Interview entre Frédéric Beigbeder et Ashley Harris
Harris, A. (2015). Interview entre Frédéric Beigbeder et Ashley Harris. Unpublished.
Queen's University Belfast - Research Portal:
Link to publication record in Queen's University Belfast Research Portal
Publisher rights
© 2015 The Author.
General rights
Copyright for the publications made accessible via the Queen's University Belfast Research Portal is retained by the author(s) and / or other
copyright owners and it is a condition of accessing these publications that users recognise and abide by the legal requirements associated
with these rights.
Take down policy
The Research Portal is Queen's institutional repository that provides access to Queen's research output. Every effort has been made to
ensure that content in the Research Portal does not infringe any person's rights, or applicable UK laws. If you discover content in the
Research Portal that you believe breaches copyright or violates any law, please contact openaccess@qub.ac.uk.
Download date:24. Sep. 2021
Interview with Frédéric Beigbeder - 27/03/15
Ashley Harris - Votre roman Oona et Salinger vient de sortir. Dans quelles façons
êtes-vous comme JD Salinger ? Ou comment êtes-vous différent à Salinger ?
Frédéric Beigbeder - Moi, je suis le contraire de Salinger.
Est-ce que vous êtes l’anti-Salinger ?
Je l’aime parce que c’est mon opposé absolu. Je pense que s’il vivait toujours je
pense qu’il serait horrifié que quelqu’un comme moi puisse s’intéresser à lui.
Pour lui je suis le comble de la prostitution, je fais des émissions de télévision, je
m’occupe d’un journal avec des filles nues sur la couverture, c’est tout ce qu’il
détestait. Mais, je suis fasciné et attiré par mon contraire. Aussi, à l’origine, c’est
quand-même les textes de Salinger qui m’ont intéressé. Donc j’ai commencé à lire
les nouvelles, Franny et Zooey et tout ça, c’est merveilleux. Et après quand j’ai su
qu’il s’était caché toute sa vie, comme les Daft Punk un peu, c’est extraordinaire.
Et j’ai découvert qu’on avait des points en commun ; le refus de la vieillesse,
l’attirance pour la jeunesse.
Je ne sais pas si vous avez lu Don Juan ? Voyez Don Juan, dans l’opéra [de Mozart],
Don Giovanni il est puni, il y a une statue de commandeur, c’est celui qui juge Don
Juan et qui le punit pour ses péchés. Pour moi, cette statue de commandeur, c’est
Salinger. Chaque fois que j’écris, chaque fois que je donne une interview, ou que
je publie un article je me dis « Jerry n’aurait pas fait ça ». Il me juge. Il est toujours
au-dessus de moi.
[FB imite Salinger :] « Il va encore à la télévision ! Ça ne va pas ! ». C’est terrible
mais c’est un peu comme ça. Ma damnation c’est d’avoir le regard descendant et
consterné de Salinger sur moi.
Pourquoi vous avez choisi d’écrire sur le couple JD Salinger et Oona O’Neill?
Il fait longtemps que je voulais écrire une histoire d’amour mais je ne savais pas
trop comment faire sans être mièvre donc quand j’ai su qu’il avait eu le cœur brisé
par cette jeune fille, qu’elle l’avait largué pour Chaplin, et lui était parti à la guerre,
et qu’il avait écrit de longues lettres - tout ça est vrai - je me suis dit : il y a
forcément un roman sur eux. Alors je suis allé voir partout, j’ai même cherché en
Amérique. Il n’y a jamais eu un roman sur cette histoire, cet amour impossible.
On a tous des histoires d’amour impossible. Et je pense que ces histoires sont les
plus belles. Je suis un peu immature pour ça même si je suis marié. Les histoires
qui marchent c’est intéressant mais pour écrire un livre c’est chiant. Pour écrire
un livre il faut que ça ne marche pas. Pour vous répondre ; je voulais écrire un
roman d’amour et j’ai échoué, c’est un roman de guerre. Donc en fait ce roman
d’amour s’est transformé en autre chose.
Vos derniers romans, comme Oona et Salinger, sont plus sérieux, moins frénétiques,
est-ce que vous vouliez un changement de style ?
