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Voyage en Abyssinie/02

La bibliothèque libre.
Deuxième livraison
Le Tour du mondeVolume 12 (p. 225-240).
Deuxième livraison


VOYAGE EN ABYSSINIE,

PAR M. GUILLAUME LEJEAN[1].
1862-1863. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.




II


Sennâr. — Une étymologie tirée par les… dents. — Un peu d’ethnographie. — Un Niam-Niam. — Un Fertît et sa payse. — Excursion au Sagadi. — Prétendues antiquités égyptiennes. — Légendes. — Une ruine chrétienne. — Paysages.


Le nom quasi biblique de Sennâr a quelque chose qui saisit d’autant mieux notre esprit, que les abrégés de géographie enseignés dans nos colléges ont continué à nous répéter : « Sennaar, capitale de la Nubie, » aujourd’hui que la Nubie n’est plus qu’un terme de géographie comparée et que Sennâr n’est qu’une sous-préfecture de huit mille âmes, à trente myriamètres d’une capitale qui en a quatre fois autant et que les mêmes livres se gardent bien de nommer.

J’étais assez curieux de visiter la capitale de ces Fougn qui nous ont montré ce spectacle, unique en histoire, d’un peuple nègre soumettant habilement pendant trois siècles des populations d’un sang supérieur à lui. Je m’attendais d’ailleurs, d’après Caillaud, à voir une ville en ruine, mais ce que je vis dépassa mon attente. Qu’on se figure un fouillis de hameaux groupés en désordre sur un terrain profondément raviné par les pluies : quelques centaines de maisons en terre et de toukouls à toit pointu, dont chaque saison pluviale délayait un certain nombre : quelque chose comme le Salam’el Bacha de Khartoum, avec un peu moins de guenilles, toutefois. Pour tout monument, une mosquée délabrée en briques cuites. Je crois me rappeler que les portes de cette mosquée, qui avaient une certaine valeur, avaient été emportées par les constructeurs économes de la mosquée de Khartoum. C’est sur la place voisine de cette ruine que fut assassiné, dit-on, le malheureux du Roulle, envoyé de Louis XIV près du négus d’Abyssinie. Je ne passai point sans émotion sur cette place funeste, car je songeais que j’accomplissais précisément en ce moment la mission civilisatrice dont du Roulle avait été martyr. Mais j’avais moins de mérite que mon prédécesseur, ayant moins de danger à affronter.

Plus heureux que les voyageurs qui ont visité Sennâr au temps de son indépendance, je n’ai eu qu’à me louer de mes relations avec les habitants, à commencer par le commandant de place, officier égyptien plein d’amabilité et de courtoisie, jeune encore, et dont le visage, jauni et émacié par la fièvre, témoignait éloquemment de l’insalubrité du pays. Il avait passé vingt-sept ans au Soudan, et eût bien désiré une garnison plus salubre, en Égypte, par exemple, mais sans protections au ministère de la guerre, il n’avait guère d’autre perspective que de laisser ses os dans cette ennuyeuse contrée. Je lui donnai un petit flacon de sulfate de quinine et une bouteille de vin grec, qui, je me plais à l’espérer, lui auront fait quelque bien.

Je reçus l’hospitalité chez un écrivain du divan, nommé Abdallah Effendi, obligeant et instruit, qui, à son tour, me mit en rapport avec tous ceux qui pouvaient, à Sennâr, me renseigner sur l’histoire passée du pays. Je cherchai inutilement une chronique royale du Sennâr que j’aurais payée au poids de l’or, et j’eus la mortification d’apprendre que le seul exemplaire connu devait se trouver à Khartoum, aux mains d’un scribe riche appelé Gasmessid. Si je l’avais su un mois plus tôt !

J’obtins, en revanche, des renseignements verbaux qui n’étaient pas sans intérêt : traditions, légendes… En voici quelques-unes.

Le père des Fougn, fondateur de Sennâr, était un certain Abdallah, d’une tribu indigène de la Djezirè : un sien enfant ayant été tué par accident par un de ses petits camarades, Abdallah coupa par vendetta la gorge à trois enfants de la tribu, et pour échapper aux conséquences de cet acte sauvage, il se sauva chez les Chelouks, où il passa quelques années. Il y prit femme et fit souche d’une nouvelle famille avec laquelle il revint au pays natal. Ce groupe de métis se donnait le nom de Fougn par corruption de celui de Bougn, que les Chelouks donnent aux Arabes et sous lequel Abdallah était connu chez eux.

Les Fougn, en arrivant aux bords du fleuve, rencontrèrent une femme fort belle, qui avait de magnifiques dents rouges au moyen du henné. « Elle a des dents de feu (sin-nâr) » dit un des émigrants émerveillé de ce trait de coquetterie africaine. Et on donna le nom de Sennâr à la bourgade que l’on construisit en ce lieu.

Cette étymologie est quelque peu tirée par les cheveux ; on m’en a dit une autre moins romantique et plus vraisemblable. Il paraît qu’il y avait en cet endroit une saillie de la berge où les pasteurs avaient l’habitude le soir, d’allumer des feux comme signaux ou pour écarter les lions très-nombreux dans les environs, et qu’on appelait cet endroit la pointe du feu (sin en nâr), d’où Sennâr.

Un genre d’étude, que je poursuivis activement dans cette ville, ce fut l’ethnographie, grâce à la présence d’un bataillon nègre caserné à Sennâr et pour l’étude duquel toutes les facilités me furent offertes. À Khartoum, je n’aurais pu en faire autant : j’y étais connu comme abolitionniste et ennemi public, et Mouça Pacha n’eût pas tenu à voir un trouble-fête comme moi faire son enquête parmi des troupes entièrement composées d’esclaves volés, comme tout le monde le sait, même les écrivains anonymes qui soutiennent le contraire[2]. J’y dessinai quelques types intéressants que j’ai joints à ces pages. Le premier est un jeune Niamniam qui, bien entendu, ne porte pas de queue, mais qui, à peine musulman, s’était empressé d’adopter, comme cachet de la civilisation, les trois raies longitudinales sur chaque joue, blason des Danagla. C’était un beau garçon à teint bistré, nullement nègre : il rappelait assez les Peulhs ou Fellata qui abondent au Soudan, et je ne serais pas surpris que des études postérieures sur cette curieuse race des Niamniams n’amènent la découverte d’une étroite parenté entre eux et les Peulhs, ces puissants dominateurs de la Nigritie occidentale.


Niam-Niam Basa. — Dessin de Émile Bayard d’après M. G. Lejean.


Ranma. — Dessin de Émile Bayard d’après M. G. Lejean.

Un second type, non moins intéressant à trouver pour moi, c’était un Fertit. On sait que ce peuple étrange habite au sud du Darfour et se lime les dents en pointe, de manière à se donner un râtelier de crocodile. Je fis chercher des Fertit dans toute la garnison : on me trouva un caporal connu pour tel, mais qui, présenté à moi, nia avec indignation, à peu près comme un troupier français à qui on demanderait s’il est de Quimper-Corentin ou de Cancale. Je finis par tomber sur un petit soldat de mine chétive, ayant la denture réglementaire des Fertît, et qui m’avoua qu’il était Kondjara-Fertît ; Kondjara est le nom national des Darfouriens, et mon homme appartenait probablement aux provinces méridionales de cet empire. Je voulus lui faire parler sa langue, et ce spécimen m’eût été d’autant plus précieux qu’on n’a pas de vocabulaire du fertit, mais il déclara obstinément qu’il l’avait oubliée, malgré les instances d’une payse assez éveillée, qui finit par me prier de l’excuser en me faisant comprendre que Rahma (c’était le nom de mon fantassin) était timide et même un peu bête. Je n’en doutais point.

