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INDICA ET TIBETICA MONOGRAPHIEN ZU DEN SPRACHEN UND LITERATUREN DES INDO-TIBETISCHEN KULTURRAUMES Herausgegeben von Michael Hahn unter Mitwirkung von Jens-Uwe Hartmann, Konrad Klaus und Roland Steiner Band 47 JAINA-ITIHĀSA-RATNA Festschrift für Gustav Roth zum 90. Geburtstag Herausgegeben von UTE HÜSKEN, PETRA KIEFFER-PÜLZ und ANNE PETERS INDICA ET TIBETICA VERLAG MARBURG 2006 Bibliografische Information Der Deutschen Bibliothek Die Deutsche Bibliothek verzeichnet diese Publikation in der Deutschen Nationalbibliografie; detaillierte bibliografische Daten sind im Internet über http://dnb.ddb.de abrufbar. Bibliographic information published by Die Deutsche Bibliothek Die Deutsche Bibliothek lists this publication in the Deutsche Nationalbibliografie; detailed bibliographic data is available in the Internet at http://dnb.ddb.de. © Indica et Tibetica Verlag, Marburg 2006 Alle Rechte vorbehalten / All rights reserved Ohne ausdrückliche Genehmigung des Verlages ist es nicht gestattet, das Werk oder einzelne Teile daraus nachzudrucken, zu vervielfältigen oder auf Datenträger zu speichern. Apart from any fair dealing for the purpose of private study, research, criticism or review, no part of this book may be reproduced or translated in any form, by print, photo print, microfilm, microfiche or any other means without written permission. Enquiries should be made to the publishers. Satz: Ute Hüsken Herstellung: Görich & Weiershäuser GmbH, Marburg Gedruckt auf säurefreiem Papier / Printed on acid-free paper ISBN 3-923776-48-9 ISSN 0723-3337 Inhalt Vorwort 1 Tabula Gratulatoria 7 NALINI BALBIR Le Pañcanamaskāramantra en charades 9 STEFAN BAUMS Bemerkungen zum Ordinalzahlsystem der Gāndhārī 33 DÖRTE BORCHERS Dzongkha in Bhutan. Nationalsprache, Verkehrssprache, Literatursprache? 45 HEINZ BRAUN Verzeichnis buddhistischer Mönchsgelehrter in Myanmar 59 JIN-IL CHUNG Dharmacakrapravartana-dharmaparyāya of the Sarvāstivāda and Mūlasarvāstivāda Tradition 75 MAX DEEG Unwirkliche Gegner. Chinesische Polemik gegen den Hīnayāna-Buddhismus 103 MARTIN DELHEY Asamāhitā Bhūmiḥ: Zwei Kapitel der Yogācārabhūmi über den von meditativer Versenkung freien Zustand 127 SIGLINDE DIETZ Fragments Containing Lists of the 32 Mahāpuruṣalakṣaṇas 153 HELMUT EIMER Die Ausgabe des Gzungs 'dus aus Dga' ldan phun tshogs gling 163 viii Inhalt INES FORNELL The Image of Alamgir in Modern Hindi Literature 179 OLIVER FREIBERGER Akademische Kanonisierung? Zur Erstellung von Anthologien buddhistischer Texte 193 REINHOLD GRÜNENDAHL Von der Indologie zum Völkermord. Die Kontinuitätskonstrukte Sheldon Pollocks und seiner Epigonen im Lichte ihrer Beweisführung 209 MICHAEL HAHN Miscellanea etymologica tibetica VII 237 JENS-UWE HARTMANN Ein weiteres zentralasiatisches Fragment aus dem Buddhacarita 259 UTE HÜSKEN Pavitrotsava: Rectifying Ritual Lapses 265 HAIYAN HU-VON HINÜBER Some Remarks on the Sanskrit Manuscript of the Mūlasarvāstivāda-Prātimokṣasūtra Found in Tibet 283 PETRA KIEFFER-PÜLZ Old and New Ritual: Advancing the Date of the Invitation Ceremony (pavāraṇā) with Regard to the Mahinda Festival 339 KORNELIUS KRÜMPELMANN Munshi Premcand: „Der Tempel“ (mandir) — Aus dem Hindi übersetzt 351 K. R. NORMAN Translation Problems in Early Buddhist Literature 363 THOMAS OBERLIES Zum Sūtrapāṭha des Cāndravyākaraṇa (Studien zum Cāndravyākaraṇa IV) 379 Inhalt ix BHIKKHU PĀSĀDIKA The Ekottarāgama Parallel to Aṅguttaranikāya III, 57–62 (V.50). Translated from the Chinese Version 397 ANNE PETERS Ein Band für die Handschrift und Verdienst für viele 407 HANS RUELIUS Kōla sanniya — Ödipus und Hiob in Sri Lanka 417 LORE SANDER Anmerkungen zum Śālabhañjikā-Motiv 439 PETER SCHALK “Sinhala Buddhism” — The Use of a Stereotype in a Martial Conflict 455 KLAUS T. SCHMIDT THT 1539 461 CLAUS VOGEL Grahayajña or Planetary Sacrifice. Being an English Version of Chapter XVIII of Varāhamihira's Bṛhadyātrā 467 KLAUS WILLE Die Sanskrit-Fragmente der Crosby-Sammlung (Washington D.C.) 483 Bibliographie Gustav Roth 511 NALINI BALBIR, Paris Le Pañcanamaskāramantra en charades 1. Les “Notes on the Paṃca-Namokkāra-Parama-Maṅgala” de M. Roth, que Mme Caillat mit entre les mains des étudiants dont j'étais peu après leur parution en 1974, ont toujours gardé, pour moi, un charme particulier. Partant de la rencontre directe et personnelle de l'auteur avec le pañcanamaskāramantra au cours de visites aux temples, elles plongent dans son histoire textuelle, relèvent son statut paradoxal de formule fameuse mais non attestée dans les livres śvetāmbara les plus anciens, sa présence développée, en revanche, dans le Mahānisīha-sutta (III.5–10), locus classicus pour l'analyse `étymologique' des mots qui la constituent, elles traitent aussi de la version alternative figurant dans la Vasudevahiṇḍī, et confrontent les analyses des śvetāmbara avec le libellé et les interprétations transmis par les digambara (Dhavalāṭīkā). L'emploi, fondamental, du pañcanamaskāra-mantra comme formule de protection contre les dangers, dont la récitation sauve sur-le-champ, est illustré au moyen d'un exemple emblématique emprunté à la littérature narrative — qui en regorge (cf. Dundas 2002: 82), et reflète probablement des croyances bien ancrées que les jaina d'aujourd'hui ne renient pas. Bref, en peu de pages, les bases sont posées, précises et suggestives. 2. A ma connaissance inédit à ce jour,1 le Pra nagarbha-pañcaparameṣṭhistava (`Hymne aux cinq entités ayant pour cœur des questions’), dont je présente ici l'édition et la traduction, en hommage à ce savant et en guise de prolongement au travail exemplaire qu'il a consacré à la quintuple formule, est, en quelque sorte, un produit dérivé de l'abondante littérature qui s'est développée autour de cette formule. On ne compte plus, en effet, les commentaires, les hymnes, les poèmes en tout genre (stava, rāsa, etc.) qui dissèquent les syllabes ou chantent les bienfaits de la récitation de ce que les jaina appellent, sous sa forme gujaratie, le navakārmantra ou nokārmantra (exemples de poèmes dans Kundakundavijaya 1980: 212 et suiv.). Les discussions sur sa —————— 1 Il est toujours difficile d'atteindre la certitude absolue en matière de publication des textes jaina, surtout lorsqu'ils sont de taille réduite. Tant de moines ou de savants publient en hindi, en gujarati ou dans d'autres langues, tant de volumes de mélanges ou d'ouvrages à diffusion réduite paraissent, qu'on peut découvrir, un jour, inopinément, un document ignoré ou un trésor caché. 