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LAfrique Un Geant Qui Refuse de Naitre

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Etudes

africaines Série Economie

René N’Guettia Kouassi

L’Afrique : un géant
qui refuse de naître
La solution, c’est de tout reprendre à zéro

Préfaces de Carlos Lopes et Jean Ping


© L’Harmattan, 2015
5-7, rue de l’École polytechnique, 75005 Paris

http://www.harmattan.fr
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-343-05226-7
EAN : 9782343052267
L’Afrique :
un géant qui refuse de naître
Collection Études africaines
dirigée par Denis Pryen et son équipe

Forte de plus de mille titres publiés à ce jour, la collection


« Études africaines » fait peau neuve. Elle présentera
toujours les essais généraux qui ont fait son succès, mais se
déclinera désormais également par séries thématiques : droit,
économie, politique, sociologie, etc.

Dernières parutions
EKANI (Serge Christian), Liberté de saisir et exécution forcée dans
l’espace OHADA, 2015.
KOUAKOU (Jean-Marie) dir., Penser la réconciliation. Pour panser la
Côte d’Ivoire, 2015.
WOUAKO TCHALEU (Joseph), Le racisme colonial, Analyse de la
destructivité humaine, 2015.
TOE (Patrice) et SANON (Vincent-Paul), Gouvernance et institutions
traditionnelles dans les pêcheries de l’Ouest du Burkina Faso, 2015.
OTITA LIKONGO (Marcel), Guerre et viol. Deux faces de fléaux
traumatiques en République Démocratique du Congo, 2015.
MAWANZI MANZENZA (Thomas), L’Université de Kinshasa en quête
de repères, 2015.
MOUCKAGA (Hugues), SCHOLASTIQUE (Dianzinga), OWAYE
(Jean-François), Quelle gouvernance pour l’Afrique noire ?, 2015.
SEMANA (Tharcisse), Aux origines de la morale rwandaise. Us et
coutumes : du legs aux funérailles, 2015.
BANGUI (Thierry), La mal gouvernance en Afrique centrale, 2015.
GOHY (Gilles Expédit), Éducation et gouvernance politiques au Bénin.
Du danxômè à l’ère démocratique, 2015.
BADO (Arsène Brice) (dir.), Dynamiques des guerres civiles en Afrique,
2015.

Cesȱdixȱderniersȱtitresȱdeȱlaȱcollectionȱsontȱclassésȱȱ
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René N’GUETTIA KOUASSI

L’Afrique :
un géant qui refuse de naître
La solution, c’est de tout reprendre à zéro

Préfaces de Carlos LOPES et Jean PING


Du même auteur

Les Chemins du Développement de l’Afrique,


L’Harmattan, 2008.

Comment Gouverner autrement la Côte d’Ivoire,


L’Harmattan, 2010.

Les Défis du Développement de l’Afrique Contemporaine,


L’Harmattan, 2012.

6
Sankofa

Littéralement, Sankofa signifie, pour les « Akans », groupe ethnique vivant particulière-
ment en Côte d’Ivoire et au Ghana, « retour aux sources », « se nourrir du passé pour
mieux faire face au futur ».

Le terme Sankofa est composé par les mots :

SAN : retourne
KO : va
FA : prends et ramène

Le symbole Sankofa représente aussi un oiseau mythique qui vole vers l'avant et qui en
même temps a la tête tournée vers l'arrière. Il nous indique que le passé nous sert de
guide pour préparer l'avenir, et que ce qu'on apprend de notre passé, nous aide à cons-
truire notre avenir.

Aussi ce symbole traduit-il la mémoire des peuples. Dans ce sens il signifie : « va chercher
en fouillant et prends ! »

« Se wo were fi na wo sankofa a, yenkyi », un adage populaire Akan qui signifie qu'il n'y a
aucun mal à apprendre du passé !

Source : Kwaku Amoako-Attah Fosu(2007) :Handbook on Kente Designs and Adinkra


Symbols.

http://www.sankofa.ca/aux-sources.html
A mes Parents qui m’ont expliqué et appris l’essentiel

A mon épouse, qui m’a toujours assuré de son soutien

A mes enfants, qui ont donné un sens à mon existence

La Commission de l’Union africaine n’entend donner aucune approbation ou improba-


tion aux opinions émises dans cet ouvrage. Celles-ci doivent être considérées comme
propres à leur auteur.
PREFACE

L’Afrique a connu différentes périodes de croissance qui ont été ali-


mentées dans leur plus grande partie par des besoins extérieurs. Un trop
grand nombre de nos économies restent tributaires de la production et
de l'exportation de matières primaires. On peut imaginer ce que l’Afrique
aurait pu contribuer à sa renaissance si elle produisait, transformait et
avait établi des liens d’échanges intra-Africains forts. Le contexte éco-
nomique et politique international de la période postindépendance a con-
tinué d’influencer les économies Africaines. Les temps changent et les
Africains sont conscients des atouts dont ils disposent. A l’horizon, nous
pouvons observer l’aube de notre transformation structurelle. Concrète-
ment, cela signifie un changement des composantes économiques du
secteur primaire en termes d'emploi et de production vers l'industrie et
des services modernes. Ce changement sera une source d’utilisation plus
grande des technologies et d’une meilleure productivité dans tous les
secteurs. Et si au lieu de repartir de zéro, l'Afrique se transformait sur la
base de ses acquis et des leçons des années 60 et 70 ? En effet, notre
Afrique, devenue indépendante, a imité d’autres régions du monde en
choisissant une industrialisation fondée sur la substitution de produits
nationaux par des importations. Cette tentative a produit quelques résul-
tats, mais qui ont été, en fin de compte, compromis par les limites d’un
modèle sans valeur ajoutée locale. Dans une conjoncture mondiale dé-
primée, l’Afrique continue de croître depuis le début de ce siècle. Sa
croissance exogène, en partie, peut laisser place à la diversification. Il est
de notre ressort, en tant qu’Africains, de privilégier l’utilisation de nos
ressources comme moteurs efficaces d’une industrialisation qui tarde à
venir. Notre énorme base de matières premières et de ressources natu-
relles est un accès au secteur industriel. Je suis convaincu que le géant tel
que décrit par René N’Guettia Kouassi acceptera ce défi pour les généra-
tions présentes et futures. Il nous incombe de réfléchir au genre de socié-
té que nous voulons léguer à nos enfants et petits-enfants. Pour ce fait,
nous nous devons d’avoir une vision claire de l’avenir accompagnée
d’une compréhension tout aussi claire de notre expérience de l’histoire,
du contexte actuel et des politiques requises pour atteindre nos objectifs
dans un environnement mondial en pleine mutation. C’est le défi que
relève ce livre. Nous nous devons d’éviter toute impasse. Ainsi, nous
devons favoriser le développement d’une population très instruite, en
bonne santé et qualifiée qui puisse assimiler la technologie et mettre en
place l'infrastructure indispensable à notre progrès dont les bénéfices
iront au-delà de nos frontières physiques. De même, nos États doivent
renforcer les capacités de nos administrations publiques pour qu’elles
soient en mesure d'entreprendre une planification dynamique à long
terme et assurer la coordination des activités économiques. Au plan fi-
nancier, nous devons commencer à prêter davantage attention à la mobi-
lisation des ressources intérieures alors que nous accélérons le rythme de
l'intégration régionale de façon à engranger de plus grandes économies
d'échelle. En effet, la poursuite de la transformation structurelle exige
que nous tirions un meilleur parti des atouts économiques de l'Afrique et
fassions en sorte que tous les secteurs de la société, en particulier les
femmes et les jeunes, jouent le rôle qui leur revient. Nous devons con-
duire le processus de transformation structurelle selon notre propre phi-
losophie et nos propres priorités, dit Kouassi. La préoccupation de
l’auteur est pertinente et mérite toute notre attention. Les défis actuels
des économies africaines ne laissent plus de place aux tabous. Les leaders
africains qui portent la voix des africaines et des africains ont pris la me-
sure du temps. L’immobilisme ne rythme plus avec l’Afrique qui vit au
rythme d’une jeunesse éveillée. Le présent ouvrage rappelle les opportu-
nités manquées. C’est aussi une invitation à explorer les pistes africaines
pour éviter que notre histoire, élevée par nos pères fondateurs, ne reste
qu’une histoire de ce que nous aurions pu devenir. Notre devoir de mé-
moire, nous interpelle pour que notre génération et celles qui nous sui-
vent, s’arment du sceau de la transformation, s’approprient toutes les
idées pertinentes et novatrices qui y sont exprimées et en fassent un
usage africain dans l’exercice de leurs responsabilités individuelles et col-
lectives au quotidien. L’Afrique tout entière en sortira grandie.

Carlos LOPES
Secrétaire exécutif de la Commission Économique
des Nations Unies pour l’Afrique

12
PREFACE

Après plus d’un demi-siècle d’autonomie relative dans la gestion de


ses affaires internes l’on se demande encore où va l’Afrique dans son
processus de développement. Et pour cause. Toutes les politiques
sectorielles qu’elle a expérimentées pour sortir du cul-de-sac de la
pauvreté et de la misère peinent à aboutir à des résultats escomptés. Elles
semblent toutes s’essouffler sans pourtant parvenir à conduire l’Afrique
là où elles étaient censées le faire : ériger une Afrique économiquement et
politiquement épanouie et intégrée, ayant procuré bonheur et prospérité
à ses populations et dont la voix est audible et respectée au sein de la
communauté internationale. Une telle situation difficilement explicable et
compréhensible, du fait des ressources abyssales dont dispose ce
continent, invite à une série de questionnements dont l’essentiel se
résume comme suit : si l’Afrique semble se diriger dans une impasse, en
raison de la médiocrité persistante des résultats de la plupart de ses
politiques sectorielles, pourquoi alors ne reprend-elle pas tout à zéro
pour repartir sur des bases plus solides dont elle peut avoir la maîtrise
totale des leviers de commande ? Recommencer tout à zéro ne traduit
pas l’idée que l’Afrique doit arrêter de vivre et de fonctionner. Il s’agit
plutôt de revisiter toutes ses politiques ou stratégies de développement
en faisant un examen critique et audacieux pour s’assurer de la robustesse
ou de la pertinence de chacune d’elles à la lumière de l’évolution des
contraintes de notre ère. Celles qui tiennent la route, voire celles qui vont
dans le bon sens, peuvent être renforcées et vulgarisées. Dans ce cas, il y
aurait des éléments à conserver, d’autres à changer, et d’autres à
approfondir. En revanche, toutes celles qui ne laissent pas augurer un
brin d’espoir doivent être entièrement refondues, remises à plat, en y
injectant de nouveaux contenus qui reflètent toute la réalité du continent.
La préoccupation de l’Auteur est pertinente et mérite toute notre
attention. Car les défis actuels des économies africaines n’autorisent pas
que le continent connaisse des questions tabous. Il doit plutôt savoir se
poser de bonnes questions et leur trouver de bonnes réponses. Ce genre
d’exercice s’impose aujourd’hui aux leaders africains. Ne pas le faire c’est
accepter d’installer durablement l’Afrique dans un immobilisme
pathologique extrêmement préjudiciable à son avenir économique et
politique. Le présent ouvrage non seulement tire la sonnette d’alarme,
mais encore il offre des pistes à explorer pour dérouter l’Afrique de la
voie suicidaire sur laquelle elle semble se trouver aujourd’hui. Les
générations présentes et celles de demain se doivent de s’approprier
toutes les idées pertinentes et novatrices qui y sont exprimées et en faire
une boîte à outils dans l’exercice de leurs responsabilités quotidiennes.
L’Afrique tout entière en sortira grandie. Et le rêve cher à Kwamé
Nkrumah, à savoir l’avènement des États Unis d’Afrique, aura toutes les
chances de devenir une réalité.

Jean Ping
Ancien Président
de la Commission de l’Union Africaine

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SIGLES

ABCA : Association des Banques Centrales Africaines


ACDC : Accord sur le Commerce, le Développement et la Coopération
APD : Aide publique au Développement
BAI : Banque Africaine d’Investissement
CAE : Communauté de l’Afrique de l’Est
CAF : Coût Assurance Fret
CEDEAO : Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest
CEN-SAD : Communauté des Etats Sahélo-Sahariens
CER : Communauté Economique Régionale
COMESA : Marché Commun pour l’Afrique de l’Est et Australe
ECOSOC : Conseil Économique et Social
FED : Fonds Européen de Développement
FMA : Fonds Monétaire Africain
FMI : Fonds Monétaire International
IAA : Industrie agro-alimentaire
IGAD : Autorité Inter-Gouvernementale sur le Développement
MEDA : Mediterranean Economic Development Area
NEPAD : Nouveau Partenariat Economique pour le Développement de
l’Afrique
OMD : Objectifs du Millénaire du Développement
PNB : Produit National Brut
PVD : Pays en voie de développement
PD : Pays développés
SADC : Communauté de Développement de l’Afrique Australe
TICAD : Conférence Internationale de Tokyo sur le Développement en
Afrique
UA : Union africaine
UMA : l'Union du Maghreb arabe
UN-NADAF : Nations unies-Nouvel Agenda pour le Développement de
l’Afrique
AVANT-PROPOS

Ce livre repose sur une problématique que beaucoup d’Africains


n’osent pas exprimer publiquement. L’Afrique, un géant qui refuse de
naître. Et comme solution : pourquoi ne recommence-t-elle pas tout à
zéro ? A première vue cette solution peut paraître saugrenue et difficile-
ment admissible. Et pourtant elle mérite d’être examinée avec beaucoup
d’attention dans la mesure où tous les modèles jusque-là expérimentés
par l’Afrique pour se développer montrent une forte et persistante ten-
dance à l’essoufflement ; ce qui de facto la conduit tout droit dans une
impasse. L’ouvrage dans toutes ses dimensions met en lumière le bien-
fondé de cette problématique, et suggère des solutions pour y faire face.
Les lecteurs y trouveront leur compte et pourront s’en inspirer dans
l’accomplissement de leurs tâches de tous les jours.
Cet ouvrage a pu être mené à son terme grâce aux apports précieux de
Mme Kokobe George, Secrétaire au département des Affaires écono-
miques de la Commission de l’Union africaine et de Mlle Ambela Barba-
ra, assistante éditoriale dans le même département, qui ont su répondre à
toutes nos sollicitations. Qu’elles en soient sincèrement remerciées.
INTRODUCTION

Aujourd’hui, c’est un secret de polichinelle que l’Afrique détient la


palme d’or de toutes les insécurités : économique, financière, politique,
sociale, alimentaire, énergétique, juridique, etc. Ce sombre tableau, diffi-
cile à admettre du fait des potentialités abyssales dont elle regorge, offre
à l’esprit plusieurs interrogations. Au nombre de celles-ci figurent princi-
palement celles qui suivent : A-t-elle adopté des bonnes politiques et
stratégies de développement ? A-t-elle défini son propre agenda de déve-
loppement ? A-t-elle été contrainte de ne mettre en œuvre que des poli-
tiques et stratégies conçues ailleurs ? A-t-elle intégralement mis en œuvre
les programmes de développement dont elle s’est elle-même dotée ? N’a-
t-elle pas eu les moyens de ses ambitions, voire de son destin ? Ne s’est-
elle pas munie de mécanismes appropriés de gouvernance économique et
politique ? Quelle que soit la nature ou le contenu des questions que l’on
est en droit de se poser, les insécurités qui caractérisent aujourd’hui
l’Afrique laissent entrevoir qu’elle se trouve dans une véritable impasse.
Alors qu’elle recèle en son sein toutes les potentialités pour devenir un
géant économique et politique dont la voix compte dans la gestion des
affaires planétaires. Dans ce cas de figure pourquoi ne doit-elle pas tout
reprendre à zéro pour réussir son développement ? Pourquoi ne doit-elle
pas remettre le compteur à zéro pour repartir sur de nouvelles bases dont
elle peut détenir la maîtrise des leviers de commande ? Recommencer
tout à zéro ou remettre le compteur à zéro, après plusieurs décennies
d’autonomie relative dans la gestion des affaires internes, s’annonce
comme un titre provocateur. L’auteur pourrait être même traité d’ultra-
afro-pessimiste ou être habité par un sentiment extrêmement pessimiste.
Et pour cause. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à reconnaître les
performances inégalées des économies africaines. L’Afrique, dit-on, fait
mieux que les autres continents en matière de croissance économique.
Son produit intérieur brut est depuis un temps positionné sur une ten-
dance haussière qui revêt une allure persistante. L’économie africaine est
même apparue comme la plus résiliente à l’égard de la crise économique
et financière systémique survenue en 2007 aux États-Unis et devenue
planétaire en 2008. Dans cette dynamique, l’afro-pessimisme s’est même
mué en afro-optimisme débordant et généralisé. Au vu donc de la dyna-
mique positive qui semble caractériser désormais l’Afrique, se poser la
question de savoir si elle doit tout reprendre à zéro, s’apparenterait à un
délire, voire même à un extrémisme aux contours indéfinissables.
L’auteur de tels propos serait, à la limite, reconnu comme frappé d’une
cécité inouïe. Et pourtant la question centrale autour de laquelle s’articule
le présent ouvrage ne manque pas d’intérêt. Nous ne sommes pas pessi-
miste en proposant un tel titre. De même, nous ne nions pas les progrès
accomplis par les économies africaines tant dans leur diversification que
dans leur capacité à proposer des réponses relativement efficaces aux
différents chocs endogènes et exogènes, démontrant ainsi, à la planète
tout entière, leur résilience abyssale. Mais les résultats des différentes
politiques conduites çà et là en Afrique, les évènements de tout genre qui
surviennent tous azimuts ; les rebondissements des faits que l’on croyait
inhumés à jamais ; les perpétuels recommencements dans tous les do-
maines auxquels l’Afrique s’est abonnée, laissent à penser que le conti-
nent évolue inexorablement vers une impasse indescriptible. Oui, après
plus d’un demi-siècle d’autonomie relative, l’Afrique semble ne pas con-
naître là où elle va. En d’autres termes, tout porte à croire qu’elle est en-
core à la recherche du chemin devant la conduire au bonheur et à la
prospérité. L’examen de proximité de toutes les politiques sectorielles
mises en œuvre en Afrique semble indiquer que celles-ci ne conduisent
pas le continent à accomplir des progrès à la mesure de ceux auxquels on
a le droit de s’attendre au regard de l’évolution du monde moderne. Au-
trement dit, si l’on questionne les résultats jusque-là acquis par l’Afrique
dans les secteurs variés, il n’est pas exagéré d’affirmer qu’elle est encore
loin du compte. Toutes les politiques sectorielles qui y ont été mises en
œuvre semblent s’essouffler. Alors que les autres continents parviennent
à relever les défis majeurs de notre ère, l’Afrique piétine toujours.
D’aucuns estiment même qu’une telle situation semble tirer ses origines
de l’évolution de la société africaine elle-même. Une société qui n’évolue
pas dans les sillons de son propre cru du fait de l’impact de deux événe-
ments historiques majeurs qu’elle a vécus, à savoir, l’esclavage (environ
trois siècles) et la colonisation (environ un siècle) qui l’ont détournée de
sa trajectoire naturelle. Empruntant une métaphore à la botanique,
l’Afrique apparaît comme un arbre greffé dont les fruits lui sont diffici-
lement reconnaissables. « Selon le livre saint, on reconnaît un arbre par
ses fruits ». Le message que l’on peut tirer de cette métaphore est que la
société africaine, n’ayant pas évolué selon une trajectoire, voire une lo-
gique naturelle, peine à trouver le véritable chemin de son émancipation
économique, politique et sociale. L’impasse dans laquelle se trouve la

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mise en œuvre des différentes politiques sectorielles semble être le reflet
d’une société africaine en quête permanente de son identité et des pistes
pour son développement lato sensu.
Certes, elle enregistre des taux de croissance appréciables. Mais ceux-
ci semblent être largement insuffisants et profondément appauvrissants.
Car ils sont non seulement générés, depuis des décennies, par
l’exportation massive des matières premières à l’état brut, mais encore ils
sont loin d’être inclusifs pour éradiquer la pauvreté et la misère, parfois
insoutenables, qui se sont emparées de la plupart des pays africains. Pour
mieux appréhender le bien-fondé, voire la raison d’être du titre de notre
ouvrage, essayons de l’opposer aux résultats sectoriels acquis par la mise
en œuvre des politiques et stratégies de développement sur le continent.
Au niveau agricole, l’on peut aujourd’hui faire l’amer constat que
l’Afrique importe toujours massivement pour nourrir ses nombreuses
populations. Elle ne parvient pas encore à réaliser son autosuffisance
alimentaire en dépit de multiples politiques agricoles adoptées et mises
en œuvre par les pays. Elle détient 60% des terres arables dans le monde,
mais elle n’arrive pas encore à tirer le maximum de profit que
l’abondance de ce facteur de production peut lui procurer. Ici, se mani-
feste une première série d’interrogations. Les politiques agricoles jusque-
là mises en œuvre sont-elles contre-productives ? Ne répondent-elles pas
aux exigences de l’agriculture africaine ? Sont-elles des politiques inadap-
tées, voire inappropriés ? Tout porte à croire que si l’on maintenait ces
politiques ou si l’on persistait dans la même direction, l’agriculture afri-
caine serait même, à long terme, dans l’incapacité criarde de satisfaire aux
besoins élémentaires des populations africaines. La situation risque
même d’empirer à la lumière de l’amplification du phénomène de
l’accaparement de terres que connaît aujourd’hui l’Afrique. D’où l’intérêt
de notre questionnement : faut-il poursuivre la même politique sachant
qu’elle ne produira jamais les résultats escomptés ? Ou bien faut-il avoir
le courage de proposer de tout reprendre à zéro avec la certitude
d’effectuer un diagnostic audacieux et d’élaborer une nouvelle politique
agricole pour un développement lato sensu de l’agriculture africaine ? Avec
la nouvelle politique l’autosuffisance alimentaire serait la règle et les fré-
quentes pénuries alimentaires l’exception. Les terres africaines, facteur
abondant en Afrique, nourriraient les Africains et constitueraient
l’ancrage permanent de l’épanouissement des autres secteurs de
l’économie. Appliquant le même raisonnement aux autres pans de la vie
socio-économico-politique, l’on pourrait être renvoyé à la même interro-
gation : n’est-il pas utile de tout reprendre à zéro ? Prenons quelques
autres cas pour illustrer notre argumentaire.

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S’agissant de l’école, ne faut-il pas refondre l’École africaine et re-
prendre tout à zéro ? Ici encore, l’on serait enclin à répondre par
l’affirmative. Car après plus d’un demi-siècle de mise en œuvre de poli-
tiques d’éducation et de formation, l’Afrique ne parvient toujours pas à
combler le gap scientifique et technologique qui la sépare des économies
développées et émergentes. Certes, des efforts sont faits par les gouver-
nements successifs pour permettre aux pays, et par ricochet l’Afrique, de
rattraper leur retard scientifique et technologique. Mais ce gap, se creu-
sant, crescendo, laisse augurer que les politiques d’éducation et de forma-
tion en cours sur le continent ne seraient pas en mesure, même à long
terme, de faire de l’Afrique, un continent capable de dompter la science
et la technologie et de rompre d’avec la posture permanente
d’importatrice net de biens industriels. Dans cette perspective, vient à
l’esprit l’interrogation initiale : Faut-il tout reprendre à zéro, pour doter
les pays et le continent de véritables politiques d’éducation et de forma-
tion conçues par les Africains et pour les Africains ? Alors, de nouvelles
politiques intégrant tous les aspects de la pluralité culturelle du continent
verraient le jour pour prendre en charge l’encadrement éducatif des en-
fants africains.
Par ailleurs, force est de reconnaître que la stabilité politique et tout le
corollaire qui est le sien, n’échappent pas à notre interrogation. Ici en-
core, les révolutions de palais répétitives, la floraison des rébellions ar-
mées, les contestations persistantes et généralisées des résultats issus des
urnes, éloignent les pays africains de la stabilité politique durable. Ainsi,
les pays reconnus comme des havres de paix, terreaux de la stabilité poli-
tique et sociale peuvent, du jour au lendemain, basculer dans un état de
chienlit totale. La généralisation des vertus de la démocratie grecque en
Afrique, a amplifié cette tendance. Des chefs d’États forts établissent des
régimes également forts. Mais la stabilité de façade que de tels régimes
parviennent à bâtir ne résiste pas à l’usure du temps. C’est une stabilité
dont la durée de vie est fortement corrélée au temps mis au pouvoir par
les bâtisseurs de cesdits États. L’instabilité politique et sociale devenant
quasiment la règle en Afrique, conduit à se poser des questions sur la
solidité et la robustesse de la voie démocratique suivie par les pays afri-
cains. Ne faut-il donc pas, ici également, reprendre tout à zéro ?
En outre, la lenteur du rythme de l’intégration économique et poli-
tique de l’Afrique invite à s’interroger sur la justesse des modèles
d’intégration retenus. Ici également, après plus d’un demi-siècle de mise
en œuvre des stratégies d’intégration, l’on a comme l’impression que
l’Afrique fait du « sur place ». A l’échelle régionale comme continentale,
une foison d’initiatives a été développée et mise en œuvre. En dépit de
cela, l’Afrique continue de s’engluer dans les micro-nationalismes, voire

22
dans les micro-souverainetés, qui servent de repoussoir à tous les projets
intégrateurs. Dans une telle situation, « l’inter-gouvernementalisme »
l’emporte largement sur le « supranationalisme », renvoyant aux calendes
grecques ou retardant profondément l’avènement des « États-Unis
d’Afrique » chers à Kwame Nkrumah. A-t-on pris un mauvais départ en
matière d’intégration ? Ou bien ce sont les projets, les modèles et le
rythme d’intégration qui ne collent pas à la réalité africaine ? Si c’est le
cas, pourquoi alors ne pas recommencer à zéro ?
Les exemples qui interpellent ce genre de questions sont légion en
Afrique. L’on se perd en conjectures lorsqu’il s’agit d’apprécier
l’évolution du continent et son insertion dans le monde moderne. Le
sentiment général, largement répandu et partagé auquel nous-même nous
adhérons, est que l’Afrique semble faire sienne la danse du tango sud-
américain : à savoir « un pas en avant, deux pas en arrière ». A la lumière
de ce sentiment que d’aucuns pourraient qualifier « d’afro-pessimisme »
qui pour nous n’en est pas un, des voix s’élèvent pour interpeller les lea-
ders africains contemporains sur l’urgente nécessité de tenter de ré-
pondre à la problématique que met en exergue le titre du présent ou-
vrage. Pour notre part, esquisser une réponse à cette problématique
s’avère comme une voie de la sagesse, de la maturité et de la pro-activité.
Ne pas le faire, c’est admettre que l’Afrique persévère dans une voie qui
va, inexorablement, la conduire dans une impasse. Autrement dit, c’est
accepter que l’Afrique continue de s’engager dans un chemin sans bous-
sole, sans avenir pour ses nombreuses populations, et surtout qu’elle
continue d’être le maillon faible de la chaîne de la mondialisation, c’est-à-
dire un continent exclut des États élus pour appartenir à ce que l’on ap-
pelle la « Communauté internationale ».
A notre humble avis, nous estimons que l’interrogation, « faut-il tout
recommencer à zéro en Afrique ? » ne doit pas être perçue comme une
vue de l’esprit. En revanche, elle mérite l’attention des leaders
d’aujourd’hui et celle des leaders potentiels. Consacrer un peu de son
temps à ce type de réflexion est, à nos yeux, la voie de salut qui permet
de questionner le présent et même le passé, pour mieux repositionner le
présent et poser les jalons de la maîtrise du futur. Ainsi, pour nous, se
poser la question de savoir que « pour réussir son développement, l’Afrique doit-
elle tout recommencer à zéro ? » n’est pas synonyme d’arrêter de vivre, de tout
casser pour reconstruire comme le laisserait supposer le titre de
l’ouvrage. Pour nous donc, la question « faut-il tout reprendre à zéro ? »
revêt plusieurs aspects et appelle à plusieurs considérations qui se struc-
turent autour des éléments qui vont suivre. Pour nous une telle question
renvoie à :

23
i) marquer un arrêt momentané dans la mise en œuvre des poli-
tiques suivies pour s’assurer si l’on est mal parti ou si l’on est bien
parti ;
ii) se donner les moyens pour accélérer dans la voie choisie s’il est
avéré que l’on est bien parti. La précaution à prendre résiderait
dans les garde-fous dont il faut s’entourer pour endiguer les
chocs endogènes et exogènes qui peuvent survenir dans la mise
en œuvre des politiques ;
iii) revisiter en profondeur, s’il était reconnu que l’on est mal parti,
les politiques pratiquées et enclencher un nouveau départ fondé
sur un diagnostic courageux et inclusif ;
iv) poser les bonnes questions, leur proposer les bonnes réponses,
identifier, en les maîtrisant, toutes les ressources requises pour la
mise en œuvre des projets ;
v) identifier de nouveaux cadres, de nouvelles politiques assorties
des résultats attendus, et des mesures d’accompagnement suscep-
tibles de venir à bout de toutes les menaces qui surviendraient
pour porter atteinte aux performances attendues des politiques ;
vi) repartir sur de nouvelles bases, en arrimant les nouvelles poli-
tiques à des ancrages véritablement solides et qui restent inoxy-
dables à l’usure du temps. De tels ancrages comportent en leur
sein tous les ingrédients capables de renouveler les dynamiques
dans les politiques choisies leur permettant, à leur tour, de se re-
nouveler en permanence en cas de besoins, sur toute la trajectoire
temporelle de leur mise en œuvre ;
vii) repositionner efficacement et durablement l’Afrique sur le sentier
de sa renaissance pour rompre à jamais avec les insécurités de
tout acabit auxquelles elle semble être éternellement abonnée, à
savoir : insécurités politique, sociale, financière, alimentaire, éco-
nomique, énergétique, juridique, etc.

La question fondatrice du présent ouvrage n’est donc pas fortuite.


Elle tire ses origines de l’observation profonde et durable des résultats de
la mise en œuvre des politiques et stratégies de développement en
Afrique. La nouvelle dynamique, que les raisons justificatives du bien-
fondé de cette question peuvent générer, peut conduire à faire de
l’Afrique un partenaire qui compte et dont la voix est audible dans la
gouvernance des affaires planétaires. Les différents développements au-
tour desquels l’ouvrage va s’articuler tenteront de montrer en quoi la
question fondamentale qui le fonde est justifiée. Aussi, s’évertueront-ils à
souligner la nécessité, pour les décideurs politiques et économiques afri-
cains, de l’examiner avec beaucoup de circonspection.

24
Somme toute, tous les sujets traités vont d’abord faire l’objet d’un
profond diagnostic avant d’être examinés sous l’angle qui met en lumière
les raisons essentielles justificatives de la problématique de l’ouvrage.
Ensuite, l’ouvrage indiquera, à travers les chapitres qui le composent, les
chemins à suivre pour apporter des solutions efficaces et durables aux
nombreuses difficultés que chacun d’eux met en lumière, et ainsi contri-
buer à aider l’Afrique à reconquérir la totale maîtrise des leviers de com-
mande de son futur et de son destin.

25
CHAPITRE I

La faillite de l’agriculture africaine

En 1962, René Dumont, ingénieur agronome français, publiait un ou-


vrage intitulé « l’Afrique Noire est mal partie ». Cet ouvrage qui fut, à
l’époque, un défi lancé aux agriculteurs africains, se situait à contre-
courant des discours et des pratiques des élites issues des indépendances
pour sommer les Africains de reprendre en main leur agriculture, en par-
venant particulièrement à établir une culture vivrière locale – et à éradi-
quer ainsi la faim – Aujourd’hui, plus d’un demi-siècle après sa parution,
l’ouvrage de René Dumont s’impose comme une des meilleures réfé-
rences dans le débat sur l’autosuffisance alimentaire en Afrique. Était-il
un visionnaire ? Et si, à l’époque, il avait été écouté et ses conseils mis en
pratique ? La persistance de l’insécurité alimentaire et les résultats relati-
vement décevants de moult politiques agricoles expérimentées, çà et là,
en Afrique laissent croire que le diagnostic posé par René Dumont était
pertinent et méritait l’attention des décideurs africains.
L’Afrique, aujourd’hui, est le réservoir mondial des terres arables. Elle
détient 60% de ces terres tant convoitées pour le développement lato
sensu de l’agriculture. Les forêts africaines constituent le deuxième pou-
mon de la planète après celles du Brésil. L’Afrique, exception faite de sa
partie saharienne, est traversée de fleuves et de rivières qui sont des
atouts majeurs pour promouvoir l’activité agricole. Aussi, convient-il de
souligner, le continent africain est doté d’immenses lacs, de nappes d’eau
ou de nappes phréatiques qui, du point de vue géologique, le placent
dans une posture favorable au développement de l’agriculture. Et pour-
tant, l’Afrique dépend encore, après plus d’un demi-siècle d’indépen-
dance, des importations alimentaires pour nourrir ses nombreuses popu-
lations. Aujourd’hui, l’agriculture africaine reste essentiellement ar-
chaïque. Le paysan africain utilise encore des moyens de production ex-
trêmement rudimentaires, voire moyenâgeux. Il est encore loin de maîtri-
ser son environnement de production. Il demeure apathique vis-à-vis de
cet environnement qui lui dicte son calendrier de production. En d’autres
termes, le paysan africain reste suspendu aux vicissitudes de la météoro-
logie. Ainsi, son rendement, sa productivité et le volume de sa produc-
tion sont fortement corrélés à la bonne pluviométrie ; alors que le conti-
nent regorge de nappes d’eaux considérables. En Afrique, quand la plu-
viométrie est mauvaise, la plupart des paysans et leurs familles, ainsi que
des communautés entières ont du mal à satisfaire leurs besoins alimen-
taires. Cette situation fait de l’Afrique le continent où les villes qui nour-
rissent les campagnes s’impose de plus en plus comme la règle.
L’agriculture africaine est donc structurellement handicapée ; ce qui lui
enlève toute capacité de devenir auto-suffisante. Pourquoi l’agriculture
africaine peine-t-elle à se développer ? Comment la rendre plus perfor-
mante et plus productive ? Ne vaut-il donc pas la peine de tout reprendre
à zéro ? Le présent chapitre aidera à y répondre.

Les raisons de la contre-performance de l’agriculture afri-


caine
L’Afrique a faim. Son agriculture a failli à sa première mission : celle
de nourrir convenablement les populations africaines et les mettre à l’abri
de la malnutrition. La contre-performance de l’agriculture africaine a
conduit la quasi-totalité des pays du continent à importer massivement
pour nourrir les populations urbaines et rurales, ce qui a été, entre autres,
à l’origine des déficits structurels et chroniques de leur balance des paie-
ments. Le sous-développement de l’agriculture africaine, qui ne date pas
d’aujourd’hui, résulte des politiques agricoles adoptées dès l’aube des
indépendances, privilégiant les cultures d’exportation au détriment des
cultures vivrières, dans le seul souci d’alimenter les caisses de l’État en
devises étrangères.
Aujourd’hui, la problématique du développement de l’agriculture afri-
caine rebondit, sous l’effet de la flambée des prix des produits alimen-
taires de première nécessité que l’on enregistre à travers le monde et dont
l’impact est difficile à contenir par les pays africains. De nos jours, l’on
met en relief des facteurs tels que les bio-carburants ou les agro-
carburants ; la rétention des offres asiatiques de riz pour anticiper la
hausse éventuelle de la demande locale ; la poussée des prix du pétrole
ou des hydrocarbures ; les subventions agricoles dans les pays riches ;
l’augmentation des taxes à l’exportation des produits alimentaires, etc. Et
pourtant, certains analystes estiment que ces facteurs, tant décriés,
n’expliquent qu’une infime portion (3%) de la crise alimentaire actuelle
dans les pays pauvres. La crise alimentaire en Afrique s’explique principa-
lement par les politiques agricoles qui ont jusque-là marginalisé les cul-

28
tures vivrières. Ces politiques ont orienté l’essentiel de la structure des
incitations à la production agricole (prix aux producteurs, prix des pro-
duits phytosanitaires, politiques de commercialisation, etc..) vers les cul-
tures pérennes, destinées exclusivement à l’exportation. Ceci a conduit
les fermiers et les paysans africains à s’adonner entièrement à la promo-
tion de ces dernières cultures. Et les conséquences immédiates qui en
découlent sont légion : coexistence conflictuelle des deux types de cul-
tures au niveau des espaces cultivés ; pénuries alimentaires fréquentes,
tendances affirmées des villes qui nourrissent les campagnes, particuliè-
rement pendant les périodes de soudure ; importations massives de den-
rées alimentaires qui bouleversent, dans certains cas, les habitudes ali-
mentaires ; dépendance alimentaire grandissante à l’égard de l’extérieur,
etc.
Pourquoi une telle situation ? L’Afrique a-t-elle une politique agri-
cole ? Les pays africains, pris individuellement, ont-ils une politique agri-
cole ? En d’autres termes, ont-ils mis en place une politique de dévelop-
pement agricole claire susceptible de mobiliser l’adhésion des acteurs
agricoles ? Les caractéristiques de l’agriculture africaine conduisent à la
conclusion que l’absence de véritables politiques agricoles sur le conti-
nent semble être la règle. Aujourd’hui, combien de pays africains peu-
vent-ils se targuer d’être dotés d’une politique agricole qui élit le suffrage
de leurs agriculteurs et qui confère à l’agriculture tous les moyens lui
permettant de remplir ses principales fonctions ? Exception faite de
quelques rares pays, l’agriculture dans la plupart des pays revêt encore les
caractéristiques d’une agriculture de subsistance ou d’autoconsommation.
Les paysans africains, principaux acteurs de la production agricole, exer-
cent toujours leur métier avec des techniques culturales héritées de leurs
aïeux. Aujourd’hui, ces paysans s’adonnent à leurs activités avec des
moyens extrêmement rudimentaires. Ils sont encore très éloignés de la
modernisation agricole qui peut conduire à l’autosuffisance alimentaire.
Cet état des faits met en lumière l’impérieuse nécessité de l’avènement
d’une politique agricole qui fixe le cadre, les objectifs, et les moyens du
développement de l’agriculture. Une telle politique, de long terme, avec
des ajustements éventuels dans sa mise en œuvre, doit bénéficier du con-
sensus de toutes les parties prenantes du secteur primaire dans les pays.
Dans cette perspective, toutes les incitations à la promotion agricole doi-
vent être identifiés et vulgarisées. Ainsi, les prix agricoles, la politique de
commercialisation, de financement agricole, d’acquisition d’inputs agri-
coles, de transformation agricole, d’amélioration du cadre de vie des pay-
sans et de recherche agronomique appropriée doivent être pris en
compte dans la nouvelle politique agricole à adopter dans les pays afri-
cains.

29
L’agriculture africaine se trouve donc dans une situation alarmante. Sa
branche exportatrice, qui a été privilégiée pendant des décennies, a du
plomb dans l’aile pour des raisons qui tiennent essentiellement à la chute
de la demande extérieure. Et comme corollaire à une telle situation,
l’agriculture africaine côtoie paradoxalement la faim et la famine et
n’arrive même plus à remplir sa principale fonction supposée de pour-
voyeuse de fonds. Cette situation déplorable a été exacerbée par les insti-
tutions de Bretton Woods depuis les années 80, à la faveur des pro-
grammes d’ajustement structurel (PAS) que celles-ci ont initiés et impo-
sés aux pays africains. Ces politiques, entre autres, recommandaient aux
dirigeants africains, au nom de la libéralisation des échanges et des avan-
tages comparatifs, d’importer toutes les denrées alimentaires dont la pro-
duction domestique était jugée onéreuse. Dans une telle démarche,
l’importation alimentaire s’imposait comme une voie privilégiée pour
assurer la sécurité alimentaire des pays. Nos pays étaient donc invités, au
nom des principes sacro-saints du libéralisme économique, à importer
massivement pour assurer leur sécurité alimentaire. Assurer sa sécurité
alimentaire par l’importation a conduit l’Afrique à absorber les excédents
agricoles des pays riches, en décourageant parallèlement les producteurs
locaux. Le concept de sécurité alimentaire, dans le contexte néo-libéral,
s’opposait donc à celui de l’autosuffisante alimentaire, qui figure en
lettres d’or dans le Plan d’action de Lagos qui invite les pays africains à
endogénéiser tous les mécanismes d’alimentation des populations afri-
caines. La stratégie de l’autosuffisance alimentaire appelle donc les pays
africains à tout mettre en œuvre pour garantir leur sécurité alimentaire
par le biais du développement de l’agriculture locale, ce qui est de nature,
entre autres, à réduire significativement la dépendance alimentaire exté-
rieure du continent.
Mais malheureusement, le Plan d’Action de Lagos n’a pas été mis en
œuvre. Il a subi le sort des initiatives antérieures du fait, essentiellement,
de la pénurie en ressources financières domestiques pour sa traduction
dans la réalité. Pour mémoire, il convient de rappeler que le Plan
d’Action de Lagos (cf. infra) a été adopté en pleine période de domination
des PAS qui consacraient la faillite des modèles économiques appliqués
par les pays après l’acquisition des indépendances. Par conséquent, il a
été rangé dans les calendes grecques au profit des importations massives
pour combler le gap alimentaire enregistré par les pays. Depuis, la philo-
sophie de la sécurité alimentaire contenue dans le Plan BERG (qui pre-
nait le contre-pied du PAL) constitue, bon gré mal gré, la locomotive de
la politique agricole de la plupart des pays africains, avec, bien entendu,
toutes les conséquences que cela comporte.

30
Toutefois, à la faveur de nombreuses démonstrations publiques, sym-
boles de la colère des populations, qui se sont emparées des capitales
africaines dans les années 2000, l’Union africaine a élaboré un nouveau
programme pour doter l’Afrique d’une agriculture digne de ce nom. Le
Programme Détaillé pour le développement de l’Agriculture Afri-
caine(PDDAA), un des piliers majeurs du NEPAD, adopté en 2003 à
Maputo(Mozambique) semble connaître le même sort que le PAL pour
les mêmes raisons, les mêmes causes créant les mêmes effets. Et comme
si tout ce qui précède ne suffisait pas, l’agriculture africaine est frappée
par un autre phénomène qui risque de l’emporter si l’on n’y prend garde :
il s’agit du phénomène de l’accaparement des terres qui a cours dans la
quasi-totalité des pays africains et qui est même regardé comme un début
de sa privatisation.

La convoitise et l’accaparement des terres africaines : un obs-


tacle ou une opportunité ?
Aujourd’hui, l’on tire la sonnette d’alarme sur les achats massifs des
terres agricoles des pays du Sud par des investisseurs étrangers dont
l’impact est, dans certains cas, la remise en cause de l’économie et par-
fois, la survie, voire l’existence des populations pauvres. Selon P. Burnod
et W. Anseeuw (2012) « dans les pays en voie de développement, entre
2001 et 2011, près de 228 millions d’hectares, l’équivalent de quatre fois
la superficie de la France, ont été vendus ou loués (ou ont fait l’objet de
négociations) à quelque 2000 investisseurs, principalement internatio-
naux ». Actuellement, l’accaparement des terres africaines prend une am-
pleur considérable due essentiellement à l’augmentation persistante des
prix des produits agricoles, aux besoins grandissants d’importations ali-
mentaires des pays émergents, à l’immensité de la demande d’agro-
carburant qui s’inscrit dans le cadre de la recherche de sources d’énergies
alternatives, et à l’intérêt que les fonds spéculatifs accordent de plus en
plus au domaine agricole. Ce dernier aspect est révélateur de ce que le
secteur privé, particulièrement bancaire et financier, n’est pas en reste de
ce phénomène, de nos jours, au goût du jour, de l’acquisition des terres
dans les pays du Sud1.Le tableau ci-dessous illustre parfaitement la ten-
dance de l’expansion de l’agriculture offshore en Afrique :

1 Un groupe comme l’américain Dominion FARM, filiale de Dominion Group, localisé
dans l’Oklahoma, et qui a comme activité principale l’industrie et l’immobilier, a loué en
2009 près de 7000 hectares de terres au Kenya sur un contrat s’étalant sur plus de vingt
ans. C’est le cas aussi des établissements bancaires comme Goldman Sachs ou la Deut-
sche Bank qui ont investi ces dernières années dans le secteur des viandes chinois Cf T.
POUCH (2011)

31
Tableau 1 : Terres achetées ou louées en Afrique en 2008 (en Hectares)
No. Acquéreurs Surfaces Offreurs
Cameroun, RDC, Zim-
1. Chine 2 900 000
babwe
2. Égypte 840 000 Ouganda
3. Arabie Saoudite 710 000 Mali, Soudan
4. Corée du Sud 690 000 Soudan
5. Inde 601 000 Éthiopie, Madagascar
6. Émirats Arabes Unis 408 000 Soudan
7. Libye 117 000 Mali, Libéria
8. États-Unis 400 000 Soudan
9. Royaume-Uni (1) 80 000 Angola, Tanzanie
10. Qatar 40 000 Kenya
11. Jordanie 25 000 Soudan
12. Allemagne 13 000 Éthiopie
TOTAL : 6 824 000
(1) Pour les États-Unis, il s’agit de firmes comme Jarch Capital. Source : FAO, GRAIN, repris par
Thierry Pouch (2011), in Problèmes économiques, PP 15-21.

Dans cette même perspective, selon l’observatoire Land Matrix qui


recense dans le monde les transactions foncières de plus de 200 hectares
destinées à des fins commerciales, les accaparements de terres à grande
échelle ont représenté 40 millions2 d’hectares entre 2000 et 2013 (cf M.
DOMERGUE, 2014). Selon la même source, parmi les cinq pays les plus
touchés en termes de superficie accaparée, trois sont africains. Ce sont le
Soudan du Sud, la République Démocratique du Congo et le Mozam-
bique.
Toutefois il convient de noter que la convoitise des terres arables afri-
caines est diversement appréciée. En Afrique, selon P. Burnod et W.
Anseeuw (op.cit) « la majeure partie des projets vise la production d’agro-
carburant (39,4%), puis les denrées alimentaires (22,4%), les cultures
industrielles telles que le coton (7,7%) et l’alimentation animale (3,5%) le
plus souvent pour l’export ». Ainsi, pour certains analystes, parmi les-
quels figurent ceux de la Banque mondiale, le développement de
l’agriculture « offshore » fournit un atout à l’Afrique pour moderniser
son agriculture. Dans cette logique, les pays bénéficiaires de ces investis-
sements les considèrent comme une opportunité de collection des taxes,
de développement d’infrastructures et de création d’emplois. C’est ainsi
que, selon la Banque mondiale, le land-grabbing ou l’accaparement des
terres constitue une opportunité pour le pays hôte de s’affranchir des
contre-performances agricoles. Dans cette logique, dit-elle, en dévelop-

2 Ici, les chiffres semblent être sous-estimés. Car, ne sont pris en compte que les tran-

sactions recensées et de grande échelle.

32
pant des agricultures offshore, les pays investisseurs opèrent des trans-
ferts de main-d’œuvre et de technologies, mais aussi des savoir-faire,
lesquels sont favorables à une exploitation plus optimale des terres agri-
coles dans les pays d’accueil (machinisme agricole, industries des se-
mences …). Par ailleurs, souligne-t-elle, ces transferts, en favorisant
l’accès au capital et à la technologie des paysans des pays d’accueil, peu-
vent être à l’origine d’une élévation de la productivité agricole, gains de
productivité favorables à la croissance de la production agricole et à la
réduction de la pauvreté. Ainsi, les achats ou les locations des terres en
Afrique offrent-ils à ce continent une opportunité économique lui per-
mettant de faire décoller son agriculture et une source de financement lui
permettant également d’alléger la dette publique, et d’engager des dé-
penses d’infrastructures (routes, ports, irrigation, …)3.
Cette approche libérale de la gestion des terres africaines ne rencontre
pas l’adhésion de tous les adversaires des vertus supposées de
l’accaparement des terres en Afrique qui lèvent le voile sur les risques
encourus par le continent. Les capitaux attendus ; la création massive
d’emplois escomptée ; le transfert de technologie souhaité ; les recettes
fiscales espérées ; les gains de productivité véhiculés ; etc. s’apparentent à
une gageure. Ce qui fait dire à P. Burnod et W. Anseeuw (2012) que « les
achats massifs des terres agricoles des pays du Sud par des investisseurs
étrangers remettent gravement en cause l’économie et parfois la survie
des populations pauvres ». Car, dans la plupart des cas, la réalité sur le
terrain tend à démontrer le contraire. Les bilans laissent entrevoir des
retombées économiques insignifiantes, un faible accès des populations
locales aux emplois créés, et la remise en question de l’usage par les po-
pulations locales des ressources naturelles, terre, eau, produits forestiers,
qui pourtant leur sont vitales4. Pis, les populations rurales sont flouées et
expropriées de leurs droits coutumiers sur leur milieu ou leur environ-
nement de vie. Et comme en Afrique la coutume enseigne « perdre sa
terre, c’est perdre son âme », l’on peut mieux appréhender les désagré-
ments que cela cause aux paysans expropriés.
Si l’on pratiquait la politique de l’autruche, l’agriculture « Offshore »
développée par les pays riches et certaines économies émergentes,
s’accaparerait des terres arables africaines pour satisfaire les besoins ali-
mentaires et non alimentaires (les bio-carburants) de leurs populations.
Celle-ci aurait un mérite si elle produisait pour la satisfaction des besoins
des populations africaines, et si elle pouvait être à l’origine de la création
d’emplois pour la jeunesse africaine. Et si l’on n’y prend garde, si des

3 P. Burnod et W. Anseeuw (2012)
4 P. Burnod et W. Anseeuw, op. cit

33
mesures coercitives ne sont pas prises pour accompagner l’expansion de
ce type d’agriculture en Afrique, celui-ci enforcera davantage l’Afrique
dans le cul-de-sac de la pauvreté et la misère et compliquera davantage
son accession à l’autosuffisance alimentaire.
En réalité, plusieurs politiques agricoles ont été çà et là expérimentées
en Afrique. Celles-ci ont donné des résultats en deçà des espérances.
Chaque pays a tenté de faire son propre chemin à la lumière des poten-
tialités de son écosystème. Les régions, par l’entremise des organisations
régionales, ont de leur côté exploré des pistes pour mutualiser les efforts,
partager les expériences et les expertises. Ici également les résultats n’ont
pas suivi. Au plan continental, la dernière-née de ces initiatives se struc-
ture autour du PDDAA ou CAADP (Compréhensive Africa Agricultural
Development Programme) pour les Anglo-Saxons, programme adopté
dans un enthousiasme débordant, comme un des programmes phares de
la nouvelle Union Africaine adopté en 2001 au sommet historique de
Lusaka (Zambie). En matière de développement agricole, l’Afrique n’est
donc pas restée inactive ; elle a expérimenté plusieurs politiques et straté-
gies qui ont même été soutenues par des investissements colossaux. Et
pourtant, les résultats restent loin des attentes. Que faut-il faire ? Faut- il
agir ou faut-il demeurer apathique par rapport à cette déplorable situa-
tion ? Ici réside l’intérêt de la problématique de notre ouvrage : à savoir
ne faut-il pas reprendre à zéro le processus de développement de
l’agriculture en Afrique ? En d’autres termes, ne faut-il pas marquer un
arrêt pour identifier une autre trajectoire comme le suggérait la prophétie
de René Dumond ? Ce qui serait de nature à mieux maîtriser toutes les
données et bâtir de nouvelles politiques ou stratégies offrant tous les
atouts à cette agriculture lui permettant de répondre aux attentes des
Africains. A notre humble avis, la privatisation de la terre représente une
des meilleures pistes à explorer. Est-il possible de développer
l’agriculture sans y investir massivement ? L’agriculture africaine peut-elle
connaître un développement sans se moderniser ? Cette modernisation
peut-elle se faire sans l’appui des capitaux étrangers ? La tentative de
réponse à ces questionnements révèle deux préoccupations majeures : la
nécessité de moderniser l’agriculture, et celle, conséquente de la pre-
mière, de privatiser ou non le foncier agricole africain.

Comment réussir la privatisation de l’agriculture ?


D’une part, l’histoire des faits économiques enseigne que là où
l’agriculture a connu un véritable développement, celle-ci a bénéficié
d’importants investissements de nature variée dans le long terme. Ce type
d’investissement a valorisé l’activité agricole par l’entremise d’une aug-

34
mentation significative de la productivité agricole et du rendement à
l’hectare permettant ainsi de réduire considérablement la population ac-
tive dans ce secteur. Ici, les entreprises agricoles se sont multipliées pour
même contrôler tous les maillons de l’économie agro-alimentaires (voir
infra Chap 2), à savoir la production, la transformation, la commercialisa-
tion et, dans certains cas, la restauration. L’agriculture africaine peut-elle
se soustraire d’une telle logique qui s’impose aujourd’hui à toute la pla-
nète comme naturelle ? Les exigences de l’autosuffisance alimentaire
contraignent l’Afrique à adhérer à cette logique. De ce fait, ses dirigeants
sont invités à adopter une politique agricole dont l’un des principaux
axes doit être l’investissement massif à long terme susceptible d’inscrire
l’agriculture africaine dans la voie de la modernisation.
D’autre part, l’agriculture africaine peut-elle réussir sa modernisation
sans adhérer aux vertus de l’économie de marché ? La question sous-
jacente ici est de savoir si l’on doit ou non privatiser le foncier rural. Au-
jourd’hui, le constat qui saute aux yeux est que les paysans africains, dans
leur grande majorité, s’adonnent à de petites exploitations avec des tech-
niques et des moyens de production extrêmement élémentaires. Et
comme implication à une telle situation, ils connaissent une pauvreté et
une misère parfois insoutenables. Ces petites exploitations, mises en va-
leur de manière extensive, parviennent difficilement à remplir la fonction
d’autoconsommation du paysan producteur-consommateur. Pis, ces pay-
sans sont dénués de moyens financiers leur permettant de s’adresser au
marché pour acquérir les biens et services nécessaires à l’amélioration de
leur bien-être. Faut-il laisser les paysans africains croupir dans la pauvreté
et la misère en maintenant un système de production qui handicape
structurellement le développement agricole ? Ou bien faut-il réformer
profondément le système agricole en favorisant l’avènement de grandes
entreprises agricoles qui emploieraient ces paysans comme ouvriers agri-
coles ? L’accaparement des terres aujourd’hui décrié n’est-il pas un début
de privatisation à encourager ?
Dans la perspective donc de la réhabilitation de l’agriculture africaine,
de nouvelles pistes méritent d’être explorées. Ceci amène à poser une
série de questions. L’agriculture africaine peut-elle se développer à tra-
vers sa structure actuelle : petites exploitations, moyens de production
vétustes ou rudimentaires ? La voie d’une agriculture capitaliste de
grandes exploitations modernisées et motorisées ne semble-t-elle pas la
piste idoine pour relancer l’agriculture africaine ? En d’autres termes,
l’agriculture africaine peut-elle se développer sans être privatisée ? Ne
vaut-il pas mieux, en privatisant la terre, que les nombreux paysans, prin-
cipaux acteurs de cette agriculture, deviennent des ouvriers agricoles des
grandes exploitations privatisées que de croupir dans une pauvreté per-

35
manente ? La perception d’un salaire mensuel ou annuel pour couvrir les
besoins quotidiens et accéder à l’économie monétarisée ne vaut-elle pas
mieux pour les paysans qui, depuis des lustres, sont confinés dans de
petites exploitations qui n’arrivent même pas à leur garantir
l’autosubsistance qui demeure pourtant leur finalité principale ? Le pay-
san devenu ouvrier, doté d’un lopin de terre pour produire ce dont il a
besoin et compléter ainsi son pouvoir d’achat, ne serait-il pas mieux ou-
tillé, voire mieux armé, face à la pauvreté et à la misère ?
Ces nombreux questionnements (la liste n’est pas exhaustive) méritent
des réponses, si l’on veut poser un bon diagnostic de la situation agricole
de l’Afrique, afin de lui administrer une thérapie efficace et durable. Se-
lon l’adage, les progrès sont l’accomplissement des utopies. Il est donc
extrêmement urgent pour les analystes ou experts des questions agricoles
en Afrique de proposer à ce continent une véritable politique de déve-
loppement rural dont les axes se fonderaient sur les réponses aux ques-
tions déjà évoquées, qui sont loin d’être des chimères. Un pan important
de l’autonomie, voire de l’indépendance de l’Afrique, dépend dans une
très large mesure de la capacité de son agriculture à nourrir ses popula-
tions.
Cependant, une bonne politique d’accompagnement doit être déve-
loppée pour garantir le succès de la privatisation. Elle n’est surtout pas
synonyme de la prolifération des situations de « sans droits ni terres ».
Tout doit être mis en œuvre pour réserver aux paysans des lopins de
terres arables leur permettant d’y développer l’agriculture de subsistance.
Le processus de privatisation doit s’ancrer dans un consensus national ne
laissant aucune place à l’insécurité juridique et pots-de-vin. A contrario, il
doit être encadré par des lois pilotées par des institutions fortes et cré-
dibles fondées sur les vertus de la bonne gouvernance. Une telle ap-
proche a l’avantage d’éviter les exactions des accaparements en cours
sous d’autres cieux (M. Domergue op cit) comme : maisons brûlées, bé-
tail abattu, villages misérables de relogement, déscolarisation des cadets,
exil des aînés, octroi de bouts de terres stériles, vagues promesses, mar-
chés noirs des terres etc. Ces situations sont de nature à fragiliser le pro-
cessus de privatisation, et de facto, à produire l’effet contraire de ce qui
était attendu.
Aussi, le processus doit-il être accompagné par une formation, voire
une éducation, conséquente des jeunes Africains, futurs fermiers ou fu-
turs acteurs du développement de l’agriculture. L’école africaine (cf. infra
ChapV) doit inclure toutes les formations agricoles requises pour mettre
sur le marché du travail les hommes et les femmes prêts et capables de
prendre en main le destin de l’agriculture africaine. Ainsi, tous les mail-
lons de la chaîne de l’économie agro-alimentaire du continent seront

36
maîtrisés et conséquemment développés pour extraire définitivement
l’Afrique de la faim, et de la malnutrition.
À la lumière de ce qui précède, il apparaît extrêmement urgent pour
l’Afrique de revisiter profondément toute sa politique agricole en y in-
cluant l’éventualité de la privatisation du foncier rural, non seulement
pour accroître la production, surtout vivrière, mais aussi pour nourrir ses
populations et participer efficacement à l’échange international de pro-
duits alimentaires. Toutefois, pour assurer le succès d’une telle stratégie,
il est infiniment important de développer, en aval de l’agriculture, un
secteur manufacturier capable de valoriser et de transformer les produits
agricoles. Car une politique agricole autonome et diversifiée, en l’absence
de structures industrielles appropriées en aval, ne peut aboutir aux résul-
tats escomptés. La complémentarité entre agriculture et industrie trouve
donc ici tout son intérêt. C’est le lieu de rappeler le rôle crucial de l’agro-
industrie qui est examinée dans le prochain chapitre.

37
CHAPITRE II

L’industrialisation est bloquée

L’Afrique, exception faite de la République sud-africaine, offre le vi-


sage de l’espace le moins industrialisé de la planète. Le cliché d’un conti-
nent à vocation agricole que l’on a inculqué à tort ou à raison dans la
mémoire collective de ses habitants, résiste encore à l’usure du temps. Si
cela ne fait l’ombre d’aucun doute en raison de l’éclairage dû aux statis-
tiques industrielles, il reste que l’on se perd en conjectures dès lors qu’il
est question de faire ressortir les mobiles de l’inertie qui s’est emparée de
l’industrialisation du continent. Une littérature abondante et enrichissante
a déjà été consacrée à ce sujet, les différents auteurs l’ayant abordé par
l’angle le plus ouvert au développement de leurs analyses et de leurs re-
commandations. Dès lors, nous nous proposons, dans le présent cha-
pitre, de contribuer à la compréhension de la problématique de
l’industrialisation par l’entremise des politiques industrielles successives
qui ont été expérimentées en Afrique et surtout par la présentation de ce
que nous appelons avec modestie les ‘‘clés du succès’’ de
l’industrialisation en Afrique.
En effet, c’est désormais un lieu commun que l’Afrique a connu une
industrialisation tardive en raison du pacte colonial ou du ‘‘système de
l’exclusif’’ instauré au XIXème siècle par les puissances colonisatrices. Se-
lon Y. Lacoste (1965), les règlements de ce pacte interdisaient de pro-
duire dans les colonies ce que la métropole pouvait fournir, et imposaient
aux colonies d’acheter ce que pouvait vendre la métropole et de ne
commercer qu’avec elle. Le pacte colonial a donc produit des effets in-
duits négatifs sur le processus d’industrialisation des pays colonisés en
orientant les investissements vers les activités extractives. A l’époque,
l’objectif poursuivi était l’approvisionnement des industries métropoli-
taines en matières premières comme le cuivre, le zinc, le caoutchouc, le
pétrole, etc. Ceci a conduit les investisseurs étrangers, non seulement à
opérer au-delà des frontières de leurs pays d’origine, mais également à
étouffer les tentatives d’industrialisation des Etats colonisés en les confi-
nant dans le rôle de pourvoyeurs d’inputs agricoles, miniers ou énergé-
tiques aux industries outre-atlantique. Toutefois, le ‘‘système de
l’exclusif’’ va connaître un relâchement à la faveur du processus de délo-
calisation des unités industrielles, jugées non rentables dans les pays in-
dustrialisés, vers les colonies ou vers les pays nouvellement indépen-
dants. Mais le processus de délocalisation ‘‘limité’’ (C.A. Michalet, 1982)
va se réaliser au profit du secteur manufacturier des pays africains sur la
base de l’approche des échanges internationaux, fondée sur la dotation
en facteurs de production. Une telle stratégie, généralement appelée ‘‘po-
litique de substitution aux exportations’’ du point de vue des pays indus-
trialisés, va être une occasion historique pour la plupart des pays africains
de poser les jalons de leur développement industriel en s’appuyant essen-
tiellement sur l’agro-industrie, en raison de la domination agricole de
leurs économies. Consécutivement donc au desserrage relatif du pacte
colonial, les pays africains vont expérimenter une multitude de politiques
industrielles dont l’essentiel réside dans l’import-substitution et l’export-
substitution au cours des années 60 et 70. Mais l’insuccès de ces der-
nières, additionné à la crise économique structurelle enregistrée à la fin
des années 70, a conduit à l’adoption de politiques économiques, et par-
ticulièrement de politiques industrielles dont la conception, l’exécution et
le pilotage échappent à la maîtrise des pays concernés. La politique in-
dustrielle issue des Programmes d’Ajustement structurel (P.A.S.), adop-
tée depuis le début des années 80, en constitue une illustration assez élo-
quente. Ainsi, tour à tour, les pays africains, particulièrement ceux de la
région subsaharienne, ont expérimenté : l’import-substitution (1960-70),
l’export-substitution ou l’industrialisation par la promotion des exporta-
tions (1970-80), et l’export-substitution renforcée à la suite de
l’intervention massive des institutions de Bretton-Woods dans la gestion
quotidienne des économies africaines. Par ailleurs, il est à souligner que,
pour contribuer au succès des politiques déjà évoquées, les pays africains,
à travers les structures supranationales, notamment l’Organisation de
l’Unité africaine (OUA) d’abord et ensuite l’Union africaine (UA), et la
Commission économique pour l’Afrique (CEA), généralement soutenues
par l’Organisation des Nations unies pour le Développement industriel
(ONUDI), ont souscrit à certaines initiatives pour assurer la promotion
industrielle du continent. C’est dans cette mouvance que les initiatives
telles que les Décennies pour le Développement industriel en Afrique I
et II (DDIA I et II), l’Alliance pour l’industrialisation en Afrique (AIA),
l’Initiative africaine de capacité productive (APCI) et le Plan d’Action
pour le Développement Industriel Accéléré de l’Afrique (AIDA) sont
nées, traduisant ainsi la volonté politique exprimée par les dirigeants afri-

40
cains de positionner le continent sur la piste de son ‘‘décollage’’ indus-
triel, voire de sa révolution industrielle.
A la lumière de ce qui précède, il apparaît clairement que l’Afrique
n’est pas restée inactive à l’égard de son état de continent sous-
industrialisé, loin s’en faut, elle a multiplié les politiques industrielles et
les initiatives transnationales pour le développement de son secteur se-
condaire. Mais à la réalité des faits, ce secteur ne parvient pas encore à
décoller efficacement et durablement pour permettre à l’Afrique de béné-
ficier des avantages économiques énormes qui lui sont associés. Les pays
africains dans leur quasi-majorité ont adopté une politique industrielle
inspirée des vertus de l’économie de marché. Jusqu’aujourd’hui la poli-
tique industrielle de l’Afrique est largement dominée par les vertus véhi-
culées par le consensus de Washington. Ce qui fait dire que l’Afrique n’a
pas de politique industrielle de son propre cru qu’elle pouvait mettre en
œuvre en toute indépendance et en toute liberté pour rattraper son gi-
gantesque retard industriel. Car après plus d’un demi-siècle de tentative
d’industrialisation, l’Afrique importe toujours l’essentiel de ses biens in-
dustriels consommés. Elle continue d’exporter ses richesses sans valori-
sation. Son paysage industriel reste peu diversifié, car massivement do-
miné par l’import-substitution renforcée par le phénomène de délocalisa-
tion enclenché par les multinationales pour s’approcher des gisements
des matières premières, tout en gardant, en amont, les unités de hautes
technologies. Si le processus d’industrialisation semble structurellement
handicapé, pourquoi ne pas marquer un arrêt pour mieux le relancer ?
D’où l’intérêt de notre problématique visant à enclencher un nouveau
départ sans lequel l’Afrique industrielle ne sera qu’un rêve. Des politiques
industrielles mal appliquées ont conduit l’Afrique dans une impasse in-
dustrielle qui appelle à de nouvelles politiques plus réalistes et plus auda-
cieuses. Les étiquettes « made in Africa » sont rares sur les marchés afri-
cains. Et leur rareté s’apparenterait même à la métaphore de « la re-
cherche d’une aiguille dans une botte de foin » .En Afrique c’est un fait
courant de voir des bateaux retourner vides à leur port d’ancrage ou
d’attache après avoir déchargé les produits manufacturés dans les ports
africains. Ceux qui en partent chargés sont ceux ayant vocation à trans-
porter les matières premières destinées aux pays du Nord ou aux écono-
mies émergentes. Emprunter une nouvelle direction en matière de déve-
loppement industriel s’impose donc à l’Afrique comme une impérieuse
nécessité. Par conséquent, une foule de questions s’offre à l’esprit de
tous ceux qui s’appesantissent sur la problématique de l’industrialisation
de ce continent. Au nombre de celles-ci, l’une des plus pertinentes
semble résider dans l’interrogation suivante : pourquoi les stratégies
d’import-substitution, d’export-substitution et autres ont-elles produit

41
des résultats substantiels dans l’espace et dans le temps, notamment en
Amérique latine et dans les ‘‘dragons’’ d’Asie ; alors qu’elles demeurent
infructueuses en Afrique ? En d’autres termes, pourquoi ce continent ne
parvient-il pas, à l’instar d’autres régions en développement, à promou-
voir ses activités industrielles à l’aide des stratégies susmentionnées ?
L’industrialisation africaine serait-elle alors bloquée ? Ce questionnement
doit constituer l’une des préoccupations majeures de tous les analystes
africains de l’économie industrielle. Le présent chapitre contribuera à y
répondre et à indiquer la voie à suivre.
Mais, auparavant, il va exposer les contours théoriques et pratiques
des principales politiques industrielles expérimentées en Afrique. Ainsi, il
mettra en relief les principaux leviers économiques sur lesquels elles se
fondent, les résultats auxquels elles ont abouti, de même que les facteurs
justificatifs de ces résultats. Ensuite, les politiques industrielles nées des
recommandations des organisations de Washington, les initiatives essen-
tielles entreprises par les organisations panafricaines pour soutenir la
promotion industrielle du continent seront examinées. De même, des
solutions pour le succès de l’industrialisation en Afrique seront analysées.
Elles s’articulent principalement autour de la question suivante : com-
ment réussir l’industrialisation en Afrique ? Enfin, il indiquera en quoi
l’agro-industrie mérite d’être retenue comme la locomotive du processus
de l’industrialisation en Afrique.

L’Improductivité des Politiques d’Import et d’Export - Subs-


titution des Années 60 et 70
Selon l’analyse économique, la politique industrielle5 est constituée par
‘‘l’ensemble des interventions des pouvoirs publics consistant à modifier
les mécanismes qui régissent l’allocation des ressources, ou cette alloca-
tion elle-même, pour améliorer les performances du système productif’’.
En d’autres termes, la politique industrielle est perçue comme ‘‘un en-
semble de relations entre l’Etat et les entreprises’’. Selon Y. Morvan
(1990), la politique industrielle est ‘‘un ensemble d’orientations coordon-
nées par les pouvoirs publics, visant à agir sur les conditions de détermi-
nation des attitudes des agents (et/ou sur les attitudes elles-mêmes), de
façon à atteindre des objectifs considérés comme importants’’. La poli-
tique industrielle, quelle que soit la définition qui lui est consacrée, sus-
cite de vifs débats autour de ses objectifs, de son champ d’application, du
seuil de son intervention dans l’économie, et du rôle qu’elle accorde à

5 Pour plus d’informations sur ce concept, voir Y. Morvan (1990). P. Maillet (1984) ; B.

Bellon (1986) ; J. de Bandt (1977, 1980)

42
l’Etat. Aussi, a-t-elle fait l’objet d’une controverse théorique importante
entre les libéraux (qui restent opposés à sa mise en place), les adeptes de
l’interventionnisme (ceux qui réclament l’intervention des pouvoirs pu-
blics pour atteindre des projets précis), mais qui refusent d’adhérer à une
politique industrielle autoritaire, et les partisans déclarés de la mise en
œuvre d’une politique industrielle comme moyen privilégié d’organi-
sation du système productif, et même pour certains d’entre eux, comme
modalité unique. Sans prétendre prendre part à ce débat d’école, le pré-
sent chapitre vise à exposer les éléments constitutifs des politiques indus-
trielles expérimentées par la plupart des pays africains, ainsi que des ini-
tiatives développées pour accélérer l’industrialisation du continent.

Une politique d’import-substitution mal adaptée


Dans les années 60, le développement était, pour la plupart des pays en
voie de développement (PVD), synonyme d’industrialisation mise en œuvre
à l’aide de la stratégie d’import-substitution, considérée à cette époque
comme stratégie dominante du développement économique. L’import-
substitution, stratégie essentiellement tournée vers la satisfaction du marché
intérieur, était perçue, par les théories qui la soutenaient, comme la voie
incontournable, pour non seulement réduire la dépendance extérieure, mais
encore, pour accélérer le processus d’industrialisation. Aussi, soutenait-on, la
mise en exécution d’une telle stratégie, par le biais des tarifs douaniers, des
contingentements et autres obstacles contre les importations courantes,
semblant aisée pour les PVD, constituait une source d’accroissement des
recettes de l’Etat et un pôle d’attraction des investissements privés. Cette
politique va donc laisser sa marque sur la politique industrielle de la plupart
des pays en développement, particulièrement sur celle des pays nouvelle-
ment indépendants dont ceux de l’Afrique.
Globalement, cette stratégie vise plusieurs objectifs. Selon M. Gilis
(1990), elle consiste à :
i) cibler les débouchés importants du marché intérieur, tel que le re-
flètent les achats substantiels effectués à l’étranger au fil des an-
nées ;
ii) s’assurer de la capacité des industriels locaux à maîtriser les tech-
niques de production, ou de la volonté des investisseurs étrangers
de fournir des techniques, des gestionnaires et du capital ;
iii) créer des obstacles protecteurs (tarifs douaniers ou contingente-
ments à l’importation) afin de couvrir les coûts initiaux, probable-
ment élevés de la production locale et d’assurer la rentabilité des
industries prioritaires pour les investisseurs potentiels.

43
Généralement, la stratégie réductrice d’importations se structure au-
tour de deux phases :
i) elle aborde la première phase dite ‘‘phase facile’’ lorsqu’elle porte
sur les industries de consommation courante (produits alimen-
taires, boissons, textiles, habillement, chaussures, etc.) visant exclu-
sivement le marché local. La ‘‘phase facile’’ a été pratiquée dans
l’ensemble par des pays candidats au processus d’industrialisation.
Les pays actuellement industrialisés n’ont pu l’éviter au 19ème siècle,
exception faite de l’Angleterre, pendant la Révolution industrielle,
et plus récemment, Hong Kong qui a pratiqué le libre-échange in-
tégral ;
ii) après la ‘‘phase facile’’, le pays pratiquant cette stratégie jouit de
deux options :
x soit, adopter la voie d’industrialisation par la promotion des ex-
portations, comme l’ont fait les pays d’Asie de l’Est ou du Sud-
Est ;
x soit, s’orienter vers la deuxième phase de substitution aux im-
portations en privilégiant le développement des industries in-
termédiaires de biens d’équipement et de biens de consomma-
tion durables où l’intensité capitalistique et l’échelle de produc-
tion sont plus importantes. Contrairement aux pays africains qui
n’ont pas su négocier cette deuxième phase, ceux d’Amérique
latine, l’Inde, le Pakistan, et les ex-pays socialistes d’Europe de
l’Est, l’ont, avec des résultats variables, expérimentée dans les
années 50.

Selon les théoriciens de l’import-substitution, sa mise en œuvre néces-


site l’usage de leviers économiques variés dont l’essentiel réside dans les
obstacles commerciaux, notamment l’accroissement des tarifs douaniers,
les contingentements à l’importation. L’économiste allemand F.LIST, par
exemple, se fit l’avocat des protections douanières pour industrialiser son
pays au milieu du XIXème siècle. Economiquement, les tarifs douaniers
protecteurs sur les importations procurent simultanément deux types
d’avantages au pays initiateur. D’une part, l’imposition d’une taxe doua-
nière sur les importations est à l’origine de la hausse du prix intérieur,
comparativement au prix mondial6. Ceci repose sur l’hypothèse que la
demande d’importation du pays qui relève ses droits de port n’affecte pas

6 Pour le pays importateur, le prix mondial d’une marchandise importée est égal au coût

de ce bien débarqué au port d’entrée. Sans tarif douanier, le prix de la marchandise


importée sur le marché local s’établirait au niveau du prix mondial (cf. M. GILIS, 1990
p. 532).

44
les prix mondiaux (cas d’un petit pays) ; et également sur celle que les
tarifs douaniers ne bloquent pas totalement les exportations. Dans ces
conditions, l’augmentation du prix intérieur atteindra la proportion inté-
grale du tarif. Dès lors, tout industriel potentiel se trouve dans la possibi-
lité de fixer un prix jusqu’au niveau du prix intérieur dû au tarif et de
demeurer compétitif au regard des importations, si, toutefois, il offre un
produit à qualité comparable et que les consommateurs locaux ne préfè-
rent pas les biens importés du fait de leur origine étrangère. Ainsi,
l’imposition d’une taxe douanière dans le cadre de structures d’éco-
nomies protégées fournit simultanément des sources d’accroissement de
recettes fiscales et d’investissements générateurs de profits élevés.
D’autre part, le deuxième avantage réside dans le fait que les inputs im-
portés, indispensables à la production, sont habituellement exonérés de
tarifs douaniers. Ceci est favorable aux industriels dans la mesure où la
structure tarifaire du pays concerné est non seulement génératrice de
profits élevés, mais encore, elle permet à ces derniers de supporter des
inefficacités de production et des coûts supérieurs à ceux des concur-
rents étrangers.
En somme, les adeptes des industries réductrices d’importations sou-
tiennent que plus le taux de protection effectif (TPE) est important, plus
les industriels jouissent d’une grande capacité à gérer les inefficacités de
production et la cherté des intrants. Par conséquent, l’établissement de
l’industrie dans le pays sera plus favorable.
La stratégie d’import-substitution a connu de nombreux développe-
ments dans les pays pauvres. Toutefois, elle a enregistré un succès indé-
niable en Asie du Sud-Est et en Amérique latine. Mais dans les années
60, elle s’est heurtée à d’énormes difficultés analysées différemment par
les économistes. Cependant, c’est un lieu commun, selon C.H. Kirk Pa-
trick (1988), de dire que l’import-substitution a abouti à créer ‘‘un secteur
industriel protégé et inefficace, de structure oligopolistique ou monopo-
listique, sous-utilisant la capacité de production, dépendant des techno-
logies capitalistiques et créant peu d’emplois’’.
Pour une première approche d’analyse, voisine de celle de la Banque
mondiale, la protection élevée et permanente des industries, par le biais
des tarifs douaniers, des contingentements et des licences d’impor-
tation…, produit de nombreux effets négatifs sur l’économie que l’on
prétend mettre à l’abri de toute concurrence, notamment les coûts de
production élevés, la stagnation de la productivité, l’absence de concur-
rence, le maintien d’un taux de change surévalué. Aussi, affirment les
libéraux, la protection décourage-t-elle les exportations industrielles dans
la mesure où le marché local, où les prix sont élevés, du fait des tarifs
douaniers, apparaît plus intéressant que l’exportation. En outre, d’après

45
cette approche, en raison des relations interindustrielles, la protection, en
augmentant les coûts, peut être considérée comme une taxe à
l’exportation (B.M., 1987).
Par ailleurs, selon les libéraux, l’import-substitution a été à l’origine de
l’accroissement des déséquilibres de la balance commerciale : pendant
que le pays aborde la phase du remplacement des industries plus com-
plexes, il est nécessaire d’importer des machines et des biens intermé-
diaires plus onéreux, alors que, dans le même temps, les exportations
stagnent. Dès lors, la stratégie d’import-substitution recèle, en son sein,
les germes d’un goulot d’étranglement externe ; ce qui signifie que la
pénurie de devises, liée au déficit externe, n’a pu être résolue. De même,
l’import-substitution n’a pas entraîné une absorption suffisante de la
main-d’œuvre dans les pays qui l’ont adoptée, du fait non seulement des
méthodes de production plus capitalistiques qu’elle utilisait (surtout dans
sa deuxième phase), mais encore de la surévaluation du change qu’elle
générait. Aussi, ajoutent les libéraux, l’import-substitution favorise le
développement des structures monopolistiques, les inégalités de revenu
par le biais des avantages accordés aux industriels (protection négative
dans l’agriculture), l’afflux d’investissements extérieurs dans les secteurs
protégés en vue d’y réaliser d’énormes profits et non en fonction des
avantages comparatifs qu’offre le pays d’accueil.
Quant à la deuxième approche, les difficultés rencontrées par
l’import-substitution sont intimement liées aux structures sociales des
pays en cause. Elle part de l’idée que la mauvaise répartition du revenu
qu’implique l’import-substitution oriente la demande vers les biens et les
services inadaptés à l’ensemble de la population et exige des investisse-
ments capitalistiques peu créateurs d’emplois et onéreux en devises. Pour
les économistes de cette approche, il y a, entre la bourgeoisie locale,
l’Etat et les multinationales, une ‘‘triple alliance’’ pour une poursuite de
l’import-substitution au bénéfice des transnationales, même si elle va à
l’encontre de l’intérêt général (J. BRASSEUL, 1989). Donc, pour eux, le
succès de l’import-substitution doit reposer sur une réforme des struc-
tures et sur un Etat représentant l’intérêt général et exerçant un contrôle
sur les entreprises.
Toutefois, malgré toutes ces critiques, on s’accorde à reconnaître que
la stratégie de l’import-substitution a été à l’origine d’une industrialisation
rapide des pays du tiers-monde qui s’y sont engagés depuis les années 60
et qu’à cette époque, elle a été acceptée avec autant d’enthousiasme que
le sont de nos jours les stratégies d’ouverture.
En Afrique, il convient de souligner qu’en général, l’import-
substitution s’est opérée dans un environnement peu favorable à un dé-
veloppement industriel, en raison de l’étroitesse du marché intérieur, de

46
la main-d’œuvre peu spécialisée et relativement coûteuse, et des res-
sources naturelles sans caractère exceptionnel. Les insuffisances d’une
telle stratégie d’industrialisation se sont manifestées de la manière sui-
vante :
i. le déséquilibre de la balance des paiements liés aux importations
massives des produits semi-finis et des biens d’équipement ;
ii. la limitation des capacités de production au volume du marché in-
térieur qui demeure restreint, en dépit de la progression des reve-
nus et de la demande ;
iii. l’impossibilité de relayer la première phase d’industrialisation en
passant à la production des biens intermédiaires ou des biens
d’équipement en raison des limites de taille de marché et des de-
mandes des établissements installés, l’appel aux cadres et techni-
ciens étrangers dont la rémunération est coûteuse.

