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46 L’émergence d’une régulation sous-régionale des forêts en Afrique centrale Fabrice Kengne Fotso* Résumé L’échec des tentatives de mettre sur pieds une réglementation mondiale contraignante appli‐ cable aux forêts a eu pour conséquence de susciter des initiatives plus circonscrites, aux contours plus réalistes et en théorie moins sujettes à des pesanteurs. En Afrique centrale, l’idée a très vite reçu l’adhésion des décideurs et des actions concrètes ont été envisagées et réalisées, dans le but de parvenir à une gestion durable des forêts qui soit le résultat de démarches et d’actions concertées. Ces dynamiques ont conduit, à n’en point douter, à l’émergence d’une régulation à vocation sous-régionale, s’appliquant principalement aux forêts constituant l’entité écologique dit du Bassin du Congo. Seulement, si l’ossature d’une telle régulation est déjà clairement identifiable, il demeure important de se demander si celle-ci est dotée des attributs et atouts nécessaires pour parvenir à une gestion durable des forêts qui soit le fruit d’une concertation véritable et non feinte. La présente étude s’évertue à démontrer qu’il émerge indubitablement en Afrique centrale une régulation sous-régio‐ nale des forêts, quoiqu’il soit important de souligner, dans l’ensemble, son manque de fermeté. Abstract Failed attempts to put in place a binding global forest regulation have led to more narrow, more realistic and, as a matter of principle, less burdensome initiatives. In central Africa, the idea quickly received the support of policy makers and concrete actions were consid‐ ered and carried out, with the aim of achieving sustainable forest management which is the result of concerted actions. These dynamics have undoubtedly led to the emergence of a sub-regional regulation of forests, mainly applicable to forests constituting the ecological entity known as Congo Basin forests. However, if the structure of such a regulation is already identifiable, it remains important to ask whether it has the attributes and assets necessary to achieve sustainable forest management which is the result of genuine and unfeigned concertation. This study strives to demonstrate that there is undoubtedly a sub-re‐ gional regulation of forests in central Africa, although it is necessary to point out the lack of firmness of some important aspects of its whole structure. * Fabrice Kengne Fotso est Docteur/Ph.D en Droit privé, Enseignant-chercheur à l’Université de Dschang (Cameroun), spécialisé en droit des ressources naturelles. Ses principales recherches portent actuellement sur la gouvernance forestière dans ses nombreux aspects (gestion, exploitation, répression des activités illégales). https://doi.org/10.5771/2363-6270-2021-1-46, am 13.09.2023, 15:30:17 Open Access – - http://www.nomos-elibrary.de/agb L’émergence d’une régulation sous-régionale des forêts en Afrique centrale 47 Introduction Les forêts assurent un large éventail de services à l’homme, aussi bien sur le plan écono‐ mique1, environnemental2 que social,3 et les chiffres sont très éloquents pour exprimer cet état de fait. Cette importance des forêts explique l’engouement manifesté par la communau‐ té internationale pour leur réglementation et leur protection, surtout depuis qu’elles sont en proie à de graves menaces.4 C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre l’ambition pour la mise sur pied d’un dispositif normatif international et contraignant autour des forêts. Plusieurs raisons expliquent une telle ambition : tout d’abord, le caractère transfrontalier des bénéfices et conséquences tirés de leur bonne ou mauvaise gestion. Ensuite, l’échec des législations souveraines à leur assurer une protection suffisante.5 Enfin, l’homogénéité de certains massifs forestiers, leur unité écologique, qui s’oppose à une législation hétéroclite. 1 Sur le plan économique, le secteur forestier fait partie des domaines productifs importants dans les pays abritant une industrie du bois. Une étude réalisée par la FAO présente clairement l’importance des recettes perçues par divers pays du monde à travers l’exploitation des forêts, au cours d’une pé‐ riode allant de 2000 à 2010. Voir Fao, Évaluation des ressources forestières mondiales 2015. Réper‐ toire de données de FRA 2015, Rome, 2015, pp. 229 et s. Pour un cas spécifique comme celui du Cameroun, d’après une étude réalisée en 2013, les analyses thématiques des filières montraient que la contribution du secteur forêt-faune était alors de 4 % du Produit Intérieur Brut hors pétrole. Voir R. Eba’a Atyi, G. Lescuyer, J. Ngouhouo Poufoun et T. Moulende Fouda, Étude de l’importance économique et sociale du secteur forestier et faunique au Cameroun, Rapport final, 2013, p. xix. Cette étude est disponible sous le lien suivant : http://www.minfof.cm/documentation/Etude_MINF OF_2013.pdf. En 2005, cette contribution était évaluée à 10 %. Voir Minef, Situation actuelle des forêts au Cameroun, 2005, disponible à http://www.minef.cm/Forêts/Gestion%20des%20Forêts.ht m. 2 Sur le plan environnemental, les forêts jouent un rôle essentiel dans l’adaptation aux changements climatiques et l’atténuation de leurs effets. Voir Fao, Situation des forêts du monde. Forêts et agri‐ culture: défis et possibilités concernant l’utilisation des terres, p. 2. Voir aussi H. Bikie, « Aperçu de la situation de l’exploitation forestière au Cameroun », Rapport pour l’Observatoire Mondial des Forêts, 2000, p. 4. 3 Sur le plan social, les forêts tropicales fournissent un habitat à 50 millions de personnes dans le monde. L’estimation est de D. Bryant, D. Nielsen et L. Tangley, « Les dernières forêts-frontière: Écosystèmes et économies à la limite » (Washington, DC: World Ressources Institute, 1997), cités par H. Bikie, préc., p. 9. 4 Comme le rappelle si bien un auteur, « le déboisement et la dégradation des ressources forestières sont les principales mesures qui pèsent sur la biodiversité de l’Afrique centrale ». Voir S. Assembe Mvondo, « Dynamiques de gestion transfrontalière des forêts du bassin du Congo: une analyse du traité relatif à la conservation et la gestion des écosystèmes forestiers d’Afrique centrale », Journal du droit de l’environnement et du développement, Vol. 2/1, 2006, p. 110. 5 Sur cet aspect précis, l’on peut être d’avis avec un auteur qui affirme que « sans entrer dans les détails de régulation dans tous les pays du monde, il est clair que la législation souveraine n’est ni homogène, ni suffisante dans certains cas pour freiner le déboisement ». Voir H. Z. A. Van Der Loos, La régulation transnationale privée du secteur forestier en Russie, Mémoire de maîtrise en science politique, Université de Lausanne, automne 2015, p. 5. https://doi.org/10.5771/2363-6270-2021-1-46, am 13.09.2023, 15:30:17 Open Access – - http://www.nomos-elibrary.de/agb 48 Recht in Afrika – Law in Africa – Droit en Afrique 24 (2021) Seulement, les efforts en vue de la mise sur pieds d’un dispositif normatif international contraignant et s’appliquant aux forêts se sont presque toujours soldés par un échec.6 Tel était pourtant l’un des objectifs de la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement (CNUED). Bien que les parties à cette rencontre aient pu aboutir à des instruments contraignants pour ce qui est des changements climatiques et de la biodiversi‐ té,7 elles n’ont pu signer, pour ce qui est des forêts, que des « Principes de gestion des forêts », consignés dans un chapitre intitulé « Déclaration de principes, non juridiquement contraignante mais faisant autorité, pour un consensus mondial sur la gestion, la conser‐ vation et l’exploitation écologiquement viable de tous les types de forêts ». Près de trois décennies après la Convention de Rio, il n’y a donc toujours aucun instrument contraignant d’envergure mondiale ayant pour objectif d’organiser la gestion et l’exploitation des forêts et d’endiguer les phénomènes ci-dessus décriés. Les raisons de cet échec sont nombreuses. Au rang de celles-ci, il convient de mentionner, en premier lieu, l’opposition séculaire entre l’intérêt des pays propriétaires de forêts à faire de leur exploitation un outil de développement et celui du monde entier à faire d’elles un instrument pour empêcher ou réduire le réchauffement de la terre.8 Cette raison explique particulièrement l’opposition entre l’idée de « forêts, patrimoine national d’intérêt commun » et celle de forêt comme « patrimoine commun de l’humanité ».9 En deuxième lieu, les pesanteurs qui entourent généralement l’élaboration des instruments juridiques internationaux, les pays industrialisés étant souvent enclins à faire prévaloir leurs vues.10 En troisième lieu et de manière plus significative, la diversité avec laquelle les problèmes liés aux forêts ou plus généralement 6 D’après S. Assembe Mvondo, « les partisans d’un instrument international juridiquement contrai‐ gnant avancent qu’un tel acte juridique pourrait instaurer des principes et des règles universelles de gestion durable des forêts obligatoires pour tous, susceptibles de mieux contrecarrer la situa‐ tion déplorable actuelle ». op. cit., p. 108. 7 Pour les premiers, il s’agit de la Convention-cadre des Nations Unies sur les Changements Clima‐ tiques (CCNUCC) entrée en vigueur en 1994 et pour la seconde la Convention sur la Diversité Biologique (CDB), entrée en vigueur en 1993. 