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Charisme

Introduction La place des charismes et des ministères dans la vie et la mission de l'Eglise demeure une question récurrente à laquelle chaque période et chaque courant théologique sont efforcés de répondre. Mais nous devons savoir que l'histoire a une valeur heuristique (sciences des règles de la recherche scientifique et de la découverte ou encore sciences qui aide scientifiquement à la découverte des faits) désormais bien reconnue en ecclésiologie. Mais cela dit, il ne s'agit pas, en l'occurrence, d'identifier les modèles qui ont prévalu aux différentes époques en vue de les reproduire: une application des fonctionnements du passé à une situation radicalement nouvelle serait totalement anachronique. De plus et surtout, elle traduirait non seulement une attitude de paresse intellectuelle et spirituelle, mais bien plus un manque de foi en l'action de l'Esprit dans le monde de ce temps alors que «l'Esprit souffle où il veut», mais c'est toujours dans la créativité que se manifeste sa présence. «Lorsque la théologie prend en compte le déroulement de l'histoire, et elle doit le faire, c'est pour affronter un présent toujours neuf avec la richesse de la mémoire». Réunies en ce lieu pour vivre quelques jours de session ensemble, l'objectif de ces diverses rencontres est de nous entraider à entendre les questions de Jésus: «Que cherchez-vous?» (Jn 2, 38), «Et vous, qui dites vous que je suis?» (Lc 9, 20); lui poser aussi la vraie question à l'instar des premiers disciples: «Rabbi, ce qui signifie Maître, où demeures-tu?» (Jn 2, 38); à nous poser de vraies questions et à entrevoir des pistes de solutions possibles. Je vous invite à rejoindre ce groupe des premiers disciples dans l'Evangile de saint Jean. Avec eux, répondre à l'invitation de Jésus: «venez et vous verrez». Nous allons, à travers nos réflexions et nos échanges, nous provoquer à un processus de conversion. Pourquoi cette session ne serait-elle pas l'occasion de rajeunir notre vocabulaire, de faire un peu le point sur notre qualité de vie, sur notre témoignage, bref sur notre identité de femme consacrée aujourd'hui? La vie consacrée est devenue ces derniers années un espace trop agitée autant de l'intérieur que de l'extérieur! Il y a un besoin urgent de paix, de calme, de joie profonde de notre vocation. Loin de nous plonger dans une certaine animosité, cette session se veut porteuse d'un message d'espérance car avec le Christ, rien n'est perdu. Que cette rencontre en inter-congrégations soit source d'enrichissement mutuel, de dynamisme, de nouvel élan missionnaire et nous donne de repartir sur de nouvelles bases. Mais pour arriver à atteindre cet objectif, chacune doit mettre la main à la pate et apporter sa pierre aussi petite soit-elle. Ce qui fait la force de la vie consacrée en cette période troublée, c'est justement cette capacité de créer des espaces de réflexions communes. Alors profitons-en. Haut 1. L'Eglise et la mission 1.1. Le fondement de la mission Le concile Vatican II présente une conception renouvelée de la mission: plus théologale, plus ecclésiale. Il rattache directement l'activité missionnaire de l'Eglise à la mission du Dieu trinitaire, dans laquelle elle plonge ses racines et trouve son fondement. On dépasse le seul souci de la finalité et de l'efficacité, pour approfondir l'origine et le terme de l'Evangélisation. De sa nature, l'Eglise durant son pèlerinage sur terre est missionnaire, puisqu'elle-même tire son origine de la mission du Fils et de la mission de l'Esprit Saint selon le dessein de Dieu, le père[1]. Par conséquent, nous comprenons que la mission de l'Eglise ne naît pas d'abord d'un besoin des hommes qui seraient en attente d'un salut qui vient d'ailleurs. Elle surgit d'une nécessité intérieure à Dieu lui-même. En effet, celui qui est communion d'amour n'existe que dans l'action de se donner. C'est dans ce sens que la mission est bien plus qu'une tâche de l'Eglise: l'expression véritable de son être même. «Comme le père m'a envoyé, à mon tour, je vous envoie» (Jn 20, 21). Jean Rigal, commentant cette parole de l'Evangile, écrit: La conjonction «comme» (kathos en grec et non point hôs) ne signifie pas ici une simple imitation, une ressemblance purement externe; elle indique l'origine, le principe causal, le fondement de la mission. kathos relie non deux substantifs (le Père - le Fils), mais les deux pôles de relations missionnaires: la mission «Père - Fils» fonde et nourrit la mission «Christ - disciples». C'est pourquoi, la source de la mission avant d'être dans l'envoi des apôtres par Jésus, au lendemain de sa Pâque (Mt 28,19), elle réside dans le coeur de Dieu, c'est-à-dire dans l'amour trinitaire qui unit le Père, le Fils et l'Esprit, qui les relie et tout en même temps les déborde.[2] En d'autres termes, parce qu'elle découle de l'amour du Père, parce qu'elle actualise la mission du Christ et de l'esprit, la mission n'est seulement ni d'abord un «faire» mais un don à recevoir. Avant d'être notre œuvre, la mission est l'œuvre de Dieu. Avant d'être une annonce, elle est d'abord une conversion. Avant d'être un projet, elle est un témoignage. Avant d'être une tâche à exécuter, elle est un amour à accueillir. C'est dans cette perspective que le concile présente sa vision missionnaire de l'Eglise.[3] 1.2. La mission est constitutive de l'Eglise L'Eglise qui n'est pas missionnaire renie son identité. Car comme le disent ces paroles fortes du pape Paul VI, «L'Eglise n'est pas à elle-même sa propre fin, mais elle désire avec ardeur être tout entière au Christ, dans le Christ et pour le Christ; tout entière également des hommes, parmi les hommes et pour les hommes»[4]. Dès le début de son ministère, on voit Jésus qui s'entoure un groupe des disciples, des hommes et des femmes pour témoigner publiquement de son appel universel au salut et du Règne d'amour qu'il vient instaurer. L'Eglise existe donc pour cette mission. En effet, le but de toute l'histoire religieuse de l'humanité n'est pas l'institution ecclésiale, mais le Royaume de Dieu. La communauté chrétienne n'a pas de raison d'être: le Royaume est son horizon et l'homme, son chemin. L'Eglise perd de sa consistance lorsqu'elle s'intéresse plus à elle-même qu'aux hommes et aux femmes auxquelles elle est envoyée. Car la mission ne vise pas la dilatation de l'Eglise, mais celle du Royaume. Comprise dans cette perspective, la mission de l'Eglise revêt une portée universelle et ne peut être soumis à une quelconque limite ou frontières. Il est clair que la source du témoignage des chrétiens n'a pas changée. Tout au long de son Histoire, l'Eglise a eu conscience qu'elle était investie d'une mission qui ne provenait pas d'elle-même. A la source de ce témoignage, une certitude: celle du Christ ressuscité toujours vivant (Ac 2,33); un envoi: «Allez, faites de toutes les nations les disciples» (Mt 28, 18); une assurance: «je suis avec vous jusqu'à la fin des temps» ( Mt 28, 20); une force intérieure: «vous allez recevoir la puissance de l'Esprit» (Ac 1, 8). 