Au demeurant, il est à noter qu’en Afrique, l’adoption de l’import-


substitution a confiné certaines entreprises dans les activités à faible va-
leur ajoutée ; tandis que d’autres n’ont survécu que grâce à la générosité
du régime de protection. En outre, la rigidité et l’imperfection des struc-
tures commerciales, qui caractérisent les pays africains, n’ont pas aidé à
l’écoulement des produits industriels locaux, les marges bénéficiaires
pouvant être engrangées dans la commercialisation des marchandises
importées.
L’insuccès relatif de l’import-substitution a conduit la plupart des pays
africains à explorer, dans les années 70, une nouvelle voie d’industria-
lisation dite de ‘‘stratégie d’industrialisation par la promotion des expor-
tations’’. En général, il est à retenir que l’adoption de cette deuxième
stratégie ne s’est pas faite sur les cendres de la première. Loin s’en faut,
les deux stratégies ont cohabité dans l’univers industriel des pays concer-
nés.

Une politique d’export-substitution sans les ressources néces-


saires de son succès
‘‘Stratégie de substitution d’exportation’’, ‘‘stratégie d’ouverture’’,
‘‘stratégie des exportations’’, toutes ces appellations7 traduisent une
même réalité économique : il s’agit, selon G.M.MEIR (1984), de rempla-
cer les exportations de produits primaires par des exportations de pro-
duits non traditionnels comme les produits manufacturés et semi-


7 cf. Malcolm Gilis, op. cit ; J. Brasseul, op. cit.

47
manufacturés ou des produits primaires élaborés. Cette stratégie a connu
des schémas d’application différents selon les pays.
Les quatre dragons d’Asie (Corée du Sud, Hong Kong, Singapour,
Taiwan) ont pratiqué une stratégie d’export-substitution visant à exporter
des biens manufacturés fabriqués à partir de leur dotation en facteurs de
production (ou à partir de leurs ressources les plus abondantes). D’autres
pays, notamment les pays africains qui ont expérimenté cette stratégie,
ont misé sur l’exploitation et l’élaboration de leurs ressources naturelles.
D’autres enfin, particulièrement les pays d’Amérique latine, ont utilisé la
base industrielle développée à la faveur de l’import-substitution, pour
asseoir leur stratégie d’export-substitution. En réalité, les pays latino-
américains ont su négocier, avec un relatif succès, le passage de la ‘‘phase
facile’’ de l’import-substitution à la deuxième phase qui a été exposée
plus haut.
Toutefois, il est à retenir que, dans tous les cas de figure qui précè-
dent, les firmes transnationales y ont largement contribué par le biais du
processus de délocalisation de certaines de leurs structures de production
dans les pays en développement. En quoi consiste la stratégie d’export-
substitution ? Quels sont les leviers généralement pratiqués pour favori-
ser son succès ?
Théoriquement, les partisans de la stratégie de l’export-substitution
sont unanimes à reconnaître que les pays candidats au processus
d’industrialisation ont adopté l’import-substitution sans prendre en con-
sidération les possibilités de gains tirés de l’échange international. Ces
pays ont en réalité réalisé ce que J. Brasseul (op. cit.) a appelé ‘‘l’import-
substitution à n’importe quel coût’’. Dès lors, une nouvelle orientation,
ayant comme toile de fond l’utilisation rationnelle des avantages compa-
ratifs, s’imposait à ces pays s’ils voulaient octroyer une chance de succès
à leur politique d’industrialisation. En fait, il s’agissait de développer
toutes les exportations industrielles pour lesquelles les pays pouvaient
jouir d’un avantage comparatif. Selon les théoriciens d’une telle ap-
proche, sa mise en route nécessite la manipulation de plusieurs leviers
économiques dont l’essentiel réside dans la dévaluation monétaire8, les


8 Pour M. Gillis (op. cit.) le pays, qui remplace ses exportations agricoles par les expor-

tations manufacturées, doit procéder à des dévaluations périodiques :


- d’abord, pour approcher un taux de change équilibré correspondant au marché ;
- puis, pour maintenir ce taux par rapport à la hausse des prix et des coûts intérieurs.
Pour l’auteur, la COREE du SUD est entrée dans sa phase de substitution des exporta-
tions au début des années 60 en réalisant deux fortes dévaluations : de 104% et de 65%
et a maintenu le taux obtenu par rapport aux prix intérieurs à l’aide de dévaluations
régulières dans les années qui ont suivi .../..

48
avantages fiscaux, les facilités de crédit, les subventions directes et les
allègements administratifs. L’exécution d’une telle panoplie de mesures,
semble-t-il, procure d’importants avantages aux pays qui ont souscrit aux
vertus de l’export-substitution. Pour B. Balassa (1982), ‘‘les politiques de
promotion des exportations conduisent à une allocation des ressources
conforme à l’avantage comparatif, permettent une plus grande utilisation
des capacités de production, l’exploitation d’économie d’échelle, entraî-
nent des améliorations technologiques face à la concurrence externe et
contribuent à l’accroissement de l’emploi’’.
De manière détaillée, les théoriciens de l’export-substitution soutien-
nent que cette politique conduit à la diversification des exportations (qui
est considérée comme un facteur sûr de stabilisation des recettes en de-
vises) ; à l’extension du marché, source d’augmentation des ventes et
donc d’élargissement de l’échelle des entreprises ; à la concurrence et à la
prohibition des contrôles administratifs. Aussi, ajoutent-ils, la stratégie
d’export-substitution produit non seulement un biais favorable à l’emploi
et en conséquence à l’allocation des revenus, mais encore elle produit un
effet positif sur la balance des paiements et offre des moyens supplémen-
taires pour l’extinction de la dette.
La stratégie d’ouverture comporte tout de même quelques signes
d’inefficacité, qui ont été mis en relief par ses pourfendeurs. H.W. SIN-
GER (1950, 1986) émet deux remarques non moins importantes à
l’endroit de l’export-substitution.
i. D’une part, l’auteur estime que l’ensemble des pays considérés
comme des modèles dans la stratégie d’ouverture, singulièrement ‘‘les
pays tournés vers l’extérieur’’, ne comprend qu’un seul pays : la Corée
du Sud et deux villes : Hong Kong et Singapour. Et selon Singer, les
performances économiques de la Corée du Sud sont le fait de facteurs
autres que l’ouverture sur l’extérieur.
ii. D’autre part, l’auteur soutient que le groupe de pays pratiquant une
politique économique essentiellement tournée vers l’intérieur est prin-
cipalement composé de pays très pauvres. Dès lors, les résultats déce-
vants qu’ils connaissent en matière d’industrialisation tiennent plus à
leur état de pauvreté qu’à leur orientation commerciale.

Certains auteurs, comme Samir Amin (1970, 1985), nient l’efficacité


de la stratégie d’export-substitution à produire un impact favorable sur
les économies en développement. Ainsi, S. Amin, tout en reconnaissant


- De même le Brésil est sorti de sa phase d’après-guerre, marquée par l’import-
substitution, en dévaluant de 100% en 1964 et en répétant l’opération à plusieurs re-
prises.

49
que cette politique (l’export-substitution) a produit des effets tangibles
dans certains pays, affirme qu’elle ‘‘a condamné beaucoup d’autres à la
stagnation’’.
Dans la plupart des pays africains, la stratégie d’export-substitution a
eu pour cadre d’exécution les plans quinquennaux, montrant ainsi le ca-
ractère volontariste de l’Etat à assurer le pilotage de l’économie en géné-
ral, et du développement industriel en particulier. Ceci tient au fait que
l’exécution de l’export-substitution s’avère une œuvre délicate, sans im-
pliquer les investissements publics. La justification partielle se fonde sur
le fait que les contraintes de productivité et de compétitivité de la nou-
velle génération d’industries (celles chargées de la transformation) néces-
sitent un choix technologique onéreux que le privé étranger n’est pas
prêt à prendre en charge. Une justification connexe repose sur le fait que
l’identification des créneaux susceptibles d’insérer les pays africains dans
la spécialisation internationale conduit à l’adoption d’une politique qui
engage toute l’économie.
Mais l’export-substitution, à l’instar de l’import-substitution à la fin
des années 60, a manifesté des signes d’essoufflement vers la fin des an-
nées 70. Son développement n’a pas entraîné le démantèlement des me-
sures protectionnistes à l’égard des biens importés. Globalement, ces
deux stratégies (qui se sont, en fait, superposées) n’ont pas abouti à des
résultats relativement satisfaisants. Dès lors, une relecture de la politique
industrielle s’imposait dans l’ensemble des pays africains. Ceci a donc été
à l’origine de l’adoption des politiques conseillées par les organisations de
Washington d’une part, et de la tentative de mise en œuvre des stratégies
industrielles sous la houlette des institutions panafricaines, d’autre part.

Les Politiques d’Ajustement Structurel des Années 80 et 90


désindustrialisent l’Afrique
La politique industrielle des années 60 et 70 n’a pas permis d’atteindre
les objectifs visés en dépit des résultats relativement appréciables des
années 70. En 1980, l’industrie, bien que bénéficiant du soutien des auto-
rités économiques quant à la compétitivité nationale et internationale,
demeurait encore sous le poids des distorsions administratives. Cet envi-
ronnement défavorable à l’essor industriel va être accentué par la crise
économique mondiale, suite aux chocs pétroliers des années 70, avec son
cortège de dessèchement des finances publiques, de diminution drastique
de la consommation privée et publique, de la chute des exportations des
produits primaires (principale source de devises des pays) suite à la com-
pression de la demande dans les pays industrialisés. A partir de cette
époque, l’Afrique, sous le poids de son déficit en ressources, va, à son

50
corps défendant, confier le destin de sa politique industrielle aux institu-
tions de Bretton-Woods à travers les Programmes d’Ajustement structu-
rel. Par conséquent, elle en perdra partiellement le pilotage, contraire-
ment à la politique des décennies précédentes, au nom des sacro-saintes
lois du marché qui devraient garantir à ce continent un avenir industriel
prometteur. Les premières mesures de cette nouvelle ère industrielle
étaient donc consacrées à la mise en cause de la prédominance de l’Etat.

La mise en cause de l’interventionnisme étatique


A l’indépendance, l’Afrique connaît des divergences idéologiques, mais un fonds
commun économique : la prééminence de l’Etat. Les choix idéologiques des an-
nées de la décolonisation ont laissé leur marque sur les politiques éco-
nomiques des pays africains. Ainsi, a-t-on assisté à une éclosion
‘‘d’ismes’’ dans le paysage économique du continent. Si certains pays ont
opté pour le libéralisme économique (Côte d’Ivoire, Kenya, etc.), d’autres
par contre ont préféré l’appropriation collective comme voie pour
l’épanouissement de leur peuple (la Tanzanie de Nyerere, la Guinée de
Sekou Touré, etc., en sont des exemples typiques). Mais, de façon géné-
rale, aucun pays ne réunissait, à l’époque, les conditions requises pour
l’adoption du système répondant à ses aspirations idéologiques.
Globalement, les pays africains, qu’ils soient d’obédience capitaliste
ou socialiste, pratiquaient une politique économique d’inspiration keyné-
sienne. Les économies, presque partout administrées, étaient fondées sur
un régime d’accumulation extensive soutenu par une régulation étatique.
L’Etat demeurait l’agent moteur du développement, et les outils de régu-
lation macro-économiques se basaient sur des instruments ‘‘keynésiens’’ :
budget, investissements publics, faible taux d’intérêts, prix administrés,
surévaluation du change… Ces différentes interventions, quelle que soit
l’idéologie dont elles s’inspirent, ont été opérées dans tous les secteurs de
l’activité économique. C’est ainsi que, dans la quasi-totalité des pays afri-
cains, on a assisté à une floraison de plantations d’Etat, d’industries
d’Etat et de services (banques, télécommunications, etc.), contrôlés par-
tiellement ou totalement par les pouvoirs publics.
A la tête de ces activités, ont été placées des personnalités issues de la
sphère politico-militaro-administrative. A cette époque, quel que soit le
cas de figure, c’était toujours l’Etat qui initiait et qui contrôlait. Contrai-
rement donc à l’histoire des bourgeoisies industrielles occidentales, les
pouvoirs publics contrôlaient tous les leviers de l’accumulation et non les
individus. Un tel comportement a érigé les Etats africains en des moules
à travers lesquels les bourgeoisies politico-militaro-administratives, qui
leur sont organiquement liées, ont bâti leur fortune. A propos de la Côte

51
d’Ivoire, ceci peut être appliqué à l’ensemble des pays africains, A. Du-
bresson (1989) écrit : ‘‘Outre les détournements classiques (utilisation des
aides par les hauts fonctionnaires créant des entreprises fictives ou tem-
poraires, pratique du prête-nom par les hommes d’affaires étrangers),
c’est encore une fois le véritable maternage étatique qui apparaît comme
l’obstacle majeur, la prise en charge d’un projet, de son financement, de
la conduite des opérateurs, bref, un tuteurage accentué engendre non
seulement une forte dépendance, mais crée un îlot de sécurité dont l’Etat
initiateur est considéré comme le seul garant, de sorte que tout échec est
d’abord celui de l’encadreur’’. Ce relatif monopole exercé par les pou-
voirs publics sur l’ensemble des activités économiques, pendant près de
trois décennies, a moins contribué à la consolidation des structures éco-
nomiques africaines qu’à l’enrichissement (par des moyens multiples et
variés) des personnalités représentatives de l'Etat. L’intervention de
l’Etat a donc produit partout en Afrique le même résultat : l’échec éco-
nomique.
Aujourd’hui, en Afrique, le constat qui apparaît le plus évident est
l’échec économique, fruit de la mainmise étatique sur l’activité produc-
tive. Cette déconfiture économique a pour nom : pénurie alimentaire,
sous-industrialisation, endettement chronique, chômage des jeunes scola-
risés, déficits budgétaires, destruction des écosystèmes, démographie
galopante, etc… Bref, la conjonction de tous ces éléments confère à
l'Afrique le label de continent où la misère (la dégradation permanente de
l’être humain) constitue le lot quotidien de la majorité de la population.

La nécessité de la réduction de l’importance de l’Etat dans les


économies africaines s’imposait donc à la fin des années 70
Il ne s’agit pas ici de refaire l’histoire économique de l’intervention de
l’Etat pour juger de son opportunité ou non, mais, plutôt, d’en faire un
bref rappel pour montrer en quoi, au regard des résultats évoqués précé-
demment, l’économie africaine était invitée à faire sa mue à travers le
moule de la privatisation.
L’analyse économique révèle que l’intervention de l’Etat dans l’activité
productive a connu un essor vigoureux sous l’impulsion de l’œuvre fon-
datrice de J.M. KEYNES (1936). Ceci a été singulièrement favorisé par
l’essoufflement des politiques économiques d’inspiration smithienne qui
dominaient jusque-là l’économie mondiale. Depuis cette époque (même
si, durant la préhistoire de l’économie politique, qui va de l’Antiquité à
l’Ancien régime, l’économie tout entière était sous la tutelle et au service
du Prince), le rôle économique des pouvoirs publics a fait l’objet d’une
littérature abondante dans l’analyse économique. Le débat récent, en la

52
matière, concerne la dichotomie public/privé quant à l’attribution de
l’efficience économique. Qui, de l’Etat ou du privé, est économiquement
plus efficient ? Généralement, ce genre de questions suscite des polé-
miques qui sont fortement inspirées par la doctrine politique des partis et
les intérêts des groupes de pression, et par conséquent, qui ne laissent
pas toujours suffisamment de place à un examen scientifiquement rigou-
reux. Toutefois, l’analyse économique, à travers les travaux pionniers de
Musgrave (1959) et de Samuelson (1954 ; 1995) ; élargis par Arrow
(1963), Buchanan et Tullock (1962), fournit les ingrédients nécessaires
pouvant aider à répondre à l’interrogation précédente à partir du déve-
loppement de l’économie non marchande.
Théoriquement, l’intervention des pouvoirs publics est justifiée par
trois principaux facteurs :
x l’existence de coûts décroissants pouvant provoquer l’émergence
de quelques gros producteurs ;
x l’existence de biens publics ; et
x l’existence des externalités.

Une telle approche est soutenue, dans l’analyse économique, par


l’Ecole de l’économie du bien-être (Economic of Welfare) sous
l’impulsion des travaux fondateurs de A.C. PIGOU (1905, 1912, 1920).
Mais celle-ci a essuyé les critiques d’un autre courant d’analyse baptisé
l’Ecole du ‘‘public choice’’ qui, en élargissant l’analyse économique au sec-
teur non marchand, prend en considération les ‘‘marchés politiques’’ qui
modifient notablement l’allocation des ressources dans l’ensemble d’une
économie. Ce courant se particularise donc par une critique radicale de
l’Etat-Providence et bureaucratique. L’Ecole du ‘‘Public Choice’’ admet
globalement que le marché connaît des défaillances (la mauvaise comp-
tabilité des effets externes, etc…), mais elle soutient que cela n’implique
pas que l’Etat soit plus efficace lorsqu’il produit à la place du marché, ou
que ses réglementations améliorent la situation lorsqu’il veut réguler les
échanges. Le message fondamental de l’Ecole du ‘‘Public choice’’ est donc
le suivant : reconnaître que le marché est imparfait, ne conduit pas néces-
sairement à prôner une intervention accrue de l’Etat. Ses principaux au-
teurs sont J. Buchanan (Prix Nobel 1986), et son ami G. Tullock.
L’une des thèses essentielles de Buchanan stipule que le fonctionnaire,
l’homme politique et le bureaucrate ne sont pas des agents économiques
au-dessus des autres, mais des individus qui ont leurs propres préfé-
rences et qui cherchent à maximiser leur utilité en termes de pouvoir, de
gains monétaires, de nombre de bureaux dirigés, de prestige, etc…

53
Cet éclairage théorique laisse entrevoir que les personnalités qui in-
carnent les pouvoirs publics ne sont pas des agents voués à la cause de
l’intérêt public (et qui sont prêts à parier leur tête pour sa réalisa-
tion), mais, plutôt, des individus qui sont, avant tout, des maximisateurs
d’utilité.
L’expérience offerte par les fonctionnaires africains (particulièrement
ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir) constitue une édifiante illus-
tration de la théorie du Public Choice. Les exemples d’une telle affirmation
sont légion. Entre autres, on peut évoquer, principalement :
x l’attribution des marchés publics ;
x la nomination des responsables de services ou d’entreprises, etc. ;
x le recrutement du personnel des activités relevant des pouvoirs
publics, etc.

Tout ce qui précède se réalise dans l’optique de la maximisation de


l’utilité de l’agent de l’Etat qui en assure la responsabilité. Une autre illus-
tration connexe est relative aux réalisations immobilières de certains
fonctionnaires. En effet, la plupart des agglomérations africaines con-
naissent l’émergence de palais, de villas luxueuses et autres appartenant à
ces derniers. Et pourtant, les traitements dont ils bénéficient sont loin
d’assurer le financement du tiers de leur patrimoine immobilier. D’où
tirent-ils leurs ressources supplémentaires ? Gèrent-ils une caisse noire
susceptible d’accroître leur pouvoir d’achat ? Bénéficient-ils de pots de
vin ? Sont-ils propriétaires d’entreprises ou d’activités de prête-nom ?
Sont-ils héritiers de fortunes colossales bâties depuis des générations ?
On se perd en conjectures lorsqu’on jette un regard attentif sur les réali-
sations de certaines personnalités issues des pouvoirs publics. Et la foule
d’interrogations qui s’offre à l’esprit de l’observateur, l’autoriserait à
croire que l’enrichissement inexplicable et inexpliqué de certains agents
de l’Etat proviendrait indubitablement de leur comportement d’agents
maximisateurs de satisfaction par rapport à la gestion des affaires rele-
vant de leurs responsabilités. La conséquence immédiate de ce compor-
tement est la création d’un environnement préjudiciable au développe-
ment économique. Car, tout ce que l’on peut attendre d’un tel environ-
nement, est sa fécondité en corruption, népotisme, gabegie, détourne-
ment de deniers publics, etc…, et surtout, en indicateurs caractéristiques
du sous-développement. Finalement, la gestion des économies africaines
par les pouvoirs publics pendant près de trois décennies a produit des
résultats décevants. Les structures économiques se précarisent davantage
(car incapables de résister au moindre choc extérieur), la misère se géné-
ralise et s’accentue, la dette extérieure devient un boulet au pied ; tandis

54
que l’on assiste à l’émergence d’une bourgeoisie frileuse face aux risques
industriels. La conjugaison de tous ces éléments invite les Africains à
explorer d’autres voies. Celles-ci doivent se débarrasser de toute propen-
sion à faire porter à l’autre la responsabilité de sa situation. En d’autres
termes, les Africains doivent cesser d’être des éternels accusateurs de la
colonisation et de l’impérialisme. Ces derniers doivent plutôt être accep-
tés comme des données, voire des contraintes dans leurs différentes stra-
tégies de développement. Pour cela, ils doivent chercher à intégrer leurs
économies dans l’économie internationale au moyen de leur ingéniosité,
de leur créativité et de leur persévérance. Dès lors, plutôt que de
s’inquiéter de la mondialisation de l’économie à travers le moule des
forces du marché, ils doivent, au contraire, s’en accommoder.

Comment cela s’est-il traduit au niveau industriel ?


L’Etat, qui jusque-là orientait la politique industrielle, était invité, en
raison des résultats décevants enregistrés par l’industrie, à se désengager
du secteur marchand de l’économie, singulièrement du secteur industriel,
pour veiller au respect des règles du marché concurrentiel. En Afrique,
c’est un lieu commun d’affirmer que, depuis 1960, les pouvoirs publics
ont mis en œuvre une série de mesures pour orienter, dans le cadre d’un
interventionnisme parfois « libéral » et « socialiste », la politique indus-
trielle.
L’import-substitution, perçue comme une voie privilégiée d’accumu-
lation dans la première décennie des indépendances, a été, dès la fin de
ladite décennie, remplacée par la stratégie des industries exportatrices
fondées sur la valorisation des matières premières locales. Cette dernière,
en dépit de l’immensité de l’espoir placé en elle, n’a pas pu prendre con-
venablement le relais d’une agriculture lato sensu essoufflée par la baisse
quasi continue des cours mondiaux, pour soutenir le niveau de la crois-
sance économique. Les résultats relativement décevants de la stratégie
industrielle des années 70 se justifiaient principalement par la trop grande
présence de l’Etat dans les entreprises industrielles, ce qui, à en croire les
partisans de l’économie de marché, serait à l’origine de la faible perfor-
mance de ces dernières. Ces résultats, du point de vue de la compétitivité
nationale et internationale, expliquent partiellement l’avènement des
Programmes d’Ajustement structurel (PAS) visant à la fois à ajuster à
court terme les besoins et les capacités de financement des pays, et à
susciter des mutations de structures nécessaires à une reprise de la crois-
sance économique. Ce nouveau contexte économique auquel l’Afrique a
souscrit, malgré elle, constitue le point d’ancrage de la réforme des en-
treprises publiques qui prévoyait la privatisation, la dissolution ou la

55
transformation des nombreuses sociétés d’Etat de l’époque. Le ‘‘dégrais-
sage’’ des entreprises publiques, en s’inscrivant dans le cadre du renfor-
cement de l’économie de marché, visait essentiellement à confier au sec-
teur privé la mission d’assurer l’allocation optimale des ressources du
continent.
Par ailleurs, consécutivement à la persistance de la crise économique
et aux hésitations des pouvoirs publics concernant l’application totale des
mesures économiques proposées par les bailleurs de fonds extérieurs, les
pays africains vont connaître, à l’aube des années 90, une politique indus-
trielle dont le pilotage semble leur échapper. Les plans d’ajustement des
années 1980 comportaient, du point de vue industriel, des mesures de
déprotection ayant pour mission d’assurer à l’industrie africaine une plus
grande compétitivité nationale et internationale. Cependant, la peur de
voir s’effondrer l’Etat-entrepreneur, pilier central du modèle de crois-
sance, et le souci de la prise en compte d’une rentabilité sociale qui dé-
borde l’horizon économique restreint d’opérateurs privés, ont conduit les
pouvoirs publics à se départir difficilement des instruments protection-
nistes. A partir de cette époque donc, les relations entre les pouvoirs
publics et les entreprises relèveront davantage de la volonté des institu-
tions de Washington ou seront inspirées essentiellement par la philoso-
phie du consensus de Washington.
Somme toute, on doit retenir que, depuis 1960, la politique indus-
trielle des pays africains a connu une évolution non monotone. Elle a fait
l’objet de nombreuses mutations consécutives aux nouvelles orientations
imprimées à l’économie africaine dans son ensemble. De l’import-
substitution, en transitant par l’export-substitution limitée, jusqu’aux
tentatives d’adoption intégrale des vertus de l’économie de marché, il est
à noter que plusieurs outils tarifaires et fiscaux ont été utilisés. La mani-
pulation de ces instruments économiques, à la dimension des objectifs
assignés à chaque nouvelle politique, a produit des résultats variés dé-
pendant de l’efficacité de chacun d’eux. Mais, de façon globale, force est
de reconnaître que le continent africain est toujours à la recherche de la
meilleure voie de son développement industriel. Les différentes poli-
tiques industrielles expérimentées jusque-là n’ont pas permis à l’Afrique
de s’affranchir du clichet de continent à vocation agricole. Ainsi, après
plus de cinq décennies de tentative d’industrialisation, par l’entremise
d’une série de leviers économiques de nature variée, l’essentiel des expor-
tations du continent se fait toujours à l’état brut, c’est-à-dire, sans valeur
ajoutée additionnelle.
L’obligation faite à l’Afrique de se soumettre, vaille que vaille, aux
exigences, voire aux vertus intégrales, de l’économie de marché a mis fin
à certaines aventures industrielles qui y avaient cours. Le désengagement

56
des pouvoirs publics de l’activité industrielle n’a pas été convenablement
relayé par le secteur privé. Dans certains cas, le privé qui a pris le relais a
abandonné l’aventure en cours de route faute d’ambition, d’expertise,
d’expérience, de ressources financières, de savoir-faire, ou de maîtrise de
technologies appropriées. Dans d’autres, par contre, le privé extérieur qui
a pris le relais s’est retiré après un temps, dès l’apparition de signes de
faible rentabilité, d’horizons d’instabilité politique et sociale, ou dès que
la maison-mère enregistre des difficultés de trésorerie exigeant la ferme-
ture de certaines filiales installées à l’étranger. Enfin, dans certains cas,
des entreprises d’État privatisées ont mis la clé sous le paillasson consé-
cutivement à la stratégie de croissance externe ou de croissance horizon-
tale de la firme multinationale de tutelle. De même, les sociétés
d’encadrement des paysans producteurs, dans le cadre de la promotion
de l’agro-industrie, ont été fermées à la faveur de l’avènement des PAS ;
ce qui a aussi contribué à la faiblesse de la performance de l’agriculture
africaine, singulièrement au niveau de son versant vivrier, et par consé-
quent à accroître l’insécurité alimentaire du continent.
Finalement, l’on est unanime à reconnaître qu’après plusieurs décen-
nies d’expérimentation de politiques industrielles multiples, l’Afrique n’a
pas connu l’essor industriel tant attendu. A contrario, les politiques mises
en œuvre, particulièrement celles imposées par les Institutions de Bret-
ton-Woods, l’ont privée de certaines aventures industrielles susceptibles
de consolider les piliers fondamentaux de son industrialisation. Elles ont
même contribué à la désindustrialiser en étouffant dans l’œuf un pan
important de son génie créateur.

Les vaines tentatives panafricaines


A la lumière de l’improductivité des politiques industrielles anté-
rieures, les pays africains, sous la houlette des institutions panafricaines
(notamment l’OUA d’abord et ensuite l’UA, la CEA et la BAD), et avec
l’appui particulier de l’ONUDI, ont tenté d’expérimenter de nouvelles
pistes supposées être en parfaite harmonie avec les réalités du continent,
pour promouvoir son développement industriel. Au nombre de celles-ci
(que nous qualifions, volontiers, de nouvelles voies pour le développe-
ment industriel en Afrique) figurent principalement : les décennies du
développement industriel en Afrique (DDIA I et II), le Traité d’Abuja,
l’alliance pour l’industrialisation en Afrique, l’Initiative africaine de Capa-
cité productive (APCI), et le Plan d’Action pour le Développement In-
dustriel accéléré de l’Afrique (AIDA).
En effet, la crise économique de la fin des années 70 a conduit les
autorités africaines à adopter, en 1980, le Plan d’Action de Lagos (PAL)

57
et l’Acte final de Lagos qui mettaient en évidence, entre autres,
l’importance du développement industriel pour favoriser la mutation
structurelle des économies africaines. Le PAL visait, principalement,
l’établissement des bases d’une croissance et d’un développement endo-
gènes, voire introvertis (générés de l’intérieur). Et c’est en soutien à cette
noble intention que les années 80 ont été proclamées la Décennie du
Développement industriel en Afrique. Le Programme de cette DDIA
était principalement fondé sur le développement des industries motrices
pour promouvoir la croissance des secteurs stratégiques. Ainsi, l’on a
identifié les industries métallurgiques, mécaniques, chimiques et les in-
dustries de matériaux de construction comme les domaines industriels
moteurs, indispensables, pour offrir des moyens de production aux
autres secteurs économiques, particulièrement l’agriculture. Cependant,
l’application du programme de la première DDIA n’a pas atteint les ré-
sultats escomptés. Une tentative de justification de ces mauvais résultats
se loge dans la profonde crise économique qui s’est emparée du conti-
nent au cours de cette époque : crise alimentaire, crise de financement
(endettement croissant), instabilité politique, faiblesse de l’économie ré-
elle… A cette liste non exhaustive, on ajoute une coopération industrielle
inexistante, ce qui a appauvri les relations intersectorielles et intra-
sectorielles tant souhaitées.
Mais, consécutivement aux résultats relativement insuffisants de la
première DDIA, l’on a consacré les années 90, la deuxième décennie du
développement industriel en Afrique (DDIA II). Le programme de la
2ème DDIA s’insère dans un contexte économique caractérisé par le phé-
nomène de la mondialisation, voire de la déréglementation généralisée de
l’économie mondiale. Il vise, principalement, à remédier aux limites de la
première décennie, et de facto, à promouvoir l’industrialisation de
l’Afrique, considérée comme la condition sine qua non de son épanouis-
sement économique et social. La deuxième décennie se fonde, particuliè-
rement, sur le renforcement de l’économie de marché, et sur la coopéra-
tion économique régionale, sous-régionale et africaine. Un rôle moteur y
est dévolu au secteur privé, l’Etat devant se contenter de ses tâches réga-
liennes (éducation, santé, sécurité) tout en rendant attractif l’environ-
nement industriel pour les investisseurs privés locaux et étrangers.
Aussi peut-on retenir le cap mis sur l’intégration des économies afri-
caines, perçue comme une nouvelle chance pour l’industrialisation du
continent. La nécessité d’intégration se fonde sur l’idée de créer des insti-
tutions susceptibles d’aider les Etats à développer collectivement les
moyens et infrastructures indispensables pour assurer leur développe-
ment économique et social ; ce qu’ils ne sont pas en mesure de créer
individuellement en raison de leur pauvreté. Cette volonté manifeste

58
d’intégrer l’espace économique africain a été, après plusieurs années de
tâtonnements et d’hésitations, consacrée par l’avènement du Traité
d’Abuja (le 3 juin 1991) instituant la Communauté économique africaine
(AEC). Ce traité engage résolument le continent sur la voie de
l’intégration économique et du développement collectif. Entré en vigueur
le 12 mai 1994, ce traité stipule que la mise en place de la Communauté
reposera sur un certain nombre de secteurs-clés intégrateurs tels que les
transports et communications, l’industrie, l’agriculture, l’énergie,
l’éducation, la science et la technologie, le commerce, la monnaie et les
finances.
De même, faut-il ajouter que la coopération industrielle préconisée
par le Traité d’Abuja, a été réaffirmée par le Programme d’Action du
Caire (adopté par la 31ème session de la Conférence des Chefs d’Etat et de
Gouvernement, réunie en juin 1995 à Addis Abéba, en Ethiopie) qui,
entre autres, recommande la formulation d’un programme pour la
restructuration industrielle en relation avec les nouvelles contraintes de
l’économie internationale (accords OMC, mondialisation, …). En outre,
le Programme d’Action du Caire engage les gouvernements africains à :
x mettre en œuvre le programme de la 2ème DDIA, et à renforcer les
institutions sous-régionales et régionales susceptibles de soutenir
les efforts africains dans les domaines de l’ingénierie, de la techno-
logie, de la gestion, et de la normalisation ;
x formuler des politiques et des programmes pour l’épanouissement
et le renforcement des capacités des entreprises locales, avec un
accent particulier sur la création de petites et moyennes entre-
prises ; et
x solliciter davantage l’appui de l’ONUDI pour la promotion indus-
trielle de l’Afrique.

Par ailleurs, l’on peut évoquer l’une de ces initiatives africaines, baptisée
‘‘Alliance pour l’industrialisation de l’Afrique’’. Fruit de la Conférence des
Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’OUA à Alger (juillet 1999), cette
alliance pour l’industrialisation fut mort-née alors qu’elle était porteuse
d’un espoir immense pour l’émancipation industrielle du continent. Selon
ses principaux initiateurs, celle-ci devait constituer une logistique indispen-
sable à la concrétisation des éléments constitutifs de la deuxième DDIA.
Enfin, dans l’élan collectif de la quête permanente des solutions opti-
males pour venir à bout de la sous-industrialisation du continent, deux
autres projets majeurs ont vu le jour dans les années 2000. Il s’agit de :
i) l’Initiative africaine de Capacité productive (APCI), adoptée en
juillet 2004, par le Sommet de l’Union africaine à Addis Abeba,

59
comme cadre de politique de l’effort d’industrialisation de
l’Afrique par le NEPAD. L’APCI était conçue pour faciliter un
passage à une démarche pratique visant à favoriser, par une ap-
proche sectorielle, la productivité et le rendement industriels, la
création d’emplois durables et la contribution de l’industrie à la ré-
duction de la pauvreté ; et
ii) le Plan d’Action pour le Développement Industriel accéléré de
l’Afrique (AIDA) adopté en janvier 2008 par l’Assemblée de
l’Union africaine. La Conférence des ministres africains de
l’Industrie (CAMI) a par la suite adopté une Stratégie de mise en
œuvre de l’AIDA, pour :
ƒ promouvoir la diversification économique par des activités ac-
croissant la valeur ajoutée industrielle ;
ƒ créer un milieu et un cadre institutionnels qui favorisent le dé-
veloppement industriel, la coopération économique régionale et
la compétitivité internationale : et
ƒ améliorer la capacité du côté de l’offre et du côté de la demande
de la production industrielle.

Au regard de ce qui précède, force est de reconnaître que l’Afrique


n’est pas restée stérile en initiatives et en actions pour son développe-
ment industriel. D’autres initiatives ont même précédé celles que nous
venons d’évoquer. Il s’agit, entre autres, de la Déclaration de Kinshasa
(décembre 1976) qui recommandait, au plan industriel, la création
d’entreprises multinationales africaines comme moyen de promouvoir la
coopération bilatérale, sous-régionale et régionale dans les domaines
économique et technique, et de mettre fin aux pratiques injustes impo-
sées par l’impérialisme et les sociétés transnationales.
Toutefois, le dénominateur commun de toutes ces initiatives demeure
leur véritable incapacité à assurer la promotion industrielle de l’Afrique.
Généralement, elles sont sanctionnées de recommandations et de résolu-
tions qui restent en souffrance dans les archives des ministères et des
organisations panafricaines. En d’autres termes, les initiatives se multi-
plient sans qu’elles soient suivies d’effets concrets sur le processus
d’industrialisation en Afrique. Tout porte donc à croire que le sous-
développement industriel y connaîtra, encore pour longtemps, des len-
demains meilleurs.
Au total, à la lumière de ces tentatives jusque-là infructueuses, n’est-il
pas légitime de repartir sur de nouvelles bases ? D’où tout l’intérêt de
notre problématique centrale invitant l’Afrique tout entière à tout re-
prendre à zéro. D’où également de nouvelles pistes à explorer pour ga-
rantir le succès de l’industrialisation du continent.

60
Comment réussir l’industrialisation en Afrique ?
L’industrialisation du continent est-elle donc bloquée ? On serait en-
clin à y croire lorsque l’on considère les résultats, toujours décevants, des
politiques ou stratégies industrielles adoptées jusque-là. Pourtant, ces
mêmes politiques appliquées sous d’autres cieux, particulièrement en
Asie et en Amérique latine, ont fourni des résultats positifs. Existe-t-il
une particularité africaine en matière d’industrialisation ? L’environ-
nement économique africain ne se prête-t-il pas à l’épanouissement
d’activités industrielles ? La culture africaine est-elle incompatible avec
l’industrialisation ? Les opérateurs économiques africains ont-ils une
aversion pour le risque industriel ? Les conditions préalables à un essor
industriel vigoureux ne sont-elles pas encore réunies en Afrique ? Autant
de questions qui s’offrent à l’esprit dès lors que l’on commence à
s’interroger sur les mobiles de la sous-industrialisation du continent en
dépit de l’exécution de moult stratégies et initiatives visant à assurer son
décollage industriel. Ici, également, il est souhaitable de marquer un arrêt
pour mieux appréhender le phénomène de l’industrialisation dans toutes
ses dimensions. Les prochains développements tenteront de répondre à
la problématique suivante : Comment réussir l’industrialisation en
Afrique ? Les éléments de réponses qui vont être exposés ne constituent
certes pas une recette de bon aloi, mais ils présentent tout de même
l’intérêt de contribuer à la recherche de nouvelles pistes permettant
d’accélérer le processus de l’industrialisation du continent africain.

Pourquoi l’industrialisation en Afrique doit-elle être privilégiée ?


Il n’y a pas de pays prédestiné à vocation industrielle. L’exemple four-
ni par les Nouveaux pays industrialisés (NPI) illustre parfaitement une
telle assertion. Aussi cet exemple prend-il le contre-pied des analyses qui
tentent de coller à l’Afrique l’image d’un continent à vocation agricole et,
de facto, où toute activité industrielle présenterait l’allure d’une activité de
luxe. L’Afrique doit donc se départir d’un tel cliché qui remonte à l’époque
du ‘‘pacte colonial’’ ou du ‘‘système de l’exclusif’’, pour se doter d’une véritable
structure industrielle susceptible de valoriser ses nombreuses ressources
agricoles, minières et énergétiques. L’importance de l’activité industrielle
est mise en relief par l’analyse économique qui reconnaît que tous les
pays qui ont la croissance globale la plus rapide, sont ceux qui ont connu
la croissance la plus forte de leur industrie.

61
Ce rôle moteur dévolu à l’industrie se manifeste à travers trois princi-
paux arguments (Y. Morvan, 1991) :
a) de toutes les activités, l’industrie demeure celle dont le taux de
croissance de la valeur ajoutée présente la corrélation la plus forte
avec celui de l’ensemble de l’économie ;
b) c’est au sein de l’industrie qu’on observe le mieux combien la va-
riation de la productivité est fonction croissante du taux de varia-
tion de la production (surtout, en ce qui concerne les biens
d’équipement) ;
c) l’industrie est l’activité qui ‘‘tire’’ le plus l’ensemble du système, par
l’ampleur de ses commandes, l’importance de ses ventes, le mon-
tant de ses salaires, ainsi que par son influence sur toute
l’organisation de la société.

Il apparaît donc évident que tout processus de désindustrialisation est


alarmant, et par conséquent une politique active en faveur de l’industrie
devient prioritaire. En Afrique, cette priorité est accentuée par le fait que
le continent demeure sous-industrialisé. Les stratégies d’industrialisation
des années 60 et 70 (respectivement l’import-substitution et l’export-
substitution) n’ont pas abouti aux résultats escomptés pour des raisons
de nature diverse déjà évoquées. L’Afrique exporte encore l’essentiel de
ses produits agricoles sous forme brute, c’est-à-dire sans transformation.
L’agro-industrie, secteur industriel auquel la tâche de transformation
incombe, demeure dans la quasi-totalité des pays africains à l’état em-
bryonnaire. Le paysage industriel de l’Afrique est donc pauvre ; ce qui
accorde, à la problématique de l’industrialisation du continent, tout son
intérêt.

L’Etat doit créer un environnement favorable à


l’industrialisation
A la faveur du triomphe de l’économie de marché, les bailleurs de
fonds, dans leur ensemble, sont unanimes à reconnaître que
l’industrialisation en Afrique devrait être l’apanage de l’initiative privée.
Tous les programmes d’ajustement structurel, administrés aux pays afri-
cains depuis le début des années 80, s’inspirent profondément de cette
philosophie. L’une des raisons justificatives demeure les résultats relati-
vement décevants de l’industrie africaine, dus, en partie, à l’omniprésence
des pouvoirs publics dans ce secteur d’activité. L’inefficience due à l’Etat,
que l’analyse économique appréhende, de nos jours, par la théorie du
‘‘public choice’’, explique donc la nouvelle approche que les apporteurs
de capitaux, principalement les organisations de Washington, veulent

62
imprimer à l’économie africaine dans son ensemble. Ces organisations
ont-elles tort ou ont-elles raison ? Pour notre part, la gestion catastro-
phique des pouvoirs publics constitue une invite à tenter une autre expé-
rience : celle de l’initiative privée.
Toutefois, l’adoption de ce nouvel axe ne doit pas être perçue comme
synonyme de l’absence totale de l’Etat. Au contraire, ce dernier, tout en
se consacrant aux tâches dites régaliennes que lui attribue la pensée éco-
nomique d’inspiration smithienne, voire libérale, a le devoir d’ériger un
environnement favorable à l’épanouissement de l’initiative privée. Au-
trement dit, l’Etat doit créer un environnement où les entraves à
l’entreprenariat sont levées, par conséquent, un environnement où la
concurrence entre acteurs s’exerce de manière saine. L’érection d’un
marché de concurrence parfaite ou d’un marché contestable relève du
ressort de l’Etat. Les interventions massives des pouvoirs publics dans
les économies occidentales consécutivement à la crise économique et
financière systémique de 2007-2008 sont une autre illustration de la né-
cessité du rôle de l’État.
Dans l’histoire économique, les interventions des pouvoirs publics
dans l’activité économique, et particulièrement dans le secteur industriel,
sont légion. On pourrait citer, entre autres, la loi anti-trust aux Etats-
Unis d’Amérique (dite Sherman Act en 1890), les politiques économiques
d’inspiration keynésienne ou néo-keynésienne consécutivement à la
grande crise économique des années 29-30 etc. Les politiques préconi-
sées et adoptées par le Gouvernement Jospin (en France) pour la relance
de l’économie française, dans une Union européenne dominée par les
thèses libérales, les interventions massives des pouvoirs publics dans les
économies occidentales déjà évoquées réhabilitent la dose intervention-
niste que l’Etat se doit d’insuffler à une économie donnée.
L’Afrique étant un continent où tout est à créer, l’Etat a la responsabi-
lité du rôle catalyseur. Il doit, par conséquent, aider à :
i. dégager les priorités ;
ii. initier des actions dans les domaines prioritaires ;
iii. développer les infrastructures dans les domaines de monopoles
naturels ;
iv. créer des joint-ventures en s’érigeant garant de certaines sources
de financement ;
v. créer un environnement propice au développement industriel à
travers des actions de nature à juguler la corruption, les insécuri-
tés de toute nature, à stimuler la concurrence, bref, par l’entre-
mise d’actes susceptibles de mobiliser les investissements étran-
gers et de garantir leur sécurité.

63
Industrialiser l’Afrique par la voie de l’initiative privée ne doit donc
pas être analysé comme une stratégie de nature à marginaliser l’Etat. La
précarité des structures industrielles du continent requiert une dose mi-
nimale d’interventions au niveau de la mobilisation des ressources, de
l’encadrement du jeu concurrentiel, de la sécurité des biens et des per-
sonnes, de l’assainissement du cadre juridique des affaires, etc. L’avenir
de l’industrialisation de l’Afrique réside donc dans les tâches précédem-
ment décrites des pouvoirs publics, et non dans une passivité totale de
ces derniers. Dans l’hypothèse où ils adopteraient un comportement
passif, comme le suggèrent certains milieux de la Finance internationale,
ils endosseraient la responsabilité de retarder, pendant des siècles encore,
l’avènement de l’ère de l’industrialisation du continent. Ceci repose sur le
principe que tout processus d’industrialisation, en dépit d’un apport exté-
rieur à rechercher, se fonde principalement sur la dynamique interne.
L’Afrique doit donc créer cette dynamique là où elle n’existe pas, et la
consolider là où elle évolue timidement. Sa promotion industrielle en
dépend fortement.

Les Africains doivent être la locomotive du processus de


l’industrialisation de leur continent
Dans la quasi-totalité des capitales africaines, ironise un expert africain
de l’industrie, circulent des petites et moyennes entreprises (PME). A pre-
mière vue, cette assertion paraît saugrenue. Mais lorsque l’on fait une ana-
lyse de proximité, cette dernière devient un truisme. En effet, à quel prix
peut-on s’approprier une voiture haut de gamme comme une Mercedes,
une Renault Safrane, une Pajero, une BMW, etc. ? En tenant compte de la
moyenne inflatoire dans les pays africains, une Mercedes Berline ou 4x4,
dernière génération coûterait, toutes taxes comprises, en moyenne 25 mil-
lions de F.CFA. Combien d’Africains en possèdent-ils dans les villes
comme Dakar, Abidjan, Ouagadougou, Libreville, Douala, Nairobi,
etc… ? Par modestie, le chiffre de 15 voitures de la marque indiquée peut
être évoqué pour chaque capitale. Si on fait le calcul, on trouve que 15
Africains affectent la somme de 375 millions à l’acquisition de 15 Mer-
cedes. Toutes choses étant égales par ailleurs, avec un tel montant de
francs CFA, il est possible de créer, au moins, une dizaine de PME dans
les activités industrielles génératrices de grande valeur ajoutée. Plutôt que
cela, l’on préfère, en Afrique, ce luxe insolent qui constitue un signe osten-
tatoire de prospérité, d’aisance, voire d’appartenance à une classe sociale
supérieure. Ce snobisme coûte beaucoup à l’Afrique. Ainsi, par le biais de
ces biens durables extrêmement onéreux, une partie considérable des res-
sources africaines échappe aux économies du continent.

64
A ce comportement anti-économique ou contre-productif s’addi-
tionne un autre, tout aussi incompréhensible. Généralement, lorsque les
Africains acceptent d’investir, ils le font dans des secteurs périphériques
du secteur secondaire peu créateurs de valeur ajoutée. Les activités béné-
ficiaires sont : les pressings, l’immobilier, les bars, les boîtes de nuit, les
boulangeries, les salons de coiffure, etc. L’aversion pour le risque conduit
les ‘‘industriels africains’’ à effectuer des investissements dans des activi-
tés où les rendements sont probables. Ces derniers évitent donc des acti-
vités qui pourraient les emmener à relever des défis dans un pari indus-
triel. Un tel comportement est illustré par la déclaration faite en 1982 par
ALCIDE KACOU, fondateur d’Abidjan-Industrie (ABI) : ‘‘l’industrie,
c’est ce qu’il y a de moins rentable. Si l’on veut s’enrichir, il vaut mieux
construire un building qu’une usine, ou avoir une boutique ou une boîte
de nuit’’. Une telle déclaration est assez révélatrice du comportement
anti-industriel de la plupart des opérateurs économiques africains. Aussi,
ceci est-il révélateur de leur incapacité à prendre le relais des pouvoirs
publics lorsque ceux-ci se désengagent des secteurs marchands.
Le sous-développement qui caractérise les pays africains a fait des
pouvoirs publics les principaux bailleurs de fonds de l’économie. Ceci a
débouché sur la création de puissants monopoles d’Etat qui, à l’aide
d’une réglementation rigoureuse, ont étouffé toute initiative privée. Gé-
néralement, les monopoles d’Etat bénéficiant du parapluie réglementaire
de la puissance publique, ne sont jamais (dans la majorité des cas) deve-
nus matures faute d’innovation. Les profits importants issus de ces mo-
nopoles ont fait l’objet d’un usage non rationnel en raison de leur emploi
à des fins somptuaires.
En outre, eu égard à la mondialisation de l’économie et au rôle de
plus en plus croissant des firmes transnationales, on assiste dans les PVD
en général, et en Afrique en particulier, à l’émergence de monopoles pri-
vés (se substituant souvent aux monopoles publics) dont le contrôle
échappe aux gouvernements des pays d’accueil. Les bénéfices tirés de ces
monopoles privés peuvent ne pas s’investir dans les pays qui les abritent,
du fait de la liberté de rapatriement des profits que les codes
d’investissement de la quasi-totalité de ces pays accordent à ces multina-
tionales d’origine étrangère.
A la lumière de ce qui précède, il apparaît impérieux que l’initiative
privée africaine accepte de courir des risques dans des paris industriels.
Sous l’hypothèse que l’Etat joue effectivement le rôle précédemment
décrit, les opérateurs économiques africains doivent se muer en de véri-
tables capitaines d’industrie pour piloter le processus d’industrialisation
du continent.

65
D’abord, nous proposons l’adoption de politiques industrielles prag-
matiques, susceptibles d’aider à l’insertion de l’économie du continent
dans l’économie mondialisée. La toile de fond du tissu industriel africain
doit demeurer l’agro-industrie (cf. supra). Une telle vision permettrait
d’éviter les situations actuelles caractérisées par l’existence de quelques
unités industrielles sans liens suffisants avec le secteur primaire local et
dont l’essentiel de la consommation intermédiaire provient de
l’importation. De même, les nouvelles politiques industrielles en Afrique
doivent-elles favoriser l’émergence d’un environnement où la concur-
rence praticable est de mise, ou, à la limite, doivent-elles conduire à
l’apparition d’un marché contestable. Un tel environnement recèle en
son sein tous les ingrédients susceptibles de venir à bout de toutes les
velléités d’inefficience dues aux comportements des agents économiques.
Ensuite, les investisseurs privés africains doivent inscrire leurs diffé-
rentes actions dans le cadre d’une stratégie sous-régionale ou régionale.
L’exiguïté des ‘‘micromarchés’’ requiert des politiques industrielles con-
certées, et partant, soumises à la logique de l’intégration des économies
africaines. Ceci conférerait une dynamique certaine à leurs activités et
leur permettrait de répondre favorablement aux nouvelles contraintes de
l’organisation industrielle dues au phénomène de la globalisation de
l’économie. Aussi, peuvent-ils trouver une solution au problème crucial
de manque de capitaux à travers les opérations de ‘‘joint-ventures’’. Une
telle opération présente l’avantage d’associer les investisseurs africains
d’une part, et, d’autre part, d’associer ces derniers aux entreprises euro-
péennes, américaines et asiatiques. Le cofinancement qui s’en dégage
permettrait d’éviter les effets pervers des monopoles d’Etat ou privés
évoqués plus haut. Dans cette mouvance, les investisseurs privés afri-
cains pourraient nouer des contacts ‘‘intelligents’’ avec leurs homologues
étrangers à l’exemple des pays asiatiques ; ce qui leur permettrait, à terme,
de maîtriser le ‘‘savoir-faire’’ scientifique et technologique de leurs parte-
naires.
Par ailleurs, les institutions africaines, chargées d’assurer le rayonne-
ment tous azimuts du continent, doivent développer entre elles des ac-
tions synergiques. Une coopération franche et sincère leur évitera toute
duplication, et de facto, leur permettra d’utiliser de manière optimale les
ressources humaines et financières dont dispose le continent. En matière
de coopération, l’UA a un grand rôle à jouer en tant qu’organisation
mère. Le Secrétariat conjoint AU-CEA-BAD-CER, redynamisé, va dans
le bon sens. Au plan industriel, l’UA qui est censée synthétiser la réalité
africaine, doit dégager des priorités, proposer des programmes d’action
dans lesquels doivent s’intégrer les politiques industrielles nationales et
régionales. Les bailleurs de fonds, dans un élan de solidarité internatio-

66
nale, doivent prendre en compte ces programmes initiés par les Afri-
cains, s’ils veulent que leurs différentes interventions produisent l’effet
escompté sur l’industrialisation du continent. A cet effet, l’Agenda du
Caire, initié par l’OUA, offre des indications assez intéressantes aux insti-
tutions internationales soucieuses de la promotion industrielle de
l’Afrique.
Enfin, l’Afrique, pour son industrialisation, doit s’inspirer de
l’assertion ‘‘aide-toi, le ciel t’aidera’’. Elle demeurera sous-industrialisée, si
elle n’assure pas le pilotage de son industrialisation. Le concours exté-
rieur ne doit pas l’éloigner de cette tâche historique. L’Etat, en dévelop-
pant des actions pour l’épanouissement du privé local et étranger, y con-
tribuera énormément. Le privé africain doit se départir de toute attitude
fataliste pour jouer le rôle qui est le sien : devenir le principal facteur
d’accumulation du capital.

Miser à fond sur la transformation structurelle du continent


Aujourd’hui le groupe de mots « transformation de l’Afrique » figure
en lettres d’or dans tous les discours des décideurs économiques et poli-
tiques du continent. Il est même devenu un leitmotiv dans les écrits des
analystes de tout genre qui s’intéressent au futur de l’Afrique. Pourquoi
un tel engouement, voire un tel intérêt autour du concept « transforma-
tion » ? L’Afrique de nos jours n’est pas celle des années 60. Elle a évolué
au regard de beaucoup d’indicateurs. Elle a amorcé son processus de
transformation pour se mettre à l’abri des insécurités de tout acabit. Mais
si après plus d’un demi-siècle l’on insiste encore sur la transformation
c’est peut-être parce que celle-ci n’a pas été profonde comparée à celle
survenue en Asie ou en Amérique latine. Ou encore parce qu’elle n’a pas
pris la forme ou la trajectoire requise pour permettre au continent afri-
cain de réaliser le développement de son rêve.
Certes l’Afrique doit se transformer profondément si elle veut se dé-
velopper et procurer bonheur et prospérité à ses nombreuses popula-
tions. Car en l’état actuel de son développement elle est extrêmement en
retard par rapport aux autres ensembles du monde en développement.
Les gaps accusés par ses différents secteurs sont énormes. De ce fait, une
transformation profonde s’impose à elle comme un passage obligé. Mais
cette transformation peut-elle s’opérer en dehors du cadre de
l’intégration ? En d’autres termes, peut-elle se faire au niveau des Etats
pris individuellement ? Ou doit-elle se réaliser dans la dynamique de
l’intégration régionale et continentale ?
Pour notre part, opérer la profonde transformation de l’Afrique en
étroite relation avec le processus d’intégration en cours en Afrique

67
semble être la voie salutaire. Car elle se fondera sur une mutualisation
des efforts, des ressources de tout genre, des expériences, des expertises,
des marchés, et des intelligences en matière de négociation avec le Reste
du monde. Dans cette perspective, l’intégration doit être regardée
comme la principale locomotive du processus de la transformation con-
tinentale. Parce que les nombreuses tentatives de transformation entre-
prises au niveau des micro-Etats n’ont pas produit les résultats escomp-
tés après plus d’un demi-siècle d’expérimentation. L’Afrique peut être
regardée comme structurellement transformée si et seulement si les déve-
loppements qui vont suivre y ont droit de cité. Ils sont certes non ex-
haustifs mais ils reflètent notre profonde conviction. Nous ajoutons éga-
lement que la transformation structurelle doit être multisectorielle ou
multidimensionnelle.
L’Afrique doit être économiquement intégrée. Ici les étapes essen-
tielles de l’intégration doivent être franchies : à savoir le libre-échange ;
l’union douanière ; le marché commun ; l’union économique ; et l’union
économique et monétaire. Ce serait la manifestation la plus tangible
d’une économie structurellement transformée en raison de tout le corol-
laire qui l’accompagne. Cette Afrique-là favoriserait la libre circulation de
ses citoyens qui auraient le choix de s’installer là où ils pourraient concré-
tiser leurs opportunités. Aussi l’Afrique doit-elle être une région parfai-
tement industrialisée. Dans cette perspective il n’y aurait plus de désarti-
culation sectorielle ; les uns et les autres seraient fortement corrélés pour
renforcer l’harmonisation des économies. De même, l’industrialisation
consoliderait l’insertion de l’Afrique à la chaîne des valeurs mondiales.
L’Afrique serait alors en posture de profiter de l’immensité de ses res-
sources agricoles ; minières et énergétiques. Aussi, le continent doit-il
avoir une agriculture développée ; modernisée et capable d’assumer sa
mission première qui est celle de nourrir les nombreuses populations
africaines. Ainsi les famines, la malnutrition, la sous- alimentation se-
raient de vieux souvenirs en Afrique. En outre, une Afrique profondé-
ment transformée est synonyme d’une Afrique dotée d’infrastructures
économiques, financières, judiciaires, énergétiques, politiques etc. dignes
de ce nom. Autrement dit une Afrique munie d’infrastructures qui favo-
risent l’éclosion d’économies prospères et constamment compétitives.
L’Afrique structurellement transformée est également une Afrique où
la bonne gouvernance économique et politique est la règle et non
l’exception. Ici, les vertus de la démocratie grecque sont pleinement ap-
pliquées. Les jeux démocratiques ne sont pas faussés ou biaisés ;les re-
nouvellements des mandats électoraux ne sont pas douloureux ;les textes
fondamentaux régissant la vie politique des Etats sont scrupuleusement
respectés par les acteurs du marché politique ; les révolutions de palais

68
n’ont pas droit de cité ; les situations de rente sont formellement inter-
dites ; la corruption sous toutes ses formes est bannie des comporte-
ments des acteurs économiques et politiques ;la liberté d’expression et
d’initiative est fortement garantie ;la liberté de conscience renforcée et
généralisée etc… c’est une Afrique totalement pacifiée et dans laquelle
les conflits de toutes sortes, singulièrement les rebellions armées
n’existent plus.
Une Afrique structurellement transformée est une Afrique qui produit
ses propres statistiques pour concevoir, suivre et évaluer ses projets de
développement. Car une Afrique qui compte est celle qui produit ses
comptes avec ses propres statistiques. C’est une Afrique qui maitrise
l’évolution de sa démographie, et, de facto, est capable de jouir des divi-
dendes démographiques, voire du bonus démographique.
C’est une Afrique dans laquelle l’économie informelle a complètement
disparu au bénéfice de l’économie formelle. Tous les secteurs, primaire,
secondaire et tertiaire sont entièrement intégrés au secteur formel qui
devient l’unique cadre d’évolution des activités économiques.
L’autre nom de la transformation c’est le changement des mentalités.
Sans une mutation profonde des mentalités, la transformation attendue
ne se produira jamais. Car, quelle que soit la qualité des projets, quelle
que soit l’immensité des ressources, si les comportements ne s’inscrivent
pas dans une dynamique positive pour accompagner le mouvement de la
transformation, les efforts entrepris risquent fortement d’être vains. Pour
notre part nous disons non au jeunisme, ni à l’âgisme qui de nos jours
alimentent les conflits générationnels dans la gouvernance des pays afri-
cains. Le mérite, la compétence, quel que soit l’âge, doivent primer dans
l’attribution des responsabilités. Un changement des mentalités c’est aus-
si le respect et l’entretien des biens publics. Ici, par exemple, l’état des
toilettes publiques dans les services publics, les aéroports, les hôpitaux,
les écoles et universités, les commissariats de police, les mairies etc. est à
améliorer profondément. De même, les changements des mentalités c’est
également se départir des esprits nationalistes ; s’affranchir des frontières
imposées par les langues héritées de la colonisation ; accomplir ses tâches
quotidiennes dans un esprit purement panafricaniste qui exclut toutes
références aux nationalités et aux régions. L’esprit panafricaniste de-
meure le levier qui permet de transcender toutes les velléités du repli sur
soi et d’accepter de courir des risques pour l’émancipation économique
et politique de l’Afrique. Hier le mouvement panafricaniste a conduit les
pères fondateurs de l’Afrique moderne à libérer l’Afrique du joug colo-
nial et du régime ségrégationniste de l’apartheid. Beaucoup d’entre eux
ont subi des humiliations ; d’autres ont été jetés en prison dans des con-
ditions inhumaines ; d’autres enfin ont fait le don de leur vie, voire ont

69
été assassinés au nom de l’Afrique. Aujourd’hui, quels sacrifices les Afri-
cains doivent-ils faire pour renforcer les acquis et assurer le développe-
ment, lato sensu, de leur continent ? Ici la réponse n’est pas unique. Pour
nous les seuls sacrifices qui conviennent c’est de passer de la coopération
à l’intégration en mettant en œuvre toutes les initiatives à caractère inté-
grateur pour faire de l’Afrique un seul pays dans le cadre des États-Unis
d’Afrique. De tels sacrifices peuvent servir de viviers à la transformation
continentale tant recherchée.
La transformation c’est aussi les Africains totalement décomplexés
vis-à-vis du reste du monde. Plus de complexe par rapport à la couleur
de leur peau, à leurs cultures, à leur environnement de vie, à leurs reli-
gions, et à leur place dans le monde. Ils doivent accepter de s’ancrer aux
valeurs africaines pour être en compétition avec les autres. Les armes de
cette compétition quotidienne s’appellent la maîtrise de la science et de la
technologie. Ici l’on ne doit pas se tromper de route. L’Afrique doit
combler son retard scientifique et technologique pour permettre à ses
enfants de mieux fourbir leurs armes afin de remporter des batailles dans
la compétition internationale de plus en plus âpre de nos jours.
Enfin, c’est une Afrique qui a trouvé une solution efficace et durable à
toutes les insécurités qui menacent son existence, notamment, les insécu-
rités économique, financière, sociale, politique, alimentaire, énergétique,
juridique, … Cette Afrique-là est dans une solide posture d’anticiper et
de maîtriser son avenir, et faire face à tous les chocs endogènes et exo-
gènes. C’est une Afrique qui est solidement positionnée sur la voie de la
croissance durable.
Toutefois, il convient de noter que le cadre de l’intégration est le
mieux approprié pour conduire le processus de transformation de
l’Afrique. Effectuer cette noble opération en dehors du cadre stratégique
de l’intégration régionale et continentale, c’est reconnaître son improduc-
tivité et l’assimiler à un projet mort-né. Cela nous amène à arguer que
l’intégration doit être perçue comme le moteur indéniable du processus
de la transformation structurelle de l’Afrique. Dès lors, elle doit être au
début, pendant et à la fin du processus de transformation. Ce rôle majeur
devant être dévolu à l’intégration tient à plusieurs facteurs au sein des-
quels figurent ceux qui vont suivre.
i. l’intégration recèle en son sein tous les ingrédients susceptibles
d’accélérer l’industrialisation de l’Afrique ;
ii. le développement et la modernisation de l’agriculture peuvent
s’arrimer à la locomotive de l’intégration pour surmonter tous les
handicaps structurels auxquels fait face aujourd’hui l’agriculture
africaine ;

70
iii. l’intégration offre une grande opportunité pour mobiliser les inves-
tissements domestiques et extérieurs ; car le contenu de
l’intégration constitue des opportunités de faire des affaires et
d’engranger des bénéfices colossaux ;
iv. elle constitue également une voie sûre pour mutualiser les efforts
et les expériences, pour mettre en place un système éducatif prag-
matique, proactif et qui est, en permanence, en parfaite adhésion
avec les besoins des économies africaines ;
v. elle demeure la planche de salut pour l’Afrique lui permettant de
rattraper plus rapidement son retard infrastructurel, et pour ac-
croître sa capacité de résilience.

Par ailleurs, est-on en droit de se demander si le rythme actuel de l’intégration en


Afrique est porteur d’espoir. La réponse à une telle interrogation n’est pas
unique. Chacun, en fonction de sa perception du développement, sa
compréhension de la place de l’Afrique dans le monde, peut tenter d’y
répondre. Pour notre part, nous estimons que le rythme actuel du pro-
cessus d’intégration régionale et continentale appelle à un pessimisme,
même si nous restons optimiste par nature. La persistance des défis liés à
l’intégration fonde ce pessimisme qui nous habite. Ces défis ont pour
noms : la souveraineté des Etats ;le déficit croissant en ressources finan-
cières ; la préférence de la coopération au détriment de l’intégration ; la
présence massive et quasi permanente de l’extérieur dans la conduite
dans les affaires africaines ; la médiocrité des mécanismes de prise de
décisions dans les instances régionales et continentales ; l’interdiction
faite aux Africains de circuler librement au sein de leur continent ;
l’enracinement dans les esprits des frontières linguistiques ; et le déficit
grandissant entre la parole et l’action.
Somme toute, la prééminence du repli sur soi, avec toutes les consé-
quences que cela comporte, pérennise les réflexes nationalistes, régiona-
listes, voire même tribaux et religieux, qui empêchent ou retardent au-
jourd’hui l’Afrique dans l’accomplissement de son rêve d’intégration ; ce
qui est de nature à annihiler tous ses efforts de transformation structu-
relle. Si donc tous ces défis persistaient dans le temps, la transformation
de l’Afrique dont on parle tant aujourd’hui ne serait qu’un leurre.
Finalement, il est à souligner qu’il est extrêmement urgent pour
l’Afrique d’opérer sa transformation structurelle. En l’absence de celle-ci il
lui sera difficile de se soustraire à la pauvreté et à la misère. Elle serait du-
rablement marginalisée et sa voix serait inaudible dans la gestion des af-
faires planétaires. Toutefois, si l’Afrique devait s’engager dans la voie irré-
versible de sa transformation structurelle, elle ne pourrait que le faire dans
la dynamique de son intégration. La transformation et l’intégration doivent

71
être comme l’arbre et son ombrage ou comme l’homme et son ombre.
Autrement dit, les deux projets, dans leur mise en œuvre, doivent être in-
timement liés, sinon tous les deux connaîtront le même sort, c’est-à-dire
« rester à l’état de projets sans jamais aboutir ». Mais, pour permettre à
l’intégration de jouer le rôle stratégique attendu d’elle, il faut que les pays
africains, de façon collective, se départissent des micro-nationalismes
étroits, pour apporter des réponses efficaces et durables aux défis ci-dessus
mentionnés. Le succès de la transformation structurelle profonde du con-
tinent, et surtout de son industrialisation, en dépend fortement.

Choisir l’agro-industrie comme secteur d’ancrage pour réussir


l’industrialisation
L’économie agro-alimentaire constitue une donnée quasi universelle
dans l’évolution socio-économique de toute communauté humaine. Cette
universalité tient au fait qu’il demeure une réalité évidente que
l’alimentation joue un rôle fondamental dans la survie de toute espèce
humaine et dans sa reproduction. La chaîne agro-alimentaire qui connaît
un développement variable selon le niveau technologique de chaque
pays, voire de chaque société, assume donc, avant toute autre finalité,
une mission vitale. Cependant, elle a des caractéristiques qui lui sont
propres. Ces dernières sont conjointement liées aux contraintes de la
production agricole et aux exigences de la consommation.
Aussi, l’économie agro-alimentaire, à la faveur de la révolution indus-
trielle, va connaître un essor vigoureux, scindant le monde en deux blocs.
D’un côté, il y a les pays développés dans lesquels l’agro-alimentaire a
atteint le stade de l’agro-industrie et où les produits livrés aux consom-
mateurs sont, en moyenne, pour plus de 80%, des produits transformés.
De l’autre côté, se trouvent les PVD dans lesquels plusieurs cas de figure
peuvent se rencontrer et qui sont généralement fonction du niveau de
développement atteint par chacun d’eux. Mais de façon globale,
l’économie agro-alimentaire n’a pas encore atteint, dans la plupart des
PVD, le stade de l’agro-industrie.
Il est reconnu que l’économie agro-alimentaire de l’Afrique en général, et
particulièrement, de l’Afrique subsaharienne, n’est pas fondamentalement
différente de celle de la plupart des pays en développement. Les quatre mail-
lons qui la composent (l’agriculture, la transformation, la commercialisation
et la restauration) sont, non seulement inégalement développés, mais aussi,
quelque peu désarticulés. Cette relative désarticulation tient au fait que,
d’une part, les produits agricoles sont insuffisamment transformés9, et que

9 90% des produits de la branche vivrière sont consommés sans transformation et près

de 90% des produits d’exportation exportés sous la forme brute.

72
certaines branches du secteur de la transformation, notamment les industries
laitières, la meunerie, la brasserie… importent encore l’essentiel de leurs
consommations intermédiaires10, d’autre part. L’agro-industrie, stade où
l’économie agro-alimentaire s’industrialise, se capitalise et s’internationalise
est, à l’instar de la plupart des pays pauvres, très peu développée. Les IAA
de l’Afrique présentent un caractère hétérogène tant au niveau des salaires
que des biens intermédiaires qu’elles consomment. Du point de vue de
l’organisation industrielle, elles ne sont pas en marge des activités des grands
groupes agro-alimentaires mondiaux. Loin s’en faut, elles sont touchées par
le phénomène de la croissance externe développée par ces derniers pour
consolider leur part de marché.
Les principales contraintes auxquelles sont confrontées les IAA, quel
que soit le lieu géographique de leur implantation, sont généralement
liées à la nature même de l’activité agricole et au dilemme entre
l’exécution de la ‘‘fonction sociale alimentation’’ et la recherche de la
valorisation du capital dans les IAA, à l’image de ce qui se déroule dans
les autres secteurs d’activité. Les IAA des pays africains ne sont pas à
l’abri de telles contraintes. A ces dernières, se sont même additionnées
d’autres, particulièrement spécifiques à la plupart des pays en dévelop-
pement et qui résident essentiellement dans la tendance à la fidélité au
régime alimentaire traditionnel. En sus donc des contraintes communes à
toutes les IAA, celles de l’Afrique sont confrontées à la résistance de la
tradition dans les grands centres urbains.
L’examen des résultats de la production agricole dans la plupart de ces
pays laisse augurer un bel avenir aux IAA quant à leur approvisionne-
ment en biens intermédiaires. En effet, l’agriculture dans certains de ces
pays (Côte d’Ivoire, Ghana,…) reste relativement performante. Cette
performance procède essentiellement de l’attention particulière accordée
à l’agriculture d’exportation, choisie comme secteur pourvoyeur de de-
vises pour le financement du développement économique. A cette fin,
plusieurs politiques relatives à la promotion de l’agriculture ont été adop-
tées et exécutées avec une attention soutenue. Dans une telle perspective,
des mesures d’incitation à la production ont été développées et entrete-
nues pour susciter la motivation des paysans afin de les amener à adopter
des spéculations plus sélectionnées, de nouvelles techniques culturales et
de nouveaux facteurs de production. Cette politique de promotion agri-


10 En Côte d’Ivoire, par exemple, la part des importations dans les achats d’intrants
s’élève pour quelques produits à : Céréales (48,3%); Boissons (50,6%); Laits et produits
laitiers (54,4%); Préparations alimentaires (62,8%); Chimie agricole (67,4%); Cuir (77%);
Tabac (78,8%); Huiles (4,2%). cf. Schéma Directeur du Développement Industriel de la
Côte d’Ivoire. Ministère de l’Industrie – mars 1988.

73
cole va bénéficier d’importants soutiens de l’Etat (qui ont été, malheu-
reusement, supprimés à la faveur des PAS dans les années 80) à travers :
i. la création des sociétés d’Etat pour encadrer les paysans en vue de
l’amélioration et de l’accroissement de la production agricole ;
ii. la distribution des crédits agricoles afin de favoriser l’acquisition
des facteurs de production : machines, engrais… ;
iii. la garantie des prix à la production (dans certains pays);
iv. l’instauration des structures de commercialisation et de transforma-
tion pour favoriser l’écoulement des produits des zones produc-
trices vers les unités de transformation d’une part, et pour obtenir
une plus grande valeur ajoutée des activités agricoles d’autre part.

La structure des incitations qui précède va être à l’origine de la per-


formance de la branche exportatrice de l’agriculture africaine. Les cul-
tures d’exportation ou cultures de rente vont connaître une popularité
accrue en milieu rural et enregistrer des résultats spectaculaires du point
de vue de la production agricole. Tandis que la production vivrière, res-
tée pratiquement en marge des principaux facteurs d’incitation à la pro-
duction initiés par les pouvoirs publics, croît en volume, mais à un taux
inférieur à celui de la population (3,5% par an contre 4% au cours de la
période 1965-1984. Cf. BM, 1987).
La complémentarité entre cultures d’exportation et cultures vivrières, tant
en zone forestière qu’en zone de savane, constitue un gage d’une offre agri-
cole continue aussi longtemps que les facteurs d’incitation à la production,
singulièrement les prix aux producteurs, seront maintenus et améliorés.
La fourniture des matières premières agricoles aux IAA (donc l’offre
agricole) reste, cependant, sujette à deux difficultés potentielles : la dis-
ponibilité en terres et les prix à la production des produits d’exportation.
Dans la plupart des pays africains, l’accroissement de la production agri-
cole est subordonné à l'extension des surfaces cultivées. L’amélioration
relative des prix des produits d’exportation (café, cacao par exemple) a
amplifié l’agrandissement des exploitations paysannes (dominantes dans
l’agriculture africaine) et, de facto, a contribué à l’amenuisement du patri-
moine forestier du continent. Selon D. Resquier-Desjardin (1989), citant
l’exemple de la Côte d’Ivoire, la consommation des terres par
l’agriculture ivoirienne est importante du fait de la logique du système
‘‘d’économie de plantation11’’. Pour l’auteur, ceci ‘‘a provoqué une réduc-
tion drastique des terres disponibles dans certaines régions : dans les


11 Ce système exige que l’on défriche et plante sans cesse des parcelles pour remédier au

vieillissement des anciennes, et surtout pour satisfaire aux besoins de la main-d’œuvre,


qu’elle soit familiale ou extérieure (cf. D. Resquier-Desjardins, op.cit).

74
années 2000, l’ensemble du pays sera touché par le phénomène de satu-
ration foncière’’. La pression foncière qui se révèle de nos jours apparaît
comme la conséquence de l’accélération du rythme de plantation due à la
hausse du prix aux producteurs de café et de cacao. Cette contrainte fon-
cière est donc de nature à réduire l’offre agricole aussi bien des produits
destinés à l’exportation que des produits vivriers autres que le riz,
d’autant que la dynamique des plantations commande le rythme
d’évolution de la production vivrière.
L’offre des biens intermédiaires agricoles aux IAA africaines peut
donc à terme, être compromise par l’épuisement des terres disponibles.
Toutefois, cette difficulté peut trouver une solution dans l’adoption
d’une agriculture intensive à une plus grande échelle. Aussi, le rôle pré-
pondérant des IAA dans l’adéquation des produits agricoles à l’évolution
des besoins alimentaires d’une communauté a-t-il déjà été évoqué. La
noblesse de cette tâche réside dans la substitution à une production agri-
cole hétérogène, dispersée dans l’espace et dans le temps, altérable et
périssable, une production industrielle plus homogène et hygiénique,
disponible dans le temps et dans l’espace et relativement concentrée.
L’exécution d’une telle fonction confère à l’agro-industrie une dimension
incommensurable dans l’évolution et l’amélioration alimentaire d’une
société.
En Afrique, comme indiqué antérieurement, près de 90% des pro-
duits agricoles sont consommés sans transformation. Les tentatives de
transformation à grande échelle des denrées alimentaires de base sont
confrontées à un problème de débouchés. Les populations urbaines de-
meurent non seulement fidèles à la consommation des produits tradi-
tionnels, mais sont encore attachées aux pratiques anciennes de leur pré-
paration. D. Resquier-Desjardins (op.cit) montre que la ville, par certains
aspects, constitue plutôt un espace de valorisation de préparations ali-
mentaires d’origine locale, que celui d’un bouleversement des modes de
préparation. D’après J. Chataigner (op.cit), ‘‘la consommation de pain,
comme d’ailleurs celle de poisson, de produits laitiers, de sucre, de fruits
et légumes, de condiments et conserves, est venue s’ajouter au régime de
base en l’enrichissant et le diversifiant et non s’y substituer’’. Dans cette
optique, les importations céréalières en riz et en blé ne sont pas appré-
ciées comme le signe d’une pénurie alimentaire dans certains pays, mais
plutôt comme un signe d’aisance favorisant un enrichissement du régime
alimentaire. L’auteur se fonde donc sur la stabilité de la consommation
des féculents dans les villes pour conclure que l’importation céréalière,
particulièrement celle du riz, n’est pas corrélée avec l’accroissement de la
population urbaine.

75
La thèse des biens importés perçus comme facteurs d’enrichissement
du menu alimentaire semble être confortée par le comportement des
populations rurales qui, bien que disposant d’un surplus de féculents,
affectent de plus en plus une part de leur revenu monétaire à l’achat du
riz. Ceci corrobore l’assertion selon laquelle ‘‘l’accroissement de la de-
mande de riz résulterait moins d’une pénurie alimentaire que d’un besoin
de diversification et d’amélioration du régime alimentaire’’.
Les agro-industries alimentaires12, situées en aval de la production vi-
vrière locale, sont donc confrontées à un problème de débouché expli-
qué partiellement par une certaine fidélité au mode de consommation
traditionnel. Les ‘‘fast foods’’ agro-industriels sont vivement concurren-
cés, voire dominés par les ‘‘fast foods’’ traditionnels comme : l’alloco,
l’igname ou la banane grillée, les plats servis dans les restaurants tradi-
tionnels que l’on rencontre dans tous les coins des grands centres ur-
bains. Cette situation crée un certain ‘‘dualisme’’ dans le paysage des
agro-industries alimentaires en Afrique subsaharienne particulièrement.
L’évolution de ce dualisme ‘‘agro-industrie alimentaire’’, du point de
vue de la nationalité des biens intermédiaires, laisse apparaître un biais
favorable aux agro-industries utilisant des inputs d’origine étrangère. Si
cette tendance se consolide dans le temps, ce qui est fort probable à la
lumière de l’évolution structurelle du régime alimentaire des populations
urbaines, on assistera à terme à une disparition des industries transforma-
trices de la production vivrière.
L’inversion d’une telle tendance exige d’importants investissements en
Recherche et Développement en vue d’adapter les produits agro-
industriels à l’évolution de la demande alimentaire de la population ur-
baine. Ce genre d’opérations, quoiqu’indispensables à la promotion agro-
industrielle, portent en elles les germes d’un accroissement de prix des
produits transformés du fait de la nécessité d’amortir les investissements
engagés dans la Recherche et Développement. En conséquence,
l’amélioration du pouvoir d’achat des travailleurs, en raison de la baisse
tendancielle du prix des produits agro-industriels, risque de ne pas se
produire. Des réponses, que l’on proposera pour la résolution de ces
deux difficultés, à savoir : l’attachement de la population au régime ali-
mentaire traditionnel et l’adaptation des goûts des consommateurs aux
produits agro-industriels sans augmenter excessivement leur prix, dépen-
dra indéniablement l’avenir des IAA qui transforment les produits agri-
coles locaux. Il faut donc revisiter les politiques agricoles jusque-là expé-
rimentées en privilégiant la promotion des cultures vivrières. Ainsi, une

12 Exception faite des industries (corps gras alimentaires…) dont la production trouve

difficilement un substitut local.

