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Benetto Croce, Essais D'esthétique

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Benetto Croce, Essais d'esthtique

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Benedetto Croce (1866-1952)

La critique et l'historiographie artistique et littraire et L'Histoire de l'esthtique


Dans Benetto Croce Essais d'esthtique (textes choisis, traduite et prsents par Gilles A. Tiberghien). Tel / Gallimard, Paris 1991, p. 72-75 et 75-83

La critique et l'historiographie artistique et littraire


Il est un autre ensemble de questions que l'on trouve dans les traits d'esthtique, qui, bien qu'elles y soient opportunment places, appartiennent de faon intrinsque la logique et la thorie de l'historiographie : ce sont celles qui concernent le jugement esthtique et l'histoire de la posie et des arts. L'esthtique, en dmontrant que l'activit esthtique ou l'art est une des formes de l'esprit, une valeur, une catgorie, quelque nom que l'on veuille lui donner et non (comme l'ont pens les thoriciens de diverses coles) un concept empirique que l'on peut rapporter une certaine classe de faits utilitaires ou mixtes, a donc, en tablissant l'autonomie de la valeur esthtique, dmontr et tabli par l mme qu'elle est l'objet d'un jugement spcial, le jugement esthtique et le sujet d'une histoire, d'une histoire spciale,

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l'histoire de la posie et des arts, l'historiographie artistique et littraire. Les questions qui ont t agites autour du jugement esthtique et de l'historiographie artistique et littraire se trouvent tre au fond, mme en ce qui concerne le caractre propre de l'art, les mmes questions mthodologiques rencontres dans tous les domaines de l'historiographie. On s'est demand si le jugement esthtique tait absolu ou relatif; mais tout jugement historique (et tel est le jugement esthtique qui affirme la ralit et la qualit des faits esthtiques) est toujours la fois absolu et relatif : absolu dans la mesure o la catgorie au moyen de laquelle il se forme possde une vrit universelle; relatif, dans la mesure o l'objet construit par elle est historiquement dtermin; c'est pourquoi, dans le jugement historique, la catgorie s'individualise et l'individualit s'absolutise . Ceux qui par le pass niaient le caractre absolu du jugement esthtique (esthticiens sensualistes, hdonistes, utilitaires) niaient en fait la qualit et la ralit de l'art, son autonomie. On s'est demand si la connaissance d'une poque, de toute l'histoire d'une poque donne, est ncessaire au jugement esthtique; or elle l'est certainement car, comme nous le savons, la cration potique prsuppose toutes les autres formes de l'esprit qui la transforment en image lyrique et chaque cration esthtique prsuppose toutes les autres crations un moment historique donn (passions, sentiments, coutumes, etc.). A partir de l, on voit galement combien sont dans l'erreur tant les partisans d'un pur jugement historique de l'art (les historicistes) que ceux d'un pur jugement esthtique (les esthtisants) ; car les premiers veulent voir dans l'art tout le reste de l'histoire (conditions sociales, biographie de l'auteur, etc.) au lieu de voir, en mme temps et surtout, l'histoire propre l'art, et les seconds veulent juger l'oeuvre d'art en dehors de l'histoire, c'est--dire en la privant de son authenticit et en lui donnant une signification imaginaire ou en la comparant avec des modles arbitraires. Finalement une sorte de scepticisme s'est manifest quant la possibilit d'entrer dans un rapport de comprhension avec l'art du pass : scepticisme qui, en ce cas, devrait s'tendre tous les autres domaines de l'histoire (celui de la pense, de la politique, de la religion, de la moralit) et qui se rfute lui-mme par une rduction l'absurde parce que l'art et l'histoire

