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4-hadj miliani

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Les cahiers du CRASC, 2018, p.

11-25

Tradition, mémoire et patrimoine culturel.


Une problématique complexe

Hadj MILIANI (1,2)

«L’imaginaire n’appartient à personne, et, dans un


monde ouvert et mélangé, il sert à fonder des
communautés, par captation ou par rivalité,
d’individu à individu, de classe à classe, de religion
à religion, de pays à pays. Il fonde les affinités de
façon beaucoup plus profonde que les intérêts
apparents car il plonge en deçà du langage : le goût
1
trahit».

Introduction
S’interroger sur ce que l’on entend par patrimoine
culturel pour ceux qui s’en occupent ou s’en préoccupent
relève d’un questionnement aussi vaste que complexe
et engage des enjeux fondamentaux. C’est ce que nous
avions déjà tenté de centrer dans l’introduction à l’essai de
bibliographie sur le patrimoine immatériel en Algérie et au
Maghreb :

Université Abdelhamid Ibn Badis, 27000, Mostaganem, Algérie.


(1)
(2)Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31000, Oran,
Algérie.
1 Melot, M. (2012), Essai sur l’inventaire général du patrimoine culturel,

Mirabilia, Paris, Gallimard, p. 240.


11
Hadj MILIANI

« La connaissance de ces patrimoines et de ces marqueurs


culturels permettrait tout à la fois de fixer des repères et
de reconfigurer les continuums culturels. Pour ce faire il
est fondamental de disposer d’outils qui permettraient
d’en évaluer les composantes et les ressources disponibles
au plan bibliographique. Ce type de données constitue à la
fois un indicateur fiable, un repère quantitatif et un guide
thématique »2.
Bien que le domaine soit encore insuffisamment investi
par les chercheurs, rappelons cependant que le CRASC a été
une des premières structures de recherche à avoir consacré
un numéro de la revue Insaniyat à ce sujet en 20003.
Ensuite suivront une série de cahiers de la série Turath
dédiés à différents aspects du patrimoine culturel4 qui
donneront une visibilité aussi bien aux travaux d’analyse
qu’aux collectes. Mais d’autres institutions de recherche
(CNRPAH, laboratoires et équipes de recherche) ont
également développé des programmes autour de ces
thématiques. C’est cependant le ministère de la culture qui,
par ses missions de gestion et de réglementation, dispose
du plus grand nombre de structures et d’organismes
chargés de ce secteur5. L’institutionnalisation du mois du
patrimoine a, malgré les réserves des uns et les attentes des

2 “ Introduction », Turath, n° 8, 2013.


3 « Patrimoine(s) en question », Insaniyat, n° 12, septembre-décembre 2000
(Vol. IV, 3).
4 Turath, n°1, 2002 ; Turath, n° 2, 2002, Dossier Abdelkader Khaldi ; Turath,

n° 3, 2003, Le dire oral : Des Aurès au Murdjajo ; Turath, n° 4, 2004, Patrimoine


immatériel : Matériaux, documents et études de cas ; Turath n° 5, 2005,
Représentations sociales ; Turath, n° 6, 2006, Le Melhoun : textes et documents ;
Turath, n° 7, 2009, Chants populaires ; Turath, n° 8, 2013, Bibliographie sur le
patrimoine culturel ; Turath, n° 9, 2014, Configurations anthropologiques
et pratiques culturelles.
5 Signalons l’ouverture récente (février 2016) du site du Ministère de la Culture

dédié au patrimoine culturel algérien : patrimoineculturelalgerien@dz.com.

12
Tradition, mémoire et patrimoine culturel. …

autres, donné davantage de publicisation aux actions et aux


réflexions en Algérie.
La problématique ouverte ici est de savoir non
seulement ce que les uns et les autres conçoivent comme
patrimoine, mais encore de comprendre, au travers leurs
actions d’identification, de valorisation, de réhabilitation,
de conservation, de revitalisation et de production, la
manière dont ils expérimentent la démarche même du
processus de patrimonialisation6 en sachant que :
« Le patrimoine immatériel se décline ainsi sous deux
dimensions : il comprend le patrimoine intangible par
nature (normes, savoir-faire, coutumes, musiques, langues,
etc.) et il est le prolongement et le donneur de sens du
7
patrimoine matériel » .
A partir donc des journées d’étude organisées par
l’équipe de recherche en 2016 conçues comme des
workshops ou des lieux de ‘brain storming’, l’équipe de
recherche comme collectif et chacun des chercheurs en
particulier ont pu asseoir en partie leur terrain
d’investigation et moduler en quelque sorte leurs axes de
recherche dans un esprit d’échange avec des acteurs du
domaine.

