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UNIVERSITE DU BURUNDI
FACULTE DES SCIENCES POLITIQUES ET JURIDIQUES
DEPARTEMENT DE SCIENCE POLITIQUE ET RELATIONS
INTERNATIONALES

COMMUNICATION POLITIQUE
Syllabus de cours de Master, 1ère année, Science politique
Par Denis BANSHIMIYUBUSA
Docteur en Science Politique

Volume horaire :
4 crédits (théorie : 30h, Travaux dirigés : 15h, Travaux personnels de l’étudiant : 15h)

Année Académique 2022-2023

Bujumbura, juillet 2023


~2~
Fiche signalétique de l’ECUE

Processus Para- Description


mètres
Elabo- Thème Communication politique
ration
Amener l’étudiant à comprendre la place de la communication politique dans
Objectif la vie politique et les stratégies en vue de conquérir, d’accéder et/ou de se
général maintenir au pouvoir ;

1° Initier l’étudiant à maîtriser les concepts et théories de la communication


politique ;
Objectifs 2° Initier l’étudiant à développer une stratégie et un plan de communication ;
spécifiques 3° Faire acquérir l’étudiant les instruments de communication à cet effet ;
4°Former et préparer l’étudiant à l’exercice du métier de Conseiller en
communication politique.

1° Avoir un intérêt personnel aux problèmes de société ;


Pré-requis 2° Avoir des connaissances de base en sciences de la communication ;
3° Avoir également des connaissances en science politique ou à défaut une
culture politique.

Matériel didactique : Syllabus et notes de cours, bibliographie détaillée,


Conditions sources d’information, institutions d’enseignement et de recherche,
générales photocopies d’extrait d’articles.

Notions de base en communication politique ; Concepts et théories ; Stratégie


Bref de communication ; Communication électorale ; métier de conseillers en
contenu communication politique.

Informa- Le cours sera enrichi par la prise de notes par les étudiants en plus du
tions syllabus ; des interventions des étudiants sont souhaitées pour que cette
interaction permette aux étudiants de s’imprégner des notions apprises.

Activités Enseignement magistral suivi chaque fois de débats sur un sujet donné.
Interven- Déroule- Cours magistral (20), Travail de groupes par les étudiants (15h) ; rappel sur
tion ment les notions apprises (10min), corps de la matière et interaction (70 min) ;
Conclusion (20 min)
Produ- 1° Exposés sur les travaux de groupe ;
ctions 2° Travail de groupe sur un thème de communication politique.
Motivation Les étudiants doivent être intéressés par les problèmes de société, le débat
politique sur des enjeux de société et de la communication en politique.
Intera- Quoiqu’il s’agisse d’un cours magistral, une grande part d’interaction sera
ctions faite entre professeur et étudiants, et ces derniers entre eux.
Conformément à la loi en vigueur, l’évaluation comporte 3 principaux
moments :
Appropri- Evaluation 1° Premièrement, il y a des évaluations à mi-parcours écrites, complétées par
ation des travaux et exposés en groupes après le cours (40%) ;
2° Deuxièmement, il y a un examen final écrit (60%).
3° Troisièmement, pour ceux qui n’auront pas réussi ces épreuves de 1ère
Session, il y aura une 2ème Session qui sera écrite et cotée sur 100%.
~3~

PLAN DU COURS DETAILLE


Numéro- Titres / sous-titres Pages
tation
Fiche signalétique de l’ECUE 02
Plan détaillé du cours 03
0 Introduction générale 05
1 Pourquoi la communication politique ? 08
2 Existe-t-il une science de la communication 10
politique ?
3 Objectifs du cours 11
Chapitre 1 Communication politique : à la recherche d’une 13
définition
1 Les quatre conceptions théoriques de la 14
communication politique
1. 1. Une conception instrumentale 15
1. 2. Une conception œcuménique 16
1. 3. Une conception compétitive 18
1. 4. Une conception délibérative 20
2. L’interface politique/communication 21
3. Le tryptique « publicisation-politisation- 23
polarisation »
4. Communication politique comme processus 24
multidimensionnel
4. 1. La dimension pragmatique 25
4. 2. La dimension symbolique 25
4. 3. La dimension structurelle 26
5. La communication politique : un champ théorique 26
concurrentiel
5. 1. L’approche comportementaliste 27
5. 2. L’approche structuro-fonctionnaliste 27
5. 3. L’approche interactionniste 28
5. 4. L’approche dialogique 29
Chapitre 2 Enjeux, caractéristiques et fonctions de la 31
communication politique
1. Les enjeux 31
1. 1. Imposer une crédibilité 31
1. 2. Offrir une grille de lecture 33
2. Les caractéristiques 34
3. Rôle et fonctions de la communication politique 35
4. Les styles politiques 37
~4~

4. 1. Le style réaliste 38
4. 2. Le style courtois 39
4. 3. Le style bureaucratique 40
4. 4. Le style républicain 41
Chapitre 3. Espace public modernisé et rationalisation de la 42
compétition politique
1. Les techniques 42
1. 1. Le marketing politique 42
1. 2. Les sondages d’opinion et les études qualitatives 45
2. Les étapes de l’élaboration d’une stratégie de 46
communication politique au cours d’une campagne
électorale
3. Les transformations des campagnes électorales 50
3. 1. Aux Etats-Unis d’Amérique 50
3. 2. Le cas de la France 53
Chapitre 4 Les effets de la communication persuasive et 59
leur perception
1. Les premières approches 59
1. 1. Le modèle de la propagande 59
1. 2. Le paradigme des effets limités des médias 59
2. Les approches récentes 64
2. 1. L’effet de mise sur agenda 64
2. 2. L’effet d’amorçage 65
2. 3. L’effet de cadrage 65
2. 4. La critique 68
Chapitre 5. Les professionnels de la communication 70
politique
1. Invention du « métier » de conseiller en 70
communication
2. L’américanisation de la vie politique : fin de 73
l’amateurisme ?
Chapitre 6. Les mutations de l’espace public 76
Evolution des régimes médiatiques et du 77
gouvernement représentatif
La médiatisation du politique 79
Les transformations du journalisme politique 81
Communication comme substrat de la démocratie 84
Conclusion générale 86
Référence bibliographiques 87
~5~

0. Introduction générale

Est-il possible de situer la naissance de la communication politique ? On retrouve des


réflexions sur l’essence de ce champ interdisciplinaire, les liens politique /
communication, dès les premiers écrits sur le pouvoir. L’intérêt et les enjeux liés à la
communication politique s’inscrivent donc dans une intemporalité certaine, puisque
le cœur de ce champ interdisciplinaire, c’est la communication comme nécessité dans
l’exercice du pouvoir, ce dernier fût-il institutionnel ou informel, matériel ou
symbolique. Plusieurs aspects fondamentaux de l’organisation politique se
nourrissent de la communication : le maintien de la cohésion sociale, l’organisation
de lieux de débats citoyens, la recherche voire la fabrication du consentement et la
lutte pour l’obtention et le maintien du pouvoir.

La consubstantialité du pouvoir et de la communication apparaît à toutes les époques


et pour tous les types de gouverne. Avant même qu’existent les systèmes politiques
représentatifs, le consentement de la population s’avérait essentiel au maintien de
l’ordre public et la communication constituait un des ingrédients essentiels à la
cohésion minimale de toute communauté politique ; la cité d’Aristote n’existe que si
l’« animal politique » (zoon politikon) possède la faculté du langage et le « tribunal
du peuple » de Rousseau, c’est-à-dire l’opinion publique, « exécute » bien avant le
pouvoir judiciaire formel.
Encadré n°1
L’homme est, selon Aristote, un zoon politikon, c'est-à-dire, littéralement, un animal civique, un
animal citoyen. L’adjectif politikon est dérivé du mot polis, qui signifie cité. En d’autres termes, il
est, selon Aristote, dans la nature de l’homme de se comporter comme un citoyen, d’avoir pour sa
cité un attachement tel qu’il exposera sa vie pour la défendre après avoir consacré une part
importante de son temps à ses institutions.

Même dans les régimes totalitaires, les dirigeants politiques ne peuvent, à long terme,
faire l’économie d’une certaine recherche d’acceptation, par la société civile, des
dominations instituées sur elle. La communication loge au cœur de l’organisation
~6~

politique parce que s’installer aux rênes du pouvoir ou s’y maintenir exige de
convaincre. Le ministre de la propagande d’Adolphe Hitler, Joseph Goebbels, veillait
au juste équilibre entre la propagande politique et le divertissement, restreignant la
première à certains moments pour mieux assurer son contrôle sur l’ensemble de la
population allemande. Convaincre est une affaire d’esprit et de cœur, de raison et de
plaisir.

Qu’elle soit le fruit d’un instinct politique sûr ou le résultat d’un travail systématique
et acharné, la persuasion collective joue un rôle central en politique. Machiavel,
l’ancêtre des experts en relations publiques, enseigne à son Prince ce qui convient
pour se faire estimer. Le stratège italien conclura d’ailleurs que la meilleure des
forteresses pour les dirigeants consiste à ne pas être haï du peuple, ce qui suppose une
disposition d’esprit favorable à l’égard de celui-ci, ou du moins son apparence, et la
capacité de la faire connaître.

Pour fondamentale que soit la communication politique dans toute société, son intérêt
s’accroît en démocratie et dans les sociétés hypermédiatisées comme celles qu’on
trouve en Occident. La démocratie ayant érigé la légitimité du peuple comme
première, aussi faut-il, pour gouverner, s’assurer d’un appui sinon indéfectible et
consensuel, du moins relativement sûr et majoritaire, un appui qui se manifeste sans
cesse, à l’encontre des règles de la démocratie parlementaire.

Les systèmes politiques fondés sur la représentation nécessitent l’obtention du


consentement et cela plus souvent qu’aux quatre ou cinq ans, d’où la nécessité de
lieux de débats citoyens et l’instauration inévitable d’un jeu social visant l’obtention
de l’appui populaire. Jeu social dont les outils principaux sont les médias, les
sondages, les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC)
et tous les mécanismes de communication. Jeu social dont les armes sont le langage
et l’image, les symboles, les stéréotypes et les mythes. Jeu social fondé sur
l’idéologie, mais qui s’inscrit aussi dans la politique-spectacle, c’est-à-dire le
~7~

mélange des genres entre la politique et les loisirs en tout genre : le théâtre, les sports,
les jeux, les prières, les danses, les chansons, etc.

Nonobstant les réflexions millénaires sur la communication politique, ce champ


interdisciplinaire est fort jeune si on considère son institutionnalisation, qui date des
années 1970. Mais au XXe siècle, il faut souligner l’importance des deux Guerres
mondiales pour l’étude de la propagande (Lasswell, 1927 ; Tchakhotine, 1939) ; puis
on s’intéresse à la persuasion (Hovland, Janis et Kelley, 1953 ; Hovland, 1957 ; Ellul,
1962), aux symboles (Lasswell, Lerner et de Sola Pool, 1952) et au langage politique
(Lasswell et Leites, 1949).

A partir des années 1920, l’opinion publique constitue un sujet de recherche


privilégié, qu’il soit traité comme un phénomène sociologique (Lippmann, 1922) ou
compris comme l’agrégation des opinions individuelles (Lazarsfeld, Berelson et
Gaudet, 1948). Cet intérêt est d’ailleurs attesté par la création de la revue Public
Opinion Quarterly en 1937. Les travaux de l’Ecole de Francfort comptent aussi parmi
les premiers à lier médias de masse et politique ; on y compare le conformisme
politique et social de l’Allemagne des années 1930 et des États-Unis des années
1950, le premier suscité par l’autoritarisme fasciste et le second par la société de
consommation.

Au total, les thèmes les plus populaires de la communication politique durant les sept
premières décennies du XXè siècle concernent en majeure partie les effets des médias
sur la formation des opinions individuelles et collectives. A différentes époques, des
mots-clés seront successivement (et quelquefois concurremment) utilisés, reflétant
non seulement les modes intellectuelles, mais aussi la manière d’appréhender les
phénomènes de communication politique : propagande, persuasion, opinion publique,
symbolisme, langage politique, publicité, marketing, réception. Plusieurs imposants
bilans de la recherche d’avant les années quatre-vingt laissent voir la multiplicité des
~8~

angles adoptés par les auteurs ; sociologique, historique, philosophique,


psychologique et positiviste.

1. Pourquoi la « communication politique » ?

La plupart des organisations sociales – peut-être même toutes, comme tendent à le


montrer les travaux anthropologiques, parmi lesquels ceux de Georges Balandier
(1980) – cherchent à se mettre en valeur pour susciter l’adhésion et, à défaut, au
moins l’acceptation de la part des sujets du pouvoir. Les sociétés contemporaines
n’échappent pas à la règle. Cependant, la professionnalisation de l’activité politique
va de pair avec l’apparition, la consolidation et la multiplication des auxiliaires de
l’autorité politique et participe, pour emprunter la terminologie de Norbert Elias, de
l’« allongement des chaînes d’interdépendance des circuits de légitimation » des
détenteurs du pouvoir politique. Ce sont toutes ces activités qui recouvrent ce qu’il
est convenu de nommer la « communication politique ».

La communication politique désigne l’ensemble des techniques permettant de


favoriser le soutien de l’opinion publique lors de l’exercice d’un mandat ou de la
conquête du pouvoir. De nos jours, elle est devenue omniprésente, certains auteurs
tels que Philippe Breton et Serge Proulx n’ont pas hésité à intituler leur livre
introduisant à cette discipline : L’explosion de la communication (1989). Liée au
développement des nouveaux médias et à l’importance de l’opinion publique en
démocratie, la communication politique trouve sa justification sous-jacente au fait
que les raisons objectives qu’ont les citoyens d’être satisfaits ou non de leurs
gouvernants sont moins importantes que les perceptions qu’ils ont de leur vécu.

La communication politique se présente comme un ensemble disparate de théories et


de techniques, mais elle désigne aussi des pratiques directement politiques. Elle
inspire des stratégies et des conduites qui varient selon les positions de pouvoir
occupées et les situations vécues par les acteurs concrets de la vie politique.
~9~

Contrairement aux idées reçues, la communication n’est pas l’ennemie de la


démocratie. A tous les niveaux, la politique a besoin de communication pour se
réaliser pleinement. Au niveau anthropologique, la communication intervient comme
mise en scène des détenteurs du pouvoir, associée à un travail de légitimation de
l’autorité. Au niveau gouvernemental, la communication est liée à la propagande qui
contrôle les représentations sociales et mobilise les gouvernés ou à l’art d’assurer la
publicité la plus favorable aux actions entreprises. Au niveau électoral, la
communication s’apparente à un travail persuasif, pour s’attirer les suffrages. Au
niveau axiologique (c’est-à-dire ici au niveau des valeurs de la démocratie), la
communication est assimilée à l’échange d’arguments rationnels entre individus
libres et égaux. Elle s’avère constitutive du pacte démocratique et de l’avènement
d’un Espace public, où la libre expression dans le respect de procédures garantissant
la reconnaissance d’autrui, permet un fonctionnement pacifié du système politique.

Concrètement et selon Ph. Braud, une composante essentielle de l’exercice du


pouvoir renvoie à l’exercice de la parole, à l’ordre du discours. S’agit-il d’une activité
largement stérile ? Cette opinion traverse parfois les jugements du sens commun,
alimentant ainsi une certaine hostilité aux hommes et femmes politiques. En réalité,
les effets de langage, démultipliés par l’écho que leur donnent les moyens modernes
de diffusion, font partie intégrante d’une action efficace auprès des gouvernés.

Comme nous allons le voir plus tard, dans toute communication politique, celle des
gouvernants comme celle des opposants, deux niveaux sont toujours à considérer.
1° celui de l’information proprement dite, quand il convient d’afficher une prise de
position, faire part d’intentions ou de propositions, annoncer des décisions.
2° celui de la légitimation. Il s’agit de justifier les analyses ou les choix opérés en
multipliant les signaux qui doivent fortifier la confiance des destinataires dans celui
qui parle, voire, plus largement, dans sa famille politique sinon même dans le
système politique tout entier.
~ 10 ~

Savoir communiquer a toujours été une tâche importante des responsables politiques,
à toute époque, mais, de nos jours, avec le développement des outils modernes de
communication et l’importance en démocratie du soutien de l’opinion publique, cette
dimension du travail politique est devenue fondamentale.

Encadré n°02
Par légitimation, il faut entendre les mécanismes matériels et symboliques qu’utilisent les
détenteurs du pouvoir et visant à rendre ce dernier acceptable, voire souhaitable, aux yeux des
gouvernés. Le travail de légitimation a pour objectif principal de transformer l’obéissance en
adhésion à l’ordre social et politique en place. A ce titre, dans les rapports de pouvoir, il est un
moyen essentiel par lequel les gouvernants cherchent à générer du consentement – ou limiter la
résistance – aux formes sociales de la domination, aux règles du jeu politique (quand il existe) et à
leurs décisions.

2. Existe-t-il une science de la communication politique ?

Depuis les premiers travaux sur la psychologie des foules à l’âge des médias de
masse jusqu’aux recherches récentes sur les effets des réseaux socionumériques sur
l’opinion, de nombreux chercheurs se sont intéressés aux questions que l’on regroupe
aujourd’hui derrière l’expression « communication politique » : propagande et
techniques de mesure et de suggestion des opinions ; marketing politique et technique
de mobilisation électorale ; couverture médiatique de la politique. Pour autant,
l’analyse de la communication comme pièce centrale du processus politique suppose
une connaissance approfondie du fonctionnement des institutions, des acteurs et des
pratiques politiques ainsi qu’une attention sourcilleuse aux changements culturels,
économiques et techniques des sociétés.
Au croisement de plusieurs disciplines (sociologie, science politique, sciences de la
communication, sciences du langage), le champ d’études de la communication
politique tend presque partout à s’autonomiser, mais la production scientifique la plus
solide a toujours partie liée avec les études politiques quand elle ne constitue pas une
branche reconnue de cette discipline.
~ 11 ~

La reconnaissance officielle de la communication politique date de 1973, alors que


des sections de communication politique naissaient simultanément à l’intérieur de
l’International Association of Communication (IAC) et de l’American Association of
Political Science (AAPS). En 1980 naissait Political Communication and Persuasion
: An International Journal (de Georgetown University, à New York) dont l’objectif
visait à cerner les rôles des gouvernements et des organisations
intergouvernementales et non gouvernementales comme « communicateurs politiques
», avec un accent particulier sur la propagande et la guerre psychologique. En 1992,
cette revue a laissé sa place à Political Communication, gérée conjointement par
l’IAC et l’AAPS ; la politique éditoriale s’étend à tous les aspects de la vie politique,
incluant la pensée politique et les idéologies, les partis et les groupes de pression, la
rhétorique, la propagande, les relations des médias avec les gouvernements. Au
nombre des revues s’intéressant à la communication politique, on note : Critical
Studies in Mass Communications, Media, Culture and Society, Politix, Hermès,
Réseaux, Les cahiers du numérique, Mots, The European Journal of
Communications, Communications.

