U n iv er s it é d u Q u éb ec à M o n t ré a l
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Lis ons K ant
K
A n a l y s e s , co m m e n t a i r e s , pa r a p h r a s e s , r é s u m é s et t a b l e a u x
p o u r ai d e r à l i r e
l a C r i t i q u e d e l a r a is o n p u re
e t la C r i t i q u e d e l a f a c u lt é d e j u g er
par
N o r m a nd L a c ha r i t é
p r o f es s eu r a u d ép ar te m e n t d e p h il o s o p h ie
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M o n t ré a l, m a i 1 9 9 7
À Pierre Poirier,
philosophe,
porteur de l’esprit de la Critique
et d’autres Lumières…
© 1997 Normand Lacharité
Dépôt légal: 2 e trimestre 1997.
Ouvrage reproduit et relié par les Services de reprographie de l’Université du Québec à Montréal.
Avant-propos
À trois reprises, j’ai donné le cours Phi-4013 Kant — c’est un cours régulier de 45 h, donné en une session —
à des étudiants du baccalauréat en philosophie de l’Université du Québec à Montréal. Le présent ouvrage reproduit
les notes progressivement élaborées au cours de cet enseignement, ainsi que des développements nouveaux
introduits dans le thème ‹#11. Le criticisme: une reconstruction d’après la Critique de la faculté de juger› et rédigés
au printemps de 1997.
J’ai chaque fois conçu cet enseignement comme l’occasion de confronter les étudiants au texte même de
Kant, en traduction française. Aussi ai-je voulu limiter mon intervention à une présentation des thèses qui ne soit
guère plus qu’un présentation des textes. Mon effort a été centré sur l’étude de texte et j’ai tenté de varier les
techniques qui permettent l’identification et la présentation des contenus textuels. Le caractère particulier de ces
objectifs explique, d’une part, que mon lecteur ne trouvera presque rien ici de mes réflexions personnelles (même à
propos de Kant) et trouvera au contraire une profusion (peut-être même excessive) de citations et de références. Ces
deux caractères seraient inadmissibles dans un ouvrage philosophique du genre essai ou dans un ouvrage d’histoire
de la philosophie. Cependant je ne crois pas devoir ici offrir des excuses à mon lecteur, pour ces défauts qu’entraîne
assez naturellement la particularité de mes objectifs, compte tenu du contexte institutionnel.
Par ailleurs, les notes présentées ici ne traitent pas de la même façon les deux Critiques: a) de la Critique de la
faculté de juger je ne m’attache pas systématiquement au texte; je fais plutôt une reconstruction rationnelle des
rapports que Kant y établit entre les facultés; ce faisant, je tiens compte de l’ensemble de l’ouvrage mais je ne
procède pas par présentation systématique de ses parties. Le contexte de ma reconstruction rationnelle est le
problème général de la cohésion du découpage des facultés dans le criticisme. b) de la Critique de la raison pure je
présente l’essentiel de l’Esthétique et de l’Analytique; mais je laisse de côté de larges parties de la suite et me dois
d’en prévenir ici respectueusement le lecteur: je couvre les Paralogismes de la raison pure (en suivant le texte de la
deuxième édition), mais de l’Antinomie de la raison pure je ne présente que les sections §7, §8 et §9 après avoir
résumé l’articulation des neuf sections; mon travail sur la Dialectique s’arrête là, de sorte que le lecteur ne trouvera
rien sur l’Idéal de la raison pure — troisième chapitre de la Dialectique. Je n’ai pas de notes non plus sur le long
Appendice à la Dialectique, ni sur la Méthodologie transcendantale — sauf pour son chapitre III sur
l’Architectonique de la raison pure, utilisé dès le début des notes.
La présentation matérielle du texte n’aura sans doute pas atteint le degré de fini que j’aurais souhaité et que
j’aurais pu atteindre moyennant un peu plus de temps. C’est seulement au printemps de 1997 que j’ai convenu d’un
certain nombre de règles applicables aux divers problèmes de graphie et de typographie qu’un ouvrage savant doit
professionnellement résoudre. On trouvera l’énoncé de ces conventions dans l’Appendice 7, à la fin du volume.
L’application de ces règles aux dizaines de pages antérieurement rédigées aura été faite de façon plus expéditive que
systématique. Pour les imperfections qui subsistent, je présente volontiers mes excuses à mon lecteur et sollicite sa
bienveillance.
Normand Lacharité, professeur.
Eastman, décembre 1997
5
K
<> T h è m e # 1
<>
K
1 . L e s co n t e x t e s de
l a C r i t i q u e de la ra i s o n pu r e
1.
Les contextes de la Critique de la raison pure ............................................................................................7
1.1
Les trois contextes: vue d’ensemble..................................................................................................... 7
1.2
La Critique de la raison pure parmi les disciplines métaphysiques......................................................9
1.2.1.
Position générale du problème.....................................................................................................9
1.2.2.
La manière dont Kant s’exprime dans l’«Architectonique de la raison pure» ..........................10
1.2.3.
Le problème du rapport entre la Critique de la raison pure et le système (des
connaissances) de la raison pure................................................................................................13
1.2.3.1
L’analyse des textes kantiens faite par Roger Verneaux..................................................13
1.2.3.2
La solution proposée par Normand Lacharité au problème de la distinction entre
critique et système de la raison pure................................................................................. 15
1.3
La Critique de la raison pure parmi les trois Critiques — La typologie des facultés de l’esprit........18
1.3.1
Raison pure et raison pratique....................................................................................................18
1.3.2
Les pouvoirs de l’esprit: la connaissance, le désir, le plaisir..................................................... 19
1.4
La Critique de la raison pure parmi les doctrines philosophiques de la connaissance et de
l’existence humaine — L’idéalisme transcendantal entre le rationalisme et l’empirisme.................21
1.4.1
Autonomie de la connaissance humaine eu égard à l’absolu..................................................... 21
1.4.2
Autonomie de la morale eu égard au savoir (la science)...........................................................23
1.4.3
Autonomie de la Critique eu égard à l’expérience (et à l’histoire?) ..........................................23
1.1
I.–
Les trois contextes: vue d’ensemble
La place de la Critique de la raison pure dans le système des connaissances de la raison pure; ou: la place de
la Critique dans l’ensemble de la MÉTAPHYSIQUE.
◊
«…la raison pure que Kant se propose de soumettre à la critique n’est autre que la métaphysique de
l’école wolffienne.» (Caygill, H., KD 291.3.1-2) Dans cette école, la métaphysique est divisée en quatre
parties:
– l’ontologie, ou métaphysique générale, qui avait pour objet, dans les termes de Wolff, «les premiers
principes de notre connaissance et des choses en général»;
– la psychologie, qui avait pour objet l’âme;
– la cosmologie, qui avait pour objet le monde;
– la théologie, qui avait pour objet Dieu.
Les trois dernières parties formaient la métaphysique spéciale. Il est remarquable que cet
ordonnancement se retrouve dans la Critique de la raison pure: l’Analytique transcendantale traite à sa
7
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_____________________________________________________________________________________________
◊
façon de l’ontologie; et les trois sections de la Dialectique transcendantale considèrent les thèmes des
trois parties traditionnelles de la métaphysique spéciale: l’âme, le monde et Dieu.
Cependant, la Critique n’est pas présentée par Kant comme une nouvelle métaphysique, apte à se
substituer à celle de l’école dominante, mais comme une propédeutique à «toute métaphysique
future». Ce qui pose deux types de problèmes:
•
le problème des rapports entre le criticisme et la (ou les) métaphysique existante: qu’est-ce qui en est
démoli, qu’est-ce qui en est maintenu?
La Critique a-t-elle sonné le glas de la métaphysique?
•
le problème de la distinction, dans l’oeuvre de Kant lui-même, entre ce qui appartient à la propédeutique et ce qui en est l’application, au cours de l’élaboration des doctrines métaphysiques qui doivent
offrir les principes et autres connaissances qu’il est possible de dériver des seuls pouvoirs de la
raison pure (donc connaissances synthétiques a priori) concernant les objets traditionnels de la
métaphysique. Voir l’ARCHITECTONIQUE DE LA RAISON PURE.
II.– La place de la Critique de la raison pure parmi les trois critiques: quels sont les rapports entre raison pure,
raison pratique et faculté de juger? Ou: la place de la raison pure parmi les autres FACULTÉS.
◊
Quand on distingue les Critiques au moyen d’un ordinal, on fait référence à leur date de première
parution :
•
la première Critique est la Critique de la raison pure, publiée en 1781;
•
la deuxième est la Critique de la raison pratique, publiée en 1788;
•
la troisième est la Critique de la faculté de juger, publiée en 1790.
◊
Le rapport entre raison pure et raison pratique. Dans l’architectonique de la raison pure, on voit une
trace du rapport entre raison pure et raison pratique, du fait qu’à un certain niveau d’articulation
apparaisse une relation entre la métaphysique des moeurs et la métaphysique de la nature. Mais l’interprétation de cette relation montre immédiatement que raison pure ne s’oppose pas du tout à raison
pratique, comme on pourrait être tenté de le supposer en voyant les titres des deux premières Critiques.
◊
Le rapport entre raison et faculté de juger.
•
À en juger superficiellement par les titres des trois Critiques, on pourrait penser que les deux
premières traitent de la raison et la troisième de la faculté de juger, et imaginer une sorte
d’opposition entre raison et faculté de juger; ce rapport varierait selon que l’on associerait
l’entendement à la faculté de juger ou à la raison. Ces suggestions sont trompeuses; il faut leur
résister.
•
Mais si la Critique de la raison pure présente une théorie des pouvoirs dévolus à l’entendement et
dévolus à la raison, pourquoi Kant a-t-il rédigé la troisième critique: quel est le rapport entre
l’entendement dont la théorie est faite dans la première Critique (peut-être aussi dans la deuxième…)
et la faculté de juger dont la théorie est présentée dans la troisième?
La réponse à cette question a deux volets:
1.
la distinction entre usage déterminant et usage réfléchissant de l’entendement et de la raison.
2.
la typologie des facultés qui précise la nature et la fonction de la représentation présente en
l’esprit. Cette typologie distingue la faculté de connaître, celle de désirer et celle d’éprouver du
plaisir ou de la peine. Cette typologie fait ressortir les fonctions des pouvoirs de l’esprit dans
chaque cas et les fonctions correspondantes des représentations; et on découvre une ordonnance
que ne laisse pas voir l’arbre de l’architectonique, à savoir:
–
que la raison n’est pas seulement une faculté de connaître, mais aussi une faculté de désirer, en
ce sens qu’elle possède un usage qui la fait intervenir sur la volonté. Ce dont rend compte la
Critique de la raison pratique.
–
que l’entendement n’est pas seulement une faculté de connaître, mais aussi une faculté qui
permet d’éprouver du plaisir ou de la peine et qui, en cette fonction spécifique, contribue à la
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production de jugements d’une sorte tout à fait spéciale dont la théorie est faite dans la Critique
de la faculté de juger et non pas dans la Critique de la raison pure.
–
que la faculté de juger, enfin, est parfois une faculté de connaître et parfois non… Ce qui
demandera certes des éclaircissements.
III.– La place de la Critique de la raison pure parmi les DOCTRINES philosophiques de la connaissance et de
l’existence humaine. ENJEUX ET IMPACTS. La fonction de l’entreprise critique en tant que «science des
limites de la raison humaine».
Je tenterai de décrire la spécificité de cette place au moyen des concepts d’autonomie et de limite; la force de
la revendication d’autonomie est conditionnée par la reconnaissance d’une limite corrélative.
◊
Autonomie de la connaissance humaine eu égard à l’absolu, dans les limites de l’expérience possible et
de la dimension temporelle de l’activité de recherche. (Il s’agit de la temporalité de l’agir du chercheur et
non de celle du phénomène.)
•
Le rapport à la tradition antérieure: La fin du primat de l’absolu; «Kant pense d’abord la finitude,
ensuite l’Absolu ou la divinité.»
•
Le rapport à la tradition postérieure.
◊
Autonomie de la morale eu égard au savoir (la science), dans les limites de la temporalité et de l’usage
pratique de la raison.
◊
Autonomie de la Critique eu égard à l’expérience (et à l’histoire?), dans les limites du transcendantal
(considéré comme point de vue, comme méthode et, en particulier, comme méthode d’argumentation).
•
Le rapport à la tradition antérieure. Naissance de la philosophie transcendantale.
–
La question de savoir quelles oeuvres de Kant appartiennent à cette philosophie.
•
Le rapport à la tradition postérieure.
–
Comment se comparent la conception que K. se faisait de la philosophie transcendantale et celle
qui a cours aujourd’hui sous ce nom.
1.2
La Critique de la raison pure parmi les disciplines métaphysiques
1.2.1.
Position générale du problème
–
–
–
Est-ce une «épistémologie», au sens où ce terme circule au XXe siècle?
est-ce une «philosophie transcendantale»?
est-ce une métaphysique? une propédeutique à une métaphysique?
Le problème est posé dans l’introduction de Rousset (édition Garnier-Flammarion de 1976). En expliquant
que la CRPu a des lacunes (qui la rendent d’autant plus difficile à comprendre), Rousset précise
que [la CRPu] n’est que la “propédeutique” grâce à laquelle la connaissance possible est rapportée
aux facultés de l’esprit humain, mais qu’elle n’a de sens que dans la mesure où elle s’accomplit dans
une “métaphysique” qui réussit à construire la détermination scientifique de l’objet connaissable, et
où elle fait partie d’une “philosophie transcendantale”, qui doit être le système achevé de toutes les
idées et de tous les principes requis pour la pensée unifiée de l’être dans la connaissance et dans
l’action.
(«Présentation», CRPu, Bar 20.1)
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1.2.2.
La manière dont Kant s’exprime dans l’«Architectonique de la raison pure»
La notion d’architectonique — CRPu, Bar 621.
– «J’entends par architectonique l’art des systèmes.» (621.1.1)
• l’unité systématique fait passer d’un agrégat à un système [proposition tenant lieu de définition pour
le concept de système; la proposition sera plus explicite ci-après]
• la science est une connaissance qui a acquis un caractère d’unité systématique
• (Conclusion 1) «l’architectonique est donc la théorie de ce qu’il y a de scientifique dans notre
connaissance en général» 621.1
• (Conclusion 2) L’architectonique appartient à la méthodologie.
– «Le concept rationnel scientifique contient donc la fin et la forme du tout qui concorde avec lui.» (621.2)
• «j’entends par système l’unité des diverses connaissances sous une idée.» — Définition.
• «Cette idée est le concept rationnel de la forme d’un tout, en tant que la sphère des éléments et la
positon respective des parties y sont déterminées a priori..» 621.2)
– «[le schème] qui résulte d’une idée (où la raison fournit a priori les fins et ne les attend pas empiriquement), celui-là fonde une unité architectonique.» (622.1)
• «L’idée, pour être réalisée, a besoin d’un schème»
• schème = diversité et ordonnance des parties
• le schème qui n’est pas formé d’après une idée, c’est-à-dire d’après une fin capitale de la raison, mais
empiriquement, suivant des vues accidentelles (dont on ne peut savoir d’avance la quantité <Menge>)
ne donne qu’une unité technique.
Les divers sens du mot «métaphysique» selon les contextes d’emploi.
«Si je fais abstraction de toute matière de la connaissance, considérée objectivement, toute connaissance est
alors, subjectivement, ou historique ou rationnelle.» (CRPu, Bar 623.2.1-3) Attention: les qualificatifs «historique»
et «rationnel» peuvent également s’entendre «objectivement». Aussi peut-il y avoir une connaissance objectivement
philosophique et subjectivement historique (exemple: la connaissance philosophique de la plupart des étudiants)
–
–
Connaissance historique — cognitio ex datis; donnée à quelqu’un du dehors (expérience immédiate, récit,
instruction…); n’est pas résultée de la raison.
Connaissance rationnelle — cognitio ex principiis. «puisées aux sources générales de la raison» (624.1)
– celle qui a lieu par construction de concepts: la mathématique
– celle qui a lieu par concepts: la philosophie. La philosophie, en tant que système de toute connaissance
philosophique, «est la simple idée d’une science possible, qui n’est donnée nulle part in concreto, mais dont
on cherche à se rapprocher…» (CRPu, Bar 624.3)
• concept scolastique de la philosophie: «un système de la connaissance, qui n’est cherché que comme
science, sans que l’on ait pour but quelque chose de plus que l’unité systématique de ce savoir, par
conséquent la perfection logique de la connaissance.». Le philosophe est un artiste de la raison»,
comme le mathématicien, le physicien, le logicien.
• concept cosmique <Weltbegriff> de la philosophie: «science du rapport de toute connaissance aux fins
essentielles de la raison humaine (teleologia rationis humanae)» (CRPu, Bar 625.2.m7-5), concept
représenté dans le type idéal du philosophe, considéré comme législateur de la raison humaine. «Nous
déterminerons avec plus de précision ce que la philosophie prescrit, d’après ce concept cosmique, du
point de vue des, pour une unité systématique.» CRPu, Bar 625.3.4f)
◊ la philosophie morale, ou la morale, qui s’occupe de la fin ultime de la raison, de la destination
totale <die ganze Bestimmung des Menschen> de l’homme, qui a pour objet la liberté; la loi
morale.
