CHRONIQUE POLITIQUE DE MAURITANIE
DÉCEMBRE 2014
RÉÉLECTION DU PRÉSIDENT MOHAMED OULD ABDEL AZIZ, AVANCÉE DE
L’ISLAMISME RADICAL ET MOUVEMENTS SOCIAUX CONTRE L’ESCLAVAGE
INTERNE ET POUR LES DROITS CIVIQUES DES MINORITÉS NOIRES
Dr Mariella Villasante Cervello
Institut de démocratie et droits humains (IDEHPUCP, Lima, Pérou)
Mariella Villasante Cervello
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CHRONIQUE POLITIQUE DE MAURITANIE
DÉCEMBRE 2014
RÉÉLECTION DU PRÉSIDENT MOHAMED OULD ABDEL AZIZ, AVANCÉE DE
L’ISLAMISME RADICAL ET MOUVEMENTS SOCIAUX CONTRE L’ESCLAVAGE
INTERNE ET POUR LES DROITS CIVIQUES DES MINORITÉS NOIRES
Dr Mariella Villasante Cervello
Institut de démocratie et droits humains (IDEHPUCP, Lima, Pérou)
INTRODUCTION
La République islamique de Mauritanie connaît depuis deux ans un regain de tensions
sociales et politiques organisées autour de la défense des droits à l’égalité sociale, tant
de la part des groupes serviles de la société bidân [arabophone] que des minorités
ethniques du pays [Halpular’en, Soninké, Wolof]. Cependant, au cours de l’année 2014,
la mouvance islamiste a fait des avancées notoires, et les mouvements sociaux ont
gagné en intensité suivant deux causes centrales : la persistance, voire l’augmentation,
de la pauvreté des majorités mauritaniennes, toutes origines confondues ; et, d’autre
part, le renforcement de la politique répressive déployée par le régime du président
Mohamed ould Abdel Aziz. On aurait pu croire que la réélection du président en juin
dernier aurait impliqué un changement de cap et des améliorations concrètes du niveau
de vie des Mauritaniens, et pourtant rien n’a changé, pire encore, l’enfermement dans
des vieilles politiques du tout répressif, connues pendant le régime de Maaouya ould
Sid’Ahmed Taya [1984-2005], sont revenues de plus belle. Cela étant, les temps ont
changé, une société civile plus consciente de ses droits continue à grandir dans le pays,
et les secteurs les plus touchées par les inégalités post-modernes, par les vieilles
hiérarchies statutaires d’une société d’ancien régime ultra conservatrice, et par la
pauvreté extrême, s’opposent avec force à la très mauvaise gouvernance du régime en
place.
Et pourtant, avec près de 3,5 millions d’habitants, dont près de 2 millions habitent à
Nouakchott, et avec ses riches ressources naturelles (minerais, pêche) les Mauritaniens
pourraient avoir un niveau de vie correct, les enfants et les jeunes pourraient avoir une
éducation adaptée aux besoins du pays, et les services de l’État, notamment la santé et
l’infrastructure urbaine et rurale, pourraient être bien installés dans le quart habité et
utile du pays. Or rien de cela n’existe. Le Rapport sur le développement humain du
PNUD de 2014, [inégalités, santé, compétences sociales, insécurité personnelle,
intégration internationale perceptions du bien être], considère que la Mauritanie n’a pas
présentée d’évolution notable entre 1980 et 2013, et occupe la 161ème place mondiale
(indice 0,487), proche de la situation de deux pays en guerre, l’Afghanistan et le
Yémen1 [Le Calame, NoorInfo du 10 octobre 2014]. Cette triste situation, empirée par
les affaires de corruption, est aisément visible à Nouakchott qui continue à être une
capitale abandonnée à son sort, et qui s’enfonce chaque jour davantage dans la misère,
le chaos de la circulation, et, récemment, dans les eaux des pluies qui ont submergé une
bonne partie de la ville. Comme si cela n’était pas suffisant, le ramassage des ordures
1
Voir : http://www.noorinfo.com/Rapport-l-IDH-2014-le-developpement-humain-faible-enMauritanie_a14568.html
Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014
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ménagères s’est détérioré ces derniers mois et la ville connaît une autre période de
danger sanitaire, ainsi certains parlent de la possibilité de disparition de la ville2.
La mauvaise gouvernance du régime en place a une grosse part de responsabilité dans
cet état de choses. Cela d’autant plus que le président se présente comme le portedrapeau de la lutte anti-terroriste dans l’ouest saharo-sahélien, et qu’il est lourdement
soutenu par les pays occidentaux, dont l’Union européenne, la France et les États-Unis.
Mais il y a plus. Étant donné que les pays occidentaux sont en train d’apporter des
sommes considérables au nom de la lutte anti-terroriste, sans exiger en échange une
bonne gouvernance, Ould Abdel Aziz se croit tout permis, et ne fait rien ou si peu pour
améliorer la situation désastreuse de la majorité de la population.
Or, le calcul politique des uns et des autres peut s’avérer très mauvais à moyen terme ;
les mouvements sociaux menacent aujourd’hui sérieusement la stabilité interne de la
Mauritanie, et dans le monde globalisé qui est le nôtre, rien ne pourra les empêcher de
continuer à se déployer jusqu’à ce qu’ils obtiennent leurs droits à l’égalité sociale et à la
démocratie réelle. De manière parallèle, le mouvement islamiste, légal et souterrain,
avance à grands pas, alimenté par la misère et par l’ignorance d’une population
abandonnée à son sort. Face à cette situation, le président joue sur les deux tableaux à la
fois, comme ailleurs dans les pays arabes de la région ; d’une part, il se présente comme
le véritable chef et défenseur de l’islam mauritanien, ce qui dérange les islamistes, et,
d’autre part, il les attaque pour leur enlever toute légitimité. La mise au ban des Frères
musulmans en Arabie saoudite, en mars, a soutenu cette dernière position. Des émeutes
se sont déployées entre janvier et mars autour des questions « religieuses », ce qui est
un fait nouveau dans le pays.
D’un point de vue politique, la responsabilité dans la situation nationale est aussi
partagée par les groupes politiques de l’opposition qui, encore une fois, ont renoncé à
leur participation dans les élections présidentielles de juin 2014. Ce faisant, ils n’ont pas
seulement enlevée toute légitimité aux élections présidentielles de juin, mais ils ont
abandonné la scène politique nationale aux groupes traditionnellement partisans du
pouvoir en place, d’où qu’il vienne, c’est-à-dire les élites enrichies grâce aux privilèges
de naissance et des prébendes de l’État, les chefferies traditionnelles, les fonctionnaires
et les militaires. Cet abandon a été mis à profit par le mouvement islamiste Tawassoul,
bien représenté au Parlement, et, parallèlement, par les mouvements sociaux de défense
des droits des groupes serviles, en particulier l’IRA, dirigé par Biram ould Abeid, et des
droits des minorités noires, notamment les FLAM, divisées depuis quelques mois. Leurs
marches pacifiques sont brutalement réprimées, et plusieurs dirigeants de l’IRA ont été
emprisonnés illégalement depuis le 11 novembre.
Face à cette situation critique le gouvernement exprime un déni de réalité patent. En
effet, non seulement les militants des mouvements sociaux sont accusés de perturber la
« paix sociale », mais les imams sont priés de s’aligner avec les vues du gouvernement
sur la question de l’esclavage interne, ce qui revient à le nier purement et simplement.
Et alors que les droits humains sont ignorés et bafoués au pays, la Commissaire aux
droits de l’homme, Aichetou Mint M’Haiham, a déclaré à Genève, lors de la 27ème
2 Voir http://www.noorinfo.com/Nouakchott-en-voie-de-disparition-Sous-la-menace-des-eaux-et-dusable_a9738.html; voir aussi http://www.noorinfo.com/Nouakchott-Casse-tete-Transport_a14895.html
Mariella Villasante Cervello
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session du Conseil des droits humains, que le pays a « accompli des énormes progrès en
termes de droits de l’homme3 ».
Dans cette chronique, je vais aborder les thèmes suivants : La politique générale, dont
la réélection présidentielle de juin, le mouvement islamiste, la commémoration ambiguë
du jour de l’indépendance et les revendications des Noirs, et le nouveau gouvernement
nommé en août. Les mouvements sociaux et les droits humains, dont une mise au point
sur la question de l’esclavage interne à partir de l’anthropologie sociale. Les relations
internationales, dont la crise au Sahara occidental, ainsi que les rencontres du président
Ould Abdel Aziz avec le président Barack Obama et John Kerry aux Etats-Unis. Et
enfin La « lutte anti-terroriste » dans la région, le soutien de la France et des EtatsUnis.
POLITIQUE GÉNÉRALE
Le 30 janvier, le Premier ministre éthiopien, Hailemariam Dessalegn, président en
exercice sortant de l’Union Africaine (UA), a cédé la place au président mauritanien
Mohamed Ould Abdelaziz, lors de l'ouverture du 22e Sommet ordinaire de l’Union
africaine [UA] à Addis-Abeba, Ethiopie [NoorInfo, janvier]. Cependant, son élection a
été remise en cause rapidement car on considère que le président de la Mauritanie n’est
pas digne de cette fonction ; il a été en effet l’auteur du premier coup d’État intervenu
après l’adoption de la charte pour la démocratie et les élections. Or, apparemment le fait
que cette année la présidence tournante devait concerner un pays du Nord de l’Afrique,
et que seule la Mauritanie s’était portée candidate a facilité cette désignation. Rappelons
ici que l’Égypte est exclue de l’UA, que le Maroc n’en fait pas partie, et que la Tunisie,
la Libye et l’Algérie connaissent des problèmes politiques graves qui rendent
impossible leur participation dans l’instance internationale africaine. Ould Abdel Aziz
serait donc un président de l’UA par défaut et non pas mérite.
Le 5 avril, le Premier ministre Moulay ould Mohamed Laghdaf a prononcé son discours
de politique générale devant le Parlement et a déclaré que « la porte du dialogue avec
les différents groupes politiques restera toujours ouverte pour une meilleure
consolidation de l’unité nationale et de la démocratie » [L’Authentique, NoorInfo]. Il
avait présenté sa démission au président en février, mais le président ne l’avait pas
acceptée et il a continué à présider le conseil des ministres jusqu’en août dernier. De
fait, les déclarations de ould Mohamed Laghdaf sont assez éloignées de la réalité
choisie par le président et ses ministres de tenir à distance tous les dirigeants de
l’opposition mauritanienne, comme l’ont rappelé récemment Ahmed ould Daddah,
opposant historique, et Mohamed ould Mouloud, chef de l’Union des forces du progrès
[UFP]. Comme on le verra plus loin, seul le député Jemil ould Mansour, chef du parti
islamiste Tawassoul, est en relation de dialogue avec les membres du gouvernement qui
ont besoin de cet interlocuteur de plus en plus populaire dans les milieux urbains du
pays.
— Élections présidentielles : un résultat attendu
Les préparatifs des élections ont commencé tardivement et sans beaucoup
d’enthousiasme. Après l’annonce de la non participation des partis de l’opposition, et
3 Voir http://www.noorinfo.com/Mauritanie-Enormes-progres-en-termes-de-droits-de-l-homme--selon-
Mint-M-haiham_a14370.html.
Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014
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les quelques candidatures indépendantes issues des élections législatives de 2013, on
savait que les dés étaient jetés et on s’attendait à une réélection sans problèmes du
président Aziz.
Au mois de mai, Ahmed ould Daddah, l’un des dirigeants du Forum national pour la
démocratie (FNDU), déclare que son groupe ne participera pas aux élections
présidentielles4. Deux thèmes ont été soulevés comme causes de cette décision : les
listes électorales qui n’ont pas été correctement établies, et le contrôle exclusif des
bureaux de vote par l’administration. En effet, lors des élections législatives seulement
600 mille personnes ont pu voter, alors que le pays aurait 2 millions d’électeurs, et,
d’autre part les Mauritaniens à l’étranger, environ 500 mille personnes, n’ont pas tous
des cartes électorales. Quant aux bureaux de vote, les représentants des partis de
l’opposition n’ont jamais été associés aux opérations électorales. Après une tentative de
dialogue avec les représentants du gouvernement, la COD a décidé de boycotter les
élections, en dénonçant « un agenda unilatéral », et un recensement qui exclue des
citoyens des listes électorales. Ce sont les mêmes raisons qui avaient été invoquées lors
des élections législatives de novembre 2013.
Finalement, cinq candidats indépendants se sont présentés aux élections : Ibrahim
Moctar Sarr, député et président de l’Alliance pour la justice et la démocratie ; Lalla
Mariem mint Moulaye Idriss, Biram ould Dah ould Abeid, président de l’IRA, dont la
candidature a été finalement acceptée par le Conseil constitutionnel ; Ahmed Salem
ould Bouhoubeini, bâtonnier de l’ordre national des avocats de Mauritanie ; Boydiel
ould Humeid, leader du parti El Wiam ; et le président Aziz, chef de file du parti Union
pour la république. Dans sa campagne électorale, qui aurait reçu le soutien financier de
l’Algérie [Mondafrique du 5 juin], Aziz a répété ad nauseam les prétendus acquis de
son gouvernement depuis 2008, en particulier un taux de croissance de 6,7% dû à la
lutte contre la corruption et la gestion des ressources publiques, la maîtrise de
l’inflation, et les améliorations des infrastructures hospitalières. De plus, le taux de
chômage aurait été ramené de 31% à moins 10%, le pays aurait un excédent en énergie
qui lui permettrait de l’exporter vers les pays voisins. Enfin, des étapes importantes
auraient été franchies pour instaurer la sécurité dans l’ensemble du territoire,
l’éradication du terrorisme, la maîtrise des frontières et le renforcement des forces
armées. Aziz a promis de renforcer ces acquis, de rehausser l’image de la Mauritanie et
d’accorder priorité aux couches déshéritées, notamment les jeunes. Il a critiqué
directement les partis de l’opposition qui ont appelé au boycott des élections, affirmant
qu’il s’agissait « d’une vaine tentative de plonger le pays dans une situation non
constitutionnelle. » [Kassataya, NoorInfo du 16 juin]. On ne peut pas savoir à qui
pouvait s’adresser ce type de discours assez éloigné de la réalité sociale mauritanienne,
et qui est facilement démontable pour peu qu’on consulte les sites des nouvelles fiables
dans les réseaux sociaux. Il est donc probable que le président Aziz n’ait pas encore pris
la mesure des changements de taille qui caractérisent la situation politique dans le
monde entier, et aussi, même si cela peut sembler étonnant, en Mauritanie, qui s’est
connectée massivement sur Internet depuis environ une dizaine d’années. Depuis lors,
les hommes politiques ne peuvent plus mentir de manière ouverte, il faudrait que le
président et ses fonctionnaires prennent compte de cela.
4 Voir l’entretien qu’il a accordé à Mondafrique le 3 mai 2014 : http://www.noorinfo.com/Presidentielles-
mauritaniennes-la-braise-couve-sous-la-cendre_a13261.html
Mariella Villasante Cervello
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Mohamed ould Abdel Aziz se rend aux urnes [Xibaaru, Noorinfo]
Les résultats des élections du 21 juin reflètent la situation de démocratie de façade qui
caractérise la Mauritanie depuis 1992, date des premières élections présidentielles au
suffrage universel. Selon le président de la Commission électorale nationale
indépendante (CENI), Abdallahi ould Soueid Ahmed, Mohamed ould Abdel Aziz fut
crédité de 577 995 voix, soit 81,89% des suffrages valables ; et le taux de participation
fut de 56,46%, sur environ 1,3 millions d’électeurs en Mauritanie. Le second poste fut
occupé par Biram ould Dah ould Abeid, président de l’IRA, qui reçut 61 218 suffrages,
soit 8,67%. Bodiel ould Houmeid, du parti El-Wiam se classe troisième avec 31 773
suffrages, soit 4,50% des voix. Ibrahima Moctar Sall, représentant de la communauté
noire, a obtenu 31 368 suffrages, soit 4,44% des voix ; et la seule femme, Lalla Mariem
mint Moulay Idriss a obtenu 3 434 suffrages, soit 0,49% des voix.
Les discours de la campagne ont été plus radicaux que dans les années précédentes,
Aziz s’est attaqué aux partis de l’opposition, alors que le candidat des groupes serviles
s’en prenait au « système bidân », aux partis de l’opposition, aux hommes d’affaires et
autres riches personnages de la place. L’enjeu des élections était le taux de participation,
et il est vrai que les Mauritaniens ne se sont pas déplacés en masse pour voter dans un
scrutin surveillé par environ 700 observateurs, dont 200 étrangers, qui n’ont pas observé
d’anomalies [AFP, NoorInfo du 23 juin]. Cependant, des observateurs indépendants ont
signalé la mise en place d’une vaste fraude électorale ; ainsi le journaliste Mohamed
Mahmoud ould Bakar considère que cette élection replonge la Mauritanie dans les
« légalités croupissantes » gérées par l’armée, comme en Algérie, en Égypte et en
Libye. Les listes électorales utilisées dateraient de celles mises en place par les
militaires en 2006 pour gérer la « transition » ; la majorité des jeunes en âge de voter
n’a pas été enregistrée. En outre, la campagne de Mohamed ould Abdel Aziz a
instrumentalisé, comme il est habituel dans le pays, les institutions étatiques, les
notabilités tribales et religieuses, et les hommes d’affaires [El Emel El-Jedid, NoorInfo
du 9 juillet]. Il faut ajouter que la propagande des partis s’est accompagnée par les
représentations habituelles, depuis 1992, de concerts de musique bidân et noiremauritanienne, au grand bénéfice des artistes, des musiciens et du peuple qui profite
Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014
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pendant quelques jours des joies culturelles agrémentées, parfois, de banquets
d’autrefois. Du pain et du cirque pour le peuple, pour lui faire oublier le temps d’une
soirée les difficultés de la vie quotidienne, que ne connaissent pas les (petites) élites de
la Mauritanie.