Par ailleurs, si l’institutionnalisation de la communication politique peut aisément


être située, l’identification précise de ses origines intellectuelles et son évolution,
c’est-à-dire la trajectoire des idées liant pouvoir et communication, peuvent
difficilement prétendre à l’exhaustivité, tant la communication constitue un
phénomène « intrusif » et constitutif dans l’exercice du pouvoir et tant le politique,
dégagé de son attachement aux institutions, innerve tous les rapports sociaux.

3. Objectifs du cours

Pour tenter d’intégrer les aspects multiples de la communication politique, ce cours


s’intéressera d’abord au substrat théorique des analyses, la modernisation technique
de l’espace public politique et introduira une présentation et une réflexion sur les
effets de la communication politique souvent mis en cause. Ensuite, partant du
~ 12 ~

mouvement historique au terme duquel l’espace public, les médias de masse et la


mesure de l’opinion sont devenus un enjeu central du jeu politique, ce cours
présentera les évolutions d’une science de la communication politique née au
croisement de la recherche universitaire, de la publicité des affaires politiques et de
l’économie des médias. Par la suite, il parlera de l’invention puis de la consécration
de nouveaux « métiers » des « spin doctors » dans la division du travail politique.

Ainsi, ayant puisé aux deux traditions – nord-américaine et européenne – de la


recherche en communication politique, ce cours entend donner aux étudiants des clés
pour comprendre les tendances historiques et les soubassements sociologiques qui ont
contribué à faire de la communication politique le phénomène omniprésent tel qu’on
le connaît aujourd’hui. De même, partant du poids des dynamiques sociopolitiques et
des contextes, ce cours fait découvrir aux étudiants les processus de temps long qui
ont placé l’opinion publique au centre de gravité des systèmes politiques
contemporains, ceux aussi qui ont conduit à une médiatisation accélérée du jeu
politique et ceux enfin qui ont entrainé l’émergence de nouveaux métiers spécialisés
dans la communication politique.
~ 13 ~

Chapitre Premier
COMMUNICATION POLITIQUE :
A LA RECHERCHE D’UNE DEFINITION

Selon Jacques Gerstlé, il s’agit d’« un objet flou ». En effet, ni la communication, ni


la politique ne se laissent aisément enfermer dans des définitions parfaitement
étanches. L’élasticité conceptuelle qui les caractérise a causé bien des tourments à
ceux qui ont cherché à les penser. En effet, pris isolément, le terme
« communication » peut constituer un défi de taille pour quiconque entreprend d’en
donner une définition générale. Et même si l’on met un instant de côté les dimensions
proprement techniques ou technologiques du problème (moyens, voies, supports,
systèmes, réseaux, outils…de communication), les sociétés humaines restent le cadre
de formes très différentes de communication selon que l’on considère l’échelle
(verbale/non verbale, interpersonnelle, médiatique, etc.), l’intention (informer,
persuader, engager ou maintenir le lien social, etc.) ou le cadre d’activité (le
commerce, les affaires, la santé, etc.).

Cependant, si on lui accole l’épithète « politique », la communication que l’on


désigne de la sorte prend spontanément sens. Sans doute parce que celle-ci renvoie à
des éléments aisément identifiables en termes de rôles (chefs, candidats, élus, etc.), de
logiques d’action (gouverner, convaincre, séduire, enrôler) et de situations
(manifestation du pouvoir, débats politiques, campagnes électorales). L’expression
« communication politique » est donc assez transparente, comme disent les
linguistes, au sens où sa signification est facilement et largement accessible.

Pour Lynda Lee Kaid (2004), la communication politique peut se comprendre comme
la « part prise par la communication dans le processus politique ». Même si cette
définition extrêmement laconique ramasse l’essentiel du sujet qui nous occupe dans
ce cours, il ne faudrait pas perdre de vue qu’en ce début du XXIème siècle le processus
politique déborde largement le cadre traditionnel de l’action des institutions
~ 14 ~

politiques, des campagnes électorales et de leur couverture par les médias. Raison
pour laquelle la communication politique comprend aussi le rôle de la communication
dans le travail de gouvernement, c’est-à-dire les activités de communication qui
visent à influencer le fonctionnement des organes exécutifs, législatifs et judiciaires,
les partis politiques, les groupes d’intérêt et les autres parties prenantes du processus
politique. Ainsi, si l’on admet que la notion de communication politique recouvre
tous les usages d’informations et de symboles contenant une charge politique ou
servant des intentions politiques, l’échelle de vue sur l’objet s’élargit donc de façon
notable et appelle un exercice actualisé de définition.

Pour illustrer cette polysémie de la communication politique, nous allons d’emblée


présenter quatre conceptions qui, pourtant, ne prétendent pas à l’exhaustivité même
si elles couvrent un large spectre de représentations du phénomène. Dans ce premier
chapitre, nous verrons que l’appréhension intellectuelle de cet « objet flou », passe,
tout d’abord, par la distinction de différentes conceptions concurrentes de la
communication politique avant de montrer en quoi politique et communication sont
largement consubstantielles parce que liées par des phénomènes tels que la
publicisation, la politisation et la polarisation. Ensuite, nous concentrerons l’attention
sur les processus de communication et les différentes approches théoriques qu’il a
suscitées.

1. Les quatre conceptions théoriques de la communication politique

Sans nécessairement adhérer au déterminisme technologique, il faut considérer l’idée


que les médias modifient les conditions de déroulement du jeu politique. Mais,
partant de cette transformation induite par la diffusion de l’innovation technologique,
on a souvent très rapidement construit un discours fragile sur la communication
politique assimilée à une technique innovante. Dans l’entendement de J. Gerstlé,
« rien n’est plus douteux que cette réduction qui fait passer pour un instrument neuf
ce que l’homme a pensé depuis bien longtemps comme une question et une condition
~ 15 ~

de sa participation à la cité ». Le développement de la publicité commerciale, du


marketing et des relations publiques, le recours aux techniques d’enquêtes comme les
sondages et les analyses qualitatives, la diffusion massive des messages politiques par
les médias ont concouru à faire émerger une industrie politique à laquelle on assimile
aujourd’hui trop facilement à la communication politique. Ainsi, nous distinguons 4
conceptions de la communication politique.

1. 1. Une conception instrumentale

C’est une vision où la communication politique est constituée par l’ensemble des
techniques et procédés dont disposent les acteurs politiques, le plus souvent les
gouvernants, mais seulement, pour séduire, gérer et circonvenir l’opinion publique.
Cette conception est fondée sur une vision très contemporaine de la communication
politique. Cette représentation mutile la communication tout autant que la politique,
notamment parce qu’elle les dissocie. C’est une conception à la fois instrumentale et
manipulatoire en ce sens qu’elle projette une conception technique de la première sur
une conception manipulatoire de la seconde. Il s’agit d’une conception technocratique
du problème de la communication politique principalement considérée comme
habilitée à gérer une image (il est possible de maîtriser ou changer l’opinion
publique).

Dans cette logique réductrice, certains vont jusqu’à assimiler communication


politique et « marketing politique » et à considérer la nouvelle communication
politique comme le produit de trois techniques : la télévision, les sondages et la
publicité (Cayrol, 1986). C’est l’idée que la politique est un produit sur un marché et
que des stratégies sont possibles, à la fois pour ajuster le produit politique aux
attentes du marché ou bien parallèlement pour modifier les attentes des
consommateurs en vue de leur faire accepter le « produit » proposé. Critiquant cette
acception instrumentaliste de la communication politique, Ph. Riutort (2007) définit
cette dernière comme étant « l’ensemble des actions conduites par des professionnels
~ 16 ~

de la communication agissant pour le compte des professionnels de la politique et à


destination des gouvernés ».

1. 2. Une conception « œcuménique »

NB. L’œcuménisme est une tentative de rapprocher, de faire dialoguer les religions
entre elles, chrétiennes d’abord et l’ensemble des religions ensuite. Dominique
Wolton veut dire qu’il va essayer de concilier les points de vue des trois acteurs.
A la conception strictement instrumentale, s’oppose une vision œcuménique de la
communication politique définie comme « un processus interactif concernant la
transmission de l’information entre les acteurs politiques, les médias d’information et
le public » (Rippa Norris, The Virtuous Circle : Political Communication in Post-
industrial Societies, 2000). Cette conception tend à éluder le rapport de domination
entre gouvernants et gouvernés, et sous-estime l’échange d’autres biens que
l’information, notamment les biens symboliques tels que les images, les
représentations ou les préférences.

Cette définition est très proche de celle de Dominique Wolton qui indique que la
communication politique est « l’espace où s’échangent les discours contradictoires
des trois acteurs qui ont la légitimité à s’exprimer publiquement sur la politique et qui
sont les hommes politiques, les journalistes et l’opinion publique au travers des
sondages » (Les Essentiels d’Hermès, La Communication politique, 2008). Dans le
même ordre d’idée, J.-M. Cotteret trouve qu’il s’agit de « l’échange d’informations
entre gouvernants et gouvernés par des canaux de transmission structurés ou
informels » (1973).

Ces définitions élargissent la perspective instrumentale en ce sens que les 3 types


d’acteurs identifiés et leurs discours font système et sont en interrelation. Ils
expriment les 3 formes de légitimités : la légitimité du pouvoir en place, la légitimité
de l’information et la légitimité de l’opinion publique. C’est donc un espace des
~ 17 ~

différents types d’acteurs d’où les démocraties modernes sont confrontées à 3 types
de dimensions :

- Une dimension politique ; c’est-à-dire l’élargissement du politique ;


- Une dimension de l’information : les possibilités et les potentialités de
l’information se sont démultipliées énormément ;
- Une dimension de communication. Selon Jürgen Habermas auteur de L’espace
public (…), Paris, Payot, 1978, la démocratie se caractérise par l’existence de
l’espace de confrontation entre les pouvoirs publics et les masses.

Notons qu’en communication politique ne s’expriment que ceux qui s’autorisent à le


faire ; c’est-à-dire ceux qui acceptent une certaine publicité de leurs discours. Prendre
part à la communication politique, c’est prendre le risque de la publicité de son
discours.

Cette définition montre que la communication politique a un aspect de confrontation


des points de vue différents et valorise le rôle du public. Par rapport à la définition
instrumentale, elle montre que la communication existe dans le sens descendant des
gouvernants vers les gouvernés mais aussi dans l’autre sens. A partir de là, D. Wolton
identifie trois fonctions de la communication politique pour déterminer à quoi elle
sert :

- La communication politique peut contribuer à identifier les problèmes


nouveaux qui surgissent dans la société (thématique de la mise sur agenda) ;
- La communication politique peut contribuer à favoriser l’intégration de ces
nouveaux problèmes à l’espace public en leur assurant une légitimé ;
- La communication politique peut faciliter l’exclusion des thématiques qui ne
sont plus l’objet de conflit ou pour lesquels un consensus temporaire existe.
~ 18 ~

Néanmoins, cette conception présente quelques limites.

En effet, cette notion d’échange semble impliquer une communication plus


symétrique que complémentaire et semble ignorer de grands cas des disparités de
toute nature qui contraignent certains plus que d’autres dans cet exercice. Autrement
dit, dans cette conception œcuménique, tout se passe comme si l’égalité présidait à
l’accomplissement des échanges communicationnels, avec de surcroît une
indétermination conceptuelle forte quant à la nature de l’information transmise. Ainsi
par exemple, le discours à la nation télévisé du chef de l’Etat a-t-il la même portée
que la manifestation d’un groupe de syndicalistes enseignants réclamant
l’augmentation des salaires !

Tous les acteurs ne sont donc pas à égalité ou n’ont pas les mêmes possibilités
d’accéder à la communication politique. Par ailleurs, les acteurs concernés
n’échangent pas que des informations. On sait bien que d’autres biens symboliques
sont en cause comme les images, les représentations, les préférences, etc. De même,
on suppose une certaine sincérité de la communication politique alors que parfois elle
peut générer de mensonges. Enfin, on s’interroge sur la place des journalistes en tant
qu’intermédiaires entre les acteurs politiques et les masses.

1. 3. Une conception compétitive

Dans Elections medias and the modern publicity process (1990), Jay G. Blumler
décrit la substance de la communication politique dans cette conception. Selon cet
auteur, la communication politique est « une compétition pour influencer et contrôler,
grâce aux principaux médias, les perceptions publiques des événements politiques
majeurs et des enjeux ». Avec cette conception, on passe de l’échange indéterminé à
la lutte explicite pour le contrôle des représentations collectives, les médias faisant
une entrée spectaculaire dans le processus. La communication politique va être
caractérisée par un travail sur les événements et sur la représentation du sens des
~ 19 ~

évènements, sur les perceptions. Cela renvoie à un rôle de constructeur du sens de


l’événement.

Cette définition montre qu’il s’agit de se placer dans une compétition entre différents
types de discours et d’enjeux du moment. Il y a lutte pour le contrôle des perceptions
des évènements politiques et des enjeux. Cette définition présente l’avantage de
montrer que l’on est dans une compétition et non dans un échange égalitaire, sans
objectif de domination, pour donner un sens aux évènements. La question posée est
aussi celle des effets des médias comme si l’on pouvait contrôler la perception des
événements par l’opinion publique.

Selon Dominique Wolton (« Les contradictions de la communication politique »), il


peut y avoir donc déséquilibre entre les trois discours de la communication politique.
En effet, on a vu que la communication politique est un processus équilibré fragile
entre les trois discours (journalistes, politiques, opinion publique) dont l’enjeu est la
maitrise, momentanée, de l’interprétation de la réalité dans une perspective qui est
toujours liée à la prise de pouvoir, ou à son exercice. Cela peut être à la source d’au
moins trois risques :

1° Le premier risque est celui où les médias mangent la politique : risque bien connu
de la « politique spectacle » ;
2° Le second risque est celui où les sondages mangent l’opinion publique, en donnant
le sentiment d’une représentation possible de celle-ci. Ce qui est gagné en simplicité
est perdu en complexité, et vérité.
3° Enfin, le troisième déséquilibre résulte de la rupture de la relation entre médias et
opinion publique.

Hier, les journalistes représentaient l’opinion publique face aux hommes politiques.
Représentation libre et subjective puisque par définition, le journaliste parle en son
nom personnel. Il est aussi le porte-parole implicite de cette opinion, au nom de
~ 20 ~

laquelle il pose des questions aux hommes politiques, ou les critiques. Il y a donc une
sorte de concurrence entre les deux représentations de l’opinion publique, celle des
sondages, celle des journalistes. Avec le risque suivant pour les journalistes : avec les
sondages, il y a une « représentation objective », en tous cas quantitative de l’opinion
publique que l’on peut trouver « supérieure » à celle des journalistes. Avec le risque
d’un renfermement du monde médiatique sur lui-même, ou d’une trop grande
subordination de celui-ci à l’industrie des sondages.

1. 4. Une conception délibérative

C’est une conception qui fait partiellement retour sur la révolution intellectuelle
grecque du Ve avant J. C. : la communication politique est consubstantielle à la
démocratie. Une démocratie est possible grâce à la discussion et au débat collectif.
Tous les citoyens sont appelés à formuler des raisonnements et à participer à la
formation des choix politiques (Jürgen Habermas, Joshua Cohen). Inspiré par une
théorie normative de la démocratie, J. Cohen écrit : « la notion de démocratie
délibérative s’enracine dans l’idéal intuitif d’une association démocratique dans
laquelle la justification des termes est des conditions de l’association procède d’une
argumentation et d’un raisonnement public de citoyens égaux. Les citoyens, dans un
tel ordre, partagent un engagement commun vis-à-vis de la résolution des problèmes
de choix collectifs à travers un raisonnement public, et considèrent leurs institutions
de base légitimes dans la mesure où elles établissent un cadre favorable à une
délibération publique libre » (J. Cohen, 1989).

Qui plus est, bien que plusieurs auteurs se soient penchés sur l’apparition historique,
dans le sillage des Lumières, d’une pratique sociale de délibération critique sur les
affaires publiques, c’est au philosophes et sociologue allemand Jürgen Habermas que
l’on doit la première et sans doute la plus aboutie formalisation théorique du concept
d’espace public. Héritier de l’école de Francfort, Habermas s’est attaché à travers son
œuvre, d’une part, à repérer les lieux, les signes et les agents de l’émergence d’une
~ 21 ~

telle « sphère publique » dans la période pré-révolutionnaire (XVIIe – XVIIIe siècles)


et, d’autre part, à en décrire les transformations au cours des deux siècles suivants.

Encadré n°03
Ecole de Francfort : Groupe de philosophes et de sociologues allemands réunis autour de l’Institut
de Recherche sociale fondé à Francfort en 1923 et qui sera à l’origine de la théorie critique. Deux
noms sont considérés comme les figures tutélaires de cette école : Max Horkheimer (1895-1973) et
Theodor W. Adorno (1903-1969). Les deux auteurs ont publié en 1947 La dialectique de la raison
(traduit en 1974), qui est un ouvrage de critique de la société des médias de masse, dans lequel ils
développent l’idée selon laquelle les industries culturelles (film, médias et loisirs), loin de permettre
une émancipation par la culture, uniformiseraient plutôt les perceptions sociales des individus et les
maintiendraient dans un état de domination. Pour la plupart juifs et marxistes, ces intellectuels
seront contraints de s’exiler aux Etats-Unis dans les années 1930 en raison de la montée du
nazisme. Erich Fromm, Herbert Marcuse et Walter Benjamin appartiennent également à ce courant
de pensée.

Ceci dit, la vision de J. Habermas d’un public éclairé et capable de suspendre ses
intérêts pour débattre rationnellement manque toujours d’assises sociologiques. Son
cadre théorique modifié se fonde sur la théorie de l’agir communicationnel qui « doit
dégager un potentiel de rationalité inscrit dans la pratique communicationnelle
quotidienne… » (ibid., 1992, p. 177). Habermas persiste à imaginer que l’être humain
peut être exempt de passion, dégagé de ses intérêts et surtout fondamentalement
intéressé par la chose publique ; il conçoit le règlement des conflits à l’extérieur des
rapports sociaux, d’où l’idée que la société peut assurer l’égalité de tous.

2. L’interface politique/communication

S’agissant de l’interface « politique/communication », il faut dire que la


communication politique est un objet d’étude difficile à saisir parce qu’elle prend
appui sur des concepts eux-mêmes déjà surchargés de sens dont les relations ne
peuvent être que problématiques et les manifestations multidimensionnelles. Telle
~ 22 ~

qu’employée dans le discours politique, journalistique et scientifique d’aujourd’hui,


la notion de communication politique est extrêmement confuse. Ce qu’on appelle
aujourd’hui « communication politique » est un domaine aux contours très incertains
selon qu’on le considère comme un ensemble de théories, de techniques ou de
pratiques. C’est un savoir caractérisé par l’interdisciplinarité et la diversité des
approches tenant à la transversalité des problèmes posés. La sociologie, la
linguistique, la sémiotique (étude des systèmes de signes et de significations
linguistiques), l’anthropologie, le droit, l’histoire, la psychologie, la philosophie sont
autant de sites d’analyse de la communication politique que la science politique doit
s’efforcer d’intégrer à ses propres interrogations en faisant face aux différents
paradigmes qui s’y affrontent. Mais la communication politique s’entend aussi
comme procédé. Elle s’apparente alors à une boîte à outils autorisant tous les
bricolages, de la rhétorique à base du langage naturel au marketing direct des
campagnes high-tech. Le recours croissant à ces techniques s’accompagne d’une
transformation de l’espace public et de ses règles du jeu.