1.3. Des attitudes nouvelles La source trinitaire de la mission envoie l'Eglise partout, pour y témoigner d'un amour irrépressible qui secoue toutes les barrières et d'abord celles que dressent les Eglises. Le service d'Evangile n'a pas de limites géographiques: «les pays de mission» comme on disait autrefois. L'activité missionnaire est unique et le même partout, en toute situation, bien qu'elle ne soit pas menée de la même manière du fait des circonstances (AG, n° 6). Il revient à dire que l'appel à la conversion traverse tous les pays, toutes les cultures, tous les milieux, toutes les religions, toutes personnes, à commencer par les chrétiens. Une invitation à l'ouverture sans fixation des limites. La destination universelle de l'évangélisation implique alors la rencontre de la vie culturelle et des relations sociales qui façonnent la vie personnelle et collective des hommes de ce temps. «L'Eglise, afin de pouvoir présenter à tous le mystère du salut et la vie apportée par Dieu, doit s'insérer dans tous ces groupes humains du même mouvement dont la christ lui-même, par son incarnation, s'est lié aux conditions sociales et culturelles déterminées des hommes avec qui il a vécu».[5] C'est dans cette vision de la mission que le pape Jean Paul II déploie les perspectives ouvertes par Vatican II lorsqu'il écrit: Il existe dans le monde moderne (outre la communication) beaucoup d'autres aréopages vers lesquels il faut orienter l'activité missionnaire de l'Eglise. Par exemple, l'engagement pour la paix, le développement et la libération des peuples, les droits de l'homme et des peuples, surtout ceux des minorités, la promotion de la femme et de l'enfant, la sauvegarde de la création […]. En outre, il faut rappeler le très vaste aréopage de la culture scientifique, des rapports internationaux….[6] L'annonce de la Bonne nouvelle ne peut rester l'affaire des seuls spécialistes. Elle implique une responsabilité collective et incombe à tout chrétien conscient de sa vocation de baptisé. Car il n'y a aucun membre qui n'ait sa part dans la mission du corps tout entier. Et «il n'est permis à personne de ne rien faire», dit Jean Paul II dans l'exhortation aux Fidèles laïcs.[7] La mission s'adresse toujours à l'homme dans le respect total de sa liberté. La déclaration sur la liberté religieuse (Dignitatis Humanae) est un grand texte du concile Vatican II, malheureusement trop peu connu. On trouve plusieurs insistances qui méritent notre attention et être relevées. La première, c'est que la liberté religieuse repose, avant tout sur la dignité de la personne humaine et non sur de simples raisons conjoncturelles, sociologiques ou même directement missionnaires. La personne humaine a droit à la liberté religieuse. Celle-ci a pour fondement la dignité de la personne. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte […] de sorte qu'en matière religieuse, nul ne soit forcé d'agir contre sa conscience[8]. Et quelques années plus tard, le pape Jean Paul II fera l'écho à cette déclaration dans sa première encyclique (Redemptoris Hominis) avec ces mots expressifs: «L'attitude missionnaire commence toujours par un sentiment de profonde estime face à ce qu'il y a en tout homme»[9]. Et l'encyclique Redemptoris missio insiste de nouveau sur cet aspect capital et important: «l'Eglise s'adresse dans l'entier respect de sa liberté: la mission ne restreint pas la liberté mais elle la favorise. L'Eglise propose, elle n'impose rien: elle respecte les personnes et les cultures, et elle s'arrête devant l'autel de la conscience» [10]. Ce respect recommandé dans le texte du Magistère doit être d'application dans la vie religieuse dans les divers champs missionnaires, mais aussi et surtout en ce qui concerne l'accueil, le discernement des vocations et l'admission des candidates. Haut 2. La vie consacrée 2.1. Définitions Le pape Jean Paul II, dans son exhortation apostolique post-synodale Vita Consecrata, définit la vie consacrée en ces termes: La vie consacrée, profondément enracinée dans l'exemple et dans l'enseignement du Christ Seigneur, est un don de Dieu le Père à son Eglise par l'Esprit. Grâce à la profession des conseils évangéliques, les traits caractéristiques de Jésus chaste, pauvre et obéissant, deviennent visibles au milieu du monde, de manière exemplaire et permanente et le regard des fidèles est appelé à revenir vers le mystère du Royaume de Dieu, qui agit déjà dans l'histoire, mais qui attend de prendre sa pleine dimension dans les cieux[11] 2.2. Comprendre le pourquoi de la vie consacrée à partir de cette définition Il est donc clair que la Vie consacrée n'est pas le fruit d'un travail ou d'effort humain ni de l'Eglise. Elle est un don et une grâce que l'Eglise est appelée à recevoir. En d'autres termes, ceci revient à dire que si la vie consacrée existe dans l'Eglise qui est sous la mouvance de l'Esprit, c'est parce que Dieu l'a suscité et que l'Eglise l'a progressivement instituée. La V.C. constitue un des plus précieux trésors de l'Eglise, un héritage qu'il ne faut pas dilapider, disait le pape jean Paul II aux supérieures générales du Brésil en 1978. Vatican II est le 1er concile qui a organiquement situé la vie consacrée au cœur de l'Eglise. C'est dans la constitution dogmatique sur l'Eglise, en effet, que nous trouvons les réflexions les plus fondamentales sur la nature et la mission de la vie consacrée. Les conseils évangéliques de chasteté vouée à Dieu, de pauvreté et d'obéissance, fondés sur les paroles et les exemples du Seigneur et recommandés par les apôtres , les Pères, les docteurs et les pasteurs de l'Eglise, sont un don divin que l'Eglise a reçu de son Seigneur, et que par sa grâce, elle conserve toujours. Or, l'autorité de l'Eglise, sous la conduite de l'Esprit Saint, a pris soin de les interpréter, d'en régler la pratique et d'instituer, à partir d'eux, des formes de vie stables[12]. Il ressort par le fait même que la primauté et la gratuité de l'appel divin, la rencontre de l'Absolu de Dieu dans l'expérience d'une vocation à la vie consacrée constituent le fondement et la plus radicale exigence au sujet de la vie consacrée. L'expérience sur terrain montre que bon nombre d'existences religieuses ont dévié, faute d'en prendre une conscience avertie et réfléchie dès le départ. Et il est parfaitement vain d'espérer un renouveau de la vie consacrée si l'on ne réveille et n'éduque le sens de la primauté de l'appel de Dieu, auquel l'homme obéit dans la foi et la prière réalisant ainsi le projet de sa vie. Si le feu de cette irruption de Dieu dans la vie d'un(e) consacré(e) n'est pas entretenu, la personne consacrée tombe dans la médiocrité, dans un certain relativisme et dans la tentation de prendre pour norme de la vie religieuse une anthropologie naturelle. C'est ainsi que dans certains milieux d'Eglise et de religieux, on peut entendre dire: «soyons d'abord des chrétiens» ou bien encore «soyons d'abord des hommes et des femmes». «Des tels propos ont leur vérité mais, comme le dit le pape Jean Paul II, ils ne sauraient dispenser d'une vigilance continue et avisée».