◊ la philosophie de la nature.
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«Toute philosophie est ou une connaissance par raison pure, ou une connaissance rationnelle par principes
empiriques. La première s’appelle philosophie pure, et la seconde philosophie empirique». (CRPu, Bar 626.3)
– philosophie empirique; appelée aussi «philosophie appliquée» CRPu, Bar 630.3.m5). Elle contiendrait «une
vaste anthropologie (formant le pendant de la physique empirique)» (631.1.2f) où l’on retrouvera la
psychologie empirique.
– philosophie de la raison pure. Elle se divise en:
• propédeutique (un exercice préliminaire) qui étudie le pouvoir de la raison par rapport à toute
connaissance pure a priori, et elle s’appelle alors critique.
• métaphysique: «système de la raison pure (la science), toute la connaissance philosophique (vraie ou
apparente) venant de la raison pure dans un ensemble systématique» (CRPu, Bar 626.4.4-7)
◊ métaphysique de l’usage spéculatif de la raison pure, ou métaphysique de la nature. Aussi:
métaphysique, au sens étroit qui est le sens habituel.
◊ métaphysique de l’usage pratique de la raison pure, ou métaphysique des moeurs.
Cette dichotomie connecte avec la dichotomie terminale de l’arborescence précédente.
(M1) la métaphysique, au sens large: ensemble des connaissances de la raison pure.
– critique de la raison pure: connaissance de la raison pure par elle-même; = propédeutique à M2; = esquisse
de la philosophie transcendantale.
– (M2) la métaphysique, au sens étroit: en tant que système de la raison pure et philosophie comme doctrine.
• métaphysique des moeurs: métaphysique de l’usage pratique de la raison pure
• (M3) métaphysique de la nature, ou partie spéculative de la métaphysique au sens étroit (M2):
métaphysique de l’usage spéculatif, ou théorique, de la raison pure
• la philosophie transcendantale: «ne considère que l’entendement et la raison même dans un système
de tous les concepts et de tous les principes qui se rapportent à des objets en général, sans admettre
des objets qui seraient donnés (ontologia)» (CRPu, Bar 629.1.4-7)
• la physiologie (mais purement rationnelle); elle «considère la nature, c’est-à-dire l’ensemble des
objets donnés (qu’ils soient donnés aux sens, ou, si l’on veut, à une autre espèce d’intuition)» CRPu,
Bar 629.1.7-10)
• la physiologie immanente: l’usage de la raison y est physique, ou immanent; la physiologie
immanente considère la nature comme «l’ensemble des objets des sens, par conséquent telle
qu’elle nous est donnée, mais seulement suivant les conditions a priori sous lesquelles elle peut
nous être donnée en général.» (CRPu, Bar 629.2.2-5)
Voilà une métaphysique de la nature «en un sens compatible avec la critique»
(Florence Khodoss, Les grands textes, 217.2)
•
•
la physique rationnelle (ou métaphysique de la nature corporelle): considère les objets des
sens extérieurs, en tant qu’ils constituent la nature corporelle.
• la psychologie rationnelle (ou métaphysique de la nature pensante): considère «l’objet du
sens intime, l’âme, et, suivant les concepts fondamentaux de l’âme en général, la nature
pensante.» (CRPu, Bar 629.2.7-9)
la physiologie transcendante: l’usage de la raison y est hyperphysique, ou transcendant, c’est-àdire qu’il «s’occupe de cette liaison des objets de l’expérience qui dépasse toute expérience»
(CRPu, Bar 629.1.m8-7).
«métaphysique au sens ordinaire du mot, aussi bien traditionnel que moderne»
(F. Khodoss, Les grands textes, 217.3)
•
la cosmologie transcendantale, ou cosmologie rationnelle,«ou la physiologie de toute la
nature» (CRPu, Bar 629.1.m4-3): la liaison dont elle s’occupe est interne;
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•
la théologie transcendantale, ou théologie rationnelle, ou la physiologie «de l’union de
toute la nature avec un être élevé au-dessus de la nature» (CRPu, Bar 629.1.2f). La liaison
dont elle s’occupe est externe.
M étaphysique M 1
CRPu
(propé à M 2)
(esquisse de philo tscdtle)
M2
(m phys., sens m oyen)
«syst. de la RPu»
M 3 .1
(m phys. des m oeurs)
Conn-ces de RPu
re: usage pratique de la RPu
M 3 .2
(m phys. de la nature)
Conn-ces de RPu
re: usage spéculatif de la RPu
Phil. trscdtle
«syst. de tous les concepts… qui
se rapportent à des objets en
général[… ]» O N TO LO GIE
Physiologie de la RPu
im m anente
Physica rationalis
transcendante
Psychologia
rationalis
théologie trscdtle
cosm ologie
trscdtle
Extrait de Albert Rivaud, commentant la définition de la philosophie transcendantale donnée dans l’Opus
posthumum :
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L’objet [de la philosophie transcendantale] est de dégager les principes métaphysiques de toutes les
autres sciences métaphysiques et notamment des deux plus importantes, métaphysique de la Nature
et métaphysique des moeurs. On appelle métaphysique, une science portant sur la forme de la
connaissance, dans le mesure où cette forme autorise, entre certaines limite, une connaissance
rationnelle ou a priori, sans aucun recours à l’expérience. Une telle science comporte un
enchaînement rigoureux de principes.
(p. 255.2 de: RIVAUD, Albert, Histoire de la philosophie, tome V,
Première partie «De l’Aufklärung à Schelling», Paris, P.U.F., 1968.)
Rivaud mentionne également que Kant se tient pour l’inventeur de ladite définition de la philosophie transcendantale.
1.2.3.
Le problème du rapport entre la Critique de la raison pure et le système (des
connaissances) de la raison pure
LA RAISON PURE COMME FACULTÉ VERSUS LA RAISON COMME ENSEMBLE DE CONNAISSANCES
PRODUITES PAR L’EXERCICE DE LA RAISON PURE
Les termes de l’opposition peuvent être caractérisés ainsi:
– en tant que faculté, la raison (pure) est objectivée
• comme objet à étudier, ayant son fonctionnement
• comme auteur et agent de la Critique considérée comme une démarche intellectuelle.
– en tant qu’oeuvre ou «système», la raison est objectivée comme ensemble des connaissances théoriques
qu’il est possible de produire en se servant de la raison. Cet ensemble comprend toutes les «sciences de la
raison», les «livres et [les] systèmes de la raison pure» (CRPu, Bar 74.1.3-4)
LES CONNAISSANCES PURES RELATIVES À LA RAISON ELLE-MÊME (ET AUX AUTRES POUVOIRS DE
L’ESPRIT) VERSUS LES CONNAISSANCES PURES RELATIVES À LA NATURE* (DONT LA RAISON PURE FAIT
ELLE-MÊME PARTIE)
*«Nature» s’entend ici comme un objet d’étude général, avant la distinction entre ontologie et
physiologie, c’est-à-dire avant la distinction entre objets possibles et objets donnés.
On prend le deuxième terme de l’opposition précédente (faculté vs oeuvre), et on le divise à son tour.
Cette opposition est celle du rapport entre la critique et la métaphysique, considérées toutes deux comme
ensemble de théories et de thèses. Le premier discours théorique prend pour objet la raison en général, entendue
comme l’englobant de tous les pouvoirs de l’esprit; le second prend pour objets la nature et la liberté.
La critique établit les pouvoirs et les moyens de la raison pure; c’est une activité et son produit. La critique
peut s’entendre à la fois comme un travail (démarche intellectuelle) et comme une oeuvre. La métaphysique est
l’activité qui met en exercice ces pouvoirs et moyens ainsi que le produit de cette activité. (Métaphysique comme
travail vs métaphysique comme oeuvre.)
1.2.3.1
L’analyse des textes kantiens faite par Roger Verneaux
Le traitement que donne Verneaux I, dans son chapitre II «Propédeutique et système», p. 37-51 est
instructif, du fait qu’il rassemble les diverses déclarations de Kant se rattachant à ce problème, mais son interprétation des textes kantiens n’utilise à aucun moment la distinction entre travail et oeuvre. Je conjecture que l’absence
de cette distinction contribue considérablement à dramatiser et, tout compte fait, rendre insoluble le problème de la
nature des relations entre la critique et la métaphysique.
Le problème des relations entre critique et philosophie transcendantale n’est qu’une variante du précédent,
entraînée par le flottement sémantique dont le terme «métaphysique» est affecté; la question de savoir si la
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philosophie transcendantale est déjà réalisée, ou seulement esquissée, par la critique demande la clarification du
rapport entre critique (de la raison pure) et système (de la raison pure), le même rapport que pour la question
impliquant la métaphysique.
Le plan de Verneaux est intéressant:
0. Position du problème: Kant déclare 25 fois en CRPu que la critique est une propédeutique à la
métaphysique et affirme pourtant, dans la Déclaration concernant la doctrine de la science de Fichte, le
28 août 1799:
“Je trouve inconcevable l’outrecuidante affirmation que j’aie voulu seulement écrire une
propédeutique à la philosophie transcendantale, non le système même de cette philosophie.
Jamais une intention pareille n’a pu me venir à l’esprit, puisque j’ai moi-même fait remarquer
que l’achèvement total de la philosophie pure, dans la Critique de la raison pure, était le
meilleur indice de la vérité de cette dernière” (Ak. XII, 396-97).
(Cité par Verneaux, Ver, VK-I 37-38)
1. Le plan du système (38).
2. Critique et métaphysique (44)
3. Critique et philosophie transcendantale (47)
4. Conclusion (50)
—
En §1, Verneaux rappelle le plan donné par Kant dans l’«Architectonique de la raison pure» et fait quelques
observations:
– Kant appelle «ontologia» la philosophie transcendantale. Il avait, dans CRPu, fait une remarque sur
l’utilisation de ce mot comme titre (d’une doctrine):
«”Le titre pompeux d’une ontologie qui prétend donner, des choses en général, une connaissance
synthétique a priori dans une doctrine systématique (p. ex. le principe de causalité) doit faire place
au titre modeste d’une simple analytique de l’entendement pur” (T.P. 258)» (Ver, VK-I 39.4)
– «il reste étonnant que la philosophie transcendantale ne s’occupe pas des idées de la raison.» (Ver, VKI 40.1)
– Trois difficultés concernant l’interprétation du plan du système:
D1 «pourquoi la métaphysique de la nature comporte deux parties, la cosmologie et la théologie
transcendantales, dont la critique a démontré qu’elles ne peuvent fournir aucune connaissance» (Ver,
VK-I 40.3.1-4)?
D2 «pourquoi la psychologie transcendantale ne figure-t-elle pas dans la physiologie transcendante, à
côté de la cosmologie et de la théologie transcendantale?» (Ver, VK-I 40.4) Pourquoi pas une
psychologie transcendantale et une psychologie rationnelle, redoublement et distinction qui
imiteraient ceux du couple cosmologie transcendantale et physique rationnelle?
Je reviendrai sur cette question lors de mes considérations sur le rapport entre le criticisme et les
sciences cognitives contemporaines. Il faudra commenter l’affirmation kantienne selon laquelle il
n’existe pas de science de la nature pensante vu que
1°” dans toute théorie particulière de la nature, il n’y a de science proprement dite qu’autant qu’il s’y
trouve de mathématique [… et]
2° les mathématiques ne peuvent s’appliquer aux phénomènes du sens interne” (Premiers
principes métaphysiques de la science de la nature, 1786, Préface, trad. Gibelin, 11-12).
Je voudrai tenir compte aussi du fait que Kant «bannit» la psychologie empirique de la
métaphysique et la renvoie avec «la physique proprement dite (la physique empirique) […] du côté
de la philosophie appliquée, dont la philosophie pure contient les principes a priori, et avec laquelle
par conséquent elle doit être unie, mais non pas confondue.» (CRPu, Bar 630.3)
D3 «comment peut-on obtenir une connaissance métaphysique, c’est-à-dire a priori, d’objets donnés
aux sens, c’est-à-dire a posteriori? La réponse est qu’on n’emprunte à l’expérience rien de plus que
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ce qui est nécessaire pour se donner un objet, à savoir le concept de matière et celui de pensée.»
(Ver, VK-I 43-44) Verneaux rend compte ici de CRPu, Bar 630.2.
—
En §2, Verneaux essaie «de mettre en face du schéma de l’Architectonique les indications éparses dans la
Critique et les Prolégomènes […] en ce qui concerne la métaphysique» (Ver, VK-I 44.3-4). Verneaux fait
ressortir deux idées de tous les textes qu’il cite:
– la critique n’est pas encore le système
– la métaphysique dont parle Kant se cantonne à la philosophie transcendantale comme ontologie puisque:
[…] la physiologie rationnelle exige, pour avoir un objet, les concepts de matière et de pensée
qui sont empiriques. Or la métaphysique dont il est question ici se développe par simple analyse
des concepts purs qui auront été mis à jour par la critique.
(Ver, VK-I 47.2)
C’est aussi comme «idée complète de la philosophie transcendantale» que Kant présente CRPu dans §VII
de son Introduction (CRPu, Bar 75.1-2).
À proportion que l’interprétation des textes kantiens est difficile, l’interprétation faite par Verneaux est sujette
à caution. Là où Kant dit que la critique, et elle seule, fournit tout le plan de la métaphysique, il n’est pas dit
qu’on doive comprendre «seulement» le plan (c’est pourtant ce que comprend Verneaux en 46.1); lorsque
Kant affirme que la critique fournit déjà tous les principes qui servent de base au système, on pourrait
comprendre qu’il s’agit des thèses principales de la métaphysique et donc éminemment de ses contenus, et
qu’on n’est plus en train de parler d’une propédeutique en un sens minimaliste. Si dans ces citations on
interprète la critique systématiquement au sens de travail et la métaphysique au sens d’oeuvre, on comprend
que le système complet des concepts qui se trouve exposé dans la critique comme travail soit identiquement
la métaphysique comme oeuvre.
Lorsque que Kant affirme que la critique est aussi un «traité de la méthode» (CRPu, Bar 45.1.5), on peut
comprendre que le fait d’apercevoir et d’élaborer la méthode se distingue fort bien du système de la science,
si la distinction reste logique, mais se distingue mal de la mise en oeuvre de la méthode (de son actualisation)
si l’on considère la critique comme le travail de découverte d’une règle et la métaphysique comme l’actualisation de cette règle.
L’interprétation du rapport entre critique et métaphysique se joue presque exclusivement sur les deux verbes
«dériver» (des concepts à partir des catégories) et «analyser» ces concepts dérivés. Que veut dire Kant par: «il
en résultera une partie purement analytique de la métaphysique» (Prol., §39, trad. Gibelin 103n)? Voir CRPu,
Bar 72-76, Introduction, §VII.
—
En §3, Verneaux collige les textes en vue de préciser à quoi réfère «philosophie transcendantale». Celle-ci
– exclut les principes suprêmes de la moralité… et, donc, le système de la morale. (Voir, plus en détail, cidessous, dans mes explications du tableau à deux axes pour la philosophie pratique.)
– exclut toujours la physiologie rationnelle.
– ci encore, la différence entre la critique et la philosophie transcendantale est que celle-ci serait une
extension complétant celle-là.
—
En §4, les conclusions de Verneaux sont:
– «le terme de métaphysique a trois extensions: large, moyenne et stricte. Il en va de même pour le système
de la raison pure: il peut englober la critique ou l’exclure, englober la morale ou l’exclure, et l’on doit
même ajouter un quatrième sens; il est parfois restreint à la philosophie transcendantale comme
ontologie.
Quant à la philosophie transcendantale […] elle peut s’identifier à la critique en excluant toute la
métaphysique, y compris la philosophie transcendantale comme ontologie. Et elle peut être une partie de
la métaphysique, à savoir l’ontologie, en excluant alors la critique.» (Ver, VK-I 505-6)
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1.2.3.2
La solution proposée par Normand Lacharité au problème de la distinction
entre critique et système de la raison pure
A. UN MODÈLE DYNAMIQUE À DEUX AXES
Il ne faut pas chercher une différence qui, à la fois, en soit une de principe et établisse une démarcation nette
au niveau de l’oeuvre entre propédeutique et système, entre critique et système, démarcation qui varierait, de
surcroît, selon les diverses acceptions du terme «système»: métaphysique (aux sens large, moyen, étroit…),
philosophie transcendantale (seulement comme ontologie, ou pas seulement…), métaphysique de la nature (limitée à
la physiologie, ou non…).
Je pense qu’il faut concevoir l’opposition entre critique et système en termes dynamiques, c’est-à-dire par
référence à une démarche. La métaphore du «germe préformé», que Kant lui-même utilise, est plus dynamique que
celle de propédeutique:
[la métaphysique comme science] n’existait pas encore, […] elle ne peut non plus se composer de
pièces et de morceaux, mais […] son germe doit d’abord être préformé entièrement dans la critique.
