Crise du 16 mai 1877
La crise du est une crise politique et institutionnelle survenue en France pendant la Troisième République. Elle oppose le président de la République, le maréchal de Mac Mahon, monarchiste, à la Chambre des députés élue en 1876, à la majorité républicaine, menée par l'une de ses grandes figures, Léon Gambetta.
Si cette crise s'est bien ouverte le 16 mai, lorsque le président a nommé un chef de gouvernement conforme à ses vues politiques, qui étaient opposées à celles du parlement, elle s'est, de fait, poursuivie tout au long de l'année 1877 et n'a trouvé son épilogue que le , lorsque Mac Mahon a reconnu sa défaite politique.
La portée de cette crise politique est immense : elle a ancré dans les esprits le régime républicain, alors tout jeune[note 1] en France, ruinant les espoirs des divers courants monarchistes — bonapartistes, orléanistes et légitimistes[1] — de voir une restauration dans un avenir prévisible, et elle a, par-dessus tout, orienté définitivement la pratique politique des institutions, en mettant de côté l'interprétation « orléaniste » des lois constitutionnelles de 1875 — un gouvernement responsable à la fois devant le chef de l'État et le parlement, ce qui revient à reconnaître au président un rôle actif dans la gestion du pays —, au profit d'une interprétation strictement républicaine, révolutionnaire même, où le gouvernement ne dépend que du parlement, qui l'investit et le révoque.
Contexte historique
[modifier | modifier le code]Difficultés d'une république naissante
[modifier | modifier le code]Hésitations initiales entre république et monarchie
[modifier | modifier le code]Le , dans les décombres du Second Empire vaincu par la Prusse, la république est proclamée[2],[3],[4]. Afin d'endiguer l'insurrection et d'écarter la perspective d'un gouvernement révolutionnaire, les députés républicains s'accordent sur la constitution d'un gouvernement de la Défense nationale[5],[6]. Une série de désastres militaires et les souffrances du peuple lors du siège de Paris finissent par emporter le cabinet malgré la détermination de Léon Gambetta[5],[6],[2]. Jusqu'en 1877, monarchistes et républicains se livrent une lutte politique intense pour le contrôle des institutions et la définition juridique à leur donner[2].
Après la large victoire des monarchistes lors des élections législatives du , Adolphe Thiers est nommé « chef du pouvoir exécutif de la République française », en attendant la signature de la paix et le rétablissement de l'ordre[3]. Sous la conduite du chef de l'État, qui reçoit officiellement le titre de président de la République après le vote de la loi Rivet[7], le régime s'oriente peu à peu vers un républicanisme conservateur[2]. De fait, les monarchistes, dans l'attente d'un prétendant au trône, éludent la rédaction d'une constitution définitive et les institutions provisoires évoluent lentement[2], cependant que les républicains progressent à chaque élection partielle[8].
Les espoirs d'une restauration monarchique refont surface après la démission de Thiers en 1873 et l'élection de Patrice de Mac Mahon, dont l'ambition politique semble se limiter au retour du roi et à « l'ordre moral »[9]. Cependant, l'intransigeance du comte de Chambord, chef des monarchistes légitimistes qui exige l'adoption du drapeau blanc à la place du drapeau tricolore, exclut toute possibilité d'une restauration royaliste à brève échéance[10].
Le , le duc de Broglie fait voter la loi du septennat, une solution institutionnelle qui permet de repousser encore le choix définitif de la nature du régime et l'oriente dans le sens d'une république parlementaire puisqu'en raison de la réserve et de l'irresponsabilité du président de la République, c'est au vice-président du Conseil d'assumer la responsabilité de l'action de l'exécutif devant l'Assemblée[2].
Constitution de la Troisième République (1875)
[modifier | modifier le code]Dans son message à la Nation du , le président Mac-Mahon presse l'Assemblée d'engager le débat sur la constitution du régime, mais plus qu'une conversion soudaine aux idées républicaines, cet appel traduit l'inquiétude grandissantes des monarchistes et des républicains modérés dans le contexte d'une poussée bonapartiste, plusieurs députés de cette tendance ayant été élus l'année précédente lors d'élections partielles[2],[11]. Le principe républicain du régime semble établi définitivement le par l'adoption, à une voix de majorité, par 353 voix contre 352, de l'amendement Wallon. Celui-ci dispose que le président de la République est élu pour sept ans à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale, ce qui marque un tournant décisif : en dissociant la fonction de son titulaire, l'amendement Wallon institutionnalise une présidence de la République impersonnelle[2],[12].
Les lois constitutionnelles qui en découlent, votées entre février et , sont donc le fruit d'un compromis entre monarchistes et républicains et instaurent un régime parlementaire doté d'un exécutif fort[12]. Le président de la République en est le principal acteur et dispose de pouvoirs étendus. Outre la force armée et le droit de grâce, il nomme et révoque les ministres qui sont responsables devant la Chambre des députés, avec la possibilité de dissoudre cette dernière sous réserve de l'accord du Sénat. En matière législative, le président a l'initiative des lois, concurremment avec les deux Chambres, les promulgue après le vote du Parlement, en assure et surveille l'exécution. Chacune de ses décisions doit être contresignée par un ministre qui en assume la responsabilité à la Chambre[13],[12].
Le gouvernement nommé par le président est donc théoriquement soumis à la fois au président et aux députés, ce qui fait de lui, selon le professeur Marcel Morabito, le « véritable centre de l'opposition entre les organes constitués qui s'efforcent de peser sur son orientation »[14].
Les protagonistes
[modifier | modifier le code]Élu président de la République par la majorité royaliste le en remplacement d'Adolphe Thiers, Patrice de Mac Mahon, maréchal de France, est favorable au retour de la monarchie. Il agit « en maître absolu du pouvoir exécutif » pendant les premières années de son mandat, et se dote, contrairement à son prédécesseur, d'un véritable chef de gouvernement en la personne d'Albert de Broglie, vice-président du Conseil des ministres, un titre qui marque sa soumission au chef de l'État[15]. Le maréchal est confirmé à son poste pour une durée de sept ans après le vote de la loi du [2].
À l'issue des élections du , le Sénat conserve une faible majorité conservatrice avec 151 sièges pour les monarchistes et les bonapartistes contre 149 aux républicains[16],[17]. À l'inverse, les élections législatives de février-mars 1876 confirment la tendance à l'œuvre dans les élections partielles et donnent la majorité absolue aux républicains qui détiennent près de 350 sièges à la Chambre des députés[18].