Le président réélu a choisi, encore une fois, d’accorder son premier entretien à un média
étranger, en l’occurrence Jeune Afrique, ce qui a été remarqué et critiqué par la presse
nationale, dont le CRIDEM qui n’apprécie pas, à juste titre, les positions ambiguës de
cette revue qui accorde son intérêt plutôt à l’événementiel qu’aux problèmes de fond du
continent. Le 5 juillet, Mohamed ould Abdel Aziz déclarait, à Akjoujt, encore une fois
que grâce à lui « on a stoppé la menace jihâdiste du pays », ce véritable slogan de
campagne électorale est devenu un slogan qui prétend résumer son programme de
gouvernement. Le plus surprenant de cet entretien est que la journaliste Justine Spiegel
n’a posé aucune question sur les problèmes mauritaniens ; ainsi, ni le « passif
humanitaire », ni les mouvements sociaux, ni le programme du gouvernement du
président n’ont été évoqués. Elle s’est contentée de questions très générales, en
particulier sur les conflits dans les pays voisins (Mali, Centrafrique) et en Syrie, et le
président a apporté les réponses convenues habituelles [JA du 8 juillet5].
— Les positions de l’opposition : le gouvernement n’affronte pas les
graves problèmes du pays
Le 9 juillet, l’un des plus populaires chefs des partis d’opposition, Mohamed ould
Mouloud [Union des forces du progrès, UFP], a déclaré au journal Al-Akhbar que le
résultat de cette réélection était « assimilable à un nouveau coup d’État après celui de
2008 mené par ce même Ould Abdel Aziz ». L’opposant considère que ce dernier a
empêché la tenue d’élections transparentes, libres et consensuelles. En conséquence, le
large front des forces démocratiques, réuni autour du Forum national pour la
démocratie (FNDU), travaille sur une nouvelle stratégie qui cherchera un « changement
démocratique, authentique et pacifique ». Mohamed ould Mouloud considère également
que « le pays traverse une véritable impasse politique », alimenté par le gouvernement
lui-même, ce qui expose la Mauritanie à l’instabilité car l’impasse peut dégénérer et
aboutir à une situation non souhaitable ». Cela d’autant plus que « le pays connaît une
crise multiforme qui s’ajoute aux tensions ethniques. Ainsi, « on peut comparer la
situation à une marmite qui bouillonne et dont le couvercle peut sauter à tout instant ! ».
Plus précisément encore : « la Mauritanie est dans une situation telle que s’il n’y a pas
de vraies solutions aux problèmes confrontés, le risque sera l’effondrement du pays et
de l’État. »
Dans un autre entretien accordé le 16 octobre au Calame6, Mohamed ould Mouloud a
déclaré que le gouvernement refuse le dialogue avec le FNUD, et qu’il montre bien ne
pas être disposé à faire la moindre concession à l’opposition. Pourtant, d’après lui, un
changement est inéluctable ; « un changement brutal, violent, peut avoir un coût trop
lourd, et peut être suicidaire pour le pays… Au vu de ce qui se passe ailleurs en Afrique
et dans le monde, le plus souhaitable est sans doute un changement maîtrisé qui passe
par un dialogue véritable… ». Face au faux dilemme devant lequel le président Aziz
semble avoir placé le pays : « c’est moi ou le chaos », ould Mouloud considère que le
5 Voir : http://www.noorinfo.com/Mohamed-Ould-Abdelaziz-Nous-avons-elimine-la-menace-jihadiste-en-
Mauritanie_a13862.html
6 Voir : http://www.lecalame.info/?q=node/842.
Mariella Villasante Cervello
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vrai chaos, dans tous les domaines de l’administration, dérive directement de la
« gestion erratique et égocentrique » du président Aziz. Raison pour laquelle il avance
que la seule issue est « une large entente nationale patriotique pour sauver le pays ». Ce
dialogue devra être centré sur les graves problèmes du pays : la crise politique, les
menaces sécuritaires, la crise sociale, le «passif humanitaire, les contentieux
identitaires, les problèmes de l’esclavage et la corruption. Autant de questions ignorées
par le gouvernement actuel qui, d’après ould Mouloud, se livre plutôt à des jeux de
politique politicienne qui ne conduisent nulle part.
Mohamed ould Mouloud [Le Calame, CRIDEM]
Ces analyses reflètent la grande fracture existante entre la classe politique loyale au
pouvoir en place, qui compte avec le soutien indéfectible des forces armées, mais qui
reste aveugle et sourde face aux graves problèmes du pays, et de la classe politique,
réduite il est vrai, qui tente un changement en gérant de front ces problèmes. Cela étant
posé, il est aussi évident que la position du Forum national pour la démocratie (FNDU),
qui a succédé à la Coordination de l’opposition démocratique (COD) créée en 2013,
reste affaiblie au moins pour deux raisons. D’abord, parce que les forces politiques, de
n’importe quel mouvement, doivent participer aux élections si elles veulent introduire
leurs agendas et leurs revendications sur la scène nationale ; autrement elles restent
marginales et marginalisées, sans aucune base réelle ni au parlement, ni sur la place
publique. La non-participation du FNUD aux élections de juin 2014 fut donc, à mon sens,
une erreur politique qui a anéanti le rôle de contre-pouvoir qu’ils auraient pu jouer en
Mauritanie pour les cinq années à venir. Deuxièmement, toutes les tentatives déployées
par les partis d’opposition pour se rallier derrière un candidat aux élections
présidentielles se sont soldées par un échec, et c’est là que se situe probablement
l’impasse structurelle de ces formations depuis les années 1992, lors des premières
élections présidentielles au suffrage universel.
On aborde ici une question intéressante du point de vue de l’anthropologie politique qui
concerne le conflit entre le mode ancien du politique et celui qui peut être nommé
moderne suivant les nuances mauritaniennes. Dans le monde de jadis, encore présent
dans les zones rurales, les anciens avaient/ont la préséance dans les affaires politiques
des unités sociales. Mais dans le monde moderne, ce sont les jeunes éduqués qui sont
appréciés et choisis pour représenter les groupes sociaux. Or, l’opposition des hommes
politiques selon leur âge et leur éducation n’est pas encore bien réglée dans le cadre de
la politique régionale et nationale. Ainsi, des vétérans des partis politiques ont beaucoup
de mal à s’en éloigner pour laisser la place aux jeunes, comme dans certains pays
Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014
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développés, et les jeunes n’acceptent plus de rester aux marges. D’où une double source
de conflit, entre les jeunes et vis-à-vis des anciens, et entre les anciens, comme l’illustre
la rivalité constante entre Ahmed ould Daddah (candidat à la présidentielle de 1992 et
de 2007), et Messaoud ould Boulkheyr [chef historique du mouvement de libération des
groupes serviles El-Hor, ancien président de l’Assemblée nationale]. Bref, on peut
avancer que les partis de l’opposition devront apprendre à dépasser les « coutumes
d’autrefois » et les rivalités tout à fait actuelles s’ils veulent devenir un pôle politique
alternatif digne de ce nom en Mauritanie.
— Le parti islamiste Tawassoul, première force d’opposition légale
Lors des élections législatives et municipales de novembre 2013, le parti des islamistes
Rassemblement national pour la réforme et le développement, Tawassoul, dirigé par
Jemil ould Mansour, a remporté 16 sièges de députés et plusieurs mairies [Voir la
Chronique de décembre 2013]. Ce parti se place dans la mouvance des Frères
musulmans dirigés (dans l’ombre) par Mohamed El Hasen ould Dedew. En janvier
2014, le Dr Souivi ould Cheibani, l’un des dirigeants du parti islamiste a annoncé leur
décision de désigner un candidat unique de l’opposition pour l’élection présidentielle de
juin [NoorInfo du 19 janvier]. Le 23 avril, Jemil ould Mansour déclara sur les ondes de
RFI que la date du 21 juin, fixée pour l’élection, ne pouvait être maintenue car les
conditions n’étaient pas réunies, dont la garantie d’un gouvernement consensuel, la
neutralité de l’État et la mise en place d’une nouvelle CNI autonome. Or, le 5 mai, les 17
partis du FNDU, dont le Tawassoul, annonçaient leur non participation à l’élection, pour
les raisons déjà évoquées. Depuis lors, leurs actions sont quelque peu ambiguës, mais il
semble que le gouvernement et le seul parti islamiste légal du pays aient décidé de
collaborer dans un cadre bilatéral.
Le parti Tawassoul est mêlé de près aux trois faits divers qui ont eu lieu dans le pays en
janvier et en mars 2014, qui illustrent la dangereuse capacité de mobilisation des
islamistes, fussent-ils du Tawassoul, du réseau officiel des oulémas mauritaniens, ou du
réseau des conseillers du gouvernementaux. Dans tous les cas, et bien que mes
informations soient encore fragmentaires, il semblerait que le courant islamiste se
développe dans ses contours les plus obscurantistes et les plus radicaux en Mauritanie,
allant à l’encontre de l’antique tradition de religiosité pacifique, austère et tolérante des
sociétés bidân et noires devenues mauritaniennes en 1960. Les trois cas, comme on le
verra bientôt, reflètent aussi le raidissement d’une société au sein de laquelle les
propagandes islamistes ultra-conservatrices se présentent comme le dernier rempart
contre le changement et la modernisation sociale, présentés comme non-islamiques.
L’islam est ainsi instrumentalisé, ici comme ailleurs dans le monde, pour légitimer la
rigidité des mœurs, surtout des jeunes filles, et pour légitimer aussi le maintien des
hiérarchies statutaires qui distinguent les groupes sociaux mauritaniens selon leur
héritage filiatif, et/ou selon leurs alliances matrimoniales. Or, l’islam est un référent
moral et religieux, sans lien avec la construction des hiérarchies sociales.
— Le cas du jeune « forgeron » accusé d’« apostasie », janvier 2014
Depuis décembre 2013, la mouvance islamiste a commencé une campagne à l’encontre
de ceux qu’elle appelle les « apostats », c’est-à-dire leurs adversaires déclarés sur
Facebook. Selon les associations de défense des droits humains qui ont publié un
Mariella Villasante Cervello
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communiqué en janvier7, des « comités ad-hoc » se sont formés pour dénoncer des
jeunes, surtout des jeunes filles, auprès de leurs familles pour qu’elles leur interdisent
l’accès aux réseaux sociaux. Certains membres de ce qu’il faut bien désigner comme la
« police des mœurs » mauritanienne, sont allés dans les rédactions des journaux la veille
du Nouvel an pour annoncer que toute festivité serait l’objet de représailles. Shaykh
Ridha a lancé une fatwa « condamnant la montée de l’athéisme via Facebook et autres
réseaux sociaux » et exige que les parents protègent leurs enfants du « vice de
l’impiété ». Depuis plusieurs années déjà, les réseaux sociaux sont le centre d’échanges
entre les jeunes qui, comme ailleurs dans le monde, découvrent une nouvelle forme de
liberté d’expression et une source d’informations illimitée sur la marche du monde.
C’est contre cet état de faits, au demeurant impossible à arrêter, que s’insurgeaient les
« policiers des mœurs » ou nouveaux Inquisiteurs mauritaniens. Dans ce contexte, une
affaire fut montée en épingle et le jeune auteur d’un texte remettant en question la
légitimité islamique de la hiérarchie sociale, notamment des « castes de forgerons »,
deviendra une tête de Turc pour les islamistes et pour les officiels de l’islam. De toute
évidente, ce qui a le plus dérangé les élites religieuses et la quasi totalité de
Mauritaniens est que le jeune appartient à un groupe statutaire méprisé, qu’il ait
cependant une bonne formation en islam et en arabe classique, et qu’il se soit permis, si
l’on peut dire, de remettre en question un ordre social encore conçu comme
inchangeable. Biram ould Abeid, qui se présente comme « descendant d’anciens
esclaves », remet lui aussi en question la hiérarchie mauritanienne qui, d’après lui, n’est
pas islamique non plus. On y reviendra plus loin. Voici les faits.
En décembre 2013, Mohamed Cheikh ould Mohamed, dit Ould Mkheitir, ingénieur de
28 ans, publie un article en arabe dans lequel il revendique les droits à l’égalité de la
« caste des forgerons » de la société bidân [ma’allem]. Reprenant le modèle des lettrés,
l’auteur fonde son argumentation sur des études de savants islamiques qui font autorité,
et conclue en affirmant que l’attitude présumée sectaire du Prophète envers les Juifs
d’Arabie, ressemblerait à celle des zwâya [groupe religieux] vis-à-vis des forgerons.
Précisons que l’idée est largement répandue chez les Bidân que ces derniers auraient des
origines juives8 ; au demeurant, une idée sans aucun fondement. Les mêmes « castes »,
qu’il faut plutôt appeler « groupes de métier » existent dans les sociétés halpular’en,
soninké, wolof et mandé, ainsi que dans les sociétés d’anciens nomades du Sahara et
des agriculteurs du Sahel, divisés globalement en « groupes libres » et « groupes
serviles ». Cette hiérarchie est cependant très fluide et changeante et en aucun cas
rigide, comme l’ont laissé croire les auteurs coloniaux et les auteurs orientalistes9.
7 Il s’agit de l’Association des femmes chefs de famille, l’Association mauritanienne des droits de l’homme,
Conscience et résistance, et SOS esclaves. Voir : http://www.noorinfo.com/Inquisition-tabous-inegalitaires-etabandon-noxal-en-Mauritanie-c-en-est-assez-_a11882.html.
8 Voir Julio Caro Baroja, Estudios saharianos, Madrid (1955) 2008, et Mariella Villasante, « Ils travaillent pour
manger et ils mangent pour travailler ». Les artisans de la société bidân de Mauritanie », version française d’un article
publié en anglais en 2004 (in Customary Strangers : New Perspectives on peripatetic Peoples in the Middle East,
Africa and Asia, Joseph C. Berland and Aparna Rao eds., Praeger, Westport 2004 : 123-154). Consulter la page web
parue dans Adrar-Info (http://adrar-info.net/?p=25517) et CRIDEM http://cridem.org/C_Info.php?article=657721), en
juin 2014.
9 Voir Villasante (dir.), 2000, Groupes serviles au Sahara. Approche comparative à partir du cas des arabophones
de Mauritanie, Paris, CNRS-Éditions.
Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014
11
Mohamed Cheikh ould Mohamed [Noorinfo]
Au début, l’article de Ould Mkheitir passe inaperçu, mais le 2 janvier les islamistes
dénoncent le jeune pour « atteinte au Prophète et blasphème », le parquet de
Nouadhibou ordonne son arrestation en faisant référence à l’article 306 du Code pénal.
Celui-ci déclare que « tout musulman coupable du crime d’apostasie, soit par parole,
soit par action de façon patente ou évidente, sera invité à se repentir dans un délai de 3
jours. S’il ne se repent pas dans ce délai, il est condamné à mort en tant qu’apostat, et
ses biens seront confisqués au profit du trésor. » Visiblement terrorisée par ces faits, la
famille du jeune ingénieur le banni, les parents de son épouse la forcent à quitter le
domicile conjugale et l’emmènent à Guérou, le mariage devient caduc en raison du
« crime d’apostasie ». L’employeur du jeune le renvoie, ses collègues l’insultent et le
menacent, et Ould Mkheitir continue à défendre son innocence. Cependant, depuis son
incarcération, le 5 janvier, aucun procès n’a été ouvert à son encontre, autrement dit, le
jeune homme est en prison de manière totalement injuste et illégale. Cela malgré le fait
qu’il a écrit un second texte dans lequel il s’explique, précisant n’avoir jamais insulté le
Prophète, et défendant son innocence de bon musulman. Mais personne ne l’a entendu,
et les choses sont allées de mal en pire10.
Au début février, son avocat maître Mohameden ould Icheddou a déclaré que le parquet
est responsable du black-out total autour du repentir de son client. Le Juge d’instruction
aurait reconnu dans son rapport le dit repentir mais aurait ajouté que cela ne le
dispensait pas d’être traduit devant la Cour criminelle [ANI, Noorinfo du 3 février].
