RENARD, Cécile, (2010), « Le grand pari du tourisme n’est pas gagné », in
L’architecture d’Aujourd’hui, 379, pp. 93-101.
Le Grand Paris du tourisme... n’est pas gagné
Paris intra muros accueille chaque année 27 millions de visiteurs. Élargi à la région Ilede-France, ce sont 44 millions de visiteurs qui font du package « Paris » (soit
Paris+Versailles+Disney), une véritable destination touristique métropolitaine. À la
tête du classement mondial, le succès du tourisme parisien n’est plus à démontrer et
représente une activité économique primordiale pour la région avec 46.000 entreprises
concernées. Malgré la crise, le secteur reste au premier rang des employeurs : près de
300.000 emplois sont directement liés au tourisme et l’on dénombre le double avec les
emplois indirects. Si l’Ile-de-France dépense chaque année 28 millions d’euros dans le
tourisme, la seule taxe de séjour lui en rapporte presque 33 millions. Chaque année, la
consommation touristique s’élève à environ 19 milliards d’euros dont près de la moitié
provient des touristes étrangers venus par avion qui ont dépensé 7,9 milliards d’euros
en 2008. En somme, le tourisme représente 10 % du PIB de la région Ile-de-France.
Les 10 équipes du Grand Paris ont peu considéré la question touristique dans
l’élaboration du corpus de la « pensée territoriale » qui leur a été commandée. Si l’appel
d’offre était axé sur une réflexion « consacrée à l’avenir de la métropole du XXIe siècle
en général, et à l’avenir de l’agglomération parisienne en particulier », très peu
d’équipes ont tenu compte du tourisme comme un facteur de développement urbain
ou même comme un poids économique substantiel. Le tourisme a été encore moins
mobilisé comme outil théorique pour penser les questions de « fabrication » de la
métropolité parisienne, de franchissement des limites administratives ou de la
problématique de la gouvernance métropolitaine.
Pourtant, pour le visiteur, Paris c’est Montmartre, Versailles, Disneyland et Roissy. Ce
regard porté sur la métropole parisienne dans une réalité d’addition d’espaces
consommés aurait pu être utilisé comme un instrument original de « mesure »
métropolitaine.
Des observations expérimentales auraient pu être menées sur ce qui « est » ou « n’est
pas » Paris pour le touriste et permettre ainsi d’appréhender l’échelle d’un Grand Paris.
Portées par un « regard extérieur », pour qui les limites administratives n’entrent pas
en compte, on imagine des représentations de l’agglomération parisienne distendues,
polarisées, nouvelles. De même, les questions d’images et d’identités n’auraient pu être
qu’enrichies par les imaginaires touristiques fragmentés : le Grand Paris serait
romantique et high-tech, serait Louis XIV, La Joconde et Mickey… ou serait la
baguette, les cafés et les puces dans une vision holistique.
Bien plus concrètement, les exemples de coopérations touristiques entre des
départements limitrophes pourraient enrichir les questions de gouvernance.
Récemment, on a remarqué l’opération de valorisation « l’été du canal » portée par la
Ville de Paris et le comité départemental du tourisme de la Seine-Saint-Denis. En ce
sens, le tourisme pourrait être envisagé comme un outil performant de gouvernance et
d’aménagement du territoire à l’échelle du Grand Paris.
Enfin, le tourisme évolue et sa prospective à vingt ou trente ans pose des questions
liées à l’aménagement du territoire métropolitain. À Paris, le lien entre tourisme et
développement urbain est très ancien, ce qui fait d’ailleurs se demander aux
chercheurs Rémy Knafou et Philippe Duhamel si le tourisme n’a pas tout simplement
été « inventé à Paris ». Cette relation ancienne est développée dès le XIXe siècle où le
tourisme renforce l’image de « Paris-capitale-mondiale » mais influence également la
structuration et l’esthétique de l’espace parisien.
Aujourd’hui, la destination-Paris est composée de pôles périphériques et exurbains qui
agissent comme « multiplicateurs » du tourisme parisien et qui dessinent le territoire
métropolitain. Et le lien entre tourisme et développement urbain est plus que jamais
d’actualité. Première destination payante de France avec environs 15 millions de
visiteurs, soit presque le double du Louvre, Disneyland est le premier pôle touristique
hors Paris de la métropole. Son dernier bilan souligne sa contribution croissante à
l’attractivité touristique, à la création d’emplois et au rééquilibrage de la région vers
l’Est. Presque aussi visités, les autres grands pôles touristiques de la métropole
parisienne sont des sites gratuits : en petite couronne le marché aux puces de SaintOuen (13 millions) et en grande couronne, la forêt de Fontainebleau (13,5 millions) et
le parc du château de Versailles (7 millions).