(Prolégomènes, Vrin 1957, 161.1.10-11)
Et il faut penser cette démarche selon deux axes:
– la démarche d’explicitation-dérivation ; cette démarche peut se représenter selon un axe qui va du
travail à l’oeuvre. Les rapports entre le point d’origine et le point d’arrivée sont illustrés par des
relations telles que les suivantes:
à l’origine
à l’arrivée
le projet
la réalisation du projet
la plan d’un système de la raison
pure
la réalisation (plus ou moins
achevée) du plan
l’identification des fondements et la définition et la dérivation de
des bases, pour ce qui est des
concepts et principes plus
concepts et principes a priori
détaillés, à partir des fondements
l’identification de la méthode de
la raison pure
–
l’application de la méthode de la
raison pure
la démarche d’extension ; cette démarche peut se représenter selon un axe qui va de la partie la plus
pure de la théorie à la partie la plus empirique, en supposant que la théorie intègre progressivement (et
parcimonieusement…) les concepts des «objets qui sont donnés à nos sens, c’est-à-dire a posteriori» et
qu’elle ne prend «de l’expérience que tout juste ce qui est nécessaire pour nous donner un objet, soit du
sens extérieur, soit du sens intime, le premier au moyen du simple concept de matière (étendue impénétrable et sans vie), le second au moyen du concept d’un être pensant (dans la représentation intérieure
empirique: je pense).» (CRPu, Bar 630.2) Sur cet axe se trouve quelque part une frontière — et je ne sais
pas si Kant est capable de la situer au moyen de critères qui soient à la fois principiels et opérationnellement précis… — entre la philosophie pure et la philosophie appliquée. Pour rester dans le champ
de la métaphysique, il faut évidemment ne pas franchir cette frontière.
Au moyen de ces deux axes, on peut tracer un schéma éclairant des rapports entre la critique et le système de
la raison pure (±métaphysique de la nature) — à supposer qu’on reste dans la modélisation de l’usage spéculatif
de la raison pure. (Voir le graphique de la page suivante.)
Un graphique semblable peut être tracé pour le passage de la Critique de la raison pratique à la
métaphysique des moeurs conçue comme «la morale pure, où l’on ne prend pour fondement aucune anthropologie
(aucune condition empirique) [et qui] appartient aussi à la branche de la connaissance humaine, mais philosophique,
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qui vient de la raison pure» (CRPu, Bar 627.1). Le problème dans le cas de la métaphysique des moeurs est de
savoir si l’on sort de la philosophie pure pour entrer dans la philosophie empirique (626.3) lorsqu’on passe de la
morale pure à la théorie de la vertu et la théorie du droit — problème de l’extension (le terme est de moi) du
système de la morale pure au système de la métaphysique des moeurs.
Travail
Oeuvre
Démarche d'explicitation-dérivation
Partie
a priori
pure
Partie
a priori
intégrant
quelques
concepts
empiriques
D
é
m
a
r
c
h
e
CRPu
Philosophie
transcendantale
(ontologie)
d'
e
x
t
e
n
s
i
o
n
Physiologie
(immanente,
transcendante)
B. L’HYPOTHÈSE D’UN MODÈLE À TROIS AXES
Un développement assez naturel de la conceptualité que je viens d’introduire en termes d’axes pour décrire la
démarche kantienne serait de concevoir un troisième axe, dans le but justement de faire ressortir le principe capable
d’unifier les démarches respectives des trois Critiques. Ce troisième axe serait l’axe des usages de la raison pure. Et
il serait utile pour traiter certains problèmes soulevés par Verneaux relatifs à la manière d’intégrer dans
l’Architectonique aussi bien la Critique de la raison pratique que la Critique de la faculté de juger, ainsi que leurs
développements métaphysiques respectifs. Le premier de ces problèmes est posé par Verneaux en Ver, VK-I 48.349.1; il s’agit de concilier les trois propositions suivantes:
– La philosophie transcendantale est le système de tous les principes de la raison pure, ce qui, par une
argumentation sur la pureté de la «morale pure», semble inclure au moins une partie d’un système de la
moralité (±métaphysique des moeurs), celle qui énoncerait les principes suprêmes…
– La philosophie transcendantale ne doit laisser entrer aucun concept qui contienne rien d’empirique, ce
qui semble exclure la morale considérée comme un système, parce qu’elle contient soit des éléments
empiriques, soit des éléments étrangers à la connaissance — il s’agit des sentiments dans les deux cas.
(Verneaux reproduit ici l’argumentation donnée par Kant dans la dernière section (§VII) de son
«Introduction» à CRPu pour exclure la morale pure de la philosophie transcendantale.) La thèse de Kant,
en 1781 comme en 1787 est que «les principes suprêmes de la moralité et ses concepts fondamentaux
[…] n’appartiennent […] pas à la philosophie transcendantale; […] La philosophie transcendantale n’est
donc qu’une philosophie de la raison pure spéculative.» (CRPu, Bar 75.2)
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Les textes pertinents se trouvent dans le «Canon de la raison pure», §1«Du but final de l’usage pur
de notre raison». Pour la distinction entre «lois pures pratiques» et «lois pragmatiques»
(«empiriques»), voir le paragraphe 600.2; il se termine par: «Des lois pures pratiques […] dont le
but serait donné tout à fait a priori par la raison et qui ne commanderaient pas d’une manière
empiriquement conditionnelle, mais absolue, seraient des produits de la raison pure. Or telles sont
les lois morales, et par conséquent seules elles appartiennent à l’usage pratique de la raison pure
et comportent un canon.»
Pour la distinction entre «philosophie pratique» et «philosophie transcendantale», voir le
début du paragraphe CRPu, Bar 600.4 et la note afférente:
«Mais, comme nous avons en vue un objet étranger à la philosophie transcendantale 1, il faut
beaucoup de circonspection soit pour ne pas s’égarer dans des épisodes et rompre l’Unité du
système, soit aussi pour ne rien ôter à la clarté ou à la conviction, en disant trop peu sur cette
nouvelle matière. J’espère éviter ces deux écueils en me mettant aussi / près que possible du
transcendantal et en laissant tout à fait de côté ce qu’il pourrait y avoir de psychologique, c’està-dire d’empirique.» (CRPu, Bar 600.4-601.1)
La note afférente dit: «Tous les concepts pratiques se rapportent à des objets de satisfaction
ou d’aversion, c’est-à-dire de plaisir ou de peine, et, par conséquent, au moins indirectement,
à des objets de sentiment. Mais comme le sentiment n’est pas une faculté représentative des
choses, mais qu’il réside en dehors de toute faculté de connaître, les éléments de nos
jugements, en tant qu’ils se rapportent au plaisir ou à la peine, appartiennent à la philosophie
pratique, et non pas à l’ensemble de la philosophie transcendantale, qui ne s’occupe que des
connaissances pures a priori.»
–
la critique, comme propédeutique, et la philosophie transcendantale, comme système, ont le même plan,
les mêmes fondements.
Outre le problème de l’intégration de la morale pure à la philosophie transcendantale, se pose aussi, de toute
façon, le problème du passage de l’usage de la raison dans la production des jugements théoriques à celui de son
usage dans la production des jugements esthétique et téléologique. (J’en parlerai abondamment dans l’exposé sur le
‹Thème #11. Le criticisme :une reconstitution d’après la Critique de la faculté de juger›.)
De fait, Kant publiera sa morale mais n’aura pas le temps de terminer sa métaphysique de la nature:
— 1785 : Fondements de la métaphysique des moeurs
— 1797 : Métaphysique des moeurs
«Le petit traité intitulé Premiers principes métaphysiques de la science de la nature, publié en 1786, est très loin de
réaliser l’idée [de la métaphysique de la nature].» (Ver, VK-I 186.3). En 1804, année de sa mort, Kant travaillait à
Passage des premiers principes métaphysiques de la science de la nature à la physique. Il y révisait, paraît-il, «toute
sa philosophie théorique» (Ver, VK-I 184.4).
C. L’HYPOTHÈSE D’UNE CRITIQUE INTÉGRÉE AUX PARTIES DE LA MÉTAPHYSIQUE APRÈS LA
DIFFÉRENCIATION DE CES PARTIES
Selon cette hypothèse, on répartit la critique sur les diverses parties de la métaphysique. Si on se représente
des ouvrages, on n’a qu’à les imaginer comportant une première partie (une introduction…, un premier chapitre…)
qui procède à la critique de l’usage de la raison pure qui sera fait dans la suite de l’ouvrage. (Voir le diagramme de
la page suivante.)
1.3
1.3.1
La Critique de la raison pure parmi les trois Critiques — La typologie des facultés
de l’esprit
Raison pure et raison pratique
La Critique de la raison pure contient déjà tous les principes qui permettent de faire la distinction
– entre les objets de la métaphysique des moeurs et ceux de la métaphysique de la nature.
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– entre le caractère objectif de la connaissance et le caractère rationnel de la croyance.
Le principe de ces distinctions est l’opposition entre l’usage spéculatif de la raison et son usage pratique. Aussi estce dans la limite de l’usage pratique de la raison que se trouvent justifiés rationnellement les principes de la
métaphysique des moeurs; ceux-ci déterminent la nature et les critères de la moralité de même que les hypothèses
(croyances) que l’homme se voit rationnellement contraint de postuler pour donner un sens à sa conduite et à sa
situation d’être historique. Ce genre de limitation implique un dimension temporelle associée à la perfectibilité des
institutions humaines et au caractère processuel de l’idée même de réalisation de fins (buts) dans l’ordre naturel. La
temporalité de l’action humaine est la temporalité de l’histoire.
M2
M 3 .1
(m phys. des m oeurs)
Conn-ces de RPu
re: usage pratique de la RPu
Critique de
la raison
pratique
D octrine du
droit
D octrine de
la vertu
Logique
transcendantale
(C RPu,
esthétique et
analytique
trsdcdtle)
M 3 .2
(m phys. de la nature)
Conn-ces de RPu
re: usage spéculatif de la RPu
Phil. trscdtle
«syst. de tous les
concepts… quise
rapportent à des objets
en général[… ]»
D ialectique
trscdtle
Physiologie de la RPu
im m anente
transcendante
O N TO LO GIE (en
tant que partie
de la
m étaphysique)
Physica
rationalis
Psychologi
e rationalis
théologie
trscdtle
cosm ologie
trscdtle
La Critique de la raison pure peut être considérée comme fournissant la théorie de ce qu’est l’usage pratique
de la raison. La Critique de la raison pratique adoptera cette définition comme un postulat et consistera à formuler
les jugements synthétiques a priori que la raison peut produire, en son usage pratique.
1.3.2
Les pouvoirs de l’esprit: la connaissance, le désir, le plaisir
Kant énumère, au début de la Critique de la faculté de juger, les trois principaux pouvoirs de l’âme:
«toutes les facultés ou tous les pouvoirs de l’âme peuvent se ramener à ces trois, qu’on ne peut plus
déduire d’un principe commun: la faculté de connaître, le sentiment de plaisir et de peine, et la
faculté de désirer» (CFJ, Pko 26.3)
–
C: faculté(s) de connaître <Erkenntnisvermögen>; l’esprit est en rapport avec des objets et s’intéresse à
la conformité de ses représentations avec les objets: rapport de conformité. Eu égard aux facultés de
connaître, l’intérêt de la raison est spéculatif.
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–
–
D: faculté de désirer <Begehrungsvermögen>; celle-ci est la «faculté d’être par ses représentations cause
de la réalité des objets de ces représentations» (CFJ, Pko 26n, Intro, §III); or, les seuls objets que l’esprit
peut causer par les représentations qu’il s’en fait sont ses propres actions (libres). Dans ce contexte,
l’esprit s’intéresse au rapport entre la volonté (pouvoir de déterminer l’action) et les états de choses
susceptibles de réaliser des fins morales; c’est le rapport de causalité que peut établir un agent libre
avec les objets ou situation du monde sur lesquels il peut agir.
P: sentiment de plaisir et de peine <Gefühl der Lust und Unlust>; l’esprit est en rapport avec lui-même à
l’occasion. «La représentation est en rapport avec le sujet, pour autant qu’elle a sur lui un effet, pour
autant qu’elle l’affecte en intensifiant ou en entravant sa force vitale.» (Del, PCK 8.2) Rapport de
réaction émotive.
Cette typologie des facultés fournit la clé d’une compréhension générale et relativement immédiate du rapport
entre les trois Critiques:
– la première — la Critique de la raison pure (1781; 1787) — fait la théorie des pouvoirs de connaître;
– la seconde — la Critique de la raison pratique (1788) — fait la théorie de la faculté de désirer, pour
autant que c’est elle qui est impliquée dans la détermination de la moralité des actions libres;
– la troisième — la Critique de la faculté de juger (1790) — fait la théorie de la capacité d’éprouver du
plaisir et de la peine, pour autant que c’est elle qui est impliquée dans la production des jugements
esthétiques et téléologiques.
À son tour, le fait que le sentiment de plaisir et de peine fait surgir un problème nouveau pour la philosophie
critique ne se comprend que si l’on aperçoit la distinction entre l’usage déterminant des pouvoirs de connaissance
et leur usage réfléchissant.
USAGE DÉTERMINANT / RÉFLÉCHISSANT. En faisant la synthèse du divers sous un concept, la faculté de juger
détermine l’objet, donne à la représentation le statut d’un objet pour la pensée. C’est ainsi qu’elle en rend possible
la connaissance. En revanche, lorsqu’elle prend acte du plaisir plus ou moins grand que lui procure la présence de la
représentation, la faculté de juger ne fait que réfléchir l’état dans lequel la présence de l’objet a mis les facultés
représentatives. S’agit-il d’émotion? S’agit-il de ce qui rend possible la signification connotée? de la surdétermination symbolique?
Rétrospectivement, on constate que le tableau de l’Architectonique de la raison pure ne laisse pas
voir l’articulation entre l’usage déterminant et l’usage réfléchissant des facultés de connaissance,
notamment de la faculté de juger; et que, de toute façon, la métaphysique de la nature (qui en
occupe la plus grande partie) est tout entière placée sous l’égide de l’usage spéculatif de la raison:
certes, c’est en tant que déterminant que cet usage fait d’abord problème pour les deux premières
critiques, mais peut-il être réfléchissant également?.
Le dénombrement des aspects du fonctionnement de l’homme, de l’existence humaine selon
C-D-P
À la typologie C-D-P des facultés correspondent très directement des aspects de l’existence humaine qu’on
peut considérer comme autant d’objets de la théorisation kantienne selon la méthode critique:
— la connaissance; l’activité intellectuelle; la pensée conceptuelle.
— l’action et le désir; l’activité morale.
— le sentiment (plaisir , déplaisir) en tant que perspective sur la compatibilité de l’homme et de la nature, et
perspective, aussi, sur la compatibilité des sujets humains entre eux. Voir Phi, OK II §46, p. 191-198;
§47, p. 198 sqq.
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La troisième forme de la communication est celle par laquelle l’homme rencontre directement
l’homme sans concept par et dans le jugement de goût ou plus généralement le sentiment qui a
suscité un jugement esthétique. C’est donc le problème de l’intersubjectivité humaine qui est
posé.
(Phi, OK II 191-192)
On peut sans doute faire correspondre à ces aspects de l’existence des types d’activités, mais il est davantage
pertinent de les considérer comme les trois aspects sous lesquels on peut considérer un acte donné. Un même acte
cognitif, mobilisant les facultés de représentation du sujet, est analysé dans le système kantien de la raison pure
selon trois aspects:
– l’aspect intellectuel, selon lequel la manière dont des concepts a priori se rapportent aux objets en
général rend possible la connaissance de ces objets.
– l’aspect moral, selon lequel la manière dont l’impératif catégorique et ses maximes se rapportent aux
actions sur les objets rend possible la moralité, le droit, la vertu…
– l’aspect vécu, selon lequel la manière dont l’exigence rationnelle, mais subjective, d’une unité finale
attribuée aux produits de la nature est rapportée à des objets indéterminés (des objets en général) rend
possible un sentiment de plaisir, la communicabilité de ce sentiment et l’unification de la science.
Pour montrer la pertinence de la critique, en tant que propédeutique à une philosophie de
l’existence humaine, il serait intéressant de montrer les traits généraux de cette existence qui
constituent une manifestation de ce qu’affirment certaines thèses kantiennes, ou qui peuvent être
expliquées par les thèses kantiennes. Il est bon, pédagogiquement, de montrer que les principes
purs révélés par la critique sont des conditions de la possibilité de comportements attribués à l’être
humain en général. Je considère que l’Anthropologie du point de vue pragmatique adopte à peu
près ce point de vue pour montrer les traits généraux de l’existence humaine.
«Qu’il y ait un plaisir à pouvoir communiquer son état d’esprit, ne serait-ce qu’en ce qui concerne
les facultés de connaître, c’est ce qu’on pourrait facilement montrer par l’inclination naturelle de
l’homme pour les rapports sociaux (empiriquement et psychologiquement).» (CFJ, Pko 61.5.1-5)
Ces aspects généraux de l’existence humaine ont été étudiés par Kant approximativement dans cet ordre, si
l’on veut bien interpréter ainsi la chronologie de la publication des trois Critiques. Et il est intéressant de
reconstituer l’ensemble de la démarche kantienne, en tant que construction progressive d’un système, comme une
suite d’étapes postérieures à la découverte du point de vue critique et chargées chacune de reconstruire les parties
principales de la philosophie sur la nouvelle base. Quand on a remplacé le primat de la chose sur la faculté de
connaître par le primat de la faculté de connaître sur la chose, il faut en effet trouver d’autres explications que les
explications pré-coperniciennes, pré-critiques,
– de l’organisation du monde, en tant qu’ensemble accessible à mes facultés de connaître, et de
l’organisation de la science, en tant qu’ensemble conditionné par mes facultés de connaître;
– de la possibilité de la morale, en tant que compréhension théorique de mes propres facultés de désirer et
d’agir, et en tant qu’instrument de la détermination de mon action comme être engagé à l’égard de fins
qui orientent toute mon existence;
– de la possibilité de la communication avec autrui, en tant que condition de mon existence dans une
société et une histoire, dans un état et une culture. C’est cette idée que retient Philonenko dans son
commentaire introductif à la Critique de la faculté de juger.
