Sous le sceau de l’empire
La Flandre, le V ivarais et l’évêque Guillaume
du Fauga (1296-1297)
D
aniel Le Blévec a remis sous les feux de la rampe le court
épiscopat de Guillaume du Fauga, évêque désigné par
Boniface VIII, en juillet 1296, pour occuper le siège de
Viviers1. Il a souligné dans sa récente analyse les lacunes
archivistiques concernant un ministère qui fut, de surcroît, bien bref. Dans le prolongement de cette étude et afin d’étoffer
modestement le dossier, je souhaiterais m’arrêter sur un document qui
nous apporte un complément d’informations. Il s’agit en l’occurrence
du sceau de ce prélat, soit la toute première empreinte de cire encore
conservée pour les évêques de ce diocèse.
Ce fragile et précieux témoignage a été déposé dans les archives
royales où il se trouve depuis l’époque médiévale2. Car Guillaume a fait
apposer sa marque sur un instrument diplomatique qui ne concerne
directement ni sa personne ni son église puisqu’il s’agit d’une sorte
de procès-verbal établi le 21 janvier 1297 (n. st.) et par lequel Guy III
de Dampierre-sur-Aube, comte de Flandre (1253-1305) et marquis de
Namur, annonce ne plus vouloir se soumettre aux liens de l’hommage
qu’il doit à son souverain, le roi de France Philippe IV (1285-1314). Sa
1
Daniel Le Blévec, « Guillaume de Falga, évêque de Viviers (1296-1297). Les enseignements d’une source pontificale », Revue du Vivarais, t. CXXV, n° 2, juin 2021, p. 107-125.
Malgré les réserves émises, fort légitimement, par notre collègue sur le choix définitif
d’une désignation toponymique de l’évêque Guillaume (de Falga, de Falgar, du Fauga ?),
je prends le parti de lui attribuer une origine géographique similaire à celle d’un évêque
de Toulouse, le dominicain Raimond du Fauga (1232-1270), né au proche castrum de
Miremont (Haute-Garonne, 26 km au sud de Toulouse), dont cet ancien compagnon de
saint Dominique porte aussi, parfois, le nom (Patrice Cabau, « Les évêques de Toulouse
(IIIe-XIVe siècles) et les lieux de leur sépulture », Mémoires de la Société archéologique du
Midi de la France, t. LIX, 1999, p. 156-157). Un Guillaume, membre du lignage des seigneurs du Fauga, est attesté comme dominus de Venerque et du Vernet (… 1241-1271…).
2
Arch. Nat., J 543 n° 4.
5
déclaration est présentée par les abbés de Gembloux et de Floreffe, du
diocèse de Liège, tous deux chargés de porter à la cour l’acte de défi
du prince flamand3. La scène – préambule d’une guerre ouverte entre
Philippe et son vassal qui, le 7 janvier, venait de conclure avec le roi
d’Angleterre Édouard Ier (lui-même soutenu par le roi des Romains,
Adolphe de Nassau, depuis 1292) un traité d’alliance offensive et défensive – prend solennellement place dans le palais du Louvre, au sein de
la chambre royale4. Le dossier rassemblé par les envoyés du comte Guy
III est lu devant le roi par son proche conseiller, le chancelier de France
Pierre Flote5. Parchemins et rouleaux de peau cousus sont authentiqués par les grands sceaux, contre-sceaux et sceaux du secret du
dynaste flamand ; les marques comtales ont été vues et touchées6. Elles
sont même décrites avec un soin très méticuleux7. Parmi les présents,
figurent deux cardinaux, deux archevêques (Reims et Narbonne), seize
évêques, les grands officiers curiaux (chambrier, bouteiller connétable
et chambellan) ainsi que huit comtes et deux notaires publics. À cette
première liste testimoniale, dans laquelle Guillaume du Fauga apparaît
en deuxième position après les archevêques, est adjointe une seconde,
celle des sigillants. Apposent alors leur marque de cire les deux car3
Thierry de Limburg-Stirum, Codex diplomaticus Flandriae inde ab anno 1296 ad usque
1325. Recueil de documents relatifs aux guerres et dissensions suscitées par Philippe-leBel, Roi de France, contre Gui de Dampierre, Comte de Flandre, Bruges, 1879, t. I, n° 42,
p. 146-148.
4
Actum Parisius apud Luperam, in camera manerii regis […] (Limburg-Stirnum, op. cit.,
p. 147).
5
[…] nobilis vir dominus Petrus, dictus Flote, miles et consiliarius dicti domini regis, legit
palam et publice de verbo ad verbum […] (Limburg-Stirnum, op. cit., p. 146).
6
[…] ipsisque litteris ac impressionibus sigilli ac contrasigilli predictorum ab eis inspectis diligentius et palpatis […] diversos scripturarum rotulos, simul consutos et sepedicti
comitis secreto sigillo signatos, ut prima facie apparebat (Limburg-Stirnum, op. cit.,
p. 146-147).
7
La qualité de la description matérielle est telle (et le document publié si peu connu)
que je me permets de rapporter ici, à l’intention de tous les sigillophiles, l’extrait suivant :
Quibus litteris, per dictum dominum prout premittitur perlectis, erat appensa impressio cujusdam magni sigilli rotundi in cera alba, in qua videbatur esse ymago cujusdam
armati sedentis equum falleratum et tenentis ensem in manu dextera, extenso brachio, ac
habentis scutum ad collum, acsi teneret eum in manu sinistra, et in illo scuto et cooperturis dicti equi videbatur esse forma leonis erecti, et videbatur dictus equus currere acsi
armatus supersedens vellet preliari ; in circumferencia vero impressionis hujusmodi erat
hec circumscriptio : Signum Guidonis comitis Flandrie et marchionis Namurcensis. A
tergo vero impressionis ejusdem videbatur esse impressio cujusdam parvi sigilli rotundi,
et in caractere erat alia impressio ad modum scuti, in quo videbatur esse forma leonis
erecti, et in circuitu legebatur hec circumscriptio : Secretum Guidonis comitis Flandrie.
