CAHIERS DE LA VILLA « KÉRYLOS », N° 33
BEAULIEU-SUR-MER (ALPES-MARITIMES)
COLLOQUE
LA REDÉCOUVERTE
DU LEVANT
ACTES
Jacques Jouanna
et Nicolas Grimal éd.
PARIS
ACADÉMIE DES
INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
2023
Cahiers de la villa « Kérylos », no 33. La redécouverte du Levant, p. 171-187.
LA REDÉCOUVERTE
DU LEVANT FRANCOPHONE
L’expansion du français hors de l’Hexagone au Moyen Âge est un
fait bien connu et ce depuis très longtemps. La situation qui a été le
mieux étudiée est sans doute celle de l’Angleterre, où s’est développée
à partir de la fin du xie siècle une variété – employée dans l’écriture
pendant quatre siècles et dans l’oralité pour une étendue temporelle
plus réduite – qu’on appellera anglo-normand ou anglo-français1.
L’importance des textes, la durée assez longue du phénomène et la
complexité de ses implications au niveau socio-culturel ont contribué
à faire du français d’Angleterre le prototype et l’étalon auxquels toutes
les francophonies « à l’étranger » devront se rapporter par la suite2.
On sait pourtant que chaque situation a son histoire et ses
particularités, qu’il faut analyser en profondeur et mettre en
perspective : ce qui a été fait assez bien pour le français d’Italie
(soi-disant franco-italien, avec les sous-types du franco-vénitien
ou franco-lombard, et du français de Naples), tandis que beaucoup
reste à faire pour ce qui concerne le français en Irlande, dans les
Flandres, en Allemagne, en Scandinavie, dans l’Empire byzantin, en
Morée. À l’inverse, on a pu assister, ces vingt dernières années, à une
1. La bibliographie est immense ; je me contente ici de renvoyer à D. Trotter,
« L’anglo-normand : variété insulaire, ou variété isolée ? », Médiévales 45, 2003,
p. 43-54 ; Id., « Deinz certeinz boundes: where does Anglo-Norman begin and end ? »,
Romance Philology 77, 2013, p. 139-177 ; S. Lusignan, La langue des rois au Moyen
Âge. Le français en France et en Angleterre, Paris, 2004, p. 155-217 ; I. Short, Manual
of Anglo-Norman, Second edition, Oxford, 2013, p. 17-44.
2. La question des différentes définitions de la francophonie – francophonie
linguistique, géographique, culturelle, institutionnelle, politique – est abordée par
U. Reutner, Introduction, in Manuel des francophonies, U. Reutner éd. (Manuals of
Romance Linguistics, 22), Berlin-Boston, 2017, p. 1-6.
172
LAURA MINERVINI
extraordinaire floraison de travaux scientifiques portant sur l’usage
du français dans les États croisés – le royaume latin de Jérusalem, les
principautés de Tripoli et d’Antioche, le comté d’Édesse3 –, à Chypre,
à Rhodes et dans le voisin royaume de la Petite Arménie.
On connaît aujourd’hui environ quarante manuscrits français
copiés (et souvent décorés) en Orient latin – ils nous ont transmis des
œuvres de type historiographique, didactique, religieux et des pratiques
normatives, juridiques et administratives, originaires de l’Europe ou
composées sur place4. À côté de ces dernières on peut considérer au
moins une dizaine d’œuvres écrites Outremer, mais qui nous sont
parvenues dans des manuscrits copiés ailleurs, en général en France
ou en Italie.
On dispose également d’un important corpus de documents
originaux rédigés en Orient latin en langue française : on a pu
ainsi identifier plus de soixante chartes issues des chancelleries des
ordres militaires et des seigneuries du littoral syro-palestinien au
xiiie siècle, tandis que la documentation chypriote, provenant surtout
de la chancellerie royale, inclut plus de 200 textes, du xiiie jusqu’à la
deuxième moitié du xve siècle5.
3. La dénomination même d’États croisés pour les réalités politiques nées de la
conquête de 1096-1099 est très discutée ; on verra à ce propos Ch. MacEvitt, « What
was Crusader about the Crusader States? », al-Masaq 30, 2018, p. 317-330 ; A. Buck,
« Settlement, Identity, and Memory in the Latin East: An Examination of the Term
Crusader States », English Historical Review 135, 2020, p. 271-302.
4. Pour une vue d’ensemble de la production manuscrite en langue française
on verra L. Minervini « Les manuscrits français d’Outremer. Un nouveau bilan », in
Transferts culturels entre France et Orient latin (xiie-xiiies.), M. Aurell, M. Galvez et
E. Ingrand-Varenne éd., Paris, 2021, p. 149-172. Dans cette perspective de recherche
s’inscrivent les travaux très importants des historiens de l’art sur les manuscrits
décorés d’Outremer, comme H. Buchthal, Miniature Painting in the Latin Kingdom of
Jerusalem, Oxford, 1957 ; J. Folda, Crusader Manuscript Illumination at Saint-Jean
d’Acre 1275-1291, Princeton, 1976 ; Id., Crusader Art in the Holy Land, from the Third
Crusade to the Fall of Acre, 1187-1291, Cambridge, 2005. Pour d’autres références
bibliographique cf. infra, n. 11, 18, 23, 25-27, 40, 41, 43, 45, 48-54, 56-57 et 59-65.
5. Un outil de recherche extraordinaire est aujourd’hui représenté par la version
actualisée de R. Röhricht, Regesta regni Hierosolymitani, 2 vol., Innsbruck, 1893-1904,
c’est-à-dire la Revised Regesta Regni Hierosolymitani Database, J. Riley-Smith et
alii éd., < http://crusades-regesta.com/ >. Pour d’autres références bibliographiques
cf. infra, n. 12, 29, 39, 42, 46, 47, 55 et 58.
LA REDÉCOUVERTE DU LEVANT FRANCOPHONE
173
Un corpus considérable est constitué, encore, par les inscriptions
françaises, généralement funéraires, conservées à Chypre, à Rhodes,
en Israël et ailleurs – on en compte environ quatre-vingt-dix, dont
malheureusement les textes sont souvent fragmentaires6. On peut
encore mentionner quelques légendes en français des monnaies et des
sceaux des seigneurs francs de l’Orient latin7.