Faut-il vraiment s’étonner que le sens de l’expression « communication politique »


soit incertain tant les termes qui la composent sont polysémiques ? L’étymologie
latine communicare renvoie à deux significations principales : partager et transmettre
ou établir une relation, qui se perpétuent dans l’ambiguïté moderne. Nombreux sont
les sociologues à considérer le caractère fondamental de la communication dans
l’établissement du lien social quelle que soit par ailleurs leur obédience théorique.
Selon Luhmann (1981), « sans communication, il n’est pas de relations humaines.
D’où l’impossibilité, pour une théorie de la communication, de se limiter à l’étude de
certains aspects de la vie sociale. Elle ne saurait se borner à l'analyse d’un certain
nombre de techniques de communication, même si, dans la société d’aujourd’hui, ces
techniques et leurs incidences, en raison de leur nouveauté, retiennent tout
particulièrement l’attention ».
~ 23 ~

Deux points sont ici fondamentaux auxquels il faut souscrire entièrement : tout
d’abord, les aspects techniques ne sont qu’une dimension du processus de
communication. Ensuite, ce n’est pas de la communication mais bien de la politique
qu’il faut partir pour comprendre les processus de communication politique. A ce
propos, Luhmann n’hésitait pas à prédire en 1981 que « le rapport entre
communication et société apparaîtra non seulement comme le sujet d’une étude
spécifique de la communication, mais comme le thème central des études de
communication dans la science sociale dans son ensemble ».

3. Le tryptique « publicisation – politisation – polarisation »

Pour penser la communication politique, deux approches principales sont à


distinguer. Une approche dissocie communication et politique et donne au premier
concept la priorité pour comprendre le processus de la communication politique.
L’autre approche insiste sur la consubstantialité de la politique et de la
communication. Pour mieux comprendre l’articulation du politique à la
communication, examinons comment le tryptique « publicisation-politisation-
polarisation » révèle cette consubstantialité.

La publicisation d’un problème c’est précisément le processus par lequel l’unité


sociale concernée reconnaît son existence en tant que problème, en tant qu’écart par
rapport à une situation désirable. Autrement dit, la publicisation d’un problème, c’est
son installation dans l’agenda public du groupe qui passe par l’exercice d’opérations
de communication (conversations, discussions, réunions, manifestations, etc.) par
lesquelles le groupe des « entrepreneurs » originels fait connaître et admettre le
caractère problématique de la situation existante, par exemple l’absence d’un
équipement collectif.

Quant à la politisation, c’est le travail qui consiste à affecter à une autorité publique
la prise en charge du problème ainsi publiquement reconnu. Politiser une situation,
~ 24 ~

c’est faire reconnaître que le règlement du problème revient à l’autorité publique


quelle qu’elle soit. Bref, c’est la construction de ce que les Anglo-saxons nomment
l’accountability qui est un principe central de la démocratie représentative qui
suppose un travail de communication où s’investissent à divers titres des groupes
intéressés qui viennent s’agréger aux entrepreneurs originels.

Enfin, la polarisation signale que des « projets mutuellement exclusifs », selon


l’expression de Samuel Finer dans Comparative Government, 1970 se sont solidifiés
et prétendent porter le règlement adapté à la situation problématique.

La communication, prérequis du lien social indispensable à l’unité politique, vient


servir la publicisation, la politisation et la polarisation par l’expression qu’elle permet
de l’insatisfaction, par le transfert des responsabilités qu’elle autorise, par la
formation des programmes d’action alternatifs et finalement par la réduction
pacifique de la tension dans la politique démocratique.

Ainsi, la politique ne se définit pas par un ensemble de secteurs ou de problèmes


définitivement isolables dans la société puisque n’importe quelle question dans la
société peut devenir politique à un moment donné. L’activité politique concerne donc
l’émergence des problèmes collectifs, la révélation des demandes adressées aux
autorités publiques, l’élaboration de projets de solution. Dans chacun de ces
processus se trouve impliquée la communication dont la contribution est
omniprésente, qu’il s’agisse de la socialisation et de la participation, de l’élaboration
de l’agenda, de la mobilisation ou de la négociation. En particulier, la communication
est fondamentale dans le mécanisme de détermination des politiques publiques.

4. Communication politique comme processus multidimensionnel


Trois dimensions peuvent être retenues comme fondamentales pour la
communication politique dont l’importance varie selon les approches théoriques : la
dimension symbolique, la dimension pragmatique et la dimension structurelle.
~ 25 ~

4. 1. La dimension pragmatique

La pragmatique désigne l’étude des pratiques de communication effectives. Par


extension de la sémiologie, ou théorie des signes, qui fait l’étude de la relation entre
les signes et leurs usagers, la pragmatique concerne davantage « la relation qui unit
l’émetteur et récepteur en tant qu’elle est médiatisée par la communication »
(Watzlawick et al. 1972). Ici, il est suggéré que la communication politique est
utilisée pour interagir selon les modalités variables telles que, entre autres, persuader,
convaincre, séduire, informer, commander, négocier, inviter à. Ce n’est pas le
contenu du message ni la structure d’un système de communication qui sont en cause
mais bien la forme de la relation sociale qui s’établit à l’occasion de la
communication. En effet, le sens commun admet volontiers que « plus on se parle,
mieux on se comprend ».

4. 2. La dimension symbolique

C’est aussi la manipulation de symboles visant à emporter la conviction des


destinataires des divers messages formulés. Dans une large mesure, l’activité
politique repose sur l’utilisation du langage. Qu’on veille persuader ou convaincre,
négocier ou intimider, le recours au langage se présente comme une alternative à la
violence physique. Selon J. Ellul, « la violence est toujours une incrédulité (absence
de foi) dans la possibilité des mots ». Si la politique est, certes, un univers de forces,
elle n’est pas moins celui de signes qui ont une efficacité sociale. Le langage et sa
réalisation en discours permettent de trouver l’accord, le compromis. Il a donc une
vertu pacificatrice dans les relations sociales. Mais le discours sert aussi le conflit, la
stratégie, la manipulation, la domination. Les signes sont aussi des armes, des
ressources dans le combat politique, non seulement par la possibilité qu’ils offrent
d’agresser un adversaire mais aussi parce qu’ils portent en eux des représentations du
monde, des perceptions de la réalité sociale et physique.
~ 26 ~

4. 3. La dimension structurelle

C’est enfin les canaux institutionnels, organisationnels, médiatiques et


interpersonnels dans le cadre desquels la communication se développe. Ces aspects
structurels de la communication concernent donc les voies par lesquelles elle est
acheminée : canaux, réseaux et médias qui permettent les flux de communication.

→ Les trois dimensions de la communication ; c’est-à-dire pragmatique, symbolique


et structurelle ne doivent pas être considérées comme exclusives l’une de l’autre
mais, selon les circonstances, se révèlent plus ou moins complémentaires. En utilisant
la métaphore informatique, on pourrait avancer que les aspects pragmatiques de la
communication sont l’équivalent du logiciel, les aspects symboliques sont les
données culturelles spécifiques à une communauté particulière alors que les aspects
structurels désignent le matériel de traitement de l’information. La communication
politique, c’est d’abord et avant tout de la politique. Nous la définissons comme
l’ensemble des efforts s’appuyant sur les ressources structurelles, symboliques et
pragmatiques pour mobiliser des soutiens et faire prévaloir une définition de la
situation qui est censée contribuer au règlement d’un problème collectif et/ou bien
rendre efficaces les préférences de l’acteur, c’est-à-dire son pouvoir.

5. La communication politique : un champ théorique concurrentiel

La communication politique représente aujourd’hui un domaine de connaissance où


se reflète parfaitement la concurrence des principaux paradigmes de la pensée
politique et des sciences sociales. Les théories rivalisent en raison de leur conception
du politique, de la communication, de leur relation et de l’accent qu’elles mettent sur
les aspects pragmatiques, symboliques ou structurels. Ainsi, plusieurs figures
inspirent les approches théoriques en compétition pour prendre en charge la question
de la communication politique.
~ 27 ~

5. 1. L’approche comportementaliste

En 1948, Lasswell énonce sa question « qui dit quoi, par quel canal et avec quels
effets ? » pour décrire une action de communication. La communication, d’abord, est
conçue comme une somme de facteurs : l’émetteur, le message, le récepteur, le code,
le canal et la situation. Elle est, ensuite, conçue comme un processus linéaire qui est
la transmission de l’information contenue dans le message depuis l’émetteur vers le
récepteur. Elle est, enfin, caractérisée par son effet sur le destinataire. Selon D. K.
Berlo, « nous communiquons pour influencer, pour exercer un effet conforme à nos
intentions ». Dans la perspective comportementaliste, la question des effets de la
communication est centrale. Les études de propagande jouent un rôle fondamental
dans les débuts de la recherche en communication politique et la propagande peut être
considérée comme une modalité de la communication persuasive qui, en général,
n’implique pas de dialogue entre la source et la cible et vise à conformer les
représentations, attitudes et conduites des propagandés aux préférences des
propagandistes.

5. 2. L’approche structuro-fonctionnaliste

Cette approche modifie la définition de la communication politique en l’inscrivant


dans le contexte de la société comme ensemble de systèmes en relations. La
communication politique consiste alors en l’ensemble des processus interactifs entre
les éléments d’un système politique et entre ce système et son environnement. Les
différents systèmes qui composent la société (systèmes politique, économique, social,
etc.) s’échangent des informations. On est dans une logique de circulation de
l’information à travers des flux qui assurent l’adaptation de chaque système à son
environnement.

Selon K. Deutsch, la communication n’a pas d’existence propre car c’est toute la
politique qu’il faut analyser en termes de communication car « diriger est avant tout
~ 28 ~

une affaire de communication ». Des flux d’informations sont filtrés par des écrans
pour aboutir à des décisions. L’efficacité du système est conditionnée par quatre
facteurs : le poids de l’information, le temps de latence nécessaire pour réagir, le gain
réalisé par chaque opération corrective et le déplacement de la cible de
communication.

Pour Almond, la communication est l’élément dynamique du système politique dont


dépendent les autres processus tels que la socialisation, le recrutement, la
participation. C’est la communication qui permet l’effectivité des autres fonctions de
conversion du système comme l’articulation et l’agrégation des intérêts. Chez David
Easton, enfin, la communication n’est pas présentée comme un concept central mais
tout son modèle repose sur la même logique d’échange d’informations entre le
système et son environnement. Les demandes et les soutiens qui entrent dans le
système politique sont transformés en décisions et reviennent agir sur
l’environnement par le mécanisme de feedback. L’approche srtucturo-fonctionnaliste
est inspirée par une conception holiste du politique (traite le politique dans son
ensemble).

5. 3. L’approche interactionniste

L’approche interactionniste de la communication politique s’impose dès qu’on


admet que la communication est une forme d’interaction. Elle présente deux courants
qui se distinguent notamment par le statut inverse qu’ils accordent à la dimension
symbolique et la dimension pragmatique de la communication. Pour
l’interactionnisme stratégique, la communication n’est pas limitée à l’utilisation de
signes codés puisque tout comportement est communication. L’interactionnisme
symbolique est l’étude des relations entre le soi et la société, considérées comme un
processus de communication symbolique entre les acteurs sociaux. Ainsi,
l’interaction symbolique est « l’activité dans laquelle les êtres humains interprètent
~ 29 ~

leurs comportements réciproques et agissent sur la base des significations conférées


par cette interprétation » (Blumler, 1969).

La construction de la réalité politique, avec ses mécanismes de réification


(transformation) et d’institutionnalisation du sens, s’effectue par la communication.
Sous toutes ses formes (information, argumentation, narration, illustration, etc.)
s’élaborent et se diffusent les définitions de la situation et l’étiquetage qui vont
orienter les schèmes de perception politique. L’analyse de la communication
politique en termes de récits à laquelle incite le narrativisme semble prometteuse. Elle
permet de confronter les « histoires » que racontent les acteurs politiques pour forger
ou consolider des identités collectives y compris la leur à travers leur présentation
d’eux-mêmes. L’étude des stratégies de communication montre, au total, que se
rejoignent dans le domaine politique les mécanismes symboliques et stratégiques de
l’interaction dans les « manipulations de l’impression politique » : « conquérir le
pouvoir, le contrôle des autres. Celui qui arrive à faire accepter par autrui ses vues y
arrive en contrôlant, en influençant et en soutenant sa propre définition de la
situation, puisque faire partager sa propre réalité par autrui, c’est le conduire à agir
dans le sens que l’on prescrit ».

5. 4. L’approche dialogique

Le modèle dialogique se constitue autour du mouvement des Lumières aux XVIIe et


XVIIIe siècles. Il est ainsi baptisé parce que le dialogue au double sens d’échange de
paroles et de rationalité à plusieurs, y est présenté comme la forme légitime de la
communication politique. Autrement dit, le modèle dialogique repose sur l’idée que
la légitimité réside dans le consensus obtenu par discussion. De ce fait, l’espace
public est décrit comme étant un espace de discussion, c’est-à-dire un lieu de
formation des consensus sur des questions pratiques ou politiques. C’est par le
discours que les hommes peuvent établir des points communs entre des opinions
contradictoires et délibèrent, c’est-à-dire qu’ils parviennent à une décision grâce à
~ 30 ~

une discussion argumentée. L’espace public résulte de l’interlocution des citoyens qui
accomplissent leur liberté dans la participation aux affaires publiques.

→ Au terme de cette confrontation des principaux modèles théoriques disponibles,


l’on constate que le clivage le plus fort réside dans l’opposition des modèles
comportementaliste et structuro-fonctionnaliste d’une part, constructiviste et
dialogique d’autre part. Les premiers travaillent surtout à partir d’une conception de
la communication vue avant tout comme transmission et circulation d’informations.
Les seconds font droit à la signification et la construction conjointe dans l’interaction
sociale pour faire émerger un monde commun positif ou normatif.
~ 31 ~

Chapitre 2.
ENJEUX, CARACTERISTIQUES ET FONCTIONS
DE LA COMMUNICATION POLITIQUE

1. Les enjeux de la communication politique

Ce qui est décisif en politique, ce ne sont pas les raisons objectives que les citoyens
peuvent avoir de se montrer satisfaits ou insatisfaits de leurs gouvernants, mais les
perceptions qu’ils ont de leur vécu. Il s’ensuit qu’une bonne communication politique
peut atténuer considérablement le niveau des mécontentements alors que des erreurs
en ce domaine peuvent, au contraire, se révéler ravageuses. Les critères de de succès
sont la capacité d’inspirer confiance et l’aptitude à faire partager ses propres grilles
d’analyse des situations.

1. 1. Imposer une crédibilité

En politique, la crédibilité des représentants et des gouvernants repose sur un


assemblage complexe de facteurs où se mêlent intimement d’authentiques arguments
rationnels et de puissants éléments d’ordre émotionnel. Au niveau de la politique
nationale par exemple, les médias modernes imposent une image d’apparente
proximité entre les citoyens et ceux des responsables politiques qui ont accédé à la
notoriété. En réalité, ce que perçoivent d’eux les citoyens, ce n’est pas la réalité
vivante d’une personnalité aux diverses facettes ; c’est un « profil symbolique »,
c’est-à-dire un ensemble relativement stylisé et figé de connotations, positives ou
négatives, qui lui sont associées. Dès lors, la maîtrise de la communication politique
joue un rôle décisif dans le processus qui façonne l’image publique du responsable
politique. Le trait de personnalité le plus important à construire ou à préserver est la
crédibilité ; c’est-à-dire l’aptitude à se faire écouter d’une oreille attentive et pouvoir
ainsi exercer une influence sur les débats du moment.
~ 32 ~

La position institutionnelle d’élu, a fortiori celle de gouvernant, confère en elle-


même une crédibilité minimale, surtout initialement.

1° D’abord, parce qu’elle témoigne d’un succès devant les urnes ou d’un crédit de
confiance accordée par une autorité légitime (dans le cas de la nomination).
2° Ensuite, parce qu’elle investit d’une compétence au sens juridique du terme : lato
sensu, celle de légiférer. Certains acteurs sont même en situation, parfois, de créer
une situation nouvelle par le seul fait de dire. C’est ce que l’on appelle l’énoncé
performatif : une prise de parole qui produit une action (John Austin, Quand dire
c’est faire, 1962). C’est par exemple le cas du président de l’Assemblée nationale
déclarant la séance ouverte/close, du candidat aux élections acceptant ou refusant de
se désister, du président de la CENI proclamant le vainqueur de l’élection
présidentiel, etc.

L’efficacité concrète de la prise de parole dépend du statut institutionnel de son


auteur. Mais il faut aussi, d’une certaine manière, la connivence des destinataires,
qu’elle soit spontanée ou contrainte. En effet, selon la formule de Pierre Bourdieu,
« le langage d’autorité ne gouverne jamais qu’avec la collaboration de ceux qu’il
gouverne, c’est-à-dire grâce à l’assistance des mécanismes sociaux capables de
produire cette complicité… » (Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, Paris,
Fayard, 1982).

La crédibilité politique d’un responsable politique ou d’un parti n’est jamais


définitivement acquise. Il s’agit d’une bataille constante autour de la pertinence des
propositions, des projets, des programmes et, quand il s’agit des gouvernants, du bien
fondé de leurs politiques. Le langage adopté est dominé par la nécessité de
convaincre ou du moins de séduire. Cependant, gouvernants et opposants affrontent
des logiques de situations assez différentes.
~ 33 ~

Pour les premiers ils courent le risque de se retrouver démentis par un bilan décevant
ou d’avoir à affronter une question embarrassante : « pourquoi n’avoir pas déjà
profité de l’exercice du pouvoir pour mettre en œuvre un programme aussi
séduisant » ? Mais gouverner, c’est décevoir. A plus long terme, le gouvernement
subira l’effet de backlash, c’est-à-dire le choc en retour lié aux désillusions
engendrées dans l’opinion par sa politique.

Quant aux opposants, ils ont des préoccupations différentes. Par nécessité tactique, ils
sont portés à exacerber attentes et exigences, à surenchérir sur les espérances à faire
naître. Leur intérêt en effet est de souligner ou de susciter les mécontentements
susceptibles d’affaiblir les gouvernants. Néanmoins, eux aussi courent le risque de
perdre leur crédibilité si une fois qu’ils arrivent au pouvoir, ils n’arrivent pas à
répondre aux attentes qu’ils avaient suscitées lorsqu’ils étaient encore opposants.