8 Pour cette raison particulière, voir S. H. Nnanga, « La protection juridique des forêts africaines : mythe ou réalité? », Revue Africaine de Sciences Juridiques, Vol. 4, n° 1, 2007, p. 217. À titre d’illustration aussi, il convient de mentionner l’ambition clairement affichée du Président récemment élu du Brésil, Jair Bolsonaro, d’exploiter abondamment les forêts amazoniennes pour assurer le développement de son pays, au grand dam des populations autochtones, des ONG et autres organismes de conservation de la nature et de la lutte contre les changements climatiques. Voir https://www.nationalgeographic.fr/environnement/le-nouveau-president-bresilien-souhaite-ex ploiter-lamazonie-mais-en-t-il-le-droit. 9 Voir M. Kamto, « Les forêts, patrimoine commun de l’humanité en droit international », In Actes des 1eresjournées scientifiques du Réseau « Droit de l’Environnement » de l’AUOELF-UREF, Limoges, Bruylant, 1994, pp. 79–90. 10 Pour cette raison précise, voir M. Kamto, « Les conventions régionales sur la conservation de la nature et des ressources naturelles en Afrique et leur mise en œuvre », Revue Juridique de l’Environnement, n°4, 1991, p. 438. https://doi.org/10.5771/2363-6270-2021-1-46, am 13.09.2023, 15:30:17 Open Access – - http://www.nomos-elibrary.de/agb L’émergence d’une régulation sous-régionale des forêts en Afrique centrale 49 à l’environnement se posent dans les régions du monde, rendant par conséquent leur appréhension globale d’une singulière difficulté.11 Face à la difficulté d’adopter un instrument juridique international contraignant pour réguler la gestion et l’exploitation des forêts, l’on assiste de plus en plus à l’émergence de dynamiques dans des cadres plus restreints. La démarche n’est pas nouvelle en Afrique,12 dans la mesure où les initiatives de mise sur pieds d’instruments juridiques contraignants s’appliquant entre autres aux forêts africaines remontent à quelques années seulement après les indépendances. Dans le domaine plus large des ressources naturelles, il existe depuis longtemps d’importants textes dont l’un de 1968 intitulé « Convention africaine pour la conservation de la nature et des ressources naturelles (Convention d’Alger, 1968) ». Consi‐ dérée alors comme la seule convention régionale africaine de portée générale en matière de protection de la nature et des ressources naturelles,13 cette convention n’a cependant pas tenu les promesses qu’elle avait portées pendant son élaboration dès les années 1960.14 Révisée par la Conférence de l'Union Africaine qui s’est tenue à Maputo en 2003, puis entrée en vigueur en 2016, elle demeure non opérationnelle.15 11 C’est cette raison que le Professeur Maurice Kamto avance pour expliquer le choix des pays africains pour la régionalisation du droit en matière d’environnement, au détriment de leur interna‐ tionalisation. Il explique, en effet, que sauf dans quelques matières bien peu nombreuses telles que les déchets toxiques, les problèmes de l’environnement ne se posent jamais dans les mêmes termes dans toutes les régions du monde. Voir M. Kamto, « Les conventions régionales sur la conservation de la nature et des ressources naturelles en Afrique et leur mise en œuvre », préc., p. 438. 12 La situation est bien différente en Europe. En effet, comme le reconnaît elle-même l’Union, « les traités ne mentionnant pas expressément les forêts, l’Union européenne ne dispose pas de politique forestière commune. La politique forestière demeure donc avant tout une compétence nationale, mais de nombreuses actions européennes ont cependant des incidences sur les forêts de l’Union et des pays tiers ». Néanmoins, il est important de relever l’existence de quelques poli‐ tiques et initiatives forestières au sein de l’Union européenne. Il s’agit des actions européennes qui ont des incidences sur les forêts de l’Union et des pays tiers. L’on peut mentionner tout d’abord la politique agricole commune (PAC), principale source de financements européens pour les forêts, ensuite la directive 1999/105/CE portant sur la commercialisation des matériels forestiers de reproduction, ou encore la directive 2000/29/ CE portant sur le régime phytosanitaire européen qui vise quant à lui à lutter contre la propagation d’organismes nuisibles aux forêts ». Voir F. Nègre, L’Union Européenne et les forêts, Fiches techniques sur l'Union européenne, Novembre 2020, 7 pages, www.europarl.europa.eu/factsheets/fr. 13 Voir M. Kamto, « Les conventions régionales sur la conservation de la nature et des ressources naturelles en Afrique et leur mise en œuvre », préc., p. 421. 14 Des auteurs particulièrement avisés considèrent que : « en près de quarante années d’application, la Convention s’est révélée peu active, presque stérile, n’ayant accompagné positivement aucun des processus de dégradation qui ont été relevés et stigmatisés, tels que l’eutrophisation du Lac Tchad ou l’assèchement progressif du fleuve Niger, la déforestation des forêts tropicales africaines ou la surexploitation d’espèces de flore ou de faune à l’échelle industrielle et commerciale ». Voir S. Doumbe-Bille, « La nouvelle Convention africaines de Maputo sur la Conservation de la nature et des ressources naturelles », Revue Juridique de l’Environnement, n° 1, 2005, p. 8. 15 Ratifiée jusqu’en 2016 par seulement 16 pays (Comores, Lesotho, Rwanda, Mali, Lubie, Niger, Burundi, Ghana, Afrique du Sud, Côte d’Ivoire, Angola, Libéria, République du Congo, Tchad, https://doi.org/10.5771/2363-6270-2021-1-46, am 13.09.2023, 15:30:17 Open Access – - http://www.nomos-elibrary.de/agb 50 Recht in Afrika – Law in Africa – Droit en Afrique 24 (2021) Les niveaux mondial et continental ayant ainsi montré leurs limites dans la réglemen‐ tation de la gestion et l’exploitation des forêts, le niveau sous-régional paraît offrir plus d’espoirs. C’est cette voie que les pays d’Afrique centrale semblent suivre,16 si l’on en juge par les dynamiques observables depuis au moins 1996, date de la création de la Conférence sur les Écosystèmes Forestiers Denses et Humides d’Afrique Centrale (CEFDHAC), en vue de parvenir à une gestion harmonisée à travers des échanges d’expériences et d’infor‐ mations. L’expression « Afrique centrale » est envisagée dans cette étude davantage comme l’espace géographique formé par les pays engagés singulièrement dans la gestion concertée des forêts dont ils sont propriétaires. C’est une Afrique centrale dont les frontières ont été redessinées par l’objectif de gestion des ressources forestières, au gré des accords régionaux.17 Pour l’essentiel, l’espace qu’elle couvre est celui de l’entité écologique dit du « Bassin du Congo ».18 Au reste, dans cet espace se développent depuis une trentaine d’années des dynamiques d’actions multiformes, traduisant l’ambition d’une approche concertée de la conservation et de la gestion durable des forêts, au point où l’on se demande si l’on n’est pas entrain d’assister à l’avènement d’une véritable régulation sous-régionale des forêts en Afrique centrale. Autrement dit, comme dans le domaine du Droit des affaires, des assurances, des douanes, de la concurrence, et plus récemment encore du commerce électronique,19 ne s’achemine-t-on pas vers la construction d’une réglementation des forêts qui soit à la fois l’objectif et le résultat d’une action concertée des pays de l’Afrique centrale forestière? Une 16 17 18 19 Bénin, Burkina Faso), elle attend toujours la convocation de la Conférence des parties, destinée à lui donner effectivement vie. Encore une fois, la démarche n’est pas nouvelle en Afrique. Expliquant les voies et trajectoires des regroupements d’États en Afrique en 1961, François Borella faisait remarquer, en effet, que le regroupement régional observé dans cette zone était souvent un produit de l'échec du regroupe‐ ment continental ou de son refus. Voir F. Borella « Les regroupements d'États dans l'Afrique indépendante », in : Annuaire français de droit international, volume 7, 1961, p. 789. Voir S. C. Tagne Kommegne, « L’institutionnalisation d’un espace intégré en Afrique centrale à l’épreuve du jeu de puissance des États autour des ressources naturelles », Annales de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques Université de Dschang, Tome 18, 2016, p. 208. Le Bassin du Congo n’est pas un organe ou un organisme, ou une quelconque entité apparentée. Deuxième plus grand bloc continu de forêts tropicales au monde, il est simplement une entité écologique, un ensemble de forêts formant une unité écologique et bénéficiant de certains instru‐ ments juridiques destinés à en assurer la gestion durable. Il est constitué de pays qui en font géographiquement partie et qui sont reconnus comme tels par les institutions œuvrant dans le domaine à savoir le Cameroun, la République Centrafricaine, la République Démocratique du Congo, le Congo Brazzaville, le Gabon, la Guinée Équatoriale. Il est également élargi à des pays dits associés, que sont l’Angola (qui partage la forêt du Mayombe avec les deux Congo), le Burundi et le Rwanda (membres de la Conférence des écosystèmes de forêts denses humides d ’Afrique Centrale), et São Tome & Principe (partie prenante au Programme ECOFAC). Pour des développements consistants sur la réglementation sous-régionale du commerce électro‐ nique en Afrique centrale, lire Voir H. M. Tchabo Sontang, La règlementation du commerce électronique dans la CEMAC, contribution à l’émergence d’un marché commun numérique, Thèse pour le Doctorat/Ph.D en Droit, Université de Dschang, avril 2014, 549 p. https://doi.org/10.5771/2363-6270-2021-1-46, am 13.09.2023, 15:30:17 Open Access – - http://www.nomos-elibrary.de/agb L’émergence d’une régulation sous-régionale des forêts en Afrique centrale 51 telle interrogation trouve sa justification dans l’ampleur de la mobilisation