[13] Or, l'appel de Dieu introduit, par la foi, dans une existence nouvelle où l'on sacrifie tout pour suivre le Christ à la manière des apôtres. L'affaiblissement de cette dimension verticale sous l'influence d'un certain relativisme d'anthropologies ou de psychologies modernes qui ignorent les profondeurs mystiques de l'homme, mène à la ruine. Les défaillances et déviations dans la vie consacrée font généralement apparaître à l'analyse des manques graves de la vie de foi et de prière, des manques d'attention au mystère qui nous habite.[14] Le christ est l'inspirateur de tout appel à la sanctification et de tout appel au service exclusif de Dieu et des frères. C'est le christ total que les fondateurs (fondatrices) et les religieux se sentent appelés à revivre. Chaque charisme de vie consacrée ne fait rien d'autre que continuer l'œuvre même du Christ dans la force de l'Esprit. Un tel appel invite aussi à une réponse totale et libre de la part de l'homme qui, porté et soutenu par la grâce de Dieu, s'engage, se livre, se consacre à Dieu et au service des frères dans l'Eglise. L'engagement dans l'état stable de vie religieuse constitue d'abord, dit Vatican II, «une consécration particulière qui s'enracine intimement dans la consécration du baptême et l'exprime avec plus de plénitude».[15] La consécration est totale et radicale, mais elle ne constitue nullement une dépréciation ou une évasion du monde. Au contraire, cette consécration s'inscrit concrètement dans un itinéraire allant du monde à Dieu. La consécration avec le renoncement qu'elle implique ne rend pas les religieux étrangers aux hommes (femmes) et inutiles à la cité terrestre.[16] 2.3. La mission de la vie consacrée La mission de l'Eglise, c'est le service de l'Evangile. La vie consacrée dans l'Eglise, n'a pas une autre mission particulière que de participer à cette unique et même mission du Christ, confiée à son Eglise. Les consacrés, dans l'Eglise ont la responsabilité de prolonger cette mission en y prenant part active à travers les structures proposés au sein des instituts respectifs et qui tiennent compte du charisme et de l'esprit de l'institut, et des possibilités ( membres, matériel et financière….), des appels et des besoins, des mutations et évolutions de l'Eglise et de la société. Car ce service de l'Evangile, proclamation de la Bonne Nouvelle pour tout homme et pour l'humanité entière, ne consiste pas uniquement à transmettre un message mais aussi à annoncer un événement en train de se produire: «le temps sont accomplis, et le règne de Dieu s'est approché» (Mc 1,15). L'approche du Règne doit nous bousculer: il y a urgence. L'annonce de la Bonne nouvelle et l'action doivent aller de pair. C'est ainsi que Vatican II, dans une formule très ramassée place deux exigences essentielles et indissociables au cœur de l'appel missionnaire: «La mission de l'Eglise […] n'est pas seulement d'apporter aux hommes le message du Christ et sa grâce, mais aussi de pénétrer et de parfaire par l'esprit évangélique l'ordre temporel»[17]. Il est clair que l'Eglise ne saurait garder pour elle ce message dont elle ne peut revendiquer ni l'origine ni la propriété. Cependant, la parole de foi ne deviendra parole de vie que si elle rencontre des attentes et la vie concrètes des personnes auxquelles elle s'adresse, si elle dialogue avec l'existence… dans le cas contraire elle ne trouvera aucun écho de la part des hommes de ce temps. En d'autres termes, je dirai que l'Eglise répond à sa mission lorsqu'elle fait œuvre d'humanisation et travaille avec d'autres, à rendre le monde plus habitable et fraternel. C'est ici où l'Eglise se veut «avocate» de l'humanité et l'action missionnaire devient alors un véritable plaidoyer pour l'homme. L'Evangile et l'humanisation de l'homme poursuivent donc le même combat. C'est ce qu'affirmait le synode des évêques de 1971 lors qu'il déclarait: «Le combat pour la justice et la participation à la transformation du monde nous apparaissent pleinement comme une dimension constitutive de la prédication de l'Evangile, qui est la mission de l'Eglise[18]. L'Evangile doit être présenté comme une puissance de renouvellement. La foi chrétienne est alors proposée comme une source de vie, à fois structuration intérieure des personnes, instance de discernement, et force pour construire une société habitable où il est possible de respirer et d'espérer. C'est à cette mission – là que la vie consacrée doit prendre part. Et en ce contexte de grandes mutations, de peur, de scepticisme, le sens de la mission se déplace. Je ne dis pas qu'il faut atténuer la vigueur du message; au contraire, il faut en déployer ses étonnantes potentialités, se centrer résolument sur ce qu'il a de plus vigoureux, de plus vital et de le proposer de manière audible. Il me semble que l'une des tâches essentielles de l'Eglise, en cette période de son histoire, est d'évangéliser la notion de Dieu. Notre Eglise ne peut faire l'impasse de s'interroger sur sa façon à elle de se dire Dieu et de dire Dieu au monde. «En ce temps difficiles, en mal d'espoir et d'amour, dit Jean Rigal, où rien n'importe plus que de nourrir notre foi en une vie possible, la question de Dieu devient une question vitale, au sens fort du terme, c'est-à-dire qu'elle est autant pratique, existentielle que spéculative»[19]. Haut 3. Le charisme 3.1. Notion du charisme en général Le terme «charisme», du grec kharisma qui signifie grâce, faveur, est en réalité une expression très chargée de sens. Au sens imagé: le terme charisme fait référence aux capacités exceptionnelles qu'ont certaines personnes à faire des choses. Ainsi parle-t-on du charisme (don) de larmes pour celui qui a les larmes faciles; le charisme d'appétit pour le petit glouton; le charisme d'égailler la communauté (de détendre l'atmosphère) pour celui dont la seul présence constitue une béatitude (bonheur) ou un catarsis (sarcasme); le charisme d'indisposer les autres, etc. Au sens courant du mot: le charisme renvoie à l'autorité d'un chef, fondée sur certains dons surnaturels; au grand prestige d'une personnalité exceptionnelle, à l'ascendant qu'il exerce sur autrui; à l'ensemble des dons spirituels extraordinaires (prophéties, miracles, etc.) octroyés par Dieu à des individus ou à des groupes[20]. Il s'agit d'un don qui en entraîne d'autres pour une cause donnée. Par exemple: dans la société, on parle du charisme de Nelson Mandela alors que Thabo Mbeki n'en a point; le charisme d'Edith Lucie Bongo Ondimba alors celle qui l'a précédée comme première dame du Gabon s'est située autrement. Dans l'Eglise, on parle du charisme de Jean-Paul II alors que Benoît XVI a aussi sa propre manière de conduire l'Eglise. 