Les mouvances islamistes se sont servies de cette triste affaire pour agiter les
populations et montrer leur force de mobilisation. Les manifestations de Nouadhibou
furent très violentes, les manifestants exigeaient la mise à mort de Ould Mkheitir,
« conformément à la shâria ». D’autres marches tendues se sont tenues à Nouakchott,
les manifestants, encadrés par de meneurs, se sont dirigés vers le Palais du
gouvernement et le président Aziz les reçut en turban salafiste, comme lors de l’affaire
Biram d’avril 2012. Mohamed ould Abdel Aziz déclara :
« La Mauritanie n’est pas laïque et l’islam et le Prophète Mohamed, Paix et Salut sur Lui, sont audessus de tout. L’atteinte à la religion de l’État et du peuple n’est permise d’aucune manière qui
soit. (…) Chers citoyens, chers musulmans, je vous remercie de tout cœur pour votre présence
massive en ce lieu pour condamner le crime commis par un individu contre l’islam, la religion de
notre peuple, de notre pays, la République Islamique de Mauritanie. Comme j’ai eu à le préciser
par le passé et le réaffirme aujourd‘hui, la Mauritanie n‘est pas laïque. L’action que vous
entreprenez aujourd‘hui est le minimum à faire pour protester contre ce crime contre notre religion
10 Voir la seule source qui a fait traduire le premier texte en français : http://chezvlane.blogspot.com/2014/01/voici-
enfin-la-traduction-du-texte-du.html?view=sidebar ainsi que le second texte :
http://chezvlane.blogspot.com/2014/01/explosif-voici-le-2eme-texte-censure-du.html.
Mariella Villasante Cervello
12
sacrée et je vous assure en conséquence que le gouvernement et moi-même ne ménagerons aucun
effort pour protéger et défendre cette religion et ses symboles sacrés. Tout le monde doit
comprendre que ce pays est un État islamique et que la démocratie ne signifie pas l’atteinte aux
valeurs et symboles sacrés de la religion. Je souligne, une fois encore, que le président de la
République et le gouvernement vont prendre toutes les mesures pour protéger l’islam, que la
justice suivra son cours et que le concerné est actuellement entre les mains de celle-ci dans le
cadre de l’enquête. L’État s’acquittera de son devoir dans cette affaire comme vous vous êtes
acquittés du votre. Toutes les mesures appropriées seront prises dans ce sens. J’adresse un
message à tous et répète une fois encore que la démocratie n’autorise pas l’atteinte à la religion. »
[B’il a dit, Tribunes, NoorInfo du 6 mars]. [C’est moi qui souligne].
Mohamed ould Abdel Aziz lors de la manifestation contre Ould Mkheitir
(Actu Mauritanie, NoorInfo du 6 mars 2014)
Le président donna ainsi sa caution à la manifestation contre une personne qui était
condamnée par une foule islamiste, non représentative du peuple mauritanien, avant
même qu’elle ait eu droit à un procès en justice. Il est probable que cette caution ait
favorisé la décision d’un homme d’affaires de Nouadhibou d’offrir 4 millions
d’ouguiyas (10 000€) à quiconque tuerait le jeune homme accusé d’apostasie par des
oulémas et des islamistes ; or, cet homme d’affaires n’a pas été inquiété par les autorités
pour cette mise à prix parfaitement illégale et criminelle.
Pire encore, la présidente de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH),
Irabiha mint Abdel Wedoud, a émis un communiqué dans lequel elle affirme que les
écrits de Ould Mkheitir sont « blasphématoires, vexatoires et provocateurs », et
« hérétiques » et a demandé sa mise à mort pour apostasie. Un fait très grave qui en dit
long sur les manières de concevoir la justice au plus haut niveau de l’État mauritanien.
Car s’il est vrai que la République islamique de Mauritanie continue à maintenir la
peine de mort dans sa constitution, aucune condamnation n’a été exécutée depuis 1987.
Comment comprendre que l’instance censée défendre les droits humains demande la
mise à mort d’une personne qui n’a pas été jugée ? Est-ce que les idées extrémistes des
islamistes sont aujourd’hui partagées par les fonctionnaires étatiques ? Les réponses ne
sont pas encore claires. Ce qu’on peut dire c’est que cette accusation d’apostasie a
généré un vaste mouvement de repli et de peur qui s’est reflété par la réprobation
presque unanime de la publication du jeune Ould Mkheitir ; ainsi, la majorité des partis
politiques et des associations l’ont condamné en reprenant les mêmes termes des
Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014
13
islamistes. Cela alors même que ces derniers n’ont pas condamné, eux, les attentats
jihâdistes au Mali, dont la destruction de mosquées à Gao et de la bibliothèque de
Tombouctou, ni les profanations des tombes des saints, et qu’ils s’opposent à
l’intervention internationale qui a sauvé de milliers de Maliens. Dans ces conditions,
comme le soulignent les associations de défense des droits humains citées plus haut,
l’affaire Ould Mkheitir montre un déficit d’autorité de l’État et la montée en puissance
de l’obscurantisme islamiste, « vecteur désormais avéré de la gouvernance liberticide,
moralisatrice et sexiste. » Cette analyse a été illustrée en juin par la fatwa [avis
juridique] de mise à mort lancée par le chef du courant radical Ahbab Errasoul [les amis
du Prophète] contre la militante des droits humains Aminetou mint el-Mokhtar, qui
avait pris la défense du jeune Ould Mkheitir. Le texte de la fatwa est très violent et
énonce : « quiconque la tue ou lui arrache les deux yeux sera rétribué par allâh. »
[Lalibre, Noorinfo du 7 juin].
Au mois de mai, Ould Mkheitir serait passé devant un juge à Nouadhibou et il serait
retourné en prison ensuite, où il aurait commencé une grève de la faim. Finalement, le
25 décembre, le tribunal de Nouadhibou a condamné à mort Ould Mkheitir, son procès
avait été ouvert avec deux avocats commis d’office car maître Mohamedou ould
Icheddou, un avocat célèbre du pays, avait renoncé à le défendre en février 2014 suite à
des menaces de mort qu’il avait reçu pour lui même et pour sa famille [AFP, Mauriweb,
Noorinfo du 25 décembre]. On reste sans voix devant une décision de justice qui n’a pas
tenu compte de ses propres règles en matière d’accusation d’apostasie car le jeune
ingénieur s’est « repenti » et l’a fait savoir en écrivant ce texte d’éclaircissement :
« J’ai suivi ces derniers jours les différentes réactions suscitées par mon article « La religion, la
religiosité et les forgerons (maallemin) ». Lesquelles réactions qui me sont parvenues à travers des appels
téléphoniques chargés de haine et de menaces, étaient essentiellement excommunicatoires et racistes.
A l’origine de ces réactions se trouvent plusieurs facteurs dont :
L’analyse conspirationniste (sic) innée chez les zwâya et qui s’illustre par la judaïsation,
l’excommunication et la marginalisation de tout ce qui est forgeron (maalem), mais aussi par une exégèse
superficielle orientée principalement vers les intérêts de leurs âmes malades. Ce qui dans le passé avait
bien servi leurs desseins notamment par leurs affabulations attribuant au prophète (paix et salut d’Allah
sur lui) des hadiths dont il est totalement innocent comme celui qui dit « Aucun bien ne peut venir du
forgeron fut-il un érudit »
A tous mes frères,
Ceux qui osent inventer de faux hadiths et les attribuent au prophète (paix et salut d’Allah sur lui), aucune
morale ni religion ne peut l’empêcher d’interpréter à leur guise un article écrit par un simple jeune, novice
de surcroît. Ils ne ménageront aucun effort afin de mobiliser la passion du musulman commun au service
de leurs intérêts. C’est ainsi qu’ils ont prétendu que les forgerons ont Blasphémé à l’encontre du prophète
(paix et salut d’Allah sur lui) à travers un article écrit par un des leurs, tout comme ils avaient prétendu
que celui qui avait fait tomber les dents du prophète lors de la bataille du mont Ouhoud était un forgeron.
C’est dans ce cadre que je voudrais confirmer ici ce qui suit :
1. Je n’ai pas, consciemment ou inconsciemment, blasphémé à l’encontre du prophète (paix et salut
d’Allah sur lui) et je ne le ferai jamais. Je ne crois d’ailleurs pas qu’il y ait dans ce monde plus
respectueux envers lui (paix et salut d’Allah sur lui) que moi. [C’est moi qui souligne]
2. Tous les faits et récits que j’ai cité dans mon précédent article revêtent un caractère historique et
véridique. Ces récits ont naturellement leurs interprétations littérales et superficielles et leurs sens visés et
profonds.
3. C’est là le point crucial, qui a suscité une incompréhension de mon propos chez beaucoup de
personnes. Je voudrais que l’on y accorde une attention totale. Au contraire de ce que certains ont voulu
répandre m’attribuant l’intention de blasphémer à l’encontre du prophète (paix et salut d’Allah sur lui), Je
voudrais clarifier ici mon propos : les zwâya ont abusé de la dualité du sens obvie [sic] et du sens visé des
récits et histoires rapportés de l’époque de la religion afin d’en faire le socle d’un système servant leurs
intérêts à l’époque de la loi du plus fort (seyba). Ils ont fini par ériger le sens obvie en loi de la religiosité
Mariella Villasante Cervello
14
transmise à nos jours tout en taisant les sens visés par le prophète (paix et salut d’Allah sur lui)
Je dis donc à tous mes frères,
A tous ceux qui ont sciemment mal compris mon propos, vous savez bien que je n’ai pas blasphémé à
l’encontre du prophète (paix et salut d’Allah sur lui)
Aux bonnes personnes qui n’ont reçu que l’information déformée, je dis : Sachez que je n’ai pas
blasphémé à l’encontre du prophète (paix et salut d’Allah sur lui) et que je ne le ferai jamais. Je
comprends certes l’ampleur de votre propension à défendre le prophète car elle est identique à ma propre
propension à le défendre et à l’amour que je lui porte. Je vous assure que nous sommes tous égaux quant
à la défense de tout ce qui nous est sacré.
Mes frères forgerons
Il est nécessaire que nous sachions tous que nous faisons face à un vieux duel sans cesse renouvelé avec
ceux que l’on appelle les zwâya. Sachez que ceux-là ne ménageront aucun effort afin de nous faire reculer
autant que possible. Ils utiliseront pour cela tous les moyens légaux et illégaux. Nous devons donc rester
prudents et vigilants. Nous devons savoir que l’un des moyens qu’ils utilisent le plus souvent pour nous
dominer est celui qu’ils ont hérité de leurs anciens alliés et amis, les colons. Il s’agit de la politique du
« diviser pour régner ». Ceci doit donc nous conduire à bien comprendre leurs intentions et à rester unis
dans notre combat.
A tous mes frères opprimés,
Nous devons être totalement conscients du fait que le destin nous a conduits à être les citoyens de cette
terre. Nous devons par conséquent défendre notre droit à une citoyenneté pleine et à une vie descente. Ces
droits ne nous seront jamais donnés, ils ne seront obtenus que par nos combats dont l’unification et le
moyen le plus rapide pour accéder à nos droits.
Salutations
Mohamed Cheikh Ould Mohamed Mkheitir »
La menace islamiste est sérieuse en Mauritanie, il faudra en tenir compte de ce danger
désormais. Deuxièmement, il semble évident que les propos de Ould Mkheitir ont été
manipulés sciemment pour leur donner un maximum d’écho dans la population, car des
milliers de jeunes s’expriment librement sur tous les sujets sur Internet sans être
inquiétés.
De fait, Ould Mkheitir s’est borné à analyser une situation de fait (le mépris dans lequel
sont tenus les membres de la prétendue « caste de forgerons »), notamment par les
groupes religieux traditionnels (zwâya), pour expliciter qu’en islam il n’y a pas de
« castes », et demander le droit à l’égalité sociale dans une société hiérarchisée. Il s’agit
de la même revendication des groupes serviles. Cependant, les forces conservatrices du
pays semblent compter désormais avec le soutien des islamistes qui, dénaturant les faits,
ont transposé une revendication d’égalité républicaine, sans lien avec la religion, dans le
champ miné de l’islam radical dont ils prétendent être les seuls défenseurs/gardiens
légitimes. Le président Aziz semble dont jouer sur les deux tableaux, en se présentant
comme le véritable défenseur de l’islam, avec un discours populiste destiné aux foules
islamistes, et parallèlement en affirmant son autorité par le biais de la répression,
comme il le montrera en mars 2014.
— Le cas de la « profanation » de Corans, mars 2014
Le 2 mars, dans une mosquée du quartier populaire de Tayarett, dirigé par un iman du
parti Tawassoul, deux ou quatre exemplaires du Coran ont été retrouvés déchirés et
certaines feuilles étaient dans les toilettes. Le fait fut véhiculé par les médias et à l’aube,
une foule des quartiers populaires se dirigea vers le Palais du gouvernement, comme
cela s’était déjà produit lors de l’affaire Biram (avril 2012) et l’affaire Ould Mkhaitir
(janvier 2014).
Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014
15
Manifestation contre la profanation du Coran, Nouakchott, le 3 mars
[Bocar Balla©]
En ces occasions, on le notait avant, le président Aziz avait condamné publiquement ces
actes et avait promit des sévères châtiments pour les responsables. En revanche, en mars
dernier Aziz ne fit aucune déclaration publique, et minimisa l’affaire, envoyant les
forces de l’ordre réprimer la manifestation du 2 mars, au centre ville (Actu Mauritanie,
NoorInfo du 6 mars). Elle se poursuivit cependant le lendemain, et un jeune de 25 ans,
étudiant en lettres à l’Université de Nouakchott, fut tué par la répression brutale de la
police qui fit également un nombre indéterminé de blessés. D’autres manifestations ont
eu lieu à Kiffa et à Aiun-el-Atrouss, scandant des mots d’ordre clairs : « allahou
akbar ! », et « mort aux profanateurs criminels » [AFP, Actu Mauritanie du 3 mars].
Entretemps, l’imam fut arrêté, mais le parti Tawassoul ne condamna pas cet acte, ce qui
induisit le soupçon de sa complicité dans la profanation (dont le but serait l’agitation
populaire ?). Deux ministres lancèrent des appels au calme le lundi 3 mars, tout en
rappelant le grand intérêt que le président portait à l’acte de « profanation », mais qu’il
fallait « éviter d’instrumentaliser l’affaire » dans l’intérêt de l’islam et de la paix civile.
Comme le note le journaliste Abdelvetah Ould Mohamed, qui rapporte aussi le fait,
c’était donc un revirement de la position précédente du président vis-à-vis des actes
jugés contraires à l’islam11 [Biladi, NoorInfo du 6 mars12].
— Le cas de l’imam Mohamed Hasen ould Dedaw
Le 7 mars, le gouvernement ordonna la fermeture de centres caritatifs musulmans, en
particulier ceux dirigés par Mohamed El-Hacen ould Dedew, père spirituel des Frères
musulmans en Mauritanie, les accusant d’être sortis du cadre de leur mission.
L’organisation de ould Dedew, l’ONG al-Moustakbal, a dénoncé la mesure, rejetant
toute accusation comme sans fondement car elle « ne s’occupe que des prêches et de la
culture, pour former des générations sur les bonnes mœurs et sur la parole divine ». De
son côté, le ministre de la Communication, Sidi Mohamed ould Maham, a accusé
« certaines organisations politiques » d’avoir cherché à faire l’apologie de pratiques
inconnues dans notre société [Actu Mauritanie, NoorInfo du 7 mars]. Il faisait référence
au fait qu’on soupçonne la participation de disciples de ould Dedew dans les émeutes de
janvier et de mars.
11 Voir http://www.noorinfo.com/Profanation-du-Coran-le-revirement-du-president_a12480.html.
12 Voir http://www.noorinfo.com/B-il-a-dit_a12478.html.
Mariella Villasante Cervello
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Mohamed El-Hacen ould Dedew [Tribunes, Noorinfo du 21 février]
Or, le 8 mars, les autorités d’Arabie Saoudite ont mis les Frères musulmans dans la liste
de groupes terroristes, ce qui a conforté largement le mouvement de répression, assez
tiède il est vrai, déployé par le président Aziz contre les islamistes, en particulier les
Frères musulmans. Comme on le verra plus loin, le rapprochement entre la Mauritanie
et l’Arabie Saoudite, devenue l’un des grands financeurs de la Mauritanie, s’était déjà
affirmé en janvier, lorsque le conseil de ministres a attribué 31 000 hectares de terres de
la vallée (Bogué), à une compagnie saoudienne pour un investissement d’un milliard de
dollars. Ce qui a provoqué une grande campagne de défense des terres dirigée par Biram
ould Abeid, qui s’est soldée par son emprisonnement le 11 novembre.
Le 31 avril, ould Dedew a déclaré que son organisation est a-politique et qu’elle ne
reçoit pas des financements étrangers, et qu’il a engagé une démarche judiciaire pour
que le ministère revienne sur sa décision de fermeture de al-Moustakhal [ANI, NoorInfo
du 31 avril]. Mais qui est ce ould Dedew ? Je propose ici une synthèse d’un article écrit
par Mohamed ould Sid’Ahmed13. Il est né à Boutilimit en 1963, a fait sa première
formation avec un érudit reconnu, son oncle maternel Mohamed Salem ould Addoud,
puis recruté par l’Institut d’études islamiques de Nouakchott qui l’envoya étudier à
l’Université Ibn Saoud à Riyad. Ould Dedew entra alors en relation avec les Frères
musulmans saoudiens et jordaniens, qui l’envoyèrent comme conférencier dans le
monde, y compris aux Etats-Unis, pour recruter de nouveaux adeptes. De retour en
Mauritanie, il prit ses distances avec son oncle. En 1996, Ould Dedew s’insurge contre
la décision du président Ould Sid’Ahmed Taya d’établir des relations diplomatiques
avec Israël, ce qui lui valu la prison et la popularité en tant qu’imam politisé. Il devient
rapidement le chef spirituel des islamistes, et travaille de près avec Jemil ould Mansour,
le dirigeant du parti Tawassoul, tout en le mettant en avant et préférant rester dans
l’ombre. Ould Mansour et son collègue Mohamed ould Ghoulam assument la face
publique des islamistes, mais n’étant ni érudits, ni imams, ils offrent leur allégeance à
Dedew. Après la chute de Taya en 2005, il revient au pays avec une grosse fortune,
13 Voir http://www.noorinfo.com/Ce-que-vous-ne-savez-pas-sur-Ould-Dedew-Les-risques-du-nouveau-
metier_a12270.html, vendredi 21 février [Tribunes, NoorInfo].
Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014
17
mais s’éloigne des Saoudiens pour se rapprocher de leurs rivaux du Qatar, qui lui
offrent la nationalité qatarie et lui laissent la parole sur al-Jazeera. Les régimes qui ont
suivi la chute de Taya ne le dérangent point. Il demande la légalisation du parti
Tawassoul et l’adoption du week-end musulman au président Sidi ould Cheikh
Abdellahi. Puis il tente de faire créer le poste de mufti national par le président Aziz,
sans succès. Enfin, de manière progressive, ould Dedew montre son véritable visage. Il
prône des idées étrangères aux traditions religieuses du pays, se montrant favorable à la
représentation des compagnons du Prophète et des califes au cinéma et à la télévision, et
affiche ses gouts pour la musique, allant jusqu’à organiser un festival de musique
religieuse en 2011. Il devient très populaire chez les jeunes mais très critiqué par les
érudits traditionnels. Des oulémas très respectés comme Hamden ould Tah et Ethmane
ould Abou El-Maali l’accusent d’ignorer la religion et de prôner le chaos. Il est vrai que
ould Dedew encourage la désobéissance aux autorités dans ses prêches avant de faire
marche arrière. Il commence à être accusé de ne pas dire la vérité par ses propres
cousins religieux des Messouma, mais aussi par les Lemtouna, les Tajakânt et les
Ideyboussat. Son train de vie de nouveau riche (belles voitures et maisons, richesse
immobilière) et ses mariages multiples avec des jeunes filles, sont aussi remarqués et
critiqués. De toute évidence, ould Dedew préfère les plaisirs de la vie et ne le cache pas.
En 2011, ould Dedew comprend que sa seule place dans le monde de l’islamisme
international est la Mauritanie. Il ouvre des orphelinats, des écoles et des postes de
santé, mais il se rapproche surtout des puissants et cherche des nouveaux prédicateurs
pour son centre d’Arafat. Il devient conseiller en finances islamiques du richissime
banquier ould Noueighed, qui avait été accusé de détournement des fonds de la Banque
centrale. Mieux encore, il s’est construit une réputation de saint homme et de
guérisseur, tout en continuant à voyager pour récolter des fonds au Golfe, et en offrant
des conférences sur tous les sujets. En somme, comme le dit ould Sid’Ahmed, il était
devenu une star. Or, le jeudi 13 février, le cheikh adulé reçut un coup de poing sur le
visage, fait inédit en Mauritanie, mais qui s’explique par le fait qu’il avait cessé de se
comporter en homme de religion.
En effet, après le décès d’un homme des Awlâd Dayman, ould Dedew arriva à la
mosquée où devait se tenir la prière avant l’enterrement. Mais lorsqu’il tente de diriger
la prière, en sa condition d’ouléma célèbre, un ancien ami et collaborateur, qui dirigeait
son site web, déclare qu’il faut lui interdire un tel honneur car il est « menteur et
rancunier ». Voyant que sa demande n’était pas écoutée, il sortit de la mosquée, et
lorsque son ancien ami en fit de même il le frappa au visage. Suite à cette affaire, les
médias ont joué à nouveau un rôle lamentable, mettant de l’huile sur le feu de manière
éhontée, comme ils l’avaient déjà fait depuis le début de l’année avec l’affaire du jeune
accusé d’apostasie. L’agresseur fut présenté comme un criminel, et on loua la position
de ould Dedew qui refusa de porter plainte et pardonna à son ex ami. Or, le même
personnage religieux avait demandé la mise à mort du jeune Ould Mkhaitir pour avoir
insulté le Prophète… Cette affaire a provoqué des débats passionnés dans le pays,
cependant depuis les élections les islamistes gardent un profil bas.
— Le jour d’indépendance nationale et les exécutions d’Inal
Le 28 novembre, on a commémoré la 54e année de l’indépendance mauritanienne qui
soulève, comme chaque année depuis 1991, deux mémoires conflictuelles qui ravivent
les tensions entre les communautés bidân et noires. En effet, alors que normalement le
jour de la fête nationale est célébré partout, les militaires du régime de Ould Sid’Ahmed
Taya ont choisi les 27 et le 28 novembre 1991 pour exécuter 28 militaires noirs accusés
Mariella Villasante Cervello
18
de complot contre l’État. Comme d’habitude, les médias publics ne tiennent pas compte
de cette réalité douloureuse et se bornent à diffuser des chants et des inaugurations
officielles. D’autres médias ont rappelé cependant que, encore une fois, aucune
référence n’a été faite à l’histoire du pays entre 1978 et 2008, ce qui exprime clairement
la volonté du régime de faire tomber dans l’oubli 36 ans de vie républicaine régie par
les dictatures militaires de Moustapha ould Mohamed Saleck, de Haidalla, et surtout de
ould Sid’Ahmed Taya. Mais aussi le gouvernement de transition du général Ely ould
Mohamed Vall, et la présidence de Sidi ould Cheikh Abdellahi qui ne sont pas
mentionnés non plus. Tout se passe en effet comme si l’histoire du pays se résumait au
gouvernement de Mokhtar ould Daddah (1960-1978), et au régime inauguré par
Mohamed ould Abdel Aziz avec son coup d’État de 2008. Or, les associations de
défense des droits de la communauté noire se préparait, encore une fois, à porter le deuil
tout en regrettant ne pas pouvoir faire le pèlerinage à la prison d’Inal, près de
Nouadhibou, où les 28 militaires furent exécutés car le président de l’IRA, Biram ould
Abeid, se trouve en prison à Rosso [Cheikh Aïdara, L’Authentic, NoorInfo du 27
novembre].
Les exécutions d’Inal sont occultées par les gouvernements mauritaniens de telle sorte
que les jeunes grandissent dans le silence et ne connaissent pas les faits, ou alors ils
répètent les justifications inventées de toutes pièces par les officiels des régimes
militaires. C’est ce qui ressort du récit de Mamadou Lemine Kane14, qui était invité au
Lycée français de Nouakchott en 2013 pour présenter son dernier recueil de poèmes,
« Les musulmans d’Inal ». Après la présentation, un jeune élève de 17 ans avait
déclaré : « Ils ont eu ce qu’ils méritaient », expliquant ensuite que les militaires noirs
avaient été exécutés parce qu’ils « ont voulu faire un coup d’État… Et puis les
Sénégalais nous faisaient la guerre ». Comme le remarque Kane, le jeune reprenait le
discours fabriqué par les élites au pouvoir ; un refus de mémoire qui ne peut pas
conduire à une réconciliation nationale. Il ne peut pas avoir réconciliation et justice sans
vérité, or l’impunité et l’oubli ont été légalisés, comme on le sait, par la Loi d’amnistie
du 14 juin 1993, qui dans son article 1 dispose :
« Amnistie pleine et entière est accordée aux membres des forces armées et de sécurité auteurs
d’infractions commises entre le 1er janvier 1989 et le 18 avril 1992 et relatives aux événements qui
se sont déroulés au sein de ces forces et ayant engendré des actions armées et des actes de
violence. »
Les militaires exécutés à Inal les 27-28 novembre 1991 [NoorInfo]
14 Voir le texte de Kane : http://www.mozaikrim.com/2014/11/28-novembre-inal-la-face-sanglante-de-l-
independance-mauritanienne.html
Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014
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Mahamadou Sy, rescapé des exécutions, a publié le livre « L’enfer d’Inal », dans lequel
il témoigne des faits de violence commis par les bourreaux :
« Entre deux pendaisons, Khattra s’assoit sur un cadavre pour siroter son verre de thé ou au pied
d’un pendu en récitant le coran. Il va d’un pendu à l’autre, achevant ceux qui tardent à mourir à
coups de barre de fer, s’appliquant à porter les coups dans la région du cou. Pendant ce temps,
Souleymane et les autres préparent les prochaines victimes tout en veillant à respecter l’ordre des
numéros. (…) Les pendaisons durent plus d’une heure. Après cela, tel des bêtes excitées par
l’odeur du sang, le groupe de bourreaux, pris d’une euphorie collective, s’acharne sur les autres
prisonniers et tape sur tout ce qui bouge. » [Cité par Kane]
La violence déchaînée par les bourreaux en Mauritanie est semblable à celle observée
dans tous les cas de massacres de masse dans le monde [Jacques Sémélin, Purifier et
détruire, 1995]. Cela étant posé, il faut encore pouvoir expliquer, à partir de la
recherche fondamentale, que ces faits de violence extrême font partie de la condition
humaine et ont une rationalité interne, même si cela semble étrange et impensable15.
Mais ce qu’il faut retenir de la situation mauritanienne est que les répressions massives
contre les Noirs, dont les exécutions des militaires à Inal constituent un cas
paradigmatique, ont été organisées au plus haut niveau de l’État, et que ce qu’on appelle
le « dossier humanitaire », qui inclut les massacres de civils, les expulsions massives et
les expropriations de terres de la vallée du fleuve, a été ouvert pour la première fois par
le président Sidi ould Cheikh Abdellahi en 2007. Il avait proposé un programme en cinq
points : le devoir de mémoire, le devoir de vérité, le devoir de justice, le devoir de
réparation et l’exigence de réconciliation ; c’est-à-dire un programme adopté par les
commissions de vérité et réconciliation dans le monde, qui suivent le modèle sudafricain. Mais ils ne furent pas adoptés durant les journées de concertation nationale.
Dans un premier temps, le président Aziz a voulu faire croire qu’il allait reprendre le
« dossier humanitaire » en main, il a reçu les proches des victimes et a visité la vallée,
reconnaissant le tort causé par l’État à la communauté noire, et annonçant la fin
définitive du dossier avec la prière de Kaédi et l’institution de la Journée de la
réconciliation le 25 mars. Pourtant, en réalité ce n’étaient que des mesures de façade qui
n’ont rien résolu rien car la Loi d’amnistie de 1993 n’a pas été révoquée et en
conséquence aucun responsable des massacres, des exécutions et des violations des
droits humains des communautés noires et mauritaniennes en général n’a été traduit en
justice. C’est autour de cette question que s’organisent les dénonciations des
associations des victimes de la répression militaire des années 1987-199216.
— Les marches pour la défense des droits des Noirs mauritaniens
Au cours de l’année, les communautés noires ont été la cible de discriminations qui ont
alimenté le climat de tensions enregistrées autour de la fête nationale, et qui continue
jusqu’à présent. En effet, le 25 avril, une centaine d’ex-refugiés mauritaniens rapatriés
du Sénégal ont entrepris une longue marche de Bogué (Gorgol), vers Nouakchott. Ils
voulaient protester contre les conditions extrêmement précaires d’accueil et
d’hébergement de près de 25 000 personnes rapatriées entre le 28 janvier 2008 et le 31
mars 2012. Un rapatriement qui fut effectué dans le cadre de l’accord tripartite signé le
15 Je travaille depuis quelques années sur cette question de la violence politique extrême à partir d’une perspective
comparative entre le cas mauritanien et le cas du Pérou (d’où je suis originaire), qui a subi une guerre civile entre
1980 et 2000.
16 Voir les déclarations des associations de victimes de la répression militaire :
http://www.lecalame.info/?q=node/1094. Voir aussi : http://www.noorinfo.com/Commemoration-du-54emeanniversaire-de-l-independance-Deux-celebrations-et-36-annees-occultees_a14852.html
Mariella Villasante Cervello
20
12 novembre 2007 entre les gouvernements de Mauritanie, du Sénégal, et le Haut
Commissariat des Nations Unies aux Réfugiés (HCR). Le président de l’Association des
rapatriés mauritaniens du Sénégal (AMRS), N’Diaye Ibrahima, a déclaré : « Nous vivons
sous des hangars, exposés aux intempéries, sans eau, sans électricité, sans école, sans
structure sanitaires. Les autorités n’ont pas tenu leurs nombreuses promesses. » Cette
manifestation a reçu le soutien de plusieurs partis politiques et associations civiles
[FinancialAfrik, NoorInfo du 4 mai]. La marche pacifique a été violemment dispersée
par les forces de l’ordre à Nouakchott17.
Le 7 mai, des étudiants noirs résidant à Paris ont fait une marche de protestation en
soutien à la marche des ex-déportés et ont voulu prendre l’ambassade d’assaut. Ils ont
dénoncé également « l’enrôlement discriminatoire [dans les listes électorales] à l’égard
de la communauté negro-mauritanienne » [Afrik, NoorInfo du 7 mai]. Toujours à Paris,
une centaine de manifestants ont répondu à l’appel de l’Organisation des travailleurs
mauritaniens de France (OTMF) pour protester contre l’enrôlement discriminatoire et
contre le régime du président Aziz en général [Actu Mauritanie, 1er juin].
— L’arabisation des forces armées : une autre mesure discriminatoire
Enfin, le 20 août, al-Akhbar annonce que les Forces armées ont décidé d’arabiser leur
administration, c’est-à-dire que toutes les correspondances entre les états-majors et entre
les unités se feront en langue arabe ; à l’exception des correspondances internationales
qui pourront se faire en d’autres langues. Cette mesure confirme la politique
d’arabisation choisi par le gouvernement, qui coexiste de manière ambivalente avec la
pratique ordinaire de la langue française. L’arabisation va à l’encontre des demandes
explicites des communautés noires du pays qui se sont mobilisées contre celle-ci depuis
les grandes grèves de 1966 [Al-Akhbar, NoorInfo du 20 août].
La langue française occupe donc désormais un statut ambigu qui reflète le désordre qui
gouverne les politiques gouvernementales aussi bien en matière d’éducation, qu’en
relations avec toutes les communautés linguistiques du pays depuis 1966. Or, le pays est
arrivé à une situation insensée où la langue française est la seconde langue de travail
public et privé, utilisée dans les documents d’identité et les billets de banque et elle a
été retirée de la Constitution de 1991. Celle-ci considère que la langue officielle est
l’arabe, et les langues nationales sont l’arabe, le poular, le soninké et le wolof. Or, cet
état de choses quelque peu schizophrène n’a pas soulevé la moindre demande de
réforme chez les hommes politiques. Les débats politiques et les médias utilisent la
langue française. Je dois ajouter que les études en sciences se font toujours en français à
l’Université de Nouakchott, alors que les sciences humaines et sociales ont été arabisées
de manière autoritaire, refusant le fait incontestable que l’essentiel de la littérature dans
ces domaines se produit en français. L’Algérie et le Maroc ont fait des choix similaires,
essayant d’éradiquer le français des programmes scolaires, avec des résultats
désastreux.
— Le nouveau gouvernement et les forces armées
Le 28 août un nouveau gouvernement a été nommé, le Premier ministre Moulaye ould
Mohamed Laghdaf, reconduit quatre fois par le président Aziz depuis 2009, a été
apparemment prié de partir. Et Yahya ould Hademine, ministre des Transports et des
17 Voir : http://www.noorinfo.com/Mauritanie-une-enquete-sur-la-repression-contre-une-marche-d-ex-
refugies_a13867.html
Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014
21
infrastructures, l’a remplacé dans ce poste qui n’occupe pas, cependant, une place
d’importance dans un gouvernement éminemment présidentiel. Cependant, sa
réputation d’homme autoritaire n’est pas très rassurante. Ould Hademine était ancien
ingénieur de la Société nationale industrielle et minière, la puissante SNIM ; et il est
membre du bureau exécutif du parti au pouvoir, l’UPR. Il est donc un homme de
confiance du président.
Les principaux ministres du gouvernement, de 27 membres, n’ont pas changé. La
Justice est gérée par Sidi ould Zeine, l’Économie par Sidi ould Tah, l’Environnement
par Amedi camara, l’Intérieur et la décentralisation par Mohamed ould Ahmed Raare ;
les Finances par Thiam Djombar, et l’Education nationale par Bâ Ousmane. On compte
neuf nouveaux ministres. Sidi ould Salem, ex-directeur de campagne présidentielle,
physicien et ancien cadre du Rassemblement des forces démocratiques (RFD), a été
nommé ministre à l’Enseignement supérieur et la recherche. Le ministre de Transports
est désormais Isselkou ould Ahmed Izid Bih, ancien président du parti au pouvoir,
l’UPR. Hindou mint Ainina, première rédactrice en chef du journal indépendant Le
Calame, et conseillère à la communication du Premier ministre sortant, a été nommé
ministre déléguée chargée des Affaires maghrébines, africaines et des Mauritaniens à
l’étranger. La nomination du nouveau ministre de la Défense, Diallo Mamadou Bathia,
ancien administrateur du gouvernement de Ould Sid’Ahmed Taya, qui faisait partie du
cabinet de Mohamed Laghdaf, semble une nouveauté car aucun Noir n’avait été nommé
à ce poste depuis 1975. Cependant, en Mauritanie ce ministère est subordonné au chef
d’état-major des armées, le général Mohamed ould Ghazouani, ce qui lui enlève toute
capacité de décision [Rmibiladi, NoorInfo des 28 août et Jeune Afrique, 26 novembre].