sous-régionale que l’on observe depuis quelques années autour de la gestion des forêts. Elle s’explique également par l’importance des initiatives et actions à vocation sous-régionales qui se dé‐ ploient dans la zone concernée autour de la gestion des forêts. Elle semble au surplus mar‐ quer la réalisation des prévisions exprimées il y a déjà plusieurs décennies par un auteur, sur la diversification croissante des domaines de l’intégration en Afrique centrale.20 Au re‐ gard de tous ces facteurs, et après une analyse critique du corpus réglementaire existant à l’heure actuelle, l’on est en droit d’affirmer qu’il émerge effectivement en Afrique centrale une régulation sous-régionale des forêts. Une telle régulation émergente, bien que soumise naturellement à des contingences propres au secteur, s’observe à travers le dispositif poli‐ tique et institutionnel concerté mis en place pour la gestion des forêts, d’une part (I), et le droit sous-régional qui est progressivement élaboré pour la gestion des forêts, d’autre part (II). I. La mise en place d’un dispositif politique et institutionnel concerté de gestion des forêts Pour arriver à une solution de gestion du « deuxième poumon mondial » qui prenne en compte à la fois l’impératif de gestion et de conservation des écosystèmes forestiers visés et les pouvoirs souverains de chaque État propriétaire sur ses ressources, ceux-ci ont choisi l’option de l’harmonisation, aussi bien des politiques que des législations.21 Elle a pour objectif non seulement de réduire les différences entre les législations, mais aussi et dans le même temps, de bâtir des consensus solides sur des points communs. Il ne s’agit donc pas forcément « d’une opération d’homogénéisation ou d’uniformisation, mais plutôt d’une approche comparative visant à identifier les aspects divergents et à cibler les points pou‐ vant faire l’objet d’ajustements progressifs pour perfectionner les instruments de gestion forestière ».22 C’est la voie que les États forestiers du Bassin du Congo ont empruntée. Le faisant, ils ont décidé d’adopter une politique forestière sous-régionale qui marque les points de convergence des politiques nationales (A), puis ils ont mis sur pieds un système institutionnel qui a pour ambition de veiller à la mise en œuvre de cette politique (B). 20 Voir E. Gnimpieba Tonnang, Droit matériel et intégration sous régionale en Afrique centrale : contribution à l’étude du droit communautaire de la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), Thèse pour le Doctorat en Droit et financement du développement, Université Nice Sophia Antipolis, 2004, p. 37. 21 L’harmonisation, comme l’écrivaient Joseph Issa-Sayegh et Jacqueline Lohoues-Oble, « est la forme la plus prudente et la plus douce d’intégration juridique, apparemment respectueuse de la souveraineté des États et de la spécificité de leurs législations ». Voir J. Issa-Sayegh et J. Louhoues-Oble, OHADA, harmonisation du droit des affaires, Bruyant Bruxelles, 2002, p. 46, n° 93. 22 Voir J. P. Koyo et R. Foteu, « Harmonisation des politiques et programmes forestiers en Afrique centrale », Unasylva 225, Vol. 57, 2006, p. 47. https://doi.org/10.5771/2363-6270-2021-1-46, am 13.09.2023, 15:30:17 Open Access – - http://www.nomos-elibrary.de/agb 52 Recht in Afrika – Law in Africa – Droit en Afrique 24 (2021) A. L’élaboration d’une politique forestière commune L’on s’accorde à définir la politique forestière comme un énoncé officiel des orientations et des principes d’actions adoptés conformément aux politiques socioéconomiques et environ‐ nementales, afin de guider et de déterminer les décisions concernant l’utilisation durable et la conservation des ressources forestières et arborées au profit de la société. Sur le plan national, il s’agit d’un accord négocié entre le gouvernement et les autres parties prenantes sur une vision partagée des forêts et de leurs utilisations, qui, une fois validée, reflète une position officielle du gouvernement et représente un énoncé clair des buts et objectifs d’un pays. C’est cette même logique qui est poursuivie au niveau sous-régional. Concrètement, c’est à partir de 1999 que l’engouement des États forestiers d’Afrique centrale pour le rapprochement de la vision de gestion de leurs différentes forêts va se traduire en actes politiques concertés.23 L’analyse de l’expression de cette vision concertée de gestion des forêts (1), révèle cependant l’existence d’éléments de nature à entraîner une certaine com‐ plexification dans les stratégies ou activités envisagées (2). 1. L’expression de la politique forestière sous-régionale de gestion des forêts La politique forestière sous-régionale est le résultat d’un processus de rapprochement des différentes visions nationales de la gestion des forêts. Elle a été amorcée avec la Déclara‐ tion des Chefs d’États d’Afrique centrale de 199924 et a culminé avec l’adoption du Plan de convergence pour la conservation et la gestion durable des écosystèmes forestiers d’Afrique centrale. Ainsi, à travers la Déclaration qui a résulté du Sommet, les États de la sous-région, 23 Il convient toutefois de relever avec force qu’en mai 1996, à Brazzaville (République du Congo), s’est tenue la toute première Conférence sur les écosystèmes forestiers denses et humides d’Afrique centrale (CEFDHAC), qui matérialise le début de la réflexion sur la gestion concertée des forêts d’Afrique centrale. Cette Conférence a regroupé les Ministres en charge des forêts de la zone qui étaient les initiateurs, la société civile et les partenaires au développement de la sous-région. À l’issue de cette Conférence a été adoptée la Déclaration de Brazzaville sur la conservation des forêts, dont la mise en œuvre créera les conditions favorables pour la convocation du premier Sommet des Chefs d’États de Yaoundé en 1999. Il faut d’ailleurs relever que trois années seulement ont séparé la Déclaration de Brazzaville de celle de Yaoundé, traduisant le fait que la détermination des États parties pour une gestion concertée de leurs forêts était restée constante. Pour plus de détails, lire : D.-E. Emmanuel, « La Commission des forêts d'Afrique centrale », Revue Juridique de l'Environnement, n°2, 2007, p. 205. 24 La Déclaration des Chefs d’États d’Afrique centrale est l’issue heureuse du Sommet des Chefs d’États sur la conservation et la gestion durable des écosystèmes forestiers, convoqué par le Président de la République du Cameroun et tenu du 17 au 19 mai 1999 à Yaoundé. Il s’est agi d’une occasion inédite au cours de laquelle la plus haute hiérarchie politique de la sous-région consacrait d’importantes réflexions à la gestion des forêts. Les six États de l’Afrique centrale « classique » ont pris part au plus haut niveau à cette rencontre, en présence de Son Altesse royale le Prince Philip, Duc d’Édimbourg, Président émérite de WWF International. Ce Sommet a permis d’examiner l'ensemble des questions liées à la conservation et à la gestion durable des écosystèmes forestiers d'Afrique centrale. Voir COMIFAC, Bilan de la Déclaration de Yaoundé +5, février 2005, p. 3. https://doi.org/10.5771/2363-6270-2021-1-46, am 13.09.2023, 15:30:17 Open Access – - http://www.nomos-elibrary.de/agb L’émergence d’une régulation sous-régionale des forêts en Afrique centrale 53 convaincus du « rôle de la coopération sous-régionale et internationale en matière de ges‐ tion des écosystèmes forestiers, dans la ligne des engagements internationaux souscrits par la communauté internationale » ont exprimé leur désir de « conjuguer leurs efforts pour promouvoir l’utilisation rationnelle et l’aménagement durable des ressources forestières, en conservant toute la biodiversité ». Considéré sur le plan juridique comme un accord politique25 qui engageait politiquement les États parties, cette Déclaration a été favorable‐ ment accueillie par les Nations unies dont l’Assemblée générale a félicité et encouragé l’initiative.26 Par cette Déclaration, les États d’Afrique centrale posaient les jalons de ce qui sera plus tard une véritable politique commune de gestion de leurs forêts, par l’adoption du Plan de convergence. À travers le Plan de convergence pour la conservation et la gestion durable des écosys‐ tèmes forestiers d’Afrique centrale, la politique commune de gestion des forêts d’Afrique centrale va prendre véritablement corps. La dénomination donnée à ce document n’est pas anodine. Le titre « Plan de convergence » exprime en effet la communauté de vues des pays intervenant dans la planification des forêts. Le plan de convergence, traduction opéra‐ tionnelle des engagements politiques énoncés dans la Déclaration de Yaoundé, constitue la plate-forme commune d’actions prioritaires à mettre en œuvre au niveau sous-régional et national pour assurer le suivi des résolutions du Sommet. Il édicte la vision politique sousrégionale de gestion des forêts qui est la suivante : « Les États d’Afrique centrale gèrent durablement et d’une manière concertée leurs ressources forestières pour le bien-être de leurs populations, pour la conservation de la diversité biologique et pour la sauvegarde de l’environnement mondial ».27 Dans sa deuxième édition de 2015, elle comporte 6 axes 25 Voir P. Gauthier, « Accord et engagement politique en droit des gens : à propos de l'Acte fondateur sur les relations, la coopération et la sécurité mutuelles entre l'OTAN et la Fédération de Russie signé à Paris le 27 mai 1997 », Annuaire français de droit international, volume 43, 1997, notamment pp. 85–86. L’auteur présente plusieurs critères formels et substantiels des accords politiques qui les distinguent des accords juridiques, tels que l’utilisation des termes engagements en lieu et place de termes tels que obligations, l’absence de date d’entrée en vigueur, l’évitement du dépôt ou d’enregistrements auprès des instances internationales, etc…. 