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L'ÉVOLUTION DE L'ACTION COLLECTIVE À VILLA EL SALVADOR (LIMA) :

DE LA COMMUNAUTÉ AUTOGÉRÉE AU BUDGET PARTICIPATIF

Diana Burgos-Vigna

De Boeck Supérieur | « Mondes en développement »


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2003/4 no 124 | pages 113 à 130
ISSN 0302-3052
ISBN 2-8041-4304-X
DOI 10.3917/med.124.0113
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2003-4-page-113.htm
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L’évolution de l’action collective à
Villa el Salvador (Lima) :
de la communauté autogérée au budget participatif
Diana BURGOS-VIGNA(*)

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la Paix" décerné par l’UNESCO en 1987 ou le Prix "Príncipe de Asturias"
attribué par l’Espagne la même année, Villa El Salvador est très

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probablement aujourd’hui le bidonville le plus connu du Pérou. Cette
"barriada"1, comptant environ 340 000 habitants, tire en effet sa spécificité des
caractéristiques de sa fondation (1973), ainsi que des expériences de gestion
populaire qu’elle a connues. Fruit de l’association de l’État et de ses premiers
habitants, Villa el Salvador se présente dès son origine comme la concrétisation
de la ville "modèle" souhaitée par le général Velasco, qui arrive au pouvoir au
Pérou en 1968.
Ce militaire progressiste transforme l’une des nombreuses "invasions"2 de
terrains dans la périphérie de Lima en une initiative urbaine sans précédents, et
cherche à construire une ville qui sera la vitrine de son projet de promotion de
la participation populaire3. Les premiers habitants, d’abord encadrés par des
militaires et des urbanistes, mettent en place un nouveau modèle de gestion
populaire qui s’appuie sur un réseau associatif dense. La CUAVES4,
"communauté urbaine autogérée de Villa el Salvador", apparaît peu après et
devient rapidement un symbole de solidarité et de victoire sur la pauvreté.

Villa el Salvador se caractérise tout d’abord par un schéma urbain atypique


reposant sur le "groupe résidentiel", groupement de plusieurs pâtés de maisons
organisés autour d’un espace central autour duquel sont rassemblés des services

(*) Université Paris XII-Val de Marne burgos@univ-paris12.fr


1
Nous préférerons le terme de barriada à celui de bidonville qui n’est pas approprié ici, la
majeure partie de Villa el Salvador étant dotée de constructions "en dur".
2
Le terme d’"invasion" est celui qui est communément utilisé pour faire référence aux
occupations illégales des terrains vagues de la périphérie de Lima qui apparaissent dès les
années 1940, et qui donnent lieu à la constitution de nombreuses "barriadas" peuplées de
migrants andins ou de personnes fuyant les taudis du centre-ville de la capitale (voir Jean-
Claude Driant, Las barriadas de Lima, Lima, IFEA-DESCO, 1991).
3
Le gouvernement militaire de Velasco (1968-1975) lance un projet de participation
populaire à grande échelle appelé SINAMOS (système national d’appui à la mobilisation
sociale) destiné à encourager la participation des catégories les plus défavorisées au système
politique.
4
Ce terme désigne à la fois la ville dans son ensemble et son autorité représentative, c’est-à-
dire l’assemblée de délégués qui la dirige.

Mondes en Développement Vol.31-2003/4-n°124 113


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collectifs (écoles, centre de santé, terrain de jeu). En cela, la barriada se


différencie des autres villes latino-américaines qui, sur le modèle espagnol,
disposent, elles, d’une place centrale unique, la Plaza de Armas. De plus, Villa el
Salvador cherche à acquérir une certaine autonomie économique à travers une
zone destinée aux activités industrielles et artisanales, le Parc Industriel, ainsi
qu’une zone agricole irriguée par le traitement des eaux usagées.

Mais si Villa el Salvador, aujourd’hui district de Lima disposant de ses propres


autorités municipales5, compte encore un grand nombre d’associations (plus de
3.000), de nombreux facteurs ont fragilisé ce tissu social durant la décennie
1990 : de nouveaux acteurs sont apparus qui ont écarté les anciens, provoquant
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des conflits de légitimité et des tensions au sein de la communauté. La tradition
d’action collective et de solidarité qui caractérisait Villa el Salvador s’est trouvée
mise à mal en raison, principalement, de la violence et du clientélisme politique
que le pays a subis ces dernières années (part.I). La communauté a vu par
conséquent le déclin des acteurs politiques traditionnels comme la CUAVES, et
plus récemment le municipio6 (la municipalité, ou gouvernement local).

Une enquête de terrain menée en 1999 et en 2000 nous a permis d’identifier les
nouveaux groupes qui essayent aujourd’hui de sauvegarder la tradition
associative de la barriada, et d’observer les expériences originales d’action
collective qui sont mises en place (part.II). Parmi ces dernières, une nouvelle
forme de gestion urbaine adoptée par referendum local en 1999 apparaît
comme la plus novatrice : il s’agit du budget participatif, support d’une
citoyenneté locale renouvelée.

1– UNE TRADITION D’ACTION COLLECTIVE


MISE À MAL

Le tissu social de Villa el Salvador connaît de profondes transformations tout


au long des années 1980 et 1990, dues à des facteurs à la fois externes (irruption
de la violence terroriste, modifications du paysage politique péruvien, relations
clientélistes entretenues par l’Etat) et internes (évolution du rôle des acteurs
clefs de la communauté).

5
Il existe deux niveaux d’autorités municipales à Lima : la municipalité métropolitaine qui
étend son influence sur l’ensemble de la capitale, et les municipalités de districts. Villa el
Salvador est un district de Lima depuis 1983.
6
Il s’agit du gouvernement local au niveau du district.