En dépit de l’abondance de sources disponibles, l’Orient latin est
resté très longtemps un espace dépourvu d’identité linguistique : les
chercheurs ont généralement sous-estimé l’étendue de l’implantation
du français au Levant au Moyen Âge et ont nié l’existence d’une scripta
locale du français médiéval, comme on la connaît pour le picard, le
poitevin, le bourguignon, etc.8. Encore en 2004, un des meilleurs
spécialistes en histoire de la francophonie médiévale, Serge Lusignan,
en polémique avec l’approche classique et « centripète » de Ferdinand
Brunot9, réclamait une place pour l’anglo-normand à côté des autres
dialectes français médiévaux, mais contestait le même droit aux autres
variétés extra-hexagonales :
« Il [Ferdinand Brunot] marginalisait la langue d’Angleterre en
l’associant aux usages ponctuels du français en Hollande et en Belgique
flamande, en Allemagne, en Italie ou dans les royaumes chrétiens
d’Orient. Pourtant, aucune de ces implantations artificielles du français
n’a donné naissance à une littérature propre, ni produit un registre original
de la langue écrite, ainsi que ce fut le cas en Angleterre. »10
6. Pour les références bibliographiques voir infra, n. 14 et 68.
7. S. De Sandoli, Corpus Inscriptionum Crucesignatorum Terrae Sanctae
(1099-1291) (Pubblicazioni dello Stadium Biblicum Franciscanum, Collectio Maior,
21), Jérusalem, Franciscan printing press, 1974, p. 269 et 320 ; A. G. Malloy, I. Fraley
Preston, A. J. Seltman, Coins of the Crusader States 1098-1291, New York, 1994, p. 77,
144, 156, 286 et 298-301.
8. On rappellera que « scripta est le terme le plus couramment utilisé par les
linguistes pour nommer la forme écrite des différents français régionaux du Moyen
Âge », dans la formulation de S. Lusignan, Essai d’histoire sociolinguistique. Le
français picard au Moyen Âge, Paris, 2012, p. 20. Pour le concept de scripta et
son utilisation en milieu français on fera référence à M. Glessgen, « Trajectoires et
perspectives en scriptologie romane », Medioevo romanzo 36, 2012, p. 5-23.
9. F. Brunot, Histoire de la langue française des origines à nos jours, I. De
l’époque latine à la Renaissance, Paris, 1905.
10. S. Lusignan, op. cit. (n. 1), p. 156. Il faut ajouter, cependant, que dans un
livre postérieur le même S. Lusignan a élargi sa perspective sur la diffusion du français
174
LAURA MINERVINI
Néanmoins, la plupart des sources qui constituent la base pour
notre connaissance de la scripta française de l’Orient avait été publiée
au xixe siècle : la Rhétorique de Cicéron traduite par Jean d’Antioche,
la Dime de pénitence par Jean de Journy, la Chronique d’Ernoul, les
Gestes des Chiprois, les continuations de l’Eracles – c’est-à-dire la
traduction française du Chronicon de Guillaume de Tyr – et les Assises
de Jérusalem, ces deux dernières parues dans le Recueil des Historiens
des Croisades, opération culturelle d’importance majeure11 ; mais
aussi les chartes concernant Chypre sous les Lusignan, sur lesquelles
Louis de Mas Latrie bâtit sa monumentale histoire de l’île, et celles des
hospitaliers conservées dans les archives de l’Ordre à Malte, incluses
par Joseph Delaville Le Roulx dans son énorme cartulaire12 ; et les
inscriptions médiévales de la Terre sainte, publiées par l’orientaliste
Charles Clermont-Ganneau13. Il faut ajouter à cela les deux volumes
des Archives de l’Orient Latin (1881-1884) et les douze de la Revue
de l’Orient latin (1893-1911) – publication officielle de la Société de
l’Orient latin, fondée en 1875 par le comte Paul Riant – qui recueillent
souvent des documents français rédigés dans les royaumes francs
d’Orient. Ces éditions n’étaient pas toujours impeccables du point
de vue philologique, mais elles offraient somme toute aux savants un
aperçu valable de la situation culturelle et linguistique de l’Outremer
médiéval, sans déclasser aucune expérience du rayonnement de la langue : S. Lusignan,
op. cit. (n. 8), p. 30 sq.
11. Cf. L. Delisle, « Notice sur la Rhétorique de Cicéron traduite par maître Jean
d’Antioche », in Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale et
des autres bibliothèques, vol. 36, Paris, 1899, p. 207-265 ; La Dime de penitance,
altfranzösisches Gedicht verfasst im Jahre 1288 von Jean de Journy, H. Breymann éd.,
Tübingen, 1874 ; Chronique d’Ernoul et de Bernard le Trésorier, L. de Mas Latrie éd.,
Paris, 1871 ; Les Gestes des Chiprois, G. Raynaud éd., Genève, 1887 ; L’Estoire
d’Eracles Empereur et de la Conqueste de la Terre d’Outremer, Recueil des Historiens
des Croisades. Historiens occidentaux, t. II, Paris, 1859 ; Les Assises de Jérusalem,
Recueil des Historiens des Croisades. Lois, vol. 1-2., A. A. Beugnot éd., Paris, 1841.
12. L. de Mas Latrie, Histoire de l’île de Chypre sous le règne des princes de
la maison de Lusignan, 3 vol., Paris, 1852-1861 ; J. Delaville le Roulx, Cartulaire
général de l’ordre des Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem (1100-1310), 4 vol.,
Paris, 1887-1906.
13. Ch. Clermont-Ganneau, « Matériaux inédits pour servir à l’histoire des
Croisades », Archives de l’Orient latin 2, 1884, p. 457-464 et 513 sq. ; Id., « Divers
monuments des croisades provenant de Syrie », Comptes rendus des Séances de
l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1894, p. 275 sqq.
LA REDÉCOUVERTE DU LEVANT FRANCOPHONE
175
franc. Cependant, il a fallu quelques décennies avant que les savants
ne s’en aperçoivent.
Le premier d’entre eux a probablement été Antoine Thomas
(1857-1935), philologue et linguiste formé à l’École de Chartes,
professeur de langue et littératures romanes à l’Université de Toulouse,
puis à la Sorbonne et enfin à l’École pratique des Hautes Études14.
Dans un article publié en 1901, A. Thomas signalait la forme delier
‘décembre’, rencontrée dans des sources « orientales » – Eracles,
Gestes des Chiprois, une cédule écrite à Nicosie en 1395 –, pour les plus
communes deloir, deleir, delair, répandues dans différentes régions de
la France, et la considérait comme « spéciale à l’Orient latin »15.
La remarque n’échappa pas à l’historien Charles-Victor Langlois
(1863-1929), qui s’en servit – avec d’autres éléments – pour soutenir
que l’auteur du Sidrac, encyclopédie en prose française du xiiie siècle,
« probablement vivait ou avait vécu dans l’Orient latin »16. A. Thomas
s’appuya sur l’hypothèse de Ch.-V. Langlois pour dériver le mot
pichar (picart, pichaar, picahar, bucahar etc.) ‘cloporte’ du Sidrac de
l’arabe būkawwār ; il se déclarait convaincu de l’attribution de l’œuvre
à un Franc de Terre sainte et annonçait une étude sur son lexique, qui
malheureusement n’a jamais vu le jour17.