Autant Rahma était petit, noir et mal fait, autant un Niam-Niam dont j’ai oublié le nom était grand et bien découplé. Il était du pays des Makarakah au sud ouest de Gondokoro, et réservait le nom de Niam-Niam pour les populations situées à l’ouest d’un grand fleuve appelé Nzoro ; mais sa tribu parlait la même langue que ces peuples, et était conséquemment du même sang. Il me dit que sa nation adorait le soleil (ourou), ou du moins appelait ainsi la Divinité.

Un autre sujet qui me préoccupait était la recherche de ce que M. de Heuglin, dans une carte publiée il y a dix ans, désigne comme antiquités égyptiennes à quelques heures à l’ouest de Sennâr. Je questionnai les doctes du lieu qui me parlèrent, en effet, de tessouirât (images ou statues) comme existant dans les monts Sagadi, à l’ouest ; mais les détails étaient si vagues, que je soupçonnai qu’il y avait simplement là les éléments d’une mystification analogue à celle que j’avais subie en 1860 au Haraza. Cependant l’excursion au Sagadi pouvait être intéressante à d’autres points de vue. L’aimable commandant Ibrahim, informé de mon désir, mit à ma disposition deux kavas turcs, fort braves gens comme le sont en général les vrais Turcs ; mon hôte me procura un de ces ânes de race qui sont en quelque sorte les ponies de l’Égypte et du Soudan, et je me mis en route vers le mont Sagadi, droit à l’ouest, à travers un pays plat et assez cultivé qui me rappelait parfaitement les environs de Kassala, à un détail près : je veux parler des foulas, vastes réservoirs entourés d’un rebord en terre battue, assez large pour former un chemin de ronde, et où l’on conserve d’un kharif à l’autre la quantité d’eau de pluie nécessaire pour abreuver les habitants et le bétail des villages voisins. Quelques grands arbres, qui ombragent habituellement les foulas, leur donnent un certain cachet pittoresque et prêtent une ombre secourable aux bergers à demi nus qui errent dans les environs.


Tessouirat de Sagadi. — Dessin de Eugène Ciceri d’après un croquis de M. G. Lejean.

Au bout de neuf heures de marche, les cultures cessèrent, le ghech lui-même se rabougrit et descendit aux proportions d’une sorte de poil follet d’un jaune pâle ; des montagnes disloquées se montrèrent confusément à droite et à gauche, et j’arrivai le second jour à un village abandonné au pied d’une petite chaîne escarpée appelée Sagadi. On me montra les fameux tessouirat : c’étaient tout bonnement des blocs de granit bizarrement entassés, et figurant assez bien, vus d’une certaine distance, une femme arabe et sa fille dans leurs longs vêtements blancs. L’imagination des Sennâriens s’était donné là-dessus libre carrière, comme de coutume, et on me raconta une histoire qui avait un vague rapport avec celle de Niobé. Il s’agissait de je ne sais plus quelle princesse pétrifiée en punition de son orgueil et de son impiété.

Je montai au sommet du mont, un peu plus haut que les tessouirât, de manière à pouvoir interroger d’un œil avide l’horizon infini qui se déroulait devant moi. Ma vue, bornée au sud par certaines parties de la chaîne, n’embrassait librement que la plaine boisée qui s’étend vers le fleuve Blanc. Au delà des forêts, je ne pouvais distinguer que quelques hauteurs isolées, insignifiantes, qui servent comme de vigies aux pasteurs arabes ou Denka perdus dans ces redoutables solitudes. Au pied même du Sagadi, quelques foulas abandonnées montraient leurs vasques desséchées, qui n’apparaissaient, vues de cette hauteur, pas plus grandes que mes valves de noix.

Pour être complet, je dirai qu’au pied est du Sagad, je trouvai une ruine presque effacée qu’on me dit être une ancienne kenisè (église) du temps où le pays de Sennâr était chrétien. Ce ne pouvait, vu ses faibles dimensions, avoir jamais été qu’un très-petit édicule ; mais je n’en constatai pas avec moins de curiosité l’existence de cette ruine chrétienne sur cette frontière avancée du pays des noirs. Je regrettai pour la centième fois l’ignorance où nous sommes de l’histoire du christianisme nubien, ainsi que l’époque et des causes de sa dis parution devant un culte qui n’a pu qu’enlever à ces populations ignorantes les derniers éléments du progrès moral.

Ce qu’était devenu le peuple sennârien ne me montrait que trop l’abrutissement qui attend l’Abyssinie le jour ou son anarchie invétérée, jointe à la coupable indifférence de l’Europe, permettrait à l’Égypte de donner suite à des projets qu’elle commence à ne plus déguiser.


III


Une réclamation en faveur de Poncet. — Sennâr en 1699. — Audience d’un roi des Fougn. — Un ambassadeur qui n’est pas fier.

Deux jours plus tard, j’étais rentré à Sennâr.

Avant de quitter cette ombre de capitale, j’éprouve le besoin d’un acte de justice rétrospective.

Tout le monde connaît le nom de ce docteur Poncet que Louis XIV chargea, en 1678, d’une mission d’amitié près du négus d’Abyssinie, et qui mena heureusement à fin cette mission, pour laquelle on lui avait adjoint un capucin astronome, le P. de Brevedent. Je m’intéressais d’autant plus à cette mission, qu’elle avait les plus grandes analogies avec celle que je remplissais à plus d’un siècle et demi d’intervalle. Je savais que l’itinéraire de Poncet (par l’Égypte, Dongola et Sennâr), difficile à comprendre pour qui n’a pas suivi les mêmes routes que lui, devait, par la raison contraire, m’offrir les plus grandes facilités d’explications. J’ai pu vérifier sur le terrain même les récits simples et colorés du savant médecin, et j’éprouve un véritable bonheur à lui rendre la justice qui lui est due, en déclarant qu’il peut réaliser avec Bruce lui-même pour l’exactitude du récit géographique des descriptions de la nature et de la peinture des mœurs.

Le lecteur ne perdra rien à trouver, mêlés à ma prose, quelques extraits de mon prédécesseur : d’autant mieux que bien des choses qu’il a vues seraient introuvables aujourd’hui. Je commence par Sennâr.

« Cette ville, qui a près d’une lieue et demie de circuit, est fort peuplée, mais malpropre. On y compte environ cent mille âmes ; elle est située à l’occident du Nil, sur une hauteur à 10° 4′ de latitude nord, selon l’observation que le P. de Brevedent fit à midi le 11 mars 1699. Les maisons n’ont qu’un étage et sont mal bâties ; mais les terrasses qui leur servent de toit sont fort commodes. Pour les faubourgs, ce ne sont que de méchantes cabanes faites de cannes. Le palais du roi est environné de hautes murailles de briques cuites au soleil ; il n’a rien de régulier ; on n’y voit qu’un amas confus de bâtiments qui n’ont aucune beauté ; les appartements de ce palais sont assez richement meublés avec de grands tapis à la manière du Levant.

