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Des robots chirurgiens de l'oreille

Conception du robot RobOtol d'assistance à la chirurgie otologique. Des robots chirurgiens de l’oreille Née dans les années 1980, la chirurgie assistée par ordinateur est aujourd’hui implantée dans de nombreux blocs opératoires. Son objectif n’est pas de remplacer le praticien mais de lui apporter une aide « intelligente » en améliorant son pouvoir de perception, de décision et d’action. Elle a également apporté des améliorations notables pour le patient en limitant la douleur, la taille des cicatrices et les complications post-opératoires. © INSERM/P. LATRON D ans le domaine de l’otologie, la chirurgie mini-invasive permettrait de compenser les limites importantes pour le chirurgien que sont l’étroitesse des voies d’accès, la longueur des outils et le manque d’information tactile et visuelle, en démultipliant les efforts et déplacements pour améliorer leur précision, en supprimant les mouvements parasites et en améliorant le champ de vision par une préhension plus distante des instruments. Elle devrait permettre d’obtenir de meilleurs résultats fonctionnels dans la chirurgie de l’otospongiose ou lors de l’implantation cochléaire par exemple. LA ROBOTISATION DE L’IMPLANTATION COCHLÉAIRE Les premiers robots utilisés en otologie ont été des robots industriels modifiés de type Kuka ou Staubli – du nom des entreprises qui les ont créés – dans le but d’automatiser le fraisage de l’os mastoïdien réalisé lors de l’implantation cochléaire, avec un contrôle d’effort permettant de respecter la dure-mère (1). L’utilisation d’un robot aussi puis- les auteurs sant dans des régions proches du cerveau a cependant soulevé des questions et un système dédié à la chirurgie de la base latérale du crâne a été développé. Si les premières approches mini-invasives de la cochlée ont été réalisées manuellement sous contrôle d’un système de navigation, il est rapidement apparu que cette indication pourrait bénéficier d’une robotisation (2). La réalisation d’un tunnel dans l’os mastoïde sous navigation est un geste technique simple mais nécessitant une grande précision que peuvent apporter les systèmes robotisés (3). La précision actuelle est inférieure à 0,5 mm (3,4). Plus rapide, plus précis et plus régulier, le fraisage robotisé entraîne aussi un échauffement moindre des structures osseuses (5). L’équipe de Peter Brett, à l’université britannique de Birmingham, a mis au point un outil de fraisage robotisé qui mesure en temps réel la force appliquée sur la fraise ainsi que le couple du moteur, ce qui permet d’anticiper le passage de la structure osseuse au tissu mou. Ce système a trouvé deux applications en otologie : le fraisage de la cochlée, avec respect de la mem- brane tapissant la cavité interne de l’os (endoste), et la stapédotomie*, avec un contrôle précis de la fraise empêchant une échappée dans le vestibule (6). Enfin, l’insertion du porte-électrodes de l’implant fait l’objet de recherches dans le but de diminuer les forces de friction et donc le traumatisme des structures de l’oreille interne. Mathieu Miroir, Yann Nguyen, Guillaume Kazmitcheff, Evelyne Ferrary et Olivier Sterkers Chirurgie otologique mini-invasive robotisée, UMRS 867 Inserm-Université Paris Diderot Service d’ORL et de chirurgie cervico-faciale, Hôpital Beaujon, AP-HP, Clichy ROBOTOL, NOUVEAU ROBOT DÉDIÉ À L’OREILLE MOYENNE Les robots existants sont peu adaptés à cette chirurgie de l’oreille moyenne. Le robot mis au point par l’UMR-S 867 en collaboration avec l’Institut des systèmes intelligents et de robotique (CNRS-Université Pierre et Marie Curie), avec le soutien de la société Collin, spécialisée dans le matériel oto-rhino-laryngologique (ORL), a nécessité la mise en commun de compétences pluridisciplinaires associant chirurgiens, pour les besoins et objectifs, roboticiens, pour concevoir la structure géométrique et cinématique du * Perforation de l’étrier réalisée au cours de la chirurgie de l’otospongiose NOVEMBRE 2012 • BIOFUTUR 337 < 43 © INSERM/P. LATRON > Le prototype RobOtol en test sur un banc d’essai avec un crâne en résine. (1) Federspil PA et al. (2003) Laryngoscope 113, 465-71 (2) Labadie RF et al. (2005) Otol Neurotol 26, 557-62 (3) Leinung M et al. (2007) GMS CURAC 2, 05 (4) Copeland BJ et al. (2005) Otolaryngol Head Neck Surg 132, 421-8 (5) Bast P et al. (2003) Comput Aided Surg 8, 257-63 (6) Brett PN et al. (2007) Conf Proc IEEE Eng Med Biol Soc 2007, 1229-32 (7) Miroir M et al. (2012) Sci World J 2012, 907372 robot, informaticiens, pour programmer la commande, ainsi que des partenaires financiers et industriels. Le choix de l’intervention de référence s’est porté sur la chirurgie de l’otospongiose en raison de la reproductibilité des gestes et de la relation étroite entre le résultat anatomique obtenu pendant la chirurgie et le résultat fonctionnel post-opératoire. Les propriétés de ce robot ont été établies comme suit : • posséder deux à trois bras porteinstruments dotés chacun de six degrés de liberté ; • être télé-opéré ; • s’intégrer dans l’environnement du bloc opératoire ; • préserver le champ de vision du chirurgien ; • augmenter la précision de la gestuelle chirurgicale ; • avoir un coût de développement, de fabrication et d’entretien compatible