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que l'on dit modernes ou du prsent sont passs au mme titre que l'art et l'histoire des poques les plus recules, comme eux, redeviennent prsents mais seulement dans l'me qui les ressent et dans l'intelligence qui les comprend. Qu'il y ait par ailleurs des oeuvres et des poques artistiques qui nous restent obscures, signifie seulement qu'actuellement les conditions pour les revivre de l'intrieur et pour les comprendre nous font dfaut de mme que les ides, les coutumes et les actions de tant de peuples et de priodes. L'humanit comme l'individu se souvient de certaines choses et en oublie beaucoup d'autres sauf en en ractivant le souvenir quand le cours de son dveloppement spirituel l'y amne. Une dernire question se pose qui concerne la forme convenant l'histoire artistique et littraire; celle-ci, travers le type principalement constitu l'poque romantique et qui prvaut encore aujourd'hui, expose l'histoire des oeuvres d'art en fonction des concepts et des besoins sociaux des diffrentes poques, comme tant leur expression esthtique en les reliant troitement l'histoire civile : ce qui conduit ngliger et presque touffer le caractre propre et individuel des oeuvres d'art, celui qui les fait oeuvres d'art et interdit de les confondre l'une avec l'autre et de les traiter comme documents de la vie sociale. Il est vrai que, dans la pratique, cette mthode est corrige par cette autre que l'on pourrait dire individualisante et qui met en vidence le caractre propre de chaque oeuvre ; mais ce correctif a le dfaut de tout ce qui ressortit l'clectisme. Pour en sortir, il n'y a pas d'autre parti que de dvelopper d'une manire consquente l'histoire individualisante et de traiter les oeuvres d'art non pas en relation avec l'histoire sociale mais chacune comme un monde en soi dans lequel, de temps autres, se concentre l'histoire tout entire, transfigure et transcende, grce la fantaisie, dans l'individualit de l'oeuvre potique qui est une cration et non une rflexion, un monument et non un document. L'oeuvre de Dante n'est pas seulement un document sur le Moyen Age ni celle de Shakespeare un document sur l'poque lisabthaine; pour cette fonction il existe beaucoup d'autres sources d'informations tout aussi abondantes sinon plus chez les mauvais potes et les non-potes. On a object que, par cette mthode, l'histoire artistique et littraire

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prend la forme d'une suite d'essais et de monographies sans lien entre eux; mais il est clair que le lien est fourni par toute l'histoire humaine constituant un tout dont les personnalits potiques forment une part trs importante (l'avnement de la posie shakespearienne n'est pas moins importante quel'avnement de la Rforme ou de la Rvolution franaise) et c'est justement parce qu'elles en font partie qu'elles ne doivent pas se plonger et se perdre dans cette histoire, c'est-dire dans les autres parties de cette histoire, mais maintenir leur importance et leurs caractres propres et originaux.

L'Histoire de l'esthtique
L'histoire de l'esthtique, en raison de son caractre de science philosophique que nous avons dj soulign, ne peut tre spare de l'histoire de toute la philosophie qui l'claire et en est claire. Elle permet par exemple de voir comment l'orientation dite subjectiviste que la pense philosophique a prise avec Descartes, favorisant la recherche autour de la puissance cratrice de l'esprit, a favoris aussi indirectement la recherche concernant la puissance esthtique; et, d'autre part, pour ce qui concerne l'influence exerce par l'esthtique sur le reste de la philosophie, il suffit de rappeler combien la conscience avance de la fantaisie cratrice et de la logique potique contriburent librer la logique philosophique du formalisme et de l'intellectualisme traditionnel et, rapprochant le mouvement de la pense du mouvement de la posie, l'lever la logique spculative ou dialectique dans la philosophie de Schelling et de Hegel. Mais si l'histoire de l'esthtique doit tre intgre dans l'ensemble de l'histoire de la philosophie, celle-l doit tre, d'autres gards, tendue au-del des limites l'intrieur desquelles elle est maintenue d'ordinaire et o il est d'usage de la faire concider avec la srie des oeuvres des philosophes dits de mtier et des traits dialectiques que l'on appelle systmes de philosophie . On retrouve souvent les penses philosophiques nouvelles ou leurs germes vivants et dynamiques dans les livres qui ne sont pas le fait de philosophes professionnels ni d'apparence systmatiques; pour l'thique, dans les livres d'asctes ou de religieux, pour la politique dans les livres d'historiens, ou pour l'esthtique, dans ceux des critiques d'art et ainsi de suite. En outre,