10 Nalini Balbir forme déterminent des clivages entre groupes religieux au sein des śvetāmbara: alors que la majorité d'entre eux le concluent par maṅgalāṇaṃ ca savvesiṃ paḍhamaṃ havai maṅgalaṃ certains en tiennent pour la forme hoi, qu'ils justifient avec force arguments: “This variant excited since long the critical and attentive mind of learned Jaina-s” (Roth 1974: 4–5). Les sectateurs de l'Añcalagaccha figurent parmi eux (Balbir 2003b: 61–63, 70); au moins un exemple montre que leurs scribes suivent cet usage dans les manuscrits qu'ils copient (Balbir, Sheth, Tripathi 2006: No. 99 [Or. 11921]). Le nombre total de syllabes que doit contenir l'ensemble du mantra et sa visualisation sous la forme d'un lotus jouent le premier rôle dans les discussions afférentes. Le namaskāramantra est le préambule nécessaire à l'observance du rituel de repentir et de confession (pratikramaṇa), préfixé à l'ensemble des six obligations (ṣaḍ-āva yaka). Le corpus āvaśyakéen lui consacre donc une section entière de ses commentaires (niryukti IX, strophes 890 et suiv.; cūrṇi et ṭīkā afférentes). Récité en ouverture de toutes les cérémonies religieuses, toujours en prakrit, sa langue d'origine, il a été qualifié de `Jain Gayatri' (Dave dans Jinavijaya 1980: 4). Il est le credo des jaina et le signe de leur appartenance à une même communauté. C'est, au sens propre, un sésame: à l'exemple de l'anthropologue britannique James Laidlaw, qui écrit: “More than once when I was travelling ... in India I gained access to a closed Jain temple on the basis of little more than a clear recitation of the nokar mantra” (1995: 136), qu'on me permette d'ajouter le mien. Point anecdotique auquel je me sens d'autant plus autorisée que le dédicataire de ces pages aime les incidents amusants ou piquants, dont le récit agrémente souvent sa conversation. Un matin de février 1996, à l'entrée du temple Dilwara d'Abu, me voici face à un garde en uniforme kaki, devant porte close: dans la matinée, le temple n'est ouvert qu'aux jaina, pour le culte. S'engage alors un bref dialogue en hindi. Je me lance dans quelques explications: j'ignorais cette disposition, nouvelle depuis ma dernière visite, je venais de loin, ne pouvais revenir l'après-midi, travaillais sur les jaina. Je mentionnai deux ou trois noms de savants indiens prestigieux. Réponse: “Si vous êtes jaina, récitez le navakārmantra.” Je m'exécute; un geste hautain de la main me laisse passer ... Il n'est guère que le mouvement Akram Vijnan, courant jaina récent d'impulsion laïque et de portée plutôt régionale qui prône la voie de la connaissance et s'inspire des idéaux de Kundakunda, pour vouloir remplacer cette formule, pratiquement magique, par un trimantra réunissant les Jina, Kṛṣṇa et Śiva (Flügel 2005: 215). Le Pra nagarbha° illustre, dans un style ludique et didactique, de manière plutôt originale, l'importance attachée au pañcanamaskāra et surtout à sa nature de mantra, en mettant l'accent à la fois sur les mots et les syllabes qui le Le Pañcanamaskāramantra en charades 11 constituent, et en illustrant quelques-unes des spéculations auxquelles il a donné lieu. Il est composé de six strophes en prakrit (māhārāṣṭrī jaina). Les cinq premières (mètre sragdharā) proposent chacune plusieurs devinettes. Le but est d'y découvrir la formule d'hommage à l'une des cinq entités suprêmes, soit, tour à tour, dans l'ordre traditionnel invariable: Arhat, Siddha, Maîtres, Précepteurs, Moines: namo arihantāṇaṃ, namo siddhāṇaṃ, namo āyāriyāṇaṃ, namo uvajjhāyāṇaṃ, namo loe savva-sāhūṇaṃ (comparer Roth 1974: 2). La dernière strophe du Pra nagarbha° (mètre ārdūlavikrīḍita) est l'expression de la phala- ruti. Le texte ne considère pas la seconde partie du mantra (eso pañcanamokkāro ...). 3. Sur le plan formel, le Pra nagarbha° relève du genre de la devinette du type charade désigné dans les traités spécialisés par le terme technique de pra nottara. En milieu jaina, l'ouvrage le plus ample est le Pra nottara-ṣaṣṭieka ata de Jinavallabha (XIIe siècle). Entièrement consacré à l'illustration des nombreuses variétés possibles de charades, il donne à connaître la pratique, mais non la théorie, dépourvu qu'il est de toute définition (Balbir [2003]: 92– 93). Chaque exemple est simplement suivi de la chaîne verbale qui constitue la réponse et du nom technique porté par la variété mise en œuvre. L'analyse de détail est prise en charge par le commentaire. Le Pra nagarbha° procède de même. D'autre part, la littérature narrative en prakrit, qui recueille un assez grand nombre de devinettes-charades, montre que leur pratique est attestée au moins depuis le VIIIe siècle (Balbir [2003]: 180 et suiv.). Le seul traité systématique un peu ancien qui allie théorie et pratique, définitions et application, est le Vidagdhamukhamaṇḍana de Dharmadāsa (de date indéterminée; entre 630 et 950?), peut-être produit en milieu jaina.2 Le principe général de fonctionnement des charades est la segmentation des unités linguistiques en syllabes aussi petites que possible. Celles-ci sont soumises à toutes sortes de manipulations, où les divisions et les permutations aboutissent à des combinaisons multiples (palindrome simple ou répété, par exemple). Plus les manipulations sont virtuoses et savantes, plus le plaisir est grand. Pour les effectuer aussi bien que pour les comprendre, il importe de connaître et d'exploiter toutes les ressources de la grammaire et du lexique. Dans ce processus, les monosyllabes ont un rôle de premier plan, qu'il s'agisse de formes nominales ou de racines verbales. Outre les grammaires et les lexiques synonymiques, les dhātupāṭha et les ekākṣarako a sont donc des compagnons indispensables. Bien des unités lexicales produites par les devi- —————— 2 L'Alaṃkāracintāmaṇi d'Ajitasena, auteur digambara, dont le deuxième chapitre suit de près Dharmadāsa, est beaucoup plus récent (Balbir [2003]: 192–193). 12 Nalini Balbir nettes-charades ne figurent pas dans les dictionnaires, mais pourraient s'y trouver. On joue, en effet, sur les potentialités de la langue, notamment en matière de dérivation nominale, et sur des mécanismes morphologiques productifs: ainsi, la possibilité de former un dérivé primaire à suffixe -in pour moṣin `qui dérobe' sur la racine muṣ- (strophe 2, ci-dessous), celle de fabriquer un nom d'agent thématique pour nama `qui salue' (strophe 1), etc. Il revient, le cas échéant, au commentaire de justifier telle ou telle formation inhabituelle par référence à l'enseignement grammatical. Il n'est pas surprenant de constater que ce dernier coïncide, en l'occurrence, avec celui que dispense Hemacandra (XIIe s.) dans son abdānu āsana, ou que tel vocable paraît propre à la tradition de l'Abhidhānacintāmaṇi, lexique du même Hemacandra. Ses manuels comptent en effet parmi les plus utilisés en contexte jaina. La créativité lexicale des devinettes-charades ne connaît guère de borne. Mais le genre a ses stéréotypes: questions et réponses sont susceptibles de récurrence, à l'intérieur d'un même texte, ou d'un texte à l'autre (voir exemples ci-dessous). 