Les sondages d’opinion révèlent des « différentiels de crédibilité » entre personnalités


politiques et partis politiques sur la capacité à affronter les différents problèmes
inscrits sur l’agenda politique. L’intérêt des bénéficiaires est d’entretenir, par une
communication adaptée, l’avance qu’ils ont pu acquérir en tel ou tel domaine. Il est
au contraire dangereux de brouiller son image par des prises de position perçues
comme hésitantes ou contradictoires.

1. 2. Offrir des grilles de lecture

Murray Edelman (Politics and Symbolic Action, New York, Academic Press, 1971) a
montré que les croyances mais, surtout, les demandes et exigences politiques qu’elles
génèrent, ne sont, chez beaucoup de citoyens, ni rigides ni définitivement stabilisées.
Bien au contraire, elles apparaissent en réalité fréquemment sporadiques en
manifestations, variables en intensité, ambivalentes dans leur contenu. Les enquêtes
par sondages qui recueillent des réponses explicites à une question précise montrent
qu’entre deux moments d’enquête différents, il y a fréquemment inconstance sinon
~ 34 ~

même inconsistance de l’opinion dont la fluidité s’observe lorsque les sujets sont
suivis avec attention sur une période de temps suffisamment significative.

Cette observation est fondamentale car elle ouvre aux responsables politiques, en
interaction avec d’autres leaders d’opinion, la possibilité d’œuvrer en faveur d’une
restructuration des perceptions du vécu et d’une inflexion des attentes quant à
l’avenir. C’est ce que l’on appelle les « cadres de l’action » ou, dans un autre
vocabulaire, les « univers symboliques » de référence. Ainsi, le succès de l’action
politique, évalué en termes de satisfaction des citoyens, dépend-il non seulement de
mesures concrètement favorables mais aussi, voire bien davantage, des
représentations positives que les gouvernants réussissent ou non à susciter autour
d’elles. Or, ce travail s’effectue à travers le langage qui justifie la politique suivie,
mais il est également le fruit des dimensions symboliques qui s’attachent à l’action
elle-même. Il y a donc lutte pour imposer les mots qui font voir et qui font croire,
entre adversaires, aux fins de légitimer les représentations nécessaires à tous les
protagonistes.

2. Les caractéristiques de la communication politique

La communication politique est un processus indispensable à l’espace politique


contemporain en permettant la confrontation des discours politiques caractéristiques
de la politique : idéologie et l’action pour les hommes politiques, la communication
pour l’opinion publique et les sondages. Ces trois discours sont en tension
permanente car chacun détient une partie de la légitimité politique démocratique et
peut donc prétendre interpréter la réalité politique du moment en excluant l’autre. Le
caractère antagonique de chacun de ces trois discours résulte du fait qu’ils n’ont pas
le même rapport à la légitimité, à la politique et à la communication.

Pour les hommes politiques, la légitimité résulte de l’élection. La politique est leur
raison d’être. La communication est surtout assimilée à une stratégie de conviction
~ 35 ~

pour faire adhérer les autres, hommes politiques, journalistes ou électorat. Pour les
journalistes, au contraire, la légitimité est liée à l’information qui a un statut
évidemment fragile puisqu’il s’agit d’une valeur, certes essentielle, mais
contournable qui autorise à faire le récit des événements et à exercer un certain droit
de critique. Ils observent et relatent les faits de la politique sans jamais pouvoir eux-
mêmes en faire. Ils sont les « face à face » des hommes politiques. Pour les sondages,
« représentants de l’opinion publique », la légitimité est d’ordre scientifique et
technique. L’objectif est de refléter au mieux une réalité qui n’a d’existence objective
qu’au travers de la construction qu’ils en font. La politique constitue la principale
cause de leur succès pour l’anticipation qu’ils apportent parfois aux comportements
du corps électoral.

3. Rôle et fonctions de la communication politique

Le rôle essentiel de la communication politique est d’éviter le renfermement du débat


politique sur lui-même. En intégrant les thèmes de toute nature qui deviennent un
enjeu politique et en facilitant ce processus permanent de sélection, hiérarchisation,
élimination, elle apporte la souplesse nécessaire au système politique. Ce va-et-vient
entre les thèmes de la communication politique qui entrent et ceux qui sortent se fait
sans rationalité et de manière inévitablement arbitraire, dépendant en réalité des
rapports de force au jour au jour.

La communication politique assure trois fonctions.


1° D’abord, elle contribue à identifier les problèmes nouveaux qui surgissent, les
hommes politiques et les médias jouant ici un rôle essentiel.
2° Ensuite, elle favorise leur intégration dans les débats politiques du moment en leur
assurant une sorte de légitimité. Le rôle des sondages et des hommes politiques est ici
sensible.
~ 36 ~

3° Enfin, elle facilite l’exclusion de thèmes qui ne sont plus l’objet de conflits ou sur
lesquels un consensus temporaire existe. Là aussi le rôle des médias est important par
la place qu’ils accordent aux thèmes débattus sur la place publique.

En période d’élection, les sondages jouent un rôle considérable puisque chacun essaie
de savoir à l’avance ce que pourra être le résultat, ceux-ci étant pour le moment le
seul instrument représentatif permettant une telle approximation.

En situation normale, entre deux élections, la communication politique est surtout


animée par les médias qui jouent au mieux leur rôle en faisant remonter les
événements et les problèmes qui ne sont pas vus par le milieu politique. Ils assurent
là une fonction de « veille démocratique » devenant en quelque sorte le cordon
ombilical qui relie la classe politique inévitablement refermée sur elle-même au reste
de la société. Certes, les hommes politiques sont des élus en contact permanent avec
les circonscriptions, mais le jeu politique et l’exercice du pouvoir imposent souvent
leurs règles entre deux élections.

En période de crise politique intérieure ou extérieure, l’équilibre de la communication


politique est encore différent, dominé par la prééminence des hommes politiques.
L’urgence de la situation, l’importance de l’action et des décisions à prendre mettent
l’homme politique au centre de la communication politique. Si dans de telles
situations les hommes politiques n’assurent pas cette maîtrise de la communication
politique, le risque est que ce soient les médias qui le fassent, comme on le voit
souvent en situation de crise.

Ainsi donc, comme l’écrit si pertinemment Jean-Marie Cotteret dans Gouverner c’est
paraître, ramenée à l’essentiel, la communication politique assure une fonction
d’adéquation entre le gouvernant et le gouverné. En d’autres termes, les gouvernants
doivent être l’écho des souhaits, demandes et exigences des gouvernés. Ces derniers
doivent accepter les décisions contraignantes prises par les gouvernants. Ce
~ 37 ~

rapprochement s’effectue par un échange de messages des gouvernants vers les


gouvernés, mais aussi des gouvernés vers les gouvernants. Cet échange se réalise
selon un code commun, sans lequel il n’y aurait pas de communication. Ce code est
composé d’un ensemble de valeurs communes, auxquelles gouvernants et gouvernés
se réfèrent explicitement ou implicitement.

Une valeur « est une manière d’être ou d’agir qu’une personne ou une collectivité
reconnaissent comme idéale et qui rend désirables ou estimables les êtres ou les
conduites auxquelles elle est attribuée ». Prises dans ce sens, les valeurs constituent le
ciment de ce qu’Auguste Comte appelait déjà « le consensus social » et que les
sociologues désignent quelquefois comme « intégration sociale ». Valeurs du système
politique d’un côté, valeurs de la société de l’autre doivent se répondre.

4. Les styles politiques

S’inspirant en partie des aperçus postmodernes aussi bien que de l’accent classique
sur la performance du discours, Hariman propose une analyse des styles politiques.
Selon lui, les styles sont des techniques de rédaction du pouvoir. Il existe une
pluralité de styles, chacun étant l’articulation esthétique d’une théorie politique. Ces
styles consistent, selon Hariman en un « ensemble de règles concernant la parole et le
comportement » 1) qui permettent de mettre en accord les actes symboliques et leurs
contextes, 2) qui guident les pratiques« communicationnelles », 3) par l’intermédiaire
d’un répertoire de conventions (techniques) rhétoriques, qui se fondent sur des
réactions esthétiques et 4) qui ont pour conséquences la détermination de l’identité
des individus, la cohésion sociale et la distribution du pouvoir. Selon Hariman, la
politique est stylisée, c’est-à-dire qu’elle résulte d’une mise en scène usant de
conventions déjà connues par ceux qui y participent. En admettant qu’il y en a
sûrement davantage, Hariman nous propose quatre styles : réaliste, courtois,
républicain et bureaucratique. Chaque style incarne une relation entre le pouvoir et
ses sujets et privilégie un mode de communication.
~ 38 ~

4. 1. Le style réaliste

Il s’agit d’une communication instrumentale qui prétend dire vrai. Le style réaliste,
qui trouve son expression la plus élégante chez Machiavel, réduit la politique à un
concours de forces et à leur manipulation stratégique. Lorsque Machiavel laisse
entendre au Prince qu’il vaut souvent mieux mentir, il lui propose un modèle de
communication instrumentale. Sujets, alliés et ennemis doivent tous être conçus
comme objets. Leur respect, leur dévouement et leur crainte doivent être soutenus
afin de préserver l’ordre social et le pouvoir du Prince. La figure de base du style
réaliste est le dédain de figures. Ce style, qui nie en être un, refuse tout ornement. Il
prétend n’être qu’un discours « degré zéro », uniquement dénotatif, qui ne fait que
représenter, rendre visible. Machiavel se distingue des autres conseillers du Prince,
qu’il accuse d’être préoccupés par des illusions et des rêves idéalistes, aux dépens
d’une perception des contraintes auxquelles le Prince devra faire face. De même, le
style réaliste, dont Machiavel se fait à la fois l’avocat et l’adepte, exige que nous
traitions le discours de nos opposants de rhétorique, au sens péjoratif, de paroles
floues et qu’au contraire nous nous présentions comme analyste perspicace du réel et
comme homme ou femme d’action ayant le courage d’entreprendre ce qui est
nécessaire.

Hariman affirme que ce style domine la politique moderne. La politique en tant que
telle disparaît, cédant à un concours entre de soi-disant « experts ». Le style réaliste,
bien qu’il soit utile dans un régime technocratique, ne favorise pas la démocratie. Par
ailleurs, des autres styles décrits par Hariman, un seul incarne la culture démocratique
: le style républicain. Ce style apprécie le discours, exige que chacun se reconnaisse
dans l’autre en tant que citoyen et l’invite à prendre parole. Nous y reviendrons.
~ 39 ~

4. 2. Le style courtois

C’est le style de l’incarnation symbolique et incontestée du pouvoir. Hariman note


que le style courtois s’apparente aux cours royales. Evidemment, nous ne sommes
plus à l’ère des rois, mais ce style demeure tout de même présent dans notre culture.
Il met chacun en relation avec le corps « sacré » du souverain. Le souverain n’occupe
le centre de ce système qu’en conséquence de la reconnaissance qu’on lui accorde et
du respect qu’engendre sa présence. Ce système ne peut tolérer que son autorité soit
remise en cause, donc la cour tend au rituel ou au silence. Le souverain exerce son
pouvoir, qui est de gouverner la cour, par de minuscules gestes de reconnaissance. La
cour n’est pas pour autant un lieu paisible, car du statut du roi découle une hiérarchie
qui suscite une vive concurrence entre les courtisans désireux de s’approcher de lui.
Les coulisses de la cour sont donc la scène de conspirations et d’intrigues.

Au sein des démocraties modernes, ce style est évidemment suspect, et il se trouve


normalement en évidence loin des rênes du pouvoir. Cela dit, nous ne devrions pas
conclure que ce style est exclu du discours politique contemporain. Notons que le
président, bien qu’élu, occupe un rôle analogue à celui des souverains britanniques
du XVIIIe siècle en ce sens que sa tâche, parmi d’autres, est d’incarner la nation.
Chez Reagan, cette incarnation était physique plutôt qu’idéologique. Les politiques
de son gouvernement semblaient venir non de lui, mais de ses hauts fonctionnaires,
ses ministres (secretaries). Il refusait toute discussion technique de ses politiques,
évoquant plutôt les valeurs américaines. La presse se préoccupa de son apparence, de
l’élégance de ses gestes, de sa vitalité (surtout compte tenu de son âge) et de sa santé.
Comme l’écrit Hariman, lorsque la mise en scène de roi et de courtisans englobe les
pratiques de débat républicaines, il y a en fin de compte peu à dire et rien à faire.
Nous créons nos rois américains, pas tant en ignorant la Constitution qu’en déplaçant
un ensemble de manières par un autre.
~ 40 ~

Nous retrouvons des éléments de ce style au sein des partis politiques, assujettis à
leurs chefs. Le pouvoir réel et symbolique des chefs est tel qu’on ne peut facilement
le remettre en question. Les aspirants à la chefferie se livrent à une vive concurrence
afin d’occuper une place importante dans la hiérarchie que le chef ordonne, mais
cette course doit se faire dans l’ombre. Un chef de parti ne peut tolérer que d’autres
réclament son poste. Ils doivent attendre qu’il décide de se retirer à moins qu’ils ne
tentent d’organiser un putsch.

4. 3. Le style bureaucratique

Il incarne la logique administrative en action. L’autre style antidémocratique identifié


par Hariman est le style bureaucratique. Ce style oppose l’écrit à la communication
orale. Les bureaucraties s’organisent selon des règles formelles, écrites. L’autorité se
fond, non par la volonté des acteurs, mais par des réseaux d’offices et de textes.
L’adepte de ce style n’assume aucune responsabilité de ses gestes ; il ne fait
qu’appliquer des règlements. Par ailleurs, il peut toujours éviter d’agir en déclarant
toute question en dehors de ses compétences et en la dirigeant vers une autre autorité.
Le texte domine. Les règlements doivent être interprétés et appliqués. Chaque
demande doit être formulée par écrit. Toute personne, tout cas, toute requête doit être
classable selon un système préétabli de catégories. Tout doit être classé, normalisé,
inscrit. Tout est résorbé par une logique administrative.

C’est à cette sorte de pouvoir que le citoyen moderne fait normalement face. Il ne
s’agit pas pour autant d’un style rationnel, bien qu’il réclame ce statut, car il ne peut
finalement saisir le réel. Chaque texte exige une interprétation qui dépend d’un autre
texte, ad infinitum. La finalité devient la « rationalisation », c’est-à-dire la
multiplication de textes, de schémas, de précisions, d’exceptions et ainsi de suite. Le
réel, sa présence même, est toujours différé ; le texte devient son supplément.
~ 41 ~

4. 4. Le style républicain

Il s’agit de la valorisation du débat et de la raison. A ces styles antidémocratiques


Hariman oppose le style républicain. Ce dernier, bien incarné par Cicéron, privilégie
la joute oratoire. En d’autres termes, il reconnaît que le pouvoir a une constitution
discursive qui dépend d’un auditoire, et exige en conséquence que l’acteur public se
produise en scène. Ce faisant, il incarnera la république. La théorie politique
dénomme « républiques » les États dont le peuple est souverain et se gouverne lui-
même. La prémisse de base du style républicain est que la communauté politique
n’existe qu’en communication. Sa cohésion tient à la force du discours, qui donnera
lieu à une vie commune. L’acte oratoire et les manières délibératives priment les
politiques particulières. En conséquence, certains accuseront l’acteur républicain de
manquer de principes, car celui-ci doit forger un consensus au sein d’une
communauté hétérogène. Il ne peut être l’avocat de positions causant des divisions
profondes.

Ce style requiert que chacun soit respecté en tant que citoyen, que cette identité
l’emporte sur toute autre et que le débat public soit guidé par l’idée du bien commun.
Ce style est exigeant, car il rend le citoyen orateur responsable de l’existence même
de la république. Le discours républicain se base sur une forte distinction entre la vie
publique et la vie privée. Ce style ne valorise pas un sentiment d’intimité, mais un
respect formel, la philia, entre citoyens. Ce sont les paroles et les gestes publics du
citoyen qui sont conséquents et auxquels il sera tenu.
~ 42 ~

Chapitre 3
ESPACE PUBLIC MODERNISE ET RATIONNALISATION
DE LA COMPETITION POLITIQUE

La communication politique, au sens moderne, désignant l’ensemble des pratiques


visant à établir des liens entre les professionnels de la politique et leurs électeurs, en
usant notamment des voies offertes par les médias, a pris naissance aux États-Unis et
s’est répandue par la suite dans d’autres contrées du monde, en Europe notamment.

Rappelons que la première définition de la communication politique, qu’on appelle


aussi « marketing politique » est celle qui la présente comme étant l’ensemble des
techniques mises en œuvre par les acteurs politiques pour convaincre les électeurs de
la validité de leurs messages. On se place dans une perspective top down, donc le
message va partir des acteurs politiques pour aller vers le public et on suppose que
ce message va effectivement être intégré par les citoyens. Pour faire passer ce
message on va utiliser diverses techniques comme les interventions dans les médias
de masses (télévision, presse, radio, réunion publique, réunion d’appartement,
apéritifs chez les particuliers, etc.). On va ainsi supposer que le public reçoit le
message même si nous savons que c’est une petite partie du public qui en reçoit.

1. Les techniques de rationalisation de la compétition politique

Marketing, sondages, télévision, publicité ont en partie liée dans l’entreprise de


rationalisation des pratiques politiques sans, toutefois que leur degré de
professionnalisation soit identique.

1. 1. Le marketing politique

Il constitue une technique de rationalisation des prétendants au pouvoir et comme les


sondages d’opinion, il se réclame d’une démarche scientifique dans l’élaboration des
~ 43 ~

stratégies d’influence. Il consiste en l’application des techniques de marketing par les


organisations politiques et les pouvoirs publics pour susciter le soutien de groupes
sociaux ciblés. Il est fondé sur le postulat que les comportements des consommateurs
et les comportements des citoyens sont justiciables d’analyses voisines. La logique du
marketing est marquée par une représentation de la société comme somme de
segments dont il est utile de connaître les traits distinctifs (socio-démographiques,
culturels, politiques, etc.) pour apprécier leurs demandes.

L’applicabilité du marketing à la politique est principalement passée par le


marketing électoral et constitue sa forme la plus avancée. Il s’agit d’assister l’offre
électorale dans ses efforts d’ajustement à la demande ou de conformation de la
demande politique. Les deux procédés fondamentaux sur lesquels peut, en effet, jouer
le marketing consistent à « vendre » un produit en persuadant la cible de ses qualités
ou à changer le produit pour l’adapter aux attentes du groupe-cible. En politique, le
marketing de la demande a jusqu’à présent supplanté le marketing de l’offre.

Selon G. Mauser, on reconnaît, en général, trois niveaux dans cette démarche.


1° L’analyse de la situation politique l’état des forces en compétition, leurs ressources
et leurs faiblesses respectives, c’est-à-dire une évaluation des entreprises sur le
marché en termes électoraux, organisationnels et symboliques.
2° Elle permet de définir ensuite une stratégie de campagne, notamment dominée par
le choix d’un positionnement et d’une communication stratégiques.
3° La conduite de la campagne, enfin, pose des problèmes de mise en place et
fonctionnement de l’organisation, de collecte des fonds et de gestion de l’agenda du
candidat et des opérations de communication.