14. Cf. C. Brunel, « A. Thomas (1857-1935) », Bibliothèque de l’École des
Chartes 96, 1935, p. 433-437.
15. A. Thomas, « Le mois de “deloir” », Bibliothèque de l’École des Chartes 62,
1901, p. 349-355, à la p. 351. Dans une mise à jour de l’article Thomas élimina la
référence aux Gestes de Chiprois : Id., Mélanges d’étymologie française. Première
série, nouvelle édition revue et annotée, Paris, 1927 (19021), p. 219-225.
16. Ch.-V. Langlois, La vie en France au Moyen Âge d’après quelques écrits
français à l’usage des laïcs, III. La connaissance de la nature et du monde, Paris, 1911,
p. 198 ; voir aussi les p. 188 sq. L’auteur est encore plus tranchant dans la nouvelle
édition de l’œuvre (Paris, 1927, p. 208), où il parle de « formes particulières à la
langue qui était en usage au xiiie siècle dans les colonies franques de l’Orient latin ».
À l’époque on ne disposait pas encore d’édition du Sidrac ; des extraits avaient été
publiés, voir par exemple E. Renan, G. Paris, « La Fontaine de toutes sciences du
philosophe Sidrach », in Histoire littéraire de la France XXXI, Paris, 1893, p. 285-318.
Cf. aussi F. Zinelli, « Traditions manuscrites d’Outremer (Tresor, Sidrac, Histoire
ancienne jusqu’à César) », in En français hors de France. Textes, livres, collections
du Moyen Âge, F. Zinelli et S. Lefèvre éd., Strasbourg, 2021, p. 59-107, à la p. 68.
17. A. Thomas, « L’anç fran. pichar et l’étymologie du franç. cloporte. Réponse
à une question », Romania 56, 1930, p. 161-177.
176
LAURA MINERVINI
Entre les deux articles, A. Thomas avait publié des extraits de la
traduction française de la Consolatio Philosophiae de Boèce par Pierre
de Paris, tirée du manuscrit Vat. Lat. 478818 – il avait pu examiner ce
manuscrit lors de son séjour à Rome en qualité de boursier à l’École
française (1879-1881), quand il s’était consacré à l’exploration des
trésors de la bibliothèque et des archives du Vatican19. L’édition des
extraits de la Consolation de philosophie était suivie par un glossaire
et précédée par une mince introduction, où A. Thomas en identifiait
correctement l’auteur avec le Pierre de Paris traducteur du Psautier
du manuscrit n° 1761 de la Bibliothèque nationale (aujourd’hui
Bibliothèque nationale de France, fr. 1761), dédié à l’hospitalier
Simon Le Rat, maréchal, puis commandeur de l’Ordre à Chypre de
1299 à 1310 – le même personnage pouvait être le commanditaire de
la traduction de Boèce, auquel Pierre se référait au début de l’œuvre
sans le nommer explicitement. Face au problème de la langue du texte,
A. Thomas la qualifia d’italianisante :
« Ce qui peut être tenu pour certain, d’après la qualité de son français
où le dialecte de la Vénétie a laissé une forte empreinte, c’est que Pierre
de Paris est né dans le domaine linguistique de l’Italie, comme le célèbre
Philippe de Novare. »20
C’était peut-être la spécialisation de A. Thomas dans la lexicologie
et la lexicographie qui l’amena à se focaliser seulement sur la
composante lexicale et donc à attribuer « la qualité » quelque peu
étrange de la langue du texte à la (présumée) origine italienne de son
auteur21.
18. A. Thomas, « Notice sur le manuscrit latin 4788 du Vatican contenant une
traduction française avec commentaire par maître Pierre de Paris, de la Consolatio
philosophiae de Boèce », in Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque
nationale et des autres bibliothèques, vol. 41, Paris, 1923, p. 29-90.
19. Déjà signalé par E. Langlois, Notices des manuscrits français et provençaux
de Rome antérieurs au xvie siècle, Paris, 1889, p. 261.
20. A. Thomas, art. cit. (n. 18), p. 34.
21. L’italianité de maître Pierre de Paris est aujourd’hui mise en doute ; on pense
plutôt que le manuscrit vatican aurait été préparé dans un atelier génois ou vénitien de
Chypre ou dans un atelier de Gênes à partir d’un modèle chypriote. On verra à ce propos
C. Concina, « Boethius in Cyprus? Pierre de Paris’s Translation of the Consolatio
Philosophiae », in Medieval French Literary Culture Outside France: Studies in the
Moving Word, N. Morato et D. Schoenaers éd., Turhout, 2019, p. 165-190.
LA REDÉCOUVERTE DU LEVANT FRANCOPHONE
177
Le mérite d’avoir exploité à fond les sources mises à disposion
par les savants du xixe siècle revient à Édith Brayer (1913-2009),
excellente philologue formée elle aussi à l’École des Chartes et entrée
ensuite au jeune Institut de Recherche et d’Histoire des Textes (IRHT),
auquel elle allait consacrer toute sa vie professionnelle22. Boursière à
l’École française de Rome en 1946, É. Brayer travaillait à un énorme
projet de l’IRHT d’inventaire des manuscrits français et provençaux
de la Bibliothèque Vaticane, mais trouva aussi le temps d’examiner
un recueil de textes pieux et didactiques copié dans un manuscrit de la
Biblioteca ventimiliana de Catane – aujourd’hui Biblioteca regionale
universitaria. En 1947, elle en publiait une description d’ensemble, avec
l’édition d’un des textes, un manuel de confession qui offre une version
abrégée du traité des vices de la Somme le Roi par frère Laurent23.
Contre l’opinion de Paolo Savj-Lopez, qui avait daté le manuscrit au
xve siècle24, Brayer proposait sur une base paléographique une datation
au siècle précédent ; elle refusait aussi l’idée d’une origine italienne du
manuscrit, malgré les emprunts aux dialectes italiens rencontrés dans
le texte :
« C’est un fait qu’un certain nombre d’italianismes émaillent le texte ;
ces caractères sont sporadiques, et l’écriture n’est pas du tout italienne.
Nous avons été amené à chercher l’origine du manuscrit de Catane plutôt
du côté de l’Orient latin. En effet, certaines habitudes de graphie et des
traits linguistiques propres à ce manuscrit se retrouvent dans des textes
provenant de l’île de Chypre ou du royaume de Jérusalem. »
22. Cf. A.-F. Leurquin, « Édith Brayer (1913-2009) », Bibliothèque de l’École
des Chartes 169, 2011, p. 663 sqq. ; M. L. Savoye, A. F. Leurquin-Fable, J.-P. Lebigue,
M. Careri, « Sur les traces d’Édith Brayer : catalogue des manuscrits français et occitans
de la Bibliothèque Vaticane », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge [en
ligne] 126.2, 2014, http://journals.openedition.org/mefrm/2212 (consulté le 26/1/2023).