4. Démontrer la virtuosité langagière n'est pas la seule fonction des pra nottara. Echangées par un jeune couple, les devinettes sont le premier moment d'intimité, et, parfois, un moyen indirect d'exprimer l'amour, lorsque questions ou réponses font allusion à la beauté ou impliquent de découvrir le nom de l'aimé(e) (Balbir [2003]: 181). La recherche du nom est aussi au cœur des devinettes-charades figurant dans les lettres d'invitation (vijñaptipattra). C'est alors le nom du maître religieux, de ses parents ou de sa ville natale, et la charade a pour fonction d'exprimer la dévotion de son auteur à un maître en évoquant ce qui le définit lui-même et ce qui l'entoure, manière de rappeler l'importance que le jainisme accorde aux noms des Jina, objets d'une analyse étymologique en référence aux rêves prémonitoires de leurs mères, mais aussi aux noms de leurs parents (Balbir 2003a). La devinette est donc ambivalente: ludique par la forme, profonde par le propos. Il en va de même avec le Pra nagarbha°. A côté des questions et réponses courantes dans les pra nottara, d'autres font référence, explicitement mais en termes assez généraux, à la doctrine ou à sa mise en pratique (ex. strophe 2, question 3). Plus topiques, d'autres mettent nettement en valeur le caractère de mantra du pañcanamaskāra. Curieusement, aucune ne contient le moindre rappel des spéculations `étymologiques' sur les mots qui désignent les cinq entités. Leur but est d'exprimer le sens profond de ces mots (gabbhattha-sabbhāvo). Elles sont rassemblées dans le Mahānisīha-sutta (III.9; Roth 1974: 14–15). Ainsi: The `arahantas' (i.e. `the deserving') [are those who] within the whole world with [its men], gods and demons `deserve' supreme excellence, marked by an excess of homages ... full of omniscience. By the total destruction of [their] Le Pañcanamaskāramantra en charades 13 karmans, [their] sprouts of existence being consumed, they will not be any more, they will not be born or procreated [any more] or [otherwise said, they are] `a-ruhantas' (i.e. `such as do not grow any more'). Or having totally destroyed, slain, smashed, shaken, eliminated and conquered the almost invincible enemy [that is] eightfold karman, [they are said to be] `ari-hantas' (i.e. `those who kill the enemy') (Deleu-Schubring 1963: 125). En revanche, des échos très nets de développements propres aux textes jaina traitant de la concentration, de la méditation et de la pratique du yoga figurent dans le Pra nagarbha°. Le terme même de garbha inclus dans le titre est certainement significatif. La question et la réponse qui font référence au mot arhaṃ comme germe (bīja) du pañcanamaskāra-mantra (strophe 1) renvoient, par exemple, au Yoga āstra de Hemacandra dont le huitième chapitre, consacré à la méditation sur les syllabes sacrées, considère arhaṃ comme une sorte d'expression de la totalité dans la mesure où elle réunit la première et la dernière lettre de l'alphabet — l'alpha et l'oméga: tasyāntarantimaṃ varṇaṃ ādya-varṇa-puraskṛtam rephākrāntaṃ kalā-bindu-ramyaṃ prāleya-nirmalam arham ity akṣaraṃ prāṇa-prānta-saṃspar i pāvanaṃ hrasvaṃ dīrghaṃ plutaṃ sūkṣmam atisūkṣmaṃ tataḥ param (8.8–9) The first letter [of the syllabary, a], should be placed in front [of the lotus] and the final letter, [ha], in its centre accompanied by [the letter] r — which is spotless as snow — a pleasant crescent and a dot. This holy word, arhaṃ, which brings one in contact with the essence of life, [should first be uttered in the mind] with a short [sound], then with a long, [then with a] protracted, [then with a] subtle and [finally with an] excessively subtle sound (Qvarnström 2002: 151–152; Qvarnström in White 2001: 595 et suiv.). La pertinence de la syllabe auṃ, réponse à l'une des questions de la strophe 4, s'inscrit dans la même perspective: concentré de sens, mahāmantra, dont la méditation est également prescrite (Yoga āstra 8.30; Sushil Kumar 1987: 45). Analysé, dans la conception jaina, en a = arhat, a arīra (= siddha) et ācārya, u = upādhyāya et m = muni (= sādhu), il est la quintessence du quintuple hommage. Les connexions entre les cinq entités et les cinq couleurs ne sont pas détaillées dans le Pra nagarbha°. Mais elles sont présentes à travers l'une des questions: “Quel mot, de couleur bleue, détruit le fardeau des souffrances s'il est médité trois fois par jour? — Hommage aux précepteurs” (namo uvajjhāyāṇaṃ, strophe 4). 14 Nalini Balbir La correspondance s'établit comme suit: Arhat blanc Siddha rouge Ācārya jaune Upādhyāya bleu(/vert) Sādhu noir Il est difficile de retracer l'histoire exacte de cette correspondance, qui, pourtant, est très courante, bien connue des jaina et attestée dans l'iconographie, également dans le culte du siddhacakra (Shah 1987: 44; British Library Or.2116C, fol. 1B). Le commentaire du Pra nagarbha° n'en dit mot. Mais les interprétations modernes de la quintuple formule présentent la relation comme si elle avait toujours existé et allait de soi: The Namokar Mantra maintains the balance of color in the body. If the colors are imbalanced, then sickness will occur. Firstly, the Mantra uses the white light of Namo Arihantanam, which controls samana, to remove all negativity and bad thoughts. ... Namo Siddhanam, which controls udana, is red. ... Red light governs the vitality of the body, particularly the creative, procreative and restorative processes. ... Namo Airiyanam, which controls vyana, is yellow or orange. Yellow controls digestion and elimination by the intestines and liver. It strengthens the nervous system and awakens the reasoning faculties. ... Namo Uvajjhayanam, which controls prana, is blue or green. Green nourishes the heart chakra. It has a soothing effect on the nervous system and promotes general harmony of the body and mind. Blue nourishes the throat chakra. It is cooling, soothing and astringent. ... Namo Loe Savva Sahunam, which controls apana, is black. Black absorbs negativity (Sushil Kumar 1987: 36–37). Quant à Hemacandra, il associe la méditation sur les couleurs de la syllabe auṃ aux actions de type magique qui sont l'un des buts des mantra: le jaune pour paralyser, le rouge pour soumettre, le vert pour ébranler, le noir pour provoquer l'hostilité, et le blanc pour éliminer ses karman (Yoga āstra 8.31; Qvarnström 2002: 154–155), rien de plus. Si l'on se rappelle que, selon le Mahānisīha-sutta, les Arhat sont ainsi nommés parce qu'ils ont éliminé les ennemis que sont les karman (voir ci-dessus), l'association entre Arhat et blancheur se trouve fondée. Plus largement, les cinq couleurs s'organisent en une échelle décroissante, de l'immaculé vers le sombre, du blanc vers le noir, de l'Arhat vers le moine ordinaire, même si la