3.2. Les charismes dans l'Église 3.2.1. . L'Eglise, communion charismatique et ministérielle Pour mieux comprendre le sens du mot charisme, il faut partir de la réflexion sur l'Eglise comprise comme communauté ecclésiale. L'ecclésiologie de communion ouvre la voie à une nouvelle conception des charismes et des ministères. Il s'agit de passer d'une Eglise trop souvent engluée dans les problèmes des structures et de fonctionnement à une Eglise plus ouverte aux dynamismes de l'Esprit; d'une concentration des responsabilités, entre les mains des quelques uns à une multiplicité des services. L'Eglise est une communion tout à la fois charismatique et ministérielle, à la fois animée par l'action multiforme de l'Esprit saint. L'unité est alors perçue avant les distinctions, et les dons et les services en elle et pour elle. C'est ce que Jean Rigal soutient fermement lorsqu'il écrit: Ce rapport entre le nous des baptisés et certains d'entre eux, entre tous et quelques-uns qui ne cessent pas de faire partie de tous, entre la communauté et les charismes qui s'inscrivent dans un ensemble charismatique, entre la communauté et les ministères qui ne cessent d'être de la communauté, ce rapport donc est constitutif du corps ecclésial. Il repose sur un fondement trinitaire. Il manifeste et assure le rassemblement d'un peuple solidaire dans la mission commune, il construit un corps dont les membres sont différents et complémentaires, il édifie un temple où tous bénéficient des dons multiformes de l'Esprit. Il s'oppose radicalement à une vision monolithique de l'Eglise[21]. Cette articulation entre tous et quelques-uns traversent tout le nouveau Testament et l'enseignement patristique. Ces quelques citations ou témoignages significatifs en sont une preuve éloquente: - «Il y a diversité des dons de la grâce, mais c'est le même Esprit; diversité des ministres, mais c'est le même Seigneur; diversités des modes d'action, mais c'est le même Dieu qui, en tous, met tout en œuvre. A chacun est donnée la manifestation pour le bien de tous». (1 Co 12, 4-6). Ce fondement ecclésiologique se déploie dans les expressions institutionnelles: pour remplacer Judas et compléter le groupe des Douze, Pierre intervient (ici, un seul) et s'adresse à l'assemblée des frères qui finalement va tirer au sort pour que la décision revienne à Dieu (Ac 1, 15-26). - De même pour l'institution des Sept, les Douze font une proposition qui sera agréée et mise en œuvre par l'assemblée, quelques – uns vont conférer la charge: «cherchez parmi vous, frères, sept hommes de bonne réputation, remplis d'Esprit et de sagesse, nous les chargerons de cette fonction.»(Ac 6,3 ) - C'est dans la communauté de ses disciples que Jésus choisit les Douze (Lc 6, 13). A la pentecôte, «tous furent remplis de l'Esprit et se mirent à parler d'autres langues.» (Ac 2, 14); mais c'est Pierre, debout avec les Onze qui adresse officiellement la parole à la foule et l'enseigne (Ac 2, 14) - Le concile Vatican II nous fait remarquer que ce qui est fondé dans les Douze, ce n'est pas seulement des apôtres, des ministres, c'est l'Eglise avec ses ministres: Les apôtres furent les germes de l'Israël nouveau et en même temps l'origine de la hiérarchie sacrée. En d'autres termes, nous comprenons que les Douze ont été en même temps 1er rassemblement de la communauté et se serviteurs. La situation de Douze, certes, est unique dans l'histoire de la communauté chrétienne, mais la réciprocité entre communauté et ministère, elle, ne l'est pas[22]. - Ceci revient à dire que ce rapport dialectique se fonde d'abord non pas sur des questions d'ordre sociologique ou disciplinaire, mais il repose sur une réalité théologique et même théologale: à savoir que communautés, charismes et ministères ne peuvent exister isolement, de manière juxtaposée, sans lien mutuel, car l'action du Christ et le don de l'Esprit demeurent à la source des uns et des autres, établissant entre eux des rapports de réciprocité. - C'est donc l'ecclésiologie de communion qui sert de référence au-delà du détail des procédures. C'est ce que nous rapporte Jean Rigal en citant quelques grandes figures de l'Eglise[23]: Hippolyte de Rome (vers 220) statue: «qu'on ordonne comme évêque celui qui a été choisi par tout les peuple, du consentement de tous, que les évêques lui imposent les mains.» C'est par le suffrage de toute la communauté des frères et des évêques qui étaient présents ou avaient écrit, note saint Cyprien, que l'épiscopat a été déféré à Sabinius et que les mains lui ont été imposées.» Au milieu du 5ème siècle, saint Léon, pape, prescrit: «Celui qui doit présider à tous doit être élu par tous.» 3.2.2. Les charismes sont innombrables et variés Dans l'opinion courante, le terme charisme évoque un don aussi rare qu'exceptionnel. Et Luc, dans le livres des Actes nous dit que «l'Esprit est répandu sur toute chair» (Ac 2, 17). Le concile Vatican II s'éloigne de la vision réductrice dans sa compréhension du terme charisme, il affirme par contre le caractère universel de la distribution des charismes. Toutes fois, il prend soin de préciser à la suite de saint Paul que «c'est toujours pour le bien commun que le don de l'Esprit se manifeste dans un homme.» (1CO 12,7). Ces grâces, de plus éclatantes aux plus simples et aux plus largement diffusées, doivent être reçues en action de grâce, et apporter consolation, étant avant tout ajustées aux nécessités de l'Eglise et destinées à y répondre (LG, n° 12). Vatican II prolonge encore cet enseignement dans le décret sur l'apostolat des laïcs: «De la réception de ces charismes, même les plus simples, résultent pour chacun des croyants le droit et le devoir d'exercer ces dons dans l'Eglise et dans le monde, pour le bien des hommes et l'édification de l'Eglise, dans la liberté du Saint Esprit qui «souffle où il veut»( Jn 3,8 ), de même qu'en communion avec ses frères dans les christ et très particulièrement avec ses pasteurs.» (AA, n° 3) Il ressort donc de cette réflexion que tout chrétien est un charismatique au sens fort et général du terme: «chacun reçoit un don particulier, l'un celui – ci, l'autre celui –là». (1 Co 7, 7). C'est aussi la même idée que saint Pierre repend dans sa 1ère lettre: «Chacun selon la grâce (charisma) reçue, mettez – vous au service les uns des autres, comme de bons intendants d'une multiple grâce de Dieu (1 P 4, 10). Il est donc regrettable que la notion du charisme soit trop souvent limitée à la manifestation d'actions éclatantes ou officiellement reconnus. Les charismes sont multiples et variés. Saint Paul, en évoquant la multiplicité