« On nous présenta au roi dès le lendemain de notre arrivée. On commença par nous faire quitter nos souliers : c’est un point de cérémonial qu’il faut que les étrangers gardent ; car pour les sujets du prince ils ne doivent jamais paraître devant lui que les pieds nus. Nous entrâmes d’abord dans une grande cour pavée de carreaux de faïence de différentes couleurs ; elle était bordée de gardes armés de lances. Quand nous l’eûmes presque toute traversée, on nous arrêta devant une pierre qui est proche d’un salon ouvert, ou le roi a coutume de donner audience aux ambassadeurs. Nous saluâmes là le roi selon la coutume du pays, en nous mettant à genoux et baisant trois fois la terre. Le prince, âgé de dix-neuf ans, est noir, mais bien fait et d’une taille majestueuse, n’ayant point les lèvres grosses ni le nez écrasé comme l’ont ses sujets. Il était assis sur un lit fort propre en forme de canapé, les jambes croisées l’une sur l’autre à la manière orientale et environné d’une vingtaine de vieillards assis comme lui, mais un peu plus bas. Il était vêtu d’une longue veste de soie brodée d’or, et ceint d’une espèce d’écharpe de toile de coton très-fine : il avait sur la tête un turban blanc. Les vieillards étaient à peu près vêtus de la même manière. Le premier ministre à l’entrée du salon, et debout, portait la parole au roi et nous répondait de sa part. Nous saluâmes une seconde fois ce prince, comme nous avions fait dans la cour, et lui présentâmes quelques cristaux et quelques curiosités d’Europe qu’il reçut avec agrément. Il nous fit plusieurs questions qui marquent que ce prince est curieux et qu’il a beaucoup d’esprit. Il nous parla du sujet de notre voyage, et nous parut avoir beaucoup d’attachement et de respect pour l’empereur d’Éthiopie. Après une heure d’audience, nous nous retirâmes en faisant trois profondes révérences. Il nous fit accompagner par ses gardes jusqu’à la maison où nous logions, et nous envoya de grands vases remplis de beurre, de miel et d’autres rafraîchissements avec deux bœufs et deux moutons. »


IV


Départ de Sennâr. — District du Coton. — Arrivée à Gallabat. — Physiologie de mon ami Dufton : une vocation énergique. — Forêt de Gallabat : Abou Qalambo. — Éditions africaines de Richard Cœur de Lion et du vieil Horace. — Alerte nocturne. — Vochnè : entrée en Abyssinie. — Croquis et paysages d’après Poncet.

Je quittai Sennâr à la fin d’octobre et me mis en marche sur Gallabat, petit pays fort commerçant dont la propriété est un sujet d’hostilité sans fin entre l’Abyssinie et l’Égypte, héritière des droits et prétentions de feu l’empire sennârien. Le détail de ce voyage serait plus intéressant pour un comité de géographes que pour mes lecteurs, car le pays, plat et d’une douceur assez monotone, n’offrait rien de bien nouveau à décrire, et la population était à l’avenant. Je traversai successivement le Nil Bleu, la Dender, la Rahad, ces deux dernières à gué, vu la baisse des eaux. Je suis persuadé que la Rahad, encore torrentueuse à cette date (c’était le 13 novembre) et dont le courant faillit m’emporter, était trois mois plus tard à sec, comme je l’avais déjà vue deux ans et demi auparavant.

Le pays que je venais de traverser était couvert de blé, de sésame et de coton : cette dernière plante montrait partout le jaune éclatant de ses fleurs ou les blancs flocons de ses gousses. Après le passage de la Rahad, je m’arrêtai quelques jours à Oued Bohour (Wed Bager des cartes), autant pour me reposer que pour me procurer des chameaux de rechange parmi les nomades des environs. Deux Fogara se présentèrent à cet effet ; nous fîmes prix jusqu’à Gallabat, et comme mes deux indigènes allaient se retirer :

« Cela ne suffit pas, dit Ahmed, qui était lui-même un peu faki ; nous allons réciter le fatha ensemble : sans cela vous pourriez nous manquer dans la main. » Le fatha est le premier chapitre du Koran, et il paraît que sa récitation en commun constitue une sorte de contrat synallagmatique. Les deux hommes ne parurent pas se formaliser de ce surcroît de précautions, et le fatha fut dit avec le recueillement convenable : ce qui n’empêcha pas mes deux coquins, le lendemain, de se moquer de leur promesse et d’envoyer promener Ahmed, qui me revint l’oreille basse, visiblement humilié dans son amour-propre musulman. « Chien de pays, grommelait-il : jusqu’aux fogara qui y sont des fripons comme les autres ! »

J’en trouvai de plus convenables et six jours plus tard je débouchais sur le gros village de Gallabat, où je me reposai dans l’agréable compagnie de deux Européens, M. Eipperlé, missionnaire badois de la Société dite de Saint-Crischona qui est sous le patronage moral du célèbre missionnaire voyageur Krapf, — et M. Henri Dufton, jeune Anglais qui faisait, à ses propres frais, son noviciat de missionnaire.

Ces deux jeunes gens me furent, de premier abord, très-sympathiques. M. Eipperlé, qui gérait la mission bien qu’il ne fût qu’une sorte de frère lai, m’accueillit chaudement et n’oublia rien pour me rendre le séjour de Gallabat confortable et agréable à la fois. M. Dufton était là de passage, comme moi : il me représentait, sans s’en douter, un curieux spécimen de cette sorte d’enthousiasme froid et persévérant avec lequel les gens de sa race font des choses si originales et si remarquables.

Fils d’un riche fabricant de Leeds, occupant un emploi lucratif à la banque d’York, il n’avait pu résister au goût des voyages et de la propagande religieuse, développés simultanément chez lui parla lecture des pérégrinations apostoliques de Krapf et de Livinsgtone. Il était parti furtivement de chez lui avec huit guinées en poche, était allé en Souabe voir le révérend Krapf qui l’avait encouragé à aller évangéliser les Gallas, s’était rendu en Égypte, avait fait un fort rude apprentissage de la vie dans ce milieu peu apostolique, s’était fait garçon d’hôtel au Caire plutôt que de mendier les subsides des sociétés évangéliques au prix de capitulations de conscience, avait passé à Khartoum, en était reparti à la grâce de Dieu, poussant devant lui un âne chargé de son mince bagage, avait failli mourir de la fièvre à Guedaref, et était arrivé à Gallabat avec trois talaris (15 fr. 75 c.) en poche, et fort embarrassé pour passer outre avec un si maigre budget. Je lui proposai de s’adjoindre à ma petite caravane : il passerait pour mon secrétaire et n’aurait pas à compter avec la cupidité de certains chefs abyssins de la frontière. Il accepta avec empressement, et je n’eus qu’à me féliciter de m’être assuré la compagnie d’un jeune homme bien élevé, instruit, et à qui l’imperturbable conviction qu’il remplissait un devoir religieux communiquait, dans cette existence sujette à bien des hasards, une placidité d’âme qui se traduisait par une bonne humeur infatigable, et d’un prix sans égal en pareille occurrence.