L'effondrement des conservateurs est vécu comme un désastre par le président Mac Mahon qui nomme Jules Dufaure à la tête d'un gouvernement composé de monarchistes modérés et de républicains de centre gauche[19],[16]. Républicain conservateur, Dufaure subit la pression des députés et son ministère ne cesse de chercher des compromis[20]. Le , accusé par la majorité républicaine de soutenir l'opposition du président à l'amnistie des communards, il démissionne[19].
Pour former le nouveau gouvernement, Mac Mahon fait appel au sénateur Jules Simon, un républicain très modéré qui se décrit lui-même comme « profondément républicain et profondément conservateur »[21],[19], proche d'Adolphe Thiers et qui présente aux yeux du président l'avantage d'être nettement plus à gauche que son prédécesseur tout en étant un opposant notoire à Léon Gambetta, le chef de file de la majorité républicaine[21],[19].
Les événements
[modifier | modifier le code]L'expression « Seize Mai » ne désigne pas seulement les évènements de cette journée du , à savoir la démission du président du Conseil Jules Simon après sa réception d'une lettre de blâme et de désaveu adressée par le président Mac Mahon, il fait partie d'un ensemble d'évènements qui s'étalent sur une période de plusieurs mois et aboutissent à la soumission du président aux députés républicains[22]. Autrement dit, plus qu'une journée précise, le « Seize Mai » désigne « une période politiquement agitée et profondément troublée »[22].
Genèse de la crise
[modifier | modifier le code]Le ministère Simon et la question cléricale (début mai 1877)
[modifier | modifier le code]Pour Jules Simon comme pour son prédécesseur, la position est délicate entre un Sénat monarchiste, un président conservateur et une Chambre républicaine[20]. Le nouveau président du Conseil donne des gages à la gauche en épurant la haute administration (préfets et magistrats), ce qui lui vaut l'hostilité du président Mac Mahon, mais les républicains formulent des exigences accrues et Gambetta s'acharne à mettre Simon en difficulté[23].
Le , à la tribune de la Chambre, il reproche au président du Conseil d'avoir manqué de fermeté face aux prises de position ultramontaines des évêques français qui exhortent les pouvoirs publics à intervenir pour rétablir le pouvoir temporel de pape. Dénonçant « le mal clérical […] infiltré profondément dans ce qu'on appelle les classes dirigeantes du pays », il achève son discours par une célèbre formule inspirée par son ami journaliste Alphonse Peyrat, « Le cléricalisme ? Voilà l'ennemi ! », avant de faire voter une motion condamnant les menées ultramontaines, à laquelle Simon ne s'oppose pas[20],[23],[21].
La question religieuse réveille l'affrontement des blocs républicain et conservateur et dans cet état de tension accrue, le président Mac Mahon accuse Jules Simon de subir l'influence d'une majorité qui se radicalise dans une voie anticléricale et d'être en quelque sorte l'otage de Gambetta, d'autant que le , le président du Conseil laisse la Chambre adopter l'abrogation d'une loi réprimant le délit de presse votée deux ans plus tôt à l'initiative de Jules Dufaure[23],[19].
Lettre de Mac Mahon et démission de Jules Simon (16 mai)
[modifier | modifier le code]Le , au petit matin, le président Mac Mahon réagit vivement à la lecture du Journal officiel qui rend compte du débat de la veille à la Chambre. Considérant que la prise de parole de Jules Simon déroge aux positions arrêtées en Conseil des ministres, il rédige une lettre qu'il lui adresse aussitôt[24]. Dans cette missive, Mac Mahon demande au chef du gouvernement « s'il a conservé sur la Chambre l'influence nécessaire pour faire prévaloir ses vues » et réclame « une explication […] indispensable », justifiant son intervention par l'idée sacrée qu'il se fait de sa fonction « si je ne suis pas responsable comme vous envers le parlement, j'ai une responsabilité envers la France, dont aujourd’hui plus que jamais je dois me préoccuper »[25],[24],[23].
Quelques instants plus tard, le secrétaire général du président de la République, Emmanuel d'Harcourt, prend connaissance du texte et, comprenant la gravité de la situation, il convainc Mac Mahon d'envoyer un huissier pour récupérer la missive, en vain. Après avoir pris connaissance de la lettre, qui s'apparente à une forme de blâme officiel et de désaveu de sa politique, Jules Simon remet aussitôt sa démission au chef de l'État, sans avoir pourtant été mis en minorité à la Chambre[24],[23]. Le président l'accepte, déclarant notamment aimer « mieux être renversé que de rester sous les ordres de M. Gambetta »[26].
Jules Simon se rend alors aux obsèques de l'ancien ministre Ernest Picard puis à celles de l'ancien député Taxile Delord, où il avertit de la situation ses différents ministres et les nombreux hommes politiques présents qui s'offusquent de l'initiative du président de la République. Une réunion de la Gauche républicaine, déjà prévue à 15 h au boulevard des Capucines, s'ouvre aux autres formations politiques et réunit finalement 200 parlementaires dont quelques sénateurs[27]. Une réunion plénière est décidée pour le soir même au Grand Hôtel, lors de laquelle environ 300 députés adoptent l'ordre du jour proposé par Léon Gambetta qui, désirant s'en tenir à la légalité de la Constitution, rappelle que « la prépondérance du pouvoir parlementaire s'exerçant par la responsabilité ministérielle est la première condition du gouvernement du pays par le pays ». Dans la lettre que Gambetta adresse ensuite à sa maîtresse Léonie Léon, le député affiche sa détermination à mener le combat à la tête des républicains : « Ma chère enfant, la guerre est déclarée, on nous offre même la bataille : je l'ai acceptée, car mes positions sont inexpugnables ; nous occupons les hauteurs de la loi d'où nous pourrons mitrailler tout à notre aise les misérables troupes de la réaction qui pataugent dans la plaine »[27].
Conflit entre la Chambre et le président
[modifier | modifier le code]Prorogation de l'Assemblée et manifeste des 363 (17-18 mai)
[modifier | modifier le code]Le président Mac Mahon rappelle une figure de l'ordre moral en nommant Albert de Broglie à la présidence du Conseil. Ce dernier forme un gouvernement de droite, dit « ministère du 16 mai », en concordance avec les vues du président de la République. Ce faisant, il livre une lecture dualiste de la constitution : pour lui le gouvernement est tout autant son émanation que celle de la Chambre des députés[17].