26 Elle a ainsi reconnu l’importance des forêts d’Afrique centrale et leur rôle essentiel dans l’équi‐ libre de la biosphère et de la planète tout entière en adoptant la Résolution 54/214 du 1er février 2000, invitant également la coopération internationale à aider les pays de l’Afrique centrale dans leurs efforts de développement forestier en leur fournissant une assistance technique et financière sur une base régionale. 27 Voir le document même du Plan de convergence. https://doi.org/10.5771/2363-6270-2021-1-46, am 13.09.2023, 15:30:17 Open Access – - http://www.nomos-elibrary.de/agb 54 Recht in Afrika – Law in Africa – Droit en Afrique 24 (2021) stratégiques28 et trois axes transversaux29 qui comportent tous un assemblage de stratégies, d’activités, de mesures et d’actions à mettre en œuvre par les États parties. De nombreux facteurs rendent néanmoins son application d’une particulière difficulté. 2. Les facteurs de complexification de la politique forestière sous-régionale L’application de la politique forestière sous-régionale inscrite dans le Plan de convergence de la COMIFAC dans sa première version (PC1), a produit à ce jour des résultats non négli‐ geables.30 De tels résultats, bien qu’encourageants, restent en deçà de ce que l’on aurait pu attendre au vu des ambitions affichées et objectifs assignés à ce document politique. C’est qu’en réalité, de nombreux facteurs rendent cette politique d’une singulière complexité.31 Tout d’abord, il convient de reconnaître que ce plan dès son élaboration, n’était pas un modèle de clarté. C’est sans doute pour cette raison que la première version qui comportait au départ six axes stratégiques, est rapidement passé à dix avant sa présentation à la première conférence des Ministres en charge des forêts d’Afrique centrale en 2000, pour par la suite, se retrouver à six axes prioritaires et trois axes transversaux dans sa dernière édition de 2015. Comme explication de ce qui paraissait être une réelle hésitation, il semble que bien qu’ayant été précédé de consultations nationales, le Plan de convergence première génération n’ait été en réalité qu’une superposition de programmes forestiers nationaux destinés à une transposition à l’échelle de l’Afrique centrale. Le fait pour ses rédacteurs d’avoir cherché absolument à tenir compte « de la spécificité et de la diversité des situations forestières nationales en Afrique Centrale »,32 les avait poussé à faire des répétitions dans les stratégies, activités et résultats envisagés. Pour cette raison, il a été reproché à cette première version du Plan d’être « une compilation touffue de programmes forestiers nationaux d’une application difficile à l’échelle sous-régionale ».33 Sa révision 28 Axe d’intervention 1 : Harmonisation des politiques forestières et environnementales; Axe d’in‐ tervention 2 : Gestion et valorisation durable des ressources forestières; Axe d’intervention 3 : Conservation et utilisation durable de la diversité biologique; Axe d’intervention 4 : Lutte contre les effets du changement climatique et la désertification; Axe d’intervention 5 : Développement socio-économique et participation multi-acteurs; Axe d’intervention 6 : Financements durables. Voir COMIFAC, Plan de convergence pour la conservation et la gestion durable des écosystèmes forestiers d’Afrique centrale, Ed. 2, 2015–2025, Série politique n° 7, 42 p. 29 Axe transversal 1 : Formation et renforcement des capacités; Axe transversal 2 : Recherche-déve‐ loppement; Axe transversal 3 : Communication, sensibilisation, information et éducation. Idem. 30 Pour une vue générale sur les acquis de la mise en œuvre du Plan de convergence à ce jour, Lire « Défis et perspectives », COMIFAC News, N° 017, 2ème trimestre, juillet 2019, p. 7. 31 La complexité semble être de l’essence des droits issus des processus d’intégration régionale et sous-régionale en Afrique centrale, comme le démontre clairement un auteur. Voir A. L. Nguena Djoufack, « Intégration sous régionale et complexité du droit dans les États africains de la zone franc », Recht in Afrika – Law in Africa – Droit en Afrique, 21 (2018), pp. 125–149. 32 Ce sont les termes employés par le document en question. 33 Voir J. F. Yekoka, « La gestion coopérative des forêts du bassin du Congo dans le cadre de la CO‐ MIFAC », in : J. V. Ntuda Ebode (Dir.), La gestion coopérative des ressources transfrontalières en https://doi.org/10.5771/2363-6270-2021-1-46, am 13.09.2023, 15:30:17 Open Access – - http://www.nomos-elibrary.de/agb L’émergence d’une régulation sous-régionale des forêts en Afrique centrale 55 était donc devenue nécessaire. Elle est intervenue sur instruction du Conseil des Ministres de la COMIFAC avec visiblement pour objectifs de résoudre les problèmes de manque de clarté relevés à propos de la première version, mais aussi de prendre en compte les nou‐ veaux enjeux existant dans le secteur et les mutations rapides qu’il connaît.34 Bien que révi‐ sé, il n’est pas possible d’affirmer que le Plan de convergence est devenu un modèle de clarté ou de cohérence. Ainsi peut-on par exemple se demander quelle est la pertinence de prévoir un axe transversal sur le renforcement des capacités et prévoir en même temps dans les axes prioritaires de nombreuses activités portant sur le même sujet. Ensuite, l’antériorité de la quasi-totalité des législations nationales aux deux versions du Plan de convergence rend son appropriation et sa mise en œuvre complexes et incertaines, surtout que les proces‐ sus de réformes souhaités et entrepris dans certains États sont encore loin d’avoir aboutis.35 Enfin, il convient de signaler que le financement de cette politique sous-régionale de ges‐ tion des forêts constitue une véritable entorse à son application. Le coût de financement de la première génération était estimée globalement à 828 milliards de francs CFA, soit envi‐ ron 1,5 milliard de dollars US sur la période de dix ans.36 Au vu de l’importance de ce montant, l’on s’est demandé comment des pays qui proclament leur pauvreté, en forçant leur inscription sur le registre des Pays pauvres très endettés (PPTE) pourront faire face à un Plan dont le coût d’action est estimé à 828 milliards de francs CFA.37 Dans la seconde version, les rédacteurs se sont gardés de toute référence au coût de mise en œuvre, d’où on peut se demander s’il est resté le même sur la période d’exécution qui est de 10 ans. Au final, devant l’expression sans équivoque de la volonté des États d’Afrique centrale d’élaborer une politique forestière sous-régionale de gestion des forêts, il faut garder à l’esprit les nombreux facteurs qui rendent sa compréhension et son appropriation difficiles et qui pourraient compliquer la tâche aux institutions mises sur pieds à cet effet. 34 35 36 37 Afrique centrale : quelques leçons pour l’intégration régionale, Friedrich Ebert Stiftung, Yaoundé (Cameroun), 2011, pp. 140. Voir COMIFAC, Plan de convergence pour la conservation et la gestion durable des écosystèmes forestiers d’Afrique centrale, Edition 2, 2015–2025, pp. 12 et 13. Voir également COMIFAC, Plan de convergence : Avancées et défis nouveaux, COMIFAC News n° 017, 2ème trimestre, juillet 2019, pp. 7 et 8. Pour le cas du Cameroun par exemple, il convient de préciser que la loi forestière qui date de 1994 et qui était considérée comme un modèle dans la sous-région, est en cours de révision depuis 2008 et qu’à ce jour, il est difficile de se prononcer sur le sort de l’avant-projet qui circule notamment au sein des organisations travaillant dans le secteur. Voir COMIFAC, Plan de convergence pour la conservation et la gestion durable des écosystèmes forestiers d’Afrique centrale, Yaoundé, juillet 2004, préambule, p. 4. Voir par exemple J. F. Yekoka, étude précitée, p. 140. https://doi.org/10.5771/2363-6270-2021-1-46, am 13.09.2023, 15:30:17 Open Access – - http://www.nomos-elibrary.de/agb 56 Recht in Afrika – Law in Africa – Droit en Afrique 24 (2021) B. La mise sur pied d’un système institutionnel sous-régional pour la gestion des forêts Toute entreprise d’intégration, qu’elle soit globale ou sectorielle, nécessite des institutions structurées pour la mise en œuvre des objectifs définis;38 et comme le disait il y a fort longtemps un auteur aguerri, si rien n’est possible sans les hommes, rien n’est durable sans les institutions.39 C’est en suivant cette logique que les États forestiers d’Afrique centrale ont, dans leur Déclaration historique de 1999, donné mandat à leurs ministres en charge des forêts, pour la mise en œuvre de leurs résolutions. Cette décision marque le début de la construction en Afrique centrale forestière, d’un système institutionnel étoffé (1) mais fragilisé (2). 