Attention, Le Mascaret Ne Siffle Pas: (10 Au 22 Août 1999, Symposium International D'art Actuel de Moncton)
Attention, Le Mascaret Ne Siffle Pas: (10 Au 22 Août 1999, Symposium International D'art Actuel de Moncton)
Attention, Le Mascaret Ne Siffle Pas: (10 Au 22 Août 1999, Symposium International D'art Actuel de Moncton)
2024 11:00
Inter
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1923-2764 (numérique)
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Le G u e t t e u r d e s s o u / i o r s d e b o u e .
G u y BLACKBURN
En 1980, le Symposium international de sculp-
ture environnementale de Chicoutimi ranimait le
s i t e d é s a f f e c t é de la V i e i l l e P u l p e r i e . G u y
BLACKBURN était un des assistants du sculpteur
Armand VAILLANCOURT pour l'événement. Ce
'"' dernier faisait sa rentrée artistique après dix ans
de militantisme politique. Quinze ans plus tard
(1996), au sortird'un travail collectif avec l'Atelier
l-Q
] m Insertion (1981-1993) et d'une production conti-
I "O
to nue d'installations, BLACKBURN est de retour à
|lz la Pulperie transformée en Musée de site pour y
M Q
ffi g 1 . FISETTE, Serge. Les Symposiums de sculpture au Québec. Montréal, Les Éditions 3-D, 1997. 2 . SIOUI DURAND, Guy « Aventure et mésa-
ventures des sculptures environnementales au Québec, 1951-1991 », dans Recherches sociographiques, vol. XXXIII, n°2, 1992, p. 205-238.
: g 3 . Pour celui qui connaît le travail de l'artiste, de tels éléments font partie du corpus de ses nombreuses installations qu'il trimballe et déballe non seulement
• Us dans les lieux de l'art mais sur les places publiques. Ainsi, avant d'arriver en Acadie, Guy BLACKBURN venait d'investir huit agglomérations du Québec.
r
L'artiste, de connivence avec le groupe Folie/Culture, a placé une installation dans la remorque d'une vanne qui est partie de Chicoutimi pour aller successi-
0
a J -C
vement à Aima, Victoriaville, Québec, Rivière-du-Loup, Bic, Saint-Jean-Port-Joli et Trois-Rivières. Projections de film et rencontres de l'artiste avec divers
- J CL groupes ont créé l'événement.
personnellement à chacune des quatre cents per- souliers de boue se dresse donc au pôle social de Noranda, Abitibi-Témiscamingue), Kulig M o n g o
sonnes venues, qu'un des souliers de la paire, une \'indisciplinarité, aux antipodes des complexes pro- (Offrande à la rivière) de Claude-Marie KABRÉ
fois mélangé à un prélèvement du limon de la jets qui s'appuient sur la haute technologie sophis- (Ouagadougou, Burkina Faso) et LeMascarillon ou
rivière, remplira l'intérieurde la sculpture. La boue tiquée, comme ce fut le cas pour la réalisation Vestiges vacillants du Mascarillon céleste de
vient symboliquement lier le phénomène écolo- chaotique du Mascarillonde Nicolas REEVES ou de Nicolas REEVES (Montréal. Québec).
