Images des paradis perdus
Mythe des « peuples premiers »,
photographie et anthropologie
Benoît de L’Estoile, CNRS, IRIS, Paris
Abstract
Based mostly on a large set of exhibitions in France and Brazil, the paper
analyses the ways in which the urban myth of « First Peoples », corresponding to the romantic image of indigenous peoples outside of history, finds a
privileged expression in photographs of indigenous peoples of Amazonia,
often represented in stereotyped form. Such romantic images that crop up in
the media, in art, also structure the categories of perception and interpretation of museum visitors, audiences or readers, being an essential component
of the popular success of anthropology.
Keywords : Photography, Indigenous peoples, Indians, Primitivism,
Exhibitions, France, Brazil.
Résumé
Cet article, s’appuyant notamment sur un vaste ensemble d’expositions
en France et au Brésil, analyse les façons dont le mythe des « peuples premiers », fournissant aux classes moyennes urbaines l’image romantique de
peuples indigènes hors de l’histoire, trouve une incarnation privilégiée dans
les photographies des groupes indigènes d’Amazonie, souvent représentés
de façon stéréotypée. Ces représentations romantiques présentes dans les
médias, les univers artistiques, structurent aussi les catégories de perception et d’interprétation des visiteurs d’expositions, des spectateurs ou des
lecteurs, constituant une composante essentielle du succès populaire de
l’anthropologie.
Mots-clé : Photographie, Peuples autochtones, Indiens, Primitivisme,
Expositions, France, Brésil
vibrant v.9 n.2
benoît de l’estoile
Images des paradis perdus
Mythe des « peuples premiers »,
photographie et anthropologie
Benoît de L’Estoile, CNRS, IRIS, Paris1
Il y a quelques années, le Nouvel Observateur, magazine français à grand
tirage et à prétention intellectuelle, consacra un numéro hors-série à
l’anthropologie, sous le titre Lévi-Strauss et la pensée sauvage (Daniel, 2003).
Alors même que plusieurs articles, rédigés dans une veine critique par des
anthropologues, affirmaient explicitement la rupture avec le mythe romantique d’une altérité radicale, l’iconographie du numéro, empruntée à des
agences de presse plutôt qu’à des photographies de terrain, baignait dans
une atmosphère primitiviste, présentant des guerriers de Nouvelle Guinée
aux corps couvert de peinture, des femmes africaines en tissus colorés,
des photographies de rituels exotiques. La photographie de couverture, signée de Sebastião Salgado, représentait une jeune fille Yanomami dénudée
sortant de l’ombre, au visage énigmatique portant trois labrets, évoquant
l’image romantique de tribus primitives issues d’un lointain passé et menacées de disparition, que renforçait le sous-titre même de ce numéro spécial (À la rencontre des Aborigènes, des Bamiléké, des Navajo, des Quechua,
des Otomi). En novembre 2007, dans le cadre de la manifestation artistique
Photoquai, Biennale des images du monde, coordonnée par le musée du quai
Branly, ouvert l’année précédente, l’ambassade du Brésil à Paris présenta
Indiens du haut Xingu, une série de photographies de Salgado. Le noir et
blanc renforçait l’aspect dramatique de ces images, faisant ressortir la beauté des corps indiens. La photographie diffusée dans les médias et reprise
dans le catalogue (Pivin, 2007 : 214) figure une belle jeune femme de trois
quarts, nue, en train d’être peinte, dans un intérieur où l’on devine d’autres
1
Ce texte a été proposé à VIBRANT durant mon séjour comme professeur invité au PPGAS/ Museu
Nacional/ UFRJ de février 2010 à août 2011, en bénéficiant de la bourse de Pesquisador visitante do CNPq.
Je remercie les lecteurs anonymes de VIBRANT pour leurs remarques qui m’ont incité à approfondir
mon analyse. Je n’ai pas été en mesure d’intégrer ici l’important ouvrage de Freire (2011), diffusé en
novembre 2012.
benoît de l’estoile
vibrant v.9 n.2
personnages2. Dans les deux cas, de belles images de corps amérindiens nus,
censées évoquer dans un cas l’ethnologie, dans l’autre le Brésil, sont utilisées
pour susciter le désir d’acheter un magazine ou de visiter une exposition.
Ces exemples suggèrent que ces photographies tiennent leur attrait non
seulement de leurs qualités esthétiques propres, mais aussi du fait qu’elles
mettent en jeu un mythe qui oriente le regard occidental sur les sociétés
non-européennes, celui des « peuples premiers »3. Forme moderne de la nostalgie pour un paradis perdu, ce mythe inverse les traits négatifs associés à
la civilisation occidentale ; les « peuples premiers » apparaissent ainsi à la
fois comme radicalement autres et comme représentant une part oubliée de
nous-mêmes. La volonté, souvent affirmée par les anthropologues contemporains, de transformer la vision courante sur les peuples dits « indigènes »
ou « autochtones », — par exemple par une exposition de photographies—,
doit nécessairement se confronter à un ensemble de représentations profondément enracinées dans les discours et les images qui ont été produits sur
ces groupes. Faisant l’archéologie d’un musée consacré aux « arts et civilisations des peuples non européens » ouvert en 2006 en France, le musée du
quai Branly, j’ai montré comment le mythe des « peuples premiers », incarnant une forme contemporaine du « goût des Autres » (L’Estoile, 2007), était
présent à la fois dans les conceptions du sens commun, dans les pratiques
artistiques, trouvant une expression privilégiée dans l’image, en particulier la photographie, mais aussi dans les discours savants, en particulier en
anthropologie. Prolongeant ces analyses, je voudrais ici esquisser quelques
remarques sur les façons dont les images des groupes indigènes du Brésil (en
particulier de la région amazonienne) fonctionnent comme supports pour
la reproduction et la rénovation de ce mythe, dans divers contextes, révélant
les attentes qui structurent la réception des discours anthropologiques par
les non spécialistes. En effet, si elle a joué dans les projets de développement
brésilien le rôle d’une réserve de terres, « l’Amazonie » constitue pour le reste
de l’Occident une sorte de « réserve mythique », en tant que symbole de la
diversité naturelle et lieu de supposées « tribus préservées ». Il y a en effet
une intense circulation des images entre divers lieux : magazines populaires,
2 Elle portait la légende « Préparation des femmes à la cérémonie Amuricumã dans un village
Kayamura ».
3 L’expression s’est popularisée en France dans les dernières années, en parallèle avec le succès croissant
de l’expression « Arts premiers », associée à la création du musée du quai Branly.
364
vibrant v.9 n.2
benoît de l’estoile
sites internet, expositions d’art contemporain ou de photographie, publications d’agences officielles, ouvrages d’anthropologues. Des œuvres de photojournalistes illustrent des articles d’anthropologues réputés, tandis que des
photographies de terrain ou des films ethnographiques sont présentées dans
des expositions d’art contemporain. Cette circulation des images entre des
contextes a priori différents justifie la focale large adoptée ici, privilégiant le
cas français, tout en l’éclairant par des comparaisons4.
Pour éviter tout malentendu, je précise que j’emploie ici le terme de
mythe non, comme on le fait parfois, de façon ironique ou dénonciatrice,
mais bien au sens où le font les anthropologues, pour désigner une matrice
symbolique largement partagée, dont la force et la cohérence ne sont pas de
l’ordre de la rationalité, mais plutôt de l’esthétique et de l’émotion, et qui
n’est pas non plus évaluée par son adéquation au réel, mais par son efficacité
pragmatique. Autrement dit, ce qui caractérise un mythe, c’est non pas son
caractère faux ou illusoire, mais le fait qu’il fonctionne comme pourvoyeur
de représentations, de croyances, d’émotions, de symboles, de discours, qui
permettent de donner un sens à l’expérience, sous des versions à la fois multiples et reliée par un air de famille. Le musée d’ethnographie se présente
comme lieu d’un discours vrai, appuyé sur la science ; cela n’empêche pas
qu’il puisse en même temps contribuer à nourrir un mythe qui lui préexiste.
Ce qui caractérise ce mythe, c’est à la fois sa permanence et sa plasticité,
qui lui permet d’être utilisé dans des discours variés par-delà les différences
de trajectoires ou les frontières politiques : dans chaque cas, certains éléments de cette représentation mythique sont mis en avant, en fonction de la
situation et de l’interlocuteur. L’objectif de ce texte n’est donc nullement de
dévoiler le mythe des peuples premiers, mais plutôt de le prendre au sérieux,
et de pointer certains de ses effets, dans la mesure où il structure largement
les perceptions aujourd’hui les plus courantes.
En parlant de mythe des « peuples premiers », je ne me réfère pas à
l’usage du terme qui est parfois fait pour désigner les peuples autochtones,
comme par exemple au Canada, où le terme de « Premières Nations » est
revendiqué par les descendants des « premiers habitants » du Canada avant
4 Cet article n’est pas fondé sur une enquête systématique, mais entend proposer quelques réflexions
sur les usages et les circulations des images dans des contextes non seulement anthropologique
au sens large, mais aussi médiatiques ou artistiques, en m’appuyant sur un ensemble d’expositions,
essentiellement en France et au Brésil, dont j’ai eu l’occasion de voir la plupart (voir liste en fin d’article).
benoît de l’estoile
vibrant v.9 n.2
365
l’arrivée des Européens5. La référence aux « premiers habitants » prend un
autre sens dans les formations étatiques qui ont refoulé ceux-ci dans des
zones marginales et subalternes, comme c’est le cas sur l’ensemble du continent américain. La revendication de constituer les premiers occupants
d’un territoire possède, dans les contextes coloniaux et post-coloniaux, un
sens politique fort, qui prend des formes différentes selon les configurations nationales6.
Photographier « le premier homme » au Xingu
Le succès international de Sebastião Salgado, progressivement passé du
statut de « photojournaliste » à celui d’artiste, tient à sa capacité singulière
à incarner des mythes, souvent pourvues d’une connotation religieuse,
dans des photographies saisissantes et de tonalité fortement esthétique. Les
photographies de Salgado et les discours qui les accompagnent permettent
ainsi de saisir les principaux traits d’un mythe contemporain largement
partagé : celui des peuples premiers ou « peuples de la nature »7. Plusieurs
images de la série sur le Haut-Xingu présentée à l’ambassade du Brésil en
France ont été également publiées dans le premier numéro de la nouvelle
série de Brasil Indígena, revue de la FUNAI, l’organisme de l’État brésilien
chargé de la tutelle des populations indigènes, sous le titre explicite « Le
premier homme » (O primeiro homem, FUNAI, 2006). Ces photographies
furent réalisées lors d’un séjour de deux mois dans le Parque indigena do
Xingu, auprès de groupes Kauwa, Kuikuro et Kamayura. Dans un entretien, Salgado commente ainsi son projet, qui s’inscrit dans une cosmologie
clairement évolutionniste :
5 Voir par exemple l’exposition Les premiers peuples du Canada, au Musée canadien des civilisations,
http://www.civilization.ca/cmc/exhibitions/aborig/fp/fpint01f.shtml.
6 Alors que j’abordais ce thème, en août 2009 au centre culturel Jean-Marie Tjibaou, à Nouméa, dans
le cadre des rencontres « Peuples premiers et mythes d’aujourd’hui », Emmanuel Kasarhérou me signala
que du point de vue Kanak, le terme de « peuples premiers » avait plutôt une connotation positive, dans
la mesure où il correspondait à la notion de « premier occupants ». De la même façon, le terme choisi
par João Pacheco de Oliveira (2007) pour titre de l’exposition Indios : Os Primeiros Brasileiros, souligne la
légitimité de la présence indienne au Brésil du fait de son « autochtonie ».
7 Ce mythe, commun à l’Occident, prend des formes variables selon les lieux et les époques. Sa version
allemande (marquée par la figure romantique de l’Indien Apache Winnetou, créé au XIXème siècle par le
romancier par le romancier Karl May) est différente de la version brésilienne, marquée par l’indianisme.
366
vibrant v.9 n.2
benoît de l’estoile
« Je voulais représenter les premiers groupement humains, l’idée du premier
homme, et l’une d’elles est représentée par le Xingu »8.
Pour Salgado, il ne s’agit pas moins que d’un retour aux débuts de
l’humanité : “Photographer ces Indiens, ce fut pour moi comme renouer
avec l’origine de tout”9. Au-delà des personnes saisies par son objectif, c’est la
quête du « premier homme » que poursuit Salgado. Significativement, dans
les légendes des photographies, les Indiens ne sont pas individualisés, mais
génériques, étant désignés par le nom de leur groupe ethnique10.
C’est une vision de l’Eden avant la chute, qui s’inscrit dans un vaste
projet d’ensemble significativement appelé Genesis. Selon le site officiel
du photographe, ce projet entend « montrer la beauté et la grandeur des
endroits encore intouchées, les paysages, la vie animale, et bien entendu
les communautés humaines qui continuent à vivre selon de très anciennes
cultures et traditions. Il s’agit de voir, de s’émerveiller et de comprendre
la nécessité de préserver tout cela; et enfin, d’inspirer à l’action pour cette
préservation »11. Salgado dit encore rechercher les « choses les plus primitives, les plus pures de la planète », « ce qui est encore intact comme au
jour de la création »12. Ce lien entre les paysages « intacts », « purs » ou
« vierges » et les « premiers hommes » s’enracine comme on le verra dans
une tradition visuelle romantique.
Cette vision de « peuples premiers » intacts comme au premier jour réapparaît dans d’autres propos du photographe, cités dans un article du Guardian
évoquant le séjour de Salgado au Xingu. En voici quelques extraits significatifs :
Amazingly, the Indians have remained largely untouched by the industrialised
world. «Oh boy, it really is paradise,» Salgado says, light-headed with enthusiasm. «In two months we didn’t see one quarrel between men and women,
men and men, children and children. Not one. They say it is because they
8 « Queria retratar as primeiras aglomerações humanas, a ideia do primeiro homem, e uma delas é
representada pelo Xingu », (FUNAI 2006 : 24).
9
“Fotografar estes índios foi reatar com o inicio de tudo para mim”, ibid.
10 Par exemple, « Indio Kamayura se pinta para cerimônia do Yamuricumã » (FUNAI 2006 : 27). Par
contraste, quand l’anthropologue Carlos Fausto (2011) utilise une photographie prise par Salgado dans
un village Kuikoro, pour un article, il identifie précisément la personne photographiée.