1. Un système institutionnel sous-régional étoffé Le système institutionnel sous-régional de gestion des forêts comprend principalement la COMIFAC (a), qui est habilitée à œuvrer en collaboration avec d’autres institutions ou organismes existant dans le secteur (b). a) L’institution sous-régionale en charge des forêts : la Commission des Forêts d’Afrique Centrale (COMIFAC) Au commencement était la « Conférence des Ministres en charge des Forêts d’Afrique centrale ». Elle était l’organe chargé de traduire dans les faits les résolutions prises par les Chefs d’États à l’issue de la Conférence de Yaoundé. Seulement, pour agir convenablement sur la scène internationale, elle avait besoin d’une autonomie juridique et financière qui lui faisait encore défaut. Pour en faire un véritable sujet de droit interne et international, les Ministres en charge des forêts de la sous-région vont alors convoquer à Brazzaville un deuxième Sommet des Chefs d’État,40 d’où sortira en cette année 2005 le Traité relatif à la conservation et la gestion durable des écosystèmes forestiers d'Afrique centrale, acte de naissance de la Commission des Forêts d’Afrique Centrale (COMIFAC). Le Traité de Brazzaville qui crée la COMIFAC lui donne le statut juridique d’Organi‐ sation internationale sous-régionale, « chargée de l’orientation, de l’harmonisation, et du suivi des politiques forestières et environnementales en Afrique Centrale »,41 en même temps qu’il fixe son siège à Yaoundé au Cameroun, avec possibilité de transfert dans tout autre pays membre. Comme toute bonne organisation d’intégration, elle dispose d’organes 38 Les auteurs le reconnaissent bien. Voir A. L. Nguena Djoufack, « Intégration sous régionale et complexité du droit dans les États africains de la zone franc », précité, p. 141; S. Romano, L’ordre juridique, traduit par Lucien François et Pierre Gothot, Paris, Dalloz, 1975, p. 31. 39 J. Monnet, Mémoires, Paris, Fayard, 1976, p. 412. 40 Ont participé à ce deuxième sommet : les Chefs d'État d'Afrique centrale, le chef d'État français, les représentants de l'Union africaine, de l'Union européenne, de l'Organisation des Nations Unies, les institutions internationales, le secteur privé forestier et la société civile. 41 Voir article 5 du Traité de Brazzaville de 2005. https://doi.org/10.5771/2363-6270-2021-1-46, am 13.09.2023, 15:30:17 Open Access – - http://www.nomos-elibrary.de/agb L’émergence d’une régulation sous-régionale des forêts en Afrique centrale 57 à travers lesquels elle agit, à savoir le Sommet des Chefs d’État et de Gouvernement, le Conseil des Ministres et le Secrétariat exécutif.42 Pour agir convenablement sur le plan sous-régional, la COMIFAC a été reconnue en 2007 comme institution spécialisée43 de la Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale (CEEAC).44 Et pour agir aisé‐ ment dans les États membres, elle s’est dotée de Coordinations Nationales COMIFAC (CNC), véritables démembrements de l’institution, avec essentiellement un rôle de conseil auprès des décideurs nationaux, de facilitateur des actions de mise en œuvre du Plan de convergence et d’interface entre le niveau sous-régional et le niveau national.45 Ne pouvant évoluer en vase clos, elle est appelée à collaborer avec d’autres institutions ou organismes spécialisés existant dans la zone. b) Les institutions de collaboration avec la COMIFAC En vertu de la capacité juridique dont jouit la COMIFAC sur le territoire des États membres conformément à l’article 29 du Traité et surtout sa personnalité juridique internationale46 qui lui sont nécessaires pour atteindre ses objectifs, elle est autorisée à conclure avec d’autres organisations régionales ou sous-régionales des conventions de collaboration. L’ar‐ ticle 18 du Traité qui lui ouvre cette voie va plus loin, en énumérant de manière non exhaustive les organisations visées. Il s’agit tout d’abord de l’Organisation pour la Conservation de la Faune Sauvage en Afrique (OCFSA), particulièrement pour la biodiversité et la lutte anti-braconnage trans‐ frontalière.47 Il s’agit ensuite de l’Agence intergouvernementale pour le Développement de l’Information Environnementale (ADIE).48 Il s’agit aussi de la CEFDHAC (Conférence sur les Écosystèmes des Forêts Denses et Humides d’Afrique centrale), créée en 1996 et autrement appelée « Processus de Brazzaville ». L’ambition de ce dernier organe est de 42 Article 6 du Traité. 43 Elle est donc placée au même niveau que la Commission Régionale des Pêches du Golfe de Guinée, créée en juin 1984 à Libreville. 44 Par la décision de la Conférence des Chefs d’État d’Afrique centrale n° 31/CEEAC/CCEG/XIII/07 du 30 octobre 2007. 45 Conformément à leur Lettre de mission signée à Malabo en 2006 lors d’un Conseil ordinaire des Ministres, les CNC ont précisément pour mission de Conseiller les décideurs nationaux (Gouver‐ nement, Parlement, autres grandes institutions étatiques) sur le processus COMIFAC; Coordonner la mise en œuvre du plan de convergence COMIFAC au niveau national et en assurer le suivi tant au niveau national que sous régional; Représenter le Secrétariat Exécutif aux niveaux national, sous-régional et international; Servir de relais entre le SE et les pays membres; Assurer l’interface pour la mise en œuvre du plan de convergence; Procéder à l’animation du réseau des Points Focaux des autres initiatives; Assurer le secrétariat des fora nationaux. 46 Le Traité vise expressément la Convention de Vienne de 1986 relative aux organisations interna‐ tionales. 47 La convention de collaboration entre la COMIFAC et l’OCFSA a été signée le 11 juillet 2019 à Yaoundé au Cameroun, suivi d’un plan d’action biennal 2019–2021. 48 Son statut et ses missions ont été validés en 2004. https://doi.org/10.5771/2363-6270-2021-1-46, am 13.09.2023, 15:30:17 Open Access – - http://www.nomos-elibrary.de/agb 58 Recht in Afrika – Law in Africa – Droit en Afrique 24 (2021) mettre sur pieds un forum dynamique d’échanges favorisant la concertation multi-acteurs en vue de l’adhésion des parties prenantes au processus de gestion durable des écosystèmes des forêts d’Afrique centrale.49 Il s’agit en plus, de l’Organisation africaine du bois (OAB), en particulier sur les questions d’économie forestière, de certification et de commerce des produits forestiers. Il s’agit enfin du Réseau des aires protégées d’Afrique centrale (RA‐ PAC), en vue de la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique.50 Au demeurant, la pluralité d’institutions ou d’organismes constituant ce que l’on peut qualifier de système institutionnel sous-régional pour la conservation et la gestion durable des forêts d’Afrique centrale, cache mal les défauts qu’il recèle et qui en font un système institutionnel somme toute fragilisé. 2. Un système institutionnel sous-régional fragilisé C’est en observant d’assez près la COMIFAC que l’on voit clairement les facteurs de fragilisation du système institutionnel sous-régional de gestion des forêts. Même si l’on reconnaît que son dynamisme et le combat qu’il mène pour la bonne gestion de l’ « es‐ pace-monde » forestier du bassin du Congo en font un véritable « best-seller » de la pensée politique de l’Afrique noire d’aujourd’hui,51 il n’en demeure pas moins qu’elle reste confrontée à de nombreux problèmes. Tout d’abord, on ne peut pas dire que l’ancrage institutionnel de la COMIFAC le prédestine à jouer efficacement son rôle de coordination des activités de conservation et de gestion concertées des forêts en Afrique centrale. En effet, il convient de rappeler que la COMIFAC a été reconnu en 2007 comme étant une institution spécialisée de la CEEAC.52 Pourtant, dans le même temps, la totalité des États membres disposant de forêts et qui font figure de proue de ce processus, font partie de la Communauté Économique et Monétaire d'Afrique Centrale. Mais leur choix n’a pas été porté sur cette dernière organisation, alors même que dans ses articles 39 à 41, le Traité qui institue l’Union Économique de l’Afrique Centrale (UEAC) prévoit bien des dispositions relatives à la gestion des écosystèmes fores‐ tiers des pays membres, qui auraient pu justifier l’ancrage institutionnel de la COMIFAC 49 En tant que plate-forme sous-régionale, la CEFDHAC regroupe au titre de chaque État membre les représentants du gouvernement, du parlement, de l’administration publique, du secteur privé, du secteur associatif, des organisations non gouvernementales, et de toutes autres parties prenantes à la gestion des écosystèmes des Forêts Denses et Humides d’Afrique Centrale. La convention de collaboration entre la COMIFAC et cette institution a été signée en 2008. 50 Le protocole de collaboration entre le RAPAC et la COMIFAC a été signé en décembre 2006 à Yaoundé au Cameroun. 51 Voir J. F. Yekoka, étude précité, p. 129. 52 Le Traité de la CEEAC dans sa version révisée de décembre 2019, considère l’Institution spéciali‐ sée comme étant « une structure en charge de la mise en œuvre des politiques communautaires sectorielles ». Art. 1 (z). https://doi.org/10.5771/2363-6270-2021-1-46, am 13.09.2023, 15:30:17 Open Access – - http://www.nomos-elibrary.de/agb L’émergence d’une régulation sous-régionale des forêts en Afrique centrale 59 au niveau de la CEMAC.53 Certes, l’on peut avancer que les engagements de la CEEAC en cette matière semblent plus consistantes, dans la mesure où le Traité prévoit clairement que les États s’engagent à « harmoniser leurs politiques et stratégies nationales de gestion des ressources forestières et de leurs biodiversités »,54 de même qu’ils s’engagent à « créer des cadres adéquats de concertation et de coordination des secteurs ayant des interactions et impacts dans l’exploitation et/ou la lutte contre l’exploitation illicite des ressources et des écosystèmes naturels ».55 Mais il reste que la CEMAC ne s’est pas complètement désenga‐ gée de ce secteur ou domaine de l’intégration. Cette situation qui est de nature à conduire à un enchevêtrement des centres de décisions n’est pas propice pour la construction d’un système institutionnel stable. Ensuite, en ce qui concerne l’opportunité de l’appartenance de certains États membres à l’espace COMIFAC, il convient de relever qu’elle permet de questionner l’intérêt de leur adhésion au processus. L’objectif de la mise