Le matin du , alors que la presse se fait l'écho de la crise, une foule nombreuse se rassemble devant la gare Saint-Lazare au départ des trains de parlementaires qui se rendent à Versailles, aux cris de « Vive la République ! », « Vive Gambetta ! »[28]. À la Chambre, alors que la droite tente de s'opposer à la prise de parole de Gambetta, arguant qu'on ne peut interpeller un ministère qui n'existe plus, le député républicain, rappelant que son discours ne doit pas être vu comme un mouvement d'hostilité à l'égard du président de la République, exhorte Mac Mahon « de rentrer dans la vérité constitutionnelle ». Il veut ainsi montrer que la crise oppose deux interprétations différentes des lois constitutionnelles mais n'est en aucun cas une lutte entre une majorité et une personne[28]. Condamnant la nomination du duc de Broglie, il demande « si l'on veut gouverner avec le gouvernement dans toutes ses nuances, ou si, au contraire, en rappelant des hommes repoussés trois ou quatre fois par le suffrage populaire, on prétend imposer une dissolution qui entraînerait une consultation nouvelle de la France ». L'ordre du jour défendu par Gambetta recueille 347 voix contre 149, la grande majorité des députés du centre gauche s'étant associés aux autres républicains[28].
La composition du nouveau gouvernement est annoncée le . Ministre de l'Intérieur, proche de Mac Mahon et fervent défenseur de l'ordre moral, Oscar Bardi de Fourtou donne lecture aux députés du message aux chambres du président de la République qui justifie sa volonté de rompre avec le radicalisme pour nommer un gouvernement à sa convenance et qu'il juge conforme aux attentes des Français[28]. Conformément aux dispositions prévues dans la Constitution, Mac Mahon choisit également d'ajourner les chambres pour un mois, par décret[28].
Immédiatement après la clôture de la séance, les députés républicains se rassemblent dans le bureau du sénateur Émile de Marcère à l'hôtel des Réservoirs. Léon Gambetta propose alors de rédiger une adresse au pays qui constituerait « un acte de protestation contre la politique irrégulière, sinon dans la lettre, au moins dans l'esprit de la Constitution ». Reprenant également l'idée d'un député qui évoque l'adresse des 221, ayant abouti à la dissolution de la Chambre des députés par le roi Charles X en 1830, il estime qu'une telle adresse entraînera la chute définitive des conservateurs : « Imaginez quel sera le reflux de cet océan du suffrage universel poussant devant lui et rejetant pour jamais sur la grève toutes les épaves de l'Ancien Régime »[28]. Le texte, rédigé pour l'essentiel par Eugène Spuller, un proche de Gambetta, prend le nom de manifeste des 363, du nombre de députés y ayant joint leur signature. Il affirme que « la France veut la République » et qu'« elle montrera par son sang-froid, sa patience, sa résolution, qu'une incorrigible minorité ne saurait lui arracher le gouvernement d'elle-même »[28]. Les trois groupes de gauche au Sénat y ajoutent pour leur part une déclaration voisine[28].
Gouvernement de Broglie et retour à l'ordre moral
[modifier | modifier le code]Le gouvernement met à profit le mois de prorogation de l'Assemblée, pendant lequel il ne peut être renversé, et prend une série de mesures qui démontrent le retour de l'ordre moral[29]. Oscar Bardi de Fourtou révoque de nombreux préfets et sous-préfets pour les remplacer le plus souvent par des anciens hauts fonctionnaires bonapartistes, dont la mission consiste à poursuivre sans relâche les délits de presse, de libraire ou de colportage. Des élus locaux sont frappés par ces mesures : 1 743 maires, soit 4 % des édiles, et 1 334 adjoints sont révoqués, et 613 conseils municipaux sont dissous[30],[31],[29]. Le chef du gouvernement transmet une circulaire aux procureurs généraux qui témoigne de sa fermeté : « Parmi les lois dont la garde vous est confiée, les plus saintes sont celles qui, partant des principes supérieurs à toutes les constitutions politiques, protègent la morale, la religion, la propriété et les fondements essentiels de toute société civilisée. Sous quelque forme que le mensonge se produise, dès qu’il est proféré publiquement, il peut être puni »[32]. Des procureurs comme des juges de paix sont à leur tour démis[32].
Profitant de leur immunité parlementaire, les députés républicains mènent le combat dans leurs circonscriptions en organisant des réunions publiques, mais également dans la presse. À l'initiative de Gambetta, un « comité général de résistance et de propagande » rassemble des journaux de toute tendance et se tient dans les locaux de son quotidien, La République française. Les républicains insistent avant tout sur la lutte contre le cléricalisme plutôt que sur la question constitutionnelle, moins susceptible de passionner l'opinion. Les conservateurs eux-mêmes semblent divisés, les orléanistes et les légitimistes apparaissant plus réservés que les bonapartistes quant à l'initiative du président Mac Mahon[32].
À l'étranger, la crise politique française suscite de nombreuses réactions et, à l'exception du Vatican, les journaux européens sont à l'unisson pour défendre le parlementarisme des républicains ou dénoncer les menées cléricales[32].
Dissolution de la Chambre des députés (16-25 mai)
[modifier | modifier le code]Le , un mois après son renvoi, la Chambre des députés se réunit de nouveau mais le maréchal de Mac Mahon décide de la dissoudre aussitôt. Le jour même, il demande au Sénat son « avis conforme », ainsi que la Constitution le prévoit[33],[23],[34].
Après avoir lu aux députés le message présidentiel au Sénat, Oscar Bardi de Fourtou s'adresse aux républicains : « Nous sommes la France de 1789 déployée contre la France de 1793. Nous n'avons pas votre confiance, vous n'avez pas la nôtre. […] Les hommes qui sont au gouvernement ont fait partie de cette Assemblée nationale de 1871 qui a été la libératrice du territoire ». Le député Gustave Gailly lui répond : désignant Adolphe Thiers du doigt, il s'écrie « Le libérateur du territoire, le voilà ! », ce qui soulève l'enthousiasme de la gauche et du centre. Gambetta prononce ensuite un discours de plus de deux heures dans lequel il accuse notamment le Vatican d'avoir « manigancé toute l'opération du ». Le vote de défiance, proposé par les présidents des différents groupes de gauche, confirme l'unité des républicains dans la crise : il est voté le par 363 voix contre 158[33]. Sûr du prochain succès de son camp, Gambetta professe : « Nous partons 363, nous reviendrons 400 »[29].
L'avis du Sénat est rendu le : par 149 voix contre 130, il se montre favorable à la volonté présidentielle. La Chambre est dissoute trois jours plus tard, le [33],[23],[14].
Affrontement public et élections législatives
[modifier | modifier le code]La campagne électorale officielle ne s'ouvre que trois mois après la dissolution, le [35]; mais les mois qui la précèdent sont très agités politiquement et cette campagne est décrite comme l'une « des plus véhémentes » de l'histoire de France[14].
