Littérature Comparée

Dans les contes et les poèmes de Poe, dans l’œuvre critique et poétique de Baudelaire, la femme est une figure de l’Autre. Voilà un constat d’une grande banalité, n’est-ce pas ? C’est une évidence. Voire l’évidence même. Elle mérite donc toute notre attention. L’évidence fait question. Elle ouvre le champ des idées aux contradictions et paradoxes, dont la pensée refuse l’évidence. La femme est une figure de l’Autre ; elle est également une figure du Même. Elle représente l’altérité inaltérable, toujours intacte, toujours là : « Je t’adore à l’égal de la voûte nocturne, / […] / Et t’aime d’autant plus, belle, que tu me fuis, / Et que tu me parais, ornement de mes nuits, / Plus ironiquement accumuler les lieues / Qui séparent mes bras des immensités bleues. » (C. Baudelaire). Éternelle absente – au sens propre : éternellement à distance –, la femme baudelairienne a beau être plusieurs, elle est avant tout une expérience poétique. « Elle – ou il = son corps – est le milieu en tant que partage du haut et du bas, et convertisseur du haut et du bas entre eux. » « Index vers le haut, elle déploie l’Azur, la voûte nocturne ; Index vers le bas, elle “situe” la vermine et les vermisseaux. » (M. Deguy) Morella et Ligeia sont aussi à l’image du Ciel profond. Poe et Baudelaire invitent tous deux à se demander si l’Autre n’est pas d’abord et toujours féminin. Et ce, tout en appelant à compter l’innombrable : la multitude des féminins de la femme et de l’homme ; calcul qui pose encore question : « Le féminin de l’homme est-il le même que le féminin de la femme ? » (M.-C. Lanctôt-Béranger).

En traduisant Poe, Baudelaire traduit beaucoup d’autres auteurs : Euripide, Sophocle, Platon, Novalis, etc. Or le plurilinguisme de l’œuvre de l’écrivain américain appelle nombre de questions. Quel est le rôle des citations dans la stratégie de narration et/ou de scription des contes de Poe ? Qui traduit-on lorsqu’on traduit une citation : l’auteur de la citation ou l’auteur qui dit que l’auteur Untel a dit que… ? Que faire lorsqu’il s’agit d’une traduction : traduire la traduction ou la citation originale ? Que reste-t-il du plurilinguisme de l’œuvre de Poe lorsque les mots et expressions en français ne sont plus écrits en langue étrangère sous la plume de Baudelaire ?... Les épigraphes constituent un cas de traduction plus complexe encore, en posant le problème des limites du texte. « Il y a un cadre invisible mais structurellement irréductible autour de la narration, note Jacques Derrida à propos de “ La Lettre volée”. Où commence-t-il ? à la première lettre du titre ? à l’exergue de Sénèque ? au “J’étais à Paris en 18…” ? » Qui donne l’épigraphe : l’auteur, le scripteur, le narrateur ?
En proposant une étude des traductions baudelairiennes des citations et des épigraphes des contes de Poe, nous tenterons de montrer à quelles interrogations empruntées à la théorie du texte, et produites par l’œuvre à traduire, tout critique répond lorsqu’il répond à des questions de traduction.

Published in 1848 – one year before Poe’s death – Eureka is one of the last direct legacies of the English and French Enlightenments. This work is placed under the patronage of Newton, Laplace and Humboldt to whom Poe dedicates his essay “with [his] very profound respect”. The program of the American writer is ambitious. “I design to speak of the Physical, Meta-physical and Mathematical – of the Material and Spiritual Universe: – of its Essence, its Origin, its Creation, its Present Condition and its Destiny.” Of the eighteenth century, Poe has kept the spirit and pleasure of intellectual conquest, the taste for exploration of all the fields of knowledge and imaginative writings. But he knows that he belongs to another world, a world where Science – he says – has driven Diane away from the forests and the poet from the pub-lic space. Eureka is above all a “romance”, a prose poem. It is also a discourse in scientific language. Poe translates the myth of Origin into astronomical formulas. “[The] myths decay and symbols become secularized – Mircea Eliade writes –, but […] they never disappear, even in the most positivist of civilizations, that of the nineteenth century. Symbols and myths come from such depths: they are part and parcel of the human being” (Mircea Eliade, Images and Symbols: Studies in Religious Symbolism, tr. Philip Mairet). In composing Eureka, Poe extends the exercise of rewriting beyond the limits of science. He speaks of the eternal return of Poetry, and highlights the origin of myths of Origin. “In the Beginning Was the Fable” (Paul Valéry, “Au Sujet d’Eurêka”).