Je crois que c’est l’âge. J’ai commencé par écrire des livres qui étaient des livres
d’un homme inquiet qui avait peur d’ennuyer les gens. Alors j’ai fait des livres qui
essayent d’être drôle (mais qui n’arrivent pas toujours), qui essayent de
démontrer les choses. Des livres violents, pamphlétaires, rigolo avec beaucoup de
plaisanteries. Et puis en grandissant et en lisant beaucoup je me suis aperçu que
c’était peut-être pour moi un art supérieur d’arriver à faire sourire et rigoler et
aussi faire pleurer calmement avec sobriété, simplicité. C’est peut-être la
vieillesse ou l’expérience mais j’aime lire les auteurs très simples, très purs
comme Colette et effectivement Hemingway et Fitzgerald ; des auteurs qui n’ont
pas besoin d’ajouter pour intéresser les lecteurs. Ce qu’il y a de pire c’est quand
l’auteur cherche à plaire. Ça me dégoûte. Je pense que j’ai été comme ça, avec une
envie de séduire. Aujourd’hui quand-même il y a de la prostitution dans mon
travail, mais j’essaie de diminuer la dose.
Dans Oona et Salinger il y a la «faction », est-ce que vous voulez que les lignes entre
la fiction et la réalité soient floues ?
Oui, oui ! Ça m’intéresse beaucoup. Chaque fois que je commence un livre je me
demande pourquoi écrire un livre de plus dans le monde actuel qui s’en fout des
livres. Il y a quand-même beaucoup de grands chefs-d’œuvre parmi les classiques
donc ça ne vaut pas la peine de faire un livre supplémentaire si c’est pour faire ce
qui existe déjà en moins bien. Donc je cherchais effectivement prendre des
personnages réels et les suivre dans un roman. En Amérique dans les journaux
vous avez les deux colonnes très séparées : non fiction et puis fiction. C’est
intéressant d’essayer de mélanger les deux. C’est ce qu’il a fait Capote, le meilleur
ami d’Oona. Avant lui, Don Quichotte de Cervantes, et dans Balzac et dans Victor
Hugo, il y a des personnes réelles aussi. On trouve des personnes réelles dans
beaucoup de romans dans toute l’histoire du roman.
Ce qui est marrant c’est qu’il y a, à la fois, pas d’imagination du tout car je prends
une histoire vraie mais en même temps puisque on ne sait pas grande chose de
cette histoire, tout est inventé. Par exemple, on sait qu’Hemingway et Salinger se
sont rencontrés à Paris le 26 août 1944 au bar du Ritz mais personne n’a jamais
raconté ce qui a été dit. Donc pour un romancier c’est génial. On a un endroit, un
bel endroit, une date symbolique, des gens extraordinaire ; le jeune auteur
inconnu et le plus grand auteur du monde. Ils se rencontrent, il ne reste plus qu’à
imaginer la conversation. Il y a un cadre, la réalité devient comme un cadre, une
structure, mais le roman est complètement libre.
Même chose pour la rencontre entre Oona et Charlie Chaplin. Dans la biographie,
on sait que c’est chez Mina Wallace. Il l’a vue près d’un feu selon les mémoires de
Chaplin, il la décrit mais en huit lignes. C’est tout. De quoi ont-ils parlé ? Alors là
encore, situation géniale ! Pas besoin d’avoir d’imagination mais malgré tout oui,
c’est quand-même imaginé. Je me suis dit qu’il parlait du Dictateur, de sa
moustache et à partir de là Chaplin dit « il m’a volé ma moustache ! » et c’est peutêtre vrai !
Alors, c’est plutôt de la faction que de l’autofiction ? Avant c’était l’autofiction mais
maintenant la faction ?