Les acteurs des différents départements franciliens ont bien pris conscience du poids
de l’industrie touristique mais aussi de son importance dans la fabrication d’identités
locales. Alors qu’au début des années 1990, seuls les départements de grande
couronne disposaient d’un comité départemental de tourisme (CDT), une structure
d’information, de promotion et de valorisation, dix ans après tous les départements
franciliens ont créé le leur. Dès 1997, à l’occasion de la Coupe du monde de football
et de l’inauguration du Grand Stade, la Seine-Saint-Denis crée le premier CDT de la
petite couronne, suivie en 2000 par le Val de Marne et en 2001 par les Hauts-de-Seine.
Parallèlement à cela, ont également fleuries des structures de valorisations plus
petites : offices de tourisme et syndicats d’initiatives qui, chacune, vantent leur
territoire et commercialisent leurs produits touristiques, souvent sans interactions les
unes avec les autres.
Pourtant, le tourisme apparaît bien comme une thématique du nouveau schéma
directeur de la région Ile-de-France (SDRIF) qui communique sur « sa place majeure
dans le développement régional », notamment par les emplois qu’il génère. Les
activités liées au tourisme regroupent en effet 272.000 emplois dans les secteurs
caractéristiques, soit plus de 7 % de l’effectif des salariés d’Ile-de-France. Paris
concentre plus la moitié de l’emploi touristique régional avec 54 %, la petite couronne
et la grande couronne respectivement 22 % et 24 %. Ces emplois sont principalement
liés à l’hébergement (60 %) et à la restauration (20 %). Les créations d’entreprises dans
les activités caractéristiques du tourisme ont généré 3.600 emplois en 2008, soit le
quart des créations d’emplois dans le tourisme en France. Le premier département
créateur d’emploi est Paris (45,1 %), les Hauts-de-Seine (16,2 %) et la Seine-SaintDenis (8,9 %). Le tourisme est bien un secteur d’activité essentiel de l’économie
régionale et une source de richesse à comprendre et valoriser.
La relation entre aménagement et tourisme peut se lire à travers la mutation du parc
hôtelier parisien. Le tourisme urbain ne cesse de progresser, encouragé à la fois par le
phénomène low-cost, qui attire une population citadine et exigeante, mais aussi par
l’arrivée de nouvelles clientèles fortunées venant d’Asie, d’Amérique du Sud, d’Europe
de l’Est et du Moyen Orient. Les comportements et les besoins des touristes
changent : modes de réservation, temps de séjour, exigence, High Tech et bien être,
induisent une adaptation du parc hôtelier.
La montée en gamme est rapide et concerne surtout Paris intra muros. Depuis 1990, le
nombre de chambre en 4* et 4* luxe a augmenté de 145 % et s’élève aujourd’hui à
près de 20.000, soit 26 % du parc hôtelier parisien. Cette hôtellerie haut de gamme
entraîne une inflation du foncier et une mutation géographique : le centre est dépouillé
de ses hôtels de petites catégories, les chaînes hôtelières construisent aux portes de
Paris, le long du périphérique ainsi qu’en première couronne, et des zones de grande
capacité se développent aux abords des aéroports et de Disneyland. Les
investissements privés de l’hôtellerie construisent chaque année 70 % des lits
touristiques d’Île-de-France hors Paris.
Si depuis vingt ans sa capacité d’accueil ne cesse de s’accroître, le parc hôtelier a
surtout connu une augmentation spectaculaire : + 9,5 % à Paris, + 105 % en Petite
Couronne, + 153 % en Grande Couronne en particulier dans la Seine-Saint-Denis
(quartier du Grand Stade et Roissy) et la Seine-et-Marne (Disneyland, deuxième pôle
hôtelier francilien avec 16 000 lits).
S’il faudrait prévoir un doublement de la capacité hôtelière à l’horizon 2020, la
question à la fois de l’emplacement de nouvelles résidences mais aussi de la possibilité
de ventiler une offre diversifiée devra être sérieusement soulevée à l’échelle régionale.
Toutefois, le nombre de chambres à créer reste confidentiel (on parle de 7.000
chambres à Paris et de 32.000 étendu à la région…) pour des raisons politiques, selon
l’observatoire du tourisme. On cherche à éviter les conflits entre Paris et la Région et
d’attribuer aux élus un déficit de capacité hôtelière peu valorisant. Cette occultation est
regrettable alors que la mutation du parc hôtelier impacte directement sur les
questionnements liés a valorisation des lieux de résidence exurbains, à la
démocratisation de l’accès à Paris centre et à la maîtrise de l’étalement des activités
touristiques. Si comme tout phénomène social le tourisme a ses codes, il semble
également dessiner une géographie sociale, ceci se révélant tout particulièrement à
travers cette « gentryfication touristique » du Paris intra-muros.