Candidatures officielles
[modifier | modifier le code]Au nom de « la lutte entre l'ordre et le désordre », le président Mac Mahon s'engage personnellement dans la bataille électorale et multiplie les déplacements en province[23]. Dès le , pour emporter la décision sénatoriale sur la dissolution de la Chambre, il avait passé un accord avec les légitimistes en leur garantissant de nombreuses circonscriptions et en s'engageant à quitter définitivement le pouvoir à la fin de son septennat en échange de leur soutien[36]. Dès le , le duc de Broglie déclare que les candidats favorables au chef de l'État pourront utiliser une affiche blanche avec la mention « Candidat du gouvernement du maréchal de Mac-Mahon », à la manière des candidatures officielles du Second Empire[36].
À travers un communiqué, dans lequel il défend ces candidats, le président laisse entendre qu'il pourrait tenter de résister si les résultats des élections lui étaient défavorables : « En cas d'élections hostiles, la France deviendrait pour l'Europe un objet de défiance. Quant à moi mon devoir grandirait avec le péril. Je resterai pour défendre, avec l'appui du Sénat, les intérêts conservateurs »[37]. Dans ses différents discours, il dénonce le radicalisme et accuse la gauche de faire courir au pays le risque d'une guerre[37], avant de publier un nouvelle adresse aux Français le , dans laquelle il se proclame solidaire du cabinet Broglie et accuse les « 363 » de vouloir une Chambre qui serait la réplique de la Convention nationale de 1792[35].
Dans le même temps, le gouvernement multiplie les poursuites judiciaires contre les titres de presse ou les vendeurs de journaux et la répression des préfets s'accentue : près de 2 000 débits de boissons sont fermés, ainsi que plusieurs loges maçonniques[36].
Unité des républicains
[modifier | modifier le code]Face aux candidats officiels du président, les républicains affichent leur unité. Adolphe Thiers et Léon Gambetta se montrent les plus combatifs. Les journaux républicains lancent des souscriptions, augmentent leur tirage et s'appuient sur les cheminots et les représentants de commerce pour assurer leur diffusion à travers le pays. Un comité électoral est créé, composé de 18 députés représentant toutes les tendances républicaines, de Georges Clemenceau à Jules Ferry, et d'autres comités sont créés sur le même modèle au niveau de chaque canton[36].
Pour financer leur campagne, les républicains s'appuient sur de nombreuses personnalités, notamment le propriétaire du grand magasin Le Bon Marché, Aristide Boucicaut, le chocolatier Antoine Menier, le banquier Henri Cernuschi ou encore le financier Emmanuel-Vincent Dubochet, qui met son hôtel particulier à la disposition de Gambetta[36].
Ce dernier prononce à Lille le un discours dont la péroraison est restée célèbre. Acclamé par l'auditoire, il déclare à l'attention du président et de ses fidèles : « Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, croyez-le bien, Messieurs, il faudra se soumettre ou se démettre[36],[37]. » Cette formule est immédiatement reprise dans La République française et le Conseil des ministres décide de poursuivre en justice l'orateur, qui n'est plus protégé par l'immunité parlementaire, et son journal, pour offense au chef de l'État[36]. Cette décision est critiquée jusque dans le camp conservateur qui redoute que le procès apporte une trop grande publicité au candidat républicain. Gambetta, jugé par défaut le par le tribunal correctionnel de la Seine, est condamné à trois mois de prison et 2 000 francs d'amende. Sûr de sa réélection, il fait aussitôt appel, le second jugement ne pouvant avoir lieu qu'après le scrutin[36].
La mort d'Adolphe Thiers le est mise à profit par les républicains, les « 363 » se rassemblant auprès de la famille du défunt lors des obsèques auxquelles n'assiste aucun officiel le . Cette disparition soudaine tempère cependant l'optimisme des républicains qui avaient envisagé le retour de Thiers à la présidence de la République en cas de victoire électorale et de démission du maréchal de Mac Mahon. C'est le nom de Jules Grévy qui s'y substitue, malgré les désaccords qui persistent entre ce dernier et Gambetta[38]. Fin septembre, François-Auguste Mignet publie un manifeste posthume de Thiers dans lequel l'ancien président rappelle la nécessité absolue de la République pour éviter la guerre civile[35].
Résultats des élections (14-28 octobre)
[modifier | modifier le code]Ce n'est que le que le Conseil des ministres fixe les élections législatives au et la réunion de la Chambre au [35]. Au premier tour, seules 15 des 531 circonscriptions ne sont pas pourvues. La victoire des républicains est incontestable, mais elle n'a pas l'ampleur prévue : les républicains ne comptent alors que 321 élus, loin des 405 prédits par Gambetta quelques semaines plus tôt. Dans une lettre adressée le lendemain à la princesse Lise Troubetzkoy, ce dernier dénonce les « menaces de corruption, des excès de tout ordre, les urnes renversées, les votes achetés falsifiés, enfin plus d'actes odieux accomplis en trois mois que l'Empire n'en avait perpétré en vingt ans ». En réalité, les progrès des conservateurs, qui gagnent 50 sièges, s'expliquent principalement par la mobilisation de leur électorat, l'abstention passant de 25 % en 1876 à moins de 20 % en 1877[39].
Au second tour, le , les conservateurs remportent 11 sièges supplémentaires, et bien que les républicains possèdent finalement une large majorité, avec 323 élus, ils ne devancent la droite que d'un peu moins de 800 000 voix[39]. Les bonapartistes, qui passent de 76 députés à 104, constituent le premier groupe parlementaire de l'opposition dans la nouvelle Chambre, et si le nombre de légitimistes augmente lui aussi, passant de 24 députes à 44, les orléanistes sont en net recul, de 40 à 11 élus : la « droite parlementaire », qui a accepté de transiger en 1875 et d'instaurer la République, est défaite[14].
Combat décisif
[modifier | modifier le code]Dernières tentatives de résistance du président (octobre-décembre)
[modifier | modifier le code]Sitôt le résultat des élections connu, le président Mac Mahon songe à démissionner, poussé en ce sens par certains de ses proches comme son secrétaire Emmanuel d'Harcourt, mais il y renonce[40]. Le gouvernement de Broglie, désavoué dans les urnes, reste donc en place en attendant les élections cantonales du [41]. Pendant ce temps, Mac Mahon multiplie les consultations et envisage de dissoudre une nouvelle fois la Chambre des députés, mais une telle décision sonnerait alors comme un refus du verdict de la nation[42]. Par ailleurs, le président du Sénat, Gaston d'Audiffret-Pasquier, informe le président que la chambre haute ne donnera pas cette fois son accord et lui conseille d'accepter un cabinet parlementaire[41],[43]. Il envisage également de former un « cabinet militaire »[44] sous la direction du sénateur conservateur Augustin Pouyer-Quertier[41], en confiant au général Félix Charles Douay le portefeuille de la Guerre et au général Auguste-Alexandre Ducrot celui de l'Intérieur, mais il écarte finalement cette possibilité, renonçant ainsi à faire entrer l'armée sur la scène politique de cette manière[44].