Le questionnement général
Il y a une certaine constante dans l’acception commune
des productions culturelles matérielles et immatérielles
comme ‘turath’, conçues tout à la fois comme biens issus de
l’histoire culturelle passée et comme ‘racines’, c’est-à-dire

6 Betrouni, M. (2000), « Conscience d’une dimension patrimoine. Quatre


réflexions », Insaniyat, n° 12.
7 Benhamou, F. (2012), Economie du patrimoine culturel, Paris, La Découverte,

p. 11.

13
Hadj MILIANI

des formes médiatrices symbolisant les multiples ancrages


d’une identité permanente. Cette double caractérisation en
terme d’héritage et de référents fondateurs d’une identité
culturelle s’inscrit en fait dans des formulations qui, dans la
pratique sociale et discursive des acteurs (praticiens
et consommateurs), sont invoquées concurremment, sans
être pour autant distinguées: patrimoine, tradition et
mémoire collective.
L’approche socio-anthropologique des sociétés
8
maghrébines qu’ont mené Pierre BOURDIEU , Ernest
GELLNER, Clifford GEERTZ, Jacques BERQUE, Mahfoud
BENNOUNE, Paul PASCON, Abdallah HAMMOUDI, Hassan
RACHIK, Nadir MAROUF, Abdelkader DJEGHLOUL, Ali EL
KENZ, Djamel GUERRID, avait pour objectif principal de
caractériser les principales matrices et ressorts socio-
culturels de cette aire culturelle. Il ne s’agit pas tant de
s’appesantir sur les différentes analyses modernes
postcoloniales qui ont été développées depuis plus d’un
demi-siècle que de rappeler quelques caractérisations qui
peuvent éclairer le substrat de la question patrimoniale.
Hassan RACHIK a montré en particulier l’apport de
l’anthropologie interprétative de GEERTZ. Il rappelle9 que
pour GEERTZ la catégorie centrale de la nisba opère comme
mode de classification pour la perception de soi et des
autres et comme système de gestion des transactions.

8
En ce qui concerne le Maghreb, lire en particulier l’approche critique de
Lahouari Addi, Sociologie et anthropologie chez Pierre Bourdieu. Le paradigme
anthropologique kabyle et ses conséquences théoriques, Coll. Armillaire,
La Découverte, 2002.
9 La culture marocaine : approches anthropologiques. Le Maroc à la veille du

troisième millénaire, Berriane M. et Kagermeier A., (éd.) Publications de la


Faculté des lettres et des sciences humaines de Rabat, série Colloques
et séminaires, n° 93, 2001, p. 49-155.

14
Tradition, mémoire et patrimoine culturel. …

A la différence de GELLNER10, GEERTZ considère que les


sociétés maghrébines sont marquées par une
communication imparfaite qui se traduit par l’usage de la
négociation et du clientélisme.
Qu’est-ce qui relève des patrimoines, de la tradition
attestée et de la mémoire collective en matière de
productions immatérielles?11 ou mieux encore comment la
mémoire collective exprime patrimoine et tradition;
comment la tradition s’autorise tout à la fois au nom du
patrimoine et de la mémoire collective et comment le
patrimoine se prévaut de la mémoire collective et tente de
circonscrire et de normer la tradition. C’est dans le va-et-vient
entre ce triptyque notionnel que s’ordonnent évocations
et invocations, légitimation et exclusion, affirmation
et dénégation.
Au sens strict du terme, la notion de patrimoine a
d’abord recouvert, au plan juridique, les biens transmis.
Ensuite l’usage commun qui en a découlé a renvoyé à un
continuum et à la mise en exergue de la filiation12. En
Europe, le processus de patrimonialisation s’est
concrètement constitué comme l’une des manifestations
des fondements de l’épistémè moderne occidentale à partir
de la Renaissance italienne et, surtout, de la Révolution
Française de 1789. Il s’est en particulier illustré par des

10 Cf l’ouvrage que Lahouari Addi a consacré à ces deux anthropologues, Deux


anthropologues au Maghreb : Ernest Gellner et Clifford Geertz, Les Archives
contemporaines, 2013.
11 Une partie du texte qui suit a été développée dans mon étude : « Fabrication

patrimoniale et imaginaires identitaires. Autour des chants et musiques en


Algérie », Insaniyat, n°12, septembre-décembre 2000. Patrimoine(s) en
question, p. 53-63.
12 Je me réfère pour cette mise au point de la notion à la notice de Thierry

Paquot, Patrimoine, Raison présente. Mythologies du XXIème siècle, n° 136, 4ème


trimestre 2000.