Yahya ould Hademine, Premier ministre mauritanien [AFP]
Le général Mohamed ould Ghazouani, chef des armées mauritaniennes est le numéro
deux du régime depuis 2009, et a participé au gouvernement depuis la chute de ould
Sid’Ahmed Taya en 2005. Il s’agit d’un homme de confiance du président Aziz, qui l’a
aidé à préparer le coup d’État contre Sidi Mohamed ould Cheikh Abdellahi le 6 août
2008. La décision d’arabisation de l’administration des forces armées a terni cependant
sa réputation et l’a rendu vulnérable sur la scène internationale, notamment vis-à-vis de
la France, qui a augmenté son aide militaire et qui affirme sa présence dans le pays dans
le cadre de la lutte anti-terroriste (Rmibiladi, NoorInfo du 28 août].
Mariella Villasante Cervello
22
Le général Mohamed ould Ghazouani et le président Aziz [NoorInfo du 28 août]
Au mois d’octobre, des changements dans la hiérarchie des forces armées ont confirmé
la tendance à réduire le contingent de Noirs dans ses rangs. Le 19 octobre, l’association
Touche pas à ma nationalité (TPMN) a dénoncé ce qu’elle appelle « la dénégrification de
l’armée18 », protestant en particulier contre la nomination du général Mohamed ould
Meguett à la direction de la Sûreté nationale. Selon TPMN, cet officier est cité dans tous
les rapports et les témoignages des rescapés comme responsable direct des violences à
l’encontre des Noirs, en conséquence sa nomination est « une insulte à la mémoire des
victimes des années de braise et à l’intelligence de tous les mauritaniens par la
promotion de présumés criminels. » De nos jours, les quelques officiers et soldats qui
ont échappé aux massacres de plus de 500 militaires dans les camps d’Azlatt, de Jreida,
d’Inal et de Oualata au début des années 1990, sont à la retraite, et les jeunes Noirs ne
sont pas recrutés dans les écoles militaires.
Relations internationales
Les relations internationales de la Mauritanie restent organisées autour de la lutte contre
le terrorisme d’une part, et la lutte contre la migration illégale d’autre part. Au niveau
régional, l’année a été marquée par la réactivation du dossier du Sahara occidental,
impliquant le Maroc, l’Algérie, la République arabe Sahraouie démocratique (RASD) et
l’ONU.
— La lutte contre le terrorisme : cheval de bataille du président Aziz
Le 18 mai, une centaine d’experts du Groupe du Sahel, dit G5 (Burkina Faso, Mali,
Mauritanie, Niger et Tchad), s’est réuni à Nouakchott pour discuter du thème « Gestion
des frontières et partage d’expériences ». Rappelons que le G5 a été créée à l’initiative
du président mauritanien le 16 février 2014. La réunion comptait avec le soutien de la
France, de l’UE, et de l’Organisation internationale des migrations (OIM). Les enjeux
sécuritaires de la région saharo-sahélienne ne concerne pas seulement le terrorisme
18 Voir : http://www.noorinfo.com/TPMN-Le-processus-de-denegrification-de-la-Mauritanie-par-les-autorites-
actuelles-se-confirme-Bir-Moghrein-serait_a6893.html
Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014
23
islamiste mais aussi les trafics en armes et l’immigration illégale, d’où l’importance de
la rencontre19.
La coopération sécuritaire a été renforcée au mois de juin, lorsque des hauts
responsables français et nord-américains ont effectué des visites en Mauritanie. Le 25
juin, le chef d’état-major du commandement américain en Afrique (AFRICOM), le
major général Michael Kingsley, a rencontré le ministre mauritanien de la Défense,
Ahmedou ould Idey ould Mohamed Radhi, et le chef d’état-major de l’armée
mauritanienne, le général Mohamed ould Cheikh Mohamed Ahmed. Il faut souligner
que, pour la première fois, les Etats-Unis ont fait don de deux appareils militaires
(Cessna C-208B), équipés de caméras de reconnaissance avancée pour effectuer des
surveillances maritimes et des opérations contre le trafic de la région. Notons que des
manœuvres militaires conjointes (nommées FLINTOCK) ont été effectuées pendant deux
semaines en février, impliquant quelque mille soldats américains, en collaboration avec
des militaires du G5 et des pays européens et arabes20.
Le président français, François Hollande a effectué une visite de trois jours, à la mijuillet, dans les pays du G5, et il a inauguré l’installation du commandement de
l’Opération Barkhane à N’Djamena [Saharamedias, NoorInfo du 21 juillet]. Le 1er août,
le ministère français de la Défense a publié la carte de son nouveau dispositif militaire
au Sahel, l’Opération Barkhane (qui succède à l’Opération Serval lancée en janvier
2013), qui concerne les pays du G5. On a appris que huit « bases d’appui » permanentes
étaient ouvertes à Gao et à N’Djamena, et six autres dites « plateformes relais », ont été
installées à Atar, au nord de la Mauritanie. La présence militaire française existe depuis
plusieurs années en Mauritanie, mais c’est la première fois qu’elle est rendue officielle.
Aucun autre détail n’a été révélé, l’on sait seulement que l’Opération Barkhane mobilise
3000 militaires, une vingtaine d’hélicoptères, 200 véhicules logistiques, 200 blindés, 6
avions de chasse et une dizaine d’avions de transport. L’Opération est commandée par
un général depuis un poste à N’Djamena [Mauriweb, Nooinfo du 12 août].
François Hollande et le ministre de Défense Le Drien à N’Djamena
[Saharamedias, NoorInfo du 21 juillet 2014]
19 Voir : http://www.noorinfo.com/LES-EXPERTS-DES-PAYS-DU-GROUPE-DU-SAHEL-G5-SE-REUNISSENTEN-MAURITANIE_a13429.html
20 Voir : http://www.noorinfo.com/Renforcement-de-la-cooperation-securitaire-entre-la-Mauritanie-et-les-Etats-
Unis_a13810.html
Mariella Villasante Cervello
24
Le 14 juillet il y a eu un attentat suicide contre une base française d’Al-Moustarat, au
nord du Mali, trois plus tard, le groupe El-Mourabitoune, issu du MUJAO de Mokhtar
Berlmokhtar, a revendiqué l’acte terroriste. La présidence française annonçait la mort,
le 14 juillet, d’un neuvième militaire au cours d’une opération de reconnaissance dans le
nord malien [Alakhbar, NoorInfo du 17 juillet].
Actuellement on dénombre cinq groupes terroristes au Sahel, associés de près aux
trafics criminels : Ansar Dine, formé par des Touareg anciens combattants dans les
rangs du MNLA et commandés par Iyad Ag Ghali (Mali), le Mouvement pour l’unicité et
le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO, Mali), d’où est issu le nouveau groupe AlMourabitoun [les almoravides], Ansar al-Charia (Tunisie). Le groupe le plus important
est toujours Al-qaeda au Maghreb islamique (AQMI), issu du Groupe salafiste pour la
prédication et le combat (GSPC), et qui étend ses activités criminelles en Algérie, au
Maroc, en Mauritanie et au Mali. À ces groupes on doit ajouter le terrifiant Boko Haram
du Nigeria. Précisons encore que les Touareg du Mali sont organisés autour du
Mouvement de libération de l’Azawad (MNLA), alors que les membres de la société
bidân et hassanophone du Mali, ont créé le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA)21.
Il n’existe pas des liens directs entre ces bandes qui mettent à profit la faiblesse ou
l’inexistence d’administration étatique dans les régions saharo-saheliennes. Cependant,
elles agissent parfois en partenariat et l’on peut prévoir que, comme ailleurs dans le
monde, certaines parmi elles, notamment AQMI, pourrait revendiquer des liens avec
l’organisation État islamique de l’Irak et de l’Orient (dawla al-islamiyya fi-l-iraq wa
sham, DAESH). Une organisation islamiste d’extrême violence qui est en train de gagner
des milliers d’adeptes en puisant dans les mêmes rangs de Al-Qaeda, qui a beaucoup
perdu de sa force initiale.
— Les activités terroristes en Mauritanie
Le 12 octobre, les forces de sécurité mauritaniennes ont arrêté quatre jeunes hommes à
Zouérate, ville minière du nord du pays, accusés d’avoir adopté l’idéologie salafiste,
d’avoir pris contact avec les jihâdistes de l’État islamique et d’avoir cherché à recruter
des combattants pour leur compte. Les hommes arrêtés avaient lancé une attaque très
violente dans une mosquée critiquant la politique anti-terroriste de l’État mauritanien et
manifestant leur opposition à une alliance avec la coalition internationale qui s’oppose à
cette organisation. Ils ont été envoyés à Nouakchott, l’un parmi eux avait déjà été arrêté
pour terrorisme. Le choix de la ville de Zouérate n’est pas fortuit car elle vit de divers
trafics d’essence, de produits alimentaires et d’armes, ce qui en fait une excellente zone
pour l’infiltration de l’idéologie islamiste22. Cela étant, le discours extrémiste islamiste
est répandu ailleurs, notamment dans l’est du pays et à Nouakchott.
Notons aussi que l’un des jihâdistes français qui a participé à la mise à mort de l’otage
nord-américain Peter Kassig, et de 18 soldats syriens, sauvagement exécutés le 16
novembre, a séjourné en Mauritanie en 2012. Il pourrait s’agir de Mawime Houchar, né
en 1993, selon le ministre de l’Intérieur français, Bernard Cazeneuve [SaharaMedias,
NoorInfo du 17 novembre].
21 Pour plus de détails voir la Chronique politique de Mauritanie de juin et de décembre 2013, voir aussi un article du
18 juillet de La Croix : http://www.noorinfo.com/Comprendre-la-galaxie-terroriste-dans-le-Sahel_a13940.html
22 Voir http://www.noorinfo.com/Demantelement-d-une-cellule-de-l-EIIL-en-Mauritanie_a14605.html
Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014
25
Les trois auteurs de l’attentat d’Aleg, 2007
[AFP, NoorInfo du 20 novembre]
Enfin, le 20 novembre la Cour d’appel de Nouakchott a confirmé la sentence à la peine
de mort contre deux auteurs de l’assassinat de quatre touristes français le 24 décembre
2007, sur la Route de l’Espoir, près de la ville d’Aleg. Il s’agit de Sidi ould Sidna (29
ans) et de Mohamed ould Chabarnou (36 ans), qui avaient été jugés et condamnés en
2010. Un troisième terroriste, appartenant lui aussi à AQMI, avait été aussi condamné,
Maarouf ould Haiba (35 ans), mais il est décédé en prison, dans des circonstances non
éclaircies, le 12 mai 2014 [AFP, NoorInfo du 20 novembre].
Les deux condamnés avaient été transférés à Nouakchott le 3 juillet, lorsque le
gouvernement avait décidé de fermer la sinistre prison de Salah Eddine, située au nord
du pays, près de la frontière algérienne. Trois autres détenus ont été aussi transférés, il
s’agit de Mohamed Abdellahi ould Hmednah, auteur du meurtre d’un citoyen nordaméricain au Ksar de Nouakchott en 2009, également condamné à mort ; Taki ould
Youssouf, condamné à 15 ans de prison pour actions terroristes, et Mohamed Khaled,
dont on ne connaît pas les charges. Le 5 juillet, la prison a été définitivement fermée et
un autre condamné à mort, Khadim ould Semane, meurtrier d’un officier de police, fut
aussi transféré à Nouakchott [Kassataya, Saharamedias du 3 et du 5 juillet]. Rappelons
cependant qu’aucun condamné à la peine capitale n’a été exécuté en Mauritanie depuis
1987.
Enfin, le 14 mai, la Cour pénale de Nouakchott a condamné à dix ans de travaux forcés
un gendarme reconnu coupable d’avoir espionné pour le compte d’al-Qaeda. Il s’agit de
Abdellahi ould Mohamed Ghailani, gardien de la prison de Salah Edine, qui facilitait les
communications entre les détenus salafistes et leurs alliés extérieurs. C’est la première
fois qu’un membre des forces de sécurité mauritaniennes est reconnu coupable de liens
avec une organisation terroriste telle AQMI. Les salafistes sont plutôt recrutés chez les
jeunes ; ainsi par exemple, à Aioun-el-Atrous, capitale du Hodh el-Gharbi, dans l’est
mauritanien [sharg], quatre étudiants de l’Université des sciences islamiques ont été
arrêtés en janvier et ont été condamnés à cinq ans de prison et à une amende de 5
millions d’ouguiyas pour avoir tenté de créer des cellules de recrutement de jeunes qui
devaient être envoyés rejoindre les rangs de AQMI au Mali.
Le même 14 mai, le procureur a demandé une peine de dix ans de prison à l’encontre de
Aaron Yoon, ressortissant canadien accusé d’avoir tenté de rejoindre un camp d’AQMI
au Mali et d’avoir tenté de recruter des jeunes pour la même organisation terroriste. Il
Mariella Villasante Cervello
26
fut capturé en décembre 2011 et condamné à deux ans de prison, mais on vient de
demander une prolongation de la peine [Maghrebia, Noorinfo du 18 mai].
— La question sécuritaire à l’international
La question sécuritaire a été également abordée dans le cadre du Sommet Afrique-EtatsUnis, réalisé à Washington le 7 août, où le président mauritanien a rencontré le
président Obama et le secrétaire d’État John Kerry. Ils ont tous réaffirmé la nécessité de
collaborer pour contrer les menaces terroristes et l’éradication de la pauvreté en
Afrique. Selon Kerry, la « Mauritanie joue un rôle prépondérant dans la stabilité de la
région, grâce à sa diplomatie, ses relations privilégiés et sa présidence actuelle de
l’Union africaine. » il a loué aussi les efforts de la Mauritanie dans le règlement des
conflits régionaux, faisant allusion au cessez-le-feu obtenu par le président Aziz entre
Bamako et les groupes armées Touareg et Arabe au nord du Mali [FinancialAfrick du 7
août, Noor-Info].
Dans ces réunions de haut niveau, la situation interne de grave tension sociale de la
Mauritanie n’a pas été évoquée. Cependant, un groupe de mauritaniens installés aux
Etats-Unis, et organisés dans le Centre américain international pour les droits de
l’homme et la paix sociale, a tenu à remettre un cahier de doléances au président Aziz.
Douze points sont ainsi soulevés et ils rappellent, entre autre, la nécessité de mener une
lutte contre le discours racisme et extrémiste au sein de l’élite du pays, de prendre de
mesures contre de tels discours, également de contrôler les médias (qui propagent ces
discours), et d’instaurer une culture qui privilégie l’état de droit23.
Le 3 octobre, le président Aziz a effectué une visite en France ; officiellement les deux
présidents auraient convenu de développer les échanges et les investissements dans les
secteurs de l’énergie et de l’aménagement urbain. Dans le cadre de l’UA, ils auraient
évoqué les questions sécuritaires, les conflits en République de Centrafrique, au Mali et
en Libye, ainsi que l’épidémie du virus Ebola [Biladi, NoorInfo du 3 octobre].
Conférence de presse conjointe des présidents Aziz et Obama, Washington, 7 août
[FinancialAfrick du 7 août, Noor-Info]
23 Voir le texte ici : http://www.noorinfo.com/Des-Americains-d-origine-mauritanienne-rencontrent-le-presidentAziz-et-demandent-plus-de-reformes_a14081.html
Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014
27
Le 15 novembre, et en sa qualité de président de l’UA, le président Aziz a participé au
sommet du G20 qui s’est tenu à Brisbane (Australie). La rencontre était centrée sur la
croissance économique et les questions sécuritaires et politiques du moment. L’urgence
africaine liée au virus Ebola a été discutée de manière particulière [NoorInfo du 15
novembre].
Une autre rencontre internationale fut celle de la Francophonie, tenue à Dakar au début
décembre ; le président Aziz pensait qu’on allait lui donner la parole à l’inauguration en
sa qualité de président de l’UA, mais comme cela n’était pas prévu dans le protocole des
organisateurs sénégalais, le président décida de rentrer à Nouakchott. Il aurait exprimé
sa colère au président sénégalais, Macky Sall, sans que l’on sache, selon une source
mauritanienne, si sa colère était africaine ou mauritanienne. On a évoqué aussi la
possible responsabilité dans cette affaire protocolaire de l’ancien président sénégalais
Abdou Diouf, qui, lorsqu’il occupait le poste de secrétaire général de la Francophonie,
avait critiqué le coup d’État d’ould Abdel Aziz. Mais au-delà de ces questions on peut
remarquer l’incongruité de la présence d’un président de la Mauritanie lors du sommet
de la Francophonie, un président qui s’attache à exclure la langue française de la
Constitution, des cursus scolaires et universitaires, et à revendiquer la seule langue
arabe, y compris dans l’administration militaire.