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on se souvient que, rigoureusement parlant, le sujet de l'histoire de l'esthtique n'est pas uniquement le problme de la dfinition de l'art, rsolu par cette dfinition quand elle a t ou sera trouve, mais les problmes infinis qui surgissent toujours propos de l'art et parmi lesquels ce seul problme de la dfinition de l'art est identifi et concrtis et seul compte vritablement. Ces remarques qu'il faut garder prsentes l'esprit permettent de tracer le cadre gnral d'une histoire de l'esthtique qui puisse servir d'orientation prliminaire sans courir le risque qu'elle soit comprise d'une faon rigide et simpliste. Dans ce cadre gnral, et parce que cela correspond non seulement aux besoins de l'exposition mais aussi la vrit historique, il convient d'accepter la proposition commune selon laquelle l'esthtique est une science moderne. L'antiquit grco-romaine ne spcula pas, ou trs peu, sur l'art mais s'employa surtout en crer la didactique : non pas la philosophie , pourrait-on dire, mais la science empirique de l'art. Tels sont ses traits de grammaire , de rhtorique , de procds oratoires , d< architecture , de musique , de peinture et de sculpture ; ils ont pos les fondements de toutes les didactiques ultrieures et de la ntre qui a simplifi et interprt ces traits cum grano salis, mais ne les a pas abandonns, parce qu'ils sont pratiquement indispensables. La philosophie de l'art ne trouvait pas de conditions favorables et stimulantes dans la philosophie antique qui tait avant tout physique et mtaphysique et seulement de manire secondaire et pisodiquement, psychologie ou, comme on devrait dire plus exactement, philosophie de l'esprit . Quelques allusions furent faites aux problmes philosophiques de l'esthtique, sur un mode ngatif avec la ngation platonicienne de la valeur de la posie et, sur un mode positif, avec la dfense aristotlicienne qui voulut assurer la posie son propre domaine entre celui de l'histoire et celui de la philosophie et, d'autre part, avec les spculations de Plotin qui pour la premire fois joignit et unifia les deux concepts qui erraient sparment, celui de 1< art et celui du Beau . Les autres conceptions importantes des anciens furent celles qui ratachaient le mythos et non le logos la posie et qui distinguaient parmi les propositions les expressions purement smantiques ,

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rhtoriques et virtuellement potiques, des expressions apophantiques ou logiques. Il a t rcemment question d'un nouveau courant de l'esthtique grecque travers la doctrine picurienne expose par Philodme qui semblait donner la fantaisie un caractre quasi romantique. En tout cas ces bauches demeurrent peu fcondes et le jugement solide et assur des Anciens sur les problmes de l'art n'a pas t approfondi et n'a jamais constitu une vritable science philosophique en raison de la limite inhrente au caractre gnral, objectiviste ou naturaliste de la philosophie antique ; seul le christianisme en levant les problmes de l'me et en les plaant au centre de son intrt a commenc les bouleverser ou prparer les forces qui oprrent ce bouleversement. Cependant, la philosophie chrtienne elle-mme, tant en raison de la prminence accorde la transcendance, au mysticisme et l'asctisme que de la forme scolastique hrite de la philosophie antique sur laquelle elle se reposa, si elle a rendu aigus les problmes moraux et dlicat leur traitement, n'a pas peru ni approfondi ceux de la fantaisie et du got, de mme qu'elle a recul devant ceux (qui sont leur quivalent dans le domaine pratique) de la passion, des intrts, de l'utilit, de la politique et de l'conomie. De mme que la politique et l'conomie furent penss d'un point de vue moral, de mme l'art fut soumis l'allgorie morale et religieuse; et les concepts rpandus parmi les crivains grcoromains restrent oublis ou traits superficiellement. La philosophie de la Renaissance, qui fut sa manire naturaliste, restaura, interprta et remit jour les anciennes potiques et les anciennes rhtoriques ; mais quoi-que fort proccupe par la vraisemblance et le vrai , 1( ide , le beau et la mystique du beau et de l'amour, par la catharsis ou purgation des passions, par les apories des nouveaux genres traditionnels et des nouveaux genres littraires, elle ne parvint pas mettre en place un principe proprement esthtique. A la posie et l'art fit alors dfaut un penseur qui ralist ce que ralisa Machiavel pour la politique, c'est--dire qui, vigoureusement et non seulement par des propositions incidentes ou des remarques occasionnelles, en affirmt et en dfint la nature originale et l'autonomie.