logique des couleurs intermédiaires est moins immédiate. Quoi qu'il en soit, ces correspondances soulignent aussi la valeur symbolique du chiffre 5 comme expression d'une totalité (comparer Kirfel 1959: 150–152). Dans leur forme complète, elles incluent aussi les cinq éléments ou les cinq parties du corps: Le Pañcanamaskāramantra en charades Arhat blanc Siddha rouge Ācārya jaune Upādhyāya bleu Sādhu noir (Sushil Kumar 1987: 33–34, 44). sommet de la tête visage cœur nombril pieds 15 eau feu terre air espace La forme abrégée du pañcanamaskāra, composée des cinq syllabes initiales des noms des cinq entités, soit a si ā u sā, est de même interprétée comme un contenant exhaustif (pañcavarṇamayī, Yoga āstra 8.41); le total des qualités des cinq entités s’élève à 108 (12+8+36+25+27). La paralysie (pk. thambha, sk. stambha), c'est-à-dire l'arrêt, l'immobilisation ou la fixation d'éléments mobiles comme l'eau et le feu, qui représentent autant de dangers potentiels, apparaît dans le Pra nagarbha° comme un pouvoir lié spécifiquement à la formule namo āyariyāṇaṃ `hommage aux maîtres' (strophe 3). Plus généralement, c'est l'une des cinq ou six actions rituelles susceptibles d'être effectuées par la récitation ou la remémoration des mantra (cidessus et Cort 1987: 245; en contexte non jaina Bühnemann in White 2001). Hors du contexte mantrico-tantrique, cependant, les maîtres ācārya sont plutôt célébrés pour leurs qualités morales, traditionellement au nombre de trentesix, et le fait qu'ils mettent en pratique la conduite (ex. Shah 1987: 42). Enfin, le lotus à un cœur et huit pétales (aṣṭadala-kamala), terme et point culminant de la série des cinq strophes consacrées tour à tour à chacune des cinq entités, manifeste à lui seul la double orientation du Pra nagarbha°. En effet il correspond à la fois à un type de devinette-charade bien répertorié et souvent illustré (voir Notes ad locum) et, matérialisation du lotus du cœur, il constitue le diagramme (yantra, maṇḍala) ou la forme la plus classique de visualisation, d'ailleurs pan-indienne, indépendamment de la diversité des formules qu'on peut y placer (Hemacandra, Yoga āstra 8.6 et suiv.: Qvarnström 2002: 151; Jinavijaya 1980: 55, v. 556 et suiv.; Shah 1987: fig. 209, etc.). Il est notamment destiné à recevoir, précisément, l'hommage aux cinq entités (pañcanamaskāramantra, 8.32), pour lequel il convient de procéder comme suit: aṣṭa-patre sitāmbhoje karṇikāyāṃ kṛta-sthitim ādyaṃ saptākṣaraṃ mantraṃ pavitraṃ cintayet tataḥ. siddhādika-catuṣkaṃ ca dik-patreṣu yathākramam cūlā-pāda-catuṣkaṃ ca vidik-patreṣu cintayet (8.33–34). He should meditate on [its] first holy mantra, which consists of the seven syllables [na-mo a-ra-haṃ-tā-ṇaṃ], stationed in the pericarp of an eight-petalled, white lotus. He should [then] in due order envision the four [remaining mantras of the Jaina litany], beginning with the [salutation to] the perfect beings (siddha), on the petals facing the [east, south, north and west]. On the petals 16 Nalini Balbir facing the intermediate points [of the compass], he should envision the four appendixes (culika) [to the holy litany] (Qvarnström 2002: 155; comparer Shah 1987: fig. 38). 5. Le Pra nagarbha° paraît avoir été rarement copié et a donc connu une diffusion limitée. Seuls deux manuscrits en sont répertoriés dans le New Catalogus Catalogorum. On ne peut toutefois exclure qu'il en existe d'autres exemplaires bien à l'abri dans quelque bibliothèque de temple. Les deux manuscrits disponibles ont été utilisés. P: ms. du Bhandarkar Oriental Research Institute, Pune. Cote 743(a)/1892– 95; 1 feuillet, 25 x 10,5 cm, 14 lignes, 55 akṣara par ligne. Pañcapāṭha. Non daté. Ecriture claire, de type mixte (pṛṣṭhamātra et classique pour la notation de e, o, ai, au). Dessin central décoratif en forme de lotus à huit pétales inséré dans un cercle au recto, rectangle vide au verso. Losanges ornementaux dans les marges de gauche et de droite. Décrit dans Kapadia 1957: 354–356. Le Pra nagarbha° occupe le recto. L: ms. de l'India Office Library, Londres. Cote: I.O. San. 2527 (E); 1 feuillet, 25 x 10 cm, 14 lignes. Pañcapāṭha. Non daté. Ecriture claire, régulière, bien formée, de type mixte. Au recto, dessin central en forme de lotus à huit pétales inséré dans un cercle figurant les réponses aux devinettes de la strophe 5 (figure 2 ci-après), au verso lozange vide, de type courant dans les manuscrits jaina. Décrit dans Keith No. 7609 (avec citations inexactes) et Balbir, Sheth, Tripathi 2006: No. 920. Le Pra nagarbha° occupe le recto. Les deux manuscrits adoptent la disposition connue sous le nom de pañcapāṭha, fréquente dans les manuscrits jaina. Elle permet d'exploiter au maximum la feuille de papier, en utilisant non seulement le rectangle principal, mais aussi les quatre marges (supérieure, inférieure, de gauche et de droite), fournissant ainsi cinq espaces d'écriture. Ici, comme d'habitude, le rectangle principal contient le mūla, soit les six strophes en prakrit, en une écriture de bonne taille. Ces strophes sont parfaitement conservées et pratiquement sans variante significative. Quant aux marges, elles contiennent un commentaire en sanskrit, en écriture de taille nettement moindre, mais non microscopique comme il arrive parfois. Le sens de la lecture est, comme à l'ordinaire en pareil cas, le suivant: marge supérieure, marge de droite, marge de gauche, marge inférieure. Plutôt succinct et sans prétention particulière, ce commentaire est néanmoins un guide précieux à la lecture. Il est, malheureusement, imparfaitement conservé: dans le manuscrit de Londres, la marge gauche est pratiquement perdue, sauf pour les syllabes proches du centre, et la portion de la marge inférieure où le commentaire se serait terminé est inexistante. Résultat: le commentaire de la strophe 4 est incomplet, celui des strophes 5 et 6 fait défaut. Dans le manuscrit de Pune, les bords de la marge gauche manquent, et Le Pañcanamaskāramantra en charades 17 l'encre est plus ou moins effacée par endroits dans cette même marge. Dans la plupart des cas, il est possible de restituer le texte, car ce commentaire, identique dans les deux manuscrits, s'apparente à une sorte de chāyā du prakrit. Il demeure pourtant quelques lacunes ponctuelles. Et P et L comportent, à la suite du Pra nagarbha°, un second texte. Il s'agit, dans l'un et l'autre, du Vardhamāna-stotraṃ samasyāmayam: douze strophes en prakrit, accompagnées d'un commentaire en sanskrit, qui, elles aussi, allient l'hymne dévotionnel à l'agilité linguistique, en recourant, non pas à la devinette et à la charade, mais au samasyā(pūraṇa).3 Dans les deux manuscrits, ce second texte est attribué à un même auteur: Jayacandrasūri-kṛtam (P); bhaṭṭāraka-prabhu- rīJayacandrasūripāda-praṇītam idaṃ (L). Les colophons du premier texte, en revanche (voir ci-dessous § 6 fin) sont moins nets quant à cette attribution, que seul indique le colophon du commentaire dans P. Elle est plausible, car il n'est pas rare que soient groupés au sein d'un même manuscrit plusieurs textes d'un même auteur. Quoi qu'il en soit, ce Jayacandrasūri reste mystérieux, en l'absence de toute indication supplémentaire qui permettrait de le situer dans le temps ou de préciser son affiliation religieuse, parmi les śvetāmbara dont il est sans doute: disciple de Somasundarasūri du Tapāgaccha? maître de Bhāvacandra du Purṇimāgaccha? (Kapadia 1957: 354). Si Jayacandrasūri est aussi l'auteur du commentaire, il est en tout cas postérieur à Hemacandra, dont les aphorismes grammaticaux sont invoqués à plusieurs reprises (sans mention de leur source, il est vrai). 