— Le problème permanent des migrations illégales
Les migrations des Africains qui traversent la Mauritanie et le Maroc pour entrer en
Europe sont devenues un problème central dans les relations internationales, notamment
avec l’Espagne et la France. Comme on le sait, ces migrations se réalisent dans des
conditions terribles pour les personnes, hommes, femmes et enfants, qui décident de
prendre une route inconnue et dangereuse pour atteindre un supposé El Dorado des
temps postmodernes, l’Europe. Mais le pire est que les autorités censées aider ces
personnes font couramment le contraire. Ainsi, le dernier rapport de l’ONG Human
Rights Watch, présenté le 11 février, a demandé aux autorités marocaines et espagnoles
de mettre un terme aux mauvais traitements des migrants subsahariens ; tout en notant
des améliorations depuis l’annonce d’une nouvelle politique migratoire au Maroc. Le
rapport est présenté quelques jours après un autre drame dans la région de Ceuta, où
neuf migrants sont morts noyés ; ce qui a conduit à une critique de la garde civile
espagnole qui se sert de balles en caoutchouc comme matériel anti-émeutes24. Le
ministre marocain de la Communication, Moustapha El Khalfi a déclaré que le rapport
en question « est clairement et manifestement injuste », et il a rappelé les nouvelles
mesures adoptées par son gouvernement en matière de politique migratoire « à visage
humain et social » concernent entre 25 000 et 40 000 personnes [Atlasinfo, Noorinfo du
11 février].
En juillet, l’Union européenne a offert à la Mauritanie la somme de 11 millions d’euros
pour lutter contre la migration illégale25. Le chef de mission d’assistance technique de
l’UE, Abdel Hamid Ejamri, a rappelé que, de par sa position géographique, la
Mauritanie était devenue un pays de transit pour les migrants, notamment depuis
l’accroissement notable des mouvements clandestins intervenu depuis 2000. Ce qui a
été largement facilité par la construction de la route Nouakchott-Nouadhibou-Dakhla,
24 Voir http://www.noorinfo.com/Le-rapport-de-HRW-qui-accuse-les-autorites-marocaines-de-maltraiter-les-
immigres-africains-est-clairement-injuste_a12091.html
25 Voir http://www.noorinfo.com/Strategie-Nationale-de-Gestion-de-la-Migration-La-Mauritanie-empoche11millions-d-euros_a13952.html
Mariella Villasante Cervello
28
dans la zone saharienne contrôlée par le Maroc. Pour tenter d’endiguer le flux des
migrations clandestines, l’UE a participé à la mise en place de 17 points de contrôles et
de commissariats de police réparties entre les frontières avec le Sénégal, le Mali,
l’Algérie et le sud du Maroc [Rapidinfo, Noorinfo du 20 juillet].
— Les relations entre la Mauritanie le Maroc : la tension diminue ?
Pour des raisons quelque peu obscures, les relations entre la Mauritanie et le Maroc se
sont détériorées depuis quatre ans. L’élection de Mohamed ould Abdel Aziz à la
présidence, en 2009, fut pourtant bien accueilli par Rabat ; cela d’autant plus que ce
dernier a été formé à l’Académie militaire de Meknès (tout comme le président militaire
Ely ould Mohamed Vall). Cela étant, il faut rappeler que le président a passé sa jeunesse
à Dakar et qu’il est issu d’une qabîla qui nomadisait entre le Sahara occidental et la
Mauritanie. Aussi, il semblerait que ce sont les choix de rapprochement du président
mauritanien vis-à-vis de l’Algérie qui ont dérangé le Maroc, ce qui montre que la
position de neutralité de la Mauritanie dans le conflit du Sahara occidental reste difficile
à maintenir. Voyons quelques faits26.
En 2009, le président Aziz décide de rendre sa première visite officielle à Alger. Peu
après, l’ambassadeur à Rabat, Cheikh El Avia ould Mohamed Kouna fit une visite
officielle dans la région de Dakhla, au Sahara occidental, que la Mauritanie ne reconnaît
pas comme appartenant au Maroc. Or, l’ambassadeur est rappelé à Nouakchott en 2010,
et l’ambassade est gérée depuis lors par un fonctionnaire sans rang diplomatique. Sur
ces entrefaites, un homme d’affaires, lui aussi des Awlâd Busbâa, comme le président,
Mohamed ould Bouamatou, qui avait financé la campagne présidentielle de 2009, se
brouille avec le président Aziz pour des questions d’impôts, et part s’installer à
Marrakech, d’où il continuer à diriger ses affaires. Puis un autre opposant, Moustapha
Chafi, s’installe également au Maroc.
En décembre 2011, le directeur de l’agence de presse marocaine (MAP), fut accusé
d’espionnage et expulsé de Mauritanie, sur fond de rivalité entre les deux pays pour un
siège de membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. En 2012, le numéro
deux du gouvernement de Rabat, Abdellah Baha, n’est pas reçu par le président Aziz
lors d’une visite à Nouakchott. Apparemment, ces mésententes sont liées à la politique
diplomatique du Maroc qui veut se poser en puissance régionale, en concurrent direct de
l’Algérie. Le roi Mohamed VI se pose en effet en leader de l’unité maghrébine et des
relations Sud-Sud27. Ce qui n’est pas vraiment nouveau car ces deux pays sont brouillés
depuis fort longtemps en raison de leurs aspirations rivales de puissance au Maghreb.
Ce qui est nouveau c’est peut-être la stratégie d’investissements massifs en Mauritanie,
mais aussi au Sénégal par des entrepreneurs marocains, notamment dans les secteurs de
transport, des médias et des communications [Kassataya, Noorinfo du 13 février].
Les relations se sont améliorées à partir d’octobre. Le ministre de l’Intérieur marocain,
Mohamed Hassad, a invité son homologue mauritanien, Mohamed ould Ahmed Salem,
à faire une visite officielle à Rabat. Des conventions sur la sécurité et l’immigration
clandestine ont été signées. Puis le ministre marocain des Affaires étrangères a effectué
26 Pour plus de détails voir : http://www.noorinfo.com/MAROC-MAURITANIE-CHAMBRE-APART_a12113.html
27 Voir http://www.noorinfo.com/G77-Chine-Le-Maroc-appelle-a-l-institutionnalisation-de-la-cooperation-Sud-
Sud_a13693.html et aussi http://www.noorinfo.com/Mohammed-VI-chantre-rationnel-de-l-unitemaghrebine_a13556.html
Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014
29
une visite à Nouakchott [Rmibiladi, Noorinfo du 30 octobre28]. Les 22 et 23 d’octobre,
le ministre des Affaires étrangères du Maroc, Salaheddine Mezouar, a visité Nouakchott
et a été reçu par le président Aziz, et il a déclaré la volonté du roi Mohamed VI de
renforcer les relations entre les deux pays [Mauriweb, Noorinfo du 2 novembre]
Le nouvel ambassadeur de la Mauritanie à Rabat n’a pas encore été nommé, on évoque
trois candidats pour ce poste sensible, Mohamed ould El Haj, ancien président du Sénat,
Mohamed ould Laghdaf, ancien premier ministre, et enfin Ahmed ould Bahiya,
directeur actuel du cabinet du président Aziz [Farida Habib, CRIDEM du 29 novembre].
— Graves tensions maghrébines autour du Sahara occidental
Comme nous le savons, le Sahara occidental a fait l’objet d’une décolonisation
espagnole en 1975, qui n’a pas impliqué cependant la reconnaissance d’une nouvelle
entité politique autonome comme ailleurs en Afrique. En effet, la République arabe
Sahraouie démocratique (RASD) fut proclamée par le Front Polisario en 1976, avec le
soutien de l’Algérie, et fut rejetée par le Maroc qui revendique le territoire en vertu
d’une prétendue « ancienne allégeance des Sahraouis au sultan ». Ce qui est éloigné de
la réalité historique. La société bidân et hassanophone nomadisait et faisait du
commerce dans une zone très étendue de l’ouest saharien, allant du Oued Noun, au
fleuve Sénégal, et au Soudan, devenu Mali. Mais elle n’avait pas d’unité politique, et ne
reconnaissait aucune allégeance étatique ; seules certaines zones de ce vaste territoire
avaient développés des chefferies guerrières d’importance pendant des périodes plus ou
moins longues ; en Mauritanie elles ont reçu le nom d’émirats, et les colonisateurs
français se sont chargés de les fixer d’un point de vue territorial et lignager.
Sahara occidental (MINURSO, 2014)
28 Voir http://www.noorinfo.com/Mauritanie-Maroc-Plus-de-Passion-que-de-Raison-_a14699.html
Mariella Villasante Cervello
30
En 1975, la Cour internationale de justice considère inapplicable la notion de terra
nullius pour le Sahara occidental car il est habité par des peuples ayant une organisation
sociale et politique. Elle reconnaît l’existence de liens historiques avec le Maroc et la
Mauritanie, mais ils n’empêchent pas la tenue d’un référendum d’autodétermination
« grâce à l’expression libre et authentique de la volonté des populations du territoire. »
Quelques jours après, le 6 novembre 1975, le roi Hassan II organise la « marche verte »,
en faisant appel à la fibre patriotique de milliers de marocains qui arrivent au Sahara
occidental, pour revendiquer sa volonté de souveraineté sur ce territoire. Le 14
novembre, l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie signent les Accords de Madrid pour
officialiser le partage du territoire ; le Maroc obtient les deux tiers et la Mauritanie le
tiers sud. Le Front Polisario ne fut pas consulté, ni l’Algérie. Le 27 février, la RASD fut
proclamé le 27 février 1976 à Bir Lehlou, au lendemain du départ du dernier soldat
espagnol. Le Polisario commence alors une lutte armée pour son indépendance contre
les forces marocaines et mauritaniennes considérées comme forces d’occupation. La
participation de la Mauritanie se termine par le coup d’État contre Mokhtar ould
Daddah, en juillet 1978. Le Polisario déclare alors un cessez-le-feu unilatéral avec
Nouakchott, il est reconnu par l’ONU, et le 10 août 1979, la Mauritanie signe un accord
de paix avec le Polisario, abandonnant la région de Dakhlet ; le 14 août, le Maroc
annonce l’annexion de l’ancien territoire mauritanien. Le conflit armé se poursuit le
long du mur de défense construit par le Maroc dans les années 1980. En 1991, l’ONU
obtient un cessez-le-feu et annonce la préparation d’un référendum d’autodétermination. Cependant, il a été reporté jusqu’à présent notamment parce que le
Maroc s’y oppose avec force, continuant à revendiquer l’appartenance du Sahara
occidental à son territoire national.
La situation s’est aggravée cette année en grande partie par le rejet marocain du
référendum de l’ONU, auquel on oppose une proposition de large autonomie des
« provinces du Sud ». Le rapporteur spécial de l’ONU, Christopher Ross, a été accusé de
partialité par le roi Mohammed VI. Et l’envoyé spécial de l’Union africaine, l’ancien
président du Mozambique Joaquim Chissano, a été rejeté parce qu’il représente une
instance connue par son « anti-marocanisme primaire », cela d’autant plus que ce
différend est du ressort exclusif de l’ONU [Jeune Afrique du 8 juillet]. Rappelons que le
Maroc a abandonné l’UA en 1984 suite à l’entrée de la RASD en son sein.
Le renouvèlement de la mission de l’ONU en avril 2015 centralise la tension actuelle.
Officiellement, le Sahara occidental est, à la demande du Maroc, dans la liste de
territoires non-autonomes de l’ONU depuis 1963. Depuis le départ des Espagnols, l’ONU
considère qu’il est un « territoire sans administration » ; et dans un rapport établi en
2006 par Kofi Annan, il est indiqué qu’aucun État membre de l’ONU ne reconnaît la
souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Cela étant, les riches ressources
naturelles de ce territoire, dont les phosphates de Boucraa, sont exploitées par le Maroc
(par le puissant Office chérifien des phosphates) sans aucune base légale. En
conséquence, comme le note Olivier Quarante29, la communauté internationale a laissé
le Maroc prendre possession de ce territoire, pour le plus grand bénéfice des
investisseurs marocains et étrangers, dont la France, qui a établi des contrats de
prospection pétrolière en 2001 (TotalFinaElf), et l’Union européenne qui a établi des
accords de pêche.
29 Quarante, « Si riche Sahara occidental », Le Monde Diplomatique, mars 2014. Voir http://www.monde-
diplomatique.fr/2014/03/QUARANTE/50237
Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014
31
La situation sociale au Sahara occidental est très tendue. A la fin septembre 2014,
Hassana El Ouali, arrêté le 25 septembre 2011 dans le cadre des « actes de vandalisme »
dans la ville de Dakhla, est décédé en prison. Le fait a provoqué de violents
affrontements entre les forces de police et des Sahraouis, dits « séparatistes » dans les
médias marocains. 17 personnes ont été arrêtées ainsi que 13 voitures qui se dirigeaient
vers Tindouf via la frontière mauritanienne [CRIDEM du 30 septembre30]. De fait, la
résistance des Sahararouis est forte et récurrente, même si elle est occultée par les
autorités marocaines. Olivier Quarante a rapporté les faits de violence qui ont eu lieu à
d’abord en octobre 2010, puis en septembre 201131. Le premier mouvement eut lieu
dans la ville de Laâyoune (al-Aioun), entre le 10 octobre et le 8 novembre, lorsque près
de 7 mille tentes furent installées à Gdeim Izik, réunissant près de 20 mille personnes
pour protester contre la marginalisation socio-économique des Sahraouis. La manne des
ressources minières et de la pêche de leur territoire ne les concerne pas, mais bénéficie
seulement aux Marocains dont plusieurs milliers s’y sont installés avec l’aide de l’État.
Le 24 octobre, un garçon de 14 ans est tué par les militaires marocains, et le 8 novembre
ils donnent l’assaut au campement le plus vaste depuis la « marche verte » ; la
répression des civiles fut brutale, on utilise des gaz lacrymogènes et des canons à l’eau
chaude ; selon une source 168 Sahraouis furent arrêtés et torturés à Laâyoune ; une
femme déclara avoir été tabassée et obligée à déclarer « vive le roi, vive le Maroc »
avant d’être libérée. Il y eut deux morts Sahraouis et onze militaires. Les forces de
l’ONU n’avaient pas de mandat pour agir. En janvier 2011, 22 militants Sahraouis étaient
toujours à la prison militaire de Salé, bien qu’ils soient civils. Ils ont arrêté une grève de
la faim de 38 jours pour dénoncer leurs conditions de détention (tortures, viols,
isolement). Quarante cite le témoignage d’une femme qui considère « qu’après Gdeim
Izik les choses ne seront plus jamais comme avant » ; un retraité se souvient que la
première répression dans laquelle les civils Marocains ont participé a eu lieu en 1999.
Une manifestation organisée par les travailleurs de la mine de Boucraa fut brutalement
réprimée par la police, et les Marocains avaient saccagé les maisons des Sahraouis.
Enfin, une femme déclara que des exactions plus violentes furent commises en
novembre 2010, notamment par les jeunes ; ainsi, « depuis un an [2012] une haine et un
esprit de vengeance nouveaux ont émergé dans les deux communautés. » Les conflits
s’organisent donc autant pour des questions de marginalisation économique dont
souffrent les Sahraouis dans leur propre territoire, que pour des questions identitaires.
Au début octobre, le président mauritanien Mohamed ould Abdel Aziz est intervenu
devant l’assemblée générale de l’ONU en sa qualité de président de l’Union africaine,
mais il n’a fait aucun commentaire sur le Sahara occidental, ce qui a déçu le Front
Polisario [Noorinfo du 2 octobre]. Cet « oubli » peut-être une expression de l’embarras
permanent de la Mauritanie face à la question saharienne ; comme on le sait, plusieurs
groupes de parenté hassanophones mauritaniens et Sahraouis ont une histoire commune
des deux côtés de la frontière coloniale et postcoloniale de cette zone, qui est aussi
arbitraire que celle qui sépare la Mauritanie du Sénégal. Mais il semble évident que le
Maroc veut accélérer le règlement définitif du territoire à sa faveur. Le roi marocain a
déclaré le 6 novembre, 39e anniversaire de la « marche verte », que l’autonomie était le
« maximum que le Maroc puisse offrir » [aux Sahraouis]. Ainsi « le Maroc restera dans
son Sahara et le Sahara demeurera dans son Maroc jusqu’à la fin des temps ». Le roi a
30 Voir : http://www.cridem.org/C_Info.php?article=661503
31 Quarante, « Résistance obstinée des Sahraouis », Le Monde Diplomatique, février 2012. Voir http://www.monde-
diplomatique.fr/2012/02/QUARANTE/47389. Voir aussi « Un territoire disputé » : http://www.mondediplomatique.fr/2012/02/QUARANTE/47390
Mariella Villasante Cervello
32
rejeté aussi la tentative d’élargissement du mandat des Nations Unies aux droits
humains ; et il a abordé encore une fois la nécessité d’impliquer l’Algérie dans le
règlement du conflit car elle soutient le Polisario [France24 du 7 novembre].