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Dans ce domaine, la pense de la Renaissance tardive qu'en Italie on appelle secentismo , baroquismo ou dcadence littraire et artistique, quoique longtemps nglige par les historiens, fut d'une beaucoup plus grande importance ; car c'est alors que l'on commena distinguer avec insistance ct de 1intellect , une facult dite ingegno a , ingenium ou gnie , proprement productrice de l'art et, lui correspondant, une facult de jugement qui n'tait pas la raison ou le jugement logique parce qu'elle jugeait sans discours , c'est--dire sans concept , et qui prit le nom de got . Ces expressions taient renforces par une autre qui semblait mettre l'accent sur quelque chose d'impossible dterminer en termes logiques et apparemment mystrieux, le nescio quid ou le je ne sais quoi : expression qui revenait particulirement dans le langage des Italiens et donnait rflchir aux trangers. Alors aussi on clbra la fantaisie , magicienne enchanteresse et le sensible ou sensuel [sensuoso] qui rside dans les images de la posie et, dans la peinture, le miracle de la couleur qui, en comparaison du dessin, semblait conserver quelque chose de froid et de logique. Quelquefois, ces tendances spirituelles, quelque peu troubles, se purifiaient, s'levant au niveau des thories rationnelles, comme ce fut le cas de Zuccolo b (1623) qui critiqua la mtrique eten remplaa les critres par le jugement du sens qui tait pour lui non pas l'oeil ou l'oreille, mais une puissance suprieure, unie aux sens ; de Mascardi (1636) qui niait les divisions objectives et rhtoriques des styles rduisant le style la manire particulire et individuelle due au talent [ingegno] de chacun et affirmait qu'il y a autant de styles que d'crivains ; de Pallavicino b (1644) qui cri-tiqua la vraisemblance et reconnut comme domaine propre de la posie les apprhensions premires ou fantaisies, ni vraies ni fausses ; de Tesauro ` (1654) qui chercha dvelopper une logique rhtorique distincte de la logique dialectique et tendit les formes rhtoriques, au-del des formes verbales, aux expressions picturales et plastiques. La nouvelle philosophie de Descartes, si elle se montra chez lui comme chez ses successeurs immdiats hostile la posie et la fantaisie, d'autre part, comme on l'a dit, avec l'enqute qu'il entreprit sur le sujet ou sur l'esprit, permit ces lments pars de se constituer en systme et