Faute de pouvoir former un nouveau gouvernement, le président demande le aux ministres du cabinet de Broglie de retirer leur démission, ce à quoi répliquent les députés républicains en exigeant l'invalidation de tous les députés élus avec l'affiche blanche présidentielle et la mise en accusation des ministres[45]. Le , Jules Grévy est réélu à la présidence de la Chambre des députés, tandis que son frère Albert Grévy propose la création d'une commission d'enquête sur les acte illégaux commis depuis le , qui est acceptée trois jours plus tard par 312 voix contre 205[45]. Le duc de Broglie cherche alors l'appui du Sénat pour rejeter la commission Broglie, mais Audiffret-Pasquier lui fait savoir qu'une décision de création de commission d'enquête n'étant pas une loi, la chambre haute ne peut s'y opposer. Le cabinet de Broglie remet finalement sa démission dans la soirée du [45].
Dans l'impasse, Mac Mahon nomme l'un de ses proches à la présidence du Conseil, le général de Rochebouët[44]. Aucun parlementaire n'est membre de ce cabinet qui n'est autre, dans l'esprit de Mac-Mahon, qu'un « ministère d'affaires » dont la seule mission est d'expédier les affaires courantes[46],[44]. La Chambre des députés répond aussitôt en votant une motion de défiance contre un cabinet qui, à ses yeux, « est la négation des droits de la nation et des droits parlementaires »[47]. Cette motion est largement acceptée, par 325 voix contre 208, mais le gouvernement refuse de démissionner, ce qui accroît d'autant plus la tension que des rumeurs de coup d'État se répandent[44],[47].
Projet Batbie et rumeurs de coup d'État
[modifier | modifier le code]La colère des républicains redouble quand le président envisage la nomination du sénateur orléaniste et ancien ministre Anselme Batbie[47]. Le choix de ce nouveau gouvernement conservateur contre la majorité républicaine apparaît comme la dernière tentative du président pour recouvrer son autorité et prend des allures de véritable coup d'État[42]. Une fois nommé président du Conseil, Batbie aurait proclamé l'état de siège, fait arrêter les chefs républicains, levé les impôts par décret, organisé de nouvelles élections et un plébiscite[48]. La mise en œuvre de ce projet prend forme aux alentours des 27 et [49],[42] et des rumeurs font état d'une convocation à Paris des chefs de corps d'armée pour le , le général de Rochebouët leur ayant ordonné de se tenir prêtes[42].
Le projet échoue finalement. D'une part, les ministres pressentis sont divisés sur la question[47], la presse conservatrice est majoritairement favorable à la soumission du président et nombre de ses partisans, attachés au libéralisme parlementaire, refusent d'envisager la violation des droits de la Chambre. Les présidents du Sénat et de la Chambre des députés, Audiffret-Pasquier et Jules Grévy, prennent des mesures de protection des assemblées et rencontrent le préfet de police Félix Voisin. D'autre part, le soutien de l'armée à un coup d'État n'est aucunement garanti. Depuis 1872, ses effectifs reposant sur la conscription, la République est majoritaire chez les militaires comme parmi les Français, et les opinions royalistes ou bonapartistes diminuent peu à peu au sein de sa hiérarchie. Début décembre, Léon Gambetta rencontre le général de Galliffet pour s'assurer de son soutien à la république, et plusieurs généraux se mettent spontanément à sa disposition, à l'image de Justin Clinchant, Jean-Baptiste Campenon ou Jean-Joseph Farre[42].
Devant l'impossibilité de composer un cabinet à sa convenance, Mac Mahon envisage de démissionner, ses proches l'en dissuadant de nouveau tant pour se protéger eux-mêmes que pour éviter une victoire totale des républicains[47].
Mac Mahon se soumet (13 décembre)
[modifier | modifier le code]Le , le président Mac Mahon se soumet finalement aux résultats électoraux et rappelle Jules Dufaure pour former un gouvernement dominé par les républicains modérés de centre gauche mais qui compte également quelques proches de Gambetta comme Charles de Freycinet aux Travaux Publics. Gambetta impose également la présence de William Waddington aux Affaires étrangères, malgré les réserves du chef de l'État qui n'est consulté que pour le seul portefeuille de la Guerre, attribué à son ancien aide de camp Jean-Louis Borel, seul membre apolitique et conservateur du nouveau cabinet[50],[51].
Le lendemain, le président de la République adresse un message au parlement qui sonne comme une capitulation politique[17]. Mac Mahon reconnaît tout d'abord que la dissolution ne peut être une façon normale de gouverner un pays et conclut en disant : « La Constitution de 1875 a fondé une République parlementaire en établissant mon irresponsabilité, tandis qu'elle a institué la responsabilité solidaire et individuelle des ministres. Ainsi sont déterminés nos devoirs et nos droits respectifs. L'indépendance des ministres est la condition de leur responsabilité. […] Ces principes, tirés de la Constitution, sont ceux de mon gouvernement »[51].
Événements ultérieurs
[modifier | modifier le code]Dans sa déclaration à la Chambre, le président Mac Mahon se tourne vers l'avenir et affirme que « la fin de cette crise sera le point de départ d'une nouvelle prospérité ». De fait, l'Exposition universelle, inaugurée le à Paris et qui attire près de six millions de visiteurs, doit montrer le relèvement de la France et de sa République naissante aux yeux du monde, cependant que le travail parlementaire est suspendu pour ne pas donner un spectacle de division[52]. Soutenu par Gambetta, le président du Conseil Jules Dufaure fait preuve de pragmatisme pour apaiser et rassurer l'opinion publique comme la classe politique, mais son gouvernement est à l'initiative de grands projets comme le plan Freycinet, un vaste programme de travaux publics qui remporte une forte adhésion[52].
La rupture définitive entre Mac Mahon et les républicains intervient cependant sur la question de l'épuration de l'administration de l'armée, exigée par Jules Ferry et Gambetta. Le président s'indigne par ailleurs quand le ministre Émile de Marcère présente à sa signature un décret prévoyant la révocation, le déplacement ou la mise à la retraite de 82 préfets[53]. Dans le même temps, les républicains poursuivent leur progression : la Chambre invalide elle-même 70 élections sous prétexte de pressions cléricales ou politiques et, à la suite des élections partielles, le nombre de députés républicains se rapproche de 400. Le , les républicains remportent les élections sénatoriales, conséquence logique de leur victoire aux élections municipales de 1877[2], et obtiennent la majorité à la chambre haute. Le président, privé de tout soutien institutionnel, préfère démissionner le après avoir refusé de signer le décret retirant leur commandement à une dizaine de généraux. Jules Grévy, alors président de la Chambre des Députés, le remplace le jour même[54],[53].
