Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                

L'Europe découvre l'Afrique

Compte rendu du livre d'Hubert Deschamps Berger-Levrault 1967

294 COMPTES RENDUS tion universitaire des intellectuels administ rateurs et directeurs d'études repose sur leur Pouvoir institutionnalisé : ils sont membre du Bureau et du Conseil d'admi nistration, ce sont eux qui font obtenir une place, un voyage, une bourse d'études. Une nouvelle espèce de bureaucrate universitaire est en voie de formation : les cadres su périeurs de l'intellect, et ce phénomène est en train de s'organiser en véritable appar eilsous-étatique; et les grandes fondations encouragent les recherches bureaucratiques à grand déploiement sur des problèmes de petit calibre, et recrutent à cette fin des intellectuels administrateurs. De la sorte, le problème institutionnel est soigneusement écarté, ainsi que celui des structures du pouvoir. C'est le bureaucratique et les ins titutions qui l'incarnent obéissent aux gran des tendances de la structure sociale d'au jourd'hui et aux types de pensée qui la caractérisent, d'après Mills, pour qui il est indispensable d'examiner les différents types d'indifférence et leurs conditions. Pour cela, Mills prône la méthode comparative, basée sur une documentation historique, dans la mesure où, à l'instar de Marx qui parlait du « principe de spécificité historique », toute société doit se comprendre en fonction de la période spécifique où elle s'inscrit : « Pour voir la structure, dans tous les sens de ce mot crucial, et pour formuler just ement les enjeux et les épreuves des mi lieux restreints, il nous fait admettre que les sciences sociales sont des disciplines historiques, et agir en conséquence (p. 157). Il n'est pas de loi de sociologie qui soit ultra-historique, qui ne doive se comprendre comme l'expression d'une structure spéci fique, ayant des coordonnées temporelles. Les autres lois se révèlent être des abstrac tionscreuses ou de confuses tautologies (...) Car la transformation historique est trans formation des structures sociales, et trans formation des rapports qui unissent leurs éléments (...). Comparatisme et histoire sont intimement liés. Les plates comparaisons a-temporelles ne suffisent pas à vous faire comprendre l'économie politique des pays sous-développés, des pays communistes et des pays capitalistes dans leur état actuel. Il faut élargir la perspective temporelle de notre analyse (...). Sans préjudice du reste, l'homme est un agent historique et social qui ne peut se comprendre que sur le mode d'une relation étroite et complexe avec les structures socio-historiques (p. 158-167). Il faut lire ce livre. Non seulement parce qu'il tranche nettement avec les ronronne mentsauxquels nous ont habitués un cer tain nombre de socio-ethnologues scientistes contemporains « à la sauce du jour », mais aussi parce que l'imagination sociologique, telle que la conçoit cet auteur courageux, n'est guère une « mode » mais un « esprit », qui semble ouvrir la voie à une compréhens ion de notre réalité intime, en accord avec les réalités sociales qui l'englobent. Gilbert Tarrab H. DESCHAMPS L'Europe découvre l'Afrique Ed. Berger-Levrault, Afrique occidentale 1967,1794-1900 282 pages. L'histoire de l'Afrique, malgré de nom breuses lacunes dues à l'absence de maté riaux et à la difficulté de remonter dans le temps à travers des chroniques souvent confuses ou contradictoires, progresse néan moins à grands pas et contribue fortement à nous apporter une image réelle de ce continent qui est resté longtemps pour le monde occidental une terre peuplée de monst resou d'animaux fabuleux. Le professeur Deschamps, dans un livre passionnant par la richesse de sa document ation et l'importance des détails qu'il nous fournit apporte une vision globale de la pénétration européenne en Afrique occi dentale et nous montre quels sont les che mins empruntés qui vont contribuer à bou leverser peu à peu les idées reçues et jeter les bases d'une approche scientifique d'un «nouveau monde». En effet l'existence du continent africain est connue depuis Ptolémée qui en dressa même une carte, laquelle était plus le pro duit de son imagination que le résultat de reconnaissances sur le terrain à une époque où l'on ne naviguait guère sur la côte ouest de l'Afrique. Jusque vers la fin du xvme siècle les na vigateurs aborderont les côtes sans jamais s'aventurer à l'intérieur. Leurs voyages