76
agriculture développée et diversifiée, située en amont d’une industrie à
laquelle elle est intimement liée, apparaît comme un passage obligé pour
octroyer un pouvoir d’achat réel aux populations rurales qui demeurent
encore la fraction la plus importante de la démographie africaine. Aussi
une campagne, dotée d’un véritable pouvoir pour acquérir les biens finis
ou semi-finis, constitue-t-elle un atout majeur pour tout processus
d’industrialisation.
Somme toute, l’économie agro-alimentaire de l’Afrique doit opérer sa
mue. En d’autres termes, tous les maillons qui la composent, notamment
la production, la transformation, la commercialisation, voire la restaura-
tion, doivent sortir des structures socio-économiques de base pour, pro-
gressivement, s’industrialiser. Toutes choses étant égales par ailleurs, une
telle approche est de nature à positionner solidement l’Afrique sur le
sentier de sa véritable industrialisation. En effet, une économie agro-
alimentaire industrialisée, c’est-à-dire ayant atteint le stade de l’agro-
industrie, offre plus d’opportunités de croissance et de développement
aux pays africains. L’avènement de l’agro-industrie dans ces pays consti-
tue un atout majeur pour l’ensemble de leur économie du fait de l’effet
d’entraînement que les IAA exercent sur l’agriculture, et de facto, sur les
autres secteurs de l’économie. Aussi, en raison de la transformation et de
la valorisation des matières premières agricoles, les IAA tirent-elles des
avantages comparatifs relativement importants. Selon A. Hobkoo (1987),
‘‘les IAA régularisent les fluctuations des prix agricoles sur le marché
intérieur et consolident la position du secteur agricole sur le marché exté-
rieur… Ces industries qui produisent la majeure partie de leur produc-
tion pour la masse de la population, résistent mieux à l’incertitude et à la
complexité de l’industrialisation’’. L’agro-industrie donc, de par son im-
pact majeur sur le reste de l’économie, constitue une véritable source de
réduction de la pauvreté, voire de la misère, en Afrique.
Finalement, l’Afrique peut réussir son processus d’industrialisation. A
condition qu’elle y croie et qu’elle lui destine des moyens financiers et
humains adéquats. Pour ce faire, les agents économiques africains (l’Etat
et le privé africain) doivent accepter d’opérer de profondes mutations
dans leur comportement économique.
D’une part, l’Etat, en Afrique, tout en limitant ses interventions à ses
tâches régaliennes (santé, éducation, sécurité, etc.) doit créer un environ-
nement favorable à l’investissement. Pour y parvenir, les pouvoirs pu-
blics africains doivent ériger des garde-fous de nature diverse favorisant
l’émergence de marchés parfaitement concurrentiels ou de marchés con-
testables. Ceci permettrait aux agents économiques, quelle que soit leur
nationalité, d’exercer leurs activités dans une saine compétition.

77
D’autre part, le privé africain doit accepter de courir des risques in-
dustriels. Il doit chercher à être au centre des mutations industrielles du
continent. Pour ce faire, les opérateurs économiques privés africains doi-
vent pouvoir investir davantage dans des activités à grande valeur ajoutée
(principalement dans l’agro-industrie). La transformation des produits
agricoles en produits industriels doit être au centre de leurs préoccupa-
tions. Car ce ne sont pas les Occidentaux ou les Asiatiques qui pren-
draient des risques dans ce secteur d’activité. Pour les premiers surtout,
une agro-industrie africaine développée serait synonyme d’une impor-
tante réduction de l’exportation de leurs excédents agricoles. Le privé
africain peut résoudre l’éternel problème de manque de capitaux par le
développement des ‘‘joint-ventures’’. Ainsi, un véritable partenariat entre
Africains d’une part, et entre Africains et étrangers, d’autre part, consti-
tuerait un atout majeur pour l’industrialisation du continent. Si le premier
partenariat présente l’intérêt de permettre aux capitaux africains de
s’investir en Afrique (ou de se substituer aux désinvestissements étran-
gers) ; le second, quant à lui, offre l’opportunité aux opérateurs écono-
miques africains de bénéficier de l’expérience de leurs homologues occi-
dentaux ou asiatiques en matière de techniques de gestion, de technolo-
gie, de savoir-faire, etc. Ceci pourrait se traduire, par exemple, par la con-
clusion d’une nouvelle coopération incluant : la valorisation des produits
agricoles locaux ; la prise en compte de l’évolution sociologique de la
demande urbaine en denrées alimentaires ; le développement de la tech-
nologie locale de transformation des produits agricoles ; et l’instauration
de clauses exigeant le réinvestissement dans les pays africains de tout ou
partie des profits… Les opérations d’investissement dans ces pays cons-
titueraient alors moins des occasions d’accroissement de profits que des
opportunités pour les aider à promouvoir leurs activités industrielles.
Ceci représenterait la toile de fond d’une solidarité industrielle grâce à
laquelle toute opération d’investissement, quelle que soit sa nationalité,
provoquerait l’effet multiplicateur requis sur les économies des pays afri-
cains.
Ces deux approches (elles ne sont pas exhaustives), si elles sont mises
en exécution, contribueraient énormément à l’industrialisation du conti-
nent africain. Aussi, dans l’hypothèse où l’Etat et le privé joueraient cha-
cun sa partition, ces deux approches réduiraient la peur qui s’est emparée
des Africains consécutivement à l’avènement de la globalisation de
l’économie.
Au total, il est à retenir que l’Afrique, dans son processus
d’industrialisation, a visité plusieurs politiques industrielles, et suscité de
nombreuses initiatives. Cette panoplie de stratégies et d’initiatives con-
fère à la politique industrielle du continent un caractère instable. Une

78
telle instabilité est-elle ou non à l’origine de la sous-industrialisation de
l’Afrique ? Pour notre part, cette dernière explique moins la pauvreté
industrielle que la non-maîtrise, par l’Afrique, de l’environnement de son
industrialisation. Pour s’en convaincre, l’on peut arguer que dans d’autres
mondes en développement, particulièrement l’Asie et l’Amérique latine,
les politiques industrielles évoquées plus haut y ont produit des résultats
relativement appréciables. Sans avoir la prétention d’encourager les Afri-
cains à épouser intégralement le modèle asiatique, dans une moindre
mesure le modèle latino-américain, nous osons croire que l’Afrique doit
d’abord réunir les conditions préalables à une réussite industrielle. Celles-
ci sont inhérentes à la mobilisation des ressources locales, à la répartition
équitable des fruits de la croissance, à l’érection d’un environnement
propice à l’investissement privé, à l’adoption de politiques macro-
économiques saines, à l’élimination de l’insécurité économique, voire de
la corruption, et surtout, à la formation du capital humain et à
l’acharnement au travail.
En définitive, nous restons convaincus que l’exécution des politiques
susmentionnées dans le moule de l’Union africaine constitue une oppor-
tunité historique offerte aux pays africains pour promouvoir leurs activi-
tés industrielles. L’Acte constitutif de l’Union africaine est donc un nou-
veau pari que l’Afrique tout entière prend sur son avenir, et particulière-
ment sur son avenir industriel. Elle ne pourra y parvenir que lorsque ses
dirigeants croiront eux-mêmes aux politiques de développement liées à
l’Acte ; accepteront de pratiquer, au plan local, une politique économique
ou industrielle qui sorte du cadre des ‘‘micro-Etats’’ ; et traduiront, dans
les faits, les politiques de mobilisation des ressources internes (dans tous
les domaines) qui demeurent le socle d’un véritable développement en-
dogène.

79
CHAPITRE III

L’intégration africaine, tout le monde en parle


mais aucun pays n’en veut

L’Afrique tout entière est donc consciente de la nécessité et de


l’urgence de l’intégration régionale et continentale qu’elle considère
comme un passage obligé pour répondre aux aspirations de ses popula-
tions et aux exigences de l’évolution de l’économie mondiale. Ce qui
reste à faire, c’est de traduire dans les faits les engagements pris en ma-
tière d’intégration et d’exprimer la primauté des considérations commu-
nautaires sur les égoïsmes nationaux. Oui, tout le monde en parle comme
de la voie incontournable pour soustraire l’Afrique à la pauvreté et à la
misère. Car aucun pays africain, pris individuellement, ne peut relever les
défis de la mondialisation quelles que soient sa taille, et l’immensité de
ses potentialités économiques. Mais là où le bât blesse c’est que beau-
coup de pays africains s’accrochent encore jalousement à leur souverai-
neté. Ici encore après plus d’un demi-siècle d’expérimentation d’une foi-
son de modèles d’intégration, les pays africains restent encore conforta-
blement installés dans la coopération. Nombre d’entre eux s’obstinent
toujours à faire un moindre pas en avant dans la direction de
l’intégration. Même les pays dits développés avec les produits intérieurs
bruts(PIB) individuels plus de dix fois supérieurs à celui de l’Afrique tout
entière, renforcent leur intégration pour relever les défis des temps mo-
dernes. Pourquoi l’Afrique refuse-t-elle obstinément de s’y engager ? Une
telle posture l’emmène à la frilosité dans les choix de l’intégration. Elle
est encore hésitante dans sa marche vers l’intégration économique et
politique. Elle peine encore à passer de la coopération à l’intégration ; ce
qui fait que toutes les initiatives à caractère intégrateur sont systémati-
quement repoussées aux calendes grecques. Ces initiatives, même si elles
sont destinées à renforcer la souveraineté et l’indépendance des pays et
du continent à l’égard de l’extérieur, soit sont frappées de mesures dila-
toires, sont soit vidées de toute leur substance avant d’être adoptées. On
fait un pas en avant, deux pas en arrière ; on fait du sur place. Que faire
face à l’impasse apparente ? Faut-il continuer à s’embourber ? Ou bien
faut-il réorienter le processus d’intégration en lui insufflant une nouvelle
dynamique qui conduit l’Afrique à se départir des formules de la coopé-
ration pour s’engager résolument sur la véritable voie de l’intégration
économique et politique ?
Les pays africains ont-ils joué franchement le rôle qui est le leur dans le
processus d’intégration régionale et continentale ? En d’autres termes, ont-
ils privilégié les enjeux nationaux aux dépens des enjeux communautaires ?
Les pays du Nord ont-ils, à travers les affinités historiques et linguistiques,
encouragé une telle approche dans l’intérêt supérieur de leurs économies ?
Nous sommes donc face à diverses interrogations qui doivent interpeller
tous les acteurs du processus d’intégration de l’Afrique. L’intégration n’ayant
aucune autre alternative crédible pour l’Afrique, la remise à plat des straté-
gies d’intégration jusque-là expérimentées pour adopter une nouvelle trajec-
toire s’impose comme un passage obligé. Les avantages de l’intégration ré-
gionale sont connus. Les solutions pour arriver à une intégration rapide et
efficace sont également connues. Par ailleurs, le fait que l’intégration régio-
nale et continentale n’a pas d’alternative crédible pour les pays africains,
dans le contexte actuel de l’évolution du monde moderne, est aussi large-
ment partagé par l’opinion africaine et par les partenaires au développement
du continent. Pour les besoins de notre ouvrage, nous allons examiner le
processus d’intégration en Afrique ; ce qui nous conduit à passer en revue
l’essentiel des initiatives africaines développées à cette fin et ensuite, indiquer
les principales articulations d’une intégration réussie.

Une intégration au rythme d’un pas en avant, deux pas en


arrière
La problématique de l’intégration économique, en Afrique, ne date
pas d’hier. Elle s’est posée, dès l’aube des indépendances, comme
l’expression de la volonté des dirigeants africains de contenir les effets
pervers de la balkanisation de l’Afrique. Des raisons aussi bien politiques
qu’économiques ont donc été à l’origine de l’avènement d’un grand
nombre d’institutions intergouvernementales de coopération et
d’intégration pour permettre aux pays africains de parler d’une seule voix
et pour desserrer toutes les contraintes liées à l’exiguïté des marchés na-
tionaux. Cette floraison d’institutions à but intégrateur a atteint son point
culminant, d’abord dans les années 80, avec le Plan d’action et l’Acte
final de Lagos, puis dans les années 90 et dans les années 2000, avec
l’adoption du Traité d’Abuja instituant la Communauté économique afri-
caine et de l’Acte constitutif créant l’Union africaine, respectivement.

82
Depuis les années 60, les initiatives se sont donc succédé pour renfor-
cer et accélérer le processus d’intégration régionale et continentale. Mais,
aussi paradoxal que cela puisse paraître, les acquis sont restés en deçà des
espérances. Les groupements régionaux, voire les communautés écono-
miques régionales, ont du plomb dans l’aile ; les échanges entre pays afri-
cains sont encore faibles ; la libre circulation des personnes, des biens,
des services et des capitaux est encore loin d’être une réalité ; les droits
de résidence et d’établissement s’apparentent de plus en plus à une chi-
mère ; les unités de production dans une même région sont, à peine,
complémentaires et rares sont celles qui ont une taille régionale, précari-
sant davantage les opérateurs économiques africains qui éprouvent en-
core des difficultés à faire face à la concurrence extérieure ; les intermé-
diaires financiers, bancaires ou non bancaires, se heurtent, dans la plupart
des cas, à des écueils pour se soustraire au joug de la métropole, et de facto
jouer le rôle qui leur revient dans l’endogénéisation des mécanismes et
leviers du développement de notre continent.

Initiatives des années 70 et 80


Les résultats décevants des stratégies de développement des deux
premières décennies de l’indépendance ont été à l’origine de moult fo-
rums de réflexion consacrés aux voies et moyens de libérer le continent
des contraintes susceptibles d’entraîner un blocage et une paralysie. La
Conférence de Monrovia (1979) précédant l’adoption du Plan d’action et
de l’Acte final de Lagos (1980) en constitue un exemple assez édifiant.
Ensuite, il est à rappeler que le Plan d’action et l’Acte final de Lagos ont
généré à leur tour le Traité d’Abuja (1991) instituant la Communauté
économique africaine, qui est entré en vigueur en mai 1994.

Colloque de Monrovia : Réunions préparatoires et résultats ob-


tenus
La Conférence de Monrovia (Libéria) a été l’aboutissement de plu-
sieurs réunions tenues par les dirigeants africains sur l’indépendance éco-
nomique du continent. Ces rencontres ont fait l’amer constat que
l’Afrique, pour s’extraire définitivement de la pauvreté et de la misère, ne
doit compter que sur elle-même. Ainsi, il y a eu la Déclaration d’Addis
Abéba (1973), proclamée lors de la commémoration du 10ème Anniver-
saire de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA). Cette Déclaration
insiste, entre autres, sur « l’incapacité de la communauté internationale à
créer des conditions favorables au développement de l’Afrique »13. Elle

13 cf. Archives de l’OUA, années successives.

83
recommande surtout le développement introverti, endogène et auto-
entretenu du continent. Cette propension à l’autonomie et au renforce-
ment de la coopération économique et technique entre pays africains a
été profondément appuyée par la 3ème conférence des ministres africains
de la Commission Economique de Nations unies pour l’Afrique (CEA),
tenue à Nairobi (Kenya), en 1975.
Ensuite, il y a eu la 11ème session extraordinaire du Conseil des mi-
nistres de l’OUA, réunie à Kinshasa (RDC), en décembre 1976. Cette
11ème session a donné lieu à la Déclaration de Kinshasa qui, entre autres,
prône la libre disposition et le contrôle, par la souveraineté permanente
des États africains, des ressources naturelles, la création d’entreprises
multinationales, la création du Marché commun africain, de la Commis-
sion africaine de l’Energie, et de la « Communauté économique africaine,
dans un délai de 15 à 20 ans »14. Dans la même mouvance, la 4ème Confé-
rence des ministres de la CEA, tenue à Kinshasa en février-mars 1977,
adopte « Le Plan directeur révisé pour l’Instauration d’un Nouvel Ordre
économique international en Afrique ». Cette 4ème Conférence a appro-
fondi davantage le concept d’autonomie individuelle et d’autosuffisance
collective.
Somme toute, le Sommet de l’OUA, tenu à Libreville (Gabon), en
juillet 1977, adopte les recommandations contenues dans la « Déclaration
de Kinshasa » et dans le « Plan directeur révisé ».
Comme pour rompre avec l’ordre ancien15 et pour endogénéiser les
leviers de commande du développement économique de l’Afrique, des
experts de ce continent, à la requête du Secrétariat général de l’OUA, se
sont réunis à titre individuel et en colloque à Monrovia, en février 1979.
Ce colloque, dont le principal objectif était de redéfinir de véritables an-
crages pour la croissance et le développement de l’Afrique, a eu pour
thème général « les perspectives de développement et de croissance de
l’Afrique à l’horizon 2000 ».
Les conclusions de ce séminaire préconisaient, entre autres, un déve-
loppement autocentré, auto-entretenu et la démocratisation du dévelop-
pement. Elles furent ensuite examinées par la cinquième réunion de la
Conférence des ministres de la CEA, réunie à Rabat du 20 au 28 mars
1979. La Conférence adopta une décision significative : « La stratégie

14 cf. Archives de l’OUA, années successives.
15 La tendance à la rupture avec l’ordre ancien a connu son paroxysme avec le séminaire
international d’Addis Abéba, tenu en mars 1979, et dont le thème principal était « les
différents modes de développement et styles de vie dans la stratégie de la rupture avec
les scénarios antérieurs, la nécessité impérieuse d’instaurer le Nouvel Ordre écono-
mique international (NOEI) en Afrique et l’impératif d’une stratégie propre à
l’Afrique ».

84
africaine pour le développement dans le cadre de la troisième décennie
de l’ONU pour le développement ». La stratégie fut, à son tour, soumise
au Sommet de l’OUA tenu à Monrovia en juillet 1979. Ce Sommet adop-
ta enfin « la stratégie de Monrovia », qui se résume comme suit : « La
Déclaration de Monrovia d’engagement des Chefs d’État et de Gouver-
nement de l’OUA sur les principes directeurs à respecter et les mesures à
prendre en faveur de l’autosuffisance nationale et collective dans le déve-
loppement économique et social en vue de l’instauration d’un Nouvel
Ordre économique en Afrique »16. En outre, le Sommet décida de la te-
nue d’une réunion extraordinaire des Chefs d’État et de Gouvernement,
consacrée exclusivement aux problèmes économiques, en avril 1980, à
Lagos.
La session extraordinaire eut effectivement lieu à Lagos, les 28 et 29
avril 1980. Elle approuva le Plan d’action préalablement préparé par la
sixième réunion de la Conférence des ministres africains de la CEA, en
avril 1980. Elle adopta enfin dans sa déclaration finale le Plan d’action et
l’Acte final de Lagos (PAL et AFL) en vue de la mise en œuvre de la
Stratégie de Monrovia pour le développement économique de l’Afrique.
Ces deux textes précisent les principes, les objectifs, les étapes, les me-
sures et les priorités de la mise en œuvre de l’autonomie individuelle et
de l’autosuffisance, et le principe de la création de la Communauté éco-
nomique africaine, tout en donnant un mandat impératif à l’OUA de
préparer le projet de traité y relatif. Avec l’adoption du PAL et de l’AFL,
l’Afrique marque sa volonté de maîtriser son destin économique et poli-
tique en exerçant sa pleine autonomie sur le choix des politiques ou stra-
tégies de sa croissance et de son développement.

Plan d’action de Lagos et Acte final de Lagos


Le cadre de coopération envisagé par le Plan d’action de Lagos (en-
dogénéisation de la politique de développement) sera clairement défini
par les chefs d’État et de Gouvernement de l’OUA, lorsqu’ils réaffirme-
ront leur « engagement de créer d’ici à l’an 2000, sur la base d’un traité à
conclure, une communauté économique africaine afin d’assurer
l’intégration économique, culturelle et sociale de l’Afrique »17 . Avec le
PAL et l’AFL, l’Afrique adopte un modèle de développement fondé sur
le principe d’autonomie individuelle et d’autosuffisance collective. En
effet, l’autonomie collective qui caractérise le PAL met l’accent sur le
développement endogène, autocentré et auto-entretenu, sur le rejet des
styles de vie exogènes et de dépendance, sur la lutte résolue contre le

16 OUA, archives, ibid.
17 Le PAL, 1980.

85
néocolonialisme, en cultivant « la vertu de l’autosuffisance », en déclarant
la guerre économique aux intérêts du Nord, en réduisant « la dépen-
dance, actuellement extrême, de nos pays envers l’exportation de pro-
duits primaires… », et en internalisant les facteurs et les moyens de pro-
duction. En d’autres termes, fondamentalement, l’autonomie ou
l’autosuffisance collective 18signifie :
i. intensifier la coopération sous-régionale et régionale par des ac-
tions concrètes dans les domaines prioritaires et complémen-
taires, de manière à créer les biens d’équipement et de consom-
mation de masse à la satisfaction des besoins locaux ;
ii. internaliser (rendre endogènes) les biens, les facteurs et les
moyens de production en comptant sur les forces continentales,
régionales et sous-régionales ;
iii. promouvoir la coopération économique et technique avec les
pays en développement d’abord, avant de promouvoir ensuite la
coopération internationale ;
iv. supprimer, sinon restructurer la division internationale du travail
en vue de réduire les effets de l’échange inégal et les disparités in-
tolérables ; instaurer une nouvelle division internationale du tra-
vail avec les pays industrialisés et adopter une division régionale
et inter-régionale du travail, conforme aux avantages comparatifs
en termes de coûts et de dotation réelle en ressources naturelles,
humaines et énergétiques des entités de la région ;
v. concevoir de nouveaux modes d’échange, y compris le troc, entre
les États de la région, susceptibles de renforcer la coopération in-
tra-régionale, spécialement le commerce intra-régional ;
vi. renforcer les institutions de solidarité et de coopération existantes
et créer les autres institutions régionales ou sous-régionales né-
cessaires, en vue de la mise en œuvre de la stratégie régionale ;
vii. créer et renforcer les organisations régionales des pays en déve-
loppement, producteurs et exportateurs de matières premières en
vue de constituer des syndicats de producteurs face aux pays in-
dustrialisés consommateurs des produits de base ; en d’autres
termes, promouvoir une forte syndicalisation des États en déve-
loppement face aux pays industriels qui fixent les prix des ma-
tières premières ;
viii. éventuellement, créer un comité de libération économique, en cas
de besoin, pour défendre la stratégie d’autosuffisance collective et
d’autonomie nationale.


18 PAL, ibid.

86
En adoptant l’Acte final, les Chefs d’État et de Gouvernement pré-
sents à Lagos clarifient tout d’abord les objectifs19 qui se résument
comme suit :
i. promouvoir le développement collectif, accéléré, endogène et
auto-entretenu des États membres ;
ii. promouvoir la coopération entre pays africains et l’intégration dans
les domaines économique, social et culturel. Et dans le cadre de la
mise en œuvre du Programme, les étapes et les modalités de son
application, à court, moyen et long termes, à la lumière des priori-
tés dégagées, sont tracées comme suit :
x le court terme (1980 – 1985) prévoit la réalisation des actions
immédiates, notamment l’élaboration et la mise au point du
Projet de Traité portant création de la Communauté écono-
mique africaine ; la création d’institutions nationales et sous-
régionales ; le renforcement des institutions existantes, confor-
mément à l’esprit du Plan d’action de Lagos ; la création de
cadres institutionnels de coordination verticale et horizontale ;
l’élaboration d’un programme opérationnel de travail et la mo-
bilisation des ressources financières et humaines nécessaires ; la
campagne de sensibilisation des populations africaines au
moyen de séminaires et colloques ; et la diffusion du PAL.
x le moyen terme (1980-1990) prévoit le renforcement des Com-
munautés économiques existantes et la création d’autres là où
elles n’existent pas, de manière à couvrir les cinq régions de
l’OUA ; le renforcement effectif de l’intégration sectorielle dans
les domaines prioritaires tels que l’agriculture et l’alimentation,
les transports et les communications, l’industrie, l’énergie etc. ;
la promotion de la coordination et de l’harmonisation des acti-
vités et programmes des Communautés économiques existantes
et futures en vue de la création progressive d’un Marché com-
mun africain, prélude à l’établissement d’une Communauté
économique africaine.
x Quant au long terme, correspondant à la période 1980-2000, il
est prévu la mise en place de la Communauté économique afri-
caine, par le biais d’une plus grande intégration sectorielle et
l’harmonisation des stratégies, politiques et plans de dévelop-
pement des États membres.


19 cf. Archives de l’OUA, années successives.

87
C’est donc dans cette perspective qu’il faut placer la Communauté
économique africaine dont la création est prévue dans le projet de Traité
soumis à la signature des Chefs d’État et de Gouvernement.

Traité d’Abuja instituant la Communauté économique afri-


caine (AEC) des années 90
À Abuja (Nigeria), le 3 juin 1991, une nouvelle page a été tournée
dans l’histoire de l’intégration africaine. En effet, 49 États sur 51 ont
signé le Traité instituant la Communauté économique africaine (AEC),
engageant résolument le continent sur la voie de l’intégration écono-
mique et du développement collectif. Ce traité est entré en vigueur le 12
mai 1994. La mise en place de la communauté reposera sur un certain
nombre de secteurs-clés intégrateurs tels que les transports et communi-
cations, l’industrie, l’agriculture, l’énergie, l’éducation, la science et la
technologie, le commerce, la monnaie et les finances. Une période de 30
à 39 ans, divisée en six étapes, est arrêtée pour la réalisation de
l’intégration économique du continent. Dans les textes officiels, si cette
période devait être prorogée, elle ne dépasserait pas 40 années. Au cours
de cette période, cinq ans seront dévolus aux communautés écono-
miques régionales, pierres angulaires de la grande pyramide communau-
taire. Le Traité d’Abuja, à travers ses objectifs, ses structures et son con-
tenu, constitue une opportunité historique offerte aux pays africains pour
promouvoir leurs activités économiques. Le Traité constitue donc un
nouveau pari que l’Afrique tout entière prend pour son avenir, et particu-
lièrement pour son avenir économique et politique.
L’AEC constitue, aujourd'hui, l'aile économique de l'Union africaine
et repose sur des piliers que symbolisent les Communautés économiques
régionales.
Le Traité vise essentiellement les objectifs20 suivants :
i. promouvoir le développement économique, social et culturel ainsi
que l'intégration des économies africaines en vue d'accroître l'auto-
suffisance économique et de favoriser un développement endo-
gène et auto-entretenu ;
ii. créer, à l'échelle continentale, un cadre pour le développement, la
mobilisation et l'utilisation des ressources humaines et matérielles
de l'Afrique en vue d'un développement autosuffisant ;
iii. promouvoir la coopération et le développement dans tous les do-
maines de l'activité humaine en vue d'élever le niveau de vie des
peuples africains, de maintenir et de promouvoir la stabilité éco-

20 Cf. Le Traité d’Abuja, 1991.

88
nomique, d'instaurer des relations étroites et pacifiques entre les
États membres, et de contribuer au progrès, au développement et à
l'intégration économique du continent ;
iv. coordonner et harmoniser les politiques entre les communautés
économiques existantes et futures en vue de la mise en place pro-
gressive de la Communauté.

La mise en place de la Communauté (donc ses modalités) se fera,


principalement, par la coordination, l'harmonisation et l'intégration pro-
gressive des activités des Communautés économiques régionales. Elle se
déroulera sur une période de trente-quatre années, subdivisée en six (6)
étapes de durée variable21. Notons, cependant, que ces étapes ne sont pas
linéaires. La réalisation des programmes qu'elles comportent se fera
d'une manière plutôt parallèle :
x 1ère étape (5 ans) : Renforcement des Communautés économiques
régionales existantes et création de nouvelles communautés là où
cela est nécessaire ;
x 2ème étape (8 ans) : Stabilisation des tarifs, des droits de douane et
des autres barrières aux échanges intra-communautaires ; renfor-
cement de l'intégration sectorielle ; coordination et harmonisation
des activités des Communautés économiques régionales, harmoni-
sation graduelle des droits de douane vis-à-vis des États tiers ;
x 3ème étape (10 ans) : Création d'une zone de libre-échange au sein
de chaque Communauté économique régionale, grâce à l'élimina-
tion des barrières commerciales et à la création d'une union doua-
nière, à l’adoption d'un tarif extérieur commun ;
x 4ème étape (2 ans) : Création d'une Union douanière africaine,
avec un tarif extérieur unique, grâce à l'harmonisation des systèmes
tarifaires et non tarifaires régionaux ;
x 5ème étape (4 ans) : Création d'un Marché commun africain, grâce
à la consolidation de la structure du marché commun ; à la création
d'une Union monétaire africaine, d'une Banque centrale africaine et
d'une monnaie africaine unique, ainsi que d'un Parlement panafri-
cain, élu au suffrage universel ;
x 6ème étape (5 ans) : Consolidation du Marché commun africain
par la libre circulation des personnes, des biens, des capitaux et des
services ; intégration des secteurs économique, politique, social et
culturel ; création d'un marché intérieur unique, ainsi que d’une
union économique et monétaire panafricaine ; parachèvement d'un

21 Cf. Le Traité d’Abuja, ibid.

89
Fonds monétaire africain et création d'une Banque centrale afri-
caine, ainsi que d'une monnaie africaine ; parachèvement du Par-
lement panafricain avec l'élection de ses membres au suffrage uni-
versel au niveau du continent.

Les choix de l'OUA pour l'intégration des économies africaines con-


firme l'idée évoquée ci-dessus, et selon laquelle l'intégration peut être
conduite par l’entremise de plusieurs modalités. La lecture des objectifs
et des modalités de mise en œuvre de l'intégration des économies de
l'Afrique, laisse entrevoir, qu'à terme, l'OUA entend bâtir une Union
économique et monétaire. Cette noble finalité peut-elle être atteinte au
regard de la précarité qui caractérise les structures économiques du con-
tinent africain ? Entre-temps, les relations économiques internationales
ont connu de profondes mutations. Les défis économiques auxquels est
confrontée l’Afrique se sont multipliés et se structurent aujourd’hui es-
sentiellement autour des problématiques suivantes : le financement du
développement, le remboursement de la dette extérieure, l’intégration
régionale et continentale, l’industrialisation, et la gouvernance écono-
mique et politique. La résolution de ces problématiques exigeait des voies
et moyens qui se situaient hors de portée de l’Organisation de l’Unité
africaine créée en 1963. Des ajustements profonds s’imposaient donc à
l’Organisation continentale pour permettre à l’Afrique d’apporter des
solutions efficaces et durables à ces défis. De ce souci, partagé de façon
consensuelle par la quasi-totalité des dirigeants africains, est née l’Union
africaine (UA) précédée par deux textes pionniers majeurs : La Déclara-
tion de Syrte et l’Acte constitutif de l’UA. Mais pour permettre à la nou-
velle Organisation continentale d’atteindre les objectifs majeurs qui lui
ont été assignés, les Chefs d’État et de Gouvernement africains ont
adopté le Programme du NEPAD. Ce programme de l’Union africaine
conçu par les Africains et pour les Africains, devrait conférer à l’Afrique
toute sa chance de s’extraire, définitivement, de l’ornière du sous-
développement.

Initiatives de la fin des années 90 et des années 2000 : Décla-


ration de Syrte, Acte constitutif de l’Union africaine, et le
Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique
(NEPAD)
À la fin des années 90, l’Afrique est toujours confrontée à plusieurs
défis. Elle avait adopté dans les années 80, à son corps défendant, les
programmes d’ajustement structurel des institutions de Bretton Woods

90
pour réformer en profondeur ses économies afin, entre autres, de les
arrimer à l’économie mondialisée. Elle ploie sous le poids d’un endette-
ment extérieur bloquant et paralysant. Les nombreuses initiatives entre-
prises jusque-là pour promouvoir son intégration économique et poli-
tique, n’ont produit que des impacts limités. L’Afrique se trouve donc
fragilisée dans un monde dominé par la constitution de grands en-
sembles. La volonté d’apporter une solution efficace et durable à ces
grands défis, a donné naissance à la Déclaration de Syrte qui, à son tour,
a été à l’origine de la naissance de l’UA en juillet 2001, au sommet de
Lusaka, par l’entremise de son texte fondateur qu’est l’Acte constitutif.
Mais le fait novateur à souligner ici, réside dans le fait qu’en créant
l’Union africaine, les Chefs d’État et de Gouvernement ont unanime-
ment accepté de doter la nouvelle structure d’un programme historique
de développement appelé le NEPAD (Nouveau Partenariat pour le déve-
loppement économique de l’Afrique).

La Déclaration de Syrte22
Conformément à la décision de la trente-cinquième session ordinaire
du Sommet d’Alger (Algérie), tenue les 12 et 14 juillet 1999, les chefs
d’État et de Gouvernement, à l’invitation du Guide de la Révolution
d’EL Fatah, le colonel Mouammar Kadhafi, ont tenu la quatrième ses-
sion extraordinaire de leur Conférence à Syrte, en Grande Jamahiriya
arabe libyenne populaire et socialiste, les 8 et 9 septembre 1999. Ainsi,
s’inspirant profondément des organisations et des idéaux des Pères-
fondateurs de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA), ils ont adopté,
le 9 septembre 1999, la Déclaration de Syrte qui comporte, entre autres,
les décisions suivantes :
i. créer une Union africaine, conformément aux objectifs fondamen-
taux de la Charte de notre Organisation continentale et aux dispo-
sitions du Traité instituant la Communauté économique africaine ;
ii. accélérer le processus de mise en œuvre du Traité instituant la
Communauté économique africaine, en particulier :
x abréger le calendrier d’exécution du Traité d’Abuja ;
x assurer la création rapide de toutes les institutions prévues dans
le Traité d’Abuja, telles que la Banque centrale africaine, le
Fonds monétaire africain l’Union monétaire africaine et la Cour
de justice et, en particulier le Parlement panafricain. Nous envi-
sageons de mettre en place le parlement d’ici l’an 2000, afin
d’offrir une plate-forme commune à nos peuples et à leurs or-

22 Déclaration de Syrte, 1999.

91
ganisations communautaires en vue d’assurer leur plus grande
participation aux discussions et à la prise des décisions concer-
nant les problèmes et les défis qui se posent à notre continent ;
x renforcer et consolider les Communautés économiques régio-
nales qui constituent les piliers de la réalisation des objectifs de
la Communauté économique africaine, et de l’Union envisagée.
iii. mandater le Conseil des ministres de prendre les mesures néces-
saires pour assurer la mise en œuvre des décisions susmentionnées
et, en particulier, d’élaborer l’Acte constitutif de l’Union, en tenant
compte de la Charte de l’OUA et du Traité instituant la Commu-
nauté économique africaine. Les États membres doivent encoura-
ger la participation des parlementaires à ce processus. Le Conseil
doit présenter son rapport à la trente-sixième session ordinaire de
notre Conférence pour lui permettre de prendre les décisions ap-
propriées. Les États membres doivent tout mettre en œuvre pour
faire aboutir le processus de ratification avant décembre 2000, afin
que l’Acte constitutif puisse être solennellement adopté en l’an
2001 lors d’un Sommet extraordinaire qui sera convoqué à Syrte ;
iv. mandater notre Président en exercice, le Président Abdelaziz Bou-
teflika d’Algérie, et le Président Thabo Mbeki d’Afrique du Sud, de
prendre d’urgence contact, en notre nom, avec les créanciers de
l’Afrique en vue d’obtenir l’annulation totale de la dette de
l’Afrique. Ils coordonneront leurs efforts avec ceux du Groupe de
contact de l’OUA23 sur la dette extérieure de l’Afrique ;
v. convoquer une conférence ministérielle africaine sur la sécurité, la
stabilité, le développement et la coopération sur le continent, le
plus tôt possible.

Ainsi, une des manifestations concrètes de la mise en œuvre de la Dé-


claration de Syrte a été l’élaboration et l’adoption des textes fondateurs
de l’Union africaine connus sous le nom d’Acte constitutif de l’Union
africaine.

L’Acte constitutif de l’Union africaine


Il est entré en vigueur le 26 mai 2001 après sa ratification par plus de
2/3 des États membres de l’organisation de l’Unité africaine (OUA).


23 C’est un groupe de pays constitué par l’OUA, pour assister, entre autres, les pays

africains, dans les négociations avec les créanciers.

92
Ses objectifs24 consistent à :
i. réaliser une plus grande unité et solidarité entre les pays africains
et entre les peuples d’Afrique ;
ii. défendre la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance
de ses États membres ;
iii. accélérer l’intégration politique et socioéconomique du conti-
nent ;
iv. promouvoir et défendre les positions africaines communes sur
les questions d’intérêt pour le continent et ses peuples ;
v. favoriser la coopération internationale, en tenant dûment compte
de la Charte des Nations unies et de la Déclaration universelle
des droits de l’homme ;
vi. promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur le continent, ainsi
que les principes et les institutions démocratiques, la participation
populaire et la bonne gouvernance ;
vii. promouvoir et protéger les droits de l’homme et des peuples,
conformément à la Charte africaine des droits de l’homme et des
peuples et aux autres instruments pertinents relatifs aux droits de
l’homme ;
viii. créer des conditions appropriées permettant au continent de
jouer le rôle qui est le sien dans l’économie mondiale et dans les
négociations internationales ;
ix. promouvoir le développement durable aux plans économique,
social et culturel, ainsi que l’intégration des économies africaines ;
x. promouvoir la coopération et le développement dans tous les
domaines de l’activité humaine en vue de relever le niveau de vie
des peuples africains ;
xi. coordonner et harmoniser les politiques entre les Communautés
économiques régionales existantes et futures en vue de la réalisa-
tion graduelle des objectifs de l’Union ;
xii. accélérer le développement du continent par la promotion de la
recherche dans tous les domaines, en particulier en science et en
technologie ;
xiii. œuvrer de concert avec les partenaires internationaux pertinents
en vue de l’éradication des maladies évitables et de la promotion
de la santé sur le continent.


24 Acte constitutif de l’UA, 2001.

93
Aussi les principes de l’Union se structurent-ils autour des éléments
suivants :
i. Égalité souveraine et interdépendance de tous les États membres
de l’Union ;
ii. Respect des frontières existant au moment de l’accession à
l’indépendance ;
iii. Participation des peuples africains aux activités de l’Union ;
iv. Mise en place d’une politique de défense commune pour le con-
tinent africain ;
v. Règlement pacifique des conflits entre les États membres de
l’Union par les moyens appropriés qui peuvent être décidés par la
Conférence de l’Union ;
vi. Interdiction de recourir ou de menacer de recourir à l’usage de la
force entre les États membres de l’Union ;
vii. Non-ingérence d’un État membre dans les affaires intérieures
d’un autre État membre ;
viii. Droit de l’Union d’intervenir dans un État membre sur décision
de la Conférence, dans certaines circonstances graves, à savoir :
les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l’humanité ;
ix. Coexistence pacifique entre les États membres de l’Union et leur
droit de vivre dans la paix et la sécurité ;
x. Droit des États membres de solliciter l’intervention de l’Union
pour restaurer la paix et la sécurité ;
xi. Promotion de l’auto-dépendance collective, dans le cadre de
l’Union ;
xii. Promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes ;
xiii. Respect des principes démocratiques, des droits de l’homme, de
l’état de droit et de la bonne gouvernance ;
xiv. Promotion de la justice sociale pour assurer le développement
économique équilibré ;
xv. Respect du caractère sacro-saint de la vie humaine et condamna-
tion et rejet de l’impunité, des assassinats politiques, des actes de
terrorisme et des activités subversives ;
xvi. Condamnation et rejet des changements anticonstitutionnels de
gouvernement.

Enfin, l’Union exécute ses projets et programmes en s’appuyant sur


les organes suivants :
i. la Conférence de l’Union ;
ii. le Conseil exécutif ;
iii. le Parlement panafricain ;
iv. la Cour de justice ;

94
v. la Commission ;
vi. le Comité des représentants permanents ;
vii. les comités techniques spécialisés ;
viii. le Conseil économique, social et culturel ;
ix. les institutions financières ;
x. le Conseil de paix et de sécurité.

Le NEPAD25 : un programme de rêve pour accélérer le proces-


sus d’intégration régionale et continentale
Le NEPAD, en tant que programme de l’Union africaine, est le fruit
de la fusion entre le plan OMEGA (initié par le Sénégal) et le Pro-
gramme du Millénaire (MAP) (initié par l’Afrique du Sud). Il repose sur
trois piliers fondamentaux :
x la région comme espace d’application ou de mise en œuvre ;
x le secteur privé (africain et international) ; et
x la bonne gouvernance privée et publique.

Le Nouveau Partenariat pour le Développement économique de


l’Afrique (NEPAD) a été lancé, à l’époque, par le Sommet de l’OUA,
tenu en juillet 2001, à Lusaka (Zambie), sous l’appellation et la forme de
Nouvelle Initiative africaine. En tant que programme socioéconomique
de l’Union africaine, le NEPAD a pour principal objectif de relever le
défi de l’éradication de la pauvreté en Afrique, par la création d’un envi-
ronnement stable, propice à la paix et à la sécurité, et par la promotion
d’une croissance et d’un développement économique durable, afin de
renforcer la participation effective du continent à la gestion des affaires
politiques et économiques au niveau mondial. Lors de sa session inaugu-
rale tenue en juillet 2002 à Durban (Afrique du Sud), le Sommet de l’UA
a approuvé le Plan d’action initial du NEPAD qui couvre les domaines
prioritaires pour le continent.
A l’occasion de sa deuxième session ordinaire tenue en juillet 2003 à
Maputo (Mozambique), le Sommet de l’UA a adopté une déclaration aux
termes de laquelle le NEPAD doit être pleinement intégré dans les struc-
tures et processus de l’UA dans un délai de trois ans, plus précisément en
juillet 2006. Même si ce délai n’a pas été respecté, en son temps,
l’intégration du NEPAD dans les structures et procédures de l’UA est
aujourd’hui devenue une réalité.
Le Secrétariat du NEPAD n’intervient pas directement dans la mise
en œuvre des programmes. Son rôle est d’élaborer des programmes, la

25 Rapport, Secrétariat du NEPAD, années successives.

95
responsabilité de leur mise en œuvre incombant aux CER, aux pays pris
individuellement, au secteur privé et à la société civile, en collaboration
avec les partenaires et dans le strict respect du principe de subsidiarité.
Son rôle consiste aussi à faciliter la mise en œuvre des programmes à
tous les niveaux, de mobiliser l’appui politique et d’autres formes
d’appui, d’entreprendre des campagnes de plaidoyer et de promotion, de
mobiliser les ressources et de promouvoir la coordination institutionnelle
dans la mise en œuvre des programmes à tous les niveaux.
En somme, la philosophie qui fonde ce projet et la nature de ses pro-
grammes prioritaires autorisent à reconnaître que le NEPAD constitue
une lueur d’espoir pour les populations africaines. Mais le hic réside dans
cette autre interrogation : le NEPAD pourra-t-il passer de la table à des-
sin au domaine de la réalité ? Une telle préoccupation revêt tout son inté-
rêt d’autant plus que depuis son adoption à Lusaka en 2001, les respon-
sables de ce programme sont toujours au stade des réunions et sémi-
naires. Les moyens financiers requis pour la mise en œuvre des nom-
breux projets envisagés ne sont pas encore réunis. Les populations afri-
caines, qui ont vu en ce programme une renaissance de l’Afrique, com-
mencent à perdre espoir. Pour éviter cet autre désespoir, il est extrême-
ment urgent que les dirigeants africains associent à la volonté politique
qui les a amenés à créer le NEPAD une autre volonté politique qui doit
les conduire à trouver, au niveau de l’Afrique, les ressources financières
requises pour la mise en œuvre de cet important programme. Un com-
portement contraire conduira le NEPAD à subir le même sort que celui
qui a été réservé aux nombreux programmes qui l’ont précédé.

L’Agenda 2063 pour le développement de l’Afrique


Dans la dynamique de la célébration du cinquantième anniversaire de
l’OUA/UA, les dirigeants africains ont adopté, à l’occasion de leur
XXIVème Sommet ordinaire, en janvier 2015, l’Agenda 2063 qui va gui-
der désormais le développement économique et social de l’Afrique dans
les 50 prochaines années. Une grosse curiosité pour de nombreux Afri-
cains qui s’interrogent sur le rôle et la pertinence de cette nouvelle initia-
tive qui apparaît dans un univers où tant d’autres existent déjà. En
d’autres termes, pourquoi un nouvel agenda alors que l’Afrique peine à
traduire dans les faits les programmes majeurs déjà existants comme : le
Plan d’Action de Lagos (1980), le Traité d’Abuja (1991), la Déclaration
de Syrte (1999), le NEPAD (2001), etc. ? Ici, il convient de rappeler que
tous ces grands projets intégrateurs ont été, en leur temps, adoptés dans
une euphorie disproportionnée, suscitant à chaque fois de l’espoir au sein
des populations africaines. Mais le dénominateur commun à tous ces

96
projets, voire leur caractéristique commune, est que leur mise en œuvre a
généralement achoppé sur une série d’obstacles dont le principal est le
déficit en ressources financières. Une situation que connaissent les pays,
les CER et les principaux organes de l’UA. Les questions persistantes qui
obnubilent alors l’esprit de tout Africain sont les suivantes : l’Agenda
2063 ne sera-t-il pas un mort-né quand on sait qu’il connaîtra, à son tour,
des difficultés de mise en œuvre pour les raisons déjà évoquées ? En quoi
sera-t-il différent des initiatives antérieures ? Le déficit en ressources
financières sera-t-il résolu avant même son lancement ? Sera-t-il doté
d’une valeur ajoutée qui marquera ses différences, et qui rassurera les
populations africaines de sa probable mise en œuvre ? En tout cas, les
Africains sont nombreux à se poser ces questions et à avoir le sentiment
qu’après près de 60 ans d’autonomie de gestion économique et politique,
l’Afrique est toujours à la recherche du chemin qui la conduira au déve-
loppement.
Pour notre part, nous sommes enclin à reconnaître que l’Afrique a dé-
jà fait le plein des initiatives devant lui permettre de se développer et
procurer bonheur et bien-être à ses populations. Mais là où le bât blesse,
c’est qu’elle connaît un déficit, voire un gap énorme, de mise en œuvre
de ses programmes de développement. Ceci fait dire dans certains mi-
lieux que l’Afrique est championne dans l’élaboration et l’adoption
d’agendas de développement, mais qu’elle demeure en queue de peloton
lorsqu’il s’agit de la mise en œuvre. Depuis la création de l’OUA, jusqu’à
l’avènement de l’UA, en passant par le Traité d’Abuja, que de projets
adoptés ! Que de chartes ratifiées dans des domaines variés ! Que de
décisions adoptées à l’échelle régionale et continentale !
Mais lorsque nous tentons d’établir un bilan de mise en œuvre, on fait
l’amer constat que l’Afrique est loin du compte. Cela nous amène donc à
esquisser quelques éléments, en termes de valeur ajoutée, dont l’agenda
2063 doit s’enrichir ou contre lesquels il doit se prémunir pour ne pas
subir le même sort que les initiatives précédentes.
Nous louons et saluons cette initiative. Elle a le mérite de reposition-
ner l’Afrique pour un nouveau départ(en remettant le compteur à zéro
comme l’indique le titre du présent ouvrage) dans la conquête de son
émancipation économique et politique et dans la conquête de sa vraie
place dans la gouvernance des affaires planétaires. De même, notre admi-
ration pour ce nouveau projet tient à ce que son élaboration, sous la
conduite bienveillante de la Présidente de la Commission de l’UA, qui y a
veillé comme à la prunelle de ses yeux, s’est fondée sur un examen cri-
tique et exhaustif des initiatives antérieures. Elle s’est basée aussi sur une
analyse prospective ambitieuse et pragmatique qui projette l’Afrique dans
les 5 prochaines décennies, et fait ressortir tous les écueils possibles sus-

97
ceptibles d’entraver son exécution ainsi que tous les atouts nécessaires à
son succès. Il est à rappeler que l’objectif majeur de cet Agenda est de
traduire dans la réalité la vision dont s’est dotée l’Union africaine à sa-
voir : « une Afrique intégrée, prospère et pacifique, gérée par ses citoyens et représen-
tant une dynamique sur la scène mondiale ».
Finalement, il est à rappeler que la construction de l’intégration éco-
nomique et politique de l’Afrique n’a pas connu une évolution linéaire.
Loin s’en faut, elle a été marquée par l’avènement de plusieurs initiatives ;
chacune d’elles répondant aux exigences de son époque. Elles peuvent
être résumées comme suit :
i) 25 mai 1963, les Pères fondateurs de l’Afrique moderne créent
l’organisation de l’Unité africaine (OUA) visant deux objectifs ma-
jeurs : la lutte contre le régime ségrégationniste de l’apartheid en
Afrique du Sud et la décolonisation totale de l’Afrique.
ii) 28-29 avril 1980, les autorités africaines, conscientes de la nécessité
de promouvoir le développement économique et social des pays,
dotent l’OUA d’un véritable projet de développement mis en relief
par le Plan d’action de Lagos (PAL) et l’Acte final de Lagos. Ce
projet a vu le jour en réponse à l’application de deux décennies de
politiques et stratégies relativement infructueuses, donc incapables
de conférer prospérité et bien-être aux nombreuses populations
africaines. Initialement, le Plan d’action de Lagos visait à introver-
tir, voire à endogénéiser, les processus de croissance et de déve-
loppement, jusque-là restés extravertis.
iii) 3 juin 1991, les leaders africains constatent la relative improductivi-
té de la mise en œuvre du Plan d’action de Lagos du fait, en partie,
de la contrainte exogène imposée par les Institutions de Bretton-
Woods quant à l’obligation d’adopter et de mettre en œuvre les
programmes d’ajustement structurel dans les années 80 pour stabi-
liser et relancer leurs économies. Par conséquent, ils innovent en
adoptant le Traité d’Abuja instituant la Communauté économique
africaine (CEA) qui entre en vigueur en 1994. Le Traité d’Abuja,
véritable feuille de route du processus d’intégration régionale et
continentale, comporte six étapes devant conduire à la création, au
cours de la dernière étape, de la Communauté économique afri-
caine avec, entre autres, la consolidation du Marché commun afri-
cain par la libre circulation des personnes, des biens, des capitaux
et des services ; l’intégration des secteurs économique, politique,
social et culturel ; la création d’un Marché intérieur unique, ainsi
que d’une Union économique et monétaire panafricaine ; le para-
chèvement d’un Fonds monétaire africain et la création d’une
Banque centrale africaine ; le parachèvement du Parlement pana-

98
fricain avec élection de ses membres au suffrage universel au ni-
veau du continent.
iv) 9septembre 1999, consécutivement à l’avènement de la mondiali-
sation symbolisée pour la chute du mur de Berlin et la dérèglemen-
tation généralisée de l’économie consacrant le triomphe, sans par-
tage, de l’économie de marché, il apparaît urgent aux leaders afri-
cains d’opérer des ajustements par rapport au Traité d’Abuja en
l’adaptant mieux à cette nouvelle donne des relations économiques
internationales. Les pays africains sont invités, à leur corps défen-
dant, à réformer leurs économies en les assujettissant aux variables
du consensus de Washington. Pour relever cet autre défi plané-
taire, les leaders africains adoptent, en septembre 1999, la Déclara-
tion de Syrte dont l’objectif principal est de raccourcir les étapes du
Traité d’Abuja afin d’accélérer le processus d’intégration régionale
et continentale, regardée comme le gage le plus sûr permettant à
l’Afrique de relever les défis majeurs du 21ème siècle.
v) Juillet 2001 : les Chefs d’État et de Gouvernement adoptent
l’Union africaine après avoir adopté son Acte Constitutif à Lomé
(Togo) en juillet 2000. L’UA, lancée en juillet 2002 à Durban, est
née dans la logique de la Déclaration de Syrte. Elle symbolise la vo-
lonté politique des Chefs d’État et de Gouvernement à accélérer le
calendrier de l’avènement de la Communauté économique afri-
caine, et à doter le continent d’institutions politiques fortes lui
permettant de parler d’une seule voix dans la co-gestion des af-
faires planétaires. Ici, un autre fait important à souligner est, qu’à
Lusaka, en adoptant la nouvelle Union africaine, les Leaders afri-
cains ont muni celle-ci d’un programme connu sous le nom du
NEPAD dont la mise en œuvre devrait favoriser le développement
des projets intégrateurs régionaux et continentaux, situés hors de
portée des pays pris individuellement.
vi) Janvier 2015, l’UA se dote de l’Agenda 2063 dont l’objectif fon-
damental est de projeter le continent africain dans les cinquante
prochaines années, en assurant sa transformation structurelle et en
le dotant de tous les moyens lui permettant d’avoir une voix au-
dible et respectée dans le concert des Nations.

Les initiatives ci-dessus présentées ont-elles atteint les objectifs pour


lesquels elles ont vu le jour ? Autrement dit, les fruits ont-ils répondu
massivement au rendez-vous des fleurs quant au succès de l’intégration
régionale et continentale ? Les résultats obtenus sont-ils à la mesure des
espérances placées en elles ?

99
Efforts d’intégration en Afrique : des résultats mitigés
La réponse à ces différentes problématiques conduit à apprécier le ni-
veau d’intégration atteint par les différentes Communautés économiques
régionales (CER) au regard des étapes prévues par le Traité d’Abuja. Un
examen de proximité de la mise en œuvre de ce Traité laisse entrevoir
des progrès réels. Mais ceux-ci restent mitigés et hétérogènes d’une CER
à une autre. Toutefois, aujourd’hui, force est de constater que, sur les
huit Communautés économiques régionales reconnues par l’UA à Banjul
(Gambie) dans le cadre de la rationalisation de celles-ci, des progrès vi-
sibles et tangibles sont accomplis par la Communauté économique des
États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté économique
des États de l’Afrique Centrale (CEEAC), la Communauté de dévelop-
pement de l’Afrique Australe (SADC), le Marché commun de l’Afrique
de l’Est et de l’Afrique Australe (COMESA) et la Communauté de
l’Afrique de l’Est (CAE). Ici, c’est le lieu de rappeler que la CEDEAO, la
COMESA et la CAE ont atteint l’étape de l’Union douanière régionale
qui se situe à la troisième étape du Traité d’Abuja. La CAE a même fait
mieux. Elle a, depuis juillet 2010, atteint l’étape du marché commun qui
se traduit par la suppression des obstacles aux échanges (zone de libre-
échange), par la politique commerciale commune (Union douanière), et
par la mobilité des facteurs et des actifs financiers (intégration des poli-
tiques économiques). Ce qui, de facto, la positionne comme la CER la plus
avancée au regard de la mise en œuvre du Traité d’Abuja. De façon géné-
rale, toutes les CERs dans le cadre de leurs plans stratégiques respectifs,
ont planifié de franchir les différentes étapes dudit traité à des horizons
temporels variés. Si ces projections de date ne sont pas l’objet de remise
en cause, comme c’est souvent le cas, la réalisation des Unions doua-
nières régionales en 2017, et de l’union douanière continentale en 2019
constituera un acquis important dans la marche vers la Communauté
économique africaine.
Ces progrès jusque-là accomplis ne sont pas encore perceptibles au
niveau de la Communauté économique des Etats sahélo-sahariens
(CEN-SAD), l’Autorité intergouvernementale pour le développement
(IGAD) et l’Union du Maghreb arabe (UMA). Au chapitre de la libre
circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services, indica-
teur-clé du succès d’un processus d’intégration, la palme de modèle à
suivre revient à la CEDEAO, où il existe un « Passeport CEDEAO », et
où les citoyens circulent librement sur la simple présentation d’une carte
nationale d’identité. Aussi, convient-il de souligner que, dans la zone
CEDEAO, les droits d’établissement et de résidence semblent être des
acquis irréversibles.

100
S’agissant du financement des projets intégrateurs, l’on peut se félici-
ter des modèles de la CEDEAO et de la CEEAC qui, en partie,
s’autofinancent par le biais de mécanismes autonomes fondés sur les
prélèvements effectués sur les importations hors de chacune de ces ré-
gions. Ce mécanisme a pour nom « prélèvement communautaire » à la
CEDEAO et se traduit par un prélèvement de 0,5% sur la valeur taxable
des biens importés. A la CEEAC, il s’agit de la « contribution commu-
nautaire d’intégration » qui se chiffre à 0,4% de la valeur imposable des
marchandises importées. Ces mécanismes générateurs de financements
prévisibles, substantiels et durables permettent à ces deux régions de
relever, en partie les défis liés aux dépenses de fonctionnement, et aux
dépenses d’investissement dans les projets intégrateurs régionaux.
Ces résultats acquis (la liste n’est pas complète) s’avèrent encore insuf-
fisants au regard des défis majeurs auxquels l’Afrique fait face de nos
jours. Les défis liés à l’atteinte des OMD à l’horizon 2015, ou des OMD
nouvelles générations de la période post-2015 ; au sous-développement
des infrastructures physiques et institutionnelles et aujourd’hui numé-
riques ; à la famine et à la malnutrition ; à la pauvreté des institutions
régionales et continentales ; au rattrapage dans les domaines de la science
et la technologie ; etc. invitent à booster la dynamique de l’intégration
économique et politique dont le succès est de nature à mettre l’Afrique à
l’abri des chocs exogènes de tout genre, et à la positionner, de façon irré-
versible, sur les chemins du progrès, de la croissance forte et pérenne et
du développement pour le bonheur de ses nombreuses populations.
Dans cette perspective, l’UA, à travers la Commission, a élaboré de
nombreux projets et programmes par l’entremise de son plan stratégique
quadriennal pour donner un contenu au processus d’intégration en cours
en Afrique. Ces projets essentiels sont contenus dans le tableau ci-après :


101
Tableau 2 : Les projets intégrateurs initiés par l’UA
à travers les quatre piliers de son Plan Stratégique.

Pilier 1 Pilier 2 Pilier 3 Pilier 4


Intégration, Déve- Renforcement des
Paix et Sécurité loppement et Coopé- Valeurs partagées Institutions et des
ration Capacités
x La mise en place x Le Programme pour x La Charte afri- x La Banque Cen-
et le fonctionne- le Développement caine de la Dé- trale Africaine,
ment d’un sys- des Infrastructures mocratie, des (BCA)
tème d'alerte ra- en Afrique (PIDA) Elections et de la
pide des conflits Gouvernance
(SARC) (2007)
x Le Programme x Le Programme x La Convention x La Banque Afri-
des frontières de détaillé pour le Dé- de l’Union afri- caine
l'Union africaine veloppement de caine sur la pré- d’Investissement,
(AUBP) l’Agriculture en vention et la lutte (BAI)
Afrique (PDDAA) contre la Corrup-
tion (2003)
x L’initiative afri- x La Deuxième Dé- x La Charte afri- x Le Fonds Moné-
caine de solidarité cennie de caine sur les Va- taire Africain,
(L’Afrique aide l’Education ; leurs et les Prin- (FMA)
l’Afrique) x Le Plan d’action cipes du service
africain consolidé public et de
de la Science et l’administration
Technologie
x La Décennie de la x Le Protocole à la x La Cour africaine
x Le programme de Femme africaine Charte africaine de Justice, locali-
reconstruction et x Le Fonds pour les des droits de sée à Arusha, Tan-
de développe- Femmes africaines l’homme et des zanie
ment post-conflit pour soutenir peuples relatif
(PCRD) l’entrepreneuriat aux droits de la
féminin femme en
Afrique
x Le Plan d'action x Le Parlement
pour le Dévelop- Panafricain, locali-
pement Industriel sé à Johannesburg,
accéléré de l'Afrique Afrique du Sud
x Le Programme x Le Conseil éco-
Minimum nomique, social et
d’Intégration (PMI) culturel (ECO-
SOCC)
x Le Programme en
faveur de la Jeu-
nesse
x La Charte africaine
de la Statistique
x La stratégie
d’harmonisation des
Statistiques
Source : Plan Stratégique de l’UA, années successives

102
En sus de ces projets et programmes dont la liste n’a de cesse de
s’allonger, il convient de rappeler que l’Afrique doit chroniquement faire
face à des conflits interminables, à des crises alimentaires et énergétiques
et à des endémies et pandémies et affronter des catastrophes naturelles
(inondations, sécheresses, éruptions volcaniques, etc.) Par ailleurs, dans
le cadre de la co-gestion des affaires planétaires, l’Afrique se doit de ma-
nifester sa solidarité à l’égard du reste du monde lorsqu’il est touché par
des catastrophes, comme dernièrement en Haïti ou au Japon.

Les handicaps à l’intégration continentale


Certes la qualité, la pertinence et l’impact attendu de ces projets et
programmes ne sont plus à démontrer. Car s’ils sont effectivement mis
en œuvre, ils produiront un effet certain de nature à opérer des bonds
qualitatifs dans la construction de la Communauté économique africaine,
objectif ultime du Traité d’Abuja. Mais qu’est-ce qui handicape l’Afrique
dans ses efforts quotidiens pour une intégration réussie ? En d’autres
termes, quels sont les obstacles qui éloignent l’Afrique de la trajectoire du
succès de l’intégration régionale et continentale ? Pourquoi peine-t-elle à
accélérer son intégration économique et politique ? Les rapports succes-
sifs de la Commission de l’UA mettent en exergue plusieurs écueils au
nombre desquels figurent au premier chef ceux qui suivent :
i) la persistance des pays à conserver toute leur souveraineté ;
ii) la pauvreté en infrastructures physiques et institutionnelles ;
iii) la multi-appartenance de certains pays à plusieurs CER ;
iv) la non-intégration, dans les législations nationales, des Décisions
ou Protocoles adoptés au niveau régional ou continental ;
v) la faiblesse des institutions financières, politiques et administra-
tives existantes devant conduire à la bonne gouvernance ;
vi) l’absence de vision commune ou partagée au niveau des institu-
tions panafricaines comme l’UA, la CEA et la BAD ;
vii) les statistiques non harmonisées ;
viii) la non-intégration monétaire et financière.

Tous ces facteurs (la liste n’est pas exhaustive) handicapent structurel-
lement les principaux acteurs, particulièrement la Commission de l’UA et
les CER, dans la mise en œuvre des projets et programmes adoptés con-
sensuellement, dans un enthousiasme parfois débordant affiché par les
décideurs politiques. Ces facteurs blocants offrent le sentiment que
l’Organisation de l’unité africaine (OUA) hier, et l’Union africaine (UA)
aujourd’hui, sont un syndicat des chefs d’Etat et de gouvernement
comme cela s’entend dire un peu partout en Afrique. L’Union africaine

103
est le club des dirigeants africains, un club d’amis qui ne se montre qu’à
l’occasion de ses sommets biannuels. En d’autres termes, on entendrait
parler de l’UA uniquement lorsqu’elle organise des sommets, des confé-
rences, séminaires ou des ateliers. Les populations africaines ne sentent
pas l’impact de l’UA sur leur niveau de vie. L’UA serait totalement ab-
sente sur les fronts de la lutte contre la pauvreté et la misère. En re-
vanche, elle serait plus visible et plus active sur les champs de bataille en
Afrique. Les Africains n’entendent parler de leur institution que lorsque
les conflits éclatent ; lorsqu’il est question de la paix et de la sécurité. Ces
perceptions sont-elles ou non fondées ? L’UA ne se focalise-t-elle que
sur les chantiers de la paix et la sécurité ? Ne soutient-elle pas des projets
de développement économique et social au profit des populations afri-
caines ? A première vue, on peut être enclin à accréditer la thèse selon
laquelle l’UA constitue une communauté de chefs d’Etat et de gouver-
nement qui ne s’illustre que pour la prise des photos de famille et par de
tièdes gesticulations sur les champs de bataille en Afrique. Mais à y re-
garder de plus près (voir tableau 3 supra), on remarque que l’UA entre-
prend, de manière concomitante, des actions sur les terrains politiques et
économiques. Elle n’est donc pas présente uniquement sur les chantiers
de la paix et la sécurité, mais elle s’intéresse également aux probléma-
tiques du développement économique et social du continent africain.
Mais, l’insuffisance constante des résultats sur le front du développement
économique et social a tendance à mettre de l’eau au moulin de tous ceux
qui réduisent l’action de l’UA à la seule extinction des foyers de conflits
en Afrique.
La volonté politique existe bel et bien en Afrique pour réussir
l’intégration économique et politique du continent. Cette volonté poli-
tique s’est maintes fois exprimée à travers l’adoption d’initiatives ma-
jeures déjà évoquées. Ces initiatives vise essentiellement, comme nous
l’indiquions plus haut, à bâtir une Afrique économiquement et politi-
quement intégrée. Mais, aujourd’hui, force est de reconnaître que les
efforts déployés n’ont pas abouti aux résultats escomptés. Les facteurs
explicatifs d’une telle situation sont, semble-t-il, légion. Mais les plus
perceptibles semblent se structurer autour du déficit croissant en res-
sources financières et de l’enracinement des souverainetés nationales
malgré la ratification de moult traités invitant à leur effacement partiel ou
total.

Les handicaps économiques


Les handicaps économiques sont divers et variés. Mais pour les be-
soins de notre ouvrage, nous insisterons particulièrement sur l’insuffi-

104
sance du financement domestique et la pauvreté en infrastructures insti-
tutionnelles. Aujourd’hui, il est connu de tous que les projets et pro-
grammes de l’UA pour le développement économique et social de
l’Afrique connaissent au mieux des difficultés de mise en œuvre, quand
ils ne sont pas reportés aux calendes grecques du fait, principalement, de
l’étroitesse de la surface financière de l’organisation continentale. C’est le
lieu ici d’indiquer que l’UA ne dispose, jusqu'à aujourd’hui, que deux
sources de financement de ses activités : les contributions statuaires des
Etats membres, et le financement en provenance des partenaires au dé-
veloppement du continent. Ces deux sources de financement connais-
sent des limites, et les thérapies proposées pour y faire face s’apparentent
à une gageure.
Tout d’abord, la contribution statuaire des Etats membres s’avère non
seulement insuffisante, mais aussi, elle est caractérisée par des arriérées
de paiement considérables. Ce financement est extrêmement limité com-
paré aux énormes déficits en ressources que connaît l’UA. Ces dernières
années, le budget programme des organes de l’UA a été couvert à plus de
80% par la contribution des partenaires. Ainsi, les budgets programmes
des années 2010, 2011 et 2012 ont été respectivement financés à hauteur
de 92%, 92,5% et 95,2% par l’extérieur. Ceux des années 2013, 2014 et
2015 ont également été respectivement financés à hauteur de 96,7%,
97,5% et 98%. Les tableaux 3 et 4 ci-après sont assez illustratifs de la
dépendance financière de l’UA et ses organes. Le tableau 4 ci-après in-
dique que, depuis 2011, le budget programme de l’UA est fortement dé-
pendant de l’apport extérieur. La contribution des États membres à ce
budget a même marqué une tendance à la baisse depuis 2010. Elle est
passée de 8% en 2010, à 7,1% en 2011 et à 4,8% en 2012. Cette tendance
baissière s’est poursuivie pour atteindre un niveau de 2% en 2015. Autre
fait saillant à souligner est la tendance à la hausse de l’apport des parte-
naires dans le budget total de l’Union. Ainsi, depuis 2010, les apports
extérieurs, toutes sources, voire toutes origines confondues, excèdent les
50% du budget total de l’Union. . La part de l’extérieur dans ce budget
total se chiffre à 53 % en 2010, 52% en 2011 et à 55% en 2012. En 2013,
2014 et 2015 elle se chiffre respectivement à 56%, 65% et 72% comme le
montre bien le tableau 4. Que signifient les chiffres contenus dans les
tableaux 3 et 4 ? Quels messages véhiculent-ils ? Ou encore, quelles in-
terprétations peut-on en faire ? C’est un truisme que les avis sont mul-
tiples et variés sur la problématique du financement de l’Union africaine.
Toutefois, de façon majoritaire, l’on peut être enclin à reconnaître que
ces chiffres constituent le symbole de l’incapacité de l’UA à relever les
nombreux défis de notre temps. Au moment où il est de plus en plus
question d’accélérer la transformation structurelle de l’Afrique, où

105
l’Afrique a adopté son Agenda 2063 pour passer de son état actuel à un
continent développé dans les 50 prochaines années, il est alarmant de
constater le recul de l’Afrique dans le financement des projets et pro-
grammes de l’UA. Cette baisse, continue et persistante au profit des ap-
ports fournis par les partenaires au développement, charrie le message
d’une Afrique qui refuse d’assumer son destin en se donnant les moyens
de son épanouissement. En outre, ces chiffres constituent le signe d’une
Afrique résignée à ne compter que sur l’extérieur pour financer son
Agenda de développement, et donc, d’une Afrique qui confie son destin
au dictat de l’extérieur. Pourquoi multiplie-on alors les initiatives tout en
sachant que celles-ci seront confiées aux partenaires extérieurs pour leur
mise en œuvre ? Dans une telle perspective, l’affirmation de la souverai-
neté et de l’indépendance du continent n’est qu’un vœu pieux.
TABLEAU 3 : Sources du Budget Programme de l’UA et ses organes
(en millions de $US)
Sources du 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015
budget (%) (%) (%) (%) (%) (%) (%) (%) (%)
État 13,4 14,7 11,3 11,2 10,2 7,6 6,37
5,37 (3) 8,88 (2)
membres (27) (31) (16) (8) (7,1) (4,8) (2.5)
36,3 32,4 57,4 133,7 134,2 151,7 155,36 250,97 370,55
Partenaires
(73) (69) (84) (92) (92,9) (95,2) (97) (97.5) (98)
49,7 47,1 68,7 144,9 144,4 159,3 160,73 257,37 379,43
Total
(100) (100) (100) (100) (100) (100) (100) (100) (100)
Source : Budget de l’UA, Années successives

TABLEAU 4 : Sources du Budget Total (Budget Programme


+ Budget de Fonctionnement) de l’UA et ses organes (en millions de $US)
Sources du 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015
budget (%) (%) (%) (%) (%) (%) (%) (%) (%)
État 87,8 107,6 106,9 116,8 122,6 122,4 122.87 137,95 147,32
membres (71) (77) (65) (47) (48) (45) (44) (35) (28)
36,3 32,4 57,4 133,7 134,2 151,7 155,36 257,27 374,80
Partenaires
(29) (23) (35) (53) (52) (55) (56) (65) (72)
124,1 140 164,3 250,5 256,8 274,1 278,23 395,22 522,12
Total
(100) (100) (100) (100) (100) (100) (100) (100) (100)

Source : Budget de l’UA, Années successives

Le budget programme étant exclusivement destiné à la mise en œuvre


des projets et programmes de développement économique et social de
l’UA, la nature des sources de son financement explique, partiellement,
les difficultés de l’Afrique à conduire à bon port de nombreux projets et
programmes intégrateurs. Il faut reconnaître que le financement en pro-
venance des États membres, même s’il est largement insignifiant, n’est
pas disponible en temps réel. La plupart des pays ne payent leur contri-

106
bution qu’à la veille, ou en marge, des sommets pour éviter de subir la
sanction d’interdiction de prise de parole. Ainsi, les organes d’exécution
des projets et programmes de l’UA sont assez souvent contraints de sus-
pendre, ou de surseoir à la mise en œuvre de certains projets. Entre
l’adoption du budget et le paiement effectif de celui-ci par les États
membres, les organes d’exécution des projets peuvent se trouver désœu-
vrés faute de moyens financiers appropriés. Le financement domestique
des activités de l’UA est donc insuffisant, caractérisé par d’importants
arriérés de paiement, imprévisible et non pérenne. Ceci est de nature à
handicaper structurellement l’UA dans son travail quotidien pour tra-
duire dans les faits son agenda de développement.
D’autre part, le financement extérieur, censé pallier les limites du fi-
nancement domestique est, à son tour, frappé d’inefficacité. En effet, le
financement en provenance des partenaires au développement est aussi
limité, et est surtout difficile d’accès par les organes de l’UA. En théorie,
le financement extérieur doit compléter les ressources internes et non s’y
substituer. Pourtant, comme il a été souligné plus haut, l’essentiel du
budget programme de l’UA est couvert par l’apport des partenaires qui,
non seulement est assujetti à des conditionnalités extrêmement sévères,
mais en plus le système de “reporting” ou du rapport de l’utilisation des
fonds reçus qui l’accompagne est excessivement complexe.
Depuis 1970, année où les pays riches se sont formellement engagés à
consacrer 0,7% de leur PNB à l’aide publique au développement (APD),
devant l’assemblée générale des Nations unies, plusieurs autres initiatives
se sont succédé. L’une des plus importantes d’entre elles est la confé-
rence de Monterrey à l’occasion de laquelle les pays donateurs ont, non
seulement, réitéré leur engagement de 1970, mais ont aussi renouvelé
leur soutien au monde en développement à travers les canaux d’une aide
diversifiée, harmonisée, coordonnée et plus efficace. Toutefois, force est
de constater que la multiplication des initiatives26 visant à accroître le
volume d’apports financiers aux pays pauvres en général, et à l’Afrique
en particulier, n’a pas été suivie d’actions concrètes. Ces initiatives sont
généralement restées au stade des manifestations d’intention. En d’autres
termes, elles ont eu du mal à passer de la table à dessin au domaine de la
réalité ; ce qui fait dire aux détracteurs de l’aide que celle-ci est recyclée
d’un forum à un autre laissant ainsi apparaître un fossé profond entre les
engagements financiers et les décaissements effectifs. Ici, du point de vue
des partenaires au développement, les difficultés d’accès au financement
extérieur, toutes sources confondues, sont en partie liées à la faible capa-
cité d’absorption des bénéficiaires africains qu’ils attribuent à leur inca-

26 Kouassi N. R. (op.cit)

107
pacité d’élaborer des projets pertinents et bancables, et de présenter des
rapports d’utilisation de fonds qui soient en parfaite adhésion avec les
normes des donateurs. Ainsi, les mêmes fonds empruntent de nouveaux
canaux ou revêtent de nouvelles formes pour tenter de répondre aux
nouveaux besoins exprimés par les récipiendaires africains. Par consé-
quent, les contraintes économiques qui handicapent l’avancée de
l’Afrique vers son intégration économique et politique sont légion. Mais,
l’on doit reconnaître que l’essentiel d’entre elles est subordonné au des-
serrage de la contrainte financière.
Au nombre des difficultés économiques dont la résolution dépend
fortement des solutions données à la problématique du financement,
figure principalement la pénurie en infrastructures physiques et institu-
tionnelles. Les infrastructures physiques, on ne le dira jamais assez, cons-
tituent les maillons essentiels de la chaîne de l’intégration économique.
Ubi et Orbi, on ne cesse de mettre en relief, dans les instances des organes
de décision de l’UA, l’urgente nécessité pour l’Afrique de relever les défis
de son intégration physique. L’Afrique est à « vertébrer » entend-on dire
çà et là. Certes, des efforts sont faits au niveau des pays et régions, mais
ils demeurent encore insuffisants pour doter l’Afrique tout entière
d’infrastructures dignes de ce nom. Pour relever ce défi, des actions ur-
gentes méritent d’être engagées dans les domaines routier, téléphonique,
énergétique, hydroélectrique, du transport, etc. Dans cette perceptive, la
mise en œuvre du programme pour le développement des infrastructures
en Afrique (PIDA), un des projets phare de la commission de l’UA, doit
retenir l’attention des leaders du continent. Ce programme vise, in fine, à
relever tous les défis liés aux domaines évoqués ci-dessus. Le déficit en
infrastructures de l’Afrique est extrêmement coûteux. Aujourd’hui, elle a
besoin de plus de 93 milliards de dollars par an pour rattraper son retard
infrastructurel27. Où faut-il trouver ce montant abyssal de ressources ?
Une chose est sûre ; c’est que les économies africaines, dans leurs struc-
tures actuelles, sont dans l’incapacité de mobiliser les investissements
nécessaires. Aussi, faut-il le souligner, la communauté internationale, à
travers les instruments financiers ou d’aide dont elle dispose, se trouve
également dans l’incapacité de mettre à la disposition de l’Afrique le fi-
nancement dont elle a besoin pour combler son déficit infrastructurel.
Une telle situation interpelle l’Afrique tout entière et l’invite à explorer
des pistes nouvelles pour la mise en œuvre de son agenda de développe-
ment économique et social. Dans cette mouvance, les mécanismes de


27 Voir Africa Infrastructural Contry Diagnostic (AICD)

www.Infrastructureafrica.org

108
financements innovants (cf. Supra) méritent d’être examinés avec beau-
coup d’attention.
Par ailleurs, un autre des handicaps d’ordre économique, et non des
moindres, réside dans la pauvreté en infrastructures institutionnelles28.
C’est le lieu, ici, de rappeler que l’Afrique peine encore à consolider ou à
développer son architecture institutionnelle. Du point de vue écono-
mique, les institutions financières panafricaines prévues par l’article 19 de
l’Acte constitutif de l’UA ont du mal à voir le jour. Si les textes fonda-
teurs de la Banque africaine d’investissement (BAI) et du Fonds Moné-
taire Africain (FMA) ont déjà été adoptés par la conférence des chefs
d’État et de gouvernement du continent. Ceux-ci peinent toujours à re-
cueillir les 2/3 de la ratification des Etats membres pour entrer en vi-
gueur. S’agissant de la Banque centrale africaine (BCA), tout porte à
croire que l’avènement de celle-ci s’apparenterait à une gageure, tant un
compromis réaliste entre les intérêts de l’Association des Banques Cen-
trales africaines (ABCA) et de la Commission semble difficile à trouver.
Il est évident que l’avènement de ces institutions financières contribuera
significativement à doter l’Afrique des moyens financiers à la hauteur de
ses ambitions. Il est donc paradoxal de noter qu’un continent qui connaît
d’énormes déficits en ressources refuse de se doter d’institutions lui per-
mettant de trouver une thérapie efficace et durable à des déficits abys-
saux. Ces nouvelles institutions financières, si elles voyaient effective-
ment le jour, seraient plus complémentaires aux organismes bancaires et
non bancaires déjà existants, que substituables à ceux-ci. En outre, il
convient d’indiquer que le paysage institutionnel du continent est marqué
par une pauvreté en organisations juridiques et politiques capables de
soutenir la promotion du développement économique et social. En par-
ticulier, la Cour africaine de justice, le Parlement panafricain, et le Con-
seil Economique, Social et Culturel (ECOSOCC) demeurent encore au
stade embryonnaire. Les institutions similaires dans les régions éprouvent
également des difficultés à s’épanouir, voire à s’émanciper véritablement
pour combler le vide observé à l’échelle continentale.
Au total, l’énormité du déficit en ressources financières doublée des
insuffisances criantes en infrastructures, de tout acabit, plombe vérita-
blement l’Afrique dans sa marche quotidienne vers une intégration éco-
nomique et politique réussie. Mais, ces handicaps ne sont pas exhaustifs
et ne sont pas les seuls à bloquer le processus d’intégration du continent.
Ainsi d’autres obstacles, de nature politique, se manifestent également en
Afrique.