sur pieds du système institutionnel au centre duquel se trouve la COMIFAC, demeure la conservation et la gestion concertées des forêts. L’existence des forêts apparaît alors comme étant le critère premier censé déterminer la participation au processus. De même, l’importance des forêts du Bassin du Congo, puisqu’il s’agit d’elles, repose sur leur unité écologique, dans la mesure où elles constituent une entité écologique, un ensemble de forêts d’un seul tenant. Pourtant cette logique n’explique pas clairement l’appartenance de certains pays au processus. Il s’agit d’abord du Tchad, considéré comme le pays de la COMIFAC le plus plongé dans le désert, ne disposant que d’une très modeste portion de forêts56 et, en tout état de cause, ne faisant pas partie de l’espace écologique dit du Bassin du Congo.57 Il s’agit ensuite de Sao Tomé et Principe, non signataire de la Déclaration de Yaoundé et qui n’a pas encore ratifié le Traité de la COMIFAC après la signature. Il semblerait qu’il considère la COMIFAC « comme un pont entre les États membres et les bailleurs de fonds », et d’après une étude récente, 53 L’article 41 de cette convention prévoit que « Dans l'exercice du pouvoir définit à l'article 6 alinéa 2 de la présente Convention, la Conférence des Chefs d'État, dans le respect des missions imparties dans ce domaine aux organisations régionales spécialisées, veille à la prise en compte des objectifs suivants : a) la lutte contre la désertification, les inondations et les autres calamités naturelles; b) la préservation de la qualité de l'environnement en milieu rural et urbain; c) la protection de la diver‐ sité biologique; d) l'exploitation écologiquement rationnelle des forêts et des ressources halieu‐ tiques; f) (…). 54 Art. 74 al. 2 (a) du Traité révisé. 55 Art. 74 al. 2 (c) du Traité révisé. 56 Une évaluation des forêts des pays membres de la COMIFAC en 2016 laissait voir que le Tchad ne disposerait que de 929 km² de forêts denses humides et 23 399 km² de savanes arborées. Voir Les forêts du Bassin du Congo – Forêts et changements climatiques. Eds : C. de Wasseige, M. Tadoum, R. Eba’a Atyi et C. Doumenge – 2015. Weyrich. Belgique, p. 19. 57 Il convient de préciser que le Tchad est membre du Comité Inter-Etats de Lutte contre la Séche‐ resse au Sahel. https://doi.org/10.5771/2363-6270-2021-1-46, am 13.09.2023, 15:30:17 Open Access – - http://www.nomos-elibrary.de/agb 60 Recht in Afrika – Law in Africa – Droit en Afrique 24 (2021) sa loi forestière reste très éloignée des directives et décisions sous-régionales.58 La même crainte a été exprimée à propos du Burundi qui, bien qu’ayant ratifié le Traité instituant la COMIFAC, possède une très ancienne loi forestière au contenu jugé bien trop éloigné des standards de l’institution.59 Ces éléments sont de nature à amoindrir l’engagement des pays visés pour l’ensemble des activités de la COMIFAC, qui est également fragilisée par les questions de financement de son fonctionnement. Pour ce qui est du financement du système institutionnel sous-régional en matière fores‐ tière, il convient de préciser qu’il est de loin le facteur le plus important de sa fragilisation. Adossé depuis la création de l’institution aux contributions égalitaires des États membres, le financement de la COMIFAC constitue une véritable embûche à son fonctionnement. Entre 2003 et 2019, les arriérés de ces contributions s’élevaient à 2 559 774 715 FCFA. Au titre de ces contributions, seul le Cameroun était à jour, et le Sao Tomé et Principe n’avait encore versé aucun montant, ce qui confirme les craintes sur l’opportunité de sa participation au processus.60 La prise de conscience de cet obstacle a amené la COMIFAC à envisager la mise sur pieds d’un mécanisme de financement autonome, qui n’est pas encore véritablement au point.61 En somme, comme la véritable régulation sous-régionale qu’elle ambitionne d’être, la régulation émergente des forêts en Afrique centrale bénéficie d’une politique commune de gestion des forêts résolument exprimée, quoique rendue complexe par quelques facteurs qui peuvent cependant être corrigés au fur et à mesure que le processus se consolide. De même elle est dotée d’un système institutionnel qui, bien que fragilisé, ambitionne d’assurer la mise en œuvre des objectifs de politiques qui, dans une entreprise pareille, se déclinent concrètement en un ensemble de normes à respecter. II. L’élaboration progressive d’un droit sous-régional pour la gestion des forets Les rapports entre la politique forestière et le droit ou la législation forestière sont faci‐ lement saisissables : le droit forestier ou la législation forestière n’est en réalité qu’un 58 Voir E. Kam-Yogo, Rapport de l’étude sur l’état des lieux du processus d’élaboration des direc‐ tives et décisions de la COMIFAC et de leur mise en œuvre par les États membres, Étude réalisée avec l’appui financier de la GIZ (Deutsche Gesellschaft für internationale Zusammenarbeit), « Projet Appui à la COMIFAC », janvier 2012, p. 43. 59 E. Kam-Yogo, étude précité, p. 22. 60 Lire « Défis et perspectives », COMIFAC News, N° 017, deuxième trimestre, juillet 2019, p. 19. Au 18 juin 2021, la situation de ces contributions égalitaires semble être restée la même. En effet, au sortir de l’Atelier sous régional pour l’élaboration du plan de travail annuel budgétisé 2021 du Secrétariat Exécutif de la COMIFAC ouvert tenu du 14 au 16 juin à Douala (Cameroun), l’on rappelait encore que seul le Cameroun avait pu s’acquitter de la contribution égalitaire en tant que pays membre. Voir http://leconomie.cm/comifac-les-etats-membres-appeles-a-se-mettre-a-jour-deleurs-cotisations/ 61 Pour une description sommaire de ce mécanisme, lire une fois de plus Lire « Défis et perspec‐ tives », COMIFAC News, N° 017, deuxième trimestre, juillet 2019, p. 19. https://doi.org/10.5771/2363-6270-2021-1-46, am 13.09.2023, 15:30:17 Open Access – - http://www.nomos-elibrary.de/agb L’émergence d’une régulation sous-régionale des forêts en Afrique centrale 61 des moyens de mise en œuvre de la politique forestière. Autrement dit, la politique et le droit forestier sont des outils complémentaires : la politique fournit la direction et la loi éta‐ blit les droits et responsabilités. Le but principal de la législation est l’assignation et la mise en application des droits et responsabilités relatifs aux forêts, et non pas la formalisation d’une vision, d’un but ou d’une stratégie convenue qui, elle, est du ressort de la politique. D’où l’adage « Donnez-moi la politique et je rédigerai la loi ». C’est la raison pour laquelle une vision sous-régionale de la conservation et de la gestion des forêts en Afrique centrale ne pouvait logiquement que se prolonger par un droit de même envergure. Autrement dit, l’ambition de construire une véritable concertation pour la conservation et la gestion du‐ rable des forêts ne pouvait se faire sans un minimum de règles sécrétées au niveau sousrégional. Le droit forestier sous-régional serait donc entrain de voir le jour. Il s’agit d’un droit matériel destiné, comme dans les autres domaines en Afrique centrale, à être l’instru‐ ment de l’intégration sous-régionale dans le secteur.62 Il se décline en un droit matériel ori‐ ginaire(A), d’une part, et un droit matériel dérivé (B), d’autre part. A. Le façonnement d’un droit forestier sous-régional originaire Comme l’explique un auteur à propos du droit communautaire CEMAC dans son ensemble, « le droit originaire est le droit premier, le droit constitutif c’est-à-dire l’ensemble des dispositions qui sont à l’origine (…) l’ensemble des normes suprêmes dans l’ordre commu‐ nautaire ».63 Il n’est point de doute en matière forestière, que le droit originaire provient du Traité relatif à la conservation et la gestion durable des forêts en Afrique centrale. Ce traité s’est donné des objectifs relativement clairs (1), qui ne réussissent cependant pas à masquer son caractère permissif (2). 1. La relative clarté des objectifs du Traité relatif à la conservation et la gestion durable des forêts Considéré par des auteurs avertis comme « une avancée juridique pionnière dans la longue quête de l’adoption d’une convention internationale relative aux écosystèmes forestiers »,64 le Traité relatif à la conservation et la gestion des écosystèmes forestiers d’Afrique cen‐ trale65 fait passer les engagements et les principes de la gestion durable des forêts déjà énoncés dans la Déclaration de Yaoundé66 du domaine du droit mou à celui du droit 62 Voir E. Gnimpieba Tonnang, thèse précitée, p. 35. 63 Voir L. Tengo, Droit communautaire CEMAC, Editions Ccecinia communication, Paris, Juin 2013, p. 182–188. 64 Voir S. Assembe Mvondo, étude précité, p. 116. 65 Signé le 05 février 2005 à Brazzaville et entré en vigueur en janvier 2007. 