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Chronique politique de Mauritanie, Décembre 2014

2015

Réléection du président Mohamed ould Abdel Aziz, avancée de l'islamisme radical et mouvements sociaux contre l'esclavage interne et pour les droits civiques des minorités noires. (Nouvelle version)

CHRONIQUE POLITIQUE DE MAURITANIE DÉCEMBRE 2014 RÉÉLECTION DU PRÉSIDENT MOHAMED OULD ABDEL AZIZ, AVANCÉE DE L’ISLAMISME RADICAL ET MOUVEMENTS SOCIAUX CONTRE L’ESCLAVAGE INTERNE ET POUR LES DROITS CIVIQUES DES MINORITÉS NOIRES Dr Mariella Villasante Cervello Institut de démocratie et droits humains (IDEHPUCP, Lima, Pérou) Mariella Villasante Cervello 2 CHRONIQUE POLITIQUE DE MAURITANIE DÉCEMBRE 2014 RÉÉLECTION DU PRÉSIDENT MOHAMED OULD ABDEL AZIZ, AVANCÉE DE L’ISLAMISME RADICAL ET MOUVEMENTS SOCIAUX CONTRE L’ESCLAVAGE INTERNE ET POUR LES DROITS CIVIQUES DES MINORITÉS NOIRES Dr Mariella Villasante Cervello Institut de démocratie et droits humains (IDEHPUCP, Lima, Pérou) INTRODUCTION La République islamique de Mauritanie connaît depuis deux ans un regain de tensions sociales et politiques organisées autour de la défense des droits à l’égalité sociale, tant de la part des groupes serviles de la société bidân [arabophone] que des minorités ethniques du pays [Halpular’en, Soninké, Wolof]. Cependant, au cours de l’année 2014, la mouvance islamiste a fait des avancées notoires, et les mouvements sociaux ont gagné en intensité suivant deux causes centrales : la persistance, voire l’augmentation, de la pauvreté des majorités mauritaniennes, toutes origines confondues ; et, d’autre part, le renforcement de la politique répressive déployée par le régime du président Mohamed ould Abdel Aziz. On aurait pu croire que la réélection du président en juin dernier aurait impliqué un changement de cap et des améliorations concrètes du niveau de vie des Mauritaniens, et pourtant rien n’a changé, pire encore, l’enfermement dans des vieilles politiques du tout répressif, connues pendant le régime de Maaouya ould Sid’Ahmed Taya [1984-2005], sont revenues de plus belle. Cela étant, les temps ont changé, une société civile plus consciente de ses droits continue à grandir dans le pays, et les secteurs les plus touchées par les inégalités post-modernes, par les vieilles hiérarchies statutaires d’une société d’ancien régime ultra conservatrice, et par la pauvreté extrême, s’opposent avec force à la très mauvaise gouvernance du régime en place. Et pourtant, avec près de 3,5 millions d’habitants, dont près de 2 millions habitent à Nouakchott, et avec ses riches ressources naturelles (minerais, pêche) les Mauritaniens pourraient avoir un niveau de vie correct, les enfants et les jeunes pourraient avoir une éducation adaptée aux besoins du pays, et les services de l’État, notamment la santé et l’infrastructure urbaine et rurale, pourraient être bien installés dans le quart habité et utile du pays. Or rien de cela n’existe. Le Rapport sur le développement humain du PNUD de 2014, [inégalités, santé, compétences sociales, insécurité personnelle, intégration internationale perceptions du bien être], considère que la Mauritanie n’a pas présentée d’évolution notable entre 1980 et 2013, et occupe la 161ème place mondiale (indice 0,487), proche de la situation de deux pays en guerre, l’Afghanistan et le Yémen1 [Le Calame, NoorInfo du 10 octobre 2014]. Cette triste situation, empirée par les affaires de corruption, est aisément visible à Nouakchott qui continue à être une capitale abandonnée à son sort, et qui s’enfonce chaque jour davantage dans la misère, le chaos de la circulation, et, récemment, dans les eaux des pluies qui ont submergé une bonne partie de la ville. Comme si cela n’était pas suffisant, le ramassage des ordures 1 Voir : http://www.noorinfo.com/Rapport-l-IDH-2014-le-developpement-humain-faible-enMauritanie_a14568.html Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014 3 ménagères s’est détérioré ces derniers mois et la ville connaît une autre période de danger sanitaire, ainsi certains parlent de la possibilité de disparition de la ville2. La mauvaise gouvernance du régime en place a une grosse part de responsabilité dans cet état de choses. Cela d’autant plus que le président se présente comme le portedrapeau de la lutte anti-terroriste dans l’ouest saharo-sahélien, et qu’il est lourdement soutenu par les pays occidentaux, dont l’Union européenne, la France et les États-Unis. Mais il y a plus. Étant donné que les pays occidentaux sont en train d’apporter des sommes considérables au nom de la lutte anti-terroriste, sans exiger en échange une bonne gouvernance, Ould Abdel Aziz se croit tout permis, et ne fait rien ou si peu pour améliorer la situation désastreuse de la majorité de la population. Or, le calcul politique des uns et des autres peut s’avérer très mauvais à moyen terme ; les mouvements sociaux menacent aujourd’hui sérieusement la stabilité interne de la Mauritanie, et dans le monde globalisé qui est le nôtre, rien ne pourra les empêcher de continuer à se déployer jusqu’à ce qu’ils obtiennent leurs droits à l’égalité sociale et à la démocratie réelle. De manière parallèle, le mouvement islamiste, légal et souterrain, avance à grands pas, alimenté par la misère et par l’ignorance d’une population abandonnée à son sort. Face à cette situation, le président joue sur les deux tableaux à la fois, comme ailleurs dans les pays arabes de la région ; d’une part, il se présente comme le véritable chef et défenseur de l’islam mauritanien, ce qui dérange les islamistes, et, d’autre part, il les attaque pour leur enlever toute légitimité. La mise au ban des Frères musulmans en Arabie saoudite, en mars, a soutenu cette dernière position. Des émeutes se sont déployées entre janvier et mars autour des questions « religieuses », ce qui est un fait nouveau dans le pays. D’un point de vue politique, la responsabilité dans la situation nationale est aussi partagée par les groupes politiques de l’opposition qui, encore une fois, ont renoncé à leur participation dans les élections présidentielles de juin 2014. Ce faisant, ils n’ont pas seulement enlevée toute légitimité aux élections présidentielles de juin, mais ils ont abandonné la scène politique nationale aux groupes traditionnellement partisans du pouvoir en place, d’où qu’il vienne, c’est-à-dire les élites enrichies grâce aux privilèges de naissance et des prébendes de l’État, les chefferies traditionnelles, les fonctionnaires et les militaires. Cet abandon a été mis à profit par le mouvement islamiste Tawassoul, bien représenté au Parlement, et, parallèlement, par les mouvements sociaux de défense des droits des groupes serviles, en particulier l’IRA, dirigé par Biram ould Abeid, et des droits des minorités noires, notamment les FLAM, divisées depuis quelques mois. Leurs marches pacifiques sont brutalement réprimées, et plusieurs dirigeants de l’IRA ont été emprisonnés illégalement depuis le 11 novembre. Face à cette situation critique le gouvernement exprime un déni de réalité patent. En effet, non seulement les militants des mouvements sociaux sont accusés de perturber la « paix sociale », mais les imams sont priés de s’aligner avec les vues du gouvernement sur la question de l’esclavage interne, ce qui revient à le nier purement et simplement. Et alors que les droits humains sont ignorés et bafoués au pays, la Commissaire aux droits de l’homme, Aichetou Mint M’Haiham, a déclaré à Genève, lors de la 27ème 2 Voir http://www.noorinfo.com/Nouakchott-en-voie-de-disparition-Sous-la-menace-des-eaux-et-dusable_a9738.html; voir aussi http://www.noorinfo.com/Nouakchott-Casse-tete-Transport_a14895.html Mariella Villasante Cervello 4 session du Conseil des droits humains, que le pays a « accompli des énormes progrès en termes de droits de l’homme3 ». Dans cette chronique, je vais aborder les thèmes suivants : La politique générale, dont la réélection présidentielle de juin, le mouvement islamiste, la commémoration ambiguë du jour de l’indépendance et les revendications des Noirs, et le nouveau gouvernement nommé en août. Les mouvements sociaux et les droits humains, dont une mise au point sur la question de l’esclavage interne à partir de l’anthropologie sociale. Les relations internationales, dont la crise au Sahara occidental, ainsi que les rencontres du président Ould Abdel Aziz avec le président Barack Obama et John Kerry aux Etats-Unis. Et enfin La « lutte anti-terroriste » dans la région, le soutien de la France et des EtatsUnis. POLITIQUE GÉNÉRALE Le 30 janvier, le Premier ministre éthiopien, Hailemariam Dessalegn, président en exercice sortant de l’Union Africaine (UA), a cédé la place au président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz, lors de l'ouverture du 22e Sommet ordinaire de l’Union africaine [UA] à Addis-Abeba, Ethiopie [NoorInfo, janvier]. Cependant, son élection a été remise en cause rapidement car on considère que le président de la Mauritanie n’est pas digne de cette fonction ; il a été en effet l’auteur du premier coup d’État intervenu après l’adoption de la charte pour la démocratie et les élections. Or, apparemment le fait que cette année la présidence tournante devait concerner un pays du Nord de l’Afrique, et que seule la Mauritanie s’était portée candidate a facilité cette désignation. Rappelons ici que l’Égypte est exclue de l’UA, que le Maroc n’en fait pas partie, et que la Tunisie, la Libye et l’Algérie connaissent des problèmes politiques graves qui rendent impossible leur participation dans l’instance internationale africaine. Ould Abdel Aziz serait donc un président de l’UA par défaut et non pas mérite. Le 5 avril, le Premier ministre Moulay ould Mohamed Laghdaf a prononcé son discours de politique générale devant le Parlement et a déclaré que « la porte du dialogue avec les différents groupes politiques restera toujours ouverte pour une meilleure consolidation de l’unité nationale et de la démocratie » [L’Authentique, NoorInfo]. Il avait présenté sa démission au président en février, mais le président ne l’avait pas acceptée et il a continué à présider le conseil des ministres jusqu’en août dernier. De fait, les déclarations de ould Mohamed Laghdaf sont assez éloignées de la réalité choisie par le président et ses ministres de tenir à distance tous les dirigeants de l’opposition mauritanienne, comme l’ont rappelé récemment Ahmed ould Daddah, opposant historique, et Mohamed ould Mouloud, chef de l’Union des forces du progrès [UFP]. Comme on le verra plus loin, seul le député Jemil ould Mansour, chef du parti islamiste Tawassoul, est en relation de dialogue avec les membres du gouvernement qui ont besoin de cet interlocuteur de plus en plus populaire dans les milieux urbains du pays. — Élections présidentielles : un résultat attendu Les préparatifs des élections ont commencé tardivement et sans beaucoup d’enthousiasme. Après l’annonce de la non participation des partis de l’opposition, et 3 Voir http://www.noorinfo.com/Mauritanie-Enormes-progres-en-termes-de-droits-de-l-homme--selon- Mint-M-haiham_a14370.html. Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014 5 les quelques candidatures indépendantes issues des élections législatives de 2013, on savait que les dés étaient jetés et on s’attendait à une réélection sans problèmes du président Aziz. Au mois de mai, Ahmed ould Daddah, l’un des dirigeants du Forum national pour la démocratie (FNDU), déclare que son groupe ne participera pas aux élections présidentielles4. Deux thèmes ont été soulevés comme causes de cette décision : les listes électorales qui n’ont pas été correctement établies, et le contrôle exclusif des bureaux de vote par l’administration. En effet, lors des élections législatives seulement 600 mille personnes ont pu voter, alors que le pays aurait 2 millions d’électeurs, et, d’autre part les Mauritaniens à l’étranger, environ 500 mille personnes, n’ont pas tous des cartes électorales. Quant aux bureaux de vote, les représentants des partis de l’opposition n’ont jamais été associés aux opérations électorales. Après une tentative de dialogue avec les représentants du gouvernement, la COD a décidé de boycotter les élections, en dénonçant « un agenda unilatéral », et un recensement qui exclue des citoyens des listes électorales. Ce sont les mêmes raisons qui avaient été invoquées lors des élections législatives de novembre 2013. Finalement, cinq candidats indépendants se sont présentés aux élections : Ibrahim Moctar Sarr, député et président de l’Alliance pour la justice et la démocratie ; Lalla Mariem mint Moulaye Idriss, Biram ould Dah ould Abeid, président de l’IRA, dont la candidature a été finalement acceptée par le Conseil constitutionnel ; Ahmed Salem ould Bouhoubeini, bâtonnier de l’ordre national des avocats de Mauritanie ; Boydiel ould Humeid, leader du parti El Wiam ; et le président Aziz, chef de file du parti Union pour la république. Dans sa campagne électorale, qui aurait reçu le soutien financier de l’Algérie [Mondafrique du 5 juin], Aziz a répété ad nauseam les prétendus acquis de son gouvernement depuis 2008, en particulier un taux de croissance de 6,7% dû à la lutte contre la corruption et la gestion des ressources publiques, la maîtrise de l’inflation, et les améliorations des infrastructures hospitalières. De plus, le taux de chômage aurait été ramené de 31% à moins 10%, le pays aurait un excédent en énergie qui lui permettrait de l’exporter vers les pays voisins. Enfin, des étapes importantes auraient été franchies pour instaurer la sécurité dans l’ensemble du territoire, l’éradication du terrorisme, la maîtrise des frontières et le renforcement des forces armées. Aziz a promis de renforcer ces acquis, de rehausser l’image de la Mauritanie et d’accorder priorité aux couches déshéritées, notamment les jeunes. Il a critiqué directement les partis de l’opposition qui ont appelé au boycott des élections, affirmant qu’il s’agissait « d’une vaine tentative de plonger le pays dans une situation non constitutionnelle. » [Kassataya, NoorInfo du 16 juin]. On ne peut pas savoir à qui pouvait s’adresser ce type de discours assez éloigné de la réalité sociale mauritanienne, et qui est facilement démontable pour peu qu’on consulte les sites des nouvelles fiables dans les réseaux sociaux. Il est donc probable que le président Aziz n’ait pas encore pris la mesure des changements de taille qui caractérisent la situation politique dans le monde entier, et aussi, même si cela peut sembler étonnant, en Mauritanie, qui s’est connectée massivement sur Internet depuis environ une dizaine d’années. Depuis lors, les hommes politiques ne peuvent plus mentir de manière ouverte, il faudrait que le président et ses fonctionnaires prennent compte de cela. 4 Voir l’entretien qu’il a accordé à Mondafrique le 3 mai 2014 : http://www.noorinfo.com/Presidentielles- mauritaniennes-la-braise-couve-sous-la-cendre_a13261.html Mariella Villasante Cervello 6 Mohamed ould Abdel Aziz se rend aux urnes [Xibaaru, Noorinfo] Les résultats des élections du 21 juin reflètent la situation de démocratie de façade qui caractérise la Mauritanie depuis 1992, date des premières élections présidentielles au suffrage universel. Selon le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Abdallahi ould Soueid Ahmed, Mohamed ould Abdel Aziz fut crédité de 577 995 voix, soit 81,89% des suffrages valables ; et le taux de participation fut de 56,46%, sur environ 1,3 millions d’électeurs en Mauritanie. Le second poste fut occupé par Biram ould Dah ould Abeid, président de l’IRA, qui reçut 61 218 suffrages, soit 8,67%. Bodiel ould Houmeid, du parti El-Wiam se classe troisième avec 31 773 suffrages, soit 4,50% des voix. Ibrahima Moctar Sall, représentant de la communauté noire, a obtenu 31 368 suffrages, soit 4,44% des voix ; et la seule femme, Lalla Mariem mint Moulay Idriss a obtenu 3 434 suffrages, soit 0,49% des voix. Les discours de la campagne ont été plus radicaux que dans les années précédentes, Aziz s’est attaqué aux partis de l’opposition, alors que le candidat des groupes serviles s’en prenait au « système bidân », aux partis de l’opposition, aux hommes d’affaires et autres riches personnages de la place. L’enjeu des élections était le taux de participation, et il est vrai que les Mauritaniens ne se sont pas déplacés en masse pour voter dans un scrutin surveillé par environ 700 observateurs, dont 200 étrangers, qui n’ont pas observé d’anomalies [AFP, NoorInfo du 23 juin]. Cependant, des observateurs indépendants ont signalé la mise en place d’une vaste fraude électorale ; ainsi le journaliste Mohamed Mahmoud ould Bakar considère que cette élection replonge la Mauritanie dans les « légalités croupissantes » gérées par l’armée, comme en Algérie, en Égypte et en Libye. Les listes électorales utilisées