15
Hadj MILIANI

initiatives innovatrices en matière de création d’outils


et d’appareils institutionnels. Il s’agit, pour l’essentiel, d’un
ensemble de mesures juridiques et de création de
structures censées identifier, conserver et gérer le
patrimoine. C’est ce que Marc GUILLAUME appellera
appareil idéologique de la mémoire dont le musée ou le
monument classé sont les premières manifestations
historiques ainsi que d’un ensemble d’opérations de
préservation, de classement, de restauration ; en fait tout ce
qui participe à affirmer la tutelle de l’Etat et des pouvoirs
publics sur ce domaine. Cette configuration du patrimoine
est confortée par l’émergence des idéologies nationales (En
France, en Allemagne avec le Sturm und Drang, en
Angleterre, en Russie, etc.).
La souveraineté de l’Etat s’exprime dès lors dans la
gestion des biens symboliques qui relèvent aussi bien des
matériaux de ce patrimoine que de ce qui en porte
témoignage ou qui l’atteste: l’archive. Le ‘paradigme
indiciaire’ selon la formule de Carlo GINZBURG prenant
alors une place prépondérante dans sa double expression
de preuve et de signe culturel. (L’on connaît, pour l’Algérie,
toute l’importance qu’a connue, dans les relations avec la
France, la problématique de la récupération des archives de
la période coloniale)13.
D’autre part, la question du patrimoine focalise un
rapport entre le local, le national et le mondial. C’est ce que
l’on retrouve dans le cas de la mondialisation (au sens
d’une déterritorialisation des produits culturels) du
patrimoine local sous la forme du reformatage (c’est-à-dire,
littéralement, d’une remise en forme dans une perspective
d’adaptation aux conditions de représentation ou de

13Lire à ce sujet l’article de Fouad Soufi, « Les archives, une problématique


patrimonialisation », Insaniyat, n° 12, 2000.

16
Tradition, mémoire et patrimoine culturel. …

duplication technique14, pour ce qui est des musiques) tel


qu’il peut s’observer pour certaines productions culturelles
ou, plus récemment encore, de ce qui s’énonce, dans un
souci de neutralité (ou du politiquement correct), comme
‘arts premiers’, au lieu des ‘arts primitifs’ de mauvais aloi.
Dans ce contexte, l’exemple des chants et des musiques
est assez significatif pour être davantage souligné ainsi que
nous l’avons mis en exergue dans un numéro de Turath :
« Chants et chansons populaires pointent des territoires
symboliques et, de ce fait, manifestent des variations de
formes (de la qacida aux nombreux couplets jusqu’aux
chants réduits au seul refrain ; ainsi qu’aux types :
énumératifs, onomatopiques, descriptifs, allégoriques, etc.)
ou de genres tels qu’ils ont pu exister (chants de
lamentations, de moissons, de minorités ou de métiers). On
peut également voir, au travers de l’évolution des
musiques de rue, les formes de relais qui se manifestent au
travers la reprise par le disque et la diffusion au travers de
la radio et, plus récemment, la télévision »15.
L’avancée la plus probante en matière de reconnaissance de
domaines du patrimoine a été cependant la prise en compte
de ce que l’on a caractérisé comme le versant ‘immatériel’
des cultures locales et nationales. Le caractère immatériel
de cette culture a été défini à la fois comme substance
et dispositif, c’est-à-dire comme :
« La capacité à faire abstraction des objets matériels pour
définir un trait culturel, la capacité à distinguer
mentalement entre l’expression culturelle et le support
matériel qui réifie (de même qu’un passage musical se

14 On l’aura compris que le caractère apparemment ‘neutre’ et ‘technique’ du


reformatage n’empêche pas les changements de fond, voire de nature des
produits culturels ainsi traités.
15 « Présentation », Turath, n° 7, 2009.

