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Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 67 (2019) 121–129 Article original La créativité, ressource potentielle de l’enfant et l’adolescent, à évaluer, révéler et développer Creativity, a potential resource for children and adolescents to evaluate, reveal and develop T. Lubart a,∗ , M. Besançon b , B. Barbot c a Université Paris Descartes, France Université Rennes 2, Rennes, France c Pace University, New York, Etats Unis b Résumé La créativité prend une place de plus en plus importante dans notre société et il est donc important de l’évaluer afin d’encourager son développement, et ceci, dès le plus jeune âge. La créativité est la capacité à générer des productions originales et adaptées dans leur contexte. Cet article présente le concept de haut potentiel créatif qui se distingue de celui de haut potentiel intellectuel. Nous présentons ensuite la batterie d’Évaluation du Potentiel Créatif (EPoC) qui permet d’évaluer le potentiel créatif dans deux types de pensée (divergente-exploratoire vs convergente-intégrative), et ceci dans plusieurs champs d’application (verbal-littéraire vs graphique-artistique). Les normes de cette batterie ont été développées auprès d’enfants scolarisés en école élémentaire et de nouvelles normes sont en cours de développement pour les élèves de collège (pour les domaines d’application verbal-littéraire, graphique-artistique et social). L’intérêt de cette batterie pour les psychologues et psychiatres est discuté dans le contexte du bilan psychologique et le suivi thérapeutique. © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Haut Potentiel ; Créativité ; Intelligence ; Évaluation Abstract Creativity is increasingly important in our society, so it is important to evaluate it and develop it from the youngest age. Creativity refers to the ability to generate productions that are original and meaningful in their production-based context. This article presents the concept of high creative potential, which can be distinguished from high intellectual potential. We then present the Evaluation of Creative Potential (EPoC) battery, which allows creative potential to be measured in two types of thinking (divergent-exploratory vs. convergent-integrative) in several domains of application (verbal-literary vs. graphic-artistic). Norms for elementary school children are available, and new norms are under development for middle school children (for applications within the fields of verbal-literary, graphic-artistic and social domains). The interest of this battery for psychologists and psychiatrists is discussed in the context of both the psychological assessment and therapeutic tracking. © 2019 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Giftedness; Creativity; Intelligence; Assessment Dans notre société, jusqu’à encore très récemment, les compétences mises en avant étaient surtout liées aux compétences techniques, aux connaissances dures (« hard skills »). Toutefois, ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : todd.lubart@univ-paris5.fr (T. Lubart). https://doi.org/10.1016/j.neurenf.2019.02.004 0222-9617/© 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. notre société en perpétuelle évolution nécessite le développement d’autres compétences qui sont de plus en plus recherchées dans le profil des personnes, nommées « soft-skills ». Ces compétences de nature transversale sont utiles dans différents domaines parce qu’elles permettent une plus grande adaptabilité des personnes. Dans ces compétences, il est possible d’y intégrer les compétences communicationnelles, interpersonnelles, 122 T. Lubart et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 67 (2019) 121–129 Fig. 1. Représentation de l’approche multivariée de la créativité (d’après [6]). émotionnelle, coopératives. Ainsi, selon un rapport de l’OCDE [1], afin de faire face aux défis du 21e siècle, il est important pour les enfants d’apprendre à maîtriser un ensemble de compétences cognitives, sociales et émotionnelles dans lesquelles la Communication, la Coopération, la Pensée Critique et la Créativité prennent une place très importante, que ce soit dans le