gique du mascaret en péril et la mémoire collec- La Salle des nœuds //d'Emile MORIN et de Jocelyn Poursuivant les expériences de sculptures
tive dans la s c u l p t u r e publique. C e t t e seule ROBERT lors du Symposium. environnementales mises de l'avant par les nom-
transaction crée de ce fait un étonnant lien d'appar- breux événements d'art réseaux dans les années
tenance de la part des résidents envers l'œuvre. La d y n a m i q u e d'art quatre-vingt et quatre-vingt-dix, cette zone de
BLACKBURN, comme pour déconstruire la seule é c o l o g i q u e m e n t e n g a g é et créations in situ a offert des instants de création,
finalité monumentale, va encore noter l'adresse l'esprit interculturel d e s de stupéfaction et de conscientisation exception-
postale des gens et s'engagera transformerl'autre installations in situ nels. Fait déterminant pour une manifestation
soulier - le bout en fait - en sculpture personnifiée le long de la rivière artistique que certains n'auraient voulue que pré-
et à la leur acheminer par la poste. Voilà un proces- L'invitation faite à une dizaine d'artistes de réa- mices culturelles à une rencontre internationale
sus qui se veut une sorte de contamination des liser autant d'installations le long de la rivière entre chefs d'État (le Sommet des pays franco-
lieux privés par une sculpture sociale. Petitcodiac aura été un apport majeur au déroule- phones). A t t e n t i o n , le M a s c a r e t ne siffle p a s
Cette osmose entre l'espace sculptural (les ment du Symposium. L'envergure spectaculaire et deviendra progressivement un symposium d'art
gants, le banc, la béquille, la tour de guet, la boue, signifiante de ces œuvres in situ éphémères riva- engagé. On assistera à une collusion entre les
les souliers usés comme métaphore du rapport aux lisera à un point tel avec les projets permanents questions géopolitiques et interculturelles (iden-
lieux, etc.), l'espace urbain au c œ u r d e la place et qu'il y aura un mouvement populaire pour leur con- tités amérindiennes/acadiennes/anglophones)
surtout les consciences personnelles de gens intro- servation. J'aurais long à écrire surchacun des pro- de la ville de Moncton et la réelle lutte écologi-
duit des éléments de critique dans le Symposium jets, soit Longues Vagues déferlantes de Lise que pour la survie de ce phénomène naturel qu'est
même, et par extension dans le champ de l'art. L'art ROBICHAUD (Moncton, Nouveau-Brunswick), le mascaret. Ces thèmes vont inspirer plusieurs
chez Guy BLACKBURN prend ses distances d'avec R é f l e x i o n s de G u y L E M O N N I E R ( D a r n e t a l , sculptures et installations, tout c o m m e , on le
cette conception figée de la sculpture de la matière France), Pièces supplémentaires de Dominique verra, les manœuvres et autres théâtralités.
conçue c o m m e - objet en soi », comme dans le cas A N G E L ( M a r s e i l l e , France), Rituel de Ndary Impossible ici d'analyser en détail chaque pro-
des bronzes déjà fabriqués en atelier et déposés au MBATHIO LO (Rufisque, Sénégal), Pieds dans la jet (faute d'espace), c'est pourquoi, après avoir
premier jour du Symposium par Jean BÉLANGER, boue de Jocelyne BELCOURT-SALEM (Toronto, signalé les d i m e n s i o n s g é o p o l i t i q u e s , inter-
de la fonderie classique d'un objet sculptural par Ontario), Choses recrachées par la merde Barbara culturelles et de lutte écologique qu'a comportées
Siriki KY ou de la taille moderne de la pierre et du PRÉZEAU-STEPHENSON (Port-au-Prince, Haïti), ce volet de sculptures/installations, j'insisterai plus
jumelage à un buste par le Français Félix ROULIN, La B o u c a n n i è r e de Real B É R A R D et D e n i s loin sur un des carrefours des énergies circulant
des sculptures permanentes que l'on peut somme DUGUAY (Saint-Boniface, Manitoba), Synergie dans l'événement, soit La Boucannière.
toute qualifier de « classiques ». Le Guetteur des des rencontres de Gaétane GODBOUT (Rouyn-
.
La g é o p o l i t i q u e 1
de l'Acadie
Certaines conjonctures symboliques sont fort
révélatrices. Moncton est la capitale culturelle de
la province du Nouveau-Brunswick. Quarante-cinq
pour cent de sa population est acadienne. Hôte
désignée par le gouvernement fédéral pour la
tenue en septembre du Sommet des pays franco-
phones, la cité porte paradoxalement le nom de
l'officier ayant ordonné jadis le « grand dérange-
ment », la déportation des Acadiens. Même que
le centre culturel où logent les principaux organis-
mes culturels francophones porte le nom d'un lord
anglais, Lord ABERDEEN ! Des tensions sociales
subsistent. Elles font autant référence à l'histoire -
trois récits historiques différents se superposent
selon l'appartenance - q u ' à la quotidienneté (l'as-
similation des jeunes). Il va de soi que la présence
internationale des artistes de la francophonie va
créer un impact de taille, au point de faire une per-
cée dans la presse anglophone du coin. L'installa-
tion spectaculaire du grand personnage de fer, par
exemple, de Ndary MBATHIO LO, deviendra vite
l'œuvre la plus médiatisée.