avec une commercialisation. Un cahier des charges a été défini comprenant divers éléments. Tout d’abord, les dimensions du robot et ses déplacements par rapport au patient et aux autres éléments du bloc opératoire (espace extracorporel) ont été modélisés. Ensuite, l’espace de travail (espace intracorporel) a été défini par la mesure des volumes du conduit auditif externe et de la caisse du tympan à partir de multiples scanners et pièces anatomiques. Les efforts mécaniques mis en jeu lors de la chirurgie ont été mesurés au cours de procédures factices sur des pièces anatomiques, ce qui a permis de guider le choix des moteurs et des actionneurs. La précision attendue du robot a également été définie par les chirurgiens pour guider le choix des moteurs en fonction de leur résolution de déplacement. L’étape suivante consistait à choisir la cinématique du robot, soit le nombre de moteurs et d’actionneurs, leur positionnement les uns par rapport aux autres et la structure générale du robot. Afin d’obtenir un robot le plus compact possible, c’est une structure à centre de rotation déporté qui a été choisie, la partie distale de l’instrument se déplaçant autour d’un point fixe lors des rotations. Une fois la structure choisie, elle a bénéficié d’une optimisation géométrique par algorithme informatique permettant de définir la longueur des bras et la position de chacune des articula- Autonome ou commandé ? Le robot télé-opéré est composé d’un système de commande (bras maître), qui permet au chirurgien de le piloter à distance, et d’un système effecteur (bras esclave). Le robot reste en permanence sous le contrôle du chirurgien et ne bénéficie d’aucun mouvement autonome. C’est un système d’assistance chirurgicale qui permet d’améliorer la dextérité, la précision et l’endurance du chirurgien. Les robots autonomes sont encore très peu présents au bloc opératoire. Le chirurgien place le robot dans le champ opératoire, déclenche la procédure et le robot 44 > BIOFUTUR 337 • NOVEMBRE 2012 effectue une tâche prédéfinie dont le chirurgien contrôle, en temps réel, la bonne réalisation, avec la possibilité d’arrêter le système dès qu’il le souhaite. Le système doit être capable de s’adapter à la morphologie du patient et aux modifications de l’environnement qui peuvent survenir durant la réalisation de la tâche. Ce sont ces contraintes qui limitent le développement de ce type de robot, actuellement utilisés pour la chirurgie à repère osseux fixe (prothèse de genou, par exemple) ou, plus récemment, pour des prélèvements de greffes cutanées. Avec un robot co-manipulé, l’outil est à la fois tenu par le robot et le chirurgien. La prise en main du système est rapide, la gestuelle étant peu modifiée par rapport au geste manuel. Il peut être utilisé pour filtrer les tremblements du chirurgien ou sécuriser un déplacement en ajoutant une résistance au mouvement. Grâce au contrôle d’effort, les interactions outil/organe peuvent être maîtrisées. Le principal inconvénient d’un tel robot est l’encombrement du champ visuel, le bras robotisé qui tient l’instrument venant s’ajouter à la main du chirurgien dans l’axe de vision de ce dernier. tions du robot offrant le meilleur compromis entre la préservation d’un champ visuel maximal, l’accès à l’ensemble de l’espace de travail, la capacité en termes d’effort de 5 N au moins et l’absence de collision du corps du robot avec l’environnement extracorporel. L’informatisation de cette étape d’optimisation a été indispensable puisque plus de 200 000 individus potentiels ont été évalués. Un prototype a finalement pu être réalisé et est actuellement en cours d’évaluation sur pièce anatomique (photo) (7). Les premiers résultats montrent une accessibilité de l’ensemble de l’espace de travail avec une bonne préservation du champ de vision et la possibilité de réaliser les étapes de désarticulation et d’ablation de la superstructure de l’étrier. INDISPENSABLE HUMAIN L’expérience de la chirurgie robotisée en ORL est récente comparée à celle d’autres spécialités comme l’orthopédie ou la neurochirurgie. Un retard qui s’explique en partie par le fait qu’il n’existe pas de robot dédié à cette spécialité. L’utilisation du système Da Vinci de la société américaine Intuitive, seul robot bénéficiant d’un réel succès commercial, est possible mais dans des indications très précises que sont la chirurgie trans-orale (résection de cancers des voies aérodigestives supérieures par exemple) et la thyroïdectomie par voie trans-axillaire (ablation totale ou partielle de la thyroïde via l’aisselle). Il est probable que ses indications seront étendues avec le développement d’outils plus fins, voire flexibles. Il est, en revanche, beaucoup moins sûr qu’un système déjà commercialisé soit suffisamment modifié pour être adapté à la chirurgie de l’oreille, imposant le développement de nouveaux robots. Le gain en précision et en sécurité des systèmes robotisés repose essentiellement sur leurs capacités à appréhender leur environnement. Les progrès de la robotisation ne se feront qu’avec ceux de l’imagerie pré- et peropératoire, ainsi qu’avec ceux des systèmes de navigation. Mais les robots ayant des capacités d’adaptation limitées, le chirurgien aura toujours une place prépondérante dans les boucles de commandes et de décisions. ■