des dons de l'esprit, ne place tout sur le même plan (1 Co 12, 28). Mais cette diversité même montre clairement que personne ne possède la totalité des charismes. Nul ne peut prétendre à tout: «Tous sont – ils apôtres? Tous prophètes? Tous enseignent- ils? Tous font- ils des miracles? Tous interprètent- ils?...» (1 Co 12, 29). Les charismes sont donc divers, liés aux différences de culture, d'options, de talents, de sensibilités proprement spirituels, de vie communautaire… liés aussi aux besoins de l'Eglise et des exigences missionnaires… liés d'abord aux impulsions imprévisibles de l'Esprit. Les charismes sont donc multiformes (1Co 12, 28 – 31; Rm 12, 6 – 8). Mais ils demeurent toujours relatifs à la communauté (1co 12, 7); ils visent à l'édification de l'Eglise ( 1 Co 14, 12; Ep 4 ,12). C'est l'un de critères de leur authenticité. «L'Esprit distribue ses dons variés pour le bien de l'Eglise à la mesure de ses richesses et des exigences des services» (LG, n° 7). En d'autres termes, il revient à dire que, dans sa nature même, le charisme ne saurait être un privilège ni un moyen d'acquérir du pouvoir, mais un don pour le service. C'est pourquoi, le charisme des charismes, c'est l'amour (1Co 13). Cependant, il faut bien comprendre ce que st Paul veut dire. Il ne dit pas que l'amour suffit à tout, mais il dit que sans l'amour, le reste n'est rien. Telle est la dimension fondamentale qui distingue le charisme de la chance ou d'un don personnel hérité de ses parents, de son travail ou d'une disposition naturelle. Ainsi, au-delà ou plutôt au cœur d'un témoignage, d'une consécration particulière, d'un ministère, s'inscrit une dimension de charis (de grâce). Et pour cette même raison, «toute fonction ecclésiale, digne de ce nom, est toujours beaucoup plus qu'un engagement social: une initiative de Dieu, une mission reçue, un service de Dieu à travers le service des frères, une expérience spirituelle»[24]. 3.2.3. Toute l'Eglise est charismatique «L'Eglise, avant d'être ministérielle, est fondamentalement charismatique», écrit Jean Rigal[25], c'est-à-dire fruit de l'Esprit Saint. En d'autres termes, cela signifie qu'il est de la nature de la communauté ecclésiale de se recevoir sans cesse d'un Autre et de se construire dans la diversité des dons de l'Esprit. Le concile Vatican II a bien intégré cette perspective pneumatologique, mais il a trop situé, à notre avis, la structure charismatique en parallèle avec la structure ministérielle et hiérarchique. C'est donc l'articulation communautés- charismes- ministères qui demanderaient un approfondissement. Par ailleurs, certaines ouvertures du concile le suggèrent: «Le saint esprit ne se borne pas à sanctifier le peuple de Dieu par les sacrements et les ministères, à le conduire et à lui donner l'ornement des vertus, il distribue aussi parmi les fidèles de tous ordres, «répartissant ses dons à son gré et en chacun» (1Co12,11), les grâces spéciales qui rendent apte et disponible pour assumer les diverses charges et offices utiles au renouvellement et au développement de l'Eglise.» (LG, n° 12) La relation entre l'Eglise et saint Esprit fait donc partie de la structure constitutive de l'Eglise. Cela voudrait – il dire que la communauté ecclésiale est une sorte de cadre fourni à l'Esprit pour qu'il puisse trouver un terrain d'action. C'est le contraire! Car c'est l'Esprit saint qui fait naître l'Eglise en permanence comme un événement dont il a l'initiative. L'Esprit Saint n'est pas un moyen à notre service mais une source. En ce sens, on peut alors dire que la structure charismatique de l'Eglise inclut et déborde la structure ministérielle. «L'Eglise, dit saint Augustin, est la société de l'Esprit»[26]. La dimension ministérielle de l'Eglise trouve ici un dépassement charismatique. Les orthodoxes ont très bien compris cela parce qu'ils en font l'une des insistances de leur ecclésiologie: «L'Eglise s'est actualisée le jour de la pentecôte, par l'Esprit et dans l'Esprit. L'Eglise est le lieu où agit l'Esprit; et l'Esprit est son principe de vie et d'activité. L'Eglise vit et agit par l'Esprit, à l'aide des dons charismatiques que Dieu distribue en elle, comme il veut. La grâce est l'unique moteur de tout ce qui se passe au sein de l'Eglise»[27]. Dans les symboles de la foi, l'Eglise est toujours mentionnée à la suite de l'Esprit Saint, à l'intérieur du troisième article du symbole. Elle est comme la première de se œuvres. Formuler cette profession de foi revient à souligner à la fois l'unité de l'Esprit et de l'Eglise et leur nécessaire différence. En effet, le Saint Esprit n'est l'esprit de l'Eglise mais l'Esprit de Dieu[28]. Haut 3.3. Le charisme de la vie consacrée 3.3.1. Quelques caractéristiques propres à la vie consacrée La vie consacrée est apparue aux pères conciliaires comme «un signe qui peut et doit exercer une influence efficace sur tous les membres de l'Eglise»; qui «manifeste aux yeux de tous les croyants les biens célestes déjà présents en ce temps, atteste l'existence d'une vie nouvelle et éternelle»[29]. La consécration est la base commune à toutes les formes de la vie consacrée. C'est par elle qu'on distingue les personnes consacrées, des prêtres diocésains et des autres fidèles. En tant que adhésion spécifique au Christ, le charisme de la vie religieuse présente quelques caractéristiques communes et essentielles à tous les instituts religieux[30]: l'appel de Dieu, la consécration au moyen des conseils évangéliques par des vœux publics; une forme stable de vie communautaire; pour les instituts apostoliques, un apostolat communautaire fidèle au charisme spécifique et aux saines traditions; la prière personnelle et communautaire, l'ascèse, le témoignage public; une relation spécifique à l'Eglise; une formation initiale et permanente; et une forme de gouvernement réclamant une autorité religieuse basée sur la foi[31]. Les changements historiques et culturels apportent une évolution dans la réalité vécue, mais les formes et la direction de cette évolution sont déterminées par les éléments essentiels sans lesquels la vie religieuse perd son identité. Totalitaire et radical: C'est la personne sous toutes ses dimensions qui se consacre au Seigneur. Aucun aspect de sa personne ne peut échapper à cette consécration par les trois vœux. Permanent: Quand Dieu prend possession de toute la personne, il le fait de façon définitive, même dans le cas d'une profession temporaire. Séparé: Le consacré est une personne mise à l'écart pour la cause du Royaume. Sa vie n'a de sens que si elle renvoie à la réalité du Royaume déjà-là et pas encore. Communautaire: C'est sous sa forme communautaire que le don de la vie religieuse a pris forme et s'est développe au cours de sa longue histoire. Au-delà de ces éléments communs qui font la spécificité de la vie religieuse et confèrent aux consacrés leur identité