Lors d'un des premiers apéros-paroles, ces
moments quotidiens de conférences et de discus-
sions dans le cadre du Symposium, l'historien « courbée comme un arc », et qui est rebaptisée
Régis BRUN présentera une relecture de l'histoire parles arrivants rivière Petitcodiac. Siriki KY, sculp- L'écosystème en danger
de la rivière Petitcodiac. Avant l'arrivée des teur du Burkina Faso, entend fondre une sculpture du Mascaret
Anglais, les anciens Acadiens appelaient l'endroit permanente qui rend hommage au soleil et à la lune. Le titre, Attention, le Mascaret ne siffle pas,
« la ville du Coude », faisant référence à ce détour C'est là l'archétype de toutes les cultures abori- révélait a priori une thématique prenant en compte
de la rivière où les villes actuelles de Dieppe et gènes, la lune pour les Inuits, par exemple, et le un phénomène environnemental unique à la ré-
Moncton se divisent aujourd'hui. Pourtant, au Parc soleil pour les Premiers Peuples agriculteurs, des gion : les flux et reflux d'un mascaret, c'est-à-dire
municipal du Mascaret, un panneau identifie une Incas aux Iroquois, en passant parles Aztèques et de marées d'eau salée venues de l'océan obéis-
vieille maison comme étant la première établie par les Mayas. Les pierres de Félix ROULIN viennent sant à l'écosystème pour remonter dans la rivière
une famille de colons euro-anglais et y fait remon- de la Pointe à Beaumont, où séjournaient les de manière spectaculaire. Menacé de disparition
ter la naissance de Moncton. Aussi ne fut-ce pas Indiens. Le Mythe du masque à Ray situe l'origi- par un barrage, résultant des privilèges de la mino-
un hasard de r e t r o u v e r à une e x t r é m i t é des ne s a c r é e du masque près de la m y t h o l o g i e rité de riches (anglophones de surcroît) à jouir de
œuvres in situ l'installation Longues Vagues défer- micmaque.
I '. 1 lantes, de Lise ROBICHAUD, Acadienne de la ville,
S2 liant métaphoriquement la survie de la rivière Petit-
•2 0
OQ
codiac à celle de l'Acadie, et à l'autre bout la sculp-
te o ture Les Portes françaises, de Gerry COLLINS,
anglophone de Moncton en appelant au métissage
ri § harmonieux. Quelque part entre les deux projets.
Pieds dans la boue, de la Franco-Ontarienne
D n
O S Jocelyne BELCOURT-SALEM, s'est chargé de
D S rendre limpide sur une longue clôture transparente
•-co1 a..
la rencontre des civilisations sur les rives de la riviè-
JÎ 3 re Petitcodiac.
Û 3
~ J
En effet, au contentieux entre anglophones et
»o
francophones dans ce territoire du nord-est de
tC d)
l'Amérique s'ajoute de surcroît la présence amé-
rindienne. Même si les Mi'kmaqs et les Malécites
S»
0 (D y survivent éloignés en réserves, l'esprit autoch-
-0 W
K B tone y est demeuré vivace. Omissions, déporta-
d) q tions, survie dans les bois, monuments historiques
:<5 S
controversés parsèment les rares références au
C d) rôle important joué par les Premiers Peuples dans
il
0 a
la survie des Acadiens au Nouveau-Brunswick. Pas
étonnant qu'une forte inspiration amérindienne ait
soufflé sur ce Symposium. Tel un O k i (esprit),
N J l'emploi de matériaux, la référence à des légendes
et à des récits autochtones vont s'immiscer dans
3
< z plusieurs œuvres. Les évocations furent si nom-
w <o breuses qu'elles forcent à reconnaître ce phéno-
o 2,
'S-a mène de l'esprit amérindien des zones (territoriale,
oS
2 g historique et symbolique) investie parce Sympo-
Dû sium.