28 Pour plus d’informations, voir Hugon P. (2000).

109
Les obstacles politiques
En Afrique, les obstacles politiques revêtent plusieurs formes. Mais,
dans le présent ouvrage, nous nous limiterons exclusivement à la ques-
tion de la souveraineté et à celle de la libre circulation des personnes.
Pour ce qui est de la souveraineté des États, il convient de noter
qu’après plusieurs décennies de mise en œuvre d’accords ou de traités
exigeant un abandon partiel ou total de la souveraineté des États, ceux-ci
continuent encore à la conserver. Pour mémoire, la quasi-totalité des
pays africains a ratifié le Traité d’Abuja instituant la Communauté
Economique africaine (CEA). Ce traité, entériné par l’Acte constitutif de
l’UA, adopté en 2000 à Lomé (Togo), constitue une véritable feuille de
route pour le processus d’intégration régionale et continentale. Le traité
d’Abuja comporte, entre autres, la mise en place des unions douanières
régionales (3ème étape), d’une Union douanière Continentale (5ème
étape), d’une Banque Centrale africaine pour battre la monnaie unique
africaine (6ème étape). Or, il est évident que la réalisation de tous ces
nobles et historiques objectifs s’inscrit dans la logique, soit du partage
des souverainetés individuelles, soit de l’abandon total ou partiel desdites
souverainetés. Mais que constate-t-on dans les faits ? En réalité, il appa-
raît souvent que la mise en œuvre des projets intégrateurs se heurte à
d’énormes difficultés dont l’essentiel se structure autour de la question de
la souveraineté des États. Et pour cause, les pays dans leur ensemble,
semblent emprunter l’attitude du « passager clandestin » : ils affichent
tous le souhait de voir les régions et l’Afrique s’intégrer économiquement
et politiquement, sans toutefois prendre part à la mise en œuvre des acti-
vités y concourant, ni supporter une partie des coûts qui y sont associés.
Ces coûts peuvent prendre la forme d’abandon de souveraineté en
termes de politique économique (politique monétaire, budgétaire...) ;
d’octroi d’une partie de recettes fiscales recueillies ; de politique étran-
gère ; de politique de sécurité intérieure ; de défense nationale ; de con-
trôle des frontières nationales ; etc. Se mettre donc dans une posture de
vouloir l’intégration et refuser d’en supporter le coût, c’est accepter la
situation d’une Afrique « balkanisée », désunie, à la merci de toutes les
convoitises extérieures, et incapable de se défendre toute seule. Une telle
logique pourrait aussi être interprétée comme une complaisance des pays
africains dans le « Statu Quo » qui sous-entendrait que l’on n’accorde au-
cune importance aux ratifications et aux signatures que l’on appose aux
bas des traités ou textes chargés d’encadrer les processus d’intégration
régionale et continentale.
S’agissant de la libre circulation des personnes, des biens, des capitaux
et des services, l’Afrique est encore loin du compte. Là aussi, il est clair
que l’adhésion au Traité d’Abuja et son application n’autorisent pas que

110
des obstacles entravent la libre circulation, en particulier pour les mou-
vements de personnes, considérés comme une des manifestations d’une
intégration réussie. Si la philosophie qui fonde l’intégration africaine est
celle de l’intégration des peuples, pourquoi alors doit-on ériger des obs-
tacles à n’en plus finir à la libre circulation des citoyens africains sur leur
continent ? Aujourd’hui en Afrique, force est de constater que seule la
Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO)
permet à ses citoyens de circuler librement sur son territoire sans déli-
vrance de visas d’entrée et de sortie. Les citoyens de la CEDEAO béné-
ficient également d’un droit de résidence et d’établissement. Ce libre
mouvement des personnes est, bien entendu, accompagné de celui des
biens, des capitaux et des services. Ce modèle CEDEAO qui est en train
de se consolider dans le temps rencontre des difficultés à s’exporter dans
les autres régions de l’Afrique où l’on soumet encore les citoyens de
toutes origines à des conditions sévères de délivrance de visa. On ne peut
pas prétendre intégrer les régions et l’Afrique tout entière d’un côté, et de
l’autre, refuser aux citoyens africains le droit élémentaire de circuler li-
brement d’un pays à un autre. En général, quand on parle de libre circu-
lation des personnes en Afrique, le réflexe immédiat consiste à scruter les
flux migratoires entre l’Afrique et l’Europe, ou entre Afrique et les États-
Unis. Les Africains s’érigent alors en donneurs de leçons et condamnent
vigoureusement les entraves restreignant l’afflux massif des Africains,
tous âges confondus, en Europe ou en Amérique fuyant la misère, et en
quête d’un bonheur rêvé. Emportés par l’émotion suscitée par les tragé-
dies humaines parfois causées lors d’exodes clandestins malheureuse-
ment trop fréquents, les spécialistes africains des questions migratoires
tirent à boulets rouges sur les politiques d’accueil et d’intégration des
pays riches. Ces spécialistes ignorent qu’en Afrique, les citoyens ne peu-
vent pas aller librement d’un pays à un autre. Certains sont expulsés manu
militari dans leur pays d’origine. D’autres vivent des scènes d’humiliation
de tout genre aux portes d’entrée de certains pays. La problématique des
flux migratoires mérite qu’on lui trouve d’abord une solution africaine
avant de lui trouver une thérapie exogène. L’homme, lorsqu’il migre, se
déplace avec sa force de travail, son savoir-faire, son expertise, son expé-
rience et surtout avec son ingéniosité. Dès lors, il est extrêmement urgent
que les entraves à la libre circulation des Africains en Afrique soient éli-
minées de manière à ce que chaque citoyen africain puisse mettre en
œuvre les opportunités qu’il incarne là où les conditions naturelles, éco-
nomiques et politiques s’y prêtent.
Finalement, il convient de noter que les contraintes économiques et
politiques susmentionnées ne sont pas insurmontables. Ces obstacles
peuvent trouver des réponses au sein même du continent. Les ressources

111
humaines, ainsi que les potentialités économiques dont regorge l’Afrique
peuvent lui garantir le succès de son intégration économique et politique.

Les clés du succès de l’intégration africaine


Au moment où les dirigeants africains célèbrent le cinquantenaire de
l’intégration africaine (mai 2013) et adoptent un Nouvel Agenda pour les
dix prochaines décennies (janvier 2015), il est tout à fait légitime que les
filles et fils du continent, toutes classes sociales confondues, s’interrogent
sur les acquis de l’intégration, ses défis et ses perspectives. Les dévelop-
pements ci-dessus ont mis en lumière les obstacles, voire les défis de
toute nature qui obèrent le processus d’intégration régionale et continen-
tale. Quelle thérapie faut-il adopter pour y remédier de manière efficace
et durable ?
L’histoire des faits économiques et sociaux enseigne que tout déve-
loppement se fonde d’abord sur une dynamique interne et locale. Autre-
ment dit, le développement de toute communauté est d’abord, et avant
tout, le résultat de l’action collective au sein de cette communauté. Le
génie créateur de chaque société l’accompagne dans son processus
d’épanouissement. L’Afrique ne peut pas échapper à cette logique fonda-
trice de la société humaine. De ce point de vue, nous osons croire que les
potentialités, de tout acabit, qui la caractérisent, révèlent que les solutions
endogènes aux problèmes de l’intégration régionale et continentale sont
du domaine du possible. Mais avant cela, il serait sans doute utile de
mettre en lumière certaines questions qu’on pourrait qualifier de « ques-
tions pendantes » et qui ont certainement eu un impact positif ou négatif
sur le processus d’intégration en Afrique. Ainsi un regard rétrospectif sur
le rôle des bâtisseurs de l’Afrique moderne s’avère nécessaire.

La clarification de certaines questions historiques


Aujourd’hui, à l’orée de ce cinquantenaire, il ne doit pas y avoir de
questions taboues. Toutes les questions méritent d’être posées et même
doivent être posées. Et des solutions efficaces et durables doivent leur
être trouvées. Au nombre de ces questions dites taboues figurent
l’approche de Nyerere et celle de Nkrumah. Laquelle des deux approches
semblait mieux répondre aux besoins d’intégration du continent ? En
d’autres termes, quelle est celle qui aurait pu ou qui recelait en son sein
des ingrédients susceptibles de garantir le succès de l’Afrique dans ses
efforts d’intégration économique et politique ?
Pour mémoire, il convient de rappeler qu’au moment du choix de la
démarche à adopter pour intégrer économiquement et politiquement

112
l’Afrique, deux écoles de pensée s’étaient affrontées : la première, attri-
buée à l’aile dite radicale du panafricanisme, était pilotée par le Père Fon-
dateur du Ghana, le Dr K. Nkrumah29, tandis que la deuxième, présentée
comme celle des modérés, était conduite par le Père Fondateur de la
Tanzanie, Mwalimu Julius Nyerere30. Le Président J. Nyerere de la Tan-
zanie, chef de file de la deuxième école de pensée, était un fervent adepte
de l’approche des petits pas. Il défendait farouchement la démarche dite
« progressive », encore appelée « approche par le bas », qui consistait à
bâtir l’intégration continentale à partir du niveau régional. Ainsi, les di-
verses régions du continent, par l’entremise des Communautés écono-
miques régionales (CER), devaient d’abord œuvrer à leur intégration et à
leur développement, avant que l’on envisage ensuite l’intégration à
l’échelle continentale. Cette approche l’a emporté sur l’école de pensée
radicale et a inspiré tous les efforts entrepris jusque-là pour promouvoir
l’intégration régionale et continentale. Nyerere a-t-il eu raison ? A-t-il eu
tort ? La célébration du cinquantenaire de l’UA offre une opportunité
pour tenter d’y répondre.
Quant à la démarche du Dr K. Nkrumah, elle consistait à passer tout
de suite, ici et maintenant, à l’intégration économique et politique des
États déjà indépendants pour former les États-Unis d’Afrique. Pour le
Président Nkrumah, si cela ne se faisait pas maintenant, les micro-
souverainetés des micro-États indépendants deviendraient demain un
véritable handicap entravant le succès de l’intégration économique et
politique du continent. Entre autres, K. Nkrumah proposait de mettre
tout de suite en place une armée panafricaine, de créer une monnaie
unique africaine, etc. Les appréhensions de Nkrumah à l’époque étaient-
elles justifiées ? Nkrumah avait-il raison ? Avait-il tort ? Pour ces ques-
tionnements également, le bilan du cinquantenaire devrait couvrir tous
les aspects, aussi bien théoriques que pratiques. L’approche Nyerere ou
plutôt l’approche Nkrumah ? Ce débat mérite d’être tranché une fois
pour toutes, ce qui aurait l’avantage de poser un bon diagnostic et de
conduire à la formulation de politiques d’intégration plus cohérentes,
plus ambitieuses, plus pragmatiques et plus efficaces.
Par ailleurs, une autre question qui mérite une solution concerne
l’opposition entre les pro-capitalistes et les pro-socialistes. Cette opposi-
tion revêtait plutôt l’allure d’une confrontation idéologique entre le cou-

29 Cette école de pensée était composée, entre autres, du Dr K. Nkrumah, de Sekou
Touré (Guinée), Modibo Keita (Mali). Elle était considérée comme « radicale », cf. A.
Oloo (2007); M. Kassé (2007).
30 La deuxième école de pensée, conduite par M. J. Nyerere, comprenait, entre autres, T.

Balewa (Nigeria); W. Tubman (Libéria); L.S. Senghor (Sénégal); F.H. Boigny (Côte
d’Ivoire).

113
rant capitaliste et le courant socialiste. Le premier courant, incarné par
des pays comme la Côte d’Ivoire, le Kenya et autres, recommandait
l’économie de marché comme la meilleure voie vers l’émancipation des
peuples africains. Selon ce courant, le capitalisme, quelle que soit sa
forme, présentait tous les atouts pour accélérer le développement éco-
nomique et social des pays africains. Les dirigeants politiques de l’époque
comme F.H. Boigny (Côte d’Ivoire), le Roi Hassan II (Maroc), H. Bour-
guiba (Tunisie) etc., étaient les chantres d’une telle démarche. Ont-ils eu
raison ? Ont-ils eu tort ? Ici encore, ces interrogations nécessitent des
réponses, à la faveur de l’établissement du bilan du cinquantenaire de
l’UA. Quant au deuxième courant, celui des pro-socialistes, il présentait
le socialisme comme la philosophie à adopter, le chemin à suivre pour
parvenir au développement et au bien-être des populations africaines. Ici,
le socialisme inspiré du bolchévisme de l’ex-Union soviétique était censé
libérer les Africains de l’exploitation et de la domination de l’Occident,
bastion incontesté du capitalisme. Au nombre des dirigeants africains
porteurs de cet espoir figuraient, entre autres, J. Nyerere, Sékou Touré,
Nasser, K. Nkrumah, etc. Ont-ils eu raison ? Ont-ils eu tort ? Ici égale-
ment, la mise en œuvre des politiques dites socialistes mérite une analyse
minutieuse.
Il convient de souligner que l’Afrique a souffert du débat sur l’école
de pensée de Nyerere ou plutôt celle de Nkrumah, ou sur le courant des
pro-capitalistes ou plutôt celui des pro-socialistes, avec comme consé-
quences des divergences qui ont eu un impact sur le développement et
l’unicité du continent. Cela mérite d’être pris en compte dans le bilan
d’un demi-siècle d’efforts d’intégration. Initialement, l’école de pensée de
Nyerere a triomphé de celle de Nkrumah. En 2007, au Sommet d’Accra,
à l’issue d’un débat houleux, mais riche d’enseignements sur l’état de
l’intégration africaine, la philosophie de Nyerere a dominé, une fois en-
core. À l’issue de ce débat, les dirigeants africains ont trouvé un consen-
sus sur la nature de l’Afrique à bâtir : les États-Unis d’Afrique. Ils ont
tous reconnu la nécessité de bâtir les États-Unis d’Afrique, mais cela
devait se faire de manière progressive, lentement, mais sûrement, en
s’appuyant sur le succès des CER. Toutefois, les acquis en matière
d’intégration régionale et continentale, les défis rencontrés, les con-
traintes liées à la mondialisation, etc., n’invitent-ils pas à un réexamen de
l’approche retenue ? N’appellent-ils pas à revisiter l’approche dite « radi-
cale » pour y puiser des outils, voire des ingrédients susceptibles de pro-
duire un effet induit considérable sur le processus d’intégration afri-
caine ?
Pour notre part, nous estimons qu’il est grand temps de réconcilier les
deux approches, de façon à trouver entre elles un équilibre réaliste pour

114
mieux appréhender la problématique de l’intégration continentale. Nye-
rere et Nkrumah ont été deux illustres fils d’Afrique. Ils ont eu chacun
un profond amour pour leur continent et ont consacré l’essentiel de leur
vie à son émancipation. Par conséquent, trouver un équilibre réaliste
entre les visions qu’ils ont eu à incarner pourrait contribuer à crever
l’abcès et à accélérer le rythme de l’intégration continentale. Si ce débat
n’était pas définitivement tranché, les générations africaines, celles
d’aujourd’hui et de demain, peineraient pendant longtemps encore à réa-
liser le rêve des États-Unis d’Afrique, dont la concrétisation est l’attente
de toutes les filles et de tous les fils du continent.
Par ailleurs, le débat entre pro-capitalistes et pro-socialistes doit trou-
ver un épilogue. Les regroupements des pays africains autour des idéolo-
gies capitaliste et socialiste ont, indubitablement, affecté l’unité continen-
tale. Le comble est que ni les pro-capitalistes, ni les pro-socialistes n’ont
jamais pu réunir les conditions indispensables à l’éclosion de leur choix
idéologique. Les « capitalistes sans capitaux » et les « socialistes sans ri-
chesses à partager » sont ainsi devenus des clichés prisés par bon nombre
d’humoristes.
Aujourd’hui, avec la domination sans partage de l’économie de mar-
ché, symbolisée par la mondialisation, quel dirigeant africain pourrait
encore se prévaloir du socialisme ? Tous les pays africains, quelle que soit
la nature des régimes au pouvoir, recourent aux Institutions de Bretton-
Woods, et particulièrement au FMI dont les conditionnalités des prêts
n’autorisent guère la mise en place d’une économie socialiste. Et si l’on
devait même évaluer le passé, l’on pourrait avancer, sans parti pris, que
les dirigeants pro-capitalistes ont peut-être mieux positionné leurs pays
sur la voie du progrès social, avec des performances historiques, deve-
nant même des repères indiscutables, voire des références pour la classe
politique, toutes idéologies confondues, en fait de véritables icônes en
Afrique. Si tel est effectivement le cas, cela devrait se traduire par la re-
connaissance historique de ces dirigeants dans les annales de l’Union
africaine. Car aujourd’hui, l’on a pris l’habitude de ne célébrer à l’Union
africaine que les figures historiques de l’aile dite « radicale » du Panafrica-
nisme, oubliant les autres qui ont pourtant posé des actes et réalisé des
œuvres faisant date, et qui ont positionné leurs pays sur la voie commu-
nément empruntée aujourd’hui par la quasi-totalité des pays et des ré-
gions du monde, à savoir la voie de l’économie de marché, certes sous
des formes variées et diverses, comme mode de production, de distribu-
tion des richesses et d’épanouissement de l’être humain. La célébration
du cinquantenaire, avec le bilan qui l’accompagne, mérite que cet oubli
de l’histoire soit corrigé et que les valeureux dirigeants d’Afrique, indé-
pendamment de leurs visions, soient reconnus comme tels et célébrés.

115
Cet inventaire de l’histoire mérite d’être fait pour inspirer les dirigeants
d’aujourd’hui, tout comme ceux de demain.
Après ce bref rappel historique, il est légitime d’identifier les chemins
à suivre pour relever les défis et garantir le succès de l’intégration conti-
nentale tant rêvée.

Le partage des souverainetés, gage du succès de la création du


marché unique africain
On ne le dira jamais assez, le développement de l’Afrique est quasi
impossible en l’absence, entre autres, d’un véritable partage des souverai-
netés individuelles des États. Aujourd’hui, comme nous l’indiquions plus
haut, l’un des handicaps majeurs au processus d’intégration régionale et
continentale réside dans la persistance des souverainetés nationales, et ce
nonobstant l’adoption de plusieurs projets et programmes invitant à leur
démantèlement partiel ou total. Car il est incontestable que les étapes
décisives du Traité d’Abuja par exemple ne peuvent être atteintes sans
une nécessaire perte de souveraineté. Ainsi, la taxe extérieure commune,
la monnaie commune africaine, le Parlement panafricain, ou encore la
Cour de justice africaine sont autant d’éléments tangibles symbolisant la
nécessité de l’effacement partiel ou total des souverainetés nationales.
En fait, tous les actes à poser par les leaders africains pour avancer
plus en avant dans le processus d’intégration sont synonymes de transfert
de souveraineté. Refuser de comprendre une telle logique ou refuser d’y
souscrire revient à tourner le dos à l’effort collectif d’intégration. Cet
effort collectif nécessaire se situe dans la droite ligne de la solidarité entre
États ou entre Communautés, sans laquelle tous projets intégrateurs
s’apparenteraient à des utopies. Le transfert de souveraineté à une struc-
ture supranationale chargée de conduire à bon port le navire de
l’intégration constitue la toile de fond de tout succès en matière
d’intégration. L’expérience européenne abonde en ce sens, et doit nous
servir d’exemple. Le marché unique européen, pièce maîtresse de
l’accomplissement d’un véritable marché intérieur, est fondé sur
l’acceptation partagée de perte de souveraineté. Pour mémoire,
l’intégration européenne a été encadrée par le Traité de Rome adopté en
1957 avec pour objectif l’avènement d’un marché commun. Cet impor-
tant projet nécessitait l’élimination progressive des barrières aux
échanges commerciaux entre les États membres. L’élimination des bar-
rières portait d’abord sur le marché des biens. Elle s’est ensuite étendue à
la fourniture des services, et aux investissements étrangers, ce qui a ame-
né à l’adoption de l’Acte unique en 1987, visant essentiellement à faire,
du marché commun, un marché unique.

116
Comme résultat31, la construction du marché unique a conduit au dé-
mantèlement de l’ensemble des outils traditionnels utilisés par les pays
pour encadrer ou favoriser leurs acteurs nationaux. Il s’agit par exemple
des subventions, des préférences dans l’octroi des marchés publics, du
contrôle des fusions ou des fusions-acquisitions, etc. Comme corollaire à
l’avènement du marché unique européen, les pays, pour promouvoir
l’attractivité de leur territoire, ne pouvaient actionner qu’un seul levier :
offrir un environnement favorable aux entreprises et à l’épanouissement
des affaires en termes de qualité des infrastructures, de qualification de
main- d’œuvre, de flexibilité du marché de travail, de réduction des
charges fiscales, etc.
L’intégration européenne, d’un point de vue économique, apparaît
comme un modèle de succès qui doit inspirer toutes les régions qui œu-
vrent à leur intégration économique et politique. Ce succès européen a
atteint son paroxysme avec l’avènement en 2002 de la monnaie unique
qui consolide davantage le marché unique déjà évoqué. Dans les pays
membre de l’Euro groupe, les monnaies nationales, symboles par excel-
lence de la souveraineté des États, ont cessé d’exister au bénéfice d’une
monnaie unique européenne. Ce transfert de souveraineté vers la Banque
Centrale Européenne a été indispensable pour gravir une étape supé-
rieure dans le processus d’intégration économique. Aujourd’hui, cette
intégration économique est en train d’être consolidée. Les tentatives de
solution aux crises grecque, portugaise, irlandaise et peut-être espagnole
ou italienne, qui menacent l’existence même de l’Euro, achèveraient de
rendre irréversible le succès de l’intégration économique européenne si
elles s’avéraient efficaces et durables. De même, si ce succès était doublé
d’une intégration politique, elle aussi réussie, l’Europe finirait par démon-
trer que le transfert des souverainetés n’est pas une menace pour la dis-
parition des pays, mais plutôt une condition de leur survie. Si les pays
d’Europe, qui ont été le théâtre de deux guerres mondiales dont certaines
conséquences sont encore visibles, ont accepté de sacrifier des pans en-
tiers de leur souveraineté nationale pour construire une intégration éco-
nomique qui sera bientôt accompagnée d’une intégration politique,
l’Afrique n’a pas le droit de se cacher derrière les souverainetés pour
handicaper son intégration économique et politique. Dans cette perspec-
tive, il convient de rappeler que l’Afrique, à travers la Déclaration du
Sommet d’Accra (Ghana) en 2007, a déjà fait le choix de son modèle
d’intégration. Ce modèle, c’est les États-Unis d’Afrique. La Déclaration
d’Accra suggère, entre autres, ce qui suit :


31 Beck. U (2011)

117
1. Nous sommes convenus d’accélérer l’intégration économique et
politique du continent africain, à travers notamment la formation
d’un Gouvernement d’Union pour l’Afrique, l’objectif ultime de
l’Union africaine étant la création des États-Unis d’Afrique.
2. Nous sommes également convenus des mesures à prendre pour
parvenir au Gouvernement de l’Union, au nombre desquelles figu-
rent :
i) la rationalisation et le renforcement des Communautés écono-
miques régionales, conformément à notre précédente décision
afin de créer un marché commun africain à travers les phases
prévues par le Traité instituant la Communauté économique
africaine (Traité d’Abuja) avec un calendrier revu et plus court
qui fera l’objet d’un accord en vue d’accélérer l’intégration éco-
nomique et, si possible, politique.
ii) mettre en place un Comité ministériel pour examiner les points
suivants :
x détermination du contenu du concept du Gouvernement de
l’Union et ses relations avec les Gouvernements nationaux ;
x identification des domaines de compétence du Gouverne-
ment de l’Union et de l’impact de sa création sur la souverai-
neté des États membres ;
x définition des relations entre le Gouvernement de l’Union et
les Communautés économiques régionales (CER) ;
x élaboration de la feuille de route et du calendrier pour la
création du Gouvernement de l’Union ; et
x identification d’autres sources de financement des activités
de l’Union.

Ainsi, la Déclaration d’Accra prévoit à la fin du processus l’avènement


des États-Unis d’Afrique. En d’autres termes, l’Afrique serait transfor-
mée en un super-État fédéral dans lequel il n’y aurait plus d’État national
parce que les frontières nationales n’auraient plus de sens. Le choix des
leaders africains pour les États-Unis d’Afrique constitue donc un sym-
bole de transfert de souveraineté ou de compétences vers l’Union Afri-
caine.
Mais pourquoi ce transfert de souveraineté se traduit-il difficilement
dans les faits ? Pourquoi la ratification des textes majeurs comme le Trai-
té d’Abuja, l’Acte constitutif de l’UA, et d’autres, qui invitent à un trans-
fert de souveraineté, reste-t-elle encore loin des objectifs visés ? Cela
offre l’image d’une Afrique qui officiellement accepte l’abandon des sou-
verainetés nationales, mais qui, dans les faits, manifeste une résistance à

118
le faire. Tout porte donc à croire qu’en Afrique, les États veulent rester
encore pour longtemps maîtres du jeu, puisque leurs attitudes montrent
que toute avancée du continent vers les États-Unis d’Afrique est perçue
par eux comme un recul pour les Nations. Le projet des États-Unis
d’Afrique peut-il encore résister à la volonté des États à s’accrocher à
leur souveraineté ? La réponse à ce questionnement n’est pas aisée,
d’autant que les crises politiques et économiques qui se succèdent sur le
continent africain poussent de plus en plus les États à se recroqueviller
sur eux-mêmes. Or, la tendance à un repli sur soi recèle en son sein tous
les éléments de nature à désintégrer les communautés régionales et le
continent. C’est pourquoi, il est extrêmement urgent d’interpeller les
dirigeants africains sur l’impérieuse nécessité de décloisonner les pays sur
fond de partage de la souveraineté. Partager aujourd’hui les souveraine-
tés, c’est garantir demain le succès de l’intégration économique et poli-
tique de l’Afrique. Refuser une telle approche, c’est condamner l’Afrique
dans sa posture actuelle de continent divisé, « balkanisé », morcelé et
dans lequel les États se nourrissent de l’illusion d’être dotés de souverai-
netés qui, en réalité, ne sont que des coquilles vides. Car toute souverai-
neté qui n’a ni contenu, ni pouvoir, ni moyen de se défendre, est tout
simplement une illusion. Pourquoi alors s’accrocher à des « souveraine-
tés-illusions » pour empêcher l’Afrique de s’intégrer économiquement et
politiquement ? Qui plus est, que valent ces « souverainetés-illusions »
face aux défis de la mondialisation, de la lutte contre la pauvreté et la
misère, de la lutte contre les endémies et les pandémies ? L’Afrique doit
réussir son intégration économique et politique pour relever tous ces
défis. Le partage des souverainetés nationales apparaît comme une condi-
tion sine qua non pour y parvenir.

L’autosuffisance financière, un impératif pour réussir


l’intégration africaine
Face à l’ampleur ou à l’énormité des déficits en ressources financières
dont souffre l’UA pour réaliser ses multiples projets et programmes,
pour remplir son rôle de prévention et de maintien de la paix et de la
sécurité, et pour acquérir son rôle et sa place dans le monde, la seule so-
lution réside dans la mise à la disposition de l’UA de ressources propres,
stables, substantielles et quasi permanentes. C’est pourquoi, dès
l’avènement de l’UA à Lusaka en 2001, les Chefs d’Etat et de Gouver-
nement, dans leur sagesse, avaient anticipé ce problème et donné mandat
au Secrétariat intérimaire d’alors (qui s’est mué par la suite en Commis-
sion) d’entreprendre une étude afin de doter l’UA de mécanismes généra-
teurs de fonds propres. Cette étude a été réalisée et validée d’abord par

119
des experts indépendants, puis par des experts des Etats membres, et
révisée plusieurs fois pour intégrer ou tenir compte des commentaires
reçus des Etats. Celle-ci a même été complétée d’une étude d’impact
mesurant les effets des instruments proposés sur les économies des pays
africains. Ainsi, tous les enjeux théoriques comme pratiques de
l’introduction de sources alternatives de financement à l’UA ont été ap-
préhendés de manière approfondie.
Toutefois, à l’heure de la décision politique visant à déterminer les
instruments financiers consensuels parmi la gamme d’instruments identi-
fiés par l’étude, on s’enlise dans des débats à n’en plus finir. Et comme
corollaire à ces controverses difficiles à expliquer, la Commission a été
invitée à revoir sa copie en y intégrant des aspects qui sont pourtant sup-
posés être traités pendant la période de transition qui suit le choix des
instruments par les Chefs d’Etat et de Gouvernement. Aux grands maux,
de grands remèdes a-t-on coutume de dire. Si l’on veut que l’UA relève
les défis qui lui ont été confiés, les dirigeants africains doivent absolu-
ment apporter des solutions concrètes à leur intuition de Lusaka. En
effet, en l’absence de ressources propres, la Commission de l’UA ne sera
ni plus, ni moins qu’un simple secrétariat chargé d’organiser les Som-
mets, les conférences ministérielles, les ateliers ou séminaires, tâches que
la défunte OUA accomplissait déjà bien. Dans ce cas, l’Afrique se préca-
risera davantage, se marginalisera davantage, et restera en queue de pelo-
ton de la marche des grandes nations, des grands continents vers le pro-
grès permanent. Les pays africains, pris individuellement, n’ont d’avenir
que dans le succès de l’intégration économique et politique du continent.
Ce succès, à son tour, dépend des efforts que feront les dirigeants pour
doter l’UA de fonds propres, stables, substantiels et quasi permanents.
Le financement extérieur n’est pas la solution au financement de
l’intégration en cours sur le continent. Il est indiqué plus haut que la part
des pays africains dans le financement des programmes de l’Union afri-
caine connaît une baisse continue et persistante. Ainsi en 2015 la part des
partenaires dans le budget-programme est de 98% contre 2% pour les
Etats membres. S’agissant de la totalité du budget de l’Union (Budget-
programme+ Budget de fonctionnement) pour la même période, ces
quotients sont respectivement de 72% contre 28%. Quelles interpréta-
tions ces chiffres laissent-il entrevoir ? Sont-ils le signe d’une Afrique
divisée sur l’essentiel et confinée dans une posture apathique par rapport
à un environnement mondialisé qui ne fait pas de place aux faibles ?
Quelles que soient les réponses, diverses et variées, suggérées par ces
questionnements, il est grand temps que l’Afrique trouve en son sein les
mécanismes du financement de son agenda de développement. L’Afrique
ne peut pas continuer à clamer sa souveraineté, son indépendance – ce

120
qui est fort légitime – vis-à-vis de l’extérieur, et confier son développe-
ment économique au bon vouloir des bailleurs de fonds. Cette situation
paradoxale, voire cette aporie, mérite qu’on lui trouve une réponse dans
un court terme. Car on ne peut pas utiliser l’argent de l’autre et, en même
temps, le défier au nom d’une supposée souveraineté ou indépendance.
L’Afrique peut retrouver sa vraie autonomie, sa véritable souveraineté, sa
vraie indépendance à l’égard de l’extérieur uniquement si elle accepte de
se prendre en charge, et si elle s’engage à trouver, en son sein, l’essentiel
des ressources financières pour mettre en œuvre son calendrier de déve-
loppement. Dans cette perspective, nous estimons que les tentatives déjà
mises en œuvre dans certaines régions ou dans certains pays constituent
des pistes à explorer. Ici, les pays, comme les Communautés Econo-
miques Régionales (CER), sont invités à s’approprier des instruments
identifiés dans le cadre des financements innovants pour générer des
fonds additionnels aux financements traditionnels dont les insuffisances
ne sont plus à démontrer. La conférence des Chefs d’ Etats et de Gou-
vernement tenue en Janvier 2015 à Addis Abeba a adopté des voies de
financement autonome, voire de fonds propres pour l’UA et ses diffé-
rents organes (cf. Annexe 3). Mais nous osons croire que celles-ci ne
seront pas, encore une fois, rangées dans les tiroirs.
Pour ce faire, les Africains doivent cesser d’avoir une perception né-
gative des prélèvements ou taxes. Se fonder uniquement sur la théorie de
Laffer32 qui stipule « que trop d’impôt tue l’impôt » peut signifier
d’interdire à l’Afrique l’usage de certaines ressources fiscales. L’art ici
consiste à prélever des taxes infinitésimales, avec l’impact le plus faible
sur l’activité économique. Ce type d’imposition est censé être juste socia-
lement et efficace économiquement. Les partisans ultralibéraux de
l’économie de marché soutiendront que ces taxes, non seulement produi-
ront un impact négatif sur les opérateurs économiques, mais encore,
qu’en tant que signataire de multiples accords internationaux (OMC,
APE,...), l’Afrique ne peut pas lever des taxes au caractère protection-
niste. A cette approche, on peut opposer l’idée que les gains ou les avan-
tages liés à une autosuffisance financière sont inestimables. Ces avantages
sont vitaux, et de nature à conférer à l’Afrique une dignité qui n’a pas de
valeur marchande. Ainsi, nous osons croire que les instruments utilisés
par la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CE-
DEAO) et la Communauté Economique des États d’Afrique Centrale

32 Cf. DANIEL J.-M., (2010), L’auteur illustre l’idée selon laquelle il existe un niveau
optimal de taxation. S’il est dépassé, le produit de l’impôt diminue. La courbe dite
courbe de Laffer, illustre l’idée selon laquelle « trop d’impôt tue l’impôt » ou encore
« les hauts taux tuent les totaux ». Elle part de la constatation que si le taux d’imposition
est nul, l’impôt est nul, mais c’est aussi le cas si le taux d’imposition est de 100%.

121
(CEEAC) peuvent être généralisés à l’échelle continentale. Il est à rappe-
ler que ces deux organisations régionales, par l’entremise des prélève-
ments communautaires, parviennent, depuis quelque temps, à financer
une partie essentielle de leurs projets et programmes.
Enfin, il est à souligner que l’Afrique ne peut pas réussir son intégra-
tion, sous toutes ses formes, sans emprunter les chemins de
l’autosuffisance financière. Car seule l’autosuffisance financière peut lui
permettre de donner corps à tous ses projets intégrateurs et d’affirmer,
sans contrainte, sa souveraineté et son indépendance à l’égard du monde
extérieur. Si la CEDEAO et la CEEAC parviennent à lever des fonds
additionnels à partir de mécanismes simples, pourquoi ne serait-il pas
possible à l’Afrique tout entière de s’approprier ces mécanismes ?
Selon l’adage, « la main qui reçoit est toujours au-dessous de celle qui
donne ». Cette métaphore nous interpelle tous. Elle nous invite à œuvrer
à extraire l’Afrique de cette dépendance structurelle à l’égard de
l’extérieur. L’Afrique est riche. Elle constitue même un scandale géolo-
gique selon certains analystes. Pour apporter une solution efficace et
durable au problème de financement de l’UA, nous voudrions humble-
ment proposer que l’on s’inspire des exemples de financements inno-
vants en cours à la CEDEAO et à la CEEAC où les prélèvements sur les
valeurs imposables des biens importés ont permis de combler significati-
vement leurs déficits en ressources. De même, les mécanismes de finan-
cements innovants, en discussion dans les foras internationaux, comme
les taxes sur les billets d’avion ; une taxe infinitésimale sur les exporta-
tions des hydrocarbures ; un prélèvement sur les polices d’assurance ;
une taxe sur les transactions financières internationales, etc., constituent
des pistes à explorer. L’Afrique ne doit pas rester en marge de ce débat.
Elle doit activement y prendre part pour trouver des voies innovantes de
nature à doter l’UA des ressources suffisantes lui permettant de se sous-
traire à la dépendance extérieure et de financer la mise en œuvre des pro-
jets et programmes intégrateurs régionaux et continentaux. L’affirmation
de l’indépendance et de la souveraineté est aussi à ce prix.

Ce qu’il faut faire pour que l’Agenda 2063 soit une réalité
En premier lieu, nous estimons qu’un changement radical, voire une
rupture fondamentale, doit s’opérer dans la gouvernance des CER et des
organes de l’UA, acteurs essentiels dans la mise en œuvre des projets
intégrateurs. Ici, nous voudrions pointer du doigt les mécanismes de
prise de décision dans lesdites instances. Depuis leur création
jusqu’aujourd’hui, ces organisations sont caractérisées par le principe de
l’unanimité, voire du consensus, dans leur processus de prise de décision.

122
Ce principe de l’unanimité, à son tour, s’incruste dans celui de
l’indépendance et de la souveraineté des États membres. Ici donc, les
sujets qui fâchent sont prudemment évités ; on se caresse mutuellement
dans le sens du poil ; on coopère « intelligemment » en gardant intacte la
souveraineté de chaque État ; on refuse de s’engager dans l’adoption des
Décisions, des Protocoles et des initiatives dont la mise en œuvre est
susceptible de porter un préjudice quelconque aux souverainetés natio-
nales encore jalousement préservées. A la vérité, une telle approche con-
tient d’énormes limites. Elle maintient les pays dans les strictes relations
de coopération et, de facto, les empêche de faire le moindre pas vers
l’intégration. Car l’intégration, pour connaître du succès exige que les
pays candidats à ce processus acceptent d’aliéner une partie ou tout de
leur souveraineté individuelle. Ainsi, la démarche de prise de décisions à
l’unanimité ou de façon consensuelle empêche les États de faire le saut
qualitatif requis dans la voie de l’intégration économique et politique.
Au demeurant, si l’on veut donner à l’Agenda 2063 ses chances de
succès, il est impératif que l’on change le mode de prise de décision dans
les organisations chargées de conduire la mise en œuvre des projets inté-
grateurs. L’innovation en la matière peut consister à opter soit pour une
majorité qualifiée pondérée avec la taille de la population (comme c’est le
cas aujourd’hui à l’Union européenne), soit pour un droit de vote au pro-
rata des montants des contributions statutaires. Il convient de rappeler
pour mémoire, que la Société des Nations (SDN) fut paralysée par le
principe d’unanimité, qui était au cœur de sa gouvernance. C’est pour-
quoi pour remplacer la SDN qui avait failli à sa mission au cours de
l’entre-deux-guerres, des dispositions ont été prises pour que la nouvelle
organisation (l’actuelle ONU, fondée par la Charte de San Francisco si-
gnée le 26 juin 1945) soit dirigée par un directoire de grandes puissances,
membres permanents du Conseil de Sécurité et disposant d’un droit de
véto. Les pays concernés sont : les États-Unis, l’ex-URSS (actuelle Rus-
sie), le Royaume Uni, la France et la Chine. Le rôle du Conseil de Sécuri-
té (15 membres depuis 1966) est prépondérant pour les questions de
maintien de la paix et de la sécurité. Il peut prendre des résolutions qui
imposent des obligations aux États. Il peut également adopter à la majo-
rité des mesures plus ou moins contraignantes qui sont des « décisions ».
Dans le même souci de rendre les mécanismes de prise de décision
plus efficaces, il convient de retenir qu’à l’Union européenne, l’Acte
Unique (1986) requiert l’extension du vote majoritaire (majorité qualifiée)
au sein du Conseil des ministres, notamment pour toutes les questions
essentielles, particulièrement celles relatives à la réalisation du Grand
Marché. Ici donc, le vote de chaque État est pondéré selon la taille de sa
population. L’idée est de mettre un terme aux discussions interminables

123
imposées par la règle de l’unanimité qui n’était plus tenable avec plu-
sieurs pays. L’intérêt d’une telle démarche est de chercher à améliorer
l’efficacité de la prise de décision. Le « droit de véto » est même préservé
pour les adhésions et pour les questions fiscales. En Europe donc, l’on
cherche un équilibre entre l’approfondissement de l’intégration et
l’amélioration de la gouvernance.
Les exemples ci-dessus (loin d’être exhaustifs) sont la preuve que la
gouvernance actuelle de l’UA et de ses organes, ainsi que celle des CER,
méritent de faire l’objet de profondes mutations. Il s’avère donc impéra-
tif de mettre fin aux débats interminables, et parfois sans issue, pour con-
férer plus d’efficacité aux mécanismes de prise de décisions. Une telle
réforme s’impose comme l’une des conditions sine qua non au succès de la
mise en œuvre de l’Agenda de développement 2063. Si, en revanche, l’on
pratiquait la politique de l’Autruche en ne l’appliquant pas, le nouvel
Agenda de développement s’apparenterait à une simple vue de l’esprit,
sans lendemain.
Par ailleurs, l’Agenda 2063 peut être structurellement handicapé dans sa
mise en œuvre si l’Afrique n’évolue pas de la simple coopération à
l’intégration. En d’autres termes, si les pays africains ne passent pas de la
coopération à l’intégration, l’Agenda 2063 prendra l’allure d’un projet mort-
né. Passer de la coopération à l’intégration, c’est transférer des compétences
des États vers les organisations régionales ou continentales. C’est aussi alié-
ner une partie ou tout des souverainetés nationales pour la réalisation des
projets intégrateurs. C’est enfin prendre des initiatives à but intégrateur et les
traduire dans la réalité. Les projets comme l’union douanière ; le marché
commun ; l’union économique ; l’union économique et monétaire ; les
sources alternatives de financement ; la production et la validation des statis-
tiques ; le parlement panafricain élu au suffrage universel direct ; la défense
commune etc. sont de la graine des projets dont la mise en œuvre est subor-
donnée à la dynamique du partage des souverainetés. Et c’est ce genre de
projets qui rend visible le processus d’intégration et lui confère toutes ses
lettres de noblesse. Refuser de réaliser ces types de projets, c’est préférer la
coopération à l’intégration ou encore privilégier « l’inter-gouverne-
mentalisme », voire le « souverainisme », au détriment du « supranationa-
lisme ». Une telle situation nous amène à conclure que les États-Unis
d’Afrique, modèle d’intégration cher à Nkrumah et adopté par le Sommet
d’Accra en 2007 dans une Déclaration, ne verront jamais le jour tant que le
principe de supranationalité ne sera pas la règle, et l’inter-gouver-
nementalisme l’exception. Le principe de supranationalité doit être le socle
de tous les projets et éclairer les mécanismes de leur mise en œuvre. Car il
favorise l’éclosion d’institutions dont les décisions ont une valeur contrai-
gnante pour les États membres.

124
Deuxièmement, nous croyons qu’une autre valeur ajoutée de l’Agenda
de développement pour les 50 prochaines années devrait résider dans
son mode de financement. Car, quelle que soit la qualité d’un projet, si
l’on ne dispose pas de sources de financement prévisibles, substantielles
et pérennes pour le mettre en œuvre, celui-ci sera à coup sûr repoussé
aux calendes grecques. Les initiatives antérieures, comme le Plan
d’Action de Lagos (1980), le Traité d’Abuja (1991), le NEPAD (2001) et
les programmes majeurs de la Commission de l’UA comme le Pro-
gramme pour le Développement des Infrastructures en Afrique (PIDA),
le Programme Minimum d’Intégration (PMI), le Programme Détaillé
pour le développement de l’agriculture en Afrique (PDDAA), etc. ont
connu l’amère expérience de ne demeurer que sur la table à dessin. Ils
ont encore d’énormes difficultés à passer le cap, pour enfin devenir une
réalité. Le grand paradoxe étant que les projets intégrateurs enregistrent
une croissance quasi exponentielle, alors que les sources domestiques
pour leur financement se tarissent. La dépendance accrue de l’UA et de
ses organes vis-à-vis de l’extérieur comme indiqué plus haut en est une
illustration assez édifiante. Si cette tendance persistait dans le temps et
s’amplifiait, l’Agenda 2063 ressemblerait, à l’identique, aux initiatives
antérieures qui ne se sont valorisées que dans les archives. Le défi du
financement ne peut être relevé que dans l’adoption courageuse des mé-
canismes générateurs de fonds propres que symbolise le projet des
sources alternatives de financement de l’UA lancé depuis 2001 au Som-
met de Lusaka (Zambie) et qui rencontre, jusqu’à ce jour,
l’incompréhension de la plupart des États membres.
En troisième lieu, nous sommes d’avis que l’Agenda 2063 doit par ail-
leurs viser à construire l’identité africaine qui a été profondément enta-
mée par les faits coloniaux et la balkanisation du continent. Car un autre
élément du succès de l’intégration serait l’éclosion, voire l’affirmation, de
la citoyenneté africaine. L’Agenda 2063 doit donc comporter des disposi-
tions susceptibles d’irriguer les ferments de l’identité africaine dans les
pays, les régions et le continent. Ces aspects peuvent être pris en compte
dans les programmes de l’éducation nationale, dans les projets de forma-
tion ciblée ou dans les programmes des médias nationaux ou régionaux.
Le processus de construction de l’identité africaine, solution aux nationa-
lismes et aux tribalismes de tout genre, est donc de nature à produire un
effet d’entraînement abyssal sur la réalisation de la vision de l’Afrique
que porte l’Agenda 2063.
Quatrièmement, l’Agenda 2063 gagnerait en crédibilité s’il se nourris-
sait de dispositions invitant les pays africains à pratiquer la libre circula-
tion des personnes, des biens, du capital et des services qui constitue un
des signes les plus visibles de l’intégration réussie. Or, jusqu’à ce jour,

125
seul l’espace de la Communauté économique des États de l’Afrique de
l’Ouest (CEDEAO) pratique la libre circulation de ses ressortissants en
son sein. Les Africains, acteurs du processus d’intégration, doivent jouir
pleinement du droit d’aller et de venir à l’intérieur du continent. Le mi-
grant africain, comme nous le soulignions plus haut immigre avec son
savoir, son savoir-faire, son expérience, son expertise, son talent, sa force
de travail et parfois même avec ses capitaux. L’Agenda 2063 doit con-
duire à supprimer tous les obstacles qui privent l’Afrique des atouts et du
bénéfice de la migration des Africains en Afrique. Ces migrants africains
en Afrique sont des vecteurs potentiels de la mise en œuvre de cet Agen-
da. Libérer le potentiel du dividende de la migration des Africains à
l’intérieur de leur continent doit donc constituer l’une des meilleures
valeurs ajoutées de l’Agenda 2063.
En somme, nous partageons la volonté politique qui requiert
l’avènement d’un nouvel Agenda qui devrait éclairer l’Afrique tout au
long des 50 prochaines années. C’est une initiative à saluer d’autant
qu’elle constitue une rampe de balisage, voire des garde-fous pour
l’Afrique dans sa marche vers le progrès. Toutefois, nous persistons à
penser que si le nouvel Agenda ne se démarque pas des initiatives anté-
rieures par sa gouvernance, son mode de financement ou ne s’appuie pas
sur le principe de la supranationalité, il risque fort d’être frappé d’apathie
et d’être repoussé, à son tour, aux calendes grecques.
La construction de la Communauté Économique africaine prévue au
stade final de la mise en œuvre du Traité d’Abuja est un projet noble et
historique pour les populations africaines. Cette étape ultime du Traité
d’Abuja symbolise donc l’avènement d’une Afrique économiquement et
politiquement intégrée. Une telle Afrique rêvée de tous, deviendrait alors
une réalité. Mais que d’obstacles restent encore à surmonter ! Que de
chemin reste encore à parcourir ! Et pour cause. Des contraintes ma-
jeures à caractère politique et économique persistent sur la voie de
l’accomplissement de cette Afrique du rêve collectif des Africains. Toute-
fois, nous demeurons optimiste à l’idée de voir ce rêve éclore dans un
proche avenir en raison de l’immensité des ressources de tout genre dont
dispose l’Afrique d’aujourd’hui. La mise en œuvre des politiques et stra-
tégies fondées sur le partage des souverainetés, la libre circulation des
Africains à l’intérieur de l’Afrique, l’identification des mécanismes in-
ternes générateurs de ressources financières prévisibles, substantielles et
pérennes, l’intégration des décisions prises à l’échelle régionale et conti-
nentale dans les législations nationales, le développement, lato sensu, des
infrastructures de tout genre, et l’avènement d’institutions politiques et
économiques fortes, offrent des gages de succès certain pour le proces-
sus actuel de l’intégration africaine. Aujourd’hui, en Afrique, l’intégration

126
est moins une œuvre technique que politique. Dès lors, avec une volonté
politique effectivement exprimée en actes, et non seulement en paroles,
l’intégration économique et politique du continent se rapprocherait de la
réalité.
La Commission de l’Union africaine a l’obligation historique
d’accompagner les dirigeants africains dans ce processus en assurant,
entre autres, l’harmonisation et la coordination des politiques et straté-
gies élaborées à cette fin. Aussi, est-il extrêmement urgent de revisiter
l’approche de l’intégration régionale. La nouvelle approche de
l’intégration, en privilégiant la viabilisation économique de l’espace ré-
gional, est de nature à stimuler une croissance économique forte et du-
rable, condition sine qua non de la réalisation des objectifs du Millénaire
pour le développement successifs, et à améliorer significativement la
compétitivité des économies régionales et continentales. La nouvelle
démarche pour une intégration régionale réussie doit aboutir à
l’émergence d’hommes et de femmes d’affaires de types nouveaux ou
d’opérateurs économiques africains qui s’aguerrissent d’abord dans
l’espace régional et qui acceptent d’affronter ensuite la compétition in-
ternationale, sans complexe et sans handicap. L’agenda 2063 pour le dé-
veloppement de l’Afrique projet historique dernier-né, de l’Union afri-
caine visant à accélérer le processus d’intégration régionale et continen-
tale s’incruste parfaitement dans cette nouvelle approche d’intégration
régionale. Peut-il permettre d’atteindre ce noble objectif ? En d’autres
termes, peut-il permettre de desserrer les contraintes de nature diverse
qui, jusque-là, obèrent le processus d’intégration régionale et continen-
tale ? Les prochaines décennies nous permettront de répondre à cet im-
portant questionnement.

127
CHAPITRE IV

Le bricolage de la gouvernance

Aujourd’hui tout le monde s’accorde à reconnaître que, si l’Afrique


veut réussir sa transformation structurelle une trilogie s’impose à elle :
ses dirigeants doivent simultanément avoir de la vision, manifester un
leadership et adopter les vertus de la bonne gouvernance. En réalité, tous
les trois maillons de ce triptyque sont des éléments constitutifs de la
gouvernance. Qu’en est-il en Afrique ? C’est un continent en chantier qui
s’évertue quotidiennement pour se soustraire définitivement à la pauvreté
et à la misère. Ainsi se bat-elle par l’entremise de moult initiatives de se
transformer structurellement, pour se positionner efficacement et dura-
blement sur le sentier de la croissance et du développement inclusifs
pour garantir sa stabilité politique et sociale. Mais force est de constater
que tous ces efforts entrepris ne semblent pas produire les résultats es-
comptés. Et pour cause la gouvernance qui entoure la mise en œuvre des
différents programmes de développement ne répond pas aux normes
requises ; ce qui fait dire à nombre d’observateurs que l’Afrique est, de
loin, le terreau de la mal gouvernance. Tout se passe comme si les mal-
versations financières, les détournements de tout genre, la corruption
sous toutes ses formes, les situations de rente de tout acabit s’y étaient
donné rendez-vous. Or, sans la bonne gouvernance, tous les efforts en-
trepris pour réussir la transformation structurelle du continent resteront
vains. Et en dépit de nombreuses campagnes initiées dans tout le conti-
nent pour combattre la mal- gouvernance dans toutes ses manifestations,
celle-ci persiste et fleurit même quotidiennement à certains endroits du
continent. Que faire ? Faut-il rester apathique face à ce fléau ? Ou faut-il
agir pour soit l’éradiquer totalement, soit pour le réduire à sa plus simple
expression pour ainsi minimiser significativement son impact sur le de-
venir de l’Afrique ? Pour notre part, nous estimons qu’ici également il
faut reprendre tout à zéro pour construire la gouvernance en Afrique sur
de nouvelles bases et permettre ainsi aux politiques et stratégies de déve-
loppement qui y sont régulièrement mises en œuvre de produire enfin
tous les résultats attendus d’elle.

Un aperçu succinct du concept de la gouvernance


Le Concept de la gouvernance a déjà fait l’objet d’une littérature
abondante et riche.33 La Banque mondiale, par exemple, se fonde sur six
indicateurs pour mesurer le concept de la gouvernance34. Ces indicateurs
de mesure sont les suivants :
i) Liberté de parole et responsabilité : ensemble d’indicateurs qui mesurent
les divers aspects du processus politique notamment les libertés
publiques, les droits politiques et humains et la mesure dans la-
quelle les citoyens d’un pays peuvent choisir leur gouvernement.
ii) Stabilité politique et absence de violence : plusieurs indicateurs qui mesu-
rent l’estimation par le public de la possibilité d’une déstabilisation
ou d’un renversement non constitutionnel du gouvernement no-
tamment par la violence et le terrorisme intérieurs.
iii) Fonctionnement de l’Etat : il analyse les réponses concernant la qualité
de service public, l’indépendance de la fonction publique vis-à-vis
des pressions et la crédibilité de la détermination des autorités à
appliquer diverses politiques.
iv) Qualité de la réglementation : elle porte sur les politiques qui entravent
le bon fonctionnement du marché comme le contrôle des prix ou
un contrôle bancaire déficient ainsi que la sensation d’une lourdeur
excessive dans les domaines comme le commerce extérieur et le
développement des affaires.
v) Etat de droit : ensemble d’indicateurs qui mesurent la confiance des
citoyens dans les règles sociales et le respect de ces règles. Il s’agit
de la perception publique du niveau de la délinquance, de
l’efficacité et de la prévisibilité du système judiciaire et de la possi-
bilité de faire respecter les contrats.

Selon G. Charreaux35, le concept de la gouvernance est défini comme


l’ensemble des mécanismes organisationnels ou institutionnels ayant
pour effet de délimiter les pouvoirs et d’influencer les décisions des diri-
geants, managériaux ou politiques, autrement dit « qui gouvernent leur
conduite et définissent leur espace discrétionnaire ». A l’instar de D. La-

33 Cf.aokiMasaiko (1996,2001); Banque Mondiale (2003); G.Charreaux (1997,2006)
34 Kaufman D. Kraay A. et Mastruzzi M. (2003)
Pour ces informations complémentaires, voir Djaowey (2009); Sen A. (1999)
35 Charreaux g. (1997): Le gouvernement des entreprises. Théories et faits. Economica

Paris ; cité par D.Labaronne et F.Ben-Abdlelkader (2008)

130
baronne et F. Ben-Abedelkader, nous distinguons deux types de gouver-
nance36 :
i) la micro-gouvernance à laquelle nous associons la gouvernance des
ménages, voire celle des Africains pris individuellement dans leurs
différents métiers, et
ii) la macro-gouvernance ou la gouvernance qui s’appliquent aux pou-
voirs publics.

Nous fondant donc sur ces deux concepts de la gouvernance nous


osons affirmer que la bonne gouvernance, c’est l’affaire de tous et non
des seuls gouvernements. Généralement, quand on parle de la bonne
gouvernance, l’on a tendance à regarder du côté des pouvoirs publics,
voire des seuls dirigeants. Attendre la bonne gouvernance des seuls diri-
geants, c’est vider ce concept d’un pan important de sa substance.
Telle que définie, la gouvernance doit être le guide permanent du
comportement quotidien de tous les Africains. Chaque Africain, dans ses
actions de tous les jours, doit enfourcher le cheval de la bonne gouver-
nance. En d’autres termes, il doit inscrire toutes ses actions, poser tous
ses actes en s’inspirant profondément des vertus de la bonne gouver-
nance. Chaque Africain doit se dire que la bonne gouvernance doit
commencer à son niveau. Et c’est la somme des bonnes gouvernances
individuelles qui doit constituer la bonne gouvernance nationale et con-
tinentale qui, à leur tour, baliseront les actions de l’élite au pouvoir.
Après ce bref rappel du concept de la gouvernance, il est primordial
d’indiquer les pistes à explorer pour garantir le succès de la gouvernance
économique et politique en Afrique. Pourquoi la gouvernance des mé-
nages marche-t-elle ailleurs et ne marche-t-elle pas en Afrique ? Pourquoi
ailleurs la gouvernance économique connaît-elle un succès et sombre-t-
elle en Afrique ? Pourquoi, sous d’autres cieux la gouvernance politique
enregistre-t-elle des résultats appréciables ? Pourquoi la mal gouvernance
politique règne-t-elle en Afrique ? Comment alors inverser la tendance
pour que l’Afrique sorte de la médiocrité de la gouvernance ? Les déve-
loppements qui vont suivre mettront en lumière les thérapies à adminis-
trer au continent africain, pour lui permettre de jouir de tous les bienfaits
de la bonne gouvernance.


36 Cf.D.Lbaronne et F.Ben-Abedelkader (2008) « Transition institutionnelle des pays
méditerranéens et des pays d’Europe de l’Est. Analyse comparative de l’évolution de
leurs systèmes de gouvernance »Revue d’ Economie Politique, REP 118 (5) Septembre-
octobre 2008. Ces deux auteurs font ressortir les aspects quasi extensifs de la micro-
gouvernance et de la macro-gouvernance ainsi que des indicateurs de mesure de ces
deux types de gouvernance.

131
Comment garantir le succès de la gouvernance en Afrique ?
Ici, il est question de fournir tous les éléments, voire tous les ingré-
dients justificatifs de la bonne gouvernance. L’art consiste donc à indi-
quer comment il est possible pour le continent africain d’enregistrer de
bons résultats dans la micro-gouvernance comme dans la macro-
gouvernance, singulièrement dans la gouvernance économique et poli-
tique.

La gouvernance des ménages


L’analyse orthodoxe ne suggère-t-elle pas que l’agrégation de compor-
tements individuels rationnels conduit toujours à l’optimum ? Même si
aujourd’hui cette approche orthodoxe semble être infirmée par la théorie
des jeux par l’entremise du dilemme du prisonnier de A.W. Tucker qui
aboutit à un équilibre de Nash (situation sous-optimale), il faut recon-
naître que le dilemme du prisonnier ne sert qu’à décrire des situations
économiques comme le duopole, et la politique commerciale stratégique.
Ainsi, chaque chef de famille doit pratiquer la bonne gouvernance en
gérant de façon optimale et rationnelle les ressources familiales ; en édu-
quant convenablement les enfants ; en assumant toutes les responsabili-
tés familiales sans aucune défaillance ; même en restant fidèle à son
épouse ; en se dotant du culte du respect de la parole donnée ; en faisant
correctement son travail duquel il tire ses revenus lui permettant de
nourrir sa famille ; en pourvoyant aux besoins de tous ceux qui relèvent
de sa responsabilité ; etc. Aussi doit-il régulièrement payer ses loyers, s’il
ne dispose pas encore d’un pied à terre, pour éviter d’exposer sa famille à
la précarité. Payer régulièrement son loyer doit être une de ses con-
traintes majeures, car le loyer qu’il paye est un des éléments constitutifs
du revenu du propriétaire.
De même, un instituteur, un professeur des collèges et lycées, un pro-
fesseur d’université, doivent faire comme il le faut et dignement leur tra-
vail d’enseignant et d’encadreur de la jeunesse, et de la recherche. Cette
fonction sacerdotale doit s’accomplir avec amour, dans la transparence,
et dans le respect absolu de l’éthique humaine. Aussi, un policier, un
douanier, un gendarme, un militaire, ou un « corps habillé » en général,
doivent-ils se donner à leur tâche dans le strict respect des vertus
qu’exige leur fonction. Leur contribution au respect des valeurs républi-
caines ; à l’instauration, et à la consolidation de la sécurité à l’intérieur des
frontières nationales ; à la défense des frontières du pays ; à la lutte
contre la corruption sous toutes ses formes etc. est extrêmement impor-
tante. Autrement dit, dans son comportement de tous les jours, le
« corps habillé » doit être regardé comme le modèle de citoyen patriote à

132
vulgariser dans tout le pays. Il doit donc exercer cette fonction haute-
ment honorable, avec honneur, fierté, orgueil, courage et bravoure.
Par ailleurs, un infirmier, une sage-femme, un médecin doivent ac-
complir cette autre tâche sacerdotale dans le grand respect de la morale
et de l’éthique humaine. Ici, également, la corruption n’a pas droit de cité.
Car les pauvres comme les riches, dans les hôpitaux publics, doivent
bénéficier de la même attention du corps médical ou du personnel soi-
gnant. Il ne doit pas y avoir une médecine pour les riches et une autre
pour les pauvres. Les médicaments ou les produits pharmaceutiques
fournis par les pouvoirs publics ne doivent pas être affectés à d’autres
fins. Ces produits ne doivent pas emprunter le chemin des cliniques pri-
vées où une partie du personnel soignant exerce son talent.
Quant aux commerçants, ils doivent pratiquer leur métier dans le res-
pect des règles exigées. Ici, le contournement des autorités du « fisc » ou
des douanes doit être banni du comportement des acteurs de cette noble
activité. Surtout les commerçants doivent éviter de se positionner soit en
« offreurs », soit en « demandeurs » de la corruption. La bonne gouver-
nance, ici, consiste à obéir aux contraintes exigées par le « fisc » et les
douanes, et à fixer un prix juste pour les consommateurs.
Dans cette même logique, le magistrat, dans toutes les composantes
de ce corps, doit inscrire toutes ses actions dans la seule logique de dire
le droit. Car il est à retenir que le magistrat rend la justice au nom du
peuple. S’il refusait donc de dire le droit, dans le strict respect de la déon-
tologie de son métier, il insulterait l’intelligence du peuple au nom duquel
il détient le privilège de rendre justice. Ici, la bonne gouvernance consiste
donc, pour le magistrat, à se soustraire de toute influence d’où qu’elle
vienne, pour dire le droit, rien que le droit. Le faisant, il contribue énor-
mément à consolider les fondements de l’Etat de droit auxquels l’Afrique
aspire, et de facto, à la rendre plus attractive pour les investissements di-
rects étrangers, financement extérieur non générateur de dette et dont
l’impact sur le marché de l’emploi est considérable.
Les exemples peuvent se multiplier. Car le principe de la bonne gou-
vernance doit s’appliquer à tous les métiers, voire à tous les corps profes-
sionnels en Afrique. C’est de cette façon que l’on peut amener les admi-
nistrations successives, à la tête des pays, à s’approprier les vertus de la
bonne gouvernance, condition sine qua non du succès de leurs actions.

La gouvernance politique
Pour les hommes politiques au pouvoir et de la minorité, la bonne
gouvernance est synonyme de la primauté de l’intérêt général sur les
agendas privés ; de l’usage rationnel et optimal des ressources nationales ;

133
de la gestion rationnelle des ressources humaines en s’appuyant sur le
mérite dans l’affectation des responsabilités ; de la prééminence du mé-
rite ; de la compétence, sur le népotisme, le favoritisme et le clientélisme ;
de la prédominance de la vérité sur le mensonge ; et de l’épanouissement
constant de l’unité nationale au détriment du tribalisme ou de
l’ethnocentrisme. Ici également, la bonne gouvernance est synonyme du
respect des institutions républicaines dans l’autonomie de l’exercice de
leur mandat. « Un des principaux facteurs du succès futur d’un pays est la
qualité de ses institutions publiques et privées qui elle-même dépend de
ces questions : comment les décisions sont-elles prises, et dans l’intérêt
de qui ? »37 Dans cette perspective, l’interférence des hommes politiques
dans le fonctionnement quotidien des institutions républicaines, suppo-
sées préserver leur indépendance et leur autonomie d’action, doit être
proscrite. Les hommes politiques, qui tenteraient d’influencer le fonc-
tionnement de ces institutions, doivent être dénoncés et sévèrement
sanctionnés. Pour donc éviter toute influence politique dans la vie des
institutions républicaines, la majorité et la minorité politiques doivent
s’entendre pour mettre en place un mécanisme de nomination des autori-
tés de ces institutions, de sorte que celles-ci n’aient pas à renvoyer
l’assesseur à ceux qui ont assuré leur promotion. Le succès d’une telle
démarche contribuera significativement à consolider la démocratie en
Afrique.
Par ailleurs, le respect des institutions républicaines consiste aussi à
éviter les manœuvres visant à tripatouiller les textes fondateurs de la na-
tion, notamment la constitution et le Code électoral dans le but, soit de
se maintenir au pouvoir, soit pour favoriser l’accès des proches au pou-
voir politique. Ces velléités recèlent en leur sein tous les ingrédients sus-
ceptibles de plonger les pays dans l’instabilité politique aux conséquences
indescriptibles sur leur avenir. Ce genre de comportement affaiblit la
démocratie et déstabilise les nations dans leurs fondements.
Les hommes politiques du continent, ceux de la majorité comme ceux
de la minorité, doivent éviter de s’adonner à des calculs politiciens, à des
subterfuges ou manœuvres politiques à l’égard des institutions républi-
caines dont les textes fondateurs ont été consensuellement admis par les
populations de leurs pays. A contrario, ils doivent, au nom de la stabilité
politique et sociale, inscrire toutes leurs actions dans le strict respect des
institutions de la République. Car le respect des institutions républi-
caines, c’est aussi l’autre nom de la bonne gouvernance politique. Aussi,
faut-il noter que la bonne gouvernance politique c’est, également, d’éviter
tout comportement populiste. Les politiciens doivent éviter tout langage

37 Stiglitz J.E. (2006) op.cit

134
populiste et inscrire leur discours dans la logique de la vérité. Selon le
lexique, le populisme « c’est une attitude politique consistant à se récla-
mer du peuple, de ses aspirations profondes, de sa défense contre les
divers torts qui lui sont faits ». Cette définition du populisme laisse en-
trevoir le danger que l’on peut faire courir à un peuple donné si l’on en
use dans une compétition politique. Etre élu sur une base populiste et ne
pas honorer les engagements qui en découlent revient à se foutre du
peuple ; à abuser du peuple ; à pousser le peuple à haïr la politique ; et à
appauvrir le processus démocratique. L’Afrique est en train de poser les
fondements d’une démocratie durable. Les Africains en sont conscients.
Ils sont également conscients des potentialités économiques de leur con-
tinent ainsi que de sa capacité de financement, et sont informés de la
surface financière dont disposent tous les compétiteurs aux différentes
positions politiques. Par conséquent, il est recommandé à tous les politi-
ciens (de la majorité comme de la minorité) d’adopter le langage de la
vérité, et de développer le culte du respect de la parole donnée. Cette
voie, même si elle est jalonnée d’embûches (car pas facile), mérite d’être
empruntée par tous les hommes politiques africains. Ils en sortiront
grandis. L’Afrique en sortira grandie. Les Africains en sortiront épanouis
et prospères. L’assertion « la vérité finit toujours par rattraper le men-
songe » doit donc être gardée, en permanence, dans un coin de la mé-
moire de tous les politiciens de l’Afrique.
Ici, également, la bonne gouvernance c’est avoir les sens de l’honneur
et de l’histoire. En d’autres termes, c’est poser des actes qui honorent et
qui font rentrer dans l’histoire par la grande porte, c’est-à-dire en deve-
nant une référence, voire un repère permanent, pour les générations fu-
tures indépendamment de leurs divergences idéologiques. C’est le cas38
du général de Gaulle pour les Français ; de Kwamé NKrumah, pour les
Ghanéens ; de Modibo Keita pour les Maliens ; de Mao Tsé Toung pour
les Chinois ; de Felix Houphouet Boigny pour les Ivoiriens ; de Nasser
pour les Egyptiens ; de Nelson Mandela pour les Sud-Africains et
l’Afrique tout entière, etc. Ces cas (la liste n’est pas exhaustive) interpel-
lent tous les Africains qui auront à s’asseoir dans les fauteuils présiden-
tiels et les invitent à savoir inscrire leurs actions dans les annales de
l’honneur et de la vraie et grande histoire de l’Afrique.
En outre, les élus locaux, particulièrement les maires des aggloméra-
tions africaines, ont la lourde responsabilité de poser des actions qui
améliorent significativement le niveau et le genre de vie des électeurs. Les
villes admirées par tous, comme Paris, Madrid, Rome, Genève, Bruxelles,

38 Les exemples, ici, ne concernent que les politiciens qui ont dirigé leurs pays et qui ne

sont plus de ce monde.

135
Washington, Cape Town, Tokyo…, ne se sont pas bâties en un seul jour,
en une seule année ou en une seule décennie. Ces villes constituent
l’œuvre de plusieurs générations, de plusieurs administrations qui se sont
succédé, des équipes communales successives… Chacune des équipes,
chacune de ces générations, chacune de ces administrations, a eu à ap-
porter sa pierre à l’édifice ; a eu à apporter sa touche selon ses goûts,
selon sa vision de l’urbanisme et selon les contraintes financières, admi-
nistratives, politiques, humaines, scientifiques et technologiques de son
temps. Peut-il en être autrement pour les pays africains ? Les villes afri-
caines, les communes africaines, peuvent-elles se soustraire à cette lo-
gique du développement urbain ? Les élus locaux en Afrique doivent-ils
échapper à ce devoir générationnel ? N’ont-ils pas le devoir ou
l’obligation d’apporter leur touche contributive à l’épanouissement de
leurs cités ?
Les villes, que nous admirons tous, sont les résultats, voire
l’agrégation des valeurs ajoutées, des équipes communales successives.
Les élus locaux, les conseils municipaux dans les pays africains doivent
inscrire la mise en œuvre de leurs mandats dans un tel élan constructif.
Ici la bonne gouvernance équivaut à traduire dans les faits les pro-
grammes pour lesquels ces conseils ont été élus ou mis en place. Au
terme de leurs mandats, les populations doivent être capables de mesurer
les résultats. Ces résultats doivent être visibles, voire tangibles et mesu-
rables. Les électeurs doivent pouvoir saisir l’impact de ces résultats dans
l’amélioration de leur niveau de vie et de leur genre de vie. Les équipes
municipales doivent donc ajouter et non soustraire ou détruire l’acquis
des équipes précédentes. Si les équipes municipales s’appropriaient cette
dynamique qui fait l’admiration des villes modernes d’aujourd’hui, les
villes et les quartiers des pays africains s’épanouiraient davantage. Pour y
parvenir, elles doivent être contraintes par les électeurs à travers les
urnes. Les électeurs doivent donc donner un sens à leurs bulletins de
vote en renouvelant les mandats des équipes performantes et en sanc-
tionnant celles qui ne le sont pas. Ces bulletins de vote, le verdict des
urnes, doivent constituer une menace potentielle permanente pour les
équipes communales. Cette menace potentielle est de nature à les amener
à réaliser leurs nombreuses promesses, à respecter leurs électeurs, et à
quitter le camp du mensonge pour regagner celui de la vérité.
Par ailleurs la bonne gouvernance politique requiert que l’opposition
ou la minorité soit associée à la gestion des dossiers d’importance capi-
tale pour les pays. En d’autres termes, les majorités au pouvoir doivent
impliquer les minorités dans les missions où l’on traite des questions
relatives à la vie des pays. C’est une manière d’assurer la transparence et
la fluidité de l’information, et d’emmener les minorités à avoir de

136
l’expérience dans l’éventualité de l’exercice futur du pouvoir politique.
L’on doit ainsi associer les oppositions dans les missions auprès des insti-
tutions de Bretton-Woods. Dans les Sommets de l’UA et des CER, les
oppositions doivent faire partie des délégations des pays, d’autant que
l’expérience acquise à ce niveau est capitale pour la gouvernance poli-
tique et économique. Car être au pouvoir d’abord, avant de chercher à
s’émanciper de la pratique au sein de ces institutions comporte des
risques d’un amateurisme aux lourdes conséquences pour les pays.

Éviter d’ériger les pays africains en des républiques de « C’est


notre tour de ... »
« C’est notre tour de manger », « c’est notre tour de nous enrichir »,
« C’est notre tour de régner », entend-on-dire çà et là dans certains pays
où le tribalisme fleurit sans relâche. La construction des nations afri-
caines unies, solidaires, prospères et apaisées requiert que l’on se départît
de ces genres de slogans. Dans cette même logique, l’on doit également
mettre fin aux clubs tribaux ou régionaux dans nos pays. Ces types de
clubs portent en leur sein tous les ingrédients de la division, du tribalisme
ou de l’ethnocentrisme. L’Afrique, telle que nous la désirons tous, ne
peut pas se construire dans un environnement panafricain dominé par les
« c’est notre tour de… » et par les clubs aux dimensions tribales ou reli-
gieuses. La diversité culturelle ou la pluralité ethnique doit être moins un
facteur de division et de conflits qu’une source de richesse pour
l’Afrique. C’est pour éviter ce genre de slogans ou de clubs que nous
proposons que le marché politique dans les pays africains soit occupé par
seulement deux grands partis politiques ou deux grandes familles poli-
tiques de type gauche et droite (Voir supra). Ce duopole politique pré-
sente l’intérêt d’éviter le multipartisme intégral aux relents tribaux ou
religieux et porteurs potentiels de conflits de tout acabit. Les partis poli-
tiques ont le devoir, voire l’obligation, de former et d’éduquer leurs mili-
tants en leur enseignant les vertus de la République et de l’unité natio-
nale. Car seule une éducation permanente, conduisant les militants à
s’approprier ces vertus et à les promouvoir, est de nature à inhumer les
slogans et les clubs générateurs de division et de tribalisme.

Faire de la politique en s’unissant autour des valeurs fondatrices


des États-Nations
L’art ici consiste à nouer une alliance sacrée autour des domaines qui
fondent les nations. Il s’agit de l’unité, de la défense des frontières, de la
sécurité des personnes et des biens, de l’éducation, de la santé et de
l’épanouissement du pays à l’intérieur comme à l’extérieur. Au niveau du

137
développement de ces domaines (la liste n’est pas complète), les acteurs
du marché politique doivent éviter de s’adonner à l’hypocrisie politique.
Dans cette perspective, les discours non constructifs sont à écarter. Il en
est de même des critiques creuses dénuées de tout sens et de toute valeur
ajoutée. Ici, les oppositions africaines sont invitées à soutenir les actions
gouvernementales par l’entremise de propositions claires, profondes,
riches et faciles à mettre en œuvre. Ainsi, les oppositions ou les minorités
doivent éviter des comportements visant à rejeter systématiquement,
sans aucune analyse sérieuse préalable, les propositions des Partis au
pouvoir visant à promouvoir les domaines déjà évoqués. L’unité natio-
nale ; la défense nationale ; la sécurité des citoyens et de leurs biens ;
l’éducation de la jeunesse ; la santé des citoyens… ; constituent des en-
jeux que l’on doit ôter du cadre de la politique politicienne, terreau de la
mauvaise foi, des contre-vérités, et des contradictions stériles. A contra-
rio, ces enjeux doivent constituer des secteurs devant symboliser l’unité
sacrée des Africains dans leurs pays respectifs indépendamment de leur
appartenance aux partis politiques, voire de leur coloration idéologique.
Ces enjeux doivent forcer l’entente des Africains. Toute opposition à
l’administration au pouvoir doit se manifester de manière constructive et
intelligente afin d’éviter d’empêcher le développement de l’Afrique, pa-
trimoine commun, voire indivis de tous les Africains.
Par ailleurs, l’unité des nations africaines est tellement sacrée que les
politiciens, toutes colorations confondues, doivent tout mettre en œuvre
pour y veiller comme à la prunelle de leurs yeux. Pour ce faire, quelle que
soit la nature des problèmes à traiter, quelle que soit la nature des in-
compréhensions, quelle que soit la nature des contradictions, les politi-
ciens doivent toujours tourner dos au langage des armes pour privilégier
celui de la langue humaine. Car, comme l’affirmait un célèbre écrivain
africain que nous paraphrasons, « tant qu’il y a une langue dans la
bouche, tous les problèmes humains peuvent trouver un dénouement
heureux ». Autrement dit, avec la parole, tous les problèmes de société,
toutes les divergences d’opinions peuvent trouver une issue heureuse. A
ce propos, la Bible ne nous enseigne-t-elle pas qu’au commencement
était la parole ? Aussi, par rapport à l’unité des nations, les Africains doi-
vent toujours se souvenir de cette citation du Père fondateur de la Côte
d’Ivoire moderne, feu F.H. Boigny, qui aimait souligner dans ses entre-
tiens politiques « je préfère l’injustice au désordre, car l’injustice peut être
corrigée ; alors que le désordre, lorsqu’il se produit, l’on ne sait pas
quand il prendra fin ». Le désordre survenu en Côte d’Ivoire, consécuti-
vement à la rébellion armée qui a éclaté en 2002, constitue une parfaite
illustration de la Pensée exprimée par F.H. Boigny. Car, de septembre
2002 au 11 avril 2011, la Côte d’Ivoire avait connu un arrêt de sa crois-

138
sance et de son développement. Depuis l’éclosion de la crise, toutes les
énergies étaient plutôt consacrées à négocier le rétablissement de l’ordre
pacifique antérieur à 2002. Le pays risque de traîner, encore pour long-
temps, les séquelles de ce désordre. Or, si l’on avait privilégié le dialogue,
la parole, voire le langage de la langue humaine, l’on aurait fait
l’économie de cette crise. Et les sommes colossales consacrées à sa réso-
lution auraient pu servir à financer des projets de développement dont
les résultats auraient permis à la Côte d’Ivoire de franchir des étapes dé-
cisives sur le chemin de son développement économique et social.

Eviter les alternances démocratiques douloureuses


Nous notons avec satisfaction que l’Afrique est, de manière irréver-
sible, engagée sur la voie de la démocratisation totale. Le véritable défi
auquel elle doit faire face aujourd’hui est de tout mettre en œuvre pour
que les changements de régime, voire les alternances démocratiques fu-
tures, se fassent paisiblement sans la moindre contestation. Ce challenge
majeur est à la portée du continent. A condition que l’on joue franc jeu,
et que l’on n’use pas du tribalisme et de la religion pour la conquête du
pouvoir politique. De même, à condition que les armées, garantes de
l’intégrité des frontières et de la sécurité des personnes et des biens, ac-
ceptent de jouer leur rôle sans la moindre interférence dans les affaires
politiques, domaines réservés aux professionnels de la politique. Par con-
séquent, nous proposons que l’usage du tribalisme et de la religion dans
la conquête du pouvoir politique soit proscrit. Cette proscription doit
être concrétisée par une loi, prévoyant des peines et autres formes de
sanctions à tout politicien, à tout religieux qui en userait dans l’exercice
de ses fonctions. Par ailleurs, nous proposons que le marché politique
dans les pays africains soit dominé par deux grands partis politiques : l’un
se fondant sur les valeurs de la droite, et l’autre sur les valeurs de la
gauche comme c’est le cas aux États-Unis et en Grande- Bretagne. Si
toutes les sensibilités politiques pouvaient s’articuler autour de deux
grandes forces politiques, cela permettrait d’éviter les implications triba-
listes et religieuses dans la vie politique des pays africains. Les exemples
américain et britannique sont donc assez édifiants en la matière. Nous
avons profondément foi en ce que, dans un pays où co-existent plus de
soixante groupes ethniques et où les relations religieuses sont quelque
peu conflictuelles (de par le fait des politiciens), un marché politique par-
tagé entre deux principaux acteurs (modèle droite-gauche) serait l’unique
voie permettant d’éviter les conflits tribaux et religieux. Naturellement, à
condition qu’un travail foncier conséquent soit fait au niveau de
l’électorat autour des vertus de la gauche et de la droite, et non sur fond

139
d’appartenance ethnique ou religieuse. Nous suggérons que des référen-
dums soient organisés à cette fin pour permettre aux peuples africains de
se prononcer sur ce couplage gauche/droite qui devrait désormais domi-
ner les marchés politiques dans nos pays.
Par ailleurs, nous estimons que, pour consolider la démocratie en
Afrique, une des pistes à explorer réside dans l’abrogation de la transhu-
mance politique au niveau des Assemblées nationales. Il faut donner à la
démocratie africaine toutes les chances de son épanouissement. Un des
dangers qui guettent les démocraties naissantes, voire les jeunes démo-
craties, réside dans la transhumance politique des parlementaires. Se faire
élire sous la bannière ou sous les auspices d’un parti politique donné et le
quitter pour rejoindre un autre parti au cours de la législature est un
comportement à interdire par une loi. Car cette transhumance est de
nature à fragiliser les démocraties ; à affaiblir les oppositions et à faire
basculer les pays dans le camp de la dictature ou de la pensée unique.
Dans la loi visant à proscrire le comportement des transhumants oppor-
tunistes, il faut souligner clairement que tout parlementaire, qui se com-
porterait ainsi, perdrait systématiquement son titre de parlementaire et, de
facto, son immunité parlementaire.

