En 1919, bien avant Black Lives Matter, un policier militaire américain abat froidement à Nantes ... more En 1919, bien avant Black Lives Matter, un policier militaire américain abat froidement à Nantes un promeneur guadeloupéen. On lit alors dans la presse indignée que les Français ne cultivent pas le préjugé des races, lequel est solennellement condamné par les députés de la seconde puissance coloniale du monde.
Bars ségrégationnistes des années 1920 ou 1960, piscine fermée aux Algériens (1964) ou diarrhée antisémite d’un sénateur SFIO (1959), d’autres affaires offrent à l’opinion l’occasion de s’indigner et d’énoncer la norme idéale d’une France immunisée contre le racisme : Raymond Poincaré s’oppose à Paris à une discrimination, forcément américaine et René Pleven juge longtemps inutile une loi antiraciste finalement votée en 1972 et qu’on persiste à tort à lui attribuer.
Loin de l’anachronisme dogmatique ou de l’idéalisation naïve, l’historien Dominique Chathuant explore le mythe immunitaire à l’échelle du xxe siècle, au coeur puis en aval du contexte colonial...
Although colonization was widely based on the principle of inferiority of the colonized, the begi... more Although colonization was widely based on the principle of inferiority of the colonized, the beginning of the 20th century saw the emergence of Black political elites at the beginning of the 20th century after an integration process that started in 1794. Those elites, conscious of the weak foundations of their situation in a dangerous world, were the bearers of an assimilationist discourse in which conscription appeared as the first step on the way to a stronger citizenship. Showing solidarity in their grievances, they stirred the universalistic and egalitarian values of an idealized France, whose model was opposed to racist realities that only foreigners could inspire. Those elites, who remained hostile to Garveyism and any kind of racial withdrawal, were generally associated with domesticated savagery. Their antiracism was backed by political power when the diplomatic situation permitted it and when it could promote national and imperial cohesiveness. From the early 1930s, their a...
Votée il y a cinquante ans, la « loi Pleven », ainsi qu'on l'appelle couramment, est demeurée p... more Votée il y a cinquante ans, la « loi Pleven », ainsi qu'on l'appelle couramment, est demeurée peu appliquée avant les années 2000.
La loi contre le racisme votée le 7 juin 1972 au Palais-Bourbon est promulguée il y a cinquante ans, le 1er juillet 1972. Surnommée paradoxalement « loi Pleven », elle résulte à la fois de revendications françaises de longue durée et de normes internationales.... ----------------------------- Non, ni Pleven, ni Monnerville, ni Pompidou ne sont à l'origine de la loi contre le racisme de 1972 qui trouve d'ailleurs ses racines bien plus en amont...
Dominique Chathuant,« 1972 : une loi contre le racisme », L'Histoire, n°496, juin 2022, p. 26-27.
Lire également les mises au point du courrier des lecteurs, p. 4 sur le terme « racisé ».
Rectificatif de la p. 27
Ma phrase originale était :
« Le texte est voté à l’unanimité, à l’Assemblée et au Sénat (où il ne doit rien à Monnerville) [...] ».
Elle est devenue à mon insu :
« Le texte est voté à l’unanimité, à l’Assemblée et au Sénat (et ne doit rien à Gaston Monnerville alors au Conseil constitutionnel) (sic) [...] ».
La France d'aujourd'hui dispose d'une legislation contre les discimination. Ce n'... more La France d'aujourd'hui dispose d'une legislation contre les discimination. Ce n'etait pas le cas au debut du XX e siecle, alors que la plupart des Francais n'avait jamais vu d'hommes noirs. Cela explique l'absence de code de comportement racial comparable a ceux des Etats-Unis ou des colonies. Cette situation se heurte pendant la Grande-Guerre a l'arrivee de troupes americaines habituees a des regles raciales strictes et dont la transgression pouvait etre fatale. Il s'agit ici d'aborder la facon dont la societe et ses cadres reagissent a la diffusion des principes segregationnistes en France. Trois grandes affaires de faits divers survenus en 1919, 1923 et 1939 permettent d'apprecier le regard que portait la societe francaise et l'Etat sur ces questions. On decouvre qu'entre la generation dreyfusarde et celle de la LICA, a existe un antiracisme de la couleur, qui possedait la particularite d'etre d'origine coloniale, autant en raison de son statut de consequence du fait colonial que parce qu'il etait enonce par des hommes noirs exaltant contre la negrophobie l'image de la France emancipatrice. Cet antiracisme recut bon accueil de l'opinion parce qu'il denoncait un prejuge de race - devenu plus tard le "racisme" - qu'on imputait avant tout aux etrangers, Americains, Allemands ou Italiens, coupables d'essayer de l'acclimater a la France. Au point que la " defense des Francais de couleur " s'exprima parfois en des termes xenophobes. A travers les trois series de faits divers abordes, on releve differences et points communs entre antiracisme passe et present. En outre, on decouvre parfois avec surprise l'anciennete de certaines pratiques d'aujourd'hui et la permanence de certaines argumentations.
"And the N. goes on..." Decrypting a common French stereotype and racist joke which was frequent ... more "And the N. goes on..." Decrypting a common French stereotype and racist joke which was frequent in early 20th century France and is no longer understood by readers
L’expression « Et le nègre continue » avec ses variantes autour du verbe « continuer » relève d’u... more L’expression « Et le nègre continue » avec ses variantes autour du verbe « continuer » relève d’un procédé rhétorique régulièrement utilisé au cours du premier XXe siècle pour provoquer un rire de connivence raciste dont les ressorts échappent au lecteur d’aujourd’hui. Ce procédé associe toujours l’idée d’un homme noir avec le verbe « continuer ». Or, rires et codes de connivence oubliés sont d’autant plus difficiles à décrypter que l’expression en question mêle aussi aux représentations raciales une tradition humoristique républicaine de phrases apocryphes concernant le [lire la suite]
[2021] Dominique Chathuant, « Et le nègre continue». Rire de connivence et race au premier XXe siècle », RevueAlarmer, mis en ligne le 9 novembre 2021,
Bulletin de la Société d'Histoire de la Guadeloupe
Genoud, bishop in Guadeloupe from 1912 to 1945, became an unquestioning partisan of the new regim... more Genoud, bishop in Guadeloupe from 1912 to 1945, became an unquestioning partisan of the new regime when, in 1940, Marshal Pétain established the government of the National Revolution. Bishop Gay become Genoud's coadjutor in 1943 ; he eventually succeeded him at the head of the diocese. He arrived in Guadeloupe a little after the joining of the island to De Gaulle ’s France. Because of Genoud's well-known unquestioning petainism one may wonder if Jean Gay did not owe his position to a religious purge. According to documents issued by the Minister’s office in charge of the colonies at that time, such a conclusion has to be disproved. In fact, Bishop Genoud was surrounded by government officials that the Vichy regime in Guadeloupe quickly got rid of. The latter opened negotiations with the highest religious authorities to flank Genoud with a coadjutor sympathetic to the National Revolution : Jean Gay. At the same time the regime continued to assure the bishops of its official a...