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L'évolution de l'action collective à Villa el Salvador (Lima) 115

1.1 Les principaux facteurs de déstructuration de l’action


collective

a) La violence

Dès le début des années 1980, le Sentier Lumineux est responsable de


l’apparition d’une grande vague de violence qui secoue le pays : il causera la
mort d’environ 69.000 personnes entre 1980 et 20007. L’objectif du Sentier
Lumineux est de détruire le pouvoir en place et d’instaurer un nouvel ordre qui
assurerait le triomphe des masses populaires opprimées. La voie choisie pour
atteindre ce but consiste à imposer la terreur : "le triomphe de la révolution
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coûtera un million de morts", déclare le leader de l’organisation, Abimael
Guzman8. Dans cette perspective, le contrôle des "ceintures de fer", c’est-à-dire
des barriadas qui entourent la capitale, centre du pouvoir, est décisif. Il
permettra, en effet, d’encercler les autorités nationales avant de procéder à
l’assaut final : "Lima et les pueblos jóvenes9 constituent la scène sur laquelle aura
lieu la bataille finale de la guerre populaire"10.
On comprend donc l’importance stratégique de Villa el Salvador. Ce pueblo joven
réunit de nombreuses caractéristiques qui en font une cible prioritaire de
l’organisation terroriste. Tout d’abord, sa notoriété permet de donner aux
actions terroristes une plus grande répercussion. Les sentiéristes pensent que la
destruction de ce symbole de solidarité donnera plus de force à l’organisation.
De plus, comme le souligne un des maires de Villa el Salvador, "le Sentier savait
que s’il parvenait à contrôler Villa, il parviendrait à contrôler n’importe quoi"11.
Ensuite, le système d’autogestion qui caractérise la barriada est fortement
critiqué par le Sentier Lumineux qui considère que "l’autogestion, c’est de la
trahison"12. Ce système de gestion ne servirait, selon les terroristes, qu’à amortir
les effets de l’absence de l’État sur le terrain social et à retarder la révolte des
masses populaires. Enfin, le district est, depuis le début des années 1980, le
bastion du grand ennemi du Sentier Lumineux, le parti de gauche Izquierda
Unida, accusé de trahir les intérêts des catégories populaires en participant à un
système politique corrompu.
Dans ces conditions, Villa el Salvador devient "le pueblo joven à abattre" : de
nombreux attentats y sont perpétrés au début des années 1990, qui prennent

7
Ce chiffre a été récemment établi par la "Commission de Vérité et de Réconciliation du
Pérou", qui, le 28 août 2003, a présenté un rapport au Président péruvien Alejandro Toledo
en ce sens.
8
El Diario, juillet 1988 (ce journal est le porte-parole des sentiéristes).
9
Cette appellation qui signifie "villages jeunes" est donnée aux barriadas par le
gouvernement vélasquiste, afin de valoriser ce type de quartiers.
10
Abimael Guzman, El Diario, juillet 1992.
11
Entretien avec Martin Pumar (maire de Villa el Salvador de 1998 à 2002) à Villa el
Salvador, juillet 2000.
12
El Diario, mai 1991.

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pour cibles les autorités municipales et les dirigeants populaires13, entraînant la


fuite à l’étranger de nombreux leaders associatifs et la diminution de la
participation locale.
Mais la violence n’est pas la seule stratégie de déstructuration utilisée par le
Sentier Lumineux, qui cherche également à déstabiliser les principales
organisations communautaires. Ainsi, des sentiéristes infiltrent la CUAVES14 en
se faisant élire comme délégués. Il est dès lors facile de profiter de la rivalité qui
oppose la CUAVES au conseil municipal, et d’aiguiser les conflits existants. La
CUAVES entame alors une période de perte de crédibilité, et par conséquent
de légitimité, dont elle souffrira durant les années 1990. D’autres organisations
subiront le même sort, ce qui contribuera à affaiblir durablement le tissu social
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de Villa el Salvador.

b) Le développement du clientélisme

Le paysage politique des années 1980 et 1990 est marqué, au Pérou, par le
déclin des syndicats et des partis politiques traditionnels. La victoire d’un
indépendant à la mairie de Lima en 1989, Ricardo Belmont, puis l’accession à la
présidence de la République un an plus tard d’un quasi-inconnu, Alberto
Fujimori, sont les premiers signes de cette évolution.
Les districts populaires de Lima n’échappent pas à ce phénomène : quasiment
tous les pueblos jóvenes (dont Villa el Salvador) élisent des candidats indépendants
lors des élections municipales de 1993. Les catégories populaires, déçues par la
politique de l’APRA (parti d’Alán García, président jusqu’en 1990), lassées de la
corruption d’un monde politique qui selon eux ne représente plus leurs intérêts,
se tournent vers des hommes éloignés du système politique traditionnel : sur 33
listes présentes aux élections municipales de 1993 à Villa el Salvador, 24 sont
indépendantes.15
Etroitement associée à ce phénomène, se développe, entre l’État et les
catégories populaires, une forme particulière de relation qui renoue avec la
tradition populiste. En effet, Alán García et Alberto Fujimori, au pouvoir de
1985 à 1990 pour le premier, et de 1990 à 2000 pour le second, mettent en
place des relations clientélistes avec les quartiers populaires, par l’intermédiaire
de programmes sociaux spécifiques. Ainsi, le PAIT (Programme d’aide au
revenu temporaire) d’Alán García ou le PRONAA (Programme national
d’assistance alimentaire) d’Alberto Fujimori, présentent des caractéristiques qui

13
L’un des assassinats les plus marquants dans l’histoire de Villa El Salvador est celui de
María Elena Moyano, adjointe au maire et dirigeante de la principale organisation de
femmes, la FEPOMUVES (Fédération populaire des femmes de Villa El Salvador).
14
Il s’agit ici de l’autorité représentative traditionnelle de la communauté, constituée des
délégués de chaque groupe résidentiel, présente depuis la fondation de la barriada.
Lorsque Villa El Salvador devient un district en 1983, et se dote d’autorités municipales
élues, naît un conflit de légitimité entre ces deux institutions dont le Sentier Lumineux
saura tirer parti.
15
INEI, Compendio Estadístico, Lima, Ed. 2000.