11
http://www.amazonasimages.com/grands-travaux
12 « Eu estou buscando as coisas mais primitivas, mais puras do planeta ». Déclaration à Radio France
Internationale, 30/10/2007, http://www.rfi.fr/actubr/articles/094/article_11524.asp.
benoît de l’estoile
vibrant v.9 n.2
367
don’t eat meat, but I think it is because they live in equilibrium with nature.»
(Haffenstone, 2006)
Ainsi, les Indiens apparaissent comme « innocents » au sens originel :
ils ne connaissent pas le mal, et vivent en harmonie dans une espèce de
jardin d’Eden, où la nature, loin d’être hostile, est bienveillante, car ils en
font partie :
Salgado was awed by the tribes› harmony with the natural world. «The kids
play with dust and mud and water, they are completely inside nature.» Because
they are not frightened of a tree branch falling or a snake biting, it tends not to
happen: «Nature for them is not dangerous, it is their home».
L’article se termine sur ces mots :
Last September Salgado left the Upper Xingu Basin. As he sat in the tiny plane
sent to take him home, and he looked out of the window at those he was leaving
behind, he wondered why he, and mankind in general, had chosen the modern
way of life over this one. «I felt desolate,» he says.
L’évocation du « paradis », l’idée de « peuple de la nature » et les Indiens
comme « enfants de la nature », une société harmonieuse et innocente qui
ignore la querelle, le tout en opposition avec le monde moderne et industriel, l’expression d’une désolation et d’une forme de nostalgie pour un
monde irrémédiablement perdu : ces traits, apparaissant dans le discours
de Salgado et informant les représentations qu’il produit des Indiens, sont
caractéristiques du mythe, où les « peuples premiers » apparaissent tout à la
fois comme radicalement autres et comme représentant une part perdue de
nous-mêmes. Le journaliste du Guardian n’a pas besoin de gloser les propos
de Salgado : ceux-ci résonnent de façon immédiate pour son lecteur, qui reconnaît le mythe.
Le principe d’engendrement de cette représentation mythique est ainsi,
comme le suggère le discours de Salgado lui-même, très simple : il s’agit de
l’inversion systématique des traits négatifs associés à la civilisation occidentale moderne. Ainsi, à la vie dans un milieu urbain, pollué et industriel
s’oppose la vie dans une nature encore vierge ; à la modernité les origines
du monde ; à la corruption la pureté ; au conflit, l’harmonie ; à l’Etat une
vie sociale auto-régulée, et ainsi de suite. Dans ce travail de construction
mythique, les « peuples indigènes » (comme, dans d’autres contextes, les
368
vibrant v.9 n.2
benoît de l’estoile
paysans) jouent le rôle de simple support pour des représentations qui n’ont
qu’un lien indirect avec leurs référents empiriques : seuls sont sélectionnés
et retenus les traits qui confirment le mythe, tandis que ceux qui le contredisent sont écartés. Nous verrons que ce processus est particulièrement visible dans le cadrage photographique. Ce mythe a des racines anciennes en
Occident : le paradis terrestre associé à la nudité sans honte d’Adam et Eve,
mais aussi, dans l’Antiquité tardive, l’Arcadie ou l’idylle pastorale de Daphnis
et Chloé, évoquant la vie des bergers aux mœurs pures, vivant en harmonie
dans une nature généreuse, loin des miasmes et de la corruption des cités de
l’Empire romain. Plus tard, le mythe du Bon Sauvage joue un rôle important
dans la critique des maux et travers des sociétés européennes.
Il y a aussi, en arrière-fond de ces photographies, une histoire visuelle
proprement brésilienne (Tacca, 2011). Il est significatif que Salgado évoque
aussi comme “souvenir très fort dans ma mémoire” les photographies qui
faisaient les manchettes des journaux et revues brésiliens dans sa jeunesse,
lors des années 1950, documentant les “grands fronts de contact avec ces
Indiens” (FUNAI, 2006). De fait, les images de Salgado rappellent par plusieurs aspects celles du photojournalisme d’après-guerre, en particulier les
illustrations des reportages sur les Indiens « sauvages » publiés dans le magazine O Cruzeiro. Ceux-ci furent notamment l’œuvre du photographe d’origine
française Jean Manzon, dont le fameux cliché de Xavante tirant à l’arc sur un
avion en 1944 fut repris dans l’exposition O Olhar distante (Aguilar, 2000 : 2723), ou du franco-brésilien Henri Ballot, qui accompagna entre 1952 et 1957 les
sertanistes Orlando, Cláudio et Leonardo Villas-Boas dans la région centrale
du Haut Xingu, le Diauarum. Il réalisa ainsi des reportages sur les « Premiers
contacts » avec les groupes d’Indiens txukahamai, xicrin et txicào, qui mettent
notamment en scène la nudité des Indiens, dans un style plus documentaire
que chez Salgado. Il fut aussi l’auteur du reportage au titre évocateur « Les
anthropophages d’Amazonie » (1962). Ces images donnèrent lieu à une exposition au musée de l’Homme, Regards sur les Indiens d’Amazonie, dans le cadre
des commémorations du cinquième centenaire de la Découverte du Brésil
(Menget, 2000). Elles furent exposés avec des objets appartenant aux collections ethnographique du musée, quelque temps avant leur départ forcé pour
le musée du quai Branly. Ces images se virent par là même attribuer un nouveau statut, passant du statut de « photojournalisme » à celui de « photographies ethnographiques ». Les photos de Ballot représentent typiquement
benoît de l’estoile
vibrant v.9 n.2
369
les Indiens dans une nature préservée, par exemple en train de chasser des
oiseaux, ou dans une rivière ; ainsi, la couverture du catalogue figure le chasseur kayapo Krumare, nu, avec son disque labial en évidence, pris en contreplongée, bandant son arc devant un paysage de fleuve, évoquant l’imagerie
des guerriers indiens du passé, par exemple le fameux tableau de la chasse
au jaguar, du peintre allemand Rugendas, qui accompagna l’expédition de
Langsdorff, consul de Russie à Rio de Janeiro dans les années 1820, qui fut
une importante source de l’iconographie des groupes indigènes au XIXème
siècle (Aguilar, 2000 ; Belluzzo, 2000). Ces clichés d’un monde indien préservé
furent utilisés dans la mobilisation qui aboutit à la création en 1961 du Parc
indigène du Xingu, précisément conçu sur le modèle des « réserves naturelles », pour préserver, en assurant un certain isolement, un mode de vie
indien intact dans un Brésil destiné à la modernité (Menezes, 1999). Depuis,
la région du Haut-Xingu, regroupant plusieurs groupes indigènes, a été, un
lieu privilégié de production des images de « l’Indien »13.
Les photographies de Salgado posent une autre question, sur laquelle je
reviendrai, sur ce qui se joue dans la relation entre le photographe et ses « sujets » : il est clair, en regardant ces images soigneusement composées et posées, que leur production a impliqué, d’une façon ou d’une autre, la participation des sujets photographiés14. Qu’est-ce qui conduit des groupes amérindiens
à accepter ces mises en scène primitivistes, ou, au contraire, à les refuser ?15
Au cœur des ténèbres : un temple pour les
objets sacrés des peuples premiers
Avant de revenir aux photographies elles-mêmes, il faut souligner qu’elles
s’inscrivent dans une configuration mythique qui s’exprime sous d’autres
formes. Ce mythe des Peuples premiers comme « Autre » de l’Occident,
fournissant une échappatoire, a ainsi trouvé en France une expression
13 Dès 1978, Eduardo Viveiros de Castro (2000) écrivait que « aujourd’hui au moins 80% des documents
sur les Indiens du Brésil renvoient aux Indiens du Xingu, comme la métonymie standard de « l’Indien
Brésilien » en général », ajoutant qu’il était « devenu le support visuel privilégié des fantasmes urbains
autour des frontières entre Nature et Culture ». Il suffit de taper les mots « indiens » et « Xingu » sur un
moteur de recherche pour que surgissent des centaines d’images.
14 Dans cas, médiatisée aussi par la participation des anthropologues, comme me l’a confirmé Carlos
Fausto (communication personnelle).
15
370
Pour une mise en perspective historique, voir Edwards, 2001 ; L’Estoile, 2005.
vibrant v.9 n.2
benoît de l’estoile
privilégiée dans l’architecture du musée du quai Branly. Ouvert en juin 2006
à Paris, celui-ci revendiquait d’avoir atteint, à la fin 2011, plus de huit millions de visiteurs en chiffres cumulés, et se glorifiait d’avoir dépassé le musée
national d’art moderne (centre Pompidou) en fréquentation. De tels chiffres,
largement supérieurs aux estimations réalisées lors de sa création, suggèrent
que le musée du quai Branly répond, par son architecture comme par son
contenu, à la forme moderne de ce qu’on peut appeler le goût des Autres.
L’analyser permet de mettre en évidence une matrice mythique qu’on retrouve plus largement16.
L’exposition inaugurale au quai Branly, D’un regard l’autre (Le Fur, 2006)
constituait une justification du « nouveau regard » que le musée prétendait
incarner. Elle entendait ainsi indiquer que la priorité donnée à une approche de
« l’Autre » sur le mode artistique, dans la continuité avec le primitivisme des
artistes européens modernes au début du XXème siècle, constituait une rupture définitive par rapport aux « regards » qui l’avaient précédés, dans le contexte de la conquête et de la colonisation, auxquels se voyaient associé le regard
prétendument « scientifique » de l’anthropologie. Pourtant, le mythe est ce qui
donne sa cohérence au musée lui-même, comme le révèle son architecture.
Le choix des pouvoirs publics français de bâtir un nouveau palais aux
« Arts premiers » se voulait symboliquement une façon de fuir les fantômes
d’un passé colonial que l’on voulait oublier pour marquer l’avènement d’une
nouvelle ère dans les relations de la France avec les autres cultures. Pour donner le maximum d’éclat au projet, on fit appel à un architecte prestigieux,
Jean Nouvel. Celui-ci, affirmant vouloir réaliser une architecture appropriée
aux objets abrités par le musée, élabora un projet donnant corps au mythe
associant « peuples premiers » et « arts premiers ». Selon la lettre d’intention
rédigée par Nouvel (1996), ce musée doit être un lieu « où tout est fait pour
provoquer l’éclosion de l’émotion portée par l’objet premier, […] pour le protéger de la lumière et pour capter le rare rayon de soleil indispensable à la
vibration, à l’installation des spiritualités ». Les références répétées au caractère sacré des objets suggèrent que le musée est conçu comme un temple.
C’est un lieu marqué par les symboles de la forêt, du fleuve, et les obsessions
de la mort et de l’oubli. […] C’est un endroit chargé, habité, celui où dialoguent
les esprits ancestraux des hommes qui, découvrant la condition humaine,
16
Certaines formulations de cette section reprennent celles de L’Estoile, 2007.
benoît de l’estoile
vibrant v.9 n.2
371
inventaient dieux et croyances. C’est un endroit unique et étrange. Poétique et
dérangeant.
Il est difficile de lire ce texte sans penser au Conrad de Heart of Darkness,
qui raconte un voyage initiatique dans la sauvagerie de la forêt congolaise,
par exemple dans le passage suivant :
Going up that river was like traveling back to the earliest beginnings of the
world, when vegetation rioted on the earth and the big trees were kings. An
empty stream, a great silence, an impenetrable forest.
Le musée, déclarait Germain Viatte, qui était alors en charge du projet muséologique, constitue « une cité de quatre édifices enfouis dans un
grand jardin vallonné conçu à l’image de végétations indisciplinées et lointaines ». L’image évoque ainsi un topos de l’archéologie exotique : la découverte
d’un temple perdu au milieu des jungles, comme le temple d’Angkor Vat au
Cambodge ou les temples mayas. De fait, la thématique de l’exploration est
récurrente. Ainsi, selon la plaquette de présentation du musée :
Dissimulé à la vue par un ensemble dense de végétation, […] il ne s’offrira que
progressivement au visiteur devenu découvreur.
Le visiteur du musée est ainsi implicitement conçu comme un explorateur occidental partant à la découverte d’un monde inconnu. Cette thématique de la découverte est reprise pour évoquer l’architecture interne du
bâtiment, en particulier la rampe d’accès qui conduit jusqu’au plateau des
collections. Les visiteurs « gravissent la rampe comme on remonte un cours
d’eau, en découvrant de nouveaux espaces au détour d’une courbe ». Pour
pénétrer sur le plateau des collections permanentes, le visiteur quitte la lumière blanche pour entrer dans un tunnel d’obscurité, et ressortir dans le
monde enchanté créé par Nouvel.
Dépassant la tentation de l’ironie, il faut prendre au sérieux ces discours,
dans la mesure où ils expriment une conception qui dépasse leurs auteurs,
comme en témoigne la facilité avec laquelle ils se diffusent. Nouvel reprend
à son compte une conception de l’altérité solidement enracinée : le primitif,
censé être plus proche des origines de l’humanité, joue le rôle d’Autre de la
raison et de la modernité. Nouvel prend ainsi le contre-pied du langage architectural moderniste des années 1930 qu’incarnait le musée de l›Homme,
temple de la Science : l’orthogonalité, la rationalité, la lumière directe, le
372
vibrant v.9 n.2
benoît de l’estoile
béton, le fonctionnel, cèdent le pas au mystère, au bois exotique, au cuir, à
l’ambiance chaude et colorée provoquant le « dépaysement ». L’ambition de
Nouvel est, par le recours à des technologies sophistiquées, de recréer un effet « naturel ». L’architecture tout à la fois doit signifier l’hyper-modernité de
la conception et se veut un hommage aux mondes de la tradition, évoquant
une possible réconciliation de l’homme moderne avec cette part perdue de
lui-même. À propos des « boîtes » multicolores se détachant sur la façade en
verre imprimée de photographies de végétation tropicale, la présentation se
poursuit : « L’effet produit est celui d’une rangée de cabanes […] émergeant
de la forêt. » L’architecture décline les thématiques de la tradition et de la
forêt vierge également à l’intérieur :
À l’intérieur du bâtiment, faisant référence à la nature, les poteaux, habillés
d’un enduit traditionnel, prennent racine dans le sol en pente douce. Çà et là,
des vibrations lumineuses pourraient évoquer le soleil à travers la canopée
(Nouvel, op.cit.).
