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Comment dire "commencer", "envahir".... "finir" en PIE.

Comment dire « commencer », « ouvrir », « envahir », « nourrir », « fermer », « finir » en PIE. (les références renvoient à mes autres articles sur Academia.edu ; j'ai cependant utilisé la notation classique des laryngales : H1, H2, H3) Commencer : Tout d'abord, il y a simplement le suffixe « inchoatif » *sky qui transforme un « véritable aoriste » en un « synoriste » avec telle valeur inchoative. Au fil du temps, le « véritable aoriste » (aspectuel) deviendra un simple aoriste temporel, tandis que l'inchoatif se cristallisera en imperfectif temporel, puis en présent de l'indicatif. La valeur spécifique de *sky est affermie par le fait que certains des imperfectifs reconstruits la font voisiner avec une autre forme d'imperfectif. Le cas le plus symptômatique est celui de « venir » : Aoriste : *gwemt face à l'inchoatif *gwmskyét (Sanskrit : gacchati) et l'autre forme d'imperfectif (progressif?) *gwmiét (Latin : venit ; Gothique : qimith). Cependant, rien n'empêche l'existence d'un verbe indépendant ayant signifié « commencer » en PIE, ne fut-ce que pour des phrases sans autre verbe que « commencer » lui-même. La racine qui retient mon attention est celle qui doit être commune aux mots grecs erkhomai « je viens », arkhô « je commande », arkhomai « je commence ». La littérature spécialisée traite ces termes comme issues de racines IE différentes, comme pour ce qui concerne orkhis « testicule ». Dans ce dernier cas, Kloekhorst le rattache à *H3rghyi- (244) tandis que l'EIEC (507) penche pour H4orghyi (H4 devant être compris ici comme H2). Ce terme est souvent relié soit à des substantifs dont le sens initial a dû être « couillu » : Lituanien eržilas = « étalon », ainsi qu'à des verbes signifiant « copuler » (Hittite : arkatta = « monter, copuler, couvrir ») ou bien « bouger beaucoup, danser » (Grec orkheô = « faire danser », d'où le moyen « danser », et ancêtre lointain de notre mot « orchestre »). Notons des termes voisins pour « testicule » dans les étymologies : H3érbhis = Latin orbis « sphère, boule », et ?*H1eregwo- pour « (petit) pois », à la reconstruction incertaine ce qui laisse penser qu'il pourrait s'agir d'un emprunt interne à l'indo-européen. Le terme PIE pour « testicule » est donc vraisemblablement *Hòrghyis ; sa formation me fait penser à d'autres substantifs formés à partir de verbes : *mori = « mer », c'est-à-dire le lieu de la « disparition » = *mer ; *polHi = « citadelle, fortification » de *pelH = « remplir », c'est-à-dire « ce qui se remplit lors des attaques » ou bien « mur rempli » (conformément au système de construction des murailles de l'époque où des gravats étaient déversés entre le mur externe et celui interne, pour obtenir un rempart très épais). Le terme PIE pour « testicule » a donc un lien avec une racine verbale *Herghy ; notons que – bien que la phonétique ne concorde pas entièrement – il semble se dégager un sens général de « boule ». Le grec erkhomai est un présent « je viens » qui doit recourir à des formes supplétives pour compléter sa conjugaison (issues de *H1ei « aller », *H1leudh « s'élever »). Et pour cause : celles-ci sont déjà utilisées par le moyen arkhomai « je commence », avec aoriste êrxamên, et le passif arkhomai « je suis commandé », avec aoriste êrkhthên, et parfait êrgmai. Si l'on admet que tous ces verbes grecs représentent la même racine verbale IE, le seul indice dont nous disposons alors pour déterminer la laryngale d'attaque est la différence de voyelle entre erkhomai