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ouvrit la recherche un principe auquel les arts pourraient tre rduits. L aussi, les Italiens conservant la mthode mais non l'intellectualisme rigide de Descartes ni son ddain pour la posie, les arts et la fantaisie, comme Calopresod (1691), Gravina ` (1692, 1708), Muratorif (1704) et les autres tablirent la premire potique dans laquelle domina, ou prit une part importante le concept de fantaisie; et leur influence ne fut pas des moindres sur Bodmer et sur l'cole suisse et travers eux sur la critique et l'esthtique allemande et europenne en gnral : si bien que l'on a pu parler ces dernires annes (Robertson) de l'origine italienne de l'esthtique romantique . Le penseur auquel tous ces thoriciens mineurs aboutirent fut G. B. Vico qui, dans la Scienza nuova (1725-1730), proposa une logique potique en la distinguant de la logique intellectuelle; il considra la posie comme un mode de connaissance ou une forme thortique prcdant la forme rationalisante et philosophique; il fonda son unique principe sur la fantaisie qui est d'autant plus forte qu'elle est plus libre de la raison son ennemi et son principe dissolvant : il sacra pre et prince de tous les vrais potes le barbare Homre et plaa prs de lui, bien qu'il ft troubl par la culture thologique et scolastique, le semi-barbare Dante et porta son regard, sans russir bien la voir, sur la tragdie anglaise, sur Shakespeare qu'il ignora et qui aurait certainement t, s'il avait pu le connatre mieux, son troisime barbare et grand pote. Mais Vico, avec cette thorie esthtique comme avec ses autres thories, ne fit pas cole parce qu'il tait trop en avance sur son temps mais aussi parce que sa pense philosophique tait enveloppe dans une sorte de symbolique historique. La logique potique fit son chemin quand elle rapparut, bien moins profonde, mais dans un climat plus propice, avec celui qui systmatisa l'esthtique leibnizienne quelque peu hybride, Baumgarten (Meditationes, 1735; Aesthetica, 1750-1758) qui elle doit des noms divers parmi lesquels ars analogi rationis, scientia cognitionis sensitivae, gnoseologia inferior et, celui qui devait lui rester, Aesthetica. L'cole de Baumgarten qui distinguait sans vraiment la distinguer la forme fantastique de la forme intellective la considrant comme cognito confusa, dote par ailleurs de sa propre perfectio, les spculations et analyses des

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esthticiens anglais (Schaftesbury, Hutcheson, Hume, Home, Gerard, Burke, Alison) et en gnral les si nombreux essais sur le beau et sur le got qui se multiplirent cette poque ainsi que les thories et les traits historiques de Lessing et de Winckelmann, contriburent comme stimulant tantt positif, tantt ngatif, la formation de l'autre grande oeuvre esthtique du XVIIIe sicle, la Critique du jugement (1790) d'Emmanuel Kant, o l'auteur (aprs en avoir dout dans la premire critique) dcouvrit que le beau et l'art donnaient matire une science philosophique particulire : il dcouvrit, en d'autres termes, l'autonomie de l'activit esthtique. Contre les utilitaristes il dmontra que le Beau plat sans intrt (sans intrt utilitaire), contre les intellectualistes qu'il plat sans concept; de nouveau contre les uns et les autres qu'il a la forme de la finalit sans la reprsentation de la fin ; contre les hdonistes qu'il est objet d'un plaisir universel. Kant en fait n'alla pas au-del de cette formulation ngative et gnrale du concept de beau ; de mme que dans la Critique de la Raison pratique la loi morale une fois sauvegarde, il ne dpassa pas la forme gnrale du devoir. Mais ce qu'il tablit resta tabli pour toujours; et aprs la Critique du jugement les retours aux explications hdonistes et utilitaristes de l'art et du beau sont bien entendu possibles, et ils n'ont pas manqu mais seulement parce que les dmonstrations kantiennes taient ignores de leurs auteurs. Pas mme les retours du leibnizianisme et du baumgartnianisme, c'est--dire de la doctrine de l'art comme concept confus et contamin par l'image [immaginoso], n'auraient plus d se produire si Kant avait russi rattacher sa thorie du beau plaisant sans concept et qui est une finalit sans reprsentation de fin la thorie vichienne, pleine d'imperfections et d'hsitations mais puissante, pour ce qui concerne la logique de la fantaisie, thorie qui alors en Allemagne tait dans une certaine mesure reprsente par Hamann et Herder. Mais lui-mme rouvrait les portes au concept confus quans il attribuait au gnie la vertu de combiner l'intellect et l'imagination et distinguait l'art, qu'il dfinissait comme beaut adhrente , de la beaut pure . On assiste justement dans la philosophie postkantienne la reprise de la tradition baumgartnienne, la posie et l'art tant de

