETS DE LA PRISE EN COMPTE
CONTINGENTE DE L’URGENCE SUR LA SITUATION
CONTENTIEUSE ............................................................... 280
TITRE I : L’EDICTION PARCIMONIEUSE DES MESURES PRESERVANT
PROVISOIREMENT LES DROITS DU DEMANDEUR.......................... 283
CHAPITRE I : L’OCTROI DISCRIMINATOIRE DU SURSIS A EXECUTION ...... 285
SECTION I : L’APPRECIATION FLUCTUANTE DES CONDITIONS
LEGISLATIVES D’OCTROI DU SURSIS A EXECUTION .............. 287
PARAGRAPHE 1 : LE RISQUE D’UN PREJUDICE IRREPARABLE ................. 287
A. LA DETERMINATION DU PREJUDICE D’ORDRE MATERIEL ....................... 290
1. La détermination du préjudice en matière foncière et domaniale ..................... 291
a. Le préjudice lié au titre foncier .......................................................................... 291
b. Le préjudice lié au règlement des litiges fonciers ............................................. 294
c. Le préjudice lié à d’autres matières foncières ................................................... 295
2. La détermination du préjudice en matière d’urbanisme .................................... 296
B. LA DETERMINATION DU PREJUDICE D’ORDRE SOCIAL ........................... 297
1. La détermination du préjudice susceptible d’avoir des répercussions
sur les conditions d’existence de la personne physique ................................... 297
2. La détermination du préjudice susceptible d’avoir des répercussions
sur les conditions de fonctionnement de la personne morale ........................... 301
C. LA DETERMINATION DU PREJUDICE D’ORDRE PECUNIAIRE ................. 306
1. La détermination du préjudice d’ordre pécuniaire dans le contentieux
général mettant en cause l’agent public et la personne privée ......................... 307
a. Le préjudice en matière de mise débet ............................................................. 307
b. Le préjudice en matière d’émission d’ordre de recettes ................................... 308
c. Le préjudice en matière de sanction disciplinaire ............................................. 309
2. La détermination du préjudice en matière fiscale ............................................. 309
PARAGRAPHE II : L’EXCLUSION DES DECISIONS INTERESSANT
L’ORDRE PUBLIC ................................................................ 311

601
A. UNE DETERMINATION STRICTE DE L’EXIGENCE RELATIVE A
L’EXCLUSION DES DECISIONS INTERESSANT L’ORDRE PUBLIC............ 313
1. La détermination des décisions n’intéressant pas l’ordre public ...................... 313
2. La détermination des décisions intéressant l’ordre public................................. 315
B. UNE DETERMINATION LACHE DE L’EXIGENCE RELATIVE A
L’EXCLUSION DES DECISIONS INTERESSANT L’ORDRE PUBLIC............ 317
1. La détermination confuse de l’exigence de l’exclusion des décisions
intéressant l’ordre public ................................................................................... 317
2. La détermination imprécise de l’exigence de l’exclusion des décisions
intéressant l’ordre public ................................................................................... 320
PARAGRAPHE III : L’AVIS CONFORME DU MINISTERE PUBLIC ................... 321
A. LA RECONNAISSANCE DE L’OBLIGATION DE STATUER
CONFORMEMENT A L’AVIS EMIS PAR LE MINISTERE PUBLIC ................. 323
1. La formulation de l’obligation de statuer conformément à l’avis du
ministère public ................................................................................................. 324
a. La formulation directe de l’obligation de statuer conformément à l’avis
du ministère public ............................................................................................ 324
b. La formulation détournée de l’obligation de statuer conformément
à l’avis du ministère public ................................................................................ 325
2. L’application de l’obligation de statuer conformément à l’avis du ministère
public ................................................................................................................ 326
a. Le respect de l’avis émis par le ministère public sur la recevabilité de la
demande de sursis ........................................................................................... 326
b. Le respect de l’avis émis par le ministère public sur le fond de la
demande de sursis ........................................................................................... 328
B. LA RELATIVISATION DE L’OBLIGATION DE STATUER
CONFORMEMENT A L’AVIS EMIS PAR LE MINISTERE PUBLIC ................. 331
1. L’appréciation de l’avis émis par le ministère public avant application ............ 331
2. La remise en cause de l’avis émis par le ministère public ................................ 334
a. La remise en cause de l’avis émis par le ministère public au niveau
de la recevabilité de la demande de sursis ....................................................... 335
b. La remise en cause de l’avis émis par le ministère public au niveau de
l’examen au fond de la demande de sursis ...................................................... 337