Aliis quoque litteris suprascriptis erat appensa impressio similis sigilli, in cera viridi, et
caracterem similem habens a tergo, in quaquidem impressione ex utraque parte similis,
sicut in impressione sigilli appensi aliis litteris antedictis, superscriptio legebatur. Predictis
vero rotulis erat appensa impressio parvi sigilli predicti superscriptione predicta (LimburgStirnum, op. cit., p. 147).
6
dinaux, l’archevêque de Reims, les évêques de Laon, de Langres et de
Châlons, les quatre grands officiers royaux, et en dernier le nouveau
pasteur du Vivarais qui, comme les autres, agit à la demande expresse
du roi (ad requisitionem prefati domini regis)8. À la lecture de ces deux
suites de noms, un constat s’impose : parmi les trois ecclésiastiques
représentant des églises « méridionales » (Gilles Aycelin, archevêque
de Narbonne, et Jean de Commines, évêque du Puy), Guillaume est le
seul à produire une empreinte.
C’est donc dans ces circonstances bien précises que l’évêque de
Viviers fut sollicité, avec d’autres hauts dignitaires de l’Église, pour
témoigner de la rupture de confiance qui vient d’être signifiée en
public. Le prélat, en apposant son sceau, est un témoin spirituel et
temporel des affaires du royaume ; il valide l’annonce du défi de Gui
de Dampierre, il sait que la phase suivante va mener naturellement
au déclenchement d’un conflit armé avec la Flandre (1297-1305). On
pourrait en déduire qu’il figure, en toute logique, parmi les soutiens
de l’autorité capétienne. Pour autant, l’analyse de son sceau semble
indiquer que les choses ne sont pas si tranchées que cela. Si l’existence
de cette empreinte a été repérée il y a maintenant un demi-siècle9, elle
mérite cependant que l’on s’y arrête davantage en raison même du
contexte lié à l’unique attestation matérielle de son appension (Fig. 1).
Fig. 1 : Moulages de l’empreinte et du contre-sceau produits à Paris, en janvier 1297, par
l’évêque Guillaume du Fauga (Arch. nat. Sc/D 6935, cliché ANF).
8
Et nos Guillermus, episcopus Vivariensis, qui premissis presentes interfuimus, presentibus litteris, in testimonium premissorum, nostrum fecimus apponi sigillum (LimburgStirnum, op. cit., p. 148).
9
Jean-Bernard de Vaivre, « Le changement d’armes des évêques de Viviers sous Philippe
IV le Bel », Archivum heraldicum, n° 86, 1972, p. 54-58. La singularité du sceau de
Guillaume du Fauga semble avoir échappé à la sagacité de Chris Jones, Eclipse of
Empire ? Perceptions of the Western Empire and its Rulers in Late- Medieval France,
Turnhout, 2007, p. 2-4.
7
La description qui en a été donnée au XIXe siècle est assez succincte10.
Dans un état fragmentaire, le sceau en mandorle11 (« ogival » comme
on disait autrefois) aurait une hauteur de 58 mm, mais sa largeur
et sa couleur ne sont pas indiquées12. Les éléments présents dans la
légende, qui énonce systématiquement nom de baptême, titulature et
diocèse, permettent de la restituer dans son intégralité : S(igillvm)
F(rat)RIS GVILL[ELMI EPISCOPI VIVARIEN]SIS. Le « sceau de
frère Guillaume, évêque du Vivarais » est accompagné d’une contremarque réalisée à partir d’une matrice d’une dimension plus réduite
qui pouvait servir individuellement de sceau du secret. La légende de
ce contre-sceau est la suivante : SEC[RETVM F(rat)RIS G]VILL(elm)
I E(pisco)PI VIVARIEN(sis). Aucune dimension n’est fournie par son
éditeur13. Il est à noter que le prélat a tenu à rappeler, dans la titulature
de chaque matrice, son ancienne appartenance à l’ordre des frères
mineurs dont il fut un temps le vicaire général, ce qu’il a signalé d’ailleurs dans la documentation diplomatique le concernant14.
Le type sigillaire adopté par Guillaume du Fauga correspond à celui
que les grands prélats du XIIIe siècle ont l’habitude de présenter dans
l’iconographie de leur temps15. Il exprime une frontalité stylistique
qui est assez caractéristique de la stable figure, morale et spirituelle,
que doit incarner l’homme du Seigneur. Derrière l’apparence figée de
l’autorité ecclésiale, les dignitaires de l’Église veulent insister sur l’importance des préoccupations spirituelles qui sont liées à leur charge
et à leurs prérogatives tant « l’évêque est investi du pouvoir de médiation sacramentelle » entre Dieu et les hommes16. Dans le sillage de la
réforme initiée par Rome – et de sa révolution pastorale qui tend à
valoriser la place croissante de la liturgie –, depuis le dernier quart du
XIe siècle, le chef du diocèse figure souvent en pied, la tête parée de la
mitre, bénissant de la main droite, tenant la crosse de la main gauche.
À partir du pontificat d’Innocent III (1198-1216) et du 4e concile œcu10
Louis-Claude Douët d’Arcq, Collections de sceaux, Paris, 1867, t. II, n° 6935, p. 557.