6. Edition du Pra nagarbha-pañca-parameṣṭhi-stava 1. 1rehāhiṃ ko tihiṃ? 2ko viṇaya-rasa-juo? 3sammao bei cakkaṃ kiṃ-rūvaṃ? 4manta-bīaṃ kim iha siva-kae? 5nikkivo ko? 6suhaṃ kiṃ? 7 pūy'-atthaṃ vā payaṃ kiṃ? 8bhaṇaha paḍa-kae kerisaṃ kiṃ nimittaṃ? 9 kiṃ siddhantassa āī? 10sayala-suha-karaṃ kiṃ payaṃ? jhāyae taṃ. — ṇamo arihaṃtāṇaṃ śṛṅkhalā-jāti, trir-gataś ca. 1 tahiṃ, P — 7pūatthaṃ, P. Comm.: 1rekhābhis tisṛbhir ṇṇa iti prākṛtatvād vibhakti-lopaḥ. 2namatîti namo “'c” ity anenâc vinâto namo naṃtā bhavati. 3sammado harṣo brūte tasya sambodhanaṃ he moda, arā asya santîti ari cakraṃ, 4mantra-bījaṃ arhaṃ, akāraṃ vinâpi rhaṃ ity (a)pi bhavati. 5niṣkṛto hantā, 6sukhaṃ trāṇaṃ. 7pūjâ- —————— 3 Publié dans Jainastotrasandohasya dvitīyabhāgaḥ. Ahmedabad: Sarabhai Nawab (livre que je n'ai pu consulter). Nalini Balbir 18 rthaṃ namaḥ padaṃ, 8paṭasya kāraṇaṃ arhaṃ yogyaṃ vadanti. 9āgamasyâdir ṇamo arihantāṇaṃ iti || 1 2. 1kiṃ-rūvaṃ aḍḍha-vindaṃ havai? 2duha-yarī kā Haro āha sattā? 3 sevittā kaṃ va siddhā? 4kim u bhaṇia jiṇo saṃpavajjei dikkhaṃ? 5 atthīṇaṃ bei khuddo kim u? 6bhaṇai sasī “kerisaṃ kāmi-cittaṃ”? 7 antaddhāṇaṃ aṇ-antaṃ kim? 8iha vijayae mangalaṃ kiṃ vā bīaṃ? — namo siddhāṇaṃ || pancakṛtvo gatiḥ. 4 bhaṇiya, P — 7ata, L — 8ca (au lieu de vā), P. Comm.: 1āḍhya-vṛndaṃ na muṣṇātîty evaṃ śīlaṃ na moṣi dhrāṇaṃ ca tṛptaṃ bhavati. 2dukkha-karī na-mā a-lakṣmī. nañ samānârtho na-śabdo 'sti tena samāsaḥ. uḥ Śivas tasya sambodhanaṃ he u prāk-saṃdhau namô iti. 3siddhānām ājñāṃ pālayitvā siddhā bhavanti. 4namo siddhānaṃ iti bhaṇitvā jino dīkṣāṃ pratipadyate. 5kṣudraḥ kṛpaṇo nêti bhaṇati. māś candraḥ prākṛte sambodhane mo iti saha inā kāmena varttate yat tat si klīvatvād dhrasvaḥ. 7antaddhānam iti padam antaṃ vinā ddhāṇam iti. 8dvitīyaṃ mangalaṃ namo siddhāṇam iti vijayate || 2 || 1 ghrāṇaṃ ca tṛptaṃ bhavati, L (voir notes ci-dessous) — 2alakṣmīḥ, P — 5niti, L. 3. 1pāvāṇaṃ ke? 2jiṇāṇaṃ kim u karia suhī kaṃ muṇī? 3māṇa-mohā kiṃ-rūvâṇāi-'ṇantā? 4viula-dhaṇa-bharo vaḍḍhae kerisāṇaṃ? 5 vijjā-vinnāṇa-bhāgī havai suniuṇo keriso kesi? 6kiṃ vā thambheī nīram-āī payam aṇaha-mahaṃ? jhāyae taṃ maṇeṇaṃ. — namo āyariāṇaṃ catuḥkṛtvo gatiḥ. Comm.: pāvā° || 1pāpāḥ pāpavantas teṣāṃ na-modā a-harṣā bhavantîti yogaḥ. jinānām ājñām ācarya pālayitvā muniḥ sukhī bhavati. 3samāna-dīrghatve '-kārasya punar-grahaṇaṃ māna-mohāv anādy-anantau ādy-antâkṣara-varjitau kiṃ-rūpau? ṇamo iti. 4vipula-dhana-bharo varddhate. āya-kṛtānāṃ lābha-prāptānāṃ. riṃ pit gatau. ri iti dhātau āya-ritānāṃ vā sa evârthaḥ. 5vidyâdi-bhāgī bhavati, namo nantā ācāryāṇām iti. 6stabhnāti nīrâdy-upasargān “jala-jalaṇâī solasa pay'atthaṃ thambhantu āyariyā” iti vacanāt || 3 3 grahaṇa, L; anādyānaṃtau, P; ṇa iti, P — 4riṃ pig gatau, P — 6payattaṃ, P mais paya, L. 2 4. 1kiṃ vakkâlaṃkiimmī? 2kim u vihura-vayaṃ? 3kaṃ karittāṇa vinnū? 4 āyāṇaṃ kiṃ a-uvvaṃ vivarīam? 5iha ko kiṃ va pāḍhai puvviṃ? 6 ko 'bhāvaṃ bei? 7ko vā havai aha-bharā kerisāṇaṃ jaṇāṇaṃ? 8 jhāijjantaṃ payaṃ ki haṇai duha-bharaṃ nīla-vaṇṇaṃ ti-sanjhaṃ? — ṇamo uvajjhāyāṇaṃ — gatâgataṃ dvi-gatiś ca. Le Pañcanamaskāramantra en charades 1 19 vākkā°, L — 3vinnū, P mais vannu, L — 5pāḍhei, P — dvir gatiś ca, P. Comm.: 1kiṃ va°, ṇam iti vākyâlaṃkṛtau. 2vidhura-janasya bhayabhīta-janasya vaca u iti. 3upādhyāyâjñāṃ kṛtvā vijño bhavati. 4āyāṇaṃ apūrvaṃ na vidyate pūrvaḥ prathamo varṇo yatra tad apūrvaṃ yāṇam iti, viparītaṃ ca tat ṇaṃyā iti bhavati. 5ajjhāvau adhyāpakaḥ um iti pūrvam ādau chātrān pāṭhayati. 6abhāvavācī na iti. [Le texte du commentaire est désormais donné sur la seule base de P; la marge gauche de L où il se poursuit est presque entièrement détruite]. 7 mocanaṃ moko “bhāvâkartror” ghañ iti ghañ na moko muktir ity arthaḥ, vajjhāyāṇaṃ hatyānāṃ hatyā-kāriṇāṃ janānāṃ 8pāpa-samūh{āja+nāragayabhā, très incertain} uvajjhāyāṇa(m i)ti padaṃ || 4 || 4 yaṇāṃ, P. 5. 1 kiṃ sukkhaṃ? 2kiṃ guṇ'-aḍḍhaṃ? 3kim iha rasayaraṃ? 4kaṃ haṇantîha vāhā? 5 dhannaṃ kiṃ binti loā kim avi? 6pabhaṇae vañjaṇaṃ sīalaṃ kiṃ? 7 nind'-atthaṃ bei jīvaṃ kam aha jaṇa-gaṇo? 8kaṃ va desaṃ jiṇandā bhāsante? 9kiṃ payaṃ jaṃ aṇavaraya-mahā-jhāṇa-juggaṃ muṇīṇaṃ? — namo loe savva-sāhūṇaṃ — aṣṭa-dala-kamalaṃ. 1 mukkhaṃ, P mais sukhaṃ, L;. — 8ba d. jiṇindā au lieu de va d. jiṇandā, P — 9 mahojhāṇa, P; jugaṃ, L. Comm.: kiṃ su° || 1na ṛṇaṃ ṛ-kārasyâkāre tal-lope ca sati na 'ṇam iti ṛṇâbhāvaḥ saukhyaṃ. 2munīnāṃ nāvau (?) maunaṃ munitvaṃ śrāmaṇyaṃ guṇâḍhyaṃ, maunaṃ sarvârtha-sādhanam. iti vacanān, + + + 3 + + nānāvo (?) vā loṇaṃ lavaṇaṃ rasa(ta)raṃ, 4hariṇaṃ ghnanti v(yā)dhā(s) 5saṇaṃ (dhā)nya-viśeṣaḥ. 6 vy(aṃ)janaṃ + śītaṃ + + + vaṇaṃ jalakānanaṃ (?) vā. 7sāṇaṃ śvā i(ti) nindârthaṃ jano brūte `eṣa śvā' iti. 8kaṃ vā deśa + + + + jana-gaṇo brūte hūṇāṃ + + + + 9kiṃ padam upadiśanti (?) yad anavarataṃ (?) nirantaraṃ dhyāna[ṃ]yo(gyaṃ?) munīnāṃ namo loe savva-sāhūṇam i(ti) padaṃ || 5 || 6. evaṃ je parameṭṭhi-pancaga-paya-ppanhesu tāiṃ jaṇā jāṇittā pai-vāsaraṃ nia-maṇe dhāranti jhāyanti ya tesiṃ duṭṭha-tam'-aṭṭha-kamma-vigamā telukka-kappaddumo eso so paramiṭṭhi-manta-pavaro dijjā suhaṃ sāsayaṃ. a. Seul P donne un texte métriquement correct (inexactement reproduit dans le Catalogue du Bhandarkar Oriental Research Institute: parameṭṭhipancagayapayappanhesu); parameṭṭhipancagaeyappanhesu, L, où le e dans °pancagaeya°, nettement formé, est vraisemblablement le résultat de la mauvaise lecture d'un pa que devait porter le manuscrit source — d. Les syllabes ṭṭhimanta manquent dans L, détruit à cet endroit. Nalini Balbir 20 Comm.: evaṃ je, (su)gamaṃ. navaraṃ parameṣṭhi, parameṣṭhi-pancaka-padapraśneṣu tāni parameṣṭhi-padāni panca jñātvā nija-manasi dhā(ranti) dhyanti ca, teṣām eva śrīpancaparameṣṭhi-mantra-lokya-kalpa-kramaḥ śāśvataṃ sukhaṃ karotv iti. Colophons — Du mūla P, L: iti Praśnagarbhaṃ Paṃcaparameṣṭistavaḥ. — Du commentaire P: iti Praśnagarbhaṃ śrīPancaparameṣṭhi-stavanaṃ bhaṭṭāraka-prabhu-śrīJayacandrasūri-viracitam iti. (Celui de L est perdu). 7. Traduction du Pra nagarbha-pañcaparameṣṭhi-stava et notes. 