se situaient dans le cadre de la traite des esclaves noirs et leur accostage en Afrique n'avait pour but que ce commerce sordide. La naissance de mouvements anti-escla vagistesen Europe, l'éveil de la curiosité géographique, les récits des historiens mu sulmans sur les grands royaumes de l'inté rieur (El Bekri au xi% Ibn Khaldoûn au xiv', et surtout Idrissi et Léon l'Africain), la fondation à Londres de l'African Associa tion qui se proposait d'encourager la péné tration à l'intérieur notamment à partir des grands fleuves, constituent autant d'éléments qui vont inaugurer une période d'explorat ion, de reconnaissances, de découvertes, péripéties individuelles de grands aventur ierset de savants mais dont les travaux permettront de déterminer de façon défini tivela topographie d'une grande partie de l'Afrique occidentale. Il est inutile ici d'énumérer la longue liste de tous ceux qui participèrent à cette épopée; nous nous attacherons seulement aux noms les plus prestigieux qui ont re tenu plus particulièrement l'attention de l'auteur et constituent en fait les étapes importantes de cette période qui s'étale sur environ un siècle. Elle débute avec les voyages de reconnaissance de Mungo Park le long du fleuve Niger, son séjour chez les Mandingues, son passage à Bamako et se termine avec les traités passés entre les différents rois africains et les puissances occidentales d'une part et, d'autre part, par 295 COMPTES RENDUS les accords diplomatiques conclus entre ces mêmes puissances occidentales qui permet trontaux européens de fixer les frontières de leurs zones d'influences en Afrique occi dentale, maintenant directement ouverte aux forces impérialistes guidées par des intérêts politico-commerciaux. Entre temps, l'auteur campe le portrait de personnages plus désintéressés sur le plan commercial, poursuivant des fins per sonnelles ou scientifiques comme Caillé qui, grâce à sa connaissance de l'arabe passait pour un Maure, quelque fois pour un shérif, se mêla à des caravanes de marchands et arriva à Tombouctou en 1829; cela, pres que sans moyens, grâce à sa seule énergie; comme Barth, jeune savant allemand, pas sionné d'histoire et de géographie qui, au cours de deux voyages reconnaît le Soudan central, pousse jusqu'au Tchad puis des cend jusqu'au Soudan nigérien; comme Duncan, personnage mythomane et fantai sistequi imaginait ses découvertes; comme le riche dillettante MacGregor Laird qui affrettait des navires à ses frais; comme Gérard Rohlfs, Gustav Nachtigal et Erwin Von Bary qui exploreront le Soudan central. Tous se sont heurtés à de grands dangers dont les plus importants étaient les Touareg cruels et pillards au nord, et surtout les maladies tropicales dont on ne connaissait que les effets, notamment le paludisme (on disait à l'époque les miasmes) ; le rôle pré ventif du sulfate de quinine sera découvert par le docteur Baikie en 1850 mais l'on continuera à mourir de la dyssentrie et de la fièvre jaune jusqu'aux recherches de Pas teur. En 1879, Zweifel et Moustier reconnais sent les rives du Niger. Le Fouta est soumis La France s'installe en Côte-d'Ivoire, dans les régions voltaïques et soumet le royaume d'Abomey. Ce sont maintenant de véritables expéditions à la fois scientifiques et mili taires qui parcourent cette région de l'Afri queet cherchent à obtenir l'allégeance des souverains en place, utilisant parfois des procédés peu avouables, en attisant les quer elles ou en supprimant purement et simple mentles chefs irréductibles. Cette étape culmine avec la triple expé dition française, la « grande réunion du Tchad », chacune partie d'un point diffé rent, elles devaient se réunir au Tchad et signifier par là la « présence française » aux autres puissances européennes. Il s'agit de la mission « Afrique centrale » entre le Niger et le Tchad, de la mission Foureau et Lamy qui traversa le Sahara et enfin de la mission Joalland au Sud. Dans sa conclusion l'auteur apporte un tableau comparatif des opinions souvent opposées que professaient ces explorateurs : les uns ouvertement racistes comme Binger, les autres enthousiasmés par les Africains comme Mollier. On peut dire pour terminer que l'Europe, à travers la dynamique propre à la décou verte de l'Afrique occidentale devait peu à peu revenir sur sa perception profondément ethnocentrique de civilisations et de cul tures différentes et que cette évolution n'est peut-être pas complètement terminée. Jacques Lombard