dateraient de celles mises en place par les militaires en 2006 pour gérer la « transition » ; la majorité des jeunes en âge de voter n’a pas été enregistrée. En outre, la campagne de Mohamed ould Abdel Aziz a instrumentalisé, comme il est habituel dans le pays, les institutions étatiques, les notabilités tribales et religieuses, et les hommes d’affaires [El Emel El-Jedid, NoorInfo du 9 juillet]. Il faut ajouter que la propagande des partis s’est accompagnée par les représentations habituelles, depuis 1992, de concerts de musique bidân et noiremauritanienne, au grand bénéfice des artistes, des musiciens et du peuple qui profite Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014 7 pendant quelques jours des joies culturelles agrémentées, parfois, de banquets d’autrefois. Du pain et du cirque pour le peuple, pour lui faire oublier le temps d’une soirée les difficultés de la vie quotidienne, que ne connaissent pas les (petites) élites de la Mauritanie. Le président réélu a choisi, encore une fois, d’accorder son premier entretien à un média étranger, en l’occurrence Jeune Afrique, ce qui a été remarqué et critiqué par la presse nationale, dont le CRIDEM qui n’apprécie pas, à juste titre, les positions ambiguës de cette revue qui accorde son intérêt plutôt à l’événementiel qu’aux problèmes de fond du continent. Le 5 juillet, Mohamed ould Abdel Aziz déclarait, à Akjoujt, encore une fois que grâce à lui « on a stoppé la menace jihâdiste du pays », ce véritable slogan de campagne électorale est devenu un slogan qui prétend résumer son programme de gouvernement. Le plus surprenant de cet entretien est que la journaliste Justine Spiegel n’a posé aucune question sur les problèmes mauritaniens ; ainsi, ni le « passif humanitaire », ni les mouvements sociaux, ni le programme du gouvernement du président n’ont été évoqués. Elle s’est contentée de questions très générales, en particulier sur les conflits dans les pays voisins (Mali, Centrafrique) et en Syrie, et le président a apporté les réponses convenues habituelles [JA du 8 juillet5]. — Les positions de l’opposition : le gouvernement n’affronte pas les graves problèmes du pays Le 9 juillet, l’un des plus populaires chefs des partis d’opposition, Mohamed ould Mouloud [Union des forces du progrès, UFP], a déclaré au journal Al-Akhbar que le résultat de cette réélection était « assimilable à un nouveau coup d’État après celui de 2008 mené par ce même Ould Abdel Aziz ». L’opposant considère que ce dernier a empêché la tenue d’élections transparentes, libres et consensuelles. En conséquence, le large front des forces démocratiques, réuni autour du Forum national pour la démocratie (FNDU), travaille sur une nouvelle stratégie qui cherchera un « changement démocratique, authentique et pacifique ». Mohamed ould Mouloud considère également que « le pays traverse une véritable impasse politique », alimenté par le gouvernement lui-même, ce qui expose la Mauritanie à l’instabilité car l’impasse peut dégénérer et aboutir à une situation non souhaitable ». Cela d’autant plus que « le pays connaît une crise multiforme qui s’ajoute aux tensions ethniques. Ainsi, « on peut comparer la situation à une marmite qui bouillonne et dont le couvercle peut sauter à tout instant ! ». Plus précisément encore : « la Mauritanie est dans une situation telle que s’il n’y a pas de vraies solutions aux problèmes confrontés, le risque sera l’effondrement du pays et de l’État. » Dans un autre entretien accordé le 16 octobre au Calame6, Mohamed ould Mouloud a déclaré que le gouvernement refuse le dialogue avec le FNUD, et qu’il montre bien ne pas être disposé à faire la moindre concession à l’opposition. Pourtant, d’après lui, un changement est inéluctable ; « un changement brutal, violent, peut avoir un coût trop lourd, et peut être suicidaire pour le pays… Au vu de ce qui se passe ailleurs en Afrique et dans le monde, le plus souhaitable est sans doute un changement maîtrisé qui passe par un dialogue véritable… ». Face au faux dilemme devant lequel le président Aziz semble avoir placé le pays : « c’est moi ou le chaos », ould Mouloud considère que le 5 Voir : http://www.noorinfo.com/Mohamed-Ould-Abdelaziz-Nous-avons-elimine-la-menace-jihadiste-en- Mauritanie_a13862.html 6 Voir : http://www.lecalame.info/?q=node/842. Mariella Villasante Cervello 8 vrai chaos, dans tous les domaines de l’administration, dérive directement de la « gestion erratique et égocentrique » du président Aziz. Raison pour laquelle il avance que la seule issue est « une large entente nationale patriotique pour sauver le pays ». Ce dialogue devra être centré sur les graves problèmes du pays : la crise politique, les menaces sécuritaires, la crise sociale, le «passif humanitaire, les contentieux identitaires, les problèmes de l’esclavage et la corruption. Autant de questions ignorées par le gouvernement actuel qui, d’après ould Mouloud, se livre plutôt à des jeux de politique politicienne qui ne conduisent nulle part. Mohamed ould Mouloud [Le Calame, CRIDEM] Ces analyses reflètent la grande fracture existante entre la classe politique loyale au pouvoir en place, qui compte avec le soutien indéfectible des forces armées, mais qui reste aveugle et sourde face aux graves problèmes du pays, et de la classe politique, réduite il est vrai, qui tente un changement en gérant de front ces problèmes. Cela étant posé, il est aussi évident que la position du Forum national pour la démocratie (FNDU), qui a succédé à la Coordination de l’opposition démocratique (COD) créée en 2013, reste affaiblie au moins pour deux raisons. D’abord, parce que les forces politiques, de n’importe quel mouvement, doivent participer aux élections si elles veulent introduire leurs agendas et leurs revendications sur la scène nationale ; autrement elles restent marginales et marginalisées, sans aucune base réelle ni au parlement, ni sur la place publique. La non-participation du FNUD aux élections de juin 2014 fut donc, à mon sens, une erreur politique qui a anéanti le rôle de contre-pouvoir qu’ils auraient pu jouer en Mauritanie pour les cinq années à venir. Deuxièmement, toutes les tentatives déployées par les partis d’opposition pour se rallier derrière un candidat aux élections présidentielles se sont soldées par un échec, et c’est là que se situe probablement l’impasse structurelle de ces formations depuis les années 1992, lors des premières élections présidentielles au suffrage universel. On aborde ici une question intéressante du point de vue de l’anthropologie politique qui concerne le conflit entre le mode ancien du politique et celui qui peut être nommé moderne suivant les nuances mauritaniennes. Dans le monde de jadis, encore présent dans les zones rurales, les anciens avaient/ont la préséance dans les affaires politiques des unités sociales. Mais dans le monde moderne, ce sont les jeunes éduqués qui sont appréciés et choisis pour représenter les groupes sociaux. Or, l’opposition des hommes politiques selon leur âge et leur éducation n’est pas encore bien réglée dans le cadre de la politique régionale et nationale. Ainsi, des vétérans des partis politiques ont beaucoup de mal à s’en éloigner pour laisser la place aux jeunes, comme dans certains pays Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014 9 développés, et les jeunes n’acceptent plus de rester aux marges. D’où une double source de conflit, entre les jeunes et vis-à-vis des anciens, et entre les anciens, comme l’illustre la rivalité constante entre Ahmed ould Daddah (candidat à la présidentielle de 1992 et de 2007), et Messaoud ould Boulkheyr [chef historique du mouvement de libération des groupes serviles El-Hor, ancien président de l’Assemblée nationale]. Bref, on peut avancer que les partis de l’opposition devront apprendre à dépasser les « coutumes d’autrefois » et les rivalités tout à fait actuelles s’ils veulent devenir un pôle politique alternatif digne de ce nom en Mauritanie. — Le parti islamiste Tawassoul, première force d’opposition légale Lors des élections législatives et municipales de novembre 2013, le parti des islamistes Rassemblement national pour la réforme et le développement, Tawassoul, dirigé par Jemil ould Mansour, a remporté 16 sièges de députés et plusieurs mairies [Voir la Chronique de décembre 2013]. Ce parti se place dans la mouvance des Frères musulmans dirigés (dans l’ombre) par Mohamed El Hasen ould Dedew. En janvier 2014, le Dr Souivi ould Cheibani, l’un des dirigeants du parti islamiste a annoncé leur décision de désigner un candidat unique de l’opposition pour l’élection présidentielle de juin [NoorInfo du 19 janvier]. Le 23 avril, Jemil ould Mansour déclara sur les ondes de RFI que la date du 21 juin, fixée pour l’élection, ne pouvait être maintenue car les conditions n’étaient pas réunies, dont la garantie d’un gouvernement consensuel, la neutralité de l’État et la mise en place d’une nouvelle CNI autonome. Or, le 5 mai, les 17 partis du FNDU, dont le Tawassoul, annonçaient leur non participation à l’élection, pour les raisons déjà évoquées. Depuis lors, leurs actions sont quelque peu ambiguës, mais il semble que le gouvernement et le seul parti islamiste légal du pays aient décidé de collaborer dans un cadre bilatéral. Le parti Tawassoul est mêlé de près aux trois faits divers qui ont eu lieu dans le pays en janvier et en mars 2014, qui illustrent la dangereuse capacité de mobilisation des islamistes, fussent-ils du Tawassoul, du réseau officiel des oulémas mauritaniens, ou du réseau des conseillers du gouvernementaux. Dans tous les cas, et bien que mes informations soient encore fragmentaires, il semblerait que le courant islamiste se développe dans ses contours les plus obscurantistes et les plus radicaux en Mauritanie, allant à l’encontre de l’antique tradition de religiosité pacifique, austère et tolérante des sociétés bidân et noires devenues mauritaniennes en 1960. Les trois cas, comme on le verra bientôt, reflètent aussi le raidissement d’une société au sein de laquelle les propagandes islamistes ultra-conservatrices se présentent comme le dernier rempart contre le changement et la modernisation sociale, présentés comme non-islamiques. L’islam est ainsi instrumentalisé, ici comme ailleurs dans le monde, pour légitimer la rigidité des mœurs, surtout des jeunes filles, et pour légitimer aussi le maintien des hiérarchies statutaires qui distinguent les groupes sociaux mauritaniens selon leur héritage filiatif, et/ou selon leurs alliances matrimoniales. Or, l’islam est un référent moral et religieux, sans lien avec la construction des hiérarchies sociales. — Le cas du jeune « forgeron » accusé d’« apostasie », janvier 2014 Depuis décembre 2013, la mouvance islamiste a commencé une campagne à l’encontre de ceux qu’elle appelle les « apostats », c’est-à-dire leurs adversaires déclarés sur Facebook. Selon les associations de défense des droits humains qui ont publié un Mariella Villasante Cervello 10 communiqué en janvier7, des « comités ad-hoc » se sont formés pour dénoncer des jeunes, surtout des jeunes filles, auprès de leurs familles pour qu’elles leur interdisent l’accès aux réseaux sociaux. Certains membres de ce qu’il faut bien désigner comme la « police des mœurs » mauritanienne, sont allés dans les rédactions des journaux la veille du Nouvel an pour annoncer que toute festivité serait l’objet de représailles. Shaykh Ridha a lancé une fatwa « condamnant la montée de l’athéisme via Facebook et autres réseaux sociaux » et exige que les parents protègent leurs enfants du « vice de l’impiété ». Depuis plusieurs années déjà, les réseaux sociaux sont le centre d’échanges entre les jeunes qui, comme ailleurs dans le monde, découvrent une nouvelle forme de liberté d’expression et une source d’informations illimitée sur la marche du monde. C’est contre cet état de faits, au demeurant impossible à arrêter, que s’insurgeaient les « policiers des mœurs » ou nouveaux Inquisiteurs mauritaniens. Dans ce contexte, une affaire fut montée en épingle et le jeune auteur d’un texte remettant en question la légitimité islamique de la hiérarchie sociale, notamment des « castes de forgerons », deviendra une tête de Turc pour les islamistes et pour les officiels de l’islam. De toute évidente, ce qui a le plus dérangé les élites religieuses et la quasi totalité de Mauritaniens est que le jeune appartient à un groupe statutaire méprisé, qu’il ait cependant une bonne formation en islam et en arabe classique, et qu’il se soit permis, si l’on peut dire, de remettre en question un ordre social encore conçu comme inchangeable. Biram ould Abeid, qui se présente comme « descendant d’anciens esclaves », remet lui aussi en question la hiérarchie mauritanienne qui, d’après lui, n’est pas islamique non plus. On y reviendra plus loin. Voici les faits. En décembre 2013, Mohamed Cheikh ould Mohamed, dit Ould Mkheitir, ingénieur de 28 ans, publie un article en arabe dans lequel il revendique les droits à l’égalité de la « caste des forgerons » de la société bidân [ma’allem]. Reprenant le modèle des lettrés, l’auteur fonde son argumentation sur des études de savants islamiques qui font autorité, et conclue en affirmant que l’attitude présumée sectaire du Prophète envers les Juifs d’Arabie, ressemblerait à celle des zwâya [groupe religieux] vis-à-vis des forgerons. Précisons que l’idée est largement répandue chez les Bidân que ces derniers auraient des origines juives8 ; au demeurant, une idée sans aucun fondement. Les mêmes « castes », qu’il faut plutôt appeler « groupes de métier » existent dans les sociétés halpular’en, soninké, wolof et mandé, ainsi que dans les sociétés d’anciens nomades du Sahara et des agriculteurs du Sahel, divisés globalement en « groupes libres » et « groupes serviles ». Cette hiérarchie est cependant très fluide et changeante et en aucun cas rigide, comme l’ont laissé croire les auteurs coloniaux et les auteurs orientalistes9. 7 Il s’agit de l’Association des femmes chefs de famille, l’Association mauritanienne des droits de l’homme, Conscience et résistance, et SOS esclaves. Voir : http://www.noorinfo.com/Inquisition-tabous-inegalitaires-etabandon-noxal-en-Mauritanie-c-en-est-assez-_a11882.html. 8 Voir Julio Caro Baroja, Estudios saharianos, Madrid (1955) 2008, et Mariella Villasante, « Ils travaillent pour manger et ils mangent pour travailler ». Les artisans de la société bidân de Mauritanie », version française d’un article publié en anglais en 2004 (in Customary Strangers : New Perspectives on peripatetic Peoples in the Middle East, Africa and Asia, Joseph C. Berland and Aparna Rao eds., Praeger, Westport 2004 : 123-154). Consulter la page web parue dans Adrar-Info (http://adrar-info.net/?p=25517) et CRIDEM http://cridem.org/C_Info.php?article=657721), en juin 2014. 9 Voir Villasante (dir.), 2000, Groupes serviles au Sahara. Approche comparative à partir du cas des arabophones de Mauritanie, Paris, CNRS-Éditions. Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014 11 Mohamed Cheikh ould Mohamed [Noorinfo] Au début, l’article de Ould Mkheitir passe inaperçu, mais le 2 janvier les islamistes dénoncent le jeune pour « atteinte au Prophète et blasphème », le parquet de Nouadhibou ordonne son arrestation en faisant référence à l’article 306 du Code pénal. Celui-ci déclare que « tout musulman coupable du crime d’apostasie, soit par parole, soit par action de façon patente ou évidente, sera invité à se repentir dans un délai de 3 jours. S’il ne se repent pas dans ce délai, il est condamné à mort en tant qu’apostat, et ses biens seront confisqués au profit du trésor. » Visiblement terrorisée par ces faits, la famille du jeune ingénieur le banni, les parents de son épouse la forcent à quitter le domicile conjugale et l’emmènent à Guérou, le mariage devient caduc en raison du « crime d’apostasie ». L’employeur du jeune le renvoie, ses collègues l’insultent et le menacent, et Ould Mkheitir continue à défendre son innocence. Cependant, depuis son incarcération, le 5 janvier, aucun procès n’a été ouvert à son encontre, autrement dit, le jeune homme est en prison de manière totalement injuste et illégale. Cela malgré le fait qu’il a écrit un second texte dans lequel il s’explique, précisant n’avoir jamais insulté le Prophète, et défendant son innocence de bon musulman. Mais personne ne l’a entendu, et les choses sont allées de mal en pire10. Au début février, son avocat maître Mohameden ould Icheddou a déclaré que le parquet est responsable du black-out total autour du repentir de son client. Le Juge d’instruction aurait reconnu dans son rapport le dit repentir mais aurait ajouté que cela ne le dispensait pas d’être traduit devant la Cour criminelle [ANI, Noorinfo du 3 février]. Les mouvances islamistes se sont servies de cette triste affaire pour agiter les populations et montrer leur force de mobilisation. Les manifestations de Nouadhibou furent très violentes, les manifestants exigeaient la mise à mort de Ould Mkheitir, « conformément à la shâria ». D’autres marches tendues se sont tenues à Nouakchott, les manifestants, encadrés par de meneurs, se sont dirigés vers le Palais du gouvernement et le président Aziz les reçut en turban salafiste, comme lors de l’affaire Biram d’avril 2012. Mohamed ould Abdel Aziz déclara : « La Mauritanie n’est pas laïque et l’islam et le Prophète Mohamed, Paix et Salut sur Lui, sont audessus de tout. L’atteinte à la religion de l’État et du peuple n’est permise d’aucune manière qui soit. (…) Chers citoyens, chers musulmans, je vous remercie de tout cœur pour votre présence massive en ce lieu pour condamner le crime commis par un individu contre l’islam, la religion de notre peuple, de notre pays, la République Islamique de Mauritanie. Comme j’ai eu à le préciser par le passé et le réaffirme aujourd‘hui, la Mauritanie n‘est pas laïque. L’action que vous entreprenez aujourd‘hui est le minimum à faire pour protester contre ce crime contre notre religion 10 Voir la seule source qui a fait traduire le premier texte en français : http://chezvlane.blogspot.com/2014/01/voici- enfin-la-traduction-du-texte-du.html?view=sidebar ainsi que le second texte : http://chezvlane.blogspot.com/2014/01/explosif-voici-le-2eme-texte-censure-du.html. Mariella Villasante Cervello 12 sacrée et je vous assure en conséquence que le gouvernement et moi-même ne ménagerons aucun effort pour protéger et défendre cette religion et ses symboles sacrés. Tout le monde doit comprendre que ce pays est un État islamique et que la démocratie ne signifie pas l’atteinte aux valeurs et symboles sacrés de la religion. Je souligne, une fois encore, que le président de la République et le gouvernement vont prendre toutes les mesures pour protéger l’islam, que la justice suivra son cours et que le concerné est actuellement entre les mains de celle-ci dans le cadre de l’enquête. L’État s’acquittera de son devoir dans cette affaire comme vous vous êtes acquittés du votre. Toutes les mesures appropriées seront prises dans ce sens. J’adresse un message à tous et répète une fois encore que la démocratie n’autorise pas l’atteinte à la religion. » [B’il a dit, Tribunes, NoorInfo du 6 mars]. [C’est moi qui souligne]. Mohamed ould Abdel Aziz lors de la manifestation contre Ould Mkheitir (Actu Mauritanie, NoorInfo du 6 mars 2014) Le président donna ainsi sa caution à la manifestation contre une personne qui était condamnée par une foule islamiste, non représentative du peuple mauritanien, avant même qu’elle ait eu droit à un procès en justice. Il est probable que cette caution ait favorisé la décision d’un homme d’affaires de Nouadhibou d’offrir 4 millions d’ouguiyas (10 000€) à quiconque tuerait le jeune homme accusé d’apostasie par des oulémas et des islamistes ; or, cet homme d’affaires n’a pas été inquiété par les autorités pour cette mise à prix parfaitement illégale et criminelle. Pire encore, la présidente de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), Irabiha mint Abdel Wedoud, a émis un communiqué dans lequel elle affirme que les écrits de Ould Mkheitir sont « blasphématoires, vexatoires et provocateurs », et « hérétiques » et a demandé sa mise à mort pour apostasie. Un fait très grave qui en dit long sur les manières de concevoir la justice au plus haut niveau de l’État mauritanien. Car s’il est vrai que la République islamique de Mauritanie continue à maintenir la peine de mort dans sa constitution, aucune condamnation n’a été exécutée depuis 1987. Comment comprendre que l’instance censée défendre les droits humains demande la mise à mort d’une personne qui n’a pas été jugée ? Est-ce que les idées extrémistes des islamistes sont aujourd’hui partagées par les fonctionnaires étatiques ? Les réponses ne sont pas encore claires. Ce qu’on peut dire c’est que cette accusation d’apostasie a généré un vaste mouvement de repli et de peur qui s’est reflété par la réprobation presque unanime de la publication du jeune Ould Mkheitir ; ainsi, la majorité des partis politiques et des associations l’ont condamné en reprenant les mêmes termes des Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014 13 islamistes. Cela alors même que ces derniers n’ont pas condamné, eux, les attentats jihâdistes au Mali, dont la destruction de mosquées à Gao et de la bibliothèque de Tombouctou, ni les profanations des tombes des saints, et qu’ils s’opposent à l’intervention internationale qui a sauvé de milliers de Maliens. Dans ces conditions, comme le soulignent les associations de défense des droits humains citées plus haut, l’affaire Ould Mkheitir montre un déficit d’autorité de l’État et la montée en puissance de l’obscurantisme islamiste, « vecteur désormais avéré de la gouvernance liberticide, moralisatrice et sexiste. » Cette analyse a été illustrée en juin par la fatwa [avis juridique] de mise à mort lancée par le chef du courant radical Ahbab Errasoul [les amis du Prophète] contre la militante des droits humains Aminetou mint el-Mokhtar, qui avait pris la défense du jeune Ould Mkheitir. Le texte de la fatwa est très violent et énonce : « quiconque la tue ou lui arrache les deux yeux sera rétribué par allâh. » [Lalibre, Noorinfo du 7 juin]. Au mois de mai, Ould Mkheitir serait passé devant un juge à Nouadhibou et il serait retourné en prison ensuite, où il aurait commencé une grève de la faim. Finalement, le 25 décembre, le tribunal de Nouadhibou a condamné à mort Ould Mkheitir, son procès avait été ouvert avec deux avocats commis d’office car maître Mohamedou ould Icheddou, un avocat célèbre du pays, avait renoncé à le défendre en février 2014 suite à des menaces de mort qu’il avait reçu pour lui même et pour sa famille [AFP, Mauriweb, Noorinfo du 25 décembre]. On reste sans voix devant une décision de justice qui n’a pas tenu compte de ses propres règles en matière d’accusation d’apostasie car le jeune ingénieur s’est « repenti » et l’a fait savoir en écrivant ce texte d’éclaircissement : « J’ai suivi ces derniers jours les différentes réactions suscitées par mon article « La religion, la religiosité et les forgerons (maallemin) ». Lesquelles réactions qui me sont parvenues à travers des appels téléphoniques chargés de haine et de menaces, étaient essentiellement excommunicatoires et racistes. A l’origine de ces réactions se trouvent plusieurs facteurs dont : L’analyse conspirationniste (sic) innée chez les zwâya et qui s’illustre par la judaïsation, l’excommunication et la marginalisation de tout ce qui est forgeron (maalem), mais aussi par une exégèse superficielle orientée principalement vers les intérêts de leurs âmes malades. Ce qui dans le passé avait bien servi leurs desseins notamment par leurs affabulations attribuant au prophète (paix et salut d’Allah sur lui) des hadiths dont il est totalement innocent comme celui qui dit « Aucun bien ne peut venir du forgeron fut-il un érudit » A tous mes frères, Ceux qui osent inventer de faux hadiths et les attribuent au prophète (paix et salut d’Allah sur lui), aucune morale ni religion ne peut l’empêcher d’interpréter à leur guise un article écrit par un simple jeune, novice de surcroît. Ils ne ménageront aucun effort afin de mobiliser la passion du musulman commun au service de leurs intérêts. C’est ainsi qu’ils ont prétendu que les forgerons ont Blasphémé à l’encontre du prophète (paix et salut d’Allah sur lui) à travers un article écrit par un des leurs, tout comme ils avaient prétendu que celui qui avait fait tomber les dents du prophète lors de la bataille du mont Ouhoud était un forgeron. C’est dans ce cadre que je voudrais confirmer ici ce qui suit : 1. Je n’ai pas, consciemment ou inconsciemment, blasphémé à l’encontre du prophète (paix et salut d’Allah sur lui) et je ne le ferai jamais. Je ne crois d’ailleurs pas qu’il y ait dans ce monde plus respectueux envers lui (paix et salut d’Allah sur lui) que moi. [C’est moi qui souligne] 2. Tous les faits et récits que j’ai cité dans mon précédent article revêtent un caractère historique et véridique. Ces récits ont naturellement leurs interprétations littérales et superficielles et leurs sens visés et profonds. 3. C’est là le point crucial, qui a suscité une incompréhension de mon propos chez beaucoup de personnes. Je voudrais que l’on y accorde une attention totale. Au contraire de ce que certains ont voulu répandre m’attribuant l’intention de blasphémer à l’encontre du prophète (paix et salut d’Allah sur lui), Je voudrais clarifier ici mon propos : les zwâya ont abusé de la dualité du sens obvie [sic] et du sens visé des récits et histoires rapportés de l’époque de la religion afin d’en faire le socle d’un système servant leurs intérêts à l’époque de la loi du plus fort (seyba). Ils ont fini par ériger le sens obvie en loi de la religiosité Mariella Villasante Cervello 14 transmise à nos jours tout en taisant les sens visés par le prophète (paix et salut d’Allah sur lui) Je dis donc à tous mes frères, A tous ceux qui ont sciemment mal compris mon propos, vous savez bien que je n’ai pas blasphémé à l’encontre du prophète (paix et salut d’Allah sur lui) Aux bonnes personnes qui n’ont reçu que l’information déformée, je dis : Sachez que je n’ai pas blasphémé à l’encontre du prophète (paix et salut d’Allah sur lui) et que je ne le ferai jamais. Je comprends certes l’ampleur de votre propension à défendre le prophète car elle est identique à ma propre propension à le défendre et à l’amour que je lui porte. Je vous assure que nous sommes tous égaux quant à la défense de tout ce qui nous est sacré. Mes frères forgerons Il est nécessaire que nous sachions tous que nous faisons face à un vieux duel sans cesse renouvelé avec ceux que l’on appelle les zwâya. Sachez que ceux-là ne ménageront aucun effort afin de nous faire reculer autant que possible. Ils utiliseront pour cela tous les moyens légaux et illégaux. Nous devons donc rester prudents et vigilants. Nous devons savoir que l’un des moyens qu’ils utilisent le plus souvent pour nous dominer est celui qu’ils ont hérité de leurs anciens alliés et amis, les colons. Il s’agit de la politique du « diviser pour régner ». Ceci doit donc nous conduire à bien comprendre leurs intentions et à rester unis dans notre combat. A tous mes frères opprimés, Nous devons être totalement conscients du fait que le destin nous a conduits à être les citoyens de cette terre. Nous devons par conséquent défendre notre droit à une citoyenneté pleine et à une vie descente. Ces droits ne nous seront jamais donnés, ils ne seront obtenus que par nos combats dont l’unification et le moyen le plus rapide pour accéder à nos droits. Salutations Mohamed Cheikh Ould Mohamed Mkheitir » La menace islamiste est sérieuse en Mauritanie, il faudra en tenir compte de ce danger désormais. Deuxièmement, il semble évident que les propos de Ould Mkheitir ont été manipulés sciemment pour leur donner un maximum d’écho dans la population, car des milliers de jeunes s’expriment librement sur tous les sujets sur Internet sans être inquiétés. De fait, Ould Mkheitir s’est borné à analyser une situation de fait (le mépris dans lequel sont tenus les membres de la prétendue « caste de forgerons »), notamment par les groupes religieux traditionnels (zwâya), pour expliciter qu’en islam il n’y a pas de « castes », et demander le droit à l’égalité sociale dans une société hiérarchisée. Il s’agit de la même revendication des groupes serviles. Cependant, les forces conservatrices du pays semblent compter désormais avec le soutien des islamistes qui, dénaturant les faits, ont transposé une revendication d’égalité républicaine, sans lien avec la religion, dans le champ miné de l’islam radical dont ils prétendent être les seuls défenseurs/gardiens légitimes. Le président Aziz semble dont jouer sur les deux tableaux, en se présentant comme le véritable défenseur de l’islam, avec un discours populiste destiné aux foules islamistes, et parallèlement en affirmant son autorité par le biais de la répression, comme il le montrera en mars 2014. — Le cas de la « profanation » de Corans, mars 2014 Le 2 mars, dans une mosquée du quartier populaire de Tayarett, dirigé par un iman du parti Tawassoul, deux ou quatre exemplaires du Coran ont été retrouvés déchirés et certaines feuilles étaient dans les toilettes. Le fait fut véhiculé par les médias et à l’aube, une foule des quartiers populaires se dirigea vers le Palais du gouvernement, comme cela s’était déjà produit lors de l’affaire Biram (avril 2012) et l’affaire Ould Mkhaitir (janvier 2014). Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014 15 Manifestation contre la profanation du Coran, Nouakchott, le 3 mars [Bocar Balla©] En ces occasions, on le notait avant, le président Aziz avait condamné publiquement ces actes et avait promit des sévères châtiments pour les responsables. En revanche, en mars dernier Aziz ne fit aucune déclaration publique, et minimisa l’affaire, envoyant les forces de l’ordre réprimer la manifestation du 2 mars, au centre ville (Actu Mauritanie, NoorInfo du 6 mars). Elle se poursuivit cependant le lendemain, et un jeune de 25 ans, étudiant en lettres à l’Université de Nouakchott, fut tué par la répression brutale de la police qui fit également un nombre indéterminé de blessés. D’autres manifestations ont eu lieu à Kiffa et à Aiun-el-Atrouss, scandant des mots d’ordre clairs : « allahou akbar ! », et « mort aux profanateurs criminels » [AFP, Actu Mauritanie du 3 mars]. Entretemps, l’imam fut arrêté, mais le parti Tawassoul ne condamna pas cet acte, ce qui induisit le soupçon de sa complicité dans la profanation (dont le but serait l’agitation populaire ?). Deux ministres lancèrent des appels au calme le lundi 3 mars, tout en rappelant le grand intérêt que le président portait à l’acte de « profanation », mais qu’il fallait « éviter d’instrumentaliser l’affaire » dans l’intérêt de l’islam et de la paix civile. Comme le note le journaliste Abdelvetah Ould Mohamed, qui rapporte aussi le fait, c’était donc un revirement de la position précédente du président vis-à-vis des actes jugés contraires à l’islam11 [Biladi, NoorInfo du 6 mars12]. — Le cas de l’imam Mohamed Hasen ould Dedaw Le 7 mars, le gouvernement ordonna la fermeture de centres caritatifs musulmans, en particulier ceux dirigés par Mohamed El-Hacen ould Dedew, père spirituel des Frères musulmans en Mauritanie, les accusant d’être sortis du cadre de leur mission. L’organisation de ould Dedew, l’ONG al-Moustakbal, a dénoncé la mesure, rejetant toute accusation comme sans fondement car elle « ne s’occupe que des prêches et de la culture, pour former des générations sur les bonnes mœurs et sur la parole divine ». De son côté, le ministre de la Communication, Sidi Mohamed ould Maham, a accusé « certaines organisations politiques » d’avoir cherché à faire l’apologie de pratiques inconnues dans notre société [Actu Mauritanie, NoorInfo du 7 mars]. Il faisait référence au fait qu’on soupçonne la participation de disciples de ould Dedew dans les émeutes de janvier et de mars. 11 Voir http://www.noorinfo.com/Profanation-du-Coran-le-revirement-du-president_a12480.html. 12 Voir http://www.noorinfo.com/B-il-a-dit_a12478.html. Mariella Villasante Cervello 16 Mohamed El-Hacen ould Dedew [Tribunes, Noorinfo du 21 février] Or, le 8 mars, les autorités d’Arabie Saoudite ont mis les Frères musulmans dans la liste de groupes terroristes, ce qui a conforté largement le mouvement de répression, assez tiède il est vrai, déployé par le président Aziz contre les islamistes, en particulier les Frères musulmans. Comme on le verra plus loin, le rapprochement entre la Mauritanie et l’Arabie Saoudite, devenue l’un des grands financeurs de la Mauritanie, s’était déjà affirmé en janvier, lorsque le conseil de ministres a attribué 31 000 hectares de terres de la vallée (Bogué), à une compagnie saoudienne pour un investissement d’un milliard de dollars. Ce qui a provoqué une grande campagne de défense des terres dirigée par Biram ould Abeid, qui s’est soldée par son emprisonnement le 11 novembre. Le 31 avril, ould Dedew a déclaré que son organisation est a-politique et qu’elle ne reçoit pas des financements étrangers, et qu’il a engagé une démarche judiciaire pour que le ministère revienne sur sa décision de fermeture de al-Moustakhal [ANI, NoorInfo du 31 avril]. Mais qui est ce ould Dedew ? Je propose ici une synthèse d’un article écrit par Mohamed ould Sid’Ahmed13. Il est né à Boutilimit en 1963, a fait sa première formation avec un érudit reconnu, son oncle maternel Mohamed Salem ould Addoud, puis recruté par l’Institut d’études islamiques de Nouakchott qui l’envoya étudier à l’Université Ibn Saoud à Riyad. Ould Dedew entra alors en relation avec les Frères musulmans saoudiens et jordaniens, qui l’envoyèrent comme conférencier dans le monde, y compris aux Etats-Unis, pour recruter de nouveaux adeptes. De retour en Mauritanie, il prit ses distances avec son oncle. En 1996, Ould Dedew s’insurge contre la décision du président Ould Sid’Ahmed Taya d’établir des relations diplomatiques avec Israël, ce qui lui valu la prison et la popularité en tant qu’imam politisé. Il devient rapidement le chef spirituel des islamistes, et travaille de près avec Jemil ould Mansour, le dirigeant du parti Tawassoul, tout en le mettant en avant et préférant rester dans l’ombre. Ould Mansour et son collègue Mohamed ould Ghoulam assument la face publique des islamistes, mais n’étant ni érudits, ni imams, ils offrent leur allégeance à Dedew. Après la chute de Taya en 2005, il revient au pays avec une grosse fortune, 13 Voir http://www.noorinfo.com/Ce-que-vous-ne-savez-pas-sur-Ould-Dedew-Les-risques-du-nouveau- metier_a12270.html, vendredi 21 février [Tribunes, NoorInfo]. Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014 17 mais s’éloigne des Saoudiens pour se rapprocher de leurs rivaux du Qatar, qui lui offrent la nationalité qatarie et lui laissent la parole sur al-Jazeera. Les régimes qui ont suivi la chute de Taya ne le dérangent point. Il demande la légalisation du parti Tawassoul et l’adoption du week-end musulman au président Sidi ould Cheikh Abdellahi. Puis il tente de faire créer le poste de mufti national par le président Aziz, sans succès. Enfin, de manière progressive, ould Dedew montre son véritable visage. Il prône des idées étrangères aux traditions religieuses du pays, se montrant favorable à la représentation des compagnons du Prophète et des califes au cinéma et à la télévision, et affiche ses gouts pour la musique, allant jusqu’à organiser un festival de musique religieuse en 2011. Il devient très populaire chez les jeunes mais très critiqué par les érudits traditionnels. Des oulémas très respectés comme Hamden ould Tah et Ethmane ould Abou El-Maali l’accusent d’ignorer la religion et de prôner le chaos. Il est vrai que ould Dedew encourage la désobéissance aux autorités dans ses prêches avant de faire marche arrière. Il commence à être accusé de ne pas dire la vérité par ses propres cousins religieux des Messouma, mais aussi par les Lemtouna, les Tajakânt et les Ideyboussat. Son train de vie de nouveau riche (belles voitures et maisons, richesse immobilière) et ses mariages multiples avec des jeunes filles, sont aussi remarqués et critiqués. De toute évidence, ould Dedew préfère les plaisirs de la vie et ne le cache pas. En 2011, ould Dedew comprend que sa seule place dans le monde de l’islamisme international est la Mauritanie. Il ouvre des orphelinats, des écoles et des postes de santé, mais il se rapproche surtout des puissants et cherche des nouveaux prédicateurs pour son centre d’Arafat. Il devient conseiller en finances islamiques du richissime banquier ould Noueighed, qui avait été accusé de détournement des fonds de la Banque centrale. Mieux encore, il s’est construit une réputation de saint homme et de guérisseur, tout en continuant à voyager pour récolter des fonds au Golfe, et en offrant des conférences sur tous les sujets. En somme, comme le dit ould Sid’Ahmed, il était devenu une star. Or, le jeudi 13 février, le cheikh adulé reçut un coup de poing sur le visage, fait inédit en Mauritanie, mais qui s’explique par le fait qu’il avait cessé de se comporter en homme de religion. En effet, après le décès d’un homme des Awlâd Dayman, ould Dedew arriva à la mosquée où devait se tenir la prière avant l’enterrement. Mais lorsqu’il tente de diriger la prière, en sa condition d’ouléma célèbre, un ancien ami et collaborateur, qui dirigeait son site web, déclare qu’il faut lui interdire un tel honneur car il est « menteur et rancunier ». Voyant que sa demande n’était pas écoutée, il sortit de la mosquée, et lorsque son ancien ami en fit de même il le frappa au visage. Suite à cette affaire, les médias ont joué à nouveau un rôle lamentable, mettant de l’huile sur le feu de manière éhontée, comme ils l’avaient déjà fait depuis le début de l’année avec l’affaire du jeune accusé d’apostasie. L’agresseur fut présenté comme un criminel, et on loua la position de ould Dedew qui refusa de porter plainte et pardonna à son ex ami. Or, le même personnage religieux avait demandé la mise à mort du jeune Ould Mkhaitir pour avoir insulté le Prophète… Cette affaire a provoqué des débats passionnés dans le pays, cependant depuis les élections les islamistes gardent un profil bas. — Le jour d’indépendance nationale et les exécutions d’Inal Le 28 novembre, on a commémoré la 54e année de l’indépendance mauritanienne qui soulève, comme chaque année depuis 1991, deux mémoires conflictuelles qui ravivent les tensions entre les communautés bidân et noires. En effet, alors que normalement le jour de la fête nationale est célébré partout, les militaires du régime de Ould Sid’Ahmed Taya ont choisi les 27 et le 28 novembre 1991 pour exécuter 28 militaires noirs accusés Mariella Villasante Cervello 18 de complot contre l’État. Comme d’habitude, les médias publics ne tiennent pas compte de cette réalité douloureuse et se bornent à diffuser des chants et des inaugurations officielles. D’autres médias ont rappelé cependant que, encore une fois, aucune référence n’a été faite à l’histoire du pays entre 1978 et 2008, ce qui exprime clairement la volonté du régime de faire tomber dans l’oubli 36 ans de vie républicaine régie par les dictatures militaires de Moustapha ould Mohamed Saleck, de Haidalla, et surtout de ould Sid’Ahmed Taya. Mais aussi le gouvernement de transition du général Ely ould Mohamed Vall, et la présidence de Sidi ould Cheikh Abdellahi qui ne sont pas mentionnés non plus. Tout se passe en effet comme si l’histoire du pays se résumait au gouvernement de Mokhtar ould Daddah (1960-1978), et au régime inauguré par Mohamed ould Abdel Aziz avec son coup d’État de 2008. Or, les associations de défense des droits de la communauté noire se préparait, encore une fois, à porter le deuil tout en regrettant ne pas pouvoir faire le pèlerinage à la prison d’Inal, près de Nouadhibou, où les 28 militaires furent exécutés car le président de l’IRA, Biram ould Abeid, se trouve en prison à Rosso [Cheikh Aïdara, L’Authentic, NoorInfo du 27 novembre]. Les exécutions d’Inal sont occultées par les gouvernements mauritaniens de telle sorte que les jeunes grandissent dans le silence et ne connaissent pas les faits, ou alors ils répètent les justifications inventées de toutes pièces par les officiels des régimes militaires. C’est ce qui ressort du récit de Mamadou Lemine Kane14, qui était invité au Lycée français de Nouakchott en 2013 pour présenter son dernier recueil de poèmes, « Les musulmans d’Inal ». Après la présentation, un jeune élève de 17 ans avait déclaré : « Ils ont eu ce qu’ils méritaient », expliquant ensuite que les militaires noirs avaient été exécutés parce qu’ils « ont voulu faire un coup d’État… Et puis les Sénégalais nous faisaient la guerre ». Comme le remarque Kane, le jeune reprenait le discours fabriqué par les élites au pouvoir ; un refus de mémoire qui ne peut pas conduire à une réconciliation nationale. Il ne peut pas avoir réconciliation et justice sans vérité, or l’impunité et l’oubli ont été légalisés, comme on le sait, par la Loi d’amnistie du 14 juin 1993, qui dans son article 1 dispose : « Amnistie pleine et entière est accordée aux membres des forces armées et de sécurité auteurs d’infractions commises entre le 1er janvier 1989 et le 18 avril 1992 et relatives aux événements qui se sont déroulés au sein de ces forces et ayant engendré des actions armées et des actes de violence. » Les militaires exécutés à Inal les 27-28 novembre 1991 [NoorInfo] 14 Voir le texte de Kane : http://www.mozaikrim.com/2014/11/28-novembre-inal-la-face-sanglante-de-l- independance-mauritanienne.html Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014 19 Mahamadou Sy, rescapé des exécutions, a publié le livre « L’enfer d’Inal », dans lequel il témoigne des faits de violence commis par les bourreaux : « Entre deux pendaisons, Khattra s’assoit sur un cadavre pour siroter son verre de thé ou au pied d’un pendu en récitant le coran. Il va d’un pendu à l’autre, achevant ceux qui tardent à mourir à coups de barre de fer, s’appliquant à porter les coups dans la région du cou. Pendant ce temps, Souleymane et les autres préparent les prochaines victimes tout en veillant à respecter l’ordre des numéros. (…) Les pendaisons durent plus d’une heure. Après cela, tel des bêtes excitées par l’odeur du sang, le groupe de bourreaux, pris d’une euphorie collective, s’acharne sur les autres prisonniers et tape sur tout ce qui bouge. » [Cité par Kane] La violence déchaînée par les bourreaux en Mauritanie est semblable à celle observée dans tous les cas de massacres de masse dans le monde [Jacques Sémélin, Purifier et détruire, 1995]. Cela étant posé, il faut encore pouvoir expliquer, à partir de la recherche fondamentale, que ces faits de violence extrême font partie de la condition humaine et ont une rationalité interne, même si cela semble étrange et impensable15. Mais ce qu’il faut retenir de la situation mauritanienne est que les répressions massives contre les Noirs, dont les exécutions des militaires à Inal constituent un cas paradigmatique, ont été organisées au plus haut niveau de l’État, et que ce qu’on appelle le « dossier humanitaire », qui inclut les massacres de civils, les expulsions massives et les expropriations de terres de la vallée du fleuve, a été ouvert pour la première fois par le président Sidi ould Cheikh Abdellahi en 2007. Il avait proposé un programme en cinq points : le devoir de mémoire, le devoir de vérité, le devoir de justice, le devoir de réparation et l’exigence de réconciliation ; c’est-à-dire un programme adopté par les commissions de vérité et réconciliation dans le monde, qui suivent le modèle sudafricain. Mais ils ne furent pas adoptés durant les journées de concertation nationale. Dans un premier temps, le président Aziz a voulu faire croire qu’il allait reprendre le « dossier humanitaire » en main, il a reçu les proches des victimes et a visité la vallée, reconnaissant le tort causé par l’État à la communauté noire, et annonçant la fin définitive du dossier avec la prière de Kaédi et l’institution de la Journée de la réconciliation le 25 mars. Pourtant, en réalité ce n’étaient que des mesures de façade qui n’ont rien résolu rien car la Loi d’amnistie de 1993 n’a pas été révoquée et en conséquence aucun responsable des massacres, des exécutions et des violations des droits humains des communautés noires et mauritaniennes en général n’a été traduit en justice. C’est autour de cette question que s’organisent les dénonciations des associations des victimes de la répression militaire des années 1987-199216. — Les marches pour la défense des droits des Noirs mauritaniens Au cours de l’année, les communautés noires ont été la cible de discriminations qui ont alimenté le climat de tensions enregistrées autour de la fête nationale, et qui continue jusqu’à présent. En effet, le 25 avril, une centaine d’ex-refugiés mauritaniens rapatriés du Sénégal ont entrepris une longue marche de Bogué (Gorgol), vers Nouakchott. Ils voulaient protester contre les conditions extrêmement précaires d’accueil et d’hébergement de près de 25 000 personnes rapatriées entre le 28 janvier 2008 et le 31 mars 2012. Un rapatriement qui fut effectué dans le cadre de l’accord tripartite signé le 15 Je travaille depuis quelques années sur cette question de la violence politique extrême à partir d’une perspective comparative entre le cas mauritanien et le cas du Pérou (d’où je suis originaire), qui a subi une guerre civile entre 1980 et 2000. 16 Voir les déclarations des associations de victimes de la répression militaire : http://www.lecalame.info/?q=node/1094. Voir aussi : http://www.noorinfo.com/Commemoration-du-54emeanniversaire-de-l-independance-Deux-celebrations-et-36-annees-occultees_a14852.html Mariella Villasante Cervello 20 12 novembre 2007 entre les gouvernements de Mauritanie, du Sénégal, et le Haut Commissariat des Nations Unies aux Réfugiés (HCR). Le président de l’Association des rapatriés mauritaniens du Sénégal (AMRS), N’Diaye Ibrahima, a déclaré : « Nous vivons sous des hangars, exposés aux intempéries, sans eau, sans électricité, sans école, sans structure sanitaires. Les autorités n’ont pas tenu leurs nombreuses promesses. » Cette manifestation a reçu le soutien de plusieurs partis politiques et associations civiles [FinancialAfrik, NoorInfo du 4 mai]. La marche pacifique a été violemment dispersée par les forces de l’ordre à Nouakchott17. Le 7 mai, des étudiants noirs résidant à Paris ont fait une marche de protestation en soutien à la marche des ex-déportés et ont voulu prendre l’ambassade d’assaut. Ils ont dénoncé également « l’enrôlement discriminatoire [dans les listes électorales] à l’égard de la communauté negro-mauritanienne » [Afrik, NoorInfo du 7 mai]. Toujours à Paris, une centaine de manifestants ont répondu à l’appel de l’Organisation des travailleurs mauritaniens de France (OTMF) pour protester contre l’enrôlement discriminatoire et contre le régime du président Aziz en général [Actu Mauritanie, 1er juin]. — L’arabisation des forces armées : une autre mesure discriminatoire Enfin, le 20 août, al-Akhbar annonce que les Forces armées ont décidé d’arabiser leur administration, c’est-à-dire que toutes les correspondances entre les états-majors et entre les unités se feront en langue arabe ; à l’exception des correspondances internationales qui pourront se faire en d’autres langues. Cette mesure confirme la politique d’arabisation choisi par le gouvernement, qui coexiste de manière ambivalente avec la pratique ordinaire de la langue française. L’arabisation va à l’encontre des demandes explicites des communautés noires du pays qui se sont mobilisées contre celle-ci depuis les grandes grèves de 1966 [Al-Akhbar, NoorInfo du 20 août]. La langue française occupe donc désormais un statut ambigu qui reflète le désordre qui gouverne les politiques gouvernementales aussi bien en matière d’éducation, qu’en relations avec toutes les communautés linguistiques du pays depuis 1966. Or, le pays est arrivé à une situation insensée où la langue française est la seconde langue de travail public et privé, utilisée dans les documents d’identité et les billets de banque et elle a été retirée de la Constitution de 1991. Celle-ci considère que la langue officielle est l’arabe, et les langues nationales sont l’arabe, le poular, le soninké et le wolof. Or, cet état de choses quelque peu schizophrène n’a pas soulevé la moindre demande de réforme chez les hommes politiques. Les débats politiques et les médias utilisent la langue française. Je dois ajouter que les études en sciences se font toujours en français à l’Université de Nouakchott, alors que les sciences humaines et sociales ont été arabisées de manière autoritaire, refusant le fait incontestable que l’essentiel de la littérature dans ces domaines se produit en français. L’Algérie et le Maroc ont fait des choix similaires, essayant d’éradiquer le français des programmes scolaires, avec des résultats désastreux. — Le nouveau gouvernement et les forces armées Le 28 août un nouveau gouvernement a été nommé, le Premier ministre Moulaye ould Mohamed Laghdaf, reconduit quatre fois par le président Aziz depuis 2009, a été apparemment prié de partir. Et Yahya ould Hademine, ministre des Transports et des 17 Voir : http://www.noorinfo.com/Mauritanie-une-enquete-sur-la-repression-contre-une-marche-d-ex- refugies_a13867.html Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014 21 infrastructures, l’a remplacé dans ce poste qui n’occupe pas, cependant, une place d’importance dans un gouvernement éminemment présidentiel. Cependant, sa réputation d’homme autoritaire n’est pas très rassurante. Ould Hademine était ancien ingénieur de la Société nationale industrielle et minière, la puissante SNIM ; et il est membre du bureau exécutif du parti au pouvoir, l’UPR. Il est donc un homme de confiance du président. Les principaux ministres du gouvernement, de 27 membres, n’ont pas changé. La Justice est gérée par Sidi ould Zeine, l’Économie par Sidi ould Tah, l’Environnement par Amedi camara, l’Intérieur et la décentralisation par Mohamed ould Ahmed Raare ; les Finances par Thiam Djombar, et l’Education nationale par Bâ Ousmane. On compte neuf nouveaux ministres. Sidi ould Salem, ex-directeur de campagne présidentielle, physicien et ancien cadre du Rassemblement des forces démocratiques (RFD), a été nommé ministre à l’Enseignement