milieu scolaire ou, plus tard, dans le domaine professionnel. Selon une étude menée auprès des PDG de 1500 grandes entreprises dans le monde, la créativité ressort comme une capacité recherchée à cause de son implication forte dans le processus d’innovation [2]. De la même façon, une étude publiée par Adobe auprès d’enseignants et parents d’élèves de plusieurs pays, cite la créativité comme une compétence qu’il faut développer à l’école [3–5]. De tout temps, la créativité a guidé l’évolution de l’homme. Au cours de la Préhistoire, nos ancêtres homo habilis, ont inventé des outils de chasse, les ont améliorés, dans une perspective d’innovation, pour s’adapter à leur environnement (chasser, accomplir des missions de survie). C’était il y a 2 millions d’années, et c’est une part de notre héritage illustrant l’importance de la créativité pour l’évolution de l’homme. Un peu plus récemment, il y a 40 000 années, les hommes ont continué à faire preuve de créativité à travers les peintures murales retrouvées dans les grottes de Lascaux, qui illustrent une nouvelle innovation majeure dans la sphère de la communication, possible avec des images. Tout comme il est possible de contraster l’homo sapienssapiens marqué par son intelligence—une sorte d’expert du maniement des connaissances—de « l’homo creativus », marqué par sa créativité et son esprit d’innovation [6], il est possible de distinguer le Haut Potentiel Intellectuel du Haut Potentiel Créatif [7–9]. Le Haut Potentiel est défini le plus souvent par l’obtention de scores de Quotient Intellectuel supérieurs à 2 écart-types de la performance moyenne (i.e., au-delà de 130) bien que ce seuil, fixé de manière arbitraire, ne soit pas nécessairement idéal [10]. L’objectif de cet article est de présenter le Haut Potentiel Créatif et de décrire un outil permettant d’évaluer ce potentiel créatif et son intérêt dans une perspective pratique. 1. Qu’est-ce que la créativité ? La créativité correspond à la capacité à produire un contenu nouveau et adapté dans son contexte [6,11–13]. Il ne s’agit pas de produire des idées bizarres, hors sujet, mais des idées originales, qui ont un sens et une certaine valeur dans leur contexte de production. Il est souvent plus simple d’être créatif dans un contexte où il y a quelques contraintes plutôt que dans un contexte où il n’y en a pas. En effet, si quelqu’un vous demande d’ouvrir une porte, vous allez tout simplement utiliser votre main et cela n’est pas du tout créatif ! Mais si cette même personne vous demande d’ouvrir cette porte sans utiliser vos membres supérieurs, alors vous pourrez certainement faire preuve de créativité en ouvrant la porte avec votre menton, votre genou ou encore vos fessiers ! Nous voyons ici, que même dans notre quotidien, la créativité de tout individu peut s’exprimer et elle ne relève pas nécessairement de grandes productions illustres. La créativité peut être envisagée à plusieurs niveaux de réalisation [14]. (1) L’individu met en œuvre sa créativité dans son développement. Ainsi, on parle de créativité mini « c », c’est-à-dire une idée créative reconnu par le milieu de l’individu (avec ses copains, dans sa famille, dans sa salle de classe). (2) L’individu propose une production reconnue comme originale dans un champ professionnel, comme le champ littéraire ou scientifique. Si un individu invente une histoire reconnue dans le monde littéraire, il s’agit d’une production professionnelle (Proc) (3) L’individu réalise une production reconnue dans le monde entier comme très importante et majeure – il s’agit d’un cas de créativité éminente (Big C). 