et le reste, puisque toutes ces formes sont accentués sur la première voyelle. Dans la mesure où erkhomai est ancien, avec une conjugaison à supplétismes, il y a à parier qu'il s'agit de la forme d'origine, tandis que les deux arkhomai seraient refaits sur l'actif arkhô. Ce dernier exhibe certainement un degré « e » à l'actif, soit *H2érghy-. Mais alors, le médio-passif donnerait également arkh- en grec, que ce soit d'un type de conjugaison aoristique *H2erghy-/*H2rghy- ou bien d'un type de conjugation sans flexion *H2érghye- comme *bhere(ti). Le e- grec doit venir de *H1e, et il convient de trouver un type de conjugaison PIE dont le médio-passif conduise à ce résultat. Notons que notre modèle de PIE, rien n'empêche qu'arkhô et erkhomai viennent de conjugaisons différentes. Je propose ainsi *H1H2-rghy en tant que racine. Pour arkhô, que le type PIE de conjugaison soit flexionnel ou non, l'on obtient toujours (au minimum au singulier) : *H1H2érghy > *H2érghy (perte de la laryngale illégale de l'attaque) > grec arkh- Les choses se compliquent, bien entendu, pour erkhomai. La seule chose dont nous sommes sûrs est que cette conjugaison, avec la même racine, doit exhiber *H1e au médio-passif. Je me tourne alors vers la conjugaison de l'imperfectif pour « poser » *dheH1 = *dhédhoH1/*dhédhH1. Dans sa thèse, A.Byrd a démontré que la réduplication en PIE ne concernait que le premier phonème de la racine (2010:105). Si nous conjugons *H1H2-rghy- au médio-passif, cela donne : *H1é-H1H2rghy- > *H1é-H1'rghy- (H2 disparaît dans une suite de 3 phonèmes consonantiques) > proto-grec *é-erkh, or la règle de limitation déplace l'accent sur le second e et rend le premier inutile et trop semblable à un augment = (e)érkh- = erkh- orkheô est selon toute vraisemblablance un itératif *H1H2orghyéie-. La signification initiale de *H1H2erghy- est selon toute vraisemblance : « mettre en marche/en branle ». « Commander » se rattache facilement à « mettre en marche ». Pour le médio-passif « commencer », on conçoit « se mettre en marche ». Une « boule » est par nature sans haut ni bas (*pods), elle est « branlante ». « Bouger sans arrêt » peut décrire aussi bien « danser » que l'acte sexuel (cf. le français « branler »). Ouvrir: La racine traditionnellement reconstruite pour « porte » est *dhwer. En effet, le matériel étymologique est conséquent ; cependant, certains dérivés de cette racine ont un sens de « cour » : Slave dvor, Latin forum. Dans cette dernière langue, mentionnons foris = « dehors (sans mouvement) » (avec un locatif pluriel PIE en *-su) et foras = « dehors (avec mouvement) » (accusatif pluriel en *-ns). Or, il existe une racine *dhwer = « percer » (Lituanien duriu = « enfoncer, planter » ; Grec ancien turkhê = « fourche à deux pointes » ; Sanskrit dhvarati= « briser, tordre »). Si toutes ces racines sont apparentés, *dhwer s'explique mieux par le sens « ouvrir » (un bâtiment, la peau...), *ghyieH2(n) exprimant plutôt la « béance ». *dhwors serait « l'ouverture » (et par extension « la porte ») tandis que *dhworom désignerait l'espace ouvert, public, la « cour ». Envahir : Un nombre significatif de mots dans les langues indo-européennes se rattachent à deux racines signifiant l'une « laver » (et « déverser »), l'autre « prendre comme butin »). De *leH2, le grec lênos « cuve, déversoir », le latin lamina « couche sédimentaire, de boue », le hittite lahhuzi « il déverse » ; et sur *leuH3 le latin lavo et le grec louô = « je lave ». De leH2u-, le grec la(w)os « peuple (en armes) », le hittite lahha- « campagne militaire ». De *lau ( ?