Les photographies de forêt vierge sur les parois en verre constituent pour
les objets présentés une forme de décor de forêt primordiale. La même thématique marque la conception du jardin qui entoure le musée. Le paysagiste
Gilles Clément dit avoir souhaité « rompre avec la tradition occidentale dominée par l’ordre et la raison symétrique, et offrir un espace souple, ondulant,
où la distance ordinairement prise avec la nature se trouve remplacée par
une scénographie d’immersion ». Ce dispositif créant une « savane arborée »,
« renvoie aux paysages enchevêtrés de l’univers animiste, pour qui chaque
être de nature, de l’herbe à l’arbre, de l’insecte à l’oiseau, […] se présente face
à l’homme de façon égalitaire et respectable ». Ce qui est significatif, dans
tous ces discours, c’est l’association entre des parti-pris esthétiques et un discours de type ethnologique, mobilisant une vision du monde attribuée aux
« peuples premiers » par opposition avec « Nous », identifié à « l’Occident ».
Alors que le musée d’ethnographie traditionnel cherchait à créer un
équivalent du voyage dans des mondes lointains par des procédés illusionnistes (photographie, diorama, reconstitution), il s’agit désormais, dans les
salles d’exposition permanente, de créer une ambiance singulière destinée
à faire éprouver au visiteur une expérience sensorielle de dépaysement, en
le plaçant dans la pénombre, dans un décor de matière organique, avec le
« serpent » de cuir imaginé par Nouvel. Il s’agit d’un voyage imaginé, non
benoît de l’estoile
vibrant v.9 n.2
373
vers une destination précise évoquée par des détails réalistes, mais dans un
monde autre, poétique, empreint de mystère, qui constitue une expérience
intérieure destinée à raviver le souvenir d’autres expériences de voyage. Cette
ambiance exotique semble rencontrer l’adhésion de nombre de visiteurs,
signe qu’elle correspond à une forme de sensibilité contemporaine. Ainsi, le
talent de Jean Nouvel et de son équipe est d’avoir su traduire en volumes, en
lumière, en ambiance, une forme de sensibilité contemporaine, elle-même
enracinée dans un mythe à la fois ancien et vivace.
Si le message de l’architecture du musée du quai Branly fonctionne auprès du public, c’est qu’il est reconnu, qu’il fait écho à des représentations
familières, largement partagées dans le monde occidental contemporain.
L’architecture extérieure et intérieure du musée du quai Branly joue sur
l’image de « peuples de la forêt » vivant en harmonie avec leur environnement. Cette thématique des « peuples de la nature » (Naturvölker), qui remonte au XVIIIe siècle, trouve une expression privilégiée dans les aquarelles et
gravures réalisées par des artistes européens voyageant au Brésil au XIXème
siècle, représentant des Indiens chassant au milieu d’une nature exubérante,
comme dans le célèbre tableau du Comte de Clarac, intitulé « Forêt vierge
du Brésil », qui inaugure une tradition visuelle romantique qui aura une
longe postérité17, ou les œuvres des dessinateurs accompagnant l’expédition
Langsdorff, Johann Moritz Rugendas, Aimé-Adrien Taunay et Hercules
Florence18. Elle se trouve aujourd’hui revitalisée par une nouvelle vulgate
écologique, qui fait des « peuples primitifs » des écologistes avant la lettre.
Elle fonctionne comme le catalyseur de nombreux thèmes présents de façon
diffuse dans des milieux variés.
Internet a permis le développement d’un ensemble de sites qui contribuent à nourrir ce mythe et illustrent (au sens propre) les diverses versions
qu’il prend. La page d’accueil du site « Terre sacrée » est divisée en deux : la
partie droite est consacrée à la « Biodiversité », avec en sous-titre « Espèces
menacées », tandis que la partie gauche évoque « les derniers Peuples
17 Cette œuvre, considérée comme étant le premier paysage important de la forêt brésilienne, fut
exposée au Salon de Paris en 1819, où elle obtint un tel succès qu’une gravure en fut produite. Icône de
l’homme au sein de la nature vierge, elle fut présentée à la fois dans O olhar distante à São Paulo (2000) et
D’un regard l’autre, au quai Branly en 2006.
18 L’exposition d’un riche ensemble de dessins de paysages et de types humains et de cartes, réalisés
pendant l’expédition, fut présentée fut organisée par le Centro Cultural do Brasil en 2010.
374
vibrant v.9 n.2
benoît de l’estoile
premiers », incarnés par une photographie d’un enfant et d’un vieillard amérindiens d’Amazonie, sur fond de cascade et de végétation. En 2011, le site
donnait accès à deux « destinations », respectivement intitulées, de façon
dramatique, « Biodiversité : l’hécatombe » et « Au chevet des derniers peuples premiers ». En suivant le lien, on tombe sur la déclaration « Les peuples
natifs vivent en communion avec leur milieu, toutes leurs cellules sont en
phase avec la Terre nourricière »19. Les « peuples premiers » sont ainsi explicitement présentés comme équivalents aux espèces naturelles menacées.
Un autre site SOS Planet Earth, qui entend informer sur « les peuples traditionnels et les liens avec la Nature », utilise un langage proche de celui du
projet architectural de Nouvel :
Les peuples traditionnels, aussi appelés peuples autochtones, entretiennent
des liens très étroits avec l’environnement auquel ils confèrent un grand respect. La raison première est que la Nature est considérée comme la grande pourvoyeuse de l’humanité. Les liens avec la Nature ont donc un caractère sacré
qui oriente les actions et les gestes de chacun au sein de l’environnement.20
Dans certains sites, domine le ton New Age, et en particulier les références
au chamanisme amazonien. Dans d’autres cas, le registre de l’écologie gestionnaire et de l’alter-mondialisme l’emporte sur le ton mystique : moins
que des guides spirituels, les peuples autochtones apparaissent alors comme
incarnant une gestion équilibrée des ressources naturelles, par opposition à
une politique autodestructrice. On pourrait multiplier à l’infini de tels exemples, mais ceux-ci suffisent à donner une idée de l’extension et de la diversité
des usages de la notion de « peuples premiers » ; ils constituent un répertoire
de représentations qui ont toutes un « air de famille », même si elles ne correspondent pas à une définition unique.
Des « sauvages romantiques » aux « peuples racines » ?
Nostalgie des origines et anthropologie
Quelle relation existe-t-il entre ce mythe diffus des peuples premiers et le
savoir anthropologique ? A priori, tout sépare ces manifestations parfois
19
http://terresacree.org/parole3.htm, visité en juin 2011.
20 Site SOS Planet Earth, visité en mai 2006.
benoît de l’estoile
vibrant v.9 n.2
375
outrancières du goût des Autres d’une anthropologie qui revendique une approche scientifique. De fait, plusieurs anthropologues prennent nettement
distance avec le mythe des peuples de la nature. Philippe Descola (1999 : 229)
souligne ainsi ce qui différencie la vision du monde des peuples amérindiens
de l’Amazonie, telle que la restituent les anthropologues, de l’image idéalisée
que s’en font les défenseurs de la nature.
Pourtant, l’anthropologie peut aussi contribuer à nourrir le mythe des
peuples premiers, avec lequel elle entretient des affinités. Il est significatif que les anthropologues français aient été embarrassés par le musée
du quai Branly, y réagissant avec une certaine ambivalence. D’un côté, il a
été conçu en opposition explicite avec ce qui fut naguère construit en 1938
comme le « temple de l’ethnologie », le Musée de l’Homme, et a subi de violentes attaques de ceux qui lui étaient le plus attachés, notamment Louis
Dumont et Jean Rouch ; d’un autre côté, cependant, le nouveau musée revendiquait explicitement une filiation anthropologique, en particulier en
se plaçant sous le patronage du plus prestigieux nom de l’anthropologie
française, celui de Claude Lévi-Strauss, qui joua le rôle de figure tutélaire
du musée du quai Branly.
Les discours de l’ancien président de la République française Jacques
Chirac résonnaient ainsi d’une sensibilité anthropologique, inspirée par la
nostalgie pessimiste de Claude Lévi-Strauss. Chirac a exprimé à plusieurs reprises sa préoccupation devant les menaces sur la diversité culturelle :
Cette diversité est menacée. Je pense aux différentes langues du monde qui
sont aujourd’hui près de cinq mille. Nous savons qu’il en disparaîtra la moitié
au cours de ce siècle si rien n’est fait pour les sauvegarder. Je pense aux peuples
premiers, ces minorités isolées aux cultures fragiles, souvent anéanties par le
contact de nos civilisations modernes. (Chirac, 2001)
Une telle formulation, sous-tendue par un paradigme hérité de l’histoire
naturelle, établissant une équivalence entre espèces et cultures, a resurgi
sous la forme de l’équivalence entre biodiversité et diversité culturelle,
qui constitue un trait récurrent aussi bien dans les représentations communes que dans certains discours d’inspiration anthropologique. Lors de
l’inauguration du musée en juin 2006, Lévi-Strauss fait une de ses dernières
376
vibrant v.9 n.2
benoît de l’estoile
apparitions publiques. A cette occasion, Jacques Chirac21 établit un lien
explicite entre l’œuvre de l’anthropologue et la mission de préserver la
diversité culturelle attribuée au mussée. Il affirme « la valeur éminente de
ces cultures différentes, parfois englouties, souvent menacées, ces “fleurs
fragiles de la différence” qu’évoque Claude Lévi-Strauss et qu’il faut à tout
prix préserver ».
De fait, certains universitaires contribuent à cette ambiguïté22. Une partie au moins de la production anthropologique rencontre les attentes d’un
public plus large. Cette affinité est incarnée en France par la figure populaire
de Jean Malaurie. Ainsi, dans un article paru dans le Monde diplomatique, Jean
Malaurie (1999) expose « la leçon des peuples premiers » – qu’il appelle aussi
d’après un terme russe « peuples racines » –, auxquels il attribue un panthéisme empreint d’accents anti-rationalistes :
Les « peuples premiers » (…) sentent avant de penser, perçoivent avec leur sensibilité les nervures de la terre. Ils vivent la genèse, avec le sentiment d’avoir été
présents au début du monde.
Directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, directeur de recherche émérite au CNRS, Malaurie (géographe de formation)
possède tous les titres institutionnels d’appartenance à l’univers savant, tout
en affirmant sa volonté de rupture avec la rationalité scientifique. Il confère
donc une certaine légitimité universitaire à la mythologie néo-primitiviste,
dénonçant la civilisation moderne et la science au nom d’une « philosophie
sauvage ». Réalisant à l’intention du public occidental une synthèse des traditions des « peuples premiers », Malaurie n’hésite pas à faire des peuples
« primordiaux » des maîtres de sagesse, prophètes d’une nouvelle religion
cosmique universelle :
Nous devons être à l’écoute des peuples racines, ces primordiaux, pour découvrir que la vérité ne vient pas seulement d’en haut, du Très-Haut, mais aussi
21 C’est en grande partie le soutien très actif de Jacques Chirac à ce projet de musée, souvent appelé de
son nom initial « musée des arts premiers » (par exemple sur les plans des autobus parisiens), qui lui a
permis d’être réalisé en quelques années, surmontant obstacles et critiques. Pour un récit sur le mode
critique du projet, voir Price, 2011.
22 Comme l’écrivait Jean Bazin (2008), « sur le marché de la sauvagerie, les anthropologues professionnels
occupent en un sens une position privilégiée puisqu’ils peuvent couvrir du sceau de la science objective
les opérations douteuses nécessaires à la production de la figure sauvage et à son succès mondain. ».
benoît de l’estoile
vibrant v.9 n.2
377
humblement d’en bas, de ce qui fonde l’univers, de ce qui constitue la texture
de sa terre, de son eau et de l’air qui nous a donné la vie. (…) Nous allons vers
un syncrétisme des pensées, celles des livres sacrés et des peuples panthéistes.
Pour Malaurie, ces peuples hors de l’histoire représentent le salut de
l’humanité :
Il y a deux humanités : celle de la raison et une autre, en réserve de l’histoire. Il est
possible que ceux qui vont survivre parmi les « peuples premiers » nous redonnent le souffle manquant […]. L’humanité de ces peuples est l’avenir du monde23.
Ces déclarations prennent un relief particulier dans la mesure où
Malaurie a été en France un des principaux médiateurs entre les anthropologues universitaires et le grand public à travers la collection « Terre
Humaine » chez Plon24. Le cinquantenaire de la collection a été célébré
en 2005 par une grande exposition à la Bibliothèque nationale de France.
Malaurie a joué un rôle considérable comme éditeur, permettant la publication de textes originaux très importants, depuis L’Afrique ambiguë de Georges
Balandier, L’exotisme est quotidien, de Georges Condominas, jusqu’à Lances du
crépuscule, de Philippe Descola, ou, plus récemment, La chute du ciel, de Davi
Kopenawa et Bruce Albert25, en passant par Chronique des Indiens Guayaki de
Pierre Clastres (1972). Terre Humaine a également publié des traductions
de classiques de l’ethnologie, tels Moeurs et sexualité en Océanie de Margaret
Mead, mais aussi des écrivains d’origine populaire et des récits de voyage.
En 1955, Jean Malaurie inaugure lui-même la collection : Les Derniers Rois de
Thulé, dont le titre évoque bien la tonalité catastrophiste, raconte la disparition du monde traditionnel Inuit à la suite de l’installation d’une base nucléaire américaine en Alaska. Plusieurs titres de la collection, tel Ishi, testament
du dernier Indien sauvage de l’Amérique du Nord de Theodora Kroeber (1968),
sont consacrés à la description de mondes en voie de disparition : de façon
significative, le titre français met en avant une dimension absente dans le
titre original, Ishi in two worlds, qui évoquait le passage d’Ishi d’un monde à
23
« Jean Malaurie dénonce la “fatigue” de l’Occident », déclaration à l’AFP, 11 février 2005.
24 Elle a aussi contribué à susciter un « désir d’ethnologie ». Bruce Albert raconte ainsi sa lecture
fascinée de Tristes Tropiques et des autres ouvrages de la collection « Terre humaine » dans sa jeunesse
(Kopenawa et Albert, 2010 : 561).
25 Bruce Albert souligne ainsi avec reconnaissance le rôle déterminant qu’il a joué dans la mise en forme
du volume de Terre Humaine (Kopenawa et Albert, 2010 ).
378
vibrant v.9 n.2
benoît de l’estoile
l’autre —la moitié de l’ouvrage étant en fait consacré à « Ishi au muséum ».