2. Contrastes entre Créativité et Intelligence Nous proposons de contraster les apports de Binet [15] avec ceux de Guilford [16]. Tous deux ont une place importante dans l’histoire de la psychologie : grâce à Binet [15], les tests d’intelligence ont vu le jour, ce qui permet notamment de distinguer les personnes dans la norme des personnes présentant un T. Lubart et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 67 (2019) 121–129 123 Fig. 2. Exemple de productions d’un enfant de CM2 sur une épreuve de pensée divergente graphique. divergente avec d’autres facettes de traitement d’information. Ainsi, il n’est pas aussi aisé de distinguer conceptuellement les notions de créativité et d’intelligence, bien que dans les faits et dans la manière dont ces concepts sont maniés, il est tout à fait possible de les dissocier. Lorsque nous mesurons l’intelligence par des tests permettant d’obtenir un score de QI et que nous corrélons ce score avec des notes de mesures de créativité, des corrélations faibles sont obtenues. La méta-analyse de Kim [18] a trouvé une corrélation moyenne de 0,17 entre l’intelligence et la créativité. Cela a donc amené Renzulli [19] dans son modèle en trois anneaux, ainsi que d’autres auteurs (comme Gagné[20] ou Sternberg, [21]) à distinguer le haut potentiel intellectuel, d’une part, et le haut potentiel créatif, d’autre part. 3. Quels sont les ingrédients du potentiel créatif ? Fig. 3. Exemple de production sur une épreuve de pensée convergente graphique (Copyright© 2011, Éditions Hogrefe France. Figure reproduite avec l’aimable autorisation des Éditions Hogrefe France1 ). haut potentiel intellectuel (dans le contexte actuel des échelles d’intelligence de Wechsler, il s’agit d’un QI supérieur à 130). Cependant, à partir des travaux de Guilford [16], différentes épreuves ont vu le jour pour évaluer la pensée créative, notamment à travers des épreuves de pensée divergente (ex. [17]). Dans ce dernier cas, comme ce qui a été proposé pour les tests d’intelligence, les mesures permettent de distinguer les personnes présentant un potentiel de génération d’idées moyen, de celles présentant un haut potentiel créatif. Toutefois, l’histoire est un peu plus compliquée étant donné que Binet [15] avait intégré quelques items d’imagination créatrice dans ses premières versions de tests, et que Guilford [16] a développé une théorie de l’intelligence qui associe la pensée 1 Disponible à la vente aux Éditions Hogrefe France. La Fig. 1 présente le modèle multivarié de la créativité [6,22], qui est à la base de nombreuses de nos recherches. Les quatre types d’ingrédients de la créativité y sont représentés. Un premier ingrédient prend en compte la cognition, comme la flexibilité mentale ou la capacité d’association. Au sein de la cognition, il y a également les connaissances générales et les connaissances spécifiques aux champs disciplinaires. Le deuxième ingrédient concerne les facteurs conatifs incluant certaines facettes de la personnalité, comme la prise de risque par exemple, et la motivation. Un troisième ingrédient porte sur l’émotion ; ainsi avoir des émotions idiosyncrasiques, être dans un état émotionnel positif par exemple, contribue au potentiel créatif. Enfin, l’environnement (qu’il soit familial, scolaire, culturel, régional) représente la dernière catégorie d’ingrédient dans ce modèle. Un enfant ou adolescent disposera d’un certain potentiel créatif qui peut se décliner comme plus ou moins important selon les champs de déploiement, c’est-à-dire qu’il peut avoir un potentiel assez important dans le domaine artistique, visuel, et peut-être moins verbal par exemple. C’est comme dans votre cuisine, les différents ingrédients en votre 124 T. Lubart et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 67 (2019) 121–129 Fig. 4. Exemple de production sur une épreuve de pensée convergente graphique (Copyright© 2011, Éditions Hogrefe France. Figure reproduite avec l’aimable autorisation des Éditions Hogrefe France2 ). possession vous donnent le potentiel de faire différents types de gâteaux (ainsi, si vous avez beaucoup de chocolat et peu de citron, vous aurez plus de potentiel pour faire un gâteau au chocolat). La mise en action de ces ingrédients correspond au processus créatif qui permet des accomplissements et productions plus ou moins réussis. Si nous avons tendance à réaliser ces accomplissements de façon répétée et très créative, nous parlerons du talent créatif. Nous allons illustrer chacun de ces ingrédients impliqués dans la créativité. Prenons l’exemple de Charles Darwin avec ses études des espèces d’oiseaux dans les îles Galápagos pour illustrer les facteurs cognitifs. Gruber [23] a analysé ses cahiers de notes, et il a constaté que Darwin a beaucoup utilisé le processus de