Le 27 novembre, Mohamed ould Khaddad, ministre de la RASD chargé de la
coordination de la question du Sahara auprès des Nations Unies, a déclaré à Nouakchott
que « les hostilités au Sahara peuvent reprendre à cause de l’irrespect par le Maroc de
l’accord de cessez-le-feu en vigueur depuis le 6 septembre 1991, après une guerre qui a
duré quarante ans. » Il a noté aussi que les dernières menaces marocaines de renvoyer
les forces de l’ONU sont un signal clair de leurs intentions belliqueuses. Le Polisario
privilégie les solutions pacifiques sous la supervision de l’ONU et de l’UA, mais il est
prêt à faire face à toutes les hypothèses [Le Calame du 29 novembre].
Le 14 décembre, le ministre des Affaires étrangères du Maroc, Salaheddine Mezouar, a
tenu un discours radical à Dakhla contre l’Algérie, évoquant des manigances de
l’Algérie et du Polisario à l’encontre du Maroc, et accusant Christopher Ross de
soutenir le Polisario. Ce dernier doit présenter son rapport devant le conseil de sécurité
en avril prochain et a été déclaré persona non grata au Maroc ; de son côté, la nouvelle
responsable de la MINURSO, la diplomate canadienne Kim Bolduc, devait prendre ses
fonction à Laâyoune en septembre, mais elle est restée bloquée à Rabat. L’escalade
diplomatique actuelle ne pourrait se comprendre sans évoquer un fait peu connu dans
les médias, il s’agit du grand déballage de documents officiels des sites marocains
concernant le Sahara occidental et d’autres thèmes délicats par un pirate informatique
qui les a diffusé via Twitter sous le pseudonyme de « Chris Coleman » dès le début du
mois d’octobre [Hassan Moali, El Watan du 17 décembre]. Selon plusieurs sources, on
apprend que des journalistes français auraient été payés par le Maroc pour écrire des
articles favorables à ses intérêts. L’affaire est en cours et les documents sont en train
d’être authentifiés32.
Président de la RASD, Mohamed Abdel Aziz [Noorinfo]
32 Voir http://www.le360.ma/fr/politique/affaire-chris-coleman-reaction-laconique-du-gouvernement-27127
http://www.le360.ma/fr/politique/fuites-de-documents-diplomatiques-premiere-reaction-officielle-24501
http://www.le360.ma/fr/politique/diplomatie-a-qui-profite-la-fuite-de-documents-secrets-23783. Le premier compte
de « Chris Coleman » [https://twitter.com/chris_coleman24] a été fermée, mais une autre a été ouverte
[https://twitter.com/chris_coleman27] et continue à diffuser des données classées.
Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014
33
Enfin, le 7 décembre, le président de la RASD, Mohamed Abdel Aziz, se trouvait non
loin de la frontière nord de la Mauritanie pour participer aux manœuvres militaires les
6-7 décembre. En marge de celles-ci, il a accordé un entretien au Calame, dans la
localité d’Aghouienitt, dans lequel il a déclaré : « Si le Maroc fait échouer les efforts de
la communauté internationale, il nous obligerait à défendre de nouveau nos droits
légitimes par le fusil. » Il redoute en effet que le Maroc ne prenne le risque de rallumer
la guerre en continuant à s’entêter et à contrecarrer la mission de l’ONU officiellement
accréditée au Sahara occidental33.
— Les relations avec le Mali : la question des refugiés et les échanges économiques
Au début du mois de janvier, le président du Mali, Ibrahim Boubacar Keita a effectué
une visite officielle à Nouakchott et, en compagnie du président Aziz, ils ont affirmé
leur volonté d’organiser le retour des refugiés maliens installés dans le camp de
M’Berra. Selon le Haut commissariat aux refugiés, il reste encore 185 000 refugiés
maliens loin du pays, dont 66 000 en Mauritanie, 50 000 au Niger, 49 000 au Burkina
Faso et 1 500 en Algérie. Cependant, compte tenu de la poursuite du conflit armé, on
n’a pas de chiffres précis sur les refugiés rentrés au Mali, dont le nombre est estimé à
14 000. Un rapport récent [International crisis group] estime que l’État malien a perdu
sa crédibilité auprès des populations arabes et touarègue et n’a pas été capable de
restaurer les services de base dans le nord du pays, ce qui rend difficile les retours [RFI,
Noorinfo du 14 janvier].
En janvier toujours, les présidents malien et mauritanien ont signé un accord de
coopération pour affronter la menace jihâdiste et lutter contre tous les trafics. Le
président du Mali se trouvait à Nouakchott pour faire sa première visite officielle après
son élection d’août 2013 [AFP, le 12 janvier].
Le 23 mai, le président mauritanien s’est rendu à Kidal et a obtenu la signature d’un
cessez-le-feu entre le gouvernement de Bamako et les groupes armés de la zone,
notamment les groupes touareg et « arabes » [hassanophones] avec qui Aziz a établi
d’excellentes relations depuis leurs « rebellions » [Mondafrique, Noorinfo du 28 mai34].
Mais le cessez-le-feu eut une durée très courte, à la fin mai les affrontements entre les
groupes touareg et arabe et l’armée malienne fit plusieurs dizaines de morts. Au début
juin, le Mouvement arabe de l’Azawad se réunissait à Nouakchott avec les représentants
du Mali, alors que les autres groupes armés se réunissaient au Burkina Fasso [Alakhbar
du 4 juin]. Lors du sommet de l’UA, le chef de la diplomatie algérienne, Ramtane
Lamamra, confirmait que la phase initiale du dialogue inter-malien se tiendrait à Alger
en juillet ; l’Algérie étant, d’après lui, « un pays incontournable dans l’instauration de la
paix dans la région du Sahel. » Le ministre algérien a tenu à préciser que son pays
n’était pas en compétition avec le Maroc qui a tenté sa médiation avec le MNLA en
janvier [Jeune Afrique du 26 juin]. Ces démarches se situent dans le cadre de
l’élargissement des activités diplomatiques que l’Algérie a entreprises depuis le début
de l’année. Ainsi les 10-11 février, elle recevait la majorité des polices africaines pour
former l’AFRIPOL, Organisation africaine de coopération policière, qui devrait permettre
aux pays d’Afrique de prendre en charge leur sécurité et d’éviter les interventions
33 Voir l’entretien : http://www.lecalame.info/?q=node/1177
34 Voir http://www.noorinfo.com/Au-Mali-le-president-mauritanien-obtient-le-cessez-le-feu-pas-la-
paix_a13503.html
Mariella Villasante Cervello
34
étrangères. Enfin, les 26-29 mai, l’Algérie a organisé la 17e conférence ministérielle du
Mouvement des pays non-alignés [Le Temps d’Algérie du 1er juin, Noorinfo].
En septembre, la presse malienne accusa la Mauritanie et l’Algérie d’ingérence dans le
pays, et du « pourrissement de la situation » ; les autorités algériennes étaient accusées
de contrôler plusieurs groupes armés de Kidal, et les autorités mauritaniennes
d’apporter leur soutien financier et matériel au MNLA et au nouveau mouvement arabe
qu’elle abrite [Mauriweb du 2 septembre]. Toujours en septembre, l’Organisation de la
société civile de l’Azawad, un collectif de réfugiés maliens installés en Mauritanie, a
contesté les pourparlers qui se tenaient à Alger entre le gouvernement malien et les
mouvements armés. Ce collectif conteste en particulier l’exclusion des représentants des
populations, en particulier les communautés du Nord du Mali, et celles de Tombouctou,
et dénonce le clientélisme qui caractérise la gestion des négociations avec les groupes
terroristes35.
En dehors des questions sécuritaires, les relations avec le Mali se développent sur le
plan du renforcement des échanges économiques. Lors de sa visite en Mauritanie, le
président malien a visité Nouadhibou le 11 janvier, où il fut reçu par le Président de
l’Autorité de la zone franche, Ismail Bedde Chekh Sidiyya, qui a offert son soutien pour
développer les investissements maliens dans les domaines de la pêche et du fer
[Maurisahel, Noorinfo du 11 janvier].
Le président du Mali, Ibrahim Bouabacar Keita et le président de la Zone franche de Nouadhibou
[Maurisahel, Noorinfo du 11 janvier].
MOUVEMENTS SOCIAUX AUTOUR DES RÉFÉRENCES ETHNIQUES ET STATUTAIRES
L’année 2014 a été la plus riche en mouvements sociaux qui, en Mauritanie, se situent
toujours autour de deux références majeures, la référence ethnique et la référence
statutaire. L’ethnicité et le statut restent en effet les cadres historiques des communautés
qui tout en ayant modernisé certains aspects de leurs vies sociales, notamment par le
biais de la création d’un État, conservent des traits d’ancien régime fondés sur la
hiérarchie et l’appartenance ethnique restreinte.
35 Voir http://www.noorinfo.com/Mauritanie-Mali-Algerie-des-organisations-de-refugies-contestent-le-format-des-
pourparlers-d-Alger_a14309.html
Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014
35
On a déjà évoqué les revendications des communautés noires de Mauritanie, notamment
les Halpular’en, qui réclament justice pour les exactions commises par l’État durant le
régime du président Taya, et sur lesquelles aucune enquête officielle n’a été réalisée,
hormis un Livre Blanc dont les auteurs restent anonymes36 ; mais aussi pour les
discriminations associées à l’exclusion des Noirs des forces armées, et au recensement
dans les listes électorales. En février, l’attribution par le gouvernement du président
Aziz de milliers d’hectares de terres dans la vallée du Fleuve Sénégal à des
entrepreneurs Saoudiens, a déclenché un vaste mouvement de protestation social
emmené par le dirigeant anti-esclavagiste Biram ould Abeid et qui l’a conduit en prison
en novembre. Dans la région du fleuve coexistent les communautés noires et bidân,
notamment les groupes qui conservent un statut servile ; de ce fait, Biram se présente
comme dirigeant des Noirs et des groupes serviles de la société hassanophone. Nous
allons examiner cette question plus loin, lorsqu’on abordera le mouvement des groupes
serviles, il importe ici de rapporter les activités politiques des FLAM et leurs divisions
actuelles.
— Les FLAM se transforment et se divisent
Les dirigeants des FLAM, notamment son président Samba Thiam, est revenu à
Nouakchott en septembre 2013 après 23 années d’exil volontaire en France. Les
principaux dirigeants, dont Thiam, Ibrahima Mifo Sow et Mamadou Wane, ont
rencontré le président Aziz en avril puis en novembre 2013, et ont tenu des discussions
apparemment cordiales sur les problèmes du pays [Moussa N’Diaye, CRIDEM du 19
juillet 2014]. Cependant, en juin 2014, Samba Thiam a fait des déclarations qui
critiquent de front ce qu’il appelle « le système », c’est-à-dire l’ordre étatique qui
discrimine les Noirs. Dans cet entretien au journal Le rénovateur [CRIDEM du 5 juin37],
centré sur les élections présidentielles de 2014, Samba Thiam déclare :
« Pour nous ces élections sont sans enjeu parce que nous pensons que notre problématique est
ailleurs ; et que cette problématique ne peut être résolue par des élections ; c’est notre conviction.
Nous le constatons, depuis 50 ans des élections passent et repassent, sans que cela ne change quoi
que ce soit dans notre condition d’exclus ! Mieux, nous croyons fermement que ce ballet
d’élections contribuent à cacher, voire à banaliser notre exclusion. Alors, si l’on devrait se
résoudre à aller aux élections, par la force des choses, autant au moins le faire avec grâce et style !
Rappelons que notre problématique tourne autour d’un Système que nous voulons détruire et que
d’autres (ils sont légion et de tous les bords) s’évertuent à préserver. Un Système qui tire sa source
de l’idéologie Afrikaner : “Annihiler la force numérique et la force de travail que représentent les
Noirs afin de les transformer en instruments, sans qu’aucune possibilité ne leur soit laissée de
sortir de cette situation”. Nous œuvrons pour des changements en profondeur, visant à refonder la
Mauritanie sur des bases égalitaires, justes, démocratiques, afin de garantir son unité, préserver sa
stabilité et assurer son avenir. » [C’est moi qui souligne].
De fait, si le président des FLAM défend avec raison les principes républicains pour la
Mauritanie, sa comparaison avec l’ancien système d’apartheid de l’Afrique du Sud,
maintes fois repris dans le passé, est déplacée. En outre, il semble paradoxal qu’une
formation politique refuse de participer aux élections, qui restent la seule instance de
gouvernance démocratique. Mais cette position changera plus tard avec la fondation
d’un parti politique par une aile des FLAM.
36 Voir l’intéressant article de Mohamed ould Soueid Ahmed sur la question, avec quelques extraits du Livre Blanc :
http://chezvlane.blogspot.com/2013/11/300000-morts-mauritaniens-voici-les.html
37 Voir l’entretien complet ici : http://www.cridem.org/C_Info.php?article=657005
Mariella Villasante Cervello
36
Cela étant, les FLAM ont déployé une campagne de prise des contacts avec les dirigeants
nationaux et les fonctionnaires des ambassades. Ainsi, le 16 juillet Samba Thiam a reçu
en audience le conseiller politique de l’ambassade des Etats-Unis à Nouakchott, James
Ermarth, accompagné du chargé des programmes. On a rapporté que les deux parties
ont eu des échanges intéressants sur la situation du pays [CRIDEM du 18 juillet].
Le retour des FLAM a soulevé la question de leurs relations avec les deux mouvements
existants dans le pays, l’IRA et TPMN, qui ont été très actifs ces dernières années. Ainsi,
lors d’un entretien effectué le 2 août, Samba Thiam a considéré que, contrairement à ces
mouvements de défense des droits humains, les FLAM sont une force politique, voici un
extrait38 :
« Je trouve d’abord cette comparaison inappropriée, même surprenante ! IRA et TPMN sont des
organisations des droits de l’homme, tout court, alors que les FLAM constituent une formation
politique. En second lieu, leur champ d’action, plus restrictif, est différent du nôtre, même s’il
pouvait y avoir un recoupement, par endroits. IRA et TPMN viennent de naître alors que les FLAM
sont une force politique vieille de 30 ans, forgée dans la douleur de la répression et de l’exil,
traînant un passé lourd, un parcours singulier. Enfin nous venons juste d’arriver... Nous avons
donc besoin d’un peu temps pour reprendre complètement notre place ici, mais nous y travaillons,
avec patience et acharnement, rassurez-vous. »
James Ermarth visite Samba Thiam
[CRIDEM du 18 juillet]
Certes, on peut dire que l’IRA et TPMN ont des revendications centrées sur la défense des
droits humains ; cependant, contrairement à ce qu’affirme Thiam, ces revendications
ont des objectifs politiques dans la mesure où elles expriment la volonté de justice
sociale des groupes concernés. Du reste, l’IRA a fait le choix de sa conversion en parti
politique, le RAG, même s’il n’a pas été accepté par les autorités mauritaniennes. Et on
aurait tort de minimiser la force politique que représentent tant l’IRA que TPMN
seulement parce qu’ils sont nés il y a quelques années ; ils étaient et restent des forces
politiques importantes avec lesquelles il faudra compter.
La volonté affichée par les FLAM d’assumer la défense des revendications des Noirs
mauritaniens a trouvé une limite sérieuse après le mois d’août. En effet, le 29 août, les
e
FLAM ont tenu leur 8 Congrès à Nouakchott, placé sous le sceau de la « mutation ». En
effet, après l’annonce de l’abandon de la lutte armée et leur entrée en politique, les
38 Voir l’entretien complet ici : http://www.cridem.org/C_Info.php?article=658835
Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014
37
dirigeants ont annoncé la transformation des FLAM en parti politique et un programme
politique nouveau pour l’Autonomie du Sud de la Mauritanie [CRIDEM du 27 août39].
Dans son allocution, Samba Thiam a proposé, entre autres, l’adoption de l’appellation
« Afro-mauritanien » qui remplacerait « Négro-mauritanien » lancée en 1989, et un
projet d’Autonomie, voici deux extraits40 :
« Les Négro-africains ont mal, très mal à leur pays. Pour emprunter la formule d’El Said, je dirais
que notre présent nous interpelle sur les questions existentielles de notre avenir, dans ce pays, nous
« Afro-mauritaniens », pour user d’une terminologie dans l’air du temps ! (…)
En guise de solution, pour ce qui nous concerne, nous optons pour l’Autonomie, projet qui sera,
sous peu, porté à l’attention du public et de la classe politique. Cette Autonomie, objet de tant de
conjectures, agitée comme un épouvantail par nos adversaires, je puis vous assurer et vous
rassurer, ne sous-tend aucune arrière-pensée trouble, alors aucune ! Cette Autonomie demeure un
projet de réorganisation territoriale et administrative, plus adaptée à notre réalité socio-culturelle,
ethnique et tribale, sans plus ! Elle se fonde sur des critères objectifs, naturels, plus à même de
réduire les tensions ethniques récurrentes et favoriser la cohésion sociale. La Mauritanie comporte
une réalité tribale, ethnique et régionale têtue. Nous ne pouvons en faire table rase sans tomber
dans d’autres travers ! Il faut la reconnaître, essayer de la moduler, de l’atténuer avec
discernement, avec patience, afin de forger doucement, progressivement, une autre mentalité
sociale ! » [CRIDEM du 30 août].