Gallabat est une curieuse petite république fondée par des nègres musulmans, des traînards des grandes caravanes de pèlerins noirs venant du Soudan et allant pour la plupart à la Mecque. Ce sont des Takrouris, population que nous avons décrite dans nos précédents récits de Voyage en Nubie. Il paraît que le premier groupe qui s’établit là obtint la concession du canton des gouverneurs abyssins de Tchelga, dont ils ont toujours relevé plus ou moins nominalement. Au temps de Bruce, c’était un fief portant le nom arabe de Ras el fil, Tête d’éléphant (c’est le nom de la chaîne de montagne qui domine Gallabat) : Bruce eut même du négus Thekla Haïmanot l’investiture de ce fief, dont il ne jouit jamais qu’honorifiquement. Il y passa en allant de Gondar à Sennâr, et nomma le lieu Horcacamoot, ce qu’il traduit fort dramatiquement par l’arbre de l’ombre de la mort, et rattache ce nom à une grave maladie dont il souffrit en ce lieu. Voilà bien de la tragédie pour un bel arbre qui n’a rien de sinistre (c’est l’acacia camphylacea), et qui relève agréablement de sa verdure opaque et sombre les vallons charmants qui accidentent ce joli pays.

J’achetai au marché renommé de Gallabat deux mules d’Abyssinie au prix moyen de neuf talaris pièce, et je louai un chameau pour mes bagages jusqu’à Voehnè, point où commencent les montagnes ardues, inaccessibles au chameau, et où je devais trouver des ânes de somme. Puis, pour tuer le temps, je m’en allai rendre visite au vieux Ghouma, cheik de Gallabat, président semi-héréditaire, semi-électif de ce petit État. Je vis un beau nègre qui me sembla âgé de soixante ans, et qui, réuni à une demi-douzaine de voisins convoqués à la hâte, était très-occupé à balayer sa cour. Il me fit servir les rafraîchissements d’usage, mais n’interrompit pas sa besogne : « Le travail avant tout, monsieur… » Je fus assez piqué de ce sans-gêne, mais j’avoue que, six mois plus tard, recevant en Abyssinie la nouvelle (erronée) que Théodore II s’était fait apporter la tête de Chouma, j’éprouvai un sentiment pénible. J’eusse été vraiment trop vengé !

Les gens de Gallabat ne sont pas aimés de leurs voisins, qui abusent volontiers du droit de médire d’eux. Trois ans auparavant, à la faveur des guerres civiles d’Abyssinie, un goum de pillards abyssins sans couleur politique, alléchés par les richesses vraies ou supposées des Takrouris, avaient fait, au nombre de cinq cents cavaliers, une razzia nocturne sur eux. Les Takrouris, d’abord surpris, s’étaient enfin reconnus, groupés, avaient cerné les voleurs et les avaient passés au fil de la lance. Quinze jours après, M. Stern (aujourd’hui prisonnier chez Théodore II), passant sur ce champ de bataille, avait vu les cadavres sans sépulture et les vautours s’envolant lourdement avec des lambeaux de chair putride. Celui qui me raconta l’affaire conclut ainsi : « Oui, monsieur, ils ont bien tué deux cents de ces voleurs ; ils n’ont pas fait quartier à un seul. Maudites canailles ! »


Cet animal est bien méchant
Quand on l’attaque il se défend !


Après quatre jours de séjour à Gallabat, nous partîmes pour l’Abyssinie et nous nous engageâmes résolument dans une épaisse forêt de trois bonnes journées de marche, couvrant une plaine basse qui va aboutir à la Gandova. Ce désert est une sorte de marche, comme on disait au moyen âge, un border, dirait-on sur la frontière d’Écosse : les Abyssins, les Sennâriens, les Turcs l’ont souvent ensanglantée dans leurs guerres sans merci. Là se trouve le lieu d’Abou Qalambo, fatal aux Égyptiens, qui, voilà vingt-cinq ans, y furent taillés en pièces par l’Achille abyssin Dedjaz Konfou. J’ai raconté ailleurs[3] l’épisode tragico-burlesque du salut du brave d’Arnaud, pris à cette bataille : mais tout ne s’y passa pas aussi gaiement. Il y eut, de part et d’autre, des faits et des mots héroïques. Le chef des Dabaïneh, auxiliaire des Égyptiens, provoqué en combat singulier par un officier de marque abyssin, le fendit en deux d’un seul coup de sa lourde épée à deux mains. L’un des fils du Melek Saad, prince des Chaghié, s’y fit tuer ; l’autre se sauva près de son père, qui l’accueillit avec des imprécations et en déchirant ses vêtements. « Lâche fils de la chienne, s’écriait-il ; misérable qui me déshonore ! Que ne suivait-il l’exemple de son frère ! »

Le troisième jour, vers midi, je passai la Gandova, encore gonflée : une île appelée Kaokib partage les eaux rapides et permet aux caravanes de passer plus aisément. Un magnifique tamarinier s’élève au bord du sentier, au beau milieu de l’île, et invite les voyageurs à se reposer à son ombre. Ce soir-là, vers les dix heures nous atteignîmes le pied d’un de ces plateaux-bastions qui forment à peu près toute l’Abyssinie, et nous le gravîmes avec quelque difficulté ; arrivés au sommet, nous trouvâmes une assez belle terrasse dont on venait de brûler les herbes sèches, et qui nous parut favorable à notre halte de nuit. Décharger les bagages, souper, attacher nos mules à des arbres autour de notre feu à demi éteint, fut l’affaire de quelques instants. Nous étions éreintés, et rassurés par notre position sur un terrain découvert, nous nous endormîmes sans inquiétude.

Un peu après minuit un vacarme épouvantable nous réveilla en sursaut. Les mules hennissaient de terreur ; l’une d’elles avait cassé sa longe et s’était sauvée dans le bois ; Ahmed tirait des coups de fusil au hasard : une bête féroce, une hyène probablement, avait causé tout ce vacarme en venant rôder autour de nos montures. Il fallut attendre au matin pour faire le tour du plateau, suivre la piste de la mule échappée sur les cendres des herbes brûlées, et revenir au campement sans avoir rien trouvé. J’eus, quelques jours plus tard, des nouvelles de la fugitive. Elle avait retrouvé sa route à travers bois, et était arrivée à Gallabat, après une course de vingt lieues et malgré une grave morsure au flanc : Eipperlé la recueillit, la pansa et parvint à la guérir.

Repartis de ce lieu malencontreux au lever du soleil, nous arrivions, quatre heures plus tard, à Voehnè, premier village abyssin, fameux par son marché hebdomadaire ou les neggadé (marchands abyssins) viennent acheter le coton de Gallabat et du Sénnâr. C’était le samedi, et nous tombions en plein marché : nous n’eûmes pourtant pas à nous plaindre de l’empressement indiscret de la foule.

Je ferai remarquer, une fois pour toutes, que l’étranger qui voyage en Orient n’excite pas, quelle que soit l’étrangeté et parfois le ridicule de son costume, la dixième partie de la curiosité insolente et désagréable qui accueillerait, dans les villages de notre Europe civilisée, un voyageur arabe ou abyssin drapé dans ses nobles et amples vêtements.

Nous étions campés sous un arbre, pendant que nos guides allaient prévenir le nagadras (sorte de maire douanier), et je feuilletais, pour tuer le temps, un livre illustré, le Rhin, de Victor Hugo, pendant que Dufton esquissait le pic dénudé qui domine Voehnè. Le beau sexe, inévitable trait d’union en pareille circonstance, se rapprochait de nous avec une curiosité craintive, regardait les images par-dessus mon épaule : une jeune femme se campa près de moi et engagea la conversation en me demandant si j’étais chrétien.