pensée métaphorique afin de développer sa théorie de l’évolution de l’espèce. De même, Martin Cooper, qui est l’inventeur du téléphone mobile a expliqué comment il a eu son idée. En fait, il a détecté les signes faibles, que personne n’avait vu, indiquant que les consommateurs voulaient plus se rendre dans une cabine téléphonique mais plutôt que chaque consommateur souhaitait avoir sa propre cabine téléphonique. Il a fait preuve de flexibilité et il a proposé que plutôt que d’aller vers les cabines téléphoniques, les personnes devenaient leur propre cabines téléphoniques ! Un autre facteur important dans la créativité est de ne pas se conformer à ce que tout le monde fait afin de se différencier. Dans une étude [24] une situation de conformité et de pression sociale a été proposée afin de voir si le partici- 2 Disponible à la vente aux Éditions Hogrefe France. pant parmi les autres personnes présentent dans une pièce (des acteurs donnant des réponses établies) va se plier ou non aux normes sociales. Les résultats font apparaître que, à cause de la pression sociale, les participants ont parfois peur d’exprimer une idée originale, différente des autres. Ainsi, la pression sociale serait un frein à la créativité. Ce type de recherche a été répliqué dans de nombreux pays (ex. : [25]) y compris en France. Simonton [26,27] s’est intéressé à de nombreux personnages éminents de la créativité, comme Einstein. Ainsi, à partir de l’analyse de 192 créateurs éminents, il a déduit qu’ il existe une relation inverse (courbe en forme de U inversé) entre le niveau d’éminence et le nombre d’années passées à l’école [26]. De plus, lorsque nous corrélons les notes scolaires avec des mesures de pensée divergente, les corrélations observées dans nos propres recherches vont de +0,10 à −0,20. Ces corrélations tendent donc à mettre en évidence une absence de lien entre ces deux variables, voire que plus les participants ont de bonnes notes à l’école et moins bonnes sont leur performance aux épreuves de pensée divergente (ou tout au moins ont des scores faibles). Une métaanalyse récente [28] indique que le lien observé le plus souvent entre pensée divergente et performance scolaire est positive mais faible (r = 0,22). Besançon et Lubart [29] ont mis en évidence que la pédagogie à laquelle les enfants, âgés entre 6 et 11 ans (école élémentaire), sont confrontés, a un effet sur le développement de leur potentiel créatif. Ainsi, les enfants scolarisés dans des écoles Montessori ou Freinet obtiennent de meilleures performances dans les épreuves de pensée divergente et celles de pensée convergente, dans les domaines graphique et verbal. De la même façon, [30] ont mis en évidence que la mise en place d’une pédagogie dans T. Lubart et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 67 (2019) 121–129 125 Fig. 5. Exemple de production sur une épreuve de pensée convergente graphique (Copyright© 2011, Éditions Hogrefe France. Figure reproduite avec l’aimable autorisation des Éditions Hogrefe France3 ). laquelle les enfants de 4-6 ans étaient plus en mouvement permettait aux enfants de développer de manière significative leur potentiel créatif en pensée divergente, notamment au niveau de la flexibilité. Depuis 2015, OCDE mène une recherche dans 10 pays, dans laquelle le potentiel créatif des enfants est évalué au début et à la fin de l’année. Entre ces deux mesures, des actions en faveur de la créativité sont mises ou non en place afin de vérifier s’il est possible de développer la créativité des enfants à travers des pratiques pédagogiques particulières. Tous ces ingrédients se mêlent et contribuent au développement du processus créatif qui englobe notamment deux phases : une phase de divergence qui correspond à l’exploration de l’espace conceptuel, et une deuxième phase de convergence qui correspond à l’intégration, la synthèse originale. Ces phases s’entremêlent tout au long du processus de création. 