The Tales of the Folio Club est un livre fantôme : un projet d’écriture et d’édition de Poe for-mé en 1831, abandonné en 1836. C’est également un livre de fantômes : une œuvre hantée par des réminiscences littéraires. Dans « A Reconstruction of Poe’s 1833Tales of the Folio Club, Preliminary Notes » (1972), « Further Notes on Poe’s Folio Club Tales » (1975) et « Edgar Allan Poe’s Tales of the Folio Club : The Evolution of a Lost Book » (1977), Alexander Hammond montre le phénomène de confluence des sources, la superposition des modèles du Club – dont beaucoup sont encore des objets d’hypothèse : Le Banquet de Platon, le Décaméron de Boccace, Tales of a Traveller de Washington Irving (Contes d’un voya-geur), On Murder Considered as One of the Fine Arts de Thomas De Quincey (De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts) ; et ajoute aux références littéraires l’exemple des clubs américains. À l’exception de De Rerum Natura, incarnation du Diable, chacun des membres du Club est la caricature d’un ou plusieurs écrivains, parmi lesquels Poe lui-même... Le livre – encore et toujours à l’état d’ébauche donc – donne forme au « paradigme “auteur-texte-critique” » – souligne Alexander Hammond –, « central » dans les grandes fictions de l’écrivain. Toute l’œuvre de Poe est incomplète, si on ne lit pas l’ensemble des contes de l’auteur américain à la lumière des Tales of the Folio Club. À travers la genèse du Folio Club – genèse pure, suspendue au temps de la genèse –, nous assistons à la naissance de l’œuvre future, déjà, dès les premières années, vertigineuse.

Hantologie – terme composé, formé par Jacques Derrida – signifie : « ontologie (c'est-à-dire, science de l'être) de ce qui “hante” : les spectres, les fantômes » (Charles Ramond, Le Vocabulaire de Jacques Derrida). Le néologisme derridien est une paronomase, le paronyme d’un mot – ontologie –, dont il n’est pas un synonyme. L’hantologie est une « « catégorie […] irréductible, et d’abord à tout ce qu’elle rend possible, l’ontologie, la théologie, l’onto-théologie positive ou négative », écrit Jacques Derrida (Spectres de Marx). C’est une ontologie, l’ontologie de l’être du non-être et du non-être de l’être, de quelque chose ou quelqu’un qui « n’est pas là », « comme tout fantôme digne de ce nom » (Ibid.). « Il n’y a pas de Dasein du spectre mais il n’y a pas de Dasein sans l’inquiétante étrangeté, sans l’étrange familiarité (Unheimlichkeit) de quelque spectre » (Ibid.) Il n’y a pas d’ontologie, donc, sans hantologie. Appliquée à l’étude des textes, l’hantologie derridienne n’est pas une nouvelle méthodologie de l’analyse littéraire. Elle vise moins à définir un texte qu’à se demander, d’abord, quelle question nous posons lorsque nous demandons : qu’est-ce qu’un texte ? S’agit-il d’une question d’ordre ontologique ? phénoménologique ? En demandant : qu’est-ce qu’un texte ?, nous disons déjà que le texte est quelque chose, quelque chose dont nous sentons bien qu’il n’est pas qu’une chose. Qu’il soit un objet, d’ailleurs, cela n’est pas sûr, et s’il l’est, il reste à savoir pourquoi et comment. Il l’est, si l’on souscrit au discours du structuralisme. Il ne l’est plus, si l’on adopte la définition barthésienne du texte comme productivité. L’hantologie du texte n’est pas un simple catalogue des fantômes de la littérature. Elle consiste surtout à étudier les hantises de l'écriture et de la lecture – les mots fantômes notamment (anagrammes, palindromes, etc.) et les textes fantômes (hypotextes, intertextes). C’est une recherche attentive au procès de signifiance du texte, appropriée aux œuvres de Poe et de Baudelaire, et dont la proposition critique est elle-même déductible de leurs créations. Notre thèse cherche à mettre en évidence les possibilités d'une telle déduction à travers des études comparées de leurs œuvres littéraires, poétiques, traductions de Poe par Baudelaire comprises, en portant une attention toute particulière aux figures et motifs de la revenance, à la problématique de l'image et du langage, laquelle intègre les questions de traduction (copie, fidélité à la lettre ou à l’esprit de la lettre, etc.).


