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Problèmes: L'ouest

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E. BERNUS et G.

SAVONNET

Les problèmes de la sécheresse


dans l’Afrique de l’Ouest

La famine qui sévit cette année dans les zones sahélienne et


nord-soudanienne n’est pas exceptionnelle en Afrique occiden-
tale. Nazi Boni, dans son livre Crépuscule des temps anciens (l),
nous décrit la grande détresse! des paysans telle qu’il l’a vécue
dans sa jeunesse, entre 1912 et 1914, dans le Bwamu méridional :
c Un hivernage avait été catastrophique .parce que trop pluvieux,
le suivant calamiteux par manque de pluies, et voilà que l’année
oÙ la pluviométrie redevenait normale, où l’espoir renaissait,
d’immenses vagues de koyos, ou criquets voyageurs, faisaient
leur apparition pour la première fois, dévastaient tout sur leur
passage, laissaient les champs dénudés et les arbres effeuillés ...
Les greniers vidés, on se rua à la recherche de racines sauvages
qui intoxiquèrent des milliers de personnes avant que 1,011 dé-
.
couvrît les plantes antivénéneuses.. La famine sema la késola-
tion, la ruine, la mort (2). Elle dépeupla le pays. Des villes
comme Bwan n’étaient plus que des hameaux. Une épidémie de
variole particulièrement meurtrière aggrava le désastre.. 1) .
La famine ne sévit pas seulement dans le Bwamu, elle s’étend
du Sénégal au Niger : le commandant du cercle de Bandiagara
(Mali actuel) signale dans un de ses rapports administratifs :
K En résumé, la famine de 1913-1914 aura diminué la population
du cercle d’environ un tiers ; quant au cheptel, tout fait prévoir
qu’il aura été réduit de moitié (3). 3

(1) N g Boni : Crdpuscule des temps anciens, Présence Africaine, 1962,


256 p., cit. 214. L’action se déroule ea Haute-Volta dans le cercle de
Houndé actuel.
(2) Cet événement provoqua l’effondrement du Bwamu dont il incarne
la phase la plus catastrophique de son histoire. >) (Note de l’auteur.)
(3) Cité par 3. Suret-Canale in Afrique noire, l’ère coloniak, Edit. So-
ciales, Paris, 1964, cit. p. 171.
114 PF&SENCE AFRICAINE

Ces quelques lignes de Nazi Boni, les conclusions de l’admi-


nistrateur de Bandiagara, pourraient être écrites en 1973, après
les années de sécheresse que connaît l’Afrique de l’Ouest depuis
1968. Certes, les causes évoquées par Nazi Boni - les saute-
relles (4) - sont différentes de celles qui ont entraîné la misère
actuelle des populations paysannes et pastorales ; mais les effets
sont semblables : paysans et éleveurs sous-alimentés résistent mal
aux maladies, les troupeaux sont décimés par manque de nour-
riture.
Pour expliquer la sécheresse actuelle particulièrement longue,
on a parlé d‘une avancée du Sahara vers le sud, d’une déserti-
fication par surcharge ou par extension des cultures vers le nord
...
à partir des années 1960 Toutes ces explications c à l’emporte-
pièce >> doivent être nuancées, examinées avec prudence ; avant
de formuler des hypothèses sur l’origine de la catastrophe cli-
matique actuelle, il convient de s’interroger sur la notion même
de sécheresse.

I - LA NOTION DE SECHERESSE
Dans la zone sahélo-soudanienne, qu! connaît une saison de
pluie estivale régulière, mais qui diminue en quantité et en
durée au fur et à mesure que l’on s’éloigne en latitude, la séche-
resse est-elle seulement un déficit global de la pluviométrie
annuelle par rapport à une moyenne calculée sur un certain
nombre d’années d’observations ? La séchkresse se manifeste
avant tout par le fait que la végétation, cultivée ou spontanée,
n’a pu arriver normalement à maturité. Or un total annuel de
précipitations déficitaires ne suffit souvent pas à expliquer de
mauvaises récoltes ou l’absence de pâturages. Il faut alors faire
intervenir la notion de a pluies utiles I), c’est-à-dire la part de
pluies qui a eu un effet sur le développement de la végétation.
En zone soudanienne, les pluies précoces, trop espacées obligent
souvent les paysans à procéder à plusieurs semis successifs. Pour
la végétation sahélienne, il en est de même, la végétation démar-
re et arrive mal à maturité. Si lea pluies arrivent trop tard,
après une longue interruption, elles ne jouent que peu de rôle
dans le développement végétal
Les a pluies utiles B peuvent être définies comme les premiè-

(4) Des recherches systématiques menées par les entomologistes, la dé-


couverte d‘insecticides puissants, leur pulvérisation par avion sur les gîtes
de ponte, une surveillance constante des zones ravorables A la reproduc-
tion, ont permis depuis les années 1950 de supprimer cette plaie de l’Afri-
que de l’ouest.
LES PROBLÈMES DE LA SBCHERESSE ... 115

res pluies qui permettent une rétention en eau du sol suffisante


pour rendre possible le développement des plantes sans hiatus,
jusqu’à maturité. Beaucoup d’auteurs ont cherché à cerner cette
notion, variable selon les zones concernées ; une définition
relativement simple a été établie par le géographe J. Gallais (5) :
a [...I Une chute supérieure à 3 mm, suivie d’une pluie sembla-
ble dans un délai maximum d’une semaine. B
*I Avec une telle définition, on s’aperçoit que la saison des
pluies utiles est relativement brève. Dans une même zone, cette
période peut se décaler d’une année à l’autre, mais on considère
que dans la zone sahélienne à vocation pastorale, elle, se situe en
9 général entre le 15 juillet et le 31 août, parfois jusqu’à la mi-
septembre. Cette notion permet d’expliquer bien des sécheresses
qui provoquèrent des graves pertes en bétail par manque de
pâturage, un accroissement de la mortalité chez les populations
paysannes, causé par la disette, alors que le total des précipita-
tions avait été normal, voire même supérieur à la moyenne.
Si une mauvaise répartition des pluies au cours de l’année
peut entraîner des désastres sur le plan agricole et pastoral, il
n’en est pas moins vrai que l’Afrique Occidentale est soumise
à des variations sensibles du climat qui se manifestent SOUS la
forme de cycles secs et de cycles humides.

II - CYCLES SECS ET CYCLES HUMIDES


L’évolution du climat à l’époque préhistorique a souvent été
évoquée en se référant aux vestiges archéologiques et aux gra-
vures et peintures rupestres que l’on découvre dans le Sahara.
cc Au cours du quaternaire, dit le professeur Capot-Rey (6),
l’aridité qui avait régné dans le Sahara pendant la plus grande
partie des périodes géologiques antérieures a été interrompue
par des crises de pluviosité relative dont l’une se place au Pa-
léolithique. )) De l’Antiquité à la phase historique récente, c’est-
à-dire celle où il existe des sources écrites ou des traditions
* orales, beaucoup d’auteurs (7) ont vu un desséchement progressif
de l’Afrique. D’autres (8)’ plus récemment, en se référant aux
observations des premiers explorateurs, à propos du lac Tchad
ou aux variations de débit du Niger depuis le début du siècle,
4 comme à la profondeur des nappes phréatiques à Wérentes