602
SECTION II : LA PRISE EN COMPTE D’EXIGENCES PARTICULIERES
POUR L’OCTROI DU SURSIS A EXECUTION ............................. 340
PARAGRAPHE I : LA NECESSITE DE L’OCTROI DU SURSIS A EXECUTION .... 341
A. L’EXIGENCE DE MOYENS SUSCEPTIBLES DE JUSTIFIER LE
SURSIS A EXECUTION ................................................................................... 341
1. L’appréciation des moyens de droit .................................................................. 341
a. L’appréciation des moyens de droit en matière financière ............................... 342
b. L’appréciation des moyens de droit en matière foncière.................................. 343
c. L’appréciation des moyens de droit dans le contentieux relatif à la
fermeture d’officines pharmaceutiques .............................................................. 344
2. L’appréciation des moyens de fait .................................................................... 345
B. L’EXIGENCE DE L’URGENCE ........................................................................ 347
1. L’appréhension classique de l’urgence comme condition implicite en
matière de sursis .............................................................................................. 348
2. La considération explicite de l’urgence comme condition d’octroi du sursis ... 348
PARAGRAPHE II : L’OPPORTUNITE DE L’OCTROI DU SURSIS A EXECUTION . 351
A. LE REFUS D’ORDONNER LE SURSIS A EXECUTER POUR
DES CONSIDERATIONS D’OPPORTUNITE ................................................... 352
1. L’absence d’explication sur les considérations d’opportunité
constitutives de contre-indications à l’octroi du sursis ..................................... 352
2. La justification exceptionnelle des considérations d’opportunité
constitutives de contre-indications à l’octroi du sursis ..................................... 354
B. UNE RESTRICTION SUPPLEMENTAIRE DU CHAMP DU
SURSIS A EXECUTION .................................................................................. 354
1. La protection du caractère exécutoire des décisions administratives ............... 355
2. Le caractère exceptionnel du sursis à exécution .............................................. 356
CHAPITRE II : L’OCTROI EXCEPTIONNEL DU REFERE ADMINISTRATIF ..... 358
SECTION I : L’APPREHENSION RELATIVEMENT STRICTE DES
CONDITIONS POSITIVES D’OCTROI DU REFERE
ADMINISTRATIF............................................................................. 360
PARAGRAPHE I : L’URGENCE DE LA SITUATION .......................................... 360
A. L’APPREHENSION TEMPORELLE DE L’URGENCE…………………………...362
1. L’appréhension de l’urgence par rapport au risque de préjudice matériel ................ 362
2. L’appréhension de l’urgence par rapport au risque de préjudice financier ............... 363