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nouveau considrs comme une forme de connaissance de l'absolu ou de l'Ide, tantt gale celle de la philosophie, tantt infrieure ou prparatoire, tantt suprieure comme dans la philosophie de Schelling (1800) o elle devient l'organe de l'absolu. Dans l'oeuvre la plus riche et la plus importante de cette cole, dans les Leons d'esthtique de Hegel (1818 et suivantes), l'art, avec la religion et la philosophie, est transfr dans la sphre de l'esprit absolu o l'esprit s'affranchit du savoir empirique et du faire pratique et atteint la batitude dans la pense de Dieu ou de l'Ide. Dans la triade ainsi constitue il reste douteux que le premier moment soit l'art ou la religion parce que sur ce point il y a des variantes dans les exposs qu'a fait Hegel de sa doctrine; mais il est certain que l'un et l'autre, l'art et la religion, sont dpasss et intgrs dans cette synthse finale qui est la philosophie : ce qui signifie que l'art y est trait comme une philosophie infrieure ou imparfaite, une philosophie contamine par l'image; une contradiction entre contenu et forme inadquate que seule la philosophie rsout. Hegel qui tendait faire concider le systme de la philosophie et la dialectique des catgories avec l'histoire relle parvint de la sorte son fameux paradoxe de la mortalit de l'art, forme qui ne correspond plus aux intrts spirituels les plus levs des temps nouveaux. Cette conception de l'art comme philosophie ou philosophie intuitive ou symbole de la philosophie et autres choses semblables se retrouve dans toute l'esthtique idaliste de la premire moiti du XIXe sicle quelques rares exceptions prs telle que celle de Schleiermacher dans ses Leons d'esthtique (1825, 1832-1833) qui nous ont t transmises dans une forme assez peu labore. Et malgr leur lvation et leur vibrant enthousiasme pour la posie et l'art, le principe artificiel qui gouvernait ces traits ne fut pas la moindre cause de la raction contre cette esthtique, raction qui, dans la seconde moiti du sicle, accompagna la raction gnrale contre la philosophie idaliste des grands systmes post-kantiens. Ce mouvement antiphilosophique eut certainement sa signification en tant que manifestation de mcontentement et besoin de chercher une nouvelle voie mais ne produisit aucune thorie esthtique corrigeant les erreurs de la prcdente et la portant plus avant. Ce fut en partie une

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solution de continuit dans la tradition de la pense ; en partie aussi un effort dsesprpour rsoudre les problmes de l'esthtique qui sont des problmes spculatifs selon la mthode des sciences empiriques (par exemple chez Fechner) ; en partie enfin, une reprise de l'esthtique hdoniste et utilitaire d'un utilitarisme qui devenait associationisme, volutionnisme et biologisme de l'hrdit (comme par exemple chez Spencer). De leur ct, les pigones de l'idalisme n'apportrent rien qui ait une vritable valeur (Vischer, Schaslerh, Carrire, Lotze, etc.) et pas davantage les tenants des autres coles de la premire moiti du sicle comme celle dite forma-liste de l'herbartisme (Zimmermann), ni les clectiques et les psychologues qui, comme tous les autres, travaillaient sur deux abstractions, le contenu et la forme (les partisans du contenu et les formalistes) et quelquefois prtendaient les souder l'une et l'autre sans s'apercevoir que, de deux irralits, ils en faisaient une troisime. Ce qui s'est pens de mieux sur l'art cette poque, ce n'est pas chez les philosophes et les historiens de profession qu'il faut le chercher mais chez les critiques de la posie et de l'art comme De Sanctisg en Italie, Baudelaire et Flaubert en France, Pater en Angleterre et Hanslick et Fiedler en Allemagne, Julius Langes en Hollande, etc. Eux seuls nous consolent vraiment de la trivialit esthtique des philosophes positivistes et de la pnible vacuit de ceux que l'on appelle idalistes. L'esthtique a connu un meilleur sort dans les premires dcennies du xx e sicle grce au rveil gnral de la pense spculative. Il faut noter en particulier l'union qui est en train de se faire entre l'esthtique et la philosophie du langage encourage par la crise dans laquelle est entre la linguistique naturaliste et positiviste des lois phontiques et autres abstractions. Mais la plus rcente production esthtique, justement parce que rcente et en voie d'laboration, ne peut encore tre situe historiquement ni juge.

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