(5) J. GaIlais, << Le delta intérieur du Niger I), in Mémoire. IFAN no 79,
Dakar, t. 1, cit. p. 220.
(6) R. Capot-Rey, Le Sahara frunpzis, Paris, PUF, 1953, cit. p. 100.
(7) H.. Hubert, cc Le desséchement progressif en Afrique Occidentale s,
in Bulletin $Etudes Historiques et Scientifiques d’A.O.E., 1920, p. 401-467.
(8) R. Capot-Rey, Le Sahara français, op. cit.
116 PdSENCE AFRICAINE

périodes, pensent qu’on assiste à des successions de périodes eè-


ches et de périodes humides.
h -----T-w- -----,#
---

Si l’on fait appel aux traditions orales des populations, on


remarque que les sécheresses seules, en raison de leurs consé-
quences tragiques, sont inscrites au calendrier de l’histoire et
l’on retrouve ainsi des années de sécheresse, de famine ou de
manque de pâturage qui servent de référence à telle ou telle
année et se renouvellent à périodes plus ou moins régulières :
1830-1840 Période de la sécheresse‘dansla région du Bani et
du nord-ouest de la Eaute-Volta (9).
1900-1903 Sécheresse dans certaines régions de la zone sahélo-
saharienne (10).
1911-1914 Période sèche dans toute la zone soudano-sahé-
lienne (11).
1931 cc Année de l’agerof ;o (Tribus terrester), graminée
sauvage récoltée par les pasteurs pour compenser
l’absence de mil (12).
1968-1973
Ces sécheresses périodiques s’inscrivent dans des oscillations
climatiques constatées par ailleurs. Certaines d’entre elles parti-
cipent à des cycles secs s’étendant sur toute la zone sahélienne
alors que d’autres sont localisées (déficit pluviométrique ou mau-
vaise répartition). Ainsi, la période sèche de 1911-1914 intéresse

(9) B. de Rasilly, << Notes pour servir B la chronologie du Bani Nord


et de l‘arrière-pays vers l’est i(Barani-Sourou) et des cercles de San-
Tominian,,, zn, Bulletin de l‘IFAN, série B, no 4, 1972, p. 926-934.
(10) .Sécheresse signalée dans l’ouest nigérien (Anzourou-Zermaganda)
cf. Sidikou (Arouna Hamidou), Sédentarité et mobilité entre le Niger
et Zgaret D, thèse de 3 cycle, Université de Rouen, 1973.
Sécheresse dans l’Ahaggar.
1900, aannée en laquelle beaucoup de Kel Ahaggar ?Ilèrent dans
l’Ajjer où il y avait du pâturage, à cause de la sécheresse qui régnait dans
l’Ahaggar n.
1902, idem.
Ch. de Foucault, Dictionnaire touareg-fran~ais,Imprimerie Nationale,
Paris, 1951-1952, t. III, p. 15441545.
(11) Cf. Nazi Boni, op. cit., et le rap o r t du commandant de cercle de
Bandiagara, F. Nicolas Tamesna, << Les foullemmeden de l’est ou Touareg
Kel Dinnik n, Paris, Imprimerie Nationale,
1910-1911, << année du mapque de pâturage )).
1912, << année du Katsena >>, reférence à la migration en nord Nigeria
pour trouver du mil.
1914, <( année de la famine )>.
, a année des sauterelles n.
931 dans l’ouest du Niger la sécheresse provoqua une famine grave
/12)21930
qui causa près de 30.000 morts et l’exode vers le sucl d’un nombre de per-
sonnes à peu près équivalent (Gold-Coast, Nigeria).
LES P R O B L W E ~DE LA SÉCHERESSE. .. 117

toute la zone sahélo-soudanienne, tandis F e celle de 1931 se


limite à la région de Tillabéry au Niger (13).
Les oscillations de la pluviométrie ne sont pas décelable5
dans les moyennes calculées sur 20, 30, ou 40 ans, ni dans le
tracé des isohyètes (lignes joignant les points d’égale pluviomé-
trie moyenne). Toutefois, on peut se rendre compte de l’am-
pleur des oscillations de la pluviométrie en cartographiant les
isohyètes correspondant au cycle humide et au cycle sec. Ch. Tou-
pet (14) a pu calculer qu’en Mauritanie centrale, entre les an-
nées 1941-1942 et 1951-1952, l’isohyète 100 mm s’était déplacée
de 650 km vers le nord (de Boutilimit à Fdérik, voir carte no 3) :
Le secteur ainsi délimité entre l’isohyète 100 mm, 1941-1942,
et l’isohyète 100 mm, 1951-1952,,qui peut donc alternativement
être un désert que fuient les pasteurs et une zone de pâturage
attirant les troupeaux, couvre 340 O00 km’, soit 31,5 % de la
superficie totale de la Mauritanie. )) (15)
La poussée de l’isohyète 100 mm vers le nord de la Maurita-
nie, signalée par Ch. Toupet, est générale, semble-t-il, dans
toute l’Afrique Occidentale : au Mali, au Niger, on assiste jus-
qu’en 1965 environ à une avancée de la culture! du petit mil
sur des territoires réservés jusque-là aux pâturages (l’isohyète
350 mm correspondant à la limite septentrionale du petit mil
se serait elle aussi déplacée de 100 à 150 km vers le nord par
rapport à l’isohyète moyenne calculée sur l’ensemble des relevés
connus).
En somme, ces quelques observations permettent de préciser
que l a période de 1945 à 1965 mviron correspond à un cycle
humide général dans toute la zone nord soudanienne et sahé-
lienne de l’Ouest africain, cycle humide qui se traduit par une
progression des cultures, une avancée des pâturages vers le nord
et un recul du Sahara. A partir de 1968-1969, on assiste 2 la
venue d’un cycle sec qui a pour effet une offensive du désert
vers les zones méridionales, le recul rapide du domaine sahélo-
pastoral et de la zone nord soudanienne agricole ; la phase
sèche atteint son point critique en 1972-1973, avec les consé-
quences désastreuses que l’on sait ...
La sécheresse actuelle n’est donc pas apparue brutalement
en 1972, mais elle a été précédée par plusieurs années défavo-
rables dont la prelnière se situe en 1968 ; jusqu’à cette date, la

(13) G. Boudet, U DBsertification de l’Afrique *, in Tropicale-Adansonia,


sér. 2 x 11, no 4, 1972, p. 504524.
(14) Ch. Toupet, Les variations interannuelles des précipitations en
(( .
Mauntanie centrale a, compte rendu de siance Soc.-Biogéo, avr. 1972,
p. 39-47, nos 416-421.
(15) Ch. Toupet, op. cit. Voir situation des stations, carte no 3.
118 P ~ S E N C EAFRICAINE

pluviométrie était abondante comme en témoignent le dévelop-


pement des mares en zone sahélienne (certaines d’entre elles
étaient même devenues pérennes) et l’avancée vers le nord du
front pionnier agricole. Quelques chiffres des précipitations
annuelles, en zone sahélienne, font apparaître sans ambiguïté,
à partir de 1968, une lente mais continuelle dégradation de la
pluviométrie :
Années Iférouane Agadez In Gall Tachoua (15)

1968 51,5 mm 165,l mm 203,O mm 408,O m m

1969 97,O 81,6 101,5 317,O

1970 1,s 39,7 202,2 421,7

1971 pas de relevé 92,6 30,O 261,2

Moyenne
normale 64.5 1.58.7 238.3 385.2
sur (20 ans) (50 ans) (10 ans) (33 ans)
Si l’on cherche à tracer au Niger les isohv6tes pour les années
1969-1970-1971, on s’aperçoit que, comme en Mauritanie pour les
années 19411-194,2. elles se situent trhs au sud de celles qui, pour
un même total, font référence à la movenne des observations
connues. L’isohyète 100 mm, gui dans l’Air passe entre Iférouane
et Agadez, est renortée polir les trois dernières années au sud
d’Aeadez. soit à 150 km. Celle de 350 mm qui constitue la limite
nord de l’agriculture pluviale et qui se situe pour l’ensemble
des observations sur #le 15” parallèle, est renortée au sud de
Tahoua, et même de Filingué, soit à une centaine de kilomètres.
En conséquence, la zone de nomadisme pastoral est amputée
de sa f r a y e septentrionale et la zone d’agriculture pluviale
recule également vers le sud : c’est dire que le Niger utile est
provisoirement privé d’une vaste zone indispensable à son éleva-
ge et que son domaine agricole est également réduit. En somme,
la partie méridionale du pays doit s’efforcer de nourrir les habi-
tants qui vivent au nord, soit que ces derniers aient amorcé
un exode vers le sud, soit qu’il faille prévoir de réserver une
partie des récoltes pour les régions pastorales sinistrées.
L’alternance de cycle humide et de cycle sec qui périodi-
quement perturbe la vie des pasteurs et des paysans vivant
LES PROBLBMES DE LA SlkHERESSB.. . 119