23. É. Brayer, « Un manuel de confession en ancien français conservé dans
un manuscrit de Catane (Bibl. Ventimiliana, 42) », Mélanges d’Archéologie et
d’Histoire 69, 1947, 155-198. Le manuscrit est aujourd’hui siglé Vent. 27. On rappellera
qu’Édith Brayer avait soutenu sa thèse en 1940 sur la Somme le Roi ; l’édition de
l’œuvre a paru seulement en 2008 : La Somme le Roi par frère Laurent, É. Brayer et
A. F. Leurquin éd., Paris, 2008.
24. P. Savj-Lopez, « Una redazione francese della Visio Pauli a Catania »,
Archivio storico per la Sicilia orientale 3, 1906, p. 91-94.
178
LAURA MINERVINI
Les textes rédigés dans l’Orient latin – les Gestes des Chiprois25,
les Assises de Jérusalem, la Consolation de philosophie – étaient
dûment utilisés comme termes de comparaison au niveau graphique
et phonétique ; le glossaire final recueillait le matériel intéressant du
point de vue lexical, surtout des italianismes.
Dans un article postérieur, Édith Brayer retourna brièvement à ce
sujet, en observant que les textes du manuscrit Vat. Lat. 4789 – Assises
de Jérusalem et Lignages d’Outremer – présentaient les mêmes « traits
dialectaux » que la traduction de Boèce ; elle en concluait que les deux
manuscrits formaient « une petite épave d’une collection formée en
Chypre »26, ce que les recherches plus récentes n’ont pas confirmé27.
Le travail d’Édith Brayer, qu’on peut considérer comme un exploit
extraordinaire étant donné que personne jusqu’alors n’avait su mettre
en évidence les traits caractéristiques d’une variété française de
l’Orient latin, représente une étape fondamentale dans la redécouverte
du Levant francophone. Pour l’étape suivante, pourtant, il faudra
attendre presque vingt ans : en 1965 Jacques Monfrin (1924-1998),
un des grands maîtres de la philologie romane, comme A. Thomas
et É. Brayer, sorti de l’École des Chartes et passé ensuite par l’École
française de Rome (1947-1949, 1951-1952), publiait un compte rendu
du recueil de documents chypriotes édités par Jean Richard28. Ce dernier,
auteur de très importantes études d’histoire sociale et économique de
l’Orient latin, avait réuni en 1962 dans un livre précieux une collection
de textes latins et français provenant de Chypre : des diplômes émis par
la chancellerie royale (1432-1457), le dossier d’une nonciature dans
l’île (1327-1330) et celui de la succession de Guy d’Ibelin, évêque de
25. Dont entre temps était sortie une nouvelle édition : Les Gestes des Chiprois,
L. de Mas Latrie et G. Paris éd., Recueil des Historiens des Croisades. Documents
arméniens, vol. 2, Paris, 1906, p. 651-872 et 999-1012.
26. É. Brayer, P. Lemerle, V. Laurent, « Le Vaticanus latinus 4789 : histoire et
alliances des Cantacuzènes aux xive-xve siècles », Revue des Études byzantines 9,
1951, p. 47-105, à la p. 48. Le manuscrit est daté au xve siècle.
27. Cf. C. Concina, art. cit. (n. 21),p. 173.
28. J. Monfrin, « Compte rendu de Chypre sous les Lusignans. Documents
chypriotes des Archives du Vatican (xive et xve s.) publiés par Jean Richard, 1962 »,
Romania 86, 1965, p. 123-126. Pour le profil scientifique de ce savant, professeur à
l’École des Chartes et à l’École pratique des Hautes Études, et membre de l’Académie
des Inscriptions et Belles-Lettres, on verra F. Vieillard, « Jacques Monfrin (1924-1998) »,
Bibliothèque de l’École des Chartes 157, 1999, p. 317-322.
LA REDÉCOUVERTE DU LEVANT FRANCOPHONE
179
Limassol (1367) ; à ces matériaux, tous conservés dans les archives du
Vatican, il ajoutait un compte privé (1423), copié dans un manuscrit
de la Bibliothèque nationale (aujourd’hui Bibliothèque nationale de
France, gr. 1381), écrit dans un extraordinaire mélange de français,
italien et grec, que l’éditeur considérait – à tort – comme un échantillon
de la soi-disant lingua franca29.
J. Monfrin dédiait son compte rendu essentiellement aux pièces en
langue française, qu’il analysait dans la perspective de la dialectologie –
on rappellera qu’il allait reprendre en 1974 l’ambitieux projet d’édition
des Plus anciens documents linguistiques de la France, conçu par Paul
Meyer dans les années 1890 et poursuivi par Clovis Brunel à partir de
192630. Comme l’avaient fait auparavant A. Thomas et É. Brayer, J.
Monfrin mettait à profit aussi d’autres textes provenant d’Outremer
– Boèce et le Psautier de Pierre de Paris, Dime de Pénitence, Sidrac –
pour mettre en relief quelques éléments phonétiques, morphologiques
et surtout lexicaux propres à ce qu’il appelait nettement du « français
d’Orient ». Il soulignait les différentes composantes qui entraient dans
cette variété – le provençal, l’italien, le grec, mais aussi le français
dialectal. Ainsi, par exemple, il observait à propos du mot mermanse
‘diminution’, présent dans le méticuleux glossaire de J. Richard :
« Le verbe mermer et les composés amermer, amermement,
amermance sont des mots de l’Ouest […]. Cette famille est attestée dans
tout le domaine provençal […]. Elle est largement représentée aussi dans
les textes provenant de l’Orient latin, royaume de Jérusalem et Chypre,
qu’il s’agisse de documents administratifs ou d’œuvres littéraires. […]
Quoi qu’il en soit, on est bien tenté de penser que les dérivés de minimus
29. Chypre sous les Lusignans. Documents chypriotes des Archives du Vatican
(xive et xve s.) (Institut français d’Archéologie de Beyrouth, Bibliothèque archéologique
et historique, LXXIII), J. Richard éd., Paris, 1962. Pour une nouvelle édition du compte
de 1423, avec un excellent commentaire linguistique, cf. D. Baglioni, La « scripta »
italoromanza del regno di Cipro. Edizione e commento di testi di scriventi ciprioti del
Quattrocento, Rome, 2006, p. 175-183.