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L'évolution de l'action collective à Villa el Salvador (Lima) 117

contribuent à déstructurer l’action collective et la participation politique à Villa


el Salvador comme dans les autres districts populaires. En effet, ces
programmes sociaux visent à assurer à leur promoteur un soutien populaire et
un plus grand contrôle sur les gouvernements locaux (municipios).
Le cas du PRONAA est révélateur : ce programme dépend directement du
"ministère de la Présidence", sorte de secrétariat personnel d’Alberto Fujimori
et deuxième ministère en termes budgétaires après le ministère de l’Economie.
Ce ministère permet au chef de l’État d’associer directement son nom à la mise
en œuvre de projets, comme la construction d’écoles ou de routes. Le
PRONAA, qui est l’un des nombreux programmes financés par le ministère de
la Présidence, gère exclusivement le domaine de l’assistance alimentaire : il s’agit
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pour Fujimori de contrôler les milliers de cantines populaires apparues dans le
pays pendant la décennie 1980 en leur faisant parvenir directement des vivres,
contournant les institutions qui faisaient auparavant office d’intermédiaires, et
notamment les municipalités.
Mais ce programme devient rapidement une arme politique pour le chef de
l’État, qui l’utilise comme moyen de pression sur les femmes travaillant dans les
cantines populaires. Ces dernières sont fortement incitées à se mobiliser en
faveur de Fujimori lors de manifestations d’appui au gouvernement ou lors de
célébrations comme l’anniversaire du président. A Villa el Salvador, les femmes
des cantines populaires n’échappent pas à ce chantage.
La relation directe instaurée par le chef de l’État avec elles a, en outre, d’autres
conséquences directement visibles sur le tissu social de Villa et qui remettent en
cause les relations entre certains acteurs de la communauté. En effet, Villa el
Salvador compte deux grands groupes d’organisations de femmes : d’un côté,
les clubs de mères, qui disposent des cantines populaires aidées par le
PRONAA ; de l’autre la FEPOMUVES, associée à la municipalité du district,
notamment dans le cadre de la gestion d’un autre programme lancé par la
mairie de Lima, le Verre de Lait16.
La politique de promotion des cantines populaires menée par le gouvernement
provoque une confrontation entre ces deux groupes d’acteurs. Pour la
présidente de la FEPOMUVES, "il y a des pressions par l’intermédiaire des
programmes. Les cantines sont organisées par le PRONAA et les bénéficiaires sont obligés
de soutenir le gouvernement. Les cantines sont sous pression. Avant, la FEPOMUVES
avait beaucoup de cantines populaires autogérées, les ONG nous appuyaient. Mais depuis
que le gouvernement centralise tout avec le PRONAA, ces institutions ne reçoivent plus de
dons. Tout est géré par le PRONAA, qui est contrôlé par le gouvernement et qui contrôle les
cantines. Alán García avait bien organisé les clubs de mères. Il n’a pas supprimé ce qui

16
Le programme du Verre de Lait a été instauré en 1984 par le maire de Lima, Alfonso
Barrantes, du parti de gauche Izquierda Unida, et vise à donner un verre de lait par jour à
un million d’enfants. L’initiative, qui connaît un grand succès, permet aux gouvernements
locaux, c’est-à-dire les municipalités de districts, de gérer directement le programme. A
Villa el Salvador, le programme est cogéré par la municipalité et la FEPOMUVES.

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118 Diana BURGOS-VIGNA

existait, il a simplement créé son propre secteur. Mais le gouvernement actuel n’a pas respecté
les organisations existantes"17.
Une dirigeante de cantine populaire explique le conflit de la façon suivante : "Il
existe des conflits entre la FEPOMUVES et les clubs de mères, car les clubs ne reçoivent
rien de la municipalité. La FEPOMUVES est très politisée, mais pas nous, car la faim n’a
pas de couleur politique"18.

Toutefois, ces reproches dissimulent un autre enjeu, celui de la détention de


ressources précieuses : les fonds du PRONAA pour les femmes des cantines
populaires, et ceux du Verre de Lait pour la FEPOMUVES. Au total, l’État
parvient, par l’intermédiaire de programmes d’assistance alimentaire, à
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déstructurer l’action collective à Villa el Salvador, en provoquant des tensions
entre les groupes d’acteurs.
Bien que travaillant sur le même terrain et avec le même objectif, les femmes
engagées dans l’action d’assistance alimentaire se divisent alors à Villa el
Salvador en deux blocs antagonistes. Comme le souligne Camille Goirand dans
l’une de ses études sur les favelas de Rio, "les stratégies de bienfaisance (…) ont un
caractère antidémocratique car, tout en produisant des effets de redistribution, elles détournent
de la mobilisation et de la revendication sociale"19.

2– DES ACTEURS POLITIQUES EN DÉCLIN

a) La CUAVES

La CUAVES est la plus ancienne autorité représentative de Villa el Salvador.


Etroitement associée à l’organisation urbaine de la communauté, elle se fonde
sur la cellule de base, le groupe résidentiel. Les délégués de chaque groupe
forment au sommet de la pyramide l’assemblée des délégués de la CUAVES,
qui gère la barriada depuis son origine. Cette institution symbolise la spécificité
de Villa el Salvador, représentant l’extrême organisation participative de la
communauté, ainsi que son caractère autogestionnaire.
C’est pourquoi, lorsqu’en 1983 Villa el Salvador devient un district de Lima
doté de ses institutions municipales20, se pose un problème nouveau, celui de la
coexistence sur le même territoire de deux autorités. L’une fonde sa légitimité
sur l’histoire de la communauté, sa fondation et sa consolidation, l’autre sur

17
Entretien avec Esther Flores, FEPOMUVES, octobre 1999.
18
Entretien avec Asteria, dirigeante de la cantine Santa Rita, secteur 2, Villa el Salvador,
septembre 2000.
19
Camille Goirand, "Philanthropes en concurrence dans les favelas de Rio", Critique
Internationale, n°4, été 1999, p. 167.
20
Jusqu’en 1983, Villa el Salvador dépendait administrativement d’un district voisin : Villa
María del Triunfo.

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L'évolution de l'action collective à Villa el Salvador (Lima) 119