dans les zones sahélienne et soudanienne, déclenche de vérita-


bles catastrophes ; ces cc caprices n climatiques, qui sporadique-
ment provoquent la disette dans certains secteurs mais épargnent
les régions voisines, peuvent-ils être prévus par les météorolo-
gistes ? Dans quelle mesure, les techniques modernes peuvent-
elles pallier les désordres du climat et mieux assurer l’avenir
des populations rurales si durement touchées par la sécheresse ?
Nous essaierons de répondre à la première question en exa-
minant le K mécanisme 3 du climat tropical. L’analyse que nous
présentons ici s’inspire des travaux de météorologistes et de
climatologues réalisés 5 partir d’observations faites dans la haute
v
atmosphère. D’ici quelques années, lorsque les informations
transmises par satellites seront suffisamment nombreuses, il est
probable que l’on sera en mesure de mieux expliquer les climats
tropicaux et, dans une certaine mesure, de prévoir les accidents
climatiques.

III - LE N MECANISME >> DU CLIMAT INTERTROPICAL


Dans l’Afrique intertropicale, on distingue quatre types de
climats principaux distribués suivant des zones à peu près paral-
lèles à l’équateur ; ils se définissent, non pas comme en pays
tempérés en fonction de la température, toujours élevée ici,
mais de la pluviométrie.
1) LES CLIMATS ÉQUATORI~LET GUINBEN (ou sub-équatorial) :
Les chutes de pluies annuelles dépassent 1500 mm ; elles sont
distribuées tout au long. de l’année dans le premier climat, en
deux saisons dans le second.
2) LES CLIMATS SOUDANIENS comprennent une saison sèche et
une saison humide (appelée parfois hivernage) (16) plus OU
moins longues suivant la latitude ; les chutes de pluie annuelles
comprises entre 500 et 1500 m m tombent entre mai et octo-
bre (17).
b
3) LE CLIMAT SAHÉLIEN se caractérise par une très longue
saison sèche (8 à 9 mois) et des précipitations annuelles inférieu-

(16) Hivernage : la saison des pluies, relativement fraîche, succede B


4 une saison très chaude et lourde.
(17) Le climat soudanien se subdivise en deux sous-climats : le nord-
soudanien intéresse les régions de Bamako, Ouagadousou (Niamey, Mopti
sont déjà dans la zone sahélienne); la hauteur moyenne des pluies an-
nuelles est comprise entre 500 et 1 O00 mm. Le sud-soudanien (hauteur
moyenne de pluie 1 O00 à 1500 mm) intéresse en gros, une bande d e 250 5
300 km partant de l’embouchure de la Casamance (21 l’ouest),, passant au
sud. de-Ouagadougou et s’infléchissant vers le. 1 0 ~parallèle au Cameroun
(Voir fig. 3.)
120 PlUhBNCB AFRICAINE

res à 500 mm tombant sous forme d’orages principalement entre


le 15 juillet et le début septembre.
4) LE CLIMAT DÉSERTIQUE est très sec, les averses sont excep-
tionnelles.
L’étagement des quatre types de climats, en zones à peu
près parallèles à l’équateur, la venue des précipitations pen-
dant l’été boréal, dans les zone soudanienne et sahélienne,
nous livrent une des clés du mécanisme de la répartition des
pluies en Afrique de l’ouest : les chutes de pluies sont liées au
mouvement apparent du soleil.
Par ailleurs l’impulsion donnée à cette c mécanique climati-
que D reyient à deux centres d’action principaux : l’un installé
au sud de l’équateur, l’anticyclone de Sainte-Hélène, b i m mar-
qué en toutes saisons ; l’autre au nord, l’anticyclone du Sahara
qui s’affaiblit pendant l’été (juin-septembre). Ces deux centres
d’action agisseat tout au long de l’année sur les masses d’air
intertropicales et déterminent, dans chacune des zones clima-
tiques, des types de temps qu’il convient d’analyser.
En janvier (fig. 1A) les journées sont courtes dans’l’hémisphè-
re nord ; dans le Sahara, les masses d’air froid et sec (zone de
haute pression ou anticyclonique) tendent à s’étendre au maxi-
mum aux dépens des zones de basses pressions (ou cycloniques)
vers la Méditerranée, mais surtout au sud vers l’Atlantique. Il
s’établit donc pendant cette période peu ensoleillée au nord, un
mouvement d’air sec et frais de direction N.E-S.W. dans l’Ah-i-
que de l’ouest ; ce vent venu du Sahara est appelé Harmattan.
Au sud de l’équateur, c’est l’été austral ; au-dessus de
l’Océan, il se forme une masse d’air chaud et humide (son épais-
seur peut atteindre deux ou trois kilomètres) qui tend à prendre
le plus de place possible, réduisant considérablement l’aire anti-
cyclonique de Sainte-Hélène (18) ;elle déborde largement l’équa-
teur au nord et touche les côtes méridionales de l’Afrique de
l’ouest, pénétrant comme un coin sous les masses d’air sec issues
du Sahara ; ce courant d’air chaud et humide de direction S.W.-
N.E. est appelé alizé.
La ligne de contact entre les deux masses d’air forme un
front qualifié ici d’intertropical (F.I.T. en abrégé). C’est le long
de ce front, grossièrement parallèle à I’équateur, crue vont se
développer les phénomènes o r a g a x (les deux masses d’air sont
chargées d’électricité de pôles opposés), que vont se former des
nuages (cumulus) porteurs de pluie (suivant le schéma de la fig. 2).
- (18) L‘anticyclone de Sainte-HéIBne se €orme, s e dgdn&.re constam.
ment A la faveur des courants froids issus de l’océan, Antg$rctlque, conver.
gemt en cet endroit.
LES PROBLkMES DE LA SÉCHERESSE ... 121

J
e -

Figure l
Les types de temps en janvìer A et en juillet. B
Figure 2
Naissance des lignes de grains SUY le Front intertropical
LES PROBL&MES DE LA Sl%XJXJXSE... 123

Figure 3
Les 4 types de temps en Afrtqtle de Z'ouest pendatit I'tiivemage
(juillet-ao&)
124 PIUhBNCB AFRICAINß

Sur le front intertropical, la couche d’air humide est pea


épaisse : quelques centaines de mètres tout au plus ; au cours
de la journée, l’évaporation se développe à l’arrière du F.I.T.,
...
sur l’océan, sur les terres, les fleuves ; elle s’intensifie à me-
sure que le soleil monte ; l’air humide, poussé vers le nord par
les alizés, s’accumule le long du front qui recule jusqu’à ce qu’il
y ait équilibre entre les deux masses d’air, c’est-à-dire jusqu’à
14 ou 15 heures : à ce moment, pendant quelques instants l’at- o

mosphère est calme, le soleil déclinant ralentit l’évaporation ;


puis une légère brise fraîche s’élève du N.-E. et soulage bêtes
et gens : la masse d’air anticyclonique tend à regagner le ter-
rain perdu ; la brise se transforme bientôt en vent, puis en rafa- 6