Le succès de cette collection, dont les ouvrages se sont vendus à plus de
onze millions d’exemplaires en cinquante ans, montre bien qu’elle a à la fois
rencontré et su créer les attentes d’un public cultivé. « Terre Humaine » a été
le vecteur d’une certaine visibilité de l’anthropologie en France, compensant
partiellement la relative faiblesse de son implantation à l’université ; elle a
aussi contribué de façon significative à la cristallisation d’une vision romantique et nostalgique des peuples non occidentaux. Cette collection est fortement identifiée par la place éminente qu’y occupent les images, avant tout
la photographie. Un texte signé par Jaques Chirac, lui rendant hommage,
souligne la valeur humaniste du portrait photographique :
Depuis cinquante ans les hommes et les femmes de Terre Humaine nous fixent avec intensité. Le regard mélancolique et incliné de l’enfant d’Amazonie
[en couverture de Tristes Tropiques], la tristesse des yeux clairs du métayer
d’Alabama [Walker Evans dans Louons maintenant les grands hommes], la malice
des yeux plissés de l’Indien hopi, la détermination du regard levé du paysan
breton, la colère dans celui de l’Aborigène, le désarroi de la trahison dans celui
du prêtre-ouvrier. (Chirac, 2004 : 7)
Parmi toutes ces images, celles du second titre de la collection, paru la
même année, Tristes Tropiques (Lévi-Strauss, 1954) sont devenues des icônes,
incarnant à la fois l’ethnologie, les Amérindiens et les mondes primitifs,
et réapparaissent dans des contextes divers, à la fois ethnographiques et
artistiques. Ainsi, en 2001, la fondation Mona Bismarck proposa une exposition consacrée à l’Art de la plume en Amazonie. Comme l’indique son titre, l’exposition adoptait explicitement une orientation artistique. Dans
l’exposition, à côté des pièces en plume, étaient présentées, en très grand format et sans légende, les photographies en couleurs et en gros plans d’Indiens
du Xingu dans des contextes rituels, de Maureen Bisilliat, qui avaient déjà
illustré un ouvrage sur le Xingu (Bisilliat, Villas Boâs, 1979). Le catalogue
s’ouvrait par la fameuse photographie en pied d’un Bororo avec une coiffe
imposante empruntée à Tristes Tropiques (Art de la plume, 2001). En 2005,
Brésil indien. Les arts des Amérindiens du Brésil (Benzi Grupioni, 2005), grande
exposition dans le cadre de la manifestation officielle L’année du Brésil en
France, présentait à la fois de magnifiques pièces archéologiques et des objets ethnographiques. Faisant la liaison entre la section archéologique et la
benoît de l’estoile
vibrant v.9 n.2
379
section ethnographique, un film, rapprochant les peintures rupestres dessinées il y a quelques milliers d’années dans les grottes du Piaui de séquences
de danses et rituels réalisées par des Amérindiens contemporains, suggérait l’existence d’une continuité pratiquement sans changement entre la
préhistoire et les Indiens actuels au Brésil. Dans la section ethnographique,
photographies et films mettaient en scène vie quotidienne et rituels, notamment par des photographies de Maureen Bisilliat. Une salle présentait sur
des bannières de très grandes photographies de peintures corporelles des
Kayapo Xikrin. Provoquant un fort effet d’altérisation, l’exposition transmettait une vision des « Indiens » largement hors de l’histoire, rendant pour
ainsi dire invisible la présence de l’Etat brésilien qui promouvait la manifestation (Burgos, 2005)26. L’exposition s’achevait par un hommage à Claude
Lévi-Strauss, présentant plusieurs objets collectés lors de ses expéditions
ethnographiques, accompagnés de photographies et des extraits de films
réalisés chez les Bororo. Lors d’une des principales manifestations d’art
contemporain en France, la Triennale Intense Proximité, au palais de Tokyo,
furent présentées, parmi les installations de plasticiens, des photographies
de Lévi-Strauss, à côté de celles de Marcel Griaule et de Pierre Verger (à la fois
au Bénin et à Bahia) (2012). Il est donc intéressant d’analyser la façon dont les
photographies de Tristes Tropiques entrent en résonance avec le texte.
Jean Malaurie racontera avoir proposé à Lévi-Strauss, vers 1953,
d’écrire un « voyage philosophique, l’envers de l’endroit de votre voyage
d’exploration » (Malaurie, 2005 :99). Ce texte, ouvrage le plus vendu mondialement en anthropologie, constitue un chef-d’œuvre de la nostalgie des
mondes perdus. Si c’est essentiellement le texte qui a été repris et commenté,
les illustrations jouent un rôle important dans l’ouvrage, notamment dans
le cahier d’illustrations hors-texte, qui reproduit 59 photographies réalisées
par l’auteur. Peu commentées, elles ont pourtant grandement contribué à la
perception de cet ouvrage et à son immense succès public. Une grande partie de ces photographies seront publiées de façon autonome, avec d’autres
(180 au total) dans un beau livre publié quarante ans plus tard, affichant dans
son titre même cette nostalgie, Saudades do Brasil (Lévi-Strauss, 1994). Il est à
noter que tant Tristes Tropiques que Saudades do Brasil portent en couverture
26 On trouvera une intéressante analyse de la « présentation de soi » du Brésil, et de la façon dont les
« Indiens » y figurent, dans un contexte « diplomatique » dans Volpe et Dimitrov, 2011.
380
vibrant v.9 n.2
benoît de l’estoile
la photographie d’un enfant indien, renvoyant, peut-être inconsciemment, à
l’image à la fois d’innocence et d’une enfance de l’humanité.
Citant Rousseau, Lévi-Strauss évoque sa « quête » utopique d’un état qui
« n’existe plus, qui n’a peut-être point existé, qui probablement n’existera
jamais et dont il est pourtant nécessaire d’avoir des notions justes pour bien
juger de notre présent ». Il dépeint un monde en voie de disparition aux marges de la civilisation moderne, hanté par le fantasme de la surpopulation,
futur terrifiant que symbolisent pour Lévi-Strauss les masses grouillantes de
l’Asie. L’ethnologie offre une évasion hors de ce monde, constituant au sens
littéral une utopie qui échappe à l’histoire.
En réalité, cette nostalgie devant la disparition inéluctable des cultures
marquait déjà les expéditions réalisées par Claude Lévi-Strauss dans le Brésil
central au milieu des années 1930, s’inscrivant dans la tradition des expéditions itinérantes menées par des Européens à l’intérieur du Brésil depuis la fin
du XVIIème siècle, qui ont joué un rôle central dans la production d’images
tant sur les Indiens que sur la nature brésilienne (Aguilar, 2000 ; Belluzzo,
2000). On sait que sa première expédition, fin 1935, le conduisit chez les Bororo
et les Caduveo (Kadiweu) 27. Elle donna lieu, lors de son retour en France, à une
exposition des objets recueillis, comme c’était alors la coutume. Le Musée
d’ethnographie du Trocadéro étant fermé depuis 1935 pour la construction
du musée de l’Homme (il sera inauguré en 1938), l’exposition fut accueillie dans une galerie d’art, appartenant au marchand d’art et éditeur Georges
Wildenstein. C’est aussi lui qui publie le guide-catalogue de l’exposition, sur la
couverture duquel figure la belle photographie d’un indien Bororo, une coiffe
de plume sur la tête, une plume dans la narine et un labret (Lévi-Strauss, 1988).
Un ton sombre marque ce texte. Dès l’introduction, Lévi-Strauss évoque le fait
que la réduction des territoires de chasse ne permet plus de nourrir les tribus,
si bien que « les tribus jadis nombreuses, les villages aux centaines de maison,
s’amenuisent et s’étiolent ». S’ensuit une réaction en chaîne :
Avec l’effondrement de la base démographique, la vie collective s’affaiblit, les
techniques dégénèrent, les antiques croyances sont oubliées. Peu d’années
27 Claude Lévi-Strauss pratiquait le modèle d’expédition ethnographique collective itinérante, fondée
sur la collecte, qui devient un modèle dans l’ethnologie française des années 1930 (L’Estoile, 2007). Pour
un éclairage sur le contexte institutionnel et intellectuel de ces missions, voir Cavignac, 2012.
benoît de l’estoile
vibrant v.9 n.2
381
nous restent pour recueillir ce qui subsiste encore, et qui disparaîtra bientôt28.
La description des Kaduveo offre un concentré de la vision pessimiste
de Lévi-Strauss sur la disparition des cultures. Évoquant le témoignage du
voyageur italien Guido Boggiani, décrivant en 1895 une société Kaduveo
nombreuse, Lévi-Strauss note avec regret que l’ethnographe arrive (toujours)
trop tard :
Bien peu de chose subsiste de la splendeur ancienne, et les quelques objets de
bon style qu’on verra dans ces vitrines sont les dernières épaves d’une culture
déjà morte. Nous avons retrouvé Nalike et ses maisons collectives réduites à
quelques huttes disséminées dans la prairie. De grandes épidémies ont décimé
les indigènes, cependant que l’attrait des femmes Kaduveo provoquait un afflux
de prétendants de toutes origines. Ajoutons la séduction d’une réserve indigène, située dans une région frontière, sur tous ceux qui, dans l’un ou l’autre pays,
se trouvaient en difficulté avec la police. La culture indigène, qui aurait eu tant
de mal à se maintenir par elle-même, a été submergée sous ces apports. Nalike
n’est plus qu’un village de métis, où quelques vieilles femmes conservent seules
les anciennes traditions. Pas un seul enfant Kaduveo n’est de sang pur 29.
L’image forte de l’ethnographe comme ramasseur d’épaves après le naufrage des cultures éclaire le sens d’une collecte visant à constituer ce que
Marcel Griaule appelait alors « les archives totales de l’humanité » (L’Estoile,
2003). La « culture » est donc victime de la démographie. La décadence
culturelle, lue comme une perte d’authenticité, est associée au métissage biologique vu comme signifiant effectivement la fin d’un groupe. On a donc
une équivalence entre sang pur et « culture pure ». Ainsi, les indigènes rencontrés sont seulement les derniers témoins d’une culture en pleine décadence, sur le point de disparaître30.
Dans la belle exposition de photographies de Darcy Ribeiro, réalisées
alors qu’il était agent du Service de Protection des Indiens (SPI)31, présentée
par le Museu do Indio à la Caixa Cultural (Rio de Janeiro), une photographie
28 .p 280.
29 . Lévi-Strauss, 1988, p. 281.
30 Les photographies publiées privilégient les visages de quelques femmes, finement dessinés de motifs
complexes, comme dernière trace de cette culture condamnée.
31 Puis chef de la Section d’Etudes du SPI. Sur la trajectoire de Darcy Ribeiro au SPI, voir Souza Lima,
2000.
382
vibrant v.9 n.2
benoît de l’estoile
frappait par son aspect inhabituel : on y voyait quatre femmes Kadiweu au
visage peint, dont deux enfants, riant, l’une d’elle se cachant le visage. La
photographie laissait supposer que quelque chose, dans l’interaction avec le
photographe anthropologue, avait provoqué ce rire apparemment irrépressible ; malheureusement, elle n’avait pour seule légende que « Mato Grosso do
Sul, 1947 » (Guran, 2010). Mais le contraste est frappant avec la tonalité lugubre du texte de Lévi-Strauss près de dix ans auparavant.
Dans un long article qu’il publie en 1937 dans la revue Beaux-Arts, Claude
Lévi-Strauss n’hésite pas à revendiquer d’avoir réalisé « la première exposition du musée de l’Homme » (1937). Ce texte peu connu a l’intérêt de
constituer une version moins auto-censurée que le récit de Tristes Tropiques.
Il faut prêter attention aux termes employés par Lévi-Strauss, qui mobilisent toute une imagerie populaire sur les « Indiens », depuis le romantisme
jusqu’au cinéma hollywoodien :
Les Bororo sont des sauvages romantiques, et le chemin qui conduit vers eux
l’est aussi. On est déjà dans une atmosphère de « Peaux-Rouges » quand on entre dans une de ces petites maisons flottantes, pourvues d’aubes énormes et
coiffées d’une cheminée maigrelette, que les metteurs en scène d’Hollywood
ont ressuscitées pour tourner « Show Boat »32 .
Ainsi, le regard de l’ethnographe est informé par un ensemble d’images
qui structurent sa perception, mobilisant en particulier les figures liées au
mythe du Bon sauvage :
Ces grands gaillards tout nus, peints en rouge des pieds à la tête, qui vous
reçoivent avec des bourrades amicales et de grands éclats de rire, infligent, de
toutes les surprises espérées, la plus inattendue : celle de les reconnaître. Tout
un monde de vertus primitives et de porcelaines de Saxe revit dans ces « bons
sauvages ». Tous ces Papageno enchantent leurs flûtes en les couvrant de plumes ; car la plume, éblouissante et fragile, est partout prodiguée, partout renouvelée. (Lévi-Strauss, 1938 : 7, souligné par moi).
Les métaphores de Lévi-Strauss suggèrent que sa propre perception des indigènes brésiliens est médiatisée par les représentations stéréotypées qui se
32 Show boat est un film musical, de 1936, d’après le spectacle d’Oscar Hammerstein évoquant le
Mississipi, qui fut un grand succès de Broadway.
benoît de l’estoile
vibrant v.9 n.2
383
sont développées dans la tradition européenne, avec les figurines de sauvages en porcelaine de Saxe au XVIIIème siècle ou le personnage mozartien de
l’oiseleur dans la Flûte enchantée, à mi-chemin entre le monde humain et celui
des oiseaux. Lévi-Strauss souligne à quel point le regard de l’observateur, fût-il
ethnographe, n’est jamais vierge, mais est prédéfini par un ensemble de représentations préexistantes, empruntées à la culture d’élite comme à la culture de
masse du cinéma. Cette remarque suggère que les photographies sont à la fois
réalisées et regardées comme s’inscrivant dans des traditions visuelles.
Le cadrage photographique permet de rendre visible le point de vue et le
processus de sélection qui a produit les fameuses images de « sauvages romantiques » qui ont contribué au succès de Tristes Tropiques. La plupart des
photographies des Nambikwara dans Tristes Tropiques et Saudade do Brasil
semblent prises dans un campement isolé, loin de toute « civilisation ».