30. Cf. J. Monfrin, « Introduction », in Chartes en langue française antérieures à
1271 conservées dans le département de la Haute-Marne (Documents linguistiques de
la France, série française, 1), G. Gigot éd., Paris, 1974, p. XI-LXXX. Pour l’évolution
du projet aujourd’hui cf. M. Glessgen, « Architecture et méthodologie du projet des
Plus anciens documents linguistiques de la France, édition électronique », Bibliothèque
de l’École des Chartes 168, 2010, p. 7-24.
180
LAURA MINERVINI
ont été apportés dans le Proche-Orient, soit par les croisés provençaux,
soit plutôt par les Poitevins, à la suite des Lusignans. »31
Le rôle joué par les dialectes italiens dans les textes chypriotes nous
conduit au dernier des précurseurs des études sur le français d’Outremer,
aujourd’hui si répandues. Il s’agit de Gianfranco Folena (1920-1992),
insigne historien de la langue italienne et philologue roman, professeur
à l’Université de Padoue, qui dressera, pour la première fois, un tableau
de la situation linguistique de l’Orient latin et ouvrira ainsi des pistes
que beaucoup d’autres chercheurs suivront. G. Folena avait lu les textes
chypriotes publiés par J. Richard (mais apparemment pas le compte
rendu de J. Monfrin) et, dans un article dédié à la documentation du
vénitien colonial – qu’il proposait d’appeler « veneziano de là da mar »
–, incluait un paragraphe sur la symbiose franco-vénitienne à Chypre32.
Il arrêtait son attention en particulier sur le compte multilingue de
1423, qu’il considérait un « pastiche mercantile trilingue », à propos
duquel il énonçait le commentaire suivant :
« Questo non è un sabir, né un petit nègre né un pidgin : è una
lingua mista nata nel contatto e nella compenetrazione di due comunità
linguistiche, nel momento in cui un gruppo linguistico, quello francese,
cede il cammino all’altro. »33
En 1974, G. Folena présentait au XIV e congrès international
de linguistique et philologie romane de Naples un rapport dédié au
français et au vénitien au Levant, qui allait être publié en une version
abrégée dans les actes du congrès (1978), et seulement douze ans
31. J. Monfrin, art. cit. (n. 29), p. 126.
32. G. Folena, « Introduzione al veneziano “de là da mar” », Bollettino dell’Atlante
linguistico mediterraneo 10-12, 1968-1970, p. 331-376 ; republié dans Id., Culture e
lingue nel Veneto medievale, Padoue, 1990, p. 227-267, d’où la citation suivante. À
propos des études et de la personnalité de Folena on verra P. V. Mengaldo, « Ricordo di
Gianfranco Folena », Giornale storico della Letteratura italiana 169, 1992, p. 321 sqq.
; A. Varvaro, « Per Gianfranco Folena », Medioevo romanzo 17, 1992, p. 3-5. L’article
de G. Folena sur le vénitien colonial ainsi que sa dénomination de « veneziano de là da
mar » ont connu du succès, illustré – entre autres choses – par le récent recueil d’essais
sur le sujet : Il veneziano « de là da mar ». Contesti, testi, dinamiche del contatto
linguistico e culturale (Beihefte zur Zeitschrift für romanische Philologie, 441),
D. Baglioni éd., Berlin-Boston, 2019.
33. G. Folena, art. cit. (n. 33) p. 258.
LA REDÉCOUVERTE DU LEVANT FRANCOPHONE
181
plus tard dans sa forme originale34. Dans cet essai, dont la lecture est
encore aujourd’hui très suggestive, G. Folena esquissait une histoire
linguistique des royaumes croisés :
« I regni franchi del Levante costituiscono dunque una minuscola
Romània d’Outre-mer, con piccoli stati feudali francesi dotati di varia
fisionomia etnico-linguistica, a dominante normanna nel nord, col
principato di Antiochia, fondato da Boemondo, franciana nel certo-sud
(Regno e assise di Gerusalemme), occitanica nella contea di Tripoli,
fondata da Raimondo di Tolosa, antagonista di Boemondo : stati
militari-feudali, coi “terzieri” dei mercanti e borghesi dei comuni italiani
delle repubbliche marinare insediati nelle città costiere. […] Si hanno
così, fin dai primi decenni del secolo XII, le condizioni per lo sviluppo
di varietà coloniali delle lingue romanze. Nelle diverse comunità si sarà
conservata la parlata d’origine, ma per gli scambi orali la lingua dominante
doveva essere il francese, che nell’uso amministrativo oltre che in quello
letterario si afferma presto accanto al latino. »35
Il se penchait ensuite sur le lexique des documents vénitiens copiés
dans le Liber Albus et dans le Liber pactorum de l’Archive de Venise,
qu’il considérait exemplaires d’une langue administrative francovénitienne, riche en arabismes – un lexique partagé par les textes
français d’Outremer, avant tout les Assises de Jérusalem. Il signalait
les affinités entre le français écrit en Orient par Philippe de Novare et
celui écrit « deçà la mer » par Martin da Canal – auteur des Estoires de
Venise – et Rustichello da Pisa – auteur, avec Marco Polo, du Devisement
du monde. Il soulignait enfin les insuffisances de ce nouveau secteur
d’études, mais aussi son énorme intérêt méthodologique :
« La fisionomia di queste scriptae, legate in partenza alle tradizioni
scrittorie e ai tratti dialettali d’origine, ma con svolgimenti propri e fenomeni
di conguaglio, d’interferenza specie italo-francese-provenzale, di ibridismo,
ma anche di conservazione arcaica, come avviene per tutte le lingue che
rimangono isolate dalla madre patria (si pensi al franco-canadese), resta
ancora da studiare sistematicamente, dopo i sondaggi del Thomas, della
Brayer, di Jean Richard. Manca tuttora una ricognizione sufficientemente
larga di manoscritti francesi e italiani di provenienza orientale. […] Si dirà
34. G. Folena, « La Romània d’oltremare: francese e veneziano nel Levante », in
Atti del XIV Congresso internazionale di linguistica e filologia romanza, A. Varvaro
éd., Naples-Amsterdam, 1978, vol. I p. 399-406 ; republié dans Id., op. cit. (n. 33),
p. 269-286, d’où les citations suivantes.
35. G. Folena, art. cit. (n. 35), p. 275.
182
LAURA MINERVINI
che si tratta di svolgimenti senza avvenire e senza vistose conseguenze.
[…] Tuttavia mi pare che lo studio di queste evoluzioni sociolinguistiche
d’oltremare rivesta un interesse intrinseco, metodologico, e che vada
considerato d’altronde in rapporto alle ripercussioni che ha avuto sullo
spazio originario nel movimento di riflusso. »36
Les travaux de G. Folena ont eu une énorme influence sur les
développements ultérieurs des études, conduites souvent par des
chercheurs italiens. Depuis les années 1980, les éditions de textes
français provenant de l’Orient latin se sont multipliées, pour devenir
une avalanche ces vingt dernières années37. Parallèlement on a eu des
essais de description de la langue des textes, et dans une moindre mesure
des études sur la vie culturelle dans les royaumes croisés. Voici une
vue d’ensemble, tout à fait provisoire, des publications scientifiques
postérieures à G. Folena, des années 1980 à nos jours.