l’existence d’élections. L’une présente un caractère informel, puisqu’elle ne


s’appuie sur aucune loi existante, alors que l’autre permet d’officialiser la
barriada en l’intégrant au système politique et administratif du pays. Apparaît
alors un système de cogestion inédit au Pérou, qui repose sur l’association des
deux autorités gouvernant le district par le biais de commissions mixtes
composées de représentants de la CUAVES et de la municipalité. Un "Acte
d’engagement" est signé par lequel le conseil municipal reconnaît non
seulement la légitimité de la CUAVES et le système participatif sur lequel elle
repose, mais également son droit à gérer la communauté, et par conséquent à
lever des impôts.
Cet âge d’or ne dure qu’un temps, et bientôt les conflits de pouvoir
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apparaissent. La coexistence des deux autorités devient "une relation étrange, faite
de négociations, d’accords et de conflits", selon l’expression de Carlos Franco21, dans
laquelle les conflits prennent vite le pas sur les accords. Dès la fin des années
1980, les commissions mixtes cessent de fonctionner et la CUAVES perd
progressivement de sa légitimité. Cette détérioration s’explique en grande partie
par le discrédit dû à l’infiltration du Sentier Lumineux, les conflits de pouvoir
personnels qui apparaissent au sein de l’institution et la popularité croissante du
maire. De plus, l’institution peine à intégrer dans sa structure les groupes
d’acteurs qui apparaissent dans les décennies 80 et 90 (notamment les femmes
et les commerçants), alors que la municipalité sait profiter de ces évolutions et,
en promouvant ces nouveaux acteurs, s’assure un soutien durable.
Actuellement, la CUAVES existe encore, mais certains dirigeants associatifs
estiment que "la direction de la CUAVES est aujourd’hui en crise. Elle ne représente
plus personne"22.
D’autres considèrent que l’organisation ne correspond plus aux réalités
actuelles et entrevoient sa fin : "Il faut créer de nouvelles organisations. La CUAVES
n’a pas su faire le bond dans la modernité (…) Son problème a été de ne pas voir la réalité
actuelle de Villa el Salvador (…) Nous ne pouvons regarder toujours vers le passé. Il faut
assumer les défis de l’avenir"23.
Outre les aspects politiques et les conflits de pouvoir, l’une des raisons
principales du déclin de la CUAVES nous semble être en relation directe avec
l’évolution des besoins et des aspirations de la communauté. Le système
représentatif de la CUAVES reposait sur une participation des résidents au
niveau de chaque pâté de maisons et reprenait en cela les structures de
solidarité villageoise andine (les premiers résidents provenaient en effet
majoritairement des Andes et étaient par conséquent imprégnés d’une culture
d’action collective). Cette configuration a pu se maintenir tant que les besoins

21
"La experiencia de Villa el Salvador: del arenal a logros fundamentales a través de un
modelo social de avanzada", in Bernardo Kliksberg dir., Pobreza, un tema impostergable,
CLAD, México, 1993, p. 429.
22
Entretien avec Pablo Morocho, dirigeant du secteur 6 et secrétaire municipal des relations
avec la CUAVES, août 2000.
23
Entretien avec Michel Azcueta, maire de Villa el Salvador à plusieurs reprises, septembre
2000.

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120 Diana BURGOS-VIGNA

de première nécessité n’étaient pas satisfaits. Ainsi, les luttes pour l’obtention
des premières infrastructures (tout-à-l’égout, électricité, routes) favorisaient la
mobilisation des habitants d’un même quartier et leur participation aux
réunions. Une fois les services de base obtenus, les résidents s’investissent dans
d’autres structures plus directement liées à leur activité professionnelle. Cette
évolution de la participation va permettre à la municipalité de se consolider,
après sa création en 1983, en prenant en charge les responsabilités autrefois
réservées à la CUAVES, et en promouvant le développement de nouvelles
associations.

b) La municipalité
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Alors que la CUAVES décline, la municipalité gagne, dans un premier temps,
en popularité. Cette dernière profite du discrédit de sa concurrente pour
étendre son aire d’influence en favorisant l’apparition de groupes d’acteurs.
C’est le cas, par exemple, de la FEPOMUVES à qui elle délègue la gestion du
Verre de Lait. Mais c’est aussi le cas des petits industriels et artisans de Villa el
Salvador. Le premier maire de Villa, Michel Azcueta, les regroupe en 1986 au
sein d’une association, l’APEMIVES (Association de petits et moyens industriels de
Villa el Salvador), et organise leur installation dans la zone du Parc Industriel,
jusqu’alors inoccupée. La municipalité appuie également la création du
FUCOMIVES (Front unique des commerçants détaillants de Villa El Salvador),
en 1989.
Les femmes, les industriels et les commerçants de Villa el Salvador sont autant
de groupements qui n’étaient pas représentés par la CUAVES, cette institution
refusant de les inclure dans son schéma participatif. Le gouvernement local,
profitant de cette faiblesse, restructure ainsi le tissu social du district.
La légitimité de la municipalité repose également sur la popularité de la figure
du maire, plus proche des habitants. Dans le cas de Villa el Salvador, Michel
Azcueta, présent dans la barriada depuis les premières années de fondation en
tant qu’enseignant, devient une personnalité appréciée par les habitants qui
s’adressent à lui plus directement qu’à la direction de la CUAVES. A Villa,
comme dans les autres villes du pays, "l’autorité municipale est plus proche du peuple
en chair et en os, et celui-ci se sent plus libre de lui présenter ses problèmes et ses critiques"24.
Les habitants n’hésitent pas à le tutoyer et à l’appeler par son prénom. Michel
est un "vecino"25 comme les autres. Une enquête, réalisée en 1992, montre

24
Henry Pease García, "Lima es gobernable : una gestión municipal popular y democrática",
Ciudad Alternativa, n°10, 1995, p. 103.
25
Ce terme, de traduction difficile en français, fait référence à un résident habitant le même
quartier, la même unité territoriale, et avec lequel on partage les mêmes préoccupations.

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L'évolution de l'action collective à Villa el Salvador (Lima) 121

d’ailleurs que les deux figures politiques les plus appréciées sont le président de
la République et le maire26.
Cependant, si la municipalité entame progressivement le pouvoir de la
CUAVES, elle n’échappe pas non plus, ces dernières années, à une perte de
légitimité, comme le montrent les conclusions d’une consultation populaire
réalisée en 1999 à Villa El Salvador27. Les comptes rendus des ateliers de
discussion organisés à cette occasion révèlent les faiblesses du pouvoir
municipal et indiquent une perte de légitimité de l’institution28.

Parmi les souhaits exprimés par la population, on note celui d’"une meilleure
coordination avec les autorités" ; les ateliers relèvent également des tendances
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négatives, notamment "une coupure entre le gouvernement municipal et les organisations
sociales", une "augmentation du mauvais gouvernement, (…) et du chaos municipal", et
une "corruption des autorités"; parmi les points faibles, on note "un manque de
coordination entre les dirigeants de quartier et les autorités locales", "un manque de crédibilité
des leaders de la population", et des "autorités municipales corrompues"; enfin, les
comptes rendus soulignent "les désaccords politiques entre le gouvernement central et les
gouvernements locaux, qui rendent difficile le développement du district, favorisant les maires
de la ligne politique gouvernementale", ainsi qu’une "mauvaise utilisation du pouvoir
politique et social". Le décalage entre la politique municipale et les besoins de la
population est donc mis en avant, de même que la corruption des
fonctionnaires et la mauvaise utilisation des fonds publics.