Comme on pouvait s’y attendre, le projet d’Autonomie a été durement critiqué par les
tenants du pouvoir. Le président de l’UPR, Sidi Mohamed ould Maham, a déclaré qu’il
« ne rencontre aucun intérêt au sein des composantes du peuple mauritanien » ; les
populations de la vallée rejettent, d’après lui, ce discours séparatiste [Saharamedias,
Noorinfo du 21 septembre]. Ould Maham a promis enfin de « combattre les
extrémismes et les promoteurs de divisions », et a appelé les autorités à « frapper d’une
main de fer sur tout groupe ou individu à tendance raciste ou séparatiste. ». Cependant,
certains analystes, comme Ahmed Jiddou Aly, ont considéré que la proposition de
décentralisation et d’autonomie est une proposition de bon sens41. Rappelant qu’il existe
un Livre blanc de la décentralisation publié en décembre 2009, réalisé à la demande de
l’ancien ministère de la Décentralisation et de l’aménagement du territoire, soutenu par
le ministère de l’Intérieur, et financé par la coopération espagnole42. Cependant, Jiddou
Aly remarque que le découpage envisagé par les FLAM n’est pas réaliste car on suggère
la création de quatre régions dans un pays de plus d’un million de km2. Ce qui est
certain, comme il l’avance, c’est qu’il faut réinventer le découpage régional actuel et
modifier la gestion des collectivités territoriales.
Au mois de septembre, la création d’un parti politique proposé au congrès d’août fut
réaffirmée ; les FLAM devinrent ainsi les Forces progressistes pour le changement (FPC)
[Le Calame du 1er septembre]. Mais cette tentative s’est soldée par la division du
mouvement car les flamistes historiques ont refusé la reconversion en parti légal. Cette
faction considère en effet que faire des FLAM un parti revient à légitimer le régime, alors
que les FLAM doivent rester un « mouvement de libération nationale ». Cette position est
défendue par des groupes mauritaniens et par la diaspora mauritanienne, notamment en
France, qui dénonce la tenue d’un congrès « illégitime » et revendiquent la poursuite
39 Voir : http://www.cridem.org/C_Info.php?article=659877
40 Voir le texte complet ici : http://www.cridem.org/C_Info.php?article=660063
41 Voir l’article : http://www.cridem.org/C_Info.php?article=664107
42 Voir : http://www.dgct.mr/doc11/LIVRE%20BLANC.pdf, voir aussi l’article de Mohamed ould Soueid Ahmed :
http://chezvlane.blogspot.com/2014/12/meme-notre-ministere-de-linterieur.html
Mariella Villasante Cervello
38
d’un militantisme radical déconnecté du jeu démocratique43. Il n’est pas encore clair de
savoir comment se poursuivra cette division factionnelle qui ne présage rien de bon
pour le programme de l’aile légaliste dirigée par Samba Thiam. Celle-ci est cependant
appuyée par des personnalités politiques nationales, comme Jemil ould Mansour et
Ahmed ould Mouloud, mais aussi étrangères, comme l’a montré la visite que le nouvel
ambassadeur de France, Joël Meyer [qui a pris son poste en octobre], a rendue le 13
novembre 2014, à Nouakchott, au Président des Forces Progressistes du Changement,
Samba Thiam. [CRIDEM du 16 novembre].
L’ambassadeur de France, Joël Meyer, avec Samba Thiam [Noorinfo]
— Les mouvements sociaux contre la persistance des relations serviles
Les mouvements sociaux contre la persistance des relations serviles ont été très actifs
tout au long de l’année, et ils ont montré la gravité d’une situation de plus en plus
tendue vis-à-vis d’un gouvernement qui fait preuve d’une totale incapacité à la gérer
correctement. Contrairement à certaines analyses, ces mouvements ne se réduisent pas à
la défense des droits humains, car ils concernent en réalité les revendications politiques
d’une partie démographiquement importante de la société mauritanienne hassanophone,
(alors que les Noirs représentent une minorité nationale). Deuxièmement, il faut poser
dès maintenant que sous le terme « esclavage », dont la connotation de subordination
est très forte en français, se classent diverses situations de dépendance personnelle qui
explicitent la persistance des relations serviles dans toutes les communautés ethniques
mauritaniennes. Les dépendances extrêmes existent bel et bien, mais elles sont bien
réduites en comparaison avec les dépendances qui caractérisent les liens entre maîtres et
domestiques/serviteurs dans d’autres pays hiérarchisés de l’Afrique, des pays arabes et
aussi des pays latino-américains.
Le mouvement le plus ancien, El Hor, est revenu sur le devant de la scène politique, en
janvier, critiquant les déclarations du premier ministre Moulay ould Mohamed Laghdaf
à un journal égyptien, dans lesquelles il associait l’expulsion de la délégation
israélienne du pays aux campagnes menées contre la Mauritanie à cause de
43 Voir l’article de Jeune Afrique : http://www.noorinfo.com/Mauritanie-entre-les-Flam-le-torchon-
brule_a14872.html, voir aussi la note de ould Soueid Ahmed : http://chezvlane.blogspot.com/2014/09/le-congres-tuele-mot-negro-mauritanien.html
Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014
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l’esclavagisme44. Samory ould Bèye, président de El Hor a accordé un entretien au
Calame en octobre, dans lequel il affirme que les « hratîn » n’accepteront plus d’être
des citoyens de seconde zone, et que « les « maures » doivent comprendre que leurs
« compatriotes Noirs » sont déterminés à se faire respecter et à conquérir la place qui
leur sied dans leur pays. Autrement c’est une déclaration de guerre civile, ce que nous
ne souhaitons certainement pas à notre pays45. » Si les revendications politiques du
dirigeant sont très claires, son usage des termes identitaires est quelque peu imprécis, et
il en va de même de l’usage qui en font la majorité de dirigeants « anti-esclavagistes ».
En effet, la société bidân/hassanophone fut nommée « maure » par les colonisateurs, qui
distinguaient entre « Maures blancs », les bidân d’origine libre, et les « maures noirs »,
les bidân d’origine ou condition servile. Le terme « hrâtîn » est devenu synonyme de
« maure noir » mais aussi « d’esclave » ou « d’ancien esclave », alors qu’en réalité la
situation statutaire des esclaves (‘abd) est très particulière, très réduite, et que la
majorité de ceux qu’on nomme « hrâtîn » connaissent diverses situations de dépendance
vis-à-vis d’une famille et/ou d’un groupe social uni par la parenté. Nous avons examiné
ces questions dans une publication parue en 2000 [Groupes serviles au Sahara, CNRSEditions], et dans un livre qui vient de paraître, Le passé colonial et les héritages
actuels en Mauritanie (Paris, 2014), dans lequel Meskerem Bhrane présente ses
analyses de la situation des groupes serviles à Nouakchott. D’autre part, l’association
entre condition de servilité et origine ethnique n’est pas claire dans l’usage de Samory
ould Bèye, ni des autres dirigeants. Ainsi, lorsqu’il est affirmé que les « hrâtîn » sont
les « compatriotes Noirs des Maures », on ne sait pas si le groupe noir inclut les
Halpulra’en, les Soninké et les Wolof, principales communautés noires du pays. Ce qui
semble évident c’est que les deux mouvements, celui des « hrâtîn » et celui des Noirs
[nommés Afro-mauritaniens par les FLAM/FPC], pourraient se fondre en un seul
mouvement dont la direction est encore à déterminer, bien que Biram ould Abeid ait
montré ses dispositions à l’assumer, comme on le verra bientôt. Cela dit, la polarisation
des « Noirs/hrâtîn » mauritaniens contre les Bidân/arabes pourrait effectivement mener
à une guerre civile comme le pense Samory ould Bèye. Seulement les deux groupes, si
l’on peut dire, sont étroitement associés et liés aussi par des liens d’alliance
matrimoniale, en conséquence, il serait peu probable que les extrémismes des uns et des
autres conduisent à une confrontation directe et violente. Du moins dans l’état actuel
des choses.
En décembre, Boubacar ould Messaoud, leader historique du mouvement SOS-Esclaves,
a donné un entretien à Mamadou Lamine Kane46, dans lequel il a posé des idées
intéressantes. Tout d’abord, il a affirmé que « l’esclavage » a été instrumentalisé par les
religieux mauritaniens, hassanophones et noirs, alors que l’islam n’a rien à voir avec
cela. Deuxièmement, Biram faisait partie de l’association avant qu’il ne décide de partir
et de fonder un mouvement moins frileux ; mais il ne partage pas sa démarche.
Cependant, selon Messaoud, les méthodes révolutionnaires de l’IRA peuvent provoquer
une confrontation qui serait voulue par les « Maures » dont les victimes seraient les
« esclaves », car les maîtres seraient armés et s’entraîneraient régulièrement — une idée
au demeurant éloignée de la réalité. Troisièmement, les « descendants d’esclaves » ont
44 Voir : http://www.noorinfo.com/Mouvement-d-emancipation-des-Haratines-Les-autorites-veulent-ternir-l-image-
de-la-lutte-pacifique-contre-l-esclavagisme_a11704.html
45 Voir l’entretien complet : http://www.lecalame.info/?q=node/760
46 Voir l’entretien ici : http://www.mozaikrim.com/2014/12/boubacar-ould-messaoud-je-combats-ma-propre-
violence.html
Mariella Villasante Cervello
40
grandi dans la violence des maîtres et ont été éduqués dans la soumission par les mères
qui voulaient les soustraire aux agressions. Voilà pourquoi les dirigeants sont
couramment des personnes volcaniques. Des idées qui traduisent la confrontation
personnelle des dirigeants face à une injustice sociale qui se reproduit encore au pays.
— L’IRA se développe sous la conduite de Biram, un dirigeant qui dérange
Biram ould Abeid est devenu l’homme politique de l’opposition le plus en vue du pays
malgré les attaques dont il a été la cible de la part des autorités mauritaniennes. Son
discours est en effet considéré comme extrêmement violent et il dérange autant les élites
que la majorité d’un peuple mauritanien pas du tout habitué à entendre des critiques
d’ouvrages islamiques réputés, et plus généralement des propos méprisants à l’encontre
de la société bidân/arabophone/libre dans son ensemble, qu’il accuse d’être
« esclavagiste ». Ce qui est excessif.
Au début janvier, la réaction de Biram vis-à-vis du lynchage médiatique contre le jeune
forgeron, dit Ould Mkhaitir, a été assez surprenante venant d’un défenseur des droits
humains. En effet, il le présente de manière indirecte comme coupable du crime dont
l’accusent les mêmes « juges » de son acte jugé blasphématoire d’avril 2012, mais il
demande qu’il soit jugé de manière juste47.
Sur le plan international, le leader ne cesse de recevoir des reconnaissances qui lui
servent à mieux asseoir la lutte contre le « système » en Mauritanie. Rappelons qu’en
décembre 2013, il a reçu le prix des droits humains attribué par l’ONU. En juillet, il fut
invité par le Congrès des Etats-Unis, où il a témoigné devant la Commission des droits
humains sur le thème de l’esclavage moderne48. Et puis en octobre, grâce aux
démarches de l’IRA, la ville de Chicago a émis une résolution dénonçant l’esclavage en
Mauritanie, et demandant au président Obama de faire de la lutte contre l’esclavage en
Mauritanie et dans le monde, une priorité49.
Biram ould Abeid, prix des droits humains de l’ONU 2013 [Le Calame]
47 Voir le communiqué de presse de l’IRA ici : http://www.lecalame.info/?q=node/1074
48 Voir http://www.noorinfo.com/Biram-Invite-du-Congres-americain_a13973.html
49 Voir la communiqué de l’IRA : http://www.lecalame.info/?q=node/883
Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014
41
Cette année, Biram a pris la tête d’un vaste mouvement de contestation des agriculteurs
de la région du fleuve Sénégal qui s’opposait à l’attribution de 31 000 hectares de terres
à une firme saoudienne qui devrait la mettre en valeur grâce à un investissement d’un
milliard de dollars50. Il a lancé une « Caravane contre l’esclavage foncier et la spoliation
de terres » en mars, à partir de la ville de Bogué, où Biram a rendu visite aux chefs
religieux et aux notables [Thiam, Le Calame du 17 mars]. Ce qui montre aussi les
limites de son propre discours « anti-système ». Dans ce contexte, au mois de mai,
Biram a annoncé sa candidature aux élections présidentielles, et comme on le notait
précédemment, il a obtenu 8% des suffrages, ce qui implique sa faible capacité de
mobilisation nationale. Finalement, la Caravane partie de Bogué s’est terminée le mardi
11 novembre dans la ville de Rosso, par une répression violente des forces de l’ordre et
par l’emprisonnement de Biram ould Abeid et cinq autres dirigeants de l’IRA (Brahim
Bilal Ould Ramdane, Khattri Rahel, Djiby Sow, Faitis Cheikhna, Mohamed Allouche).
Ils ont été accusés « d’incitation à la violence, de trouble à l’ordre public, d’outrage à
l’autorité et appartenance à une organisation non reconnue. » Le wali du Trarza,
Isselmou ould Sidi a accusé les responsables de « faire la promotion du racisme » et
d’en « appeler au spectre des événements de 1989 ». [Le Calame du 20 novembre]. Des
manifestations de protestation, réclamant la libération des militants abolitionnistes, se
sont succédées à Rosso et à Nouakchott et des graffitis dénonçant l’incarcération de
Biram sont apparus sur les façades de commissariats, d’établissements publics [Le
Calame, décembre].
Comme on pouvait s’y attendre, l’incarcération sans fondement légal de Biram et des
autres dirigeants de l’IRA a produit des réactions sur la scène internationale. Le 4
décembre, un reportage a été consacré au thème de l’esclavage en Mauritanie dans la
revue française L’Obs [n°2613], dans laquelle le journaliste Jean-Baptiste Naudet
présente quelques cas de dépendance extrême en faisant croire qu’il s’agit de la
« condition ordinaire des esclaves mauritaniens ». Cette simplification des faits associés
aux relations serviles correspond en réalité à l’image qui a été construite par les
Occidentaux sur « l’esclavage », et qui est revendiqué aussi par les dirigeants de l’IRA.
Il faut noter en particulier que l’affirmation de Naudet selon laquelle « il y aurait de
150 000 et 300 000 esclaves dans le pays » est complètement farfelue et ne correspond à
aucune donnée identifiable.
De son côté, le parlement européen a condamné l’arrestation de Biram et a demandé sa
libération immédiate [Le Calame du 19 décembre51]. Le Quai d’Orsay a condamné
également cette arrestation rappelant l’attachement de la France à la liberté d’expression
et de manifestation pacifique, ainsi qu’aux droits de défense et à un procès équitable [Le
Calame du 20 décembre52].
Les réactions officielles vis-à-vis des conséquences inattendues de la Caravane
organisée par Biram ont été négationnistes, comme d’habitude. En effet, l’imam de la
mosquée de Nouakchott, Ahmedou ould Lemrabott, a défendu la position de l’État qui
consiste à nier purement et simplement la persistance des relations serviles, et à parler
de manière euphémistique de « séquelles de l’esclavage » ; et il a évoqué la menace que
représentent « ceux qui portent atteinte à l’unité nationale » [Alakhbar, CRIDEM du 12
décembre]. Allant dans le même sens, les oulémas de Mauritanie ont lancé une
50 Voir : http://www.noorinfo.com/Mauritanie-l-accaparement-de-terres-facilite-par-le-pouvoir_a12043.html
51 Voir : http://www.lecalame.info/?q=node/1234.
52 Voir http://www.lecalame.info/?q=node/1242.
Mariella Villasante Cervello
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campagne de prêches contre les « séquelles de l’esclavage » dans tout le pays, faisant
remarquer qu’il s’agit d’une pratique sociale vieille de plusieurs siècles [Le Calame du
12 décembre].
A la lecture de ce qui précède, il semble évident que si la lutte politique pour l’égalité
sociale des groupes serviles mauritaniens, hassanophones et africains, exprime une
volonté de modernisation de la hiérarchie sociale et statutaire, il est aussi clair que les
autorités étatiques ne sont pas capables de mener à bien un processus qui, comme en
Inde avec leurs castes, est inéluctable.
— Autres mouvements sociaux : forgerons, femmes, travailleurs
Il faut préciser encore, avant de conclure, que d’autres mouvements sociaux sont en
cours même s’ils sont moins médiatisés. Il s’agit des mouvements de défense des droits
civiques des « forgerons53 », réactualisés par la triste affaire d’accusation d’apostasie
qui a frappé le jeune ingénieur Mohamed ould Cheikh, qui vient d’être condamné à
mort. Mais aussi les dénonciations des travailleurs des salines d’Ijjil contre les autorités
et les propriétaires54. Et enfin, les dénonciations des violences faites aux femmes, qui
deviennent enfin publiques55.
Réflexions finales
La Mauritanie traverse une période lourde d’événements dont le noyau est la remise en
question de l’ordre statutaire et hiérarchique qui, vieux de plusieurs siècles, ne peut plus
continuer à se reproduire sans être menacé d’une explosion sociale. Il appartient aux
autorités de prendre la mesure de ce fait et d’œuvrer pour canaliser les demandes
sociales et renforcer la démocratie et la liberté d’expression et d’association. Autrement
les conséquences peuvent être graves, non seulement pour la Mauritanie mais pour
l’ensemble régional dans lequel elle est insérée et qui traverse également une période de
violence potentielle et réelle de grande envergure.
*
53 Voir http://www.lecalame.info/?q=node/874
54 Voir http://www.lecalame.info/?q=node/992
55 Voir : http://www.lecalame.info/?q=node/1074