Pour ce qui est des éditions de textes copiés dans des manuscrits
et des documents originaux (chartes, lettres, etc.) on mentionnera : les
registres de la Secrète du Royaume de Chypre (1468-1469), publiés
par Jean Richard (1983)38 ; la Continuation de Guillaume de Tyr des
années 1184-1197, publiée par Margaret Ruth Morgan (1984)39 ; des
nombreuses sections de l’Histoire ancienne jusqu’à César, publiées
par Mary Coker Joslin (1986), Marjike de Visser-Van Tervisga (1995),
Marc-Réné Jung (1996), Catherine Gaullier-Bougassas (2011) et Anne
Rochebouet (2015)40 ; le testament français d’un marchand vénitien à
36. Ibid., p. 282-283.
37. Les textes écrits originairement Outremer qu’on lit dans des manuscrits
copiés en Europe conservent surtout des traces lexicales du français d’Outremer, le
lexique étant la composante la plus résistante aux procès de recodification mis en
œuvre normalement par les scribes.
38. Livre des remembrances de la Secrète du Royaume de Chypre (1468-1469),
J. Richard éd., avec la collaboration de Th. Papadopoullos, Nicosie, 1983.
39. La Continuation de Guillaume de Tyr (1184-1197), M. R. Morgan éd., Paris,
1982.
40. The Heard Word: A Moralized History. The Genesis Section of Histoire
Ancienne in a Text from Saint-Jean d’Acre, M. Coker Joslin éd., Lafayette, 1986 ;
Histoire ancienne jusqu’à César (Estoires Rogier). Édition partielle des manuscrits
Paris BnF 20125 et Vienne ONB 2576, M. de Visser-Van Tervisga éd., 2 vol., Orléans,
1995 ; M.-R. Jung, La légende de Troie en France au Moyen Âge. Analyse des versions
françaises et bibliographie raisonnée des manuscrits, Basel, 1996, p. 358-430 ;
L’Histoire ancienne jusqu’à César ou Histoire pour Roger, châtelain de Lille, de
Wauchier de Denain. L’histoire de la Macédoine et d’Alexandre le Grand, C. Gaullier-
LA REDÉCOUVERTE DU LEVANT FRANCOPHONE
183
Chypre (1294), publié par Valeria Bertolucci Pizzorusso (1988)41 ; les
Mémoires de Philippe de Novare, publiés par Silvio Melani (1994)42 ; le
Sidrac publié par Ernstpeter Ruhe (2000)43 ; la Chronique du Templier
de Tyr, publiée par Laura Minervini (2000)44 ; le mémoire du patriarche
de Jérusalem adressé au maître du Temple en France (1267), publié par
Alain Demurger (2000)45 ; l’acte de cession par Henri Ier de Lusignan à
Jean de Brienne de ses droits sur les comtés de Champagne et de Brie
(1247), publié par Marie-Adélaïde Nielen (2000)46 ; le Livre des Assises
de Jean d’Ibelin, publié par Peter W. Edbury (2003)47 ; les règlements
administratifs de l’Hôpital de Saint-Jean à Jérusalem, publiés par
Susan Edgington (2005)48 ; les livres de la Genèse et de l’Exode de la
Bible d’Acre, publiés par Pierre Nobel (2006)49 ; la Dime de Pénitence
de Jean de Journy, publiée par Glynn Hesketh (2006)50 ; le glossaire
franco-arabe en caractères coptes, publié par Cyril Aslanov (2006)51 ;
les traductions des Otia imperialia de Gervaise de Tilbury et de la
Bougassas éd., Turnhout, 2012 ; Histoire ancienne jusqu’à César ou Histoire pour
Roger, châtelain de Lille, de Wauchier de Denain. L’histoire de la la Perse, de Cyrus
à Assuérus, A. Rochebouet éd., Turnhout, 2015. On doit à l’équipe londonienne
coordonnée par Simon Gaunt, The Values of French Language and Literature in the
European Middle Ages, King’s College London, la transcription numérique intégrale
du texte du manuscrit BnF, fr. 20125 < https://tvof.ac.uk/ > (consulté le 1/02/2023).
41. V. Bertolucci Pizzorusso, « Testamento in francese di un mercante veneziano
(Famagosta, gennaio 1294) », Annali della Scuola normale superiore di Pisa, Classe di
Lettere e Filosofia, serie II, 18, 1988, p. 1011-1033, après in Ead., Scritture di viaggio.
Relazioni di viaggiatori e altre testimonianze letterarie e documentarie, Rome, 2011,
p. 243-267.
42. Filippo da Novara, Guerra di Federico II in Oriente, S. Melani éd., Naples,
1994.
43. Sydrach le philosophe. Le livre de la fontaine de toutes sciences, E. Ruhe éd.,
Wiesbaden, 2000.
44. Cronaca del Templare di Tiro, éd. L. Minervini, Naples, 2000.
45. A. Demurger, « Pour trois mille livres de dette : Geoffroy de Sergines et le
Temple », in La présence latine en Orient au Moyen Âge, G. Brunel et M. A. Nielen
éd., Paris, 2000, p. 67-76.
46. M. A. Nielen, « La succession de Champagne dans les chartes du royaume
de Chypre », in La présence latine en Orient au Moyen Âge, op. cit. (n. 46), p. 77-94.
47. John of Ibelin, Le Livre des Assises, P. W. Edbury éd., Leiden-Boston, 2003.
48. S. Edgington, « Administrative Regulations for the Hospital of St. John in
Jerusalem », Crusades 4, 2005, p. 21-37.
49. La Bible d’Acre. Genèse et Exode, P. Nobel éd., Besançon, 2006.
50. La Disme de Penitanche by Jehan de Journi, G. Hesketh éd., Londres, 2006.
51. C. Aslanov, Evidence of Francophony in Medieval Levant: Decipherment
and Interpretation of Ms. BnF Copte 43, Jérusalem, 2006.