Ces conclusions attestent d’une perte de popularité de l’institution municipale.


La municipalité, qui était parvenue à détrôner la CUAVES et à se faire accepter
par les habitants de Villa el Salvador comme la nouvelle autorité représentative,
se trouve confrontée au début du XXIe siècle à une perte de confiance de la
part de la population. Cette chute de popularité semble être liée principalement
à deux facteurs : la corruption des autorités municipales et leur coupure avec les
associations de base.

Malgré le déclin des deux autorités politiques représentatives, de nouvelles


formes d’action collective voient le jour dans les années 1990, sous l’impulsion
de nouveaux acteurs qui s’imposent progressivement sur la scène publique, et
de nouveaux projets de gestion urbaine tels le budget participatif.

26
Cándido Monzón Arribas, Miguel Roiz Célix, Mercedes Fernández Antón, "Perfiles de una
cultura política autoritaria : el Perú de Fujimori en los años noventa", Revista Mexicana de
Sociología, vol.59, n°2, avril-juin 1997, p.123.
27
Consultation populaire destinée à soumettre le troisième plan de développement (Plan de
desarrollo integral hacia el 2010) aux habitants de Villa el Salvador.
28
Municipio de Lima, Resultados de los talleres del Plan Integral de Desarrollo hacia el
2010, Villa el Salvador, 1999.

Mondes en Développement Vol.31-2003/4-n°124


122 Diana BURGOS-VIGNA

3– À LA RECHERCHE DE NOUVELLES FORMES


D’ACTION COLLECTIVE

Les nouvelles formes d’action collective s’organisent principalement autour de


deux axes : les associations d’ordre professionnel (commerçants, industriels,
agriculteurs) qui supplantent progressivement les associations de quartier, et les
espaces de dialogue et de décision mis en place dans le cadre du troisième plan
de développement de la ville.

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 19/09/2022 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22) 3.1 De nouveaux groupes d’acteurs

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De nouveaux groupes d’acteurs occupent aujourd’hui une place non négligeable
dans l’espace public local. Après les femmes, qui font leur apparition en tant
qu’acteurs politiques dynamiques durant les années 1980 (et qui le sont encore
actuellement), ce sont des groupes d’ordre "professionnel" qui s’imposent
comme des acteurs de premier rang à Villa el Salvador, notamment les artisans,
les commerçants et les agriculteurs.

Les petits industriels et artisans : le Parc Industriel, promu par la


municipalité et par diverses ONG, devient rapidement une vitrine du succès
économique de Villa el Salvador. Il dispose aujourd’hui d’environ 30.000
emplois (dont la moitié sont permanents) répartis dans 8.000 petites
entreprises. La municipalité n’hésite d’ailleurs pas à présenter le Parc comme un
succès de sa politique, qui permet au district d’atteindre une certaine autonomie
économique en offrant des emplois pour une partie de sa population et en
attirant des investissements extérieurs : "Le Parc est ce qui a le mieux fonctionné à
Villa el Salvador, avec ses micro-entreprises de menuiserie, d’artisanat, de meubles, de
chaussures. Le Parc a non seulement gagné du terrain au niveau national grâce à la qualité de
ses produits, mais a aussi stimulé l’économie locale"29. L’association qui rassemble les
artisans du Parc, l’APEMIVES, réunit en effet sept groupes d’activités : le
textile, la chaussure, l’artisanat, l’alimentation, les métaux, la mécanique et les
métiers du bois.
Les foires industrielles organisées par les entrepreneurs du Parc attirent une
grande partie des habitants du Cono Sur (partie sud de la banlieue de Lima). La
première, organisée en 1997, a permis aux différents ateliers de vendre leurs
produits sur place30. Villa el Salvador est aujourd’hui le seul district populaire de
Lima à disposer d’un tel pôle productif qui permette à un certain nombre de ses
habitants de développer une activité professionnelle sur leur lieu d’habitation31.

29
Entretien (juillet 2000) avec Martín Pumar, maire de Villa El Salvador de 1998 à 2002.
30
Entretien avec Segundo Valencia Jave, président de l’APEMIVES en 2000.
31
Il faut rappeler que Villa el Salvador se situe à une quarantaine de kilomètres du centre de
Lima et que les transports collectifs demeurent de mauvaise qualité. Les déplacements,
pour les habitants obligés d’aller travailler dans le centre, représentent ainsi un coût non
négligeable en termes de temps et d’argent.

Mondes en Développement Vol.31-2003/4-n°124


L'évolution de l'action collective à Villa el Salvador (Lima) 123

Les agriculteurs : tout comme le Parc Industriel, la "zona agropecuaria", vaste


terrain destiné à l’agriculture, était incluse dans le projet originel du
gouvernement militaire de Velasco. Villa el Salvador est également le seul
district à recycler ses eaux usées, ce qui permet d’irriguer une zone d’agriculture
et d’élevage qui s’étend sur environ 745 hectares. Comme le note Louis
Favreau, "habituellement, la ville chasse la campagne : à Villa El Salvador, la campagne
est intégrée à la ville"32.
Toutefois, les agriculteurs subissent en janvier 2000 une "invasion" de terrains
organisée par plus de 10.000 personnes extérieures à Villa el Salvador. La
confrontation violente qui en découle provoque la mort de cinq personnes. Cet
événement est immédiatement utilisé par le gouvernement d’Alberto Fujimori
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pour mettre en œuvre l’une de ses plus grandes manœuvres clientélistes. Les
participants à l’invasion sont déplacés vers d’autres zones de la périphérie et le
gouvernement promet des lotissements à tous les participants à l’occupation.
Cette stratégie permet de discréditer l’équipe municipale de Martín Pumar,
accusée par le gouvernement de ne pas avoir su gérer la crise33, et
simultanément de gagner de nouveaux électeurs en vue de l’élection
présidentielle de 2000.
Cette occupation illégale contribue cependant à mettre en lumière l’importance
de la zone agricole et permet à un groupe d’acteurs de sortir de l’ombre. Les
agriculteurs se sont en effet fortement mobilisés à la suite de cette crise, en
essayant de grouper les différentes coopératives existantes pour créer une
centrale associative qui leur permettrait de réagir de façon plus cohérente dans
l’éventualité d’une nouvelle "invasion" et qui, de plus, leur assurerait une
meilleure représentation dans le cadre du budget participatif. Enfin, les résultats
du referendum local organisé par la municipalité en 1999, qui montrent que la
priorité des habitants est de faire de leur district "une ville verte", favorisent le
développement de la zone agricole. Dès lors, l’écoute des revendications des
agriculteurs devient également l’une des priorités de la politique municipale.