Carthographiant le marketing du candidat, Kotler distingue 5 phases dans la première


étape de Mauser.
1° Premièrement la recherche sur les paramètres de l’environnement (état de
l’économie, humeur de l’électorat, préoccupations centrales de l’électorat,
~ 44 ~

sociographie de l’électorat, forme des organisations partisanes, disposition au


changement ou au renouvellement des sortants, niveau de participation).
2° Deuxièmement, Kotler suggère de procéder aux analyses consacrées à l’évaluation
interne et externe des forces, le candidat est sortant ou challenger ; opportunités pour
les enjeux de campagne ; atouts et faiblesses comparées des candidats et de leurs
organisations de campagne.
3° Ensuite vient le temps du marketing stratégique avec ses trois composantes
caractéristiques :
a) la segmentation des électeurs (selon différentes variables sociodémographiques et
politiques traditionnelles) ;
b) le ciblage (c’est-à-dire le choix des segments stratégiques) et ;
c) le positionnement (essentiellement l’image du candidat par opposition à celle de
ses concurrents).
4° La quatrième phase est constituée par la détermination des buts et la stratégie de
campagne où le positionnement est précisé en termes de style et d’attributs
personnels à souligner dans la construction de l’image, en termes de formation et de
qualifications. Sont alors choisis les messages définissant la « philosophie » politique
du candidat ainsi que les enjeux et solutions préconisés.
5° La communication, la distribution et le plan d’organisation constituent la 5ème
phase. Il s’agit alors de fixer le « campaign mix » qui répartira les efforts entre la
« vente au détail » et la « vente en gros » pour paraphraser le marketing commercial.
C’est la gestion des déplacements, la publicité, le choix des médias, des messages,
des formats, mais aussi des soutiens. L’organisation concerne tous les acteurs
impliqués dans la campagne : depuis le collecteur des fonds jusqu’aux volontaires et
militants en passant par les chercheurs associés, les spécialistes des médias et de la
publicité, les membres des partis politiques et des groupes d’intérêt associés. Le but
principal consiste à atteindre les objectifs fixés s’agissant des « marchés du
candidat », c’est-à-dire ceux qui vont contribuer financièrement, les électeurs et tous
ceux qui peuvent devenir des prosélytes (nouvel adepte qui devient à son tour porte-
parole de la propagande d’une doctrine ou d’un mouvement).
~ 45 ~

Les méthodes du marketing politique font donc appel à la sociologie électorale, aux
sondages d’intention de vote et d’opinion, aux entretiens qualitatifs individuels ou de
groupe. Les analyses statistiques de données de type descriptif comme les analyses
factoriels et typologiques, l’analyse des similarités et préférences et aussi de type
explicatif comme la segmentation ou les mesures conjointes sont souvent combinées
avec les modèles de simulation pour assister la décision stratégique.

Le positionnement du candidat est un sous-ensemble de son image, composé de traits


saillants et distinctifs qui permettent de le situer par rapport à ses concurrents. Cette
« représentation simplifiée » peut être stratégiquement maîtrisée par le candidat s’il
tient compte des besoins et attentes des électeurs lorsqu’il articule ses orientations
politiques et les qualités personnelles privilégiées dans sa communication de
campagne. La combinaison efficace doit associer simplicité, attrait (attirance, ce qui
attire et séduit), crédibilité et originalité.

Enfin, il paraît judicieux pour un candidat ou une liste de candidats de présenter un


profil discriminant, c’est-à-dire un ensemble de propriétés qui, au total, même s’il
existe des points de convergence, permet de bien identifier l’offre électorale comme
singulière par rapport à ses concurrents. Le choix du positionnement est éclairé par
l’étude de l’image effective du candidat, des préoccupations et aspirations de
l’électorat et du positionnement de ses concurrents. Dans la démarche marketing, la
stratégie de communication consiste alors à identifier les cibles prioritaires, fixer le
contenu des messages et mettre au point un plan média.

1. 2. Les sondages d’opinion et les études qualitatives

Comme on l’a déjà vérifié à plusieurs reprises, les sondages s’intègrent au marketing
politique sans que cela signifie pour autant qu’ils se confondent avec lui. Leur
convergence tient à leur commune logique de segmentation de la société et des
opinions qui en émanent. Les sondages sont donc des outils du marketing politique
~ 46 ~

même s’il est abusif de les réduire à cela. Les sondages électoraux sont ici un outil
privilégié d’analyse des intentions de vote. Ils rendent, en effet, possible
l’identification des cibles stratégiques. Les analyses statistiques multidimensionnelles
servent à connaître les perceptions et préférences des citoyens et les modèles
mathématiques contribuent à identifier et évaluer les opportunités qui permettent aux
concurrents de se positionner sur le marché électoral.

2. Les étapes de l’élaboration d’une stratégie de communication politique

Quand il s’agit de mettre en place une stratégie de communication politique au cours


d’une campagne électorale, il faut aligner 5 étapes principales plus ou moins
clairement définies :

2. 1. La détermination des objectifs de la campagne

Quels sont les objectifs à atteindre ? Telle est la question que l’on doit se poser avant
le début de sa campagne électorale. Or les objectifs ne sont pas toujours aussi clairs
que ce qu’on croit, y compris dans une campagne électorale. Pour certains candidats
l’objectif n’est pas de gagner l’élection présidentielle par exemple, mais d’accroître
leur popularité ou encore engranger le maximum de voix pour être en position de
négocier avec d’autres acteurs politiques concurrents. Quand un candidat n’a aucune
chance d’être élu, son objectif premier est d’accroître sa notoriété et quand un
candidat est en position d’outsider, c'est-à-dire de ne pas gagner une élection, a-t-il
intérêt à tout miser sur cette élection ou plutôt voir à long terme et miser sur une
élection ultérieure.

2. 2. L’analyse du terrain

Comme on est dans une perspective de marketing politique, donc de valorisation d’un
produit ou d’ajustement de son produit aux attentes du marché, une fois l’objectif
~ 47 ~

identifié, il faut savoir cerner les attentes du public. On va donc examiner quelles sont
les préoccupations qui s’expriment par le biais des sondages d’opinion et on va aussi
examiner quelle est l’image des candidats/de la personne dans le public. Il faut
éventuellement examiner aussi la manière dont les autres candidats font campagne et
il peut exister des effets de mimétismes ou de reprise d’une thématique concurrente.
Cette analyse du terrain se fait tout au long d’une campagne, tout un travail va être
fait sur la question de savoir si tous les messages envoyés par le candidat sont bien
passés dans le public, si les thématiques lancées sont reçues ou entendues.

2. 3. L’adoption de la stratégie

Elle se fait en 4 principaux temps.

2. 3. 1. La construction de l’image dans le public


Les conseillers en communication vont faire en sorte d’essayer de construire l’image
de leurs candidats ou candidates dans le public. Cela consiste d’abord à se distinguer
des autres candidats en valorisant aussi ses différences. Par exemple en 1993, le
candidat P. Buyoya était perçu comme le candidat de la continuité, Ndadaye celui du
changement à travers un « Burundi nouveau » et P.-C. Sendegeya celui de la
restauration de la monarchie au Burundi.

2. 3. 2. Avoir une image unique à faire passer


Exemples : en 1993, alors que le candidat de l’Uprona P. Buyoya prônait la paix et
l’unité, son adversaire du FRODEBU, M. Ndadaye, parlait du changement pour un
« Burundi nouveau » à travers ses 46 propositions, celui du PRP, P.-C. Sendegeya
mettait en avant le pain et la paix (amahoro n’amahonda).

2. 3. 3. Cette image à construire doit rester cohérente avec ce qu’est le candidat


profondément
En 1993, Buyoya, candidat de l’UPRONA, artisan de l’unité nationale, militaire,
tutsi, originaire de Bururi au sud du pays, prône la continuité ; Ndadaye, candidat du
FRODEBU, vise le changement, civile, hutu, originaire du centre du Burundi. Mais
~ 48 ~

l’on peut dire que P.-C. Sendegeya du PRP présentait une image qui ne collait pas
avec ce qu’il était profondément : Hutu qui n’est pas de la lignée royale et de la
monarchie.

2. 3. 4. La détermination des thèmes de campagne


Il s’agit de trouver un équilibre entre les préoccupations du candidat et les attentes du
public/de l’opinion publique. Exemple : les 46 propositions de Ndadaye en 1993,
personne ne les connaissait en détails mais il avait réussi à donner le sentiment qu’il
proposait un véritable changement de société avec toute une liste de solutions aux
problèmes du Burundi. Cet équilibre est important et il peut arriver que les
préoccupations du candidat ne rencontrent pas du tout celles du public : Ce fut le cas
pour Buyoya et P.-C. Sendegeya.

2. 4. L’établissement d’une chronologie

Les candidats vont essayer de maîtriser l’agenda politique et médiatique à la fois pour
le lancement des candidatures et pour ensuite le lancement de thèmes de
campagne/programmes pour la période post-élection. On dit que plus la notoriété du
candidat est faible, plus il aura intérêt à se lancer tôt dans la campagne électorale à
laquelle il souhaite participer. Parfois on attribue des succès ou d’ailleurs des échecs
au moment où la candidature a été annoncée. Même si on peut penser que ces
éléments ne sont pas aussi déterminants, ils vont apparaître aux yeux des acteurs
politiques comme extrêmement importants. Ainsi par exemple, on admet que le
FRODEBU avait commencé sa propagande politique clandestine et mis en place
progressivement ses structures organisationnelles dès 1986, c’est-à-dire 6 ans avant
son agrément comme parti politique. Il en a été de même pour le CNDD-FDD en
2003-2005.
2. 5. L’élaboration d’un plan de campagne

Cela se fait au début de la campagne mais ça se remodèle en cours de route. En fait, il


s’agit là de déterminer quel est le canal le plus adapté pour envoyer des messages
dans le public. Si l’objectif est de transmettre une information simple, le candidat va
~ 49 ~

utiliser peut-être la petite phrase à la radio ou l’intervention brève à la télévision.


Face à un message un peu plus complexe (par exemple les propositions du candidat,
voire son programme), ce qui va être privilégié sera soit la rédaction de documents
assez longs, des tracts qui transmettent l’information ou bien des modalités de
contacts directs avec le public comme les meetings, des réunions, éventuellement
même des colloques, devant un amphi d’étudiants, etc. Ce qu’il faut savoir c’est
qu’avec la diffusion très importante de la télévision, les meetings sont de plus en plus
pensés aujourd’hui comme des situations qui vont pouvoir être reproduites,
retransmises partiellement à la télévision. On va donc retrouver des éléments courts
de discours qui peuvent être facilement repris par les grands médias et qui vont être
prononcés par le candidat pendant son discours public.

Le plus souvent les candidats vont s’efforcer de jouer parallèlement sur plusieurs
tableaux et combiner des déplacements personnels (réunions publiques/meetings)
avec divers types d’interventions dans les médias. Cela veut dire que l’équipe de
campagne et le candidat vont s’efforcer de rencontrer aussi différents types de
publics. Les stratégies peuvent éventuellement être ajustées à certaines catégories
sociales. Exemples, si le candidat visite les déplacés à l’intérieur du pays, les Batwa,
etc., il va devoir ajuster son discours à cette catégorie sociale et éventuellement se
mettre en communion auprès d’elle. D’où trois grands apprentissages à effectuer pour
les acteurs politiques selon Yves Poirmeur :

2. 5. 1. Apprendre à plaire
A l’aide de la communication de masse, on va demander aux acteurs politiques d’être
non seulement compétents mais également aimés du public. Donc, il s’agit de séduire
le public le plus vaste possible, non seulement avec des propositions mais aussi avec
un physique, une voix, un talent, une séduction, un bon/beau couple, etc.
~ 50 ~

2. 5. 2. Apprendre à simplifier
La réussite des prestations télévisées nécessite un style de communication plus
rapide, des phrases brèves, des formules qui vont pouvoir être reprises par des médias
qui ont déjà à faire à une surabondance d’informations. Il va donc falloir leur offrir
quelque chose de court, qui va leur permettre un peu d’animer leurs séquences
d’informations. Trois impératifs sur la petite phrase selon Yves Poirmeur : la « petite
phrase » doit être rapide, originale et simple.

2. 5. 3. Apprendre à parler de soi


Il ne suffit plus de se situer dans le champ politique, il faut aussi dévoiler sa vie
privée et ses goûts. Ce n’est pas vraiment un phénomène nouveau, un historien a fait
une recherche sur la « peopolisation » de la vie politique : les acteurs politiques sont-
ils traités d’un point de vue médiatique comme les vedettes de cinéma/chanteurs ?
Cet historien montrait que, certes, les éléments de vie privée ont toujours été évoqués
dans les médias, mais il montre qu’à partir des années 1950/1960, avec le
développement de la télévision et de la presse magasine, la vie privée des acteurs
politiques va s’afficher de plus en plus, parce qu’ils le souhaitent ou bien parce qu’ils
sont un peu victimes de cette révélation de leur vie privée. Cette question n’est donc
pas nouvelle mais a elle pris de l’ampleur à l’aide des médias de masse.

3. Les transformations des campagnes


3. 1. Aux Etats-Unis d’Amérique
Aux USA, la dernière élection qui se déroule selon les méthodes traditionnelles du
contact interpersonnel (rencontre directe entre les candidats et le public) est celle de
1948. A cette occasion, Harry Truman déclarait qu’il avait rencontré entre 15 et 20
millions de personnes.

La première campagne qui se déroule avec des médias qui permettent une
transmission d’un message à un grand nombre de personnes est la campagne
américaine de 1952 qui est présentée comme l’origine du marketing politique aux
~ 51 ~

USA. C’est la première fois que les partis démocrates et républicains dégagent un
budget pour la communication politique. C’est également la première fois que vont
être réalisées des publicités commerciales pour valoriser les candidats. Ils font appel
à un cabinet de relation publique et à un spécialiste de marketing politique de
relations commerciales. Ce spécialiste marketing issu du commerce traditionnel va
imposer une simplification et une modification du contenu des messages politiques. Il
lui impose de simplifier ses argumentations et il réalise des sondages pour déterminer
sur quels sujets devrait porter les spots télévisés qui sont réalisés. Les sujets sont
choisis pour répondre finalement aux attentes du public. A l’inverse le candidat
démocrate avait beaucoup moins réfléchi en termes d’attentes de l’opinion publique
et avait programmé tous ses spots en fin de soirée, ce qui a considérablement limité
son public.
Après cette campagne de 1952, les campagnes suivantes vont apporter du raffinement
dans les techniques utilisées par les candidats à l’élection présidentielle. La campagne
de 1956 va notamment être marquée par l’apparition de spots télévisés négatifs, c’est-
à-dire qui attaquent l’adversaire. Ces spots négatifs existent encore aux USA, au
Canada, etc. La campagne de 1960 de JFK va être considérée comme un modèle de
la communication politique moderne pour deux raisons principales :

1° C’est la première campagne où va être réalisé un débat télévisé entre les candidats.
Nixon avait accepté le principe de débat télévisé avec son challenger en pensant
pouvoir l’emporter facilement, puisqu’il avait beaucoup plus d’expérience que John
Fitzgerald Kennedy. Or ce dernier est apparu beaucoup plus à l’aise dans ses débats
face au candidat Nixon et il se trouve qu’il a gagné l’élection, ce qui a renforcé la
croyance que c’est par la télévision qu’il avait remporté l’élection, surtout lors du
premier débat où les spectateurs ont été les plus nombreux.

2° J.F.Kennedy enregistre à cette occasion les premiers spots publicitaires à


destination des minorités hispanophones en espagnol.
~ 52 ~

A l’élection présidentielle de 1964, le candidat républicain s’est prononcé en faveur


de l’arme nucléaire et à ce moment-là les conseillers en communication du candidat
démocrate conçoivent un spot de télé négatif sur le nucléaire (daisy spot). Ce spot va
avoir un grand impact dans l’opinion public car il montre qu’on est dans un monde
hostile où les enfants ne peuvent plus vivre tranquillement. Cela va faire passer le
candidat républicain comme une personne prête à porter atteinte aux enfants
américains. Lors de certaines campagnes américaines, il n’y a pas de débats télévisés
comme en 1968, non plus en 1972, car les candidats ne l’acceptent pas.

En revanche à partir des années 1980 les campagnes s’intensifient et les supports se
diversifient. Depuis 1976 lors de toutes les campagnes présidentielles, le débat entre
les deux candidats est systématiquement pratiqué et en plus, de plus en plus de débats
télévisés sont retransmis entre des candidats aux primaires. Ensuite, une proportion
importante des fonds de campagne sont consacrés à la télévision. Plus de la moitié
des budgets de communication depuis les années 80 est utilisée pour la télévision. On
est dans un cadre juridique actuellement qui autorise l’achat d’espaces publicitaires.

Dernière campagne en date ayant marqué les esprits : celle d’Obama en 2008. Cette
campagne a eu beaucoup de retentissement en France par le biais d’un rapport de la
fondation Terra Nova (laboratoire d’idées appelé le « think tank » du parti socialiste).
Cette campagne a généré une récolte de fonds très importante, à tel point qu’Obama a
même refusé le financement public auquel il aurait pu prétendre (pas que par bonté
d’âme mais parce que dans ce cas il n’a plus de plafond de dépenses de campagnes).
Aux USA, le fait de collecter des fonds est un signe de dynamisme, en France on s’en
méfie.

La différence entre Obama et d’autres candidats au primaire est qu’il a


essentiellement assemblé des petits dons (inférieurs à 100 dollars) de personnes de
milieux modestes ou de classes moyennes. Ces personnes ont été fédérées par le biais
d’un site internet où elles étaient invitées à s’inscrire et agir pour Obama
~ 53 ~

(mybarakobama.com). Cet outil permettait de centraliser l’ensemble des initiatives


locales prises en faveur du candidat Obama. Les personnes pouvaient donc s’inscrire
et proposer des actions localement (rassemblement pour BO, ou collecte de fonds
locale, etc.).

Les partis français s’en sont donc un peu inspirés. Ils ont ainsi essayé de créer des
réseaux sociaux de sympathisants en vue de la campagne de 2012. Contrairement à ce
qu’on pourrait croire, Obama a beaucoup utilisé ses fonds de campagne à l’achat de
spots télévisés. Ce qui caractérise le contexte américain depuis les années 80, c’est
une omniprésence de la communication politique et la simplification des thèmes de
campagne.

3. 2. Le cas de la France

Concernant le cas français, le développement de l’audio-visuel et le développement


des techniques marketings sont à relever. Sur le développement de l’audiovisuel on
est passé à une grande variété des supports audio-visuels disponibles. Il y avait
auparavant une situation de monopole de l’Etat sur les médias, institué en 1949,
confié à la ORTF (office de radiodiffusion télévision française). La télévision se
généralise dans les années 60. Le développement de la télévision va donner une
nouvelle dimension aux acteurs politiques en les rendant visibles en action, en
situation.