Avec l'élection de ce dernier, les républicains dominent désormais toutes les composantes du pouvoir, Jules Grévy, qui s'était farouchement opposé à l'institution présidentielle, déclare aux assemblées qu'il n'entrera jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par ses organes constitutionnels. Il renonce ainsi à l'usage du droit de dissolution, ce qui place de fait l'exécutif, et notamment le gouvernement, sous le contrôle et la domination du pouvoir législatif[2]. Le président demeure une figure influente mais dépourvue de pouvoirs réels[14]La Troisième république glisse alors d'un parlementarisme dualiste vers un régime d'assemblée, dans ce que le constitutionnaliste Éric Ghérardi nomme la dérive coutumière de la fonction présidentielle[2].
Répercussions
[modifier | modifier le code]C’est dans le contexte de cette crise que Victor Hugo fait publier son Histoire d'un crime, écrite depuis 1852[55].
Jean-Jacques Chevallier conclut ainsi ses pages sur cette crise :
« Sur cette interprétation de la Constitution de 1875 se clôt l'épisode dit du 16 mai, qui couvre en réalité plusieurs mois. Sur le plan institutionnel, c'est bien l'échec du parlementarisme dualiste d'essence orléaniste : deux pouvoirs égaux s'affrontant, avec une action personnelle du chef de l'État, dirigée éventuellement contre son propre ministère. Non seulement ce dualisme orléaniste de centre droit est battu, mais l'institution elle-même de la dissolution se trouve désormais grevée d'une hypothèque d'antirépublicanisme dont elle ne se relèvera pas au cours du régime (alors que, dans un parlementarisme authentique, cette institution est la contrepartie normale et même nécessaire de la responsabilité ministérielle)[17]. »
La crise du 16 mai donne donc aux lois constitutionnelles de 1875 leur interprétation définitive.
Dans la mythologie républicaine, le 16 mai est à ranger, avec le 18 brumaire ou le 2 décembre 1851, dans la catégorie des dates honnies[14].
Pour autant, le dualisme professé par Mac Mahon — un gouvernement responsable devant le président de la République et le parlement en même temps, doublé d'un pouvoir exécutif fort personnalisé par le chef de l'État — ne saurait être qualifié de coup d'État. La lettre de la constitution conforte le dualisme parlementaire et la puissance du président, hérités de la tradition orléaniste dont les constituants se sont largement inspirés.
Mais la disparition de la dissolution et l'effacement du président, consécutifs à la crise du 16 mai, font dévier la pratique institutionnelle depuis l'orléanisme vers la tradition révolutionnaire, où la chambre est la pièce maîtresse du jeu politique[14], et où les ministères sont soumis à ses mouvements d'humeur, puisque la dissolution ne peut plus les protéger[14]. En ce sens, la crise du marque le début effectif du basculement du régime depuis le parlementarisme rationalisé vers le parlementarisme absolu.
Le Seize-Mai dans les arts et la culture
[modifier | modifier le code]Littérature
[modifier | modifier le code]Charles Péguy y fait plusieurs fois référence dans son essai L’Argent (1913), sur les changements de la culture française après la fin de l'Ancien régime, entre autres sur le statut des ouvriers et sur les méthodes d'enseignement scolaire[56].
Marcel Proust en fait mention dans À l'ombre des jeunes filles en fleurs pour décrire le talent ou l'opportunisme de son personnage, le marquis de Norpois, qui est parvenu à jouer un rôle important avant et après cette date[57]
Culture populaire
[modifier | modifier le code]Pour qualifier leurs adversaires, certains républicains forgent le mot « seizemayeux »[22], que Lucien Rigaud définit dans son Dictionnaire d'argot moderne comme le « sobriquet donné aux fonctionnaires après le , aux partisans de la politique réactionnaire du »[58]. Le terme s'impose dans l'argot politique de la Troisième République et s'incarne après la crise dans le personnage d'Oscar Seizemayeux, un petit homme bossu, borgne et édenté, dessiné par le caricaturiste André Gill dans le no 25 de l'hebdomadaire satirique La Petite Lune. Il s'inspire d'un personnage comique imaginaire célèbre dans les années 1830 sous la Monarchie de Juillet, Mayeux, créé par le caricaturiste Traviès, et porte le même prénom que le ministre de l'Intérieur du cabinet de Broglie, Oscar Bardi de Fourtou, personnage honni par l'ensemble du groupe républicain[22].
Le nombre des 363 députés républicains ayant signé le manifeste du acquiert aussitôt une grande valeur symbolique, de sorte que des objets de propagande en l'honneur de cet acte de protestation sont rapidement mis en circulation. Les portraits des 363 tout comme le texte imprimé du manifeste figurent notamment sur des foulards dont certains sont conservés aux Archives nationales ou à la Bibliothèque nationale de France[22]. Par ailleurs, en 1878, le chansonnier Aristide Bruant compose Les 363 ou les vendanges de la République[22],[59].
Historiographie
[modifier | modifier le code]Un évènement majeur assez peu étudié
[modifier | modifier le code]En dépit du rôle fondamental de la crise du dans l'avènement définitif de la République, son historiographie est peu fournie[60],[22]. Si le Seize-Mai est fréquemment évoqué dans les ouvrages généraux consacrés aux premières années de la Troisième République, par des historiens comme Daniel Halévy, Odile Rudelle, Jérôme Grévy ou Jean-Marie Mayeur, mais également dans les biographies consacrées à ses protagonistes[61], il fait rarement l'objet d'une étude détaillée. En 1965, Fresnette Pisani-Ferry publie aux éditions Robert Laffont, Le coup d'État manqué du , tandis que le , sous la direction de Jean-Marc Guislin, une journée d'études y est consacrée à l'Université Lille-III[60]. D'après l'historien Guy Thuillier, le faible nombre d'études sur la crise et ses origines s'explique en partie par la relative discrétion de ses protagonistes : Jules Simon, dans ses mémoires intitulées Le Soir de ma journée, élude pratiquement la question, le président Mac Mahon n'en donne qu'une version officielle, et le duc de Broglie n'aborde aucunement le sujet dans ses Souvenirs[62].