3à Le Symposium d'art actuel Attention, le Mas-
caret ne siffle pas fera surgir cette conscience de
tu c la présence amérindienne dans ce coin d'Améri-
> -0) que du Nord-Est. Voici quelques exemples :
5^
.5 D-
Jocelyne BELCOURT-SALEM inscrit des mots à
•0 to caractère historique le long de sa grande clôture
transparente près des berges de la rivière. Elle
11 débute avec pertinence avec les nations membres
Its
°5
0
de la Confédération des Waba Nakis (Malécites,
Mi'kmaqs, Waba Makis), faisant surgir dans les
c
t»fo consciences les trois cultures fondatrices : amé-
c 5<
0 rindienne, françaiseetanglaise. Lise ROBICHAUD
SS
.5»$ retrace les anciennes berges de la rivière avec sa
•3 3
signalétique, qui est aussi un hommage à son père
•« U
• D marin ; elle évoque le nom amérindien de la rivière,
la culture de consommation autour d'un lac arti- matériaux et la rythmique des éléments, plus mé-
ficiel, le mascaret, devenu le thème de l'évé- thodique donc, ajoutera la touche environnemen- Q u a n d les m a n œ u v r e s
nement, le fera vite devenir une manifestation tale, esthétique au dispositif. Ensemble, les deux d'art action envahissent
écologiste. vont conjuguer l'espace/temps du Symposium, la q u o t i d i e n n e t é de la cité
La majorité des installations vont en appeler à d'abord en parcourir les alentours. Ils vont ainsi Une série d ' i n t e r v e n t i o n s artistiques bien
la vigilance contre la disparition du mascaret. Le c a u s e r avec les p ê c h e u r s de Chediac et les orchestrées à partir de la réalité du mascaret en
projet de campanile sonore, un cube flottant rem- ouvriers de Dieppe, puis ramener leur mémoire péril vont aussi déferler dans Moncton. Parmi ces
pli d'hélium aux parois transparentes et bardé de dans les filets, pièces de bois ou outils qu'ils vont stratégies créatrices complices, il y aura :
senseurs couplés à un ordinateur, le Mascarillon intégrer dans La Boucannière. Leurtravail s'appa- la signalétique du jaune : loin de n'être que
de Nicolas REEVES, le cinglant projet fictif immobi- rente à celui des chasseurs/cueilleurs d'éléments signalétique p r o m o t i o n n e l l e du S y m p o s i u m ,
lier dans la rivière de Guy LEMONNIER et les radi- naturels. Observant le vol des oiseaux, l'odeur des l'usage du jaune s'inscrivait dans un déferlement
cales constructions de Dominique ANGEL pouvant branchages, la marée propice à la pêche du pois- d'art action qui va du théâtre de scène à celui de
partir à la dérive, vont refléter cet engagement. son, tout leur servira pour l'assemblage de leur rue, de transactions d'art fondées sur des prélè-
L'étonnant dispositif de Claude-Marie KABRÉ, invraisemblable - au sens de démesurément poéti- vements de battements de cœur, de récitals de
comme Offrande à la r/V/érevoudra inverser la ten- que - Boucannière, cette ancienne architecture où poèmes, d'un spectacle d'oralité poétique à des
dance destructrice. Or, entre la dénonciation et la Amérindiens, pêcheurs et colons suspendaient projections nocturnes de cinéma en plein air dans
contemplation, ce sera la vigueur festive de l'évé- leurs prises pour les boucaner. un stationnement ;
nement qui, pourl'avoirvécu, portera l'émancipa- La structure de La Boucannièren'était pas sans des manœuvres de théâtralité ex situ ( L e
tion interculturelle et environnementale dans ce rappeler les échafaudages des Amérindiens pour Mythe du masque à Ray, l'installation A l'ombre,
Symposium qui s'est voulu détournement de la déposer leurs victuailles à l'abri du carcajou ou la lumière, de Michelle B O U C H A R D et Pauline
quotidienneté des lieux. À cet égard, l'installation leurs dépouilles lors de la cérémonie du Festin des DUGAS, dans la salle de la galerie), en salle et dans
La Boucannière, du duo Real BÉRARD et Denis Morts. Les suspensions d'un tomahawk de pierre, la rue (Moncton Sable, Le Tapis rouge, de Daniel
DUGUAY, se démarque. d'un oiseau mort, d'herbages et de tubulures sono- D U G A S , selon les horaires du mascaret. Les
res au-dessus de la grande tortue au sol, elle-même F a n t ô m e s r o u g e s , de J o h a n n e C H A G N O N ,
La B o u c a n n i è r e . R e a l BÉRARD faite de pierres destinées à contenir le feu, étaient Baron Samedi, d'Éna AUGUSTE, et les actions