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1.4
1.4.1
La Critique de la raison pure parmi les DOCTRINES philosophiques de la
connaissance et de l’existence humaine — L’idéalisme transcendantal entre le
rationalisme et l’empirisme
Autonomie de la connaissance humaine eu égard à l’absolu
L’autonomie de la connaissance humaine à l’égard de l’Absolu est affirmée dans les limites de l’expérience
possible. Deux idées: non seulement la connaissance humaine n’a pas besoin de garant, mais ce qui peut être dit
d’elle et de ses limites est plus sûr que ce qui peut être dit du garant qui serait une figure de l’Absolu. Le double fait
de cette limite et de cette sûreté est donc méthodologiquement premier dans la mise en oeuvre de la démarche
philosophique (métaphysique).
La relativisation de l’Absolu et de la connaissance divine par rapport à la connaissance humaine peut
s’entendre en un sens plutôt sociologique et évoquer la mentalité des Lumières (Aufklärung), dont Kant se faisait un
propagandiste volontiers militant. «Notre siècle est le vrai siècle de la critique: rien ne doit y échapper. En vain la
religion à cause de sa sainteté, et la législation à cause de sa majesté, prétendent-elles s’y soustraire.» (Kant, Préface
à la première édition, CRPu, Bar 31, note 1.) Mais cette idée s’entend en un sens plus radical quand on la lit au
niveau même des thèses de la doctrine, c’est-à-dire au niveau métaphysique.
RAPPORTS À LA TRADITION ANTÉRIEURE
Voir «La philosophie de Kant par rapport à Leibniz», Fiche no 1 de: Boulad-Ayoub, J., Fiches pour
l’étude de Kant, p. 13-15.
—
—
Avant Kant, la tradition majoritaire de son temps, à laquelle appartiennent Leibniz et Descartes, par exemple,
«les limitations qui affectent la connaissance humaine sont pensées par rapport à une référence absolue: l’idée
d’une omniscience dont la divinité est censée être le dépositaire; c’est par rapport à cette omniscience
supposée de Dieu que le savoir humain est dit limité.» (Ferry, Luc, ‹Présentation›, p. I)
Dans la démarche cartésienne des Méditations, Dieu sert même de garant pour les vérités claires et distinctes.
Le «moment kantien» effectue un spectaculaire retournement: «Kant pense d’abord la finitude, ensuite
l’Absolu ou la divinité. En d’autres termes: la finitude, le simple fait que notre conscience soit toujours déjà
limités par un monde extérieur à elle, par un monde qu’elle n’a pas produit elle-même, est le fait premier,
celui dont il faut partir pour aborder toute les autres questions de la philosophie. […] C’est à partir de cette
finitude qu’il convient de penser Dieu ou l’Absolu, et non l’inverse.
Conséquence ultime de ce renversement:
– c’est la prétention à connaître l’Absolu, à démontrer par exemple l’existence de Dieu, qui se trouve
relativisée par rapport à l’affirmation initiale de la condition limitée de l’homme. […]
– la figure divine de l’Absolu est […] relativisée, rabaissée au rang d’une simple “Idée” dont la réalité
objective est à jamais indémontrable par les voies d’une quelconque théorie philosophique ou
scientifique.» (Ferry, Ibid., 11.2)
Note intercalaire sur l’argumentation de Ferry.
Luc Ferry, dans la préface de l’édition G-F de 1987 (ci-après notée «Fy, Préf» dans les références), regroupe
sous deux titres les caractéristiques les plus remarquables de la doctrine de CRPu:
a) la «conception de la nature des limites de la connaissance humaine» (Fy, Préf I.2) ou «théorie de la
finitude» (Fy, Préf XIV.2.1);
b) la théorie de l’objectivité de la connaissance.
Ferry divise sa préface en deux parties, chacune développant un de ces titres. Au moyen de la première
caractéristique se trouve expliquée la division d’ensemble de la CRPu, décrite alors comme une entreprise
d’invalidation des preuves métaphysiques de l’existence de Dieu. Le fondement de la démarche argumentative
kantienne est une théorie des rapports entre intuition, concept et Idée. Cette théorie répond au problème de l’accès à
22
T H È M E # 1. L A C R I T I Q U E D E L A R A I S O N P U R E E T S E S C O N T E X T E S
_____________________________________________________________________________________________
l’existence des objets que je veux ou prétends connaître: «Comment puis-je saisir le particulier, l’existence réelle, si
ce n’est par le concept? /¶/ La réponse de Kant tient en un mot: l’intuition.» (Fy, Préf III.2.m3-3.1)
– le concept ne donne pas accès à l’existence; c’est l’intuition qui donne accès à l’existence.
– la preuve ontologique (de l’existence de Dieu) est une tentative (avortée) d’accéder à l’existence de l’objet
individuel Dieu par une Idée; «l’idée serait (il faut employer le conditionnel puisqu’une telle opération
intellectuelle est pure illusion) la connaissance du particulier par concept et non par intuition. […] l’idée
serait le concept, si le concept pouvait pour ainsi dire déduire son extension de sa compréhension, si la
définition d’une propriété était telle qu’elle nous permettrait de saisir concrètement l’existence réelle.» (Fy,
Préf IV.f-V.1)
[Fin de la note intercalaire.]
—
Dans la tradition antérieure, il n’y a pas que la métaphysique. Kant prend modèle sur la physique
newtonienne pour concevoir la science de la nature et considère qu’elle est parvenue à énoncer des
propositions nécessaires et universelles qui appartiennent à la classe des jugements synthétiques a priori . La
doctrine kantienne veut rendre compte du succès de la science physique (contribuant par là à en promouvoir
l’autorité) et prétend assurer à une métaphysique convenablement limitée la même autorité.
RAPPORTS À LA TRADITION POSTÉRIEURE
Voir «Concept et Idée chez Kant et Hegel», Fiche no 11 de: Boulad-Ayoub, J., Fiches pour l’étude
de Kant, p. 95-113.
—
—
1.4.2
On peut considérer la doctrine kantienne de la connaissance comme le début de la tradition qui mènera à
Husserl et qu’on appelle volontiers aujourd’hui «philosophie transcendantale»; cependant les avatars
sémantiques de cette appellation doivent être examinés plus à fond. Il est douteux que les acceptions
kantienne et husserlienne de cette appellation soient identiques.
Plusieurs des jugements que Kant a portés sur les disciplines scientifiques n’ont pas reçu l’aval de l’histoire.
Autonomie de la morale eu égard au savoir (la science)
L’autonomie de la morale à l’égard du savoir dans les limites de l’usage pratique de la raison a la même force
et la même nécessité que la distinction entre usage spéculatif (théorique) et usage pratique de la raison. Dans le
kantisme, la certitude des principes a priori qui fondent la vie morale (l’affirmation de la liberté, par exemple) n’est
pas moins grande que celle des principes qui servent de fondements aux sciences de la nature; et ce, en dépit du fait
que les principes de la moralité ne soient aucunement des connaissances à valeur objective.
On trouvera dans la ‹Fiche 9. Positions pratiques› de Ayoub, 1990 un résumé des principales thèses
kantiennes qui constituent sa doctrine morale; ce résumé montre bien comment la Critique de la raison pure pose
déjà les principes qui seront appliqués dans les ouvrages subséquents: Fondements de la métaphysique des moeurs et
Critique de la raison pratique.
L’autonomie de la morale, selon le point de vue kantien, soulève un problème d’exégèse assez considérable,
celui de savoir dans quelle mesure (puis, éventuellement, en quel sens) la métaphysique des moeurs fait partie du
«système des connaissances de la raison pure», ou de la «philosophie transcendantale». Le problème est débattu par
Verneaux, comme je l’ai mentionné ci-dessus en §1.2.3.1, dans le contexte de la discussion sur les rapports entre la
critique et la philosophie transcendantale. Une formulation secondaire, dérivée du problème original, pourrait être:
en quel sens une thèse principale de la Critique de la raison pratique est-elle une «connaissance» de la raison pure
s’il est vrai qu’elle n’ait pas de valeur objective? En un sens, du fait qu’elle est identifiée, elle constitue une
découverte attribuable à la raison pure et, en ce sens, une connaissance produite par le métaphysicien; néanmoins,
elle n’est pas une connaissance des choses dont elle peut contenir l’Idée (des choses telles que le sujet humain libre,
l’être des êtres — Dieu —, le monde)…
23
T H È M E # 1. L A C R I T I Q U E D E L A R A I S O N P U R E E T S E S C O N T E X T E S
_____________________________________________________________________________________________
1.4.3
Autonomie de la Critique eu égard à l’expérience (et à l’histoire?)
Le caractère le plus audacieux de la Critique de la raison pure réside dans la méthode philosophique qu’elle
propose, plus exactement dans le type d’argumentation qu’elle invente, méthode et mode d’inférence qu’on qualifie
de «transcendantaux», en l’une des acceptions canoniques de ce terme. C’est l’affirmation de l’autonomie du
tribunal de la raison, dans les limites de la méthode transcendantale.
La raison doit se passer de l’expérience pour décréter sans appel que ses capacités de connaître (les pouvoirs
dont elle est dotée en son usage théorique, ou spéculatif) sont limitées à l’expérience possible.
Exemple de problème épistémologique aisément soulevé de nos jours, à propos d’une théorie forte comme
celle de Kant: le problème du lien entre les connaissances de la raison pure et la temporalité. Les jugements
synthétiques a priori que produit légitimement une métaphysique de la nature sont-ils révisables, modifiables? La
théorie de la science contenue dans la Critique de la raison pure est-elle compatible avec une physique qui connaît
des révolutions, qui a connu notamment une révision de la mécanique newtonienne par la théorie de la relativité, par
la mécanique quantique, etc.?
24
K
<> T h è m e # 2
<>
K
2 . L a Cr i t i q u e de la ra i s o n pu r e —
V u e d’ e n s e m b l e
2.
La Critique de la raison pure — Vue d’ensemble......................................................................................25
2.1
La problématique................................................................................................................................25
2.1.1.
La problématique de la CRPu présentée génétiquement............................................................26
2.1.2.
La problématique de la CRPu présentée systématiquement......................................................28
2.1.2.1.
Le problème principal et les objectifs tels qu’énoncés dans les préfaces......................... 28
2.1.2.2.
Synthèse............................................................................................................................33
2.2
La division générale de la CRPu ........................................................................................................34
2.2.1.
La CRPu en tant que thématique................................................................................................34
2.2.1.1.
Théorie des éléments / théorie de la méthode...................................................................34
2.2.1.2.
Esthétique et logique transcendantales............................................................................. 35
2.2.1.3.
Analytique et Dialectique.................................................................................................37
2.2.2.
Les principales oppositions conceptuelles.................................................................................40
2.2.2.1.
Connaissance de la raison pure // connaissance de la raison empirique........................... 40
2.2.2.2.
Usage théorique de la raison pure // usage pratique de la raison pure..............................42
2.1
La problématique
Le «problème critique» c’est le «problème de la représentation», ou encore: le «problème de l’objectivité de
la connaissance». Luc Ferry l’expose de façon saisissante dans la deuxième partie de sa «Préface», celle consacrée à
«la théorie kantienne de l’objectivité et la question des jugements synthétiques à priori» (Fy, Préf XIV-XIX). La
formulation du problème est la suivante, dans les termes qu’utilisait Kant en 1772: «…sur quel fondement repose le
rapport de ce qu’on nomme en nous représentation à l’objet» (Lettre à Marcus Herz du 21 février 1772. Voir:
KANT, Oeuvres philosophiques, Bibliothèque de la Pléiade.)
Il existe plusieurs formulations, selon les contextes, du problème central de la CRPu et on devrait pouvoir
saisir les liens entre elles au sortir de la présente section. En voici quelques-unes:
– ‘comment les jugements synthétiques a priori sont-ils possibles?‘ Et, plus spécifiquement:
• ‘comment les sciences mathématiques et physiques sont-elles possibles?’
• ‘comment la métaphysique est-elle possible?’
Ce sont les formulations que Kant utilise dans la préface à la deuxième édition de la CRPu.
– «Comment sauvegarder les droits de l’expérience scientifique et morale en soumettant l’esprit à l’examen
le plus sévère qui soit?» (BAy, FÉK 24.1)
– «tel est le problème critique: comment l’entendement peut-il dépasser ses concepts vers le sensible? en
d’autres termes comment des jugements synthétiques a priori (nécessaires) sont-ils possibles? La
déduction transcendantale et le schématisme transcendantal constitueront les réponses apportées à ce
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problème, qui une fois résolu permettra la théorie des principes, synthèses des intuitions et des concepts,
des formes de la sensibilité et des formes de l’entendement.» (Phi, OK I 98.1.10f)
2.1.1.
La problématique de la CRPu présentée génétiquement
La formulation du problème initial, dans la dissertation de 1770, et sa transformation
L’ouvrage publié en français sous le titre La Dissertation de 1770 a été composé par Kant en latin et publié
d’abord sous le titre De mundi sensibilis atque intelligibilis forma et principiis. Il a été traduit en allemand et publié
sous le titre Von der Form der Sinnen- und Verstandeswelt und ihren Gründen..
Voir «La dissertation de 1770», Fiche no 2 de: Boulad-Ayoub, J., Fiches pour l’étude de Kant,
p. 19-20.
Le problème initial est de trouver les principes qui rendent compte de la différence entre la connaissance
sensible et la connaissance intellectuelle. L’opposition entre «sensitive knowledge / intellectual knowledge», selon
la terminologie de Diss. 1770, est rendue par Copleston de la manière suivante :
«The distinction must be understood […] in terms of objects, the objects of sensitive knowledge
being sensible things, sensibilia, capable of affecting the sensibility (sensualitas) of the subject,
which is the latter’s receptivity or capacity for being affected by the presence of an object so as
to produce a representation of it.»
(Copleston, F., History of Phil., vol. 6, part I, 1964, p. 226-7)
Que veut dire Kant par connaissance intellectuelle et par monde intelligible ?
[…] intellectual or rational knowledge is knowledge of objects which do not affect the senses : that
is to say, it is knowledge, not of sensibilia, but of intelligibilia. And the latter together form the
intelligible world. Sensitive knowledge is knowledge of objects as they appear, that is, as subjected
to what Kant calls “the laws of sensibility”, namely the a priori conditions of space and time,
whereas intellectual knowledge is knowledge of things as they are (sicuti sunt ). [Réf.: Diss. 1770, 2,
4; éd. de l’Akademie: II, p. 292.] The empirical sciences come under the heading of sensitive
knowledge, while metaphysics is the prime example of intellectual knowledge.
(Ibid., p. 229)
On voit se profiler ici la notion d’essence des choses, coutumière à la métaphysique traditionnelle. Il fallait bien que
les choses fussent pensées en intension, c’est-à-dire en un concept, pour qu’on saisisse leur essence.
Question subsidiaire
La question de savoir si Kant a découvert le jugement esthétique tardivement, après avoir conçu la théorie du
jugement théorique (scientifique) et pratique. Copleston pense qu’il ne s’agit pas d’une découverte tardive et que
Kant concevait déjà, à l’époque de la lettre à Herz de juin 1771, l’articulation des trois grands thèmes qui donneront
lieu aux trois Critiques, bien qu’il pensât, à cette époque, pouvoir les traiter en un seul ouvrage dont le titre anticipé
serait Les limites de la sensibilité et de la raison [Die Grenzen der Sinnlichkeit und der Vernunft].
«He now proposes to undertake an investigation into the fundamental concepts and laws which
originate in the nature of the subject and which are applied to the experiential data of aesthetics,
metaphysics and morals. In other words, he proposes to cover in one volume the subjects which
proved in the end to need three, namely the three Critiques. […] And the range of inquiry is to cover
not only theoretical knowledge but also moral and aesthetic experience.» (Copleston, F., History of
Phil., vol. 6, part I, 1964, p. 234.2)
C’est dans le paragraphe subséquent que Copleston explicite le plan anticipé par Kant (dans la lettre de juin 1771 ou
ailleurs?) et appelé, dans ce passage, «the original plan»:
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_____________________________________________________________________________________________
According to his original plan the book would have consisted of two parts, one theoretical, the other
practical. The first part would have been subdivided into two sections, treating respectively of
general phenomenology and of metaphysics considered according to its nature and method. The
second part would also have consisted of two sections, dealing respectively with the general
principles ot the feeling of taste and with the ultimate grounds of morality.
(Copleston, F., History of Phil., vol. 6, part I, 1964, p. 235.1)
PLAN ANNONCÉ (1771?)