Bulletin de la Société d'histoire de la Guadeloupe, 2017
En 1979, quatre ans avant la loi de décentralisation, était inauguré à Baie-Mahault un collège « ... more En 1979, quatre ans avant la loi de décentralisation, était inauguré à Baie-Mahault un collège « Maurice Satineau ». La référence mémorielle pouvait étonner jusqu’au jeune professeur d’histoire qui dut prononcer le discours et ne s’en trouva guère enthousiasmé. Le souvenir de Satineau restait plus vivace à Sainte-Anne, où il avait été maire trois décennies durant, qu’à Baie-Mahault où il ne s’était donné que la peine de naître [...]
Siégeant à la Chambre des députés avec l’Union socialiste républicaine (USR) de Maurice Viollette, Satineau connaît une trajectoire de parlementaire du peuple français d’abord classé au centre-gauche. Son vote des pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940 le rend ipso facto inéligible par l’effet de l’ordonnance d’Alger du 21 avril 1944, laquelle relève du droit électoral, dont les dimensions à la fois constitutionnelles et administratives n’ont rien à voir avec les sanctions pénales que les adversaires de Satineau croient pouvoir réclamer. Il est en tout cas de ceux qu’on relève de leur inéligibilité, ce qui pose déjà une première question. Sa carrière aurait pu en rester là et se limiter à la législature 1936-1940 prolongée jusqu’en 1942 (comme celle de 1914 l’avait été jusqu’en 1919). Mais, alors que les autres hommes issus de formations de gauche sont moins volontiers relevés s’ils sont inéligibles, Satineau est au nombre des absous. Tribun du négrisme avant-guerre, il poursuit sa carrière malgré un bras de fer dès 1945 avec le gouverneur Bertaud dans le contexte électoral de Sainte-Anne. Ni la suspension en 1946 du conseil municipal, ni sa défaite aux législatives du 10 novembre 1946 ne l’empêchent de devenir un pilier de la vie politique guadeloupéenne au-delà de la position qu’il occupait en 1936-1940. Conseiller de la République en novembre 1948, il retrouve son siège au Luxembourg en mai 1952 tout en demeurant maire de Sainte-Anne. André Rousselet, sous-préfet de Pointe-à-Pitre en 1952-1954 et qui, comme d’autres avant lui, se persuade un peu vite d’avoir assaini les mœurs électorales en Guadeloupe, impute à Satineau son déplacement vers la sous-préfecture d’Issoudun, dans l’Indre. L’amitié entre Rousselet et François Mitterrand, s’expliquerait également par l’hostilité des deux premiers à Satineau, membre comme eux du Rassemblement des gauches républicaines (RGR). Maurice Satineau ne perd son mandat de conseiller qu’en 1958 et demeure maire de Sainte-Anne jusqu’à sa mort à Paris en 1960.
Mais, alors que, dans un contexte de Guerre froide, il construit sa légitimité sur la lutte contre les communistes guadeloupéens, ceux-ci l’accusent d’avoir volé l’or de familles de déportés juifs au prétexte de les protéger de la spoliation.
Une question demeure. Comment un personnage au parcours si sulfureux a-t-il pu, après avoir voté les pleins pouvoirs à Philippe Pétain le 10 juillet 1940, être relevé de son inéligibilité pour faits de résistance par le jury d’honneur chargé d’examiner les dossiers ?
Sommaire Abréviations utilisées
I - Devenir
Avant l'homme public : sortir de la misère (1891-1919) La construction de l'homme public : publiciste et militant (1919-1933) Pour la Sûreté : un escroc fiché (1929-1936) Dans l'ombre du député Candace (1929-1936) Débuter à la Chambre (1936-1940) Pourfendre encore le préjugé de race (1939-1940)
II - Un itinéraire qui multiplie les ambigüités
Orphelin de la République (1940) Le projet d'émigration juive aux Antilles (1940-1941) Aryanisation : « Je crois devoir porter ces faits à votre connaissance » (1942-1944) Serge Denis et la Résistance Arrêté à la frontière espagnole : six mois au fort du Hâ (1943) Du Vieux-Port à la rue Oudinot (1944)
III - Retour en République (1944-1945)
Naissance du Front colonial de la résistance de novembre 1940 (1944-1945) « Satineau a triomphé des mensonges et des calomnies» (1945)
Réf : Dominique Chathuant, « D'une République à l'autre : ascension et survie politique de Maurice Satineau (1891-1945)», Bulletin de la Société d'histoire de la Guadeloupe, n°178, septembre-décembre 2017, p. 9-85.
En 1919, bien avant Black Lives Matter, un policier militaire américain abat froidement à Nantes ... more En 1919, bien avant Black Lives Matter, un policier militaire américain abat froidement à Nantes un promeneur guadeloupéen. On lit alors dans la presse indignée que les Français ne cultivent pas le préjugé des races, lequel est solennellement condamné par les députés de la seconde puissance coloniale du monde.
Bars ségrégationnistes des années 1920 ou 1960, piscine fermée aux Algériens (1964) ou diarrhée antisémite d’un sénateur SFIO (1959), d’autres affaires offrent à l’opinion l’occasion de s’indigner et d’énoncer la norme idéale d’une France immunisée contre le racisme : Raymond Poincaré s’oppose à Paris à une discrimination, forcément américaine et René Pleven juge longtemps inutile une loi antiraciste finalement votée en 1972 et qu’on persiste à tort à lui attribuer.
Loin de l’anachronisme dogmatique ou de l’idéalisation naïve, l’historien Dominique Chathuant explore le mythe immunitaire à l’échelle du xxe siècle, au coeur puis en aval du contexte colonial...
Although colonization was widely based on the principle of inferiority of the colonized, the begi... more Although colonization was widely based on the principle of inferiority of the colonized, the beginning of the 20th century saw the emergence of Black political elites at the beginning of the 20th century after an integration process that started in 1794. Those elites, conscious of the weak foundations of their situation in a dangerous world, were the bearers of an assimilationist discourse in which conscription appeared as the first step on the way to a stronger citizenship. Showing solidarity in their grievances, they stirred the universalistic and egalitarian values of an idealized France, whose model was opposed to racist realities that only foreigners could inspire. Those elites, who remained hostile to Garveyism and any kind of racial withdrawal, were generally associated with domesticated savagery. Their antiracism was backed by political power when the diplomatic situation permitted it and when it could promote national and imperial cohesiveness. From the early 1930s, their a...
Votée il y a cinquante ans, la « loi Pleven », ainsi qu'on l'appelle couramment, est demeurée p... more Votée il y a cinquante ans, la « loi Pleven », ainsi qu'on l'appelle couramment, est demeurée peu appliquée avant les années 2000.