Repenser les systèmes politiques africains


C’est un secret de polichinelle que le tribalisme, sous tous ses aspects
(ethnie, race, couleur, etc.), menace d’implosion non seulement les États
hérités de la colonisation, mais, encore, handicape véritablement les insti-
tutions sous-régionales dans leur marche vers des objectifs intégrateurs.
Une telle menace est beaucoup plus visible depuis que les pays africains,
nolens volens, ont commencé à expérimenter les vertus de la démocratie
grecque. La tentative d’adoption du jeu politique occidental a eu pour
corollaire de raviver les réflexes tribaux au point de remettre en cause les
frontières héritées de la colonisation et de fragiliser durablement les États
qui en sont issus. Cette situation, aux contours indéfinissables, invite
donc à reposer la problématique du type de démocratie qui convienne à
l’Afrique, et à examiner subséquemment la structure d’État qui
s’accommode, au mieux, de la configuration culturelle des pays africains.
Les limites de l’application de la démocratie occidentale exigent que les
problématiques déjà évoquées ne soient pas du domaine des tabous. A
contrario, elles méritent de faire partie des préoccupations quotidiennes
des politologues, chercheurs, universitaires, et, plus particulièrement, des
experts de la sociologie politique en Afrique, afin de leur proposer des
solutions adaptées. Si, pour une raison ou une autre, l’intelligentsia afri-
caine adhérait à la politique de l’autruche à l’égard de ces questions,

140
celles-ci rebondiraient continuellement et, de facto, porteraient d’énormes
préjudices à la stabilité politique et sociale du continent africain. Cet ab-
cès, véritable épée de Damoclès, voire menace potentielle permanente,
doit être crevé en ce début du millénaire en cours, pour être vidé de sa
substance venimeuse. Ceci permettrait alors à l’Afrique de connaître des
démocraties dans des structures d’État qui s’incrustent profondément
dans ses valeurs ou cultures originelles. L’intérêt de notre réflexion réside
dans le fait qu’elle se propose d’exhumer un débat que l’on croit enseveli,
mais qui a retrouvé ses lettres de noblesse dans les insuffisances de la
mise en œuvre de la démocratie occidentale dans une Afrique reconnue
pour sa diversité et pour sa pluralité culturelles. Les propos qui vont
suivre ne sont ni exhaustifs, ni à l’abri de critiques constructives, d’où
qu’elles viennent. Loin s’en faut. Ils présentent l’intérêt de susciter une
réflexion tous azimuts, susceptible de déboucher sur un projet politique
viable et durable en Afrique.
En premier lieu, il est à souligner que l’avènement de la démocratie
grecque en Afrique, au début des années 90, a ravivé, dans la plupart des
pays qui la constituent, les réflexes tribaux. Cette recrudescence du triba-
lisme, voire de l’ethnicisme, à l’orée de la dernière décennie, a généré et
diffusé, partout en Afrique, le sentiment que la démocratie, à peine ses
premiers pas entamés, y enregistre une impasse. Cette paralysie relative a
laissé libre cours à certains questionnements au sein desquels figurent
ceux qui suivent : Faut-il démocratiser l’Afrique ou plutôt africaniser la
démocratie ? L’Afrique des ethnies, des tribus, des clans, etc., est-elle
conciliable avec la démocratie occidentale ? Faut-il, au contraire, tout en
développant les invariants qu’une démocratie digne de ce nom doit con-
tenir, encourager des démocraties qui reflètent la configuration culturelle
du continent ? Des réponses variées et multiples, intimement liées à la
coloration idéologique de leurs auteurs, peuvent être apportées à ces
différentes interrogations.
Pour notre part, l’application intégrale en Afrique de la démocratie
occidentale demeure un idéal. Ceteris Paribus, le succès d’une telle opéra-
tion produirait d’importants effets induits positifs sur l’épanouissement
du continent. Mais, en réalité, les nombreux renouvellements
d’échéances électorales qui ont eu lieu, depuis 1990, montrent clairement
que la démocratie occidentale est difficilement compatible avec l’Afrique.
Et pour cause, les votes, qui ont été jusque-là exprimés, ont été, dans le
temps et dans l’espace, tous marqués par l’emprise ethno-tribale. Pour
mémoire, il convient de noter que la démocratie, telle qu’elle est perçue
de nos jours, demeure une création occidentale née en Grèce dans
l’Antiquité, probablement au Vème siècle. À l’époque, Athènes était peu-
plée de 400.000 habitants au sein desquels figuraient 5.000 citoyens de

141
souche, c’est-à-dire des citoyens libres et jouissants de tous leurs droits.
Dans la démocratie grecque, le pouvoir était en réalité partagé par le
peuple. Ainsi, chacun des 5.000 citoyens de souche devait accéder à la
magistrature suprême au moins une fois pendant sa vie. C’est cette dé-
mocratie athénienne que l’Occident a adoptée en la modernisant et en
l’adaptant à son patrimoine culturel, à l’évolution de ses mœurs, des be-
soins de sa population, de ses finalités économiques, etc. En outre, une
telle démocratie, qui connaît des schémas d’application variables selon les
pays, est encore à la recherche de la perfection après plus de deux (2)
siècles d’expérimentation. Ainsi, un examen minutieux du jeu démocra-
tique occidental laisse entrevoir que son accomplissement intégral sous
les tropiques relève d’une gageure. Une telle tentative est rendue encore
plus difficile par l’environnement économico-politico-social qui caracté-
rise l’Afrique.
D’abord, l’on peut évoquer l’analphabétisme, la pauvreté, voire la mi-
sère, qui constituent le lot quotidien de la majorité des Africains. De tels
facteurs sont assez significatifs de la difficulté à expérimenter avec succès
la démocratie grecque. Un analphabète, pauvre, voire misérable, connaît-
il le sens du vote qu’il exprime ? Est-il autonome de ses actes sur le mar-
ché politique ? Son vote n’est-il pas troqué contre la perception d’un
pécule permettant de s’assurer une maigre pitance ? Ou bien l’expression
de son vote est-elle orientée par son affinité culturelle avec le candidat
pour lequel il vote ? Les tentatives de réponses à ces questions sont sou-
vent l’objet d’intenses controverses entre partisans et pourfendeurs de
l’application de la démocratie athénienne dans les pays africains. Sans
prétendre y prendre part, nous osons avancer que l’acte du vote est
d’abord déterminé, en Afrique, par le réflexe tribal. Généralement,
l’électeur communique d’abord avec sa tribu avant d’être en relation avec
sa nation. Autrement dit, il « pense d’abord tribu avant de penser na-
tion ». Ce réflexe tribal se retrouve non seulement dans les zones rurales,
mais encore, il devient de plus en plus l’apanage des intellectuels africains
qui pourtant sont censés être les garde-fous de l’évolution des valeurs
démocratiques.
Ensuite, il n’est pas rare que les Africains en général et plus particuliè-
rement les intellectuels africains adhèrent à un parti politique en fonction
de l’appartenance ethnique du leader de ce parti. Certes, des exceptions
existent dans les pays africains dans lesquels l’on a une langue africaine
quasi nationale ou dans lesquels les réflexes tribaux font partie, depuis
belle lurette, des préoccupations quotidiennes des hommes politiques.
Dans ce dernier cas, des politiques ou stratégies adaptées ont été initiées
pour bâtir une dynamique de société débarrassée de toute velléité tribale.
Mais, en général, l’on peut affirmer avec un seuil d’erreur faible que les

142
intellectuels africains opèrent sur le marché politique sous l’emprise de
l’ethnicisme. De même, il est un fait que la popularité de la plupart des
partis politiques nés des cendres de la guerre froide dépend dans une
large mesure de la taille ou de l’importance de la tribu de leurs créateurs
au sein de la population des pays. Ainsi, les leaders des partis politiques,
appartenant à des ethnies minoritaires, ne parviennent pas (ou difficile-
ment) à bâtir une stature nationale, quelle que soit la qualité de leur pro-
jet de société.
Enfin, les faits tribaux ci-dessus évoqués ont été accentués par la fail-
lite de l’État, et surtout par l’émergence ici et là d’un certain fondamenta-
lisme religieux en Afrique. Le marché politique africain est potentielle-
ment disputé par trois types d’État : « le Tribalisme d’État », « le Régio-
nalisme d’État », et « l’État des coreligionnaires ».
En définitive, il est à retenir que l’effet conjugué de tous ces compor-
tements tribaux et religieux offre tous les ingrédients de l’incompatibilité,
dans un horizon temporel encore lointain, de la démocratie occidentale
avec les réalités africaines. Les manifestations de son application forcée
expliquent partiellement les perturbations en cours dans la plupart des
pays africains. Le tribalisme, dans ses développements multiformes dans la
transplantation de la démocratie grecque en Afrique, menace
d’effondrement les États hérités de la colonisation. La tendance à la dislo-
cation de ces micro-États, par le fait de l’ethnicisme, est profondément
préjudiciable aux efforts communautaires d’intégration. Par conséquent,
que faut-il faire pour endiguer le tribalisme qui fragilise, au fil du temps, les
piliers de l’intégration économique et sociale en Afrique ? Faut-il pour-
suivre l’expérimentation de la démocratie athénienne qui pourtant ravive le
tribalisme qui, à son tour, menace d’effondrement les micro-États ? Faut-il
initier des structures d’État qui s’inspirent de la cohabitation pacifique de
tribus, sur une base d’acceptation mutuelle et, de facto, des structures qui
consolident les micro-États, piliers incontournables d’une Afrique inté-
grée ? Plusieurs pistes de réflexion sont explorables dès lors que l’on essaie
de trouver une solution à cette problématique. Pour notre part, nous esti-
mons qu’il est temps que les Africains, au sein des frontières nées de
l’époque coloniale, inventent des structures d’État dans lesquelles les tribus
s’épanouissent en s’enrichissant de leurs différences mutuelles.
Ainsi, dans l’hypothèse où la démocratie grecque aurait du mal à
s’épanouir en Afrique, pour des raisons essentiellement tribales et reli-
gieuses, nous proposerions qu’un nouveau mode de gouvernement y soit
inventé et expérimenté. Ce nouveau schéma gouvernemental, abondam-
ment décrit dans notre ouvrage intitulé « Les Chemins du Développe-
ment de l’Afrique » cf. Kouassi N.R (2008) se fonde sur l’émergence des
« Etats-Régions » à l’intérieur des pays africains.

143
Ce schéma présente, à nos yeux, des intérêts certains susceptibles de
conférer stabilité et sécurité à l’intérieur des Etats hérités de la colonisa-
tion. Ainsi, il permet d’endiguer le tribalisme ; de susciter des coalitions
qui, dans leur renouvellement dans le temps, constituent une pratique
démocratique apaisée ; d’entretenir la pluralité culturelle dans un climat
de cohabitation pacifique ; et d’assurer un équilibre politique et social
durable. La réalisation d’un tel équilibre à l’intérieur d’un « Etat-Région »,
gage de stabilité, est de nature d’abord à favoriser l’intégration de
l’économie nationale, ensuite à produire un effet induit positif sur la dy-
namique de l’intégration régionale et continentale. Dès lors, pour garantir
la stabilité politique et sociale et promouvoir le développement, il s’avère
de plus en plus impérieux d’imaginer, pour la quasi-totalité des pays afri-
cains, une structure d’Etat susceptible de contenir le fléau de l’exclusion
et, de facto, de réussir l’intégration continentale. La démocratie, a-t-on
coutume de dire de l’autre côté de l’Atlantique, est une valeur universelle.
L’universalité qui la caractérise laisse entrevoir qu’elle recèle des vertus
scientifiques, alors que la science (les sciences sociales non comprises)
détient son caractère universel de ce que, par exemple, 2 + 2 = 4, et cela
dans le temps et dans l’espace. Si la démocratie est universelle, donc
scientifique, pourquoi son développement dans les pays pauvres, et par-
ticulièrement en Afrique, pose-t-il des problèmes ? Pourquoi l’équation
démocratique des pays riches ne se vérifie-t-elle pas sous les tropiques ?
Le fait que la même équation donne des résultats différents selon la zone
d’application montre que la démocratie est du domaine social, et donc
non universelle dans son application à travers le monde. Si les rapports
de forces du moment, favorables à l’Occident, sont tels que celui-ci im-
pose au reste du monde ses valeurs démocratiques, il apparaît aussi im-
portant que l’on soit tolérant et patient à l’égard des pays qui essayent, à
leur corps défendant, d’expurger leur patrimoine culturel pour
s’accommoder de la démocratie occidentale. Au demeurant, en l’état
actuel du niveau de développement des pays africains et eu égard à la
montée du tribalisme chez les intellectuels et les politiciens, il serait sou-
haitable soit d’expérimenter le modèle présenté ci-dessus, soit d’imaginer
un système qui favorise une alternance démocratique sans élections dans
la mesure où les élections actuelles aboutissent à des résultats qui sont
toujours contestés et donnent souvent lieu à des bains de sang. Peut-on
développer un système politique qui conduise à une alternance démocra-
tique, mais sans procéder à des élections générales en Afrique ?
L’expérience, loin d’être utopique, mérite d’être tentée.

144
Éduquer les soldats pour éviter les révolutions de palais
Depuis l’introduction de la démocratie occidentale sur le marché poli-
tique africain, ce continent est en proie à une série de conflits dont les
principaux protagonistes prétendent être des révolutionnaires. Sont-ils
vraiment des révolutionnaires ? Assurément non, si l’on fait une analyse
de proximité des mobiles de leurs entreprises. On pourrait même les
traiter de réformateurs, sans le moindre risque d’erreur. Or, l’on est una-
nime à reconnaître que la philosophie réformatrice n’obéit à aucune lo-
gique objective, voire scientifique. En conséquence, tout adepte de la
politique réformatrice connaît une fonction de préférence toute particu-
lière quant à ses choix pour la communauté à laquelle il appartient. En
d’autres termes, les changements que tout réformateur propose à sa
communauté ne sont que le reflet de ses propres préférences, et par con-
séquent ils diffèrent d’un réformateur à un autre. Le caractère subjectif
des choix individuels enlève donc aux réformateurs leur statut de révolu-
tionnaires, d’autant plus que leurs actions consistent à apporter des re-
touches à l’ordre existant et non à le remettre fondamentalement en
cause. Ceci nous amène à nous questionner sur la nature et les objectifs
du révolutionnaire. Les révolutions, disait Marx, sont les locomotives de
l’histoire. La question essentielle de toute révolution, c’est la question du
pouvoir politique. Le passage du pouvoir de la classe réactionnaire do-
minante, qui freine le développement de la société, à la classe révolution-
naire, s’effectue par une lutte de classes acharnée. Ainsi, la révolution est-
elle la forme suprême de la lutte des classes. Il ne faut donc pas con-
fondre les révolutions sociales avec les « révolutions de palais », les coups
d’État, etc. Ces derniers ne sont qu’un changement violent de l’équipe
gouvernementale, qu’un remplacement, au pouvoir, de personnes ou
groupes appartenant à une même classe, alors que le trait essentiel d’une
révolution sociale, c’est une transformation totale du régime, c’est le pas-
sage du pouvoir d’une classe à une autre. Somme toute, la révolution,
c’est l’arrivée au pouvoir de la classe avancée, progressiste, qui ouvre la
voie à un nouveau développement de la société. Du point de vue de
l’évolution d’une société, la révolution se situe donc à l’opposé du réfor-
misme, voire du révisionnisme39.
Dans le contexte de l’Afrique contemporaine, sont-ils des révolution-
naires ou des révisionnistes ? Cela nous conduit à essayer une comparai-
son avec les conflits qui ont caractérisé d’autres mondes en développe-
ment, particulièrement l’Amérique latine et centrale dans les années 60 et
70. En Amérique latine, la quasi-totalité des meneurs de mouvements de

39 Pour de plus amples informations sur la révolution sociale, le réformisme ou le révi-

sionnisme, voir M. Rosendhal et P. Loudine (1977).

145
l’époque se fondait sur des supports idéologiques précis. Ainsi, l’on a
enregistré une foison d’ismes tels que le marxisme-léninisme, le léninisme,
le maoïsme, le trotskisme, etc. Tous les adeptes de ces idéologies parta-
geaient un dénominateur commun : la détention d’un projet de société
clair pour les populations pour lesquelles ils ont engagé les conflits. De
même, il convient de souligner qu’aucun de ces conflits ne se référait ni à
une religion, ni à une tribu, ni à un groupe ethnique donné. L’objectif
principal qui animait tous ces leaders était de renverser l’ordre politique
existant, qu’ils considéraient comme un obstacle majeur à
l’épanouissement des peuples, afin d’expérimenter leurs projets de socié-
té qui sont intimement liés à leur idéologie politique. Les points
d’ancrage ou les repères de leur lutte ne souffraient donc d’aucune ambi-
guïté, ni d’aucune dérive religieuse ou ethnique. Sans exagération aucune,
on peut même affirmer que les leaders latino-américains avaient une vi-
sion pour leurs peuples ; ce qui corrélativement suscitait l’adhésion de
ces derniers à leur combat politique et aux voies et moyens utilisés pour
la victoire finale.
Qu’en est-il en Afrique ? Les nombreuses luttes armées enregistrées
par le continent obéissent-elles à la philosophie ou à la logique latino-
américaine ? Exception faite de quelques luttes, particulièrement les
luttes pour l’indépendance politique et contre l’apartheid, l’on se perd en
conjectures si l’on cherche à appréhender les mobiles des conflits que
connaît de nos jours le continent africain, surtout après l’effondrement
du bloc socialiste. D’aucuns diraient que les repères sont difficiles à cer-
ner, d’autant plus que notre époque est caractérisée par un monde unipo-
laire où règne sans partage l’économie de marché. Mais cela est-il suffi-
sant pour justifier l’ambiguïté et le flou qui entourent les motivations des
animateurs des conflits armées ou des « révolutions de palais » en
Afrique contemporaine ? Nous sommes enclin à y répondre par la néga-
tive en nous fondant sur l’idée que le contexte d’un monde monopolaire
n’est pas un obstacle à la conception et à l’expression d’une vision socié-
tale claire pour les populations au nom desquelles l’on prétend mener des
luttes armées.
À la vérité, les conflits qui déchirent aujourd’hui l’Afrique, se distin-
guent fondamentalement, à tout point de vue, de ceux qu’ont connus
l’Amérique latine et centrale dans les années 60 et 70. Et pour cause, ces
conflits ne se fondent sur aucune idéologie et, par conséquent, leurs
principaux acteurs ne proposent aucune vision, aucun contre-projet de
société susceptible de procurer espoir et bien-être à leurs peuples. Loin
s’en faut. Tout porte à croire que seuls leurs intérêts privés, ceux de leur
tribu ou de leur groupe ethnique, et ceux de leurs mentors, constituent la
motivation essentielle de leurs actes politiques. Ici, l’accès facile aux ri-

146
chesses de l’État et leur distribution entre les membres de la tribu de-
meurent les principaux motifs du déclenchement des conflits armés en
Afrique. Mais, pour dissimuler cet objectif inavoué, il est fait usage, dans
les « maquis » africains, de discours pseudo-révolutionnaires ambigus et
confus, que la communauté internationale a du mal à décoder.
À la lumière de ce qui précède, il apparaît clairement que les meneurs
de la plupart des conflits qui sévissent aujourd’hui en Afrique sont loin
d’être des révolutionnaires. Ce sont plutôt des réformistes dont l’action
est guidée par la seule satisfaction de leurs intérêts privés, ainsi que ceux
de leur communauté d’appartenance. Pour atteindre cet objectif majeur,
ils sollicitent souvent l’appui des intérêts privés étrangers (les entreprises
transnationales, le monde de la finance internationale, les pays voisins), à
qui l’on promet des marchés considérables en cas de victoire. Cet édifice
révisionniste ou réformiste pour la conquête du pouvoir politique, gage
sûr pour bénéficier de la plus grosse part du gâteau, est généralement
complété par une certaine presse internationale appartenant elle aussi à
de grands groupes privés. Ici, le rôle d’une telle presse est de mobiliser
l’opinion publique internationale en faveur de la rébellion et de ternir
l’image des régimes en place.
L’aboutissement de tous ces actes est la destruction continue de
l’Afrique. Les Africains installent donc eux-mêmes leur continent dans
un cercle vicieux de perpétuel recommencement et l’enlisent, avec l’aide
de l’extérieur, dans le cul-de-sac de la pauvreté et de la misère. La voie
des urnes est la seule qui mérite d’être empruntée par les acteurs poli-
tiques africains. Le chemin de la démocratie grecque est long et jalonné
de nombreux écueils. Mais, avec le temps et la patience, et en privilégiant
les intérêts des peuples, l’Afrique pourra jouir pleinement des bienfaits
de cette démocratie dont l’Occident tout entier a fait, aujourd’hui, une
vertu cardinale de son existence. Les acteurs politiques africains doivent
donc se départir de toutes velléités visant à la militarisation des crises
politiques, nées généralement au lendemain du renouvellement des man-
dats politiques. Les appels aux boycotts actifs, aux boycotts passifs, le
rejet systématique des résultats électoraux, le refus de la voie du dialogue,
le refus du partage du pouvoir par l’entremise de gouvernements d’union
nationale, sous prétexte de proposer une alternative crédible à leurs con-
citoyens, constituent des denrées que les acteurs du marché politique
africain doivent éviter de consommer, au risque de préparer le terreau
des guerres civiles sans avoir les moyens de les endiguer.
C’est pour cela qu’aucun sujet ne doit être tabou, y compris ceux que l’on
range soigneusement de côté pour sauvegarder une unité de façade. Les
intellectuels africains doivent aider à la création de ce mouvement où la
langue de bois n’a pas sa place, et à l’alimenter constamment. Pour ce faire,

147
ils doivent veiller à la mise en place d’une communauté intellectuelle afri-
caine solide qui serve de garde-fou pour éviter toutes dérives totalitaires et
d’exclusion. Les révolutions sans révolutionnaires, l’Afrique n’en a pas be-
soin. Tout ce dont elle a besoin, c’est la paix et le bien-être de ses popula-
tions. Africaines et Africains, offrons donc à notre continent la chance de se
positionner sur le chemin de la croissance et du développement durable, à
travers des actions quotidiennes responsables qui sortent du cadre de
l’épanouissement de nos intérêts privés et de ceux de nos tribus. Ceci est la
planche de salut de l’Afrique que nous aimons tous. Une des voies pour y
parvenir réside, à nos yeux, dans la mise en place, dans les pays, d’une armée
républicaine et la responsabilisation de la jeunesse par l’entremise du déve-
loppement d’une politique éducative débouchant sur le plein-emploi.

La République, rien que la République, doit être le credo des


armées africaines
La défense du territoire de la République et de ses institutions doit
être au cœur du mandat des armées. Toute armée qui se détourne de ce
rôle historique s’érige, de facto, en milice au service du prince. L’armée
républicaine doit s’ancrer dans des valeurs tout aussi républicaines. Ainsi,
le recrutement des soldats, les promotions dans la grande muette, ne
doivent obéir ni au tribalisme ou ethnocentrisme, ni au « coreligionai-
risme ». Les seuls critères à appliquer doivent se fonder sur la citoyenneté
et le mérite. Car si ces vertus ne gouvernent pas l’évolution de l’armée,
celle-ci s’expose aux manipulations de tout genre, susceptibles soit
d’affaiblir l’armée elle-même, soit de favoriser ou de faciliter le recrute-
ment dans ses rangs d’aventuriers pour constituer ou renforcer les rebel-
lions tribales ou réformistes armées.
Par ailleurs, il s’avère extrêmement important d’améliorer constam-
ment les conditions de vie et de travail des militaires qui ont la lourde
responsabilité de défendre les frontières et de protéger les institutions
républicaines. La spécificité de cette tâche, ainsi que les risques encourus
dans son exécution, requièrent qu’une attention particulière soit accordée
aux pensionnaires de la grande muette. De même, il est aussi urgent de
tout mettre en œuvre pour assurer la formation continue des soldats et
de leur hiérarchie. Car, comme le dirait l’autre, un soldat sans formation
constitue un danger potentiel permanent pour la communauté. La for-
mation dans ce segment de la société doit être une des priorités des ré-
gimes républicains. La raison essentielle est que la formation est de na-
ture à enseigner aux soldats les vertus de la République, à enraciner en
eux ces valeurs et, de facto, à les éloigner de toute « révolution de palais »
ou à les associer aux projets nuisibles des politiciens aventuriers.

148
Bâtir des États forts et des institutions fortes
Faut-il un État fort sans démocratie ou une démocratie sans État ?
Cette question apparemment saugrenue, en cette période où la démocra-
tie athénienne s’impose à tous les pays comme une valeur universelle à
partager, mérite tout de même notre attention, du fait du niveau dérisoire
de l’aide au développement, toutes sources confondues, destinés au con-
tinent africain. Pour les besoins de notre analyse, nous taisons volontai-
rement les soubresauts que connaissent les autres flux financiers, pour
nous appesantir sur les flux d’investissements directs étrangers (IDE), en
raison de l’immensité de l’effet d’entraînement qu’ils produisent sur les
économies réceptrices. Les nombreux avantages de nature variée que
procure ce type d’apport extérieur font que tous les pays en développe-
ment déploient des efforts de tout genre, en termes d’équilibre macroé-
conomique, de stabilité politique, de respect des droits humains, de sécu-
rité des personnes et des biens, de justice impartiale, de lutte contre la
corruption, etc., pour se les attirer. Mais il est clair que, si les autres
mondes en développement parviennent à accueillir une part relativement
importante des flux d’investissements directs dont le volume croît consi-
dérablement à travers le monde, l’Afrique apparaît comme un terrain
banni pour ce type de flux. Pourquoi une telle situation ? L’Afrique n’a-t-
elle pas fait suffisamment d’efforts pour bénéficier du suffrage des inves-
tisseurs privés étrangers ? En d’autres termes, tous les facteurs explicatifs
de la mobilisation des IDE n’y sont-ils pas encore réunis ? Bien que des
progrès visibles soient accomplis par la plupart des pays africains, ceux-ci
continuent de souffrir de la pauvreté en investissements directs étran-
gers. Le développement, qui va suivre, permettra donc d’avoir une es-
quisse de réponse aux interrogations susmentionnées, de mieux appré-
hender le fondement de la préférence des détenteurs de capitaux, afin de
mieux apprécier le bien-fondé de celle-ci.
Un État fort offre toutes les conditions requises pour s’attirer les capi-
taux étrangers. Ces conditions tiennent à l’instauration et au maintien de
l’ordre public, à la stabilité politique et sociale, à la sécurité des personnes
et des biens, etc En s’inscrivant dans la logique des États forts, les diri-
geants africains doivent privilégier l’Afrique économique qui s’impose à
eux comme un passage obligé pour positionner le continent sur le sentier
de la croissance et du développement durable. Les développements qui
vont suivre mettent en lumière les mobiles de notre choix.

Pourquoi notre préférence pour un État fort ?


En premier lieu, il convient de noter qu’un État fort, ceteris paribus,
offre toutes les garanties de rentabilisation des capitaux investis. L’État

149
fort maîtrise l’ordre public ; assure la sécurité des personnes et des biens ;
engrange des succès, aussi relatifs soient-ils, contre la corruption ; anti-
cipe toutes les velléités de désordre, de quelque nature que ce soit et d’où
qu’elles proviennent ; imprime une discipline rigoureuse au comporte-
ment quotidien des citoyens ; dispose des moyens pour faire appliquer et
faire respecter les règles du fonctionnement des pouvoirs publics, etc.
Un tel État n’est tout de même pas exempt de tout reproche. Générale-
ment, le reproche émis à l’endroit d’un État fort se loge dans la tendance
à museler la pluralité de l’expression et à se pérenniser au pouvoir, vaille
que vaille. Mais que vaut un tel reproche pour les détenteurs de capitaux
dont l’objectif majeur demeure la maximisation du profit ? De ce point
de vue, la tendance à la marginalisation de la participation populaire à la
vie politique et économique revêt une importance infinitésimale dans
leur décision d’investir dans un pays donné. Tout ce qui importe, ce sont
plutôt les vertus d’un État fort évoquées plus haut qui, de toute évidence,
leur permettront de faire fructifier, sous un ciel apaisé et sécurisé, leurs
capitaux chèrement acquis ou hérités de générations successives de pa-
rents. Ce type d’État se rapproche un peu de la plupart des États afri-
cains avant l’effondrement du bloc de l’Est qui a consacré l’avènement
d’un monde unipolaire dominé par l’économie de marché. L’on observe
aisément que les États concernés ont pu, pendant le règne des régimes
forts et peu favorables à l’expression plurielle, s’attirer des IDE dans des
secteurs variés d’activités et ont pu également développer, à un niveau
relativement acceptable, le capital physique et humain qui manque au-
jourd’hui à la plupart des pays africains.
En deuxième lieu, une démocratie sans État, c’est tout le contraire de
ce qui vient d’être précédemment décrit. En réalité, c’est un État où rè-
gnent : la chienlit, l’insécurité des personnes et des biens ; la corruption
de tout acabit ; une justice partiale, taillée à la mesure du prince et des
hauts fonctionnaires de l’État ; une presse plurielle qui s’adonne à tout
sauf à des analyses pertinentes et constructives ; l’impunité sous toutes
ses formes ; la raison du plus fort ; etc. L’on peut arguer que, dans un tel
État, les investisseurs étrangers peuvent s’y adonner à cœur joie, d’autant
qu’ils peuvent s’accommoder parfaitement de l’environnement décrit
pour accroître leur profit sans payer les impôts et autres taxes, du fait de
la corruption qui y sévit. Si une telle argumentation comporte quelques
bribes de vérité, elle est, à nos yeux, loin de contrebalancer l’attrait que
suscite un État fort, sans démocratie, auprès des investisseurs occiden-
taux. Car, dans un État faible, où règne une certaine démocratie dont la
manifestation frise l’anarchie, les capitaux que l’on investit sont généra-
lement des capitaux flottants, que l’on peut désinvestir sans trop de diffi-
culté à la moindre alerte, ou qui disparaissent facilement lorsque le gise-

150
ment pour lequel ils ont été investis est épuisé. Les capitaux flottants,
dont bénéficie une démocratie sans État, produisent un effet
d’entraînement très limité, voire inexistant, sur l’économie de cet État. La
démocratie sans État est donc synonyme d’un État faible. L’alternance
démocratique y est problématique d’autant que ce type d’État génère en
son sein des germes qui, à terme, conduisent la démocratie à l’abattoir.
Ainsi, dans ce type d’État, fleurissent des sentiments vicieux comme : le
clientélisme, le népotisme, l’ethnicisme ou le tribalisme, le « coreligionai-
risme », le régionalisme, etc. De tels sentiments propagés par certains
leaders d’opinion et admis partiellement ou totalement par l’électorat,
finissent par dénaturer le processus démocratique et par enliser le pays
concerné dans un chaos indescriptible qui, à son tour, élimine ce pays de
l’éventail de choix des détenteurs de capitaux.
En troisième lieu, en nous fondant sur les vertus qu’offre chacun des
États précédemment décrits, et en procédant à un examen de proximité
de ce qui se passe en Afrique, nous osons avancer la thèse selon laquelle
les opérateurs économiques occidentaux préfèrent un État fort sans dé-
mocratie à une démocratie sans État. Le premier leur garantit toutes les
conditions de rentabilisation de leurs capitaux. Ici, ils peuvent diversifier
leurs portefeuilles en effectuant des investissements massifs de long
terme. De même, ils peuvent être assurés de l’épanouissement de leur
propre être, ainsi que de la sécurité de leurs investissements et de l’avenir
de leurs entreprises. Quant au deuxième État, il n’offre guère des pers-
pectives de maximisation de long terme. L’instabilité politique et sociale
potentielle à laquelle il est constamment exposé l’éloigne sûrement des
intentions d’investissement des détenteurs des capitaux de long terme.
Ce qui le prive de sources réelles de croissance économique.
La préférence des investisseurs étrangers pour un État fort, même
sans démocratie, n’est pas, pour nous, une invite au développement en
Afrique de ce type d’État, encore moins une incitation à signer l’arrêt de
mort de la jeune démocratie qui se positionne, lentement, mais sûrement,
sur le sentier de son épanouissement. Ici, nous voulons attirer l’attention
des dirigeants africains sur l’urgente nécessité de réhabiliter le rôle des
pouvoirs publics dans la construction des nations africaines. Un État fort
n’est nullement synonyme d’État qui enterre les valeurs démocratiques.
Loin s’en faut. C’est un État qui joue pleinement et efficacement son rôle
régalien et qui, de façon ponctuelle, donne de l’allant et de l’élan à
l’économie nationale, dans le respect de l’esprit d’une saine compétition
entre les agents économiques. Les investisseurs privés nationaux et
étrangers nourrissent une préférence pour ce type d’État, du fait qu’il
leur offre la stabilité, la sécurité, l’impartialité de la justice, le respect de
l’ordre public, et l’environnement tout court de la valorisation de leurs

151
capitaux. Un État fort profondément ancré dans les vertus démocra-
tiques doit, à nos yeux, constituer la règle à généraliser en Afrique. La
démocratie sans État éloigne non seulement l’Afrique du champ d’action
des investisseurs étrangers, mais encore, dans sa manifestation quoti-
dienne, elle comporte tous les ingrédients susceptibles d’étouffer à jamais
l’évolution démocratique. L’Afrique doit donc adopter un rythme adapté
à sa transition démocratique. Ceci lui permettrait de développer ses éco-
nomies avec un apport extérieur varié et conséquent, de proposer des
emplois durables à ses populations, condition sine qua non de l’élimination
de la pauvreté, de créer des richesses et de les répartir équitablement.
Tout raccourci menacerait d’implosion les frontières héritées de la colo-
nisation, du fait de l’exhumation soudaine des réflexes tribaux depuis
l’avènement de l’expérimentation de la démocratie grecque sur le marché
politique africain et, de facto, appauvrirait davantage les flux
d’investissements directs étrangers destinés à ce continent.
Alors, l’Afrique doit-elle adopter progressivement la démocratie
grecque ? Dans ce cas, elle pourra consolider ses institutions, faire ad-
mettre à la mémoire collective le respect de l’ordre républicain ; extirper
du comportement de ses populations toutes les velléités ethnicistes ou
tribales, par le biais de politiques d’éducation ou de formation efficaces
et dynamiques ; endogénéiser les mécanismes de la dynamique de ses
économies ; s’imposer comme un partenaire crédible dans la gestion des
affaires planétaires ; et enfin mériter la confiance des opérateurs écono-
miques étrangers qui sont en quête permanente d’un havre de paix pour
y développer leurs affaires. Ou bien l’Afrique doit-elle adopter brutale-
ment la démocratie occidentale à son niveau actuel de développement ?
Dans ce cas, elle s’expose permanemment au désordre public ; à des al-
ternances démocratiques douloureuses, du fait des réflexes tribaux, reli-
gieux et autres qui caractérisent la plupart des principaux acteurs poli-
tiques ; à des États dépourvus de toute autorité ; et au développement
d’environnements ou de climats peu propices à la promotion des affaires.
Une telle situation recèle en son sein tous les ingrédients susceptibles de
confiner, pendant longtemps encore, l’Afrique dans le cul-de-sac de la
pauvreté et de la misère.

La gouvernance économique
Ici bien gouverner l’Afrique et les pays africains, c’est mettre en œuvre
des politiques et stratégies visant à procurer le bien-être à toutes les po-
pulations (rurales comme urbaines) africaines. Dans cette perspective,
l’on doit veiller à la juste répartition des fruits de la croissance, ce qui est
de nature à étouffer dans l’œuf toutes les sources de frustration et

152
d’instabilité politique et sociale. Ici, nous souscrivons entièrement à
l’assertion énoncée par Stigliz selon laquelle « si la croissance écono-
mique n’est pas partagée dans toute la société, c’est que le développe-
ment a échoué »40. Autrement dit, la bonne gouvernance économique est
synonyme de l’élaboration et de la mise en œuvre effective d’une poli-
tique économique génératrice de croissance économique forte et durable
qui débouche sur un développement susceptible de répondre aux rêves
de la majorité des populations africaines. Selon l’analyse économique, la
politique économique est un ensemble de décisions cohérentes prises par
les pouvoirs publics visant, à l’aide d’instruments variés, à atteindre des
objectifs précis afin d’orienter l’économie dans un sens souhaitable. Ici,
le mot « souhaitable » revêt tout son intérêt. Doit-on orienter la politique
économique dans le sens de créer une croissance forte et durable ? Dans
le sens d’une juste répartition des fruits de la croissance ? Dans le sens
d’un plein-emploi ? Dans le sens de réduire significativement les inégali-
tés sociales ? Dans le sens d’éviter une fracture sociale ? Dans le sens de
créer ou de développer les opportunités d’enrichissement individuel ? Ou
dans le sens de favoriser les riches en appauvrissant davantage les
pauvres ? Dans le sens de la stabilité des prix ? Ou dans le sens d’un
équilibre extérieur ? Il appartient donc aux pouvoirs publics africains de
trouver un consensus autour de l’axe ou des axes à privilégier et élaborer
une politique économique à mettre en œuvre à cette fin.

Favoriser la mise en place de zones franches urbaines et régio-


nales
Selon le lexique économique, la zone franche est un territoire au sein
duquel les entreprises sont soumises à des charges sociales et fiscales plus
faibles. Une telle politique répond à un double objectif : la résorption du
chômage, et la reconversion industrielle. Dans cette logique, nous propo-
sons que les pays africains soient dotés de zones franches, du moins dans
certaines de leurs villes. L’on pourrait accorder, aux entreprises qui ac-
cepteraient de s’y implanter, aux opérateurs économiques qui accepte-
raient d’y conduire leurs affaires, des exonérations fiscales et sociales
durant dix à quinze ans. Ainsi, ces entreprises ou ces opérateurs écono-
miques peuvent être exemptés de l’impôt sur les bénéfices d’un montant
à déterminer, et de bien d’autres charges à caractère attractif.
Cette politique d’incitation à une localisation des entreprise mérite
d’être expérimentée tant dans les villes que dans les régions. Les résultats
attendus en termes de création d’emplois, voire de réduction de la pau-


40 Stiglitz J.E. (2006)

153
vreté sont certainement considérables. Aussi, faut-il noter qu’une telle
politique est de nature à développer des activités dans les régions dites
enclavées, difficiles ou défavorisées(en améliorant leur attractivité), et à
endiguer ainsi les disparités régionales en assurant une harmonisation du
processus du développement national.

Multiplier les pôles de développement


Un pôle de développement est, selon F. Perroux, constitué par le re-
groupement d’activités caractérisées par une forte accumulation de capi-
tal et des innovations technologiques41. Ces pôles de développement
exercent des effets d’entraînement favorables au développement écono-
mique d’une région, d’une branche industrielle, d’une nation. Ces pôles
aboutissent donc à des déséquilibres dynamiques et se situent dans une
perspective de croissance déséquilibrée. Car pour F. Perroux, il ne peut y
avoir de croissance et de développement sans concentration et expan-
sion42. La multiplication des pôles de développement en Afrique est de
nature à accélérer le processus du développement du continent. La mise
en œuvre d’une politique de zone franche peut y contribuer énormé-
ment. Ici également, les effets d’entraînement escomptés sont immenses.
L’Afrique pourrait réaliser des progrès considérables sur les fronts du
chômage, de l’industrialisation, des inégalités régionales, de l’innovation
technologique, et de l’exode rural.

Faire de l’Afrique économique, le moteur de l’intégration


À première vue, cette question apparaît saugrenue. Mais quand on
conduit une analyse de proximité, on se rend compte à l’évidence que la
question mérite d’être posée, d’autant plus que l’Afrique d’aujourd’hui se
trouve simultanément sur plusieurs fronts, avec comme conséquence la
dispersion de ses moyens et un impact quasi nul de ses actions.
Au chapitre économique, les pays africains ont expérimenté, tant in-
dividuellement que collectivement, plusieurs politiques et stratégies vi-
sant à créer la croissance et à assurer le « décollage » de leurs économies.
Taisons délibérément l’immensité des efforts déployés au niveau national
pour promouvoir la croissance et le développement, pour nous focaliser

41 A. BEITONE, A. CAZORLA, C. DOLLO, A.M. DRAI (2007), Dictionnaire des

Sciences Économiques, ed. Armand Colin, 2ème édition


42 Le pôle de développement se distingue du pôle de croissance. F. Perroux définit le

pôle de croissance comme une combinaison de centres d’accumulation et


d’agglomération de moyens humains et matériels qui exerce, sur son environnement,
des effets d’entraînement favorables à la croissance économique. Cf A. BEITONE, A.
CAZORLA, C. DOLLO, A.M. DRAI (ibid)

154
sur les initiatives transnationales qui ont été essayées, sans toutefois réus-
sir à desserrer, à ce jour, les nombreuses contraintes économiques qui
caractérisent l’Afrique. Des initiatives, comme le Programme des Nations
unies pour le redressement économique de l’Afrique (PANUREDA ;
1986) ; l’Agenda des Nations unies pour le développement de l’Afrique
(UN-NADAF ; 1990) ; l’Acte final et le Plan d’action de Lagos (1980) ; le
Traité d’Abuja (1991) ; la Conférence internationale de Tokyo pour le
développement de l’Afrique (TICAD ; 1993) ; le Dialogue Afrique-
Europe (2000) ; le Nouveau Partenariat pour le développement de
l’Afrique (NEPAD ; 2001) ; l’Agenda 2063 pour le développement de
l’Afrique (2015), en constituent des illustrations assez édifiantes. Toutes
ces initiatives, adoptées dans un enthousiasme parfois débordant, ne sont
pas parvenues à faire de l’Afrique un partenaire économique respecté et
crédible dans la gestion des affaires du monde moderne.
Au chapitre politique, l’Afrique demeure le théâtre de conflits de tout
acabit, malgré les efforts incommensurables de la communauté internatio-
nale et des Africains eux-mêmes pour en faire un havre de paix. La démo-
cratie en Afrique emprunte la voie du tango argentin, ponctuée de renouvel-
lements de mandats électoraux particulièrement douloureux, avec parfois
comme corollaire des vagues de milliers de réfugiés ou de déplacés meurtris
dans leur âme et exposés aux endémies et pandémies de toute nature. Les
révolutions de palais y jouissent encore de lendemains meilleurs. Elles se
métamorphosent régulièrement comme si elles s’accommodaient des exi-
gences de leur temps. Cette métamorphose persistante fait le lit du triba-
lisme ou de l’ethnocentrisme, du régionalisme, du « coreligionairisme » et de
tous les autres « ismes » qui opposent l’Afrique à elle-même et qui fragilisent
quotidiennement son unité et sa solidarité.
Les résultats insignifiants obtenus sur les fronts économique et poli-
tique justifient l’intérêt de notre questionnement initial et constituent une
invite aux dirigeants africains à opérer un choix entre l’Afrique écono-
mique et l’Afrique politique. La dispersion des efforts ayant montré ses
limites, il est temps d’opter pour la concentration des efforts. Sans mé-
connaître les liens intimes qui existent entre le politique et l’économique,
nous suggérons que la part belle soit faite à la croissance et au dévelop-
pement économique, étant entendu qu’en Afrique, les conflits et les dé-
stabilisations de tout genre ne sont que les conséquences connues du
sous-développement structurel et endémique qui constitue le lot quoti-
dien des populations africaines. Aussi, notre préférence se justifie-t-elle
par la forte causalité existant entre la pauvreté et les perturbations, voire
les effervescences politiques que connaît l’Afrique.
Par ailleurs, force est de reconnaître qu’une Afrique économiquement
épanouie et pourvoyeuse d’emplois stables et durables à ses populations

155
est moins exposée aux velléités de tout genre. Sa jeunesse s’offre moins
aux recrutements à but déstabilisateur pour se consacrer aux fonctions
qui feront d’elle l’élite de demain. Une Afrique économiquement déve-
loppée est plus disposée à adopter, de manière irréversible, les vertus de
l’intégration et de l’unité, et à assumer, collectivement et avec détermina-
tion, son destin. Une Afrique économiquement développée est aussi une
Afrique qui connaît une collusion d’intérêts. De ce point de vue, les opé-
rateurs économiques, qui ont bâti des joint-ventures, sont actionnaires ou
obligataires dans les entreprises africaines. Par le jeu donc de la crois-
sance horizontale des entreprises, les intérêts des agents économiques
africains finissent par s’imbriquer les uns dans les autres, ce qui les con-
duit à regarder dans la même direction et à partager les mêmes vertus
pour la défense et la consolidation de leur patrimoine commun. De
même, le partenariat public/privé au plan national, à la faveur de
l’internationalisation des entreprises, finit également par amener les pou-
voirs publics à prendre part à ce jeu de collusion d’intérêts. Et le couron-
nement de toute cette architecture est l’usage, à l’échelle régionale ou
continentale, de la même monnaie. La monnaie unique produit non seu-
lement un effet induit considérable sur la croissance et le développement,
mais elle sert aussi de ciment à l’unité et à la solidarité des populations
africaines.
Notre préférence pour l’Afrique économique s’inspire également de
l’expérience de l’Union européenne (UE). L’UE a d’abord été écono-
mique. Les différents traités et les actes majeurs qui ont fondé sa cons-
truction, à partir de la Communauté européenne du charbon et de l’acier
(CECA, 1951), en passant par le Traité de Rome (1957), la Politique agri-
cole commune (PAC, 1962), l’Union douanière entre les États du Marché
commun (1968), la création du Système monétaire européen (1979), le
Traité de Maastricht (1992), jusqu’à la mise en circulation de l’euro
(2002), illustrent parfaitement le cap économique qui a inspiré les pères
fondateurs de l’UE. Par le passé, les Européens se sont livrés deux
guerres mondiales aux conséquences difficilement descriptibles. Mais
depuis que le cap a été mis sur la construction de l’Europe économique,
avec comme corollaire l’enchevêtrement des intérêts privés et publics, les
velléités guerrières semblent s’être tues à jamais. Dans ce contexte, même
si un régime d’un extrémisme quelconque parvenait au pouvoir et qu’il
tentait d’exhumer la hache de guerre entre nations, le secteur privé
l’interpellerait pour stopper toute aventure guerrière, du fait de la crois-
sance horizontale des entreprises, voire de l’internationalisation des inté-
rêts privés. Les intérêts nationaux ayant débordé les frontières nationales,
ils peuvent donc contribuer à consolider l’entente entre pays et à renfor-
cer l’unité des peuples.

156
L’expérience européenne renforce donc notre conviction quant à
l’attention qu’il faut accorder à l’Afrique économique. Et pour cause, une
telle Afrique est de nature, entre autres, à donner espoir à la jeunesse
africaine, et, de facto, à l’éloigner de toute aventure déstabilisatrice ; à
mettre fin aux conflits tribaux, régionaux ou religieux pour l’accession au
pouvoir politique, considéré comme la voie royale pour accéder aux res-
sources nationales ; à empêcher les pays de servir de base arrière aux
rébellions de tout genre ; à empêcher les extrémistes de tout bord de
parvenir au pouvoir politique ; et à tuer dans l’œuf les tentations expan-
sionnistes ou impérialistes de certaines nations.
La concentration des efforts pour l’avènement d’une Afrique écono-
miquement développée est à réaliser. Cette Afrique-là constituera un
havre de paix, un champ d’espoir et de plein emploi, où les aventures
déstabilisatrices n’ont pas droit de cité. Il semble donc extrêmement ur-
gent d’associer les partenaires au développement aux efforts
d’accompagnement des dirigeants africains dans l’avènement de l’Afrique
économique. Car, très souvent, ces partenaires orientent plutôt leurs ap-
ports sur les conséquences de la pauvreté, les causes étant rarement ci-
blées par leurs agendas d’assistance. Les partenaires doivent opérer de
profondes mutations dans leur comportement, en aidant l’Afrique à
s’attaquer résolument aux causes structurelles de la pauvreté, pour éviter
de se comporter comme des « pompiers ».
La dispersion des efforts sur les fronts politique et économique a
produit des résultats limités. La situation sur ces deux fronts semble être
stagnante. Les contraintes budgétaires qui caractérisent la plupart des
pays africains n’autorisent plus une dispersion des efforts. Les dirigeants
africains sont donc invités à privilégier la construction de l’Afrique éco-
nomique qui, par ricochet, aidera certainement à enregistrer des victoires
sur le front politique. L’accent doit donc être mis sur le développement
économique qui entraînera, dans son sillage, des progrès réels dans les
domaines politiques. L’Afrique doit donc privilégier son développement
économique par l’entremise d’États forts, susceptibles d’instaurer la paix,
la stabilité, la sécurité des hommes et des biens. Toutes ces vertus sont, à
nos yeux, des variables extrêmement importantes dans la création d’un
environnement propice à l’épanouissement de l’homme et à la prospérité
économique, avec tout son cortège de bien-être et d’avantages sociaux.

Faire de l’Afrique un partenaire crédible dans la mondialisation


La position quasi permanente de demandeur de développement qui
caractérise l’Afrique porte plutôt à penser que celle-ci est condamnée à
évoluer à la périphérie du processus de mondialisation. Nous refusons

157
d’adhérer à l’afro-pessimisme sur cette problématique en raison de
l’immensité des ressources dont regorge ce continent. En revanche, nous
osons croire que l’Afrique peut encore s’octroyer de réelles chances pour
arrimer son économie au processus de mondialisation. Les développe-
ments qui vont suivre sont de nature à mettre en exergue les principaux
éléments qui fondent notre conviction.
En premier lieu, il est à souligner que des opportunités de croissance,
voire d’accumulation existent en Afrique. Le problème, c’est
l’exploitation optimale de celles-ci au bénéfice du développement du
continent. Illustrons nos propos par quelques exemples afin de permettre
aux lecteurs de mieux appréhender les contours de notre réflexion. La
Côte d’Ivoire est, depuis plusieurs décennies, le premier producteur
mondial de cacao. Le Nigeria est le sixième exportateur mondial de pé-
trole. Le Gabon, la République du Congo, l’Angola, la Guinée équato-
riale, (la liste des pays producteurs de pétrole s’allonge tout le
temps)regorgent de ressources énergétiques inestimables. Oui, chaque
pays africain dispose au moins d’une opportunité de croissance qu’il peut
exploiter pour promouvoir le bien-être de ses populations. L’Afrique, à
travers toutes les régions qui la composent, est donc très riche en oppor-
tunités économiques pour son développement lato sensu. Selon l’avis de
spécialistes de renom, certaines régions du continent constituent même
des scandales géologiques. Être un continent à la fois riche et pauvre
représente un paradoxe difficilement explicable et admissible. Si ces
mêmes opportunités s’offraient à certaines autres parties du monde, elles
seraient indubitablement exploitées à bon escient, voire rationnellement,
pour consolider les acquis du développement et pour accroître le bien-
être des populations qui y vivent. Cette situation paradoxale doit donc
inviter les décideurs africains à revisiter les politiques pratiquées jusque-
là, et à identifier d’autres points d’ancrage pour la croissance et le déve-
loppement du continent. Ces nouveaux points d’ancrage, voire ces nou-
veaux repères résident, à notre humble avis, dans l’industrialisation du
continent. Il est impératif que les décideurs du continent comprennent le
rôle moteur du secteur secondaire dans le développement économique.
Refuser d’admettre un tel impératif, c’est accepter la marginalisation
éternelle de l’Afrique dans la gestion des affaires du monde moderne.
Car, c’est presque un axiome que tous les pays qui ont la croissance glo-
bale la plus rapide sont ceux qui ont connu la croissance la plus forte de
leur industrie. Ceci se fonde sur les arguments suivants43 : de toutes les
activités, l’industrie est celle dont le taux de croissance de la valeur ajou-
tée présente la corrélation la plus forte avec celui de l’ensemble de

43 Cf. Y. Morvan (1991)

158
l’économie ; c’est au sein de l’industrie qu’on observe le mieux combien
la variation de la productivité est fonction croissante du taux de variation
de la production ; l’industrie est l’activité qui tire le plus l’ensemble du
système, par l’ampleur de ses commandes, l’importance de ses ventes, le
montant de ses salaires, ainsi que son influence sur l’ensemble de la so-
ciété. Par conséquent, toute tentative visant à fourvoyer l’Afrique sur la
nécessité de son industrialisation est alarmante. A contrario, toute poli-
tique active en faveur de l’industrialisation du continent devient la priori-
té des priorités. L’Afrique doit donc définitivement sortir de la logique de
« continent à vocation agricole et exportateur net de matières premières
non transformées ». L’assertion « industrialisation, synonyme de crois-
sance et de développement » doit être, à jamais, inscrite dans sa mémoire
collective.
En deuxième lieu, il s’avère extrêmement urgent que l’Afrique initie et
exécute des politiques ou stratégies de développement moins dépen-
dantes des institutions de Bretton Woods. L’expérience vécue à travers la
mise en œuvre des programmes d’ajustement structurel est révélatrice de
la nécessité d’un changement de cap. Initialement, ces programmes vi-
saient à aider l’Afrique à venir à bout de ses difficultés économiques et
sociales et à réaliser, pour toujours, son décollage économique. Mais à
l’examen des résultats de près de quatre décennies d’adoption de poli-
tiques économiques dictées par le FMI et la Banque mondiale, tout porte
à croire que l’état des économies africaines s’est davantage détérioré à
telle enseigne que l’Afrique est considérée aujourd’hui comme le conti-
nent où la croissance est appauvrissante, et comme le terreau de tous les
maux de la planète.
Les dirigeants africains, sous la houlette des experts du FMI et de la
Banque mondiale, ont trop vite enterré l’approche keynésienne de la
politique économique. Sans exagération, on peut même affirmer que
l’Afrique, dans certains aspects de la gestion de son économie, est deve-
nue plus ultra-libérale que les pays bastions du capitalisme. Elle ne peut
certes pas ramer à contre-courant de l’économie dominante, mais elle se
doit, selon nous, d’adopter le capitalisme africain et non le capitalisme en
Afrique. Ce capitalisme africain lui permettrait de pratiquer l’économie
de marché en y intégrant ses propres valeurs et en y injectant une dose
raisonnable d’interventionnisme, fondée essentiellement sur ses réalités
quotidiennes. Car, même l’Europe et les États-Unis ne pratiquent ni le
« Tout État », ni le « Tout marché ». Bien qu’ils se comportent comme
les champions ou la locomotive de l’économie de marché, les pouvoirs
publics, dans les deux cas, jouent toujours le rôle de garde-fou et même
d’accélérateur de l’économie nationale. Les baisses en série enregistrées
par Wall Street en juillet 2002, et l’intervention musclée de Georges W.

159
Bush, soutenue par l’adoption de mesures coercitives anti-corruption et
la réforme en profondeur des méthodes de comptabilité des entreprises
américaines, qui ont suivi, sont assez significatives de la nécessité du rôle
de l’État dans la régulation économique. En marge des Assemblées an-
nuelles de la Banque africaine de développement (BAD) tenues à Addis-
Abéba (Éthiopie), en mai 2002, nous avons eu l’opportunité de poser la
question qui va suivre à un ministre de l’Économie et des Finances d’un
pays africain avec lequel nous avons connu le même cursus universitaire.
« Depuis que vous êtes devenu le grand argentier de votre pays, quelle est
votre préférence entre l’approche libérale et l’approche keynésienne de
l’économie ? » Ce ministre de l’Économie et des Finances a répondu sans
détours à notre interrogation en nous indiquant que son choix est
l’approche keynésienne. Et pour cause. Selon notre interlocuteur, les
opérateurs économiques de son pays sont très peu sensibles aux varia-
tions des paramètres économiques. Il a illustré son argumentaire à l’aide
des relations, en sens inverse, qui existent entre l’investissement et le taux
d’intérêt. Sous d’autres cieux, la baisse du taux d’intérêt s’accompagne
d’une augmentation conséquente de l’investissement. Mais, en Afrique,
selon le ministre interrogé, l’investissement n’est pas toujours sensible à
la variation du taux d’intérêt. D’où son adhésion aux vertus de
l’intervention des pouvoirs publics pour soutenir la croissance dans les
pays africains. Un tel aveu fait par un ministre de l’Économie et des Fi-
nances est assez significatif pour susciter la méfiance des décideurs afri-
cains à l’égard de l’adoption intégrale des politiques économiques ultra-
libérales que leur proposent les institutions de Bretton Woods.
L’Afrique doit donc refuser d’accepter de consommer entièrement les
politiques de stabilité et de relance économique que lui conseillent les
institutions financières internationales. Le succès de son industrialisation,
tout comme celui de toutes les autres politiques qu’elle initie pour se
soustraire de la misère, sont à ce prix.
En troisième lieu, nous notons que l’Union africaine offre un cadre
idéal à l’Afrique pour participer activement à la mondialisation. La philo-
sophie qui la fonde et le contenu de ses programmes économiques et
sociaux sont de nature à faire de l’Afrique un partenaire crédible, respec-
té et capable de jouer le rôle qui est le sien dans le concert des nations.
Pour paraphraser un des Pères fondateurs de l’Afrique moderne, nous
disons que l’Union africaine ne doit pas être un vain mot, mais un com-
portement qui doit nous guider tant dans nos esprits, dans nos mé-
thodes, que dans tous nos actes de tous les jours. Ce message s’adresse
aussi bien aux Africains du continent qu’à ceux de la diaspora.
Au final, il est à noter que la domination planétaire de l’économie de
marché, depuis l’effondrement du bloc soviétique, a précipité l’économie

160
mondiale dans ce que l’on appelle le phénomène de la mondialisation. Au-
jourd’hui, tout refus de se joindre à ce processus est synonyme de marginali-
sation totale à l’égard de l’évolution du monde moderne. Depuis le début
des années 90, l’Afrique tente d’arrimer, par le biais de moult politiques et
initiatives, son économie à ce processus, mais sans grand succès. Cette inca-
pacité évidente laisse la porte ouverte à tous ceux qui ne croient plus en
l’avenir de l’Afrique et qui pensent qu’elle est condamnée à la mendicité
permanente. Pour notre part, nous estimons que l’Afrique regorge
d’innombrables opportunités de croissance ou d’accumulation. Il ne lui
manque qu’une volonté politique active pour les exploiter, afin de promou-
voir son développement économique et social. Tous les espaces qui forment
les pays africains d’aujourd’hui disposent chacun d’au moins un domaine
dans lequel ils jouissent d’un avantage comparatif par rapport à leurs parte-
naires commerciaux. Ici, tout l’art des dirigeants africains consisterait à avoir
une vision pour leurs peuples et à s’entourer de tous les atouts pour traduire
ces opportunités en une réalité, par l’entremise d’un leadership fortement
affirmé et d’une bonne gouvernance. De même, les régimes républicains
doivent se doter de tous les atouts pour étouffer dans l’œuf tous les em-
bryons de « révolutions de palais » ou de rébellion tribale ou religieuse. Dès
lors, ils doivent veiller, comme à la prunelle de leurs yeux, à la formation des
pensionnaires de la Grande Muette et à l’amélioration constante de ses con-
ditions de travail ; à l’éducation de la jeunesse ; et à l’adoption de politiques
ou stratégies de développement débouchant sur le plein emploi. Lorsque ces
conditions sont réunies, elles conduisent la jeunesse à se battre moins pour
le maintien d’un régime au pouvoir qui de temps en temps leur distribue des
miettes, que pour l’amélioration des conditions d’études ou pour
l’épanouissement de la carrière professionnelle. Ces soldats-là, ces jeunes-là
restent sourds aux sirènes des politiciens populistes et aventuriers.

Les solutions africaines aux problèmes africains


De nos jours, le slogan « Les solutions africaines aux problèmes afri-
cains » est vivement recommandé dans tous les foras politiques ou intel-
lectuels organisés en Afrique. Tout se passe comme si, depuis des lustres,
le continent avait essayé de résoudre ses difficultés de tout genre en
n’utilisant que les thérapies concoctées sous d’autres cieux. En d’autres
termes, l’usage abondant de ce slogan souligne que l’avenir de l’Afrique,
voire le succès de son épanouissement économique, social et politique,
ne relève pas des solutions exogènes. Loin s’en faut, il est fortement cor-
rélé aux solutions endogènes ou domestiques identifiées par le génie
créateur de sa progéniture. En vérité, on est tenté de se poser la question
suivante : un tel slogan est-il nouveau ou est-il sorti des archives ? Nous

161
sommes enclin à reconnaître qu’il n’est nullement nouveau. Mais s’il est
redevenu d’actualité ou s’il est remis au goût du jour, c’est parce que
l’Afrique semble avoir le sentiment que son avenir ne réside pas dans les
solutions exogènes qui, de surcroît, lui sont imposées de l’extérieur et
qui, depuis plus d’un demi-siècle de tentatives de mise en œuvre, ne l’ont
pas encore soustraite à la misère et à la pauvreté.
A contrario, elle semble s’y engluer au point de se retrouver dans une
impasse généralisée pour son émancipation économique, sociale et même
politique. Et pourtant les solutions endogènes existent bel et bien. Elles
remontent même à la nuit des temps. Le mouvement panafricaniste en-
clenché dans la diaspora africaine, et relayé sur le continent par les pères
fondateurs de l’Afrique moderne, a suggéré des pistes de solutions aux
difficultés de tout genre qui caractérisent le continent. Le Dr Kwame
NKrumah l’un des plus convaincus, voire des plus illustres de ceux qui
ont porté haut les couleurs du panafricanisme, a, par l’entremise de plu-
sieurs ouvrages, fait des propositions extrêmement pertinentes et nova-
trices pour sauver l’Afrique du sous-développement structurel, chronique
et endémique. Tous ses discours politiques lorsqu’ il fut chef d’Etat du
Ghana, ont également véhiculé plusieurs messages porteurs de remèdes
potentiels aux maux qui assaillent aujourd’hui l’Afrique. De même, les
chefs d’Etat et de gouvernement, d’abord de l’OUA, et ensuite de l’UA,
ont initié divers projets et programmes comme solutions domestiques
aux maux qui handicapent le continent. Les plus connues de ces initia-
tives sont le Plan d’Action de Lagos, le Traité d’Abuja, le Déclaration de
SIRTE, le NEPAD, le Programme pour le développement de
l’Infrastructure en Afrique (PIDA), le Programme détaillé pour le déve-
loppement de l’agriculture africaine (PDDAA), le Programme minimum
d’intégration(PMI), la Charte africaine de la statistique, la Banque cen-
trale africaine(BCA), le Fonds monétaire africain (FMA), la Banque afri-
caine d’investissement (BAI), la Charte africaine des droits humains et de
la démocratie, la Force africaine en attente, la Capacité africaine de ré-
ponse immédiate aux crises (CARIC), la Décennie de la femme, la Décla-
ration d’Accra pour la création des Etats unis d’Afrique, etc.
Mais où sont passées ces solutions africaines destinées aux problèmes
africains ? Quel a été leur impact sur le continent ? Ont-elles été effecti-
vement appliquées et suivies ? Ont-elles jamais quitté les tables à dessin ?
Qu’en est-il exactement ? « Les bons diseurs ne sont pas les bons fai-
seurs » a-t-on coutume de souligner. Ou encore « il est plus facile de dire
que faire ».
En réalité, donc, le continent africain n’est pas à la recherche de solu-
tions panacées pour venir à bout de la pauvreté. Il en regorge déjà qui
ont été savamment pensées et bien articulées. Si elles avaient été conve-

162
nablement mises en œuvre, l’Afrique serait aujourd’hui un continent
économiquement développé, politiquement intégré et qui apporte bon-
heur et prospérité à ses nombreuses populations. Mais là où le bât blesse
est que toute cette variété de thérapies brille de tous ses feux dans les
archives des pays, des communautés économiques régionales, et de la
commission de l’UA. Et la raison essentielle de leur non-mise en œuvre
incombe aux pays africains eux-mêmes. Car tous les problèmes africains
(exception faite des problèmes émergents) ont déjà été diagnostiqués, les
solutions pour les résoudre efficacement et durablement sont également
déjà connues comme indiqué plus haut. Sauf que là où l’Afrique pèche
c’est qu’elle enregistre un déficit abyssal dans la mise en œuvre de ses
programmes et projets intégrateurs. Elle connaît les remèdes aux maux
qui la rongent ; mais à la lumière des faits, l’on a le sentiment qu’elle ac-
cepte de mourir plutôt que de se soigner. Empruntant une métaphore
des sciences médicinales, l’on peut affirmer aujourd’hui que l’Afrique
apparaît comme un malade qui refuse de suivre le traitement prescrit par
son médecin. Ce qui laisse augurer qu’appliquer les solutions africaines
aux problèmes africains s’avère même comme l’équation la plus com-
plexe à résoudre par les Africains. Prenons quelques exemples pour illus-
trer nos propos.
Aujourd’hui, l’un des problèmes délicats à résoudre pour accélérer
l’intégration régionale et continentale réside dans la libre circulation des
Africains à l’intérieur de leur continent. A l’exception de l’espace CE-
DEAO, et de quelques cas rarissimes, les pays africains se sont entourés
de multiples et complexes barrières infranchissables. Les visas d’entrée
sont extrêmement difficiles à obtenir. Ce qui empêche les Africains de
circuler librement dans leur continent et s’installer là où ils ont la chance
de concrétiser leurs opportunités. Alors les questions de bon sens que
l’on peut se poser sont les suivantes : Qui érige ces barrières à l’entrée ?
Est-ce les Africains eux-mêmes ou une force extérieure ? Pourquoi
l’instance suprême africaine ne prend-elle pas une décision politique ma-
jeure pour mettre fin aux barrières dues aux visas d’entrée et instaurer, de
facto, la libre circulation totale des Africains dans leur continent ? Ne
vaut-il pas mieux commencer par cette sage décision et la traduire effec-
tivement dans les faits avant de s’interroger sur les instruments établis
par les autres (ou s’opposer à ceux-ci) pour se mettre à l’abri des mi-
grants africains ? Pourquoi le laissez-passer délivré par l’UA pour faciliter
la mobilité de son personnel doit-il faire l’objet de visas d’entrée dans
certains pays africains ? La libre circulation des personnes, des biens, des
capitaux et même des services figure en lettres d’or dans le Traité
d’Abuja comme l’un des moteurs de l’intégration régionale et continen-
tale. Qui empêche l’application de ce Traité dans son versant « libre cir-

163
culation des personnes » ? En la matière, l’Afrique doit balayer devant sa
propre maison avant d’accuser les autres de fermeture de leurs frontières.
Car, à certains endroits du continent, les Africains sont souvent l’objet de
traitements inhumains, voire humiliants ; de rapatriements musclés ou
manu-militari dans leurs pays d’origine.
Un autre exemple explicatif de cette situation propre à l’Afrique tient
au financement de ses projets intégrateurs. Elle connaît des besoins abys-
saux en ressources financières. Les institutions en charge de la mise en
œuvre de ces projets vivent dans une pénurie financière déplorable.
Leurs budgets programmes sont, dans la plupart des cas, essentiellement
financés par les partenaires au développement. L’UA, garante de
l’intégration continentale, est fortement tributaire de l’extérieur au niveau
de son budget programme (plus de 97% depuis les trois dernières an-
nées) et de ses opérations de sécurité et de maintien de la paix (100% en
Somalie et en RCA), alors qu’elle est censée protéger la souveraineté et
l’indépendance du continent tout entier. Ici également des solutions exis-
tent déjà. Pour mémoire il convient de rappeler qu’à la création de l’UA
en 2001 à Lusaka (Zambie) il a été suggéré à la commission de mettre en
place de nouveaux mécanismes autonomes générateurs de fonds propres
permettant à la nouvelle institution continentale de bénéficier de res-
sources prévisibles, substantielles et pérennes. Le fait surprenant ici, est
que de 2001 jusqu’à nos jours les Africains n’ont pas encore trouvé un
consensus sur les instruments à retenir ou à privilégier, parmi une foison
de mécanismes que leur proposent les experts de la commission à travers
une série d’études scientifiquement testées et prouvées. A la limite, les
experts leur suggèrent qu’au lieu de réinventer la roue, voire la bicyclette,
il serait sage de dupliquer les bonnes pratiques, en la matière, déjà enre-
gistrées sur le continent. Il s’agit des cas de la CEDEAO, l’UEMOA, la
CEEAC qui pratiquent un prélèvement sur les importations hors zones ;
du Sénégal et d’autres pays qui pratiquent quant à eux la taxe sur les vols
en partance de leurs territoires. Et le comble est que certains pays afri-
cains comme l’Ile Maurice, le Niger, le Cameroun, le Congo, la Guinée,
Madagascar, le Mali, et le Niger sont partis des mécanismes de prélève-
ments sur les billets d’avion mis en place par la France au bénéfice de
l’UNITAID pour combattre les endémies et les pandémies dans le
monde en développement, et plus particulièrement en Afrique. Et pour-
tant certains d’entre eux s’opposent à l’application d’une telle mesure en
Afrique. Les efforts de la commission pour l’adoption de mécanismes
générateurs de ressources propres destinées au financement des projets
intégrateurs sont jusque-là restés vains. A qui la faute ? Aux Africains ou
aux forces extérieures ? Pourquoi cette autre solution a-t-elle du mal à se
concrétiser sur le terrain ?

164
Aussi c’est un secret de polichinelle que l’Afrique a faim en dépit de
ses nombreuses potentialités en ressources agricoles. En 2003 à Maputo
une décision politique a été prise invitant chaque pays à consacrer 10%
de son budget national au développement de son agriculture dans le
cadre de la mise en œuvre du PDDAA adopté la même année. Le bilan
de la mise en œuvre d’une telle mesure indique que seulement 13 pays
sur 54 ont effectivement appliqué cette politique agricole dont le but
ultime est d’aider le continent à réaliser son autosuffisance alimentaire.
Le sommet de l’UA tenu à Malabo en juillet 2014 a renouvelé cet objec-
tif. Mais sera-t-il entendu ? La pratique courante à l’UA indique que
l’appel de Malabo a toutes les chances d’être vain. Qui en est respon-
sable ? L’Afrique elle-même ou encore l’extérieur ?
Par ailleurs, un autre exemple et non des moindres mérite d’être mis
en exergue. Il s’agit de celui de la sécurité énergétique du continent. Au-
jourd’hui, l’Afrique aspire à devenir émergente. La question qui se pose,
selon le bon sens, pour la réalisation de ce noble objectif est la suivante :
est-il possible d’atteindre l’émergence économique sans disposer abon-
damment et à moindre coût de l’énergie ? La réponse est non. Ici égale-
ment l’Afrique a inventé une pertinente thérapie, à savoir, la construction
du barrage dénommé « Grand Inga » en République Démocratique du
Congo (RDC). Ce projet pharaonique est de nature à garantir l’autosuffi-
sance énergétique de l’Afrique tout entière et à la placer dans une posture
d’exportatrice d’énergie. Mais ici encore l’on s’englue dans l’immobilisme
et dans l’inaction sous le fallacieux et éternel prétexte de pénurie de res-
sources financières. L’énergie étant au cœur de l’économie moderne (car
sans énergie pas de transformation donc pas d’industrialisation), pour-
quoi n’est-on pas capable d’agréger les moyens individuels, fussent-ils
dérisoires, pour réaliser ce grand projet et gagner la bataille de l’insécurité
énergétique ? Est-ce la faute des forces impérialistes ou des Africains
eux-mêmes ?
Un autre remède identifié mais non appliqué est l’établissement des
institutions financières pour enrichir et consolider les systèmes bancaire
et financier, voire le marché des capitaux en Afrique. Le projet de la créa-
tion de la Banque africaine d’Investissement(BAI), du Fonds monétaire
africain(FMA), de la Banque centrale africaine (BCA) figure bel et bien à
l’article 19 de l’Acte Constitutif de l’UA largement ratifié par la quasi-
totalité des pays africains. Mais l’avènement effectif de ces trois institu-
tions tarde à venir en raison des atermoiements des Etats et de
l’attachement affectif et profond à leur souveraineté individuelle. Ici en-
core les raisons justificatives d’une telle situation sont endogènes et non
exogènes.

165
Un autre cas illustratif tient à l’industrialisation du continent.
L’Afrique semble être la moins industrialisée comparée aux autres es-
paces en développement. Plusieurs initiatives ont été prises pour relever
les défis de la sous-industrialisation du continent. Au nombre de celles-ci
figurent principalement la première Décennie pour le développement
industriel de l’Afrique (DDIA I, années 80),la Deuxième Décennie pour
le développement industriel de l’Afrique(DDIA II, années 90), l’Alliance
pour l’industrialisation de l’Afrique (1999), l’initiative africaine de capaci-
té productive (APCI,200), le plan d’action pour le développement indus-
triel accéléré de l’Afrique (AIDA,2008) doté même d’une stratégie de
mise en œuvre pour promouvoir la diversification économique par le
biais de la valeur ajoutée industrielle, la création d’un milieu et d’un cadre
institutionnels favorables au développement industriel, et l’amélioration
de la capacité de l’offre et la demande. Toutes ces belles initiatives ont
été adoptées pour booster le processus d’industrialisation du continent et
le mettre à l’abri de toutes sortes de pénuries. Et pourtant tout se passe
comme si l’Afrique était encore à la recherche de la voie optimale du
succès de son industrialisation. Les impérialistes sont-ils ici encore à
l’origine d’une telle apathie à l’égard de son avenir industriel ?
Une autre solution non mise en œuvre demeure dans l’incapacité du
continent à faire face aux conflits armés et aux opérations terroristes qui
fleurissent en son sein. Les cas du Mali, de la Somalie, de la RCA, du
Darfour, du Sud Soudan, …sont assez illustratifs d’une telle situation. Et
pourtant, des projets savamment conçus ont été adoptés par l’UA pour
réduire la dépendance militaire du continent et garantir son autosuffi-
sance sécuritaire. L’on peut citer particulièrement celui dénommé « la
force africaine en attente » avec comme piliers cinq brigades régionales.
Cette force africaine est accompagnée par un autre dispositif particuliè-
rement important appelé « la capacité africaine de réponse immédiate aux
crises (CARIC) » avec vocation, entre autres, à endiguer les foyers de
conflits révélés ou potentiels sur le continent. Ainsi la force africaine, si
elle existait, permettrait au continent de la mobiliser, en cas de besoin,
pour éviter l’implication des forces extérieures dans la gestion des crises
en Afrique ; implication tant décriée par les Africains fiers de la souve-
raineté individuelle de leurs pays respectifs. Ce projet continental, soute-
nu par d’autres à l’échelle des régions, est régulièrement évoqué mais
peine à devenir une réalité. Qui en est responsable ? L’extérieur ? Ou les
Africains eux-mêmes ? Pourquoi hésite-t-on à mettre en place cette
force ? Le coût des mesures d’accompagnement (financement, transport
des troupes, équipements appropriés ou autres) pour son opérationnali-
sation explique-t-il les atermoiements persistants des dirigeants africains ?

166
Bref, les exemples de ce type sont légion en Afrique. L’Afrique, dit-on
le plus souvent, est championne en initiatives. Elle est même proactive
en multipliant les projets dans certains domaines. Mais le dénominateur
commun à toutes ces initiatives est que chacune d’elles renferme en son
sein sa propre contradiction, à savoir les solutions sont connues mais
elles restent à l’état théorique. Plusieurs questions s’offrent alors à l’esprit
quand on tente de comprendre cette situation étrangement paradoxale.
Pourquoi l’Afrique refuse-t-elle de s’appliquer, pour se soustraire au
sous-développement, les thérapies qu’elle a inventées elle-même ? Lui
force-t-on la main pour marginaliser sa propre science ? Ou bien elle ne
croit pas en elle-même ; ce qui l’amène à confier son destin économique
et social aux génies créateurs d’autres cieux. Pour notre part, cette situa-
tion étonnante trouve ses origines dans plusieurs facteurs. A nos yeux
l’essentiel d’entre eux tient à l’enracinement et au renforcement des mi-
cro-souverainetés, au déficit croissant en ressources financières, à la pau-
vreté institutionnelle, à la facilité de manipulation dont le continent est
souvent l’objet, à l’expansion de la corruption sous toutes ses formes(les
pots-de-vin ou les dessous-de-table, les trafics d’influence…) et à
l’absence d’analyses stratégiques pour une meilleure maîtrise et orienta-
tion de l’avenir du continent.
A la lumière de ce qui précède, les slogans comme « les solutions afri-
caines aux problèmes africains », « la transformation de l’Afrique ou
rien » doivent être utilisés avec beaucoup de circonspection. L’on ne doit
pas faire comme si rien n’avait jamais existé avant. Des initiatives ont bel
et bien existé. Ce n’est donc pas des trouvailles novatrices dont il faut se
féliciter ou se réjouir sans retenue. Car la transformation structurelle,
aujourd’hui mise au goût du jour, et l’urgente nécessité de traiter les pro-
blèmes africains par les remèdes africains figurent dans le Plan d’Action
et l’Acte final de Lagos adoptés depuis les années 80. Si les résultats se
font toujours attendre c’est que, soit le diagnostic a été mal posé, soit il a
été bien posé mais les solutions qui lui ont été administrées ne convien-
nent pas ou sont mauvaises, ou soit le diagnostic a été bien posé et les
réponses proposées pertinentes, mais il y a eu absence de volonté poli-
tique ou de détermination suffisante, ou encore de ressources financières
substantielles et pérennes pour mettre effectivement en œuvre les projets
intégrateurs. « Assurer la transformation structurelle de l’Afrique ou
rien » et « Appliquer les solutions africaines aux problèmes africains »
constituent peut-être des équations à plusieurs inconnues que l’Afrique
tout entière doit résoudre en ce début du 21ème siècle dans un élan d’unité
et de solidarité agissantes. Utiliser les solutions africaines comme ré-
ponses aux problèmes africains s’inscrit donc dans la logique de la bonne
gouvernance économique. Ne pas le faire c’est faire de l’Afrique un con-

167
sommateur permanent des idées conçues hors de ses frontières. Autre-
ment dit, c’est étouffer à jamais son génie créateur et accroître sa dépen-
dance vis-à-vis de l’extérieur.
La gouvernance, comme on vient de le voir, est une denrée que tous
les Africains sont contraints à consommer. C’est une vertu à partager.
On ne doit pas l’exiger des seuls dirigeants de nos pays. Chaque citoyen
africain doit se l’approprier et en user dans l’exercice de ses fonctions
quotidiennes. L’Afrique en sortira grandie, développée et prospère dans
l’intérêt supérieur de ses populations. Somme toute, la bonne gouver-
nance doit guider chaque Africain dans son comportement de tous les
jours. Si donc chaque citoyen du continent acceptait de s’appliquer les
règles de la bonne gouvernance, cela rejaillirait indubitablement sur la
gouvernance économique et politique nationale, régionale et continen-
tale. L’acte que pose quotidiennement chaque Africain, particulièrement
celui des décideurs politiques et économiques, contribue, soit à abîmer
les pays, soit à bâtir les pays.
Les politiques économiques ou les stratégies à mettre en œuvre en
Afrique doivent toutes viser le plein emploi. Pour y parvenir, l’on doit
actionner une série de leviers de nature variée pour créer un environne-
ment favorable à l’éclosion d’initiatives privées locales et étrangères. À
cette fin, les régimes républicains doivent inclure dans leurs priorités
l’éradication de la corruption sous toutes ses formes, la suppression de
toutes les situations de rente et, de facto, la mise en place d’un marché
contestable pour la promotion des affaires où se développe une concur-
rence saine entre opérateurs économiques. Dans une telle mouvance, le
principe de la transparence doit guider tous les recrutements dans les
secteurs public et privé. Dans le cas particulier du secteur public,
l’organisation des concours administratifs et l’admission à ces concours
ne doivent souffrir d’aucun favoritisme. Ici, la situation de rente, le népo-
tisme, le clientélisme et l’adhésion ou l’appartenance au parti au pouvoir,
ne doivent pas avoir droit de cité. Le seul critère à faire valoir ici doit être
le mérite, voire la compétence. Aussi, une telle approche est-elle de na-
ture à dissiper les frustrations de tout acabit qui recèleraient, en leur sein,
tous les ingrédients susceptibles d’alimenter les velléités de « révolutions
de palais » ou l’avènement de groupes de mécontents ou de frustrés où
les aventuriers politiciens peuvent aisément recruter pour constituer les
rébellions tribales.
Pour donc réussir l’entreprise de la bonne gouvernance, il faut doter
chaque pays d’une structure d’éthique et d’anti-corruption. Aussi est-il
extrêmement important de multiplier les structures de surveillance visant
à l’encadrer. Ces structures joueront le rôle de gendarme dans le respect
des valeurs éthiques et dans la dénonciation de tous les comportements

168
liés à la corruption sous toutes ses formes. Elles s’étendront à tous les
secteurs de la vie politique, économique et sociale des pays. Elles pour-
raient être dotées de tous les moyens leur permettant de collecter toutes
les informations nécessaires à l’exécution de leur mandat. Oui, une autre
Afrique est possible à condition que les administrations successives des
pays qui la composent mettent en place, en les traduisant effectivement
dans les faits, de bonnes politiques économiques, couplées d’une bonne
gouvernance économique et politique ; et que chaque Africain s’inspire
profondément des vertus de cette gouvernance dans son comportement
de tous les jours.