e t D e n i s DUGUAY assez explicites. Mais, en même temps, cette ins- sacrées ou en dialogue avec les sculptures selon
Le processus quotidien de son érection, allant tallation référait à celles des premiers pêcheurs et le cycle de la lune de Lee SAUNDERS) ;
de la cueillette régionale des artefacts à leur colons qui, eux aussi, y faisaient sécher et fumer l'oralité active dans l'univers des arts visuels
assemblage en apparence intuitif et improvisé à poissons et gibiers. La sculpture éphémère évo- pardes déjeuners-causeries, des apéros-paroles,
mesure que le lieu va vite en devenir un de rassem- quait encore les tours de chasseurs et les silos un forum décontracté, un Mascaret-phonique réu-
blement incontournable, a été une révélation d'une primitifs des premiers fermiers des Prairies, terre nissant les poètes de la francophonie, des décla-
grande sensibilité et d'une humanité universelle le d'origine des deux artistes. DUGUAY a d'ailleurs mations dans la ville ( le projet PO&ARTdu poète
long de la rivière Petitcodiac pendant les dix jours pris soin d'étaler des petites bottes de foin pour Charles BAURIN) ainsi que du cinéma en plein air.
de ce Symposium. La Boucannière est cette ins- marquer le territoire autour. Le flamboyant dispositif de Johanne C H A G N O N
tallation in situ réalisée conjointement par Real Des strates de civilisation animaient ce site que en évolution tous les jours au Parc du Mascaret fut
BÉRARD et Denis DUGUAY qui fut non seulement le vent se chargeait de rendre sonore, tel un tem- une de ses réussites.
un site d'art actuel, mais aussi un espace/temps ple zen. Située surla berge au centre du parcours
de vie où l'esprit autochtone s'est métissé à l'art où s'érigeaient les autres sculptures/installations L o u p s et b a t e a u f a n t ô m e .
environnemental des premiers pêcheurs et colons in situ. La Soucann/érea canalisé l'esprit festif du Johanne CHAGNON
- aussi bien des côtes de l'est que des Prairies. Symposium. Ce fut un lieu de potlatch, alors que Ce n'est nullement un hasard si le théâtre vi-
Le mot boucanier désigne autant des pirates des la générosité et l'hospitalité priment dans la fête suel de Johanne C H A G N O N avait pris place dans
mers que des aventuriers et chasseurs de bisons. collective. le Parc du Mascaret. L'artiste y a construit quoti-
Une telle attraction s'est dégagée de ce site sans C'est d'ailleurs de La Boucannière que sera diennement une arc/i/texturepuisant dans l'histoire
qu'il soit possible de s'y soustraire. extirpé le fameux tomahawk brandi par le commis- locale. Tous les jours, jusque tard dans la nuit et
Déjà, travailler en duo suppose plus qu'une saire Alain-Martin RICHARD en conclusion du souvent sous la pluie, Loups et bateau-fantôme
rencontre : ilya là une première mise en commun, Symposium. Lui qui rêvait d'un Symposium devenu prendra forme. À la fois échafaudage de planches
une zone de partage et de complémentarité. Real une « machine désirante » prenant d'assaut la et agencement de grands tissus rouges, de meu-
BÉRARD et Denis DUGUAY vont formerune paire quotidienneté de Moncton appela à la poursuite bles, de costumes et... de la boue brune de la riviè-
d'as. Le savoir expérimenté, intuitif et d'une joie comme « machine de guerre ». c'est-à-dire poli- re, la base de la manœuvre est toutefois un récit
c o n t a g i e u s e de Real BÉRARD apportera dé- tiquement engagée, pour que le Mascaret ne fictif que l'artiste a entrepris de rédiger de manière I - ] I
brouillardise et vigueur à l'événement. Cet artiste meure pas. Le tomahawk en l'air signifiait-il que le interactive avec les gens. Tandis que la « scénogra-
multidisciplinaire, tantôt sculpteur, tantôt illustra- barrage saute au profit de toute la communauté ? phie sociale » s'élaborait à partir des ambiguïtés
teur, tantôt écrivain, passe le plus clair de son Ou encore que la ville conserve des installations historiques, l'intrigue s'écrivait quotidiennement à
temps en canot dans les contrées nordiques des éphémères ? partirdes suggestions du monde surplace. Lèvent
Prairies où il vit en Indien. Denis DUGUAY, sculp- gonflait souvent les formes de ce décor tout drapé
teur fasciné parla texture des objets, la beauté des de rouge dans lequel des personnages pouvaient
surgir : tout quidam pouvait revêtir un costume et
devenir partie prenante de la manœuvre d'art.