Et là-dessus, elle entr’ouvrit sa chemise. J’eus, in petto, une réminiscence classique involontaire, et j’étais presque disposé à lui adresser l’avis sévère qu’un illustre hypocrite donne à Dorine ; mais mon puritanisme eût été tout aussi absurde. Cette pieuse beauté tira de son giron une petite croix de métal au bout d’un cordon de soie bleue, et m’interrogea modestement sur Denghel Mariam. Je pris un air capable en répondant :

« Oui, Denghel Mariam (la Vierge Marie), mère de Jésus ! »

Rien n’égale la dévotion passionnée des Abyssins pour la Vierge : c’est un des nombreux rapports que ce peuple singulier, enthousiaste et paladin, a avec un autre grand peuple, romanesque comme lui : je veux parler des Polonais. Les missionnaires allemands et anglais, avec leur froide et lourde logique, ont imprudemment heurté ce sentiment national, l’une des formes les plus épurées du culte de la femme, si naturel aux chevaleries chrétiennes. C’est là, je crois, la raison de leur insuccès en Abyssinie, où il est notoire qu’ils n’ont jamais fait un prosélyte.

Le Nagadras arriva : après force pourparlers, voyant que nous n’avions pas de permis d’entrée en Abyssinie, il nous déclara qu’il allait en référer à son supérieur, le belambras Guelmo, grand écuyer de la couronne, margrave des quatre provinces frontières de Tchelga, Sarago, Dagossa, Ermetchoho. En attendant, il nous consigna dans son village de Kamankhela, au sommet d’un plateau qu’on aurait pu croire inaccessible, tant ses escarpements étaient vertigineux. Nous y passâmes quatre jours fort agréables, au bout desquels arriva l’ordre de Guelmo de nous diriger sur Tchelga, escortés d’un homme du Nagadras. Nous nous hâtâmes de profiter de la permission, et nous descendîmes à notre premier campement de Voehnè.

Nous continuâmes pendant deux jours et demi à travers les basses terres qui précèdent la dega, c’est-à-dire le plateau abyssin proprement dit. C’est ce qu’on nomme la kolla (basse terre) de Tchelga. Bruce y avait passé près d’un siècle avant moi : Poncet, plus d’un siècle et demi. L’itinéraire de Bruce est très-aisé à suivre : celui du voyageur français l’est moins, entre Daberki et Tchelga : il me paraît avoir été plus méridional que le mien. Mon ami Jules Poncet, le voyageur et chasseur bien connu qui a écrit le Nil Blanc, et qui a fait une étude particulière du Sennâr, m’affirma, je ne sais sur quelles preuves, que son illustre homonyme avait passé dans le Dar el Hassib, sur la Dender et le Galogo. Cette discussion n’est pas du ressort de ce récit, et mes lecteurs préféreront sans doute le tableau séduisant (et toujours parfaitement vrai) que l’ancien Poncet trace du pays qu’il parcourait, et que jamais Européen n’avait encore vu :

« Nous gagnâmes le village de Debarke (Daberki) et ensuite celui de Bulbut, et après avoir marché par un pays fort beau et fort peuplé, nous nous rendîmes, le 25 mai, à Giesim, grosse bourgade au nord du Nil et au milieu d’une forêt dont les arbres sont fort différents de ceux que nous avions vus jusqu’alors. Ils sont plus hauts que nos plus grands chênes, et il y en a de si gros que neuf hommes ensemble ne les pourraient pas embrasser. Leur feuille est à peu près semblable à celle du melon, et leur fruit, qui est très-amer, aux courges : il y en a aussi de ronds. Je vis à Giesim un de ces gros arbres creusé naturellement et sans art. On entrait par une petite porte dans une espèce de chambre ouverte par en haut et dont la capacité était si grande que cinquante personnes auraient pu aisément y tenir debout. Je vis un autre arbre nommé gelingue, qui n’est pas plus gros que nos chênes, mais qui est aussi haut que ceux dont je viens de parler ; son fruit est de la figure de nos melons d’eau, mais un peu plus petit. Il est divisé en dedans par cellules remplies de graines jaunes et d’une substance qui approche fort du sucre réduit en poudre. Cette substance est un peu aigre, mais agréable, de bonne odeur et très-rafraîchissante ; l’écorce en est dure et épaisse. La fleur de cet arbre a cinq feuilles blanches comme le lis et porte une graine semblable à celle du pavot…

« Nous partîmes de Giesim le 11 juin ; après cinq heures de marche, nous trouvâmes un village appelé le Deleb, à cause des grandes allées d’arbres de ce nom qu’on voit à perte de vue. Nous marchâmes longtemps dans ces délicieuses allées, qui sont plantées en échiquier. Nous arrivâmes le lendemain à Chan, village sur le Nil, et le jour suivant à Abolkna, où il y a une espèce de buis qui n’a pas la feuille ni la fermeté du nôtre. On voit dans toute cette route de grandes forêts de tamarins toujours verts. La feuille en est un peu plus large que celle du cyprès. Cet arbre a de petites fleurs bleues d’une très-bonne odeur et un fruit à peu près semblable à une prune : on l’appelle erdeb dans ce pays. Ces forêts de tamarins sont si touffues que le soleil ne les peut pénétrer. Nous passâmes la nuit suivante dans la forêt de Sonnone au milieu d’une belle prairie, et en deux jours nous nous rendîmes à Serké[4], jolie ville de cinq à six cents maisons, quoiqu’elles ne soient bâties que de cannes d’Inde. Serké est au milieu des montagnes, dans un beau vallon ; on trouve un petit ruisseau à la sortie de cette ville, et c’est ce petit ruisseau qui sépare l’Éthiopie du royaume de Sennâr[5].

« Depuis Serké, d’où nous partîmes le 20 juin, jusqu’à Gondar, capitale d’Éthiopie, nous trouvâmes quantité de belles fontaines et des montagnes presque continuelles de différentes figures, mais toutes fort agréables et couvertes d’arbres qui sont inconnus en Europe, et qui nous parurent encore plus hauts et plus beaux que ceux de Sennâr. Ces montagnes, dont les unes s’élèvent en pyramides, les autres en cônes, sont si bien cultivées qu’il n’y a point de terrain perdu, et elles sont d’ailleurs si peuplées qu’on dirait que c’est une ville continuelle. Nous couchâmes le lendemain à Tambisso, gros village qui appartient au patriarche d’Éthiopie, et nous rendîmes le jour suivant à Abiad, situé sur une haute montagne couverte de sycomores. Depuis Giesim jusqu’à ce village, toutes les campagnes sont remplies de coton. Nous nous arrêtâmes, le 23 juin, dans un vallon plein d’ébéniers et de cannes d’Inde, où un lion nous enleva un de nos chameaux. Les lions sont communs en ce pays-là et on les entend rugir toute la nuit. On les écarte en allumant de grands feux qu’on a soin d’entretenir. On trouve sur ces montagnes des squinantes et quantité d’autres plantes et d’herbes aromatiques.