Cependant, sous la Vème République s’opère un desserrement du pouvoir sur


l’audiovisuel. Le monopole étatique est maximal sous la présidence du G. De Gaulle.
Chaque gouvernement comprend un ministre de l’information dont le rôle principal
est de surveiller les informations télévisées. La télévision devient un outil de
communication privilégié avec les citoyens. Les journaux télévisés à cette époque
diffuse le message politique du gouvernement en place. On ne laisse pas l’opposition
~ 54 ~

s’exprimer à la télévision. En 1964, on donne un temps de parole égale aux partis


politiques et personnages politiques à la télévision.

Le projet de nouvelle société de Chabans Delmas est l’occasion d’un premier


desserrement de l’emprise du gouvernement sur l’information puisque l’habitude est
prise de ne plus intervenir auprès de l’ORTF lorsqu’une information déplait au
pouvoir en place. En 1974, l’ORTF est réformé sous Valéry Giscard d’Estaing
(VGE) qui a été président de la France de mai 1974 à mai 1981. Elle est éclatée en
plusieurs organismes avec la création notamment de 3 chaînes nationales. Il y a
également une modification importante des conseils d’administration des chaînes
publiques où les représentants de l’Etat sont désormais minoritaires.

A partir du milieu des années 70, de nombreuses personnes vont affirmer que l’Etat
n’a pas à contrôler la télévision. La gauche qui avait beaucoup critiqué l’emprise du
gouvernement sur l’audiovisuel va tenter de libéraliser et effectuer une épuration des
journalistes ayant une opinion divergente sur ce sujet. La gauche crée une haute
autorité indépendante de l’audiovisuel : en 1989, on parlait du Conseil Supérieur de
l’Audiovisuel (CSA) après plusieurs appellations. Cette autorité est chargée de faire
respecter le pluralisme politique à la télévision et de délivrer des autorisations
d’émettre. Si un média ne respecte pas un pluralisme politique, le CSA est en mesure
de lui retirer l’autorisation d’émettre.

L’élément principal de la libéralisation a été la libéralisation des radios. Ces dernières


vont pouvoir émettre sur la bande FM. La majorité socialiste va autoriser la création
des premières chaînes privées. La première est Canal + en 1984. A partir de là, le
nombre de chaînes va augmenter de manière exponentielle avec le câble, la TNT, etc.
En 1996, la droite a continué cette tendance à la libéralisation en privatisant la plus
grande chaîne nationale : la TF1. A la fin des années 90, 98% des foyers français
sont équipés de la télévision.
~ 55 ~

Le marketing politique en France se développe en même temps que l’émergence de la


technique des sondages et en même temps que le conseiller en communication
politique. On peut dater la naissance du marketing politique de 1965 lorsque M.
Bongrand se met à conseiller un des candidats : Jean Lecanuet. qui empêche une
élection au premier tour du Général de Gaulle. Bongrand s’est inspiré de ce qui est
mis en pratique dans les années 60 aux USA. Apparaissent des grandes affiches
montrant un homme politique souriant, à l’américaine, qu’on va surnommer « dents
blanches ». La mise en ballotage de De Gaule va mettre en exergue que la campagne
politique doit s’accompagner d’une communication politique audiovisuelle.

Les élections de 1974 sont à noter car il y a de nouvelles étapes :

1° On insère dans la campagne des messages qui concernent la vie privée des
candidats. VGE va être le premier à se mettre en scène puisqu’il s’affiche avec sa
fille. Il cherche à corriger son image de technocrate froid.
2° C’est également la première campagne présidentielle dans laquelle est organisé un
débat entre les candidats du second tour.
3° En matière de stratégie, c’est la première fois que des slogans se répondent. Chirac
(l’autre candidat) a des affiches et des slogans qui répondent aux affiches de VGE.
Exemple : L’affiche de VGE disait : « La France a besoin d’un Président », celle de
Chirac disait « Le Président qu’il vous faut ».

L’élection présidentielle de 1995 est une campagne plus sobre que les autres. Depuis
1990 est instauré un plafond de dépenses de campagne pour les présidentielles. Les
affiches ont été moins présentes. C’est le premier débat où il n’y a pas beaucoup
d’affrontement. Les 2 candidats qui sont présentés comme les principaux candidats
sont le Président sortant et le premier ministre sortant. Comme ils ont des positions
assez spécifiques, ils se déclarent assez tardivement.
~ 56 ~

En 2002, les analystes politiques anticipent le 2nd tour Chirac-Jospin. Un décompte


du temps médiatique global est organisé. Lors de la campagne, les principales
télévisions ont accordé moins d’attention en terme quantitatif mais aussi les médias
ont présenté cette campagne comme monotone, ennuyeuse. Cela a pour conséquence
de rendre l’opinion du public attentive à une offre alternative. Au fur et à mesure que
la campagne avance, l’intérêt pour les 2 grands candidats diminue.

Lors de la campagne de 2002, l’agenda électoral des candidats et l’agenda des médias
vont se trouver en convergence sur un thème : l’insécurité. Cette présence de
l’insécurité sur l’agenda des candidats et l’agenda médiatique s’explique par le fait
qu’il n’y avait pas de différences perceptibles entre les 2 candidats, mais en revanche
il y avait un élément qui les distinguait à l’évidence: c’est leur manière de traiter
l’insécurité.

La campagne de 2007 est la première campagne où l’Internet est utilisé de façon


massive par les candidats. Ségolène Royal a utilisé une technique participative avec
son parti « désir d’avenir ». Sarkozy a utilisé une technique qui partait du candidat et
qui allait vers le public : Top down. La communication de N. Sarkozy était divisée en
plusieurs sites internet (femmes, jeunes…) dans une logique de marketing avec une
segmentation de l’information en adaptant le message à la catégorie de la population
visée.

L’autre nouveauté de cette campagne, c’est la présence de citoyens ordinaires dans


les programmes politiques. Chaque programme de télévision a organisé des débats
entre les candidats et des anonymes. Exemple : TF1 avait fait « j’ai une question à
vous poser » avec un échantillon de personnes censé représenter la population
française. Cette présence d’anonymes se développe de plus en plus sans doute parce
que les intermédiaires traditionnels ont perdu en légitimité (perte de crédibilité des
journalistes, parfois des partis politiques). 2007, c’est aussi une réactivation du débat
télévisé entre les deux tours. Elle marque aussi la quasi-fin de l’affiche qui se limite à
~ 57 ~

une affiche officielle du candidat à l’entrée des bâtiments publics. Plus aucun
candidat n’achète de grands espaces d’affichages.

Quelques exemples de slogans des campagnes présidentielles en France depuis


1965 :

Election présidentielle de 1965


De Gaulle : « Confiance en la France, confiance en De Gaulle »
Lecanuet : « Demain Jean Lecanuet un homme neuf... Une France en marche »
F. Mitterrand : « Un président jeune pour une France moderne »

Election présidentielle de 1974


Chaban-Delmas : « Pour une nouvelle société »
V. Giscard d'Estaing : « Le président de tous les Français, Valery Giscard d’Estaing »
V. Giscard d’Estaing : « Le changement sans le risque »

Election présidentielle de 1988


Barre : « Du sérieux, du solide, du vrai »
J. Chirac : « Nous irons plus loin ensemble »
F. Mitterrand : « Génération Mitterrand »
F. Mitterrand : « La France Unie »

Election présidentielle de 1995


E. Balladur : « Croire en la France »
J. Chirac : « La France pour tous »
L. Jospin : « Le président du vrai changement »

Election présidentielle de 2002


F. Bayrou : « La relève »
Besancenot : « Nos vies valent plus que leurs profits »
~ 58 ~

J. Chirac : « La France en grand, la France ensemble »


L. Jospin : « Présider autrement une France plus juste »
Laguiller : « Toujours le camp des travailleurs »
J.M. Le Pen : « Une force pour la France »

Election présidentielle de 2007


F. Bayrou : « La France de toutes nos forces »
Buffet : « Une gauche courageuse, ça change la vie »
S. Royal : « Plus juste, la France sera plus forte »
S. Royal : « La France présidente »
N. Sarkozy : « Ensemble, tout devient possible »
Voynet : « La révolution écologique »
~ 59 ~

Chapitre 4
LES EFFETS DE LA COMMUNICATION PERSUASIVE
ET LEUR PERCEPTION

1. Les premières approches


1. 1. Le modèle de la propagande
Les premières analyses sur les messages politiques se sont concentrées sur ces
derniers en tant qu’ils produiraient des comportements de suivisme, un abrutissement
(hébétement qui rend incapable d'une réaction intelligente). Les médias agiraient en
favorisant l’absence totale de sens critique ou l’apathie. Lasswell « Techniques in the
World War » (1927) estime que le message politique agirait comme un message qui
rendrait les individus passifs. Pour lui, tout message politique doit être considéré
comme ayant une capacité de conditionnement des individus.

Un autre ouvrage a un grand retentissement. Serge Tchakotine écrit un peu plus tard
en 1939 « Le viol des foules par la propagande politique ». Cet ouvrage s’intéresse à
la montée du nationalisme en Allemagne et analyse les effets de la propagande
politique. Il s’appuie sur les travaux de Pavlov sur le réflexe conditionné. Il va
avancer que la propagande est créée par la répétition des messages, la simplicité des
messages, le recours à des couleurs particulières vives pour la plupart. Petit à petit les
individus vont associer à la propagande des comportements conditionnés. Selon ce
modèle, les médias nous influencent : la situation actuelle est due au fait que les
médias créent le problème. On voit cette idée que les citoyens sont conditionnés par
les messages que l’on reçoit de la part des médias. La croyance dans le pouvoir des
images nous vient de la première moitié du 20ème siècle.

1. 2. Le paradigme des effets limités des médias


1. 2. 1. Les effets limités des médias : étude de Paul Lazarsfeld
Dès 1940, 1 an après la publication de l’ouvrage ci-haut cité de Serge Tchakhotine,
d’autres chercheurs vont essayer de vérifier cette fois-ci empiriquement avec les
~ 60 ~

méthodes nouvelles des sciences sociales, l’hypothèse de la passivité des citoyens et


l’hypothèse de leurs prédispositions à se laisser conditionner, à se laisser abuser par
les messages médiatiques. Ce sont des chercheurs qui vont travailler aux USA après
la seconde guerre mondiale et qui sont pour l’essentiel issus de la même tradition
européenne et qui ont également vécu les mêmes évènements en Europe. Exemple :
Paul Lazarsfeld était en fait allemand et avait fui le nazisme dans les années 30 pour
les USA.

C’est avec le présupposé qu’il existe des mécanismes communs entre un acte d’achat
et un vote que Lazarsfeld et son équipe abordent l’analyse d’une campagne
présidentielle aux USA qui opposait le candidat démocrate Roosevelt au candidat
républicain, Wilkie en 1940. Les résultats de cette étude ont fait l’objet d’un ouvrage,
The People’s Choice, publié en 1944. Leur hypothèse est en effet que la campagne
présidentielle change les opinions et le vote des citoyens. Donc les techniques
publicitaires vont avoir des effets sur les comportements de vote. Effectivement à
l’époque la télévision existe à peine donc les organes principaux de diffusion des
messages présidentiels sont la radio et la presse. Ils vont travailler avec une technique
particulière en sciences sociales, le questionnaire appliqué à un panel, c’est-à-dire
qu’ils interrogent à plusieurs reprises les mêmes personnes. Ils vont poser des
questions sur leurs opinions politiques et ils vont poser des questions sur l’exposition
des citoyens aux messages de la campagne.

L’étude ne conclut pas du tout à l’influence des messages médiatiques sur le citoyens
mais au contraire au déterminisme social du vote. L’équipe ne s’attendait absolument
pas à ça… « On vote politiquement comme on est socialement ». Ce sont nos
appartenances à divers groupes sociaux qui vont déterminer nos choix finalement. Ce
que montre donc l’équipe de Lazarsfeld c’est l’homogénéité politique des groupes
sociaux.
~ 61 ~

L’équipe de Lazarsfeld va montrer qu’il y a trois indicateurs à prendre en compte :

- Statut socioéconomique
- Appartenance religieuse
- Lieu de résidence

La combinaison de ces trois éléments va donner des indices de prédispositions


politiques soit à un vote républicain, soit à un vote démocrate.

Encadré n°04

L’indice de prédispositions politiques est un indice de caractérisation sociale des individus construit
à partir de trois variables : le niveau socioéconomique, l’appartenance religieuse et le lieu de
résidence. La combinaison d’un certain niveau socioéconomique, de l’appartenance à une religion
plutôt qu’une autre et la résidence (rurale ou urbaine) constitue un faisceau de prédispositions
sociales élevées quant à l’orientation politique d’un individu. Ainsi, l’indice permet de prédire aux
Etats Unis d’Amérique, tendanciellement, les citadins catholiques et moins fortunés sont
prédisposés à voter pour le parti démocrate, comme les « groupes ethniques », quand les ruraux,
protestants et plus fortunés sont eux prédisposés à voter pour le parti républicain.

Pour l’aspect média, ce que montre cette étude de Lazarsfeld c’est que la campagne
électorale elle-même n’a qu’un effet très limité sur les choix politiques, car la plupart
des électeurs se sont décidés bien avant la campagne. L’étude montre notamment que
les préférences politiques sont des éléments durables qui remontent le plus souvent à
l’enfance, qui sont liés au milieu familial (ce qui n’est plus vrai aujourd’hui).

Les personnes qui sont le plus susceptibles de changer d’orientation politique sont
aussi celles qui s’intéressent le moins à la politique et à la campagne. Ce sont les
personnes qui ont dans leurs appartenances des pressions contradictoires. A contrario,
les personnes qui sont le moins susceptibles de changer d’opinion par rapport à leur
appartenance sociale sont celles qui vont le plus suivre la campagne. Finalement, les
citoyens feraient un choix sur un marché, donc ils s’informent sur les différentes
options possibles et ils choisissent. Mais à l’époque cette étude montre que la
~ 62 ~

campagne n’est pas utilisée comme cela mais comme un élément pour se conforter
soi-même dans son choix.

Ce qu’il est également intéressant de voir, c’est que ce qui va être retenu de la
campagne est ce qui va dans le sens de nos prédispositions. La campagne aurait donc
pour effet principal d’activer et de renforcer les prédispositions politiques existantes.
Par ailleurs, ce que montre Lazarsfeld est que l’un des évènements importants dans la
formation des opinions est la conversation politique/la discussion politique
informelle. Quand on réfléchit à la formation des préférences politiques, on voit que
les contacts interpersonnels/les conversations ont plus d’influence que la propagande
électorale, surtout auprès des électeurs les moins politisés. Lazarsfeld écrit : « les
gens qui savaient déjà pour qui ils allaient voter ont lu et écouté bien plus de matériel
de campagne que les personnes qui ne savaient pas pour qui ils allaient voter ». Cette
découverte de la première étude électorale sur les campagnes va être à l’origine du
modèle de communication à deux étages.

1. 2. 2. Le modèle du “two-step-flow” of communication

Il a été développé dans un ouvrage de Katz et Lazarsfeld intitulé « Personal


Influence ». Cet ouvrage montre que la communication fonctionne différemment
selon les individus. Les individus les plus déterminés politiquement sont aussi ceux
qui sont le plus exposés aux messages médiatiques et qui vont utiliser ces messages
médiatiques pour donner de la force et des arguments à leurs opinions ; on parle ici
des leaders d’opinions. Les individus les moins convaincus, les électeurs plus à même
de changer d’opinion s’adressent moins aux médias qu’à ces personnalités bien
informées que sont les leaders d’opinions pour décider de leur vote. L’influence des
médias si elle existe est donc indirecte et en tout cas extrêmement limitée.
~ 63 ~

Encadré n°05
Les leaders d’opinion sont des individus exerçant une influence certaine au sein de groupes sociaux
restreints (cercle familial, amical, professionnel, etc.). Cette influence repose sur des relations
interpersonnelles entre les individus, sur le statut et le rôle social occupé par le leader, et sur son
activité de médiation, de traduction et de filtrage des informations médiatiques utiles à l’unité du
groupe. Ce sont des personnes politisées qui relaient le message, le colorent et le diffusent.

Ces recherches ont montré que l’influence des campagnes électorales tout du moins
au temps de la radio était très limitée. Cependant certains auteurs ont par la suite fait
remarquer que d’autres aspects de la recherche de Lazarsfeld notamment l’effet de
renforcement de l’intention, l’effet de l’activation des prédispositions politiques
étaient également très importants.

Les effets directs des médias sont difficiles à mesurer, et si on les mesure, c’est de
manière indirecte donc par le biais de la conversation, des échanges informels. On
remarque dans les enquêtes que ce sont les personnes les plus intéressées par la
politique qui vont le plus s’exposer aux messages politiques. Bien sûr quand on
évalue le public des JT on a tout de même un public très large, mais quand on regarde
qui s’expose à des émissions repérées comme politiques, on tombe tout de même sur
des publics plus spécialisés. On retombe dans la même question : comment toucher
non pas cet électorat déjà convaincu mais plutôt l’électorat le plus susceptible de
changer d’avis mais aussi le moins intéressé par la politique ? Il est donc difficile
d’isoler des effets propres aux expositions des messages politiques.
~ 64 ~
Encadré n°06
Identification partisane : forgée durant l’enfance au sein du foyer familial, elle fonctionne comme
un écran qui filtre la vision du monde des électeurs. Plus les individus s’identifient à un parti, dans
le droit fil des valeurs auxquelles ils ont été socialisés dans leur milieu familial, plus ils sont enclins
à voter pour le candidat de ce parti, même sans connaître précisément les opinions que soutient le
candidat.

2. Les approches récentes : préoccupations médiatiques et préoccupations


citoyennes

Les médias proposent un certain nombre de sujets qui intéressent leur public et qui
produisent un certain nombre d’effets sur celui-ci. Généralement, on distingue 3 types
d’effets : effet de mise sur agenda, effet d’amorçage et effet de cadrage.

2. 1. L’effet de mise sur agenda ou « agenda-setting (effect) »

Selon Bernard Cohen, « la presse ne réussit sans doute pas la plupart du temps à dire
aux individus ce qu’ils doivent penser, mais est incroyablement efficace lorsqu’il
s’agit de dire aux électeurs ce à quoi ils doivent penser » (Bernard Cohen, 1963).
Reprenant plus de 10 ans plus tard cette hypothèse, Maxwell McCombs et Donald
Shaw vont formaliser cet effet en forgeant le concept de « fonction de mise à
l’agenda » ou « agenda-setting function » des médias.