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les forêts. Ils faisaient des amulettes avec ces pier-
res. Arrivée en Acadie, l'artiste s'est rendue au Cap-
Enragé (un lieu de passage des Indiens Mi'kmaqs),
dans la Baie de Fundy. Le microclimat lui a donné
l'idée de cueillir des • pierres acadiennes », elles
aussi œuvrées par la nature. Du mixage des deux
sortes de petites pierres avec la vase du mascaret
va naître une petite muraille. Synergie des rencon-
tresdélimite en soi un environnement débordant de
significations sur les plans de la connaissance, de
la communication, de la sensualité et de la spiritua-
lité. Pas étonnant que la danseuse Lee SAUNDERS
ait occupé le site avec une de ses trois prestations
comme manœuvre rituelle en harmonie avec les
énergies, le vent, l'eau, la terre.
Pourtant, comme le titre de l'installation l'indi-
que, une phase de rencontres sociales va modi-
fier le seul travail au sol pour, d'une part, en faire
un des sites les plus fréquentés, mais aussi pour
développer une seconde intervention sur la berge.
Par les médias, l'artiste a invité les gens à venir la
rencontrer et à lui donner un objet familier en
échange d'une des petites pierres ciselées par la
nature. Elle se chargeait ensuite de fixer ces arte-
facts populaires au bout d'une tige métallique. Les
jours de soleil de la fin du Symposium, un phéno-
mène d'éblouissement a pris forme. Les tiges
métalliques, plantées en grand nombre parmi
les herbes de la rive à côté de la digue artistique,
formaient une onde comme la vague du mascaret.
Scintillant de manière dense, l'onde de la vague
prenait forme avec prestance, les tiges ressem-
blaient à une volée de lucioles.
z Art à t r a n s a c t i o n s s o c i a l e s L'utopie vivace de la
O et c y b e r a r t d a n s u n m ê m e En fin de Symposium, Gaétane était à la fois fête p e r m a n e n t e
[/)
2 continuum de exténuée et heureuse. Le phénomène communau- Au bout du compte, il faut reconnaître que le
iS
a.
l'interdisciplinarité
On sait que plusieurs symposiums et événe-
taire d'échange qu'elle avait engendré avec Syner-
gie des rencontres avait pris des proportions
commissaire invité Alain-Martin RICHARD a con-
cocté en équipe * toutes ces activités dans un
w ments d'art des années quatre-vingt-dix ont pro- démesurées. Les gens venaient porter leur objet concept d'art total pour subvenir avec succès, le
D
3 posé des thématiques liant la conjoncture locale tôt le matin, tard le soir, en son absence et même temps de l'événement il faut le dire, la vie urbaine.
UJ
N (souvent avec un parti pris écologique) à des pro- une fois le Symposium officiellement clos ! Cette L'événement a ainsi poursuivi de manière straté-
•d C
tique va devenir une sorte de locomotive de l'inter- télématique et d'art audio La Salle des nœuds II. éphémère ici et maintenant, et une histoire de l'art
O o disciplinarité en art et s'immiscer progressivement Dans l'entrepôt du Beaver Lumber, Jocelyn où il faut trouver place. Deux semaines après la
r j -«J
. 0 dans les événements et symposiums. ROBERT, en coproduction avec Emile MORIN, a fin du S y m p o s i u m , j ' a i reçu un coup de fil de
oo
>J >«• Mais, depuis quelques années, les probléma- conçu une zone sous la forme de tente, de filage, Michel ROBICHAUD, de Moncton, un des jeunes
os
h—. »-H
tiques de détournement par l'art de l'activité quoti- d'un demi-cercle de cent vingt haut-parleurs en artistes assistant au Symposium. Il m'apprenait
si
< u
m c
dienne de la cité vont arrimer cette expansion dans
l'espace médiatique (télévision interactive et
suspension et d'un grand écran, ce qui en soi
composait une impressionnante installation dans
qu'un nouveau collectif d'artistes s'était formé
dans la foulée des énergies de l'événement.