11
La mandorle est « une sorte de contrepoint visuel » qui permet de distinguer le
clerc du laïc par une « forme renvoyant par ailleurs de manière superlative à la sphère
religieuse » […]. « La mandorle définit un espace paradoxal, irrévocablement dévolu
à Dieu ». Ce type d’exécution « connotée est à mettre en relation avec celle du rapport
privilégié que [le prélat] entretient physiquement à l’espace sacré […]. Par le biais de la
mandorle l’évêque est symboliquement assimilé à la figure du Christ dont il répand la
grâce par la bénédiction » (Clément Blanc, « Le corps sigillaire des clercs », Revue d’Auvergne, n° 610, 2014, p. 21-22).
12
J’estime la largeur à environ 36 mm.
13
Elle peut être estimée à une vingtaine de millimètres.
14
Le Blévec, art. cit., p. 115.
15
Éric Palazzo, L’évêque et son image. L’illustration du Pontifical au Moyen Âge,
Turnhout, 1999.
16
8
Blanc, art. cit., p. 20.
ménique du Latran (1215), l’accent est mis sur les vêtements sacerdotaux car l’évêque consacré doit s’imposer, de par son état, en tant que
célébrant eucharistique17. Le costume liturgique devient de la sorte
un « équipement ou appareil de la grandeur »18, un habit de fonction
attaché au lieu de culte comme le rappelle la nature des éléments portés. C’est pourquoi Guillaume paraît revêtu ici d’une superposition de
quatre ornements (un amict à collet assez large, une ample chasuble,
une aube non visible, une dalmatique ornée de galons et d’orfrois,
accessoires signifiants sur le plan identitaire) qui expriment les degrés
des ordres majeurs qui lui ont permis d’accéder à la prélature. Enfin,
l’importance de sa mission ainsi que son autorité de pasteur sont
caractérisées par le crosseron du bâton pastoral qui se termine par
une volute crêtée, partie mise en exergue du fait de sa position sécante
dans la légende. La « vertu structurante des attributs »19, lesquels organisent, hiérarchisent et assignent une identité, joue pleinement – à travers une attitude signifiante et une grammaire des postures – dans la
forme en mandorle de l’image sigillaire. Ce dispositif accentue la scène
qui se joue devant nos yeux avec le geste performatif de la bénédiction,
« geste d’autorité à la fois spirituel et temporel » qui vient mettre un
terme au déroulement de l’office à travers la circulation de la grâce
divine20.
Si les ornements liturgiques et autres pontificalia de Guillaume du
Fauga ne suscitent guère la surprise – parce qu’ils sont les signes de sa
dignité cléricale21 –, ce sont en revanche les meubles héraldiques qu’il
arbore de part et d’autre de sa personne qui doivent retenir l’attention.
Au niveau de ses flancs, le prélat est accosté de deux aigles. Sur la surface du contre-sceau, c’est également une aigle éployée, non inscrite
dans un écu, qui figure en plein champ, à l’instar d’une bannière qu’on
aurait dépliée. Tête tournée à dextre, l’oiseau paraît plus majestueux
que ceux représentés sur le grand sceau. Ce signe est aisément iden-
17
Nadège Bavoux, « Le vêtement liturgique, formation d’un objet identitaire (XIIe-XIIIe
siècle) », Revue d’Auvergne, n° 614, 2015, p. 188-189.
18
Bernard Blandin, La construction du social par les objets, Paris, 2002, p. 136-137.
19
Jean-Luc Chassel, « Le langage des attributs dans les sources sigillaires du Moyen
Âge. Emblématique, institutions et société », dans Michel Pastoureau et Olga VassilievaCodognet (éds.), Des signes dans l’image. Usages et fonctions de l’attribut dans l’iconographie médiévale (du concile de Nicée au concile de Trente), Turnhout, 2014, p. 157-190 ; ici
p. 163.
20
La « bénédiction épiscopale se pratique après l’Ite missa est, elle correspond à trois
signes de croix consécutifs et surtout elle est dirigée vers l’assemblée des fidèles, exprimant la puissance et l’autorité d’un pontife placé au-dessus de tous » (Blanc, art. cit.,
p. 24).
21
Il est un chef spirituel « dont l’auctoritas s’exerce sur le peuple chrétien tout entier »
et il est également un chef temporel imposant sa potestas sur une juridiction (Blanc, art.
cit., p. 24).
9
tifiable, il rappelle que l’église de Viviers se trouve en terre d’empire
et qu’elle doit une bonne part de ses prérogatives temporelles – dont
la frappe d’une monnaie épiscopale – à la bienveillance du roi des
Romains. En affichant ces marques aquilines sur ses empreintes de
cire, Guillaume du Fauga ne fait que renouveler une tradition ayant
cours dans la vallée du Rhône au moins depuis le XIIe siècle.