17
Hadj MILIANI

distingue du ruban magnétique sur lequel il est enregistré


16
et qui permet de l’écouter) » .
La forte implication identitaire de ce patrimoine lui
confère une dimension symbolique essentielle. Mais c’est
surtout par le fait, amplement explicité par les
anthropologues, que les différents domaines et les objets
de la culture matérielle ne peuvent être appréhendés
sans l’identification (des contenus et des procès) des
savoirs, des représentations et des valeurs qui les ont
fait naître. Ahmed SKOUNTI a commenté les
modalisations de la patrimonialisation dans une
perspective différentielle éclairante :
« James CLOFFORD a donné la meilleure définition qui soit
du patrimoine : «une tradition consciente d’elle-même.»
Elle résume toute la différence entre un élément ou un
objet à ‘l’état de culture’ et un autre à ‘l’état de patrimoine’.
Le premier est un patrimoine en puissance, le second l’est
de fait. Mais c’est en prenant parfaitement conscience que
le processus de patrimonialisation est un acte délibéré que
les acteurs sont à même d’assurer la préservation de ce
qu’ils transforment ainsi en héritage pour eux-mêmes et
17
pour les générations futures » .
Il s’ensuit que l’un des pôles qui atteste cet ‘effet
patrimonial’ est lié à la mémoire collective et personnelle.
Paul Ricœur a montré comment Saint-Augustin distinguait
l’évocation selon qu’elle porte sur le passé (‘mémoire’), sur
18
le présent (‘l’attention’) ou le futur (‘l’attente’) . Pour

16 Ferreri, E. (Avril 2000), « Patrimoines culturels et mediterranéité


immatérielle, Non-material cultural heritage, Euro-Mediterranean area », Acts
of the Unimed-Sympozium, Edizioni Seam, Rome, p. 19.
17 Skounti, A., De la patrimonialisation. Comment et quand les choses

deviennent-elles des patrimoines ?, Hesperis Tamuda, vol. XIV, 2010, p. 32-33.


18 On retrouve le développement de cette réflexion sur la mémoire dans deux

articles de Ricœur : La mémoire politique, Divinatio, vol. 6, Spring-Summer,

18
Tradition, mémoire et patrimoine culturel. …

Ricœur, cette mémoire collective qu’il définit comme:


« l’attribution multiple du souvenir à une diversité de
personnes grammaticales »19 est le lieu d’échange entre ces
trois instances. Cette mémoire collective, dans ses
manifestations les plus élémentaires, tend souvent à
combler les déficits en matière de recension précise des
matériaux culturels. A fortiori quand il s’agit de
productions culturelles, elle fait souvent office de
mécanisme d’attestation de l’existence passée d’un air, d’un
refrain (en particulier pour les formes les plus populaires).
On peut considérer également cette mémoire collective
aussi bien comme fondement des stratégies patrimoniales –
une sorte de sous-bassement qui en agrée le bien-fondé–,
que comme support d’une histoire parallèle –dans ce cas
marquée par le caractère ‘mythique’ et ‘impressif’ de son
approche. Elle impacte de ce fait la question de la
représentation.
« Nous savons que cet aspect dans la culture populaire en
Algérie pose à la fois un problème qui touche à
l’identification des indices qui qualifient ces
représentations dans la production culturelle populaire et
à l’interprétation qui en découle. En dehors des aspects
d’ordre heuristique et méthodologique que cela suppose,
ce questionnement est quelque peu complexifié dans la
mesure où la production culturelle populaire est
considérée dans son ensemble d’une manière courante –
évidente ? – sous le mode référentiel (ce qui constituerait
la tradition, le matériau historique, voire sociologique ou
esthétique d’une société).
Nous ne pouvons précisément admettre la pertinence de la
problématique des représentations sociales sans rappeler

1998 et L’écriture de l’histoire et la représentation du passé, Annales HSS,


Juillet-août 2000, n°4.
19 Ricœur, L’écriture de l’histoire, op.cit., p. 734.

19
Hadj MILIANI

(à titre purement indicatif évidemment) leur


surdétermination du point de vue de ce que l’on a appelé
l’histoire des mentalités, à l’aune de l’ethnolinguistique
et plus globalement dans les sciences sociales »20.
A partir de là, la tradition (terme qui est, par ailleurs,
souvent un quasi synonyme de patrimoine dans les
discours) se définirait, selon les contextes et les formes
d’expression qu’elle peut revêtir, comme une conjonction
particulière entre patrimoine et mémoire collective. C’est
pourquoi la tradition est, peut-être, aussi bien dans les
discours institutionnels qu’individuels, la notion qui semble
le plus faire évidence. C’est ce que Gérard LENCLUD
observe dans la recherche autour de la tradition :
« L’objet de la recherche ne réside plus dans l’origine et le
contenu de sens de ce qui est proclamé et supposé par-là
être révélé dans sa vérité intrinsèque; il est constitué par le
mécanisme même de la proclamation, promu en facteur
déterminant de la vérité attachée à ce qui est proclamé »21.
Par conséquence, on peut considérer que le discours
patrimoniale est paradoxalement marqué par des
procédures apparemment contradictoires: un déjà-là
(préconstruit) et une modalisation dominée par le vouloir
faire qui justifient, tout à la fois, la mobilisation récurrente
du patrimoine comme fait établi (la filiation) et du projet
toujours en cours de son établissement en tant que
ressources identitaires à constituer et à défendre (cela
s’illustre en Algérie depuis quelques années par la tenue du
mois du patrimoine où s’énoncent projets et discours de
doléances).