le. Dans son avancée rapide, la masse d’air sec emprisonne bru-
talment des masses d’air humide qui s’élèvent rapidement vers
les couches supérieures froides ; au cours de cette ascension, des
frottements se produisent entre les deux masses d’air, ils déclea-
chent alors des phénomènes orageux qui ont pour effet d’accen-
tuer encore la dépression atmosphérique amorcée précédem-
ment. Rapidement, vem 16 ou 17 heures, il se crée le long du
F.I.T., sur plusieurs dizaines de km (voire plusieurs centaines de
km), une sorte de couloir dépressionnaire dans lequel s’mgouffre
l’air chaud et humide qui, dans les hautes altitudes (2 O00 à
3 O00 m) se transforme en un brouillard dense : les cumulus, aux
formes arrondies caractéristiques. Les phénomènes orageux qui se
développent le long du F.I.T. entraînent parfois des chutes de
pluies et même de grêIe ; mais bien souvent ces précipitations fu-
gaces n’atteipmt pas le sol, elles sont évaporées au cours de leur
chute (zone B, fig. 2).
Les cumulus ainsi formés le long du front, en s’élevant dans
la masse d’air froid et sec, sont placés dans la dépendance des
courants anticycloniques qui les poussent vers le S.-W. Au cours
de leur trajet, ils se refroidissent progressivement et donnent à
quelque 150 ou 200 km à l’arrière du front des pluies abon-
dantes et régulières dans la zone C, de largeur très variable
(entre 200 et 500 km).
Au-delà de la zone C, bien arrosée, les nuages s’étant vidés *
en cours de route, les précipitations se raréfient et disparaissent.
Les quelques particules d’eau restante atteignent les couches
de la haute atmosphère (8 000 à 10 000 m) et se transforment en
paillettes de glace très allongées qui voilent le ciel : les cirrus.
L’examen du mécanisme climatique intertropical (19) fait

(19) Pour l’exposé des t’(rues de temps interessant l’Afrique de l’ouest,


nous nous sommes inspires de la nodce explicative relatíve h la carte
climatique du Cameroun Atlas du Cameroun ORSTOM, redig6e par
M.G h e u x , i n g h e u r adfoint des Travaux Métkorologiques de la P.O.M,
LES PROBLSMES DE LA S6CHERESSE ... - 125

apparaître le rôle moteur du F.I.T. dans la mise en place des


4 types de temps qui se déplacent au cours de l’année en suivant
avec quelque retard le mouvement apparent du soleil et inté-
~

ressent des zones à peu près parallèles à l’équateur :

Temps de la zone A :en avant du front, air aec, ciel dégagé,


pas de précipitations.
o Temps de la zone B : juste en arrière du front, largeur
150 1 300 km, air humide, chaud, quelques précipitations
orageuses, ciel chargé de cumulus généralement en fin de jour-
née.

Temps de la zone C : plus au sud, largeur variable (200 h
500 km), air humide, frais, alternance de ,passages nuageux
avec pluies régulières, sans phénomènes orageux, et de beau
temps ensoleillé.
Temps de la zone D : Air humide, chaud, rares précipita-
tions, ciel généralement voilé par les cirrus.

De cette rapide analyse, retenons aussi l’extrême instabilité


du F.Z.T. au cours d’une même journée, mais aussi au cours
de ses déplacements de grande amplitude commandés par le
mouvement apparent du soleil.
En faisant jouer la grille schémati4e des typek de temps
(fig. 1 A) sur la carte de l’Afrique de l’Ouest, en suivant le
mouvement apparent du soleil au cours de l’année, il est facile
d’analysa les 4 zones climatiques précédemment proposées.
Dès le mois de janvier, le soleil c( se déplace D vers le nord,
entraînant avec lui les types de temps. C’est à partir du mois
de février, début mars, que le F.I.T. s’établit sur la côte sud
(Monrovia, Abidjan, Accra, ...) favorisant la venue des pre-
mières pluies orageuses ;,fin avril, il atteint une ligne passant,
grosso modo par la Casamance, Ouagadougbu, Niamey gui re-
çoivent leurs premièra précipitations, tandis gu’à l’arrière,
les régions d’Abidjan, Accra (etc.) sont soumises à un type de
temps C avec pluies abondantes et régulières : c’est le grand
hivernage qui se poursuit jusqu’m juillet. A cette époque (juil-
let) le front intertropical atteint en principe sa position sep-
tentrionale maximale (voir fig. 3 et 1 B) débordant le 20” paral-
9 lèle. Du sud au nord, c’est-à-dire d’Abidjan à la hauteur de
Port-Etienne, se succèdent les 4 types de temps décrits :

.Région d‘Abidjan : Type D, ciel voilé, chaud, E ~ pluie


S
(petite saison sèche).
Région de Dakar, Bamako, Niamey : Type C , alternance
126 P ~ S E N C EAFRICAINE

de pluies régulières et de beau temps ensoleillé, c’est l’hi-


vernage.
Région de Tombouctou, Fort-Lamy : Type B, pluie ora-
geuse et beau temps.
Région de Port Etienne : Type A, chaud, très rares orages.

Cette situation se prolongera jusqu’à la fin du mois d’aoíìt.


Dès le début du mois de septembre, le F.I.T. se déplace vers
le sud, la zone couvrant les régions de Dakar-Niamey est sou-
mise à nouveau à des pluies orageuses, brèves, c’est la fin de
l’hivernage, tandis que les régions côtières reçoivent des pré-
cipitations régulières. C’est la petite saison des pluies qui s’a-
chèvera, à la mi-novembre, par des orages. Fin novembre,
toute l’Afrique de l’Ouest est soumise à un type de temps sec.
Si chaque année, le déplacement du front intertropical sui-
vait régulièrement le mouvement apparent du soleil, chaque
zone climatique recevrait à la même époque des précipitations
à peu de choses près semblables à celles de l’année précédente.
Or I’élément moteur responsable de cette K mécanique clima-
tique > de l’Ouest africain, le F.I.T., semble répondre à d’au-
tres sollicitations que celles du mouvement apparent du soleil
(apparition de taches solaires ? passage de vents magnétiques
à proximité de notre planète ?). Certaines années, ces (c solli-
citations 1) étrangères perturbent considérablement le déplace-
ment du F.I.T.
A la íin du mois de juin, par exemple, il arrive que le front
intertropical qui passe alors à la hauteur de Bamako, se déplace
brutalement vers le nord et déborde quelque temps le 20” pa-
rallèle, entraînant avec lui les 4 types de temps. Dans le Sahel, les
grains édatent, des pluies orageuses suffisamment abondantes
atteignent le sol, imprègnent une terre surchauffée et déclen-
chent la germination des graines ; en quelques jours tout rever-
dit... Or une pousse prématurée des pâturages est souvent ca-
tastrophique pour les troupeaux : en effet après une ou deux
semaines d’averses, les pluies cessent, le F.I.T. recule vers le
sud, l’harmattan déssèche tout sur son passage, les jeunes pous-
ses se fanent, jaunissent et périssent avant d’avoir fructifié. Lors-
qu’à la fin du mois de juillet les pluies arrosent à nouveau le
Sahel, seules les herbes vivaces, à rhizomes, plus résistantes mais
moins nutritives, et quelques touffes de plantes annuelles épar-
gnées par la sécheresse, parviennent à reverdir et à fructifier.
Les pâturages, cette année-là, seront maigres, peu fournis et de
médiocre qualité.
Lorsque cet accident climatique est localisé à une région, les
conséquences ne seront pas désastreuses : pendant la saison
LES PROBLÈMES DE LA SdCHERESSE ... 127