2 ï Internet) et dans le cyberart. À Moncton, une sculp- l'espace. Le dispositif, une fois couplé aux ordina- Plusieurs installations avaient été récupérées et
0 73 t u r e / i n s t a l l a t i o n , qui est vite devenue un flux teurs et à l'Internet, va diffuser de manière spec- le goût de créer de nouveaux événements en
S ft
—« i-i
d'échanges populaires, et l'installation télématique taculaire les prélèvements de sifflements des plus de se connecter à l'art réseau du continent
(D (D
La Salle des nœuds II, de Jocelyn ROBERT et Emile Acadiens de Moncton, des Africains vivant à Abi- germait.
se,
CC 00 MORIN, illustrent ces deux pôles d'art actuel. djan, surla Côte d'Ivoire, et des résidents de la ville C'est peut-être là la vraie réussite d'un tel sym-
,rf de Québec. La centaine de relais électriques et de posium. Au moment où trop de collectifs et de
Synergie des rencontres haut-parleurs laissant se promener les sifflements c e n t r e s d ' a r t i s t e s se t o u r n e n t vers le passé
G a é t a n e GODBOUT et autres oralités, avec projection sur grand écran comme pour trouver leur genèse ou pour fêter leur
Gaétane GODBOUT avait choisi de s'installer de ces visages joyeux de gens reliés par ordina- jeune existence (les tentations d'autohistoire et la
sur la berge légèrement escarpée le plus près de la teurs, avait un effet propre au XXI e siècle. C e normalisation institutionnelle), l'espoir rebelle per-
rivière. Par un habile modelage de la « vase choco- réseau « en temps réel » des francophonies de siste. Ce symposium a piqué la jeune génération
lat », le limon de la rivière, la sculpteure Gaétane trois zones urbaines sur deux continents sera d'artistes, celle qui est appelée à secouer les
G O D B O U T a mis en relief un premier type de possible grâce à la complicité en réseau d'Emile institutions locales, comme le Centre Aberdeen,
rencontre, naturelle, entre deux espaces géologi- MORIN à Abidjan et de Boris FIRQUET dans les le Département des arts de l'Université de Monc-
ques. On sait que son Abitibi d'origine recèle les plus locauxdu collectif Avatar à Méduse, dans la vieille ton et la politique culturelle acadienne un peu trop
vieilles pierres de la Terre. Ainsi a-t-elle amené avec capitale (Québec). ancrée dans son mythe fondateur. C'est pourquoi
elle des centaines de petites pierres aux formes sur- Avec La Salle des nœuds II, le déferlement a les événements d'art comme celui de Moncton
prenantes, arrondies, polies par les eaux souterrai- pris une ampleur intercontinentale et interculturelle demeurent des zones franches pour le change-
nes des eskers, ces rivières souterraines (la nature à l'échelle médiatique qui se superposait aux terri- ment. •
artiste). Les Abitibiwinis (Algonquins) y vénéraient torialités géographique (Moncton) et sculpturale
le travail des Okis, ces bons esprits qui errent dans (l'art in situ) du Symposium.
4 . Comme il l'avait fait pour Amos en 1997, Alain-Martin RICHARD a conçu la thématique et le déroulement du Symposium en collaboration étroite avec
Hélène LAROCHE et Daniel DUGAS. Ils ont pu compter sur l'exceptionnelle équipe de l'Association acadienne des artistes professionnels du Nouveau-Brunswick
et de la Fédération culturelle canadienne française. 5 . SIOUI DURAND, Guy. L'Art comme alternative. Réseaux et pratiques d'art parallèle au
Québec. 1976-1996. Québec, Les Éditions Intervention, 1997.