« Le 24, nous passâmes la rivière de Gandova, qui est fort profonde et fort rapide, ce qui rend ce passage fort dangereux. Elle n’est pas tout à fait si large que la Seine à Paris[6] : elle descend des montagnes avec tant de rapidité, que dans ses débordements elle entraîne tout ce qu’elle trouve. Ils sont quelquefois si grands qu’il faut dix jours pour la traverser. Comme elle était alors fort basse, nous la passâmes sans peine. Elle se décharge dans une autre rivière qu’on appelle Tekessel (Takazze), c’est-à-dire l’épouvantable, et ces deux rivières unies ensemble vont se jeter dans le Nil. Nous passâmes encore deux autres rivières le jour suivant ; elles étaient bordées de buis d’une grosseur énorme et hauts comme nos hêtres. Ce jour-là une de nos bêtes de charge s’étant écartée de la caravane fut mordue à la cuisse par un ours[7]. La plaie était grande et dangereuse, les gens du pays ne firent que lui appliquer un caustique avec le feu et la bête fut guérie

Le 26 juin, nous entrâmes dans une grande plaine remplie de grenadiers et nous y passâmes la nuit, à la vue de Girana, ou nous arrivâmes le lendemain. Girana est un village situé au haut d’une montagne, d’où l’on découvre le plus beau pays du monde. C’est dans ce lieu qu’on change de voiture, et qu’on quitte les chameaux pour prendre les chevaux, comme j’ai déjà dit. Le seigneur de Girana nous vint rendre visite et nous fit apporter des rafraîchissements. Nous y trouvâmes une escorte de trente hommes que l’empereur d’Éthiopie nous avait envoyés pour notre sûreté et pour faire honneur au frère du patriarche, qui était dans notre caravane, et on nous délivra du soin de notre bagage selon la coutume de cet empire. Nous partîmes de Girana le premier jour de juillet, et après trois heures de marche par des montagnes et des chemins impraticables, nous vînmes à Darangoa, et le lendemain à Chilga (Tchelga), grande et belle ville environnée d’aloës. C’est un lieu d’un grand commerce ; il y a tous les jours marché où les habitants des environs viennent vendre la civette, l’or et toute sorte de bétail et de vivres. Le roi de Sennâr a dans cette ville, avec l’agrément de l’empereur d’Éthiopie, un douanier pour recevoir les droits du coton qu’on porte de son royaume en Éthiopie, et ces droits se partagent également entre ces deux princes. »


V


Arrivée à Tchelga. — L’obéissance passive en Abyssinie. — Protestation de Dufton et son effet. — Visite au Belambras : un margrave dans sa bauge. — Guelmo n’entend rien à la géographie. — Le lac Tana.

Nous arrivâmes à Tchelga par une pluie battante, et là encore, comme nous n’avions pas de moursât (passeport), les indigènes, observateurs stupides et inhospitaliers de la règle des ordonnances impériales, voulurent nous forcer à bivaquer sous un arbre en attendant que l’on régularisât notre situation. Je louai une maison au prix très-modéré d’un sel par jour (vingt-cinq centimes environ) : notre guide voulut nous empêcher de l’occuper : Dufton, hors de lui, se mit à boxer le guide : un grand Abyssin bien vêtu, sec et maigre voulut prouver à Dufton que sa conduite manquait de formes ; mais mon doux compagnon ne se possédait plus. « Tu en veux aussi ? dit-il à l’Abyssin en lâchant le guide. Tiens, pif ! paf ! » L’indigène prit Dufton à bras-le-corps et réussit à le maîtriser. Les flâneurs qui avaient vu la chose poussaient des cris d’alarme ; l’autorité intervint : nous parvînmes à la convaincre que les ordonnances de police locale étaient absurdes devant la pluie, et le résultat de tant de gourmandes et de palabres fut que le nagadras du lieu nous offrit de nous loger jusqu’au retour d’un messager que l’on allait envoyer au belambras. Grâce aux poings de Dufton, le point capital, pour le moment, était obtenu.

Je n’ennuierai pas mes lecteurs du récit des tergiversations par lesquelles le satrape nous retint dix-neuf jours à Tchelga, sous prétexte d’attendre les ordres du négus : je soupçonnai peu charitablement qu’il voulait me pousser à bout et m’amener à financer. Je passais pour un millionnaire, et l’offre d’une belle arme par exemple eût simplifié bien des protocoles. Impatienté, je finis par me décider à m’aller expliquer avec Guelmo dans son aire, située à 22 kilomètres au nord-nord-est, et suivi de Dufton, d’un interprète tekrouri et d’un soldat du belambras, j’enfourchai ma mule et je partis.

« Nous couchâmes, ce soir-là, à quatre heures de Tchelga, dans un village musulman. Les islam sont en Abyssinie absolument dans la même situation précaire et subalterne que les chrétiens dans l’empire ottoman ; et je me rappelai que lorsque je voyageais en Bulgarie avec un firman de la Porte, c’était aux tchorbadjis chrétiens qu’incombait la charge de m’héberger chaque soir. Ces bonnes gens me reçurent du reste de leur mieux, et un petit miroir de poche, que je donnai le lendemain à mon hôtesse in pretium hospitii, fit une heureuse, et, je le crains bien, plus d’une jalouse.

Levés au petit jour, nous repartons et atteignons vers dix heures le rebord de la dega qui fait face à la citadelle ou amba du belambras. Nous poussons de véritables cris d’admiration.

Qu’on se figure, à l’extrémité d’une plaine en terrasse adossée à des collines verdoyantes, un escarpement à pic de sept ou huit cents pieds de chute, plongeant sur un fouillis de basses montagnes et de vallons boisés qui vont tous porter leurs eaux au Goang, ce fleuve qui, en pays musulmans, se nomme Atbara. Un rocher terminé par une plate-forme à peu près de la grandeur de la place de la Concorde, et dominant de quinze et vingt mètres la petite plaine d’arrivée ci-dessus décrite, se rattache comme une sorte d’ouvrage avancé à la dega. Une arête où deux hommes ne pourraient passer de front joint le roc au plateau, et le piéton qui le franchit n’a ni parapet ni corde pour le protéger contre une chute dans l’abîme béant à droite et à gauche. C’est dans ce Gibraltar sauvage que demeure le premier baron abyssin, et j’allais voir dans sa pompe barbare une petite cour qui devait terriblement ressembler à celle d’un duc mérovingien du temps de Grégoire de Tours.

Ce n’était pas du reste la première fois que je surprenais en pleine activité des mœurs qui ont régné dans mon pays il y a huit et dix siècles, et bien des choses obscures de notre histoire passée m’ont été expliquées par ce que j’ai vu dans l’Abyssinie présente.

Nous traversâmes sans hésitation le pont presque aussi vertigineux que celui qui, dans les légendes musulmanes, mène au paradis par-dessus l’enfer, et après avoir franchi une porte gardée par des lanciers assez débraillés, nous gravîmes péniblement une rampe fort roide, passâmes une autre porte et arrivâmes sur la plate-forme, où nous trouvâmes des hommes de Guelmo qui nous menèrent à une sorte de salle d’attente, en nous disant que le belambras était en conférence avec un messager du négus et nous recevrait aussitôt après. Au bout de deux heures, nous fûmes introduits.