4. Comment évaluer la créativité ? Comment peut-on mesurer la créativité, et plus précisément le potentiel créatif ? Une première question concerne ce qu’on va mesurer, à savoir le potentiel créatif ou l’accomplissement. Ce dernier représente les productions de l’enfant réalisée au cours de sa vie, son dossier de travaux effectués. Le potentiel représente quelque chose que l’enfant peut faire. Une seconde question concerne la spécificité ou la généralité de la mesure : mesuret-on par domaine (comme les domaines artistique, littéraire, mathématique. . .) ou mesure-t-on une sorte de facteur général ? En fait, le facteur général de créativité peut être mis en évidence, mais c’est une toute petite part de variance dans la sphère 3 Disponible à la vente aux Éditions Hogrefe France. de la créativité. Typiquement, les chercheurs préfèrent mesurer la créativité dans différents domaines d’application [6] ainsi que le potentiel créatif, notamment chez les enfants et les adolescents qui n’ont pas eu forcément toutes les occasions d’exprimer et de montrer tous les accomplissements possibles. Quand la performance de l’enfant est évaluée, soit l’enfant réalise une production qui sera évaluée (ex. : les épreuves de Torrance, [17]), soit il s’auto-évalue sur sa capacité à créer (ex. : [31,32]). En ce qui nous concerne, nous avons pris le parti, en élaborant la batterie de l’Évaluation du Potentiel Créatif (EPoC, [33]) de mettre en situation les enfants et de leur demander de produire des idées, des dessins, des compositions littéraires. Dans les différentes tâches proposées, l’enfant va engager sa pensée divergente et sa pensée convergente intégrative avec toutes ses ressources, sa personnalité, sa motivation, et ses compétences cognitives. La batterie EPoC s’est progressivement développée depuis les années 2000 en prenant appui sur les recherches menées préalablement. L’enfant va s’engager dans le processus de création avec des tâches de pensée divergenteexploratoire (où l’enfant doit produire de nombreuses idées à partir d’un stimulus), et des tâches de pensée convergenteintégrative (où l’enfant doit produire une seule solution intégrant plusieurs éléments), et ce, dans deux domaines, verballittéraire et graphique-artistique. L’enfant va réaliser les tâches à deux moments espacés d’une semaine environ afin de neutraliser les fluctuations normales des capacités créatives de l’enfant. La Fig. 2 présente les productions proposées par un enfant dans une épreuve de pensée divergente graphique-artistique. Cet enfant a donc réalisé 10 dessins dans le temps imparti. Est-ce que cet enfant est dans la norme ? Afin de vérifier cela, il est nécessaire de prendre en considération l’âge de l’enfant afin 126 T. Lubart et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 67 (2019) 121–129 Fig. 6. Exemple de production sur une épreuve de pensée convergente graphique (Copyright© 2011, Éditions Hogrefe France. Figure reproduite avec l’aimable autorisation des Éditions Hogrefe France4 ). de comparer ses performances à celles d’autres enfants de son âge (en France). En CM2, réaliser 10 productions est habituel, ainsi cet enfant a un potentiel en pensée divergente moyen pour les enfants de cet âge. Dans une des épreuves de pensée convergente-intégrative, plusieurs photographies d’objets sont présentées à l’enfant et il a pour consigne d’en intégrer au moins 4 dans un dessin. Sur la Fig. 3, le dessin présente une petite scène assemblant ces objets dans un dessin unique (convergence-synthèse) pas très original compte-tenu du fait que de nombreux enfants ont l’idée de reproduire une petite chambre avec les objets posés par terre ou sur des meubles. De la même manière, la Fig. 4 présente une scène de pêche, mais à nouveau ce n’est pas une idée très originale compte tenu des stimuli présentés. Ainsi, dans les deux cas, une note faible ou moyenne est attribuée sur cette épreuve de pensée convergente-intégrative graphique. Par contre, sur la Fig. 5, la production proposée par l’enfant va plus loin, étant donné que les objets sont détournés, par exemple l’ampoule est devenue le corps d’une personne ou encore que le chapeau s’est transformé en parasol. Sur les Fig. 6 et 7, les enfants ont mis ensemble les objets dans une synthèse plus originale : pour la Fig. 6, nous avons la valise représentant le corps du petit lapin avec des ampoules pour les pieds tandis que sur la Fig. 7, nous avons un guerrier samouraï dont le