sèche, les vents transporteront suffisamment de graines préle-


vées dans les secteurs voisins pour.réensemencer la région défa-
vorisée (20). Par contre si l’avancée trop précoce du front inter-
tropical est générale à tout le Sahel, les pâturages seront partout
médiocres en qualité et en quantité ; il faudra plusieurs années
de pluies utiles, dest-à-dire tombant entre le 15 juillet et la fin
du mois d‘août, pour faire fructifier les graminées épargnées
et réensemencer toute la zone sahélienne (21).
La zone soudanienne n’est pas à l’abri des variations clima-
tiques provoquées par les cc caprices )) du F.I.T. Dès la fin du
mois d’avril, les premières averses utiles atteignent la zone au
a sud d’une ligne passant par Bamako, Ouagadougou, Niamey. Au
15 juin, les précipitations cumulées peuvent dépasser 200 mm ;
elles sont suffisantes, par conséquent pour procéder aux semail-
les du maïs, sorgho, petit-mil, arachide. Le brusque déplace-
ment du front intertropical vers le nord à partir de cette date
(15 juin) favorise la venue, dans la zone sud soudanienne, d’un
type de temps D, c’est-à-dire chaud mais sans pluie. La petite
période sèche n’a pas d’effet désastreux sur les cultures tant que
sa durée ne dépasse pas une semaine ; entre 8 jours et deux
semaines, elle anéantit les champs installés sur des sols peu
épais ou imperméables ; entre 15 jours et 3 semaines, seules les
cultures de bas-fond sont en partie épargnées. Au retour des
pluies, vers le 5 ou 10 juillet, lorsque le F.I.T. prend une position
plus méridionale, le paysan doit à nouveau préparer ses champs
aux terres durcies par la sécheresse, semer hâtivement des grai-
nes non sélectionnées (prélevées généralement sur sa maigre
ration alimentaire, au fond de greniers à peu près vides), procé-
der aux desherbages, ceci dans un laps de temps très court (3
ou 4 semaines) avant l’arrivée des pluies régulières et abondan-
tes du mois d’août.
Or, les trois dernières campagnes agricoles 1970, 71, et 72,
dans la zone sud soudanienne, auraient été bonnes. Les précipi-
tations auraient été normales et leur répartition régulière tout au
long de l’hivernage, sans hiatus important (entre juin et juillet)
I

(20 Au cours de l’année, les déplacements du P.I.T. vers le nord OLI



vers J?e sud ne sont pas réguliers dans toute l’Afrique de l’Ouest : il se
forme le long de.la ligne du front de profonds décrochements, de’durée
‘* variable, à l’intérieur desquels les types de temm sont différents de ceux
intéressant les régions voisines (Cf.p. 116, en 1931, la secheresse se limite
à la région de Tillabéri au Niger).
(21) A la lecture des données pluviométriques, page 118, il semble que
toute la zone sahélienne du Niger ait subi en IY68 les consCquences d’une
avancée trop précoce du F.I.T. : les moyennes des précipitations sont
proches de la normale alors que la qualité des pâturages diminue. En
1970-1971 la sécheresse se généralise, et le déficit pluviométrique devient
de plus en plus important.
128 P d S E N C E AFRICAINE

alors que dans le Sahel sévissait la catastrophique sécheresse que


nous savons (voir tableau page 118).
En somme, au cours des trois dernières années, tout semble
s9être passé comme si le front intertropical, au lieu de déborder
largement au-delà du 20” parallèle, était resté (( accroché x (pour
des raisons que nous ignorons) le long d‘une ligne passant par
Saint-Louis, Tombouctou et s’infléchissant vers le lac Tchad,
à l’est. En faisant jouer le long de cette ligne la grille des temps
présentée précédemment, on remarque que! la majeure partie
du Sahel, est alors soumise à un type de temps A, sec et sans
pluie, que le temps orageux avec pluies éparses (type B) règne
sur la zone nord soudanienne, enfin que les pluies régulières
alternant avec un temps ensoleillé (type C) intéressent une
large zone au sud d’une ligne passant par Bamako et Ouaga-
dougou.
Si cette hypothèse était exacte, déplacement insuffisant
du F.I.T. vers le nord en 1970-72, elle permettrait de compren-
dre cette sorte de balancement entre les bonnes et les mauvaises
années qui, alternativement, intéresse le Sahel et la zone sud-
soudanienne. A chaque campagne, l’une des deux zones climati-
ques (soudanienne ou sahélienne) est défavorisée par rapport
à l’autre : lorsque les pluies sont abondantes au nord (période
1950-1966) elles sont irrégulièrement réparties ou insuffisantes
dans le sud ; lorsque le Sahel est grillé par la sécheresse, ou ne
reçoit que des précipitations mal réparties (1969-72), les paysans
méridionaux sont satisfaits par leur récolte.
Cette hypothèse, il convient de le souligner, est fondée uni-
quement sur la comparaison des campagnes agricoles et pasto-
rales vécues par le paysan et l’éleveur au cours des vingt der-
nières années ; une analyse plus approfondie s’appuyant sur
des données météorologiques permettrait de confirmer ou d’in-
firmer cette hypothèse ; à notre connaissance, une telle étude ne
semble pas avoir été réalisée à ce jour ...
Face à la sécheresse catastrophique qui sévit dans le Sahel
et dans la zone nord soudanienne, voyons comment ont réagi le
pasteur et le cultivateur.

IV - ELEVEURS ET PAYSANS FACE A LA SECHERESSE

Nous emprunterons nos exemples au Niger et examinerons ce


qui s’est passé au cours de la dernière décennie 1962-1972. Rap-
pelons que jusqu’en 1968, les pluies sont relativement abondan-
tes et bien venues : les mares sont nombreuses, les pâturages
épais couvrent d’immenses superficies, les troupeaux se sont
LES PROBLÈMES DE LA SfJCHERESSE ... ’ . 129

accrus considérablement. Plus au sud, les conditions pluviomé-


triques étant favorables (l’isohyète. 350 mm s’est déplacé loin
vers le nord : 100, 200 km en 1952-53 par exemple), le paysan
pousse ses champs sur des terres réservées jusque 1 aux pâtura-
ges et refoule sans trop de difficulté les pasteurs peul vers des
territoires septentrionaux.
Puis vint l’année 1968 au cours de laquelle les pluies suffi-
santes en quantité commencent trop tôt, s’interrompent, pour
ne reprendre q~i’unmois et demi plus tard ; les pâturages sont
maigres et nécessitent un déplacement continuel des troupeaux.
Les années suivantes sont déficitaires en général, les herbages
diminuent en quantité et en qualité ; pendant cette période de
cinq années à pluviométrie de plus en plue défavorable, le
pasteur ou l’agriculteur essaie de survivre sur place, de préser-
ver son cheptel ou d’obtenir des récoltes suffisantes pour sub-
venir à ses besoins.
Le troupeau qui s’était considérablement développé au cours
des années précédentes: grâce à l’abondance des herbages mais
aussi à une action sanitaire efficace (vaccination des bêtes sur
une grande échelle) et à la multiplication des points d’eau per-
manents (forages et puits profonds) , ne peut se satisfaire des mai-
gres pâturages placés sur son parcours traditionnel. Les bergers
transgressent les règles de la transhumance, poussent leurs bêtes
vers les zones épargnées par la sécheresse ; dans ces secteurs pri-
vilégiés, la surcharge pastorale aggrave les désordres causés par
le climat : les touffes de graminées sont arrachées par les bêtes
ou piétinées par les passages successifs des animaux sans que
pour autant ceux-ci soient rassasiés. Pour enrayer l’effrayante
mortalité du troupeau, les bergers attaquent à la machette les
buissons, les branches d’arbres ; les feuilles et même l’écorce
des arbustes sont littéralement cc dévorés 1) par les bêtes affa-
mées. Des conflits; parfois sanglants, opposent les éleveurs entre
eux pour préserver leurs droits sur les rares herbages.
Plus au sud, le paysan qui a élargi sa zone de culture aux
dépens des aires de parcours des pasteurs est en lutte continuelle
contre les bergers qui tentent de regagner sur les cultivateurs
les territoires précédemment soustraits ; pour compenser les
rendements en mil ou en arachide de plus en plus faibles cha-
que année, le paysan n’a d’autres ressources que celle d‘une
extension de ses cultures sur brûlis ; en détruisant systématique-
ment tout couvert végétal. herbacé, arbustif ou arboré, l7homme
dans son action désordonnée, désespérée, accentue la poussée du
désert vers le sud, sans parvenir toutefois à préserver son poten-
tiel économique.
Dès 1970, mais surtout après l’été 1972, beaucoup d’éeveurs
130 PRI~SBNCEAFRICAINE