Hauntology – a compound term created by Jacques Derrida – means the “Ontology (that is to say, the science of being) of what “haunts”: specters, ghosts” (Charles Ramond, The Vocabulary of Jacques Derrida). The Derridean neologism is a paronomasia, the paronym of a word – ontology – of which it is not a synonym. The hauntology is a “category […] irreducible, and first of all to everything it makes possible: ontology, theology, positive or negative onto-theology”, Jacques Derrida writes (Specters of Marx, tr. Peggy Kamuf). It is an ontology, the ontology of the being of non-being and the non-being of being, of something which, or someone who “is not there”, “like any ghost worthy of the name ». (Ibid.) “There is no Dasein of the specter, but there is no Dasein without the uncanniness, without the strange familiarity (Unheimlichkeit) of some specter.” There is no ontology, thus, without any hauntology. Applied to the study of text, the Derridean hauntology is not a new methodology of literary analysis. It aims less to define a text than to ask us, first, what is the question we ask when we de-mand: what is a text? Is this a question of ontological order? phenomenological? In asking: what is a text ?, we are already saying that the text is something, something of which we feel that it is not just a thing. That it is an object, moreover, it is not sure, and if it is, it remains to know how and why. It is, if we subscribe to the structuralist discourse. It is not anymore if we adopt the Barthesian definition of text as a productivity. The hauntology of text is not a mere catalog of ghosts in literature. It consists above all in studying the hauntings of writing and reading, such as ghost-words (like anagrams, palindromes, etc.) and ghost-texts (hypotext, intertext). This research is attentive to the process of what Barthes calls the signifiance of text, and quite appropriate to the works of Poe and Baudelaire. Indeed, our critical proposition is itself deductible from them. Our thesis thus aims to highlight the possibilities of such suggestions by and through comparative studies of their literary and poetical works, translations of Poe by Baudelaire included, in paying very particular attention to figures of revenance, and the problematic of image and language, which incorporates many issues of translation (copy, faithfulness to the letter or the spirit, etc.).

Hantologie – terme compose, forme par Jacques Derrida – signifie : « ontologie (c'est-a-dire, science de l'etre) de ce qui “hante” : les spectres, les fantomes » (Charles Ramond, Le Vocabulaire de Jacques Derrida). Le neologisme derridien est une paronomase, le paronyme d’un mot – ontologie –, dont il n’est pas un synonyme. L’hantologie est une « « categorie […] irreductible, et d’abord a tout ce qu’elle rend possible, l’ontologie, la theologie, l’onto-theologie positive ou negative », ecrit Jacques Derrida (Spectres de Marx). C’est une ontologie, l’ontologie de l’etre du non-etre et du non-etre de l’etre, de quelque chose ou quelqu’un qui « n’est pas la », « comme tout fantome digne de ce nom » (Ibid.). « Il n’y a pas de Dasein du spectre mais il n’y a pas de Dasein sans l’inquietante etrangete, sans l’etrange familiarite (Unheimlichkeit) de quelque spectre » (Ibid.) Il n’y a pas d’ontologie, donc, sans hantologie. Appliquee a l’etude des textes, l’hantologie derridienne n’...

Published in 1848 – one year before Poe’s death – Eureka is one of the last direct legacies of the English and French Enlightenments. This work is placed under the patronage of Newton, Laplace and Humboldt to whom Poe dedicates his essay “with [his] very profound respect”. The program of the American writer is ambitious. “I design to speak of the Physical, Meta-physical and Mathematical – of the Material and Spiritual Universe: – of its Essence, its Origin, its Creation, its Present Condition and its Destiny.” Of the eighteenth century, Poe has kept the spirit and pleasure of intellectual conquest, the taste for exploration of all the fields of knowledge and imaginative writings. But he knows that he belongs to another world, a world where Science – he says – has driven Diane away from the forests and the poet from the public space. Eureka is above all a “romance”, a prose poem. It is also a discourse in scientific language. Poe translates the myth of Origin into astronomical formul...