169
CHAPITRE V

L’école africaine a raté sa cible

Les pseudo-intellectuels, l’Afrique en compte des milliers, aime-t-on


plaisanter dans divers milieux universitaires africains. Une telle plaisante-
rie semble traduire une réalité qui caractériserait la communauté des
analphabètes africains. C’est le lieu de lever le voile sur une série de ques-
tionnements dont la résolution peut aider à appréhender tous les con-
tours de la plaisanterie susmentionnée. L’Afrique connaît-elle ou non une
pénurie d’intellectuels ? Les intellectuels44 africains jouent-ils ou non le
rôle qui est le leur dans l’évolution de l’Afrique contemporaine ? Sont-ils
ou non au fait de leur science ? L’environnement africain les empêche-t-il
de s’épanouir convenablement et de se hisser au diapason de leurs ho-
mologues occidentaux et asiatiques ? Les incitations à la recherche scien-
tifique et technologique sont-elles insuffisantes ? La faiblesse des rému-
nérations conduit-elle les intellectuels africains à se détourner de leurs
obligations ? La participation de ceux-ci à la vie politique de leurs pays
respectifs contribue-t-elle à les fourvoyer de leur mission historique ?
L’Afrique a-t-elle les moyens pour combler son retard scientifique et
technologique ? Faut-il poursuivre dans la même direction ? Ou bien
faut-il marquer un arrêt pour redéfinir une nouvelle politique permettant
au Continent de rattraper son retard sur ses concurrents ? Autant de
questions (elles ne sont pas exhaustives) qui s’offrent à l’esprit dès lors
que l’on essaie d’examiner l’impact du comportement des intellectuels
africains sur le développement du continent. Mais la persistance du gap
scientifique et technologique qui évolue crescendo, entre l’Afrique et les
pays du Nord, de même que les pays émergents, exige, selon nous, qu’un
nouveau départ soit enclenché pour repositionner l’école africaine. Dans
les développements qui vont suivre, nous tenterons d’y répondre en

44 Il ne s’agit pas de tous les intellectuels africains. Un pan important de ceux-ci est

conscient de sa mission et s’y adonne, en dépit des conditions déplorables de travail.


Ceux qui sont épinglés dans ce chapitre se reconnaîtront eux-mêmes.
usant d’arguments que nous jugerons pertinents pour les besoins de
notre analyse. Mais, auparavant, il apparaît important d’établir un état des
lieux sommaire de la formation du capital humain en Afrique.
L’Afrique des années 60, voire des années des indépendances, con-
naissait une pénurie extrêmement criarde en ressources humaines hau-
tement qualifiées. Depuis lors, des efforts réels ont été déployés dans le
domaine de l’éducation et de la formation. L’enseignement de base a
connu un grand essor partout en Afrique. L’enseignement secondaire lui
a emboîté le pas, de même que l’enseignement technique et profession-
nel. L’enseignement supérieur, sous toutes ses formes, a suivi le mouve-
ment, tout en se diversifiant dans le temps. Aujourd’hui, les pays afri-
cains, dans leur quasi-majorité, sont dotés d’infrastructures d’éducation
et de formation relativement appropriées qui, toutes choses étant égales
par ailleurs, sont susceptibles d’améliorer significativement le capital hu-
main en Afrique. Aujourd’hui, toutes les capitales africaines possèdent
leurs universités et grandes écoles. Les instituts et centres de recherche
ne sont pas restés en marge de ce mouvement historique. Ils ont fleuri
dans tous les pays, dans le souci de combler le fossé scientifique et tech-
nologique qui ne cesse de s’agrandir, entre le Nord et le Sud.
Les efforts susmentionnés constituent un témoignage éclatant et pa-
tent de la volonté des dirigeants africains de doter le continent de res-
sources humaines compétentes et compétitives lui permettant de partici-
per significativement à l’évolution du monde moderne, des points de vue
scientifique et technologique. Mais quel bilan peut-on tirer de ces ef-
forts ? Les objectifs initialement visés ont-ils été atteints ? Les filles et les
fils de l’Afrique parvenus au sommet de leur art jouent-ils leur partition
dans le jeu des interactions du processus de croissance et de développe-
ment de ce continent ? En d’autres termes, les intellectuels africains,
toutes sciences confondues, jouent-ils le rôle qui leur est dévolu dans le
processus de l’épanouissement sociopolitique, économique et culturel de
leur continent ? L’Afrique a-t-elle pu combler son déficit scientifique et
technologique à l’instar des pays comme la Chine, le Brésil et l’Inde ? Ce
déficit, s’est-il encore creusé du fait des moyens dérisoires alloués à
l’éducation et à la recherche ? Les développements qui vont suivre nous
aideront, certainement, à répondre aux problématiques susmentionnées.

Rôle des intellectuels africains


La lexicologie définit l’intellectuel comme une « personne qui se con-
sacre professionnellement ou par goût à des activités d’ordre intellectuel,
culturel, spéculatif » ou comme une « personne dont l’activité fait surtout
appel aux manipulations abstraites et au discours ». Le siècle des Lu-

172
mières est assez illustratif de la tâche que doivent accomplir des intellec-
tuels dans leurs communautés, dans leurs pays ou dans le monde. Tous
les auteurs du siècle des Lumières ont, à travers leurs œuvres, contribué
significativement à l’évolution de notre monde. Jusqu’aujourd’hui, leurs
œuvres continuent d’inspirer tous les acteurs de l’évolution du monde
contemporain. Dans ce contexte, les scientifiques suivants ont produit
des œuvres qui ont fait date dans l’histoire : Albert Einstein, Montes-
quieu, J.J. Rousseau, Denis Diderot, Voltaire, François-Marie Arouet,
Adam Smith, Emmanuel Kant, Frederich Engels, Karl Marx, Vladmir
Itlich Lenine, Antoine Laurent de Lavoisier, Blaise Pascal, Henri Poinca-
ré, Thomas Hobbes, Victor Hugo. Des œuvres qui ont fait date, en ce
sens qu’elles ont servi et servent encore de boussole, dans leurs secteurs
respectifs, à l’épanouissement du monde. En d’autres termes, ces grandes
œuvres ont servi et servent encore de garde-fou, de source d’inspiration
et de sagesse inépuisable, pour la conduite des affaires planétaires. Au
sens de Jean-Jacques Chevalier45, elles « ont marqué profondément
l’esprit des contemporains ou celui des générations ultérieures, et ce, soit
au moment même de leur publication, soit plus tard, et en quelque sorte
rétrospectivement, elles ont fait date ». Autrement dit, elles ont bénéficié,
immédiatement ou à terme, de ce qu’on pourrait appeler la résonance
historique ou la chance historique.
Les intellectuels africains doivent-ils en faire autant ? Doivent-ils se
consacrer entièrement à leurs sciences respectives pour servir de bous-
sole à leurs communautés ou à leurs pays respectifs, d’une part, et pour
contribuer à l’évolution du monde par l’entremise de leurs découvertes
scientifiques ou technologiques, d’autre part ? Ou bien doivent-ils se
servir de leur savoir comme tremplin pour satisfaire leurs intérêts ou
agendas privés ?
Nous ne demandons pas aux intellectuels africains de se muer en in-
tellectuels du siècle des Lumières. Autrement dit, nous ne demandons
pas aux intellectuels africains de ressembler, à l’identique, à leurs col-
lègues du siècle des Lumières. Toutefois, nous croyons intimement au
fait que les intellectuels africains, toutes sciences confondues, doivent
prioritairement :
i) se consacrer totalement à leurs sciences ;
ii) rechercher permanemment des perspectives dynamiques pour
l’Afrique ;


45 J. J. Chevallier (1970),

Aussi, pour l’auteur, une œuvre est dite grande parce qu’elle répond particulièrement
aux préoccupations, aux passions politiques du moment, ou d’un moment.

173
iii) oeuvrer en permanence au comblement du déficit scientifique et
technologique existant entre l’Afrique et le reste du monde ;
iv) bâtir des garde-fous pour canaliser l’évolution sociétale de
l’Afrique ;
v) susciter ou développer des vertus visant à consolider les acquis et à
explorer des pistes novatrices pour l’épanouissement des popula-
tions africaines ;
vi) développer constamment des politiques et stratégies visant à rap-
procher les peuples africains et à maintenir un dialogue permanent
entre les religions.

Les intellectuels africains, dignes de ce nom, devraient constamment


inscrire leurs actions dans la réalisation des objectifs susmentionnés. Ce
rôle se structure essentiellement autour de la production d’ouvrages ou
d’œuvres qui font date dans l’histoire et qui contribuent, directement ou
indirectement, à l’évolution de la société. Si ce rôle historique continue
d’être joué par les intellectuels du Nord, ceux du continent africain l’ont
foulé aux pieds pour des raisons purement pécuniaires. Pour parvenir à
ces fins inavouées, les intellectuels africains sont dans leur quasi-majorité
devenus des politiciens. Pour réussir dans la carrière politique, ils action-
nent tous les leviers possibles, qui sortent parfois du cadre de la morale
humaine et qui conduisent souvent les sociétés africaines au bord de
l’implosion. Un tel comportement invite à conclure que les intellectuels
africains ont tourné le dos à leur mission initiale. Préférant donc opérer
sur le marché politique où l’accession au pouvoir garantit l’accès aux
ressources financières des pays, les intellectuels africains rament à contre-
courant de l’évolution de leurs communautés. Parfois même, ils consti-
tuent de véritables entraves à l’évolution de ces communautés. Ils sont
devenus des vecteurs du tribalisme ou de l’ethnocentrisme. Pour accéder
au pouvoir politique, ils marquent les esprits de leurs co-citoyens ou
compatriotes en jouant sur ces sentiments qui, à leur tour, génèrent la
haine et l’exclusion. Le développement de la haine et de l’exclusion finit
par susciter les conflits inter et intra États qui caractérisent aujourd’hui la
plupart des régions africaines. D’un autre point de vue, comme si la ma-
nipulation du tribalisme ou de l’ethnocentrisme n’était pas suffisante, les
intellectuels africains achèvent leur besogne en soufflant sur les émotions
religieuses. La guerre des religions, toutes exportées en Afrique comme le
dirait l’autre, constitue une menace potentielle aux effets indescriptibles,
si l’on n’y prend garde en l’étouffant dans l’œuf. Devenus donc des pro-
moteurs du tribalisme et jouant à fond la carte du « coreligionairisme »,
pour assouvir leurs besoins privés, les intellectuels africains n’aident pas
leurs communautés à s’épanouir, tout comme ils n’aident pas leurs pays à

174
répondre présents au concert des nations développées où l’industrie du
savoir joue, de nos jours, un rôle stratégique essentiel. Loin s’en faut. Ils
contribuent à les enfoncer dans l’abîme par des pratiques et des compor-
tements immoraux qui n’obéissent qu’à une seule logique : devenir im-
mensément riches et puissants, quel que soit le prix payé par la société.
Par ailleurs, les intellectuels africains sont devenus dans leur quasi-
majorité des liberticides. Ce comportement s’exprime parfaitement et
atteint son paroxysme lorsqu’ils parviennent au pouvoir politique. Dans
l’opposition, ils promettent monts et merveilles au peuple. Ils trouvent
des discours propagandistes et populistes qui fouettent l’âme et l’orgueil
de la foule et la poussent en avant vers des aventures dont eux-mêmes ne
maîtrisent pas les tenants et les aboutissants. Ce populisme de tout aca-
bit, vigoureusement tenu et entretenu dans l’opposition, est définiti-
vement renvoyé aux calendes grecques dès lors que le serment est prêté à
la tête de l’État. À ce moment-là, les intellectuels despotes dévoilent leur
vrai visage. Le masque tombé, les peuples découvrent tout le contraire du
rêve qu’on leur a fait miroiter depuis des lustres. Et pire, ils sont même
dépossédés des libertés qu’ils croyaient insuffisantes et qui leur ont pour-
tant permis d’accompagner leur mentor au pouvoir suprême. Ainsi, lors-
que les intellectuels sont au pouvoir, ils tordent le cou à toutes les libertés
d’expression. Les journalistes, symboles par excellence de la liberté
d’expression, sont torturés, emprisonnés ou souvent impunément assas-
sinés. Pour éviter ce triste sort, soit ils se musèlent, vivant alors un exil
intérieur, soit ils sont contraints de vivre un exil extérieur. Les masses
populaires, les couches les plus précaires, les sans-voix, ceux qui ont servi
de « starting box » ou qui ont été utilisés comme du « bétail électoral »
n’ont que leurs yeux pour pleurer, au risque de subir la barbarie animale
des milices armées du pouvoir. Les exemples des années 90 et 2000 sont
assez illustratifs des situations où les intellectuels au pouvoir ont assassi-
né les libertés, où les droits de l’homme ou les droits humains ont été les
plus bafoués.
Aussi, est-il important de le souligner, les intellectuels politiciens
croient détenir le monopole du savoir. Comme si ce qui est précédem-
ment décrit ne suffisait pas, la plupart des intellectuels africains, une fois
parvenus au pouvoir politique, se considèrent comme les détenteurs ex-
clusifs du savoir. Un tel comportement les conduit à s’enfermer dans leur
tour d’ivoire, ce qui les éloigne de la réalité des choses et les érige en ty-
rans. En réalité, les conseillers ne sont plus écoutés ; les intellectuels dic-
tateurs ne supportent pas les contestations ou les suggestions qui contra-
rient les leurs. Au contraire, ils excellent dans un entourage de béni-oui-
oui qui, de manière opportuniste, considèrent les paroles de leurs maîtres
comme des paroles divines. Généralement, les discours des intellectuels

175
tyrans sont accompagnés de tonnerres d’applaudissements, leur faisant
croire que ces discours ne souffrent aucune contestation et que, à la li-
mite, ils jouissent d’un pouvoir scientifique que seuls détiennent leurs
auteurs. Cette velléité de détention exclusive de la science infuse a porté
un préjudice incommensurable à tous les pays dirigés par les intellectuels
tyrans. Il en a été de même pour toutes les institutions internationales ou
nationales où ceux-ci ont eu à exercer leur pouvoir. Ces préjudices
s’articulent essentiellement autour de l’avènement de la chienlit, de la
vulgarisation de la gabegie et du népotisme ; de la généralisation des dé-
tournements des deniers publics ; de l’étouffement des initiatives privées,
voire de la réflexion ; de la paupérisation croissante des populations ; et
surtout de l’enrichissement insolent des intellectuels au pouvoir.
De même, les intellectuels africains s’associent parfois aux Institutions
de Bretton Woods pour paupériser leur continent. Au terme de leurs
études assez souvent financées par les maigres budgets des États, et donc
par les pauvres contribuables africains, la plupart des intellectuels afri-
cains, bardés de diplômes acquis dans les universités et grandes écoles
des pays du Nord, refusent de regagner leurs pays d’origine, sous le falla-
cieux prétexte que les conditions de travail n’y sont pas optimales pour
leur permettre d’exercer leur science. Généralement, ils sont attirés par
les salaires mirobolants des pays du Nord ou par ceux des institutions
internationales, plus particulièrement par ceux des Institutions de Bret-
ton Woods. L’Afrique se trouve ainsi privée, comme ce fut le cas pen-
dant l’ère de l’esclavage, de ses filles et de ses fils valides qui pourraient
énormément contribuer à son développement lato sensu. Et le comble ici,
c’est que ceux-ci s’érigent en de vaillants concepteurs, adeptes et défen-
seurs des politiques économiques et autres proposées par ces institutions
et que les pays africains, à leur corps défendant, sont contraints d’adopter
sous peine d’être privés de toutes sources de financement extérieur. En
tous lieux et en tous temps, ces fils d’Afrique défendent, mordicus, les
approches de développement imposées à leur continent et qui, à terme,
ont plongé celui-ci dans la pauvreté chronique et endémique, et dans
certains cas dans une misère à la limite de l’insoutenable.
C’est seulement lorsque ces fils africains sont parvenus à la retraite ;
lorsqu’ils sont devenus des bons à rien ; lorsque leurs employeurs les ont
totalement vidés de leur substance intellectuelle, qu’ils retournent alors,
pour certains d’entre eux, à la terre natale pour l’aider à s’extraire de la
pauvreté et de la misère. Une fois de retour, certains ouvrent des cabinets
d’études. D’autres deviennent des conseillers du prince ou des conseillers
dans différents ministères. D’autres, enfin, tentent de monnayer leur
« talent », s’il en reste encore, dans les institutions panafricaines comme
des experts érudits, dont les conseils doivent être considérés et consom-

176
més comme des produits finis. C’est seulement à ce moment-là qu’ils
réalisent l’ampleur des dégâts causés à leur continent par le biais des Ins-
titutions de Bretton Woods. C’est à ce moment-là qu’ils deviennent des
adversaires de la politique de développement du FMI et de la Banque
mondiale dont ils ont servi de bras armés pour appauvrir l’Afrique et
l’enliser dans le cul-de-sac de la pauvreté et de la misère. Ce type
d’intellectuels qui sont nombreux à arpenter les couloirs des Institutions
de Bretton Woods, se réveillent pour le continent quasiment au soir de
leur vie. Ce comportement de « médecin après la mort » est profondé-
ment préjudiciable à l’épanouissement de l’Afrique. Si de telles pratiques
se perpétuaient dans le temps, le continent africain aurait du mal à voir
ses filles et ses fils prétendre, un jour, devenir des lauréats potentiels ou
effectifs de Prix Nobels, toutes sciences confondues.

Comment inverser la tendance ?


Que faire pour libérer les intellectuels africains de toutes ces con-
traintes qui les détournent de leur devoir premier, voire de leur respon-
sabilité historique ? En d’autres termes, que faire pour permettre aux
intellectuels africains d’être proactifs par rapport aux grands défis aux-
quels fait face l’Afrique ? Ou bien que faire pour leur permettre de jouer
le rôle de locomotive dans l’évolution de la société africaine ? Nous es-
sayerons de répondre à ces questions majeures à travers le développe-
ment qui va suivre.
Ici, les chemins à explorer revêtent un double aspect : un aspect en-
dogène, dont les solutions relèvent des intellectuels eux-mêmes ; et un
aspect exogène dont les issues doivent provenir des pouvoirs publics
africains.

Ce que doivent faire les intellectuels pour contribuer à


l’épanouissement du continent
Les intellectuels africains, dans l’exercice de leurs fonctions, doivent
accepter un minimum de sacerdoce. Il doit être entendu que la fonction
intellectuelle est d’abord une fonction sacerdotale. Elle exige le don de
soi, voire un sacrifice personnel pour la promotion de la société à la-
quelle l’on appartient. Car la fonction intellectuelle consiste à se mettre
entièrement au service de la société en proposant, permanemment, des
perspectives nouvelles, des solutions nouvelles et novatrices pour remé-
dier aux blocages qui obstruent la progression de la société vers l’état de
bien-être généralisé. De ce point de vue, la fonction d’intellectuel doit
être moins perçue comme une voie d’enrichissement que comme un

177
sacrifice constant au bénéfice de la société. Cette vérité historique, les
intellectuels africains ne doivent pas la perdre de vue. Au contraire, ils se
doivent de l’intégrer dans l’exercice de leur science, sous peine de
s’éloigner de leur trajectoire initiale, voire de leur devoir historique.
L’état critique du sous-développement de l’Afrique ainsi que l’ampleur
de son déficit scientifique et technologique exigent qu’ils laissent la poli-
tique aux politiciens. Ici, la sagesse consiste à ce que les intellectuels
s’adonnent entièrement à leurs sciences et abandonnent le marché poli-
tique aux politiciens. Car être concomitamment sur les deux terrains,
c’est être assis entre deux chaises, ou encore cela revient à mâcher, simul-
tanément, dans ses deux bajoues. Certes, il n’est pas interdit d’adopter un
tel comportement. Mais le faisant, c’est accepter de produire des résultats
médiocres des deux côtés. Autrement dit, être en même temps scienti-
fique et politicien, c’est aboutir aux résultats de l’individu qui veut regar-
der ou observer le fond d’une bouteille avec les deux yeux en même
temps. En clair, porter la double casquette du scientifique et du politi-
cien, c’est signer un pacte avec la médiocrité. Car le scientifique – politi-
cien conduit son peuple dans une aventure politique, lorsqu’il tient les
rênes de l’État. Comme conclusion, cela se traduit souvent par
l’avènement de conflits de toute nature, symbolisés par l’exclusion géné-
ralisée et le marasme économique dû essentiellement à un pillage organi-
sé autour des intérêts du prince. De même, lorsque le scientifique – poli-
ticien se propose de s’adonner à sa science, c’est la médiocrité qui en
résulte. La raison en est qu’il a perdu tous ses réflexes de scientifique ; il
est vidé de sa substance scientifique, car mal entretenue ; il est déconnec-
té de tous les réseaux scientifiques ; il n’a plus, enfin, de point d’ancrage
scientifique qui l’empêche de s’éloigner durablement de sa science. Les
intellectuels africains doivent donc opérer un choix judicieux entre être
scientifique et être politicien, et non être les deux en même temps. Tout
au plus, ils peuvent jouer le rôle de conseillers dans la cour du prince ou
auprès de son entourage.

Ce que doivent faire les pouvoirs publics pour mobiliser les in-
tellectuels africains
Les solutions qui relèvent essentiellement des pouvoirs publics doi-
vent être identifiées et effectivement appliquées pour accompagner les
intellectuels dans l’accomplissement de leurs tâches historiques. Ceux-ci
doivent, entre autres, développer la structure des incitations à la re-
cherche scientifique et à l’amélioration constante des conditions de tra-
vail et de vie des intellectuels.

178
En Afrique, la recherche scientifique demeure le dernier des soucis de
la plupart des chefs d’État et de gouvernement. Les chercheurs travail-
lent dans des conditions moyenâgeuses. Les centres ou instituts de re-
cherche sont démunis de tout équipement incitatif à la vraie recherche.
Lorsque ces centres ou ces instituts en disposent (cas rarissime), ils
s’arrêtent d’être opérationnels dès l’apparition de la première panne ou
du fait tout simplement d’un manque d’entretien rigoureux et continu.
En sus de la pénurie d’équipements et de moyens de tout genre pour
effectuer la vraie recherche, les chercheurs africains bénéficient d’une
rémunération largement insuffisante. Les salaires dont ils jouissent suffi-
sent à peine à couvrir leur loyer et à nourrir leur famille. Pendant ce
temps, dans les pays, l’on assiste à l’exhibition d’un luxe insolent par
leurs concitoyens opérants dans d’autres branches ou secteurs d’activité.
Ce dénuement total qui caractérise les chercheurs africains dans
l’exercice de leur métier justifierait, en partie, leur exode vers les instituts
de recherche des pays du Nord ou leur propension à s’adonner à
l’activité politique. Cet état de fait mérite donc d’être corrigé pour non
seulement inciter les chercheurs à la recherche, susciter des vocations
dans la recherche, mais encore, pour atténuer la fuite des cerveaux ou
l’exode des intellectuels africains vers les structures des pays développés.
Pour ce faire, la réhabilitation des instituts ou des centres de recherche
déjà existants s’impose comme une priorité extrême. Aussi, faut-il initier
de la recherche dans les secteurs stratégiques et doter, conséquemment,
les instituts de recherche en ressources humaines, financières et tech-
niques appropriées. En outre, des incitations salariales doivent être déve-
loppées pour pousser les chercheurs africains à se consacrer entièrement
à la recherche, et pour susciter des vocations, dans ce segment d’activité
d’une nécessité vitale pour l’Afrique tout entière, auprès de la jeunesse
estudiantine africaine. L’autre nom du développement, c’est la maîtrise
de la recherche et des résultats qui en découlent. C’est pour dire tout
simplement que le développement, c’est le fruit de la recherche entre-
prise avec ardeur dans les laboratoires de recherche. Ce n’est donc pas le
fruit du hasard. Et comme le dirait l’autre, le développement sort des
universités et des grandes écoles. C’est la matérialisation des fruits du
savoir.
Cette vérité, déjà comprise par l’Europe et les États-Unis depuis belle
lurette, et comprise par les pays asiatiques et d’Amérique latine depuis
quelque temps, reste encore aujourd’hui incomprise par la quasi-totalité
des pays d’Afrique. Et pour cause, les dépenses consacrées à l’éducation
nationale et à la recherche connaissent une part décroissante dans les
budgets nationaux. Et pire encore, l’École et la recherche sont sacrifiées
sur l’autel de l’austérité budgétaire appliquée dans le cadre de l’adoption

179
des vertus de l’économie de marché, à la requête des Institutions de Bret-
ton Woods. L’école et la recherche sont donc les premières victimes
budgétaires lorsque les pays sont invités à « dégraisser » les budgets na-
tionaux, dès l’apparition de la moindre crise économique. L’Afrique doit
donc corriger le comportement qui accroît sa dépendance scientifique et
technologique, en accordant à la recherche, lato sensu, une extrême priori-
té, ce qui lui permettra de rompre définitivement avec les économies
caractérisées par des pénuries, de se positionner durablement sur les sen-
tiers de la croissance et du développement, et de conférer le bien-être à
ses populations.
L’UA, dans une de ses décisions politiques, invite les pays à consacrer
20% des budgets nationaux à l’Education. Le bilan régulier de la mise en
œuvre effective d’une telle décision laisse voir que très peu d’États ont lié
l’acte à la parole. Puisse cet appel de l’UA être entendu par les leaders
africains afin de sortir l’école africaine de son dénuement actuel et de
mettre les chercheurs africains dans les conditions idoines pour l’exercice
de leur talent scientifique.
Aussi, est-il extrêmement urgent d’intégrer les résultats de la re-
cherche dans les secteurs productifs. Les résultats de la recherche, quelle
que soit leur qualité ou leur pertinence, ne servent à rien s’ils restent au
niveau de l’abstrait. La problématique posée ici est celle de la décon-
nexion des instituts de recherche avec le secteur marchand dans son en-
semble. Ainsi, les maigres résultats obtenus dans les conditions déjà évo-
quées sont archivés dans les armoires de ces instituts. Tout se passe
comme si le secteur productif africain n’avait de liens qu’avec les pôles
de recherche ou les laboratoires des pays du Nord. Cela s’explique, en
partie, par le fait que ce secteur productif demeure encore contrôlé par
les intérêts du Nord. Mais cette dépendance peut-elle, à elle seule, justi-
fier la déconnexion structurelle existant entre la recherche et le secteur
productif ? Répondant par la négative, nous osons croire qu’ici, les pou-
voirs publics ont un rôle majeur à jouer. Ainsi, ils doivent développer le
cadre stratégique de la recherche nationale en se fondant essentiellement
sur la vision de développement admise de façon consensuelle ; et orien-
ter les chercheurs en fonction des besoins de la production nationale. À
cet égard, la parfaite communication entre pouvoirs publics et cher-
cheurs, doublée de la prise en compte des besoins exprimés par les sec-
teurs productifs dans les programmes de recherche, constitue un véri-
table gage du succès pour une recherche au service de la croissance et du
développement.
Enfin, en Afrique, l’on doit accepter l’esprit critique des intellectuels
comme instrument de progrès et non de déstabilisation politique.
L’esprit critique est l’une des caractéristiques fondamentales des intellec-

180
tuels. Ne pas l’exprimer, c’est leur enlever une partie essentielle de leur
être. C’est les priver de toutes les dispositions optimales d’exercice de
leur métier. C’est, au final, les contraindre à ne pas être. L’expression, par
les intellectuels, de leur esprit critique, en tout lieu et en tout temps,
constitue la condition première de leur existence. Les pouvoirs publics
africains, sous le fallacieux prétexte de propos ou d’œuvres subversifs,
empêchent les intellectuels de s’exprimer librement et entièrement dans
leur art. Des pans entiers de la pensée humaine sont donc étouffés dans
l’œuf, ou restent inconnus ou inexploités. Les intellectuels qui ont le cou-
rage d’exprimer leurs pensées sont soit contraints à l’exil forcé, soit sont
l’objet de traitements arbitraires de tout genre qui, dans certains cas, leur
enlèvent le souffle de la vie. Les pouvoirs publics africains doivent accep-
ter d’adopter les vertus de la culture de la critique. La critique doit être
perçue comme un facteur favorisant le progrès, et non comme un ins-
trument de subversion. Dès lors, les pouvoirs publics doivent mettre fin
à leur frilosité à l’égard de la critique et permettre aux intellectuels afri-
cains de s’exprimer pleinement et librement. Car l’on ne doit jamais ou-
blier que depuis la nuit des temps les progrès ont toujours été
l’accomplissement des rêves.

Faire de l’Ecole un gisement de création d’emplois


Trouver du travail aux hommes et aux femmes qui peuplent une com-
munauté constitue une problématique majeure dont les tenants et aboutis-
sants s’apparentent à une gageure pour les économistes de tout temps. Les
ancêtres des économistes, ceux de l’Antiquité (Hésiode, Xénophon, Platon,
Aristote, ….), ceux de la pensée scolastique (Saint Thomas d’Aquin, Jean
Buridan, Nicolas Oresme….), ceux de la Renaissance (particulièrement, les
mercantilistes et leurs représentants comme Jean Bodin, Thomas Mun, Wil-
liam Petty…) avaient eux aussi le travail comme une de leurs principales
préoccupations. Les nombreux conseils prodigués par ceux-ci aux princes
n’ont pas permis d’éradiquer le phénomène du sous-emploi qui caractérisait
les cités. Les économistes des temps modernes qui se sont succédé, depuis
Adam Smith jusqu’aujourd’hui, même en s’enrichissant des acquis théo-
riques de leurs ancêtres, n’ont pu apporter des réponses efficaces et durables
à la problématique du chômage. Depuis la nuit des temps, voire depuis les
temps immémoriaux, l’emploi a été un problème social difficile à maîtriser.
Le phénomène du chômage a été, dans le temps comme dans
l’espace, un problème de société intergénérationnel. Chaque génération a
tenté de lui administrer une thérapie en fonction des moyens et des res-
sources de son temps. Mais force est de reconnaître que de nos jours le
problème de l’emploi se pose avec plus d’acuité. L’emploi est devenu un

181
problème planétaire qui ne connaît pas de frontières. Il trouble le som-
meil de tous les gouvernements. Il ne fait pas de distinction entre pays
pauvres et pays riches. Tous les pays, toutes catégories confondues, ne
parviennent pas à endiguer ce phénomène et à minimiser ses effets per-
vers sur les populations, plus particulièrement sur les populations jeunes.
Dans le monde, à l’exception de quelques pays, les taux de chômage en-
registrent des pics records. Cette situation enlève à la quasi-majorité des
jeunes du monde toute espérance de se construire et de contribuer à
l’épanouissement du monde de leur temps.
Toutefois, si les pays riches parviennent à amortir les effets sociaux
du chômage, du fait des ‘‘matelas sociaux’’ contenus dans leur politique
sociale ; les pays pauvres quant à eux, vivent le mal du chômage dans
toutes ses dimensions. Les taux de chômage en Afrique ont atteint des
quotients extrêmement élevés. L’évaluation du chômage rencontre
d’énormes entraves en raison de l’absence de statistiques pertinentes et
fiables dans le temps et dans l’espace. En Afrique, selon une convention
non officielle, ‘‘est chômeur celui qui est allé à l’école et qui a glané des
diplômes’’. Cette population de chômeurs n’intègre donc pas les jeunes
analphabètes urbains comme ruraux qui, pourtant, représentent un pan
important des populations africaines. Ainsi les taux de chômage connus
et déclarés en Afrique ne portent seulement que sur les populations sor-
ties des écoles et des universités. Et si l’on y incluait les nombreux jeunes
illettrés des zones urbaines et rurales, quels seraient les niveaux de chô-
mage dans les pays africains ? Bien malin qui pourrait répondre à ce
questionnement.
En Afrique, le chômage révèle donc un double problème : la qualité des
statistiques pour l’évaluer et connaître sa dimension réelle ; et la qualité des
politiques à mettre en place pour sa résorption. Une fois la question de la
statistique réglée, que doit faire l’Afrique pour s’attaquer aux causes pro-
fondes du chômage qui sévit dans ses campagnes et dans ses villes ? Les
gouvernements successifs dans nos pays ont essayé d’y faire face par
l’entremise de politiques diverses et variées. Mais, jusqu’aujourd’hui, les ré-
sultats sont largement en deçà des espérances.
Aujourd’hui, la population africaine se chiffre à environ plus d’un mil-
liard d’âmes avec la caractéristique d’être composée essentiellement de
jeunes. L’Afrique recèle donc un dividende démographique on ne peut
plus important qui n’attend qu’à être valorisé. Car une jeunesse, laissée
trop longtemps sans emploi, constitue une menace permanente de désta-
bilisation politique et sociale. Nous n’avons pas la solution idoine à la
tragédie du chômage. Mais nous pensons que les pistes que nous propo-
sons dans les développements qui vont suivre méritent d’être explorées.

182
En premier lieu, nous pensons que l’école doit trouver toute sa place
en Afrique. Une école mieux organisée, mieux structurée, mieux dotée en
ressources de tout genre et qui s’épanouit constamment en intégrant les
besoins de développement des pays et la capacité productive de leurs
économies. Car, comme le suggère bien J.E. STIGLITZ, ‘‘Les écoles
sans les emplois ne conduisent pas au développement, de même que la
libéralisation des échanges, sans routes ni ports, ne stimule pas la crois-
sance’’. Le succès des pays africains exige la stabilité sociale et politique.
Et la stabilité sociale et politique exige beaucoup d’emplois et peu
d’inégalité. Et STIGLITZ de renchérir sur cette problématique, ‘‘Ins-
truire les gens sans avoir d’emplois à leur donner est la recette de la ran-
cœur et de l’instabilité, pas de la croissance.’’
Éduquer les jeunes et leur trouver des emplois décents s’avère d’une
extrême importance. Une politique éducative cohérente, performante et
débouchant sur le plein emploi constitue une des voies les plus sûres
pour détourner la jeunesse des appels des pseudo-révolutionnaires. Cette
problématique, connue de tous, mérite qu’on lui trouve une solution
efficace et durable. L’école doit donc être la « priorité des priorités » pour
tous les régimes républicains. Comme dit l’adage, « L’école est la clé de la
vie ». Tous ceux qui en sont exclus, pour des raisons diverses, sont expo-
sés à toutes les vicissitudes de la vie. Selon A. Sen, Prix Nobel
d’économie en 1998, l’éducation constitue le meilleur moyen de lutte
contre la pauvreté. Dans cette logique, la probabilité pour un jeune non
éduqué de trouver un emploi décent, et donc de s’extraire de la pauvreté
et de la misère, est loin d’être un événement certain.
En revanche, une jeunesse éduquée et jouissant d’emplois décents est
hors de portée des tenants du populisme de tout genre. Cette jeunesse-là
résiste aux appels du « patriotisme tribal » ou du « patriotisme négatif » à
la solde des intérêts du prince. L’éducation et l’emploi décent sont donc
de nature à mettre la jeunesse à l’abri de tout populisme, de tout patrio-
tisme négatif, voire destructeur, et de tout enrôlement à desseins tribaux
ou religieux.
En deuxième lieu, nous estimons qu’il est urgent d’engager un dia-
logue franc avec la jeunesse africaine sur les enjeux de la mondialisation
et ses conséquences sur l’emploi. La mondialisation est très peu connue
des jeunes, alors que celle-ci implique un changement profond de com-
portement de leur part. La mondialisation exige que les jeunes soient plus
compétitifs aux plans national, régional et international. Or, la recette
d’une meilleure compétitivité est une formation de qualité qui réponde
aux exigences des standards internationaux. Car une jeunesse sans forma-
tion peut se trouver dans l’incapacité de saisir les opportunités d’emplois
qui peuvent s’offrir à elle (même au plan national) du fait de

183
l’accélération de la mobilité du facteur travail due à la mondialisation. Les
entreprises qui s’installent dans les pays ont besoin de main-d’œuvre hau-
tement qualifiée pour valoriser leurs investissements. La mondialisation
aidant, si elles ne trouvaient pas le personnel requis au plan domestique,
elles n’hésiteraient pas à faire appel à une main-d’œuvre étrangère. La
jeunesse africaine doit donc avoir, comme priorité première, son instruc-
tion et sa formation, avant toute autre chose. Cette instruction ou cette
formation constitue la clé lui permettant d’ouvrir toutes les portes de la
vie y compris celle du marché du travail. L’école a donc un rôle majeur à
jouer dans la résorption du chômage en Afrique, car elle offre des outils
nécessaires à la jeunesse pour lui permettre de mieux comprendre les
véritables enjeux de la mondialisation. L’on doit lui consacrer une atten-
tion toute particulière dans toutes ses dimensions : l’école de base,
l’enseignement général, l’enseignement technique (qui est aujourd’hui le
parent pauvre de l’école africaine), l’enseignement supérieur général et
technique.
En troisième lieu, nous estimons que l’Afrique d’aujourd’hui étant es-
sentiellement agricole, le chômage ne peut y être maîtrisé sans la contri-
bution significative du secteur agricole. Ce secteur constitue un gisement
abyssal d’emplois en Afrique. Le continent détient 60% des terres arables
dans le monde. Donc l’agriculture, dans toutes ses dimensions, détient,
en partie, la clé de la résorption du chômage en Afrique. Tous les mail-
lons de la chaîne agricole (production, transformation, commercialisa-
tion, recherche et développement, formation,…) sont des sources de
création d’emplois. Pourquoi alors se passer du secteur d’activité le
mieux nanti pour alléger les souffrances des sans-emplois en Afrique ?
Ici, l’on peut également susciter des vocations, à travers des politiques
d’accompagnement bien réfléchies et assez incitatives, invitant les jeunes
Africains à prendre l’assaut des terres africaines non mises en valeur pour
promouvoir l’agriculture africaine en créant des emplois. Ici également
l’Ecole africaine doit apporter sa pierre à l’édifice. Dans cette perspec-
tive, les dirigeants du continent doivent promouvoir les écoles, les
centres et les instituts de formation agricoles par filière ou par branche
de production. Aussi doivent-ils développer des centres de recherche
dans les domaines agricoles pour soutenir la production agricole ainsi
que la création d’emplois dans le milieu rural.
En quatrième lieu, nous pensons que le dialogue avec les jeunes doit
aussi porter sur les politiques d’emplois des pays, les types d’emplois
générés par les économies, ainsi que sur les potentialités d’emplois dont
regorgent les différentes régions des pays. Ici, l’art consiste à les amener à
s’approprier le contenu de la politique d’emploi du pays, à avoir de lui
des informations précises sur le type d’emplois qu’il préfère, et à lui pré-

184
senter les types d’emplois qu’offre l’économie. Un tel dialogue présente
un double intérêt : permettre aux pouvoirs publics de partager avec les
jeunes les tenants et aboutissants de leur politique d’emplois, et per-
mettre aux jeunes de faire connaître aux pouvoir publics leurs attentes en
matière d’emplois. Par ailleurs, ce dialogue Pouvoirs Publics-Jeunes est
de nature à identifier les potentialités d’emplois des différentes régions
constitutives du pays, et à susciter une éventuelle mobilité (que les pou-
voirs publics doivent faciliter) des jeunes. En vérité, seule une jeunesse
bien instruite et qui a aussi la maîtrise des activités manuelles est à même
de saisir le bien-fondé d’un tel dialogue pour en faire une opportunité de
s’offrir un emploi.
En cinquième lieu, il est à noter que les dirigeants peuvent explorer
les pistes des zones franches urbaines et régionales ; des pôles de déve-
loppement ; et des pôles de croissance qui peuvent offrir des niches de
marché de travail que l’on peut exploiter. Ces types de projets méritent
d’être multipliés pour améliorer l’attractivité des villes et des régions, et
de facto pour contribuer à la réduction du chômage dans les pays. Les
pôles de croissance, particulièrement qui constituent une combinaison de
centres de recherche, d’entreprises, d’instituts d’innovation technolo-
gique, etc.exigent l’avènement d’une École épanouie et développée.
En sixième lieu, l’on peut actionner le levier de la transition écolo-
gique pour créer des emplois. Si cela est en train d’être fait sous d’autres
cieux, l’Afrique ne doit pas se mettre en retrait de ce processus. Les ef-
fets négatifs du changement climatique sur les économies africaines exi-
gent que les politiques actuelles et futures intègrent cette contrainte quasi
planétaire. La transition écologique pourrait donc être un autre gisement
d’emplois qui mérite d’être exploré. Dorénavant, les programmes afri-
cains de formation doivent intégrer cette nouvelle donne internationale.
Finalement, il est à souligner qu’en matière de création d’emplois, il n’y a
pas, dans le monde, de solutions miracles. Il n’y a pas non plus de solutions
universelles à vulgariser. En revanche, il y a des solutions adaptées à chaque
pays ou à chaque communauté. Il est donc du devoir des dirigeants des pays
de faire appel au génie créateur de leurs populations pour identifier les voies
et moyens susceptibles de créer des emplois à partir des potentialités éco-
nomiques et humaines dont dispose chacun de ces pays. Et l’école dans
toutes ses dimensions peut fortement y contribuer.
Au total, l’on peut retenir que les intellectuels africains, au lieu de jouer le
rôle qui est le leur dans le processus de développement de l’Afrique, se sont
plutôt érigés en disciples du tribalisme ou de l’ethnocentrisme et en adeptes
farouches du « coreligionairisme » ; se considèrent comme des dépositaires
exclusifs de la science infuse ; et finalement, constituent des canaux par les-
quels les institutions de Bretton Woods imposent leur diktat à l’Afrique.

185
Nous estimons, bien au contraire, que les intellectuels africains ont la
responsabilité historique d’accompagner l’Afrique dans son processus de
développement. Ils ne doivent pas se détourner de cette mission pre-
mière, sous prétexte de rencontrer des difficultés dans l’accomplissement
de leurs tâches. Une mission de sacerdoce s’impose à eux. Toutefois, les
dirigeants africains doivent développer les incitations à la recherche, ac-
cepter l’esprit critique des intellectuels comme instrument de progrès et
non de subversion afin de leur permettre de vivre de leur métier et de
contribuer significativement à réduire le gap scientifique et technologique
qui sépare l’Afrique du monde développé, et encore plus des économies
émergentes.

186
CHAPITRE VI

Une Afrique engluée dans les partenariats


tous azimuts

Aujourd’hui, l’Afrique demeure le continent le plus courtisé de la pla-


nète. D’autres, même, n’hésitent pas à la comparer à « la plus belle
femme du monde » que courtiseraient tous les pays du reste du monde.
Peut-il en être autrement ? La réponse est négative en raison de
l’immensité des ressources agricoles, minières et énergétique que recèle
ce continent. Oui, l’Afrique est attractive de par ses nombreuses ri-
chesses. L’essentiel des pays du reste du monde lui propose de nouer
avec elle des partenariats multisectoriels en vue de l’aider à sortir ses
nombreuses populations de la misère. Ce noble objectif, officiellement
identifié et qui transparaît dans tous les textes fondateurs de ces partena-
riats, constitue-t-il la véritable raison d’être de ceux-ci ? Ou bien ces par-
tenariats poursuivent-ils des objectifs inavoués ou des agendas non dé-
clarés de leurs initiateurs ? La réponse à ces questionnements n’est pas
l’objet du présent chapitre. En revanche, il vise à souligner la pluralité
des partenariats qui lient aujourd’hui l’Afrique au reste du monde, et sur-
tout à indiquer qu’en l’absence d’un cadre stratégique de coopération
avec les ensembles partenaires, l’Afrique ne pourra pas, non seulement
tirer profit de ces multiples partenariats, mais aussi, elle risque d’y perdre
son âme tout en y étant le grand perdant.
Pour mémoire, il convient de rappeler qu’aujourd’hui, l’Afrique, par
l’entremise de la Commission de l’Union africaine, développe un parte-
nariat dit « stratégique » avec plusieurs pays. Au nombre de ces partena-
riats figurent principalement :
x Le partenariat Afrique-Europe ;
x Le partenariat Chine-Afrique ;
x Le partenariat Inde-Afrique ;
x Le partenariat Corée du Sud-Afrique ;
x Le partenariat avec le Japon symbolisé par la Conférence interna-
tionale de Tokyo pour le développement de l’Afrique (TICAD);
x Le partenariat Afrique-Turquie ;
x Le partenariat Afrique-Amérique du Sud ;
x Le partenariat Afrique-États-Unis.

La liste de ces partenariats est probablement extensible en raison des


propositions des pays comme l’Iran, la Russie et autres, pour le noue-
ment d’un partenariat avec l’Afrique. Toutefois, l’important à signaler ici
est que le dénominateur commun de tous ces partenariats demeure, à
n’en point douter, la quasi-similitude des secteurs couverts ou des priori-
tés couvertes. En réalité, les pays et les régions qui proposent d’entretenir
un partenariat avec l’Afrique savent pourquoi ils en font la demande. Ils
savent ce qu’ils veulent et maîtrisent les variables de l’orientation qu’ils
souhaitent imprimer à leur partenariat avec le continent africain. Aussi,
est-il important de le souligner, ces pays ou régions s’inscrivent dans un
partenariat avec l’Afrique en tant qu’entité d’une part, et d’autre part ils
entretiennent parallèlement des relations bilatérales avec chaque pays
africain pris individuellement. Une telle démarche est de nature à com-
plexifier davantage la tâche de l’Afrique dans la gestion de ses nombreux
partenariats. Elle se trouve prise en tenaille entre les politiques bilatérales
de ses États membres et la politique que conduit l’Union africaine sur
instructions de ces mêmes États. Et comme l’Afrique, par l’entremise de
l’UA, ne s’est pas encore dotée d’une véritable stratégie de coopération
pour encadrer ses multiples partenariats avec le reste du monde, elle
semble être frappée d’inertie au regard de ceux-ci dont le nombre évolue
crescendo. En d’autres termes, elle semble être noyée dans un océan de
partenariats qui lui offrent le développement avec des thérapies quasi
similaires.
Les développements qui vont suivre porteront essentiellement sur les
partenariats Afrique-Chine, et Afrique-Europe en raison de leur dimension
et de leur diversité dans la coopération de l’Afrique avec le reste du monde.
Ces développements mettront surtout en exergue notre appréciation des
partenariats stratégiques que l’Afrique entretient avec ces deux ensembles et
indiqueront les chemins à suivre pour que les Africains, tout comme les
Européens et les Chinois, puissent en bénéficier pleinement dans une lo-
gique de partenariats « gagnant-gagnant ». Ensuite, ils déboucheront sur ce
que l’Afrique doit entreprendre pour ne plus être, comme par le passé, « la
vache à lait » du reste du monde, plus particulièrement, de ses principaux
partenaires au commerce international.

188
La pénétration chinoise en Afrique trouble le sommeil des
Occidentaux
« Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera », avait titré Alain
Peyrefitte en 1973. Prenant de court les sinisants et faisant sienne une
prophétie attribuée à Napoléon à Sainte-Hélène, l’homme d’État et intel-
lectuel français entendait ainsi à l’époque mettre en garde contre le « péril
jaune ». Que se passe-t-il aujourd’hui ? La Chine est-elle déjà sortie du
sommeil ? Est-elle en train de s’éveiller ? Sinon, les insomnies actuelles
des Occidentaux sont-elles des signes annonciateurs ou avant-coureurs
du réveil effectif ou imminent de la Chine ? Avant de tenter de répondre
à ces questions, un bref regard sur la Chine contemporaine s’impose.
De nos jours, la Chine est devenue un partenaire incontournable dans
la gestion des affaires planétaires. La République populaire de Chine jouit
du droit de veto au Conseil de Sécurité des Nations unies ; elle est une
puissance nucléaire ; et elle constitue le plus grand atelier du monde. Son
poids économique est tel que l’ordre traditionnel établi et dominé par le
G-8 se trouve aujourd’hui remis en cause. Toutes les sources statistiques
fiables de notre temps sont unanimes à reconnaître la remarquable per-
formance économique de la Chine.
Au cours de la dernière décennie, le centre de gravité de l’économie
mondiale, dit-on, s’est déplacé vers l’Est, à la faveur de la performance
de l’économie chinoise. Selon H. Baudchon et B. Cavalier46, « les mar-
chés, les échanges de marchandises, les flux financiers s’organisent doré-
navant autour de l’axe sino-américain. La Chine est aujourd’hui le qua-
trième client des États-Unis et surtout leur deuxième fournisseur ». La
Chine est désormais le deuxième partenaire commercial de l’Union euro-
péenne. Toutefois, les exportations chinoises vers l’Europe sont trois
fois plus importantes que celles de l’Union européenne vers le géant asia-
tique. Le tableau ci-dessous est significatif de l’arrivée de l’Empire du
Milieu au premier plan de la scène mondiale. Depuis 2007, il s’impose
comme la deuxième puissance économique mondiale, relayant ainsi le
Japon qui a longtemps occupé ce rang.



46 H. Baudchon et B. Cavalier, « Chine / États-Unis : dialogue ou choc des Titans ? » In

Problèmes économiques No 2.926, 20 juin 2007, pp3 – 8.

189
Tableau 5 : Part et poids de 12 pays dans l’économie mondiale
2000 2007
Part dans Part dans
Pays
l’économie Rang l’économie Rang
mondiale (%) mondiale (%)
1 États-Unis 23,7 1er 21,4 1er
2 Japon 7,7 2ème 6,6 3ème
3 Chine 7,2 3ème 10,9 2ème
4 Allemagne 5,2 4ème 4,4 5ème
5 France 3,7 5ème 4,6 4ème
6 Inde 3,7 5ème 4,6 4ème
7 Royaume-Uni 3,6 6ème 3,3 6ème
8 Italie 3,4 7ème 2,8 8ème
9 Russie 2,7 8ème 3,2 7ème
10 Indonésie 1,2 9ème 1,3 9ème
11 Iran 1 10ème 1,2 10ème
12 Ukraine 0,4 11ème 0,5 11ème
Source : Tableau construit à partir des données du FMI, J.A., 2008 No 2464-2465.

Ce tableau montre clairement la part et le poids de la Chine dans


l’économie mondiale. Alors qu’elle occupait la troisième place en 2000,
avec 7,2%, la Chine se hisse au deuxième rang en 2007 avec 10,9 %, tout
juste derrière les États-Unis qui enregistrent 21,4 %. Le fait marquant est
que la Chine a supplanté le Japon qui, pendant longtemps, a secondé les
États-Unis dans le peloton de tête des économies les plus performantes
au monde.
L’Afrique, notre continent, n’est pas à l’abri de la chevauchée chi-
noise. Au contraire, la Chine y est présente dans la quasi-totalité des sec-
teurs d’activité. Les investisseurs chinois ont pris d’assaut l’Afrique. En
Afrique, la coopération chinoise n’est soumise à aucune conditionnalité
politique, y compris pour ce qui est de l’aide. Elle est fondée sur le prin-
cipe directeur de la diplomatie chinoise qui se veut une diplomatie sans
ennemi, au nom du principe de la « non- ingérence ». « La Chine ne pose
aucune condition politique à sa coopération », aimait déclarer Hu Jintao
au cours de ses tournées africaines. En visite au Cap, le 22 juin 2006,
Wen Jiabao affirmait : « Nous ne voulons pas exporter nos propres va-
leurs et notre modèle de développement »47.
Les indicateurs qui suivent illustrent suffisamment la présence chi-
noise en Afrique48. Près de 30% du pétrole importé par la Chine en 2005
venait d’Afrique, soit plus de 38 millions de tonnes ou l’équivalent de

47 B. Courmont et I. Lewis “La stratégie chinoise en Afrique” in Problèmes écono-

miques, No 2.926, juin 2007, pp 24 – 26.


48 B. Courmont et I. Lewis, Ibid.

190
760 000 barils par jour. L’Angola, deuxième partenaire africain de la
Chine, est devenu en février 2006 son premier fournisseur de pétrole,
devant l’Arabie saoudite, avec plus de 450 000 barils de brut par jour, ce
qui correspond à 15% du total des importations chinoises
d’hydrocarbures. Le Moyen-Orient ne représenterait plus aujourd’hui
que 40% des importations pétrolières chinoises, contre à peu près 56%
dans les années 90.
La présence chinoise est-elle une opportunité de croissance pour
l’Afrique ? En d’autres termes, les investissements chinois en Afrique
vont-ils donner à ce continent le ballon d’oxygène qui lui a fait défaut
jusqu’à ce jour ? Sinon, la présence chinoise constitue-t-elle une entrave
au développement de l’Afrique ? Ceux qui se posent cette dernière ques-
tion fondent leur argumentaire sur les conséquences éventuelles de la
coopération inconditionnelle que développe la Chine en Afrique.
Une telle coopération, soutiennent-ils, est de nature à faire reculer
l’Afrique sur les fronts de la gouvernance, de la démocratie et des droits
de l’homme. Aussi, disent-ils, l’intervention chinoise en Afrique recèle en
son sein tous les ingrédients d’un alourdissement du fardeau de la dette
extérieure du continent, au moment même où les pays africains, avec le
soutien de la communauté internationale, sont en train de réaliser des
progrès notables pour ce qui est de l’allègement de leur dette extérieure.
À cet égard, les tenants de cette thèse affirment que la Chine accorde
facilement des prêts à des pays qui sortent à peine du piège du surendet-
tement.
Aussi, ajoutent-ils, la politique de financement du développement pra-
tiquée par la Chine (prêts et crédits à taux préférentiel, annulation des
dettes) ferait le lit de la corruption, surtout au niveau de l’attribution des
marchés. Selon Gal Luft de l’Institute for the Analysis of Global Security49,
« Les Chinois sont enclins à mener leurs affaires d’une manière que les
Américains et les Européens commencent à rejeter : payer des pots-de-
vin et autres dessous de table. D’où l’intérêt de certains pays africains à
travailler avec des entreprises chinoises plutôt qu’avec des compagnies
occidentales… ».
Enfin, affirment-ils, l’Afrique risque à terme, si elle n’y prête attention,
de se libérer du néo-colonialisme ou de l’impérialisme occidental juste
pour tomber pieds et mains liés dans l’impérialisme chinois. L’Afrique
constitue-t-elle un terrain d’affrontement entre la Chine et les Occiden-
taux ? Selon B. Courmont et J. Lewis50, « les Occidentaux sont particuliè-


49 Cité par J.C. Servant (op. cit) et repris par B. Courmont et I. Lewis (op.cit).
50 B. Courmont et I. Lewis, Op.cit.

191
rement préoccupés par cette nouvelle coopération sino-africaine parce
que la Chine cherche clairement à les supplanter sur le continent »51.
Si l’Afrique exporte des matières premières en Chine, elle importe
aussi de ce pays des produits manufacturés moins coûteux. Mais là où le
bât blesse, c’est que la compétitivité des produits chinois réduit les dé-
bouchés des produits locaux, contraignant ainsi plusieurs entreprises à
déposer le bilan avec, à la clé, la suppression de milliers d’emplois. Le
secteur du textile en Afrique du Sud illustre parfaitement cette situation.
Pour endiguer l’afflux des produits textiles chinois, un mémorandum
réduisant de 30% les exportations chinoises sur les produits textiles pour
les trois années à venir a été signé le 21 juin 2006 entre les deux parties52.
Par ailleurs, il convient de noter que la Chine exporte en Afrique des
biens manufacturés à haute valeur ajoutée, alors qu’elle n’y importe que
des matières premières à l’état brut. Une telle situation recèle en son sein
tous les ingrédients d’un large déficit de la balance commerciale de la
plupart des pays africains, ce qui contribue à confirmer les arguments de
tous ceux qui qualifient la présence chinoise en Afrique de néocoloniale.
Ainsi, selon Valérie Niquet53, « la Chine apparaît donc en Afrique comme
essentiellement prédatrice, selon le modèle hier mis en œuvre par les
puissances coloniales ». De même, fait remarquer Moelestsi Mbeki,54 « en
échange des matières premières que nous leur vendons, nous achetons
leurs produits manufacturés. Et cela ne peut avoir qu’un résultat prévi-
sible : une balance commerciale négative. N’assistons-nous pas à la répé-
tition d’une vieille histoire ? ».
Les Chinois ont pris d’assaut tous les secteurs d’activité des pays afri-
cains. Partout, ils sont en compétition avec les opérateurs économiques afri-
cains, aussi bien dans les secteurs formels que dans les secteurs informels.
Selon l’étude de B. Courmont et I. Lewis55, « il existe en Afrique deux
formes de migrations chinoises : l’une ouvrière et l’autre commerçante. Au-
jourd’hui, plus de 150 000 Chinois seraient installés sur le continent africain,
parmi lesquels 78 000 ouvriers, 1 100 coopérants techniques, 200 profes-
seurs, 800 à 900 entreprises chinoises y sont implantées ».


51 B. Courmont et I. Lewis, Op.cit.
52 B. Courmont et I. Lewis, Op.cit.
53 Valérie N., “La stratégie africaine de la Chine”, 2006, cité par B. Comment et I Lewis,

op.cit.
54 Moelestoi MBEKI est de l’Institut sud-africain des Affaires étrangères de l’Université

de Witnaterfrand, Johannesburg. Cette citation, reprise par B. Courmont et I. Lewis


(op.cit) est révélée par J.C. SERVAN (2005) « La Chine à l’assaut du marché africain ».
Le Monde diplomatique, mai, pp 6-7.
55 B. Gourmont et I. Lewis, op.cit.

192
La présence chinoise en Afrique n’est plus à démontrer. Elle est tel-
lement visible et gigantesque qu’elle n’échappe même pas à l’horizon
visuel des non-voyants. Les Occidentaux ont-ils le droit de s’en inquié-
ter ? Les reproches qu’ils formulent à l’endroit des Chinois sont-ils ou
non fondés ? D’aucuns peuvent y répondre par la négative en épinglant
les Occidentaux au motif qu’ils veulent refuser à la Chine ce qu’ils ont
toujours fait à l’Afrique, ou au motif que la Chine entreprend en Afrique
ce que l’Occident a toujours refusé d’y accomplir, en dépit de
l’immensité de ses ressources financières, scientifiques, techniques et
technologiques. L’effort, fait actuellement par la Chine pour développer
l’infrastructure matérielle et même pour mettre en valeur les ressources
minières dont l’exploitation a été jugée non rentable par l’Occident en
constitue une preuve assez édifiante. D’autres, par contre, peuvent sou-
tenir la thèse que les inquiétudes exprimées par les Occidentaux, sont
bien fondées, voire justifiées. Ce faisant, ils s’appuient sur l’idée, souvent
évoquée dans les milieux où l’on discute des avantages et des inconvé-
nients de la coopération Chine-Afrique, que l’Afrique ne dispose
d’aucune stratégie, d’aucune vision dans ses relations avec la Chine. Et ils
insistent sur le fait que l’absence de stratégie ou de vision clairement dé-
finie, dans laquelle les populations africaines peuvent se projeter en se
l’appropriant, risque de conduire l’Afrique, si elle n’y prête attention, aux
mêmes difficultés que celles vécues du fait de la présence occidentale, les
mêmes causes créant les mêmes effets. Autrement dit, l’Afrique risque de
se démarquer de l’impérialisme occidental pour se jeter dans
l’impérialisme chinois, à moins qu’elle ne se retrouve sous l’emprise des
effets conjugués des deux formes d’impérialisme.
Entre l’impérialisme occidental et l’impérialisme chinois, l’Afrique a-t-
elle un choix à faire ? Doit-elle s’allier à l’un au détriment de l’autre ? Ou
bien doit-elle mettre à contribution tout ce qu’elle compte comme intel-
lectuels pour se doter d’une vision et d’une stratégie de coopération dans
lesquelles elle peut dorénavant s’ancrer pour dialoguer avec le reste du
monde ? Le débat est ouvert. Chacun de nous peut apporter son con-
cours à la recherche de réponses aux nombreuses interrogations sur les
relations sino-africaines. La planche de salut, nous semble-t-il, consiste
pour l’Afrique à se frayer son propre chemin pour le développement
économique et social. Tenter de s’approprier les modèles de développe-
ment conçus ailleurs engluerait de façon quasi permanente le continent
dans le cercle vicieux du perpétuel recommencement. Ces modèles de
développement qu’elle s’évertue à copier sont intimement liés à l’histoire,
aux valeurs culturelles et à l’héritage scientifique et technologique des
peuples qui les ont générés. Se les approprier serait s’adonner au jeu de la
tête du serpent et de sa queue. Or, selon l’adage, là où la tête du serpent

193
passe, sa queue y passera. L’Afrique peut-elle faire sien l’héritage culturel
des pays de l’Occident et de la Chine pour s’approprier les modèles de
développement expérimentés et mûris par ces régions du monde ? Si l’on
répondait par l’affirmative, cela signifierait que l’Afrique suivrait la même
trajectoire que ces pays en vivant toutes les difficultés qu’ils ont dû sur-
monter pour arriver là où ils se trouvent aujourd’hui. Pour notre part,
nous affirmons que l’Afrique n’est pas l’Occident. Elle n’est pas non plus
la Chine. Elle est égale à elle-même. Elle doit donc de ce fait compter sur
elle-même pour bâtir le chemin pouvant la conduire à la prospérité et au
rayonnement.
Somme toute, il convient de retenir que la performance économique
de la Chine et sa présence de plus en plus marquée en Afrique nous révè-
lent une chose : les limites de l’économie de marché, standard occidental,
apparaissent plus clairement.

Aide de la Chine à l’Afrique : attention au revers de la mé-


daille
Aujourd’hui, c’est un secret de polichinelle que la Chine est regardée
en Afrique comme un partenaire incontournable. L’offensive chinoise en
Afrique est perceptible dans tous les secteurs de la vie économique et
sociale. Aucun pays africain n’est exclu du champ d’action de la coopéra-
tion chinoise. Elle est même parvenue à rallier le suffrage de la poignée
de pays entretenant encore des relations avec Taiwan, « l’île rebelle » de
l’Empire du milieu. La présence chinoise en Afrique n’est donc plus à
démontrer. Elle fait désormais partie du quotidien des populations afri-
caines. Au niveau continental, elle est symbolisée par le siège flambant
neuf de la Commission de l’Union africaine offert gracieusement par la
Chine. Cet immense immeuble de plus d’une dizaine d’étages doté d’un
centre de conférence comportant environ 2550 places, lieu symbolique
où se prendront les grandes décisions stratégiques de l’Afrique, y com-
pris celles relatives à la souveraineté, est l’offre désintéressée de la Chine
à l’Afrique. Qui dit mieux dans le paysage de nombreux partenariats qui
lient l’Afrique au reste du monde ? Si aujourd’hui l’on se hasardait à son-
der les jeunes générations africaines, la probabilité pour qu’elles optent
pour une coopération renforcée en faveur de la Chine s’apparenterait à
un évènement certain. En d’autres termes, la jeunesse africaine, dans sa
quasi-totalité, n’hésiterait pas, si elle était sollicitée, à préférer, voire à
privilégier, le partenariat Afrique-Chine.
Mais est-ce que le crédit accordé à la Chine par les Africains dans leur
grande majorité sera préservé dans le temps ? Autrement dit, la confiance
de l’Afrique tout entière placée en la Chine résistera-t-elle à l’érosion du

194
temps ? Alors une série de questionnements s’offrent à l’esprit de tous
ceux qui s’intéressent à la coopération sino-africaine. Au nombre de ces
interrogations figurent principalement celles qui suivent : Que doit faire
la Chine pour garder intacte la confiance de l’Afrique ? Que doit faire
l’Afrique pour tirer profit de sa coopération avec la Chine ? Ou alors,
que faire pour éviter à la coopération sino-africaine d’être décriée par les
générations africaines futures ? A toutes ces interrogations, il faut ré-
pondre avec courage, et dans un esprit de transparence, de respect mu-
tuel et de responsabilité partagée.

L’Afrique, terreau de l’affrontement Chine-Europe


De nos jours, c’est une évidence pour tous que la Chine est en train de
s’implanter en Afrique lentement, mais sûrement. Elle le fait par l’entremise
d’investissements massifs dans les infrastructures ; d’assistance financière
sans conditionnalités de toutes sortes ; de soutien politique dans les ins-
tances internationales ; d’inondation, par les produits chinois, des marchés
africains. Cette implantation, à travers de multiples canaux, ne semble pas
être du goût des Occidentaux (cf. supra). Et pour cause. Généralement, ils
mettent la Chine à l’index, au motif que ce pays contribuerait à :
x surendetter les pays africains, par une politique laxiste de prêts,
alors que ces pays, sous l’impulsion des Occidentaux, étaient en
train de sortir du cul-de-sac de la mauvaise dette ou du surendet-
tement ;
x handicaper le secteur privé africain, du fait d’une balance commer-
ciale largement avantageuse pour la Chine ;
x encourager les pays africains à s’enliser dans la mauvaise gouver-
nance économique et politique, du fait de ses prêts à conditionnali-
té zéro ;
x soutenir les pays africains qui fouleraient aux pieds les droits hu-
mains élémentaires.

En somme, une foule de soupçons pèseraient sur la Chine quant à la


sincérité de ses relations avec l’Afrique ; quant à son réel désir d’aider ce
continent à sortir de la pauvreté et de la misère ; et quant à ses intentions
inavouées de faire main basse sur les nombreuses ressources agricoles,
minières et énergétiques dont regorge le continent.
Ces soupçons sont-ils ou non fondés ? L’Occident a-t-il peur de se
voir supplanter ou déborder par la Chine ? La Chine va-t-elle gagner la
bataille que lui livre l’Occident en Afrique ? Dans l’hypothèse où la
Chine remporte cette bataille, son association avec l’Afrique ne lui confé-

195
rerait-elle pas un atout additionnel dans sa conquête du monde ? Bien
malin qui pourrait trouver une réponse exacte à ces interrogations et aux
préoccupations sous-jacentes ou qui pourrait percer le secret ou le mys-
tère des Dieux et être ainsi en mesure d’appréhender les intentions réelles
de la philosophie chinoise en Afrique. Sans prétendre nous livrer à un tel
exercice dont la conduite s’apparenterait à une véritable gageure, nous
voudrions nous contenter de simples constats.
Le premier constat est que l’Afrique a énormément besoin d’argent
pour financer ses multiples projets d’infrastructure, atteindre les OMD à
l’horizon 2015, et réussir son intégration économique et politique. Les
besoins de financement du continent africain sont extrêmement élevés.
Mais après plus d’un demi-siècle de coopération avec l’Europe, l’Afrique
offre l’image d’un continent qui fait du surplace dans sa quête vers le
progrès et le développement. En d’autres termes, la coopération avec
l’Europe, qui remonte aux Conventions de Yaoundé, n’a pas jusqu’à pré-
sent permis à l’Afrique de connaître le développement et de maîtriser son
destin, afin de co-participer à la gestion des affaires planétaires.
Mais le paradoxe, c’est que l’Europe est extrêmement riche, sans tou-
tefois parvenir à aider convenablement ses partenaires africains à sortir
de la pauvreté. Ce deuxième constat tient au fait que l’Europe détient
une pléthore d’instruments financiers (bilatéraux et communautaires)
destinés à l’Afrique. Chacun de ces instruments est doté d’enveloppes
substantielles. Mais là où le bât blesse, c’est que l’accès à ces fonds est
extrêmement difficile. Cette contrainte en termes d’accès aux Fonds eu-
ropéens est expliquée, côté européen, par la faible capacité d’absorption
des pays africains et, côté africain, par la complexité des procédures
d’accès et de justification de l’utilisation des fonds. Ainsi, les Fonds eu-
ropéens de Développement (FED) se succèdent sans que les enveloppes
y afférentes soient totalement consommées.
Autre constat frappant, l’Europe, à travers ses instruments financiers,
scinde l’Afrique en trois zones géographiques :
i. L’Afrique du Nord, qui bénéficie de l’instrument financier MEDA
(Mediterranean Economic Developement Area), remplacé depuis
2007 par l’ENPI (European Neighberhood and Partnership Instru-
ment) ;
ii. L’Afrique au Sud du Sahara (exception faite de l’Afrique du Sud),
qui bénéficie des instruments financiers issus des Accords de Coto-
nou ;
iii. L’Afrique du Sud, qui bénéficie de l’ACDC (Accord sur le com-
merce, le développement et la coopération), aux côtés de l’Asie et de
l’Amérique latine.

196
À cette tentative de charcutage géographique, viennent se greffer les
APE dont la mise en œuvre porte un énorme préjudice aux efforts ré-
gionaux d’intégration dans la zone géographique couverte par les Ac-
cords de Cotonou.
Ces nombreux instruments financiers (avec comme corollaire le tort
causé aux processus d’intégration en cours sur le continent), générale-
ment mal compris par les partenaires africains et ne répondant pas con-
venablement aux déficits en ressources en Afrique, justifieraient partiel-
lement le grand amour naissant entre l’Afrique et la Chine. Cet amour
naissant, par le biais des éléments autour desquels il se structure, semble
s’inscrire dans la durée. Aujourd’hui, la Chine apparaît comme le Grand
Ami de l’Afrique. Elle semble mieux comprendre l’Afrique, en lui appor-
tant l’aide voulue (qui n’est soumise à aucune condition); en exploitant
les ressources minières naguère jugées non rentables par les Occidentaux,
en apportant une solution au sous-développement des infrastructures
physiques ; en apportant son soutien politique dans des instances où
l’Afrique n’a pas droit de cité ; etc.
L’amour naissant et grandissant entre l’Afrique et la Chine peut-il
amener l’Union européenne à revisiter sa coopération avec l’Afrique ?
Deux types de réponses sont apportés à ce grand questionnement.
D’une part, il y a ceux qui affirment que le regain d’intérêt que mani-
feste l’Union européenne à l’égard de l’Afrique, ces derniers temps, est le
signe annonciateur d’une nouvelle coopération en gestation. D’après les
tenants d’une telle thèse, la pénétration chinoise en Afrique serait à
l’origine de l’intérêt renouvelé de l’Europe pour le continent africain. Ce
regain d’intérêt s’est traduit par l’avènement de la « Stratégie pour le Dé-
veloppement de l’Afrique », entièrement conçue par l’Union européenne
et proposée à l’Afrique. C’est cette stratégie qui a été transformée en
Stratégie conjointe Afrique-Europe, adoptée à Lisbonne en décembre
2007. Aussi, ce regain d’intérêt se manifeste-t-il à travers la multiplication
des initiatives européennes dans des secteurs variés, particulièrement
dans les domaines de la prévention des conflits et du maintien de la paix.
D’autre part, il y a ceux qui soutiennent que la présence chinoise en
Afrique n’a produit aucun effet sur le partenariat Afrique-Europe. Une
telle thèse, souvent défendue dans les milieux européens, suggère que les
craintes de la partie européenne résideraient dans le fait que les éléments
constitutifs de la coopération chinoise sont de nature, comme indiqué
plus haut, à annihiler la tendance à la bonne gouvernance économique et
politique et au respect des droits de l’homme, observée en Afrique dans
la mouvance de la chute du mur de Berlin. Cette tendance positive, fruit
de la coopération « Afrique-Occident », risque de s’estomper et de mettre
l’Afrique dans une posture de « perpétuel recommencement ». La condi-

197
tionnalité qui accompagne les interventions européennes en Afrique
trouve donc ici sa pleine justification : positionner durablement l’Afrique
sur le chemin de la bonne gouvernance et du respect des droits de
l’homme, condition sine qua non de son réel épanouissement et de son
avancée véritable vers le progrès. Selon les tenants de cette deuxième
thèse, c’est donc ce seul souci qui fonde le réchauffement des relations
Afrique-Europe, et non les multiples pistes d’implantation explorées par
les autorités chinoises.
Ces deux types de coopération procéderaient par conséquent de deux
logiques. L’approche occidentale suggère que la bonne gouvernance, la
primauté du droit et le respect des droits de l’homme précèdent et condi-
tionnent le développement économique et social. Selon cette approche,
l’adoption de ces vertus constitue un passage obligé pour l’Afrique pour
réussir son décollage économique en vue de relever tous les défis du
monde contemporain. L’approche chinoise, quant à elle, fait remarquer
que seul le développement peut conduire à la stabilité économique et
sociale, à la bonne gouvernance, à la primauté du droit et au respect des
droits de l’homme. Dans une telle démarche, ce dont l’Afrique a besoin
aujourd’hui, c’est d’abord de créer une croissance économique forte et
durable, assurer son développement lato sensu, procurer de l’emploi à
ses nombreuses populations, rompre avec les situations de pauvreté et de
misère, etc. Et lorsque l’Afrique aura réalisé tous ces objectifs, la paix, la
bonne gouvernance, les droits de l’homme, etc. s’imposeront d’eux-
mêmes. En d’autres termes, le développement entraînera dans son sillage
la bonne gouvernance et l’adoption systématique des vertus d’un État de
droit. La démocratie, la bonne gouvernance et le respect des droits de
l’homme conduisent-ils à la croissance et au développement ? Ou bien la
croissance et le développement suscitent-ils la démocratie, la bonne gou-
vernance et le respect des droits de l’homme ? Laquelle des deux thèses
se rapproche le plus de l’objectivité ? L’histoire et le temps aideront à en
savoir plus et à mieux répondre à ces questions.
Mais nous pensons que l’Afrique n’a pas à attendre que ce verdict his-
torique soit connu pour commencer à affirmer son autonomie d’action,
sa souveraineté quant à son avenir et à son destin. Pour y parvenir, ses
leaders ont le devoir et l’obligation de la doter d’une véritable stratégie
qui lui permette de coopérer avec l’Europe et la Chine, sans pourtant
perdre son identité, sa dignité et son autonomie d’action. L’absence
d’une telle stratégie est de nature à transformer l’Afrique en un champ de
bataille sino-européen pour alimenter leurs industries gourmandes en
matières premières et pour trouver des marchés à leurs produits manu-
facturés, dans un environnement industriel où la compétition pour la
conquête des parts de marché devient de plus en plus âpre. À notre

198
humble avis, ce rôle historique qui consiste à doter l’Union africaine
d’une véritable stratégie de coopération avec le reste du monde doit re-
venir à la Commission de l’Union africaine, premier architecte de la mise
en œuvre de l’agenda de l’intégration économique et politique du conti-
nent. Si elle ne le faisait pas, les pays pris individuellement ne seraient pas
en mesure de faire face aux exigences de la coopération internationale, ce
qui est de nature à transformer l’Afrique en proie facile à inscrire au ta-
bleau de chasse des grands pays du monde contemporain. « Un pays n’a
pas d’amis, il n’a que des intérêts », disait un chef d’État historique
d’Europe. L’Afrique doit s’inspirer de cette assertion dans ses relations
avec le reste du monde, en se dotant d’une véritable stratégie de coopéra-
tion, seul moyen de s’extraire dignement des appétits des impérialismes
contemporains.

Pourquoi la coopération Afrique-Europe est-elle inévitable et


obligatoire pour les deux continents ?
« On choisit ses amis, mais on ne choisit pas ses frères et ses sœurs »
a-t-on coutume d’affirmer. Cette expression est, à nos yeux, celle qui
semble traduire le mieux les relations séculaires entre l’Afrique et
l’Europe. En effet, l’Afrique, comme l’Europe, peut diversifier et élargir
à souhait l’éventail de ses partenaires à travers le monde. Et, l’Afrique,
comme l’Europe, jouit d’une totale liberté de nouer des liens de coopéra-
tion avec toutes les régions du monde. Pourtant, quand on considère la
collaboration Afrique-Europe, cette liberté de choix semble disparaître.
En réalité, cette coopération constitue une donnée qui s’impose naturel-
lement aux deux continents. Autrement dit, quels que soient les senti-
ments d’amitié ou de méfiance que les Européens inspirent aux Africains
et réciproquement, l’Afrique et l’Europe sont dans l’obligation de coopé-
rer. Elles sont contraintes de vivre ensemble, de se nourrir ou de
s’enrichir de leurs différences, de partager leurs expériences, de
s’entraider, de se soutenir, de s’accompagner naturellement et, en fin de
compte, de regarder dans la même direction quant à leur implication
dans la gestion de la gouvernance mondiale.
Le caractère contraint des relations entre l’Afrique et l’Europe dé-
coule de la conjonction de plusieurs facteurs : tout d’abord, la proximité
géographique (seulement douze kilomètres séparent les deux continents),
mais aussi les relations et affinités culturelles et linguistiques, nées d’un
siècle de colonisation, de trois siècle de perpétuation de la traite des
Noirs, et de la coopération intercontinentale tous azimuts, enrichie et
approfondie depuis plus d’un demi-siècle. L’Afrique et l’Europe n’ont
donc pas d’autre choix que de coopérer. Leur seule marge de manœuvre

199
réside dans les moyens à mettre en place pour améliorer constamment
les conditions de leur collaboration, pour se comprendre mutuellement,
pour se parler régulièrement et mutualiser leurs efforts pour relever en-
semble les défis majeurs de notre ère. Quel est l’état des lieux des rela-
tions Afrique-Europe ? Quelles sont les difficultés auxquelles elles sont
exposées ? Comment améliorer ces relations dans l’intérêt supérieur des
deux continents ? Les développements qui vont suivre apportent des
éclairages utiles pour répondre à ces questions.