La loi contre le racisme votée le 7 juin 1972 au Palais-Bourbon est promulguée il y a cinquante ans, le 1er juillet 1972. Surnommée paradoxalement « loi Pleven », elle résulte à la fois de revendications françaises de longue durée et de normes internationales.... ----------------------------- Non, ni Pleven, ni Monnerville, ni Pompidou ne sont à l'origine de la loi contre le racisme de 1972 qui trouve d'ailleurs ses racines bien plus en amont...
Dominique Chathuant,« 1972 : une loi contre le racisme », L'Histoire, n°496, juin 2022, p. 26-27.
Lire également les mises au point du courrier des lecteurs, p. 4 sur le terme « racisé ».
Rectificatif de la p. 27
Ma phrase originale était :
« Le texte est voté à l’unanimité, à l’Assemblée et au Sénat (où il ne doit rien à Monnerville) [...] ».
Elle est devenue à mon insu :
« Le texte est voté à l’unanimité, à l’Assemblée et au Sénat (et ne doit rien à Gaston Monnerville alors au Conseil constitutionnel) (sic) [...] ».
La France d'aujourd'hui dispose d'une legislation contre les discimination. Ce n'... more La France d'aujourd'hui dispose d'une legislation contre les discimination. Ce n'etait pas le cas au debut du XX e siecle, alors que la plupart des Francais n'avait jamais vu d'hommes noirs. Cela explique l'absence de code de comportement racial comparable a ceux des Etats-Unis ou des colonies. Cette situation se heurte pendant la Grande-Guerre a l'arrivee de troupes americaines habituees a des regles raciales strictes et dont la transgression pouvait etre fatale. Il s'agit ici d'aborder la facon dont la societe et ses cadres reagissent a la diffusion des principes segregationnistes en France. Trois grandes affaires de faits divers survenus en 1919, 1923 et 1939 permettent d'apprecier le regard que portait la societe francaise et l'Etat sur ces questions. On decouvre qu'entre la generation dreyfusarde et celle de la LICA, a existe un antiracisme de la couleur, qui possedait la particularite d'etre d'origine coloniale, autant en raison de son statut de consequence du fait colonial que parce qu'il etait enonce par des hommes noirs exaltant contre la negrophobie l'image de la France emancipatrice. Cet antiracisme recut bon accueil de l'opinion parce qu'il denoncait un prejuge de race - devenu plus tard le "racisme" - qu'on imputait avant tout aux etrangers, Americains, Allemands ou Italiens, coupables d'essayer de l'acclimater a la France. Au point que la " defense des Francais de couleur " s'exprima parfois en des termes xenophobes. A travers les trois series de faits divers abordes, on releve differences et points communs entre antiracisme passe et present. En outre, on decouvre parfois avec surprise l'anciennete de certaines pratiques d'aujourd'hui et la permanence de certaines argumentations.
"And the N. goes on..." Decrypting a common French stereotype and racist joke which was frequent ... more "And the N. goes on..." Decrypting a common French stereotype and racist joke which was frequent in early 20th century France and is no longer understood by readers
L’expression « Et le nègre continue » avec ses variantes autour du verbe « continuer » relève d’u... more L’expression « Et le nègre continue » avec ses variantes autour du verbe « continuer » relève d’un procédé rhétorique régulièrement utilisé au cours du premier XXe siècle pour provoquer un rire de connivence raciste dont les ressorts échappent au lecteur d’aujourd’hui. Ce procédé associe toujours l’idée d’un homme noir avec le verbe « continuer ». Or, rires et codes de connivence oubliés sont d’autant plus difficiles à décrypter que l’expression en question mêle aussi aux représentations raciales une tradition humoristique républicaine de phrases apocryphes concernant le [lire la suite]
[2021] Dominique Chathuant, « Et le nègre continue». Rire de connivence et race au premier XXe siècle », RevueAlarmer, mis en ligne le 9 novembre 2021,
Bulletin de la Société d'Histoire de la Guadeloupe
Genoud, bishop in Guadeloupe from 1912 to 1945, became an unquestioning partisan of the new regim... more Genoud, bishop in Guadeloupe from 1912 to 1945, became an unquestioning partisan of the new regime when, in 1940, Marshal Pétain established the government of the National Revolution. Bishop Gay become Genoud's coadjutor in 1943 ; he eventually succeeded him at the head of the diocese. He arrived in Guadeloupe a little after the joining of the island to De Gaulle ’s France. Because of Genoud's well-known unquestioning petainism one may wonder if Jean Gay did not owe his position to a religious purge. According to documents issued by the Minister’s office in charge of the colonies at that time, such a conclusion has to be disproved. In fact, Bishop Genoud was surrounded by government officials that the Vichy regime in Guadeloupe quickly got rid of. The latter opened negotiations with the highest religious authorities to flank Genoud with a coadjutor sympathetic to the National Revolution : Jean Gay. At the same time the regime continued to assure the bishops of its official a...
Bulletin de la Société d'histoire de la Guadeloupe, 2017
En 1979, quatre ans avant la loi de décentralisation, était inauguré à Baie-Mahault un collège « ... more En 1979, quatre ans avant la loi de décentralisation, était inauguré à Baie-Mahault un collège « Maurice Satineau ». La référence mémorielle pouvait étonner jusqu’au jeune professeur d’histoire qui dut prononcer le discours et ne s’en trouva guère enthousiasmé. Le souvenir de Satineau restait plus vivace à Sainte-Anne, où il avait été maire trois décennies durant, qu’à Baie-Mahault où il ne s’était donné que la peine de naître [...]
Siégeant à la Chambre des députés avec l’Union socialiste républicaine (USR) de Maurice Viollette, Satineau connaît une trajectoire de parlementaire du peuple français d’abord classé au centre-gauche. Son vote des pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940 le rend ipso facto inéligible par l’effet de l’ordonnance d’Alger du 21 avril 1944, laquelle relève du droit électoral, dont les dimensions à la fois constitutionnelles et administratives n’ont rien à voir avec les sanctions pénales que les adversaires de Satineau croient pouvoir réclamer. Il est en tout cas de ceux qu’on relève de leur inéligibilité, ce qui pose déjà une première question. Sa carrière aurait pu en rester là et se limiter à la législature 1936-1940 prolongée jusqu’en 1942 (comme celle de 1914 l’avait été jusqu’en 1919). Mais, alors que les autres hommes issus de formations de gauche sont moins volontiers relevés s’ils sont inéligibles, Satineau est au nombre des absous. Tribun du négrisme avant-guerre, il poursuit sa carrière malgré un bras de fer dès 1945 avec le gouverneur Bertaud dans le contexte électoral de Sainte-Anne. Ni la suspension en 1946 du conseil municipal, ni sa défaite aux législatives du 10 novembre 1946 ne l’empêchent de devenir un pilier de la vie politique guadeloupéenne au-delà de la position qu’il occupait en 1936-1940. Conseiller de la République en novembre 1948, il retrouve son siège au Luxembourg en mai 1952 tout en demeurant maire de Sainte-Anne. André Rousselet, sous-préfet de Pointe-à-Pitre en 1952-1954 et qui, comme d’autres avant lui, se persuade un peu vite d’avoir assaini les mœurs électorales en Guadeloupe, impute à Satineau son déplacement vers la sous-préfecture d’Issoudun, dans l’Indre. L’amitié entre Rousselet et François Mitterrand, s’expliquerait également par l’hostilité des deux premiers à Satineau, membre comme eux du Rassemblement des gauches républicaines (RGR). Maurice Satineau ne perd son mandat de conseiller qu’en 1958 et demeure maire de Sainte-Anne jusqu’à sa mort à Paris en 1960.