supérieur et la recherche. Le ministre de Transports est désormais Isselkou ould Ahmed Izid Bih, ancien président du parti au pouvoir, l’UPR. Hindou mint Ainina, première rédactrice en chef du journal indépendant Le Calame, et conseillère à la communication du Premier ministre sortant, a été nommé ministre déléguée chargée des Affaires maghrébines, africaines et des Mauritaniens à l’étranger. La nomination du nouveau ministre de la Défense, Diallo Mamadou Bathia, ancien administrateur du gouvernement de Ould Sid’Ahmed Taya, qui faisait partie du cabinet de Mohamed Laghdaf, semble une nouveauté car aucun Noir n’avait été nommé à ce poste depuis 1975. Cependant, en Mauritanie ce ministère est subordonné au chef d’état-major des armées, le général Mohamed ould Ghazouani, ce qui lui enlève toute capacité de décision [Rmibiladi, NoorInfo des 28 août et Jeune Afrique, 26 novembre]. Yahya ould Hademine, Premier ministre mauritanien [AFP] Le général Mohamed ould Ghazouani, chef des armées mauritaniennes est le numéro deux du régime depuis 2009, et a participé au gouvernement depuis la chute de ould Sid’Ahmed Taya en 2005. Il s’agit d’un homme de confiance du président Aziz, qui l’a aidé à préparer le coup d’État contre Sidi Mohamed ould Cheikh Abdellahi le 6 août 2008. La décision d’arabisation de l’administration des forces armées a terni cependant sa réputation et l’a rendu vulnérable sur la scène internationale, notamment vis-à-vis de la France, qui a augmenté son aide militaire et qui affirme sa présence dans le pays dans le cadre de la lutte anti-terroriste (Rmibiladi, NoorInfo du 28 août]. Mariella Villasante Cervello 22 Le général Mohamed ould Ghazouani et le président Aziz [NoorInfo du 28 août] Au mois d’octobre, des changements dans la hiérarchie des forces armées ont confirmé la tendance à réduire le contingent de Noirs dans ses rangs. Le 19 octobre, l’association Touche pas à ma nationalité (TPMN) a dénoncé ce qu’elle appelle « la dénégrification de l’armée18 », protestant en particulier contre la nomination du général Mohamed ould Meguett à la direction de la Sûreté nationale. Selon TPMN, cet officier est cité dans tous les rapports et les témoignages des rescapés comme responsable direct des violences à l’encontre des Noirs, en conséquence sa nomination est « une insulte à la mémoire des victimes des années de braise et à l’intelligence de tous les mauritaniens par la promotion de présumés criminels. » De nos jours, les quelques officiers et soldats qui ont échappé aux massacres de plus de 500 militaires dans les camps d’Azlatt, de Jreida, d’Inal et de Oualata au début des années 1990, sont à la retraite, et les jeunes Noirs ne sont pas recrutés dans les écoles militaires. Relations internationales Les relations internationales de la Mauritanie restent organisées autour de la lutte contre le terrorisme d’une part, et la lutte contre la migration illégale d’autre part. Au niveau régional, l’année a été marquée par la réactivation du dossier du Sahara occidental, impliquant le Maroc, l’Algérie, la République arabe Sahraouie démocratique (RASD) et l’ONU. — La lutte contre le terrorisme : cheval de bataille du président Aziz Le 18 mai, une centaine d’experts du Groupe du Sahel, dit G5 (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), s’est réuni à Nouakchott pour discuter du thème « Gestion des frontières et partage d’expériences ». Rappelons que le G5 a été créée à l’initiative du président mauritanien le 16 février 2014. La réunion comptait avec le soutien de la France, de l’UE, et de l’Organisation internationale des migrations (OIM). Les enjeux sécuritaires de la région saharo-sahélienne ne concerne pas seulement le terrorisme 18 Voir : http://www.noorinfo.com/TPMN-Le-processus-de-denegrification-de-la-Mauritanie-par-les-autorites- actuelles-se-confirme-Bir-Moghrein-serait_a6893.html Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014 23 islamiste mais aussi les trafics en armes et l’immigration illégale, d’où l’importance de la rencontre19. La coopération sécuritaire a été renforcée au mois de juin, lorsque des hauts responsables français et nord-américains ont effectué des visites en Mauritanie. Le 25 juin, le chef d’état-major du commandement américain en Afrique (AFRICOM), le major général Michael Kingsley, a rencontré le ministre mauritanien de la Défense, Ahmedou ould Idey ould Mohamed Radhi, et le chef d’état-major de l’armée mauritanienne, le général Mohamed ould Cheikh Mohamed Ahmed. Il faut souligner que, pour la première fois, les Etats-Unis ont fait don de deux appareils militaires (Cessna C-208B), équipés de caméras de reconnaissance avancée pour effectuer des surveillances maritimes et des opérations contre le trafic de la région. Notons que des manœuvres militaires conjointes (nommées FLINTOCK) ont été effectuées pendant deux semaines en février, impliquant quelque mille soldats américains, en collaboration avec des militaires du G5 et des pays européens et arabes20. Le président français, François Hollande a effectué une visite de trois jours, à la mijuillet, dans les pays du G5, et il a inauguré l’installation du commandement de l’Opération Barkhane à N’Djamena [Saharamedias, NoorInfo du 21 juillet]. Le 1er août, le ministère français de la Défense a publié la carte de son nouveau dispositif militaire au Sahel, l’Opération Barkhane (qui succède à l’Opération Serval lancée en janvier 2013), qui concerne les pays du G5. On a appris que huit « bases d’appui » permanentes étaient ouvertes à Gao et à N’Djamena, et six autres dites « plateformes relais », ont été installées à Atar, au nord de la Mauritanie. La présence militaire française existe depuis plusieurs années en Mauritanie, mais c’est la première fois qu’elle est rendue officielle. Aucun autre détail n’a été révélé, l’on sait seulement que l’Opération Barkhane mobilise 3000 militaires, une vingtaine d’hélicoptères, 200 véhicules logistiques, 200 blindés, 6 avions de chasse et une dizaine d’avions de transport. L’Opération est commandée par un général depuis un poste à N’Djamena [Mauriweb, Nooinfo du 12 août]. François Hollande et le ministre de Défense Le Drien à N’Djamena [Saharamedias, NoorInfo du 21 juillet 2014] 19 Voir : http://www.noorinfo.com/LES-EXPERTS-DES-PAYS-DU-GROUPE-DU-SAHEL-G5-SE-REUNISSENTEN-MAURITANIE_a13429.html 20 Voir : http://www.noorinfo.com/Renforcement-de-la-cooperation-securitaire-entre-la-Mauritanie-et-les-Etats- Unis_a13810.html Mariella Villasante Cervello 24 Le 14 juillet il y a eu un attentat suicide contre une base française d’Al-Moustarat, au nord du Mali, trois plus tard, le groupe El-Mourabitoune, issu du MUJAO de Mokhtar Berlmokhtar, a revendiqué l’acte terroriste. La présidence française annonçait la mort, le 14 juillet, d’un neuvième militaire au cours d’une opération de reconnaissance dans le nord malien [Alakhbar, NoorInfo du 17 juillet]. Actuellement on dénombre cinq groupes terroristes au Sahel, associés de près aux trafics criminels : Ansar Dine, formé par des Touareg anciens combattants dans les rangs du MNLA et commandés par Iyad Ag Ghali (Mali), le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO, Mali), d’où est issu le nouveau groupe AlMourabitoun [les almoravides], Ansar al-Charia (Tunisie). Le groupe le plus important est toujours Al-qaeda au Maghreb islamique (AQMI), issu du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), et qui étend ses activités criminelles en Algérie, au Maroc, en Mauritanie et au Mali. À ces groupes on doit ajouter le terrifiant Boko Haram du Nigeria. Précisons encore que les Touareg du Mali sont organisés autour du Mouvement de libération de l’Azawad (MNLA), alors que les membres de la société bidân et hassanophone du Mali, ont créé le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA)21. Il n’existe pas des liens directs entre ces bandes qui mettent à profit la faiblesse ou l’inexistence d’administration étatique dans les régions saharo-saheliennes. Cependant, elles agissent parfois en partenariat et l’on peut prévoir que, comme ailleurs dans le monde, certaines parmi elles, notamment AQMI, pourrait revendiquer des liens avec l’organisation État islamique de l’Irak et de l’Orient (dawla al-islamiyya fi-l-iraq wa sham, DAESH). Une organisation islamiste d’extrême violence qui est en train de gagner des milliers d’adeptes en puisant dans les mêmes rangs de Al-Qaeda, qui a beaucoup perdu de sa force initiale. — Les activités terroristes en Mauritanie Le 12 octobre, les forces de sécurité mauritaniennes ont arrêté quatre jeunes hommes à Zouérate, ville minière du nord du pays, accusés d’avoir adopté l’idéologie salafiste, d’avoir pris contact avec les jihâdistes de l’État islamique et d’avoir cherché à recruter des combattants pour leur compte. Les hommes arrêtés avaient lancé une attaque très violente dans une mosquée critiquant la politique anti-terroriste de l’État mauritanien et manifestant leur opposition à une alliance avec la coalition internationale qui s’oppose à cette organisation. Ils ont été envoyés à Nouakchott, l’un parmi eux avait déjà été arrêté pour terrorisme. Le choix de la ville de Zouérate n’est pas fortuit car elle vit de divers trafics d’essence, de produits alimentaires et d’armes, ce qui en fait une excellente zone pour l’infiltration de l’idéologie islamiste22. Cela étant, le discours extrémiste islamiste est répandu ailleurs, notamment dans l’est du pays et à Nouakchott. Notons aussi que l’un des jihâdistes français qui a participé à la mise à mort de l’otage nord-américain Peter Kassig, et de 18 soldats syriens, sauvagement exécutés le 16 novembre, a séjourné en Mauritanie en 2012. Il pourrait s’agir de Mawime Houchar, né en 1993, selon le ministre de l’Intérieur français, Bernard Cazeneuve [SaharaMedias, NoorInfo du 17 novembre]. 21 Pour plus de détails voir la Chronique politique de Mauritanie de juin et de décembre 2013, voir aussi un article du 18 juillet de La Croix : http://www.noorinfo.com/Comprendre-la-galaxie-terroriste-dans-le-Sahel_a13940.html 22 Voir http://www.noorinfo.com/Demantelement-d-une-cellule-de-l-EIIL-en-Mauritanie_a14605.html Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014 25 Les trois auteurs de l’attentat d’Aleg, 2007 [AFP, NoorInfo du 20 novembre] Enfin, le 20 novembre la Cour d’appel de Nouakchott a confirmé la sentence à la peine de mort contre deux auteurs de l’assassinat de quatre touristes français le 24 décembre 2007, sur la Route de l’Espoir, près de la ville d’Aleg. Il s’agit de Sidi ould Sidna (29 ans) et de Mohamed ould Chabarnou (36 ans), qui avaient été jugés et condamnés en 2010. Un troisième terroriste, appartenant lui aussi à AQMI, avait été aussi condamné, Maarouf ould Haiba (35 ans), mais il est décédé en prison, dans des circonstances non éclaircies, le 12 mai 2014 [AFP, NoorInfo du 20 novembre]. Les deux condamnés avaient été transférés à Nouakchott le 3 juillet, lorsque le gouvernement avait décidé de fermer la sinistre prison de Salah Eddine, située au nord du pays, près de la frontière algérienne. Trois autres détenus ont été aussi transférés, il s’agit de Mohamed Abdellahi ould Hmednah, auteur du meurtre d’un citoyen nordaméricain au Ksar de Nouakchott en 2009, également condamné à mort ; Taki ould Youssouf, condamné à 15 ans de prison pour actions terroristes, et Mohamed Khaled, dont on ne connaît pas les charges. Le 5 juillet, la prison a été définitivement fermée et un autre condamné à mort, Khadim ould Semane, meurtrier d’un officier de police, fut aussi transféré à Nouakchott [Kassataya, Saharamedias du 3 et du 5 juillet]. Rappelons cependant qu’aucun condamné à la peine capitale n’a été exécuté en Mauritanie depuis 1987. Enfin, le 14 mai, la Cour pénale de Nouakchott a condamné à dix ans de travaux forcés un gendarme reconnu coupable d’avoir espionné pour le compte d’al-Qaeda. Il s’agit de Abdellahi ould Mohamed Ghailani, gardien de la prison de Salah Edine, qui facilitait les communications entre les détenus salafistes et leurs alliés extérieurs. C’est la première fois qu’un membre des forces de sécurité mauritaniennes est reconnu coupable de liens avec une organisation terroriste telle AQMI. Les salafistes sont plutôt recrutés chez les jeunes ; ainsi par exemple, à Aioun-el-Atrous, capitale du Hodh el-Gharbi, dans l’est mauritanien [sharg], quatre étudiants de l’Université des sciences islamiques ont été arrêtés en janvier et ont été condamnés à cinq ans de prison et à une amende de 5 millions d’ouguiyas pour avoir tenté de créer des cellules de recrutement de jeunes qui devaient être envoyés rejoindre les rangs de AQMI au Mali. Le même 14 mai, le procureur a demandé une peine de dix ans de prison à l’encontre de Aaron Yoon, ressortissant canadien accusé d’avoir tenté de rejoindre un camp d’AQMI au Mali et d’avoir tenté de recruter des jeunes pour la même organisation terroriste. Il Mariella Villasante Cervello 26 fut capturé en décembre 2011 et condamné à deux ans de prison, mais on vient de demander une prolongation de la peine [Maghrebia, Noorinfo du 18 mai]. — La question sécuritaire à l’international La question sécuritaire a été également abordée dans le cadre du Sommet Afrique-EtatsUnis, réalisé à Washington le 7 août, où le président mauritanien a rencontré le président Obama et le secrétaire d’État John Kerry. Ils ont tous réaffirmé la nécessité de collaborer pour contrer les menaces terroristes et l’éradication de la pauvreté en Afrique. Selon Kerry, la « Mauritanie joue un rôle prépondérant dans la stabilité de la région, grâce à sa diplomatie, ses relations privilégiés et sa présidence actuelle de l’Union africaine. » il a loué aussi les efforts de la Mauritanie dans le règlement des conflits régionaux, faisant allusion au cessez-le-feu obtenu par le président Aziz entre Bamako et les groupes armées Touareg et Arabe au nord du Mali [FinancialAfrick du 7 août, Noor-Info]. Dans ces réunions de haut niveau, la situation interne de grave tension sociale de la Mauritanie n’a pas été évoquée. Cependant, un groupe de mauritaniens installés aux Etats-Unis, et organisés dans le Centre américain international pour les droits de l’homme et la paix sociale, a tenu à remettre un cahier de doléances au président Aziz. Douze points sont ainsi soulevés et ils rappellent, entre autre, la nécessité de mener une lutte contre le discours racisme et extrémiste au sein de l’élite du pays, de prendre de mesures contre de tels discours, également de contrôler les médias (qui propagent ces discours), et d’instaurer une culture qui privilégie l’état de droit23. Le 3 octobre, le président Aziz a effectué une visite en France ; officiellement les deux présidents auraient convenu de développer les échanges et les investissements dans les secteurs de l’énergie et de l’aménagement urbain. Dans le cadre de l’UA, ils auraient évoqué les questions sécuritaires, les conflits en République de Centrafrique, au Mali et en Libye, ainsi que l’épidémie du virus Ebola [Biladi, NoorInfo du 3 octobre]. Conférence de presse conjointe des présidents Aziz et Obama, Washington, 7 août [FinancialAfrick du 7 août, Noor-Info] 23 Voir le texte ici : http://www.noorinfo.com/Des-Americains-d-origine-mauritanienne-rencontrent-le-presidentAziz-et-demandent-plus-de-reformes_a14081.html Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014 27 Le 15 novembre, et en sa qualité de président de l’UA, le président Aziz a participé au sommet du G20 qui s’est tenu à Brisbane (Australie). La rencontre était centrée sur la croissance économique et les questions sécuritaires et politiques du moment. L’urgence africaine liée au virus Ebola a été discutée de manière particulière [NoorInfo du 15 novembre]. Une autre rencontre internationale fut celle de la Francophonie, tenue à Dakar au début décembre ; le président Aziz pensait qu’on allait lui donner la parole à l’inauguration en sa qualité de président de l’UA, mais comme cela n’était pas prévu dans le protocole des organisateurs sénégalais, le président décida de rentrer à Nouakchott. Il aurait exprimé sa colère au président sénégalais, Macky Sall, sans que l’on sache, selon une source mauritanienne, si sa colère était africaine ou mauritanienne. On a évoqué aussi la possible responsabilité dans cette affaire protocolaire de l’ancien président sénégalais Abdou Diouf, qui, lorsqu’il occupait le poste de secrétaire général de la Francophonie, avait critiqué le coup d’État d’ould Abdel Aziz. Mais au-delà de ces questions on peut remarquer l’incongruité de la présence d’un président de la Mauritanie lors du sommet de la Francophonie, un président qui s’attache à exclure la langue française de la Constitution, des cursus scolaires et universitaires, et à revendiquer la seule langue arabe, y compris dans l’administration militaire. — Le problème permanent