Par ces différents biais, la question touristique offre une matière riche et complexe qui
aurait pu être un outil pertinent de réflexion sur le Grand Paris. Le règlement de la
consultation précisait pourtant la possibilité pour les équipes de s’enrichir, parmi
divers spécialistes, d’un expert en loisirs et en tourisme mais une seule équipe a intégré
cette compétence.
Ainsi que l’ont noté tristement les acteurs de la capitale et des communes de
l’agglomération parisienne, le tourisme apparaît donc comme le grand absent de la
consultation du Grand Paris.
Le terme « tourisme » lui-même, est parcimonieusement utilisé dans les travaux des
équipes AUC, LIN et Rogers et Grumbach pour n’évoquer que tourisme de
proximité, éco-tourisme et tourisme local.
Si le terme n’est pas plus présent chez Portzamparc, il apparaît en filigrane de la
définition de ses « rhizomes ». Le rhizome Nord (Gare du Nord / Gennevilliers /
Roissy) le Rhizome Sud (Versailles Saclay / Orly) et le Rhizome Nord Est (Marne la
Vallée / Roissy / Senlis / Creil) semblent en effet, tramés sur des pôles touristiques
existants que l’on imagine se développer : le Rhizome Nord vers le port de
Gennevilliers, celui du Sud vers Saclay et le TGV Massy et celui du Nord-Est vers
Chantilly. Les projets proposés ne sont pas directement orientés vers une valorisation
du tourisme et des loisirs mais vers la création d’espaces verts récréatifs. Ainsi, par
exemple, on note « la reconversion de l’hippodrome désaffecté d’Evry en espace vert
de type Central Park et une coulée verte entre la forêt de Sénart et le bois SaintEurope ».
Les cinq dernières équipes abordent davantage la question du tourisme, sans pour
autant le nommer explicitement. Le plus souvent, annoncé dans les travaux du
premier chantier, il est abandonné dans ceux du second.
Dans le premier chantier, Studio 09 investit, sans le nommer, le champ du tourisme
par le biais des imaginaires et des représentations urbaines. Leur analyse sensible de
« la métropole à vol d’oiseau » exprime la conscience des espaces périphériques
délaissés des images touristiques parisiennes. Cette thématique donne à l’équipe une
volonté de « questionner et déstructurer les images consolidées devenues, par inertie,
des lieux communs qui ne permettent pas d’imaginer la ville autrement ».
Dans le second chantier, la réflexion s’épaissit avec l’idée d’un maillage des imaginaires
de parisiens, de banlieusards et de touristes sans pour autant s’étendre vers la
prospective.
L’équipe MVRDV, dans sa définition de la « performance métropolitaine », construite
par la synthèse de critères variés (taux de chômage, pollution, nombre d’étudiant, etc.)
et finalisée par un schéma synthétique, introduit le critère d’attractivité touristique.
D’après l’un des membres de l’équipe parisienne associée, le tourisme fut le sujet d’un
workshop réalisé avec des étudiants, mais n’a finalement pas aboutit. Ainsi, dans le
deuxième chantier, le terme n’apparaît plus du tout. Les auteurs ont même substitué à
la question de « Grand Paris attractif ? » celle de « Grand Paris attirante ? ».
Pour l’équipe Lion, le tourisme apparaît clairement comme un levier d’aménagement,
comme un outil d’urbanisme qui permet d’encourager les développements
économiques locaux. La volonté d’étendre le rayonnement touristique de Paris à
l’échelle de la métropole est annoncée dans l’étude prospective.
L’équipe Nouvel apparaît la mieux « armée » pour parler tourisme en intégrant pas
moins de quatre spécialistes de la question. Et en effet, dans le premier chantier, deux
textes font l’apologie d’un Grand Paris incluant les questions touristiques. De bons
textes, qui expriment les enjeux de la métropole sur cette question, mais qui n’ont
mené à aucune piste pour le diagnostic prospectif. Deux concepts sont pourtant
développés en relation au tourisme : celui de « Haut-lieux métropolitains » parmi
lesquels compteraient le parc de la Courneuve ou l’île des Ardoines à Vitry. Dans ce
principe, Rungis deviendrait un « lieu de branchement convivial ». Le deuxième
concept, celui de « lisières » est envisagé comme des franges où seraient favorisées les
activités de loisirs, circuit pédestre et cycliste.