603
B. L’APPREHENSION FINALISTE DE L’URGENCE ........................................... 364
PARAGRAPHE II : L’UTILITE DE LA MESURE SOLLICITEE ........................... 366
A. L’UTILITE DE LA MESURE POUR LA PRESERVATION DES
DROITS MENACES DU REQUERANT ............................................................ 367
1. L’utilité des mesures relevant de la compétence du juge des référés ............. 367
2. L’inutilité des mesures ne relevant pas de la compétence du juge
des référés........................................................................................................ 368
B. L’UTILITE DE LA MESURE SOLLICITEE POUR LA SOLUTION DU LITIGE ....... 370
1. L’utilité de la communication de document sollicité par le requérant ................ 370
2. L’utilité des mesures d’instruction relatives à l’expertise................................... 371
PARAGRAPHE III : L’AVIS CONFORME DU MINISTERE PUBLIC ................... 372
A. LA RECONNAISSANCE DE L’OBLIGATION DE STATUER
CONFORMEMENT A L’AVIS DU MINISTERE PUBLIC .................................. 374
1. La formulation de l’obligation de statuer conformément à l’avis émis
par le ministère public ....................................................................................... 374
2. L’application de l’obligation de statuer conformément à l’avis du ministère
public ................................................................................................................ 375
a. L’application de l’avis du ministère public sans examen des moyens de la cause ... 375
b. L’application de l’avis conforme du ministère public avec examen des
moyens de la cause .......................................................................................... 376
B. LA RELATIVISATION DE L’OBLIGATION DE STATUER
CONFORMEMENT A L’AVIS EMIS PAR LE MINISTERE PUBLIC ................. 379
1. L’appréciation de l’avis conforme du ministère public avant son adoption .............. 380
2. Le dépassement de l’avis conforme émis par le ministère public ..................... 381
3. La remise en cause l’avis émis par le ministère public ..................................... 383
SECTION II : L’APPREHENSION INDECISE DES CONDITIONS
NEGATIVES D’OCTROI DU REFERE ADMINISTRATIF ............... 384
PARAGRAPHE I : L’INTERDICTION DE CONNAITRE DES
LITIGES INTERESSANT LE MAINTIEN DE
L’ORDRE PUBLIC ................................................................. 385
A. L’APPREHENSION CONTINGENTE DES LITIGES PAR RAPPORT
AU MAINTIEN DE L’ORDRE PUBLIC .............................................................. 386
1. La détermination laconique des litiges intéressant le maintien de l’ordre
public ................................................................................................................ 386

604
2. La détermination incidente des litiges intéressant le maintien de l’ordre
public ................................................................................................................ 387
B. L’APPREHENSION CONFUSE DE L’INTERDICTION DE CONNAITRE
DES LITIGES INTERESSANT LE MAINTIEN DE L’ORDRE PUBLIC ............. 388
1. L’objet de la confusion ...................................................................................... 389
2. Les implications de la confusion ....................................................................... 390
PARAGRAPHE II : L’INTERDICTION DE FAIRE PREJUDICE AU PRINCIPAL ...... 391
A. UNE CONCEPTION AMBIGUË DE L’INTERDICTION DE JUGER LE FOND
DU DROIT……………………………………………………………………………..393
1. Le refus de statuer sur des demandes portant sur des questions relatives
au fond du droit ................................................................................................. 394
2. L’appréciation au fond des contestations portant sur le fond du droit .............. 396
B. UNE CONCEPTION RIGOUREUSE DE L’INTERDICTION DE PREJUGER
LE FOND DU DROIT ....................................................................................... 398
1. La détermination des mesures d’instruction ne faisant pas préjudice
au principal ....................................................................................................... 399
2. La détermination des mesures conservatoires ne préjudiciant pas au
principal ............................................................................................................ 399
PARAGRAPHE III : L’INTERDICTION DE FAIRE OBSTACLE A L’EXECUTION
D’UNE DECISION ADMINISTRATIVE ............................... 402
A. LE RESPECT DE L’INTERDICTION DE FAIRE OBSTACLE A
L’EXECUTION D’UNE DECISION ADMINISTRATIVE ..................................... 403
1. L’existence d’une procédure permettant de suspendre l’exécution
des actes administratif ...................................................................................... 404
2. La déduction de l’interdiction de faire obstacle à l’exécution d’une
décision administrative de l’interdiction de faire préjudice au principal ............. 405
B. L’INFLECHISSEMENT DE L’INTERDICTION DE FAIRE OBSTACLE
A L’EXECUTION D’UNE DECISION ADMINISTRATIVE ................................. 406
1. La prise en considération de l’urgence ............................................................. 407
2. La consécration de la portée générale des dispositions législatives
régissant le référé pour infléchir l’interdiction................................................... 408
CONCLUSION DU TITRE I .................................................................................. 410
TITRE II : L’EDICTION LIMITATIVE DES MESURES PRESERVANT
DEFINITIVEMENT LES DROITS DU DEMANDEUR .......................... 411