des migrations illégales Les migrations des Africains qui traversent la Mauritanie et le Maroc pour entrer en Europe sont devenues un problème central dans les relations internationales, notamment avec l’Espagne et la France. Comme on le sait, ces migrations se réalisent dans des conditions terribles pour les personnes, hommes, femmes et enfants, qui décident de prendre une route inconnue et dangereuse pour atteindre un supposé El Dorado des temps postmodernes, l’Europe. Mais le pire est que les autorités censées aider ces personnes font couramment le contraire. Ainsi, le dernier rapport de l’ONG Human Rights Watch, présenté le 11 février, a demandé aux autorités marocaines et espagnoles de mettre un terme aux mauvais traitements des migrants subsahariens ; tout en notant des améliorations depuis l’annonce d’une nouvelle politique migratoire au Maroc. Le rapport est présenté quelques jours après un autre drame dans la région de Ceuta, où neuf migrants sont morts noyés ; ce qui a conduit à une critique de la garde civile espagnole qui se sert de balles en caoutchouc comme matériel anti-émeutes24. Le ministre marocain de la Communication, Moustapha El Khalfi a déclaré que le rapport en question « est clairement et manifestement injuste », et il a rappelé les nouvelles mesures adoptées par son gouvernement en matière de politique migratoire « à visage humain et social » concernent entre 25 000 et 40 000 personnes [Atlasinfo, Noorinfo du 11 février]. En juillet, l’Union européenne a offert à la Mauritanie la somme de 11 millions d’euros pour lutter contre la migration illégale25. Le chef de mission d’assistance technique de l’UE, Abdel Hamid Ejamri, a rappelé que, de par sa position géographique, la Mauritanie était devenue un pays de transit pour les migrants, notamment depuis l’accroissement notable des mouvements clandestins intervenu depuis 2000. Ce qui a été largement facilité par la construction de la route Nouakchott-Nouadhibou-Dakhla, 24 Voir http://www.noorinfo.com/Le-rapport-de-HRW-qui-accuse-les-autorites-marocaines-de-maltraiter-les- immigres-africains-est-clairement-injuste_a12091.html 25 Voir http://www.noorinfo.com/Strategie-Nationale-de-Gestion-de-la-Migration-La-Mauritanie-empoche11millions-d-euros_a13952.html Mariella Villasante Cervello 28 dans la zone saharienne contrôlée par le Maroc. Pour tenter d’endiguer le flux des migrations clandestines, l’UE a participé à la mise en place de 17 points de contrôles et de commissariats de police réparties entre les frontières avec le Sénégal, le Mali, l’Algérie et le sud du Maroc [Rapidinfo, Noorinfo du 20 juillet]. — Les relations entre la Mauritanie le Maroc : la tension diminue ? Pour des raisons quelque peu obscures, les relations entre la Mauritanie et le Maroc se sont détériorées depuis quatre ans. L’élection de Mohamed ould Abdel Aziz à la présidence, en 2009, fut pourtant bien accueilli par Rabat ; cela d’autant plus que ce dernier a été formé à l’Académie militaire de Meknès (tout comme le président militaire Ely ould Mohamed Vall). Cela étant, il faut rappeler que le président a passé sa jeunesse à Dakar et qu’il est issu d’une qabîla qui nomadisait entre le Sahara occidental et la Mauritanie. Aussi, il semblerait que ce sont les choix de rapprochement du président mauritanien vis-à-vis de l’Algérie qui ont dérangé le Maroc, ce qui montre que la position de neutralité de la Mauritanie dans le conflit du Sahara occidental reste difficile à maintenir. Voyons quelques faits26. En 2009, le président Aziz décide de rendre sa première visite officielle à Alger. Peu après, l’ambassadeur à Rabat, Cheikh El Avia ould Mohamed Kouna fit une visite officielle dans la région de Dakhla, au Sahara occidental, que la Mauritanie ne reconnaît pas comme appartenant au Maroc. Or, l’ambassadeur est rappelé à Nouakchott en 2010, et l’ambassade est gérée depuis lors par un fonctionnaire sans rang diplomatique. Sur ces entrefaites, un homme d’affaires, lui aussi des Awlâd Busbâa, comme le président, Mohamed ould Bouamatou, qui avait financé la campagne présidentielle de 2009, se brouille avec le président Aziz pour des questions d’impôts, et part s’installer à Marrakech, d’où il continuer à diriger ses affaires. Puis un autre opposant, Moustapha Chafi, s’installe également au Maroc. En décembre 2011, le directeur de l’agence de presse marocaine (MAP), fut accusé d’espionnage et expulsé de Mauritanie, sur fond de rivalité entre les deux pays pour un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. En 2012, le numéro deux du gouvernement de Rabat, Abdellah Baha, n’est pas reçu par le président Aziz lors d’une visite à Nouakchott. Apparemment, ces mésententes sont liées à la politique diplomatique du Maroc qui veut se poser en puissance régionale, en concurrent direct de l’Algérie. Le roi Mohamed VI se pose en effet en leader de l’unité maghrébine et des relations Sud-Sud27. Ce qui n’est pas vraiment nouveau car ces deux pays sont brouillés depuis fort longtemps en raison de leurs aspirations rivales de puissance au Maghreb. Ce qui est nouveau c’est peut-être la stratégie d’investissements massifs en Mauritanie, mais aussi au Sénégal par des entrepreneurs marocains, notamment dans les secteurs de transport, des médias et des communications [Kassataya, Noorinfo du 13 février]. Les relations se sont améliorées à partir d’octobre. Le ministre de l’Intérieur marocain, Mohamed Hassad, a invité son homologue mauritanien, Mohamed ould Ahmed Salem, à faire une visite officielle à Rabat. Des conventions sur la sécurité et l’immigration clandestine ont été signées. Puis le ministre marocain des Affaires étrangères a effectué 26 Pour plus de détails voir : http://www.noorinfo.com/MAROC-MAURITANIE-CHAMBRE-APART_a12113.html 27 Voir http://www.noorinfo.com/G77-Chine-Le-Maroc-appelle-a-l-institutionnalisation-de-la-cooperation-Sud- Sud_a13693.html et aussi http://www.noorinfo.com/Mohammed-VI-chantre-rationnel-de-l-unitemaghrebine_a13556.html Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014 29 une visite à Nouakchott [Rmibiladi, Noorinfo du 30 octobre28]. Les 22 et 23 d’octobre, le ministre des Affaires étrangères du Maroc, Salaheddine Mezouar, a visité Nouakchott et a été reçu par le président Aziz, et il a déclaré la volonté du roi Mohamed VI de renforcer les relations entre les deux pays [Mauriweb, Noorinfo du 2 novembre] Le nouvel ambassadeur de la Mauritanie à Rabat n’a pas encore été nommé, on évoque trois candidats pour ce poste sensible, Mohamed ould El Haj, ancien président du Sénat, Mohamed ould Laghdaf, ancien premier ministre, et enfin Ahmed ould Bahiya, directeur actuel du cabinet du président Aziz [Farida Habib, CRIDEM du 29 novembre]. — Graves tensions maghrébines autour du Sahara occidental Comme nous le savons, le Sahara occidental a fait l’objet d’une décolonisation espagnole en 1975, qui n’a pas impliqué cependant la reconnaissance d’une nouvelle entité politique autonome comme ailleurs en Afrique. En effet, la République arabe Sahraouie démocratique (RASD) fut proclamée par le Front Polisario en 1976, avec le soutien de l’Algérie, et fut rejetée par le Maroc qui revendique le territoire en vertu d’une prétendue « ancienne allégeance des Sahraouis au sultan ». Ce qui est éloigné de la réalité historique. La société bidân et hassanophone nomadisait et faisait du commerce dans une zone très étendue de l’ouest saharien, allant du Oued Noun, au fleuve Sénégal, et au Soudan, devenu Mali. Mais elle n’avait pas d’unité politique, et ne reconnaissait aucune allégeance étatique ; seules certaines zones de ce vaste territoire avaient développés des chefferies guerrières d’importance pendant des périodes plus ou moins longues ; en Mauritanie elles ont reçu le nom d’émirats, et les colonisateurs français se sont chargés de les fixer d’un point de vue territorial et lignager. Sahara occidental (MINURSO, 2014) 28 Voir http://www.noorinfo.com/Mauritanie-Maroc-Plus-de-Passion-que-de-Raison-_a14699.html Mariella Villasante Cervello 30 En 1975, la Cour internationale de justice considère inapplicable la notion de terra nullius pour le Sahara occidental car il est habité par des peuples ayant une organisation sociale et politique. Elle reconnaît l’existence de liens historiques avec le Maroc et la Mauritanie, mais ils n’empêchent pas la tenue d’un référendum d’autodétermination « grâce à l’expression libre et authentique de la volonté des populations du territoire. » Quelques jours après, le 6 novembre 1975, le roi Hassan II organise la « marche verte », en faisant appel à la fibre patriotique de milliers de marocains qui arrivent au Sahara occidental, pour revendiquer sa volonté de souveraineté sur ce territoire. Le 14 novembre, l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie signent les Accords de Madrid pour officialiser le partage du territoire ; le Maroc obtient les deux tiers et la Mauritanie le tiers sud. Le Front Polisario ne fut pas consulté, ni l’Algérie. Le 27 février, la RASD fut proclamé le 27 février 1976 à Bir Lehlou, au lendemain du départ du dernier soldat espagnol. Le Polisario commence alors une lutte armée pour son indépendance contre les forces marocaines et mauritaniennes considérées comme forces d’occupation. La participation de la Mauritanie se termine par le coup d’État contre Mokhtar ould Daddah, en juillet 1978. Le Polisario déclare alors un cessez-le-feu unilatéral avec Nouakchott, il est reconnu par l’ONU, et le 10 août 1979, la Mauritanie signe un accord de paix avec le Polisario, abandonnant la région de Dakhlet ; le 14 août, le Maroc annonce l’annexion de l’ancien territoire mauritanien. Le conflit armé se poursuit le long du mur de défense construit par le Maroc dans les années 1980. En 1991, l’ONU obtient un cessez-le-feu et annonce la préparation d’un référendum d’autodétermination. Cependant, il a été reporté jusqu’à présent notamment parce que le Maroc s’y oppose avec force, continuant à revendiquer l’appartenance du Sahara occidental à son territoire national. La situation s’est aggravée cette année en grande partie par le rejet marocain du référendum de l’ONU, auquel on oppose une proposition de large autonomie des « provinces du Sud ». Le rapporteur spécial de l’ONU, Christopher Ross, a été accusé de partialité par le roi Mohammed VI. Et l’envoyé spécial de l’Union africaine, l’ancien président du Mozambique Joaquim Chissano, a été rejeté parce qu’il représente une instance connue par son « anti-marocanisme primaire », cela d’autant plus que ce différend est du ressort exclusif de l’ONU [Jeune Afrique du 8 juillet]. Rappelons que le Maroc a abandonné l’UA en 1984 suite à l’entrée de la RASD en son sein. Le renouvèlement de la mission de l’ONU en avril 2015 centralise la tension actuelle. Officiellement, le Sahara occidental est, à la demande du Maroc, dans la liste de territoires non-autonomes de l’ONU depuis 1963. Depuis le départ des Espagnols, l’ONU considère qu’il est un « territoire sans administration » ; et dans un rapport établi en 2006 par Kofi Annan, il est indiqué qu’aucun État membre de l’ONU ne reconnaît la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Cela étant, les riches ressources naturelles de ce territoire, dont les phosphates de Boucraa, sont exploitées par le Maroc (par le puissant Office chérifien des phosphates) sans aucune base légale. En conséquence, comme le note Olivier Quarante29, la communauté internationale a laissé le Maroc prendre possession de ce territoire, pour le plus grand bénéfice des investisseurs marocains et étrangers, dont la France, qui a établi des contrats de prospection pétrolière en 2001 (TotalFinaElf), et l’Union européenne qui a établi des accords de pêche. 29 Quarante, « Si riche Sahara occidental », Le Monde Diplomatique, mars 2014. Voir http://www.monde- diplomatique.fr/2014/03/QUARANTE/50237 Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014 31 La situation sociale au Sahara occidental est très tendue. A la fin septembre 2014, Hassana El Ouali, arrêté le 25 septembre 2011 dans le cadre des « actes de vandalisme » dans la ville de Dakhla, est décédé en prison. Le fait a provoqué de violents affrontements entre les forces de police et des Sahraouis, dits « séparatistes » dans les médias marocains. 17 personnes ont été arrêtées ainsi que 13 voitures qui se dirigeaient vers Tindouf via la frontière mauritanienne [CRIDEM du 30 septembre30]. De fait, la résistance des Sahararouis est forte et récurrente, même si elle est occultée par les autorités marocaines. Olivier Quarante a rapporté les faits de violence qui ont eu lieu à d’abord en octobre 2010, puis en septembre 201131. Le premier mouvement eut lieu dans la ville de Laâyoune (al-Aioun), entre le 10 octobre et le 8 novembre, lorsque près de 7 mille tentes furent installées à Gdeim Izik, réunissant près de 20 mille personnes pour protester contre la marginalisation socio-économique des Sahraouis. La manne des ressources minières et de la pêche de leur territoire ne les concerne pas, mais bénéficie seulement aux Marocains dont plusieurs milliers s’y sont installés avec l’aide de l’État. Le 24 octobre, un garçon de 14 ans est tué par les militaires marocains, et le 8 novembre ils donnent l’assaut au campement le plus vaste depuis la « marche verte » ; la répression des civiles fut brutale, on utilise des gaz lacrymogènes et des canons à l’eau chaude ; selon une source 168 Sahraouis furent arrêtés et torturés à Laâyoune ; une femme déclara avoir été tabassée et obligée à déclarer « vive le roi, vive le Maroc » avant d’être libérée. Il y eut deux morts Sahraouis et onze militaires. Les forces de l’ONU n’avaient pas de mandat pour agir. En janvier 2011, 22 militants Sahraouis étaient toujours à la prison militaire de Salé, bien qu’ils soient civils. Ils ont arrêté une grève de la faim de 38 jours pour dénoncer leurs conditions de détention (tortures, viols, isolement). Quarante cite le témoignage d’une femme qui considère « qu’après Gdeim Izik les choses ne seront plus jamais comme avant » ; un retraité se souvient que la première répression dans laquelle les civils Marocains ont participé a eu lieu en 1999. Une manifestation organisée par les travailleurs de la mine de Boucraa fut brutalement réprimée par la police, et les Marocains avaient saccagé les maisons des Sahraouis. Enfin, une femme déclara que des exactions plus violentes furent commises en novembre 2010, notamment par les jeunes ; ainsi, « depuis un an [2012] une haine et un esprit de vengeance nouveaux ont émergé dans les deux communautés. » Les conflits s’organisent donc autant pour des questions de marginalisation économique dont souffrent les Sahraouis dans leur propre territoire, que pour des questions identitaires. Au début octobre, le président mauritanien Mohamed ould Abdel Aziz est intervenu devant l’assemblée générale de l’ONU en sa qualité de président de l’Union africaine, mais il n’a fait aucun commentaire sur le Sahara occidental, ce qui a déçu le Front Polisario [Noorinfo du 2 octobre]. Cet « oubli » peut-être une expression de l’embarras permanent de la Mauritanie face à la question saharienne ; comme on le sait, plusieurs groupes de parenté hassanophones mauritaniens et Sahraouis ont une histoire commune des deux côtés de la frontière coloniale et postcoloniale de cette zone, qui est aussi arbitraire que celle qui sépare la Mauritanie du Sénégal. Mais il semble évident que le Maroc veut accélérer le règlement définitif du territoire à sa faveur. Le roi marocain a déclaré le 6 novembre, 39e anniversaire de la « marche verte », que l’autonomie était le « maximum que le Maroc puisse offrir » [aux Sahraouis]. Ainsi « le Maroc restera dans son Sahara et le Sahara demeurera dans son Maroc jusqu’à la fin des temps ». Le roi a 30 Voir : http://www.cridem.org/C_Info.php?article=661503 31 Quarante, « Résistance obstinée des Sahraouis », Le Monde Diplomatique, février 2012. Voir http://www.monde- diplomatique.fr/2012/02/QUARANTE/47389. Voir aussi « Un territoire disputé » : http://www.mondediplomatique.fr/2012/02/QUARANTE/47390 Mariella Villasante Cervello 32 rejeté aussi la tentative d’élargissement du mandat des Nations Unies aux droits humains ; et il a abordé encore une fois la nécessité d’impliquer l’Algérie dans le règlement du conflit car elle soutient le Polisario [France24 du 7 novembre]. Le 27 novembre, Mohamed ould Khaddad, ministre de la RASD chargé de la coordination de la question du Sahara auprès des Nations Unies, a déclaré à Nouakchott que « les hostilités au Sahara peuvent reprendre à cause de l’irrespect par le Maroc de l’accord de cessez-le-feu en vigueur depuis le 6 septembre 1991, après une guerre qui a duré quarante ans. » Il a noté aussi que les dernières menaces marocaines de renvoyer les forces de l’ONU sont un signal clair de leurs intentions belliqueuses. Le Polisario privilégie les solutions pacifiques sous la supervision de l’ONU et de l’UA, mais il est prêt à faire face à toutes les hypothèses [Le Calame du 29 novembre]. Le 14 décembre, le ministre des Affaires étrangères du Maroc, Salaheddine Mezouar, a tenu un discours radical à Dakhla contre l’Algérie, évoquant des manigances de l’Algérie et du Polisario à l’encontre du Maroc, et accusant Christopher Ross de soutenir le Polisario. Ce dernier doit présenter son rapport devant le conseil de sécurité en avril prochain et a été déclaré persona non grata au Maroc ; de son côté, la nouvelle responsable de la MINURSO, la diplomate canadienne Kim Bolduc, devait prendre ses fonction à Laâyoune en septembre, mais elle est restée bloquée à Rabat. L’escalade diplomatique actuelle ne pourrait se comprendre sans évoquer un fait peu connu dans les médias, il s’agit du grand déballage de documents officiels des sites marocains concernant le Sahara occidental et d’autres thèmes délicats par un pirate informatique qui les a diffusé via Twitter sous le pseudonyme de « Chris Coleman » dès le début du mois d’octobre [Hassan Moali, El Watan du 17 décembre]. Selon plusieurs sources, on apprend que des journalistes français auraient été payés par le Maroc pour écrire des articles favorables à ses intérêts. L’affaire est en cours et les documents sont en train d’être authentifiés32. Président de la RASD, Mohamed Abdel Aziz [Noorinfo] 32 Voir http://www.le360.ma/fr/politique/affaire-chris-coleman-reaction-laconique-du-gouvernement-27127 http://www.le360.ma/fr/politique/fuites-de-documents-diplomatiques-premiere-reaction-officielle-24501 http://www.le360.ma/fr/politique/diplomatie-a-qui-profite-la-fuite-de-documents-secrets-23783. Le premier compte de « Chris Coleman » [https://twitter.com/chris_coleman24] a été fermée, mais une autre a été ouverte [https://twitter.com/chris_coleman27] et continue à diffuser des données classées. Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014 33 Enfin, le 7 décembre, le président de la RASD, Mohamed Abdel Aziz, se trouvait non loin de la frontière nord de la Mauritanie pour participer aux manœuvres militaires les 6-7 décembre. En marge de celles-ci, il a accordé un entretien au Calame, dans la localité d’Aghouienitt, dans lequel il a déclaré : « Si le Maroc fait échouer les efforts de la communauté internationale, il nous obligerait à défendre de nouveau nos droits légitimes par le fusil. » Il redoute en effet que le Maroc ne prenne le risque de rallumer la guerre en continuant à s’entêter et à contrecarrer la mission de l’ONU officiellement accréditée au Sahara occidental33. — Les relations avec le Mali : la question des refugiés et les échanges économiques Au début du mois de janvier, le président du Mali, Ibrahim Boubacar Keita a effectué une visite officielle à Nouakchott et, en compagnie du président Aziz, ils ont affirmé leur volonté d’organiser le retour des refugiés maliens installés dans le camp de M’Berra. Selon le Haut commissariat aux refugiés, il reste encore 185 000 refugiés maliens loin du pays, dont 66 000 en Mauritanie, 50 000 au Niger, 49 000 au Burkina Faso et 1 500 en Algérie. Cependant, compte tenu de la poursuite du conflit armé, on n’a pas de chiffres précis sur les refugiés rentrés au Mali, dont le nombre est estimé à 14 000. Un rapport récent [International crisis group] estime que l’État malien a perdu sa crédibilité auprès des populations arabes et touarègue et n’a pas été capable de restaurer les services de base dans le nord du pays, ce qui rend difficile les retours [RFI, Noorinfo du 14 janvier]. En janvier toujours, les présidents malien et mauritanien ont signé un accord de coopération pour affronter la menace jihâdiste et lutter contre tous les trafics. Le président du Mali se trouvait à Nouakchott pour faire sa première visite officielle après son élection d’août 2013 [AFP, le 12 janvier]. Le 23 mai, le président mauritanien s’est rendu à Kidal et a obtenu la signature d’un cessez-le-feu entre le gouvernement de Bamako et les groupes armés de la zone, notamment les groupes touareg et « arabes » [hassanophones] avec qui Aziz a établi d’excellentes relations depuis leurs « rebellions » [Mondafrique, Noorinfo du 28 mai34]. Mais le cessez-le-feu eut une durée très courte, à la fin mai les affrontements entre les groupes touareg et arabe et l’armée malienne fit plusieurs dizaines de morts. Au début juin, le Mouvement arabe de l’Azawad se réunissait à Nouakchott avec les représentants du Mali, alors que les autres groupes armés se réunissaient au Burkina Fasso [Alakhbar du 4 juin]. Lors du sommet de l’UA, le chef de la diplomatie algérienne, Ramtane Lamamra, confirmait que la phase initiale du dialogue inter-malien se tiendrait à Alger en juillet ; l’Algérie étant, d’après lui, « un pays incontournable dans l’instauration de la paix dans la région du Sahel. » Le ministre algérien a tenu à préciser que son pays n’était pas en compétition avec le Maroc qui a tenté sa médiation avec le MNLA en janvier [Jeune Afrique du 26 juin]. Ces démarches se situent dans le cadre de l’élargissement des activités diplomatiques que l’Algérie a entreprises depuis le début de l’année. Ainsi les 10-11 février, elle recevait la majorité des polices africaines pour former l’AFRIPOL, Organisation africaine de coopération policière, qui devrait permettre aux pays d’Afrique de prendre en charge leur sécurité et d’éviter les interventions 33 Voir l’entretien : http://www.lecalame.info/?q=node/1177 34 Voir http://www.noorinfo.com/Au-Mali-le-president-mauritanien-obtient-le-cessez-le-feu-pas-la- paix_a13503.html Mariella Villasante Cervello 34 étrangères. Enfin, les 26-29 mai, l’Algérie a organisé la 17e conférence ministérielle du Mouvement des pays non-alignés [Le Temps d’Algérie du 1er juin, Noorinfo]. En septembre, la presse malienne accusa la Mauritanie et l’Algérie d’ingérence dans le pays, et du « pourrissement de la situation » ; les autorités algériennes étaient accusées de contrôler plusieurs groupes armés de Kidal, et les autorités mauritaniennes d’apporter leur soutien financier et matériel au MNLA et au nouveau mouvement arabe qu’elle abrite [Mauriweb du 2 septembre]. Toujours en septembre, l’Organisation de la société civile de l’Azawad, un collectif de réfugiés maliens installés en Mauritanie, a contesté les pourparlers qui se tenaient à Alger entre le gouvernement malien et les mouvements armés. Ce collectif conteste en particulier l’exclusion des représentants des populations, en particulier les communautés du Nord du Mali, et celles de Tombouctou, et dénonce le clientélisme qui caractérise la gestion des négociations avec les groupes terroristes35. En dehors des questions sécuritaires, les relations avec le Mali se développent sur le plan du renforcement des échanges économiques. Lors de sa visite en Mauritanie, le président malien a visité Nouadhibou le 11 janvier, où il fut reçu par le Président de l’Autorité de la zone franche, Ismail Bedde Chekh Sidiyya, qui a offert son soutien pour développer les investissements maliens dans les domaines de la pêche et du fer [Maurisahel, Noorinfo du 11 janvier]. Le président du Mali, Ibrahim Bouabacar Keita et le président de la Zone franche de Nouadhibou [Maurisahel, Noorinfo du 11 janvier]. MOUVEMENTS SOCIAUX AUTOUR DES RÉFÉRENCES ETHNIQUES ET STATUTAIRES L’année 2014 a été la plus riche en mouvements sociaux qui, en Mauritanie, se situent toujours autour de deux références majeures, la référence ethnique et la référence statutaire. L’ethnicité et le statut restent en effet les cadres historiques des communautés qui tout en ayant modernisé certains aspects de leurs vies sociales, notamment par le biais de la création d’un État, conservent des traits d’ancien régime fondés sur la hiérarchie et l’appartenance ethnique restreinte. 35 Voir http://www.noorinfo.com/Mauritanie-Mali-Algerie-des-organisations-de-refugies-contestent-le-format-des- pourparlers-d-Alger_a14309.html Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014 35 On a déjà évoqué les revendications des communautés noires de Mauritanie, notamment les Halpular’en, qui réclament justice pour les exactions commises par l’État durant le régime du président Taya, et sur lesquelles aucune enquête officielle n’a été réalisée, hormis un Livre Blanc dont les auteurs restent anonymes36 ; mais aussi pour les discriminations associées à l’exclusion des Noirs des forces armées, et au recensement dans les listes électorales. En février, l’attribution par le gouvernement du président Aziz de milliers d’hectares de terres dans la vallée du Fleuve Sénégal à des entrepreneurs Saoudiens, a déclenché un vaste mouvement de protestation social emmené par le dirigeant anti-esclavagiste Biram ould Abeid et qui l’a conduit en prison en novembre. Dans la région du fleuve coexistent les communautés noires et bidân, notamment les groupes qui conservent un statut servile ; de ce fait, Biram se présente comme dirigeant des Noirs et des groupes serviles de la société hassanophone. Nous allons examiner cette question plus loin, lorsqu’on abordera le mouvement des groupes serviles, il importe ici de rapporter les activités politiques des FLAM et leurs divisions actuelles. — Les FLAM se transforment et se divisent Les dirigeants des FLAM, notamment son président Samba Thiam, est revenu à Nouakchott en septembre 2013 après 23 années d’exil volontaire en France. Les principaux dirigeants, dont Thiam, Ibrahima Mifo Sow et Mamadou Wane, ont rencontré le président Aziz en avril puis en novembre 2013, et ont tenu des discussions apparemment cordiales sur les problèmes du pays [Moussa N’Diaye, CRIDEM du 19 juillet 2014]. Cependant, en juin 2014, Samba Thiam a fait des déclarations qui critiquent de front ce qu’il appelle « le système », c’est-à-dire l’ordre étatique qui discrimine les Noirs. Dans cet entretien au journal Le rénovateur [CRIDEM du 5 juin37], centré sur les élections présidentielles de 2014, Samba Thiam déclare : « Pour nous ces élections sont sans enjeu parce que nous pensons que notre problématique est ailleurs ; et que cette problématique ne peut être résolue par des élections ; c’est notre conviction. Nous le constatons, depuis 50 ans des élections passent et repassent, sans que cela ne change quoi que ce soit dans notre condition d’exclus ! Mieux, nous croyons fermement que ce ballet d’élections contribuent à cacher, voire à banaliser notre exclusion. Alors, si l’on devrait se résoudre à aller aux élections, par la force des choses, autant au moins le faire avec grâce et style ! Rappelons que notre problématique tourne autour d’un Système que nous voulons détruire et que d’autres (ils sont légion et de tous les bords) s’évertuent à préserver. Un Système qui tire sa source de l’idéologie Afrikaner : “Annihiler la force numérique et la force de travail que représentent les Noirs afin de les transformer en instruments, sans qu’aucune possibilité ne leur soit laissée de sortir de cette situation”. Nous œuvrons pour des changements en profondeur, visant à refonder la Mauritanie sur des bases égalitaires, justes, démocratiques, afin de garantir son unité, préserver sa stabilité et assurer son avenir. » [C’est moi qui souligne]. De fait, si le président des FLAM défend avec raison les principes républicains pour la Mauritanie, sa comparaison avec l’ancien système d’apartheid de l’Afrique du Sud, maintes fois repris dans le passé, est déplacée. En outre, il semble paradoxal qu’une formation politique refuse de participer aux élections, qui restent la seule instance de gouvernance démocratique. Mais cette position changera plus tard avec la fondation d’un parti politique par une aile des FLAM. 36 Voir l’intéressant article de Mohamed ould Soueid Ahmed sur la question, avec quelques extraits du Livre Blanc : http://chezvlane.blogspot.com/2013/11/300000-morts-mauritaniens-voici-les.html 37 Voir l’entretien complet ici : http://www.cridem.org/C_Info.php?article=657005 Mariella Villasante Cervello 36 Cela étant, les FLAM ont déployé une campagne de prise des contacts avec les dirigeants nationaux et les fonctionnaires des ambassades. Ainsi, le 16 juillet Samba Thiam a reçu en audience le conseiller politique de l’ambassade des Etats-Unis à Nouakchott, James Ermarth, accompagné du chargé des programmes. On a rapporté que les deux parties ont eu des échanges intéressants sur la situation du pays [CRIDEM du 18 juillet]. Le retour des FLAM a soulevé la question de leurs relations avec les deux mouvements existants dans le pays, l’IRA et TPMN, qui ont été très actifs ces dernières années. Ainsi, lors d’un entretien effectué le 2 août, Samba Thiam a considéré que, contrairement à ces mouvements de défense des droits humains, les FLAM sont une force politique, voici un extrait38 : « Je trouve d’abord cette comparaison inappropriée, même surprenante ! IRA et TPMN sont des organisations des droits de l’homme, tout court, alors que les FLAM constituent une formation politique. En second lieu, leur champ d’action, plus restrictif, est différent du nôtre, même s’il pouvait y avoir un recoupement, par endroits. IRA et TPMN viennent de naître alors que les FLAM sont une force politique vieille de 30 ans, forgée dans la douleur de la répression et de l’exil, traînant un passé lourd, un parcours singulier. Enfin nous venons juste d’arriver... Nous avons donc besoin d’un peu temps pour reprendre complètement notre place ici, mais nous y travaillons, avec patience et acharnement, rassurez-vous. » James Ermarth visite Samba Thiam [CRIDEM du 18 juillet] Certes, on peut dire que l’IRA et TPMN ont des revendications centrées sur la défense des droits humains ; cependant, contrairement à ce qu’affirme Thiam, ces revendications ont des objectifs politiques dans la mesure où elles expriment la volonté de justice sociale des groupes concernés. Du reste, l’IRA a fait le choix de sa conversion en parti politique, le RAG, même s’il n’a pas été accepté par les autorités mauritaniennes. Et on aurait tort de minimiser la force politique que représentent tant l’IRA que TPMN seulement parce qu’ils sont nés il y a quelques années ; ils étaient et restent des forces politiques importantes avec lesquelles il faudra compter. La volonté affichée par les FLAM d’assumer la défense des revendications des Noirs mauritaniens a trouvé une limite sérieuse après le mois d’août. En effet, le 29 août, les e FLAM ont tenu leur 8 Congrès à Nouakchott, placé sous le sceau de la « mutation ». En effet, après l’annonce de l’abandon de la lutte armée et leur entrée en politique, les 38 Voir l’entretien complet ici : http://www.cridem.org/C_Info.php?article=658835 Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014 37 dirigeants ont annoncé la transformation des FLAM en parti politique et un programme politique nouveau pour l’Autonomie du Sud de la Mauritanie [CRIDEM du 27 août39]. Dans son allocution, Samba Thiam a proposé, entre autres, l’adoption de l’appellation « Afro-mauritanien » qui remplacerait « Négro-mauritanien » lancée en 1989, et un projet d’Autonomie, voici deux extraits40 : « Les Négro-africains ont mal, très mal à leur pays. Pour emprunter la formule d’El Said, je dirais que notre présent nous interpelle sur les questions existentielles de notre avenir, dans ce pays, nous « Afro-mauritaniens », pour user d’une terminologie dans l’air du temps ! (…) En guise de solution, pour ce qui nous concerne, nous optons pour l’Autonomie, projet qui sera, sous peu, porté à l’attention du public et de la classe politique. Cette Autonomie, objet de tant de conjectures, agitée comme un épouvantail par nos adversaires, je puis vous assurer et vous rassurer, ne sous-tend aucune arrière-pensée trouble, alors aucune ! Cette Autonomie demeure un projet de réorganisation territoriale et administrative, plus adaptée à notre réalité socio-culturelle, ethnique et tribale, sans plus ! Elle se fonde sur des critères objectifs, naturels, plus à même de réduire les tensions ethniques récurrentes et favoriser la cohésion sociale. La Mauritanie comporte une réalité tribale, ethnique et régionale têtue. Nous ne pouvons en faire table rase sans tomber dans d’autres travers ! Il faut la reconnaître, essayer de la moduler, de l’atténuer avec discernement, avec patience, afin de forger doucement, progressivement, une autre mentalité sociale ! » [CRIDEM du 30 août]. Comme on pouvait s’y attendre, le projet d’Autonomie a été durement critiqué par les tenants du pouvoir. Le président de l’UPR, Sidi Mohamed ould Maham, a déclaré qu’il « ne rencontre aucun intérêt au sein des composantes du peuple mauritanien » ; les populations de la vallée rejettent, d’après lui, ce discours séparatiste [Saharamedias, Noorinfo du 21 septembre]. Ould