Les commerçants : réunis au sein du FUCOMIVES, ils ont également gagné


du poids sur la scène politique et économique du district. Ils représentent
désormais un groupe d’acteurs dont l’appui est devenu un enjeu pour une
municipalité en perte de vitesse. Mais ce rapprochement n’est pas seulement dû
à la nécessité pour le gouvernement local de trouver de nouveaux alliés. Il
s’inscrit également dans le cadre de la politique menée par le maire de Lima,
Alberto Andrade, à la fin des années 1990, qui cherche à promouvoir la
"formalisation" ou la légalisation du commerce, et par conséquent à éradiquer
le commerce ambulant. Or, cette politique, fortement associée à la restauration

32
"Développement communautaire et économie sociale : l’expérience péruvienne de Villa el
Salvador", Cahiers de la Chaire de Recherche en Développement Communautaire,
Québec, n°5, 1998, p.6.
33
Diana Burgos, "Un bilan de la participation politique", Problèmes d’Amérique latine,
n°38, juillet-septembre 2000.

Mondes en Développement Vol.31-2003/4-n°124


124 Diana BURGOS-VIGNA

du centre historique de Lima34, s’accompagne de l’expulsion des commerçants


ambulants du centre, ce qui provoque un retour dans leur district d’origine d’un
grand nombre d’entre eux..
Ainsi, Villa el Salvador et d’autres districts populaires connaissent ces dernières
années une recrudescence du commerce dit "informel", qui entraîne le
durcissement de l’opposition entre les commerçants ambulants et les
commerçants "formels". Aussi, les commerçants de Villa el Salvador (estimés à
environ 16.00035) se divisent en deux grands groupes antagonistes: le
FUCOMIVES, constitué des groupes légalisés, c’est-à-dire les marchés,
magasins et stands de rue, et la FETRAAVES (Fédération de travailleurs
ambulants de Villa el Salvador) qui regroupe une grande partie des vendeurs
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ambulants (informels) du district.
Jusqu’à la fin des années 1990, le commerce informel n’est pas combattu au
Pérou, certains y voyant même le signe du dynamisme d’une frange de la
population qui ferait ainsi preuve de son esprit d’initiative, compte tenu de
l’incapacité de l’État à résoudre le problème de l’emploi36. Ce n’est que lorsque
le projet de réforme du commerce est lancé par la mairie de Lima que les
districts populaires, s’alignant sur cette politique, doivent lutter contre le
commerce ambulant. L’ordonnance municipale prévoit, en effet,
"l’ordonnancement et l’éradication du commerce ambulant dans ses diverses
modalités sur les voies publiques (stands, foires et similaires) en le déplaçant
vers les marchés sous-utilisés"37. A la fin de l’année 1999, la politique
d’expulsion des commerçants ambulants est presque achevée dans le centre de
Lima, puisque 90% d’entre eux sont installés dans de nouvelles zones38.
Dans ces conditions, les commerçants formels du FUCOMIVES sont en
position de force dans leur négociation avec les autorités du district.
Longtemps laissés à l’écart en raison d’un laisser-faire qui tendait à favoriser le
développement du commerce ambulant, ils ont obtenu en 1999 la création
d’une "Table du Commerce", sorte d’atelier de travail au sein duquel ont lieu
des réunions entre les représentants de la municipalité, des ONG et des
commerçants, afin de "développer des mécanismes et des instruments pour le renforcement
du secteur commercial"39. La mise en place de cet atelier a favorisé un renforcement

34
Voir Diana Burgos, "La récupération du centre historique de Lima", America, Cahiers du
CRICCAL, n°29, 1er trimestre 2003, Presses de la Sorbonne Nouvelle.
35
Chiffres fournis par l’ONG Fovida.
36
C’est le cas des études de Hernando de Soto, l’Autre Sentier. La révolution informelle
dans le Tiers-Monde, Paris, La Découverte, 1994 ou de José Matos Mar, Crisis del Estado
y desborde popular, Lima, IEP, 1984.
37
Ordonnance n°195, article 15, juillet 1999.
38
Ruiz de Somocurcio Jorge, Crespo Hernán (dir.), Lima: la ciudad posible, Municipalidad
de Lima, 1999.
39
Mesa Temática de concertación comercio Villa El Salvador, Villa El Salvador, DESCO-
FOVIDA, 2000, p. 23.

Mondes en Développement Vol.31-2003/4-n°124


L'évolution de l'action collective à Villa el Salvador (Lima) 125

de relations et de la solidarité entre les commerçants, qui prend le pas sur les
comportements plus individualistes qui avaient prévalu jusqu’alors.
Après une période de conflits, le dialogue entre commerçants formels et
informels a repris, les seconds étant désormais des "commerçants en voie de
formalisation". Les premiers disposent aujourd’hui d’une revue, "La Voz de los
Comerciantes", d’une association plus structurée, d’un cadre institutionnalisé de
négociations avec les autorités municipales, et devraient parvenir à concrétiser
un vieux projet : l’ouverture à Villa el Salvador d’une grande centrale
d’approvisionnement qui ravitaillerait tous les districts de la banlieue sud de
Lima et qui permettrait un renforcement de l’autonomie économique de la
barriada (les commerçants sont obligés jusqu’à présent d’acheter leurs produits
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dans un autre district de Lima).
Les agriculteurs, les industriels et les commerçants sont donc aujourd’hui des
acteurs clefs sur la scène politique de Villa el Salvador, comme en atteste
également leur active collaboration au budget participatif.

3.2 Une expérience nouvelle : le budget Participatif

"Le budget participatif a comme objectif le renforcement des organisations de base, la


gouvernabilité et le développement de Villa el Salvador, par la promotion d’une plus grande et
d’une meilleure participation citoyenne et par la démocratisation de la prise de décisions dans
le cadre du Plan Intégral de Développement du district" : c’est par ces mots que
l’ordonnance municipale n°030-2001-MVES officialise, le 4 juin 2001, un
nouveau modèle de gestion urbaine.

a) Comment se met en place le budget participatif ?