corps est composé d’une ampoule, sa tête d’un poisson avec une valise attachée comme sorte de bras et l’épée 4 Disponible à la vente aux Éditions Hogrefe France. Fig. 7. Exemple de production sur une épreuve de pensée convergente graphique (Copyright© 2011, Éditions Hogrefe France. Figure reproduite avec l’aimable autorisation des Éditions Hogrefe France5 ). faite d’une carotte. Ce dernier dessin est très original et comporte une très grande intégration des différents éléments. Les productions des enfants sont évaluées par rapport à celles des enfants de l’étalonnage sur une échelle de notation pour les épreuves de pensée divergente-exploratoire et pour les épreuves de pensée convergente-intégrative, dans les différents domaines d’expression du potentiel créatif. Pour plus de simplicité, nous avons opté pour le même système de notation que dans les tests de Quotient Intellectuel (QI), avec une moyenne de 100 et un écart type de 15 points, quand nous comparons la performance d’un enfant à son groupe de référence. Ainsi, des scores supérieurs à 130 pour les indices de pensée divergente-exploratoire ou de convergence-intégrative correspondent à un haut potentiel créatif. De plus, chaque enfant a un profil par rapport à ces performances obtenues à chaque type de tâche. La Fig. 8 présente le profil d’un enfant qui est relativement fort en divergence graphique, un peu moins fort en divergence verbale, fort en intégration graphique, et moins fort en intégration verbale, c’est un profil mettant en valeur un potentiel en créativité graphique. La grande majorité des enfants présentent un profil créatif hétérogène avec un haut potentiel dans un domaine, mais pas dans tous. La Fig. 9 présentent les différents profils types observés auprès des enfants de l’échantillon d’étalonnage en France : un enfant peut donc avoir un haut potentiel créatif dans le verbal ou dans le graphique et un autre enfant peut être bon en divergence et pas en intégration. 5 disponible à la vente aux Éditions Hogrefe France. T. Lubart et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 67 (2019) 121–129 127 Fig. 8. Exemple d’un profil d’un enfant (Copyright© 2011, Éditions Hogrefe France. Figure reproduite avec l’aimable autorisation des Éditions Hogrefe France6 ). Si un enfant obtient de bonnes performances en divergence et pas en intégration, c’est comme un moteur qui marche à moitié. Pour parler de haut potentiel créatif, les performances de l’enfant doivent être supérieures dans les deux formes de pensée « divergente-exploratoire » et « convergente-intégrative ». Ce modèle est validé sur le plan statistique (ex. : [33,34]) puisque les différentes épreuves se regroupent en quatre facteurs (Divergent Graphique, Divergent Verbal, Intégratif Graphique et Intégratif Verbal), et qu’à un niveau sur ordonné, ces facteurs se regroupent par domaine (verbal vs graphique) qui peuvent donc venir déterminer un haut potentiel créatif dans un domaine. Toutefois, les domaines verbal et graphique ne sont pas complètement déconnectés, et les scores des différents domaines sont en lien. En effet, dans une épreuve donnée, l’enfant peut mélanger la créativité verbale et visuelle car lorsqu’il réalise une épreuve de pensée intégrative graphique, il peut tout à fait exprimer une histoire qui vient expliciter son dessin. Nous avons commencé par le développement de deux domaines (verbal-littéraire et graphique) et nous travaillons à l’élaboration d’autres domaines (social, scientifique, mathématique, musical. . .). Par exemple, en pensée divergente dans le domaine mathématique, l’enfant devra, à l’aide d’une calculatrice, construire des séquences qui vont chaque fois aboutir au chiffre de 8 et donc pendant 10 min l’enfant va 6 Disponible à la vente aux Éditions Hogrefe France. réaliser autant de séquence que possible. Dans un des pays faisant parti de l’OCDE, la moyenne était de 13,5 séquences. Toutefois cette moyenne de fluidité ne reflète pas la grande variabilité qu’il existe entre les enfants puisqu’un enfant en a produit 54 et un autre une seule séquence. En termes d’originalité, nous constatons là encore des disparités. La séquence « 5 + 4−1 = 8 » qui apparaît très fréquemment donc n’est pas originale tandis que la séquence « 2 + 6 × 2−8 = 8 » est très peu fréquente, donc celle-ci est originale. Dans les épreuves de pensée convergente-intégrative dans le domaine des mathématiques, l’enfant doit utiliser toutes les valeurs numériques et plusieurs opérateurs afin de faire une seule séquence qui atteint une valeur mathématique souhaitée. La séquence proposée par l’enfant est enregistrée et on évalue ensuite si cette séquence est originale ou pas selon le principe décrit précédemment. 