Maham a promis enfin de « combattre les extrémismes et les promoteurs de divisions », et a appelé les autorités à « frapper d’une main de fer sur tout groupe ou individu à tendance raciste ou séparatiste. ». Cependant, certains analystes, comme Ahmed Jiddou Aly, ont considéré que la proposition de décentralisation et d’autonomie est une proposition de bon sens41. Rappelant qu’il existe un Livre blanc de la décentralisation publié en décembre 2009, réalisé à la demande de l’ancien ministère de la Décentralisation et de l’aménagement du territoire, soutenu par le ministère de l’Intérieur, et financé par la coopération espagnole42. Cependant, Jiddou Aly remarque que le découpage envisagé par les FLAM n’est pas réaliste car on suggère la création de quatre régions dans un pays de plus d’un million de km2. Ce qui est certain, comme il l’avance, c’est qu’il faut réinventer le découpage régional actuel et modifier la gestion des collectivités territoriales. Au mois de septembre, la création d’un parti politique proposé au congrès d’août fut réaffirmée ; les FLAM devinrent ainsi les Forces progressistes pour le changement (FPC) [Le Calame du 1er septembre]. Mais cette tentative s’est soldée par la division du mouvement car les flamistes historiques ont refusé la reconversion en parti légal. Cette faction considère en effet que faire des FLAM un parti revient à légitimer le régime, alors que les FLAM doivent rester un « mouvement de libération nationale ». Cette position est défendue par des groupes mauritaniens et par la diaspora mauritanienne, notamment en France, qui dénonce la tenue d’un congrès « illégitime » et revendiquent la poursuite 39 Voir : http://www.cridem.org/C_Info.php?article=659877 40 Voir le texte complet ici : http://www.cridem.org/C_Info.php?article=660063 41 Voir l’article : http://www.cridem.org/C_Info.php?article=664107 42 Voir : http://www.dgct.mr/doc11/LIVRE%20BLANC.pdf, voir aussi l’article de Mohamed ould Soueid Ahmed : http://chezvlane.blogspot.com/2014/12/meme-notre-ministere-de-linterieur.html Mariella Villasante Cervello 38 d’un militantisme radical déconnecté du jeu démocratique43. Il n’est pas encore clair de savoir comment se poursuivra cette division factionnelle qui ne présage rien de bon pour le programme de l’aile légaliste dirigée par Samba Thiam. Celle-ci est cependant appuyée par des personnalités politiques nationales, comme Jemil ould Mansour et Ahmed ould Mouloud, mais aussi étrangères, comme l’a montré la visite que le nouvel ambassadeur de France, Joël Meyer [qui a pris son poste en octobre], a rendue le 13 novembre 2014, à Nouakchott, au Président des Forces Progressistes du Changement, Samba Thiam. [CRIDEM du 16 novembre]. L’ambassadeur de France, Joël Meyer, avec Samba Thiam [Noorinfo] — Les mouvements sociaux contre la persistance des relations serviles Les mouvements sociaux contre la persistance des relations serviles ont été très actifs tout au long de l’année, et ils ont montré la gravité d’une situation de plus en plus tendue vis-à-vis d’un gouvernement qui fait preuve d’une totale incapacité à la gérer correctement. Contrairement à certaines analyses, ces mouvements ne se réduisent pas à la défense des droits humains, car ils concernent en réalité les revendications politiques d’une partie démographiquement importante de la société mauritanienne hassanophone, (alors que les Noirs représentent une minorité nationale). Deuxièmement, il faut poser dès maintenant que sous le terme « esclavage », dont la connotation de subordination est très forte en français, se classent diverses situations de dépendance personnelle qui explicitent la persistance des relations serviles dans toutes les communautés ethniques mauritaniennes. Les dépendances extrêmes existent bel et bien, mais elles sont bien réduites en comparaison avec les dépendances qui caractérisent les liens entre maîtres et domestiques/serviteurs dans d’autres pays hiérarchisés de l’Afrique, des pays arabes et aussi des pays latino-américains. Le mouvement le plus ancien, El Hor, est revenu sur le devant de la scène politique, en janvier, critiquant les déclarations du premier ministre Moulay ould Mohamed Laghdaf à un journal égyptien, dans lesquelles il associait l’expulsion de la délégation israélienne du pays aux campagnes menées contre la Mauritanie à cause de 43 Voir l’article de Jeune Afrique : http://www.noorinfo.com/Mauritanie-entre-les-Flam-le-torchon- brule_a14872.html, voir aussi la note de ould Soueid Ahmed : http://chezvlane.blogspot.com/2014/09/le-congres-tuele-mot-negro-mauritanien.html Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014 39 l’esclavagisme44. Samory ould Bèye, président de El Hor a accordé un entretien au Calame en octobre, dans lequel il affirme que les « hratîn » n’accepteront plus d’être des citoyens de seconde zone, et que « les « maures » doivent comprendre que leurs « compatriotes Noirs » sont déterminés à se faire respecter et à conquérir la place qui leur sied dans leur pays. Autrement c’est une déclaration de guerre civile, ce que nous ne souhaitons certainement pas à notre pays45. » Si les revendications politiques du dirigeant sont très claires, son usage des termes identitaires est quelque peu imprécis, et il en va de même de l’usage qui en font la majorité de dirigeants « anti-esclavagistes ». En effet, la société bidân/hassanophone fut nommée « maure » par les colonisateurs, qui distinguaient entre « Maures blancs », les bidân d’origine libre, et les « maures noirs », les bidân d’origine ou condition servile. Le terme « hrâtîn » est devenu synonyme de « maure noir » mais aussi « d’esclave » ou « d’ancien esclave », alors qu’en réalité la situation statutaire des esclaves (‘abd) est très particulière, très réduite, et que la majorité de ceux qu’on nomme « hrâtîn » connaissent diverses situations de dépendance vis-à-vis d’une famille et/ou d’un groupe social uni par la parenté. Nous avons examiné ces questions dans une publication parue en 2000 [Groupes serviles au Sahara, CNRSEditions], et dans un livre qui vient de paraître, Le passé colonial et les héritages actuels en Mauritanie (Paris, 2014), dans lequel Meskerem Bhrane présente ses analyses de la situation des groupes serviles à Nouakchott. D’autre part, l’association entre condition de servilité et origine ethnique n’est pas claire dans l’usage de Samory ould Bèye, ni des autres dirigeants. Ainsi, lorsqu’il est affirmé que les « hrâtîn » sont les « compatriotes Noirs des Maures », on ne sait pas si le groupe noir inclut les Halpulra’en, les Soninké et les Wolof, principales communautés noires du pays. Ce qui semble évident c’est que les deux mouvements, celui des « hrâtîn » et celui des Noirs [nommés Afro-mauritaniens par les FLAM/FPC], pourraient se fondre en un seul mouvement dont la direction est encore à déterminer, bien que Biram ould Abeid ait montré ses dispositions à l’assumer, comme on le verra bientôt. Cela dit, la polarisation des « Noirs/hrâtîn » mauritaniens contre les Bidân/arabes pourrait effectivement mener à une guerre civile comme le pense Samory ould Bèye. Seulement les deux groupes, si l’on peut dire, sont étroitement associés et liés aussi par des liens d’alliance matrimoniale, en conséquence, il serait peu probable que les extrémismes des uns et des autres conduisent à une confrontation directe et violente. Du moins dans l’état actuel des choses. En décembre, Boubacar ould Messaoud, leader historique du mouvement SOS-Esclaves, a donné un entretien à Mamadou Lamine Kane46, dans lequel il a posé des idées intéressantes. Tout d’abord, il a affirmé que « l’esclavage » a été instrumentalisé par les religieux mauritaniens, hassanophones et noirs, alors que l’islam n’a rien à voir avec cela. Deuxièmement, Biram faisait partie de l’association avant qu’il ne décide de partir et de fonder un mouvement moins frileux ; mais il ne partage pas sa démarche. Cependant, selon Messaoud, les méthodes révolutionnaires de l’IRA peuvent provoquer une confrontation qui serait voulue par les « Maures » dont les victimes seraient les « esclaves », car les maîtres seraient armés et s’entraîneraient régulièrement — une idée au demeurant éloignée de la réalité. Troisièmement, les « descendants d’esclaves » ont 44 Voir : http://www.noorinfo.com/Mouvement-d-emancipation-des-Haratines-Les-autorites-veulent-ternir-l-image- de-la-lutte-pacifique-contre-l-esclavagisme_a11704.html 45 Voir l’entretien complet : http://www.lecalame.info/?q=node/760 46 Voir l’entretien ici : http://www.mozaikrim.com/2014/12/boubacar-ould-messaoud-je-combats-ma-propre- violence.html Mariella Villasante Cervello 40 grandi dans la violence des maîtres et ont été éduqués dans la soumission par les mères qui voulaient les soustraire aux agressions. Voilà pourquoi les dirigeants sont couramment des personnes volcaniques. Des idées qui traduisent la confrontation personnelle des dirigeants face à une injustice sociale qui se reproduit encore au pays. — L’IRA se développe sous la conduite de Biram, un dirigeant qui dérange Biram ould Abeid est devenu l’homme politique de l’opposition le plus en vue du pays malgré les attaques dont il a été la cible de la part des autorités mauritaniennes. Son discours est en effet considéré comme extrêmement violent et il dérange autant les élites que la majorité d’un peuple mauritanien pas du tout habitué à entendre des critiques d’ouvrages islamiques réputés, et plus généralement des propos méprisants à l’encontre de la société bidân/arabophone/libre dans son ensemble, qu’il accuse d’être « esclavagiste ». Ce qui est excessif. Au début janvier, la réaction de Biram vis-à-vis du lynchage médiatique contre le jeune forgeron, dit Ould Mkhaitir, a été assez surprenante venant d’un défenseur des droits humains. En effet, il le présente de manière indirecte comme coupable du crime dont l’accusent les mêmes « juges » de son acte jugé blasphématoire d’avril 2012, mais il demande qu’il soit jugé de manière juste47. Sur le plan international, le leader ne cesse de recevoir des reconnaissances qui lui servent à mieux asseoir la lutte contre le « système » en Mauritanie. Rappelons qu’en décembre 2013, il a reçu le prix des droits humains attribué par l’ONU. En juillet, il fut invité par le Congrès des Etats-Unis, où il a témoigné devant la Commission des droits humains sur le thème de l’esclavage moderne48. Et puis en octobre, grâce aux démarches de l’IRA, la ville de Chicago a émis une résolution dénonçant l’esclavage en Mauritanie, et demandant au président Obama de faire de la lutte contre l’esclavage en Mauritanie et dans le monde, une priorité49. Biram ould Abeid, prix des droits humains de l’ONU 2013 [Le Calame] 47 Voir le communiqué de presse de l’IRA ici : http://www.lecalame.info/?q=node/1074 48 Voir http://www.noorinfo.com/Biram-Invite-du-Congres-americain_a13973.html 49 Voir la communiqué de l’IRA : http://www.lecalame.info/?q=node/883 Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014 41 Cette année, Biram a pris la tête d’un vaste mouvement de contestation des agriculteurs de la région du fleuve Sénégal qui s’opposait à l’attribution de 31 000 hectares de terres à une firme saoudienne qui devrait la mettre en valeur grâce à un investissement d’un milliard de dollars50. Il a lancé une « Caravane contre l’esclavage foncier et la spoliation de terres » en mars, à partir de la ville de Bogué, où Biram a rendu visite aux chefs religieux et aux notables [Thiam, Le Calame du 17 mars]. Ce qui montre aussi les limites de son propre discours « anti-système ». Dans ce contexte, au mois de mai, Biram a annoncé sa candidature aux élections présidentielles, et comme on le notait précédemment, il a obtenu 8% des suffrages, ce qui implique sa faible capacité de mobilisation nationale. Finalement, la Caravane partie de Bogué s’est terminée le mardi 11 novembre dans la ville de Rosso, par une répression violente des forces de l’ordre et par l’emprisonnement de Biram ould Abeid et cinq autres dirigeants de l’IRA (Brahim Bilal Ould Ramdane, Khattri Rahel, Djiby Sow, Faitis Cheikhna, Mohamed Allouche). Ils ont été accusés « d’incitation à la violence, de trouble à l’ordre public, d’outrage à l’autorité et appartenance à une organisation non reconnue. » Le wali du Trarza, Isselmou ould Sidi a accusé les responsables de « faire la promotion du racisme » et d’en « appeler au spectre des événements de 1989 ». [Le Calame du 20 novembre]. Des manifestations de protestation, réclamant la libération des militants abolitionnistes, se sont succédées à Rosso et à Nouakchott et des graffitis dénonçant l’incarcération de Biram sont apparus sur les façades de commissariats, d’établissements publics [Le Calame, décembre]. Comme on pouvait s’y attendre, l’incarcération sans fondement légal de Biram et des autres dirigeants de l’IRA a produit des réactions sur la scène internationale. Le 4 décembre, un reportage a été consacré au thème de l’esclavage en Mauritanie dans la revue française L’Obs [n°2613], dans laquelle le journaliste Jean-Baptiste Naudet présente quelques cas de dépendance extrême en faisant croire qu’il s’agit de la « condition ordinaire des esclaves mauritaniens ». Cette simplification des faits associés aux relations serviles correspond en réalité à l’image qui a été construite par les Occidentaux sur « l’esclavage », et qui est revendiqué aussi par les dirigeants de l’IRA. Il faut noter en particulier que l’affirmation de Naudet selon laquelle « il y aurait de 150 000 et 300 000 esclaves dans le pays » est complètement farfelue et ne correspond à aucune donnée identifiable. De son côté, le parlement européen a condamné l’arrestation de Biram et a demandé sa libération immédiate [Le Calame du 19 décembre51]. Le Quai d’Orsay a condamné également cette arrestation rappelant l’attachement de la France à la liberté d’expression et de manifestation pacifique, ainsi qu’aux droits de défense et à un procès équitable [Le Calame du 20 décembre52]. Les réactions officielles vis-à-vis des conséquences inattendues de la Caravane organisée par Biram ont été négationnistes, comme d’habitude. En effet, l’imam de la mosquée de Nouakchott, Ahmedou ould Lemrabott, a défendu la position de l’État qui consiste à nier purement et simplement la persistance des relations serviles, et à parler de manière euphémistique de « séquelles de l’esclavage » ; et il a évoqué la menace que représentent « ceux qui portent atteinte à l’unité nationale » [Alakhbar, CRIDEM du 12 décembre]. Allant dans le même sens, les oulémas de Mauritanie ont lancé une 50 Voir : http://www.noorinfo.com/Mauritanie-l-accaparement-de-terres-facilite-par-le-pouvoir_a12043.html 51 Voir : http://www.lecalame.info/?q=node/1234. 52 Voir http://www.lecalame.info/?q=node/1242. Mariella Villasante Cervello 42 campagne de prêches contre les « séquelles de l’esclavage » dans tout le pays, faisant remarquer qu’il s’agit d’une pratique sociale vieille de plusieurs siècles [Le Calame du 12 décembre]. A la lecture de ce qui précède, il semble évident que si la lutte politique pour l’égalité sociale des groupes serviles mauritaniens, hassanophones et africains, exprime une volonté de modernisation de la hiérarchie sociale et statutaire, il est aussi clair que les autorités étatiques ne sont pas capables de mener à bien un processus qui, comme en Inde avec leurs castes, est inéluctable. — Autres mouvements sociaux : forgerons, femmes, travailleurs Il faut préciser encore, avant de conclure, que d’autres mouvements sociaux sont en cours même s’ils sont moins médiatisés. Il s’agit des mouvements de défense des droits civiques des « forgerons53 », réactualisés par la triste affaire d’accusation d’apostasie qui a frappé le jeune ingénieur Mohamed ould Cheikh, qui vient d’être condamné à mort. Mais aussi les dénonciations des travailleurs des salines d’Ijjil contre les autorités et les propriétaires54. Et enfin, les dénonciations des violences faites aux femmes, qui deviennent enfin publiques55. Réflexions finales La Mauritanie traverse une période lourde d’événements dont le noyau est la remise en question de l’ordre statutaire et hiérarchique qui, vieux de plusieurs siècles, ne peut plus continuer à se reproduire sans être menacé d’une explosion sociale. Il appartient aux autorités de prendre la mesure de ce fait et d’œuvrer pour canaliser les demandes sociales et renforcer la démocratie et la liberté d’expression et d’association. Autrement les conséquences peuvent être graves, non seulement pour la Mauritanie mais pour l’ensemble régional dans lequel elle est insérée et qui traverse également une période de violence potentielle et réelle de grande envergure. * 53 Voir http://www.lecalame.info/?q=node/874 54 Voir http://www.lecalame.info/?q=node/992 55 Voir : http://www.lecalame.info/?q=node/1074