Pourtant, c’est essentiellement dans la « zone de contact » entre société
brésilienne et indigènes, autour des postes de la ligne télégraphique établis
quelques années plus tôt par la commission Rondon, que se déroula la rencontre ethnographique. Par définition, les Indiens les plus « sauvages » que
cherchait Lévi-Strauss étaient inaccessibles parce que non pacifiés. On sait
que lors de sa seconde expédition, le Conselho de Fiscalização das Expedições
Artísticas e Científicas, récemment créé par l’Etat brésilien dans une volonté
de contrôle du patrimoine national, imposa à Lévi-Strauss la compagnie du
jeune naturaliste Luiz de Castro Faria, envoyé du Museu nacional, afin de surveiller l’expédition et en particulier de vérifier qu’elle ne cause pas de troubles avec des Indiens à peine « pacifiés », pour reprendre le vocabulaire de
l’époque. Celui-ci réalisa également des photographies.
Le titre de l’exposition réalisée en 1999 au Museu Nacional à partir des
archives de Castro Faria, « portrait brésilien des Tristes Tropiques » (Retrato
Brasileiro dos Tristes Trópicos), comme celui donné à l’édition de son journal
d’expédition, « un autre regard » (Castro Faria, 2001), soulignent le contraste entre les points de vue (Rivron, 2003). Alors que les photographies
Nambikwara de Lévi-Strauss offrent des plans serrés, centrés sur les Indiens,
les plans plus larges de Castro Faria révèlent ce qu’exclut la construction des
clichés. La comparaison montre que certaines scènes qui, lorsqu’on regarde
les photographies de Tristes Tropiques, semblent se dérouler dans un campement au milieu de la savane, se passent en réalité à quelques mètres d’un des
bâtiments du poste télégraphique (Lévi-Strauss, 1994 : 129). On distingue en
384
vibrant v.9 n.2
benoît de l’estoile
arrière-plan d’une des photographies de Lévi-Strauss (n° 33) un pan de mur
d’une maison en torchis (pau-a-pique), mais peu reconnaissable. Le cadrage en
plan serré sur les corps dénudés des Indiens élimine le contexte de la rencontre ethnographique, produisant une image conforme au mythe des derniers
hommes primitifs perdus dans la forêt. Par contraste, chez Castro Faria, on
voit parfaitement les maisons en arrière-plan, ou bien une Indienne qui porte
une robe rentrant dans une case. Sur la photographie d’un jeune garçon avec
une plume insérée dans le nez, le fond sur lequel se détache la tête est ainsi
constitué par le mur d’une maison33.
Prenons par exemple la photographie d’un jeu de balle chez les
Nambikwara. Dans Saudades do Brasil, la légende de la photographie est la
suivante: « Un sport d’équipe se joue avec une balle en caoutchouc sauvage
sur un terrain dégagé qui donne bien l’idée de l’aspect désertique de certaines
parties du territoire » (1994 : 127). Le lecteur est conduit à penser que la scène
se déroule dans un campement indigène au milieu de la savane. Sur les photographies de Castro Faria, on découvre la même scène sous un autre angle :
en arrière-plan le poste, les poteaux télégraphiques, ou les maisons des employés du télégraphe, que le cadrage de Lévi-Strauss a presque systématiquement éliminé du champ de vision (2001 : 129)34.
Les cadrages de Castro Faria sont orientés par un autre mythe, celui de
la construction nationale brésilienne à travers un processus de civilisation
des populations sauvages35. Castro Faria adhère à ce qui est alors l’idéologie
officielle du Service de Protection des Indiens, c’est-à-dire une idéologie assimilationniste : le but de cette institution est explicitement de transformer
les « Indiens » vivant sur le territoire national en « Brésiliens ». Les photographies de Castro Faria, loin de mettre en scène des Indiens romantiques au
sein d’une nature vierge, documentent le processus d’intégration à la « société nationale » en cours, et la présence fragile de l’Etat national. Il faudrait
rapprocher les clichés de Castro Faria de ceux réalisés par les photographes
du Service de Protection des Indiens (SPI), aujourd’hui conservés par le
33 Je remercie le MAST et Heloisa Bertol Domingues de m’avoir donné accès aux collections de
photographies de Castro Faria.
34 Le caoutchouc sauvage n’est pas pour les Indiens qu’un jeu. Lévi-Strauss n’évoque pas l’économie de
la borracha dans laquelle sont pris les Indiens.
35 En particulier, Castro Faria s’intéresse aux constructions indigènes, auxquelles il consacrera par la
suite un travail.
benoît de l’estoile
vibrant v.9 n.2
385
Museu do Indio, qui depuis quelques années organise des expositions de son
fonds. Les très nombreuses photographies d’Indiens nus et « sauvages », que
l’on rencontre dans les collections du SPI, notamment à l’occasion des opérations dites de « premiers contacts » et « d’attraction » (Guran, 2010, passim),
prennent sens sur fond du mythe positiviste qui oriente durablement l’action
du SPI : la sauvagerie correspond à un stade, fétichiste, qui a vocation à laisser la place à une entrée graduelle dans le monde civilisé, qu’il s’agit pour le
SPI d’accompagner en « protégeant » les Indiens temporairement en appliquant son « pouvoir tutélaire » (Souza Lima, 1995)36. Les photographies du
SPI, comme celles de la Commission Rondon, même quand elles représentent des indigènes, mettent avant tout en scène sa propre action, c’est-à-dire
la présence de l’Etat national et de ses symboles, marquant l’inclusion des
Indiens dans la nation brésilienne (Rondon, 1946-53). Le vêtement est une
des marques principales de l’entrée dans la « civilisation ». Pour renouveler
l’iconographie des « Indiens », on pourrait ainsi mettre en regard des photographies fameuses de Tristes Tropiques, les photographies de Bororo, de
Nambikwara, habillés, travaillant dans des ateliers mécaniques ou dans les
jardins des postes indigènes.
Ces contrastes suggèrent l’intérêt qu’il y aurait à explorer de façon plus
systématique la comparaison entre les photographies et leur mise en scène
en fonction des contextes nationaux de production et de consommation. Les
photographies s’inscrivent dans des configurations distinctes, qui leur confèrent des significations différentes, en particulier du point de vue des constructions différentes du « Nous » et des « Autres ». On ne peut qu’esquisser
ici cette analyse, en comparant la façon dont, dans les années 1990, deux
anthropologues, un français, l’autre brésilien, ayant eux-mêmes acquis un
statut « mythique », commentent rétrospectivement leur rapport au monde
amérindien, et en la rapprochant de leurs photographies de terrain.
Lévi-Strauss (1994 : 19) évoque le « sentiment de vide et de tristesse »
que lui inspirent ses « vieilles photographies » réalisées au Brésil entre 1935
et 1938, illustrant pour lui le caractère profondément tragique de l’histoire.
Il déplore que la destruction des cultures, sous l’effet de « l’explosion
36 On rencontre dans les collections du SPI des photos par paire, l’une où un groupe d’Indiens est nu,
l’autre où ils sont habillés.
386
vibrant v.9 n.2
benoît de l’estoile
démographique » et du progrès, qui « se dévore lui-même », atteigne
l’Occident lui-même :
Devenue sa propre victime, c’est au tour de la civilisation occidentale de se
sentir menacée. Elle a, dans le passé, détruit d’innombrables cultures dont la
diversité faisait la richesse de l’humanité. Détentrice pour ce qui la concerne
d’une part de cette richesse collective, affaiblie par des dangers venus du dehors et du dedans, elle laisse oublier ou se détruire son héritage qui, autant que
les autres, valait d’être chéri et respecté.
Dans cette vision pessimiste, la condition d’Indien incarne le destin
tragique de l’humanité :
Expropriés de notre culture, dépouillés de valeurs dont nous étions épris — pureté de l’eau et de l’air, grâces de la nature, diversité des espèces animales et
végétales, tous indiens désormais, nous sommes en train de faire de nous-mêmes
ce que nous avons fait d’eux. (ibid., souligné par moi)
Le « Nous » renvoie ici à l’Occident, à la fois extérieur aux Indiens (Eux) et
condamné à subir le même sort, celui d’une dégradation inexorable.
A peu près au même moment (1996), Darcy Ribeiro, revient sur les
séjours qu’il avait effectués chez les Urubu-Kaapor en 1949-1951 en tant
qu’ethnographe de la Section d’études du SPI (Souza Lima, 2000), dans une
tout autre tonalité. Plusieurs photographies représentent Darcy Ribeiro en
étroit contact physique avec les Indiens : c’est le cas d’une photographie de
Berta Ribeiro le montrant les mains sur les épaules de deux Kadiwéu en 1947
(Guran, 2010). Lors du séjour chez les Kaapor, le photographe du SPI Heinz
Foerthmann réalise un cliché étonnant : Koso, nu, portant ceinture et coiffe
de plumes, et Darcy, en chemise et pantalon, la tête ceinte d’un cordon, une
cigarette à la main, ont chacun une main sur l’épaule de l’autre ; Koso semble
en train d’appliquer une peinture sur le visage de Darcy. L’image donne le sentiment d’une proximité décontractée entre les deux. C’est cette image qui fait
la couverture de l’édition brésilienne de Cadernos Indios (Ribeiro, 1996), tandis
qu’elle ouvre le carnet central dans la traduction chez Terre Humaine, portant
la légende « Koso et moi » (Ribeiro, 2002)37. Ces photographies, qui tranchent
37 Il faudrait ici pouvoir comparer la centaine de photographies de l’édition originale avec les 32 qui
ont été retenues pour l’édition française.
benoît de l’estoile
vibrant v.9 n.2
387
fortement avec celles qui mettent en scène l’altérité indienne38, suggèrent une
forme de fraternité entre l’ethnographe et ses hôtes. Pour Ribeiro, les Kaapor
sont en effet les derniers descendants des Tupinamba, et ce sont les ancêtres
du Brésil qu’il est allé chercher chez eux. Dans la préface de Carnets Indiens,
rédigée en 1996, il dessine un « Nous » [Brésiliens], défini comme à la fois les
successeurs (par la conquête) et les « descendants » des Indiens, conformément au mythe de la miscégénation39. Pour Ribeiro, les Brésiliens ont incorporé,
aux divers sens du terme, les Indiens. Ceux-ci représentent donc l’essence du
Brésil, toujours active chez les Brésiliens du XXème siècle :
C’est ainsi que nous continuons d’être indiens par nos corps et par la culture qui
nous éclaire et nous conduit. Mais il est évident que les Indiens qui ont résisté à
l’asservissement sont beaucoup plus indiens. C’est pourquoi j’ai passé tant de
temps avec eux. (2003 : 16)
Ce qu’affirme ici Ribeiro, c’est que la différence avec les Indiens est
moins une question de nature que de degré : c’est une altérité relative, et
non absolue.
Pour Lévi-Strauss, les Indiens représentent l’opposé de la modernité occidentale, et leur disparition tragique (en tant que culture) préfigure celle
de l’humanité tout entière. Pour Ribeiro, ils sont à la fois des ancêtres et des
cousins, voués à disparaître devant la « civilisation ». Dans les deux cas, les
Indiens sont placés dans notre passé.
L’anthropologie n’est donc pas en situation d’extériorité par rapport
à ce mythe. En 1930 déjà, Malinowski avait dans un texte aussi passionnant que méconnu, saisi le rôle essentiel du romantisme dans les vocations d’anthropologue. Malinowski évoquait, sous le titre « La malédiction
38 Dans l’ouvrage, paru dans « Terre Humaine », de Francis Huxley, Aimables sauvages, (traduit et
commenté par Monique Lévi-Strauss), les photographies d’Indiens Kaapor (nommés ici Urubus) prises
au début des années 1950 sont juxtaposées aux gravures reprises des ouvrages de Théodore de Bry ou
André Thévet représentant les Tupinamba du XVIème siècle (en particulier les scènes anthropophages)
ou à une reproduction de tableau d’Albert Eckout. D’autres croquis reprennent des dessins d’Hercule
Florence, qui accompagna dans les années 1820 l’expédition Langsdorff. Une telle juxtaposition fait des
Kaapor des survivants contemporains des Indiens Tupinamba, les inscrivant dans le passé plutôt que
dans le contemporain.
39 « Ce que le métis brésilien typique a de singulier, c’est cette vigueur indigène, tel un nouvel avatar
des Tupinamba à qui nous succédons sur ce qui était leur territoire – que nous nous sommes appropriés »
(2003 : 16).
388
vibrant v.9 n.2
benoît de l’estoile
de la science », le désenchantement que produit le monde moderne, disant voir dans « la course sans but de la mécanisation moderne une menace
pour toutes les vraies valeurs artistiques et spirituelles » . Malinowski (1930)
soulignait que cette perspective romantique marquait, souvent inconsciemment, la façon dont les anthropologues construisaient leur objet, les conduisant souvent à une forme d’aveuglement sur ce qu’ils ne voulaient pas
voir, les amenant à créer des fictions de mondes préservés échappant à une
modernité ; il évoquait ainsi sa propre expérience en Papouasie-Nouvelle
Guinée entre 1914 et 1918:
Un des refuges hors de cette prison mécanique de la culture est l’étude des
formes primitives de la vie humaine, telles qu’elles existent encore dans des
parties lointaines de notre globe. L’anthropologie fut, pour moi au moins,
une évasion romantique loin de notre culture sur-standardisée. Sur les îles
du Pacifique, même si j’étais poursuivi par les produits de la Standard Oil
Company, les magazines, les cotonnades, les histoires de détective à deux
sous, et le moteur à combustion interne sur l’omniprésent bateau à moteur,
je parvenais encore, avec un peu d’effort, à revivre et reconstruire un type
de vie humaine façonné par les outils de l’âge de pierre, empreint de croyances rudimentaires, vivant au grand air au sein d’un vaste espace de nature non contaminée.
Malinowski décrit ainsi un processus d’exclusion des indices de la « modernité » tout à fait comparable au « cadrage » dans la photographie de LéviStrauss. On notera au passage que les photographies que Malinowski insère
en grand nombre dans ses ouvrages (116 dans Coral Gardens !) obéissent à ce
principe de sélection par omission (voir aussi Young, 1999). Malinowski reviendra à plusieurs reprises au cours des années 1930 sur cette attitude caractéristique de l’anthropologie traditionnelle, dénonçant la fiction des cultures
stables et fermées et s’efforçant de faire perdre à l’anthropologie cette fascination pour un monde irrémédiablement perdu dont il s’agirait de recueillir
les vestiges, en lui donnant au contraire pour mission d’étudier le contact des
cultures dans le contexte colonial et « l’indigène en train de se transformer »
(« changing Native ») .