1. 1Qui est doté de trois lignes? — (La lettre) ṇa 2 Qui est pourvu du suc de la discipline? — Celui qui rend hommage 3 La joie demande: “Comment est une roue?” — O joie, pourvue de rayons 4 Quel est, en ce monde, le germe du mantra pour la félicité? — Arihaṃ 5 Qui est sans pitié? — Le meurtrier 6 Qu'est-ce qui est bonheur? — Une protection 7 Et quel mot pour honorer? — Hommage 8 Dites, pour un tissu comment est quelle cause? — Approprié, le fil 9 Quel est le début des Écritures? — Hommage aux Arhats 10 Quel est le mot qui apporte tous les bonheurs? Qu'on le médite. — Hommage aux Arhats ṇa ṇamo moa, ari arihaṃ hantā tāṇaṃ ṇamo arihaṃ tāṇaṃ ṇamo arihantāṇaṃ ṇamo arihantāṇaṃ. Les réponses 1 à 6 correspondent à la variété `chaîne', dans laquelle la dernière syllabe d'une réponse constitue la première de la suivante. Ce processus est représenté visuellement dans le ms. P, où les syllabes en question sont entourées d'une ligne rouge de façon à montrer les maillons d'une chaîne (voir fig. 1). Le passage de 3 à 4 fait exception, car deux syllabes (et non une seule) forment la reprise. Les réponses aux questions 7 et 8 fournissent une deuxième analyse possible de la séquence. Les réponses 9 et 10 correspondent à deux définitions distinctes, mais non à deux découpages distincts de la séquence complète. Le Pañcanamaskāramantra en charades 21 Cette situation est inhabituelle dans les traités spécialisés, mais ne paraît pas avoir gêné l'auteur. La question et la réponse 1 s'appliquent à la forme de ṇa dans la nāgarī de type jaina (exemples dans la fig. 1 et 2). En 2, namo = namaḥ est à analyser comme le nom.m.sg. du thème nama-, nom d'agent en -a. Le commentaire le justifie en invoquant ac, soit le libellé du sūtra 5.1.49 de la grammaire de Hemacandra, dont l'auto-commentaire, dans sa forme brève, est: dhātor ac syāt, et les exemples cités à l'appui sont karaḥ, haraḥ. La Bṛhadvṛtti afférente au même sūtra dit: dhātor ac pratyayo bhavati kṛttvāt kartari et ajoute des exemples supplémentaires: pacaḥ, paṭhaḥ, udvahaḥ. D'autre part, le commentaire de notre hymne met en équivalence ce thème léger et peu marqué avec une forme mieux caractérisée dans la fonction d'agent, celle du thème naṃtṛ (sur la relation entre les deux catégories voir AiGr II/2 § 30d: 97). Il a de nouveau recours à cette analyse dans la strophe 3 (question 5). Dans la langue usuelle, les noms d'agent en -a sans allongement radical sont plutôt rares hors des composés. Mais les auteurs de charades se doivent de montrer leur savoir et d'utiliser toutes les ressources de la langue et du savoir grammatical, surtout lorsque, comme ici, ils ont à jouer sur un mot récurrent (namo) pour lequel il est exclu de se borner à l'analyse la plus immédiate! En 3, ari est le nom.nt.sg. du dérivé secondaire à sens possessif arin. En 4, noter l'observation du commentaire, selon laquelle le germe du mantra peut avoir, en sanskrit, la forme arhaṃ ou simplement rhaṃ. Il fait l'objet de discussions dans le Yoga āstra de Hemacandra (ci-dessus § 4). Il ouvre de nombreux textes (parmi lesquels la grammaire de Hemacandra dont il constitue le tout premier sūtra) et manuscrits, où il apparaît comme signe auspicieux. En 5, je comprends pk. ṇikkivo comme l'équivalent de sk. niṣkṛpa; sk. niṣkṛta, proposé par le commentaire, est phonétiquement moins immédiat, et correspondrait plutôt à pk. ṇikkio. Si on retient cette équivalence, il faut comprendre: “Qui est banni? — Le meurtrier”. En 8, la glose est partielle. Le substantif de la réponse n'est pas donné en sanskrit. Je vois en pk. tāṇaṃ l'équivalent de sk. tāna (cf. l'axiome paṭasyakāraṇaṃ tantuḥ). 2. 1Comment est la foule des riches? — Pas de nature voleuse, comblée na mosi ddhāṇaṃ 2 Śiva dit: “Quelle créature féminine cause le malheur?” — Ce qui n'est pas Prospérité, ô Śiva! na-mā, U (= namô) 3 Après avoir pratiqué quoi (devient-on) Siddha? — Le commandement des Siddha siddhâṇaṃ 4 Après avoir dit quoi le Jina s'est-il engagé dans Nalini Balbir 22 l'initiation? - Hommage aux Siddha! namo siddhāṇaṃ Que dit l'avare aux nécessiteux? - Non! ṇa 6 La lune dit: “Comment est le cœur de l'amoureux?” — O lune, pourvu d'amour. mo, si 7 Que (fait) antaddhāṇaṃ sans anta? — ddhāṇa ddhāṇaṃ 8 Et quelle deuxième formule auspicieuse triomphe ici-bas? — Hommage aux Siddha namo siddhāṇaṃ. 5 Selon l'indication qui clôt le texte de la strophe, la séquence complète est susceptible de cinq découpages successifs. Ils s'organisent comme suit: la question 1 forme le premier, les questions 2 et 3 le deuxième, la question 4 le troisième, les questions 5, 6 et 7 le quatrième, la question 8 le cinquième. Comme dans la strophe 1, on trouve pour deux définitions distinctes un même découpage de la chaîne phonique et graphique (questions 4 et 8, où, en réalité, la formule est prise dans sa globalité). En 1 noter mosi, nom.nt.sg. de mosin, sk. moṣin, dérivé primaire sur la racine muṣ-, indiquant l'habitude ou la nature: type de créativité lexicale qui joue sur toutes les ressources de la langue sans la moindre retenue, et qu'on peut trouver artificielle! Que dire alors de la seconde partie de la réponse! La lecture dhrāṇaṃ, claire dans P, s'impose pour la cohérence, en regard de pk. ddhāṇaṃ qui constitue le deuxième terme à découvrir. Ghrāṇaṃ, que paraît avoir voulu écrire L, ne conviendrait pas. Aussi rares et isolées soient-elles, les deux formes ont un fondement dans la tradition de l'Abhidhānacintāmaṇi de Hemacandra où elles ont aussi le sens indiqué ici (forme de la racine tṛp-). Les éditions du lexique de Hemacandra portent: ... tṛpte tv āghrāta-suhitâ itāḥ tṛptiḥ sauhityam āghrāṇam ... (3.90 = 3.86–87 [426], éd. Böhtlingk & Rieu). Mais les manuscrits et les commentaires garantissent aussi la lecture -dhrā-: “Die Handschriften: ādhrāta, Schol. ādhrāyati sma ādhrātaḥ. ādhrāṇo 'pi” (éd. Böhtlingk & Rieu p. 335). La source de Hemacandra m'est inconnue. Ce ne peut être l'Amarakoṣa, qui n'enregistre aucun vocable formé sur āghrā- ou ādhrā- au sens de `rassasier, combler'. La charade de notre hymne va plus loin, puisqu'elle considère l'existence d'une racine ghrā- ou dhrā- avec ce sens, ce que, par ailleurs, ne confirme pas le Dhātupāṭha de la grammaire de Hemacandra. D'autre part, malgré Hemacandra qui distingue entre l'adjectif verbal en -ta pour l'adjectif `rassasié' et le nom verbal en -ana pour le substantif `satiété', comme il est usuel, il me paraît plus cohérent de comprendre ici pk. ddhāṇaṃ = sk. dhrāṇam = sk. tṛptam, comme l'adjectif plutôt que comme le substantif étant donné la forme de la question où kiṃ-rūvaṃ, d'ordinaire, fait attendre un adjectif, et la juxta- Le Pañcanamaskāramantra en charades 23 position avec mosi, également adjectif (dont le commentaire fait une coordination en