Dans une pièce assez spacieuse, remplie de serviteurs, de vassaux, de soldats, corps de garde plutôt que salon, se tenait à demi couché sur un alga (lit de camp que les Arabes nomment angareb) le seigneur du lieu, dont le teint noir répondait assez à ce qu’on m’avait dit de son origine kamante. Les Kamants, très-nombreux dans cette province, sont une tribu de parias d’origine fort mystérieuse, et qui sont en Abyssinie à peu près ce que sont les Tsiganes ou Bohémiens en Hongrie et en Valachie. Il tenait en main un berillè, vase à boire à long goulot, de forme antique ; il était gris, et fit ce qu’il put pour nous rendre de même. Je lui présentai ma requête tendant à être autorisé à aller passer les fêtes de Noël à Djenda, « chez mes frères européens » (c’est ainsi que je qualifiais les missionnaires de Djenda, sur qui je comptais beaucoup pour faire cesser tous ces ennuis), et ce fut avec une satisfaction inexprimable que je l’entendis répondre : Eche (j’y consens).

Enhardi par ce début, je lui demandai la permission de dessiner sa forteresse, que je déclarai hardiment la merveille du monde. Il devint sérieux.

« Avez-vous perdu quelque chose dans ce pays ? Vous a-t-on volé ? Parlez, je vous ferai rendre justice. »

Je l’assurai que je n’avais aucune préoccupation de ce genre.

« Puisque vous n’avez rien à réclamer, quel besoin avez-vous d’écrire ce lieu pour vous le rappeler plus tard ? »

La défiance de l”Abyssin se trahissait clairement. Je vis qu’il serait imprudent d’insister ; je remerciai et pris congé. À peine arrivé dans la maison, que le belambras m’avait fait assigner, j’y reçus un mouton, une cruche de tedj (hydromel) et un certain nombre d’ambacha (galettes servant de pain), et nous fîmes, Dufton et moi, le meilleur souper du monde. L’agréable issue de notre démarche était, bien entendu, l’élément principal de ce bonheur assez inespéré.

Nous retournâmes le lendemain à Tchelga, et n’y passâmes que les quelques heures strictement nécessaires pour les préparatifs de départ. Nous avions eu, pendant dix-neuf jours, tout le temps d’explorer dans tous les sens ce petit pays pas trop désagréable. C’est du sommet du Oali Dabba, à une heure et demie de Tchelga, que j’avais pour la première fois admiré la surface lumineuse du lac Tana, que les cartes appellent Dembea, saphir enchâssé dans les émeraudes. Le Tana est une vaste cuve volcanique d’une très-grande profondeur : les tempêtes y sont redoutables. Vingt rivières y entraînent, lors des pluies estivales, une masse énorme de limon dont la plus grande partie s’y dépose, sans que ces alluvions altèrent sensiblement les contours du lac. De jolis îlots ou des églises et des monastères se cachent dans des fouillis d’arbres d’un vert sombre, coupent heureusement les lignes majestueuses mais parfois un peu monotones de l’ensemble. Au milieu surgit une montagne massive et arrondie, Saint-Étienne, dominant deux îles plates appelées Dek, que la constitution ecclésiastique de l’empire assigne comme lieu de transportation perpétuelle aux évêques déposés.


Lac Tana par un gros temps. — Dessin de Eugène Ciceri d’après un croquis de M. G. Lejean.


VI


Djenda. — Emfras. — Guizoara : légende française. — Tisbha : des voleurs conservateurs et des gendarmes forts en histoire.

Le voyage de Tchelga à Djenda se fit en trois heures et ne présenta aucun incident bien remarquable. À une demi-heure de Tchelga, nous passâmes le Goang, qui décrit à sa source une spirale autour du mont Anker. (Tous les fleuves abyssins obéissent à cette loi de la spirale, dont le spécimen le plus frappant est fourni par l’Abaï tournant autour du Godjam.) Les jours précédents, j’avais reconnu en cet endroit un dépôt de lignite qui m’avait paru de bonne qualité, et que, du reste, Krapf avait signalé dès 1855. J’ai appris plus tard que le négus, il y a deux ans, avait fait commencer l’exploitation de ce dépôt pour les ateliers de Gafat.

À Djenda, nous fûmes très-gracieusement reçus par un grand jeune homme vêtu d’une chama ou toge abyssine, avec des babouches turques et un bonnet européen : c’était M. Martin Flad, le doyen des missions allemandes en Abyssinie, spécialement chargé de la conversion des Falacha (juifs éthiopiens), fort nombreux dans ce district. Il nous présenta à sa femme, ex-diaconesse de la maison protestante fondée à Jérusalem sous les auspices du révérend Gobat. C’était une famille exemplaire à tous égards, principalement à l’endroit de l’hospitalité, et les voyageurs européens qui sont entrés en Abyssinie par cette route, quels que fussent leur pays et leur culte, ne pourront jamais assez louer ce couple aussi sympathique qu’honorable.

Je passai quatre jours à Djenda. Nous causâmes souvent du négus, qui témoignait à M. Flad une bienveillance d’autant plus assurée que celui ci, plus digne et plus habile que ses collègues dont je parlerai plus tard, avait décliné les offres compromettantes de Théodore II. Pour employer une expression de Rivarol, « il le tenait à distance par le respect. » M. Flad, tout en faisant ses réserves, était très-favorable à Théodore, surtout comme restaurateur de l’ordre dans l’empire. Il me dit qu’avant l’avénement du négus actuel, il n’y avait guère de soirée de marché à Djenda qui ne fût ensanglantée par quelque meurtre, tandis que les assassinats avaient à peu près disparu sous le nouveau règne.

Le 1er janvier 1863, après avoir souhaité une heureuse année à nos aimables hôtes et à leurs trois collègues, MM. Steiger, Brandeis et Cornelius, nous partîmes de Djenda nous dirigeant sur Debra-Tabor, où se trouvait Théodore. Nous traversâmes pendant un jour et demi une vaste plaine ou plutôt une immense prairie rayée de rivières qui vont toutes du nord au sud, couvertes de villages respirant l’aisance, semées de cultures de céréales et de jardinets où pointillait la gousse écarlate du berberi (poivre rouge). C’est la province de Dembea, ayant Gondar pour capitale : c’est la plus riche et la plus plantureuse de l’empire.

Après avoir longé la pointe nord-est du lac vers Voïn Arab, nous entrâmes dans les montagnes à Ferka, défilé assez mal famé jadis, ou nous ne trouvâmes qu’un poste de douanes fort inoffensif. Trois heures après nous débouchions dans une belle plaine qui a tiré son nom de l’Arno-Garno, sa principale rivière. À droite, le miroir étincelant du lac ; à gauche, un revers de montagnes, dont l’une des plus pittoresques portait à son sommet la cité commerçante d’Emfras-Amba-Mariam, placée, comme l’indique son nom, sous le vocable de Notre-Dame. Poncet et Bruce ont parlé de cette jolie ville : le premier en fait une description exacte, encore aujourd’hui, dans ses traits généraux.