ont-commencé à vendre leurs animaux et les cours se sont effon-


drés ; parallèlement, à la suite des mauvaises récoltes, le prix
du mil s’est‘considérablement accru. Au Sénégal malgré l’exten-
sion des cultures, 1a.récolte de l’arachide est médiocre ; le pay-
san qui depuis les années 1940, incité en cela par le’s pouvoirs
publics (22) et le prix élevé des oléagineux, consacrait la presque
totalité de ses activités à la monoculture arachidière, est incapa-
pable de se procurer l’argent hécessaire à l’achat du mil ::les
jeunes émigrent en masse vers les villes, la vieux essaient9 de
survivre dans des villages devenus silencieux.. .
-Pour combattre la famine qui s’installe chez l’éleveur comme
chez le paysan de la zone nord soudanienne, on pourrait ima-
gineV un ravitaillement des populations du nord à partir des
surplus emmagasinés dans le sud épargné par la sécheresse.
Cette solution se heurte aux difficultés d’acheminement : un
réseau de communication des plus défectueux grève lourdement
le coût des produits ; comment les éleveurs et les paysans tou-
chés par la sécheresse, dépourvus de signes monétaires pour-
ront-ils payer le mil amené difficilement jusqu’à eux ? Dans
le Sahel, les secours em-mêmes seront d’autant plus difficiles
à distribuer v’il s’agit de groupes éparpillés dans une zone
immense et difficile d’accès. On pourrait penser enfin, pour
sauver une partie du troupeau paturant le Sahel, un transfert
de cheptel vers les régions méridionales susceptibles de l’accueil-
lir. Mais on se heurte ici à la fragilité des animaux vivant ea
pays sec : transplantés au sud de l’isohyète 800-900 mm, ils ne
résistent pas aux maladies, dépérissent et sont décimés en quel-
ques mois.’
Quelles méthodes utiliser alors pour juguler de telles catas-
trophes ? Les expériences de pluies artificielles par ensemeb-
cement des nuages (au chlorure de sodium, par exemple) n’ont
jamais donné les résultats escomptés. Une organisation plus ra-
tionnelle de l’élevage peut-elle être mise sur pied et appliquée ?
Comment peut-on améliorer les rendements agricoles et garantir
au paysan chaque année une ration alimentaire suffisante à
ses besoins ?

(22) Pendant la dernière guerre mondiale et au cours des années sui-


vantes, les autorités coloniales exigent du paysan une production accrue
en produits oléagineux, en colon. Chaque circonscription administrative
doit fournir un certain tonnage minimum de ces produits de base indis-
pensables à l’économie de la Métropole.
LES PROBLBMES DE LA SfiCHFRESSE ... 131

V - LES EXPERIENCES DE MISE EN VALEUR DE LA


ZONE SAHELIENNE : L’EXEMPLE DU NIGER

Dès 1960, une politique de valorisation de la zone pastorale


est élaborée ; son objectif principal est d’installer des stations
de pompage qui, fournissant une eau de belle qualité aux éle-
v“, suppriment les épuisantes tâches d’exhaure. Des puits
t sont forés lorsque la nappe est à moins de 40 m de profondeur.
Une législation est mise en place, fixant les limites de l’agri-
culture pluviale et érigeant en zone de modernisation pasto-
rale toute une région située au nord de cette limite. Tout un
ensemble de textes législatifs définisseht les règles d’utilisa-
tion des stations de pompage .en fonction des conditions clima-
tiques et sociales, les charges pastorales maxima autour des
forage‘s (elles ne doivent pas excéder 1 bovin pour 5 ha par an,
ou 1 chameau, ou 10 moutons, ou 10 chèvres), stipulent en te-
nant compte des droits coutumiers les limites des zones réser-
vées aux collectivités d’éleveurs.
Cep-dant, les principales difficultés sont nées de la concen-
tration excessive des troupeaux autour des forages. On a pu
calculer que le nombre d’animaux était souvent le double, par-
fois le triple de celui prévu comme maximum à ne pas dépasser.
De ce fait, on a pu noter un surpâturage important autour de
toutes les stations de pompage à fort débit et on a été obligé
d’en fermer certaines par r o u l e e n t pour éviter une dégrada-
tion grave du couvert végétal. Bien que les textes de lois aient
prévu une attribution des forages à certains groupes nomades,
l’administration, pour des raisons politiques, sociales, adminis-
tratives et pratiques, a en fait mis ces installations à la disposi-
tion de tous les éleveurs sans distinction.
De plus, l’eau a été fournie gratuitement, malgré son prix
de revient élevé : or, il avait été prévu de faire payer l’eau, en
demandant au début un prix symbolique aux éleveurs, pour
leur faire comprendre la nécessité d’une participation et les
associer à cette politique d’hydraulique pastorale.
Au total, la politique mise en oeuvre, rationnelle dans les
textes, le fut moins dans son application pratique. Mise en route
durant une période climatique favorable, elle n’a pas su, en
temps utile, associer assez intimement les nomades à la gestion
des stations de pompage et en faire non seulement des utili-
sateurs mais également des gestionnaires intéressés à la bonne
marche de l’ouvrage et à la préservation de la végétation. On
a fait cadeau d’un outil, sans en confier la gestion à des éleveurs
responsables. Mais il ne faut pas sous-estimer les difficultés
d’une telle politique : elle devrait s’accompagner d’un contrôle
132 . P a S E N C E AFRICAINE

pour étiter que les chefs les plus prestigieux et les plus riches
n’accaparént à leur profit l’usage des forages aux dépens des
pauvres ou des étrangers.
Que faire pour qu’une telle situation ne se renouvelle pas ?
La seule réponse rationnelle serait de limiter l’accroissement
des troupeaux, de gérer la zone pastorale comme un ranch, en
réservant des pâturages pour la saison sèche de soudure, en
créant des réserves de pâture. Mais les éleveurs sont-ils prêts
à accepter une telle politique de contrainte et d’atteinte à leur
liberté de mouvements ? Les Etats africains ont-ils les moyens
pratiques d’appliquer une telle politique : délimiter chaque
année les zones de parcours, assurer les activités d’une (( police r
des pâturages D ?
Le nomadisme pastoral, souvent considéré comme un mode
de vie anachronique, est en fait la réponse des éleveurs pour
l’exploitation d’une zone marginale où la végétation est iné-
galement répartie : c’est une exploitation rationnelle lorsqu’el-
le se base sur un équilibre entre les troupeaux et le couvert
végétal : il se règle de lui-même et se corrige en fonction des
années sèches et des années humides. Lorsque de nouvelles
techniques permettent une multiplication des animaux, sans
pour autant leur assurer des ressources nouvelles, le déséqui-
libre devient permanent, masqué, en période humide, dramati-
quement visible en période de sécheresse.
Le problème est donc de contrôler le développement des
troupeaux, ce qui va toujours à contre-courant de la stratégie
des éleveurs qui consiste à accroître au maximum le nombre de
leurs animaux. On en revient en définitive à un problème de
surpopulation dans une zone qui ne peut porter qu’une charge
limitée de troupeaux et, partant, de groupes humains qui en
vivent. Dans le contexte gctuel, on ne voit guère de solution-
miracle : la sécheresse provoque le recul provisoire de la végé-
tation, mais elle crée une dégradation beaucoup plus grave du
couvert végétal, lorsqu’elle s’accompagne d’un surpâturage per-
manent qui modifie les espèces végétales et crée souvent des
zones dénudées, où les effets du ruissellement en nappe et de
l’érosion éolienne se combinent (23).
23) G. Boudet, 1972, op. cit.
kous .pensons tout specialement à l’Office du Niger, créé pour assurer
les besoms de l’industrie française en coton, transformé dès avant la
guerre en une exploitation rizicole non rentable, B la C.G.O.T., au péri-
mètre expérimental de Kaffrine, au Sénégal, voués tous deux B Ja culture
arachidière, .aux aménagements récents de Richard-Toll, destinés à la
...
culture du riz, très coûteux et peu productifs
Econoniiquement parlant, le cultivateur avait intérêt, dans les zones
les plus favorables, à cultiv.er en arachide toutes se: teqes et à acheter
ses produits de consommation; à l’issue de l’opération, i1 lui restait un
* petit bénéfice.
LES PROBLhMES DE LA SIkHERESSE ... 133