propre dans la société et dans l'Eglise, chaque Institut a son charisme qui fonde sa particularité et lui donne une physionomie propre. L'étude des différentes congrégations a montré aux experts les points à partir desquels se révèlent des différences ou des nuances dans les charismes des diverses congrégations à savoir: L'appel à vivre de façon privilégiée un aspect particulier du mystère du Christ, un aspect de l'évangile. Cependant, cet appel n'implique pas le sacrifice de certaines valeurs d'Evangile au bénéfice de l'une d'entre elles. Il s'agit d'une manière de vivre l'Evangile en en insistant plus spécialement sur une de ses lignes directrices. L'appartenance à un des courants spirituels de l'Eglise (spiritualité). Il n'y a qu'une quinzaine de spiritualités reconnues, alors qu'il existe environ plus de 2000 institut religieux. Une même spiritualité est donc vécue par des instituts différents, qui s'y réfèrent à des degrés divers. La marque personnelle du fondateur (son esprit). L'esprit d'un institut, c'est un accent, une tendance propre et caractéristique. Il est difficile à définir. Mais on le sent. C'est un air de famille. C'est ce qui fait qu'on se reconnaît quand on ne se connaît pas. Chaque congrégation a un caractère propre, c'est-à-dire un certain nombre des mots évocateurs de toute une tradition; riches d'expérience. Et ces mots exercent de profonds attraits sur l'intelligence et le cœur de ceux ou celles qui partagent le même esprit. Par exemple, pour un fils spirituels de saint Dominique, ce sera les mots paroles de Dieu, vie, vérité, pour ceux de saint François d'Assise, ce sera Evangile, Corps et sang du Seigneur, paix, joie, pèlerins et étrangers en ce monde, pour une fille de la Divine Providence , ce sera confiance audacieuse, cor amator Pauperum, service – serviteur… Une certaine forme concrète de vie. Il s'agit d'une vie cohérente avec les trois aspects précédents, un certain type de vie communautaire, de relation au monde; d'activité (très spécifique, ou assez large, ou universelle); prière (surtout liturgique ou surtout personnelle); d'ascèse (jeûne et veilles, ou obéissance, etc.…); de gouvernement (degrés d'autonomie, de centralisation). N.B.: Ces éléments étant également cohérents entre eux. 3.3.2. Le charisme, un souffle de l'Esprit créateur au service d'une histoire Dans les écrits de st Paul, nous l'avons déjà vu, le terme de charisma a un double sens. Un sens large qui désigne le don de la vie chrétienne en général, reçu au baptême et un sens strict où il signifie un don particulier, spécifique reçu pour le service et l'édification de la communauté chrétienne. Le religieux est appelé à vivre le don du baptême qui l'incorpore au corps vivant du Christ, au sein d'une famille religieuse qui a reçu de l'Esprit un charisme particulier pour réaliser une mission spécifique au sein de l'Eglise et du monde. A l'intérieur de l'histoire du salut, Dieu a donc pour chaque famille religieuse un dessein d'amour qui lui donne sa raison d'être, son identité et sa mission propre, sans pour autant la réduire à un simple instrument, déterminé d'avance par une stratégie divine. Le charisme de vie religieuse n'est pas un programme ou une structure figée, mais une énergie spirituelle de l'Esprit, une puissance de vie, à communiquer. Il est une force dynamique qui incorpore la religieuse dans une famille dotée d'une mission charismatique; une force qui sans cesse peut resurgir, s'actualiser, sommeiller ou s'enliser. C'est ce que le père Jean Bosco Musumbi, OMI, dit lorsqu'il parle du charisme comme étant «une réalité spirituelle dynamique …En somme, le charisme religieux est fondamentalement une réalité spirituelle et non matérielle. S'en éloigner sous prétexte du zèle missionnaire, c'est s'éloigner du projet qui vient du don initial de Dieu; et le redécouvrir, c'est s'approprier toute la puissance qui y est rattachée»[32]. Car ce charisme n'est ni automatique, ni fécond n' importe où et n'importe comment. Il y a des terrains privilégiés pour la croissance et la fécondité de chaque famille religieuse. C'est la raison pour laquelle chaque famille religieuse doit sans cesse discerner où l'Esprit du Seigneur l'invite plus particulièrement à faire fructifier le charisme. D'où, comme le disait un jour Michel Hubaut, franciscain, au cours d'un forum sur la vie consacrée, la «nécessité de réveiller en nous cette force de vie, cet appel particulier de l'Esprit, car ce ne sont jamais les structures en tant que telles qui sont charismatiques, mais des personnes vivantes qui sont plus ou moins les dons de Dieu». 3.3.3. Critères de discernement du charisme d'une famille religieuse 1. Le critère de continuité Ici, il faut bien distinguer le «charisme de création», celui du fondateur ou de la fondatrice, et le charisme de continuation, celui des membres d'une famille religieuse, appelé aussi le «charisme de l'institut»[33]. Par charisme du fondateur, on entend le contenu de l'expérience qui, née d'une inspiration surnaturelle, lui sert de guide dans la compréhension existentielle du mystère du Christ et de son Evangile. Elle le rend attentif à certains signes des temps et le conduit à déterminer le caractère d'une œuvre qui, répondant à des exigences précises, se traduit en un service de l'Eglise et de la société (...) Tandis que par le charisme de l'Institut, on entend le cheminement historique et les différentes modalités d'adaptation du charisme du fondateur, c'est-à-dire du contenu charismatique vécu et exprimé par le fondateur en tant que tel.”En d'autres termes, le charisme de l'Institut apparaît comme la réfraction collective du charisme du fondateur qui entre en relation avec la vie et avec les charismes des personnes appelées par l'Esprit à perpétuer dans le temps, d'une façon dynamique, toute la potentialité de l'inspiration initiale, et à montrer partout ses expressions historiques possibles. Il constitue l'identité de la vocation exprimée par toute la communauté qui incarne, en des temps et des modes différents, les mêmes inspirations et les mêmes intentions charismatiques du fondateur[34]. Le charisme de fondation est toujours lié au moment des origines. C'est un don (charisme) accordé par l'Esprit Saint à quelqu'un, fondateur ou non, pour qu'il puisse jouer un rôle déterminant à la naissance et au premier développement d'une famille religieuse. Certains fondateurs avaient aussi le charisme de fondation, d'autres ont dû s'appuyer sur leurs compagnons de premières heures pour donner une physionomie concrète à leurs œuvres. D'autres fondateurs sont morts sans avoir donné une physionomie à leurs œuvres (SMA, Sœurs Missionnaires du Christ, etc.). Le charisme de fondation fait donc référence à cette extraordinaire synergie entre le fondateur et ce groupe des premiers disciples (compagnons) quand l'œuvre était en gestation, est née et