Oui. Oui, mais l’autofiction c’est une faction autobiographique. C’est-à-dire, on dit
au gens, je m’appelle Frédéric Beigbeder, je vais vous raconter ma vie mais
personne ne peut vérifier si c’est vrai. Beaucoup de choses que j’ai racontées dans
mes livres les plus autobiographiques sont complètement mythomanes. Donc
c’est un jeu. C’est très marrant de jouer avec ça. Mais vous savez, je crois aussi
qu’on est dans une période de tournant, où le public cherche l’imagination au
cinéma ou peut-être dans les séries-télé mais plus dans les romans. Il y a des
exceptions bien sûr comme les romans de vampires comme Twilight ou les
romans de science-fiction, mais malgré tout dans un livre on a envie que ça soit
vrai. Un mélange de journalisme et de littérature - ce qu’on appelle le « Gonzo
journalisme » comme chez Hunter Thompson, Tom Wolfe et tout ça. C’était des
livres autobiographiques où ils faisaient des expériences et racontaient ces
expériences. Mais l’étape d’après c’est de faire une sorte de mélange de vrai et de
faux avec des personnes vraies, des faits réels et des évènements historiques, vu
subjectivement mais en même temps avec toute la technique d’un roman. Je
cherche toujours à faire des choses nouvelles. Il y a pas mal de gens qui cherchent
à faire ce genre de biographies romancées, Jean Echenoz a fait une bonne trilogie.
C’est une piste possible pour la survie du roman.
Est-ce que vous essayez d’être transgressif ou provocateur ? C’est quoi votre but ?
Je cherche toujours à écrire quelque chose qui n’a pas déjà été écrit. Evidemment,
si je parle de la guerre il y a des milliers des romans sur ce sujet. Qu’est-ce que je
peux dire que les autres n’ont pas déjà dit ? Quelles sont les zones libres ? Je ne
sais pas si j’y suis arrivé. J’ai essayé d’écrire le débarquement différemment, la
libération de Paris différemment, la libération de Dachau, avec des petits détails
que j’ai trouvés dans la documentation. La distance temporelle fait qu’on regarde
ça avec une hallucination, avec horreur et avec une fascination malsaine. Par
exemple, le débarquement, j’avais lu un témoignage d’un soldat qui voyait qu’il y
avait beaucoup d’oranges dans les vagues quand ils ont débarqué en Normandie
parce qu’il y avait un camion qui était tombé avec de la bouffe et des milliers
d’oranges qui flottaient dans les vagues. Je n’avais pas lu ça ailleurs alors j’ai mis
cela.
Vous créez souvent des narrateurs qui sont francs, ambigus, et intenses. Vous voulez
que vos narrateurs soient peu fiables ? Ils sont manipulateurs, parfois méchants
même avec les lecteurs. Pourquoi vous faites cela ?
C’est un mélange d’identification et de complicité. It’s a game ! Pour moi, quand
je lis d’autres auteurs je n’aime pas qu’on me prenne par la main mais qu’on me
tape sur la main ! Qu’on me fasse réagir. Ça me parait tellement dingue que
quelqu’un passe du temps à lire un de mes livres que je pense qu’il faut que je
l’accompagne. Je n’aime pas les narrateurs héroïques, je préfère les anti-héros.
J’espère, même si c’est parfois provocant, j’espère que c’est honnête, qu’on peut
dire : « Tiens ! Cette personne ne se moque pas de moi, et ne me ment pas. »
Et vous voulez que ceux qui lisent vos romans soient d’accord avec ces narrateurs,
avec les opinions de ces narrateurs ? Ou est-ce qu’ils sont là pour provoquer ? Par
exemple, avec des personnages comme Octave qui ont des opinions très fortes, estce qu’on est censé être d’accord avec ce qu’ils disent ?
Pas du tout, c’est pour faire réagir, agiter des questions. Mais pas du tout pour
convaincre. C’est amusant parfois que les gens soient énervés, je trouve cela
intéressant. Tout sauf l’ennui, voilà ! Enervé c’est bien, faire rire, faire pleurer, ce
que j’aime le plus dans les romans c’est l’émotion. Si on ressent de la nostalgie ou
si on est agacé ou révolté c’est réussi. Si on s’emmerde, c’est raté.
Parfois je lis les commentaires en ligne qui parlent de 99f et il y a des gens qui disent
« moi je suis tout à fait d’accord avec Octave » mais moi je pense plutôt qu’il faut
s’en méfier.