*lH2eu), le latin lucrum « lucre, bénéfice », le gothique laun « récompense ». De *leuH-, le slave lovit- « attraper », et peut-être le grec leôn « lion = chasseur ». Si l'on admet à la suite de Beekes que H3 = H2 + w, l'on obtient facilement une racine commune *leH3 (*leH2w) « enhavir, emporter ». Remarquons, en faveur de cette unification, qu'une autre racine *leH2 est reconstruite, signifiant « aboyer ». Nourrir : Une racine *peiH3 se laisse reconstruire, dont l'imperfectif a pu être à infixe nasal *pinéH3t du sanskrit pinvati « fait grossir », si on admet, comme pour la racine précédente, H3 = H2 + w. On reconnaît la proximité avec le grec piôn/pion = « gras (notamment animal engraissé) ». Et surtout, l'on remarque une ressemblance avec *pe(i?)H3rn = « le feu (contrôlé, puisque du genre neutre) » à moins qu'il ne s'agit de la racine *puH2 = « nettoyer », donc *puH2rn > *pH2urn ?. En tout cas, ceci renvoie à la technique ancienne de culture sur brûlis, le « feu » étant ce qui « engraisse/nourrit » la terre. Fermer : On connaît déjà la formule *kleH2wim deH1 = « mettre le verrou », qui a donné le latin « claudere ». Le grec theraps a d'abord désigné l'écuyer, le compagnon du guerrier qui aide ce dernier à harnacher les chevaux de son char, à attacher son armure. Le premier élément ther- n'est pas clair ; vient-il de *dhwer = « ouvrir » ? Rien n'est moins sûr. Ceci dit, la racine *H2ep a, à travers les langues indo-européennes, le sens d' « attache », d' « arriver à joindre les deux bouts ». Cf ; le latin aptus « adapté, à l'hauteur ». L'idée générale est de rapprocher deux éléments écartés pour « fermer ». Finir : Dans mon analyse de l'histoire du système aspectuel du PIE, j'avais attribué un sens « télique » à l' « aoriste sigmatique ». Bien entendu, dans les langues-filles qui l'ont conservée, cette formation est devenue un passé simple dans leurs systèmes temporelles. Sur la base de plusieurs étymologies, l'EIEL (:3) donne *ghwonòs comme pouvant signifier « suffisant ». Or, cette forme peut s'analyser comme un nom d'agent (cf. grec ancien phonos, anglais classique bane = « tueur ») de la célèbre racine verbale *ghwen auquel C.Watkins a consacré presqu'entièrement un livre, sur la base de la formule littéraire *H1é-ghwent H3ogwim = « Il tua le dragon/serpent ». Remarquons que, dans ce même livre How to kill a dragon, l'auteur reconstruit des formules similaires mais avec des verbes différents, dont (:343 s.) *terH2 = « traverser ». Beekes (2011:113) reconstruit l'irlandais guin « blessure », nom verbal de « blesser » (gonaid) comme *ghwoni. Il s'agit à mon avis d'un amphicinétique verbal semblable à *H1H2orghyis, *mori, *polHis... On obtient : nom. : *ghwònis, acc. : *ghwnéim, gén. : *ghwniés. On reconnaît, à l'accusatif et au génitif, la déclinaison du latin finis « fin » : finem, finis. Le sens initial de *ghwen s'explique comme étant « mettre un terme à, achever », car ça permet de concilier et d'expliquer les sens de « suffire » (« cela achève de me convaincre. ») et de tuer (cf. « achever quelqu'un », ou comme Voltaire se moquant de Leibnitz dans son Candide, « être la raison suffisante de »). Tant le hittite que le sanscrit – qui se situent aux opposés de l' « arbre généalogique » de l'indo-européen – exhibent un « aoriste véritable » au présent de l'indicatif : *ghwent/ghwnént. « Finir » étant un acte instantanné, sans durée, il fut logiquement un aoriste dans le système de l'aspect descriptif du PIE le plus ancien, avant d'être fossilisé comme un « imperfectif » dans le système ultérieur de l'aspect narratif. Juin 2016 © Dr. Olivier Simon