20 Présentation, Turath, n° 5 2005.


21Lenclud, G. (1994), « Qu’est-ce que la tradition ? », Transcrire les mythologies
(sous la direction de Marcel Detienne), Bibliothèque Idées, Albin Michel, p. 34.

20
Tradition, mémoire et patrimoine culturel. …

Synthèse
Au final, il apparait nécessaire d’identifier les multiples
questionnements qui touchent au domaine patrimonial
dans toutes ses acceptions. Il est entendu, évidemment, que
des passerelles existent, et dans bien des cas les aspects
matériels et immatériels ont souvent interféré dans les
analyses. Néanmoins beaucoup d’études ont permis de
sérier dans le champ culturel algérien présent ce que
présupposent à la fois du point de vue de leur existence
même et des enjeux qu’ils mettent au jour les productions
(les objets, les pratiques) dans le défi patrimonial. Celui-ci
devenant une composante des industries culturelles qui s’y
forgent un domaine d’investissement important22. Les
questionnements sur la mémoire, la tradition et le fait
patrimonial tels qu’ils ont été présentés jusqu’ici ne doivent
pas nous empêcher de réexaminer des problématiques
apparentées comme celles de la transmission et de
l’éducation à la culture patrimoniale.
« Même si le terme est quelque peu galvaudé, la référence à
un écosystème dépassant le champ strict des activités
patrimoniales prend tout son sens : le développement
attendu du patrimoine dépend de la coopération entre
acteurs, de la réduction des goulets d’étranglement, des
efforts d’éducation et de transmission de savoir-faire, de la
mise en place d’une administration efficace capable
d’imposer des normes de conservation et de construction
et des politiques d’aménagement urbain et rural, des aides
à la création de petites entreprises artisanales prêtes à

22
Moeglin, P. (2012), « Une théorie pour penser les industries culturelles et
informationnelles ? », Revue française des sciences de l’information et de la
communication.

21
Hadj MILIANI

répondre aux besoins liés à la politique patrimoniale,


23
etc.» .
Ajoutons de même qu’il faudra s’interroger à l’avenir sur
l’évaluation qui constitue un des aspects les plus complexes
du domaine des arts intimement lié au processus de
patrimonialisation24. La perspective anthropologique est
peu présente dans la perception des dispositifs et des
systèmes culturels à la fois dans l’échange social et au
travers des nouveaux paradigmes de la communication
globalisée. Dans cette perspective nous pouvons aisément
emprunter à Mohamed Berriane certains des axes
d’investigation qu’il a proposée pour le cas du Maroc :
« Construction des origines et des modalités des
constructions patrimoniales(…) ; l’analyse des acteurs qui
participent à ces processus et des positions qu’ils
occupent(…) ; les modalités de réception, d’acceptation ou
de rejet de cette ‘qualité’ de patrimoine (…) ; l’analyse des
effets de la mondialisation et du tourisme de résidence sur
ce processus (…) »25.
Plus globalement il faudrait relier la réflexion autour du
patrimoine culturel à la dynamique culturelle dans son
ensemble et ses concrétisations. Il y a probablement intérêt
à prendre en ligne de compte certaines données relatives à
la prédominance dans l'espace algérien de biens culturels
issus de l'industrie culturelle transnationale, de la
circulation de productions et de référents esthétiques entre
les différents champs culturels et de l'émergence de
nouveau médias en tant que supports de certaines

23 Benhamou, F., op.cit., p. 105.


24 Citton, Y., et Querrieu, A. (2014), « Art et valuation. Fabrication, diffusion et
mesure de la valeur », Multitudes, n° spécial, n°57.
25 Berriane, M., Patrimoine et patrimonialisation au Maroc, Hespéris Tamuda,

op. cit. p.13.