De nombreux articles et chapitres d'ouvrages universitaires y sont toutefois consacrés. En 1986, Michel Winock en livre un récit détaillé dans son récit des crises politiques de l'histoire de France contemporaine, La fièvre hexagonale[60], et la même année, Guy Thuillier consacre une courte étude de treize pages aux origines de cette crise[62]. Deux ans plus tard, le sociologue Willy Pelletier intervient sur la question lors d'un colloque consacré à l'institution présidentielle[61]. En 2002, dans un ouvrage consacré aux incidents électoraux de la Révolution française à la Cinquième République, Jacqueline Lalouette étudie plus précisément la vague d'invalidations consécutive aux élections législatives de 1877, tandis qu'en 2004, le juriste Jean-Pierre Machelon s'interroge sur la pertinence de qualifier le Seize-Mai comme une tentative de coup d'État[61]. Des historiens comme Bernard Ménager ou Marcel Vigreux abordent en détail les conséquences directes de la crise du dans des travaux consacrés à l'histoire locale, à savoir la vie politique dans le département du Nord pour le premier ou les relations entre paysans et notables dans le Morvan pour le second. En 2002, Jean-Marc Guislin étudie plus particulièrement l'événement au travers du parcours du ministre Auguste Paris, au travers de l'abondante correspondance que ce dernier livre à sa femme[61]. Les études consacrées au Seize-Mai dépassent le cadre national : l'historienne américaine Susanna Barrows y consacre plusieurs textes, et met notamment en exergue « la démarche originale de la génération d'historiens américains de la France qui était la sienne par rapport aux historiens français et justifie le projet d’une histoire sociale du rejet du pouvoir autoritaire par le prisme de la France du »[60].
L'ensemble des historiens s'accordent à reconnaître l'importance du Seize-Mai dans l'histoire politique et institutionnelle du pays. Pour Philippe Levillain, cette crise « fait partie des fastes républicains ». Il précise que, « voulue et vécue comme une épreuve de force décisive sur la définition du conservatisme, elle eut des conséquences en cascade sur les mentalités républicaines et son effet fut considérable sur le comportement des droites »[63]. Jean-Marc Guislin la qualifie quant à lui de période « névralgique »[61].
Le Seize-Mai, un coup d'État ?
[modifier | modifier le code]Atmosphère de coup d'État
[modifier | modifier le code]En 1877, la Troisième République vit encore sous la menace royaliste et dans le souvenir du coup d'État du 2 décembre 1851, de sorte que, pour les républicains, « les détenteurs de l'exécutif sont par principe soupçonnés de chercher à accroître leurs prérogatives pour se maintenir au pouvoir »[42]. C'est pour cette raison que « la tradition historiographique et politique française a fait du Seize-Mai la menace d'un coup d'État », comme l'affirme l'historien Claude Nicolet[64]. À de nombreux égards, le déroulement des événements de l'année 1877 reproduit en effet le processus de 1851 qui aboutit à l'instauration du Second Empire et l'historiographie républicaine qui se met immédiatement en place impose pour longtemps la vision du Seize-Mai comme un coup de force destiné à abattre la République[42].
En obtenant la démission d'un ministère pourtant investi de la confiance de la Chambre des députés et, par conséquent, de la nation qui l'avait élue, le président Mac Mahon donne l'impression de pratiquer « un coup d'État légal »[64] : « l'acte présidentiel pouvait sembler une violation de la volonté nationale et l'affirmation d'une conception autoritaire et personnelle des institutions »[42]. Dans la lettre qu'il adresse à Jules Simon, Mac Mahon place sa responsabilité devant le pays comme étant supérieure à celle du gouvernement devant la Chambre, et reprend ainsi « la logique de l'argumentaire louis-napoléonien » de 1851 en opposant la légalité formelle de la Constitution et la légitimité du chef de l'État comme représentant la nation dans son ensemble[42]. Plus encore que le coup d'État du , l'initiative de Mac Mahon rappelle le renvoi en par le président Bonaparte du gouvernement Barrot, investi de la confiance de l'Assemblée nationale, et son remplacement par le gouvernement d'Hautpoul qui lui est favorable[42].
Dès l'ouverture de la crise, Jules Ferry la présente comme la lutte « du gouvernement du président de la République contre le gouvernement parlementaire », si bien que l'historien Michel Winock voit l'initiative présidentielle comme un abus de pouvoir « exercé contre le suffrage universel et la République »[65]. En 1877, l'atmosphère de coup d'État est d'autant plus perceptible que les bonapartistes invitent explicitement le président à passer à l'action, comme en témoignent les articles de Paul de Cassagnac dans Le Pays qui exige l'état de siège et des lois d'exception[42]. Mac Mahon lui-même, dans ses déclarations, renforce l'ambiguïté de la situation. Le , dans un discours devant l'armée, il affirme : « Vous m'aiderez, j'en suis certain, à maintenir le respect de l'autorité et des lois, dans l'exercice de la mission qui m'a été confiée et que je remplirai jusqu'au bout », puis le , il proclame : « Je ne saurais obéir aux sommations de la démagogie. Je ne saurais ni devenir l'instrument du radicalisme, ni abandonner le poste où la Constitution m'a placé »[66]. Par ailleurs, la nomination de bonapartistes autoritaires comme Bardi de Fourtou à l'Intérieur, les révocations d'élus ou de magistrats, et la dissolution de conseils municipaux sont aussitôt dénoncés comme « le retour des actes tyranniques de l'Empire »[42].
Légalité constitutionnelle de l'initiative présidentielle
[modifier | modifier le code]Toutefois, le déroulement de la crise du ne présente ni illégalité ni violence, deux critères servant à définir un coup d'État[67],[42]. D'une part, comme le remarque Emmanuel Cherrier, « la violence physique n'est nulle part et à aucun moment employé, et l'on ne constate nulle saisie du pouvoir par la force ou la menace de la force, nul mouvement de troupes ni arrestation des chefs de file républicains »[42]. D'autre part, l'ensemble des actes présidentiels et gouvernementaux de la période sont établis dans les limites strictement définies par la loi[42]. La crise résulte avant tout d'une différence d'interprétation des lois constitutionnelles qui conservent encore en 1877 une certaine ambiguïté[68]. Si le président Mac Mahon considère que le gouvernement est tenu de partager ses vues, les républicains estiment qu'il n'est responsable que devant la seule chambre élue au suffrage universel direct et qui exprime la volonté de la nation, à l'opposé du Sénat désigné par les grands électeurs et du président élu de manière indirecte par les parlementaires[42].