Le pire c’est que maintenant ce livre est étudié dans les écoles de publicité. On
m’appelle pour faire des conférences. Mais moi je dis « attendez, j’ai fait ce livre
pour essayer de faire fermer les écoles de publicité et que la publicité n’existe
plus » ! Donc c’est un échec complet. Et parfois des jeunes gens viennent me voir
et dire « merci, grâce à vous je suis entré dans la publicité, j’ai lu votre livre et ça
m’a donné envie de travailler là. » Ils n’avaient pas compris, pas du tout.
Les opinions dans vos romans, est-ce qu’elles sont vos opinions ou les opinions de
notre société ?
Ça dépend. Certains personnages disent des choses avec lesquelles je ne suis pas
d’accord. On ne peut pas généraliser. Ce que j’essaie de faire, c’est un tableau de
mon époque. Même quand j’ai écrit Oona et Salinger, ça parle aussi d’aujourd’hui.
Ça parle d’une situation vivante qui est proche de celle des années trente où il y a
le nationalisme qui monte ; les gens veulent devenir des héros, ils deviennent
djihadistes. Il y a des points en commun avec l’ambiance de la crise économique
de l’avant-guerre. Donc, je veux toujours parler d’aujourd’hui. Ce qui est bien avec
le roman c’est qu’on peut mentir tout en disant la vérité. On invente des situations
mais ce que j’espère c’est que les lecteurs sentent quelque chose de juste, de
sincère et de vrai derrière la rigolade.
Est-ce que vous avez un genre ? Vous faites du nouveau-nouveau roman ou de
l’hyper-réalisme ou un mélange de tout ? Faites-vous quelque chose de nouveau
avec le genre?
J’avais fait un texte un peu théorique qui s’appelait « Le Nouveau nouveau
roman » c’est vrai mais c’était pour défendre Windows on the World à l’époque.
Oona et Salinger et Windows on the World ont beaucoup de points communs. Deux
grands évènements tragiques de l’histoire qui sont fictionnalisés. On prend un
personnage et on le suit pour humaniser la catastrophe. Donc, on peut l’appeler
un projet de « faction », ou roman réaliste sur notre temps, c’est ce que faisait
Balzac aussi.
Après, j’aime aussi faire des satires. 99f ce n’est pas un roman si réaliste que ça.
C’est une satire ; à la fin tout le monde fait semblant d’être mort sur une île. Je
dirais que c’est plus la caricature d’un métier très puissant. En France on aime
bien se moquer des gens puissants, en ce moment c’est Mahomet. Et la satire c’est
important, c’est Rabelais qui était un des premiers à faire cela.
Ce que j’aime bien chez vous c’est que la forme et le fond sont liés. Par exemple, dans
99f il y a les petites publicités, dans L’Amour dure trois ans il y a les lettres d’amour
et dans Windows on the World il y a les deux histoires jumelles mises côté à côté.
Je pense toujours que le fond doit dicter la forme. D’abord on doit décider, quel
fond je vais raconter et puis ensuite il faut choisir une forme qui correspond.
Donc, ça dépend des livres. Oui, c’est vrai je réfléchis beaucoup avant de
commencer à écrire ; quelle sera la construction, quel sera le style? Par exemple,
pour Oona et Salinger je me suis dit qu’avec un tel titre il me fallait jouer sur les
contrastes entre Oona : le cinéma, Hollywood, la célébrité, et Salinger : la guerre,
la souffrance, la solitude, la réclusion. C’est souvent l’histoire qui dicte
l’emballage.
Est-ce que vous pensez que les destinées de vos personnages sont irréversibles ? Estce qu’ils peuvent changer leur destin ?
Ça dépend des livres. J’aime bien quand les personnages évoluent. J’ai souvent
raconté l’histoire d’un type qui tombe amoureux et qui se transforme. On constate
cela dans pas mal de mes livres : 99f, Au secours pardon, Egoïste romantique,
L’Amour dure trois ans - c’est toujours l’histoire d’un gros con, un salaud égoïste
qui est lâche qui finit par quand-même devenir un petit peu plus … mignon ! Il y
a d’autres histoires où on ne peut pas changer les choses - Oona et Salinger
évidemment, de même que Windows on the World, on connaît la fin. On sait que
là ce sont des destins. Et les destins, on ne peut pas les changer. Dans le restaurant
Windows on the World il n’y avait pas de survivants. À partir du moment où on
ouvre le livre, on devrait connaitre la fin. Ils vont tous mourir. Ce qui est
intéressant, c’est d’essayer quand-même d’entrainer suffisamment le lecteur à
s’attacher aux personnages pour qu’il n’ait pas envie que ça se termine comme ça
s’est terminé. On a envie qu’ils s’en sortent, c’était très dur à écrire comme livre.