5. Conclusions : Quels apports dans la pratique clinique ? Dans la pratique clinique, il est possible d’avoir des demandes de parents pour la réalisation d’un bilan en raison des difficultés rencontrées par leur enfant dans le milieu scolaire. Les parents s’interrogent donc sur l’origine des difficultés observées et pour trouver une réponse, avant même de prendre un RDV, ils recherchent les informations sur Internet. De là, après avoir établi par eux-mêmes le diagnostic de leur enfant, ils prennent 128 T. Lubart et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 67 (2019) 121–129 Fig. 9. Représentation des profils trouvés dans l’échantillon français (Copyright© 2011, Éditions Hogrefe France. Figure reproduite avec l’aimable autorisation des Éditions Hogrefe France7 ). DG= Divergente graphique, DV= divergente verbale, IG = Intégrative graphique, IV= intégrative verbale. rendez-vous, pour que le psychologue ou psychiatre corrobore leur diagnostic. En effet, lors du premier rendez-vous, les parents peuvent vous expliquer qu’ils se sont rendus compte que leur enfant présentait de nombreuses caractéristiques d’un enfant à Haut Potentiel (avec souvent un léger biais de confirmation). Après la passation du bilan (échelle d’intelligence et test de personnalité), les résultats obtenus à l’échelle de Wechsler ne vont pas toujours dans le sens des parents, ce qui peut être difficile à entendre. Toutefois, lors de l’entretien, lorsque les parents parlent de leur enfant comme ayant une grande imagination, débordant d’idées souvent dans la lune ou encore comme un enfant ayant un profil plus artistique que scolaire, nous leur proposons en complément la passation de la batterie EPoC. Dans certains cas, le Haut Potentiel Intellectuel n’est pas avéré mais il l’est au niveau du Potentiel Créatif. Si on a calculé des corrélations entre le QI et les différents indices du test EPOC, nous obtenons des corrélations positives mais plutôt faibles, qui corroborent les résultats des recherches précédentes menées chez les adultes (ex. :[18]). Ainsi, une meilleure connaissance de ce potentiel intellectuel et créatif, peut aider le jeune, notamment au collège et au lycée pour l’aiguiller dans ses choix préprofessionnels. 7 Disponible à la vente aux Éditions Hogrefe France. Un autre intérêt à l’utilisation de cette batterie est l’emploi d’EPoC Social qui demande à l’enfant ou l’adolescent de se positionner, de trouver des solutions pour résoudre des situations sociales. Ainsi, les réponses apportées par l’enfant ou l’adolescent permettent au clinicien d’avoir une vision plus large sur les habiletés sociales de l’enfant ou l’adolescent. Cela peut apporter un nouvel éclairage aux compétences sociales d’un patient, qu’il soit ou non à Haut Potentiel Intellectuel. Enfin, cette batterie peut également être utilisée comme source de médiation lors d’un suivi thérapeutique ou éducatif pour aider l’enfant ou l’adolescent à développer ses capacités créatives qui viendront enrichir son profil lors de son orientation future. La pensée créative est en soi une ressource psychologique à ne pas négliger dans tout travail clinique du développement chez l’enfant et l’adolescent [35,36]. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Ananiadou K, Claro M. 21st Century Skills and Competencies For New Millenium Learners in OECD Countries. EDU Working paper No. 41. OECD publications; 2009. T. Lubart et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 67 (2019) 121–129 [2] Berman S, Korsten P. Capitalizing on complexity: insights from the global chief executive officer study. Somers, NY: IBM; 2010. 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