66 Il convient de relever que le Traité dans ce qui apparaît comme son préambule, prend le soin de reprendre l’essentiel des engagements politiques souscrits par les Chefs d’États de la sous-région https://doi.org/10.5771/2363-6270-2021-1-46, am 13.09.2023, 15:30:17 Open Access – - http://www.nomos-elibrary.de/agb 62 Recht in Afrika – Law in Africa – Droit en Afrique 24 (2021) contraignant.67 Il a pour objectif général la conservation et la gestion durable des forêts, lequel se décline en plusieurs engagements et objectifs spécifiques à atteindre. Un auteur propose de classer les objectifs spécifiques du Traité de 2005 en trois catégories, à savoir les engagements qui concourent directement à la gestion durable des forêts, ceux qui font référence à la participation de certains acteurs au processus, et enfin ceux liés aux questions de l’économie forestière.68 Mais à ce classement reposant vraisemblablement sur un critère matériel, c’est-à-dire d’objectif poursuivi, nous préférons dans le cadre de cette réflexion celui fondé sur l’envergure collective ou non des actions à mener. Dans cette logique, l’on peut classer les engagements des États dans le cadre du Traité de 2005 en deux catégories : d’une part, les engagements qui nécessitent des actions communes par les États parties et, d’autre part, les engagements qui peuvent être exécutés sans nécessairement des actions communes. Pour les premiers, l’on peut citer selon leur ordre d’importance, tout d’abord l’engagement d’accélérer le processus de création des aires protégées transfrontalières entre les pays d’Afrique Centrale et inviter les pays voisins à s’intégrer dans le processus. Ensuite, celui de mettre en place des actions concertées en vue d’éradiquer le braconnage et toute autre exploitation non durable dans la sous-région en y associant toutes les parties prenantes. De même, celui d’œuvrer pour l’harmonisation standardisée des documents accompagnant la circulation des produits forestiers et fauniques. Enfin, celui d’adopter des systèmes de certification reconnus internationalement, agrées par les États de l’Afrique Centrale.69 La seconde catégorie d’engagements pris par les États de la sous-région dans le Traité de 2005, plus fournie, comprend des actions que chaque État peut exécuter tout seul, mais toujours dans l’objectif poursuivi d’une gestion durable des écosystèmes forestiers d’Afrique centrale. Il s’agit notamment des engagements tels que celui d’inscrire dans les priorités nationales, la conservation et la gestion durable des forêts ainsi que la protection de l’environnement, mettre en place dans chaque État, des mécanismes durables de financement du développement du secteur forestier, développer une fiscalité forestières adéquate et les mesures d’accompagnement nécessaires à sa mise en œuvre, etc. Sans forcément viser la mise en place d’un marché commun des produits forestiers, l’on peut remarquer que tous ces objectifs traduits en engagements pris par les États de l’Afrique centrale forestière expriment leur volonté de mettre sur pied un régime juridique contraignant de gestion des forêts, à travers le Traité de 2005, qualifié de « texte fonda‐ teur ».70 Il leur a fallu juste six ans pour que l’ambition de mettre sur pieds une gestion 67 68 69 70 dans la Déclaration de Yaoundé en 1999 de même que dans la Déclaration de Rio de 1992, comme pour en faciliter l’acceptation et partant, rendre leur observation obligatoire. Au-delà du changement formel marqué par l’appellation « Traité », le changement avec la Décla‐ ration de 1999 est aussi substantiel, notamment avec l’utilisation de termes forts et traduisant la contrainte, tels que « obligations ». S. Assembe Mvondo, étude précité, p. 111. Article 1er du Traité. Voir E. Kam-Yogo, étude précitée, p. 6. https://doi.org/10.5771/2363-6270-2021-1-46, am 13.09.2023, 15:30:17 Open Access – - http://www.nomos-elibrary.de/agb L’émergence d’une régulation sous-régionale des forêts en Afrique centrale 63 concertée de leurs forêts passe du stade d’accord politique à ce stade d’accord juridique. Mais ils n’y ont pas mis toute la rigueur souhaitée et nécessaire. 2. Le caractère permissif des engagements majeurs du Traité Bien que résultant d’un instrument ayant formellement le caractère contraignant, l’on peut s’interroger sur la vigueur des engagements qui constituent le fondement du droit forestier sous-régional originaire. En effet, sur le plan substantiel, le Traité semble n’avoir pas pris toute la distance nécessaire avec la Déclaration de 1999. Il présente ainsi, sur le plan de sa rigueur, un certain nombre de faiblesses qui pourraient compromettre son ambition de mettre sur pieds un régime concerté et contraignant pour la conservation et la gestion durable des forêts. D’une part, il convient de relever la légèreté marquée par le Traité sur certains engage‐ ments que l’on peut pourtant considérer comme indispensables pour l’atteinte de l’objectif de gestion concertée des forêts d’Afrique centrale. En effet, l’article 1er du Traité, lorsqu’il évoque la mise en œuvre du Plan de convergence qui constitue à n’en point douter le socle de la politique forestière sous-régionale, prévoit que « les États Parties au présent Traité s’engagent (…) à (…) inciter leurs Gouvernements à mettre en œuvre les actions prioritaires du Plan de Convergence ». Même si l’esprit reste celui de l’harmonisation, l’on peut regretter que le Traité n’ait pas prévu clairement que les États s’engagent à « obliger ou contraindre » leurs gouvernements plutôt qu’à simplement les inciter. Si l’obligation n’empêche pas que des mesures incitatives soient prévues pour son respect, l’inverse en revanche n’est pas possible. C’est pour cette raison que l’on estime, non sans regret, qu’une telle formulation peut pousser à considérer que « la mise en œuvre du plan de convergence n’est pas une obligation juridique pour les États mais plutôt une question de volonté selon l’esprit du Traité ».71 D’autre part, le Traité de 2005 a éludé le volet important des sanctions des obligations qu’il édicte.72 La seule disposition du Traité envisageant des sanctions est l’article 20 qui concerne le non-respect des obligations financières par les États membres.73 La sanction prévue est dans ce cas la perte du droit de vote ainsi que tout appui de l’Organisation. Aucune sanction n’est prévue pour ce qui est des autres obligations résultant du Traité, notamment celles concernant les engagements concourant à la conservation et à la gestion proprement dite des forêts. Pourtant, il eût été plus qu’utile de prévoir, tout en restant dans l’esprit d’harmonisation voulue par le Traité, des moyens de contrainte pour assurer le respect des objectifs du Traité. Il s’agit par exemple de prévoir des « sanctions psy‐ chologiques » qui consistent à stigmatiser systématiquement un État récalcitrant par la 71 Voir E. Kam-Yogo, étude précitée, p. 49. 72 Voir S. Assembe Mvondo, étude précité, p. 116. 73 Concrètement, il s’agit de l’obligation de contribution financière des États pour le financement de la COMIFAC. https://doi.org/10.5771/2363-6270-2021-1-46, am 13.09.2023, 15:30:17 Open Access – - http://www.nomos-elibrary.de/agb 64 Recht in Afrika – Law in Africa – Droit en Afrique 24 (2021) publication des rapports et à travers des débats ouverts lors des sessions du Conseil des Mi‐ nistres.74 Néanmoins, la COMIFAC étant reconnue comme une institution spécialisée de la CEEAC, l’on peut penser au recours au régime des sanctions instituées notamment par l’ar‐ ticle 99 du Traité révisé, qui prévoit en substance que la Communauté peut, à l’initiative de la commission, adopter des sanctions à l’encontre d’un État membre, lorsque celui-ci n’ho‐ nore pas ses obligations vis-à-vis de la communauté, ceci sans préjudice des dispositions du Traité et de celles des protocoles y afférant.75 Une telle permissivité du droit matériel origi‐ naire n’a cependant pas empêché l’entame d’un droit matériel dérivé. B. La génération d’un droit matériel sous-régional dérivé En droit communautaire, le droit dérivé peut être considéré comme l’ensemble des actes unilatéraux pris par les institutions et organes de la Communauté dans le cadre des compé‐ tences qui leur sont dévolues par le Traité lui-même, et par les textes qui les régissent. En matière de gestion forestière sur le plan sous-régional, le droit dérivé renvoie à l’ensemble des actes pris par les organes compétents de la COMIFAC et sur habilitation du Traité, dans le but d’atteindre les objectifs recherchés. C’est à travers les actes et textes pris à ce titre que l’intégration souhaitée entend se réaliser. Le droit forestier sous-régional dérivé en Afrique centrale est construit autour d’instruments contraignants (1), ou souples (2). 1. Le droit dérivé contraignant : l’Accord sous-régional sur le contrôle forestier Le premier texte adopté par la COMIFAC et fixant des règles contraignantes pour la gestion concertée des écosystèmes forestiers d’Afrique centrale est l’Accord sous-régional sur le contrôle forestier. Adopté à Brazzaville le 26 octobre 2008, trois ans après l’adoption du Traité dans la même ville,76 son but est de promouvoir la coopération entre les États membres de la COMIFAC en vue de renforcer le contrôle de la production et de la circulation commerciale des produits forestiers en provenance de la sous-région.77 Lors de l’Atelier de validation du projet de cet Accord qui s’est tenu à Douala (Cameroun) du 16 au 18 octobre 2007, des discussions avaient eu lieu sur la forme (désignation) du texte et son caractère contraignant.78 La désignation d’Accord avait alors été retenue pour faciliter 74 Voir E. Kam-Yogo, étude précitée, p. 51. 75 Les sanctions prévues sont notamment la suspension de la prise de parole et du droit de vote, la suspension de la participation aux activités de la communauté, le rejet de la candidature aux postes statutaires, etc. Art. 99 al. 2. 76 Dès son adoption par consensus et sa signature par les États membres de la Commission en octobre 2008, l’accord est entré en vigueur. 77 Voir article 3 de l’Accord. 