Enfin, si la question des images et des imaginaires est bien au cœur des mobilités
touristiques, ceci est exprimé de la manière la plus directe par l’équipe Castro et la
« nécessité du symbolique extraordinaire ». L’équipe propose le concept d’une région
capitale favorisant « voyages, flâneries, surprises » dans laquelle se développeraient
sept sites symboliques : 1/Agora du Grand Paris, le siège de l’administration de la
région capitale au confluent Seine /Marne, 2/Eco-planète au port de Gennevilliers,
3/Champ de Mars de la république métissée à Chelles, 4/Foire du monde multipolaire
à Gonesse, 5/ Panthéon à pied à Vitry, 6/Canal du Savoir sur le canal de l’Ourcq et
7/Lieu de mémoire au mont Valérien. (images).
Le recours à des architectures-signes, est également énoncé, faisant appel à la
référence universelle que constitue « l’effet Bilbao » pour justifier l’instrumentalisation
de la culture et de l’architecture. On crée de l’événementiel international, on construit
la singularité territoriale et l’on fabrique ainsi l’attractivité touristique. Pour autant, la
multiplication de ces pôles dans la métropole parisienne permettrait-elle réellement de
construire le Grand Paris ? Cela ne risque-t-il pas d’accentuer le morcellement du
territoire et d’affirmer de nouvelles entités représentées par leur bâtiment « flagship » ?
Toutefois, la force de ce positionnement réside dans la volonté de souligner
l’originalité de Paris parmi les villes-monde et de créer un rapport à la créativité
affirmé, notamment par l’apparition d’un label parisien « made in Grand Paris ».
Inspiré des théories de marketing urbain et Brandscape, ces propositions se jouent du
phénomène actuel des « starchitectures » iconiques et l’exagère, mais expriment au
fond la recherche d’attractivité qui doit être posée à l’agglomération parisienne dans
son ensemble. Si les représentations de l’équipe Castro font sourire (Opéra de Sydney
à Gennevilliers,…), elles expriment pourtant les problématiques de concurrence
auxquelles doivent faire face toutes les grandes villes globales.
Outil urbanistique à part entière, le tourisme apparaît bien comme une thématique
pertinente de la construction métropolitaine, en ce sens qu’il propose une lecture des
découpages territoriaux. Le tourisme dessine la ville, parce qu’il crée de nouvelles
centralités, parce qu’il modifie les imaginaires des lieux en requalifiant le patrimoine,
en densifiant, en bâtissant des infrastructures, en esthétisant les paysages urbains. Le
tourisme produit de l’espace et des pôles, il concourt à l’exurbanisation et aux
reconquêtes de friches. Il est donc à la fois facteur de densification, en réécrivant la
ville sur elle-même, mais aussi, facteur d’innovation, de requalification, d’occupation
d’espaces interstitiels et de création de centralités périphériques. Comme ensemble des
activités exercées par une personne au cours d’un séjour en dehors de son
environnement habituel, le tourisme est un objet d’étude pertinent pour comprendre
un monde de plus en plus mobile, l’évolution des espaces et des pratiques sociétales
contemporaines. Mais de qui s’agit-il ? Quid de ce touriste, que recherche-t-il ? Le
touriste poursuit-il une quête de nouveau, de singulier, de découverte ? Pour le
philosophe Boris Groys, le touriste errant à la recherche d’expériences esthétiques a
laissé place au touriste post- romantique, qui développe une perception anti-utopique
de la ville, où les cultures locales sont aseptisées tel « un pèlerin moderne qu'aucune foi
n'anime » selon l’expression du sociologue Jean-Didier Urbain. Avec la globalisation,
ces cultures se retrouvent à tous les coins du monde...
Et pourtant, le XXIe siècle est hyper mobile et les hommes restent en demande de
voyages et de découvertes. Si la « destination Paris » veut conserver son leadership, il
va falloir sérieusement inscrire le tourisme dans la pensée territoriale.
Cécile Renard
Architecte DPLG
Doctorante en géographie urbaine
Université paris 1 Panthéon-Sorbonne
SOURCES
- KNAFOUR . et DUHAMEL P. « Le tourisme dans la centralité parisienne » in SAINT-JULIEN T . et
LEGOIXR. ,La métropole parisienne . Centralités , inégalités , proximités ,2007 ,pp. 39-64.
- Tous les documents de la consultation du Grand Paris : http://www.legrandparis.culture.gouv.fr/
- Chiffres du tourisme 2009, du CRT Paris Ile-de-France