Cette notion principalement utilisée en politique publique vise à rendre compte d’un
travail de sélection opéré par différents acteurs en vue de porter des
problèmes/questions sur la place publique. De façon assez proche, deux auteurs Cobb
et Elder ont utilisé la notion d’agenda-building pour décrire les liens entre
l’élaboration de l’agenda politique (les problèmes traités par le gouvernement),
l’agenda des médias et l’agenda de l’opinion publique. Il y a souvent correspondance
entre les trois mais pas toujours.
~ 65 ~

2. 2. L’effet d’amorçage ou « priming effect »

On va parler de la concurrence des évènements entre eux. C’est une modification


momentanée des critères de jugement sous l’effet d’une information temporairement
plus accessible. Les médias, en favorisant ce qu’on appelle la « saillance » de certains
enjeux, en rendant majeur et plus important un enjeu par rapport aux autres,
influencent les critères de jugement appliqués au gouvernement, au président, à la
politique publique et au candidat. Autrement dit, quand il y a surabondance
d’informations sur un sujet, comme par exemple la crise ou l’insécurité, le public va
avoir tendance à juger des éléments politiques (que ce soit la perception des acteurs
politiques ou des politiques publiques elles-mêmes) par rapport à ce sujet dominant, à
cette information particulièrement diffusée. Donc le thème qui est abondamment
traité devient le critère dominant du jugement : vente de l’avion présidentiel Falcon
50, l’assassinat d’Ernest Manirumva, crise liée au 3ème mandat au sein du CNDD-
FDD, etc.
L’amorçage est un mécanisme cognitif, d’élaboration de jugement à partir de certains
critères. Les informations réorganisent l’importance que les téléspectateurs accordent
à certains sujets plausibles à l’aune desquelles évaluer les politiques. Dans le domaine
des affaires publiques, l’information la plus accessible est celle qui est la plus
fréquemment ou récemment véhiculée par les médias. Or, c’est à partir de ces
informations consommées que se forgent des opinions ainsi orientées vers l’une ou
l’autre préoccupation.

2. 3. L’effet de cadrage ou « framing effect ».

L’effet de cadrage ne mesure pas l’imposition d’un problème par les médias mais il
mesure les cadres interprétatifs auxquels les médias ont recours pour définir un
évènement. Le cadrage suppose essentiellement de la sélection et de la saillance.
Cadrer suppose de sélectionner quelques aspects d’une réalité perçue et d’en faire
quelque chose de plus saillant dans sa mise en public, de telle sorte à valoriser une
~ 66 ~

définition particulière d’un problème, une interprétation causale, une évaluation


morale/ou la prescription de recommandations pour traiter le problème ainsi décrit.
Ainsi par exemple, selon J. Gerstlé, on peut avoir un phénomène naturel comme la
canicule et on peut présenter ce phénomène de manière très différente ; comme une
fatalité qu’on ne peut pas empêcher ; comme une conséquence du réchauffement
climatique, ce qui impliquerait une action dans le domaine de l’environnement ;
comme un symptôme de la perte de lien social.

Ce cadrage va donc impliquer des décisions différentes en termes de politiques


publiques. Ce qui importe dans l’effet de cadrage ce n’est pas tant le compte rendu de
l’évènement que la manière dont l’évènement va être raconté. Par ce biais-là, on va
construire la perception qu’on a de l’évènement.

Selon Iyengar, « la manière dont le problème va être présenté va conditionner mon


jugement ». Cet auteur estime en outre que le cadrage a pour effet de désigner qui est
responsable d’un problème. Dans son ouvrage Is Anyone Responsable ? How TV
Frames Political Issues, il propose de distinguer deux grands types de cadrages qui
caractériseraient les messages politiques à la télévision :

1° Le cadrage épisodique : il va mettre l’accent sur la singularité d’un cas isolé et


donc va induire une certaine dépolitisation du problème qui est évoqué. Exemples :
un reportage sur le chômage va montrer les recherches infructueuses des demandeurs
d’emploi ou va montrer au contraire le chemin vers l’emploi d’une personne. Un acte
de violence peut être présenté comme un acte isolé, l’acte d’un fou : dans cette
perspective la question évoquée est dépolitisée, personne n’est responsable sauf
l’individu qui a commis l’acte en question. Autrement dit, il insiste sur la
responsabilité individuelle et non collective.

2° Le cadrage thématique : il vise au contraire à rattacher un évènement au contexte


sociopolitique dans lequel il s’inscrit, en rendant de cette façon possible une
~ 67 ~

attribution de la causalité politique du téléspectateur. Qui est responsable ? Cela veut


dire que le téléspectateur va se voir désigner un responsable possible de la
situation. Exemple : quand on regarde la pénurie du carburant au Burundi, on désigne
sans doute le gouvernement mais on peut aussi désigner les donateurs occidentaux ;
les pétroliers, etc. De façon assez similaire, les acteurs politiques eux-mêmes vont
cadrer leurs messages en sélectionnant certains aspects de la réalité et en espérant un
changement éventuel du contenu des croyances des citoyens.

Ces trois effets finalement revisitent la notion de persuasion. Il s’agit quand même de
relativiser les effets de persuasion des médias en montrant qu’ils peuvent
éventuellement influencer la manière dont on perçoit l’évènement, les critères
considérés comme majeurs, voire l’arrivée sur l’agenda politique d’un problème mais
en montrant aussi la difficulté à identifier ces effets.

A partir du moment où ces effets ont été identifiés, on a essayé de comprendre


l’autre versant de la communication : comment ces effets peuvent-ils être appropriés
par le public, ces effets ont-ils autant d’effets que ce que l’on croyait ? Dans les 3 cas,
l’effet recherché est la persuasion des citoyens. J. Zaller, dans « The Nature and
Origins of Public Opinion » a montré que la persuasion varie suivant les individus et
a introduit une critique très importante de la théorie des effets en montrant trois
éléments :

1° Plus un individu est engagé sur le plan cognitif (sensible à un problème), plus il
sera attentif et recevra le message et son enjeu ;
2° Les individus tendent à résister aux arguments contraires à leurs prédispositions
politiques surtout s’ils disposent d’informations leur permettant de relier le message à
leurs prédispositions. Par exemple si je suis sympathisant du CNDD-FDD et que je
lis un discours dont je sais qu’il est du Gnl E. Ndayishimiye sur la sécurité, je vais
être d’accord avec lui, alors que si on lit le même discours écrit par Rwasa du CNL ça
ne sera pas le même ressenti ;
~ 68 ~

3° Plus un message a été évoqué récemment, plus il sera rapidement mémorisé,


susceptible de modifier l’opinion et d’activer une attitude mémorisée correspondante.

2. 4. La critique de l’approche par les effets à travers les approches par la


réception

Cette critique de l’approche par les effets a été fondée notamment par Stuart Hall, qui
a publié un article fondateur dans la revue Réseaux en 1994. C’est un article qui porte
en fait sur ce que Hall a appelé l’« encodage » et le « décodage » des messages. Pour
lui, la communication repose sur 2 processus selon lesquels le message est encodé par
l’émetteur et va être décodé par le récepteur du message.

1° Le processus d’encodage est en fait un processus d’attribution de sens par


l’émetteur. Quand une personne parle, dans le message qu’elle produit elle y met un
certain sens, et la personne espère qu’on le saisit.
2° Le processus de décodage est un processus d’interprétation, de traduction de ce qui
a été dit par le récepteur.

Hall va montrer que ce qui pose problème dans la communication, ce n’est pas
tellement le processus d’encodage mais celui de décodage. On croit en fait que le
sens donné par l’émetteur est le seul qui peut être perçu par le récepteur. Mais Hall
dit qu’il existe 3 types de décodages possibles :

1° Le décodage qui s’appuie sur le « code dominant » : il s’agit d’une lecture


imposée par l’ordre culturel dominant. C’est la lecture qu’une personne insérée dans
la société et acceptant le cadre dominant va accepter et adopter. C’est le décodage
généralement recherché par l’émetteur.
2° Le décodage qui s’appuie sur un « code négocié » : il correspond à une
acceptation de certains éléments de la culture dominante et au refus d’autres éléments
de cette même culture. La position de code négocié est une position où l’interlocuteur
~ 69 ~

va accepter généralement les grandes définitions, les grands principes mais où il va


s’opposer à certains éléments du message, à certaines situations qui sont proposées
par ce dernier. Hall donne l’exemple où un message politique est donné à propos de
la restriction du droit de grève, et il indique que ce message peut être décodé et
même intégré par l’interlocuteur, sans pour autant que ce dernier considère que lui-
même doit restreinte son droit de grève ou sa pratique de la grève. C’est donc un
message politique à moitié reçu : décodé car la personne entend bien qu’il faut
restreindre le droit de grève mais cela ne va pas dire qu’elle a intégré ce que cela
implique pour sa propre situation.

3° Le décodage qui s’appuie sur un « code oppositionnel » : dans cette position, les
interlocuteurs vont refuser le code dominant et vont même proposer une toute autre
interprétation de la réalité et du message.

Pour Hall, le défaut des études sur les effets c’est que ces études ne travaillent que sur
la production de message et non pas sur le sens que les récepteurs des messages vont
donner aux messages reçus.
~ 70 ~

Chapitre 5
LES PROFESSIONNELS DE LA COMMUNICATION POLITIQUE

En se concentrant sur l’histoire des démocraties contemporaines, on identifie un


processus constant de professionnalisation de la communication politique. D’abord
incarnée par les experts en relations publiques puis par les consultants politiques et
les spin doctors, cette tendance traduit une adaptation du travail politique (notamment
des campagnes électorales) à l’évolution de la société et des médias (la presse, la
radio, la télévision, l’internet et les réseaux sociaux). Elle se caractérise aussi par une
relégation progressive des militants et des bénévoles des organisations partisanes
ainsi qu’un rejet populaire de la politique et de ses représentants. Elle se caractérise
enfin par l’invention d’une communication publique à même de conduire et
disciplinariser les citoyens en réduisant les risques d’exposition des institutions
publiques.
Encadré n°07
« Spin doctors » est une expression anglo-saxonne utilisée pour désigner un conseiller en
communication, le plus souvent en politique. Les spin doctors sont des spécialistes des relations
publiques la plupart du temps au service d’une personne (un chef d’entreprise, un politique, une
célébrité du monde du spectacle…) plutôt qu’au service d’une marque ou d’une entreprise. Ces
« doreurs d’image » sont en charge de la notoriété et de l’image de la personne et particulièrement
présents en cas de crise. Souvent critiqués de pratiquer un marketing manipulateur, leur travail
consiste à « gérer » la vérité. Autrement dit à analyser et déterminer ce qui peut/doit être dit et
surtout quand, à qui et comment il convient de le dire, pour obtenir le meilleur impact.

1. Invention du « métier » de conseiller en communication

Pas de place pour les amateurs ! Tel est le constat qui frappe tout observateur qui se
penche aujourd’hui tant sur le niveau d’organisation que sur le profil des équipes de
campagne des candidats aux élections nationales dans les démocraties actuelles. Etre
~ 71 ~

conseiller en communication, c’est d’abord un rôle et ensuite des croyances


partagées.

1. 1. Un rôle

Le premier à avoir publié sur ce rôle est Cayrol dans La nouvelle communication
politique. Il postule que cette nouvelle communication politique s’oriente vers la télé
au lieu d’aller au public. C’est donc un rôle car selon Cayrol, le conseiller en
communication est une personne qui maîtrise les techniques de marketing politique et
qui aide un candidat à les mettre en œuvre dans le cadre d’une stratégie donnée. Les
conseillers en communication sont généralement des publicitaires reconvertis dans le
champ politique.

1° Son rôle est de mettre l’acteur politique en confiance, puisque l’objectif du


conseiller en communication est d’être l’écouté de l’acteur politique afin de le mettre
en confiance pour l’amener à modifier son attitude, son comportement.
2° Le conseiller en communication va former l’acteur politique aux techniques de
communication et lui fournir des astuces de manière à apparaître le plus
avantageusement possible au public. Exemple : pour les apparitions télévisées, il le
conseille de porter une chemise bleue plutôt qu’une chemise blanche qui donne le
teint blafard, de ne pas avoir l’air agressif, de toujours sourire, de ne pas interrompre
ostensiblement son interlocuteur.

3° Le conseiller en communication va étudier la position de l’opinion publique et


l’image que le candidat a dans le public, particulièrement en période de campagne. Il
va notamment observer comment évolue l’image du candidat en fonction des groupes
sociaux, et éventuellement ajuster la stratégie de communication aux différents
groupes.
~ 72 ~

4° Enfin, le conseiller en communication établit la stratégie politique de


communication qu’il modifie en cours de campagne selon les stratégies mises en
œuvre par ses adversaires.

1. 2. Les croyances partagées des conseillers en communication politique

Selon Ph. Riutort, les conseillers en communication partagent des croyances sur leur
propre métier et sur leur propre efficacité.

1° Il y a une croyance dans l’efficacité du discours : les conseillers en communication


croient que le discours politique produit des effets sur le récepteur. Cela explique
notamment qu’ils vont beaucoup s’intéresser à la nature des messages, aux effets des
médias plutôt que d’adopter une approche plus sociologique qui, peut-être, mettrait
l’accent sur des déterminismes sociaux.

2° Il y a aussi une croyance dans la capacité des conseillers en communication à


ajuster le vocabulaire et les messages politiques : en effet, ils recourent aux analyses
qui cherchent dans le contenu même du message sa signification et sa puissance
sociale. Les conseillers en communication vont donc en permanence essayer d’ajuster
le vocabulaire politique à ce qui est supposé être justement un agencement efficace.
L’efficacité est entièrement dépendante de la prestation de l’homme politique. On fait
complètement abstraction des conditions de la réception/des différents types de
décodages et on considère que si le candidat suit bien les recommandations, s’il
ajuste son message, il a forcément une stratégie gagnante.

3° Il y a la croyance dans le besoin de conseils en communication, puisque les


conseillers en communication présenteraient leur apparition/leur présence comme
naturelle/inéluctable compte tenu de l’évolution des techniques, particulièrement
compte tenu de l’existence de la télévision par rapport à la situation antérieure. (Les
conseillers en communication sont apparus en nombre avec l’apparition de la
~ 73 ~

télévision aux USA). On peut donc considérer que ces conseillers en communication
vont accorder la primauté aux techniques et particulièrement ici à la TV, mais on
pourrait bien évidemment généraliser ceci à l’internet, par rapport aux relations
sociales. Cette idéologie professionnelle repose en fait sur les intérêts de ces
professionnels de la communication qui ont besoin de se légitimer et donc qui ont
besoin de se trouver des moments fondateurs de la profession.

Or, on peut relativiser ce besoin de conseils en communication et évoquer d’autres


conditions qui favorisent le développement de l’activité de conseiller en
communication, comme par exemple les conditions institutionnelles comme
l’élection du président de la République au suffrage universel direct qui va légitimer
le recours au conseiller en communication puisqu’ils se présentent comme des
intermédiaires entre cette figure bien dominante du président de la République et le
public. Evidemment cette élection du président au suffrage universel direct s’est
accompagnée dans une certaine mesure d’une légitimation des partis politiques dans
les démocraties occidentales. Il y a aussi une division croissante du travail politique
et donc le développement du « savoir » spécifique dans le domaine de la
communication, avec une distinction progressive qui s’est opérée entre les sondeurs ;
c’est-à-dire ceux qui scrutent l’opinion, et les conseillers en communication ; c’est-à-
dire les experts de l’évaluation dans l’opinion des conséquences qu’auraient tel ou tel
choix politique.
4° Il y a enfin une croyance dans l’existence d’une crise de la démocratie
représentative et donc une croyance dans la nécessité de créer ou de recréer de
nouvelles relations entre gouvernants et gouvernés ; entre l’homme politique et le
public.

2. L’américanisation de la vie politique : fin de l’amateurisme ?

C’est une hypothèse souvent avancée dans les travaux, notamment ceux de Blumler
et Cavanagh sur les trois âges de la communication politique, ainsi que ceux de
~ 74 ~

Farrell et Webb qui ont produit un chapitre nommé « Parties without Partisants ». Ils
décrivent donc ce qu’ils appellent un troisième âge de la communication politique qui
serait la période actuelle. Ils distinguent donc trois âges :

1° Première période dite aussi « période de l’âge d’or » est marquée par des contacts
directs. C’est une période des partis de masse où les discours partisans étaient perçus
comme une source essentielle du débat social et où ces discours étaient
essentiellement transmis par les documents des partis, par les affiches et puis sinon
par les réunions publiques et le contact interpersonnel. On appelle aussi cet âge
« l’âge d’or du parti de masse » ;

2° La période de généralisation de la télévision où les partis politiques et les


candidats vont être conduits à adapter leurs messages aux attentes supposées des
téléspectateurs et des électeurs. C’est une période qui se caractérise par les
professionnels de la communication politique qui vont adapter le message des
politiques en forme et en fond. C’est également à cette période qu’il y a recours
massif aux sondages d’opinion. C’est l’âge de la télévision car le contact personnel
entre acteurs politiques et électeurs a été remplacé par un contact indirect par le biais
de la télévision.

3° Période caractérisée par une campagne permanente menée à l’aide de nouveaux


médias, de nouveaux supports variés de la communication, l’internet notamment. Il y
a ciblage des messages. Cela va aussi permettre aux citoyens d’interagir avec les
acteurs politiques. C’est la période portée par les conseillers en communication
politique. En effet, à partir des années 90, on a des canaux télévisés mais on peut
aussi faire de la télévision sur le net. Donc le message politique peut apparaître sur
une multiplicité de supports. Ce qui caractérise notre période actuelle est justement
une augmentation des supports et une campagne permanente. Cela va permettre aux
partis politiques de cibler davantage leurs messages vers des segments spécifiques de
population.
~ 75 ~

C’est beaucoup moins vrai en France que dans les pays Anglo-Saxons, car dans ces
pays c’est aussi lié à la tradition culturelle qu’il y a une habitude de s’adresser aux
communautés (pas forcément sociales mais culturelles, ou une catégorie d’âges…).
Les citoyens dans ces pays ont davantage de moyens pour réagir. Ces auteurs
soulignent que les partis et les candidats aux élections seraient de plus en plus enclins
à modeler et cibler leurs messages en fonction des attentes supposées des électeurs
plutôt que de porter des propositions programmatiques élaborées en interne. Cela
veut dire que finalement les partis politiques seraient progressivement dépossédés de
leur fonction importante qui est celle du produire des programmes et des projets.

La théorie des trois âges accuse cependant quelques limites.