Et avec Oona et Salinger on sait qu’elle l’a quitté et est partie avec Charlie. Après
la mort de Charlie j’aime l’hypothèse qu’ils se sont vus mais on ne sait rien. J’aurai
bien aimé que ça se termine autrement.
Pourquoi mettre tant de violence dans votre œuvre ?
Je veux faire une photo du monde réel et violent. C’est vrai que parfois j’en fais
beaucoup, notamment le meurtre de la vieille dame en Floride, un peu « too
much », cela a un côté Orange mécanique. Mais quand on s’attaque au onze
septembre ou à la deuxième guerre, il faut de la violence, sinon ce n’est pas
sérieux. Ça dépend du sujet. Il est vrai que dans ma jeunesse, dans mes premiers
livres souvent il y avait tendance à chercher le scandale. Je dois l’avouer. C’était
aussi une phase quand la littérature contemporaine… il y avait une phase
« trash ». Il y avait cette phase où c’était bien d’avoir la drogue, le sexe, la
prostitution et du sang, des meurtres. C’est bizarre, on appelait cela le postnaturalisme en France.
Je pense à Bret Easton Ellis
Oui ! Cette période-là, peut-être c’était parce que les romanciers se sont rendus
compte qu’ils étaient tous comme Salinger [ils avaient à] concurrencer le cinéma.
Il fallait arriver à donner une force au roman qu’il n’avait plus. Il y a de l’impact
dans une scène de violence, une scène de sexe ou de drogues dans les chiottes, le
côté rock-and-roll, underground. Tous les livres des années 90, ils avaient ça. On
en a marre que le cinéma et la musique soient fun et que les romans soient
chiants. Du coup, les auteurs qui avaient vingt ou trente ans en ces années avaient
très envie qu’il existe une littérature pop et rock.
Est-ce que c’est le MTV novel, peut-être ?
Je ne connaissais pas l’expression, je comprends que cela peut dénigrer mais elle
a un sens. En Allemagne ils appellent ça « pop-literatur » et moi quand je suis allé
faire ma tournée la semaine dernière on me présentait comme un « pop-literaturstar ». Je suis une sorte de symbole de cette littérature qui a voulu rivaliser avec
toute cette culture pop. Pourquoi il y a le pop-art mais pas le pop-littérature ? On
a Andy Warhol et Jeff Koons, ce n’est pas nul, c’est de l’art. C’est une manière de
regarder le monde qui est sharp, vivante, sexy. Sinon on écrit que des romans qui
se passent dans les maisons de campagne, Jane Austen. Jane Austen c’est bien
mais aujourd’hui peut-être qu’elle écrirait un roman sur l’histoire d’une fille qui
se prostitue et qui prend de la coke dans les toilettes d’une boîte de nuit à la mode,
qui sait ! Elle parlait des jeunes filles de son époque, les jeunes filles de cette
époque elles ne sont plus comme ça.
Comment est la représentation des femmes dans vos romans selon vous ?
La plupart de mes romans parlent plutôt d’un homme avec tous ses défauts, un
homme qui est un obsédé sexuel ou qui est un séducteur fou des femmes. Donc
peut-être les personnages féminins de mes premiers livres n’étaient pas super
soignés, je dois le reconnaitre. Mais, encore une fois, avec l’expérience, je regarde
mes personnages féminins de plus en plus précisément …
…Comme avec Oona ? Je trouve sa représentation intéressante.
On voit qu’elle est à la fois une fille arriviste qui veut être célèbre, qui est un peu
Hit-girl un peu snob mais en même temps elle est touchante, timide,
mélancolique, abandonnée par son père littéraire. Donc, j’essayais de faire pour
une fois
d’une femme un personnage qui ne soit pas trop misogyne ou
masochiste.
Vous avez mis Youtube dans Oona et Salinger, est-ce qu’il faut maintenant
mélanger les médias et la littérature ?