Radioscopie des relations Afrique-Europe


Les relations Afrique-Europe remontent à la nuit des temps. Elles ont
été marquées par plusieurs accords aux contenus multiples, adaptés au
fur à mesure en fonction des exigences des relations internationales du
moment. Ainsi, on est passé des Accords de Yaoundé aux Accords de
Lomé, pour connaître aujourd’hui les Accords de Cotonou (révisables
tous les cinq ans) qui régissent la coopération entre les deux continents.
Toutefois, il convient de retenir que ces différents Accords ont produit
des résultats mitigés et en deçà des espérances. Et pour cause, en dépit
de nombreux instruments financiers ayant suscité d’importants flux de
capitaux vers l’Afrique, la coopération avec l’Europe n’a pas sorti le con-
tinent du cul-de-sac de la pauvreté et de la misère. La persistance du
sous-développement en Afrique fait dire à certains que la coopération
séculaire avec l’Europe est en elle-même inefficiente, et serait même de
nature à handicaper l’Afrique dans sa marche vers le progrès. D’où le
besoin croissant, fortement ressenti en Afrique, de diversifier les partena-
riats avec d’autres régions du monde. D’où, également, la volonté poli-
tique partagée par les leaders africains et européens de réhabiliter en pro-
fondeur les tenants et aboutissants de la coopération Afrique-Europe
pour adapter celle-ci aux réalités de la modernité. Ainsi, dans ce souci
partagé de rendre plus efficace et plus dynamique la coopération entre les
deux continents, s’est tenu au Caire (Égypte) en avril 2000, un Sommet
historique Afrique-Europe qui a posé les fondements d’un nouveau dia-
logue dans un esprit de respect mutuel et de responsabilité partagée.
Pour entretenir ce nouveau dialogue né dans un enthousiasme chargé
d’espoir, les deux continents se sont engagés à adopter une « Stratégie
conjointe » de long terme devant être mise en œuvre par l’entremise de
plans d’actions variés d’une durée de trois ans chacun. La Stratégie con-
jointe, adoptée à Lisbonne (Portugal) en novembre 2007, avec son cor-
tège de plans d’action successifs, saura-t-elle répondre aux attentes des
populations africaines et européennes ? La mise en œuvre de cette Stra-
tégie conjointe Afrique-Europe de Lisbonne permettra-t-elle aux deux

200
continents de consolider davantage leur coopération et de les amener à
reconnaître enfin que l’un ne peut vivre sans l’autre et vice-versa, comme
un oiseau et sa branche d’arbre : l’oiseau a beau se fâcher contre l’arbre, il
finira par s’asseoir sur la branche après un temps prolongé de vol ?
Dans les faits, la reconnaissance de cette nécessité relationnelle n’a pas
eu suffisamment d’impact sur la mise en application du premier plan
d’action de la Stratégie conjointe. En effet, la traduction concrète de ce
premier plan d’action n’a pas abouti à des résultats satisfaisants par rap-
port aux principes et objectifs de la Stratégie conjointe. On a continué à
s’engluer dans la rhétorique au lieu d’enrichir le nouveau dialogue en
mettant en œuvre des projets concrets, ayant un impact sur le niveau de
vie et le quotidien des populations africaines et européennes et donnant
plus de visibilité à la coopération Afrique-Europe. Comment en est-on
arrivé là ? Pourquoi l’enthousiasme chaleureux qui a entouré l’avènement
de la Stratégie conjointe n’a-t-il pas conduit à la concrétisation des pro-
jets contenus dans le premier plan d’action stratégique ? Il convient de
nous interroger sur les responsabilités de chaque partie.

L’Europe, une coopération séculaire aux résultats peu visibles


L’Europe a déjà beaucoup fait pour l’Afrique. Encore aujourd’hui,
l’Europe continue de faire beaucoup pour l’Afrique. Le Fonds Européen
pour le Développement (FED) à travers les canaux des Programmes
indicatifs nationaux (PIN) et des Programmes indicatifs régionaux (PIR),
en sus de plusieurs autres formes d’assistance bilatérale, est assez révéla-
teur des apports considérables que l’Union européenne ne cesse
d’accorder à l’Afrique, en période de vache grasse comme en période de
vache maigre. Les PIN et les PIR représenteraient même des pans im-
portants du budget de certains pays et de certaines Communautés éco-
nomiques régionales (CER). Il faut souligner que, dans les domaines de
la paix et de la sécurité, l’Europe apparaît également comme le partenaire
le plus actif du continent africain. Les opérations de maintien de la paix
au Darfour, en Somalie, au Sud Soudan (avant l’avènement du « Compre-
hensive Peace Agreement » qui a facilité la tenue du Référendum de janvier
2011), en République Centrafricaine, etc., ont pu avoir lieu grâce à
l’assistance considérable de l’Union européenne. De même, l’appui de
l’UE aux nombreuses élections en cours en Afrique reste exemplaire,
démontrant ainsi son engagement vis-à-vis du processus de démocratisa-
tion en Afrique. Le soutien européen aux institutions panafricaines est à
louer, comme l’illustre de façon édifiante l’octroi de 55 millions d’euros à
la Commission de l’UA au titre du renforcement de ses capacités.

201
Par ailleurs, sans le soutien de l’UE, les groupes d’experts conjoints
chargés de mettre en œuvre les plans d’action de la Stratégie conjointe
déjà évoquée n’auraient pu être opérationnels. C’est ainsi que, par
l’entremise des 55 millions d’euros susmentionnés, l’UE a entièrement
financé la participation de la Commission de l’UA et des experts des
États africains aux réunions des groupes d’experts conjoints, et aux réu-
nions des Troïkas, des « Task Forces » et des « Commission to Commission »
qui s’inscrivent dans le cadre de la mise en œuvre du dialogue Afrique-
Europe. Cette liste n’est pas exhaustive, et les exemples sont nombreux
pour illustrer l’aide accrue et soutenue de l’UE à l’Afrique tout entière.
Toutefois, bien qu’évoluant crescendo, cette aide apparaît peu visible. Cela
fait dire ou penser que l’UE a échoué dans sa mission en Afrique, au sens où
elle n’est pas parvenue à soustraire ce continent de la pauvreté et de la mi-
sère, malgré les relations étroites qui existent entre les deux continents. Cette
observation, qui aujourd'hui semble s’imposer ou être admise comme une
vérité par les jeunes Africains, doit interpeller les dirigeants européens. Car,
en dépit de l’immensité des apports en tous genres que l’UE a accordés à
l’Afrique, des malentendus et des incompréhensions persistent encore dans
les relations entre les deux continents. La jeunesse africaine et la société ci-
vile africaine ont du mal à comprendre l’attitude de l’Europe à l’égard de
l’Afrique dans la gestion de certains dossiers. Au nombre de ceux-ci, figu-
rent principalement ceux liés à l’immigration, à la délivrance des visas, à
l’accueil des étudiants africains dans les universités européennes, à la juridic-
tion universelle, à la conditionnalité de l’aide au respect des droits de
l’homme et des vertus de la démocratie, au « soutien » apporté à certains
régimes et à la politique européenne de « deux poids deux mesures » à tra-
vers le monde. Ce traitement partial « deux poids deux mesures » que
l’Europe applique à l’Afrique a fait naître chez la quasi-totalité des Africains
l’amer sentiment que l’Europe n’a pas de considération ni pour l’Afrique, ni
pour ses dirigeants. Nous en voulons pour preuve la faible participation des
Européens, à niveau protocolaire requis, aux réunions organisées dans le
cadre du dialogue Afrique-Europe. Ainsi, il est courant de constater que les
directeurs représentent souvent les ministres dans les Conférences ministé-
rielles, et que les ministres représentent les chefs d’État et de gouvernement
dans les Sommets Afrique-Europe. Ce constat frustrant est un signe parmi
d’autres de la faible considération qu’ont les Européens pour l’Afrique et
pour ses dirigeants. L’Europe ne peut se permettre d’appliquer ce traitement
à la Chine, ni à l’Inde, et encore moins aux pays d’Amérique du Sud.
Par ailleurs, la coopération européenne est contradictoire. L’Europe
s’obstine à intervenir en Afrique à la fois de façon bilatérale (de nom-
breuses relations bilatérales lient chaque pays d’Europe individuellement
à l’Afrique), et de façon communautaire par l’entremise de l’Union euro-

202
péenne et de ses différents organes. Très souvent, les politiques bilaté-
rales ne sont pas en harmonie avec les politiques communautaires. Le
manque de cohérence de cette politique est à l’origine de signaux diffé-
rents dirigés vers l’Afrique. Non seulement cela complexifie la compré-
hension de ces messages et leur assimilation, mais en plus, cela ne favo-
rise pas la mise en œuvre des projets du fait du conflit d’intérêt qui op-
pose les auteurs des- dits messages. Ainsi, les griefs de l’Afrique contem-
poraine à l’égard de l’Europe sont nombreux. C’est pourquoi il est ex-
trêmement important que les dirigeants européens revoient leur façon de
coopérer avec l’Afrique en mettant leur frilosité de côté par l’adoption
d’une politique de partenariat plus ambitieuse, plus réaliste et intégrant
davantage les vertus culturelles du continent africain. Aussi, l’Europe
doit-elle harmoniser en amont ses politiques à destination de l’Afrique en
trouvant un équilibre entre le bilatéral et le communautaire. La Stratégie
conjointe adoptée à Lisbonne en 2007, de par la philosophie qui la
fonde, s’inscrit dans la bonne direction, à condition que l’Europe joue
franchement son rôle dans sa mise en œuvre. Ceci améliorerait profon-
dément l’image de l’Europe auprès des populations africaines.

Les voies pour tirer profit des partenariats stratégiques


L’Afrique est fortement courtisée. Les pays développés tout comme
les non émergents manifestent un intérêt grandissant à l’égard de
l’Afrique. Cela, et on ne le dira jamais assez, à cause de ses nombreuses
ressources abyssales. « Un pays n’a pas d’amis, il n’a que des intérêts »
aimait répéter un ex- dirigeant européen. Une telle assertion savamment
réfléchie doit inspirer les décideurs africains dans le développement des
partenariats avec le reste du monde. Dans cette perspective ils doivent
initier soit une stratégie globale pour faire face aux défis de l’ensemble
des partenariats, soit une stratégie par partenariat, pour mieux défendre
l’Afrique à travers le monde. Les développements qui vont suivre propo-
sent des voies à explorer.

La coopération Afrique-Europe doit se fonder sur un paradigme


renouvelé
Les relations entre l’Afrique et l’Europe remontent à la nuit des
temps. Elles ont été marquées par des faits de nature diverse et variée
dont le souvenir peut parfois susciter de profondes émotions. Nous tai-
sons volontairement ces faits au risque de nous livrer à des conjectures
aux contours indéfinissables. En revanche, notre souhait est
d’appréhender la coopération Afrique-Europe à travers la dynamique,

203
voire la logique qui l’a toujours soutenue des points de vue de la partie
européenne. Cela nous permettra ensuite d’envisager une autre voie, sy-
nonyme d’un changement de paradigme plus promoteur.
Pour mémoire, il convient de rappeler que, depuis les Conventions de
Yaoundé, en passant par les accords de Lomé jusqu’aux récents accords
de Cotonou, l’Europe a subordonné son assistance à l’Afrique à
l’avènement d’états de droit dans lesquels le respect des droits humains
ou des droits de l’homme, la liberté d’expression, le respect des minori-
tés, … sont la règle et non l’exception. Autrement dit, l’Europe a, jusqu’à
ce jour, cherché à aider les pays africains à devenir des terreaux de la
bonne gouvernance économique et politique. Une telle logique est celle
de l’Occident tout entier qui soutient, mordicus, que l’état de droit et la
démocratie sont un passage obligé pour accéder à la croissance et au
développement. En d’autres termes, l’état de droit et la démocratie cons-
tituent une condition sine qua non pour le succès de tout processus de
développement. Dès lors, l’Europe, à l’instar de tout l’Occident, en a fait
une contraignante condition pour le décaissement de ses engagements
financiers à l’égard de l’Afrique. Mais après près d’un demi-siècle de pra-
tique de politique d’aide liée ou contraignante, quel bilan peut-on faire de
l’exercice de l’état de droit ou de la démocratie en Afrique ? Les désiratas
de l’Occident en général ou de l’Europe en particulier ont-ils été satis-
faits ? L’Afrique est-elle devenue un havre de paix ? S’est-elle érigée en
modèle d’état de droit ou de démocratie tant souhaité par ses partenaires
européens ?
En réalité, l’on peut affirmer, sans exagérer, que l’Afrique est loin du
compte au regard de l’idéal occidental qu’elle est obligée d’intégrer dans
son mode de vie à son corps défendant. Exception faite de quelques
rares pays, l’exercice d’état de droit ou de démocratie s’y apparente, dans
la plupart des cas, à une véritable gageure. En la matière, les acquis
stables et irréversibles sont extrêmement rares ; faisant même dire que
l’Afrique reste attachée à la logique de « perpétuels recommencements ».
Si tel est le cas, pourquoi alors ne pas changer de paradigme ? Si l’Afrique
piétine encore à s’installer durablement et de manière irréversible dans la
posture d’un état de droit pourquoi l’Europe ne change-t-elle pas son
fusil d’épaule ? Pourquoi n’arrête-t-elle pas de soutenir un processus
dont les résultats s’apparentent à une gageure ? Autrement dit, pourquoi
ne change-t-elle pas de paradigme ?
Nous voudrions l’inviter à changer d’approche en faisant les choses
autrement ou en changeant d’objectifs. Pour nous, le changement de
paradigme consistera à mettre l’accent sur le développement en restruc-
turant son aide à cette fin. Ici, le développement serait regardé comme
un passage obligé, voire une condition sine qua non, pour pacifier l’Afrique

204
en y instaurant, durablement et de façon irréversible, la démocratie
grecque dans toute sa plénitude. Car, on ne le dira jamais assez, « là où il
y a le développement, il y a la paix et l’état de droit », « là où il y a la
croissance et le développement inclusifs, les jeunes ne sont pas désœu-
vrés et ne sont donc pas recrutés pour des aventures de tout genre ».
La nouvelle approche de coopération ouverte au Sommet Afrique-
Europe tenu au Caire en avril 2000 avait laissé entrevoir un immense
espoir. La stratégie conjointe y relative, adoptée au Sommet de Lisbonne,
fixe un nouveau cadre de coopération fondé sur des principes de respect
mutuel, de responsabilité partagée et de mutualisation des efforts dans la
gouvernance des biens publics mondiaux, et dans la réforme du système
des Nations unies ainsi que des institutions de Bretton Woods. Mais dans
la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne, par l’entremise de plans
d’action successifs, l’on se rend compte que l’Union européenne a du
mail à se départir de la logique ancienne d’avant le Caire 2000. Chaque
pays européen développe une diplomatie bilatérale avec les pays africains
qui, le plus souvent, s’éloigne de la politique communautaire de l’Union
européenne. Ainsi, l'absence d’harmonisation entre les politiques bilaté-
rales et la politique communautaire est de nature à produire plusieurs
messages (souvent contradictoires) en direction de l’Afrique. Ces diffé-
rents messages, voire ces différents sons de cloche, ont le mérite de
rendre encore plus ambiguë la diplomatie européenne à l’égard de
l’Afrique.
Le premier constat est que l’Afrique a énormément besoin d’argent
pour financer ses multiples projets d’infrastructure, atteindre les OMD
post-2015, et réussir son intégration économique et politique. Les be-
soins de financement du continent africain sont extrêmement élevés.
Mais après plus d’un demi-siècle de coopération avec l’Europe, l’Afrique
offre l’image d’un continent qui fait du surplace dans sa quête vers le
progrès et le développement. En d’autres termes, la coopération avec
l’Europe, qui remonte aux Conventions de Yaoundé, n’a pas jusqu’à pré-
sent permis à l’Afrique de connaître le développement et de maîtriser son
destin, afin de co-participer à la gestion des affaires planétaires. Le para-
doxe ici, c’est que l’Europe est extrêmement riche, sans toutefois parve-
nir à aider convenablement ses partenaires africains à sortir de la pauvre-
té. Ce deuxième constat tient au fait que l’Europe détient une pléthore
d’instruments financiers (bilatéraux et communautaires) destinés à
l’Afrique. Chacun de ces instruments est doté d’enveloppes substan-
tielles. Mais là où le bât blesse, c’est que l’accès à ces fonds est extrême-
ment difficile. Cette contrainte en termes d’accès aux Fonds européens
est expliquée, côté européen, par la faible capacité d’absorption des pays
africains et, côté africain, par la complexité des procédures d’accès et de

205
justification de l’utilisation des fonds. Ainsi, les Fonds européens de Dé-
veloppement (FED) se succèdent sans que les enveloppes y afférentes
soient totalement consommées.
En outre, comme déjà indiqué, l’Afrique est encore l’objet de trois
différents accords avec l’UE, la divisant donc en trois espaces géogra-
phiques. Et ce, en dépit d’un des principes majeurs de la nouvelle straté-
gie conjointe qui suggère en lettres d’or que l’UE traite l’Afrique comme
une seule entité.
Aussi, est-il amer de constater que l’Afrique apparaît toujours dans les
médias européens à travers des images rappelant la misère, les épidémies,
les endémies et les conflits. Cette image négative de l’Afrique persiste
toujours malgré les nombreux appels invitant à les améliorer.
Enfin, les opérateurs, voire les acteurs économiques, européens con-
tinuent de regarder l’Afrique comme un continent à risque. Dans cette
perspective, ils n’y orientent pas les capitaux ou les investissements de
long terme dont elle a besoin. Ainsi, l’Afrique apparaît comme le terreau
des investissements de court terme ou des capitaux dits flottants que l’on
peut rapatrier aisément au moindre bruit d’instabilité. Cette tendance
persistante à investir « sur la pointe des pieds » fait que les acteurs éco-
nomiques européens ne parviennent pas à capter ou à fidéliser la classe
moyenne montante africaine à l’égard de leur production ou de leurs
marques. Le soutien à la mise en œuvre des projets et programmes inté-
grateurs de l’Afrique devrait être au cœur de la coopération européenne
avec l’Afrique. Investir massivement dans le développement de l’Afrique
c’est contribuer à extraire les populations africaines de la pauvreté et de
la misère, et, de facto, c’est les mettre à l’abri de toutes velléités tribalistes,
voire ethnocentriques, porteuses d’ingrédients potentiels d’instabilité de
tout acabit.
Hier, le Plan Marshall d’un montant d’environ 13 milliards de dollars
a aidé les pays d’Europe occidentale à réhabiliter leurs infrastructures au
lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. (cf. M. Vaïsse, 2013) Selon
l’auteur, ce plan visait principalement à assurer le relèvement écono-
mique de l’Europe, favoriser l’unification de leurs efforts et donc aug-
menter leur résistance au communisme, et en même temps permettre à
l’économie américaine de maintenir sa prospérité. Aujourd’hui, l’Europe,
qui reste fortement et solidement attachée à l’Afrique du fait, entre
autres, des affinités culturelles et linguistiques, et surtout du fait de la
proximité géographique des deux continents (seulement 12 kilomètres les
séparent) ; et qui plus est plus nantie à tout point de vue, a l’obligation
morale d’accompagner l’Afrique dans sa transformation économique et
politique. Car, il est de plus en plus difficile de comprendre que l’Afrique
ne bénéficie pas encore de ce que les économistes appellent les externali-

206
tés positives, du fait de sa proximité géographique avec l’Europe. Les
tentatives européennes, à accompagner l’Afrique à accéder à l’opulence,
peuvent être des solutions à la crise économique et sociale aigüe qui ca-
ractérise l’Europe. Aider donc l’Afrique à se transformer profondément
en investissant massivement dans les projets à grande valeur ajoutée doit,
aujourd’hui, constituer le cheval de bataille de la coopération euro-
péenne. Cela s’appelle un changement de paradigme qui, à terme,
s’avérera « gagnant-gagnant » pour les populations des deux continents.
Persister dans ce qui se fait aujourd’hui, c’est ignorer les réalités du mo-
ment et s’affirmer dans une voie sans issue qui servira, sans nul doute, de
prétexte à s’éloigner du partenariat avec l’Europe qui pourtant promettait
des lendemains meilleurs. Pour coller à l’actualité, l’Afrique peut même
offrir à l’Europe une alternative énergétique crédible.
L’Afrique, de son côté, doit faciliter cette mutation de paradigme.
Pour cela, elle doit réformer profondément ses économies pour un usage
optimal et rationnel de l’aide reçue de l’Europe. Aussi doit-elle opérer sa
mue dans la perception de son passé avec l’Europe. Certes, elle a subi le
double effet de l’esclavage et de la colonisation. Mais elle doit se départir
de ce passé, fût-il douloureux et catastrophique, pour se focaliser sur son
émancipation économique. Ce passé ne doit pas la rendre apathique à
l’égard de son présent et de son futur. Dès lors, ce passé ne doit pas être
considéré comme un boulet au pied bloquant et paralysant. Sous d’autres
cieux, ce type de passé a été dompté et transformé en opportunités de
croissance et de développement. Pourquoi l’Afrique ne parviendrait-elle
pas à son tour à le faire ?
Par ailleurs, dans l’esquisse d’ériger le handicap du passé en véritables
facteurs de développement, l’Afrique doit moderniser son discours poli-
tique en puisant dans les vertus des temps modernes. Pour y parvenir,
elle doit regarder l’Europe avec de nouvelles lunettes. Celle-ci ne doit
plus être regardée comme le berceau des colonisateurs, des exploiteurs,
des méchants qui n’ont d’yeux pour l’Afrique que pour l’immensité de
ses ressources naturelles. A contrario, l’Afrique doit regarder l’Europe
comme un partenaire crédible qui peut l’accompagner dans son proces-
sus de développement en lui apportant ce qui lui fait défaut. Hier les
Pères fondateurs de l’Afrique contemporaine se sont évertués à libérer
l’Afrique du joug colonial en utilisant les moyens de leur époque et en
s’appuyant sur le discours du Panafricanisme. Aujourd’hui, l’Afrique doit
gagner la bataille de son émancipation économique et sociale. Par consé-
quent, elle doit utiliser les armes du moment et moderniser son discours
politique pour être en adhésion avec sa jeunesse qui vit à l’ère de la troi-
sième révolution industrielle dominée par les nouvelles technologies de
l’information et de la communication. Regarder l’Europe autrement

207
pourrait donc contribuer à asseoir une nouvelle relation de confiance de
nature à renforcer la coopération en la rendant plus fructueuse.
De même, il convient de noter que l’absence d’intégration politique
en Afrique a handicapé la coopération avec l’Europe. La mise en avant
de la souveraineté des États n’a pas favorisé l’avènement d’une Afrique
parlant d’une seule voix et marchant d’un même pas. La cacophonie qui
s’en est dégagée a plutôt fait le lit de la division, des réflexes du « chacun
pour soi », du « repli sur soi » et du nationalisme. Ainsi, dans les négocia-
tions avec les partenaires européens, l’Afrique s’est présentée divisée,
chaque pays ou chaque région cherchant à ne défendre que ses intérêts
nationaux ou régionaux. A chaque fois, toutes les déclarations de bonne
intention d’intégration exprimées dans les traités ou chartes ont été fou-
lées au pied au bénéfice des intérêts propres des États. Cette inclination à
l’individualisme explique en partie l’inefficacité de la coopération avec
l’Europe, d’autant qu’elle empêche l’Afrique de présenter un front com-
mun et de peser réellement dans les négociations –voire d’avoir une véri-
table capacité de négociation–. Elle engendre des difficultés pour se faire
respecter, pour forcer l’Europe à tenir ses engagements, et pour orienter
le dialogue avec l’Europe en sa faveur. Une telle situation offre à
l’Europe l’image d’une Afrique divisée, d’une Afrique où ne comptent
que les intérêts souverains des États, d’une Afrique manipulable à sou-
hait, d’une Afrique où l’on peut opposer facilement les pays les uns
contre les autres, d’une Afrique enfin où la division est la règle et l’unité
l’exception.
Aux nombreux appels pour traiter l’Afrique comme une seule entité,
comme le stipule la Stratégie conjointe, les Européens répondent en ces
termes : « que faites-vous, vous, Africains pour que l’UE traite votre con-
tinent comme une seule entité ? ». Effectivement, aucune démarche con-
crète n’est engagée, côté africain, allant dans le sens de l’harmonisation
des instruments européens de coopération. Loin s’en faut, chaque zone
géographique se complaît dans la situation imposée et défend jalouse-
ment ses acquis aux dépens de l’intégration africaine, et au détriment de
la cohérence et de l’efficacité de l’aide européenne.
Finalement, il est indéniable que l’Afrique et l’Europe doivent entre-
tenir leur coopération de manière durable et soutenue. La proximité géo-
graphique ainsi que plusieurs autres facteurs les y obligent. Dans cette
perspective, les principes de respect mutuel, de responsabilité partagée, et
de vision partagée dans la gouvernance des biens publics internationaux,
doivent guider constamment cette coopération. De même, il ne doit y
avoir aucun sujet tabou au sein des relations Afrique-Europe. Toutes les
questions doivent être traitées dans une transparence totale, sans arrière-
pensée et en toute franchise. Selon l’adage, l’amitié se nourrit de vérité.

208
Le dialogue Afrique-Europe doit donc se nourrir en permanence de véri-
té sans laquelle les attentes suscitées s’apparenteront à des chimères.
Hier l’Europe savait ce qu’elle faisait en Afrique. Aujourd’hui, elle sait
ce qu’elle fait en Afrique. Demain, elle sait déjà ce qu’elle fera en Afrique.
Quant à l’Afrique, elle est toujours engluée dans les interrogations inter-
minables sur l’intérêt et le contenu de sa coopération avec l’Europe dans
une atmosphère de « chacun pour soi ». Cela doit changer afin de con-
traindre l’Europe à modifier les fondamentaux de sa coopération avec
elle dans une dynamique « gagnant-gagnant » expurgée, de part et d’autre,
de toute autre considération sujette à interprétations négatives.

Comment ériger la coopération avec la Chine en véritable op-


portunité de développement
La Chine doit apprendre à l’Afrique à pêcher et non lui fournir du pois-
son. Pour notre part, nous pensons que la Chine a tout intérêt à préserver
dans le temps l’admiration que lui voue aujourd’hui l’Afrique. Pour ce faire,
la Chine doit inscrire sa coopération avec l’Afrique dans la logique de « ga-
gnant-gagnant ». Nous savons qu’en matière de coopération internationale,
la philanthropie n’existe pas. Ce qui compte, c’est plutôt les intérêts. La rela-
tion que la Chine noue avec l’Afrique, ne peut pas échapper à cette logique
élémentaire des relations entre États. Dès lors, la Chine, en s’inspirant des
vertus de la coopération « gagnant-gagnant », peut contribuer énormément
au développement de l’Afrique ; ce qui est de nature à s’attirer davantage la
sympathie des Africains. Par ailleurs, la Chine doit innover dans ses relations
avec l’Afrique en aidant celle-ci à venir à bout de la pauvreté et de la misère ;
en assistant l’Afrique à maîtriser les leviers de la pêche et non en lui fournis-
sant quotidiennement du poisson ; en accompagnant l’Afrique à mieux ad-
hérer aux valeurs dites universelles, à mieux ancrer ses économies à
l’économie mondialisée, de manière à lui permettre de prendre part à la ges-
tion des biens publics internationaux. La Chine étant, aujourd’hui, un des
acteurs-clés de la gestion des affaires planétaires, doit aider ses amis africains,
voire les accompagner, à s’approprier les vertus de la bonne gouvernance.
Le principe de la non-ingérence, toile de fond de sa coopération avec les
pays africains, ne doit pas l’éloigner de cet accompagnement historique. Car
la participation de l’Afrique à la gestion des biens publics internationaux,
avec l’appui de la Chine, constituerait un acte indélébile majeur de nature à
décupler le crédit de la Chine auprès des Africains. Bref, la coopération chi-
noise doit se situer dans une dynamique qui aide l’Afrique à réduire substan-
tiellement sa dépendance à l’égard de l’extérieur. C’est en cela que la Chine
pourrait garder, encore pour longtemps, l’amitié profonde de l’Afrique et
des Africains.

209
Par ailleurs, l’Afrique doit faire de l’aide chinoise un usage rationnel et
optimal. L’aide chinoise à l’Afrique est immense. Elle se manifeste dans
tous les secteurs d’activité. Aujourd’hui, cet apport chinois est hautement
apprécié par les Africains du fait de sa visibilité et de son relatif impact
sur le niveau de développement des pays récipiendaires. Nous en vou-
lons pour preuve l’apport chinois à remédier efficacement à la pauvreté
en infrastructures physiques qui caractérise la plupart des pays africains.
Toutefois, une question essentielle se pose. L’aide chinoise reçue est-
elle utilisée de manière rationnelle et optimale ? En d’autres termes,
l’Afrique met-elle à profit sa coopération stratégique avec la Chine pour
s’extraire définitivement du cul-de-sac de la pauvreté et de la misère ; et
réussir enfin son décollage économique ? Demain, les générations afri-
caines n’en voudront-elles pas à la Chine de retarder le développement
de leur continent, comme les générations présentes semblent le faire
pour l’Europe ? Pour que les générations futures ne calomnient pas la
coopération chinoise, les dirigeants africains d’aujourd’hui ont
l’obligation d’entourer l’aide chinoise d’une bonne gouvernance politique
et économique. Aide-toi, le ciel t’aidera a-t-on coutume de dire. La Chine
aide l’Afrique, certes ; mais elle ne peut pas se substituer à celle-ci dans
l’allocation, voire dans l’adoption, de politiques économiques visant à
accélérer son développement économique et social. Aussi, l’Afrique doit-
elle se doter d’une véritable stratégie de partenariat avec la Chine. Une
stratégie commune servant de cadre de coopération, et comportant tous
les leviers d’une coopération « gagnant-gagnant » qui privilégie
l’approche multilatérale à la démarche bilatérale actuelle qui s’avère ex-
trêmement contraignante pour la plupart des pays. En l’absence d’une
telle stratégie, et d’un usage rationnel et optimal de l’aide chinoise, il est
fort probable que l’Afrique de demain vive le revers de la médaille du
partenariat sino-africain.
Finalement, il convient de noter qu’aujourd’hui la Chine jouit d’un
capital de confiance énorme auprès de l’Afrique et de ses populations. Ce
capital de confiance, pour être préservé dans le temps, invite la Chine à
innover davantage dans sa coopération avec l’Afrique en l’aidant à réussir
son décollage économique, et à réduire significativement sa dépendance
extérieure. Quant à l’Afrique, elle doit s’entourer de tous les atouts pour
faire de la coopération avec la Chine une véritable opportunité de crois-
sance et de développement. Car, si le sous-développement du continent
persistait dans le temps, après des décennies de coopération avec la
Chine, celle-ci subirait, indubitablement, les feux des critiques des géné-
rations futures africaines.

210
Réussir l’intégration politique pour faire valoir les positions du
continent dans ses nombreux partenariats avec le reste du
monde : le cas du partenariat Afrique-Europe
Aujourd’hui, l’Afrique s’est fortement engagée dans la diversification
de ses partenariats avec le reste du monde. Une telle attitude répond au
sentiment largement partagé de l’échec de ses liens traditionnels avec le
monde occidental : la coopération avec l’Occident n’a pas apporté le
développement à l’Afrique malgré sa durée et sa multiplicité. De ce fait,
tout porte à croire que si l’Afrique veut accélérer le processus de son
développement, elle est dans l’obligation de nouer d’autres partenariats
pour compenser l’incapacité chronique de celui qu’elle a tissé avec
l’Occident de lui procurer croissance et développement. Ce sentiment
est-il fondé ? L’Afrique a-t-elle raison de rejeter sur l’Europe toute la
responsabilité de l’insuccès de sa coopération avec elle ? Doit-on réelle-
ment accuser l’Europe de ne pas avoir véritablement aidé l’Afrique à
assurer son décollage économique ? Ou bien doit-on plutôt dire que, si la
coopération avec l’Europe a, jusque-là, été infructueuse, c’est parce que
l’Afrique n’a pas su jouer son rôle ? Autant de questions qui doivent in-
terpeller tous les Africains. Elles méritent des réponses claires. Sans cela,
après quelques décennies de coopération avec de nouveaux partenaires,
on risque d’avoir à faire les mêmes constats et à se poser les mêmes
questions.
En ce qui nous concerne, nous affirmons que la coopération avec
l’Europe n’a pas été un échec. Elle a porté des fruits positifs variés dans
des domaines multiples. Elle continue à porter des fruits dans les do-
maines de la paix et la sécurité, de l’allègement de la dette extérieure, du
soutien à la démocratie, de l’aide au commerce, de la sécurité alimentaire,
et du recul des pandémies et autres maladies. Nous pensons donc qu’il
faut poser la question de la manière suivante : que doit faire l’Afrique
pour mériter la confiance de l’Europe et, de facto, pour tirer profit de ses
apports de toutes sortes ? La réponse à ce questionnement peut donner
lieu à une abondante littérature. Chacun peut tenter d’y répondre selon
l’idée qu’il se fait des relations Afrique-Europe, ou selon sa vision du
développement pour l’Afrique. A notre humble avis, la réponse à cette
grande question réside dans la gouvernance économique et politique en
Afrique. En effet, personne n’est sans savoir que d’énormes flux finan-
ciers en provenance d’Europe, toutes sources confondues, ont été desti-
nés à l’Afrique56. Mais quel usage a-t-on fait de ces montants colossaux ?
Ont-ils fait l’objet d’une utilisation rationnelle et optimale ? Ou bien ont-

56 Pour le besoin de notre analyse, nous taisons volontairement les retours sur investis-

sements ou tous types de ressources empruntant le chemin inverse.

211
ils été dévoyés de leur destination initiale ? Ces questions ont déjà trouvé
une réponse dans l’abondante littérature consacrée à l’aide au dévelop-
pement et à son emploi en Afrique. Nous ne voulons donc pas y revenir
au risque de nous livrer à une ennuyante redite. Toutefois, il est impor-
tant de noter que la mauvaise gouvernance qui entoure l’usage de l’aide
en Afrique a contribué à la rendre inefficace, et par conséquent, à rendre
infructueuses les interventions européennes en Afrique.
Par ailleurs, il convient de noter que l’absence d’intégration politique en
Afrique a handicapé la coopération avec l’Europe. La mise en avant de la
souveraineté des États n’a pas favorisé l’avènement d’une Afrique parlant
d’une seule voix et marchant d’un même pas. La cacophonie qui s’en est
dégagée a plutôt fait le lit de la division, des réflexes du « chacun pour soi »,
du « repli sur soi » et du nationalisme. Ainsi, dans les négociations avec les
partenaires européens, l’Afrique s’est présentée divisée, chaque pays ou
chaque région cherchant à ne défendre que ses intérêts nationaux ou régio-
naux. A chaque fois, toutes les déclarations de bonne intention d’intégration
exprimées dans les traités ou chartes ont été foulées au pied au bénéfice des
intérêts propres des États. Cette inclination à l’individualisme explique en
partie l’inefficacité de la coopération avec l’Europe, d’autant qu’elle empêche
l’Afrique de présenter un front commun et de peser réellement dans les
négociations –voire d’avoir une véritable capacité de négociation–. Elle en-
gendre des difficultés pour se faire respecter, pour forcer l’Europe à tenir ses
engagements, et pour orienter le dialogue avec l’Europe en sa faveur. Une
telle situation offre à l’Europe l’image d’une Afrique divisée, d’une Afrique
où ne comptent que les intérêts souverains des États, d’une Afrique manipu-
lable à souhait, d’une Afrique où l’on peut opposer facilement les pays les
uns contre les autres, d’une Afrique enfin où la division est la règle et l’unité
l’exception.
Comment l’Afrique peut-elle bénéficier de sa coopération avec
l’Europe dans une telle posture ? Ici, il convient de rappeler que l’un des
principes de la Stratégie conjointe Afrique-Europe invite l’UE à traiter
l’Afrique comme une seule entité. Ainsi, l’UE est tenue d’adapter les trois
instruments existants (Accords de Cotonou, arrangements du MEDA
remplacés depuis 2007 par le European Neighborhood and Partnership
Instrument (ENP), et Accord sur le Commerce, le Développement et la
Coopération (traité ACDC)) aux exigences de la nouvelle stratégie en les
harmonisant ou en les unifiant. L’idée consiste à créer un seul instrument
de coopération avec l’Afrique, au lieu de trois actuellement, pour soute-
nir la dynamique du processus d’intégration africaine. En dépit des ap-
pels persistants et plusieurs fois renouvelés de l’Afrique à l’Europe
l’invitant à respecter ce principe majeur de la Stratégie conjointe, l’UE
tarde encore à s’exécuter.

212
Au lieu donc de faire porter à l’Europe toute la responsabilité des ré-
sultats jugés relativement décevants de sa coopération avec elle, l’Afrique
doit accepter de faire son autocritique et s’atteler à identifier les facteurs
endogènes lui permettant de faire fructifier cette coopération Afrique-
Europe. Au nombre de ces facteurs figure principalement l’impérieuse
nécessité de maîtriser les leviers de son intégration et de sa bonne gou-
vernance économique et politique, seuls capables de lui conférer un véri-
table pouvoir de négociation dans le cadre de son partenariat avec
l’Europe.
En conclusion, nous sommes d’avis que les contraintes de l’évolution
du monde moderne exigent que l’Afrique ne vive pas en autarcie. En
revanche, elles l’invitent plutôt à nouer des partenariats stratégiques avec
le reste du monde pour mieux répondre aux besoins de ses nombreuses
populations. Car elle a besoin de l’expérience, du savoir-faire et des meil-
leures pratiques des autres pour compenser ses déficits structurels. Tou-
tefois, il est extrêmement important pour elle de se munir d’une stratégie
digne de ce nom pour mieux encadrer ces partenariats et défendre ses
propres intérêts. Une telle stratégie est de nature à lui permettre de mul-
tiplier les partenariats sans en perdre le contrôle, et, de facto, de mieux
bénéficier des avantages potentiels que recèlent ceux-ci.

213
CHAPITRE VII

L’union africaine paralysée


par l’apathie de ses organes

Le 25 mai 1963, l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) fut créée


par ceux que l’on appelle affectueusement les Pères fondateurs de
l’Afrique contemporaine. À sa création, on lui confia, à travers la charte
qui la fondait, deux défis majeurs à relever : la décolonisation totale du
continent, ainsi que son épanouissement économique et social. Si l’on est
unanime à reconnaître qu’au Plan politique, l’OUA a contribué à la libé-
ration effective du continent du joug colonial et à l’effondrement du
système de l’apartheid, cette unanimité disparaît lorsqu’il s’agit d’évaluer
sa performance aux plans économique et social. Ainsi, cinquante-deux
ans après la création de l’OUA, aujourd’hui devenue UA, l’Afrique reste
confinée dans le cul-de-sac de la pauvreté et de la misère. Elle demeure
lauréate des indicateurs économiques et sociaux négatifs, et elle évolue à
la périphérie des instances chargées de l’activation des leviers de com-
mande des ordres politique et économique mondiaux. Cette contre-
performance sur le front économique et social est, en partie, à l’origine
de la création de l’Union africaine se substituant à l’OUA. La nouvelle
Union est donc née non seulement pour apporter une solution là où
l’OUA s’est avérée inefficiente, mais aussi pour doter l’Afrique de
moyens appropriés lui permettant de se débarrasser de tous ses handi-
caps, et, de facto, de s’arrimer définitivement à l’économie mondialisée.
Proclamée en juillet 2001 à Lusaka (Zambie), l’Union sera lancée un an
plus tard à Durban (République d’Afrique du Sud). Pourra-t-elle relever
les défis pour lesquels elle a été créée ? L’Union africaine peut-elle per-
mettre à l’Afrique de venir à bout de son sous-développement structurel
et de devenir un partenaire crédible dans la gestion des affaires plané-
taires ? Ces interrogations constituent généralement le leitmotiv des mi-
lieux africains ou non, où l’on traite de la capacité de l’Union africaine à
répondre aux aspirations, voire aux attentes, de ceux qui l’ont créée. Les
réponses souvent proposées divisent les optimistes et les pessimistes.
D’un côté, il y a ceux qui croient en l’Union africaine et qui estiment
qu’elle constitue le passage obligé pour l’Afrique, si elle veut se position-
ner sur le sentier de l’expansion et du développement durable. De l’autre
côté, il y a ceux qui ne croient pas en l’Union africaine. Pour ceux-ci, elle
constitue une « OUA bis » qui a déjà du plomb dans l’aile, du fait des
contradictions, des handicaps de toute nature, et des nombreux conflits
inter et intra-États qui caractérisent l’Afrique.
La confrontation de ces deux thèses (la thèse optimiste et la thèse pessi-
miste) conduit à la problématique suivante : l’Union africaine est-elle un
mythe ou une réalité ? Le dictionnaire Larousse définit les concepts « mythe »
et « réalité » comme suit : un mythe, c’est une construction de l’esprit qui ne
repose pas sur un fond de réalité - c’est une légende. La réalité, c’est le carac-
tère de ce qui est réel, de ce qui existe effectivement, par opposition à ce qui
est imaginé, rêvé, fictif. Cette clarification conceptuelle conduit à penser que
considérer l’Union africaine comme un mythe, c’est la considérer comme
une représentation de l’esprit qui ne pourra jamais être traduite dans les faits.
Autrement dit, l’Union africaine, vue comme une Afrique unie et intégrée,
débarrassée des contraintes de toute nature et dotée d’une monnaie com-
mune, est un rêve qui ne verra jamais le jour. Mais reconnaître l’Union afri-
caine comme une réalité, c’est croire que l’objectif visé par les chefs d’État et
de gouvernement en la créant sera atteint. En d’autres termes, la réalisation
de l’Union africaine relève du domaine du possible, c’est-à-dire qu’elle est à
la portée de l’Afrique. L’Union africaine, mythe ou réalité, semble donc être
une controverse d’écoles ou d’idées que l’on peut alimenter ou illustrer,
permanemment, avec des argumentaires crédibles. Sans vouloir prendre part
à un tel exercice qui peut revêtir l’allure d’un débat sans fin, nous voudrions
(en reconnaissant tout de même la logique et la crédibilité des arguments qui
peuvent fonder la thèse pessimiste) exprimer notre adhésion à la thèse de
ceux qui croient en la faisabilité de l’Union africaine.
Puisque nous avons adopté la thèse optimiste, c’est-à-dire celle qui
laisse entrevoir que l’Union africaine est une réalité et non un mythe,
nous allons, dans les développements qui vont suivre, montrer en quoi
l’Union africaine peut se réaliser. Il est surtout question de mettre en
exergue les conditions préalables à remplir et qui fondent notre croyance
en l’Union africaine. Ces conditions préalables, que nous appelons vo-
lontiers les clés du succès de l’Union africaine, se structurent autour de
quatre axes principaux : les principes généraux à respecter, le rôle des
États membres, le rôle des régions et la réorganisation de la Commission.
Mais auparavant nous tenterons d’identifier les principaux handicapes
qui, selon, nuisent à l’éclosion de l’UA

216
Les handicaps structurels de l’Union africaine
Hier le Secrétariat général de l’OUA faisait face à d’énormes difficultés
pour mettre en œuvre l’Agenda de développement continental et au-
jourd’hui la Commission de l’UA est confrontée aux mêmes difficultés. Oui
hier comme aujourd’hui de nombreux projets sont annuellement adoptés,
des programmes nouveaux sont élaborés comme des solutions africaines
aux problèmes africains. Mais tous ces projets, tous ces programmes, con-
naissent un dénominateur commun : l’inefficacité structurelle des acteurs
chargés de les traduire dans la réalité. Au nombre des facteurs bloquant et
paralysant la situation l’on peut évoquer ceux qui suivent : pénurie de res-
sources financières, cacophonie des mécanismes de prise de décision, multi-
plication des centres de décisions, superposition et enchevêtrement des
structures à but intégrateur, pauvreté en infrastructures institutionnelles,
économiques et financières, etc. Aussi faut-il le souligner, il y a absence de
principes clairs qui régissent la vie des organes de l’UA. Ou bien ces prin-
cipes existent, mais ils ne sont ni respectés ni mis en œuvre. Les communau-
tés économiques régionales (CER), reconnues comme les piliers de l’édifice
de l’intégration continentale peinent à s’inscrire dans la dynamique de la
mise en œuvre des projets intégrateurs. En général, celles-ci agissent selon
les instructions reçues des sommets régionaux des chefs d’Etat et de gou-
vernement. Et ces instructions ne sont pas toujours en harmonie avec celles
adoptées par les conférences biannuelles des chefs d’Etat et de gouverne-
ment de l’UA. Ces CER reçoivent donc deux messages : le message des
régions et celui du continent. Auquel des deux doivent-elles obéir ? Le per-
sonnel de celles-ci, percevant son salaire des instances régionales, est naturel-
lement orienté à s’investir dans la mise en œuvre des décisions que lui dic-
tent les CER au détriment de celles que prennent les instances suprêmes de
l’UA.
Par ailleurs, les pays africains, indépendants et souverains, qui consti-
tuent des acteurs-clés dans le processus intégrateur, sont très éloignés de
leur devoir et de leurs responsabilités. Ces Etats membres de l’UA pren-
nent librement des décisions que la Commission est tenue, à son corps
défendant, de mettre en œuvre. L’ordre est même donné à celle-ci de
nouer des contacts avec des partenaires au développement pour mobili-
ser des ressources de tout genre. Et le paradoxe ici est que ces pays veu-
lent garder, mordicus, la totalité de leur indépendance et de leur souve-
raineté ; oubliant que, selon un adage africain, « la main qui donne est
toujours au-dessus de celle qui reçoit ». Ici, le comble aussi est que
chaque pays, dans l’enceinte de l’UA, cherche toujours à « tirer le drap ou
la couverture de son côté ». Ainsi, chaque pays détient « un petit morceau de drap
dans sa main » largement insuffisant pour essuyer la moindre goutte de
sueur. Le fait de vouloir garder à tout prix les souverainetés individuelles

217
est à l’origine de tels comportements qui sont de nature à fragiliser, voire
même à handicaper, le processus d’intégration.
La Commission de l’Union Africaine (CUA), quant à elle, n’est pas
exempte de l’apathie qui caractérise l’UA. Ici, le mode d’élection de ses
leaders politiques pose problème. Une procédure qui n’obéit à aucune
règle juridique et qui, depuis 2003 renouvelle les mandats des élus poli-
tique de la CUA ; une telle approche est de nature à produire des consé-
quences aux contours difficilement maîtrisables. Aussi, faut- il l’indiquer,
le recrutement de son personnel permanent et technique souffre de
nombreuses insuffisances. Au nom de la logique, le fait d’y avoir du per-
sonnel en provenance de tous les pays (ce qui est légitime et nous y adhé-
rons profondément) ouvre la voie à des pratiques qui fragilisent la
Commission. Une telle pratique est à l’origine du recrutement des « bras
cassés », incapables de performance et qui n’ont de salut que de se réfu-
gier derrière les Missions diplomatiques de leurs pays en Ethiopie. Ainsi,
si un personnel est citoyen d’un pays fort ou d’un pays « grand contributeur
au budget de l’UA » il a, de ce fait, droit à tout, même s’il est médiocre du
point de vue professionnel. Donc, à la CUA, il n’est pas rare de rencon-
trer des faits réguliers de « deux poids deux mesures ». Les citoyens des pays
« moins contributeurs au budget » apparaissent comme les plus exposés aux
mesures de tout genre des « soi-disant » réformes engagées par les admi-
nistrations successives.
L’autre difficulté rencontrée dans la conduite du processus
d‘intégration réside dans le manque de coordination au niveau des insti-
tutions dites panafricaines et régionales, supposées pourtant être les ac-
teurs-clés dudit processus. La cacophonie, qui caractérise leurs relations,
en termes de duplications de projets, d’opacité dans les actions menées,
d’émission de messages différents en direction des pays africains, et sur-
tout de compréhension commune des problèmes économiques qui as-
saillent l’Afrique, est de nature à rendre atones toutes les synergies
d’action.
Les partenaires au développement ne sont pas exclus des contraintes à
desserrer pour booster la dynamique de l’intégration continentale. Et
pour cause, ils promettent des engagements financiers colossaux qui sont
difficilement accessibles pour mettre en œuvre les projets pour lesquels
ils sont destinés. La tendance dominante que l’on observe ici est que les
partenaires, pour la plupart d’entre eux, ne favorisent les décaissements
que pour les projets qui sont en parfaite harmonie avec l’entretien de
leurs intérêts. Et comme corollaire à une telle conception de l’aide c’est la
relégation au second rang de l’Agenda de développement conçu par les
Africains eux-mêmes ; ce qui est de nature à creuser davantage le déficit
de mise en œuvre que connaît la Commission de l’UA.

218
A la lumière de ce qui précède, que faut-il faire pour changer cette
préoccupante situation ? Nos propositions sont mises en exergue dans
les prochains développements.

Les clés du succès de l’Union africaine


Les éléments, mis en lumière ici, s’articulent essentiellement autour
des principes à respecter, des rôles stratégiques des CER, des pays
membres de l’UA, et de la Commission de l’UA, regardée comme
l’institution chargée de mettre en œuvre toutes les décisions politiques de
l’Union africaine, et de la nécessité de réformer en profondeur les moda-
lités d’élection des élus politiques de la Commission.

Principes généraux à respecter pour une Union africaine forte


On se perd en conjectures lorsque l’on cherche à définir les voies et
les moyens de la réussite de l’Union africaine. Chacun s’y essaie avec sa
conviction, son idéologie, sa foi et son savoir. Il n’y a donc pas une pen-
sée unique définissant la voie à suivre pour construire l’Union africaine.
En revanche, il y a plutôt une pléthore d’approches qui est le reflet des
subjectivités de tous ceux qui tenteraient d’y apporter une solution.
Pour nous, l’Union africaine peut sortir de l’univers du rêve pour in-
tégrer celui de la réalité, à la seule condition que certaines pistes soient
identifiées et explorées. À nos yeux, ces pistes, au plan des principes,
s’articulent autour des éléments qui vont suivre.
i. Chaque organe de l’Union africaine doit jouer son rôle, confor-
mément à ses termes de référence définis par les textes fondateurs
de l’Union. Ici, l’enjeu consiste à ce que la Commission puisse jouir
d’une autonomie d’action par rapport au Comité des représentants
permanents (COREP) et vice-versa. Mais cette autonomie d’action
ne doit pas signifier indépendance ; elle doit plutôt se fonder sur
une complémentarité d’action pour une finalité commune : le dé-
veloppement du continent africain. La Commission ne doit pas
être prise en otage par les autres organes dans l’exercice de ses
fonctions. Elle doit pouvoir mettre en œuvre ses programmes
d’activités, sans interférence du COREP qui doit l’assister dans un
esprit de coopération et non d’affrontement, ou encore moins de
concurrence. Le contraire serait de nature à paralyser la Commis-
sion, et, de facto, à la rendre apathique au regard des défis majeurs
que l’Afrique doit relever. Le COREP et la Commission doivent
bâtir entre eux des relations de travail fondées sur la confiance mu-
tuelle et non sur la méfiance mutuelle. Et chacun de ces organes

219
doit, dans son comportement quotidien, offrir tous les gages pour
garantir l’affirmation de cette confiance sans laquelle toute coopé-
ration reste infructueuse.
ii. La Commission doit être dotée d’une structure qui soit en harmo-
nie avec les ambitions de l’Union africaine. Cette structure doit être
une structure conçue pour l’avenir et non pour le court terme ou
encore moins pour satisfaire des agendas inavoués des Autorités de
l’Union. Ainsi, au fur et à mesure que de nouveaux besoins se font
sentir et que s’élargit la surface financière de la Commission, l’on
donnerait un contenu aux contenants déjà existants en termes de
ressources humaines, de projets et de programmes. Si la structure
de la Commission de l’Union africaine, dans sa croissance éven-
tuelle, ne prenait pas en compte les objectifs fixés par l’Acte cons-
titutif, et ne permettait pas aux départements techniques
d’accroître leur productivité de travail, la Commission risquerait
fort de ressembler au Secrétariat de la défunte OUA. La structure
de la Commission doit donc pouvoir lui conférer efficacité et dy-
namisme. Ses différentes articulations doivent être parfaitement
huilées, et complémentaires afin d’éviter les dysfonctionnements
administratifs qui pourraient l’installer dans une totale léthargie.
iii. La Commission de l’Union africaine doit avoir un capital humain
qualifié et compétent. Par conséquent, elle doit proposer des con-
ditions de travail (en termes de salaires, de carrière, etc.) qui lui
permettent d’attirer les meilleures compétences du continent. Car,
tant que les incitations au travail sont en deçà de celles que pro-
pose le système des Nations unies, et, dans une moindre mesure,
de celles que proposent certains pays africains ou certaines CER,
les meilleurs cadres africains ne se bousculeront pas à la porte de la
Commission. Et ceux qui y sont déjà sont prêts à partir dès qu’une
situation relativement meilleure leur est proposée ailleurs. Une telle
situation est de nature à pérenniser le problème de faibles capacités
humaines, voire de faibles capacités d’absorption, dont a long-
temps souffert l’OUA, et dont souffre aujourd’hui la Commission
de l’Union africaine. La Commission doit donc avoir les moyens
de ses ambitions, en améliorant significativement les conditions de
travail de son personnel, afin de pouvoir bénéficier de l’expérience,
de l’expertise ou du savoir-faire des meilleures compétences afri-
caines. La capacité de faire face aux défis majeurs auxquels
l’Afrique est aujourd’hui confrontée est, partiellement, à ce prix.
iv. Les objectifs fixés par l’Acte constitutif doivent être traduits en
projets ou programmes d’activité réalistes et mobilisateurs. Les dé-
partements techniques de la Commission doivent être beaucoup

220
plus entreprenants et orienter leurs activités dans cette nouvelle di-
rection, en faisant preuve de plus d’imagination et d’audace pour
exploiter toutes les opportunités que fournit l’Acte constitutif. La
Commission, par l’entremise des départements techniques, doit
pouvoir émettre autour des projets intégrateurs des signaux en di-
rection des Communautés économiques régionales (CER). Ces
projets intégrateurs doivent tendre à consolider les acquis en ma-
tière d’intégration régionale et à soutenir la mise en œuvre des pro-
grammes d’activité des CER. Au final, les CER, au nom du prin-
cipe de subsidiarité, doivent constituer les creusets au sein desquels
la Commission doit concrétiser tous ses projets fédérateurs.¸
v. L’Union africaine doit mettre en place, en son sein, les mécanismes
de financement de ses projets. Les programmes d’activité de la
Commission doivent être financés à plus de 90% par les fonds
propres de l’Union africaine ou par d’autres mécanismes de finan-
cement fondés sur un système de prélèvement admis de façon
consensuelle au niveau continental. Il s’agit ici de compter moins
sur l’apport extérieur qui doit être considéré comme tel et ne doit
donc pas se substituer aux fonds propres fournis par les États
membres de l’Union. Nous en appelons ici à un interventionnisme
de type keynésien. Car, si l’Afrique veut réaliser son union et sa
transformation structurelle dans un horizon temporel court, elle
doit accepter de payer le prix de cette réalisation. Ce prix,
l’extérieur ne le payera jamais à sa place. À ce jour, toutes les initia-
tives visant à extraire l’Afrique du sous-développement chronique
n’ont pu produire les résultats escomptés. Et pour cause, l’Afrique
a compté sur le financement extérieur pour leur mise en œuvre. Et
si l’on n’y prend garde, le NEPAD risque fort de connaître le
même sort, d’autant plus qu’il mise essentiellement sur le secteur
privé étranger, particulièrement celui des pays du G8, pour le fi-
nancement des projets intégrateurs comme, entre autres, le déve-
loppement des infrastructures physiques, la promotion de
l’agriculture, et le développement des nouvelles technologies de
l’information et de la communication. Selon nous, tous ces grands
projets contenus dans le programme NEPAD doivent être majori-
tairement financés par les canaux des budgets nationaux ou régio-
naux. Généralement, ces projets relèvent, de par leur nature, du
monopole naturel. Par conséquent, ils n’intéressent guère le privé
qui n’est mû que par la maximisation de son profit. Cette vérité
doit être comprise par les dirigeants africains. Ainsi, les réseaux
routiers, les chemins de fer et autres projets relevant des grands
travaux doivent être financés par les pouvoirs publics. Cette vérité

221
s’applique également à la Commission qui doit moins compter sur
l’apport des partenaires pour la concrétisation de ses projets. Le
niveau de développement de l’Afrique exige que l’on accorde en-
core plus d’importance au rôle de l’État dans l’allocation des res-
sources des pays africains. Il importe donc que l’on accepte de do-
ter la Commission de l’Union africaine d’un budget conséquent, lui
permettant de recourir dans une moindre mesure à l’extérieur pour
le financement de ses activités.

Devoirs des États membres pour une Afrique souveraine et in-


dépendante
À l’époque de l’OUA, les instances de décision prenaient les recom-
mandations et décisions dans un enthousiasme parfois débordant, sans
qu’elles soient, très souvent, suivies d’actions concrètes. Ces recomman-
dations et décisions étaient soigneusement rangées dans les archives de
l’OUA et des ministères des Affaires étrangères des pays membres. Le
poids des contraintes internes de ces pays les conduisait à reléguer au
second plan la mise en œuvre des décisions et des traités qu’ils avaient
pourtant délibérément votés et ratifiés. Une mutation profonde s’impose
donc dans les comportements des États et des Communautés écono-
miques régionales pour ce qui est du respect des engagements pris, de
manière consensuelle, dans le cadre du développement collectif du con-
tinent. Cette mutation, à notre humble avis, se structure autour des élé-
ments qui suivent.
i. Tout d’abord, les dirigeants africains doivent respecter les enga-
gements pris aux niveaux régional et continental, en acceptant de
les concrétiser sur le terrain. Tant que l’Afrique ne cultive pas et
ne pratique pas la culture du respect de la parole donnée, voire
des contrats auxquels elle a volontairement souscrit, il lui sera dif-
ficile de réaliser son intégration économique et politique. Un as-
pect connexe de cette question réside dans l’obligation de satis-
faire toutes les contraintes liées à l’adhésion à des organisations
internationales. Très souvent, les pays africains adhèrent à des
organisations régionales et continentales sans pouvoir honorer
totalement leurs engagements financiers à l’égard de ces der-
nières. Ceci handicape sérieusement ces organisations dans
l’obtention des résultats pour lesquels elles ont été créées. Le cu-
mul considérable des arriérés de contributions au budget de la
Commission en est une preuve assez édifiante. Les États africains
se doivent donc de mettre en œuvre les décisions (aux niveaux
régional et continental), quel que soit le coût à payer, d’une part,

222
et de verser régulièrement leurs contributions financières aux
budgets ordinaires des institutions dont ils sont membres, d’autre
part.
ii. Par ailleurs, il convient de noter que le processus d’intégration
continentale ne doit pas laisser sur le quai les partis politiques
africains. En effet, il est connu de tous que l’objectif fondamental
de tout parti politique est de s’accaparer le pouvoir, de l’exercer
et de le consolider. Pour réussir une telle entreprise, les partis po-
litiques mobilisent, sensibilisent les masses par l’entremise de
leurs projets de société. De ce point de vue, ils exercent une in-
fluence considérable sur les opinions publiques nationales, voire
régionales et continentales. Par conséquent, il s’avère extrême-
ment important que ceux-ci soient intimement associés au pro-
cessus d’intégration régionale et continentale. Ainsi, ils assimile-
ront mieux le bien-fondé des agendas régionaux et continentaux
d’intégration ; ce qui, de facto, les amènera à les incorporer dans
leurs programmes de mobilisation et de sensibilisation de
l’opinion.
iii. La finalité de l’intégration étant moins l’intégration des États que
celle des peuples, les partis politiques, par le jeu de la mobilisation
des opinions pour atteindre l’objectif justificatif de leur raison
d’être, pourraient substantiellement y contribuer. De ce fait, nous
invitons les partis politiques au pouvoir, principaux acteurs du
processus d’intégration régionale et continentale, à y impliquer les
partis politiques de l’opposition ou de la minorité. Pour ce faire,
ceux-ci, doivent être invités à prendre part aux ateliers, sémi-
naires, conférences et sommets où l’on traite des questions
d’intégration. Dès lors, ils doivent activement participer aux ré-
flexions en cours sur la façon la plus optimale pour accélérer le
processus d’intégration et garantir le succès de la transformation
structurelle du continent, pour faire connaître leurs avis.
iv. En outre, il semble urgent de modifier profondément le contenu
des sommets de l’Union africaine. Pour permettre à celle-ci d’être
plus efficace, nous suggérons que l’on alterne Sommet écono-
mique et Sommet politique. En ce début du millénaire en cours,
le défi majeur auquel fait face l’Afrique est celui de son dévelop-
pement économique et social. Dès lors, une attention particulière
doit être accordée aux problématiques du sous-développement
structurel et chronique qui la caractérise. Or, dans la structure ac-
tuelle de l’organisation des Sommets des chefs d’État et de gou-
vernement (depuis 1963 à nos jours), il est accordé plus de
temps, plus d’importance et plus d’intérêt aux questions à carac-

223
tère politique. Les questions économiques, quant à elles, demeu-
rent marginalisées. Elles sont à peine traitées, alors que l’on est
unanime à reconnaître la forte corrélation positive et significative
qui existe entre la misère et les conflits qui assaillent le continent.
Puisqu’il est admis d’organiser deux sommets par an, on devrait
consacrer le premier Sommet aux questions politiques, tandis que
le deuxième devrait s’appesantir exclusivement sur le dossier
économique et social du continent. Ainsi, le premier sommet se-
rait préparé et précédé par le Conseil des ministres des Affaires
étrangères, tandis que le deuxième serait préparé et précédé par le
Conseil des ministres de l’Économie et des Finances, de la Plani-
fication et du Développement, et de ceux en charge de
l’intégration. Une telle spécialisation présente l’intérêt de rendre
plus opérationnels, voire plus efficaces et plus proactifs, les
sommets de l’Union. Aussi a-t-elle l’avantage de « dégraisser » les
points inscrits à l’ordre du jour et de permettre aussi bien à
l’Union qu’aux pays d’accueil de réaliser de substantielles écono-
mies sur le coût de l’organisation. Il convient de rappeler que,
dans cette perspective, les ministres africains en charge de
l’intégration ont suggéré une recommandation pertinente à
l’Assemblée des chefs d’Etat et de gouvernement pour consacrer
l’un des Sommets annuels aux questions d’intégration et de déve-
loppement. Depuis son adoption elle n’est pas encore mise en
œuvre, alors qu’il est de plus en plus d’actualité de procéder au-
trement pour plus d’efficacité et de résultats. Ici également nous
proposons que les paroles soient suivies d’actes pour accroître la
capacité productive de l’UA.
v. Ensuite, il importe que la construction des CER et de l’Union
africaine soit démocratisée. En d’autres termes, il est urgent que
l’on associe les populations africaines, voire la société civile, à
l’effort d’intégration. La pyramide d’une Afrique intégrée doit se
bâtir ou se construire à partir de la base, c’est-à-dire à partir des
populations bénéficiaires, et non l’inverse. Corrélativement à
cette exigence, les États africains doivent créer un environnement
favorable à l’épanouissement de la société civile. La société civile
doit connaître une promotion tant au niveau des micro-États
qu’aux niveaux régional et continental. Dans une telle mouvance,
la jeunesse a un rôle fondamental à jouer. Elle doit être au cœur
d’une société civile africaine forte et émancipée, gage certain de
l’avancée de l’Afrique sur la voie du progrès économique et so-
cial. Pour cela, l’Union africaine ne doit pas être une union des
copains ou un syndicat de chefs d’État africains, comme certains

224
milieux aimaient à qualifier la défunte OUA. En revanche, elle
doit être une union pour tous les Africains (ceux d’en haut, du
milieu et ceux d’en bas), au sein de laquelle tous les conflits doi-
vent connaître une fin dans un esprit de tolérance, de fraternité et
d’apaisement. L’enthousiasme avec lequel les dirigeants africains
ont signé l’Acte constitutif et l’ont fait ratifier par les Assemblées
nationales achève de convaincre quant à leur volonté politique de
réussir l’Union des pays et des peuples africains. Si cette hypo-
thèse s’avérait exacte, cela voudrait dire que les frontières qui sé-
parent aujourd’hui les pays ne seraient plus une réalité demain.
Du coup, l’avènement de l’Union africaine rend surannés les con-
flits frontaliers et les problèmes de migration qui divisent au-
jourd’hui l’Afrique. De même, l’Union africaine, symbole des
conquêtes victorieuses futures sur les fronts de l’économie et du
social, doit être perçue comme le moule dans lequel l’on doit
couler toutes les visions que l’on pourrait avoir pour le continent.
Au sein de la nouvelle Union africaine, les Africains doivent ac-
cepter d’aborder avec courage et détermination tous les sujets qui
dérangent ou qui fâchent, ceux que l’on met soigneusement de
côté pour favoriser une entente de façade. La question de la sou-
veraineté des États, l’accession au pouvoir par des moyens anti-
constitutionnels, l’usage du tribalisme et de la religion pour la
conquête du pouvoir politique, la pratique de la diplomatie hypo-
crite, le partage du pouvoir, la déstabilisation des pays voisins, la
libre circulation des personnes et des biens, le droit de résidence
et d’établissement, etc., toutes ces questions ne doivent plus
constituer des « tabous » dans les instances statutaires de l’Union
africaine.
vi. Par ailleurs, il importe de souligner ici le rôle déterminant qui doit
être dévolu à la communauté intellectuelle africaine. Celle-ci doit
s’organiser pour servir de garde-fou, à tous égards, dans
l’évolution de l’Afrique. La Communauté intellectuelle africaine
pourrait ainsi, entre autres, établir des dispositions permettant
aux jeunes démocraties africaines de s’épanouir convenablement,
en évitant toutes dérives totalitaires aux relents tribalistes et reli-
gieux. De même, elle servirait de garde-fou aux acteurs politiques
dans leurs actions quotidiennes, en les empêchant d’user de cer-
taines voies pour la conquête du pouvoir politique, à savoir : le
tribalisme, la religion, la xénophobie, le régionalisme, etc. Ainsi, la
voie des urnes dans une saine transparence doit demeurer la seule
passerelle crédible pour l’accession au pouvoir politique. Par con-
séquent, une société civile épanouie et entreprenante, une jeu-

225
nesse qui constitue les poumons de cette société civile, une
communauté intellectuelle qui joue le rôle de garde-fou dans
l’évolution de la société, et des politiciens qui jouent le jeu des
urnes et de la transparence, constituent des denrées à acquérir par
les États africains. Car la conjugaison de toutes ces vertus conduit
inexorablement chaque pays africain et l’Afrique tout entière sur
la voie de la paix, de la sécurité et de la stabilité, conditions préa-
lables et incontournables de la croissance et du développement
inclusifs.
vii. Il est aussi à souligner que des opportunités de croissance, voire
d’accumulation, existent en Afrique. Être un continent à la fois
riche et pauvre représente un paradoxe difficilement explicable et
admissible. Si ces mêmes opportunités s’offraient à certaines
autres régions du monde, elles seraient indubitablement exploi-
tées à bon escient, voire rationnellement, pour consolider les ac-
quis du développement et pour accroître le bien-être des popula-
tions qui y vivent. Cette situation paradoxale doit donc inviter les
décideurs africains à revisiter les politiques appliquées jusque-là,
et à identifier d’autres points d’ancrage pour la croissance et le
développement du continent. Ces nouveaux points d’ancrage,
voire ces nouveaux repères, résident, à notre humble avis, dans
l’industrialisation du continent. Il est impératif que les décideurs
du continent comprennent le rôle moteur du secteur secondaire
dans le développement économique. Refuser d’admettre un tel
impératif, c’est accepter la marginalisation éternelle de l’Afrique
dans la gestion des affaires du monde moderne. Car, il est prati-
quement établi que tous les pays qui ont la croissance globale la
plus rapide sont ceux qui ont connu la croissance la plus forte de
leur industrie. Par conséquent, toute tentative visant à fourvoyer
l’Afrique quant à la nécessité de son industrialisation est alar-
mante. En revanche, toute politique active en faveur de
l’industrialisation du continent devient la priorité des priorités.
L’Afrique doit donc définitivement sortir de la logique de « con-
tinent à vocation agricole et exportateur net de matières pre-
mières non transformées ». La notion d’« industrialisation, syno-
nyme de croissance et de développement » doit être, à jamais,
inscrite dans sa mémoire collective.
viii. Il est extrêmement important de réhabiliter le rôle des pouvoirs
publics car, même l’Europe et les États-Unis ne pratiquent ni le
« Tout État », ni le « Tout marché ». Bien qu’ils se comportent
comme les champions ou la locomotive de l’économie de mar-
ché, les pouvoirs publics, dans les deux cas, jouent toujours le

226
rôle de garde-fou et même d’accélérateur de l’économie nationale.
Les baisses en série enregistrées par Wall Street en juillet 2002 et
l’intervention musclée de Georges W. Bush, soutenue par
l’adoption de mesures coercitives anti-corruption et la réforme en
profondeur des méthodes de comptabilité des entreprises améri-
caines, qui ont suivi, sont assez significatives de la nécessité du
rôle de l’État dans la régulation économique. De même, les inter-
ventions fortes des pouvoirs publics dans les pays occidentaux en
général et particulièrement aux Etats-Unis et en Europe consécu-
tivement à la crise économique et financière systémique des an-
nées 2007-2008 renforcent cette conception.
ix. L’Afrique doit donc refuser de consommer entièrement les poli-
tiques de stabilité et de relance économique que lui conseillent les
institutions financières internationales dominées par la philoso-
phie du consensus de Washington. Le succès de son industrialisa-
tion, tout comme celui de toutes les autres politiques qu’elle initie
pour se soustraire à la pauvreté et à la misère, sont à ce prix.
x. Aussi apparaît-il important d’inviter tous les décideurs politiques
et économiques de l’Afrique à s’inspirer du panafricanisme dans
l’accomplissement de leurs tâches quotidiennes. Ce mouvement
politique et culturel, qui véhiculait le rêve d’une Afrique régéné-
rée, unifiée et solidaire, tire ses origines des travaux pionniers de
panafricanistes comme57 E. Blyden, M. Garvey, S. William, G.
Padmore, W.E.B. Dubois, etc. Ce mouvement a profondément
inspiré la plupart des Pères fondateurs de l’Afrique moderne, au
nombre desquels figurent principalement Kwam NKrummah, J.
Nyerere, F. H. Boigny, S. Touré, Modibo Keita, L. S. Senghor
etc. Ces illustres fils d’Afrique ont su galvaniser, autour d’eux,
toutes les forces vives et toutes les énergies nécessaires pour libé-
rer le continent de la domination coloniale et néocoloniale. En
créant l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) en mai 1963, les
Pères fondateurs de l’Afrique contemporaine visaient non seule-
ment à consolider l’unité du continent et à renforcer la solidarité
entre les populations africaines, mais aussi à promouvoir son dé-
veloppement socio-économique et culturel, et à l’extraire définiti-
vement de l’apartheid qui sévissait dans sa partie australe. Ainsi,
en invitant à l’unité et à la solidarité, le panafricanisme interpelle
toutes les filles et tous les fils d’Afrique qui doivent s’en inspirer
constamment, dans toutes leurs entreprises quotidiennes, s’ils

57 Pour plus d’informations, voir “Les cahiers panafricains » Edition spéciale, No. 12,

juin 2007

227
veulent contribuer aux victoires que l’Afrique ne manquera fina-
lement pas de remporter sur les fronts des défis majeurs du
XXIème siècle. Hier le panafricanisme a servi de levier pour con-
quérir de haute lutte l’émancipation politique du continent. Au-
jourd’hui, il doit animer tous les Africains dans la lutte quoti-
dienne pour recouvrer l’émancipation économique et pour proje-
ter l’Afrique dans le futur avec la maîtrise de tous les leviers pos-
sibles lui permettant de mieux conduire son avenir et son destin.

Actions à entreprendre pour ériger les CER en véritables piliers


du processus d’intégration
Le traité d’Abuja instituant la Communauté Economique Afri-
caine(CEA) adopté en 1991 et entré en vigueur en 1994 stipule que les
CER constituent les piliers de la construction de l’intégration continen-
tale. Celles-ci devaient donc devenir les véritables architectes, voire les
véritables acteurs, d’une Afrique économiquement intégrée. Il est indiqué
plus haut (cf ch.3) que les CER ont certes accompli des progrès, mais
elles font face à des défis énormes pour tirer vers l’avant le processus
d’intégration. Pour donner donc du rythme à ce processus, une nouvelle
dynamique mérite de lui être insufflée.
i. D’abord, il est question de donner un contenu aux économies
africaines à travers celui des communautés économiques régio-
nales. Cet important objectif était celui de la première étape du
Traité d’Abuja. Mais, depuis juillet 1999, la Communauté écono-
mique africaine (AEC) a abordé sa deuxième phase, sans que les
résultats escomptés de la première aient été obtenus. En effet,
bien que quelques avancées aient été enregistrées par certaines
Communautés économiques régionales (CER), notamment par la
CEDEAO, la CAE, la SADC et le COMESA, force est de re-
connaître que les économies de ces groupements demeurent glo-
balement précaires. Globalement, elles restent encore fragiles
face à la plupart des chocs endogènes et exogènes. Ces écono-
mies sont non seulement dualistes et désarticulées, mais elles res-
tent encore fortement tributaires de l’intervention étrangère, des
points de vue du financement, de la technologie, de certains in-
puts, des stratégies managériales, etc. Au plan sectoriel, il est à re-
tenir que l’agriculture est toujours déficitaire par rapport à sa mis-
sion première (qui consiste à nourrir la population) ; l’industrie,
dans la plupart des cas, se trouve à l’état embryonnaire ; et le ter-
tiaire sort difficilement du cul-de-sac de l’informel, développant
des emplois précaires qui revêtent l’allure d’un chômage déguisé.

228
Donner du contenu à ces économies, c’est procéder à leur trans-
formation structurelle de nature à rattraper tous les gaps qui les
éloignent des économies développées ou émergentes. Car pré-
tendre intégrer les économies sans leur donner un contenu équi-
vaudrait à ceci : 0+0=0.
ii. Ensuite, nous sommes fondé à croire qu’il est pratiquement im-
possible d’embarquer tous les pays en même temps dans le train
de l’intégration. Ce truisme s’impose tant au niveau des Commu-
nautés économiques régionales qu’au niveau continental.
L’exemple de l’Union européenne apparaît, ici, assez significatif.
Du Traité de Rome (1957) au Traité de Maastricht (1992), et au-
jourd’hui le Traité de Lisbonne (2007) des actes importants ont
été posés, avec la particularité de connaître des périodes
d’adhésion variées. Le respect des critères de convergence (una-
nimement définis) liés à la monnaie unique, au sein des CER,
présente l’intérêt de faire émerger des pays leaders dans les
Communautés. Les recalés pour cause de faibles résultats éco-
nomiques trouvent, dans ces indicateurs de performance, des
motifs supplémentaires pour atteindre les objectifs visés. Cette
approche sélective, voire à plusieurs vitesses, apparaît plus adap-
tée à un environnement où les économies sont fortement hétéro-
gènes. Les Communautés économiques régionales, piliers fon-
damentaux de l’Union africaine, ont intérêt à s’inspirer du modèle
européen, si elles veulent s’octroyer les chances d’un éventuel
succès. Une démarche contraire semble, à nos yeux, porteuse
d’handicaps et de sclérose.
iii. Par ailleurs, nous notons qu’il est temps de responsabiliser
l’expertise africaine dont le coût de formation a été à l’origine de
déficits budgétaires importants dans la quasi-totalité des pays
africains. Pour accélérer l’édification de l’Afrique économique,
nous suggérons que les économistes africains soient fortement
impliqués dans la conception des politiques et programmes, dans
leur exécution comme dans leur évaluation. Pour cela, nous pro-
posons qu’au niveau de chaque Communauté économique régio-
nale, il soit organisé régulièrement des rencontres d’experts afri-
cains portant sur des sujets variés comme l’agriculture, l’industrie,
le commerce, la monnaie, etc. L’idée sous-jacente consiste à re-
cueillir des données et des analyses sur les CER, dans les do-
maines précités, conçues par les experts africains ressortissants
des CER. Les analyses viseront à appréhender les résultats relatifs
aux secteurs déjà évoqués, les difficultés rencontrées ainsi que les
différentes perspectives qui y sont associées. Ceci présente aussi

229
l’intérêt d’associer les universitaires, chercheurs et autres experts
africains à la construction de la Communauté économique afri-
caine, étape ultime du Traité d’Abuja. De telles rencontres scien-
tifiques, organisées, par exemple, tous les deux ans, permettraient
non seulement de mieux appréhender les contours théoriques et
pratiques de l’évolution de la mise en œuvre dudit Traité, mais
encore de procéder à des ajustements conjoncturels. Les docu-
ments issus de ces séminaires et entérinés par les chefs d’État et
de gouvernement, constitueraient le « tableau de bord », tant pour
les décideurs que pour les partenaires au développement au ni-
veau des CER et à l’échelle continentale. Somme toute,
l’organisation de rencontres scientifiques dans chaque CER pour-
rait déboucher sur celle d’un congrès d’intellectuels africains, qui
aurait pour ambition, entre autres, de faire la synthèse des actes
desdites rencontres pour en faire un rapport sur le développe-
ment économique et social en Afrique. Cette synthèse validée par
le Congrès des Intellectuels africains serait soumise aux chefs
d’Etat et de gouvernement à l’occasion du Sommet économique
sur l’intégration et le développement, pour examen et adoption.
Une telle initiative aurait le mérite de proposer aux Africains un
diagnostic, des analyses et des recommandations faits par
l’expertise africaine, fruit du savoir-faire africain, sur l’état de
l’évolution économique et sociale du continent.