Je prendrai l’exemple d’un petit diocèse voisin de Viviers, celui de
Saint-Paul-Trois-Châteaux qui se trouve presqu’en face, sur la rive
gauche. Au début du XIIIe siècle, son évêque est Geoffroy de Vogüé
(1211-1233), ancien chanoine du chapitre de Viviers22. Ayant reçu en
novembre 1214, à Bâle, une bulle d’or des mains de Frédéric II, son
église, ainsi que celle de Viviers, fait partie avec Vienne, Die et Arles
des sièges rhodaniens placés sous la protection du jeune souverain qui
vient de prendre la tête du royaume de Bourgogne23. La bulle de plomb
(ou molybdobulle) dont le prélat use alors pour valider ses actes diplomatiques rappelle sans ambiguïté cette proximité avec l’empire et les
privilèges qui en découlent24 ; la légende du revers est assez explicite :
AQVILA : IM(pe)RATORIS : ROMANI :25. Cent ans plus tard, dans
un tout autre contexte, elle inspire un autre évêque de ce diocèse,
Dragonet de Montauban (1310-1328), qui reprend à son compte la
légende impériale et le revers orné de l’aigle (Fig. 2)26. Son successeur,
22
Marquis Melchior de Vogüé, « Geoffroy de Vogüé, évêque de St-Paul-Trois-Châteaux »,
Revue Historique, Archéologique, Littéraire et Pittoresque du Vivarais illustrée, t. XIV,
1906, p. 339 ; Pierre-Yves Laffont, « Les chanoines et le chapitre cathédral de l’église de
Viviers du Xe au XIIe siècle », Revue du Vivarais, t. CXVI, 2012, p. 124.
23
Sur la période frédéricienne, voir Paul Fournier, Le royaume d’Arles et de Vienne, 11381378 : étude sur la formation territoriale de la France dans l’Est et le Sud-Est, Paris, 1891.
24
Frédéric II condamne comme faussaires ceux qui établissent des notaires et usent de
bulles de plomb dans la seigneurie de l’évêque ; leurs instruments n’auront aucune valeur
juridique : Ne de cetero hanc prohibitionem contra veniant, illos qui notarios et bullas
plumbeas fecerunt quasi falsarios condemnamus et ne quis eorum instrumentis utatur sub
nota infamie prohibemus (Jean-Louis-Alphonse Huillard-Bréholles, Historia diplomatica
Friderici secundi, Paris, 1852, t. I, p. 339).
25
Le marquis de Vogüé (ibid., p. 345) reprend l’illustration publiée par L. Blancard et
dessinée par le numismate Joseph-François Laugier. Il s’agit d’une bulle détachée, donc
non datée avec précision (Louis Blancard, Iconographie des sceaux et bulles conservés
dans la partie antérieure à 1790 des archives départementales des Bouches-du-Rhône,
Marseille-Paris, 1860, p. 166 ; pl. 75, n° 5). La bulle de Bertrand de Clansayes (12511286), dont un exemplaire est conservé au Musée Calvet (Avignon), reproduit à l’identique, au revers, la légende et le motif aquilins (n° d’inv. 2016_1_840).
AQUILA. IMP(er)ATORIS : ROMAN(orvm). Reproduction graphique dans Blancard,
op. cit., pl. 75, n° 7 ; un second modèle, dessiné par Laugier (ici notre figure 2), a été
publié dans Jules Charvet, Description des collections de sceaux-matrices de M. E. Dongé,
Paris, 1872, p. 330, n° 623 et pl. V, n° 4. Nommé ensuite au siège de Gap, Dragonet de
Montauban use à nouveau d’un boullotèrion de 1328 à 1348 mais il troque alors l’aigle
impériale pour le bras de saint Arnoux, ancien évêque réformateur de Gap qui serait
mort en 1079 (Joseph Roman, Sigillographie du diocèse de Gap, Paris-Grenoble, 1870,
p. 48).
26
10
Hugues Aimeric (1328-1348), précédemment évêque d’Orange, suit ses
pas en demeurant, à son tour, fidèle aux bulles frappées de l’aigle et
allant jusqu’à arborer celle-ci dans ses armes personnelles en 133727.
Quant à Geoffroy de Vogüé, il résigne sa charge en 1233 ; il parvient
néanmoins à redevenir chanoine, à Viviers, afin de préparer son salut
en sa cité de cœur. En avril 1236, il y rédige son testament qu’il scelle
de son ancienne bulle épiscopale : « […] moi, Geoffroy, chanoine de
Viviers, ancien évêque de Trois Châteaux […]. Fait à Viviers, dans
la maison du testateur […]. J’ai apposé la bulle de Geoffroy, ancien
évêque de Trois Châteaux. »28.
Fig. 2 : Dessin de la bulle utilisée par Geoffroy de Vogüé durant son pontificat ; dessin de la
deuxième bulle frappée par Dragonet de Montauban.
27
Un exemplaire (36 mm pour 35,03 g.) est conservé au Musée Calvet (n° d’inv.
2016_1_875). Sur l’identification de cet évêque, voir Joseph-Hyacinthe Albanès, « Les
évêques de Saint-Paul-Trois-Châteaux au quatorzième siècle », Bulletin d’histoire ecclésiastique et d’archéologie religieuse des diocèses de Valence, Gap, Grenoble et Viviers, vol.
V, 1884, p. 398-400 ; idem, même référence, vol. VI, 1885, p. 7-8.
28
Vogüé, art. cit., p. 350. La possibilité de tester à titre privé ou de valider sous son sceau
des actes l’engageant personnellement ne va pas à l’encontre du droit ecclésiastique
général qui permet à un prélat de le faire, notamment dans le cadre de la résignation au
siège et à la dignité. La « mort civile » de Geoffroy ne l’empêche nullement de conserver
le caractère épiscopal et la pleine capacité juridique que lui a conféré le sacrement de
l’ordre (cf. l’entrée « Évêques » du Dictionnaire de droit canonique contenant tous les
termes du droit canonique, R. Naz (dir.), t. 5, Paris, 1953, p. 569-589). En revanche, dans
le cas qui nous occupe, il ne s’agit pas d’un sceau personnel, mais bien d’une marque
épiscopale : l’ancien haut-dignitaire de l’Église a conservé, à son domicile et hors du diocèse concerné, l’ancien boullotèrion qu’il avait utilisé durant son pontificat.