a commencé à se développer vers sa maturité finale. Comme le charisme du fondateur, le don de fondation n'est pas répétable à l'infini. Il est limité à la période des origines. D'où l'importance accordée à ces premiers disciples qui dans certains cas sont des véritables co-fondateurs/trices de l'Institut (p.e.: un institut féminin fondé par un homme qui ne sera jamais lui-même membre, une congrégation des frères fondée par un prêtre). Il y a donc, d'une part l'expérience spirituelle d'une personne charismatique, c'est-à-dire sa rencontre décisive avec le Christ, et d'autre part l'expression dynamique de son esprit dans le temps et l'espace. Mais ne confondons pas le charisme personnel du fondateur (ce qui n'a pas été totalement et automatiquement transmis à sa famille religieuse) avec le charisme du fondateur comme fondateur (ce que les membres de la congrégation ont en partage). Les religieux connaissent le charisme de leur fondateur comme fondateur ou fondatrice dans ses paroles et les Écrits autour de son projet de fondation, dans les Règles de vie et les documents d'approbation ecclésiastique de l'Institut. 2. Le critère de discernement Souvent, un des écueils observés dans les instituts, est celui de considérer, sans discernement tous nos goûts, ou tous nos projets personnels comme des charismes. il faut éviter ici le risque d'anarchie de l'individualisme et du désordre. A moins d'être fondateur, le charisme religieux est celui d'un membre d'une famille religieuse: il est à la fois personnel et supra personnel. C'est-à-dire il incorporer une famille déterminée qui a reçu une mission particulière. Par ailleurs ce critère de discernement s'éduque et s'apprend au cours du processus de la formation initiale et permanente, études des écrits du fondateur ou de la fondatrice, analyse des intuitions clés qui dépassent telle ou telle activité toujours relative à une époque, analyse des constantes à travers leurs différentes incarnations au cours de l'histoire. 3. Le critère de communion Le discernement du charisme de fondation est toujours une œuvre communautaire ( c'est le rôle de chapitres à tous les niveaux) qui, par l'écoute de la riche diversité, des sensibilités, doit discerner les appels de l'Esprit au cœur des personnes et découvrir où nous devons en priorité, aujourd'hui, incarner notre charisme. 4. Le critère d'adaptation ou de créativité En effet, on ne peut identifier le charisme du fondateur ou de la fondatrice avec son œuvre marquée par son temps. Un charisme est un don vivant, un souffle de l'Esprit créateur au service d'une histoire dynamique qui n'est jamais une simple répétition ou une copie du passé. «Pour vivre harmonieusement ce charisme fondateur, écrit le père Jean Bosco Musumbi, dans le même article cité ci-dessus, ou mieux sa vocation spéciale communautaire et prophétique qui est le fondement de sa mission et de la nôtre dans l'Eglise, il est absolument nécessaire de bien le connaître parce qu'il est le point de référence continuel de notre être religieux dans un Institut déterminé (cf. PC 2b, ET 11, MR 11). On y arrive en procédant par un bon sens critique et en évitant une double tentation: celle de vouloir ‘copier' le fondateur, la fondatrice qui a vécu dans un contexte historique très différent du nôtre, et celle de vouloir se servir du fondateur, de la Fondatrice pour soutenir nos idées personnelles. Certes, «copier» le fondateur ou la fondatrice peut paraître comme un signe de fidélité. Mais en réalité, c'est une méconnaissance de sa dimension prophétique, laquelle vaut pour tous les temps. «Copier» se limite souvent aux choses externes qui avaient un sens de témoignage au temps du fondateur, de la fondatrice, mais qui l'ont perdu ou n'en ont plus de manière intelligible aujourd'hui. Il faut plutôt se mettre humblement dans une attitude d'écoute, de recherche amoureuse (amour de Dieu et de la congrégation), de disponibilité absolue, en suivant trois étapes indispensables». «Copier» serait, aussi à mon avis une forme de négation par rapport à l'action de Dieu dans la réalité d'aujourd'hui. Dieu ne pouvait – il agir que dans un passé qui est déjà lointain; mais auquel on peut constamment se référer pour avoir un éclairage? IL est évident que l'expérience du fondateur ou de la fondatrice constitue un point d'appui pour les générations à venir. Le charisme du fondateur aide les membres à entrer dans un processus dynamique invitant continuellement à un travail de discernement et de conversion permanents, de lecture et relecture des signes de temps. Ce travail d'évaluation est normalement l'objet de certaines assemblées régionales, provinciales et réunions communautaires. Les chapitres régionaux, provinciaux et généraux en constituent le moment capital et privilégié. Comment pourrait –on alors rester statique et ne se contenter que de copier le fondateur, la fondatrice ou ses premiers (ères) disciples? Je suis convaincue avec ma petite expérience au sein de ma famille religieuse de la Divine Providence de Créhen que le charisme religieux est une puissance de vie, une énergie spirituelle qui doivent se déployer, s'incarner, s'adapter aux temps et aux lieux, aux contextes socio- culturels et aux besoins des peuples. Ce charisme peut même s'incarner dans des réalités nouvelles qui étaient totalement imprévisibles pour le fondateur ou la fondatrice. Le charisme religieux me fait penser souvent à la croissance d'un être humain: c'est comme un homme ou une femme grandit, sans pour autant perdre son identité, le charisme religieux peut changer de visage. Au fait, celui qui maintient l'identité et l'unité d'une famille religieuse, c'est l'Esprit saint lui – même, source de tout charisme, qui réalise au creux de l'histoire humaine le dessein de Dieu. Ceci revient à dire que la fécondité missionnaire d'une famille religieuse est donc à la mesure de son ouverture et de sa docilité à l'Esprit qui est le principe d'unité, de continuité, d'innovation, de rénovation et de créativité. 