suppléant un ca). En 2, il est fait appel aux monosyllabes (ekākṣara), très exploités par les créateurs de devinettes-charades. Mā pour lakṣmī/Lakṣmī et U pour Śiva font partie des plus courants (Balbir [2003]: 172 et 173). En 5, question et réponse fournissent un modèle syntaxique que l'auteur utilisera à nouveau dans les strophes 3 et 4. Dans les trois cas, le second terme du composé est āṇaṃ, acc. de āṇā < sk. ājñā — Le refus de l'avare appartient aux attitudes volontiers fustigées par le biais des devinettes (cf. kṛpaṇāsye 'kṣaraṃ kim, cité dans Balbir 2003a: 87). Il faut dire que la réponse monosyllabique est fort commode. En 6, mas pour `lune' est également un monosyllabe fréquent (Balbir [2003]: 173). Comparer la question kerisaṃ kāmi-cittaṃ avec Jinavallabha, strophe 131: kīdṛ aṃ kāmi-vṛndam (Balbir [2003]: 156). La réponse, si, est aussi identique et fait pareillement l'objet d'une remarque des commentaires: il s'agit du nom.nt.sg. du bahuvrīhi se, formé de sa (pour saha en composition) et de i, soit se, avec abrègement de la voyelle parce qu'il s'agit du neutre (si saha inā kāmena vartata iti sahasya sâde e sati se iti bhavati, tataḥ svaro hrasva iti hrasvaḥ, comm. de la strophe 131 de Jinavallabha). La question 7 illustre les manipulations sur les mots et leurs syllabes, indépendamment de leur sens (autres exemples dans Balbir 2004: 278–282). 3. 1 Les méchants ont quels (sentiments)? — Ils n'ont pas de joie na-moā 2 Après avoir fait quoi pour quelle chose des Jina un moine est-il heureux? — Après avoir pratiqué (leur) commandement āyariâṇaṃ 3 Comment sont māṇa-et-mohā lorsqu'ils sont sans début et sans fin? — (Réduits à) ṇamo ṇamo 4 Chez quels individus le poids d'une richesse abondante s'accroît-il? — Chez ceux qui ont entré des gains āya-riyāṇaṃ 5 Quel type de personne avisée a en partage science et savoir, pour quels individus? — Celui qui rend hommage, aux maîtres namo āyariāṇaṃ 6 Et quelle formule, parfaite, grande, arrête eau et autres (obstacles)? Il faut la méditer en son cœur — Hommage aux maîtres namo āyariāṇaṃ. Quatre découpages différents selon le commentaire: le premier avec les questions 1 et 2; le second avec les questions 3 et 4; en 5 et 6 le découpage est identique, mais l'interprétation est différente. Nalini Balbir 24 En 1, la réponse, qui implique négation alors que la question fait attendre une réponse positive, est quelque peu artificielle. En 2, la question est double et porte d'une part sur l'action (exprimée par un verbe) et d'autre part sur son complément (āṇaṃ, voir déjà ci-dessus strophe 2). En 3, jeu sur la séquence phonique et graphique pure et simple. Il serait tentant d'y retrouver aussi un jeu sur le sens, puisque māṇa et moha, qui désignent deux des quatre kaṣāya, l'arrogance et l'égarement, sont des termes techniques importants. Mais c'est là peut-être un tour délibéré pour mettre le lecteur sur la mauvaise voie ... En 4, pk. āya-riyāṇaṃ = sk. āya-ritānām, bahuvrīhi dans lequel rita est l'adjectif verbal de la racine ri- `aller'. A l'appui, le commentaire cite le Dhātupāṭha de Hemacandra (5.14–15, n° 1328–1329), soit dans le texte édité riṃ piṃt gatau (contre riṃ pit gatau dans L, et riṃ pig gatau dans P; comparer ri pi gatau 6.111–112 dans le Dhātupāṭha de Pāṇini), les deux racines faisant l'objet d'une même conjugaison (présent riyati et piyati). Je n'ai pu identifier la citation du commentaire sur 6 ni développer la liste des seize termes à laquelle elle renvoie. Elle doit inclure des dangers, parmi lesquels l'eau et le feu. Comparer Roth 1974: 5–6: Through the eminent incantation of the obeisance-formula, the dangers of disease, flood, fire, thieves, of the fight with lions and elephants, and of snakes, instantaneously vanish. And the danger from female goblins, vampires, bears and murderers has not any power over it. All perils vanish through the power of the obeisance formula.4 4. 1Qu'est-ce qui vaut comme ornement de phrase? — La particule 2 Et quel mot (utilise) celui qui est malheureux ou terrorisé? — O! 3 En mettant en pratique quoi est-on avisé? — Le commandement des précepteurs 4 Que devient āyāṇaṃ sans début et inversé? 5 En ce monde qui enseigne quoi en premier lieu? — Le maître, oṃ 6 Qui exprime l'inexistence? — La négation 7 Et quelle chose est due au poids du péché pour quels types de gens? — L'absence de libération pour les meurtriers ṇaṃ o uvajjhāyâṇaṃ ṇam yā(ā) ajjhāvau oṃ ṇa ṇa mou vajjhāyāṇaṃ —————— 4 Strophes issues du commentaire de Devendra sur l'Uttarādhyayana (histoire du Pratyekabuddha Karakaṇḍu); Jacobi 1886: 35. Le Pañcanamaskāramantra en charades 25 8 Quel mot, de couleur bleue, détruit le fardeau des souffrances s'il est médité trois fois par jour? — Hommage aux précepteurs ṇamo uvajjhāyāṇaṃ. Le premier découpage correspond aux questions 1 à 3; le palindrome aux questions 4–6; un autre découpage à la question 7. Comme dans les strophes précédentes, la réponse à la dernière question est constituée de la formule d'hommage en son entier. La question de 1 est précisément la définition que donnent les grammairiens de la particule ṇaṃ (Hemacandra 4.283). En 4, jeu sur la séquence phonique et graphique pure et simple, sans intérêt pour le sens. Comparer 5 avec Pār vanāthacarita de Bhāvadevasūri 3.211 (Balbir [2003]: 203). En 7, aha-bharā est l'ablatif du tatpuruṣa qui, en sanskrit, serait agha-bharāt. Cela n'intéresse pas le commentaire, qui se concentre uniquement sur l'analyse de la réponse et une question de dérivation nominale: pk. mou, variante de moo est le nominatif singulier d'un thème qui, en sanskrit, serait moka, considéré comme un nom d'action. A l'appui de ce vocable peu banal est invoqué le sūtra bhāvā'kartror, qui est une citation de Hemacandra 5.3.18 dont l'auto-commentaire est bhāve kartṛ-varje ca kārake dhātor ghañ syāt et dont les exemples sont pākaḥ, prākāraḥ, dāyo dattaḥ. Ce sūtra, qui combine les préoccupations de P. 3.3.18 (bhāve) et 19 (akartari ca kārake saṃjñāyām) où ghañ est reconduit de 3.3.16, a trait à l'emploi du suffixe ghañ, affixe primaire a causant la vṛddhi de la voyelle radicale notamment appliquée au sens d'état (bhāva). En 8, référence aux spéculations sur les couleurs des cinq entités, la seule de son espèce dans ce texte. Le commentaire est totalement silencieux sur l'ensemble de cette question. Voir ci-dessus § 4. 5. 