184
LAURA MINERVINI
Rhétorique de Cicéron par Jean d’Antioche, publiées respectivement
par Cinzia Pignatelli (2006) et par Elisa Guadagnini (2009)52 ; les
projets de croisade (v. 1290-v. 1330), publiés par Jacques Paviot
(2008)53 ; le document relatif au coup d’État d’Amaury de Lusignan
à Chypre (1306), publié par Laura Minervini (2008)54 ; Le Livre en
forme de plait de Philippe de Novare, publié par Peter W. Edbury
(2009)55 ; la règle et les statuts des templiers, publiés par Giovanni
Amatuccio (2009)56 ; les documents des Hospitaliers des archives de
Rhodes (1409-1459), publiés par Karl Borchardt, Anthony Luttrell et
Eckhard Schöffler (2011)57 ; les Pèlerinages communes et les Pardons
d’Acre, publiés par Fabio Romanini (2012)58 ; le Songe du vieil pèlerin
de Philippe de Mézières, publié par Joël Blanchard (2015)59 ; les guides
de pèlerinage, publiés par Gabriele Giannini (2016)60 ; le fragment du
Trésor de Brunetto Latini copié dans le Psautier Hamilton, publié par
Massimiliano Gaggero (2019)61 ; les Quatre temps de l’homme de
Philippe de Novare, publié par Silvio Melani (2020)62 ; la Chronique
52. Les traductions françaises des « Otia imperialia » de Gervais de Tilbury
par Jean d’Antioche et Jean de Vignay. Édition de la troisième partie, C. Pignatelli
et D. Gerner éd., Genève, 2006 ; La « Rectorique de Cyceron » tradotta da Jean
d’Antioche, E. Guadagnini éd., Pise, 2009.
53. Projets de croisade (v. 1290-v. 1330), J. Paviot éd., Paris, 2008, p. 171-181
et 199-233.
54. Ch. Schabel, L. Minervini, « The French and Latin Dossier on the Institution
of the Government of Amaury of Lusignan, Lord of Tyre, brother of King Henry II of
Cyprus », Επετηρίς του Κέντρου ερεύνης της Iστορίας του ελληνικού Δικαίου 34, 2008,
p. 75-119.
55. Philip of Novara, Le Livre en Forme de Plait, P. W. Edbury éd., Nicosie, 2009.
56. Il Corpus normativo templare, G. Amatuccio éd., Galatina, 2009.
57. Documents concerning Cyprus from the Hospital’s Rhodian Archives
(1409-1459), publiés par K. Borchardt, A. Luttrell et E. Schöffler, Nicosie, 2011.
58. F. Romanini, B. Saletti, I « Pelrinages communes », i « Pardouns de Acre » e
la crisi del regno crociato, Padoue, 2012.
59. Philippe de Mézières, Songe du viel pelerin, J. Blancherd éd., avec la
collaboration de A. Calvet et D. Kahn, Genève, 2015.
60. G. Giannini, Une guide français de Terre sainte, entre Orien latin et Toscane
occidentale, Paris, 2016.
61. M. L. Meneghetti, M. Gaggero, « La cultura occidentale tra Costantinopoli
e Cipro all’inizio del XIV secolo: gli affreschi della Kalenderhane Camii et il Salterio
Hamilton », in XI colloquio internazionale medioevo romanzo e orientale. Linee
storiografiche e nuove prospettive di ricerca, F. Bellino, A. Creazzo et A. Pioletti éd.,
Soveria Mannelli, 2019, p. 237-265.
62. Filippo da Novara, Les .iiij. tenz d’aage d’ome, S. Melani éd., Padoue, 2020.
LA REDÉCOUVERTE DU LEVANT FRANCOPHONE
185
d’Ernoul et la Continuation Colbert-Fontainebleau de Guillaume de
Tyr, publiées par Massimiliano Gaggero et Peter W. Edbury (2023)63.
Des thèses de doctorat ont été dédiées à l’édition et à l’étude des
textes d’Outremer, entre autres, par Katja Klement (1996), Simonetta
Cerrini (1997), Anna Di Fabrizio (2013), Maria Jouet (2013), Elena de
la Cruz Vergari (2016) et Kasser-Antton Hélou (2017)64.
Aux travaux philologiques susmentionnés s’ajoutent de nombreuses
études linguistiques, souvent par les même auteurs des éditions, qui ont
tracé les contours de la scripta française d’Orient65.
63. The Chronique d’Ernoul and the Colbert-Fontainebleau Continuation of
William of Tyre, P. Edbury et M. Gaggero éd., 2 vol., Leiden-Boston, 2023.
64. K. Klement, « Von Krankenspeisen und Ärzten... » Eine unbekannte Verfügung
des Johannitermeisters Roger des Moulins (1177-1187) im Codex Vaticanus Latinus
4852, Université de Salzbourg, 1996 ; S. Cerrini, Une expérience neuve au sein de la
spiritualité médiévale : l’ordre du Temple (1120-1314). Étude et édition des règles latine
et française, Université de Paris-Sorbonne ; A. Di Fabrizio, Saggio per una definizione
del francese d’Oltremare: edizione critica della Continuazione di Acri dell’Historia
di Guglielmo di Tiro, Université de Padoue-École pratique des Hautes Études, 2013 ;
M. Jouet, Le Roman d’Alexandre en prose. Le manuscrit Vu 20, Kungliga biblioteket,
Stockholm. Édition et étude linguistique, Université de Stockholm, 2013 ; E. de la Cruz
Vergari, Édition critique d’une traduction française anonyme en prose du xiiie siècle
de l’Epitoma rei militaris de Végèce, Université de Barcelone-Université de Vérone,
2016 ; K.-A. Hélou, Étude et édition de l’Histoire d’Outremer d’après le manuscrit
Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana Pluteus LXI. 10, f. 274-f. 336, Université
Paris-Sorbonne, 2017.
65. C’est le cas, entre autres, de C. Aslanov, « Languages in Contact in the Latin
East: Acre and Cyprus », Crusades 1, 2002, p. 155-181 ; Id., Le français au Levant,
jadis et naguère. À la recherche d’une langue perdue, Paris, 2006 ; Id., « Crusaders’
Old French », in Research on Old French: The State of the Art, D. L. Arteaga éd.,
Dordrecht, 2013, p. 207-220 ; L. Minervini, « Le français dans l’Orient Latin
(xiiie-xive s.). Éléments pour la caractérisation d’une scripta du Levant », Revue de
Linguistique romane 74, 2010, p. 121-198 ; Ead., « Les emprunts arabes et grecs
dans le lexique français d’Orient (xiiie-xive s.) », Revue de Linguistique romane 76,
2012, p. 99-197 ; Ead. « La variation lexicale en fonction du contact linguistique : le
français dans l’Orient latin », in La régionalité lexicale du français au Moyen Âge,
M. Glessgen et D. Trotter éd., Strasbourg, 2016, p. 195-206 ; Ead., « What We Know
and Don’t Yet Know of Crusader French? », in The French of Outremer. Communities
and Communications in the Medieval Mediterranean, L. K. Morreale et N. L. Paul éd.,
New York, 2018, p. 15-29 ; P. Nobel, « Les translateurs et leur public : l’exemple
de la Bible d’Acre et de la Bible anglo-normande », Revue de Linguistique romane
66, 2002, p. 251-272. ; Id., « Écrire dans le Royaume franc : la scripta de deux
manuscrits copiés à Acre au xiiie siècle », in Variations linguistiques. Koinés, dialectes,
français régionaux, P. Nobel éd., Besançon, 2003, p. 33-52 ; Id., « L’Exode de la
186
LAURA MINERVINI
C’est un cas à part, celui de Fabio Zinelli, auquel on ne doit pas
d’éditions mais de très importantes études sur la tradition manuscrite
de quelques œuvres originaires d’Outremer ou qui y ont circulé
au xiiie siècle – Eracles, Sidrac, Trésor, Histoire ancienne jusqu’à
César, etc. F. Zinelli a su combiner d’une manière très innovante le
savoir-faire du philologue, du paléographe et du linguiste, avec des
résultats d’excellente qualité66.