Hantologie – terme composé, formé par Jacques Derrida – signifie : « ontologie (c'est-à-dire, science de l'être) de ce qui “hante” : les spectres, les fantômes » (Charles Ramond, Le Vocabulaire de Jacques Derrida). Le néologisme derridien est une paronomase, le paronyme d’un mot – ontologie –, dont il n’est pas un synonyme. L’hantologie est une « « catégorie […] irréductible, et d’abord à tout ce qu’elle rend possible, l’ontologie, la théologie, l’onto-théologie positive ou négative », écrit Jacques Derrida (Spectres de Marx). C’est une ontologie, l’ontologie de l’être du non-être et du non-être de l’être, de quelque chose ou quelqu’un qui « n’est pas là », « comme tout fantôme digne de ce nom » (Ibid.). « Il n’y a pas de Dasein du spectre mais il n’y a pas de Dasein sans l’inquiétante étrangeté, sans l’étrange familiarité (Unheimlichkeit) de quelque spectre » (Ibid.) Il n’y a pas d’ontologie, donc, sans hantologie. Appliquée à l’étude des textes, l’hantologie derridienne n’...

The Tales of the Folio Club est un livre fantôme : un projet d’écriture et d’édition de Poe for-mé en 1831, abandonné en 1836. C’est également un livre de fantômes : une œuvre hantée par des réminiscences littéraires. Dans « A Reconstruction of Poe’s 1833Tales of the Folio Club, Preliminary Notes » (1972), « Further Notes on Poe’s Folio Club Tales » (1975) et « Edgar Allan Poe’s Tales of the Folio Club : The Evolution of a Lost Book » (1977), Alexander Hammond montre le phénomène de confluence des sources, la superposition des modèles du Club – dont beaucoup sont encore des objets d’hypothèse : Le Banquet de Platon, le Décaméron de Boccace, Tales of a Traveller de Washington Irving (Contes d’un voya-geur), On Murder Considered as One of the Fine Arts de Thomas De Quincey (De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts) ; et ajoute aux références littéraires l’exemple des clubs américains. À l’exception de De Rerum Natura, incarnation du Diable, chacun des membres du Club est la caricature d’un ou plusieurs écrivains, parmi lesquels Poe lui-même... Le livre – encore et toujours à l’état d’ébauche donc – donne forme au « paradigme “auteur-texte-critique” » – souligne Alexander Hammond –, « central » dans les grandes fictions de l’écrivain. Toute l’œuvre de Poe est incomplète, si on ne lit pas l’ensemble des contes de l’auteur américain à la lumière des Tales of the Folio Club. À travers la genèse du Folio Club – genèse pure, suspendue au temps de la genèse –, nous assistons à la naissance de l’œuvre future, déjà, dès les premières années, vertigineuse.

Review by Ruth Ronen, from Poetics Today
http://www.jstor.org/stable/1772657
Twenty-odd years after T. Todorov coined the term "narratology," the area denoted by this term reveals a most heterogeneous reality: of conflicting traditions,
incompatible specialized terms, and intractable bibliographies. It is the aim of Narrative as Communicationb oth to provide a coherent picture of the field of narratology and, at the same time, to recover a plausible principle of organization for it. Coste draws up an inventory of analytic tools and concepts,
from the transformational model to literariness, fictionality, and subjects of narrative utterances, showing that these can constitute a workable apparatus for the study of narrative, although not in the terms in which they were originally
conceived. The new grounds on which one should conceive these tools and concepts are those of a theory of social communication. Coste's working hypothesis is that narrative formulates a special type of communicative act in which a transitive view of the world is the effect imparted by the message produced. A message is narrative, not because of the mode of conveying it, but because it carries narrative meaning. A communication is narrative regardless
of the form it takes (verbal or otherwise); narrative makes an object of knowledge of a narrative type for its recipients. But, for Coste, portraying a narratology in the alternative terms of a theory of communication does not suffice. His aim is to alert users of narratology to the ideological, political, and ethical implications of interpretive schemata on which they rely; it is, in other words, the history of narratology that has to be taken into account when constructing a communication-based narratology. When existing narratologies are treated as works in progress and as indispensable bases for working toward a new stage in the history of the field, this requires close scrutiny of the various controversies that have developed within narratology over the years.
In the same way that the text produced in narrative communication is always a present, living object of knowledge, so is the field of narratology not to be
discarded or treated as an obsolete document buried in history.
Successive chapters in Coste's book are dedicated to examining the relations between individual narrative utterances and macronarrative significance through textual communication; to coming to grips with the literariness of literary communication; to placing the rhetoric of reference within a theory of narrative; to studying narrative agents and the problem of agential functions as narrative types; to the operations (of reading and inscribing) pertinent to
the representation of enunciation in narrative; to the possibility of constructing a narrative syntax (in Coste's conception this cannot be a syntax of deep structures of actions, but a model of operations that takes into account the
surface of textual communication); to genres as a sociohistorical constraint in narrative discourse; and to the differences between narrative and didactic worlds and messages.