11
Les évêques de Viviers du XIIIe siècle sont également dotés d’un
boullotèrion qui leur permet de sceller à l’instar de leurs confrères du
Tricastin et d’ailleurs. Mais leurs marques de plomb n’arborent pas
de signes héraldiques. L’avers indique que tout au long de la période
les prélats successifs se placent sous l’égide du patron de l’église
cathédrale, saint Vincent, lequel apparaît en buste accompagné de la
légende : SANCTVS VINCENCIVS. Au revers, nom et charge sont
déclinés, avec diverses variantes, dans les cinq lignes réglées qui composent le champ du disque de métal29. L’aigle ne figure nullement sur
les bulles de prélats qui, comme Bertrand, recherchent la protection
impériale ou qui, comme Arnaud de Vogüé, se tournent vers le roi
capétien au moment du concile de Lyon en 124530 (Fig. 3). Pour autant,
un « sentiment d’appartenance » à l’empire se fait encore sentir, y compris en haut lieu. Ainsi, le pape Clément IV n’hésite pas, en juin 1268,
à expédier une lettre au roi Louis IX pour rappeler un constat qu’il
avait établi quand il n’était encore que Gui Foucois, humble et dévoué
serviteur du souverain31 :
« […] alors choisi pour arbitre [et] ayant visité les archives tant du chapitre que de l’évêché de Viviers, nous y trouvâmes que tous les diplômes
de cette Église venaient des empereurs et nous n’avons découvert aucun
diplôme royal parmi ceux qui prouvaient que cette Église dépendait de
l’empire depuis des temps fort reculés ; on nous montra, de plus, les étendards impériaux (vexilla imperialia) dont l’évêque de Viviers s’était servi à
l’occasion […]. C’est pourquoi nous vous prions de ne pas permettre que
29
Les bulles de Guillaume II (1220-1222), Bermond d’Anduze (1222-1240), Bertrand
(1240-1243), Arnaud de Vogüé (1244-1255), Hugues de La Tour du Pin (1263-1294) ont
été répertoriées à la fin des années 1850 ; certains prélats ont adopté deux, voire trois
modèles durant leur pontificat (Blancard, op. cit., pl. 82, n° 4-5-6-7 ; pl. 83, n° 1-2-3-4-56). Un molybdobulle frappé par l’évêque Bertrand appartenait à un collectionneur privé
de la seconde moitié du XIXe siècle (Charvet, op. cit., p. 334, n° 634). Une autre bulle,
également détachée, de Hugues de La Tour du Pin, en tant qu’évêque electus de Viviers,
est conservée au Cabinet des Médailles de Marseille. Elle mesure 40 mm de diamètre
pour un poids de 64 grammes (Gaston E. Reynaud, « Bulles et sceaux de plomb : sceau
d’un évêque de Viviers du XIIIe siècle », Revue du Vivarais, t. LXXXVIII, 1984, p. 177-180).
30
Marquis Melchior de Vogüé, « Deux évêques de Viviers : Bertrand (1240-1243). Arnaud
de Vogüé (1244-1255) », Revue Historique, Archéologique, Littéraire et Pittoresque du
Vivarais illustrée, t. XIV, 1906, p. 385-395. Le notaire public de Viviers, à la demande de
l’évêque, appose bullam dicti domini episcopi à un accord passé en 1252 avec les habitants de Viviers (Auguste Roche, Armorial généalogique & biographique des évêques de
Viviers, Lyon, 1894, t. I, PJ n° XXII, p. 351).
31
Gui Foucois intervient en tant qu’arbitre aux côtés de l’évêque Bertrand dans une
affaire de septembre 1242 (Joseph-Hyacinthe Albanès, « Documents concernant le
diocèse de Viviers tirés des Archives du Vatican », Bulletin d’histoire ecclésiastique et
d’archéologie religieuse des diocèses de Valence, Gap, Grenoble et Viviers, vol. XVII, 1897,
p. 81, n° 3). Voir également Yves Dossat, « Gui Foucois, enquêteur-réformateur, archevêque et pape (Clément IV) », Cahiers de Fanjeaux, n° 7, 1972, p. 23. Sur le parcours de
cet homme, se référer au 57e colloque de Fanjeaux, « Gui Foucois, pape Clément IV, et
le Midi » (2022).
12
l’on vexe impunément cet évêque et son Église […] puisqu’il est prouvé
qu’ils dépendaient de [la domination] de l’empire. »32.
Fig. 3 : Dessin de la bulle validant des actes de l’évêque Arnaud de Vogüé en 1247.
Quand le renommé théologien Guillaume du Fauga arrive à Viviers
durant l’automne 1296, il abandonne l’usage de l’antique et circulaire
boullotèrion qu’utilisait encore son prédécesseur, Hugues de La Tour,
pour faire réaliser une matrice de sceau en forme de mandorle33. Mais,
bien au fait de l’histoire de son diocèse et d’une héraldique locale que
l’on cultivait – certains chanoines ont dû lui montrer les antiques vexilla brodés d’une aigle –, il conserve ce signe aviaire qui a assuré au fil du
temps l’héritage impérial de l’église de Viviers. L’empreinte de cire qu’il
appose à la cour du roi de France en ce mois de janvier 1297 l’atteste,
ainsi que la validation de son témoignage dans l’affaire de Flandre.