En novembre 1999, la municipalité soumet à référendum le troisième plan de


développement de Villa el Salvador, qui doit régir le développement de la ville
jusqu’en 2010. Les axes principaux de ce "Plan Integral de Desarrollo hacia el 2010"
sont discutés durant les mois qui précèdent le référendum, dans le cadre d’une
consultation populaire sans précédent dans l’histoire de Villa el Salvador. Sous
l’impulsion de la municipalité et de plusieurs ONG, des espaces de dialogues
sont aménagés, afin de consulter la population sur les principaux problèmes
que rencontre le district et sur les solutions qui peuvent être envisagées.
Bien que cette consultation soit organisée par le gouvernement local dans un
souci de relégitimation, elle permet le réveil d’une certaine dynamique
participative : plusieurs ateliers sont constitués, ainsi que des tables (tables du
commerce, de l’éducation, des jeunes, des industriels) qui aboutissent, en
novembre 1999, à une esquisse de plan de développement proposant l’objectif
général suivant : "Villa el Salvador est un district de producteurs, leader, organisateur et
générateur de richesse. C’est une ville moderne et saine, avec des hommes et des femmes de
toutes les générations, porteurs de valeurs humaines, qui jouissent d’une égalité des chances, de

Mondes en Développement Vol.31-2003/4-n°124


126 Diana BURGOS-VIGNA

formation et d’emploi, et qui participent démocratiquement à la gestion de son développement :


êtes-vous d’accord ?".
Le plan est approuvé le 14 novembre 1999 par 83,7% de "oui". Environ 48.000
personnes ont participé au scrutin sur une population totale de 320.000
habitants, qui compte 120.000 électeurs40. Deux priorités de développement
sont également approuvées : "Villa el Salvador, une ville saine, propre et verte"
et "Villa el Salvador, une communauté éducative".
En reconstituant des espaces de dialogue et en se posant comme le trait
d’union entre les différentes composantes du tissu social, la municipalité
cherche à retrouver la légitimité perdue. Mais c’est paradoxalement au résultat
contraire qu’aboutit cette consultation, les comptes rendus des ateliers de
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discussion soulignant la rupture du lien entre le gouvernement local et la base
associative de la barriada. Promoteur de cette initiative, la municipalité n’en
retire pas les fruits escomptés, et cela, malgré l’approbation du plan.
Cependant, la dynamique participative semble être lancée ; elle est confirmée
par la mise en place, dans le cadre de ce plan de développement, d’un nouveau
mode de gestion de la ville : le budget participatif. Sur le modèle de villes
comme Porto Alegre ou Belém au Brésil, l’équipe municipale de Villa el
Salvador, associée à des ONG, esquisse à l’issue du référendum les bases d’une
gestion du budget qui sera menée par les habitants eux-mêmes. La première
"Rencontre internationale du budget participatif" a lieu à Villa el Salvador, en
septembre 2000, en présence des représentants des villes de Santo André et de
Porto Alegre (Brésil), Montevideo (Uruguay), Ciudad Guayana (Venezuela) et
Villa el Salvador, à l’initiative du Programme de Gestion Urbaine de l’ONU.

b) Le fonctionnement du budget participatif

Mis en place dès l’année 2000, et officialisé en 200141, Le montant du budget


participatif est prélevé sur la part budgétaire que la municipalité destine aux
travaux et aux investissements. C’est le conseil municipal qui décide du
montant prélevé chaque année (pour l’année 2000, le montant alloué était de 2
millions de sols). Chaque secteur de la ville dispose d’une part budgétaire
différente en fonction de ses besoins estimés.
Une fois que le montant a été défini pour chaque secteur, ce budget est discuté
par les groupes d’acteurs de Villa El Salvador organisés selon deux axes : un axe
territorial et un axe thématique (en cela, l’organisation est calquée sur le modèle
du budget participatif de Porto Alegre). Il s’agit, pour la base territoriale, de
"comités de développement territorial ou sectoriel" (la ville étant dans cette
perspective divisée en huit secteurs) auxquels participent les associations de
base (en général les associations de quartier) et les représentants des agences

40
Dans le cadre du référendum, sont autorisés à voter les habitants de Villa El Salvador âgés
de plus de 16 ans.
41
Ordonnance municipale n°030-2001-MVES du 4 juin 2001.

Mondes en Développement Vol.31-2003/4-n°124


L'évolution de l'action collective à Villa el Salvador (Lima) 127

municipales42. En ce qui concerne la base thématique, plusieurs "tables


thématiques" sont constituées, traitant chacune d’un sujet spécifique
(éducation, santé et environnement, jeunesse, PME, commerce, genre) et
permettant une vision plus large, censée couvrir la totalité du district.
C’est dans le cadre de ces institutions géographiques et thématiques que sont
établies les priorités et que sont votés les projets. Ces trois dernières années, les
principales réalisations ont concerné la restauration d’écoles, le dallage de
certaines rues, la construction de locaux sportifs ou l’installation du tout-à-
l’égout dans les quartiers les plus pauvres du district. Les résidents sont invités
à participer aux travaux en apportant leur savoir-faire ou du matériel de
construction.
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Supervisant l’ensemble du processus, un "Comité de gestion du plan de
développement et du budget participatif", composé des conseillers municipaux
et des représentants des comités de développement territorial et des tables
thématiques, est censé vérifier la cohérence entre les priorités et les orientations
du Plan de développement. En réalité, c’est le conseil municipal qui, jusqu’à
présent, évalue la réalisation des travaux et dresse un compte-rendu pour
chaque secteur.

c) Les limites du budget participatif

L’expérience du budget participatif rencontre, depuis sa mise en œuvre en


2000, divers obstacles de nature financière qui entravent son fonctionnement,
notamment les dettes contractées par l’équipe municipale de Martín Pumar. Le
nouveau maire de Villa el Salvador, Jaime Zea, élu au début de l’année 2003, qui
a fait campagne sur la "nécessaire moralisation de la vie publique à Villa El Salvador",
mise toutefois sur la poursuite et le perfectionnement de cette expérience
pendant son mandat. Le budget participatif ne s’élève pour l’instant qu’à 8,5 %
du budget général du district, mais ce pourcentage est relativement élevé,
compte tenu de la
jeunesse du projet. A titre de comparaison, Porto Alegre, qui expérimente ce
mode de gestion depuis 1988, n’attribue au budget participatif que 15% du
budget total de la ville43.