Or, l’élevage, dans le contexte économique ou social actuel,


ne peut être qu’un élevage extensif amélioré. La nourriture du
bétail ne peut être importée ; les pâturages irrigués sont dif-
ficileuent réalisables ou trop coûteux. La marge d’action des
gouvernements est étroite ; les pouvoirs publics, en définitive,
ne peuvent agir qu’au ‘moment de l’implantation de techniques
nouvelles : stations de pompage, par exemple, qui favorisent
des redistributions spatiales des nomades et de leurs troupeaux.
La commercialisation du bétail et l’ouverture des débouchés
sur‘ l’Afrique, les grandes villes côtières et, plus tard, sur
l’EurÓpe, dont le déficit en viande va croissant, restent l’objec-
tif principal de l’élevage sahélien : c’est dans ce but que les
ranches d’embouche ont été créés. Mais le problème primordial
reste de permettre à l’élevage sahélien de se développer sans
peser sur l’environneme~~tet le couvert végétal d’une zone
marginale fragile. G’est le problème d’un élevage lié à l’écologie,
plus difficile à résoudre que celui d’un élevage concurrent
implanté c ek nihilo )i dans les zones de forêts ou de savane
jusque là exclues des possibilités pastorales, mais aujourd’hui
ouvertes par les progrès de la zootechnie.
En définitive, il s’agit de maintenir l’équilibre de la zone
pastorale sahéliennd qui n’a d’autre vocation qu’un élevage
extensif et de donner aux é h e u r s une assurance contre les aléas
des sécheresses périodiques, par un meilleur contrôle des pâtu-
rages assurant une amélioration qualitative plus que quantita-
tive du troupeau. *

Si, en 1973, les gròblêmes de l’élevage au Sahe1,se heurtent


à des difficultés multiples, il est probable que d’ici quelques
années les Etats industrialisés s’intéresseront de très près à ces
problèmes et participeront activement au développement de
l’économie pastorale : la ,pénurie de viande, dans les pays
occidentaux, s’aggravant d’année en année, les contraint à envi-
sager prochainement l’importation de viande bovine des pays
sahéliens.
Par contre, il est beaucoup moins certain que ces mêmes
pays industrialisés offrent une aide aussi efficace pour améio-
rer les conditions de vie du paysan soudanien, ses méthodes
culturales ou les variétés de son mil, de son sorgho, ou de
.son igname. Dans ces conditions, il seyait prudent que les Etats
de la zone soudanienne adoptent une politique de développe-
ment rural à la mesüre de ses propres ressource!s et imaginent
des solutions (modestes peut&re) adaptées aux besoins et aux
techniques paysannes.
L
134 PRI?SENCB AFRICAINE

VI - POUR UNE AMELIORATION DES CONDITIONS DE


VIE DU PAYSAN SOUDANIEN
Certes, les stations de recherche (comme celle de Bambey
au Sénégal, créée depuis une quarantaine d’années) se sont in-
téressées à l’amélioration des produits alimentaires de base, ont
créé des variétés nouvelles à rendemmt élevé. Mais jusqu’à ce
jour, sauf pmt-être dans quelques villages témoins OU quelques
régions proches de la station, ces variétés n’ont pas fait l’objet
d’une vulgarisation, d’une diffusion généralisée à toute l’Afrique
occidentale, alors que les variétés de caféier, de cacaoyer, de pal-
.
mier P huile, d’arachide.. bien adaptées aux conditions climati-
ques locales, offrant des rendements élevés et des produits de
qualité, étaient largement diffusées dans les pays producteurs.
Il semble donc qu’au niveau de la recherche agronomique,
il s’est produit une sorte de (( ségrégation )>, involontaire‘ peut-
être, entre les cultures exportables - source de richesse des
Etats producteurs - et les cultures vivrières traditionnelles,
consommées sur place. Nous ne ferons pas ici le procès de la
politique des grands aménagements agricoles menée à grands
frais pour répondre aux besoins des pays industrialisés ; on sait
qu’elle a totalement échoué ; mais nous rechercherons ce qui
pourrait être entrepris pour promouvoir une agriculture vivri6re
dans les zones soudaniennes et préserver les populations rurales
de la famine.
Paradoxalement, nous peasons que l’amélioration des cul-
tures en général, l’introduction de variétés nouvelles, l’élévation
des niveaux de vie du paysan passeht tout d’abord par le déve-
loppement d’un réseau de voies de communication praticable
toute .l’année. I1 faciliterait, entre autres choses, le désenclave-
ment des populations, leur ouveture vers le monde extérieur,
l’intervention des équipes d’encadrement, l’évacuation des
produits.
La culture intensive doit prendre le pas sur la culture exten-
sivd sur brûlis pratïquée d’une façon générale dans l’Ouest afri-
cain. La présence d’un troupeau dans chaque ferme devrait
permettre sans frais l’élargissement des cultures amendées, lors-
que la stabulation des bêtes seta généralisée tout au long de
l’année et le fumier utilisé à l’engraissement des terres. Quel-
ques populations pratiquent déjà spontanément la fumure sur
une grande échelle : les SérGres au Sénégal, les Bambara au
Mali, les Bwa en Haute-Volta ; certaines d’entre elles parvien-
nent à amender entre le tiers et la moitié de leur terroir, de
telle sorte que les récoltes sont suffisamment abondantes chaque
année pour subvenir 5 Xel;rs besoins et pour leg prémunir éven-
LES PROBLGMES DE LA S~CHERESSE... 135

tuellement contre la disette ; lorsque les conditions climati-


ques sont défavorables, les surplus sont commercialisés facile-
ment sur les marchés. I ” I

Un encadrement agricole aux mailles serrées, formé de mo-


niteurs issus du monde rural (24), ayant reçu une formation
suffisante, exerçant leur action dans leur pays d’origine, serait
à même d’introduire des techniques de production nouvdles
2 mais suffisamment simples pour être adoptées par le paysan.
Depuis quelques années, 1 s Etats africains (Sénégal, Mali, Hau-
te-Volta, Niger) orienteht leur politique d’intervention vers
l’adoption de telles solutions. Ce mode d’intervention << au ras
8 du sol I), appliqué timidement jusqu’à ce jour, a l’avantage d’être
peu coûteux (25) , de toucher individuellement chaque ethnie,
chaque village, et d’être suffisamment souple pour s’adapter au
genre de vie, aux coutumes, aux habitudes particulières de
chacun des groupes.
I1 paraît nécessaire, urgent même, que le paysan abandorine
la monoculture des produits exportables parachide au Séné-
gal, par exemple). Une mauvaise répartition des pluies, la SUC-
cessions de plusieurs années sèches, l’effondrement des cours du
produit ruinent l’éeonomie paysanne, et le producteur d’ara-
chide au Sénégal est incapable de subvenir à ses besoins : c’est
la détresse, la ruée vers la ville, le chômage. (26)
A l’amélioration des cultures sous pluie, réservées à l’alimen-
tation traditionnelle, doit s’ajouter la culture irriguée et tout
spécialement celle du riz dont certaines variétés sont capables
‘ de s’adapter à des climats secs, pourvu que les racines plongent
dans l’eau. Jusqu’à présent, la riziculture s’est souvent heurtée
aux habitudes alimentaires des populations des savanes qui lui
préfèrent le sorgho, le mil, le maïs ou l’igname. Toutefois les
rendements élevés de cette céréale (sans regicruage, mais sebé
en ligne, le riz offre des rendements deux fois supérielm à
ceux du sorgho ou du mil, cultivés suivant des méthodes tradi-
tionnelles) permettraient de compléter les réserves vivrières du
fi
paysan et de lui assurer tout au long de l’année une ration
alimentaire suffisante.’ L’introduction de la riziculture dans lee
pays où elle ne s’est pas encore implantée nécessite des aména-