De facto, le prélat sait très bien que l’ingérence capétienne se fait de
plus en plus sentir dans cette zone rhodanienne et que la suzeraineté
de l’empire ne tend plus qu’à être un lointain vestige du passé. En le
nommant à ce siège, le pape Boniface VIII joue une pièce cruciale
sur l’échiquier régional34. Guillaume est certes un homme pivot entre
Rome et Paris, mais il est également un seigneur temporel qui entend
défendre les prérogatives de ses prédécesseurs et « renforcer l’ancrage
territorial en terre d’Empire en un temps où des enjeux géopolitiques
32
de Vaivre, art. cit., p. 54. Texte latin dans Roche, op. cit., PJ n° XXIV, p. 352-353.
33
Le 29 septembre 1296, le pape autorise le nouvel évêque de Viviers à créer deux
notaires pour produire des instruments (Albanès, art. cit., p. 84, n° 10). La matrice sigillaire de Guillaume est probablement en cours de réalisation.
34
Le Blévec, art. cit., p. 112 et p. 116-117.
13
majeurs se cristallisent autour du fleuve-frontière »35. Enfin, il ne faut
pas oublier que la récente affaire du procès qui s’est ouvert, à la fin de
l’année 1269, à propos du Gévaudan, est sans doute encore bien fraîche
dans certains esprits36. Le prélat entend donc ne pas aliéner la place de
son diocèse dans le système féodal, il s’évertue à manifester « son attachement spirituel, presque son union mystique à l’église épiscopale »37.
Le maintien des armes impériales ne peut pas apparaître comme une
tradition désuète que voudrait perpétuer un prélat bien au courant
des droits de son église : « […] les armes de la plupart des diocèses
deviennent comme des boucliers de la foi et peuvent donc parfaitement s’insérer dans le paysage spirituel et culturel des clercs »38. Le
successeur de Guillaume, Aldebert de Peyre (1297-1306), ancien prévôt
de la cathédrale de Mende, s’inscrit dans cette continuité emblématique en arborant à son tour des aigles qui accompagnent son effigie
– certes quelque peu hiératique –, sur la matrice qu’il utilise dès le
début de son pontificat39. Bien qu’il ait placé sa tête sous une arcature
trilobée supportant un dais – synecdoque de l’édifice sacré dans lequel
il entend siéger –, la composition reste sobre et dépouillée ; le champ
de son sceau demeure dénué de ce décor treillissé ou architecturé que
l’on a vu se développer sur l’image-type des sceaux épiscopaux de la
fin du XIIIe siècle40. Mais le passage d’un discours effigié à un discours
architecturé – de la figure au bâti – lui permet d’accentuer son propos
sur l’autorité de son église et aussi de promouvoir la fonction épisco-
35
Le Blévec, art. cit., p. 124.
36
Antoine Meissonnier, « Théorie et pratique du pouvoir royal : l’exemple du procès
entre l’évêque de Mende et le roi de France (1269-1307) », Revue historique, n° 674,
2015/2, p. 303-322.
37
Édouard Bouyé, « L’église médiévale et les armoiries : histoire d’une acculturation »,
Mélanges de l’École française de Rome, Moyen-Âge, Rome, t. 113, 2001-1, p. 501.
38
Bouyé, art. cit., p. 528.
Cliché produit dans Jones, op. cit., p. 3, fig. 1. Légende : S(igillvm) ALDEBERTI DEI
GRA(tia) VIVARIENSIS E(pisco)PI. L’aigle pourrait aussi se confondre avec celui de la
famille de Peyre, maison qui aurait porté d’argent à l’aigle éployée de sable (Vicomte de
Lescure, Armorial du Gévaudan, Lyon, 1929, p. 138). L’aigle est bicéphale, et avec des
émaux différents, dans l’ouvrage de Roche, op. cit., t. I, p. 262. L’aigle devait être lu et vu
initialement comme un faucon, ce qui permettait d’établir d’appropriées armoiries parlantes. Aux XIIe et XIIIe siècles, les membres les plus importants de ce lignage se dénommaient Astorg, nom qui peut phonétiquement évoquer l’autour ou le faucon (astur en
latin, astor en occitan). Les Astorg de Peyre sont, mot à mot, des faucons de pierre…
39
40
Voir Arnaud Baudin, « Une affaire en images. Les sceaux des acteurs du procès des
templiers », dans Arnaud Baudin, Sonia Merli, Mirko Santanicchia (éds.), Gli oridini di
Terrasanta. Questioni aperte, nuove acquisizioni (secoli XII-XVI), Pérouse, 2021, p. 569600.
14
pale41. Même si, comme Guillaume Durand, son confrère de Mende,
il est contraint de négocier à un moment où se diffuse un discours
offensif sur les pouvoirs impériaux du roi de France. Il s’accorde
alors avec Guillaume de Plaisians, l’un des légistes les plus proches
de Philippe IV ; l’homme, tout comme Pierre Flote, est originaire du
Dauphiné de Viennois, terre d’empire. Ce juge mage de la sénéchaussée
de Beaucaire établit donc une convention avec Aldebert de Peyre, le
10 juillet 1305, dans laquelle est reconnue la souveraineté temporelle
du Capétien sur le Vivarais42. Une des clauses précise alors que le prélat et tous ses successeurs devront dorénavant porter les armes du roi,
aussi bien sur leurs sceaux que sur leurs bannières43. En janvier 1306, à
Viviers, Aldebert ratifie et valide de son sceau aux aigles – et le chapitre
appose également sa propre empreinte de cire44 –, la convention royale
qu’on lui soumet (Fig. 4).
Fig. 4 : Moulages des empreintes de sceau produites par Aldebert de Peyre (1306), Louis de
Poitiers (1308) et Pierre de Mortemart (1325) (Arch. nat., Sc/D 6936, 6937, 6938, clichés
ANF).