1. Partie théorique
1.1 Phénoménologie générale
Cette expression est déjà utilisée dans une lettre à Lambert, en sept. 1770, pour désigner une
science qui constituerait une «propédeutique à la métaphysique» et qui «mettrait au clair le
domaine de validité des principes de la connaissance sensible, prévenant ainsi l’application indue
de ces principes en métaphysique. » (Traduit de Copleston, F., History of Phil., vol. 6, part I, 1964,
233-234) L’expression semble donc désigner l’ensemble qui comprend l’Esthétique de CRPu et
l’Analytique de CRPu.
1.2 La métaphysique considérée selon sa nature et sa méthode
…donc, apparemment, ce qui deviendra la Dialectique et la Théorie de la méthode.
2. Partie pratique
2.1 Les principes généraux du sentiment de goût [«the feeling of taste»]
2.2 Les fondements de la moralité.
__________________________
Ce schéma est réduit, dans la description donnée par Kant en sa lettre à Herz de février 1772, car il n’y est
plus fait mention du sentiment de goût (item 2.1); et Kant songe à publier séparément (et dans «environ trois mois»)
la première des deux parties de l’ouvrage envisagé, à savoir celle consacrée aux principes de la connaissance
théorique.
L’abandon de la thèse selon laquelle les représentations intellectuelles nous donnent les choses telles qu’elles
sont en elles-mêmes.
Cet abandon d’une thèse encore soutenue dans la Dissertation (1770) est présenté par Copleston comme une
importante phase de l’élaboration de la solution critique. Le texte suivant, traduit par moi de Copleston, part de la
remarque faite par Kant dans la lettre à Herz de février 1772 et présente clairement les enjeux. Les passages en
caractères gras sont de moi.
Mais durant qu’il élaborait la première partie [de l’ouvrage projeté] Kant remarqua — confie-t-il à
Herz — qu’il manquait quelque chose d’essentiel, à savoir un traitement en profondeur de la relation
que les représentations (Vorstellungen) intellectuelles entretiennent avec les objets. Il convient de
commenter les remarques que faisaient Kant à ce sujet; car elles nous le montrent aux prises avec le
problème critique qui se posait à lui.
Nos représentations sensibles ne soulèvent pas de problème, pourvu toutefois qu’on
reconnaisse qu’elles résultent du fait que le sujet est affecté par l’objet. Certes, les objets sensibles
nous apparaissent d’une certaine manière plutôt qu’une autre parce que nous sommes ce que nous
sommes, c’est-à-dire en vertu des intuitions a priori de l’espace et du temps. Mais dans la
connaissance sensible la forme est appliquée à une matière qui est reçue passivement; notre
sensibilité est affectée par des choses extérieures à nous. La référence objective de nos
représentations sensibles ne pose donc pas de sérieux problème. Mais la situation est fort différente
en ce qui concerne les représentations intellectuelles. Pour le dire en langage abstrait, la conformité
objective du concept avec l’objet serait assurée si l’intellect produisait ses objets par le moyen de
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ses concepts; si, en d’autres termes, il créait les objets en les concevant ou les pensant. Mais seul
l’intellect divin est un intellect archétypal en ce sens. Nous ne pouvons supposer que l’intellect
humain crée ses objets du fait qu’il les pense. Kant n’a jamais admis l’idéalisme pur, pris en ce sens.
Cependant les concepts purs de l’entendement ne sont pas, d’après Kant, tirés de l’expérience
sensible. Les concepts purs de l’entendement doivent “avoir leur origine dans la nature de l’âme, et
l’ont pourtant de manière telle que ni ils ne sont causés par l’objet, ni ils ne font exister l’objet”
(Akademie, X, p. 130) Mais dans ce cas la question surgit immédiatement de savoir comment ces
concepts réfèrent aux objets et comment les objets se conforment aux concepts. Kant observe que
dans sa dissertation inaugurale il s’était contenté d’un traitement négatif de cette question. C’est-àdire qu’il s’était contenté de dire que “les représentations intellectuelles […] n’étaient pas des
modifications de l’âme dues à l’objet” (Ibid.), passant sous silence la question de savoir comment
ces représentations intellectuelles ou concepts purs de l’entendement réfèrent à des objets dès lors
qu’ils ne sont pas affectés par ces derniers.
Étant donné que Kant prend pour acquis que les concepts purs de l’entendement et les
axiomes de la raison pure ne sont pas dérivés de l’expérience, cette question est évidemment
pertinente. Et la seule manière d’y répondre, au bout du compte, si on doit maintenir ce qui est pris
pour acquis, sera d’abandonner l’affirmation faite dans la dissertation disant que les représentations
sensibles nous donnent les objets tels qu’il apparaissent tandis que les représentations intellectuelles
nous les donnent tels qu’ils sont; et d’affirmer plutôt que les concepts purs de l’entendement ont
pour fonction cognitive de poursuivre la synthèse des données de l’intuition sensible. En
somme, Kant va devoir soutenir que les concepts purs de l’entendement sont, en quelque sorte, des
formes subjectives au moyen desquelles nous concevons nécessairement (parce que l’esprit est ce
qu’il est) les données de l’intuition sensible. Les objets vont alors se conformer à nos concepts, et
nos concepts référer aux objets, parce que ces concepts sont des conditions a priori de la possibilité
des objets de la connaissance, remplissant ainsi une fonction analogue à celle des intuitions pures de
l’espace et du temps, bien que ce soit à un niveau supérieur, à savoir intellectuel. Autrement dit,
Kant sera en mesure de maintenir sa distinction nette entre le sens et l’entendement; mais il devra
renoncer à l’idée que, à la différence des représentations sensibles qui nous donnent les choses telles
qu’elles apparaissent, les représentations intellectuelles nous donnent les choses telles qu’elles sont
en elles-mêmes. En remplacement, on aura un processus ascendant de synthèse ayant pour effet
de constituer la réalité empirique. Les formes sensibles et intellectuelles du sujet humain restant
constantes, et les choses n’étant connaissables que dans la mesure où elles sont soumises à ces
formes, il y aura toujours conformité entre les objets et nos concepts.
(Copleston, F., History of Phil., vol. 6, part I, 1964, 235.1.10-236.2.f;
accentuation en gras due à NL)
2.1.2.
2.1.2.1.
La problématique de la CRPu présentée systématiquement
Le problème principal et les objectifs tels qu’énoncés dans les préfaces
EN TERMES DE RÉSUMÉ GUIDÉ PAR LA DÉMARCHE
(RÉSUMÉ À STRUCTURE-CALQUE, RÉSUMÉ LINÉAIRE)
La problématique dans la préface (1ère éd.)
– la raison a une tendance naturelle à poser certaines questions… ce qui a donné lieu à la métaphysique;
cette discipline a connu divers avatars
– l’indifférence dont la métaphysique est l’objet «est une mise en demeure adressée à la raison de
reprendre à nouveau la plus difficile de toutes ses tâches, celle de la connaissance de soi-même, et
d’instituer un tribunal qui…» (CRPu, Bar 31.1.69)
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•
la matière de la recherche entreprise (CRPu), en termes de «fins»: critiquer «le pouvoir de la raison en
général, [considérée] par rapport à toutes les connaissances auxquelles elle peut s’élever indépendamment de toute expérience; par conséquent la solution de la question de la possibilité ou de
l’impossibilité d’une métaphysique en général, et la détermination de ses sources, de son étendue et
de ses limites, tout cela suivant des principes.» (CRPu, Bar 31.2)
• la forme de la recherche entreprise (CRPu):
◊ la certitude (33.2). (K. y rappelle les deux «parties» [zwei Seiten] de la déduction des concepts
purs de l’entendement; et le procédé qui domine chacune (33.3) et la plus grande importance de
la première eu égard à la «question capitale» qui est «de savoir ce que l’entendement et la raison,
indépendamment de toute expérience, peuvent connaître, et non pas comment la faculté même de
penser [das V e r m ö g e n z u d e n k e n ] est possible.» (CRPu, Bar 33.3.4f) K. admet ici que
la déduction subjective n’est pas certaine, mais que ce fait ne doit pas nous faire douter de la
certitude de la déduction objective — la première.
◊ la clarté (34.2). Contient la précaution oratoire concernant le petit nombre d’exemples et
d’éclaircissements…
– la nouvelle conception de la métaphysique (35.2…); définie comme «l’inventaire, systématiquement
ordonné, de toutes les connaissances que nous devons à la raison pure» (CRPu, Bar 35.2.13-15), elle est
conçue comme survenant après la critique; il s’agira de dériver les concepts spécifiques, d’où l’insistance
sur le mot «inventaire» que Kant met en italique. Déclaration d’intention concernant la Métaphysique de
la nature.
Préface, 2e édition.
– «le travail auquel on se livre sur les connaissances qui sont [proprement l’oeuvre] de la raison» (CRPu,
Bar 37.1.1-2) n’est pas encore entré sur la voie sûre de la science.
Voir le schéma 1.
• contrairement à ce qui est arrivé à la logique… (37.2-38.2)
• (cas des sciences qui produisent une connaissance théorique) la mathématique a suivi la route sûre de
la science
• la physique arriva plus lentement à trouver la grande route de la science
• la métaphysique… (40.2-41.1)
– (transition: les questions…)
– (J’ai été amené à imiter les sciences qui ont réussi:) «Que l’on cherche donc une fois si nous ne serions
pas plus heureux dans les problèmes de métaphysique…» (CRPu, Bar 41.2.m5-42.1.3]
Voir le schéma 2.
• projet de solution pour «la première partie de la métaphysique, […] celle où l’on n’a affaire qu’à des
concepts a priori, dont les objets correspondants peuvent être donnés dans une expérience conforme à
ces concepts.» (CRPu, Bar 43.1.2-5)
[Transition.] Mais cette déduction de notre capacité de connaître a priori conduit, dans la première
partie de la métaphysique à un résultat étrange, et, en apparence, tout à fait contraire au but que
poursuit la seconde partie: c’est que…
• la même solution vaut pour la deuxième partie de la métaphysique, car elle nous permet d’expérimenter une argumentation à propos de l’inconditionné, argumentation qui fournit une contre-épreuve
du résultat déjà obtenu.
Note de traduction. «D’un autre côté, l’expérimentation nous fournit ici même une contre-épreuve
de la vérité du résultat…» Le mot de liaison «D’un autre côté» est très peu approprié. Le texte
allemand dit: «Aber hierin liegt eben das Experiment einer Gegenprobe der Wahrheit des Resultats
jener ersten Würdigung unserer Vernunfterkenntnis a priori, daß sie nämlich nur auf Erscheinungen
gehe, die Sache an sich selbst dagegen zwar als für sich wirklich, aber von uns unerkannt, liegen
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_____________________________________________________________________________________________
lasse.» Je traduis : «Mais cela nous fournit l’expérimentation d’une contre-épreuve de la vérité du
résultat qu’atteint cette première appréciation de notre faculté de connaître a priori, et cette
expérience repose justement sur le fait que ladite faculté n’atteint que des phénomènes…». Autre
formulation: «Mais c’est justement en cela que réside l’expérimentation d’une contre-épreuve…, à
savoir dans le fait même que ladite faculté n’atteint que des phénomènes…»
–
–
–
–
—
—
Ainsi le précédent projet de solution ouvre la porte au voeu de la métaphysique, qui est de pousser
«notre connaissance a priori au-delà de toute expérience possible, mais seulement au point de vue
pratique.» (44.1.m8-6)
Cette critique est un traité de méthode, et non un système de la science elle-même (45…) ni «un système
de métaphysique» (45.1.14)
Son utilité: la limitation de l’usage spéculatif de la raison a une utilité non seulement négative (eu égard à
la raison spéculative) mais également positive car elle lève l’obstacle qui menaçait de ramener l’usage
pratique (pur) de la raison à l’intérieur de la sensibilité et, partant, de l’anéantir. La critique assure la
raison pratique que la raison spéculative n’est pas en contradiction avec elle. (46)
• cela se montre en particulier par le fait que la critique donne le moyen d’affirmer sans contradiction
que l’âme humaine est libre et pourtant soumise à la nécessité physique, c’est-à-dire non-libre. C’est
la distinction entre l’âme comme objet d’expérience possible et l’âme comme chose en soi qui permet
de le faire. (47)
• Plus généralement, on peut concilier la morale et la physique en montrant comment la liberté se laisse
penser. (48.1.12-m10). De même pour les concepts de Dieu et de notre âme. «J’ai donc dû supprimer
le savoir pour lui substituer la croyance.» (CRPu, Bar 49.1.4-5)
Voir le schéma 3.
Reprise de l’idée d’utilité: pour les intérêts humains, contre le monopole des écoles.
La critique s’oppose au dogmatisme, aussi bien qu’au scepticisme.
SCHÉMA 1
connaissance théorique fournie par la raison: cette connaissance. se rapporte à son objet en le déterminant, lui
et son concept (lequel doit être donné par ailleurs)
• partie pure de la connaissance. (où la raison détermine son objet a priori)
◊ la mathématique doit déterminer a priori son objet.
◊ la physique détermine son objet en partie a priori.
• partie empirique. [Ce terme ne figure cependant pas dans la construction du ¶38.3]
connaissance pratique fournie par la raison: il s’agit de réaliser <wirklich zu machen> l’objet.
• partie pure
• partie empirique
SCHÉMA 2
a)
–
–
b)
–
–
–
niveau de l’intuition
il s’agit de savoir qqch a priori concernant l’intuition
je peux le concevoir si les objets se règlent sur la nature de notre faculté intuitive
niveau des connaissances
(prémisse) il faut que je rapporte les intuitions «en tant que représentations, à quelque chose qui en soit l’objet
et que je détermine par leur moyen» (CRPu, Bar 42.1.18-20)
j’opère cette détermination au moyen de concepts
si «les objets ou, ce qui revient au même, l’ expérience dans laquelle seule ils sont connus (comme objets
donnés) se règle sur ces concepts» (42.2.25-27) je peux obtenir une connaissance a priori.
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SCHÉMA 3
Faculté de l’âme (non
spécifique)
Faculté responsable
(opérante)
Ce dont la critique
rend compte
Connaissances pures que la
critique produit
Faculté de connaître
Entendement
Le savoir; les sciences
Théorie du jugement théorique
Faculté de désirer
Volonté
La croyance, la foi.
Théorie du jugement pratique
Sentiment de plaisir
Faculté de juger
(= entendement en son
usage réfléchissant)
Le sentiment du beau
Théorie du jugement esthétique
& du jugement téléologique.
EN TERMES D’UNE ANALYSE PROBLÉMATOLOGIQUE SELON LES CATÉGORIES
‘OBJET INTERROGÉ’, ‘OBJET DEMANDÉ’
Toute formulation d’un problème comporte minimalement des indications qui spécifient ce qui est interrogé
(ce à propos de quoi le problème est posé) et ce qui est cherché. Appliquant ces deux catégories au texte de
l’introduction de la préface à la seconde édition de la Critique de la raison pure, je dégagerai ce que Kant interroge
et ce qu’il en veut savoir.
A.
B.
Réponse la plus directe mais aussi la plus générale
Réponse 1. Kant INTERROGE les «connaissances qui sont [proprement l’oeuvre] de la raison» (37.1), «la
connaissance de la raison [ou connaissance rationnelle]» (38.2), et CHERCHE leurs conditions de
possibilité. Plus concrètement ces connaissances, en prenant le mot au sens large (non seulement
théorique) sont: les propositions des sciences (logique, mathématiques, physique newtonienne) qui
ont un statut de principe ou de loi et les propositions qui affirment la «réalité du devoir, comme
fondement de la vie morale» (BAy, FÉK 23.1). Ce sont pour Kant, les «certitudes premières» (ibid.)
qui sont données avec la position du problème. Mais les propositions de la logique ont un statut a
part: elles sont analytiques, et ne sont donc pas incluses dans l’objet interrogé, lorsque le problème
est formulé en termes de jugements synthétiques a priori.
Les connaissances en question, nous explique Kant (dans les sections I, II et III de l’Introduction),
sont a priori.
Dès ce niveau de généralité, sont introduites par Kant des distinctions qu’on pourrait développer ici
pour offrir une réponse plus élaborée:
— connaissance théorique vs connaissance pratique (38.3); connaissance pratique (44.1);
connaissance théorique (48.1.36);
— connaissance analytique a priori vs connaissance synthétique a priori (73.1.14-15).
Réponses plus spécifiques
B.1
Les connaissances de la raison pure sont considérées en soi, comme produit intellectuel d’une
certaine sorte.
B.1.1 La sorte est déterminée d’après des propriétés logiques ou épistémologiques
Réponse 2. Kant INTERROGE les jugements synthétiques a priori et DEMANDE leurs conditions
de possibilité. La QUESTION kantienne qui réunit les deux termes est:
Comment des jugements synthétiques a priori sont-ils possibles? VARIANTES: Comment
des jugements peuvent-ils être à la fois synthétiques et a priori? Comment quelque chose
peut-il être un jugement synthétique a priori ? Comment les propositions exprimées par des
énoncés théoriques tels que «Tout événement a une cause» peuvent-elles être à la fois
indépendantes de l’expérience et porteuses d’une connaissance sur les objets d’expérience?
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Note: L’idée qu’il faille qu’il y ait telle chose que des jugements synthétiques a priori
semble être donnée dans le problème de départ. Mais si on considère que l’idée de jugement
synthétique a priori fait partie de la solution au problème, on peut éviter de mentionner ce
concept dans la formulation de la question et dire plutôt:
«comment expliquer la nécessité (et l’universalité) de principes qui ne sont ni
évidents ni tautologiques, mais qui sont néanmoins au fondement des
“sciences” ?»
le problème de la Critique de la raison pure est un sous-problème du problème de Hume.