Ce qu’évoque Malinowski représente pour l’anthropologie un élément essentiel. De fait, à la racine de nombre de vocations ethnologiques,
on trouve souvent une forme de nostalgie d’un monde perdu : quitter un
benoît de l’estoile
vibrant v.9 n.2
389
monde étouffant pour retrouver une humanité longtemps miraculeusement
préservée des atteintes de l’Histoire, et désormais menacée de disparition40.
Usages du primitivisme et auto-exotisation
La nécessaire critique intellectuelle de l’essentialisme et du primitivisme,
depuis longtemps entrée dans la panoplie des anthropologues, ne doit cependant pas faire oublier leurs usages sociaux et politiques. Autrement dit,
il faut prendre en compte les intérêts à l’essentialisme primitiviste, tant chez
les anthropologues que chez ceux qu’ils font profession d’étudier. Si ce mythe
perdure, malgré les critiques, c’est en effet parce qu’il a de nombreux usages.
C’est à eux qu’il convient de s’intéresser rapidement.
Pour une part, le recours des anthropologues à une imagerie primitiviste peut s’expliquer par des considérations stratégiques : par contraste avec
les stéréotypes souvent très négatifs colportés dans la période coloniale,
ceux qu’ils avaient étudiés et côtoyés, les anthropologues, pour les présenter
sous une lumière favorable et leur attirer la sympathie du public, ont eu recours à une rhétorique nourrie de versions contemporaines du mythe du
Bon Sauvage. João Pacheco de Oliveira (2000) souligne ainsi les ambiguïtés
de la position des anthropologues quand ils sont appelés par les tribunaux
brésiliens pour jouer le rôle d’experts, afin d’authentifier l’identité indigène
de certains groupes, en particulier dans le cas de revendications foncières .
Ils sont en effet tentés, ne serait ce que par souci d’efficacité, de conformer
leurs rapports d’expertise à la vision stéréotypée des Indiens ; ce faisant,
ils aboutissent cependant à renforcer encore un stéréotype très présent au
Brésil, ce qui contribue aussi à exclure du bénéfice de ces mesures d’autres
groupes indigènes qui ne correspondent pas à ce modèle, par exemple parce
qu’ils ne parlent pas une langue qui diffère du portugais, sinon par quelques
mots spécifiques, ou que leurs croyances religieuses sont celles des autres
Brésiliens des classes populaires, catholicisme rural ou pentecôtisme.
Une telle représentation aujourd’hui mondialement diffusée contribue
en retour à transformer la présentation de soi des groupes autochtones
eux-mêmes. Les représentants des peuples autochtones formulent en effet
40 Est-il nécessaire de le préciser ? Je ne revendique pas de privilège d’immunité face à la tentation de
la nostalgie romantique, qui me semble une composante structurelle de l’impulsion ethnographique, en
particulier pour l’anthropologie dite « exotique ».
390
vibrant v.9 n.2
benoît de l’estoile
leurs revendications dans un langage qui a des chances d’être entendues.
Ils sont souvent conseillés par un certain nombre d’ONG, telles que Survival
International, qui font circuler des modèles de mobilisation et aident à la mise
en place d’organismes de liaison à l’échelle nationale, régionale ou même
mondiale. Se constitue ainsi progressivement une sorte de rhétorique « mondialisée » mêlant revendications foncières, proclamation de fidélité aux traditions, et discours sur la protection de la nature, dans un langage souvent
poétique et empreint de références au sacré. On assiste à l’émergence d’un
argumentaire qui acquiert progressivement une certaine force et peut être
mobilisé sur des terrains extrêmement distants (Gagné, 2008). De façon générale, les revendications foncières ont plus de chance d’être entendues si elles
sont formulées dans le langage du mythe . Nombre de peuples autochtones
jouent la carte des « peuples premiers », qui offrent une stratégie de présentation de soi facilement compréhensible et souvent efficace. Au Brésil, la
mobilisation de plusieurs groupes indigènes contre le barrage de Belo Monte
adopte un langage visuel qui renvoie aux images de « l’Indien » ancrées dans
les représentations collectives, produisant des images fortes, reprises dans la
presse nationale et internationale.
Aussi n’est-il guère étonnant que nombre de leaders indigènes adoptent
ce langage et ces images pour légitimer leurs revendications. De ce point
de vue, l’exposition Yanomami, l’esprit de la forêt, présentée en 2003 à Paris,
représente un cas singulier de jeu sur ce mythe et les images qui lui sont
associées. Sortant complètement des circuits habituellement dévolus à
l’ethnographie ou aux peuples indigènes, elle avait investi un lieu inédit : la
Fondation Cartier pour l’art contemporain41. Le titre était propre à frapper
l’imagination : l’« esprit de la forêt » représente une notion poétique particulièrement attractive pour le public urbain42.
L’exposition à la Fondation Cartier n’était pas ethnographique. On
n’y trouvait ni explications sur la « culture Yanomami », ni même « art
Yanomami », celui-ci n’étant pas particulièrement spectaculaire selon les
canons de l’art occidental. L’anthropologue Bruce Albert, qui travaille avec
les Yanomami depuis 1975, en était le commissaire, avec le directeur de la
41 Organisée par la Fondation Cartier pour l’art contemporain en collaboration avec Survival
International France et l’ONG brésilienne Comissão Pró-Yanomami (CCPY).
42 Il est significatif que cette expression ait déjà donné son titre à l’intervention de Davi Kopenawa au
Sommet de la Terre à Rio de Janeiro, en août 1992 (Kopenawa, 1999).
benoît de l’estoile
vibrant v.9 n.2
391
Fondation Cartier, Hervé Chandès. Il adopta une posture radicale et originale,
disparaissant derrière les artistes. Ce sont d’autres médiateurs qui furent mobilisés ; les Yanomami ont accueilli dans leur maloca de Watoriki des « artistes
en résidence », afin qu’ils deviennent des messagers, des porte-parole.
À leur retour, ils parleront de nous aux gens de leur terre. Ils conteront ce
qu’ils ont vu et entendu dans la forêt. Ils montreront nos images et feront
entendre nos voix.
Les artistes ont été chargés de traduire dans un langage plastique accessible à un public occidental ce qu’ils auront perçu des Yanomami. Ainsi, le
cinéaste Raymond Depardon, qui a tourné à Watoriki Chasseurs et chamans,
mettant en scène les Yanomami dans deux activités « typiques » des « peuples premiers », à la fois en chasseurs au milieu d’une forêt amazonienne
magnifiquement filmée, qui pour le spectateur résonne avec l’imagerie romantique depuis Clarac et Rugendas, et dans leurs activités rituelles de chamanes, dit ainsi avoir « tenu [son] rôle de passeur » ( Albert et Kopenawa :194).
De façon générale, l’exposition donnait une place centrale aux images
des Yanomami : l’affiche et le catalogue reprenaient un très beau portrait en
noir et blanc d’un enfant yanomami, réalisé par Claudia Andujar, qui fut aux
côtés de Bruce Albert parmi les initiateurs de l’ONG Comissão Pró-Yanomami43.
Les photographies de celle-ci, qui a photographié les Yanomami depuis les
années 1970 et a joué un rôle important dans la mobilisation autour d’eux,
notamment lors des invasions de leurs terres par les garimpeiros (Andujar,
1988), étaient un des points forts de l’exposition44. Y figuraient aussi les photographies de corps peints en mouvement dans le monde naturel de Lothar
Baumgarten, les vues du paysage de la maloca et de la montagne de Volkmar
Ziegler (« la maison et la forêt ») proposaient ou encore les photographies
plus tragiques de la section « Découvrir les Blancs », retraçant l’histoire des
relations tragiques entre les Yanomami et les Blancs depuis les premiers
contacts, à travers des photographies de journalistes, de missionnaires ou
d’anthropologues. Outre cette dimension photographique, l’exposition entendait donner accès à certains aspects de l’expérience sensorielle du monde
43 Voir l’exposition virtuelle « Arte com os Yanomami » sur le site de la Comissão Pro-Yanomami
http://www.proyanomami.org.br/v0904/index.asp?pag=htm&url=/arte_c_yano.htm#
44 Sur le contexte des photographies de Claudia Andujar, voir Tacca, 2011.
392
vibrant v.9 n.2
benoît de l’estoile
des Yanomami. Le travail de l’artiste y était explicitement présenté comme
analogue à celui du chamane : il s’agissait d’établir une médiation, non avec
les esprits, mais avec un monde lointain. De fait, la force des images, de certaines installations, ou l’enregistrement de l’environnement sonore de la vie
quotidienne, parvenaient à évoquer les Yanomami, de même que les chamanes évoquent le monde des esprits.
Une telle exposition visait explicitement, par des moyens esthétiques, un
objectif proprement politique : faire exister les Yanomami sur la scène internationale. Pour le leader Davi Kopenawa, l’exposition était un moyen de nouer
de nouvelles alliances, pour renverser un rapport de forces défavorable :
Les Blancs autour de notre terre sont hostiles. Ils ne savent rien de nous et ne
demandent jamais comment vivaient nos anciens. Ils ne pensent qu’à occuper
notre forêt avec leur bétail et à détruire nos rivières pour y chercher de l’or. […]
Lorsque les gens de loin nous connaissent et parlent de nous, les gens de près
hésitent à nous détruire (Albert et Kopenawa, 2003 :17).
Pour les Yanomami, la notoriété est en effet vitale. C’est essentiellement pour protéger les Yanomami, alors victimes de la politique expansionniste de l’État militaire brésilien, symbolisée par l’ouverture de la
Transamazonienne, qu’a été créée dans les années 1960 l’association Survival
International, dont la branche française était associée à l’exposition. Les
Yanomami sont ainsi devenus un symbole des « peuples indigènes 45 ». La
pression internationale, relayée notamment par les anthropologues, a été
déterminante pour amener en 1992 le gouvernement brésilien à démarquer
un Territoire indigène Yanomami, en principe garanti, même s’il est régulièrement envahi par des chercheurs d’or .
Un des enjeux de ces images était aussi de répondre à d’autres images,
et, spécifiquement, de contrecarrer l’image belliqueuse des Yanomami,
notamment colportée par les ouvrages et interventions de l’anthropologue
nord-américain Napoléon Chagnon, en particulier à travers le film The
Ax fight, dont la circulation fut considérable, notamment dans les cours
d’introduction à l’anthropologie dans les Colleges aux Etats-Unis (Asch,
45 . C’est précisément du fait de leur statut de symbole que le livre de Tierney (2000), qui dénonçait les
malversations attribuées aux anthropologues chez les Yanomami, a eu un tel impact dans la communauté
anthropologique nord-américaine.
benoît de l’estoile
vibrant v.9 n.2
393
Chagnon, 1975)46. Là encore, ces images produites par des anthropologues
ont circulé bien au-delà de la discipline. Ainsi, The Ax fight a récemment
été présenté sur un écran, dans le cadre de l’exposition d’art contemporain
Triennale Intense proximité, à Paris (été 2012), coordonnée par l’artiste Okwui
Enzewor, tout comme l’« œuvre » d’un vidéaste ou la vidéo d’une « performance ». Présentées à des visiteurs non avertis de toutes les discussions autour du film, des images d’Indiens dénudés hurlant des insultes les uns sur les
autres et se battant ne pouvaient que renforcer le stéréotype de « sauvages ».
Si l’exposition Yanomami, l’esprit de la forêt laissait le terrain aux artistes, le catalogue en était cosigné par l’ethnologue Bruce Albert et le
leader indigène Davi Kopenawa, affirmant ainsi une volonté de partenariat
égalitaire47. Une telle pratique, novatrice dans le contexte français, dessine
peut-être une des voies futures pour le partenariat entre exposants et exposés. Davi Kopenawa apparaît fortement impliqué dans la présentation de sa
« culture » à l’intention d’un public occidental, comme cela s’est confirmé
par la suite48. Sa trajectoire permet de comprendre cette stratégie : il fut
d’abord au début des années 1970 interprète pour la FUNAI49. Après cet apprentissage du rôle de médiateur entre son groupe et le monde extérieur, il
se réappropria des formes traditionnelles, faisant notamment auprès de son
beau-père l’apprentissage des techniques chamaniques. La maîtrise conjuguée de ces deux langages, celui des Blancs et celui du chamanisme, lui assure un statut de leader, localement, mais aussi en tant que porte-parole des
Yanomami, tant au Brésil qu’internationalement. Il a ainsi voyagé dans plusieurs pays occidentaux, notamment en France, dans le cadre du mouvement
de défense des terres Yanomami50. Ce n’est pas le lieu de rentrer dans une analyse du jeu politique yanomami, mais tout laisse penser que, en renforçant
sa capacité de médiation avec l’extérieur, une telle exposition a contribué
46 Le film a été réalisé dans des groupes Yanomamö au Venezuela.
47
.
Sur les nouvelles responsabilités de l’anthropologue comme médiateur, voir Albert, 1997.
48 Ce partenariat s’est plus récemment exprimé sous la forme d’un récit co-produit (Kopenawa e Albert,
2010), construit comme un discours présentant l’univers Yanomami à l’intention des Blancs autour d’un
récit autobiographique.
49 La FUNAI succéda en 1967 au SPI.
50 . Il a ainsi reçu en 1988 le prix Global 500 du Programme des Nations unies pour l’environnement. Aux
côtés des photographies des Yanomami dans leur village, La chute du ciel comporte un nombre important
de photographies montrant Davi dans ses activités de porte-parole, dans les institutions brésiliennes ou
voyageant à l’étranger.
394
vibrant v.9 n.2
benoît de l’estoile
également à augmenter son prestige et son capital politique. Davi Yanomami
est de fait devenu le président d’une association qui regroupe une majorité de
Yanomami brésiliens, l’association Hutukara.