605
CHAPITRE I : LA PRESCRIPTION LIMITATIVE DES MESURES
DEFINITIVES SOLLICITEES EN MATIERE ELECTORALE ........ 413
SECTION I : LA PRESCRIPTION LIMITATIVE DES MESURES D’URGENCE
DEFINITIVES DANS LE CONTENTIEUX DES OPERATIONS
PREPARATOIRES A L’ELECTION ......................................................... 415
PARAGRAPHE I : UNE RECONNAISSANCE DE LA VALIDITE DES
CONTESTATIONS PORTANT SUR LES OPERATIONS
PREPARATOIRES A L’ELECTION AU SEIN DE LA
CHAMBRE DE COMMERCE .......................................................... 416
A. LA RECONNAISSANCE DE LA VALIDITE DES CONTESTATIONS
RELATIVES A L’OMISSION DU NOM SUR LA LISTE ELECTORALE ............ 416
1. La prise en compte des conditions d’inscription sur les listes électorales.................. 417
2. La prise en compte des prescriptions réglementaires portant sur les
incapacités........................................................................................................ 418
B. LA RECONNAISSANCE DE LA VALIDITE DE LA CONTESTATION
RELATIVE A L’ERREUR SUR LE NOM INSCRIT DANS LA LISTE
ELECTORALE ..................................................................................................... 420
PARAGRAPHE II : UNE RECONNAISSANCE LIMITEE DE LA VALIDITE
DES CONTESTATIONS PORTANT SUR LES OPERATIONS
PREPARATOIRES A L’ELECTION DES CONSEILLERS
MUNICIPAUX ....................................................................... 421
A. L’ADMISSION LIMITEE DE LA JUSTESSE DES CONTESTATIONS
PORTANT SUR LA CONSTITUTION ET LE FONCTIONNEMENT
DE LA CCS....................................................................................................... 422
1. La recherche de la force probante des contestations portant sur la
constitution de la CCS ...................................................................................... 422
2. La recherche de la force probante des contestations portant sur le
fonctionnement de la CCS ................................................................................ 425
B. L’ADMISSION LIMITEE DE LA JUSTESSE DES CONTESTATIONS
RELATIVES AU REJET DES CANDIDATURES ............................................. 427
1. La reconnaissance de la justesse des contestations portant sur le
rejet des candidatures ...................................................................................... 428
a. L’irrégularité de la disqualification des listes de candidats par le CCS
après la proclamation des résultas du scrutin................................................... 428

606
b. La commission du détournement de pouvoir par la CCS................................ 429
c. L’irrégularité du refus du Préfet de tenir compte de l’acceptation d’une
liste de candidats par la CCS .......................................................................... 430
2. La méconnaissance de la justesse des contestations portant sur le
rejet des candidatures par la CCS .................................................................... 431
a. L’ absence de preuve attestant de la saisine effective de la CCS .................... 431
b. L’effectivité du rejet de la liste de candidats par la CCS ................................... 432
SECTION II : LA PRESCRIPTION LIMITATIVE DES MESURES D’URGENCE
DEFINITIVES DANS LE CONTENTIEUXDES OPERATIONS
ELECTORALES ............................................................................. 433
PARAGRAPHE I : LA RECONNAISSANCE EXCEPTIONNELLE DE
L’IRREGULARITE DES OPERATIONS DE VOTE .............. 434
A. L’ADMISSION RESTRICTIVE DE LA VALIDITE DES CONTESTATIONS
PORTANT SUR LES OPERATIONS DE VOTE DU MAIRE ET DES
ADJOINTS ......................................................................................................... 435
1. Les règles régissant les opérations de vote de l’exécutif municipal ................. 435
2. L’établissement restrictif de l’irrégularité de l’élection de l’exécutif municipal ... 436
B. LA MECONNAISSANCE DE LA VALIDITE DES CONTESTATIONS
PORTANT SUR LES OPERATIONS DE VOTE DES CONSEILLERS
MUNICIPAUX ................................................................................................... 438
1. La substance de la contestation ....................................................................... 438
2. La réfutation de la contestation ........................................................................ 439
PARAGRAPHE II : LA RECONNAISSANCE PARTIELLE DE L’IRREGULARITE
DES OPERATIONS DE PROCLAMATION DES RESULTATS
DU SCRUTIN ................................................................................... 442
A. LA REFUTATION DE LA CONTESTATION RELATIVE A LA
FALSIFICATION DES PROCES-VERBAUX DE DEPOUILLEMENT DE
VOTE VALIDES PAR LA CCS ......................................................................... 442
1. La substance de la contestation ....................................................................... 443
2. La justesse de la réfutation de la contestation .................................................. 443
B. L’ADMISSION DE L’IRREGULARITE DES MESURES PRISES PAR
LA CCS POUR REMETTRE EN CAUSE DES RESULTATS DE SCRUTIN
CONSTATES PAR DES PROCES-VERBAUX ................................................ 444
1. L’irrégularité de la reprise de la proclamation des résultats du scrutin par

