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Lettre au père

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Première page du manuscrit

La Lettre au père est une lettre d'une centaine de pages manuscrites rédigée en 1919 par Franz Kafka, alors âgé de 36 ans. Dépourvue de titre, elle était adressée à son père, mais ne lui fut jamais remise. Max Brod, ami et exécuteur testamentaire de Kafka, en fit paraître une version partielle en 1937, treize ans après la mort de son auteur, puis l'intégralité en 1952, dans une revue littéraire. Cette « lettre géante » (Riesenbrief) est considérée depuis comme un document essentiel à la compréhension de l'œuvre de l'écrivain.

Kafka y analyse les relations complexes qu'il entretient depuis l'enfance avec son père.

Il l'écrivit à la suite du refus de son père concernant son mariage avec Julie Wohryzeck, une secrétaire de Prague. Il y décrit l'attitude de cette figure paternelle qui l'effraie et qui le domine. Ils entretiennent une relation conflictuelle; en effet, son père lui reproche un manque d'amour filial, tandis que Franz désapprouve son autorité.

Tout au long de cette lettre, Kafka, s'adressant à son père, lui dit qu'il reconnaît l'entière responsabilité de leurs rapports; c'est totalement de sa faute à lui s'ils ne s'entendent pas. Son père n'y est pour rien. Mais au fur et à mesure de la lecture, on se rend compte que Kafka critique son père ainsi que son éducation stricte de façon de plus en plus explicite.

Kafka travaillait le jour en tant que juriste dans une compagnie d'assurance et il écrivait la nuit. Pour lui, être écrivain n'est pas un métier. Il se considérait d'ailleurs comme un parasite, quelqu'un d'inutile, ne pouvant rien apporter à la société et vivant à ses crochets. Ce complexe est très bien exprimé dans son récit métaphorique La Métamorphose (1913), où un voyageur de commerce se transforme subitement en un énorme insecte répugnant et est de ce fait exclu de la société et rejeté par sa famille.

Kafka n'avait donc pas une haute opinion de lui-même; il n'avait pas la force de répondre à son père, ni même de lui désobéir. Dans sa lettre, il lui reproche son éducation trop stricte ainsi qu'un excès d'autorité. Par exemple, lorsqu'ils étaient à table, le père disait toujours qu'il ne fallait pas parler la bouche pleine, ne pas trop manger, ne pas faire de miettes, ne pas manger trop vite, etc. Kafka s'efforçait donc de satisfaire son père en respectant ses règles. Mais ce père faisait lui-même ce qu'il interdisait à ses enfants : il parlait la bouche pleine et mangeait beaucoup et vite. Kafka reproche également à son père des jugements hâtifs et dévalorisants. À chaque fois que le fils disait apprécier une personne, son père s'empressait de la rabaisser. Plus généralement il contredisait son fils en permanence. Par exemple, il voulait que Franz s'intéresse au Judaïsme et du jour où il s'y est intéressé : « le judaïsme lui devint odieux, il jugea les écrits juifs illisibles, ils le dégoûtèrent. »

Le père de Kafka était ce qu'on aurait appelé ultérieurement un pervers narcissique (ou manipulateur destructeur), en bonne santé, un destructeur sûr de lui et qui pensait qu'il était de loin supérieur aux autres. Lorsqu'il parlait à ses enfants, il avait des paroles dures, blessantes, comme le jour où il dit à Kafka qu'il le « déchirerait comme un poisson ». Il disait également de Franz qu'il était inapte à la vie, pas assez fort, pas solide. Kafka émit l'hypothèse que son père lui disait tout cela dans le but qu'il réagisse, qu'il se rebelle et qu'il s'affirme. Dans sa lettre, il explique à son père qu'il parle de lui dans tous ses romans, il y raconte tout ce qu'il ne peut pas lui dire en face.

La lettre s'achève par un message d'espoir. Kafka écrit qu'il espère que cette lettre va les apaiser et leur « rendre à tous deux la vie et la mort plus faciles ».

La Lettre au père est considérée comme une des principales clefs des œuvres de Franz Kafka. Le complexe relatif au père y est clairement exprimé. Elle éclaire l'origine d'un thème récurrent des récits de l'écrivain, le rapport difficile à une autorité déroutante et foncièrement injuste.

Notes et références

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Articles connexes

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Bibliographie

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  • Franz Kafka, Lettre au père, traduite de l'allemand par Marthe Robert; publiée dans le recueil Préparatifs de noce à la campagne, Paris, Gallimard, coll. "Du monde entier", 1957; recueil repris dans la collection "L'imaginaire", n°158.
  • Franz Kafka, Lettre au père, traduite et annotée par François Rey, Petite Bibliothèque Ombres, Toulouse, 1994. (ISBN 2-905964-93-6).
  • Franz Kafka, Lettre au père, traduite par Monique Laederach, Mille et une nuits, Paris, 2003. (ISBN 2-84205-762-7)
  • Franz Kafka, Lettre au père, traduite de l'allemand par Didier Debord et Stefan Rodecurt, Vitalis Verlag, Prague 2016. (ISBN 978-80-7253-346-6).
  • Franz Kafka, Lettre au père, traduite par Bernard Lortholary, dans Kafka, Œuvres complètes, IV, Journaux et lettres, 1914-1924, NRF, Bibliothèque de la Pléiade, NRF, Paris, 2022, p. 1261-1307.
  • Brief an den Vater, von dem kindlers literaturlexikon