Il faut signaler encore les travaux sur les matériaux épigraphiques
d’Outremer – avant tout le recueil des inscriptions de Chypre dirigé
par Béatrice Imhaus (2004), mais aussi de nombreuses études sur les
inscriptions de Terre sainte et de Rhodes67 – et celles sur l’histoire
Bible d’Acre transcrit dans un manuscrit de l’Histoire ancienne jusqu’à César », in
Philologia Ancilla Litteraturae. Mélanges de philologie et littérature françaises du
Moyen Âge offerts au Professeur Gilles Eckard, A. Corbellari, Y. Greub et M. Uhlig éd.,
Genève-Neuchâtel, 2013, p. 195-208.
66. Cf. F. Zinelli, « Sur les traces de l’atelier des chansonniers occitans IK :
le manuscrit de Vérone, Biblioteca Capitolare, DVIII et la tradition méditerranéenne
du Livre dou Tresor », Medioevo romanzo 31, 2007, p. 7-69 ; Id., « Les històries
franceses de Troia i d’Alexandre a Catalunya i a ultramar », Mot so razo 12, 2013,
p. 7-18 ; Id., « The French of Outremer Beyond the Holy Land », in The French of
Outremer. Communities and Communications in the Medieval Mediterranean, op. cit.,
p. 221-246 ; Id., art. cit (n. 16).
67. B. Imhaus, Lacrimae Cypriae. Corpus des Pierres Tombales de Chypres,
2 vol., Nicosie, 2004 ; D. Pringle, « Crusader Inscriptions from Southern Labanon »,
Crusades 3, 2004, p. 131-151 ; Id., « Notes on Some Inscriptions from Crusader Acre »,
in In Laudem Hierosolymitani. Studies in Crusades and Medieval Culture in Honour
of Benjamin Z. Kedar, I. Shagrir, R. Ellenblum et J. Riley-Smith éd., Aldershot, 2007,
p. 191-209 ; A. Kasdagli, « The Hospitaller Rhodes: The Epigraphic Evidence », in
The Hospitallers, the Mediterranean and Europe. Festschrift for Anthony Luttrell,
K. Borchardt, N. Jaspert et H. J. Nicholson éd., Aldershot, 2007, p. 109-129 ; Ead.,
« Funerary Monuments of the Hospitaller Rhodes: An Overview », in The Military
Orders, vol. 4, On Land and By Sea, J. Upton-Ward éd., Aldershot, 2008, p. 175-188 ;
C. Treffort, « Les inscriptions latines et françaises des xiie et xiiie siècles découvertes à
Tyr », in Sources de l’histoire de Tyr. Textes de l’Antiquité et du Moyen Âge, P.-L. Gatier
et J. Aliquot éd., Beyrouth, 2011, p. 221-251 ; P.-V. Claverie, « Les difficultés de
l’épigraphie franque de Terre sainte aux xiie et xiiie siècles », Crusades 12, 2013,
p. 67-90 ; C. Dussart, E. Ingrand-Varenne, M. A. Villano, S. Mavromatidis, T. Grégor,
V. Agrigoroaei, « L’inscription palimpseste du château de Larnaca. Tour de force
méthodologique interdisciplinaire », Museikon 5, 2021, p. 51-89. Le dernier article cité
est un produit du projet ERC-GRAPH EAST Latin as an Alien Script in the Medieval
« Latin East », dirigé par Estelle Ingrand-Varenne, qui se propose d’étudier les écritures
épigraphiques en alphabet latin dans la Méditerranée orientale du viie au xvie siècle.
LA REDÉCOUVERTE DU LEVANT FRANCOPHONE
187
culturelle de l’Orient latin, en particulier les œuvres récentes de
Jonathan Rubin (2018) et de Julian Yolles (2022)68.
On peut considérer comme accompli depuis quelques années le
processus de redécouverte de la francophonie médiévale au Levant,
ce qui est confirmé par la présence d’une section dédiée au « français
en Méditerranée orientale » dans l’histoire de la langue française
par Alain Rey, Frédéric Duval et Gilles Siouffi (2007)69. Si cette
redécouverte est sans doute le résultat des efforts successifs qu’on a
brièvement passés en revue, à partir des savants du xixe siècle jusqu’à
aujourd’hui, l’accélération dans la démarche n’est pas sans relation
avec le grand essor des études historiques sur l’Orient latin depuis les
années 1970 – on peut évoquer ici les noms de Joshua Prawer, David
Jacoby, Benjamin Z. Kedar, Hans Eberhard Mayer, Franco Cardini,
Bernard Hamilton, Jonathan Riley-Smith, Peter W. Edbury, Michel
Balard et le susmentionné Jean Richard, qui, avec beaucoup d’autres
historiens et leurs élèves proches et lointains, ont énormément élargi
nos connaissances sur la société franque d’Orient et en même temps
ont stimulé l’intérêt des philologues et des linguistes. On ne peut que
souhaiter que cette féconde relation entre spécialistes de secteurs
différents, mais voisins, puisse continuer aussi dans le futur, pour le
plus grand avantage de tous.
Laura Minervini
68. J. Rubin, Learning in a Crusader City. Intellectual Activity and Intercultural
Exchanges in Acre, 1191-1291, Cambridge, 2018 ; J. Yolles, Making the Latin East. The
Latin Literature of the Levant in the Era of the Crusades, Washington, 2002. On verra
aussi L. Minervini, « Outremer », in Lo spazio letterario del Medioevo, 2. Il Medioevo
volgare, P. Boitani, M. Mancini et A. Varvaro éd., vol. I, 2, Rome, 2001, p. 611-648 ;
A. Bale, « Reading and Writing in Outremer », in The Cambridge Companion to the
Literature of the Crusades, A. Bale éd., Cambridge, 2019, p. 85-101.
69. A. Rey, F. Duval, G. Siouffi, Mille ans de la langue française, histoire d’une
passion, I. Des origines au français moderne, Paris, 2007, p. 442-451.