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Document généré le 18 nov. 2022 02:58 XYZ. La revue de la nouvelle Leçon de mots Gaëtan Brulotte Numéro 116, hiver 2013 Nouvelles d’une page : des histoires en miniature URI : https://id.erudit.org/iderudit/70384ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Publications Gaëtan Lévesque ISSN 0828-5608 (imprimé) 1923-0907 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Brulotte, G. (2013). Leçon de mots. XYZ. La revue de la nouvelle, (116), 16–16. Tous droits réservés © Publications Gaëtan Lévesque, 2013 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Leçon de mots Gaëtan Brulotte À une terrasse de café, par une après-midi ensoleillée, alors que j’essayais d’écrire mon journal, je me trouvai intensément attirée par l’interaction de deux hommes, la trentaine et la soixantaine, qui discutaient poésie à côté de moi. Le jeune dominant émettait quelques compliments à son ami sur son dernier recueil de poèmes en manuscrit, tout en formulant des réserves sur plusieurs d’entre eux. Le soumis grisonnant écoutait, imperturbable. Fébrile, échevelé, le premier extirpa ensuite un jeu d’épreuves de sa serviette et lut un poème à voix forte. D’un auteur inconnu. Sur la vitesse. Puis s’exclama : « Puissant, n’est-ce pas ? » Le vieux poète semblait médusé. — Toi, dit le guide littéraire, tu te poses en héros de la conscience. Trop de lucidité. Faut vibrer à l’intransitif. Son portable sonna, il prit l’appel. C’était apparemment son secrétaire, avec qui il s’appliqua à corriger au téléphone ce qui semblait être un de ses propres textes. « Enlève “grand homme”, c’est banal… Il faut remplacer “ses œuvres” par “ses écrits”… Changeons “souffrances” pour “soucis”, il n’a pas souffert. Oui, je sais bien, mais on a tous une langue de bois, on n’y peut rien. » Il raccrocha. Comme pour garder contenance, il se réfugia dans une tirade philosophique : « Pour ne pas exécrer le monde, il faut accepter de mourir un peu. C’est le prix à payer. » Le dominé semblait en savoir quelque chose. Puis, agité, regardant l’heure, le maître des mots s’excusa, il devait partir. Il demanda au poète de régler l’addition, il avait laissé son portefeuille dans la voiture. En partant, il l’invita à lui renvoyer son manuscrit révisé : « Merci pour ce bon moment ! » Pensif, le solitaire feuilleta son recueil, puis le rangea. Il leva les yeux sur moi. Je lui souris. 16 Son visage soudain s’illumina.