Ainsi, les Yanomami « se servent » des artistes pour atteindre un nouveau public, autant que ceux-ci « se servent » des Yanomami comme « matériau » pour leur activité artistique. Yanomami, l’esprit de la forêt joue sur les
mythes de l’Occident moderne, l’art, la forêt vierge et les peuples premiers, le
chamanisme (Losonczy et Cappo, 2010), pour « porter au loin » les revendications Yanomami51. Ces Yanomami ont clairement accepté, de « donner leur
image » aux photographes, parfois de poser pour eux. On pourrait évoquer
ici un « pacte photographique », en s’inspirant de la notion de « pacte ethnographique » proposée par Bruce Albert. Celui-ci suggère que l’ethnographe,
accueilli par ses hôtes, se voit progressivement « rééduqué à titre de « truchement » au service de leur cause » (Kopenawa et Albert, 2010 : 571). Ses interlocuteurs acceptent une forme « d’auto-objectivation au travers du prisme de
l’observation ethnographique sous une forme qui leur permette d’acquérir à
la fois reconnaissance et droit de cité dans le monde opaque et virulent qui
s’efforce de les assujettir ». Acquérir une « visibilité » implique peut-être
d’adopter des codes visuels qui permettent d’être reconnus comme « Indiens ».
Un tel parti ne va pas sans risque de malentendu. La présentation dans
l’exposition de rituels chamaniques sans traduction ou commentaire explicatif peut ainsi renforcer une impression d’incommunicabilité. Plus généralement, la beauté même des images, portraits en noir et blanc ou film aux
vives couleurs, traduisant la fascination des artistes pour la plastique des
corps et l’univers Yanomami, risquait de renforcer les stéréotypes des visiteurs sur les Indiens vivant en harmonie avec la forêt amazonienne. Le prix à
payer par les Yanomami pour garantir leur territoire serait-il de jouer le rôle
des « sauvages romantiques », des « peuples premiers », afin de satisfaire la
nostalgie des classes moyennes urbaines pour une innocence perdue ? Les
Yanomami seraient-ils contraints, pour obtenir un certain « droit à la parole », de céder leur « droit à l’image » aux artistes et aux spectateurs occidentaux ? Il s’agit ici de se couler dans une forme préexistante, d’endosser un rôle
dans un répertoire. Les Yanomami (ou tout au moins ce groupe) semblent
51 Les Yanomami sont par la suite devenus des partenaires durables de la Fondation Cartier. Ainsi,
l’exposition Histoires de voir, en 2012 présentait entre autres œuvres des dessins Yanomami.
benoît de l’estoile
vibrant v.9 n.2
395
avoir choisis la stratégie d’une esthétisation de l’altérité, d’une auto-exotisation, qui s’est révélée politiquement efficace.
Cette expérience n’est pas pour autant généralisable. L’exposition
Yanomami, o espírito da floresta a été présentée en 2004 au Centro Cultural Banco
do Brasil, à Rio de Janeiro. Pourtant, il semble que l’exposition n’ait pas eu le
même impact que celle de Paris, en particulier n’ayant qu’un écho limité dans
les média, et ne parvenant pas à gagner l’attention des mondes de l’art contemporain52. Serait-ce parce qu’à Rio de Janeiro « l’esprit de la forêt » n’a pas
le même attrait qu’à Paris ? Ce contraste suggère l’intérêt qu’il y aurait à analyser la façon dont les « mêmes représentations » sont reçues dans des contextes nationaux et institutionnels différents.
Le risque de ce qu’on pourrait appeler une « stratégie de la romanticisation », passant par une auto-exotisation, est cependant que cet appui se dissipe
si les groupes indigènes cessent de se conformer à cette image idyllique qu’ils
projettent. Dans les années 1980, les Kayapo du Brésil central devinrent un des
symboles mondiaux de la défense de la forêt amazonienne (Turner, 1999). Le
chanteur pop Sting était ainsi devenu un temps le relais du leader Kayapo Raoni
Metuktire, lui faisant rencontrer des chefs d’État et lui donnant une grande
visibilité médiatique. Sting fonda la Rainforest Foundation en 1989, avec le souhait de protéger les forêts tropicales et les peuples qui les habitent. Les Kayapo
furent alors présentés comme possédant une véritable « science » de la gestion
écologique de la forêt. C’est largement suite au succès de cette mobilisation internationale que les Kayapo ont obtenu en 1993 du gouvernement brésilien la
délimitation de leurs terres. Cependant, le soutien des organisations de défense
de la nature s’est effondré lorsqu’on découvrit que plusieurs leaders Kayapo
avaient négocié avec de grandes entreprises pour l’exploitation de bois précieux
et de minerai, suggérant qu’un « bon Indien » devait nécessairement agir conformément aux représentations essentialistes et romantiques et non à ce qu’il
considère comme son intérêt dans une situation donnée.
Ainsi, on voit circuler des thèmes, des métaphores, des images, des formulations dans des espaces différents : entre les représentations populaires
de l’altérité, les travaux des anthropologues, les textes de l’Unesco ou de
l’ONU, les revendications des autochtones.
52 D’après mes conversations avec des responsables de musées ou artistes du milieu de l’art
contemporain carioca.
396
vibrant v.9 n.2
benoît de l’estoile
Conclusion
L’anthropologie, et au premier chef l’anthropologie visuelle, se trouve
aujourd’hui confrontée à un mythe qui lui préexiste, mais qu’elle a contribué
à renforcer. Alors que la mission qu’elle se donne est de produire des connaissances sur la diversité des façons d’être au monde, elle doit aussi faire face à
une attente qui, pour être implicite, ne s’en impose pas moins avec force : alimenter le mythe romantique de l’Autre. Ce que j’ai appelé ici le « mythe des
peuples premiers » constitue donc un double défi pour les anthropologues,
en tant qu’objet d’analyse, et en tant qu’élément constitutif de leur discipline
et de sa perception publique. Il faut insister sur le caractère polymorphe de
ce mythe, susceptible de prendre des formes très différentes. Il possède un
versant écologiste et un versant New Age, un versant altermondialiste et un
versant néo-conservateur. Il constitue au total un horizon largement partagé,
qui structure une modalité privilégiée d’imagination de l’altérité dans le
monde contemporain, et prédéfinit une partie des formes d’action possibles.
Après s’être longtemps nourris de ce mythe (auquel adhéraient, au moins
partiellement, nombre d’entre eux), nombre d’anthropologues se sentent
aujourd’hui prisonniers de ces images.
Prendre au sérieux les mythes fait partie des tâches traditionnelles que
s’assigne l’anthropologie. Prendre pour objet les mythes contemporains est
un impératif. Une telle réflexivité n’est pas de la complaisance nombriliste,
mais une condition de possibilité de la connaissance anthropologique, dans
la mesure où elle est par définition fondée sur la relation et l’interlocution.
L’anthropologie se trouve dans une relation ambiguë à l’égard de ce mythe,
dans la mesure où elle s’est construite à la fois à partir de lui et contre lui.
S’ils sourient des versions les plus caricaturales et des confusions parfois
faites par les passionnés des « peuples premiers », les anthropologues contribuent aussi à donner une caution savante à ce mythe, dans la mesure où
une partie de leurs publications, de leurs interventions dans le débat public, des images qu’ils utilisent, renforcent cette vision essentialiste de peuples hors de l’histoire. Il y a en effet des profits symboliques et matériels à
maintenir cette image d’une discipline vouée à scruter l’altérité au sein de
peuples échappant pour quelque temps encore à l’Histoire. La relecture critique, menée depuis longtemps déjà au sein de la discipline, reste souvent
inaudible à l’extérieur de celle-ci. La déconstruction historique et critique de
notions essentialistes qui ont naguère joué un grand rôle dans la discipline
benoît de l’estoile
vibrant v.9 n.2
397
anthropologique, comme celle d’ethnie, de culture, ou d’identité, reste largement sans traduction pratique, du fait même que l’essentialisme est souvent
une condition de l’efficacité politique ou juridique. Pour comprendre le paradoxe apparent que constitue l’écart entre la subtilité avec laquelle les anthropologues ont questionné le primitivisme, et le maintien des stéréotypes sur
les « Indiens » comme peuples de la nature proches des origines du monde,
il faut notamment prendre en compte les effets du privilège donné aux images les plus « efficaces », d’un point de vue esthétique, mais aussi politique,
favorisant celles qui répondent aux attentes essentialistes. La plasticité du
mythe des peuples premiers le rend mobilisable pour des usages divers, voire
contradictoires, depuis la quête spirituelle jusqu’à la mobilisation politique,
en passant par les discours savants ou les créations artistiques. Le répertoire
symbolique et rhétorique associé au mythe permet de mettre en commun des
expériences historiques fort distantes. Ce mythe possède aujourd’hui une
grande force dans le monde occidental, mais aussi au-delà. Il colore la présentation de soi par les représentants de divers groupes qui se revendiquent
comme « peuples autochtones ». S’il peut aujourd›hui être mobilisé à l’appui
des revendications politiques de certains groupes, il risque de conduire, pour
d’autres, à un enfermement dans une altérité figée, qui les prive de la capacité
d’être reconnus comme les acteurs d’une histoire partagée. Est-il nécessaire,
pour que ceux qu’on appelle désormais « peuples autochtones » puissent être
entendus, de jouer des mythes de l’Occident, et de pratiquer « l’auto-exotisation » en se conformant à l’image romantique de « peuple de la nature » ?
Faut-il au contraire tenter de rompre avec l’imagerie primitiviste ? Ce n’est,
bien entendu, pas aux anthropologues, mais bien aux intéressés eux-mêmes,
d’évaluer ce qu’ils pensent être la meilleure stratégie en fonction des situations spécifiques où ils se trouvent et des contraintes qu’ils affrontent.
Cependant, les musées comme les anthropologues doivent au minimum être
conscients du caractère problématique du jeu avec ces stéréotypes exotiques,
et s’efforcer de faire en sorte qu’ils ne recouvrent pas la diversité des voix des
premiers intéressés.
Ainsi, tout projet visant à proposer une représentation des peuples indigènes correspondant davantage aux façons dont ceux-ci se représentent
leur histoire et leur situation, doit nécessairement se confronter avec le
mythe des peuples premiers, dans la mesure où celui-ci structure, de façon
souvent inconsciente, à la fois les attentes des visiteurs, des journalistes, des
398
vibrant v.9 n.2
benoît de l’estoile
étudiants, mais aussi les traditions de représentation en photographie, au
cinéma, en littérature, et les discours savants. Les efforts des anthropologues
pour présenter dans toute leur complexité la richesse des groupes qu’ils étudient sont largement inefficaces devant la force du mythe. En effet, comme
on l’a vu, seuls sont retenus les éléments susceptibles de le confirmer. Il y a
comme une espèce de schizophrénie de l’anthropologie, écartelée entre d’un
côté une dénonciation rituelle de l’essentialisme et du primitivisme, et de
l’autre la reproduction d’images qui s’inscrivent dans la tradition primitiviste. Souvent, on note un décalage entre des textes, souvent complexes, et des
images qui, parfois sans que leurs auteurs ne le souhaitent, sont lues à la lumière du mythe des « peuples premiers », aboutissant ainsi à le renforcer.
La volonté d’historiciser le « regard sur l’autre » (Le Fur, 2006) reste insuffisante. Dans le mouvement même par lequel elle prétend analyser et réduire
l’altérité, elle l’institue en pétition de principe et la réaffirme comme fondamentale. En réalité, il faut interroger l’idée même de « regard sur les autres »,
car elle semble présupposer que seul notre regard change sur des « Autres »
qui restent immuables. Elle est donc asymétrique, supposant un spectateur
actif et un objet passif. Surtout, réduire les relations historiques à un simple
« jeu de regards » est beaucoup trop réducteur. Les photographies adoptant
les conventions visuelles des « peuples premiers » tendent souvent à masquer
ce qui constitue pourtant la condition même de leur possibilité, à savoir la relation entre le monde du photographe et ceux qu’il représente, et en particulier à effacer les signes de présence de l’Etat.
Le mythe des peuples premiers, dernier avatar d’un ensemble de notions
ancrées dans la civilisation occidentale (Bon sauvage, primitifs, peuples
de la nature, etc), attribue une essence commune (variable selon les cas) à
des groupes humains extrêmement divers. Il apparaît comme une formulation, sous forme mythique, d’une expérience historique singulière : la relation d’appropriation et de domination établie par l’Occident à l’égard de ces
groupes, et plus spécifiquement par des appareils étatiques, que ceux-ci
soient impériaux ou nationaux. Autrement dit, ce qui définit éventuellement
un caractère commun, ce n’est pas une essence (comme le sens du sacré, ou la
relation à la nature) mais une relation inscrite dans l’histoire. Cette histoire,
qui s’est faite pour une part au moins hors de nous, n’est accessible pour nous
que du fait de l’interdépendance qui s’est construite au cours du temps. Par
définition, si nous pouvons avoir accès à des mondes lointains, c’est à la suite
benoît de l’estoile
vibrant v.9 n.2
399
de ces relations tissées dans l’histoire. Pour échapper aux fantômes des « sauvages romantiques », il est nécessaire d’assumer cette histoire complexe et
de la placer au centre du musée, en partant des relations, que ce musée (ou
exposition) soit conçu à partir d’un point de vue qui se veut « indigène » ou à
partir d’un point de vue « national » ou « occidental ».
Principales expositions évoquées dans
le texte (par ordre chronologique)
Indiens du Mato-Grosso (mission Claude et Dina Lévi-Strauss). Galerie de la
Gazette des Beaux-Arts et de Beaux-Arts, Paris, 21 janvier-3 février 1937.
Retrato Brasileiro dos Tristes Trópicos, Museu Nacional (UFRJ), Rio de Janeiro,
juillet-août 1999.
O olhar distante/ The distant view, Mostra do redescobrimento, Fundacão Bienal
de São Paulo, São Paulo, avril-septembre 2000.
Regards sur les Indiens d’Amazonie : photographies d’Henri Ballot. Du 15 novembre
2000 au 15 janvier 2001 au Musée de l’Homme, Paris, à l’occasion des
commémorations du cinquième centenaire de la Découverte du Brésil.
L’Art de la plume en Amazonie. Mona Bismarck Foundation, Paris, janvier à
mars 2002.
Yanomami, l´esprit de la forêt, Fondation Cartier pour l’art contemporain,
Paris, mai-octobre 2003. http://fondation.cartier.com/#/fr/artcontemporain/26/expositions/294/toutes-les-expositions/606/yanomamil-esprit-de-la-foret/
Yanomami, o espírito da floresta, Centro Cultural Banco do Brasil, Rio de
Janeiro, 2004.
Terre Humaine. Cinquante ans d’une collection. Bibliothèque nationale de France,
février-avril 2005.