41
Ambre Vilain, « Au seuil de l’église : représenter l’autorité ecclésiale par l’architecture
sur les sceaux du Moyen Âge », Livraisons de l’histoire de l’architecture, vol. 43, 2022,
p. 11.
42
Roche, op. cit., PJ n° XXX, p. 360-366. L’acte est validé par le sceau de l’évêque et du
chapitre : In quorum testimonium et munimen sigilla nostra episcopi et capituli presentibus duximus apponenda (ibid., p. 366).
43 Portare debebit dominus episcopus deinceps arma regia et eis uti in vexillis et sigillis, et
erunt tam ipse quam successores sui Vivarienses episcopi de consilio dicti domini regis et
successorum (Roche, op. cit., p. 364).
44
Les sondages prospectifs indiquent que les sceaux produits par le chapitre, avant le
siècle, n’ont pas été conservés dans les fonds d’archives, locaux et nationaux (de
Vaivre, art. cit., p. 58, n. 17).
XIVe
15
Celui qui le suivit dut faire de même au début de l’an 130845. Siégeant
sur sa cathèdre, Louis de Poitiers (1306-1318) semble pourtant louvoyer sur le plan héraldique. Adoptant une inclination nouvelle chez
les ecclésiastiques46, ce sont ses armoiries lignagères (d’azur à six
besants d’argent posés trois, deux et un, au chef d’or)47 – celles des Aymar
de Poitiers, comtes de Valentinois et du Diois – qu’il met en valeur en
les plaçant, sous ses pieds, dans le registre inférieur de son sceau. C’est
le lustre de ses prestigieux ancêtres, l’affirmation de sa conscience
familiale que ce membre d’une aristocratie détenant d’importantes
prérogatives sur la rive droite du Rhône souhaite mettre au premier
plan. Toutefois, deux fleurs de lis – situées au-dessus des protomés
animaliers de son siège curule – viennent déjà brocher discrètement
sur la tenture ornée d’un décor de trèfles et de quadrilobes que le
graveur a finement ciselée en arrière-fond48. Les marques capétiennes
apparaissent plus nettement, sous forme d’écus fleurdelisés, au revers
des monnaies que fait frapper ce prélat en s’inspirant cette fois-ci des
émissions royales49. De son côté, en 1306, la communauté canoniale ne
peut encore se résoudre à ce changement emblématique (Fig. 5)50. Sur
son petit sceau rond de 40 mm (soit le diamètre standard d’une bulle),
encadrant la scène du martyre de saint Vincent, nimbé et représenté
les membres maintenus écartés sur un cadre de bois, on distingue un
ange aux ailes ouvertes lisant un phylactère et, de l’autre côté, une aigle
éployée. Dans le registre inférieur, une frise régulière de six visages
évoque collectivement le corps des chanoines constituant l’ensemble
du collège cathédral. Tous se placent naturellement sous la protection du saint patron de leur église, figure tutélaire bien inscrite dans
la géographie féodale. Elle n’illustre pas seulement un vocable local,
45
de Vaivre, art. cit., p. 55. Nos vero predictus Vivariensis episcopus, ad majorem cautelam et etiam firmitatem omnium premissorum, sigillum nostrum huic instrumento publico jussimus apponendum, ac etiam appendendum (Roche, op. cit., PJ n° XXI, p. 367).
46
Les armoiries familiales demeurent encore assez rares au tournant du XIVe siècle,
celles des diocèses rencontrant davantage la faveur des prélats : « seuls 5 % des sceaux
des clercs portent des armoiries » (Bouyé, art. cit., p. 495). Des exemples précoces se rencontrent, comme à Marseille, où l’évêque Pierre II de Montlaur (1214-1229) porte un laurier issant d’un mont sur son contre-sceau anépigraphe tandis que son successeur, Benoît
d’Alignan (1229-1267) choisit un demi-vol pour sa contre-marque (Joseph-Hyacinthe
Albanès, Armorial et sigillographie des évêques de Marseille, Marseille, 1884, p. 53 et p. 56 ;
Léon Jéquier, « Début et développement de l’emploi des armoiries dans les sceaux », XV
congreso internacional de las sciencias genealógica y heráldica, Madrid 1983, p. 377, n. 4).
Ces deux évêques usaient également d’une bulle pour valider certaines de leurs chartes.
47
Roche, op. cit., p. 272.
48
Légende : [ S(igillvm) L]VDOVI[CI] ………… EPISCOPI [VI]VAR[IENSIS]
49
de Vaivre, art. cit., p. 58, n. 15, et fig. 6. Les monnaies émises, par exemple, sous le
pontificat d’Aldebert de Peyre, arboraient une croix pattée au droit, un crosseron épiscopal au revers.
50
SIGILLVM : CAPITVLI : VIVARIENSIS : (Douët d’Arcq, op. cit., t. II, p. 617, n° 7357).
16
elle protège symboliquement les décisions écrites sur les chartes du
chapitre qu’elle valide au moment de l’appension du sceau communautaire. La composition choisie semble illustrer avec vigueur les courants
contraires qui opposent encore les chanoines de l’église vivaroise à leur
évêque, sous fond de surenchère iconique51.
Fig. 5 : Moulage du sceau du chapitre cathédral de Viviers en 1306
(Arch. nat. Sc/D 7357, cliché ANF).