J’ai très peur pour la disparition du livre. Il y a un danger. Beaucoup de librairies
à Paris sont en train de fermer. C’est un peu inquiétant mais peut-être qu’il y a
une chose à inventer qui n’est pas encore inventée, qui serait un livre avec des
images, avec des musiques ou avec des films dedans. Ou on aura un film où on lira
des textes sur l’écran. Il y a quelqu’un, un jour, qui va l’inventer.
Vous ?
Peut-être ! J’y pense beaucoup. La lecture, il faut arrêter de la séparer. On est un
peu puritain avec le livre. C’est peut-être ça qui risque de condamner le livre. J’ai
une fille de quinze ans, ma fille regarde beaucoup de séries et elle va souvent au
cinéma mais elle ne lit pas beaucoup. Si on arrivait à insérer des textes quelque
part, ça serait bien. J’ai vu que Nicolas Rey, un auteur français, fait des lectures
avec un musicien qui fait de la guitare derrière. Il lit un peu et l’autre chante. Ça
marchait bien. Il faut trouver des nouvelles façons de donner envie aux gens de
s’intéresser à la littérature.
C’est pour ça que vous avez fait le film de L’Amour dure trois ans ?
Ça m’a amusé de voir ce que ça allait donner. Après tout c’est une forme
d’écriture. Un scénario c’est une forme d’écriture, on écrit en pensant un peu plus
aux images. Mais déjà dans mes livres il y a beaucoup d’images. J’écris d’une
manière visuelle je crois.
Vous avez changé l’histoire dans l’adaptation du roman ; est-ce que vous vouliez que
le film soit indépendant ou dissocié du roman ?
C’est plus que ça m’emmerdait de faire la même chose… On m’a demandé
d’adapter mon livre. Cela aurait voulu dire passer deux ou trois ans à raconter la
même histoire alors j’ai décidé d’ajouter des choses. J’ai rajouté le personnage de
l’éditeur, tous les personnages comme le copain qui devient homosexuel. C’était
plutôt que j’avais peur de m’ennuyer. A part le titre il n’y a pas grande chose de
commun… Je suis en train de faire la même chose. A nouveau on m’a demandé
d’adapter Au secours pardon. Du coup je fais un film sur la Russie, sur les
mannequins, qui est assez éloigné du roman. Je trouve ça tellement dingue, pour
être franc, qu’on me demande de faire du cinéma que j’en profite pour faire ce qui
me passe par la tête.
Je passe à Houellebecq, qui est Houellebecq pour vous : un ami ? Un grand frère
littéraire ? Vous êtes son disciple ?
Ah oui, les trois ! C’est quelqu’un que je connais depuis très longtemps, même
avant son succès. A l’époque on lui a donné le Prix du Flore pour le livre Le Sens
du combat. En parallèle du fait que c’est quelqu’un que je connais, j’aime
beaucoup l’auteur qui a remis le roman balzacien réaliste, le roman du dixneuvième siècle, au centre de la scène française et peut-être même internationale.
C’est un des auteurs qui ont donné envie aux lecteurs et aux écrivains de parler
d’aujourd’hui, de regarder le monde actuel, avec les romans comme Les Particules
élémentaires, Plateforme… Du coup, moi qui écrivais des petites autofictions un
peu rigolotes et festives, ça m’a inspiré 99f. La lecture de Houellebecq m’a
clairement inspiré ce livre sur l’entreprise et sur la pub’ parce que dans Extension
du domaine de la lutte et dans Les Particules [élémentaires] il parle du monde de
travail. A l’époque je travaillais dans une agence de publicité et j’ai pensé
pourquoi je ne parle pas de ça. Il a eu une influence évidente.
On lui a demandé de vous décrire en un mot, il a dit la gentillesse. Est-ce que vous
pouvez décrire Houellebecq en un mot ?
La solitude. C’est une chose que j’admire et que j’envie presque, parfois, le
courage d’être seul. C’est quelqu’un qui se consacre à son œuvre. C’est la
personne que je connais qui est la plus solitaire. Il a eu des fiancées, je crois qu’il
est avec quelqu’un en ce moment, mais la solitude est là. Ses parents ne sont pas
occupés de lui, toute l’existence de Houellebecq est très très très seule. Et c’est
assez rare ; c’est à la fois triste mais aussi c’est radical. Il a une liberté immense.