0 -
(24) En revenant dans son pays d’origine, l’agent encadreur, miéux que
quiconque, sera à même de découvrir des solutions susceptibles d’em-
porter l’adhésion du cultivateur pour améliorer ses cultures.
i(25) En Haute-Volta, le salaire d‘un moniteur de l’agriculture insta116
dans un village était, en 1972, de l’ordre de 100 F/mois. $

(26) La monoculture arachidière s’est développée vers 1350 lorsque les


cours de ce produit étaient, élevcis .(pénurie de matière grasse en Europe) ;
par contre le prix du mil etart faible,
136 PRJ%ENCE AFRICAINE

gements hydro-agricoles, des retenues d’eau indispensables pour


alimenter les casiers. Nous pensons qu’une politiuue de petits
barruges, en terre battue, conçue au niveau du village, est réa-
lisable dans la plupart des Etats africains et n’entraînerait pas
d’investissements excessifs. Le choix du site, le tracé du réseau
d’irrigation, la construction de l’ouvrage de retenue seraient
du ressort de spécialistes tandis que l’ouverture des fossés d’irri-
gation, l’entretien du système (curage des fossés, consolidation
de la lmée de terre, réparation de brèches ...) reviendraient à
la communauté villageoise.
L’expérience des petits barrages qui se développe depuis
quelcrues années au Mali et en Haute-Volta semble donner toutes
satisfactions aux utilisateurs : à la riziculture, le paysan a géné-
ralement ajouté les cultures maraichères de décrue en début
de saison sèche, des plantations de vergers sur les terres non
inondables (manguiers, papayiers, bananiers, goyaviers...)
La famine causée par l’exceptionnelle sécheresse de ces der-
nières années, la disparition de l a presque totalité des trou-
peaux, la profonde dégradation du milieu naturel, rappellent
brutalement le fragile émilibre écologique et économique des
zones sahéliennes et soudanietmes, équilibre qu’il convient de
préserver et de consolider à tout prix si l’on veut que les hom-
mes et les troupeaux puissent dorénavant subsister.
Dans le Sahel, l’erreur des services de développement qui
ont pratiqué d’une façon efficace une politique de grande hy-
draul; m e et d’action phyto-sanitaire à grande échelle, réside
dans l’ienorance des variations de la pluviométrie gui cyclique-
ment affectent la zone sahélienne ; en fondant leur action sur
des données climatiques extrêmement favorables à l’élevage,
les services d’intervention ont en quelaue sorte négligé de Dré-
server leurs arrières : recherche de variétés d’herbage plus résis-
tantes à la sécheresse, aménasement de réserves fourragères,
.
création de pâturages artificiels.. La disparition brutale, au
cours de la dernière saison sèchd, d’une bonne partie du chevtel,
aura pour effet, dans l’immédiat, la suppression de la surcharge
pastorale. Pendant ces quelques années de rétit, il est souhai-
table que les responsables de l’économie des Etats les plus tou-
chés par l a catastrophe repensent le problème d’un élevage
mieux adapté aux variations climatiques et qu’avec l’aide des
pays occidentaux - de plus plus intéressés par les pays
producteurs de viande - ils tentent de découvrir des solutions
propres à développer ce potentiel économique si mal utilisé
jusqu’ici.
La crbticm de ranches d’embouche, contra’ldp de près par les
‘LES PROBL~~MES
DE LA SBCHERESSE ... 137

services techniques dans la zone sahélienne méridionale, comme


cela a déjh été fait dans plusieurs Etats, peut permettre d’ache-
ter aux éleveiirs des animaux engraissés avec tous les soins dési-
rables, avant d’être dirigés vers les abattoirs et exportés comme
viande de boucherie : la’technique des ranches ne pose pas de
problèmes majettrs, mais le principal objectif de tels projets
doit être d’associer les éleveurs, pourvoyeurs de bétail, à la
marche du ranch et aux bénéfices d’une telle opération. Le
danger est de voir se! développer deux économies parallèles,
l’une gérée par une grosse société, cherchant uniquement des
bénéfices immédiats et se désintéressant de l’élevage tradition-
nel. Mais les ranches sahéliens pourraient permettre de faire
passer certains éleveurs d’une économie de subsistance vers une
économie de marché. Le second péril, pour l’élevage sahélien,
c’est de voir transférer les ranches d’embouche dans les zones de
consommation, c’est-à-dire pres des centres urbains de la côte :
dès lors, le Sahel ne serait plus qu’un (c pays naisseur D, laissant
aux Etats industriels le soin de (< finir les animaux B et de s’assu-
rer les bénéfices sur ses propres troupeaux ou sur des troupeaux
locaux nouvellement installés.
Si l’avenir économique du Sahel est lié à l’élevage, on peut
espérer que les pasteurs seront associés à une exploitation du
bétail en vue de nouveaux débouchés : mais si leur avenir reste
toujours incertain, celui du niveau de vie du paysan soudanien,
constamment touché lui aussi (quoique d’une façon moins spec-
taculaire que le pasteur) par les caprices climatiques, ne l’est
pas moins. n ne dispose pas d’un atout économique aussi im-
portant que son voisin I’éleveur : le! coton, l’arachide, le sésame,
le tabac qu’il produit pour l’exportation se heurtent à la concur-
rence des pays agricoles techniquement plus avancés, produi-
sant à meilleur comnte. Sans vouloir abandonne pour autant
les cultures exportables, il paraît urgent d’améliorer les rende-
ments des produits de consommation courante : l’espérance-vie
de l’agriculteur des savanes est de l’ordre de 28 à 32 ans ; on
ne meurt pas de faim, certes, mais certaines années le déficit
des réserves alimentaires est tel qne le paysan, au moment des
gros travaux, doit se contenter du strict minimum : un maigre
repas le soir ; fatigué, usé par le travail, insuffisamment nourri,
la moindre maladie lui est fatale. Il convient donc de l’aider,
non pas en construisant des ouvrages prestigimx sans utilité
directe pour lui, mais en lui apportant des méthodes simples,
des techniques à sa portée, capables de rentabilise ses efforts et
de lui apporter chaque année le nécessaire indispensable à ses
liesoins physiques. Modeste, pauvre, effacé, le paysan des sava-
nes ne fait pas parler da lui, on l’oublie.
138 P ~ S B N C BAFRICAINE

Il est souhaitable que le mouvement de solidarité qui s’est


développé dans le monde entie2 pour secourir les pays touchés
par la sécheresse, se transforme en une prise de conscience de la
détrese ’(c endémique 11 qui sévit chez les pasteurs et les agricul-
teurs africains ; que l’on repense le problème de l’aide aux
pays sous-développés, envisagé jusqu’ici sous la forme de réa-
lisations techniques trop élaborées, trop complexes pour être
maîtrisées par le pasteur ou le paysan. Encore faut-il que les z
responsables des pays africains soient pleinemem conscients de
la nécessité de soulager la détresse des populations dont ils
ont la charge, à l’aide d'ce outils 1) facilewent utilisables, mais
suffisamment efficaces pour améliorer progressivement les ren-
dements sans déséquilibrer le milieu naturel, et augmenter
constamment les niveaux de vie.

E. BERNUS et G. SAVONNET
0.R:S.T.O.N.
Paris
NOUVELLE SERIE BILINGUE N3 88 - 4" TRIMESTRE 1973

PRÉSENCE AFRICAINE

REVUE CULTURELLE DU MONDE NOIR

TIRE A PART

Les problèmes d e la sécheresse


dans l'Afrique d e l'Ouest

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