Le pas est définitivement franchi avec le choix personnel qu’effectue
Pierre de Mortemart (1322-1326)52. Cet évêque fait suspendre par la
guiche deux écus aux armes de France (d’azur au semé de fleurs de
lis d’or), accrochés à la bague des colonnes qui encadrent l’élégante
silhouette bénissante sise sous l’arcature trilobée d’une cathédrale de
style gothique53. Ici « le corps sigillaire des clercs est un corps mis au
service de l’Église, un corps sans individualité, celui d’un homme qui
se présente à nous sous le masque de sa fonction »54. Un prélat est
représenté, dans le registre inférieur, en position d’orant, ainsi que
l’indique la position de ses mains jointes qui signifient la piété que
l’on est en droit de tenir pour commune dans le milieu ecclésiastique
(Fig. 4). Que les lis accompagnent Pierre Gauvain (dit de Mortemart,
en Limousin) n’est pas une surprise, celui-ci est un proche de la
51
Au même moment, une très belle matrice circulaire de 53 mm de diamètre, datée de
la fin du XIIIe siècle et réalisée pour le chapitre de l’église d’Arles, représente cinq individus inscrits dans des médaillons disposés en forme de croix. Dans les quatre écoinçons, figure une petite aigle éployée… (Ambre Vilain, Matrices de sceaux du Moyen Âge.
Département des Monnaies, Médailles et Antiques, BnF, Paris, 2014, p. 27, n° 12).
52
Peut-être fut-ce déjà le cas avec Guillaume IV de Flavacourt (1319-1322) mais aucune
empreinte de son sceau ne semble avoir été conservée, du moins aux Archives nationales.
53
Légende avec croisette sur le côté : S(igillvm) . P(etri) : DE : MORTUOM[ARI……V]
IBARIEN(sis). Cliché publié dans Jones, op. cit., p. 4, fig. 2.
54
Blanc, art. cit., p. 27.
17
monarchie capétienne : il est le parrain d’un des fils du roi Charles IV55.
Durant son bref pontificat (il est nommé à l’évêché d’Auxerre durant
l’été 1326), les armes de France deviennent à la fois celles du diocèse
et de la ville de Viviers. La page impériale semble bel et bien tournée.
***
La charte de janvier 1297 laisse apparaître que le scellement d’un
évêque dont l’église se considère encore comme redevable de son
héritage symbolique impérial était important aux yeux du roi et de
son entourage. Si tous les regards sont alors tournés vers la Flandre,
ils continuent néanmoins d’observer avec beaucoup d’attention un
Vivarais qui se drape encore dans des insignes frappés de l’aigle.
Personne ne néglige l’enjeu emblématique que constitue le port d’un
signe si lié à l’histoire d’un diocèse et de ses évêques. Le frère franciscain Guillaume du Fauga semble l’avoir bien compris quand il fait
commander auprès d’un orfèvre la réalisation de la matrice de son
sceau, représentation concise mais publique de ce qu’il entend être
dans les limites de sa circonscription territoriale.
Personnalité extérieure nouvellement promue au siège de Viviers,
imposé selon la volonté du pape Boniface VIII, Guillaume du Fauga
abandonne d’emblée l’usage du boullotèrion, mode de marquage
caractéristique que ses prédécesseurs ont largement cultivé au sein
d’une terre rhodanienne longtemps tournée vers l’empire. Délaissant
le plomb pour la cire avec laquelle il est amené à sceller la validation
du défi flamand envers son souverain, l’évêque reste cependant vigilant. En ces temps de territorialisation du pouvoir royal et d’extension
des frontières du royaume – dont l’ambigu « rattachement pacifique »
de Lyon en est l’une des manifestations pour la zone rhodanienne56 –,
évêques et grands princes tentent de faire valoir droits et privilèges
que les légistes du souverain s’ingénient de mettre à mal. De divergentes conceptions du pouvoir, épiscopales et royales, spirituelles et
temporelles, se font face. Les pratiques emblématiques traduisent
les effets de cette rivalité des signes, des marques, des symboles qui
sont tous porteurs d’histoire, d’attributions et de prérogatives attestant l’antiquité de la seigneurie épiscopale dont Guillaume du Fauga
est aussi le représentant et le détenteur. Elles signalent à l’envi une
55
Roche, op. cit., p. 295.
56
Bruno Galland, « La « réunion » de Lyon à la France, quarante années pour un rattachement pacifique », dans Jacques Berlioz et Olivier Poncet (dir.), Se donner à la France ?
Les rattachements pacifiques de territoires à la France (XIVe-XIXe siècle), Paris, 2013, p. 9-29.
À confronter avec Alexis Charansonnet, Jean-Louis Gaulin, Pierre Mounier et Suzanne
Rau (dir.), Lyon, entre Empire et Royaume (831-1601). Textes et documents, Paris, 2015 ;
Alexis Charansonnet, Jean-Louis Gaulin et Xavier Hélary (éds.), Lyon 1312. Rattacher
une ville au Royaume ?, Lyon, 2020.
18
appartenance aux réseaux qui structurent les différentes obédiences
à l’Église romaine ou le soutien au roi capétien, allant bien au-delà
de la simple fonction d’identification initialement assignée aux motifs
héraldiques. Une forme « d’impérialisme » est bien au cœur des enjeux
qui se nouent alors en cette fin de XIIIe siècle. Mais Guillaume du Fauga
n’aura pas de combat à mener. Il disparaît l’année où Boniface VIII fait
canoniser celui que l’on doit dorénavant appeler saint Louis (11 août
1297). Les lis de France vont, dès lors, pouvoir se déployer, dotés d’une
toute nouvelle aura.
Laurent MACÉ*
* Professeur d’histoire du Moyen Âge à l’Université Toulouse Jean-Jaurès
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