La solitude c’est ce que cherchent tous les écrivains, Salinger le premier. Moi qui
suis incapable d’avoir cette vie, qui ai toujours envie d’être entouré, qui aime la
société et sortir le soir, je suis admiratif. Mais inquiet aussi, c’est très dur mais il
le décrit dans tous ses livres. Dans le dernier c’est particulièrement mélancolique
ce personnage qui visite la France et qui revient à Paris. Il est complètement
abandonné. S’il y a un mot que caractérise Houellebecq, bon il est un grand
écrivain aussi, mais c’est la solitude.
Vous avez aimé Soumission ?
Oui, beaucoup. Ça m’a fait beaucoup rire, je trouvais ça très drôle. C’est un de ses
livres les plus drôles et, pour moi, c’est comme une sorte de pied-de-nez.
Dans La Carte et le territoire, vous figurez comme personnage, comment c’était
d’être un personnage dans un des romans de Houellebecq ?
Surtout ça fait peur ! Il me l’a dit avant : « je te préviens, tu es dans mon livre »,
« tu veux dire il y a un personnage qui me ressemble mais qui ne porte pas mon
nom ? » « Non, non, Frédéric Beigbeder est dans mon livre ». Alors je me suis dit,
« merde ! Je suis sûr qu’il va me mettre dans un club de partouzes en train de me
droguer. » Alors, finalement quand j’ai lu le livre, j’étais soulagé. Je m’en sortais
bien, j’étais gentil, pas complètement ridicule. Donc j’ai beaucoup de chance !
Je me demandais si ces représentations de Houellebecq et de vous sont comme vos
représentations médiatiques. Je le vois comme une sorte de jeu satirique avec ces
représentations médiatiques.
Ça l’amuse beaucoup. Oui bien sûr, je crois que c’était ça exactement. On revient
toujours à Salinger, pourquoi il se cachait ? Il était exaspéré par les médias et par
l’image qui s’interpose entre l’écrivain et le lecteur. Ce qu’on aimerait en tant
qu’écrivain c’est juste d’être lu. On devrait pouvoir compter uniquement sur son
texte. Mais dans le monde tel qu’il est c’est presque impossible. On est obligé
d’avoir une image, même Salinger il avait une image. Je crois qu’il voulait faire un
livre sur ça, il plaisantait avec le Michel Houellebecq qu’il tue.
C’est fascinant qu’il assassine cette image de lui. Ça fait penser à la Mort de l’auteur.
Vous aussi, vous êtes mort à la fin.
C’est juste. Oui moi je suis mort mais quand je suis vieux et entouré des miens. Ça
le fascine. Il s’imagine mort seul avec son chien mais moi entouré de gens. C’est
bien la solitude qui caractérise Michel.
En pensant à Soumission, selon vous, ce sera comment l’avenir de la France ?
Je suis moins paranoïaque avec les religions. Je m’en fous un peu de la religion et
je continue à essayer de m’en foutre. Le problème c’est qu’on médiatise tellement
chaque évènement mais ce sont des faits divers. Un type tue dix-sept personnes.
S’il tue ces personnes sans crier « Allah Akbar » presque personne n’en parle, s’il
crie « Allah Akbar », ça devient un phénomène de société.
J’ai l’impression que je suis plus Européen que Français. Je crois pas mal à
l’Europe. Je me sens bien à Berlin, à Londres, à Madrid ou à Rome. Je me sens chez
moi là aussi.
Est-ce que vous incarnez le roman « globalisé » ? Je veux dire est-ce que vous ne
connaissez ni de frontières ni de limites en tant qu’auteur ? Est-ce que le monde est
un village pour vous ?
J’aimerais bien dire ça mais ça serait faux. Quand-même, mon village est Paris où
j’écris et je travaille. J’ai une histoire ici, comme je l’ai raconté dans Un roman
français. Puis, j’ai des racines ; j’ai une culture et une éducation françaises. Donc,
je ne suis pas déraciné mais je parle plus de l’Occident ou de l’Europe que
simplement de Paris.