Pour Emmanuel Cherrier, « le Seize-Mai est donc aussi une controverse quant à la responsabilité, moniste ou dualiste, du gouvernement ». Rien n'oblige alors Jules Simon à démissionner puisque rien n'indique expressément la moindre responsabilité du gouvernement devant le chef de l'État dans les lois constitutionnelles de 1875, et la décision du président du Conseil ne résulte que de la prégnance d'une lecture dualiste de la Constitution et de la pratique « à la française » du régime parlementaire qui établit de façon coutumière la double responsabilité des ministres[42]. La lettre adressée par Mac Mahon n'a donc aucun caractère inconstitutionnel, et plus encore, le président n'a pas le sentiment d'effectuer un coup d'État en prenant cette initiative : puisqu'il revient de nommer les ministres, il estime qu'il peut également les révoquer de plein droit[42]. Par ailleurs, la pression administrative exercée par le cabinet de Broglie jusqu'aux élections législatives ne dépasse nullement le cadre de la loi : le déplacement ou la révocation des fonctionnaires fait partie des pouvoirs dont dispose le gouvernement, de même que la suspension des conseils municipaux ou la révocation des maires, garantis par les lois du et du [42]. En outre, tandis que la loi du soumet le colportage des journaux et imprimés à autorisation préfectorale, celle du définit le renvoi des délits de presse en correctionnelle, de sorte que la censure exercée par le gouvernement s'effectue elle aussi en appliquant des dispositions légales[42].
Pour Emmanuel Cherreier, la crise du est donc un événement paradoxal : « 1877 présente la particularité de ne pas être un coup d'État mais de paraître tel aux républicains de l'époque, sans même évoquer ceux, bonapartistes revanchards ou royalistes décidés, qui déploraient que ça n'en fût pas un ». En qualifiant de coup d'État les actes du président Mac Mahon, les républicains cherchent avant tout à les discréditer aux yeux de l'opinion[42].
Héritage
[modifier | modifier le code]Inversion de l'ordre politique
[modifier | modifier le code]La crise du témoigne du renversement des fronts politiques. Dès les premiers temps de la crise, les républicains se posent en garants de l'ordre, comme en témoigne l'intervention de Victor Hugo lors de la discussion au Sénat de l'avis conforme à la dissolution : « Le gouvernement fait cette imprudence : l'ouverture de l'inconnu. Une arrestation de civilisation en plein XIXe siècle n'est pas possible. Je vote contre la catastrophe, je refuse la dissolution »[42]. Les républicains dénoncent par ailleurs le risque de guerre qu'entraîne la pratique d'une politique cléricale, conformément aux menaces que le chancelier Bismarck avait proférées en 1873 en affirmant que l'alignement politique de la France sur le Vatican ferait d'elle l'ennemi juré de l'Allemagne[69].
Dans un pays où la peur sociale n'est plus de mise, où l'économie prospère et où le suffrage universel a permis la politisation massive des masses, la possibilité d'un coup de force est refusée par la majorité des Français[70]. Les républicains qui, traditionnellement, incarnaient la menace du désordre, bénéficient désormais du soutien populaire et se posent en garant des institutions, quand bien même leurs adversaires les plus radicaux menacent d'employer la force contre eux[42]. Finalement, le dénouement de la crise sans violence ni transgression de la légalité démontre la « pacification » de la vie politique française qui résulte de l'enracinement du libéralisme parlementaire et l'initiative du président Mac Mahon peut être vue comme l'acte autoritaire d'un chef d'État pour tenter de recouvrer le pouvoir qui était le sien dans une société hiérarchisée, organisée par la religion et gouvernée par un roi. Son intervention n'est donc qu'un sursaut de la tradition pour tenter de résister à la modernité, et la soumission du président le , dans le prolongement des succès républicains aux élections législatives de 1876 et 1877, témoigne de la force acquise par la République, « désormais synonyme de légalité »[42]. L'historien Raymond Huard considère qu'à partir de cette date, « l'ombre du tendait ainsi à pâlir »[71].
Notes et références
[modifier | modifier le code]Notes
[modifier | modifier le code]- Proclamée le , la république a été définitivement installée en droit en seulement.
Références
[modifier | modifier le code]- Aux élections législatives de 1876, les bonapartistes avaient recueilli 76 sièges, les orléanistes 40 et les légitimistes 24. http://www.philisto.fr/article-70-le-bonapartisme-de-sedan-a-la-mort-du-prince-imperial.html.
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Voir aussi
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
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Ouvrages consacrés au Seize Mai
[modifier | modifier le code]- Jean-Marc Guslin (dir.), Le Seize-mai revisité, Lille, Publications de l'Institut de recherches historiques du Septentrion, coll. « Histoire et littérature du Septentrion (IRHiS) » (no 42), , 155 p. (ISBN 978-2-90563-758-1, lire en ligne).
- Jean-Marc Guislin, Un ministre artésien dans la crise du 16 mai : La correspondance entre Auguste et Lucie Paris (16 mai - 23 novembre 1877), Villeneuve d'Ascq, Publications de l’Institut de recherches historiques du Septentrion, coll. « Histoire et littérature du Septentrion (IRHiS) », , 301 p. (lire en ligne).
- Émile de Marcère, Le seize mai et la fin du septennat, Plon, 1900.
- Fresnette Pisani-Ferry (préf. Edgar Faure), Le coup d'État manqué du 16 mai 1877, Paris, Robert Laffont, , 334 p..
- Jean-Marc Guislin, « Les multiples sorties de la crise du 16 mai 1877 », dans Sortir de crise : les mécanismes de résolution de crises politiques (XVIe – XXe siècles), Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », (lire en ligne), p. 163–177.
- Susanna Barrows, Pierre Karila-Cohen et Patrick Fridenson, « Autour du 16 mai 1877 », Le Mouvement social, no 256, juin - septembre 2016, p. 3-79 (lire en ligne).
- Daniel Halévy, La Fin des notables : La République des ducs, Paris, Hachette, , 384 p.
- Jacques Gadille, La pensée et l'action politiques des évêques français au début de la IIIe République (1870-1883), Hachette, .
- Jean-Pierre Machelon, « Le Seize Mai : un coup d'État ? », dans Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois (dir.), Le Coup d'État : Recours à la force ou dernier mot du politique ?, Paris, Éditions François-Xavier de Guibert, coll. « Combats pour la liberté de l'esprit », , 419 p. (ISBN 978-2-7554-0153-0), p. 115-134.
- Frédéric Stévenot, « La politique au village. La crise du 16 mai 1877 dans l’arrondissement de Vervins », Mémoires de la Fédération des sociétés d’histoire de l’Aisne, tome XLII, 1997, p. 237-274 (lire en ligne).
- Guy Thuillier, « Cohabitation et crise politique : les origines de la crise du 16 mai 1877 », La Revue administrative, no 233, , p. 440-452.
Articles connexes
[modifier | modifier le code]- Monisme et dualisme dans le régime parlementaire
- Régime parlementaire
- Organigramme des institutions de la Troisième République
Liens externes
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- Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste :
- Extrait du compte-rendu de la séance à la Chambre du 17 mai 1877.
- Discours de Gambetta au Cirque du Château d'Eau, à Paris, le 9 octobre 1877.