607
la CCS .............................................................................................................. 444
2. L’irrégularité de l’annulation par la CCS des résultats du scrutin constatés
par le procès-verbal de la commission locale de vote ..................................... 446
CHAPITRE II : LA PRESCRIPTION LIMITATIVE DES MESURES DEFINITIVES
SOLLICITEES DANS LES AUTRES MATIERES ........................ 449
SECTION I : L’ADMISSION SELECTIVE DE LA VALIDITE DES
CONTESTATIONS RELATIVES A LA REGULARITE DU
REFUS DE LEGALISATION DES PARTIS POLITIQUES.............. 451
PARAGRAPHE I : L’APPLICATION DISCRIMINATOIRE DE LA DISPOSITION
LEGISLATIVE RELATIVE A LA LEGALISATION
IMPLICITE DES PARTIS POLITIQUES ......................................... 452
A. LA MECONNAISSANCE IMPLICITE DE LA DISPOSITION LEGISLATIVE
RELATIVE A LA LEGALISATION IMPLICITE DES PARTIS POLITIQUES..... 453
1. La substance de la violation alléguée de la disposition législative relative
à la légalisation implicite des partis politiques .................................................. 453
2. L’illégalité du refus de légalisation intervenu après la légalisation implicite ..... 455
B. LA RECONNAISSANCE DE LA VIOLATION PAR L’ADMINISTRATION
DE LA DISPOSITION LEGISLATIVE RELATIVE A LA LEGALISATION
IMPLICITE DES PARTIS POLITIQUES ........................................................... 456
1. La détermination des faits et des moyens pris en compte .............................. 457
2. L’effectivité de la violation par l’administration de la disposition législative
relative à la légalisation implicite des partis politiques ...................................... 457
PARAGRAPHE II : L’ADMISSION LIMITEE DE L’IRREGULARITE DES
MOTIFS DE REFUS DE LEGALISATION DES PARTIS
POLITIQUES.................................................................................... 459
A. L’ETABLISSEMENT DE L’IRREGULARITE DES MOTIFS DE REFUS ........... 460
1. La mise en cause de l’existence légale des motifs de refus de légalisation .... 461
2. La mise en cause de la valeur juridique des motifs de refus de légalisation..... 463
a. La reconnaissance implicite de la violation par l’administration de sa
compétence liée ............................................................................................... 463
b. L’admission implicite de la commission du détournement de pouvoir par
l’administration ................................................................................................................ 465
B. LA MECONNAISSANCE DE L’IRREGULARITE DES MOTIFS DE REFUS .... 467
1. La substitution des motifs de refus ................................................................... 468