78 Le projet de ce texte avait été rédigé par le Professeur Doumbé-Billé Stéphane, Consultant International/Juriste de la FAO. Voir COMIFAC et FAO, Rapport général de l’atelier de validation de l’Accord sous-régional sur le contrôle forestier en Afrique centrale, Douala du 16 au 18 octobre 2007, p. 6. https://doi.org/10.5771/2363-6270-2021-1-46, am 13.09.2023, 15:30:17 Open Access – - http://www.nomos-elibrary.de/agb L’émergence d’une régulation sous-régionale des forêts en Afrique centrale 65 son adoption,79 et son caractère contraignant a été reconnu par tous les participants. Il a pour finalité de fournir pour l’avenir un fondement juridique aux politiques et programmes forestiers harmonisés élaborés par les pays de la sous-région, tels qu’ils résultent du Traité instituant la COMIFAC et du plan de convergence, en vue d’une gestion et conservation durables des écosystèmes forestiers d’Afrique centrale. Ce que l’on peut tout de même regretter au sujet de cet important texte, c’est son manque de fermeté. Car, s’il envisage clairement la possibilité de mise en jeu de la respon‐ sabilité d’un État en cas de manquement aux prescriptions qu’il édicte et ce contrairement au Traité, il ne prévoit cependant ni directement, ni par renvoi, aucune modalité concrète pour la mise en œuvre de ladite sanction, ce qui n’a pas manqué d’attirer l’attention des auteurs.80 L’article 11 prévoit en effet que « le non-respect des obligations découlant du présent Accord peut entraîner la mise en jeu de la responsabilité d’un État partie devant la juridiction nationale compétente, en particulier en cas de délivrance irrégulière d’un titre d’exploitation ». Par la suite, on cherchera en vain les modalités précises pour la mise en œuvre d’une telle responsabilité aussi curieuse que lacunaire. Peut-être qu’ici encore il faudrait se référer aux dispositions du Traité instituant la CEEAC, qui a vocation à s’appliquer à l’ensemble des domaines couverts par ses organes et institutions, sous réserve des dispositions particulières qui, en l’espèce, font défaut. Même s’il faut admettre que la seule existence de cet Accord et la rapidité avec laquelle il a été adopté, témoigne de la volonté des États de l’Afrique centrale forestière, de consolider leur ambition d’instituer une régulation sous-régionale des forêts dans leurs zone, il faut décrier l’indolence de ses rédacteurs sur les mécanismes de contrainte qui auraient dû assurer sa mise en œuvre. 2. Un droit dérivé souple : les directives COMIFAC L’harmonisation envisagée des législations forestières des États membres concerne aussi deux principaux points, à savoir la gestion des produits forestiers non ligneux d’une part, et la participation des acteurs non étatiques à la gestion des forêts. L’instrument juridique trou‐ vé pour régir ces domaines a été les directives.81 Celles-ci ne sont pourtant mentionnées 79 Il convient de préciser que cet Accord a été adopté par le Conseil des Ministres et non par la Conférence des Chefs d’États. Ont signés ledit texte les Ministres en charge des forêts de sept pays, à savoir le Cameroun, le Gabon, la République du Congo, le Burundi, la Guinée équatoriale, la Centrafrique et le Tchad. 80 Voir par exemple E. Kam-Yogo, étude précitée, p. 50. 81 Il faut toutefois relever que d’autres textes non contraignants dans ce secteur sont produits dans la sous-région. Il s’agit notamment du plan de formation aux emplois de la gestion des aires protégées, harmonisé pour l’Afrique centrale, adopté par le Conseil des Ministres en novembre 2010. Il s’agit également de la Stratégie d’atténuation des conflits hommes-éléphants en Afrique centrale (SACHE), élaboré en juillet 2009 à Yaoundé au Cameroun et adoptée par le Conseil des Ministres de la COMIFAC en novembre 2010. Il s’agit aussi du Document de la stratégie des pays de l’espace COMIFAC relative à l’accès aux ressources biologiques/génétiques et au partage https://doi.org/10.5771/2363-6270-2021-1-46, am 13.09.2023, 15:30:17 Open Access – - http://www.nomos-elibrary.de/agb 66 Recht in Afrika – Law in Africa – Droit en Afrique 24 (2021) nulle part dans le Traité de Brazzaville de 2005. Mais au sens du droit communautaire, les Directives font partie du droit dérivé.82 Il s’agit des actes pris par des institutions ou or‐ ganes communautaires, « liant tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales leur compétence en ce qui concerne la forme et les moyens ».83 Deux directives ont ainsi été adoptées par la COMIFAC à ce jour, à savoir, d’une part, les directives sous-régionales relatives à la gestion durable des produits forestiers non ligneux d’origine végétale en Afrique centrale;84 d’autre part, les directives sous-régionales sur la participation des populations locales et autochtones et des Organisations Non Gou‐ vernementales (ONGs) à la gestion durable des forêts d’Afrique centrale.85 Pour l’essentiel, les premières comprennent des principes et directives qui visent à indiquer les différents droits reconnus aux populations locales et autochtones dans la gestion durables des forêts, de même que des actions prioritaires qui visent, quant à elles, à indiquer les mesures à prendre par les divers États en vue de garantir la participation effective des populations lo‐ cales et autochtones à la gestion durable des forêts. Les directives sous-régionales relatives à la gestion durable des produits forestiers non ligneux d’origine végétale en Afrique cen‐ trale, de leur côté, proposent des bases communes pour une prise en compte appropriée des Produits Forestiers Non Ligneux d’origine végétale dans les cadres politiques, législatifs, fiscaux et institutionnels mis en places par les pays de la sous-région d’Afrique Centrale pour assurer la gestion durable des ressources forestières. Pour des aspects aussi cruciaux, qui constituent des axes prioritaires d’intervention dans le Plan de convergence sous-régional,86 le choix des directives en lieu et place des règlements peut laisser songeur. À la différence des règlements qui sont obligatoires dans tous leurs éléments et d’application directe dans l’ordre juridique national, les directives 82 83 84 85 86 juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation, adopté en novembre 2010 par le Conseil des Ministres de la COMIFAC (APA). Pour plus de détails concernant ces actes, voir E. Kam-Yogo, Rapport de l’étude sur l’état des lieux du processus d’élaboration des directives et décisions de la COMIFAC et de leur mise en œuvre par les États membres, Étude réalisée avec l’appui financier de la GIZ (Deutsche Gesellschaft für internationale Zusammenarbeit), « Projet Appui à la COMIFAC », janvier 2012, particulièrement les pages 16–21. Lorsqu’il présente le droit dérivé communautaire qu’il définit comme étant « l’ensemble des actes unilatéraux pris par les institutions et organes de la Communauté dans le cadre des compétences qui leur sont dévolues par le Traité lui-même, et par les textes qui les régissent », Monsieur Tengo énumère les règlements, les directives, les décisions, les recommandations et les avis. Voir L. Tengo, op. cit., p. 188. Voir article 21 de l’additif au traité CEMAC. Validées en novembre 2007 à Douala et adoptées en octobre 2008 à Brazzaville par le Conseil des ministres. Adoptées par le Conseil des Ministres de la COMIFAC en novembre 2010. La gestion durable des produits forestiers non ligneux rentre expressément dans l’axe d’interven‐ tion 2 : Gestion et valorisation durable des ressources forestières; la participation des populations locales et autochtones et des ONGs rentre quant à elle dans l’axe prioritaire d’intervention 5 : Développement socio-économique et participation multi-acteurs. https://doi.org/10.5771/2363-6270-2021-1-46, am 13.09.2023, 15:30:17 Open Access – - http://www.nomos-elibrary.de/agb L’émergence d’une régulation sous-régionale des forêts en Afrique centrale 67 posent le principe d’une obligation de résultat, tout en étant elles-mêmes dépourvu d’effet direct.87 L’on aurait pensé que l’intervention de la COMIFAC au sujet des axes prioritaires se fasse au moyen des règlements, ce qui conduirait à raffermir les objectifs exprimés dans les textes fondateurs. Même si l’on peut y voir l’expression des difficultés réelles de régulation supra étatique d’un secteur porteur d’attentes aussi importantes que variées, il reste que la trop grande prudence observée sur des telles questions présente le risque d’exposer les ambitions de gestion concertée au bon vouloir des États membres et, en conséquence, d’empêcher la construction de consensus solides sur des points communs. Conclusion Il ressort des lignes ci-dessus, que les dynamiques de gestion forestière observables en Afrique centrale forestière, revêtent la physionomie d’une véritable régulation sous-régio‐ nale émergente et applicable aux forêts. Cette régulation est dotée d’attributs formels et substantiels essentiels pour une action commune par des États soucieux de gérer dans une vision commune leurs ressources. Il y a tout de même lieu de se demander si elle est suffisamment outillée pour atteindre l’objectif de conservation et de gestion concertée des forêts que ses initiateurs lui ont assigné. Bien qu’elle ait fait le choix de l’harmonisation plutôt que celui de l’uniformisation, cette régulation sous-régionale doit s’entourer des garanties de fermeté et de consistance qu’impose toute entreprise de recherche de vision et d’actions communes. Autrement, et comme il a été démontré sans exhaustivité tout au long de cette étude, la régulation sous-régionale des forêts en Afrique centrale, bien qu’assez avancée à ce jour, se prive d’atouts indispensables pour conduire à une gestion des forêts qui soit le résultat d’une entente véritable et solide entre les pays concernés. 87 Voir une fois de plus L. Tengo, op. cit., p. 192. https://doi.org/10.5771/2363-6270-2021-1-46, am 13.09.2023, 15:30:17 Open Access – - http://www.nomos-elibrary.de/agb