Mais, alors que, dans un contexte de Guerre froide, il construit sa légitimité sur la lutte contre les communistes guadeloupéens, ceux-ci l’accusent d’avoir volé l’or de familles de déportés juifs au prétexte de les protéger de la spoliation.
Une question demeure. Comment un personnage au parcours si sulfureux a-t-il pu, après avoir voté les pleins pouvoirs à Philippe Pétain le 10 juillet 1940, être relevé de son inéligibilité pour faits de résistance par le jury d’honneur chargé d’examiner les dossiers ?
Sommaire Abréviations utilisées
I - Devenir
Avant l'homme public : sortir de la misère (1891-1919) La construction de l'homme public : publiciste et militant (1919-1933) Pour la Sûreté : un escroc fiché (1929-1936) Dans l'ombre du député Candace (1929-1936) Débuter à la Chambre (1936-1940) Pourfendre encore le préjugé de race (1939-1940)
II - Un itinéraire qui multiplie les ambigüités
Orphelin de la République (1940) Le projet d'émigration juive aux Antilles (1940-1941) Aryanisation : « Je crois devoir porter ces faits à votre connaissance » (1942-1944) Serge Denis et la Résistance Arrêté à la frontière espagnole : six mois au fort du Hâ (1943) Du Vieux-Port à la rue Oudinot (1944)
III - Retour en République (1944-1945)
Naissance du Front colonial de la résistance de novembre 1940 (1944-1945) « Satineau a triomphé des mensonges et des calomnies» (1945)
Réf : Dominique Chathuant, « D'une République à l'autre : ascension et survie politique de Maurice Satineau (1891-1945)», Bulletin de la Société d'histoire de la Guadeloupe, n°178, septembre-décembre 2017, p. 9-85.
Nous qui ne cultivons pas le préjugé de race. Histoire(s) d'un siècle de doute sur le racisme en France, 2021
En 1919, bien avant Black Lives Matter, un promeneur guadeloupéen est froidement abattu à Nantes ... more En 1919, bien avant Black Lives Matter, un promeneur guadeloupéen est froidement abattu à Nantes par un policier militaire américain. On lit alors dans la presse indignée que les Français ne cultivent pas le préjugé des races, lequel est solennellement condamné par les députés de la seconde puissance coloniale. Bars ségrégationnistes en 1923 ou 1963, piscine filtrant les Algériens (1964) ou diarrhée antisémite d'un sénateur SFIO (1959), d'autres affaires offrent à l'opinion l'occasion de s'indigner et d'énoncer la norme idéale d'une France immunisée contre le racisme : Raymond Poincaré ferraille contre la discrimination américaine à Paris et René Pleven refuse longtemps comme inutile une loi antiraciste finalement votée en 1972. On la lui attribuera bien à tort. Loin de l'anachronisme dogmatique ou de l'idéalisation naïve, l'historien Dominique Chathuant explore le mythe immunitaire à l'échelle du XXe siècle, au coeur puis en aval du contexte colonial. Il nuance l'apparente nouveauté du présent en montrant qu'on dénonce déjà en 1917 l'importation d'idées américaines, qu'on teste les discriminations dès 1939 ou qu'on emploie très tôt les termes « raciste » (1924) et « racisé » (1965). 14 octobre 2021.
Nous qui ne cultivons pas le préjugé de race. Histoire(s) d'un siècle de doute sur le racisme en France, 2021
En 1919, bien avant Black Lives Matter, un policier militaire américain abat froidement à Nantes ... more En 1919, bien avant Black Lives Matter, un policier militaire américain abat froidement à Nantes un promeneur guadeloupéen. On lit alors dans la presse indignée que les Français ne cultivent pas le préjugé des races, lequel est solennellement condamné par les députés de la seconde puissance coloniale du monde.
Bars ségrégationnistes des années 1920 ou 1960, piscine fermée aux Algériens (1964) ou diarrhée antisémite d’un sénateur SFIO (1959), d’autres affaires offrent à l’opinion l’occasion de s’indigner et d’énoncer la norme idéale d’une France immunisée contre le racisme : Raymond Poincaré s’oppose à Paris à une discrimination, forcément américaine et René Pleven juge longtemps inutile une loi antiraciste finalement votée en 1972 et qu’on persiste à tort à lui attribuer.
Loin de l’anachronisme dogmatique ou de l’idéalisation naïve, l’historien Dominique Chathuant explore le mythe immunitaire à l’échelle du XXe siècle, au cœur puis en aval du contexte colonial. Il nuance l’apparente nouveauté du présent en montrant qu’on dénonce déjà en 1917 l’importation d’idées américaines, qu’on teste les discriminations dès 1939 ou qu’on emploie très tôt les termes « raciste » (1924) et « racisé » (1965).
1919 : le député Achille René-Boisneuf fait condamner solennellement le préjugé de race par la Chambre, 2021
How could racial prejudice be condemned solemnly by the French Chamber of Deputies in 1919?
Extra... more How could racial prejudice be condemned solemnly by the French Chamber of Deputies in 1919? Extract quoted from the appendices of Dominique Chathuant, Nous qui ne cultivons pas le préjugé de race. Histoire(s) d’un siècle de doute sur le racisme en France, Paris, Éditions du Félin, 2021, p. 436-443 (We do not cultivate racial prejudice. History(ies) of a century of doubt on racism in France).
Brief overview for the public authorities on Maurice Satineau, MP for Guadeloupe, (1936-40/42) an... more Brief overview for the public authorities on Maurice Satineau, MP for Guadeloupe, (1936-40/42) and his relationship with the General Office for Jewish Affairs (CGQJ) from 1940 to 1944, being established that the name "Maurice Satineau" was awarded in 1979 to the college of the Guadeloupe commune of Baie-Mahault, which in 2019 reached its 40th anniversary. It appears in conclusion that the name "Maurice Satineau" is associated with the anti-Semitic policy of Vichy and the responsability that this authority shouldered in deportation and extermination.
Communication au colloque international de l'Université de Reims sur les troupes coloniales, 7-8 ... more Communication au colloque international de l'Université de Reims sur les troupes coloniales, 7-8 novembre 2013 [Comité scientifique incluant J.-J. Becker, Ph. Buton, M. Michel, ...].