(Fin de la note.)
B.1.2 La sorte est déterminée comme classe de contenus disciplinaires, à savoir:
a)
la classe des connaissances pures appartenant à la mathématique et à la physique, depuis
que ces disciplines se sont engagées «sur la voie sûre de la science»;
b)
la classe des connaissances pures appartenant à la métaphysique dogmatique (produite
jusqu’ici) et à une métaphysique scientifique à venir (que Kant se propose de fournir, après
avoir complété son travail strictement critique).
Réponse 3.1. Kant INTERROGE la mathématique et la physique dans leur partie pure (c’est-à-dire
les jugements synthétiques a priori contenus dans ces sciences) et DEMANDE leurs
conditions de possibilité.
Réponse 3.2. Kant INTERROGE la métaphysique dogmatique et DEMANDE ses conditions de
possibilité.
La question des conditions de possibilité de la métaphysique dogmatique se formule au
passé puisqu’il s’agit d’expliquer un fait déjà arrivé, à savoir le caractère erroné (ou
trompeur) de la métaphysique existante: «Comment la métaphysique dogmatique a-t-elle
été possible?» VARIANTES: quelle est sa légitimité? quel a été son fonctionnement et
pourquoi a-t-elle fonctionné ainsi?
Note: C’est à cette question que va répondre la dialectique transcendantale considérée
comme théorie de l’apparence transcendantale.
Réponse 3.3. Kant INTERROGE la métaphysique en tant que produit post-critique et DEMANDE si
elle est possible, et quelles sont ses conditions de possibilité.
La question correspondante est: «Comment la métaphysique est-elle possible à titre de
science?» (Introduction à la Critique de la raison pure, section VI, 71.2)
B.2
C.
Les connaissances de la raison pure sont rapportées à la raison pure comme à leur agent, au lieu
d’être considérées en elles-mêmes. En d’autres mots, les connaissances de la raison pure sont
conçues ici comme propriétés du sujet ou comme propriétés de l’activité du sujet au lieu d’être
conçues comme produits du sujet.
Réponse 4. Kant INTERROGE la raison pure, au sens général de «ensemble du pouvoir de
produire des connaissances pures» et DEMANDE quelles sont ses conditions d’exercice, ses
limites… (Noter que «conditions d’exercice» n’est pas synonyme de «condition de
possibilité».) VARIANTE de la formulation de l’objet demandé: canon de la raison pure.
Articulation des diverses questions
La question qui démontre à la fois que l’objet interrogé est un certain produit du sujet et le sujet lui-même
pourrait être formulée de la manière suivante:
QI Comment faut-il que soient les pouvoirs de la connaissance pour que les jugements synthétiques a priori
et les parties pures de la mathématique et de la physique respectivement soient possibles?
Cette formulation QI montre également l’articulation entre les deux questions:
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–
(Q1) quelles sont les conditions de possibilité des jugements synthétiques a priori? laquelle a pour
réponse:
c’est une certaine constitution du sujet (en tant que capable de connaître et penser).
–
(Q2) quelle est ladite constitution? laquelle a pour réponse:
c’est l’organisation sensibilité-entendement-raison avec tous les concepts et principes purs
que décrit la Critique de la raison pure.
Comme on doit trouver la réponse à Q2 pour compléter le traitement de Q1 et comprendre sa réponse il
s’ensuit que, dans une hiérarchie logique des problèmes, Q2 est un problème dérivé de Q1.
RELATIONS ENTRE LES OBJETS INTERROGÉS ET LES OBJETS DEMANDÉS
a)
Quand l’objet interrogé est la connaissance pure, en tant que produit, l’objet cherché est le sujet, en
tant que condition de la possibilité du produit.
Relc-p (connaissance, sujet)
où le symbole «Relc-p» indique la relation de condition de possibilité.
b)
Quand l’objet interrogé est le sujet, en tant que pouvoir de connaissance pure, l’objet cherché est sa
constitution, en tant que règle et limite du sujet:
Const (Sujet)
où le symbole «Const» indique le prédicat (la propriété) «avoir la constitution C». La relation entre
l’objet interrogé et l’objet demandé est ici une relation de prédication. On pourrait peut-être aussi
représenter la forme du problème par une relation de définition
Sujet = df Constitution S-E-R.
Note concernant les objets de la problématique kantienne qui sont posés dans la dimension historique.
Dans la Réponse 3, l’objet INTERROGÉ est posé sous la catégorie de produit; c’est à cette catégorie qu’on se
réfère pour faire observer le côté par lequel l’oeuvre de Kant est marquée historiquement (physique de
Newton, géométrie euclidienne, conception de la scientificité de la logique, etc.).
Mais l’objet DEMANDÉ est posé sous la catégorie d’agent, c’est-à-dire : «constitution du sujet de la
connaissance». Cette constitution est conçue comme fixe, par opposition à: évoluant avec le temps historique,
et comme connaissable a priori (postulat du rationalisme, peut-être aussi de toutes les traditions
philosophiques européennes qu’on peut recenser en 1780…).
2.1.2.2.
Synthèse
La différence entre représentation sensible et représentation intellectuelle est déjà perceptible au
niveau de l’entrée en discursivité: par exemple la différence entre l’expérience de la table
individuelle par l’oeil et le toucher, d’une part, et les formulations verbales de jugements à propos
de la table: «il y a deux grandeurs de tables dans cette pièce», ou: «cette table est poussiéreuse».
La question de l’objectivité ou de la vérité des jugements se pose pour tous les jugements mais se
pose d’une façon plus problématique lorsque le concept utilisé réfère à un objet qui n’existe peutêtre pas (p. ex. Dieu, l’âme, l’univers en tant qu’objet unique considéré comme totalité, le photon,
etc.) ou que l’état de choses auquel le jugement réfère n’existe peut-être pas (p. ex. le fait que Jojo
soit coupable, le fait que Lili comprenne, etc.) Et le problème devient plus urgent lorsque l’état de
fait auquel réfère le jugement n’est pas singulier mais lui-même très conceptualisé, «généralisé»
sur un grand nombre de cas particuliers (p. ex. La force exercée par un corps en mouvement est
égale à la masse de ce corps multipliée par sa vitesse.»)
Comme le concept au moyen duquel on pense n’est ni nécessairement lié à l’existence de l’objet et
qu’il n’est pas, non plus, directement lié à l’existence l’objet quand il l’est, la question de savoir
quand il l’est et ne l’est pas est importante, et la question de savoir s’il l’est encore dans les cas les
plus problématiques — ceux des énoncés encore plus généraux que les généralisés, à savoir les
énoncés a priori, a des enjeux encore plus grands.
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2.2
La division générale de la CRPu
Voir «La Critique de la raison pure – Plan», Fiche no 4 de: Boulad-Ayoub, J., Fiches pour l’étude
de Kant, p. 35-36. Cette fiche dégage les principales parties de la Critique de la raison pure
(jusqu’au cinquième niveau d’articulation pour la partie centrale) et explicite en deux ou trois lignes
leur contenu.
2.2.1.
2.2.1.1.
La CRPu en tant que thématique
Théorie des éléments / théorie de la méthode
Le terme «éléments» s’entend ici de deux façons:
– en contexte métadiscursif, il désigne les principes d’une discipline ou d’une théorie, voire, parfois, les
principes premiers (non dérivés). C’est en ce sens qu’on parle des Éléments de la géométrie; et que la
tradition nous parle des Éléments d’Euclide. C’est en ce sens que Kant désigne les éléments de la
Critique métaphoriquement comme les «matériaux» de cette discipline par opposition à sa méthode et à
son plan:
«nous avons évalué les matériaux…» / «À présent il s’agit moins des matériaux que du plan»
(CRPu, Bar 541.1)
dans le contexte du discours théorique lui-même, le terme «éléments» désigne les éléments fondamentaux du jugement théorique et du jugement pratique. Dans le premier cas, ce sont les formes de
l’intuition, les concepts purs de l’entendement ainsi que les principes de l’entendement; dans le deuxième
cas, c’est la loi morale.
Les sections 2.2.1.2 et 2.2.1.3, ci-dessous détaillent amplement quels sont ces éléments, en ce qui concerne la
Critique de la raison pure. C’est plutôt la méthode qu’il convient ici de détailler pour voir comment elle se distingue
des éléments.
«J’entends donc par méthodologie transcendantale…» (CRPu, Bar 541.2.1-3)
Il y aura 4 parties: discipline, canon, architectonique, histoire. Rappelons les deux premières seulement.
A. La discipline de la raison pure.
définition: 545.3
§1 Discipline de la RPu dans l’usage dogmatique.
Dans cette section, il s’agit de prévenir la raison de ne pas confondre son usage par concepts (en
philosophie) et son usage par construction de concepts (en mathématique) — CRPu, Bar 554.1
et de lui apprendre à distinguer entre l’établissement de principes directement par concepts et
indirectement par le rapport de ces concepts à quelque chose de tout à fait contingent, c’est-à-dire
l’expérience possible.
Conclusion: 562.2
§2 Discipline de la RPu par rapport à son usage polémique
• définition de «usage polémique» 563.4
• Il s’agit de prévenir la raison contre les erreurs sceptiques
§3 Discipline de la RPu par rapport aux hypothèses
• Exemple d’injonction: 580.2
§4 Discipline de la RPu par rapport à ses démonstrations
• Exemple d’injonction: 587.1.1-9
• il s’agit de demander à la raison de respecter les principes de la déduction transcendantale.
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B. Le canon de la RPu dans son usage pratique
définition: 598.1
• Expose comment les suppositions concernant l’existence de Dieu et d’un monde futur sont les
conditions de la possibilité de l’expérience morale.
Il s’agit de répondre à la question: si je fais ce que je dois, puis-je espérer participer au bonheur?
(CRPu, Bar 605.2-3)
• La troisième section du ««Canon…», intitulée «De l’opinion, du savoir et de la foi», précise le statut
des «convictions» auxquelles conduit le raisonnement fait par la RPu. Le résumé peut être donné
dans le texte : «[…] la foi purement doctrinale […] que je ne crains de me voir jamais dépouillé de ce
sentiment.» (CRPu, Bar 615.3-616.2)
2.2.1.2.
Esthétique et logique transcendantales
Grosso modo, il s’agit de la théorie transcendantale de la sensibilité et de la théorie transcendantale de
l’entendement; mais Kant n’emploie qu’une fois la première expression, et jamais la seconde. Le passage introductif
de l’Esthétique transcendantale énonce clairement le rapport entre esthétique et logique:
J’appelle esthétique transcendantale la science de tous les principes a priori de la sensibilité.
C’est donc cette science qui doit former la première partie de la théorie transcendantale des
éléments, par opposition à celle qui contient les principes de la pensée pure et qui se nommera
logique transcendantale.
(CRPu, Bar 82.3)
On retrouve dans cette articulation l’opposition entre le rapport à l’objet par l’intuition et le rapport à l’objet
par la pensée. Le tout début de la Logique transcendantale contient un énoncé tout aussi clair de la même
articulation:
L’entendement ne peut avoir l’intuition de rien, ni les sens rien penser. La connaissance ne peut
résulter que de leur union. Il ne faut pas cependant confondre leurs rôles, et l’on a au contraire
grandement raison de les séparer et de les distinguer avec soin. Aussi distinguons-nous la science
des règles de la sensibilité en général, ou l’Esthétique, de la science des règles de l’entendement en
général, ou de la Logique.
(CRPu, Bar 110.1.9f; ‹section I. De la logique en général›
de l’‹Introduction. Idée d’une logique transcendantale› )
A. Esthétique.
– La racine du mot «esthétique» est le mot grec αισθησις, qui signifie «sensation». La tournure
suivante rappelle l’étymologie grecque: «toute intuition possible pour nous est sensible
(esthétique).» (CRPu, Bar 163.1.4-5)
– Kant reconnaît que Baumgarten utilise ce mot avec le sens de «critique du Beau», et que c’est donc
un sens différent du sien. Mais il estime que cela ne fait rien car
• «les Allemands sont les seuls qui se soient servis jusqu’ici du mot esthétique pour désigner ce
que les autres appellent la critique du goût»
• et cette dénomination se fonde sur une fausse espérance: «soumettre le jugement critique du
beau à des principes rationnels, et […] en élever les règles à la hauteur d’une science» (CRPu,
Bar 82n}
– Dans la première édition Kant suggère d’abandonner l’usage du terme au sens de Baumgarten et de
le réserver à la théorie «qui est une véritable science», en quoi on se rapprocherait alors du langage
des Anciens…
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Dans la 2e édition, in introduit une alternative: «Um deswillen ist es ratsam, […] entweder […] oder
sich in die Benennung mit des spekulativen Philosophie zu teilen und die Ästhetik teils im
transzendentalen Sinne, teils in psychologischer Bedeutung zu nehmen» (Wei III, 70n)
ce qui veut dire: «de partager avec la philosophie spéculative la dénomination [qu’on utilise déjà au
sens de critique du goût]». Les sujets de «eingehen lassen» et de «sich zu teilen» sont dans les deux
cas Baumgarten et ses émules allemands. (Note: Je ne suis pas d’accord avec Verneaux qui affirme
«Kant emprunte donc le terme à Baumgarten, mais il en change le sens». Kant, je dirais, emprunte le
terme aux Anciens, malgré l’usage déviant qu’en fait Baumgarten à son époque.)
– Cependant l’Occident adoptera le sens de Baumgarten; Kant lui-même a fini par le faire dans la CFJ
(1790).
B. Logique
– Par opposition à l’esthétique — laquelle s’occupe des principes a priori de la connaissance sensible
en tant que «science des règles de la sensibilité en général» (CRPu, Bar 110.1.17-18) —
la logique s’occupe de la pensée. Au départ, la logique, en général, est définie comme «science des
règles de l’entendement en général» (CRPu, Bar 110.1.19). Mais des précisions sont apportées pour
définir la logique transcendantale, laquelle
• considère la pensée dans son rapport à des objets, en tant que ce rapport est a priori
• se distingue de la logique générale ou formelle qui étudie la forme de la pensée abstraction faite
de tout contenu et qui ne s’occupe que de la cohérence.
– Remarque sur l’expression «théorie transcendantale de l’entendement»:
• Kant ne l’emploie pas; probablement une raison pour cela est que cette partie de la CRPu doit
être aussi celle qui explique la différence entre la raison et l’entendement et également celle qui,
compte tenu de cette différence, doit faire la théorie transcendantale de l’usage illégitime de la
raison pure.
• Kant utilise par contre l’expression «une science de l’entendement pur et de la connaissance
rationnelle par laquelle nous pensons des objets tout à fait a priori.» (CRPu, Bar 113.2)
SCHÉMA
Logique
—
comme logique «de l’usage particulier de l’entendement» = organon de telle ou telle science; cette logique
«contient les règles qui servent à penser exactement sur une certaine espèce d’objets.» (CRPu, Bar 111.2.910)
—
comme «logique de l’usage de l’entendement en général»: «logique élémentaire», «logique générale»; elle
«contient les règles absolument nécessaires de la pensée, sans lesquelles il n’y a aucun usage possible de
l’entendement, et par conséquent elle envisage cette faculté indépendamment de la diversité des objets
auxquels elle peut s’appliquer.» (CRPu, Bar 110.2.4-8) Elle «fait abstraction […] de tout contenu de la
connaissance, c’est-à-dire de tout rapport de la connaissance à l’objet, et elle n’envisage que la forme logique
des connaissances dans leurs rapports entre elles, c’est-à-dire la forme de la pensée en général.» (CRPu, Bar
112.2.1-5; début de «II. De la logique transcendantale»)
• pure: «Une logique générale mais pure ne s’occupe […] que des principes a priori: elle est un canon de
l’entendement et de la raison, mais seulement par rapport à ce qu’il y a de formel dans leur usage, quel
qu’en soit d’ailleurs le contenu (qu’il soit empirique ou transcendantal).» (CRPu, Bar 111.1.9-14) «
• appliquée: «elle a pour objet les règles de l’usage de l’entendement sous les conditions subjectives et
empiriques que nous enseigne la psychologie. Elle a donc [aussi] des principes empiriques, bien qu’elle
soit générale à ce titre qu’elle considère l’usage de l’entendement sans distinction d’objet. Aussi n’estelle ni un canon de l’entendement en général, ni un organon de sciences particulières, mais seulement un
catharticon de l’entendement humain. (CRPu, Bar 111.1.9f)
—
logique transcendantale, en laquelle on ne fait pas abstraction de tout contenu (puisque l’on s’occupe de
l’origine des contenus et pas seulement de leur forme); cette logique est pure (donc non appliquée), s’occupe
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des contenus (donc non générale), et seulement des contenus de pensée a priori. C’est une logique pure de
l’entendement pur.
(Fin du schéma.)
2.2.1.3.
Analytique et Dialectique
A. Analytique
– d’abord par rapport à la logique générale, c’est-à-dire comme partie de la logique générale
«[…] la logique générale décompose toute l’oeuvre formelle de l’entendement et de la raison dans
ses éléments et elle les présente comme les principes de toute appréciation logique de notre
connaissance. Cette partie de la logique peut donc être nommée analytique […]» (CRPu, Bar
115.2.1-5).