Vous vous intéressez plus au passé, au présent ou à l’avenir ? Ou sont-ils tous liés ?
Quand j’étais petit je lisais beaucoup de science-fiction, j’étais fasciné par l’avenir.
Maintenant que je suis vieux c’est le passé qui m’intéresse. C’est quelque chose
qui est lié à l’évolution de la vie. Je me suis tourné vers le passé. Mais, ce sont deux
manières de parler du présent. Les livres de science-fiction parlent d’aujourd’hui
et les livres d’histoire parlent d’aujourd’hui aussi.
Vous avez dit ailleurs que la philosophie de vos romans est que « nous sommes
perdus […] les êtres humains sont paumés sur une terre dénuée de sens. » Vous diriez
toujours ça ?
Réponse dans la NRF ! [Beigbeder a écrit l’article d’ouverture « Hé bien ! La
guerre » dans La Nouvelle Revue Française (n° 612), Gallimard, Parution : 02-042015]
Pour vous, l’amour donne sens ? Pour Oona quand elle rencontre Chaplin, elle
devient « utile » et elle trouve « le sens de sa vie ».
Je crois qu’il y a l’amour, l’art, la quête de la beauté. Il y a quand-même des raisons
à vivre. Une fois qu’on fait des enfants, ça simplifie cette question. C’est bête, c’est
animal, mais quand vous avez des enfants votre vie a un sens, vous avez une
responsabilité et alors vous ne posez plus cette question.
Vous dites que la religion ne vous intéresse pas…
Elle fait partie de mon éducation
Mais la religion est dans vos romans, elle est toujours dans votre tête alors ?
J’ai eu une éducation catholique. Je vis dans un pays judéo-chrétien donc c’est
omniprésent, dans le langage et dans le vocabulaire. On parle tout le temps de
Dieu et de Jésus. Donc dire que Dieu est mort c’est parler de Dieu encore.
Avez-vous une responsabilité comme écrivain ? Etes-vous responsable de ce que
vous écrivez ou peut l’auteur dire tout ce qu'il veut ?
J’aimerais beaucoup être indifférent mais je n’arrive pas. Donc l’échec de mon
indifférence, c’est une manière de dire que finalement on ne peut pas continuer à
se taire ou à se foutre de tout ce qui arrive. Peut-être on n’a pas une mission mais
le mot responsabilité n’est pas mal.
Ailleurs vous avez dit que vous avez des contradictions d’ « écrivain-critiqueanimateur », c’est possible d’être un écrivain sérieux en même temps que de jouer le
DJ, de faire des spectacles ?
Je ne sais pas, qu’est-ce que vous en pensez ? Suis-je un écrivain sérieux ?
A mon avis, oui, mais c’est vrai que pour certains ces activités ne sont pas des
activités d’écrivain.
En fait, ça a toujours existé. Molière était un acteur, Jean Cocteau a fait des films,
des peintures, des poèmes. J’ai beaucoup de respect pour les écrivains qui se
consacrent entièrement à leur œuvre mais je pense les exemples d’écrivains un
peu plus dispersés, un peu plus curieux. Colette que j’admire beaucoup, j’adore
Colette, elle était strip-teaseuse ! Ça ne l’a pas empêchée d’être un écrivain
sérieux, beau et grand et qui a beaucoup fait pour la libération de la femme. Elle
était là bien avant Simone de Beauvoir. C’est un exemple d’une femme libérée.
Elle a quitté son mari pour son fils même. C’est extraordinaire ! Elle était avec son
mari, et puis il était trop vieux alors elle l’a quitté pour sortir avec son fils, comme
Woody Allen avec Mia Farrow ! Elle était extraordinaire. Quand elle faisait ses
livres, elle avait une langue simple et belle.
Au fait, je ne me prends pas au sérieux mais quand j’écris j’essaie de le faire
sérieusement.
Alors, dernière question, quelle trace aimeriez-vous laisser ?
Je ne pense pas qu’il faut se poser la question dans ce terme exact mais je dirais
que si dans quelques décennies après ma mort une jeune fille très belle ouvre un
de mes livres et est émue ou rigole dans un café alors ça me suffit !