« La ville d’Emfras n’est pas si grande que Gondar, mais elle est plus agréable et dans une belle situation ; les maisons même y sont mieux bâties. Elles sont toutes séparées les unes des autres par des haies vives toujours vertes de fleurs et de fruits, et entremêlées d’arbres plantés à une distance égale : c’est l’idée qu’on se doit former de la plupart des villes d’Éthiopie. Le palais de l’empereur est situé sur une éminence qui commande toute la ville. Emfras est célèbre par le commerce des esclaves et de la civette. On y élève une quantité si prodigieuse de ces animaux, qu’il y a des marchands qui en ont jusqu’à trois cents. La civette est une espèce de chat : on a peine à la nourrir ; on lui donne trois fois la semaine du bœuf cru, et les autres jours une espèce de potage au lait. On parfume cet animal de temps en temps de bonne odeur, et une fois la semaine on racle proprement une matière onctueuse qui sort de son corps avec la sueur. C’est cet excrément qu’on appelle la civette, du nom de l’animal même. On renferme cette matière avec soin dans des cornes de bœuf qu’on tient bien bouchées.


Emfras Amba Mariam. — Dessin de Eugène Ciceri d’après un croquis de M. G. Lejean.

« J’arrivai à Emfras dans le temps des vendanges qu’on ne fait pas en automne comme en Europe, mais au mois de février. J’y vis des grappes de raisin qui pesaient plus de huit livres et dont les grains étaient gros comme de grosses noix ; il y en a de toutes les couleurs. Les raisins blancs, quoique de très-bon goût, n’y sont pas estimés. J’en demandai la raison, et je conjecturai par la réponse qu’on me fit que c’était parce qu’ils étaient de la couleur des Portugais. Les religieux d’Éthiopie inspirent au peuple une si grande aversion contre les Européens qui sont blancs par rapport à eux, qu’ils leur font mépriser et même haïr tout ce qui est blanc.

« Emfras est la seule ville d’Éthiopie où les mahométans fassent un exercice public de leur religion, et où leurs maisons soient mêlées avec celles des chrétiens.

« Nous logeâmes dans une belle maison qui est au vieux Mourat ; on m’y régala pendant trois jours. J’entendis en cette ville des concerts de harpe et d’une espèce de violon qui approche fort des nôtres. J’assistai aussi à une espèce de spectacle : les acteurs chantent des vers en l’honneur de celui qu’ils veulent divertir et font mille tours de souplesse. Les uns donnent des ballets au son de petites timbales, et comme ils sont lestes et légers, ils font en dansant des postures fort extravagantes ; les autres, ayant un sabre nu dans une main et un bouclier dans l’autre, représentent des combats en dansant et font des sauts si surprenants qu’on ne les pourrait croire si on ne les avait pas vus. Un de ces sauteurs m’apporta une bague et me dit de la cacher ou de la faire cacher par quelqu’un, et qu’il saurait bientôt me dire où elle serait. Je la pris et je la cachai si bien que je crus qu’il lui serait impossible de deviner où je l’avais mise. Un moment après je fus fort surpris que cet homme s’approcha de moi en dansant toujours en cadence, et me dit doucement à l’oreille qu’il avait la bague et que je ne l’avais pas bien cachée. Il y en a d’autres qui tiennent une lance d’une main et un verre d’hydromel tout plein ; ils sautent prodigieusement haut sans qu’ils en répandent une goutte. »

À une lieue et demie d’Emfras, sur une colline envahie par la végétation la plus déréglée, s’élève un petit palais abandonné des anciens négus : on l’appelle Guizoara. Une légende originale se rattache à sa fondation.

« Guizoara a été bâti par deux architectes français : l’un s’appelait Arnaud, l’autre Garneau. Quand l’ouvrage fut terminé, le négus ravi invita les artistes étrangers à lui demander telle faveur qu’il leur plairait. Nos deux Français, après réflexion, lui dirent : « Sire, (djan-hoï), nous n’avons qu’une grâce à demander à Votre auguste Majesté : c’est de nous donner à chacun un fief sur le bord des deux rivières qui se réunissent tout près de votre palais, afin que nous nous y bâtissions chacun une demeure. — Eche, » dit le négus, et ce fut fait : Arnaud bâtit sa maison sur l’un de ces ruisseaux limpides, Garneau sur l’autre. Les deux maisons ont disparu ; mais les rivières ont gardé les noms des deux étrangers, et leur réunion forme ce joli Arno-Garno qui fuit vers le lac, lentus in umbra. »


Palais ruiné de Guizoara sur l’Arno. — Dessin de Eugène Cicéri d’après un croquis de M. G. Lejean.

J’aime mieux cette historiette que les lourds commentaires d’un professeur allemand, le docteur Gmelin, qui nous apprend que ce nom d’Arno rappelle l’Arno toscan et l’Arnon de Judée. Vraiment ! Notez que ce brave Gmelin passa, en son temps (il y a un demi siècle et plus), pour un prodige de savoir : il a fait un livre pour prouver que Bruce a été un pauvre sire — et l’Allemagne l’a cru.

On ne comprendra jamais à quel point le monde appartient aux médiocrités gourmées et solennelles.

Deux bonnes heures après l’Arno-Garno, la route passe entre quelques montagnes couvertes de villages. Nous allons coucher à l’un de ces hameaux, peuplé de paysans d’aspect fort pacifique. J’apprends qu’il y a dix ans ils l’étaient un peu moins.

Le négus actuel avait, en 1855, de son camp de l’Ambadjara, lancé une proclamation qui disait : « Que chacun retourne au métier de ses pères ; que le soldat de hasard retourne à sa charrue, le marchand à ses ballots. » Les gens de Tisbha, que la proclamation gênait fort, se rendirent, armés jusqu’aux dents, à l’Ambadjara, et dirent à Théodore :

« Longue vie à Sa Majesté ! Nous venons demander la permission de suivre, conformément à l’édit, l’industrie de nos pères.

— Quelle était-elle ?

— Voleurs et coupeurs de route, de père en fils.

— Voulez-vous, demanda le négus en se contenant, devenir honnêtes gens ? Je vous en offre le moyen : je vous pardonne le passé, je vous laisse la nue propriété de la plaine de Lamghé qui touche à votre montagne, et je vous fournirai des charrues et des bœufs de labour. Acceptez-vous ?

— Jamais ! Nous nous référons aux termes de l’édit…

— C’est votre dernier mot ?

— Oui !

— C’est bien. Retournez chez vous. »

Ils repartirent joyeux, croyant avoir intimidé le négus ; mais ils ne connaissaient pas le terrible autocrate. À peine arrivés au défilé de Ferka, ils furent rejoints par un corps de neftenya (carabiniers), dont le commandant leur dit : « Mes frères ! il se peut que le négus Lalibela vous ait autorisés par une charte à voler sur les routes ; mais Claudius, qui était aussi un saint et un négus, a autorisé la gendarmerie à fusiller les voleurs. Carabiniers, feu partout ! »

Les survivants ont gardé mémoire de la leçon. Aujourd’hui le Lamghé est parfaitement cultivé, et j’affirme par expérience que la route de Tisbha est sûre.

G. Lejean.

(La suite à la prochaine livraison.)



  1. Suite. Voy. page 221.
  2. Je parle de l’armée du Soudan. J’ai vu dans les garnisons d’Égypte quelques blancs fournis par la conscription.
  3. Voy. livre 270.
  4. Tcherkin ou Tchelkign.
  5. Cette limite est encore à peu près la même aujourd’hui.
  6. Comparaison exagérée. Cependant cette rivière roule, au kharif, un volume d’eau très-supérieur à celui de la Seine.
  7. Lisez : une hyène. Il n’y a pas d’ours en Abyssinie.