– ensuite, spécifiquement comme partie de la logique transcendantale
« [partie] qui expose les éléments de la connaissance pure de l’entendement et les principes sans
lesquels aucun objet en général ne peut être pensé.» (CRPu, Bar 116.3)
B. Dialectique
– sens de dialectique en logique générale
• «la logique générale, prise aussi pour organon [et non seulement pour canon de l’entendement],
prend le nom de dialectique.» (CRPu, Bar 115.2.fin). Pour les Anciens, c’était un art sophistique,
une logique de l’apparence.
– sens de dialectique en logique transcendantale
• Premier sens. «Il y a donc une dialectique de la raison pure naturelle et inévitable » (CRPu, Bar
305.3.2f), c’est-à-dire
- il y a l’apparence transcendantale
- il y a notre tendance à raisonner faussement
- il y a «dans notre raison (considérée subjectivement comme un pouvoir de connaissance de
l’homme) des règles et des maximes fondamentales de son application, qui ont tout à fait
l’apparence de principes objectifs et font que la nécessité subjective d’une certaine liaison de
concepts en nous, exigée par l’entendement, passe pour une nécessité objective de la
détermination des choses en soi.» (CRPu, Bar 305.2.10-17)
- il y a en nous une logique de l’apparence, pour ainsi dire, un peu comme on parle d’une logique
du pire, d’une logique paranoïde, d’une logique du double bind, etc.
• Deuxième sens. Dialectique = étude de l’apparence transcendantale.
- «La dialectique transcendantale se contentera donc de découvrir l’apparence des jugements
transcendants et en même temps d’empêcher qu’elle ne nous trompe.» (CRPu, Bar 305.3.1-3)
- «si l’on a appliqué le nom de dialectique à la logique, c’est en ce sens qu’elle est une critique de
l’apparence dialectique, et c’est en ce sens aussi que nous le voudrions voir pris ici.» (CRPu,
Bar 116.2)
C. Concernant la distinction entre organon et canon.
– «Canon» dans CRPu (Méthodologie, Ch. II; CRPu, Bar 598.1)
- s’oppose à «discipline»: «Il n’y a […] pas de canon de l’usage spéculatif de la raison (car cet usage
est entièrement dialectique), mais toute logique transcendantale n’est à cet égard que discipline.»
(CRPu, Bar 598.1.m8-5) Cependant, le terme «discipline» est du même côté que «canon» lorsqu’on
l’oppose à «organon»; voir l’opposition canon-organon ci-dessous.
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-
–
«J’entends par canon l’ensemble des principes a priori du légitime usage de certaines facultés de
connaître en général.» (CRPu, Bar 598.1)
- les exemples donnés par Kant sont: 1° «la logique générale dans sa partie analytique est un canon
pour l’entendement et la raison en général, mais seulement quant à la forme, car elle fait abstraction
de tout contenu. [2° Ainsi] l’analytique transcendantale était le canon de l’entendement pur; car il est
seul capable de véritables connaissances synthétiques a priori. Mais là où il ne peut y avoir d’usage
légitime d’une faculté de connaître il n’y a point de canon.» (CRPu, Bar 598.1)
«Canon» dans Logik (Introd., §1)
- s’oppose à organon; on voit Kant utiliser cette opposition dans le passage suivant du début du
chapitre sur le «Canon de la raison pure» (Chap. II de la «Méthodologie de la raison pure»): «La
plus grande et peut-être la seule utilité de toute philosophie de la raison pure est donc purement
négative; car elle n’est pas un organe qui serve à étendre nos connaissances, mais une discipline qui
en détermine les limites, et, au lieu de découvrir la vérité, elle a le modeste mérite de prévenir
l’erreur.» (CRPu, Bar 597.1.6f)
- «la logique n’est pas un Organon des sciences, comme le sont par exemple les mathématiques, parce
qu’elle ne fournit pas d’indication <Anweisung> sur la manière d’atteindre certaines connaissances
et d’élargir le domaine des vérités scientifiques; elle en est seulement un canon, en tant qu’elle
formule les lois nécessaires que la pensée doit respecter, et vérifie si l’entendement, dans ses
applications, est resté d’accord avec lui-même. Elle est, dit-il “eine allgemeine Vernunftkunst
(canonica Epicuri)”. (Logik, éd. Kirchman, p. 14) » (LALANDE, André, Vocabulaire de la
philosophie, 1960, p. 119, bas de page.)
D. Implications conceptuelles de la division en Analytique et Dialectique.
– D1. L’INDIFFÉRENCIATION INITIALE ENTRE ENTENDEMENT ET RAISON
• Voici un certain nombre d’occurrences de références à la raison dans l’Introduction à la logique
transcendantale
1) [la logique, comme organon de telle ou telle science] «est ordinairement présentée dans les
écoles comme la propédeutique des sciences; mais, dans le développement de la raison humaine,
on n’y arrive qu’en dernier lieu […] » (CRPu, Bar 110.2)
2) «Une logique générale mais pure […] est un canon de l’entendement et de la raison, mais
seulement par rapport à ce qu’il y a de formel dans leur usage, quel qu’en soit d’ailleurs le
contenu (qu’il soit empirique ou transcendantal).» (CRPu, Bar 111.1)
[partie de la logique générale qui doit former la] «théorie pure de la raison» (CRPu, Bar
111.2.2)
3) «nous nous faisons d’avance l’idée d’une science de l’entendement pur et de la connaissance
rationnelle par laquelle nous pensons des objets tout à fait a priori.» (CRPu, Bar 113.2)
«en même temps qu’elle n’aurait affaire qu’aux lois de l’entendement et de la raison, elle ne se
rapporterait qu’à des objets a priori, et non, comme la logique générale, aux connaissances
empiriques ou pures sans distinction.» (CRPu, Bar 113.2.5f)
4) «le critère simplement logique de la vérité, à savoir l’accord d’une connaissance avec les lois
universelles et formelles de l’entendement et de la raison» (CRPu, Bar 115.1.1-3)
5) «l’oeuvre formelle de l’entendement et de la raison» (CRPu, Bar 115.2.1-2). NOTE: c’est dans
ce passage qu’est introduite la distinction entre analytique et dialectique.
6) Kant introduit l’idée de l’usage abusif (logique utilisée comme organon) en parlant d’usage «de
l’entendement» (CRPu, Bar 117.1) : «[…] c’est alors que l’usage de l’entendement pur serait
dialectique.»
la dialectique est entendue comme «critique de l’entendement et de la raison dans leur usage
hyperphysique […] ». (CRPu, Bar 117.1.21-22)
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T H È M E # 2 . LE « P R O B L È M E G É N É R A L D E L A R A I S O N P U R E» . L E S D I V I S I O N S.
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•
–
D2. LA RAISON, AU SENS RESTREINT, APRÈS LA DIFFÉRENCIATION ENTRE ENTENDEMENT ET
RAISON
•
–
La conclusion de ce relevé d’occurrences: dans l’introduction à la logique transcendantale
◊ le terme «raison pure» n’est pas utilisé.
◊ le terme «raison» a son sens large et non son sens étroit partiellement (ou potentiellement)
péjoratif.
◊ «entendement» et «raison» sont indifférenciés et décrits comme ayant ensemble un usage
légitime et un usage abusif.
◊ l’accent est mis exclusivement sur l’entendement lorsqu’il s’agit de préciser le thème de
l’analytique transcendantale. Voir CRPu, Bar 116.3.1-5 et 116.3.10-14.
Dans l’usage indifférencié, l’emploi de «raison» se justifie par référence à l’expression «les
connaissances rationnelles» (spécialement dans la tradition du rationalisme classique) connotant
connaissances a priori;
et l’emploi de «entendement» se justifie par référence à la faculté de produire des concepts
(spécialement l’intellectus dans la scolastique et le rationalisme classique) et connote la synthèse.
«Kant entend aussi par Vernunft, en un sens […] qui lui est spécial, la faculté de penser supérieure à
laquelle nous devons les Idées de l’Âme, du Monde et de Dieu. (CRPu, Dialectique transcendantale,
Introd., §II et aussi Livre I, section I.) La Raison, dans ce cas, ne s’oppose plus à l’expérience mais à
l’entendement (Verstand). Ainsi entendue, elle a aussi son usage pratique spécial: c’est d’elle que
relèvent les idées de liberté, d’immortalité et de Dieu, en tant que postulats moraux.» (Article
«Raison» dans: LALANDE, André, Vocabulaire…, 8e édition, 1960, p. 886a et b)
Relire le beau texte, très éclairant, de J. Lachelier, sur l’unité et la différenciation des deux concepts
entendement et raison: «Le concept […] est, chez Kant, l’acte par lequel nous posons, derrière le
voile du temps et de l’espace, l’être propre, l’idée de chaque chose. Il serait l’acte propre de la
Raison, s’il était, en même temps, intuition de cet être […] Mais il ne saisit rien et il est vide: alors il
se remplit comme il peut [… schème, …image…]. Il devient ainsi concept dans le sens vulgaire du
mot, simple unité extérieure et accidentelle du divers de l’intuition sensible, et la raison devient
entendement.» (Article «Raison» dans: LALANDE, André, Vocabulaire…, 8e édition, 1960, p. 881,
bas de page). Au départ de ce scénario, la Vernunft serait «le νους de Platon» et l’intellectus de saint
Thomas…
D3. SPÉCIFICITÉ DE L’OPPOSITION KANTIENNE ENTRE ANALYTIQUE ET DIALECTIQUE
• Pour Aristote
◊ les Analytiques exposaient la logique du raisonnement démonstratif (scientifique)
◊ les Topiques contenaient entre autres, la logique du raisonnement probable. À cette logique était
donné le nom «dialectique».
Donc l’opposition est ici entre démonstratif et probable.
• Pour Kant,
◊ l’Analytique expose les concepts et les principes sans lesquels aucun objet ne peut être pensé, de
même que les conditions de l’usage de ces concepts et principes.
◊ la Dialectique expose
¤ le fait que les conditions sont parfois enfreintes; —diagnostic
¤ les raisons de ce fait (l’apparence transcendantale)
¤ les conséquences que cette infraction engendre: le conflit de la Raison pure.
Donc l’opposition est ici entre pensée avec contenu et pensée sans contenu.
• Mise en garde: «Dialectique» n’est pas à prendre dans le sens platonicien; ni dans le sens hégélien
(repris par Marx).
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•
2.2.2.
2.2.2.1.
Et comment arrive-t-on à incriminer plus spécifiquement la raison?
C’est bien de l’usage de l’entendement qu’il s’agit: usage illégitime parce que le jugement (= l’acte
de l’entendement) dépasse l’expérience possible. Mais Kant a un excellent motif d’incriminer plus
spécifiquement la raison dans l’explication qu’il fournit de cette «extravagance»; car c’est au cours
du processus du raisonnement que s’effectue la remontée vers l’inconditionné (non pas dans le
jugement isolé, mais dans la suite des jugements) et c’est bien à la raison que l’on attribue le
raisonnement, dans toute la tradition philosophique et par une sorte de définition nominale.
Les principales oppositions conceptuelles
Connaissance de la raison pure // connaissance de la raison empirique
L’opposition entre philosophie pure et philosophie empirique.
«Toute philosophie est ou une connaissance par raison pure, ou une connaissance rationnelle par principes
empiriques. La première s’appelle philosophie pure, et la seconde philosophie empirique.» (CRPu, Bar 626.3)
Pour la suite de la réflexion.
Avons-nous des exemples de ce qu’est la philosophie empirique? Quand les principes dont
procède la connaissance sont «empiriques», pourquoi et en quel sens cette connaissance est-elle
qualifiée tout de même de «rationnelle»?
Pour donner un exemple de «connaissance par raison pure», il est sans doute légitime de fournir
des jugements synthétiques a priori; mais est-ce que toutes les connaissances pures s’expriment
de fait dans des jugements synthétiques a priori?
– est-ce que toute connaissance a la forme d’un jugement?
– le prédicat ‘être synthétique’ est-il un prédicat simplement logique (appartenant au vocabulaire de la logique générale), ou a-t-il aussi une signification
transcendantale?
Les deux couples a posteriori et a priori , empirique et pur (Ver, VK-I 83-89, chap. IV, § II «Empirique et a
priori»)
RAPPORTS ENTRE LES CONCEPTS ‘PUR’ ET ‘A PRIORI’ (INTRODUCTION, §I, II; P.57-60)
Parmi les connaissances a priori, celles-là s’appellent pures, auxquelles rien d’empirique n’est mêlé.
(CRPu, Bar 58.2.m6-5)
Si l’on s’en tient à cette première définition, le concept le plus générique est celui d’a priori: il signifie:
indépendant de toute expérience, ou absolument indépendant de l’expérience; et le concept plus spécifique est ‘pur’,
signifiant: «à quoi rien d’empirique n’est mêlé». Dans ce cas:
– on devrait donc normalement dire «connaissance a priori pure» et non pas «connaissance pure a priori».
– Kant envisage la possibilité qu’on ait une connaissance a priori non pure, et donne l’exemple: tout
changement a une cause. (CRPu, Bar 58.2.m4-3) Le concept de changement est dit ne pouvoir venir «que
de l’expérience».
Cependant, Kant accepte également une définition légèrement moins restrictive du concept ‘pur’ et l’emploie
dans ce sens en CRPu, Bar 59.9.8. Dans ce passage, il offre la même proposition («tout changement a une cause»)
comme exemple de jugement pur a priori, De cet exemple, il dit qu’il est tiré «de l’usage le plus ordinaire de
l’entendement» et dit cela pour démontrer «la réalité de principes purs a priori dans notre connaissance» (59.2.m65), démontrer le fait «qu’il y ait dans la connaissance humaine des jugements nécessaires et rigoureusement
universels, c’est-à-dire des jugements purs a priori» (CRPu, Bar 59.2.1-3).
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(Solution) «Kant reconnaît l’équivoque. Pur signifie la première fois: “une connaissance à quoi rien
d’empirique n’est mêlé”, et la deuxième fois: “une connaissance qui ne dépend de rien d’empirique”.
“Double sens du mot pur, desquels dans toute l’oeuvre je n’emploie que le dernier.” Et il ajoute que
l’exemple de jugement pur au sens strict devrait être: tout contingent a une cause, car le concept de
contingent ne contient rien d’empirique. (Sur l’usage de principes téléologiques en philosophie, 1788;
Ak. VIII, 183-84).» (Ver, VK-I 85-86). Le passage se trouve dans KUk, Wei 169.2.10-170.1.1.
En pratique, «pur» et «a priori» sont le plus souvent synonymes, «de sorte que l’expression “concept pur a
priori” est un pléonasme.» (Ver, VK-I 85.5) Et on peut toujours supposer, en première approximation, que «pur»
signifie «qui ne dépend de rien d’empirique» comme l’affirme Kant dans la citation donnée ci-dessus.
RAPPORTS ENTRE LES CONCEPTS ‘EMPIRIQUE’ ET ‘A POSTERIORI’
Au départ, c’est-à-dire dans l’énoncé des définitions nominales, ces concepts sont synonymes. Verneaux cite
l’introduction à CRPu, §1. Par la suite, certains emplois du terme «empirique» semblent dévier de la définition
nominale; Verneaux mentionne, en 84.4-6, trois occurrences:
– «La connaissance empirique n’est pas seulement celle qui est tirée de l’expérience, elle est parfois
l’expérience même: “La connaissance empirique est l’expérience” [trouver la référence] » (Ver, VK-I 84)
– Kant dit de l’espace et du temps qu’ils ont une “réalité empirique” dans le sens qu’ils ont “une valeur
objective pour tout ce qui peut être donné par l’expérience. La réalité empirique, en ce sens, est
corrélative de l’idéalité transcendantale.» (Ver, VK-I 84.m1) Un des textes auxquels Verneaux réfère est
celui qui concerne la réalité empirique de l’espace:
«Notre examen de l’espace nous en montre donc la réalité (c’est-à-dire la valeur objective) au point
de vue de la perception des choses comme objets extérieurs; mais il nous en montre aussi l’idéalité au
point de vue de la raison / considérant les choses en elles-mêmes, c’est-à-dire abstraction faite de la
constitution de notre sensibilité. Nous affirmons donc la réalité empirique de l’espace (relativement à
toute expérience extérieure possible); mais nous en affirmons aussi l’idéalité transcendantale, c’est-àdire sa non-existence, dès que nous laissons de côté les conditions de la possibilité de toute
expérience, et que nous l’acception comme quelque chose qui sert de fondement aux choses en soi.»
(CRPu, Bar 87.2.m4-88.1.f)
– «L’usage empirique des catégories signifie “usage immanent”, c’est-à-dire dans les limites de
l’expérience possible. Il s’oppose à l’usage transcendantal qui dépasse toute expérience».
Je ne suis pas sûr que ce que Verneaux appelle ici «dérivations» et «déviations» en soit… Je ne vois en tout
cas pas d’enjeux ou de problèmes liés à ces variations sémantiques du terme «empirique», du moins si l’on tient
compte de l’opposition conceptuelle qui suit et du fait qu’elle ne comporte pas d’incompatibilité.