Code de conduite pour une Commission exemplaire et perfor-


mante
Une Commission exemplaire et performante est celle qui optimise ses
résultats sous la contrainte des ressources mises à sa disposition. Selon
nous, l’exemplarité et la performance de la Commission pourraient rési-
der dans les éléments suivants :
i. La transparence doit être érigée en principe permanent de fonc-
tionnement. Compte tenu du fait que le manque de transparence
est l’une des principales sources de complexification et de frustra-
tion dans les relations humaines de toutes les entreprises mo-
dernes, nous recommandons que chaque fonctionnaire, quelle
que soit sa position hiérarchique, s’inspire du principe de transpa-
rence dans l’exercice de ses fonctions de tous les jours. Ce prin-
cipe voudrait que l’on sache ce que l’autre fait, et vice-versa, étant
entendu que nous concourons tous à l’obtention d’un résultat
unique : l’accomplissement des objectifs majeurs de
l’Organisation continentale. Le respect de ce principe est de na-

230
ture à renforcer l’harmonisation des programmes et à offrir à
chacun l’aptitude à défendre, en tous lieux et en tout temps, la
pertinence ou la fiabilité des multiples programmes initiés et mis
en œuvre par la Commission.
ii. Toutes les actions, entreprises au sein de la Commission, doivent
se nourrir de ce principe de transparence. Les recrutements des
fonctionnaires, l’exécution des budgets, les transferts ou les re-
classements du personnel etc., méritent d’être opérés dans une
totale transparence afin d’éviter toutes velléités de conflits ou
toute relation conflictuelle avec le COREP ou avec les autres or-
ganes de l’UA. Opérer dans une transparence totale, acceptée par
tous et reconnue de tous, constitue un véritable gage de con-
fiance susceptible de conférer une crédibilité à la Commission, et,
de facto, de rassurer les partenaires au développement sur le bon
usage de leurs apports. Aussi, un tel comportement est-il de na-
ture à tranquilliser les États membres quant à l’utilisation ration-
nelle et optimale des fonds mis à sa disposition d’une part, et à
susciter l’adhésion des populations africaines autour des pro-
grammes majeurs qu’elle développe, d’autre part.
Pour illustrer nos propos liés à la transparence, citons les cas qui
vont suivre. En matière de gestion budgétaire, la transparence si-
gnifierait que la Commission se donne les moyens de présenter
un bilan financier compréhensif, clair et ne souffrant d’aucune
contestation. En d’autres termes, la Commission doit être capable
de produire, annuellement, un rapport financier dans lequel le
doute n’a pas de place. Ceci présente l’avantage de renforcer la
confiance entre elle et le COREP et de motiver davantage les
États membres à payer leurs contributions statutaires ; car ces
contributions représentent des transferts de fonds publics, donc
des fonds en provenance des contribuables africains. L’autre
exemple en matière de transparence réside dans le recrutement
du personnel. Ici, la Commission doit éviter d’être la fonction
publique de quelques pays ou de quelques régions. Pour ce faire,
des critères de recrutement doivent être clairement définis et ac-
ceptables par tous. Ici, également, le copinage, le népotisme, le
clientélisme, les situations de rente, etc., ne doivent pas avoir
droit de cité. Seul le mérite doit présider à la sélection des candi-
dats, car de nos jours, l’Afrique regorge de cadres compétents
dans tous les pays, voire dans toutes les régions qui la compo-
sent.
iii. Un autre pan de la transparence réside dans l’attribution des mar-
chés de la Commission. En Afrique, l’attribution des marchés

231
publics constitue un des canaux de diffusion, de transmission, et
de propagation de la corruption sous toutes ses formes. C’est
pourquoi les marchés publics se situent dans le collimateur de
toutes les politiques visant à juguler la corruption en Afrique ou
ailleurs. Or, si l’une des tâches de la Commission est
d’accompagner les États dans la lutte contre la corruption, la
Commission a le devoir et l’obligation de s’ériger en modèle de
lutte contre ce fléau qui est devenu une gangrène pour toutes les
économies africaines. Dans cette perspective, nous suggérons que
l’attribution des marchés au niveau de la Commission se fasse
dans une transparence totale. Si la Commission de l’UA s’entoure
de tous les atouts pour mettre fin à ces pratiques sous toutes
leurs formes, elle contribuera, de ce fait, à réduire ses charges de
fonctionnement et, surtout, à bénéficier de la confiance des États
membres et des partenaires au développement qui participent
substantiellement au financement de ses activités. En matière de
bonne gouvernance, la Commission doit donc être perçue
comme une vitrine pour toute l’Afrique.
iv. La fluidité de l’information, tant verticalement qu’horizonta-
lement, doit être parfaite. Il est à rappeler qu’en matière de stra-
tégie organisationnelle, l’information apparaît comme une denrée
essentielle. Son acquisition constitue un atout majeur dans la
compétition industrielle pour la consolidation ou l’acquisition de
marchés. De même, dans l’organisation structurelle d’une institu-
tion comme l’UA, la diffusion de l’information est indispensable
à l’obtention d’un certain niveau d’efficience ou d’efficacité du
facteur travail. Toute velléité de rétention d’informations est por-
teuse d’écueils et de paralysie. La disponibilité de l’information au
moment voulu permet à chacun d’avoir de la visibilité dans ses
opérations quotidiennes, et, de facto, d’être efficace dans les ac-
tions à entreprendre dans l’exercice de ses attributions. La par-
faite information, aussi bien de la base vers le sommet que du
sommet vers la base, est donc à développer, si l’on veut que le
fonctionnement de la Commission de l’UA sorte de l’archaïsme.
v. La valorisation des ressources humaines disponibles s’avère une
nécessité impérieuse. En effet, l’allocation optimale des facteurs
de production disponibles (dont le facteur travail) revêt une im-
portance capitale dans toute stratégie contemporaine visant à ac-
croître l’efficience ou l’efficacité productive. Si cette allocation est
effectuée sans relation avec l’aptitude réelle des fonctionnaires
concernés, elle risque de déboucher sur une inefficacité structu-
relle, bloquante et paralysante due à la frustration et au manque

232
de visibilité qui l’accompagnent. De plus, la quête permanente de
la performance et le mérite doivent constituer, pour les fonction-
naires, les vertus essentielles de la promotion de leur carrière. Par
conséquent, le jeu de la délation et du dénigrement systématique
auprès de la hiérarchie, ainsi que l’usage des situations de rente
doivent être bannis de leur comportement quotidien. Par ailleurs,
l’amélioration continue du capital humain au sein de
l’Organisation doit être effective. L’administration doit être en
mesure d’élaborer des programmes de formation spécifiques ou
multidisciplinaires de courte durée permettant aux fonctionnaires,
quel que soit leur profil intellectuel, de se mettre au diapason de
leur science d’appartenance ou de s’adapter aux techniques nou-
velles indispensables à l’évolution d’une institution moderne. Les
fonctionnaires, quant à eux, doivent accepter de se libérer pour
une période de 1, 2 ou 3 mois pour suivre les programmes de
formation qui leur sont destinés. Les supérieurs hiérarchiques
doivent favoriser ce mouvement, sous peine de confiner le per-
sonnel concerné dans le cul-de-sac de l’ignorance et de la médio-
crité, et, de facto, de porter sérieusement préjudice à l’efficacité et
au dynamisme de la Commission.
vi. La clarification des relations entre les commissaires et les direc-
teurs, entre les directeurs et les chefs de division, entre les chefs
de division et les fonctionnaires qui composent les divisions res-
pectives, doit être faite dans une ambiance bon enfant, et dans un
esprit de coopération pour une cause commune. Ici, l’adage « à
chacun sa partition pour un objectif commun » doit être de mise.
Cela sous-entend que le commissaire chargé de la supervision
d’un département donné doit éviter de se substituer au directeur
dudit département ; le directeur doit éviter de se substituer aux
chefs de division ; les chefs de division doivent éviter de se subs-
tituer aux fonctionnaires de leurs divisions respectives. En
d’autres termes, chacun, à son niveau, doit exercer ses fonctions
dans le strict respect de la description de ses attributions initiales
et dans la loyauté à sa hiérarchie. Toute tentative de jouer le rôle
de l’autre sur une base non objective, c’est-à-dire dans la pure
tradition d’un abus de pouvoir, recèle en son sein tous les ingré-
dients de sclérose et de blocage. Car, en s’évertuant à empêcher
un fonctionnaire d’exercer ou de mettre en œuvre son pro-
gramme, l’on contribue indubitablement à obstruer l’Organi-
sation dans sa marche vers la réalisation de ses objectifs. Par con-
séquent, nous conseillons humblement aux fonctionnaires de
tout mettre en œuvre pour se départir définitivement de ces ré-

233
flexes anti-progrès, et pour avoir, en toile de fond de toutes leurs
décisions individuelles, l’intérêt de l’Organisation. En clair, les in-
térêts fondamentaux de l’UA doivent occuper le haut du pavé des
critères qui régissent tous nos actes quotidiens et toutes nos ini-
tiatives contributives. Ici l’esprit d’équipe doit être la règle et non
l’exception.
vii. La coopération inter et intra-départementale doit être encoura-
gée. Une telle approche est de nature à minimiser l’effet de ce que
les économistes appellent la loi des rendements décroissants. Elle
se produit lorsque les recrutements se font attendre et que les
multiples tâches sont exécutées par un nombre insignifiant de
fonctionnaires. Ceux-ci peuvent, dans un premier temps, avoir un
rendement appréciable. Mais au fur et à mesure que les tâches à
accomplir connaissent un accroissement(le nombre de recrutés
n’évoluant pas), leur rendement décroît inexorablement. Dans ce
cas de figure, quelles que soient la capacité et la volonté qui ca-
ractérisent les fonctionnaires concernés, ils ne peuvent pas exécu-
ter efficacement les tâches qui leur sont dévolues, ce qui, de facto,
affecte négativement les résultats de l’Organisation. Dès lors,
nous suggérons que, dans un esprit de franche coopération, les
départements et les divisions acceptent que certains dossiers qui
leur sont initialement attribués soient gérés collectivement. La
gestion des dossiers ne doit pas être perçue en termes de gains
(per diem perçus), mais plutôt en termes de réalisation effective
des objectifs qui leur sont associés. L’Organisation gagnerait ainsi
en efficacité, en crédibilité et en réputation.
viii. Les fonctionnaires de la Commission doivent être des panafrica-
nistes. Il en est de même des élus politiques. Ici, nous voudrions
les inviter à « penser Afrique » avant de « penser pays ou région ».
Le nationalisme étroit ou le régionalisme ringard n’ont pas leur
place. Car il est inadmissible de travailler dans une institution à
but intégrateur avec des sentiments anti-intégration. La philoso-
phie panafricaniste doit constituer une source où chaque fonc-
tionnaire est constamment invité à s’abreuver. Elle doit être un
ancrage permanent, voire un boulet au pied permanent, pour tout
fonctionnaire dans l’accomplissement de ses tâches quotidiennes.
L’Afrique, pays de tous les Africains, doit être construite sur les
cendres des nationalismes étroits qui fragilisent, voire précarisent,
de nos jours, les pays et leurs populations.

234
Adopter un mode d’élection qui dote la Commission d’élus poli-
tiques panafricanistes et audacieux
Une Afrique et non des Afriques. Suis-je panafricain ? Es-tu panafri-
cain ? Est-il panafricain ? Sommes-nous panafricains ? Pourquoi ce genre
de questions, après plus d’un demi-siècle d’émancipation économique et
politique de l’Afrique ? À première vue, ces questions semblent redon-
dantes. Toutefois, au regard des renouvellements successifs des mandats
des élus politiques de la Commission de l’Union africaine, il y a lieu de se
les poser. En effet, ces évènements politiques de l’organe exécutif de
l’Union africaine ont souvent donné lieu au réveil des démons que l’on
croyait pourtant ensevelis. Ils suscitent une résurrection, voire une revita-
lisation, des Afriques, ou plus singulièrement un affrontement entre
« Afrique francophone » et « Afrique anglophone », reléguant au second
plan les « autres Afriques ». Tout se passe comme si l’Afrique était ré-
duite à ces deux ensembles linguistiques. Tout se passe comme si le con-
tinent africain était redevenu le terreau d’un affrontement déguisé, sinon
téléguidé, entre capitales et cultures de l’extérieur du continent.
L’Afrique du XXIème siècle mérite-t-elle un tel spectacle ? L’Afrique de
l’Union africaine, fièrement lancée à Durban en 2002 dans un enthou-
siasme débordant, mérite-t-elle ce sort ? Ce n’est certainement pas l’avis
de la majorité de la population africaine aujourd’hui, et c’est cette popula-
tion que nous devons écouter. L’Afrique d’aujourd’hui a fait beaucoup
de progrès (même si des défis majeurs persistent) sur le chemin de
l’intégration économique et politique. Les Africains, dans leur immense
majorité, sont conscients que les pays, pris individuellement, n’ont pas
d’avenir dans un environnement mondialisé. L’avenir de l’Afrique n’a de
sens que dans un processus réussi d’intégration économique et politique.
Cette prise de conscience, profondément ancrée dans une vision de
prospérité partagée, n’autorise pas les clivages linguistiques hérités de
l’époque coloniale à remettre en cause le fonctionnement de nos institu-
tions panafricaines en charge de cette intégration.
Le panafricanisme, qui hier a conduit à la création de l’Organisation
de l’Unité africaine et a permis de sortir toute l’Afrique du joug colonial
et de venir à bout de l’apartheid, doit aujourd’hui aider à consolider les
fondements de l’Union africaine et à accompagner le continent dans sa
marche vers l’intégration économique et politique. À cette fin, les diri-
geants et les acteurs africains, tant publics que privés, doivent
s’approprier les valeurs et la philosophie du panafricanisme, et en faire le
fondement de leurs décisions. Concrètement, cela signifie que chacun
d’entre nous doit d’abord penser à l’Afrique, avant de penser à son
propre pays. Nous devons penser à l’Afrique comme étant notre « pays-
continent », et non comme un continent constitué d’États souverains et

235
indépendants aux intérêts divergents, dont les voix restent d’ailleurs à
peine audibles dans le concert des nations. C’est donc cette vision d’une
Afrique intégrée, une et forte, qui doit guider nos choix économiques et
politiques, avec pour objectif commun de sortir ensemble la population
africaine de la pauvreté. C’est aussi cet esprit panafricaniste qui doit pré-
valoir dans la conduite des politiques menées par les Communautés éco-
nomiques régionales, indispensables piliers de la construction d’une
Afrique qui soit une et intégrée politiquement et économiquement.
Par ailleurs, un tel changement d’échelle, qui doit désormais faire de
l’Afrique un bloc soudé à part entière, appelle à la citoyenneté africaine.
Il invite de ce fait à enterrer définitivement les antagonismes et autres
clivages passés, et notamment les antagonismes et clivages linguistiques,
qui sont autant de séquelles de la colonisation dont le dessein de diviser
pour régner n’a pas été la moindre des caractéristiques.
C’est devant cette situation qu’il paraît crucial de réformer profondé-
ment le mode de scrutin pour le renouvellement de la Commission. Il
s’agit de préserver les acquis de l’intégration du continent et d’avancer
ensemble vers une Afrique intégrée et une. Nous ne devons pas nous-
mêmes jouer le jeu de ceux que la balkanisation du continent arrange,
quoi qu’ils disent. Nous devons plutôt œuvrer, à tous les niveaux et à
tout instant, pour que l’Afrique, riche de ses régions, de ses populations,
de ses tribus, de ses valeurs culturelles, de ses langues, de ses religions, en
somme de sa diversité plurielle, reste une, afin de faire disparaître à ja-
mais le spectre potentiellement dévastateur de la « guerre des
Afriques ».Quel mode de scrutin donc pour une Afrique intégrée, une et
apaisée ?
À cette importante interrogation, plusieurs réponses peuvent être
proposées. L’Union africaine a été lancée en 2002 à Durban, en Afrique
du Sud. Depuis lors, le mandat de ses élus politiques a été renouvelé à
deux reprises. La première équipe dirigeante a été mise en place en 2003
à Maputo, au Mozambique, avec à sa tête A.O. Konaré, ancien Président
de la République du Mali. Le premier renouvellement du mandat des
membres de la Commission de l’Union africaine s’est déroulé sans ten-
sion notable en 2008. Toutefois, le deuxième exercice du genre, qui a eu
lieu en 2012, a été marqué par la résurgence de velléités de division et de
« guerre des Afriques », avec des tensions politiques et diplomatiques que
l’Organisation continentale n’avait encore jamais connues. Cette fois, les
conséquences psychologiques du déroulement particulièrement difficile
de l’élection des membres de la Commission risquent de peser longtemps
sur l’unité et la solidarité continentales, à moins que le mode de scrutin
ne soit rapidement revisité.

236
Pour notre part, l’origine des tensions associées au renouvellement du
mandat des membres de la Commission est en effet à chercher dans le
mode de scrutin en vigueur. Celui-ci semble comporter de sérieuses li-
mites, qu’il importe de corriger afin de préserver l’esprit et la lettre de
l’Acte constitutif de notre Organisation continentale. Tout d’abord, nous
tenons à préciser qu’il ne s’agit nullement de remettre en cause la parité
hommes/femmes, qui doit être respectée au sein de la Commission élue,
dans la mesure où elle s’inscrit dans la logique de la promotion et de
l’autonomisation de la femme africaine qu’entend clairement porter
l’Union africaine. Mais, si l’on écarte l’élection du Président de la Com-
mission, poste éminemment politique, un problème fondamental se
pose, en l’absence de toute logique de priorité, de capacité, voire de
compétence ou de mérite, qui devrait pourtant prévaloir, pour l’élection
des membres de la Commission. C’est l’exécution même du mandat de
l’Organisation continentale qui semble ainsi mise en péril, tant il est vrai
que l’actuel mode de scrutin ne permet pas de garantir pleinement la
capacité des femmes et des hommes élus à exécuter au mieux ce mandat.
En effet, l’élection des Commissaires n’obéit ni à un texte juridique, ni
à une décision politique, ni même à une quelconque logique rationnelle.
Le seul ordre qui soit respecté est celui dans lequel les portefeuilles figu-
rent dans les statuts de la Commission. Ces portefeuilles sont censés
couvrir les domaines dans lesquels le continent a besoin de l’action de
l’Union africaine, mais ils n’ont pas été classés suivant un ordre de priori-
té clairement établi. À titre d’exemple, le portefeuille des Affaires éco-
nomiques, qui est censé traiter des questions de développement et
d’intégration, aurait dû, en toute logique, figurer en tête de ce classement.
Et pour cause, la priorité des priorités des pays africains, aujourd’hui,
porte sur la croissance et le développement, afin d’éradiquer la pauvreté
et la misère. C’est par le biais du développement économique que
l’Afrique connaîtra la paix et la sécurité. Le développement économique
constitue non seulement la clé pour résoudre la plupart des problèmes
auxquels est actuellement confrontée l’Afrique, mais aussi et surtout la
réponse la plus efficace et la plus durable aux problématiques sociales sur
notre continent.
Il convient de rappeler qu’en 2003 à Maputo, lors de l’élection de la
première équipe dirigée par A.O. Konaré, le portefeuille des Affaires
économiques n’avait pas été directement attribué, en raison des limites
du mode de scrutin en vigueur. Ce portefeuille avait plutôt été attribué à
la région d’Afrique australe qui, à son tour et en se basant sur sa configu-
ration, l’avait alors confié au Malawi, en invitant ce pays à proposer deux
candidats pour le poste. C’est dans ces conditions que ce portefeuille a eu
un titulaire en provenance du Malawi. Pour les mêmes raisons, le titulaire

237
finalement nommé, candidat à sa propre succession en 2008, aurait pu ne
pas être reconduit, n’eût été l’intervention quelque peu sujette à caution
du conseiller juridique de la Commission. En 2012, lors du deuxième
renouvellement de la Commission, ce portefeuille, pourtant hautement
prioritaire du point de vue stratégique, n’a pas pu une nouvelle fois être
attribué, toujours pour la même raison qu’il apparaît au bas de la liste
dans l’ordre figurant dans les statuts de la Commission.
Pour qu’un tel état de fait ne se reproduise plus, et particulièrement
pour que le renouvèlement des mandats politiques ne porte atteinte à
l’unité du continent, il est extrêmement urgent et nécessaire que l’actuel
mode de scrutin soit réformé en profondeur. Il s’agit non seulement de
préserver l’unicité et la solidarité du continent que porte la Commission,
mais aussi de veiller à ce que les portefeuilles soient attribués en fonction
des domaines d’action prioritaires sur le continent et, surtout, en tenant
compte des capacités avérées des candidats. La liste des propositions
d’options pour améliorer significativement ce mode de scrutin peut
s’allonger d’autant que chacun peut s’y essayer en fonction de ses
propres convictions. A nos yeux, les options ci-après pourraient être
explorées pour une telle réforme du mode de scrutin, afin de garantir le
renouvellement harmonieux et apaisé de la Commission. Elles
s’articulent autour des éléments suivants :
i) Accroître l’effectif des élus politiques : Ici, deux hypothèses pour-
raient être envisagées :
a. attribuer un poste politique à tous les États membres (soit 54
postes au total). Compte tenu du nombre d’États membres de
l’Union, cette hypothèse paraît à la fois difficile et peu pratique
à mettre en œuvre. La rationalisation qui a prévalu lors de la
création des portefeuilles, dont le nombre a été fortement limi-
té, est un atout sur lequel l’Union peut aujourd’hui bâtir, en ce
temps où la rareté des ressources financières exige une alloca-
tion rationnelle et optimale des ressources disponibles.
b. accroître le nombre d’élus politiques dans les cinq régions que
compte l’Afrique sur une base proportionnelle : i) au nombre de
pays constituant chaque région ; ou ii) à la population de chaque
région. Ainsi, le nombre d’élus politiques originaires de chaque
région serait-il simplement plus représentatif du nombre de
pays qui la constituent ou de son poids démographique.
ii) Changer le mode de renouvellement de la Commission, en sup-
primant les élections. Ici, une fois le consensus dégagé sur le
nombre de portefeuilles (et en tenant compte dans une certaine
mesure de la faisabilité de l’option précédente), l’on pourrait pro-
céder comme suit :

238
a) un comité ministériel mandaté par le Sommet des Chefs d’État
et de gouvernement serait chargé de :
x Répartir les portefeuilles entre les régions (y compris les por-
tefeuilles de la Présidence et de la vice-Présidence);
x Demander aux régions de désigner leurs élus. Ici, une dyna-
mique régionale, fondée sur une rotation entre pays et une
répartition optimale et rationnelle des postes internationaux,
faciliterait la tâche des régions ;
x Recueillir les listes des membres pressentis dans chaque ré-
gion et les soumettre au Conseil exécutif qui, après examen,
proposerait une liste continentale à la Conférence des chefs
d’État et de gouvernement, pour nomination des élus poli-
tiques.
b) dans cette option, le Parlement panafricain pourrait jouer un
rôle déterminant, avec une légitimité renforcée s’il était élu au
suffrage universel.
c) par ailleurs, le Comité ministériel pourrait décider de changer
les portefeuilles confiés aux régions, après un ou deux mandats.
Cela éviterait qu’une région ou un pays ne s’approprie de ma-
nière trop marquée un portefeuille donné.
Cette option s’inspire du modèle européen (chaque pays pou-
vant prétendre à un portefeuille, comme dans le cas extrême de
l’option 1), avec comme principal avantage le renouvellement
de la Commission dans un climat apaisé, consolidant ainsi les
fondements de l’intégration.
iii) Déterminer l’ordre des portefeuilles de Commissaires par tirage au
sort, sans remise, après le choix du Président et du vice-Président.
Après donc le choix des deux premiers postes de la Commission,
l’ordre d’attribution des portefeuilles de Commissaire serait déter-
miné par tirage au sort, sans remise. Ainsi, le premier portefeuille
tiré ferait l’objet de l’élection de son titulaire, et il en serait de
même pour l’ensemble des portefeuilles. Une telle démarche per-
met de placer les candidats de toutes les régions d’Afrique face à la
même probabilité d’être élus, quel que soit le portefeuille postulé.
Cette équiprobabilité entre candidats confère plus de crédibilité et
plus d’équité au mode de scrutin.
iv) Ajustements stratégiques. La solution ici consisterait à classer tout
d’abord les portefeuilles en deux catégories : la catégorie A, ras-
semblant par exemple les portefeuilles Paix et Sécurité, Affaires
politiques et Affaires sociales ; et la catégorie B, où l’on classerait

239
les portefeuilles Affaires économiques, Commerce et Industrie, In-
frastructure et Énergie, et Science et Technologie.
Au sein de chaque catégorie, les portefeuilles seraient à leur tour
classés selon un ordre de priorité traduisant effectivement les be-
soins réels et quantifiables des pays, des régions et du continent. La
nomination des Commissaires pourrait alors s’effectuer soit caté-
gorie après catégorie, soit en alternance par l’élection d’un Com-
missaire dans la catégorie A, puis dans la catégorie B, et ainsi de
suite jusqu’à l’épuisement des portefeuilles dans les deux catégo-
ries. L’innovation ici consisterait principalement à prioriser les por-
tefeuilles avant les élections. L’opération de priorisation pourrait
être faite par le Comité ministériel trois mois avant les élections.
Un autre avantage de cette configuration est de permettre à
l’importance de chaque portefeuille d’évoluer d’un mandat à
l’autre. Ainsi, un portefeuille prioritaire aujourd’hui peut cesser de
l’être à l’ouverture du prochain mandat et ainsi être classé en der-
nière position, et vice versa.
v) Octroyer un seul mandat (non renouvelable) aux élus politiques.
Ici, nous suggérons de rallonger la durée du mandat actuel pour la
porter à six (6) ans. Un mandat unique empêcherait les élus de
s’inscrire dans la logique d’un renouvellement qui pourrait les con-
duire à adopter des comportements contre-productifs. Une telle
option, au cas où elle est retenue, pourrait être mise en œuvre dans
l’esprit de l’option 2.
vi) Procéder à l’élection de tous les candidats en même temps, voire
de façon simultanée. Ici il s’agit de mettre tous les candidats sur
une liste commune, en demandant au pays de cocher un nom par
portefeuille. Le candidat qui recueillerait le maximum de voix re-
quises par portefeuille serait déclaré élu. L’on répétera l’opération
jusqu’à épuisement du processus. Bien évidemment, l’on veillera à
ce que les équilibres du sexe et de région soient respectés. Certains
pays africains utilisent déjà ce mode de scrutin pour le renouvelle-
ment des mandats politiques.

Nous avons exploré ces six options et nous avons la conviction que la
deuxième pourrait remporter l’adhésion populaire la plus grande. Cette
option présente tout d’abord l’avantage d’offrir un environnement apaisé
pour le renouvellement du mandat des élus politiques, comparée au reste
des alternatives proposées. Ensuite et surtout, elle associe les régions au
choix des élus. Les régions sont en effet mieux placées pour apprécier en
connaissance de cause l’expertise des candidats. L’option 2 ne peut donc
que contribuer au choix des élus politiques, singulièrement au choix de

240
Commissaires de haute qualité, panafricanistes et entreprenants dont
l’Union a aujourd’hui tant besoin.
Au total, l’Union africaine est un pari à portée de main de l’Afrique,
mais à condition que toutes les parties prenantes ou tous les acteurs im-
pliqués jouent sincèrement le rôle qui leur est dévolu. Pour y parvenir,
l’Afrique tout entière se doit, entre autres, de faire sienne une vertu car-
dinale : la culture du respect de la parole donnée. Dans cette perspective,
tous les acteurs africains au processus d’intégration, voire de la construc-
tion de l’UA, ont le devoir de jouer pleinement leur partition en
s’inspirant constamment des vertus du panafricanisme tant politique
qu’économique. Les institutions panafricaines doivent mieux coordonner
et harmoniser leurs programmes et activités pour créer des synergies
susceptibles de tirer vers l’avant l’émancipation économique du conti-
nent. Quant aux partenaires au développement, leur accompagnement
est nécessaire tant que celui-ci vient en soutien à la mise en œuvre de
l’Agenda de développement conçu par l’Afrique elle-même. Toutes ten-
tatives de leur part pour imposer des programmes en relation avec leur
vision et perception du monde sont de nature à enfoncer le continent
dans un sous-développement structurel quasi permanent. Les différents
organes de l’UA doivent s’émanciper de l’inertie qui s’est emparée d’eux
pour mettre en œuvre les programmes et projets intégrateurs conçus et
adoptés par son instance suprême, dans le respect de leurs termes de
référence et dans des complémentarités à organiser entre eux. Les élus
politiques de la Commission, organe exécutif de l’UA, doivent profon-
dément s’inspirer des vertus cardinales du panafricanisme, et se nourrir
de plus d’envie, de détermination et d’audace. Quant aux fonctionnaires
des organes de l’UA, plus particulièrement ceux de la Commission, ils
doivent s’arrimer à la locomotive du mérite et de la compétence. Ils doi-
vent tourner le dos aux pratiques immorales et puiser constamment dans
leurs méninges pour exercer leurs fonctions quotidiennes. Compter sur la
puissance économique et même politique de son pays d’origine pour
s’installer dans l’inaction, l’oisiveté, la délation, le dénigrement et les me-
naces n’est pas digne de l’Africain type et moderne, conscient de l’avenir
de son continent, et prêt à donner le meilleur de soi pour contribuer à le
hisser au diapason du monde développé. Le succès de la Commission
doit constituer le principal objectif de son personnel, et, de facto, doit
l’amener à avoir des comportements honorables dignes et respectables.
Le personnel de la commission doit constituer un modèle de référence,
en matière de comportement, pour tous les fonctionnaires des adminis-
trations publiques et même privées des pays africains : l’excellence, rien
que l’excellence pour servir l’Afrique.

241
CONCLUSION GENERALE

L’Afrique doit s’émanciper de l’immobilisme


pathologique qui la caractérise

Ce livre met en lumière tous les défis que connaît aujourd’hui


l’Afrique. Ce continent qui est, à la fois, immensément riche et extrême-
ment pauvre peine toujours à se positionner sur le sentier de la crois-
sance forte et du développement durable. Cette situation paradoxale,
difficilement explicable et diversement appréciée, trouve ses origines, à
notre avis, dans l’incapacité de l’Afrique à valoriser les nombreuses op-
portunités de croissance qu’elle recèle d’une part, et dans les politiques
économiques contraignantes et appauvrissantes qui lui sont imposées par
les institutions financières internationales, d’autre part. Ainsi, depuis les
années 60 jusqu’à nos jours, plusieurs initiatives, tant individuelles que
collectives, ont été mises en œuvre pour extraire l’Afrique de l’ornière du
sous-développement. Les efforts de l’Afrique ont été quelquefois ap-
puyés par la communauté internationale, mais sans grand succès.
L’Afrique aborde donc le troisième millénaire comme la lauréate des
indicateurs sociaux négatifs et comme le terreau de tous les maux plané-
taires. Ceci rend sceptique une partie de l’opinion africaine et internatio-
nale quant à la capacité réelle de l’Afrique à être, dans un proche avenir,
présente au concert des continents développés. Ce scepticisme se trouve
justifié si l’on se réfère à la marginalisation que connaît l’Afrique dans le
processus de mondialisation et, de facto, dans son rôle insignifiant dans les
mécanismes de gestion des affaires du monde. Ce continent a du mal à
trouver ses repères sur la voie de la croissance durable pour se mettre à
l’abri des insécurités de tout genre qui la caractérisent aujourd’hui.
L’insuccès des politiques, des stratégies ou des modèles qui y ont été
expérimentés laisse entrevoir que l’Afrique pour son développement se
trouve sur une voie sans issue. Cette dynamique vers une impasse con-
duit aux interrogations qui suivent. Et si l’Afrique reprenait ou recom-
mençait tout à zéro ? Et si elle marquait un arrêt momentané pour repar-
tir sur des bases plus solides dont elle a la maîtrise des leviers de com-
mande ? Car l’essoufflement ou l’improductivité avérée des politiques
sectorielles qu’elle a connues jusque-là invitent à remettre le compteur à
zéro pour bien et mieux repartir. Ne pas le faire c’est installer l’Afrique
dans une posture de continent incapable d’offrir un avenir et une espé-
rance à ses nombreuses populations. C’est également l’installer dans un
immobilisme pathologique aux conséquences indescriptibles.
Pour notre part, nous pensons que l’Afrique ne mérite pas la situation
qui la caractérise aujourd’hui. Car toutes les opportunités d’accumulation
de richesses s’y trouvent. Ici, le rôle de ses dirigeants consiste à avoir une
vision claire et profonde pour le devenir des peuples africains, en termes
de projets de société crédibles et dynamiques, et à concevoir des poli-
tiques ou stratégies économiques efficaces permettant de transformer
tous les handicaps d’aujourd’hui en véritables opportunités additionnelles
de croissance. En plus, les dirigeants du continent doivent se doter d’un
leadership et d’une gouvernance irréprochables pour conduire leurs pays
respectifs vers le bonheur et la prospérité. L’effet conjugué de la vision,
du leadership et de la gouvernance est de nature à rendre les politiques
plus visibles et pus productives.
Les pistes proposées dans cet ouvrage pour aider l’Afrique à s’extraire
définitivement de la pauvreté et de la misère ne sont pas exhaustives. De
même, les problématiques qui y sont évoquées sont loin d’être com-
plètes. L’immensité des problèmes qui caractérisent ce continent
n’autorise pas à prétendre à une exhaustivité d’analyse de ses écueils,
ainsi que des solutions proposées pour y remédier. Les solutions pos-
sibles à explorer pour permettre à l’Afrique de repartir sur de bons pieds
ou de repartir sur des bases plus porteuses d’espoir sont identifiées dans
cet ouvrage. Elles ne constituent certes pas des panacées, voire une re-
cette de bon aloi, mais elles ont le mérite de laisser entrevoir une ap-
proche globale de sortie de crise et des thérapies spécifiques à chacune
des problématiques traitées, en fonction de sa nature et de l’ampleur de
son impact sur le processus de développement du continent.
La persistance du sous-développement structurel en Afrique, en dépit
des décennies d’énormes efforts consentis, de la mise en œuvre d’une
pléthore d’initiatives adoptées dans un enthousiasme parfois débordant,
d’une diversité d’apports extérieurs, et de l’encadrement économique
continu des institutions de Bretton Woods, constitue une invite aux diri-
geants, à toutes les forces vives d’Afrique, à s’inspirer, dans l’exercice de
leurs responsabilités quotidiennes, des voies ébauchés dans ce livre. Ces
voies constituent notre contribution, non seulement à la compréhension
des difficultés de tout genre qui assaillent l’Afrique, mais encore à
l’élaboration des solutions tant endogènes qu’exogènes suggérées pour y

244
faire face. Les solutions envisagées dans chaque chapitre sont le reflet de
notre amour pour ce continent et de notre profonde conviction quant à
ses potentialités réelles à maîtriser tous les leviers de son destin écono-
mique et politique. Elles ne sont pas exemptes de tout reproche. Cer-
taines d’entre elles, peut-on spéculer, frisent même le subjectivisme, tant
elles sont intimement liées à notre sensibilité idéologique. En nous fon-
dant donc sur notre intime conviction et sur notre expérience acquise
dans les organisations internationales, nous voudrions insister sur les
voies qui vont suivre, celles que nous considérons comme un passage
obligé pour l’Afrique, si celle-ci veut se donner toutes les chances pour
rompre définitivement avec la misère et la pauvreté, afin de pouvoir ré-
pondre présente au concert des nations développées, dans les limites de
temps d’une génération.
En premier lieu, nous indiquons que l’industrialisation doit être la
priorité des priorités du développement de l’Afrique. L’impact important
et grandissant que produit ce secteur d’activité sur le reste de l’économie,
impact reconnu par tous et mis en exergue par les faits économiques
depuis des lustres, mérite que l’on s’y appesantisse.
Les exemples des dragons d’Asie et des économies émergentes de
l’Amérique latine nous renforcent dans notre conviction à suggérer
l’industrialisation urgente et immédiate de l’Afrique. Car non seulement
ces pays ont réussi leur arrimage à l’économie mondialisée, mais aussi, ils
résistent mieux aux chocs endogènes et exogènes de tout acabit qui, de
nos jours, perturbent ou déstabilisent encore les économies africaines. Si
l’Afrique veut cesser d’être à la traîne de l’évolution du monde moderne
et se doter de tous les atouts pour répondre positivement aux aspirations
de ses populations, en termes de création d’emplois décents, de dévelop-
pement de toutes les infrastructures leur procurant un bien-être total, et
de rupture définitive avec les économies de rente, les pénuries constantes
et les lendemains sans espoir, l’industrialisation du continent africain ne
doit donc pas être perçue comme un luxe, comme le laissent croire ses
concurrents potentiels. Loin s’en faut. L’industrialisation constitue un
impératif qui s’impose à tous les chefs d’État et de gouvernement de
l’Afrique, car l’Afrique se doit de sortir définitivement de la logique de
continent exportateur de matières premières non transformées, pour
s’ancrer dans celle de l’industrialisation. Aujourd’hui, toutes les écono-
mies qui sont exportatrices de matières premières non transformées sont
les premières victimes des perturbations, d’où qu’elles viennent, qui se-
couent souvent l’économie mondiale. L’industrialisation de l’Afrique est,
plus que jamais, une priorité majeure. Ne pas le reconnaître, c’est ad-
mettre la marginalisation du continent dans la gestion des mécanismes
régulateurs de l’économie mondiale. C’est pourquoi, il y a urgence à défi-

245
nir des nouvelles politiques industrielles marquant un nouveau départ
dans le processus d’industrialisation du continent.
En deuxième lieu, nous osons affirmer, avec force, que l’Afrique doit
trouver en son sein les ressources nécessaires pour le financement de son
économie. Les résultats décevants de plusieurs décennies de recours
constant à l’aide extérieure l’invitent à suivre cette voie. Et pour cause.
En matière de financement du développement, il est une vérité évidente
que l’aide extérieure ne peut jamais se substituer aux ressources domes-
tiques. Elle vient soutenir les efforts locaux, sans pour autant s’y substi-
tuer. De ce point de vue, il est extrêmement urgent que les dirigeants
africains comprennent que le financement des projets intégrateurs con-
tenus, principalement dans le NEPAD et autres initiatives majeures
comme le PIDA, le PDDAA, doit relever des ressources intérieures.
L’histoire des faits économiques enseigne que le financement des grands
projets en infrastructures de base (les autoroutes, les chemins de fer, les
ports, les aéroports, etc.) a toujours été assuré par les pouvoirs publics,
du fait que ces projets relèvent d’un monopole naturel, du point de vue
de l’analyse économique. En la matière, compter sur les apports exté-
rieurs, de quelque nature que ce soit, relève d’un leurre. Les dirigeants
africains doivent donc assumer leurs responsabilités en s’appuyant sur les
mécanismes domestiques de financement pour développer les infrastruc-
tures nationales, sous-régionales, régionales et continentales sans les-
quelles le rêve de l’intégration africaine s’apparenterait à une gageure. En
matière de financement du développement, l’Afrique doit donc s’inspirer
de l’adage « aide-toi, le ciel t’aidera ». Ici également un changement de
paradigme s’impose à l’Afrique pour domestiquer le mode de finance-
ment de ses économies.
En troisième lieu, il s’avère extrêmement important que les dirigeants
africains respectent la liberté de penser et d’entreprendre. Ce faisant, ils
doivent résolument s’adonner à l’éducation et à la formation de leurs
concitoyens. Cela aboutira à l’éclosion d’une masse critique considérable
de scientifiques, de chercheurs, d’ingénieurs, etc., dont l’usage rationnel,
voire optimal, est de nature à permettre à l’Afrique de rattraper son re-
tard scientifique et technologique par rapport aux pays développés et aux
pays émergents d’Asie et d’Amérique latine. Dans une telle mouvance,
les intellectuels africains doivent accepter de jouer pleinement le rôle qui
est le leur en évitant surtout de se lancer, tous, dans les activités poli-
tiques, considérées en Afrique comme la voie royale pour s’enrichir ou
pour accéder impunément aux ressources nationales. Par ailleurs, les
dirigeants africains doivent développer des structures d’incitation à la
recherche scientifique et technologique permettant aux intellectuels de
vivre décemment de leur science, et de faire face, sans complexe, à leurs

246
homologues du Nord. Refonder profondément l’Ecole africaine en re-
partant sur de nouvelles bases s’avère être une impérieuse nécessité.
En quatrième lieu, il importe de donner un sens positif au patriotisme
en Afrique. Ici, le patriotisme sectaire, au service d’un régime politique,
d’une tribu ou de la promotion d’agendas privés, n’a pas droit de cité. Le
vrai patriotisme devrait être un comportement fondé sur la volonté de
contribuer positivement à l’épanouissement de sa communauté, de son
pays ou de son continent. Ici donc, le patriote, quel que soit son statut
social, quelle que soit la nature de l’activité qu’il pratique, doit pouvoir
influencer positivement l’environnement dans lequel il vit et dans lequel
il travaille. Ce patriotisme-là doit conférer fierté aux patriotes, et même
effleurer un nationalisme épanoui. Ici, le patriote est fier de consommer
les biens qu’il a contribué à produire, directement ou indirectement.
Cette fierté le conduit, s’il est chercheur, par exemple, à s’appliquer dans
ses activités afin de contribuer à l’avènement de biens novateurs qui, à
leur tour, contribuent au rayonnement de son pays. Les dirigeants afri-
cains doivent donc susciter, au sein des populations africaines, ce type de
patriotisme qui porte en lui tous les ingrédients de vertus telles que
l’émulation, le mérite, la bonne gouvernance économique et politique.
Somme toute, un patriotisme, autre que celui qui vient d’être décrit,
constitue l’incarnation même de l’anarchie, du clientélisme, de la gabegie,
du népotisme, soit autant de maux qui recèlent en leur sein tous les fac-
teurs de la destruction d’une nation.
En cinquième lieu, il convient de souligner que les armées, en Afrique,
doivent être des armées républicaines. À ce titre, elles ne doivent servir
que la République, rien que la République. Elles doivent, entre autres,
défendre l’intégrité du territoire de la République et protéger les institu-
tions républicaines lorsque celles-ci sont menacées d’implosion, voire de
destruction. Elles ne doivent donc pas être à la solde d’un régime poli-
tique ou d’un groupe d’intérêts privés donné. L’esprit républicain doit
guider le militaire africain dans ses actes de tous les jours. Pour ce faire, il
doit être au-dessus de la mêlée en ce qui concerne les contradictions tri-
bales, ethnocentriques ou religieuses qui, souvent, font le lit des multiples
conflits que connaît l’Afrique.
Enfin, nous osons croire que l’Afrique ne doit pas sous-estimer les
aspects culturels de son développement. Elle doit considérer sa pluralité
culturelle comme une richesse. Toutefois, elle doit veiller à ce que celle-ci
n’entrave pas sa marche vers le progrès. Ainsi, doit-elle trouver une solu-
tion aux contraintes communautaires qui, dans la plupart des cas, consti-
tuent un handicap à la mobilisation de l’épargne et à l’accroissement du
bien-être des populations. Ici, il est urgent de mettre en place des méca-
nismes permettant de concilier les cultures africaines avec les exigences

247
des économies modernes. De même, il s’avère important d’adapter les
cultures africaines à la démocratie grecque qui s’impose de nos jours
comme une valeur universelle. Une telle démarche pourrait contribuer à
inventer des modes d’État ou de gouvernement intégrant les réalités cul-
turelles et dont la mise en œuvre déboucherait sur des alternances démo-
cratiques apaisées et incontestables.
L’Afrique est riche. Elle constitue même, à certains endroits, un scan-
dale géologique. Cette vérité remonte à la nuit des temps. Et pourtant,
l’Afrique ne parvient pas encore à rompre avec les économies de pénurie
et à procurer le bien-être à ses populations. Une telle situation doit-elle
perdurer ? Nous disons non, car ce continent jouit de toutes les res-
sources nécessaires pour dompter son destin et offrir un avenir meilleur
à ses populations. C’est pourquoi les leaders africains doivent se munir
d’audace et de courage pour sortir le continent de l’immobilisme actuel
en acceptant de tout reprendre à zéro pour bien et mieux repartir. C’est à
ce prix que la transformation structurelle de l’Afrique peut connaître un
succès. Car, si l’Afrique ne parvenait pas à réussir son intégration éco-
nomique et politique, symboles par excellence de l’affirmation de son
existence, en raison de l’inaction de ses dirigeants, elle ne pourrait jouer
aucun rôle dans le remodelage stratégique de la carte du Monde et, de
facto, elle occuperait la place que les autres voudraient bien lui réserver.
Pour faire une métaphore, l’Afrique subirait, dans ce processus en cours,
le destin d’une feuille morte qui se déplace en permanence au gré du
vent. Les solutions proposées dans cet ouvrage constituent notre contri-
bution à cet effort collectif, et à la réflexion collective pour permettre à
l’Afrique de mieux rebondir et de mieux maîtriser son destin.

248
ANNEXES

ANNEXE 1 : La Déclaration d’Accra de Juillet 2007


CONFÉRENCE DE L’UNION AFRICAINE
Neuvième session ordinaire
1er – 3 juillet 2007
Accra (GHANA)

Nous, chefs d’État et de Gouvernement de l’Union africaine, réunis du 1er au 3 juillet


2007 à Accra (Ghana), à l’occasion de la neuvième session ordinaire de notre Confé-
rence,

Rappelant notre Décision Assembly/AU/Dec.156 (VIII) adoptée en janvier 2007 à


Addis-Abeba (Ethiopie) sur la nécessité d’organiser « un grand débat sur le Gouverne-
ment de l’Union » en vue de déterminer une vision claire de l’avenir de l’Union africaine
et de l’Unité africaine ;

Convaincus que l’objectif ultime de l’Union africaine est la réalisation des États-Unis
d’Afrique avec un Gouvernement de l’Union tel qu’envisagé par les pères fondateurs de
l’Organisation de l’Unité africaine et en particulier par le dirigeant visionnaire, le Dr.
Kwame Nkrumah du Ghana ;

Convaincus également de la nécessité d’apporter des réponses communes aux princi-


paux défis de la mondialisation auxquels l’Afrique fait face et soucieux de renforcer les
processus d’intégration régionale à travers un mécanisme continental efficace ;

Reconnaissant que l’ouverture des marchés intérieurs étroits à des échanges commer-
ciaux et des opportunités d’investissement plus grands à travers la libre circulation des
personnes, des biens, des services et des capitaux, contribuerait à l’accélération de la
croissance, réduisant ainsi la faiblesse excessive dont souffrent beaucoup de nos États
membres ;

Reconnaissant en outre que le Gouvernement de l’Union doit se fonder sur des va-
leurs communes à identifier et à convenir, en tant que repères ;

Conscients de la nécessité d’associer les populations et la diaspora africaines au proces-


sus d’intégration économique et politique de notre continent afin que l’Union africaine
soit une Union des peuples et non une simple « Union des Etats et des gouverne-
ments » ;
DECLARONS CE QUI SUIT :

1. NOUS SOMMES CONVENUS d’accélérer l’intégration économique et politique du


continent africain, à travers, notamment la formation d’un Gouvernement d’Union
pour l’Afrique, l’objectif ultime de l’Union africaine étant la création des États-Unis
d’Afrique.

2. NOUS SOMMES EGALEMENT CONVENUS des mesures suivantes pour parve-


nir au Gouvernement de l’Union :
a) rationaliser et renforcer les Communautés économiques régionales, conformé-
ment à notre précédente décision afin de créer un marché commun africain à tra-
vers les phases prévues par le Traité instituant la Communauté économique afri-
caine (Traité d’Abuja) avec un calendrier revu et plus court qui fera l’objet d’un ac-
cord en vue d’accélérer l’intégration économique et, si possible, politique ;
b) procéder immédiatement à un audit du Conseil exécutif, conformément aux dis-
positions de l’Article 10 de l’Acte constitutif, et de la Commission, ainsi que des
autres organes de l’Union africaine sur la base des termes de référence adoptés par
la dixième session extraordinaire du Conseil exécutif tenue le 10 mai 2007 à Zimbali
en Afrique du Sud ;
c) mettre en place un Comité ministériel pour examiner les points suivants :
i.) détermination du contenu du concept du Gouvernement de l’Union et ses re-
lations avec les Gouvernements nationaux ;
ii.) identification des domaines de compétence du Gouvernement de l’Union et
de l’impact de sa création sur la souveraineté des Etats membres ;
iii.) définition des relations entre le Gouvernement de l’Union et les Commu-
nautés économiques régionales (CER) ;
iv.) élaboration de la feuille de route et du calendrier pour la création du Gou-
vernement de l’Union ; et identification d’autres sources de financement des ac-
tivités de l’Union.

3. Les conclusions de l’audit et des travaux du Comité ministériel seront soumises au


Conseil exécutif qui formulera les recommandations appropriées à la prochaine session
ordinaire de notre Conférence ;

4. Nous reconnaissons l’importance d’associer les peuples africains, y compris les Afri-
cains de la diaspora, aux processus conduisant à la formation du Gouvernement de
l’Union.

Fait à Accra, le 3 juillet 2007

250
ANNEXE 2 : Décision sur le rapport de la Commission relatif à
l’élaboration de l’Agenda 2063 de l’Union africaine et le Rapport
du Comité ministériel de suivi de la retraite de Bahr Dar
Doc.Assembly/AU/5(XXIV)
La Conférence,
1. PREND NOTE :
i. du rapport de la Commission sur l’élaboration de l'Agenda 2063 de l'Union afri-
caine, ainsi que du Document technique ; de la Version populaire ; et du premier
Plan décennal de mise en œuvre de l’Agenda 2063 ;
ii. ides présentations du rapport du Comité ministériel chargé du suivi de l'Agenda
2063 ;
2. SE FELICITE à nouveau du caractère consultatif du processus d’élaboration de
l’Agenda 2063 ;
3. FÉLICITE la Commission pour l’excellence du travail accompli ;
4. FÉLICITE ÉGALEMENT le Comité ministériel de suivi pour son travail proac-
tif en vue d’une mise en œuvre sans heurt des conclusions de la Retraite ministé-
rielle de Bahr Dar de janvier 2014 ;
5. RAPPELLE la Décision EX.CL/Dec. 832 (XXV) prise lors de la vingt cinquième
session ordinaire tenue en juin 2014 à Malabo (Guinée équatoriale), demandant aux
États membres de procéder à des consultations nationales sur le Document tech-
nique et la Version populaire de l’ Agenda 2063, et à soumettre leurs contributions à
la Commission avant le 31 octobre 2014 ; ainsi que la Décision EX.CL/855(XXVI),
adoptée lors de la vingt sixième session ordinaire du Conseil exécutif, en janvier
2015 à Addis-Abeba (Ethiopie) ;
6. ADOPTE le Document technique et la Version populaire de l’Agenda 2063 ;
7. DEMANDE :
i. à la Commission d’intensifier les mesures ayant pour but de mieux faire con-
naitre ce programme continental de cinquante ans ;
ii. aux États membres et aux CER de s’approprier rapidement l’Agenda 2063 et de
l’intégrer dans leurs initiatives et plans de développement respectifs ;
iii. à la Commission de parachever les consultations nécessaires sur le premier Plan
décennal de mise en œuvre de l’Agenda 2063 en vue de le soumettre aux or-
ganes délibérants de l'UA lors de leurs réunions de juin 2015.
8. PREND NOTE des progrès louables accomplis dans la formulation et
l’élaboration des projets phares de l’Agenda 2063, énoncés ci-après, ainsi que dans la
réconciliation en Afrique :
i. Réseau intégré de trains à grande vitesse ;
ii. Grand barrage d’Inga ;
iii. Marché unique du transport aérien en Afrique ;
iv. Espace ;
v. Réseau électronique panafricain ;
vi. Création d’un Forum consultatif annuel africain ;
vii. Création de l’Université virtuelle ;
viii.Libre circulation des personnes et passeport africain ;
ix. Zone de libre-échange continentale ;
x. Faire taire les armes d’ici à 2020 ; et
xi. Élaboration d’une stratégie de commercialisation des produits de base ;
xii. Création d’institutions financières continentales, notamment de la Banque cen-
trale africaine d’ici à 2030.

251
9. DEMANDE à la Commission :
i) de présenter des feuilles de route détaillées pour la mise en œuvre de chacun des
projets phares, en vue de leur examen par les organes délibérants de l'UA en juin
2015 ;
ii) de veiller à ce que les problèmes et les préoccupations des États insulaires et des
États enclavés soient pleinement intégrés dans l’ensemble des cadres continen-
taux de développement politique, social, culturel et économique, notamment par
l’ajout d’un représentant des États insulaires au Comité ministériel de suivi de
Bahr Dar ;
iii) de faciliter l'accès au financement dont ont besoin les États insulaires, d’ici à
2020, notamment dans le cadre de la Stratégie de mobilisation des ressources de
l'Agenda 2063, ainsi que dans celui des fonds pour le climat ;
10. AUTORISE la convocation, entre les deux sommets, d’une Retraite ministérielle,
comme le propose la Commission et le Comité ministériel de suivi, pour réfléchir
sur le premier Plan décennal de mise en œuvre de l’Agenda 2063, ainsi que sur
d’autres questions pertinentes, notamment celles qui concernent les projets phares
et celles qui se rapportent à la transformation de l’agriculture et l’éradication de la
pauvreté, afin de faire rapport au Sommet de juin 2015. Dans ce même contexte,
DEMANDE à la Commission de poursuivre ses consultations avec les CER et les
autres parties concernées afin de recueillir toutes les contributions des partenaires
engagés dans ce processus ;
11. SOULIGNE qu’il est nécessaire d’entreprendre une restructuration de la Commis-
sion pour lui permettre de disposer des ressources humaines et financières, ainsi que
des capacités institutionnelles requises pour mener à bien l’importante tâche liée à la
mise en œuvre de l’Agenda 2063. A cet effet, DEMANDE à la Commission de
poursuivre ses efforts visant à assurer une gestion prudente de ses ressources finan-
cières et aux États membres de s’acquitter de leurs obligations financières vis-à-vis
de l’UA et INVITE les partenaires à verser rapidement les fonds promis pour per-
mettre à l’UA d’exécuter ses programmes de manière prévisible et durable, en atten-
dant, DEMANDE à la Commission de mettre en place une structure temporaire
pour suivre la conclusion du premier Plan décennal et coordonner le parachève-
ment des projets à effet rapide qui ont été identifiés ;
12. INVITE ÉGALEMENT les états membres à prendre les mesures nécessaires
pour une mise en œuvre efficace de la Décision de Yamoussoukro sur la libéralisa-
tion des marchés du transport aérien en Afrique et à adopter les textes règlemen-
taires à cet effet ;
13. SOULIGNE la nécessité pour le continent d’intégrer pleinement l’économie bleue
et les belles perspectives qu’elle offre dans le cadre de l’Agenda 2063, en dévelop-
pant les compétences requises en la matière ;
14. SOULIGNE EN OUTRE la nécessité d’assurer, aux niveaux continental et régio-
nal, une bonne division du travail sur la base des principes de subsidiarité et de
complémentarité entre tous les intervenants dans l’Agenda 2063, en particulier la
Commission de l’UA, les CER et l’Agence du NEPAD ;
15. PREND NOTE des besoins budgétaires du Réseau électronique panafricain, d’un
montant de 230.000 $EU, et AUTORISE la Commission à mobiliser les fonds né-
cessaires à cet effet ;
16. PREND NOTE ÉGALEMENT de l’offre faite par la République arabe d’Égypte
d’accueillir l’Agence spatiale africaine envisagée, après la conclusion du projet de po-
litique spatiale que prépare le Groupe de travail de l’UA sur l’espace, tel que formulé
dans l’Agenda 2063 de l’UA.

252
ANNEXE 3 : Décision sur le rapport relatif aux sources al-
ternatives de financement de l’Union africaine
Doc. Assembly/AU/6(XXIV)
La Conférence,
1. PREND NOTE du rapport et EXPRIME SA GRATITUDE à la Conférence
des ministres de l’Economie et des Finances (CAMEF) de l’Union africaine, au
Groupe de travail ministériel de la CAMEF et à la Commission en étroite collabora-
tion avec la CEA pour les efforts qu’ils ont déployés en vue de la mise en œuvre des
décisions pertinentes de la Conférence sur la question ; à cet égard, RECONNAIT
l’urgence nécessité de trouver une solution à cette question restée longtemps en
suspens ;
2. SOULIGNE l’impérieuse nécessité de veiller à ce que l’UA devienne financière-
ment autonome ;
3. EXHORTE tous les Etats membres qui ne l’ont pas encore fait, à verser, dans les
meilleurs délais, leurs contributions et arriérés de contributions à l’Union ;
4. REAFFIRME le principe des sources alternatives de financement de l’Union par
les Etats membres à condition que ces derniers bénéficient de souplesse dans la
mise en œuvre de ce financement, conformément à leurs impératifs, lois, règlements
et dispositions constitutionnels nationaux ;
5. DEMANDE au Comité ministériel ad hoc sur le barème des contributions de
poursuivre les consultations avec toutes les parties concernées en vue de proposer
les modalités de la mise en œuvre des sources alternatives de financement de
l’Union par les Etats membres avec un accent particulier sur :
i) la détermination d’un barème de contributions approprié afin que l’UA puisse
exécuter son budget comme suit :
a) les Etats membres financent le budget de fonctionnement à 100% ;
b) les Etats membres financent le budget-programme à hauteur de 75% ;
c) les Etats membres financent le budget des opérations d’appui à la paix à concur-
rence de 25%.
ii) la proposition d’une variété d’options non exhaustives et non contraignantes,
aux niveaux national, régional et continental, en se basant sur les rapports de
S.E. le Président Obasanjo et du Groupe de travail ministériel de la CAMEF
parmi lesquels les Etats membres pourront faire leur choix en vue de la mise en
œuvre des sources alternatives de financement de l’Union africaine, étant atten-
du que les Etats membres préservent leurs droits souverains d’ajouter de nou-
velles options/mesures qu’ils jugeront nécessaires ; et
iii) la mise en place d’un Mécanisme de responsabilité pour assurer une gestion fi-
nancière saine, efficace et efficiente du budget de l’UA.

DEMANDE EGALEMENT à la Commission de fournir toute l’assistance et les


ressources nécessaires pour faciliter le débat sur la question ;

DEMANDE EN OUTRE au Comité ministériel ad hoc sur le barème de contribu-


tions à soumettre son rapport sur la question au Sommet de juin 2015.58


58 Réserve par la République Tunisienne sur le paragraphe 7.

253
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260
TABLE DES MATIERES

Du même auteur .............................................................................................................6


PRÉFACE DE CARLOS LOPES .................................................................................... 11
PRÉFACE DE JEAN PING ............................................................................................ 13
SIGLES ........................................................................................................................... 15
AVANT-PROPOS ........................................................................................................... 17
INTRODUCTION .......................................................................................................... 19
CHAPITRE I
La faillite de l’agriculture africaine ............................................................................ 27
Les raisons de la contre-performance de l’agriculture africaine ...................... 28
La convoitise et l’accaparement des terres africaines :
un obstacle ou une opportunité ? ......................................................................... 31
Comment réussir la privatisation de l’agriculture ? ........................................... 34
CHAPITRE II
L’industrialisation est bloquée ................................................................................... 39
L’Improductivité des Politiques d’Import et d’Export - Substitution des
Années 60 et 70 ....................................................................................................... 42
Une politique d’import-substitution mal adaptée ......................................... 43
Une politique d’export-substitution sans les ressources nécessaires
de son succès....................................................................................................... 47
Les Politiques d’Ajustement Structurel des Années 80 et 90
désindustrialisent l’Afrique .................................................................................... 50
La mise en cause de l’interventionnisme étatique ......................................... 51
La nécessité de la réduction de l’importance de l’Etat dans
les économies africaines s’imposait donc à la fin des années 70 ................ 52
Comment cela s’est-il traduit au niveau industriel ? ..................................... 55
Les vaines tentatives panafricaines....................................................................... 57
Comment réussir l’industrialisation en Afrique ? .............................................. 61
Pourquoi l’industrialisation en Afrique doit-elle être privilégiée ? ............. 61
L’Etat doit créer un environnement favorable à l’industrialisation............ 62
Les Africains doivent être la locomotive du processus
de l’industrialisation de leur continent ............................................................ 64
Miser à fond sur la transformation structurelle du continent ..................... 67
Choisir l’agro-industrie comme secteur d’ancrage pour réussir
l’industrialisation................................................................................................. 72
CHAPITRE III
L’intégration africaine, tout le monde en parle
mais aucun pays n’en veut.......................................................................................... 81
Une intégration au rythme d’un pas en avant, deux pas en arrière ................. 82
Initiatives des années 70 et 80 .............................................................................. 83
Colloque de Monrovia : Réunions préparatoires et résultats obtenus ....... 83
Plan d’action de Lagos et Acte final de Lagos ............................................... 85
Traité d’Abuja instituant la Communauté économique africaine (AEC)
des années 90 ........................................................................................................... 88
Initiatives de la fin des années 90 et des années 2000 :
Déclaration de Syrte, Acte constitutif de l’Union africaine, et
le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) ....... 90
La Déclaration de Syrte ..................................................................................... 91
L’Acte constitutif de l’Union africaine............................................................ 92
Le NEPAD : un programme de rêve pour accélérer le processus
d’intégration régionale et continentale ............................................................ 95
L’Agenda 2063 pour le développement de l’Afrique ........................................ 96
Efforts d’intégration en Afrique : des résultats mitigés .................................. 100
Les handicaps à l’intégration continentale ........................................................ 103
Les handicaps économiques ........................................................................... 104
Les obstacles politiques ................................................................................... 110
Les clés du succès de l’intégration africaine ..................................................... 112

262
La clarification de certaines questions historiques ...................................... 112
Le partage des souverainetés, gage du succès de la création du marché
unique africain .................................................................................................. 116
L’autosuffisance financière, un impératif pour réussir
l’intégration africaine ....................................................................................... 119
Ce qu’il faut faire pour que l’Agenda 2063 soit une réalité ....................... 122
CHAPITRE IV
Le bricolage de la gouvernance ............................................................................... 129
Un aperçu succinct du concept de la gouvernance ......................................... 130
Comment garantir le succès de la gouvernance en Afrique ? ........................ 132
La gouvernance des ménages ......................................................................... 132
La gouvernance politique .................................................................................... 133
Éviter d’ériger les pays africains en des républiques
de « C’est notre tour de ... » ............................................................................ 137
Faire de la politique en s’unissant autour des valeurs fondatrices
des États-Nations ............................................................................................. 137
Eviter les alternances démocratiques douloureuses.................................... 139
Repenser les systèmes politiques africains ................................................... 140
Éduquer les soldats pour éviter les révolutions de palais .......................... 145
La République, rien que la République, doit être le credo des armées
africaines ............................................................................................................ 148
Bâtir des États forts et des institutions fortes ............................................. 149
Pourquoi notre préférence pour un État fort ? ........................................... 149
La gouvernance économique .............................................................................. 152
Favoriser la mise en place de zones franches urbaines et régionales ....... 153
Multiplier les pôles de développement ......................................................... 154
Faire de l’Afrique économique, le moteur de l’intégration ........................ 154
Faire de l’Afrique un partenaire crédible dans la mondialisation ............. 157
Les solutions africaines aux problèmes africains ........................................ 161

263
CHAPITRE V
L’école africaine a raté sa cible ................................................................................ 171
Rôle des intellectuels africains ............................................................................ 172
Comment inverser la tendance ? ........................................................................ 177
Ce que doivent faire les intellectuels pour contribuer
à l’épanouissement du continent ................................................................... 177
Ce que doivent faire les pouvoirs publics pour mobiliser
les intellectuels africains .................................................................................. 178
Faire de l’Ecole un gisement de création d’emplois ................................... 181
CHAPITRE VI
Une Afrique engluée dans les partenariats tous azimuts.................................... 187
La pénétration chinoise en Afrique trouble le sommeil des Occidentaux... 189
Aide de la Chine à l’Afrique : attention au revers de la médaille................... 194
L’Afrique, terreau de l’affrontement Chine-Europe ....................................... 195
Pourquoi la coopération Afrique-Europe est-elle inévitable et obligatoire
pour les deux continents ? ................................................................................... 199
Radioscopie des relations Afrique-Europe .................................................. 200
L’Europe, une coopération séculaire aux résultats peu visibles................ 201
Les voies pour tirer profit des partenariats stratégiques ................................. 203
La coopération Afrique-Europe doit se fonder sur un paradigme
renouvelé ........................................................................................................... 203
Comment ériger la coopération avec la Chine en véritable opportunité
de développement ............................................................................................ 209
Réussir l’intégration politique pour faire valoir les positions
du continent dans ses nombreux partenariats avec le reste du monde :
le cas du partenariat Afrique-Europe ............................................................ 211
CHAPITRE VII
L’union africaine paralysée par l’apathie de ses organes .................................... 215
Les handicaps structurels de l’Union africaine ................................................. 217
Les clés du succès de l’Union africaine ............................................................. 219
Principes généraux à respecter pour une Union africaine forte ............... 219

264
Devoirs des États membres pour une Afrique souveraine
et indépendante ................................................................................................ 222
Actions à entreprendre pour ériger les CER en véritables piliers du
processus d’intégration .................................................................................... 228
Code de conduite pour une Commission exemplaire et performante .... 230
Adopter un mode d’élection qui dote la Commission d’élus politiques
panafricanistes et audacieux ........................................................................... 235
CONCLUSION GÉNÉRALE
L’Afrique doit s’émanciper de l’immobilisme pathologique qui la caractérise 243
ANNEXES.................................................................................................................... 249
Annexe 1 : La Déclaration d’Accra de Juillet 2007 ......................................... 249
Annexe 2 : Décision sur le rapport de la Commission relatif
à l’élaboration de l’Agenda 2063 de l’Union africaine et le Rapport du Comité
ministériel de suivi de la retraite de Bahr Dar ...................................................... 251
Annexe 3 : Décision sur le rapport relatif aux sources alternatives de
financement de l’Union africaine ....................................................................... 253
BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................ 255

265
L’Afrique
aux éditions L’Harmattan

Dernières parutions

RESPONSABLE OU COUPABLE
L’Afrique doit choisir
Kouassi Appiah
La liberté et la démocratie ne sont-elles pas les ingrédients de base d’un progrès et d’un
développement ? Pourquoi l’Afrique ne veut-elle pas en user pour avancer ? Personne ne viendra
développer l’Afrique à sa place et tout ce qui est fait par l’extérieur dans ce sens n’est qu’un piège
dans lequel elle est tombée. Même s’il faut y perdre une vie, il faut à l’Afrique se libérer de son
complexe d’incapacité et apporter sa contribution au monde.
(Harmattan Côte d’Ivoire, 12.50 euros, 104 p.)
ISBN : 978-2-336-30574-5, ISBN EBOOK : 978-2-336-35579-5

AFRIQUE L’ DANS LE MONDE CONTEMPORAIN


Entre émancipation, néocolonialisme et recolonisation
Sous la direction de Tsala Tsala Christian C.
Préface de Khalid Chegraoui ; Postface de Jèrôme Mebara Nomo
et M’ hammed Echkoundi
Au lieu de saisir l’opportunité historique qui se présente à elle, l’Afrique montre une image de
«républiquettes» en attente de recolonisation, une image de dépouillement. Les Asiatiques et
les Latino-Américains viennent y parachever la spoliation initiée par les Occidentaux. Ce livre
dénonce une coopération aux allures d’un marché de dupes, où le subordonné n’est autre que
l’Afrique.
(Harmattan Cameroun, 30.00 euros, 292 p.)
ISBN : 978-2-343-03611-3, ISBN EBOOK : 978-2-336-35375-3

TYRANNIE LA DU DÉVELOPPEMENT


Déconstruction d’un mythe...
Sall Macky Idy
Les pesanteurs du continent africain et les tares de ses dirigeants sont toutes passées en
revue et dénoncées dans cet ouvrage. Parmi elles, leur refus de s’émanciper et de se libérer de
l’asservissement du Nord. Or derrière la question du développement se cache tout un système de
prédation et l’Afrique a plus que jamais besoin d’opérer des ruptures tant au niveau de ses relations
avec les autres parties de la planète qu’en son sein, en s’appuyant d’abord sur ses valeurs culturelles
et endogènes.
(13.50 euros, 124 p.)
ISBN : 978-2-343-03270-2, ISBN EBOOK : 978-2-336-35354-8

VAINCRE LA CORRUPTION EN AFRIQUE


La solution patrimoniale
Salouo Armand
Comment rendre la lutte contre la corruption plus efficace dans les pays africains ? En prenant
le cas du Cameroun pour illustration, l’auteur constate l’impasse des stratégies de lutte contre la
corruption, traditionnellement basées sur la traque préventive ou répressive, à l’instar de la célèbre
«Opération Épervier». Sa Solution patrimoniale vise à mettre un terme à cette patrimonialisation
illégitime des ressources publiques.
(Coll. Points de vue, 20.00 euros, 200 p.)
ISBN : 978-2-343-04085-1, ISBN EBOOK : 978-2-336-35414-9

MIGRANTS LES ET L’INVESTISSEMENT EN AFRIQUE


Sous la direction de Sumata Claude
L’image négative de l’immigration est battue en brèche car les migrants constituent désormais
des agents de codéveloppement. Ils peuvent accumuler des ressources dont l’apport pour leur
pays d’origine est considérable. Cet ouvrage analyse le phénomène de la migration sous l’angle
de l’entrepreneuriat et de l’investissement pour permettre de voir comment cela peut stimuler les
activités économiques et réduire la pauvreté.
(Coll. Sociétés africaines et diaspora, 20.00 euros, 208 p.)
ISBN : 978-2-343-02921-4, ISBN EBOOK : 978-2-336-35477-4

DROIT DES ORGANISATIONS D’INTÉGRATION ÉCONOMIQUE


EN AFRIQUE (CEDEAO - CEMAC - UEMOA - ZMAO)
Zogbelemou Togba
Face à l’échec des regroupements politiques d’Etat des années 60 et l’essoufflement de l’État
providence dans les années 70, certains États se sont orientés vers la coopération économique
avec la création de la CEDEAO, puis l’UEMOA et la CEMAC. Pour atteindre leurs objectifs
d’intégration, impliquant certains abandons de souveraineté, ces communautés ont mis en place
des organes de gestion, des institutions de contrôle et des institutions à vocation monétaire et
financière.
(Coll. Études africaines, 37.50 euros, 372 p.)
ISBN : 978-2-343-03028-9, ISBN EBOOK : 978-2-336-35382-1

RECONSTRUIRE L’AFRIQUE
Nouvelle gouvernance et projet de développement
Amedzro St-Hilaire Walter
Sous quelles formes le projet de développement de l’Afrique doit-il se matérialiser et combien de
temps faudra-t-il aux Africains pour changer leur continent ? Ils devront se préparer aux enjeux
de la démographie, et à des réformes institutionnelles et économiques. Les propositions relatives
à l’établissement de nouvelles perspectives financières, à la rigueur budgétaire, au sens de la
responsabilité, à l’amélioration de la gouvernance et au retour à la dignité, visent à définir un
cadre approprié à la reconstruction africaine.
(Coll. L’Esprit Économique, série Le Monde en Questions, 27.00 euros, 280 p.)
ISBN : 978-2-343-03877-3, ISBN EBOOK : 978-2-336-35465-1

POLITIQUES ENVIRONNEMENTALES : TRADITIONS ET COUTUMES


EN AFRIQUE NOIRE
Sanou Doti Bruno
L’auteur interroge la contribution des traditions et coutumes dans la mise en œuvre des
politiques environnementales en Afrique. Il mobilise toutes les sciences humaines pour faire
comprendre l’importante richesse que proposent les traditions et coutumes dans la préservation
et l’aménagement de ces énormes puits de carbone que constituent les forêts. Selon lui, seul le
dialogue entre les disciplines scientifiques et les cultures peut contribuer à l’émergence d’un
nouveau monde.
(26.00 euros, 254 p.)
ISBN : 978-2-343-04246-6, ISBN EBOOK : 978-2-336-35475-0

COMMENT GÉRER SA SEXUALITÉ


S’abstenir jusqu’au mariage
Okoronkwo Stella
Inondés de partout par les médias et l’audiovisuel, les jeunes ne peuvent s’empêcher de banaliser
le sexe, ce qui, en définitive, les dessert fortement tant au plan physiologique que spirituel.
Ramassant tous les revers liés au sexe, l’auteur fait de ce livre un ensemble de préceptes agréable
à lire.
(Coll. Harmattan Côte-d’Ivoire, 12.00 euros, 96 p.)
ISBN : 978-2-343-03849-0, ISBN EBOOK : 978-2-336-35561-0

FIGURE LA DU PÈRE EN AFRIQUE


Lieu anthropologique d’une ecclésiologie
Avocan Célestin Coomlan
La figure du père a longtemps servi, dans la famille, de clé d’interprétation à un ensemble de
situations prévalant sur le continent africain. Ces derniers temps, d’autres visions anthropologiques
ont surgi, ne facilitant l’identification ni de la paternité, ni de la maternité. Cet ouvrage prend acte
de la nouvelle complexité et inventorie la pluralité des visages du père dans la culture africaine,
sans négliger la culture occidentale, le rôle de l’Église catholique et la notion « Famille de Dieu ».
(Harmattan Italia, Coll. Harmattan Italia, 13.50 euros, 76 p.)
ISBN : 978-2-336-30701-5, ISBN EBOOK : 978-2-336-35339-5

EXPOSITION L’ POSTCOLONIALE


Musées et zoos en Afrique de l’Ouest (Niger, Mali, Burkina Faso)
Bondaz Julien
En Afrique de l’Ouest, les musées et les parcs zoologiques ont été créés pendant la période
coloniale. Ils constituent des terroirs ethnographiques particulièrement féconds, travaillés par de
nombreuses transformations postcoloniales. Confrontés à la vue d’un objet rituel présenté comme
une oeuvre d’art ou d’un animal sauvage en cage, les visiteurs locaux inventent de nouveaux
rapports aux collections muséales entre enjeux de mémoire et logique rituelle. Quelles sont les
manières qu’ont les hommes d’interagir avec les fétiches, les œuvres d’art, les animaux et les
dieux ?
(Coll. Connaissance des hommes, 33.00 euros, 352 p.)
ISBN : 978-2-343-04032-5, ISBN EBOOK : 978-2-336-35474-3

MUSIQUE TRADITIONNELLE ET CIVILISATION ORALE


CHEZ LES MANDING
Dabo Sadibou
En parlant de musique traditionnelle manding, nous avons privilégié celle qui s’est exprimée au
Mali, en République de Guinée, en Gambie, Guinée-Bissau et au Sénégal. Loin d’appartenir au
passé, cette musique traditionnelle demeure vivante et s’adapte au contexte actuel, marqué par
le recul des valeurs communautaires et le renforcement de l’individualisme dans le cadre d’un
monde globalisé.
(12.00 euros, 112 p.)
ISBN : 978-2-296-99872-8, ISBN EBOOK : 978-2-336-35426-2

DE L’ORIGINE DES FULBÉS PEULS À L’EMPIRE SATIGUI DENIYANKÉ


Ba Ibrahima Mamadou
Peu de populations africaines ont fait couler autant d’encre que les Peuls, ce peuple pasteur
nomade qui conduit ses troupeaux à travers toute l’Afrique, pour la raison majeure qu’ils n’ont
jamais été considérés comme des autochtones de l’Ouest africain et qu’ils posent un problème
ethnocentrique, jusqu’ici non résolu de façon satisfaisante. Incontestablement supérieure, la
population peule a fait subir son influence aux populations noires. Nombre de peuplades métissées
se forment grâce au mélange de ces deux populations.
(12.50 euros, 116 p.)
ISBN : 978-2-336-30480-9, ISBN EBOOK : 978-2-336-35567-2

CROISSANCE AFRICAINE : Y CROIRE ET S’IMPATIENTER


15 clés pour comprendre les défis du continent
Heuraux Christine – Préface d’Abdou Diouf
Voici explorées les grandes thématiques qui façonnent la croissance et le développement du
continent africain : ses richesses - démographiques, naturelles, agricoles et minières - ; ses
faiblesses - infrastructures de transport, accès à l’eau et à l’énergie, système financier, éducation,
formation ; les atouts et promesses de ses échanges commerciaux - avec le reste du monde et
intra-africains.
(45.00 euros, 566 p.)
ISBN : 978-2-343-03840-7, ISBN EBOOK : 978-2-336-35250-3

SUR LE CHEMIN DU DÉVELOPPEMENT DE L’AFRIQUE


Remondo Max
L’Afrique a la possibilité de se développer, mais il existe chez les deux acteurs normalement
déterminants dans cette entreprise complexe des handicaps qui l’empêchent d’y parvenir. Pour
l’Africain, ce sont des traits de culture inhibiteurs. Pour l’État postcolonial, c’est l’absence ou
l’insuffisance des conditions fondamentales de développement.
(Coll. Études africaines, 22.50 euros, 217 p.)
ISBN : 978-2-343-03321-1, ISBN EBOOK : 978-2-336-35279-4

HISTOIRE DES IDÉES ET DES FAITS SOCIOÉCONOMIQUES DE L’AFRIQUE


Bomfie Edmond Mokuinema
Cet ouvrage a pour objet la mise en débat de grandes idéologies qui ont traversé l’Afrique noire
depuis le mercantilisme jusqu’à la mondialisation actuelle. Ces idéologies constituent non
seulement des facteurs de rivalité ou de solidarité entre les communautés humaines mais elles
peuvent aussi booster les changements sociaux. Pourtant des mythes et des inégalités se cachent
derrière ces idéologies dominantes que l’Afrique subit, que l’intelligentsia africaine se doit de
démasquer.
(Coll. Études africaines, 17.00 euros, 170 p.)
ISBN : 978-2-343-03547-5, ISBN EBOOK : 978-2-336-35240-4

DES SYMPHONIES POUR LA CROISSANCE VERTE


Littérature et dynamiques de l’environnement
Amuri Mpala-Lutebele Maurice
La croissance verte, c’est aussi l’oralité africaine. Elle cristallise effectivement la conscience
écologique de l’Africain traditionnel qui véhicule des connaissances abondantes sur le monde qui
nous entoure. La croissance verte, c’est la coexistence homme-nature dans le monde réel.
(Coll. Comptes Rendus, 46.00 euros, 416 p.)
ISBN : 978-2-343-04046-2, ISBN EBOOK : 978-2-336-35311-1

CES 100 DIGNITAIRES QUI CHANGÈRENT L’AFRIQUE PROCONSULAIRE


SOUS LE HAUTEMPIRE ROMAIN  Riches et généreux – 27 av J.-C. - 284 ap. J.-C.
Mouckaga Hugues
Cet ouvrage répertorie, parmi d’autres, 100 dignitaires issus d’un certain nombre de cités sous
le Haut-Empire romain, qui ont accumulé de la richesse par le biais d’activités orthodoxes
- l’agriculture, l’élevage et les fonctions intellectuelles - et hétérodoxes - l’art, l’artisanat, le
commerce - et qui laissèrent la réputation d’hommes et de femmes généreux. Nous pénétrons
ainsi dans cette société africaine de l’Antiquité.
(20.00 euros, 198 p.)
ISBN : 978-2-343-03594-9, ISBN EBOOK : 978-2-336-35257-2

ARMES LÉGÈRES ET GROUPES ARMÉS EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE


Effets pernicieux sur le développement économique et social
Essimbe Victor
La disponibilité et l’utilisation incontrôlée des armes légères et de petit calibre par les groupes
armés peuvent avoir des conséquences destructrices sur l’activité économique officielle et
informelle. Ce livre fait le tour complet des handicaps à l’essor économique et au bien-être
social des sous-régions de la CEDEAO et de la CEEAC, causés par la «synergie» groupes armés-
armes légères.
(Coll. Études africaines, 27.50 euros, 268 p.)
ISBN : 978-2-336-29316-5, ISBN EBOOK : 978-2-296-53936-5
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Via Degli Artisti 15; 10124 Torino

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Könyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16
1053 Budapest

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Commune de Lingwala Bât. – Congo Pharmacie (Bib. Nat.)
Kinshasa, R.D. Congo BP2874 Brazzaville
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L’Afrique : un géant qui refuse de naître

Tout le monde est unanime à reconnaître l’immensité des ressources en


tout genre dont regorge l’Afrique pour devenir un des géants de la planète.
Et pourtant elle ne parvient toujours pas à se positionner sur la voie de
la croissance forte et du développement durable. Sur les 19 pays que
compte le G20 un seul est africain : l’Afrique du Sud ; alors que le continent
en compte 54. Après plus d’un demi-siècle d’autonomie relative dans la
gestion des affaires publiques, tous les modèles expérimentés pour sortir
l’Afrique du cul-de-sac de la pauvreté et de la misère se sont essoufflés
sans atteindre les résultats escomptés ; et ce dans tous les secteurs de la
vie économique et sociale.
Tout porte à croire que le géant africain refuse de naître, alors qu’il jouit
de tous les moyens nécessaires. L’agriculture africaine a failli à sa mission.
L’industrialisation du continent est bloquée. Le processus d’intégration
continentale a du plomb dans l’aile. L’école africaine a raté sa cible.
La gouvernance en Afrique n’est que du bricolage. L’Afrique se trouve
dans la tourmente des partenariats que lui propose le reste du monde.
Près de 70% d’Africains n’ont pas accès à l’électricité. L’Union africaine est
frappée d’inertie. Que faire pour sortir de cet immobilisme ?
Cet ouvrage propose à l’Afrique de reprendre tout à zéro, sans
quoi il lui sera impossible de s’extraire de cet immobilisme aux relents
pathologiques. Il justifie le bien-fondé de cette option et met en lumière des
thérapies appropriées permettant à l’Afrique de se développer, d’avoir une
voix audible et respectée et de recouvrer toute sa dignité.

Dr. René N’GUETTIA KOUASSI, de nationalité ivoirienne, est titulaire d’un


doctorat en économie (Ph.D) et d’un doctorat de troisième cycle en
économie du développement. Il est également titulaire d’un Diplôme
d’Études Approfondies (DEA) en aménagement du territoire et lauréat de
la Bourse d’excellence Aupelf/Uref.
Actuel Directeur du Département des Affaires économiques de la
Commission de l’Union africaine depuis juillet 2004, il a occupé, entre
autres, les fonctions de Directeur de Cabinet Adjoint du Secrétaire Général
de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) et de Directeur de Cabinet du
président intérimaire de la Commission de l’Union africaine.

Illustration de couverture : Sankofa.

ISBN : 978-2-343-05226-7
27,50 €

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