Dominante aux Antilles et en Guyane, la culture assimilationniste liant aspiration égalitaire et... more Dominante aux Antilles et en Guyane, la culture assimilationniste liant aspiration égalitaire et conscription se diffuse dans certaines parties de l’empire et conforte les députés des colonies dans l’idée qu’ils vivent une phase de progrès civique corrélée à la promotion en métropole de la notion de Français de couleur. Mais l’implication des deux plus grands empires coloniaux dans le conflit qui éclate en 1914 porte une dimension mondiale de nature à transformer le contexte dans lequel évolue l’assimilationnisme. Le conflit occasionne la rencontre en France de populations métropolitaines et coloniales, de travailleurs étrangers et de soldats de nationalités diverses rejoints en 1917-1919 par des Américains, blancs et noirs. On distingue ainsi plusieurs types de contacts et de connexions au monde, à partir desquels les expériences circulent. Ces circulations dans la métropole coloniale impliquent des interactions plus ou moins importantes entre les sociétés connectées. Connexions et circulations mettent en jeu des échelles spatiales très différentes : l'ensemble de la zone militaire, un espace portuaire, un bar d’Atlanta ou la commune de Port-Louis de Guadeloupe. Dans les sources, le contact prend la forme d’un parcours individuel débouchant sur l'événement qui constitue l’anomalie à partir de laquelle on tente de reconstruire un ordre des choses idéalisé . La reconstruction de cette norme met ainsi en évidence les interactions entre la culture politique assimilationiste des vieilles colonies et les rencontres multiples nées de la guerre. Les contacts compliquent en effet la donne en confrontant tous les acteurs à la question de la race, porteuse d'interrogations sur l'Homme, sur la nation et sur la citoyenneté. Pour beaucoup d’habitants de la métropole, le Français de couleur est une nouveauté sur laquelle on porte un regard paternaliste non régi par des codes stricts, dans une société où il y a peu d’hommes noirs. Cette image se distingue de celle de l’obsession de la Negro Brute caractérisant la culture américaine. Aux États-Unis, le Tuskegee Institute enregistre pour la période 1882-1951, 4730 lynchages dont 3437 noirs et 1293 blancs. Ces assassinats collectifs ritualisés s'accompagnent de sévices multiples : castration, tabassage, bûcher. On peut dès lors s’interroger sur ce que produit la rencontre entre l’assimilationnisme des vieilles colonies, qui tend à se diffuser dans l’empire, et l’arrivée en France d’hommes porteurs de cette culture du lynchage et des lois ségrégationnistes dites « Jim Crow ».
Alors que la Martinique et la Guadeloupe se trouvaient sous le régime de Vichy, plusieurs millier... more Alors que la Martinique et la Guadeloupe se trouvaient sous le régime de Vichy, plusieurs milliers d’Antillais « dissidents » ont pris les armes pour libérer la France.
Bulletin de la Société d'histoire de la Guadeloupe (peer reviewed / ACL), Dec 2014
Dominante aux Antilles et en Guyane, la culture assimilationniste liant aspiration égalitaire et ... more Dominante aux Antilles et en Guyane, la culture assimilationniste liant aspiration égalitaire et conscription se diffuse dans certaines parties de l’empire et conforte les députés des colonies dans l’idée qu’ils vivent une phase de progrès civique corrélée à la promotion en métropole de la notion de Français de couleur. Mais l’implication des deux plus grands empires coloniaux dans le conflit qui éclate en 1914 porte une dimension mondiale de nature à transformer le contexte dans lequel évolue l’assimilationnisme. Le conflit occasionne la rencontre en France de populations métropolitaines et coloniales, de travailleurs étrangers et de soldats de nationalités diverses rejoints en 1917-1919 par des Américains, blancs et noirs. On distingue ainsi plusieurs types de contacts et de connexions au monde, à partir desquels les expériences circulent. Ces circulations dans la métropole coloniale impliquent des interactions plus ou moins importantes entre les sociétés connectées. Connexions et circulations mettent en jeu des échelles spatiales très différentes : l’ensemble de la zone militaire, un espace portuaire, un bar d’Atlanta ou la commune de Port-Louis de Guadeloupe. Dans les sources, le contact prend la forme d’un parcours individuel débouchant sur l’événement qui constitue l’anomalie à partir de laquelle on tente de reconstruire un ordre des choses idéalisé. La reconstruction de cette norme met ainsi en évidence les interactions entre la culture politique assimilationniste des vieilles colonies et les rencontres multiples nées de la guerre. Les contacts compliquent en effet la donne en confrontant tous les acteurs à la question de la race, porteuse d’interrogations sur l’Homme, sur la nation et sur la citoyenneté. Pour beaucoup d’habitants de la métropole, le Français de couleur est une nouveauté sur laquelle on porte un regard paternaliste non régi par des codes stricts, dans une société où il y a peu d’hommes noirs. Cette image se distingue de celle de l’obsession de la Negro Brute caractérisant la culture américaine. Aux États-Unis, le Tuskegee Institute enregistre pour la période 1882-1951, 4 730 lynchages dont 3 437 noirs et 1 293 blancs. Ces assassinats collectifs ritualisés s’accompagnent de sévices multiples : castration, tabassage, bûcher. On peut dès lors s’interroger sur ce que produit la rencontre entre l’assimilationnisme des vieilles colonies, qui tend à se diffuser dans l’empire, et l’arrivée en France d’hommes porteurs de cette culture du lynchage et des lois ségrégationnistes dites « Jim Crow ». I. Circulations transcoloniales Le regard porté aujourd’hui sur la Grande guerre réduit souvent l’implication militaire des colonies à une décision impulsée du centre via le recrutement d’une force indigène. Or, de la périphérie coloniale, le projet assimilationniste liant la citoyenneté au rituel civique de l’impôt du sang répond directement aux critiques émises contre la citoyenneté coloniale. Les vieilles colonies ne seraient que les vestiges d’un passé utopique face à une tendance de la Troisième République à attribuer aux indigènes des autres colonies une place dictée par la « race » et la culture. A une époque où la conscription sert l’hostilité au suffrage féminin, l’expérience métropolitaine du citoyen-colonial est aussi celle d’un monde où chaque formulaire administratif ou professionnel rappelle le non-accomplissement des obligations militaires. Les députés des colonies de pleine citoyenneté votent pourtant les lois militaires et peuvent à ce titre craindre l’aliénation de leur statut civique. Lié à l’action de Lagrosillière, Candace, Lémery et Henri Bérenger, le décret Poincaré appliquant aux vieilles colonies la loi Briand de 1913 relève donc d’une forme de sécurisation de la citoyenneté, synonyme d’égalité raciale. Quelques semaines avant l’attentat de Sarajevo, Candace peut affirmer avoir rendu indissolubles les liens avec la France de 1789 et 1848 en ajoutant que « Nul ne pourra plus désormais nous considérer comme des demi-Français ».