1Qu'est-ce qui est bonheur? — L'absence de dette 2 Qu'est-ce qui est riche en vertus? — Le silence 3 Qu'est-ce qui a beaucoup de goût? — Le sel 4 Quel être tuent ici-bas les chasseurs? — L'antilope 5 Qu'est-ce que les gens disent pour une variété de grain? — Cannabis 6 Comment appelle-t-on ... froid? — Blessure/forêt 7 A quel être vivant les gens font-il référence pour insulter? — Au chien 8 Et à quel pays les Jina (font-ils référence pour insulter?) n'aṇaṃ moṇaṃ loṇaṃ eṇaṃ saṇaṃ vvaṇaṃ sāṇaṃ 26 Nalini Balbir — Celui des Huns 9 Quelle est la formule aux moines qui est digne d'une méditation ininterrompue et profonde? — Hommage à tous les moines en ce monde hūṇaṃ namo loe savvasāhūṇaṃ. La dernière question appelle en réponse la formule en son entier. De 1 à 8, la syllabe commune est la dernière, qui forme le cœur du lotus. Chacune des autres syllabes correspond à un pétale. Le ms. L donne une représentation visuelle du type de celles qu'on trouve fréquemment en pareil cas (voir fig. 2). La lecture se fait du pétale vers le cœur. Certains auteurs distinguent entre la variété ici à l'œuvre, qu'ils appellent viparītam aṣṭadalakamalam, réservant le nom d'aṣṭa° aux cas où la lecture se fait du cœur vers le pétale (Balbir [2003]: 97). En 1, je lis sukkhaṃ surtout à cause de l'équivalence posée par le commentaire avec sk. saukhyam, mais le tracé des caractères pourrait aussi bien plaider pour mukkhaṃ, `libération'. Sans citer de sūtra grammatical, le commentaire explique la formation de naṇaṃ comme un composé dont le premier terme est la négation et le second pk. aṇa, équivalent de sk. ṛṇa, avec évolution du ṛ en a (comparer Hemacandra 8.1.126 ṛto 't, dont le commentaire ne cite pas ce vocable parmi les exemples, et 8.1.141 qui lui est en partie consacré: sk. ṛṇay est le chef de file d'une petite série de mots qui admet, à côté de a le doublet ri, donc, en l'occurrence, riṇaṃ à côté de aṇaṃ). En 2 et en 3, comme c'était le cas en 1, le commentaire ne cite pas de sūtra grammatical mais prend acte du traitement phonétique, banal en prakrit, de sk. au aboutissant à o (comparer Hemacandra 8.1.159 auta ot et Pischel § 61a), illustré par pk. moṇaṃ < sk. maunam, et de l'évolution sk. ava > pk. o (Pischel § 154), illustrée par pk. loṇaṃ < sk. lavaṇam (comparer Hemacandra 8.1.170– 171 qui enseigne la double possibilité o/ava dans certains mots prakrits dont le nom du sel). En 5, pk. saṇa (sk. aṇa) est le nom du cannabis (Cannabis sativa). Ce dernier produit des graines comestibles; il est rangé parmi les céréales ou les grains (dhānya), par exemple dans l'Abhidhānacintāmaṇi de Hemacandra (4.245) qui, à côté de aṇa, le nomme aussi bhaṅgā (H. bhang) et mātulānī. Dans la liste traditionnelle, qui compte un total de dix-sept variétés, aṇa est la dernière (Johnson 1941, en particulier p. 170, pour l'identification botanique: “I think there can be no doubt that Hemacandra intends aṇa and bhaṅga to refer to the true hemp, as the plant referred to is included in this list of grains. Cannabis produces edible seeds and the well known narcotic”). Le Pañcanamaskāramantra en charades 27 Le sens de la sixième question m'échappe. La réponse, pk. vvaṇaṃ peut correspondre à sk. vraṇam `blessure', ou simplement à vanam `forêt'. Le commentaire est malheureusement indéchiffrable. Les contenus des devinettes donnent souvent droit de cité aux croyances ou préjugés sociaux de tout un chacun: 7 en fournit un exemple. En 8, la référence aux Jina est fondée dans la mesure où les listes de peuples `non aryens' (anārya), où figurent les Hūṇa, font partie de l'enseignement des livres canoniques ou des traités faisant autorité. Le Pra navyākaraṇāṅga (dixième des onze Anga) tient qu'un certain nombre de professions cruelles (chasseurs, pêcheurs, bouchers, etc.) sont pratiquées par ce qu'il appelle les milakkhu-jātī (chap. 1, huitième sūtra), au nombre desquels les Hūṇa. Autres références dans le Pravacanasāroddhāra, entrée 274, strophes 1583–1586; liste avec commentaire en anglais dans J. C. Jain, Life in Ancient India as depicted in Jaina Canon and Commentaries. Bombay, 1947 (réimpr. Delhi: Munshiram Manoharlal, 1984), p. 433–439: “Non-Āryan Countries”. 6. Les gens qui, ayant pris connaissance de ces (strophes) relatives aux questions sur les formules des cinq entités suprêmes, les retiennent en leur cœur et les méditent chaque jour, cet excellent mantra sur les entités suprêmes, véritable arbre à souhaits dans les trois mondes, suite à la disparition des huit karman, néfaste ténèbre, leur donnera un bonheur éternel. Références AiGr = Wackernagel, Jakob & Albert Debrunner 1954. Altindische Grammatik. Göttingen. Balbir, Nalini [2003]. “Théorie et pratique de la devinette en milieu jaina. I. Les Cent soixante et une devinettes de Jinavallabha; II. Devinettes en contexte.” Bulletin d'Etudes Indiennes 20, 2 (2002): 83–243. — 2003a. “Gurubhakti through word-puzzle in the Jain Context.” Dans: Vāṇi-jyotiḥ 17–18: 181–203 (Prajñāna-Mahodadhiḥ. Prof. Dr. Gopinath Mohapatra Felicitation Volume. Department of Sanskrit, Utkal University, Bhubaneswar). — 2003b. “The A(ñ)calagaccha Viewed from Inside and from Outside.” Dans: Qvarnström, Olle (ed.). 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Abstract As a homage to Dr Roth, the author, among many other studies, of the “Notes on the Paṃca-Namokkāra-Parama-Maṅgala” (§ 1), the present article contains a critical edition (§ 6) and an annotated French translation (§ 7) of the Pra nagarbha-pañcaparameṣṭhi-stava based on the two manuscripts known so far (P from Pune and L from London, described in § 5). The first five stanzas of this short hymn, written in Jaina Māhārāṣṭrī by a Jayacandrasūri who cannot be clearly identified but is likely to be later than the 12th cent., contain riddles (pra nottaras) the answers of which are, in turn, each of the five formula of homage to the five Supreme Entities (namo arihantāṇaṃ ... namo loe savva-sāhūṇaṃ). The sixth and last stanza expresses the benefits resulting from the recitation of the formula. The Pra nagarbha°, albeit a minor work, is an interesting instance of the various forms taken by the immense literature devoted to the pañcanamaskā- 30 Nalini Balbir ra-mantra (§ 2), the `Jain Gāyatrī', which occupies such an important place as an identity-marker in the Jain religious practice and the Jains' daily lives. It offers the usual characteristics of the pra nottara (§ 3), a genre characterized by high virtuosity, taking recourse to all the potentialities of grammar and lexicon, making frequent use of monosyllabic words and producing new or rare words. Simultaneously, some of the questions and answers met with in the Pra nagarbha° emphasize the deeply mantric character of the pañcanamaskāra (§ 4), one of the central supports for meditation in the Jain tradition (see, for instance, Hemacandra's Yoga āstra), and reflect some of the speculations it has been connected with in the course of the tradition up to modern times (e.g. Sushil Kumar's Song of the Soul). Fig. 1: Chaîne des réponses de la strophe 1 (ms. de Pune). Le Pañcanamaskāramantra en charades Fig. 2: Lotus avec cœur et huit pétales illustrant la strophe 5 (ms. de Londres). 31