22
Tradition, mémoire et patrimoine culturel. …

expressions artistiques (chaînes satellitaires dédiées à la


musique, au cinéma et au divertissement, sites et
plateformes Internet, etc.). Ce constat incite à tenter
d’étudier les conditions de production et de réception des
œuvres et leur impact dans les processus de socialisation
artistique aussi bien collectifs qu'individuels.
Outre la nécessité d'établir un état des champs
considérés, il y aurait à combiner dans des recherches à
venir une pluridisciplinarité indispensable (histoire,
sociologie, anthropologie, esthétique, etc.) et une réflexion
ouverte sur les enjeux théoriques et les implications
pragmatiques qu'elles pointent (en particulier tout ce qui
touche à la redéfinition du statut des artistes, de la question
patrimoniale et des droits afférents, de l'identification de
nouveaux modes de gestion des projets culturels, etc.). Mais
nous avons à prêter attention également aux processus
diachroniques et aux changements qui caractérisent
œuvres, pratique et agents et de s’imprégner des
configurations socio-politiques et de leurs implications
pragmatiques dans beaucoup de pays dans le monde26.

26
Une initiative citoyenne intitulée Pour une politique culturelle algérienne a été
lancée en 2012 à travers une série de débats et la publication d’une plateforme.
Elle a suscité de nombreuses interventions dans la presse et sur les réseaux
sociaux.

23
Hadj MILIANI

Bibliographie
« Introduction», Turath n°8, 2013.
« Patrimoine(s) en question», Insaniyat n°12, septembre-
décembre 2000 (Vol. IV, 3).
« Présentation », Turath n° 5, 2005.
Benhamou, F. (2012), Economie du patrimoine culturel, Paris,
La Découverte, p. 11.
Benhamou, F., op.cit., p. 105.
Berriane, M., « Patrimoine et patrimonialisation au Maroc »,
Hespéris Tamuda, op. cit., p. 13.
Betrouni, M. (2000), « Conscience d’une dimension
patrimoine. Quatre réflexions », Insaniyat n°12.
Cf l’ouvrage que Lahouari Addi a consacré à ces deux
anthropologues, Deux anthropologues au Maghreb : Ernest
Gellner et Clifford Geertz, Les Archives contemporaines, 2013.
Citton, Y. et Querrieu, A. (2014), « Art et valuation.
Fabrication, diffusion et mesure de la valeur », Multitudes
n° spécial, hiver, n° 57.
Ferreri, E. (2000), « Patrimoines culturels et mediterranéité
immatérielle, Non-material cultural heritage, Euro-
Mediterranean area », Acts of the Unimed-Sympozium, Edizioni
Seam, Rome, Avril 2000, p. 19.
La culture marocaine: approches anthropologiques. Le Maroc
à la veille du troisième millénaire, Berriane M. et Kagermeier A.
(éd.), Publications de la Faculté des lettres et des sciences
humaines de Rabat, série Colloques et séminaires n° 93, 2001,
p. 49-155.
Lenclud, G. (1994) « Qu’est-ce que la tradition ? », Transcrire
les mythologies (sous la direction de Marcel Detienne),
Bibliothèque Idées, Albin Michel, p. 34.
Melot, M. (2012), Mirabilia. Essai sur l’inventaire général du
patrimoine culturel, Paris, Gallimard, p. 240.

24
Tradition, mémoire et patrimoine culturel. …

Moeglin, P. (2012), « Une théorie pour penser les industries


culturelles et informationnelles ? », Revue française des sciences
de l’information et de la communication.
Présentation, Turath n°7, 2009.
Ricœur, L’écriture de l’histoire, op.cit., p. 734.
Skounti, A. (2010), « De la patrimonialisation. Comment
et quand les choses deviennent-elles des patrimoines ? »,
Hesperis Tamuda, vol. XIV, 2010, p. 32-33.
Turath n°1, 2002, Turath n°2, 2002, Dossier Abdelkader
Khaldi; Turath n°3, 2003, Le dire oral : Des Aurès au Murdjajo ;
Turath n°4, 2004, Patrimoine immatériel : Matériaux, documents
et études de cas ; Turath n°5, 2005, Représentations sociales ;
Turath n°6, 2006, Le Melhoun : textes et documents ; Turath n°7,
2009, Chants populaires ; Turath n°8, 2013, Bibliographie sur le
patrimoine culturel ; Turath n°9, 2014, Configurations
anthropologiques et pratiques culturelles.

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