608
2. La clarification des motifs de refus ................................................................... 471
SECTION II : LA MECONNAISSANCE SYSTEMATIQUE DE LA VALIDITE
DES CONTESTATIONS PORTANT SUR LA REGULARITE
DE LA DISSOLUTION DES ASSOCIATIONS ................................ 473
PARAGRAPHE I : LA MECONNAISSANCE DE L’IRREGULARITE
DE LA PRESCRIPTION DE LA MESURE DE
DISSOLUTION D’ASSOCIATIONS ....................................... 475
A. LA RECUSATION DES CONTESTATIONS PORTANT SUR
L’ILLEGALITE EXTERNE DE LA DISSOLUTION D’ASSOCIATION.............. 476
1. L’appréciation de la régularité de la nature de l’acte de dissolution ................. 477
2. L’appréciation du défaut de motivation de l’acte de dissolution ........................ 479
3. L’appréciation de la violation du principe des droits de la défense ................... 483
B. LA REFUTATION DES CONTESTATIONS PORTANT SUR
L’ILLEGALITE INTERNE DE LA MESURE DE DISSOLUTION ...................... 486
1. La participation des associations dissoutes à des activités contraires à
leur objet statutaire ...................................................................................... 487
2. La participation des associations dissoutes à des activités susceptibles
de porter atteinte à l’ordre public et à la sécurité de l’Etat .......................................... 490
PARAGRAPHE II : LA MECONNAISSANCE DE L’ IRREGULARITE DE
L’APPLICATION DE L’ACTE DE DISSOLUTION
D’ASSOCIATIONS ............................................................... 495
A. LA REFUTATION DU DEFAUT DE PUBLICITE DE L’ACTE DE
DISSOLUTION ................................................................................................. 496
1. La détermination du moment où la notification est considérée comme
valable .............................................................................................................. 497
2. La détermination de la date de notification de l’acte de dissolution .................. 498
B. LA REFUTATION DE LA VIOLATION DU PRINCIPE DE LA NON
RETROACTIVITE DES ACTES ADMINITRATIFS .......................................... 499
CONCLUSION DU TITRE II ET DE LA SECONDE PARTIE ............................ 502
CONCLUSION GENERALE ................................................................................. 503
A. LA PRISE EN COMPTE CONTINGENTE DE L’URGENCE, CAUSE
MAJEURE DES RYTHMES INSASTIFAISANTS DE LA JUSTICE
ADMINISTRATIVE AU CAMEROUN ................................................................ 504

609
B. LA PRISE EN COMPTE PERMANENTE DE L’URGENCE, GAGE CERTAIN
D’UNE MEILLEURE ADMINISTRATION DE LA JUSTICE ADMINISTRATIVE
AU CAMEROUN .............................................................................................. 506
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................. 508
ANNEXES ............................................................................................................ 530
ANNEXE 1 : Ordonnance n°72/6 du 26 août 1972 fixant l’organi sation
de la Cour suprême( modifiée par la loi n°76/28 du 14 décembre 1976)….…..… 531
ANNEXE 2 : Loi n°75/17 du 08 décembre 1975 fixant la procédu re devant
la Cour suprême statuant en matière administrative…………………………...……535
ANNEXE 3 : Loi n°90/053 du 19 décembre 1990 portant sur la l iberté
d’association……………………………………………………………………………..543
ANNEXE 4 : Loi n°90/056 du 19 décembre 1990 relative aux pa rtis politiques.…545
ANNEXE 5 : Extrait de la loi n°91/20 du 16 décembre 1991 fi xant les conditions
d’élection des députés à l’Assemblée nationale (modifiée par la loi n°97/13 du
19 mars 1997)……………………………………………………………………………547
ANNEXE 6 : Loi n°92/002 du 14 août 1992 fixant les conditio ns d’élection des
Conseillers municipaux………………………………………………………………….556
ANNEXE 7 : Extrait du décret n°78/525 du 12 décembre 1978 p ortant statut
de la Chambre d’Agriculture de l’Elevage et des Forêts du Cameroun ( modifié
et complété par le décret n°84/004 du 10 janvier 19 84)……………………………..568
ANNEXE 8 : Extrait du décret n°86/231 du 13 mars 1986 porta nt statut de la
Chambre de Commerce, d’industrie et des Mines………………………………..….574
ANNEXE 9 : Contentieux électoral municipal de 1996 (quelques jugements
rendus par la Chambre administrative de la Cour suprême)……….………………585
TABLE DES MATIERES ...................................................................................... 589

610

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