De plus, certains des rouages du processus fonctionnent avec difficulté, ou


pire, ne sont pas opérationnels. Ainsi, l’instance de supervision générale qu’est
censé être le Comité de gestion du plan de développement et du budget
participatif n’a pas d’activité effective. C’est le conseil municipal qui a rempli
jusqu’à présent les fonctions qui sont attribuées à cet organe. De même, la

42
Il existe cinq agences municipales dans le district : en raison de la taille du district et des
difficultés de déplacement interne, la municipalité a décentralisé certaines de ses fonctions
administratives sur le territoire de Villa el Salvador.
43
Jean-Jacques Sevilla, "Municipales au Brésil : Porto Alegre demeure le laboratoire de la
gauche rouge", Le Monde, 2 octobre 2000.

Mondes en Développement Vol.31-2003/4-n°124


128 Diana BURGOS-VIGNA

relation entre les deux niveaux, thématique et territorial, qui devrait s’établir par
un dialogue entre les Tables thématiques et les comités de développement,
demeure embryonnaire. A cet égard, quelques Tables, comme celle du
commerce, sont très dynamiques, alors que d’autres, comme celle de la
jeunesse, le sont beaucoup moins.
Le budget participatif est également confronté aux nombreux défis de la
participation. Ainsi, les acteurs engagés dans le processus ont mis l’accent, lors
des entretiens, sur leur difficulté à mobiliser les jeunes, sur l’absence de femmes
aux postes de direction (alors qu’elles participent activement aux réunions), sur
la difficulté à renouveler les cadres dirigeants (les leaders du budget participatif
sont, en général, les anciens dirigeants des groupes résidentiels) et sur l’inégale
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participation des différents secteurs. Il apparaît que la participation la plus
dynamique s’effectue au niveau des associations qui ont compris les avantages
qu’elles pouvaient retirer de ce nouveau mode de gestion urbaine. Les résidents,
en tant qu’individus isolés, sont plus réticents à participer aux réunions et aux
débats qui s’y tiennent. En cela, le processus du budget participatif est moins
mobilisateur que la structure communautaire de la CUAVES dans les années
1970.
Le démarrage difficile de cette initiative est cependant compréhensible. En
effet, tout comme à Porto Alegre, où la participation avait été faible les
premières années, les habitants paraissent attendre les premiers résultats
concrets avant de s’impliquer dans un processus de participation coûteux en
termes de disponibilité. De plus, le budget participatif souffre d’un déficit de
légitimité, dans la mesure où il est encore perçu comme la continuation des
anciennes structures communautaires aujourd’hui discréditées. C’est pour
inverser cette situation que les ONG44 préparent aujourd’hui une vaste
campagne d’information (quasiment inexistante jusqu’à présent) destinée à
présenter à la population du district le caractère novateur du processus.

44
En particulier DESCO, FOVIDA et CALANDRIA.

Mondes en Développement Vol.31-2003/4-n°124


L'évolution de l'action collective à Villa el Salvador (Lima) 129

Schéma institutionnel et décisionnel


du budget participatif à Villa El Salvador
représentants
Municipalité
siège
représentants
Comité de gestion du plan de nomme
développement et du BP
Bureau de
coordonne le plan développement
de développement urbain municipal
et le budget attribue le
participatif
budget
(3 critères)
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représentants
élabore les dossiers techniques
pour l'exécution des projets

6 Tables thématiques
(associations &
administrations) : 8 Comités de
- Santé 5 Agences municipales
- Education de développement développement territorial
- PME (fonctionnaires municipaux) (associations & résidents)
- Commerce
- Jeunesse
- Genre établissent les priorités

appui technique

3 ONG

- Desco
- Fovida
- Calandria

CONCLUSION

Villa el Salvador a connu ces dernières années des transformations notables de


son tissu social, ainsi que des formes d’action collective qui lui sont associées.
Son histoire atypique, ainsi que certaines de ses caractéristiques, qui en font un
district "à part", ne le rendent cependant pas imperméable aux évolutions de la
société péruvienne et de son système politique. Le déclin des partis politiques
traditionnels, les politiques clientélistes, les crises économiques, la violence
inhérente à l’histoire récente du pays et la montée des valeurs individualistes

Mondes en Développement Vol.31-2003/4-n°124


130 Diana BURGOS-VIGNA

ont laissé des traces à Villa el Salvador, brouillant son image de "communauté
urbaine autogérée", symbole de solidarité.
Aujourd’hui, le district est loin d’avoir résolu certaines faiblesses. 38.000
personnes sont en situation d’extrême pauvreté (environ 11% de la population
totale) 45 et le taux de croissance de la population en 2002 était de 5%, alors que
le district ne dispose plus de possibilité d’extension urbaine (encadré au nord, à
l’est et au sud par d’autres districts, et à l’ouest par l’Océan Pacifique); enfin, la
délinquance ne cesse d’augmenter, situant Villa El Salvador parmi les districts
les moins sûrs de Lima46.
Cependant, si des formes d’action collective ont disparu, elles ont laissé la place
à d’autres, porteuses de nouvelles expériences et de nouvelles identités dans un
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district désormais nommé "Gouvernement local de Villa El Salvador". Le tissu
social a connu des transformations et s’accompagne d’une évolution des
aspirations. Le budget participatif peut être le cadre dans lequel ces nouveaux
objectifs se traduisent par des projets concrets, dans la mesure où un espace
public local est en cours de constitution, porteur d’un nouveau rapport au
politique.
Si, comme le souligne Hannah Arendt, "la politique prend naissance dans l’espace "qui
est entre les hommes", donc, dans quelque chose de fondamentalement "extérieur à l’homme"
(…), la politique prend naissance dans l’espace intermédiaire et elle se constitue comme
relation"47, alors les espaces de discussion offerts par le budget participatif
peuvent donner naissance à cette relation. Ils permettent en effet, par
l’intelligibilité des enjeux qui y sont débattus (de l’achat de matériel pour les
écoles à la construction d’un nouveau terrain de sport) et par la prise de
conscience d’une véritable incidence sur l’amélioration des conditions de vie, de
donner une signification plus concrète à la notion de "citoyenneté".

***

45
"Algunas cifras de Villa el Salvador", Encuentro Internacional del Presupuesto
Participativo, MUVES-DESCO, septembre 2000.
46
La revue péruvienne Caretas recense, dans son numéro du 28 février 2002, 18 bandes de
jeunes violentes à Villa el Salvador.
47
Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ?, Paris, Seuil, 1995, p.42.
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