1° Il n’y a pas lieu de distinguer les différents âges car on ne voit pas les savoir-faire
nouveaux ;
2° Les trois âges se combinent au lieu de se succéder. Ainsi par exemple, aux USA,
les campagnes électorales combinent les éléments qui proviennent des trois âges de la
politique ; d’où l’on peut dire que cette distinction reste artificielle.
3° En fonction des ressources de chaque organisation, les schémas ne sont pas les
mêmes : certains privilégient la télé, d’autres l’internet, d’autres encore la radio, etc.
Autrement dit, comme beaucoup de travaux l’ont souligné, les manières de faire
campagne varient énormément d’un parti à l’autre, varient également selon les
contextes institutionnels. Blumler et Cavanagh eux-mêmes ont dit que leurs schémas
évolutifs étaient inspirés par les expériences américaines et britanniques et qu’il
faudrait le confronter à différents contextes.
~ 76 ~

Chapitre 6.
LES MUTATIONS DE L’ESPACE PUBLIC ET L’IRRESISTIBLE
MEDIATISATION DU POLITIQUE

Au début de ce chapitre, il n’est sans nul doute pas inutile de rappeler que le
développement de la démocratie et des médias libres n’est une tendance ni naturelle
ni inéluctable de l’Histoire. Nous savons que les régimes démocratiques ont inauguré
un contrat politique d’un genre nouveau fondé sur la séparation des pouvoirs,
l’égalité des droits, le principe de justice et la garantie des libertés fondamentales. En
effet, c’est à travers des luttes sociales et politiques, des controverses et différentes
mises à l’épreuve que ces nouveaux principes de dévolution et d’exercice du pouvoir
ont pris le pas sur les principes établis ou concurrents. Là où il s’est institutionnalisé,
ce nouveau contrat politique a progressivement reconnu les libertés nécessaires à
l’efficacité de la démocratie : liberté de l’information (transparence de la décision
politique qui fait pièces au secret d’Etat et à la censure) et la liberté d’opinion (droit à
et de s’opposer qui révoque l’arbitraire absolutiste).

Après avoir admis le caractère souvent imprévisible mais désormais incontournable


du verdict électoral des masses, les compétiteurs politiques – comme les gouvernants,
d’ailleurs – doivent aussi s’accommoder d’une presse libre, d’un espace public
pluraliste et critique. A cet apprentissage des règles du jeu démocratique, s’ajoute
avant la fin du XIXe siècle le défi de composer avec les changements sociaux,
culturels et technologiques de la société industrielle qui se traduisent notamment par
l’industrialisation de la presse et des médias. La presse à grand tirage et la
professionnalisation des journalistes constituent une nouvelle donne pour le travail
politique, électoral comme gouvernemental. Avec la technicisation des nouveaux
médias de masse (radio puis surtout télévision), de nouveaux rôles spécialisés
apparaissent dans le jeu de l’information politique. Ainsi, à côté du politique et du
journaliste, émergent les figures du porte-parole, de l’attaché de presse, du sondeur et
de l’analyste de l’opinion publique, du conseiller en marketing et relations publiques,
~ 77 ~

du stratège en communication médiatique, etc. Le politiste français Philippe Riutort


décrit cette démultiplication des rôles professionnels au sein du monde de
l’information politique comme le résultat du processus d’« allongement des chaines
d’interdépendance des circuits de légitimation des détenteurs du pouvoir politique ».

Le développement aussi rapide qu’historiquement inédit des moyens de


communication tout au long du XXe siècle a nourri le sentiment d’assister à une
véritable « colonisation du monde vécu » par les médias de masse, selon l’expression
de Jürgen Habermas. Si la notion d’espace public demeure très utilisée, elle semble
aujourd’hui moins opératoire pour décrire les fortes interactions entre les
changements dans les médias et les communications d’une part, et les changements
dans la culture et la société, d’autres part, amenant certains auteurs à élaborer le
concept de « médiatisation » (mediatization) des sociétés. Bien évidemment,
l’application de ce concept à la politique – « médiatisation du politique »
(mediatization of politics) – a permis de mettre au jour le poids considérable des
logiques médiatiques dans la construction sociale de la réalité politique, mais aussi
les effets de la médiatisation de l’ensemble des activités sociales sur les formes de la
démocratie elle-même.

Encadré n°08
La médiatisation désigne le processus relativement long par lequel des éléments centraux de
l’activité sociale et culturelle se retrouvent progressivement sous le contrôle des logiques
médiatiques.

1. L’évolution des régimes médiatiques et du gouvernement représentatif

Depuis les premières révolutions politiques, l’Etat de droit, la démocratie et le


journalisme modernes se sont construits sur base de la publicité des informations
politiques. Au cours des Etats généraux français de 1789, cette transformation est
l’un des premiers points de crispation entre le Roi et les députés, ceux-ci désirant
reproduire publiquement les débats de l’Assemblée. La liberté d’expression ne
~ 78 ~

s’exprime pas seulement dans l’arène parlementaire, mais aussi dans les journaux et
les salons. Valeur cardinale de la démocratie en train de naître, la publicité des
informations et des opinions politiques est au fondement des nouveaux rapports de
pouvoir qui sont expérimentés à l’ère contemporaine.

Cependant, parce « la liberté de l’opinion publique » n’est pas sans présenter « un


certain risque pour l’ordre public », les professionnels de la politique cherchent à
organiser différemment leur travail d’encadrement des masses électorales, des
troupes militantes ainsi que leurs rapports avec les journalistes.

Entreprises collectives organisées et structurées pour ordonner le travail politique


(rédiger les programmes, coordonner la mobilisation des militants et des électeurs,
contrôler les candidatures, etc.), les partis politiques deviennent au fil du XXe siècle
les principales instances de régulation du jeu politique. Ce sont eux qui monopolisent
l’essentiel de la production en termes de communication électorale et politique ainsi
que tout le travail politique orienté vers les journalistes.
Comme l’écrivait B. Manin, « la démocratie du public est le règne de l’expert en
communication ». Les professionnels de la communication et du marketing
contribuent à la production de biens politiques (discours, slogans, arguments et
mêmes éléments du programme) ajustés à une demande identifiée et mesurée grâce à
des enquêtes d’opinion.

Certains observateurs estiment que le lien idéologique et électoral a été


progressivement remplacé par un lien de type marchand fondé sur l’adéquation entre
une offre (producteurs) et une demande (consommateurs) amenées à se rencontrer
lors d’une campagne électorale (marché). Dans cette configuration, les partis
politiques demeurent bien des entreprises spécialisées dans l’offre de biens politiques
électifs (principalement des candidats mais aussi des programmes, des promesses).
Cependant, ils se voient aujourd’hui fortement concurrencés par d’autres entreprises
politiques – groupes d’intérêt, ONG, think tanks – proposant également aux médias et
~ 79 ~

au public des biens politiques : diagnostics des problèmes publics, initiatives


citoyennes, projets de réforme, processus de concertation, etc.

La démocratisation de l’accès aux médias et aux outils experts de la communication


offre une plus grande publicité aux visions du monde. Ainsi, dans ce double
changement de régime – tout à la fois politique et médiatique, « s’ils revendiquent, à
l’époque moderne, le monopole d’activité sur le marché des biens électifs, les partis
sont de plus en plus concurrencés sur d’autres marchés par d’autres, producteurs eux
aussi de biens politiques ».

Par ailleurs, il faut noter que la fin du XXe siècle, et plus encore le début du XXIe
siècle, ont amené une plus grande publicité des opinions des citoyens. En effet, le
développement des médias électroniques (sites, blogs, plateformes d’hébergement
vidéo) et des réseaux socionumériques (Facebook, Tweeter, whatsapp, instagram,
etc.), mais aussi le recours croissant aux dispositifs de concertation tendent à
individualiser les médias de masse, traçant de nouveaux usages.

Confronté à ce nouveau régime de la publicité de l’information et des opinions, le


gouvernement représentatif marque un changement. Face à l’irruption des publics, à
l’évanouissement de l’idée de vérité unique et aux incertitudes devant les grands
choix sociétaux, la légitimité du mandat des représentants politiques trouve
aujourd’hui davantage sa source dans la pratique horizontale de la responsabilité que
dans l’exercice vertical de l’autorité que l’on qualifiera de « démocratie des publics ».

2. La médiatisation du politique

Les travaux regroupés sous le label de « médiatisation du politique » s’intéressent aux


processus sociaux et, nous le savons déjà, tentent d’appréhender les différents âges de
la communication politique » moderne.
~ 80 ~

1° Les différents auteurs conviennent d’une première phase de communication,


caractérisée par une subordination de la communication aux institutions politiques et
aux croyances politiques où les partis et les responsables politiques avaient un accès
privilégié aux médias. Cette phase est celle où les médias occupent un rôle de
médiation dans un univers de relative rareté des supports, tout du moins où le public
est dépendant de ces médias de masse (presse écrite et radio) pour s’informer sur le
jeu politique. L’allongement des chaines d’interdépendance s’effectue à partir de
deux processus sociaux parallèles (la logique médiatique et la logique politique) que
l’on peut appréhender à partir de quatre facteurs : la place des médias comme sources
d’information, le degré de dépendance des médias, le degré de gouvernement des
médias par les facteurs politiques ou médiatiques, et, enfin, le degré de gouvernement
des politiques par des facteurs politiques ou médiatiques.
2° Le deuxième âge de la communication qui s’amorce à partir des années 1960 se
caractérise par l’arrivée de la télévision (commerciale) comme moyen de
communication et, où les médias commencent à « penser médias », où il y a une plus
forte professionnalisation journalistique. Mais, côté politique, il reste une marge et
une place importantes d’imposition, du fait notamment du nombre toujours limité de
chaines de télévision. Le politique y domine le jeu.
3° Le troisième âge, au tournant des années 1980 et 1990, est une phase marquée par
l’indépendance médiatique, des médias puissants et importants, et où les politiques
doivent commencer à s’adapter aux médias et non l’inverse. Cette phase est la
première d’abondance communicationnelle, due notamment au passage d’un nombre
limité à un nombre important de chaînes audiovisuelles, et ce en un temps très
restreint.
4° Certains auteurs affirment que nous serions entrés dans un quatrième âge de la
communication politique. Cinq éléments caractérisent cette dernière période :
a) Pression à la professionnalisation toujours très poussée de la communication
(poids de la campagne permanente, des sondages dans l’élaboration des
politiques, campagnes négatives, multiplication d’associations
professionnelles, etc.) ;
~ 81 ~

b) concurrence toujours plus intense ;


c) « anti-élitisme populiste » se manifestant par un appel exacerbé à la
participation du public et à la réactivité ;
d) Changement dans la conception et le rapport au politique des citoyens ; enfin,
« diversification centrifuge », donnant naissance à des sous-communautés
politiques, due à la multiplication des formes de communication et des
techniques pour des publics très segmentés, sujets à une exposition sélective
d’information, mettant en avant des identités précises, avec des agendas
pluriels.

A ce titre, cette dernière étape marque un franchissement d’un nouveau seuil avec la
généralisation de l’adaptation à la logique médiatique commerciale, tant au sein des
entreprises journalistiques que dans l’activité politique. Avec un effet retard, la
prédiction de Jürgen Habermas d’une colonisation du monde vécu par les médias
aurait ainsi trouvé à se réaliser. Internet renforce et accélère ce phénomène. Pour
certains spécialistes, ce nouveau média ne fait qu’exacerber la tendance à
l’alignement de tous les professionnels de l’espace public sur la media logic, quand
pour les autres, il introduit une accélération historique du temps politique et fournit
une arme supplémentaire à la course aux armements communicationnels que se
livrent les professionnels de la politique.

3. Les transformations du journalisme politique

Penser les transformations de la communication politique, c’est s’intéresser au travail


de mise en public et en récit du politique et en particulier au rôle occupé par les
journalistes en tant que type d’homme politique professionnel. A mesure que les
gouvernants sont soumis au regard critique d’une opinion publique apparaît un rôle
nouveau d’agents sociaux spécialisés dans la production d’informations et de
représentations politiques, jusqu’à s’ériger comme un véritable contre-pouvoir,
quatrième pouvoir oppositionnel aux pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Il
~ 82 ~

convient donc d’observer en détail les relations que les entreprises médiatiques ont
successivement entretenues avec les pouvoirs sur le temps long du politique. Dès lors
que l’on s’engage sur un tel diagnostic, cela suppose d’articuler la dimension
politique aux enjeux économiques, sociaux et technologiques qui sous-tendent la
production médiatique. Il s’agit, d’une part, de s’intéresser aux efforts des
gouvernants, des acteurs politiques et du groupe des journalistes eux-mêmes pour
contrôler, encadrer, réguler et/ou autonomiser l’univers médiatique, en fonction des
évolutions institutionnelles et socioculturelles du pays ; et, d’autre part, d’observer la
manière dont les mutations politiques ont bouleversé le système médiatique et,
réciproquement, la manière dont les transformations médiatiques ont accompagné les
métamorphoses du système politique.

Erik Neveu pour la France, Jean Charron et Jean de Bonville pour l’Amérique du
Nord distinguent 4 configurations du journalisme, plus ou moins contemporaines des
phases décrites précédemment. Au-delà des éléments descriptifs, ces éléments tentent
d’articuler les évolutions de la pratique journalistique avec l’organisation
économique, politique et sociale, les fondements matériels et techniques des médias,
les modes d’organisation du travail des journalistes, les représentations qu’ils se font
de leur rôle et les caractéristiques sémantiques ou stylistiques de leur production.

1° Jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle, il est impropre de parler de journalisme


politique. Il est plus adéquat d’évoquer la figure du « publiciste », comme étant
d’abord un acteur politique : homme politique, soutien d’une fraction parlementaire,
porte-parole d’une composante du mouvement ouvrier naissant et qui écrit pour
intervenir dans le débat politique. De facto, il est au service, d’une cause et ne se
préoccupe pas de produire une écriture journalistique « objective ».

2° Au tournant du XXe siècle, lui succède progressivement un journalisme politique


autonome et diffuseur de « nouvelles », revendiquant tout à la fois l’exercice d’un
métier avec ses savoirs et savoir-faire, le respect de règles d’écriture objectives et une
~ 83 ~

autonomie professionnelle à l’encontre des politiques comme des littéraires. Cette


configuration professionnelle est possible avec la consolidation de la liberté de la
presse, l’avènement d’entrepreneurs de presse et de conditions économiques propices
à une diffusion élargie ainsi que la constitution d’un public élargi alphabétisé.

3° Ce deuxième modèle est ensuite remis en cause dans les années 1960-1980. Face à
la professionnalisation de la communication politique et avec la montée du
journalisme audiovisuel, les journalistes politiques vont progressivement modifier la
mise en forme des informations et développer un journalisme d’« expertise critique ».
C’est un journalisme qui va beaucoup plus systématiquement chercher à regarder
dans les coulisses du politique afin de faire prévaloir un savoir-faire critique. Ce
nouveau journalisme va fortement s’appuyer sur les sondages pour fonder son
expertise et résister ainsi à la professionnalisation de la communication politique. A
l’instar de la « démocratie du public », ce journalisme est marqué par la montée des
logiques d’audience. Du côté de la sociologie des journalistes, on constate que les
nouveaux entrants dans la profession sont plus systématiquement diplômés et ont un
rapport plus distant et critique à l’encontre du politique.

4° Mais ce modèle semble rencontrer des problèmes à partir du milieu des années
1990, du fait de la stagnation des audiences télévisées, de la crise économique des
médias, de la rapidité des changements du jeu politique et de l’apparition de
nouveaux acteurs. Progressivement, apparaît une confusion entre journalisme
politique et show politique. On assiste alors à l’avènement du « journalisme de
communication » dans le journalisme politique, caractérisé par un ciblage croissant
des attentes des audiences, par des frontières floues entre discours journalistiques,
paroles citoyennes et communication d’entreprise, par un renforcement de l’affichage
de liens de « connivences » entre les rédactions et leurs publics, etc. Le système
médiatique contemporain se caractérise, en effet, par une diversification et une sur-
spécialisation des supports. Partant, se développe une privatisation de l’information
~ 84 ~

selon les pratiques des lecteurs avec, pour corollaire, une plus grande infidélité des
lecteurs.

4. La communication comme substrat (base ou fondement) de la démocratie

Puisqu’à l’ère moderne, la société démocratique refuse tout fondement transcendant,


« l’être-ensemble ne peut avoir d’autre légitimité que la communication entre sujets
définis originairement comme « libres ». C’est dans le dialogue, dans l’argumentation
que devra se former la règle commune ». Cette communication de la société avec
elle-même implique l’invention de modes et de lieux de communication, l’invention
de l’instruction et de la presse pour que chacun communique à distance avec autrui,
en faisant connaître son point de vue et en prenant connaissance des points de vue
qui s’expriment, bref, la création d’un espace public et l’amélioration des conditions
de la publicité.

Les médias sont intrinsèquement liés à la démocratie, comme l’huile est


indispensable au bon fonctionnement d’une machinerie complexe. En assurant
différentes missions, d’information, d’éducation des citoyens, de contrôle des
pouvoirs, les acteurs médiatiques exercent un rôle politique, en ce sens qu’ils sont
ramenés à soutenir le fonctionnement démocratique. Le rôle dévolu aux médias dans
une société représente une sorte de miroir tendu qui trahit l’état de fonctionnement de
la démocratie et les voies empruntées pour résoudre les problèmes qui se posent à
elle. La liberté de la presse est donc indispensable.

Pour comprendre mieux l’influence de la communication politique médiatisée, il faut


privilégier un mode de raisonnement qui restitue la complexité des interactions
formant le triangle de la communication : hommes/femmes politiques, médias,
publics.
~ 85 ~

Aujourd’hui, l’essentiel de la communication politique se joue dans la maîtrise ou


non par les hommes/femmes politiques, des médias de masse et la reprise ou non par
les journalistes, des intentions de communication des hommes/femmes politiques.
Les médias grand public ont contribué à élargir l’espace public, espace d’information
et de délibération, et donc rendu possible une démocratie élargie. Bernard Manin
propose de replacer dans l’histoire les caractéristiques de notre société politique
depuis l’apparition des médias de masse.

Il distingue trois temps dans l’histoire moderne de la représentation. Après le modèle


parlementaire, né avec la Révolution, sont apparues « la démocratie de parti », puis,
« la démocratie du public ». L’auteur dégage alors trois effets des médias
audiovisuels sur la politique :
1° la personnalisation du choix électoral, les médias conférant un caractère direct et
sensible à la perception des candidats par les électeurs ;
2° la quasi disparition de la presse d’opinion, du fait des évolutions techniques et
économiques, puis de la désidéologisation. Radio et télévision ayant finalement réussi
à se construire sur des bases non partisanes et grand public, la perception des objets
publics est donc devenue moins dépendante des préférences politiques ;
3° l’apparition d’une volatilité électorale, partiellement due aux électeurs instruits,
intéressés par la politique, et qui peuvent bien s’informer. Le vote redeviendrait pour
une partie de l’électorat le fruit d’une délibération individuelle rationnelle.
~ 86 ~

Conclusion générale

Ce cours nous a permis de comprendre que la politique est largement devenue affaire
de communication. Dans la conquête comme dans l’exercice du pouvoir, la
communication occupe aujourd’hui une place cruciale. Naguère encore rejetée du
côté des « procédés » peu avouables de conquête des électeurs, la communication
apparaît aujourd’hui comme une exigence des citoyens. Chaînes d’information
continue, réseaux sociaux, cotes de popularité, emballements médiatiques et
stratégies d’influence des groupes de pression sont le nouvel horizon de l’activité
politique. Bien plus, si l’éloquence et le maniement ritualisé des symboles y sont
toujours de mise, « bien communiquer » est devenu un impératif absolu dans les
sociétés de l’information, voire de la sur-information. D’où l’invention puis la
consécration de nouveaux « métiers » des professionnels de la communication ou
spin doctors dans la division du travail politique.
~ 87 ~

Références bibliographiques

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espace public, Paris, 1989.
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