[2017] Encyclopédie de la colonisation française / Encyclopédie de la France post-coloniale (4 e... more [2017] Encyclopédie de la colonisation française / Encyclopédie de la France post-coloniale (4 entrées)
Assimilationnisme, Citoyenneté, Colonisation, Français de couleur, Gauches, Identité nationale, Race
Sous la direction d'Alain Ruscio, le projet comprend :
· L'Encyclopédie de la colonisation française (plusieurs volumes) · L'Encyclopédie de la France post-coloniale, au sens purement chronologique de cette expression (un volume)
Entrées :
Alain Ruscio, Dominique Chathuant, « Assimilation/assimilationnisme », ECF, vol. 1 : A-B, 2017, p. 206-212. Alain Ruscio, Dominique Chathuant, « Antiracisme et antiracistes », ECF, vol. 1 : A-B, 2017, p. 266-269. « Élizé (Raphaël), maire martiniquais de métropole en 1929-1940 » (Dominique Chathuant) (à paraître) « Personnel politique des vieilles colonies » (Dominique Chathuant) (à paraître)
Réf : Alain Ruscio (dir.), Encyclopédie de la colonisation française, Paris, Les Indes savantes, 2017.
Combattants de l'Empire. Les troupes coloniales dans la Grande Guerre, Nov 8, 2018
Plan :
I. Assimilationnisme et impôt du sang
II. L'Oncle Sam contre Victor Schœlcher
III. ... more Plan :
I. Assimilationnisme et impôt du sang II. L'Oncle Sam contre Victor Schœlcher III. La Chambre proclame l'égalité des races
Ref : Dominique Chathuant, « Français et Américains : le contact de deux expériences raciales (1918-1919 ) (1918-1919) », Philippe Buton et Marc Michel (dir.), Combattants de l'Empire. Les troupes coloniales dans la Grande Guerre, Paris, Vendémiaire, 2018 (8 novembre 2018). Chathuant, Dominique. "Français et Américains : le contact de deux expériences raciales (1918-1919).", in Combattants de l’Empire. Les troupes coloniales dans la Grande Guerre, edited by Philippe Buton, Philippe and Marc Michel Marc, 225-40. Paris: Vendémiaire, 2018.
This collection follows the extraordinary careers of nine colonial subjects who won seats in high... more This collection follows the extraordinary careers of nine colonial subjects who won seats in high-level parliamentary institutions of the imperial powers that ruled over them. Revealing an unexplored dimension of the complex political organisation of modern empires, the essays show how early imperial constitutions allowed for the emergence of these unexpected members of parliament, asks how their presence was possible, and unveils the reactions across metropolitan circles, local communities and the voters who brought them to office.
Unearthing the entanglements between political life in metropolitan and non-European societies, it illuminates the ambiguous zones, the margins for negotiation, and the emerging forms of leadership in colonial societies. From a Hispanicised Inca nobleman, to recently emancipated slaves and African colonial subjects, in linking these individuals and their political careers together, Unexpected Voices in Imperial Parliaments argues that the political organisation of modern empires incorporated the voices of the colonised and the non-European, in an ambiguous relationship that led to a widening of political participation and action throughout the imperial world. In doing so, this book offers a comprehensive but nuanced reassessment of the making and unmaking of modern empires.
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Bars ségrégationnistes des années 1920 ou 1960, piscine fermée aux Algériens (1964) ou diarrhée antisémite d’un sénateur SFIO (1959), d’autres affaires offrent à l’opinion l’occasion de s’indigner et d’énoncer la norme idéale d’une France immunisée contre le racisme : Raymond Poincaré s’oppose à Paris à une discrimination, forcément américaine et René Pleven juge longtemps inutile une loi antiraciste finalement votée en 1972 et qu’on persiste à tort à lui attribuer.
Loin de l’anachronisme dogmatique ou de l’idéalisation naïve, l’historien Dominique Chathuant explore le mythe immunitaire à l’échelle du xxe siècle, au coeur puis en aval du contexte colonial...
La loi contre le racisme votée le 7 juin 1972 au Palais-Bourbon est promulguée il y a cinquante ans, le 1er juillet 1972. Surnommée paradoxalement « loi Pleven », elle résulte à la fois de revendications françaises de longue durée et de normes internationales....
-----------------------------
Non, ni Pleven, ni Monnerville, ni Pompidou ne sont à l'origine de la loi contre le racisme de 1972 qui trouve d'ailleurs ses racines bien plus en amont...
Dominique Chathuant,« 1972 : une loi contre le racisme », L'Histoire, n°496, juin 2022, p. 26-27.
Lire également les mises au point du courrier des lecteurs, p. 4 sur le terme « racisé ».
Rectificatif de la p. 27
Ma phrase originale était :
« Le texte est voté à l’unanimité, à l’Assemblée et au Sénat (où il ne doit rien à Monnerville) [...] ».
Elle est devenue à mon insu :
« Le texte est voté à l’unanimité, à l’Assemblée et au Sénat (et ne doit rien à Gaston Monnerville alors au Conseil constitutionnel) (sic) [...] ».
.
Dominique Chathuant, « Et le nègre continue». Rire de connivence et race au premier XXe siècle », RevueAlarmer, mis en ligne le 9 novembre 2021, https://revue.alarmer.org/et-le-negre-continue-rire-de-connivence-et-race-au-premier-xxe-siecle/
[2021] Dominique Chathuant, « Et le nègre continue». Rire de connivence et race au premier XXe siècle », RevueAlarmer, mis en ligne le 9 novembre 2021,
Siégeant à la Chambre des députés avec l’Union socialiste républicaine (USR) de Maurice Viollette, Satineau connaît une trajectoire de parlementaire du peuple français d’abord classé au centre-gauche. Son vote des pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940 le rend ipso facto inéligible par l’effet de l’ordonnance d’Alger du 21 avril 1944, laquelle relève du droit électoral, dont les dimensions à la fois constitutionnelles et administratives n’ont rien à voir avec les sanctions pénales que les adversaires de Satineau croient pouvoir réclamer. Il est en tout cas de ceux qu’on relève de leur inéligibilité, ce qui pose déjà une première question. Sa carrière aurait pu en rester là et se limiter à la législature 1936-1940 prolongée jusqu’en 1942 (comme celle de 1914 l’avait été jusqu’en 1919). Mais, alors que les autres hommes issus de formations de gauche sont moins volontiers relevés s’ils sont inéligibles, Satineau est au nombre des absous. Tribun du négrisme avant-guerre, il poursuit sa carrière malgré un bras de fer dès 1945 avec le gouverneur Bertaud dans le contexte électoral de Sainte-Anne. Ni la suspension en 1946 du conseil municipal, ni sa défaite aux législatives du 10 novembre 1946 ne l’empêchent de devenir un pilier de la vie politique guadeloupéenne au-delà de la position qu’il occupait en 1936-1940. Conseiller de la République en novembre 1948, il retrouve son siège au Luxembourg en mai 1952 tout en demeurant maire de Sainte-Anne. André Rousselet, sous-préfet de Pointe-à-Pitre en 1952-1954 et qui, comme d’autres avant lui, se persuade un peu vite d’avoir assaini les mœurs électorales en Guadeloupe, impute à Satineau son déplacement vers la sous-préfecture d’Issoudun, dans l’Indre. L’amitié entre Rousselet et François Mitterrand, s’expliquerait également par l’hostilité des deux premiers à Satineau, membre comme eux du Rassemblement des gauches républicaines (RGR). Maurice Satineau ne perd son mandat de conseiller qu’en 1958 et demeure maire de Sainte-Anne jusqu’à sa mort à Paris en 1960.