3.3.4. Comment transmettre le charisme d'un institut Un des moyens principal qui permet à un institut religieux de transmettre son charisme à ses membres est le processus de formation initiale et permanente[35]. La formation est une initiation de nature existentielle, qui ne néglige pas pour autant l'apport doctrinal. Car ce terme initiation décrit une activité qui dépasse et englobe la didactique, en offrant aux candidates et aux membres en formation, un apprentissage par l'expérience, un partage de vie, une possibilité de croissance à travers les avancés et les reculs de la vie. L'initiation dont nous parlons, ne se réduit pas aux activités apostoliques. Elle est d'abord une découverte progressive du christ, et à travers lui, de son Père et l'Esprit. C'est aussi apprendre à connaître et à aimer, à découvrir l'expérience du fondateur et ses compagnons ou compagnes, son charisme particulier et celui de l'institut à travers les textes fondateurs et les textes ressources. La formation est un processus de conversion à Dieu poursuivie tout au long de la vie; elle n'est jamais achevée, elle est toujours à faire et à adapter au fil de temps en tenant compte des besoins, des défis du monde et de l'Eglise. La formation, respectueuse de cette rencontre unique entre Dieu et l'homme que constitue toute vocation, prend en considération l'action du seigneur et celle des personnes et des réalités qui entrent en lui… C'est un processus d'intégration qui permet à des personnes de prendre leurs responsabilités, répondant à la qualité des relations qui s'établissent avec le seigneur et entre les personnes impliquées dans ce processus de croissance[36]. Dans tous les instituts, la formation des candidates et des membres doit être la priorité des priorités y compris la formation des formatrices. Un institut religieux qui lègue la dimension de la formation au second plan est voué à l'échec et à la mort. La formation permet la configuration au Christ dans la ligne du charisme et de la forme de vie de l'institut auquel la religieuse appartient. Chaque institut a son propre esprit, son caractère, son but et sa tradition. C'est selon tout cela que le religieux grandit dans l'union avec le christ[37]. Ces dernières années, on sent comme un acharnement sur la question et la recherche de l'identité de la vie consacrée ou plus précisément de la religieuse. C'est comme si quelqu'un ou un passant mal intentionné nous l'a arrachée et ne sachant où le retrouver, nous nous replions sur nous-mêmes, pleurant notre trésor perdu pour toujours! Certes, cette préoccupation a sa raison d'être, mais je pense que nous nous arrêtons plutôt en cours de route. A toutes les rencontres des consacrées, la question éternelle est celle de l'identité. La perfection de l'identité religieuse que nous recherchons chaque année avec tant d'acharnement doit nous amener à une prise de conscience fondamentale de notre être de pécheur face à la sainteté et à la perfection de Dieu. Cet état des choses, loin de nous plonger dans le désarroi, doit nous pousser davantage à nous tourner vers la grâce divine, capable de changer notre cœur. Nous tournons en rond et on revient toujours à la case de départ! Et pourtant, dans les instituts, il y a des personnes avisées, capables d'aider les autres à s'épanouir dans leur vocation! Que se passe – il alors dans nos congrégations? L'action de Dieu n'est plus à l'œuvre dans nos congrégations! Avons – nous perdu la foi en ce Dieu de l'impossible? Non, mes sœurs, levons – nous, allons à la rencontre de l'époux! Que les dix vierges qui aient été prévoyantes et aient mis de l'huile dans leur lampe nous entraînent. Je suis convaincue que dans chaque institut, on peut trouver cinq vierges (Mt 25,1-13) ou cinq juste pour sauver la situation de chaque institut. L'identité de la vie religieuse est tributaire de la qualité de la formation des membres. Alors, une des pistes prioritaires de sortie de cette crise d'identité ne serait-elle pas la révision des méthodes et contenu de formation proposée à la génération de ce temps? La formation est un processus exigeant; la survie de nos instituts en dépend, il y a don une grande urgence. L'identité de la vie religieuse est trahie par nos comportements médiocres et scandaleux! Le service de formation implique un travail en profondeur pour aboutir à la transformation de la personne et à la configuration au christ Jésus. «La formation devra, par conséquent, imprégner en profondeur la personne elle- même, de sorte que tout son comportement dans les moments importants et dans les circonstances ordinaires de la vie, conduisent à révéler son appartenance total et joyeuse à Dieu»[38]. Le charisme se transmet aussi à travers le témoignage des membres incorporés dans l'institut. Chaque institut, tout en tenant compte des besoins de l'époque, de l'Eglise et des mutations du monde opère un choix d'activités et des orientations concrètes pour incarner le charisme. les temps de relecture communautaire au cours des assemblées régionales ou provinciale. Un élément important à noter dans ce processus de formation, est que la communauté constitue le premier lieu de la formation par excellence et son lieu privilégié[39]. Haut - Suivant Notes: 1 Ad Gentes, n° 2. 2 J. RIGAL, op. cit., pp.. 191- 192. 3 Ad Gentes, n° 2 et 4; Lumen Gentium, n° 2 et 4. 4 Troisième session du concile Vatican II (14 septembre 1964). Documents conciliaires 6, Paris, Centurion, 1966, p.158, cité par J. RIGAL, op. cit. , p. 187. 5 Ad Gentes, n° 10. 6 Redemptoris missio, n° 37. 7 Jean Paul II, Exhortation apostolique Christi fideles laici, 1988, n°3. Voir aussi Ad Gentes, n° 23; Presbyterorum ordinis, n° 2. 8 Voir Dignitatis Humanae, n° 1, 2, 9 et aussi Ad Agentes , n° 13. 9 Redemptoris Hominis, n° 12. 10 Redemptoris missio, n° 39. 11 Vita Consecrata, n° 1. 12 Lumen Gentium, n° 43. 13 P. R. REGAMEY, La vie religieuse selon Jean Paul II, Cerf, 1981, p. 37 14 Y. RAGUIN, L'attention au mystère. Introduction à la vie spirituelle, Desclée, Paris, 1979. 15 Perfectae Caritatis, n°5. 16 Lumen Gentium, n° 46; Gaudium et Spes, n° 43. 17 Vatican II, Décret Apostolicam Actuositatem, n° 5 18 Synodes des évêques, Paris, Centurion, p.54. 19 J. RIGAL, Op. cit., p. 206. 20 Cfr Le Petit Larousse Illustré 1992. 21 J. REGAL, Op cit., p.162. 22 Ibid., p.163. 23 Ibid., p.163. 24 Ibid., p. 167. 25 Ibid., p.164. 26 Sermon 71 ( PL38, 467), cité par Jean Rigal, Découvrir l'Eglise, Ed., Desclée de Brouwer, 2000, p.165. 27 AFANASSIEF N., L'Eglise du Saint Esprit, Paris, Cerf, 1975, p.349. 28 J. RIGAL, Découvrir l'Eglise, Desclée de Brouwer, 2000, p.165. 29 Lumen Gentium, 44. 30 SCRIS, Eléments essentiels de la doctrine de l'Eglise sur la vie consacrée, Rome 1983. 31 Cf. Perfectae caritatis, 5. 32 Voir article proposé par le site Internet www.ayaas.net/carrefour/charisme.php 33 Voir article proposé par le site Internet www.ayaas.net/carrefour/charisme.php 34 CIARDI, Theology of the Charism of Institutes, in The Oblate Life, 46 (1987), pp. 153-168; cf. Dictionnaire des valeurs oblates, introduction. 35 L'Eglise, par l'entremise de la SCRIS , définit les éléments essentiels de la Doctrine de l'Eglise sur la vie consacrée. Voir l'intégralité du texte dans Documentation catholique, 02 octobre 1983, n° 1859, pp. 889- 986. 36 B. NTOMBO, La formation à la vie consacrée, dans Actes de la quinzième semaine théologique de Kinshasa sur le charisme de la vie consacrée (14 au 20 avril 1985), F.C.K, 1985, p. 71. 37 SCRIS, Eléments essentielles de la doctrine de l'Eglise sur la vie consacrée, n° 46. 38 Vita Consecrata, n° 65. 39 Vita Consecrata, n° 67. Haut © 2011 Ayaas.net: Religieux africain du troisième millénaire - Page web perso de jb musumbi, o.m.i. -