Brésil indien. Les arts des Amérindiens du Brésil. Galeries nationales du Grand
Palais 23 mars-27 juin 2005. http://rmn.fr/francais/les-musees-et-leursexpositions/grand-palais-galeries-nationales-9/expositions/Bresil-indien
« Plateau des collections », exposition permanente, musée du quai Branly,
Paris, ouverte en juin 2006.
D’un regard l’Autre. Une histoire des regards européens sur l’Afrique, l’Amérique et
l’Océanie. Musée du quai Branly, Paris, septembre 2006 - janvier 2007.
Indios : Os Primeiros Brasileiros, Museu da Cidade, Recife, décembre
400
vibrant v.9 n.2
benoît de l’estoile
2006-février 2007. Museu Nacional, Rio de Janeiro, Septembre-novembre
2009.
Indiens du haut Xingu, Ambassade du Brésil, Paris, 2007 (Photoquai, Biennale des
images du monde).
Museu do Índio do Pará, Belem, (visité en août 2010).
Primeiros Contatos – Atrações e Pacificações do SPI, Museu do Indio, Rio de
Janeiro, octobre-novembre 2010.
Expedição Langsdorff, Centro Cultural Banco do Brasil, Rio de Janeiro, aoûtseptembre 2010.
O Olhar Precioso de Darcy Ribeiro. Caixa Cultural, Rio de Janeiro, novembredécembre 2010.
Triennale. Intense Proximité, palais de Tokyo, Paris, du 20 avril au 26 août
2012. http://www.palaisdetokyo.com/fr/expositions/la-triennale-intenseproximite
Bibliographie
AGUILAR, Nelson. 2000 (dir.). O olhar distante: a paisagem brasileira vista pelos
grandes artistas estrangeiros : 1637-1998, Mostra do redescobrimento. São
Paulo: Fundacão Bienal de São Paulo/ Associacão Brasil 500 Anos Artes
Visuais.
ALBERT, Bruce. 1997. « Situation ethnographique et mouvements ethniques :
réflexions sur le terrain post malinowskien». In : M. Agier (dir.),
Anthropologues en dangers. Paris, Jean-Michel Place. 75-88
ALBERT, Bruce ; KOPENAWA, Davi. 2003. Yanomami, l´esprit de la forêt. Paris,
Fondation Cartier pour l’Art Contemporain.
L’art de la plume en Amazonie. 2001. Paris: Somogy Éditions d’Art et Mona
Bismarck Foundation.
ANDUJAR, Claudia. 1988. Genocídio do Yanomami: morte do Brasil. São Paulo:
Comissão pela Criação do Parque Yanomami.
ASCH, Timothy; CHAGNON, Napoleon. 1975. The ax Fight, film.
BAZIN, Jean, 1979. «Le bal des sauvages». In : J.-L. Amselle (ed.), Le sauvage à la
mode. Paris, Le Sycomore,: 179-218.
BELLUZZO, Ana Maria de Moraes. 2000 [1994]. O Brasil dos viajantes. São
Paulo, Metalivros/ Objetiva.
BISILLIAT, Maureen; VILLAS BOAS, Orlando; VILLAS BOAS, Claudio. 1979.
benoît de l’estoile
vibrant v.9 n.2
401
Xingu: território tribal. Sao Paulo: Cultura Editores.
FUNAI. 2006. “O primeiro homem”, Brasil Indígena, 1:24-31.
BENZI GRUPIONI, Luiz Donizete. 2005. Brésil indien. Les arts des amérindiens du
Brésil. Paris : RMN.
BURGOS, Elizabeth. 2005. «Brésil indien ou exportation d’exotisme? «. Nuevo
mundo mundos nuevos. Disponível em : http://nuevomundo.revues.
org/1106. consulté le 20/09/2012.
CASTRO FARIA, Luiz de. 2001. Um outro olhar. Diário da expedição à Serra do
Norte. Rio de Janeiro, Ouro sobre Azul.
CAVIGNAC, Julie A. “L’Américanisme français au début du XXème
siècle: Projets politiques, muséologie et terrains brésiliens” in: Vibrant
– Virtual Brazilian Anthropology, v. 9, n. 1. January to June 2012. Brasília,
ABA. Available at http://www.vibrant.org.br/issues/v9n1/julie-acavignac-lamericanisme-francais-au-debut-du-xxeme-siecle/, consulté le
20/11/2012.
CHIRAC, Jacques. 2001. Allocution à la 31e session de la Conférence générale de
l’UNESCO. Ms.
CHIRAC, Jacques. 2004. «Préface du président de la République «. Terre Humaine,
cinquante ans d’une collection, Paris, Bibliothèque Nationale de France p.7.
DANIEL, Jean. 2003 (dir.). Lévi-Strauss et la pensée sauvage. À la rencontre des
aborigènes, des Bamiléké, des Navajo, des Quechua, des Otomi. Le Nouvel
Observateur, hors-série, 51 : 99 pages
DESCOLA, Philippe. 1999. «Diversité biologique, diversité culturelle». In: Nature
sauvage,nature sauvée ? Ecologie et peuples autochtones. Ethnies, 13[2425]:213-235.
DE L’ESTOILE, Benoît. 2003. «O arquivo total da humanidade: utopia
enciclopédica e divisão do trabalho na etnologia francesa dos anos trinta”.
Horizontes Antropológicos, 20:265-302. Disponível em : http://www.scielo.
br/scielo.php?pid=S0104-71832003000200014&script=sci_arttext ___.
2007. Le goût des Autres. De l’exposition coloniale aux arts premiers. Paris :
Flammarion.
DE L’ESTOILE, Benoît. 2005. “Au-delà des clichés: la vie sociale des photographies
anthropologiques”. Revue d’Histoire des Sciences Humaines, 2005/1: 193-204.
DIMITROV, Eduardo ; VOLPE, Maíra Muhringer. 2011. «Da janela vê-se um
Brasil: comentários a respeito de cinco exposições do Europalia». Proa - Revista
de Antropologia e Arte, 1(3). Disponível em: http://www.revistaproa.com.
402
vibrant v.9 n.2
benoît de l’estoile
br/03/?page_id=32. Acesso em: 22/10/2012.
EDWARDS, Elizabeth, 2001. Raw histories. Photographs, anthropology and
museums. Oxford/ New York: Berg Publishers.
FAUSTO, Carlos. 2011. «Le masque de l’animiste. Chimères et poupées russes en
Amérique indigène». Gradhiva, 13: 48-67.
FREIRE, Carlos Augusto da Rocha ; GURAN, Milton. 2010. Primeiros contatos –
atrações e pacificações do SPI. Rio de Janeiro: Museu do Indio- FUNAI.
FREIRE, Carlos Augusto da Rocha. 2011. Memória do SPI. Textos, imagen, e
documentos sobre o Serviço de Proteção aos Indios, 1910-1967. Rio de Janeiro:
Museu do Indio- FUNAI.
GAGNE, Natacha. 2008. «Indigenous peoples, a category in development». In:
P. Haslam ; J. Schafer et P. Beaudet (éds.), Introduction to international
development studies: approaches, actors, and issues. Oxford: University of
Oxford Press. pp. 425-443.
GURAN, Milton. 2010. O olhar precioso de Darcy Ribeiro. Rio de Janeiro : Caixa
Cultural.
HATTENSTONE, Simon. 2006. «The peaceful warriors», The Guardian, 11
February 2006.
KOPENAWA, Davi; ALBERT Bruce. 2010. La chute du ciel. Paroles d’un chaman
yanomami. Paris : Plon. Coll. « Terre Humaine ».
KOPENAWA, Davi. 1999. «L’esprit de la forêt». Ethnies, 13(24-25): 19-21
KROEBER, Theodora. 1968. Ishi, testament du dernier indien sauvage de
l’Amérique du Nord. Paris : Plon. Coll. « Terre Humaine ».
HUXLEY, Francis. 1962. Aimables sauvages. Paris : Plon. Coll. « Terre
Humaine ».
LE FUR, Yves. 2006a. D’un regard l’autre. Une histoire des regards européens sur
l’Afrique, l’Amérique et l’Océanie. Paris: Musée du Quai Branly RMN.
LE FUR, Yves. 2006b. D’un regard l’autre. Photographies, XIXe siècle. Paris: Musée
du Quai Branly-Actes Sud.
LEVI-STRAUSS, Claude ; LEVI-STRAUSS, Dinah. 1988. Indiens du Mato-Grosso
(mission Claude et Dina Lévi-Strauss). Guide-catalogue de l’exposition organisée
à la Galerie de la Gazette des Beaux-Arts et de Beaux-Arts, 21 janvier-3 février
1937. Republié dans Bulletin du Musée d’Ethnographie du Trocadéro, Paris :
Jean Michel Place.
LEVI-STRAUSS, Claude. 1937. «La première exposition du Musée de l’Homme
ouvre aujourd’hui à la Galerie des Beaux-Arts», Beaux-Arts. Chronique des Arts
benoît de l’estoile
vibrant v.9 n.2
403
et de la Curiosité, 22 janvier 1937.
LEVI-STRAUSS, Claude. 1954. Tristes tropiques. Paris : Plon. Coll. « Terre
Humaine ».
LEVI-STRAUSS, Claude. 1994. Saudades do Brasil, Paris: Plon. Édition
brésilienne : São Paulo, Companhia das Letras, 1994).
LOSONCZY, Anne-Marie; MESTURINI CAPPO, Silvia. 2010. «Entre l’‘Occidental’
et l’‘Indien’. Ethnographie des routes du chamanisme ayahuasquero entre
Europe et Amériques», Autrepart, 4 (56) : 93-110.
MALAURIE, Jean. 1954. Les derniers rois de Thulé. Paris : Plon. Coll. « Terre
Humaine ».
MALAURIE, Jean. 1999. «Comment préserver la diversité créatrice ? La leçon des
peuples premiers». Le Monde diplomatique, avril 1999.
MALAURIE, Jean. 2005. Terre humaine. Cinquante ans d’une collection. Entretien
avec Jean Malaurie. Paris, Bibliothèque Nationale de France.
MALINOWSKI, Bronislaw. 1930. “The rationalization of anthropology and
administration. Africa, 3: 405-430.
MENEZES, Maria Lúcia Pires de. 1999. Parque indígena do Xingu. A construção de
um território estatal. São Paulo: Imesp–Unicamp.
MENGET, Patrick. 2000. Regards sur les indiens d’Amazonie. Photographies d’Henri
Ballot. Paris,Musée de l’Homme.
NOUVEL, Jean. 1996. «Présence-absence ou la dématérialisation sélective». Lettre
d’intention pour le concours international d’architecture. Ms.
OLIVEIRA, João Pacheco de. 2000. «Sur l’expertise ethnologique: territoires
et identités indigènes au Brésil». In: B. de L’Estoile, F. Neiburg, L. Sigaud
(dirs.), Anthropologies, états, populations. Revue de Synthèse, 3/4: 411-436.
OLIVEIRA, João Pacheco de. 2007. Indios: os primeiros brasileiros. São Paulo,
SESCP.
PIVIN, Jean-Louis. 2007. Photoquai, biennale des images du monde. Paris Éditions
Nicolas Chaudun.
PRICE, Sally, 2011. Au musée des illusions, Paris, Denoël.
RIBEIRO, Darcy. 1996. Cadernos indios. Rio de Janeiro: Companhia das Letras.
RIBEIRO, Darcy. 2002. Carnets indiens. Avec les indiens Urubus-Kaapor, Brésil.
Paris, Plon. Coll. « Terre Humaine ».
RIVRON, Vassili. 2003. «Un point de vue indigène ? «. L’Homme, 1(165): 301-307.
RONDON, Cândido M. 1944-1953. Indios do Brasil. 3 volumes. Rio de Janeiro:
Imprensa Nacional.
404
vibrant v.9 n.2
benoît de l’estoile
SOUZA LIMA, Antonio Carlos. 1995. Um grande cerco de paz: poder tutelar,
indianidade e formação do Estado no Brasil. Petrópolis: Vozes.
SOUZA LIMA, Antonio Carlos. 2000. «L’indigénisme au Brésil migration et
réappropriations d’un savoir administratif». In : B. de L’Estoile, F. Neiburg, L.
Sigaud (dirs.), Anthropologies, états, populations. Revue de Synthèse, 3/4
:381-410.
TIERNEY, Patrick. 2000. Darkness in Eldorado: how scientists and journalists
devastated the Amazon. New York, NY: W.W. Norton and Co.
TACCA, Fernando de. 2011. «O índio na fotografia brasileira: incursões sobre a
imagem e o meio». Hist. Cienc. Saúde-Manguinhos, 18(1) : 191-223.
TURNER, Terence. 1999. «La lutte pour les ressources de la forêt en Amazonie: le
cas des indiens Kayapo du Brésil». Nature sauvage,nature sauvée ? Écologie
et peuples autochtones. Ethnies, 13(24-25) : 115-147.
VIVEIROS DE CASTRO, Eduardo. 2000 [1978]. «Le parc des symboles. Quelques
paradoxes de l’identité de l’Indien du Xingu». In : Menget (ed.), Regards
sur les indiens d’Amazonie. Paris, musée de l’Homme, pp. 14-19.
YOUNG, Michael. 1999. Malinowski’s kiriwina. Fieldwork photography. 19151918. Chicago: The University of Chicago Press.
Présentation de l’auteur
Benoît de L’Estoile, directeur de recherche au CNRS (IRIS, Paris), a été en 20102011 Professor visitante au Programa de Pos-Graduação em Antropologia Social
du Museu Nacional, Université Fédérale de Rio de Janeiro. Il a notamment
publié Le goût des Autres. De l’Exposition coloniale aux Arts premiers (Flammarion,
2007), réédité en 2010 en poche (Champs Essais). Il a notamment publié
Antropologia em impérios e estados nacionais, (avec Federico Neiburg et Lygia
Sigaud), Relume-Dumara, Rio de Janeiro, 2003 ; Empires, Nations and Natives :
Anthropology and State-making (avec Federico Neiburg et Lygia Sigaud), Duke
University Press, 2005 ; Ocupações de Terra e transformações sociais, (avec Lygia
Sigaud org.), 2006, FGV Editora, Rio de Janeiro.
Email : estoileb@ens.fr
Article reçu le 30 avril, 2012. Approuvé le 30 juin, 2012.
benoît de l’estoile
vibrant v.9 n.2
405