Mais, alors que, dans un contexte de Guerre froide, il construit sa légitimité sur la lutte contre les communistes guadeloupéens, ceux-ci l’accusent d’avoir volé l’or de familles de déportés juifs au prétexte de les protéger de la spoliation.
Une question demeure. Comment un personnage au parcours si sulfureux a-t-il pu, après avoir voté les pleins pouvoirs à Philippe Pétain le 10 juillet 1940, être relevé de son inéligibilité pour faits de résistance par le jury d’honneur chargé d’examiner les dossiers ?
Sommaire
Abréviations utilisées
I - Devenir
Avant l'homme public : sortir de la misère (1891-1919)
La construction de l'homme public : publiciste et militant (1919-1933)
Pour la Sûreté : un escroc fiché (1929-1936)
Dans l'ombre du député Candace (1929-1936)
Débuter à la Chambre (1936-1940)
Pourfendre encore le préjugé de race (1939-1940)
II - Un itinéraire qui multiplie les ambigüités
Orphelin de la République (1940)
Le projet d'émigration juive aux Antilles (1940-1941)
Aryanisation : « Je crois devoir porter ces faits à votre connaissance » (1942-1944)
Serge Denis et la Résistance
Arrêté à la frontière espagnole : six mois au fort du Hâ (1943)
Du Vieux-Port à la rue Oudinot (1944)
III - Retour en République (1944-1945)
Naissance du Front colonial de la résistance de novembre 1940 (1944-1945)
« Satineau a triomphé des mensonges et des calomnies» (1945)
Conclusion
Chronologie indicative
Récapitulatif des sources
Bibliographie succincte
Sources imprimées
Sources archivistiques
Réf : Dominique Chathuant, « D'une République à l'autre : ascension et survie politique de Maurice Satineau (1891-1945)», Bulletin de la Société d'histoire de la Guadeloupe, n°178, septembre-décembre 2017, p. 9-85.
Bars ségrégationnistes des années 1920 ou 1960, piscine fermée aux Algériens (1964) ou diarrhée antisémite d’un sénateur SFIO (1959), d’autres affaires offrent à l’opinion l’occasion de s’indigner et d’énoncer la norme idéale d’une France immunisée contre le racisme : Raymond Poincaré s’oppose à Paris à une discrimination, forcément américaine et René Pleven juge longtemps inutile une loi antiraciste finalement votée en 1972 et qu’on persiste à tort à lui attribuer.
Loin de l’anachronisme dogmatique ou de l’idéalisation naïve, l’historien Dominique Chathuant explore le mythe immunitaire à l’échelle du xxe siècle, au coeur puis en aval du contexte colonial...
La loi contre le racisme votée le 7 juin 1972 au Palais-Bourbon est promulguée il y a cinquante ans, le 1er juillet 1972. Surnommée paradoxalement « loi Pleven », elle résulte à la fois de revendications françaises de longue durée et de normes internationales....
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Non, ni Pleven, ni Monnerville, ni Pompidou ne sont à l'origine de la loi contre le racisme de 1972 qui trouve d'ailleurs ses racines bien plus en amont...
Dominique Chathuant,« 1972 : une loi contre le racisme », L'Histoire, n°496, juin 2022, p. 26-27.
Lire également les mises au point du courrier des lecteurs, p. 4 sur le terme « racisé ».
Rectificatif de la p. 27
Ma phrase originale était :
« Le texte est voté à l’unanimité, à l’Assemblée et au Sénat (où il ne doit rien à Monnerville) [...] ».
Elle est devenue à mon insu :
« Le texte est voté à l’unanimité, à l’Assemblée et au Sénat (et ne doit rien à Gaston Monnerville alors au Conseil constitutionnel) (sic) [...] ».
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Dominique Chathuant, « Et le nègre continue». Rire de connivence et race au premier XXe siècle », RevueAlarmer, mis en ligne le 9 novembre 2021, https://revue.alarmer.org/et-le-negre-continue-rire-de-connivence-et-race-au-premier-xxe-siecle/
[2021] Dominique Chathuant, « Et le nègre continue». Rire de connivence et race au premier XXe siècle », RevueAlarmer, mis en ligne le 9 novembre 2021,
Siégeant à la Chambre des députés avec l’Union socialiste républicaine (USR) de Maurice Viollette, Satineau connaît une trajectoire de parlementaire du peuple français d’abord classé au centre-gauche. Son vote des pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940 le rend ipso facto inéligible par l’effet de l’ordonnance d’Alger du 21 avril 1944, laquelle relève du droit électoral, dont les dimensions à la fois constitutionnelles et administratives n’ont rien à voir avec les sanctions pénales que les adversaires de Satineau croient pouvoir réclamer. Il est en tout cas de ceux qu’on relève de leur inéligibilité, ce qui pose déjà une première question. Sa carrière aurait pu en rester là et se limiter à la législature 1936-1940 prolongée jusqu’en 1942 (comme celle de 1914 l’avait été jusqu’en 1919). Mais, alors que les autres hommes issus de formations de gauche sont moins volontiers relevés s’ils sont inéligibles, Satineau est au nombre des absous. Tribun du négrisme avant-guerre, il poursuit sa carrière malgré un bras de fer dès 1945 avec le gouverneur Bertaud dans le contexte électoral de Sainte-Anne. Ni la suspension en 1946 du conseil municipal, ni sa défaite aux législatives du 10 novembre 1946 ne l’empêchent de devenir un pilier de la vie politique guadeloupéenne au-delà de la position qu’il occupait en 1936-1940. Conseiller de la République en novembre 1948, il retrouve son siège au Luxembourg en mai 1952 tout en demeurant maire de Sainte-Anne. André Rousselet, sous-préfet de Pointe-à-Pitre en 1952-1954 et qui, comme d’autres avant lui, se persuade un peu vite d’avoir assaini les mœurs électorales en Guadeloupe, impute à Satineau son déplacement vers la sous-préfecture d’Issoudun, dans l’Indre. L’amitié entre Rousselet et François Mitterrand, s’expliquerait également par l’hostilité des deux premiers à Satineau, membre comme eux du Rassemblement des gauches républicaines (RGR). Maurice Satineau ne perd son mandat de conseiller qu’en 1958 et demeure maire de Sainte-Anne jusqu’à sa mort à Paris en 1960.
Mais, alors que, dans un contexte de Guerre froide, il construit sa légitimité sur la lutte contre les communistes guadeloupéens, ceux-ci l’accusent d’avoir volé l’or de familles de déportés juifs au prétexte de les protéger de la spoliation.
Une question demeure. Comment un personnage au parcours si sulfureux a-t-il pu, après avoir voté les pleins pouvoirs à Philippe Pétain le 10 juillet 1940, être relevé de son inéligibilité pour faits de résistance par le jury d’honneur chargé d’examiner les dossiers ?
Sommaire
Abréviations utilisées
I - Devenir
Avant l'homme public : sortir de la misère (1891-1919)
La construction de l'homme public : publiciste et militant (1919-1933)
Pour la Sûreté : un escroc fiché (1929-1936)
Dans l'ombre du député Candace (1929-1936)
Débuter à la Chambre (1936-1940)
Pourfendre encore le préjugé de race (1939-1940)
II - Un itinéraire qui multiplie les ambigüités
Orphelin de la République (1940)
Le projet d'émigration juive aux Antilles (1940-1941)
Aryanisation : « Je crois devoir porter ces faits à votre connaissance » (1942-1944)
Serge Denis et la Résistance
Arrêté à la frontière espagnole : six mois au fort du Hâ (1943)
Du Vieux-Port à la rue Oudinot (1944)
III - Retour en République (1944-1945)
Naissance du Front colonial de la résistance de novembre 1940 (1944-1945)
« Satineau a triomphé des mensonges et des calomnies» (1945)
Conclusion
Chronologie indicative
Récapitulatif des sources
Bibliographie succincte
Sources imprimées
Sources archivistiques
Réf : Dominique Chathuant, « D'une République à l'autre : ascension et survie politique de Maurice Satineau (1891-1945)», Bulletin de la Société d'histoire de la Guadeloupe, n°178, septembre-décembre 2017, p. 9-85.
Bars ségrégationnistes des années 1920 ou 1960, piscine fermée aux Algériens (1964) ou diarrhée antisémite d’un sénateur SFIO (1959), d’autres affaires offrent à l’opinion l’occasion de s’indigner et d’énoncer la norme idéale d’une France immunisée contre le racisme : Raymond Poincaré s’oppose à Paris à une discrimination, forcément américaine et René Pleven juge longtemps inutile une loi antiraciste finalement votée en 1972 et qu’on persiste à tort à lui attribuer.
Loin de l’anachronisme dogmatique ou de l’idéalisation naïve, l’historien Dominique Chathuant explore le mythe immunitaire à l’échelle du XXe siècle, au cœur puis en aval du contexte colonial. Il nuance l’apparente nouveauté du présent en montrant qu’on dénonce déjà en 1917 l’importation d’idées américaines, qu’on teste les discriminations dès 1939 ou qu’on emploie très tôt les termes « raciste » (1924) et « racisé » (1965).
Extract quoted from the appendices of Dominique Chathuant, Nous qui ne cultivons pas le préjugé de race. Histoire(s) d’un siècle de doute sur le racisme en France, Paris, Éditions du Félin, 2021, p. 436-443 (We do not cultivate racial prejudice. History(ies) of a century of doubt on racism in France).
Ces circulations dans la métropole coloniale impliquent des interactions plus ou moins importantes entre les sociétés connectées. Connexions et circulations mettent en jeu des échelles spatiales très différentes : l'ensemble de la zone militaire, un espace portuaire, un bar d’Atlanta ou la commune de Port-Louis de Guadeloupe. Dans les sources, le contact prend la forme d’un parcours individuel débouchant sur l'événement qui constitue l’anomalie à partir de laquelle on tente de reconstruire un ordre des choses idéalisé . La reconstruction de cette norme met ainsi en évidence les interactions entre la culture politique assimilationiste des vieilles colonies et les rencontres multiples nées de la guerre. Les contacts compliquent en effet la donne en confrontant tous les acteurs à la question de la race, porteuse d'interrogations sur l'Homme, sur la nation et sur la citoyenneté. Pour beaucoup d’habitants de la métropole, le Français de couleur est une nouveauté sur laquelle on porte un regard paternaliste non régi par des codes stricts, dans une société où il y a peu d’hommes noirs. Cette image se distingue de celle de l’obsession de la Negro Brute caractérisant la culture américaine. Aux États-Unis, le Tuskegee Institute enregistre pour la période 1882-1951, 4730 lynchages dont 3437 noirs et 1293 blancs. Ces assassinats collectifs ritualisés s'accompagnent de sévices multiples : castration, tabassage, bûcher. On peut dès lors s’interroger sur ce que produit la rencontre entre l’assimilationnisme des vieilles colonies, qui tend à se diffuser dans l’empire, et l’arrivée en France d’hommes porteurs de cette culture du lynchage et des lois ségrégationnistes dites « Jim Crow ».
Assimilationnisme, Citoyenneté, Colonisation, Français de couleur, Gauches, Identité nationale, Race
Sous la direction d'Alain Ruscio, le projet comprend :
· L'Encyclopédie de la colonisation française (plusieurs volumes)
· L'Encyclopédie de la France post-coloniale, au sens purement chronologique de cette expression (un volume)
Entrées :
Alain Ruscio, Dominique Chathuant, « Assimilation/assimilationnisme », ECF, vol. 1 : A-B, 2017, p. 206-212.
Alain Ruscio, Dominique Chathuant, « Antiracisme et antiracistes », ECF, vol. 1 : A-B, 2017, p. 266-269.
« Élizé (Raphaël), maire martiniquais de métropole en 1929-1940 » (Dominique Chathuant) (à paraître)
« Personnel politique des vieilles colonies » (Dominique Chathuant) (à paraître)
Réf : Alain Ruscio (dir.), Encyclopédie de la colonisation française, Paris, Les Indes savantes, 2017.
I. Assimilationnisme et impôt du sang
II. L'Oncle Sam contre Victor Schœlcher
III. La Chambre proclame l'égalité des races
Ref : Dominique Chathuant, « Français et Américains : le contact de deux expériences raciales (1918-1919 ) (1918-1919) », Philippe Buton et Marc Michel (dir.), Combattants de l'Empire. Les troupes coloniales dans la Grande Guerre, Paris, Vendémiaire, 2018 (8 novembre 2018).
Chathuant, Dominique. "Français et Américains : le contact de deux expériences raciales (1918-1919).", in Combattants de l’Empire. Les troupes coloniales dans la Grande Guerre, edited by Philippe Buton, Philippe and Marc Michel Marc, 225-40. Paris: Vendémiaire, 2018.
Unearthing the entanglements between political life in metropolitan and non-European societies, it illuminates the ambiguous zones, the margins for negotiation, and the emerging forms of leadership in colonial societies. From a Hispanicised Inca nobleman, to recently emancipated slaves and African colonial subjects, in linking these individuals and their political careers together, Unexpected Voices in Imperial Parliaments argues that the political organisation of modern empires incorporated the voices of the colonised and the non-European, in an ambiguous relationship that led to a widening of political participation and action throughout the imperial world. In doing so, this book offers a comprehensive but nuanced reassessment of the making and unmaking of modern empires.