L’opposition entre ‘être indépendant de l’expérience’ et ‘être dans les limites de l’expérience possible’
Le prédicat (I) ‘être indépendant de l’expérience’ se dit quant à la source de la connaissance (source des
concepts, source des principes).
Le prédicat (R) ‘être relatif à, ou dans les limites de, l’expérience possible’ se dit de l’usage de la
connaissance (de l’usage des concepts, de l’usage des principes…)
L’origine
I
pur
42
non I
empirique
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L’usage
2.2.2.2.
R
dont l’usage est
immanent
par exemple le concept
de cause et le principe
de causalité
–par ex. le concept de
changement selon
CRPu, Bar 58.2.2f
–la loi de la gravitation
(ou loi du carré
inverse)
non R
dont l’usage est
transcendant
L’idée de Dieu
Le jugement selon
lequel le monde a eu
un commencement
Croisement
impossible
Usage théorique de la raison pure // usage pratique de la raison pure
La question générale ici est de savoir si la bipartition usage théorique // usage pratique vaut pour l’ensemble
de la philosophie critique et suffit pour rendre compte de la structure de l’ensemble.
Les textes comprennent ceux de la §1 du «Canon de la raison pure», CRPu, Bar 600-601
Pour la distinction entre «philosophie pratique» et «philosophie transcendantale», voir le début
du paragraphe 600.4 et la note afférente: «Mais, comme nous avons en vue un objet étranger à la
philosophie transcendantale1, il faut beaucoup de circonspection soit pour ne pas s’égarer dans
des épisodes et rompre l’Unité du système, soit aussi pour ne rien ôter à la clarté ou à la
conviction, en disant trop peu sur cette nouvelle matière. J’espère éviter ces deux écueils en me
mettant aussi / près que possible du transcendantal et en laissant tout à fait de côté ce qu’il
pourrait y avoir de psychologique, c’est-à-dire d’empirique.» (CRPu, Bar 600.4-601.1; dans la
Première section: «Du but final de l’usage pur de notre raison», du Chapitre II: «Canon de la raison
pure», de la «Méthodologie transcendantale».)
La note afférente dit: «Tous les concepts pratiques se rapportent à des objets de satisfaction ou
d’aversion, c’est-à-dire de plaisir ou de peine, et, par conséquent, au moins indirectement, à des
objets de sentiment. Mais comme le sentiment n’est pas une faculté représentative des choses,
mais qu’il réside en dehors de toute faculté de connaître, les éléments de nos jugements, en tant
qu’ils se rapportent au plaisir ou à la peine, appartiennent à la philosophie pratique, et non pas à
l’ensemble de la philosophie transcendantale, qui ne s’occupe que des connaissances pures a
priori.»
43
K
<> T h è m e # 3
<>
K
3 . L ’ e s t h é t i q u e tr a n s c e n d a n t a l e
3.
L’esthétique transcendantale......................................................................................................................43
3.1.
Le concept d’intuition et son environnement conceptuel...................................................................43
3.2.
Illustration des relations entre les divers concepts utilisés par Kant pour modéliser le
fonctionnement de la faculté des intuitions ........................................................................................47
3.3
Reconstruction des «expositions» des concepts d’espace et de temps............................................... 48
3.4
Résumé de l’esthétique transcendantale .............................................................................................52
3.1.
Le concept d’intuition et son environnement conceptuel
Pour comprendre ce qu’est l’intuition, au sens de Kant, il est très utile de se reporter à un passage du début de
la Dialectique transcendantale dans lequel Kant rappelle les divers types de représentations qu’il distingue; à cet
endroit, son objectif est de nous faire comprendre le sens qu’il faut donner au mot «idée» — puisque les
représentations dont il sera surtout question dans la Dialectique sont les idées — mais le tableau qu’il dresse nous
montre aussi bien la place de l’intuition parmi les autres types de représentation. (Voir sur la figure de la page
suivante l’arbre logique des concepts mentionnés par Kant.)
a)
le concept de représentation <Vorstellung>
Le terme générique est la représentation en général (repraesentatio). Après elle vient la
représentation avec conscience (perceptio). Une perception rapportée uniquement au sujet, comme
une modification de son état, est une sensation (sensatio); une perception objective est une
connaissance ( cognitio). La connaissance à son tour est ou une intuition ou un concept ( intuitus vel
conceptus). La première se rapporte immédiatement à l’objet et est singulière, le second ne s’y
rapporte que médiatement, au moyen d’un signe qui peut être commun à plusieurs choses.»
(CRPu, Bar 320.2.m7-321.1.4; passage extrait de la ‹Première section. Des idées en général›, du
Livre premier: ‹Des concepts de la raison pure›, de la Dialectique transcendantale.)
L’intuition est donc une représentation d’une certaine sorte et s’oppose au concept qui est la principale autre
sorte de représentation. Voir ci-dessous la figure qui montre, au moyen d’une arborescence, la subdivision du
concept générique de représentation.
b) l’intuition comme mode de rapport et comme produit; et par métonymie: l’intuition comme faculté
De quelque manière et par quelque moyen qu’une connaissance puisse se rapporter à des objets, le
mode par lequel elle se rapporte immédiatement à eux et que toute pensée prend comme moyen
[pour les atteindre] est l’intuition.
(CRPu, Bar 81.1.1-5; c’est la toute première phrase de l’Esthétique transcendantale.)
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Représentation en
général
… avec conscience
— > PERCEPTIO N
… objective — >
CO N N A ISSA N CE
(cognitio)
… rapportée
uniquem ent au
sujet — >
SEN SA TIO N
… quine se rapporte que
m édiatem ent à l'objet,
au m oyen d'un signe…
— > CO NCEPT
(conceptus)
… quise rapporte
im m édiatem ent à l'objet
et quiest singulière — >
IN TUITIO N (intuitus)
… em pirique
… pure
… pur, ayant sa
source
uniquem ent dans
l'entendem ent
— >NOTION (notio)
… form é de notions et qui
dépasse la possibilité de
l'expérience — >ID ÉE (ou
concept rationnel
–V ernunftbegriff)
… em pirique
… quine dépase pas la
possibilité de l'expérience
— > CA TÉGO RIE (ou concept
de l'entendem ent –
V erstandesbegriff)
Selon cette manière de s’exprimer, l’intuition est explicitement considérée comme un mode de rapport.
Lorsque l’on considère l’intuition comme mode de rapport aux objets, on la désigne par le terme «intuition», lequel
reste alors toujours au singulier puisqu’il nomme quelque chose d’abstrait: une relation.
Mais Kant parle également d’intuition en un sens plus concret, et le terme «intuition» peut s’employer alors
facilement au pluriel pour désigner ce qui est produit , à titre de représentations, par la faculté qui actualise le mode
de rapport mentionné à l’instant:
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La capacité de recevoir (la réceptivité) des représentations des objets grâce à la manière dont ils
nous affectent, s’appelle sensibilité. C’est donc au moyen de la sensibilité que des objets nous sont
donnés, et seule elle nous fournit des intuitions; mais c’est par l’entendement qu’ils sont pensés, et
c’est de lui que sortent les concepts. Toute pensée doit, en dernière analyse, soit tout droit (directe),
soit par des détours (indirecte, au moyen de certains caractères), se rapporter à des intuitions, et par
conséquent, chez nous, à la sensibilité, puisqu’aucun objet ne peut nous être donné autrement.
(CRPu, Bar 81.1.8-f)
Lorsque Kant considère que le mode de rapport de la sensibilité à l’objet donne l’objet, ou appréhende
l’objet, le mode de rapport devient lui-même traité comme une capacité, comme une faculté:
Il n’y a pas (pour l’homme) d’intuition des intelligibles, mais seulement une connaissance
symbolique, et l’intellection ne nous est permise que par concepts universels dans l’abstrait, non par
le singulier dans le concret. Car toute intuition, en nous, est astreinte à un certain principe d’une
forme sous laquelle seule quelque chose peut être vu par l’esprit immédiatement, c’est-à-dire comme
singulier et non pas seulement conçu discursivement par concepts généraux.
(Kant, La Dissertation de 1770, 39.1.1-10; les deux premières phrases du §10.)
C’est la faculté d’intuition, ici, qui «est astreinte à un certain principe de forme», et son acte (ou son rôle) est de voir
ce par quoi elle est affectée.
Remarque. À propos des objets, Kant construit ici l’opposition entre «être pensés» et «être donnés au moyen de la
sensibilité [par des intuitions]». Cette opposition serait plus facile à saisir et à retenir s’il existait un verbe qu’on
puisse directement opposer au verbe «penser [x]» et qui puisse exprimer l’action propre à la sensibilité aussi
simplement que le mot «penser» exprime l’action propre à l’entendement. Mais il y a deux difficultés. Premièrement, la sensibilité étant une faculté passive, il est (presque) paradoxal et légèrement misleading de lui attribuer une
action, au sens fort du terme. Deuxièmement, le verbe qu’on est tenté de proposer pour cet office est le verbe
«intuitionner» mais il n’existe pas en français correct. Malgré tout, la métaphore de la vision sert à exprimer
comment l’intuition est produite. Dans le passage de la Dissertation cité ci-dessus, «être vu» est donné par le verbe
allemand «geschaut werden» et par le verbe latin «cerni». Il faudrait voir si et comment Kant utilise, dans CRPu, les
verbes qui appartiennent à la même famille que «Anschauung»: «schauen» et «anschauen». Par exemple, au début
du chapitre I de l’Analytique des principes:
Ainsi le concept empirique d’une assiette a quelque chose d’homogène avec le concept purement
géométrique d’un cercle, puisque la forme ronde qui est pensée dans le premier se laisse percevoir
par intuition dans le second.
(CRPu, Bar 187.1.5f)
So hat der empirische Begriff eines Tellers mit dem reinen geometrischen eines Zirkels
Gleichartigkeit, indem die Rundung, die in dem ersteren gedacht wird, sich im letzteren anschauen
läßt.
(KpV, Wei 187.1.4f)
La plus grande partie du problème que pose l’identification de l’action propre à la sensibilité se trouve cependant
résolue en le renvoyant aux actions de l’imagination. Cette faculté possède une activité, et à plusieurs niveaux; sa
toute première activité est l’appréhension; le terme est hérité ici directement du latin. L’imagination est qualifiée
également de productrice, de reproductrice et des actions sont ainsi désignées, qui sont des étapes de la synthèse des
intuitions. [Fin de la Remarque.]
La difficulté qu’il y a à construire une opposition conceptuelle homogène et claire tient non seulement au
vocabulaire mais également à l’ambiguïté de la tradition philosophique aristotélicienne concernant la connaissance
par intuition et l’acte d’intuition. Cette ambiguïté est admirablement décrite par Caygill, à l’article «intuition» (Cay,
KD 262-266). Il conclut ainsi la description qu’il fait de la manière dont Kant se situe par rapport à la tradition:
On doit situer la doctrine kantienne de l’intuition à l’intérieur des paramètres établis par
Aristote. Kant est demeuré en accord avec la tradition aristotélicienne en ce qui concerne le
caractère direct, non médiatisé de l’intuition, mais il en a établi une variante de son propre cru qui
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refusait l’opposition entre les rationalistes, qui plaçaient la connaissance directe dans les noeta, et les
empiristes qui la plaçaient dans les aistheta. Bien que Kant situe l’intuition au niveau de la
sensibilité ou de l’aisthesis dans l’‘Esthétique transcendantale’ de la CRPu (c’est-à-dire au-dessous
de l’entendement et de la raison), il lui accorde néanmoins un caractère formel a priori, réussissant
ainsi à souligner l’élément immédiat, sensible de la connaissance sans être lockéen, et l’élément a
priori, formel sans être cartésien. Il était essentiel d’établir cet équilibre pour satisfaire l’une des
principales conditions qu’exigeait la “solution du problème général de la philosophie
transcendantale: comment les jugements synthétiques a priori sont-ils possibles?” (CRPu, …) De
tels jugements opèrent une synthèse de concepts avec des intuitions sensibles qui, tout en étant
hétérogènes aux premiers, possèdent néanmoins un caractère a priori , intelligible.
(Cay, KD 264.2)
c) Les corrélats de l’intuition du côté des objets: sensation et phénomène
L’impression d’un objet sur cette capacité de représentations, en tant que nous sommes
affectés par lui, est la sensation. On nomme empirique toute intuition qui se rapporte à l’objet par le
moyen de la sensation. L’objet indéterminé d’une intuition empirique, s’appelle phénomène.
(CRPu, Bar 81.2)
La première citation donnée ci-dessus en §3.1a (320.2) présentait la sensation comme «modification de
[l’]état [du sujet]», survenant à l’occasion d’une perception; la même idée est reprise ici au moyen des deux
concepts corrélatifs «impression» et «être affecté».
d) Forme du phénomène et forme de l’intuition
Kant applique au phénomène l’opposition conceptuelle forme // matière. La matière du phénomène est ce qui,
en lui, «correspond à la sensation» (CRPu, Bar 81.3.1-2). Par symétrie, Kant va définir la forme du phénomène, mais
la symétrie est un peu forcée puisque, à proprement parler, «ce qui fait que le divers qu’il y a en lui [le phénomène]
est ordonné suivant certains rapports» (CRPu, Bar 81.3.2-4) n’est pas dans le phénomène, mais bien dans l’esprit,
notamment, et pour commencer, dans l’intuition.
[…] Comme ce en quoi seul les sensations peuvent s’ordonner, ou ce qui seul permet de les ramener
à une certaine forme, ne saurait / être lui-même sensation, il suit que, si la matière de tout
phénomène ne nous est donnée qu’a posteriori, la forme en doit être a priori dans l’esprit, toute
prête à s’appliquer à tous, et que, par conséquent, on doit pouvoir la considérer indépendamment de
toute sensation.
(CRPu, Bar 81.3.4-82.1.f)
C’est ainsi que de l’idée de forme du phénomène — laquelle me semble bien passagère — on passe très tôt à
l’idée de la forme des intuitions sensibles, et de la forme de l’intuition, au singulier.
Et quelle que soit la variété des formes que peuvent revêtir les intuitions sensibles ou l’intuition sensible, c’est
la classe des formes pures qui va intéresser l’esthétique transcendantale, et Kant va introduire une troisième
acception du terme «intuition»:
J’appelle pures (dans le sens transcendantal) toutes représentations où l’on ne trouve rien qui
se rapporte à la sensation. La forme pure des intuitions sensibles en général dans laquelle tout le
divers des phénomènes est perçu par intuition sous certains rapports, est donc a priori dans l’esprit.
Cette forme pure de la sensibilité peut encore être désignée sous le nom d’intuition pure.
(CRPu, Bar 82.2.1-7)
Il y aura, en fait, deux intuitions pures: l’espace et le temps.
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e) L’intuition sensible versus l’intuition intellectuelle
Le principe général selon lequel la connaissance se rapporte toujours à ses objets par l’intuition possède de la
généralité, entre autres, du fait qu’il couvre, en théorie du moins, deux possibilités de réalisation (ou d’application):
– ou l’intuition est fournie par la sensibilité, du fait que le sujet est affecté par le phénomène duquel il
reçoit des «impressions»; dans ce cas, l’intuition est sensible. Le sujet est passif et le rapport de la
connaissance à l’objet est médiat. La connaissance n’atteint l’objet que tel qu’il apparaît.
– ou l’intuition est fournie directement à l’entendement du fait de la capacité qu’aurait un entendement de
se donner lui-même l’objet qu’il pense dans l’acte même de le penser; dans ce cas, l’intuition est
intellectuelle, au sens où c’est celle de l’entendement (et non celle de la sensibilité). Le sujet est actif et le
rapport de la connaissance à l’objet est immédiat. Un tel entendement atteint son objet tel qu’il est en luimême (en soi)
Dans la tradition philosophique du rationalisme classique, et celle aussi, je suppose, de la scolastique, l’entendement
de Dieu est réputé capable d’intuition intellectuelle. Et Kant évoque à quelques reprises l’hypothèse d’un être doté
d’un entendement capable d’intuition intellectuelle — celui de Dieu ou d’un autre être, peu importe —, mais
toujours pour souligner que l’entendement humain ne possède pas cette capacité. C’est cette restriction qu’expriment
les passages intercalaires du genre «(du moins à nous autres hommes}» (CRPu, Bar 81.1.7) et «chez nous» (CRPu,
Bar 81.1.m2).
Il faut donc comprendre «intuition sensible» en opposition à «intuition intellectuelle» et non pas en
opposition à «intuition pure».
3.2.
Illustration des relations entre les divers concepts utilisés par Kant pour
modéliser le fonctionnement de la faculté des intuitions
Comparons le fonctionnement d’un appareil de radio avec celui de la sensibilité.
Radio
Sensibilité
Appareil possédant une
L’esprit, considéré en tant que possédant
capacité d’être affecté
par les ondes hertziennes
par les objets (pour l’instant indéterminés,
mais capables d’affecter le sujet)
capacité qui a son substrat fonctionnellement identifiable
dans un capteur d’énergie
électromagnétique (l’antenne)
dans les sens
(cinq sens externes, un sens interne)
Le substrat reçoit des impressions et
modifie son état; ces modifications sont
les oscillations électromagnétiques de
l’antenne
les sensations
Le substrat présente «en sortie» (output)
des émissions radiophoniques
(informations, musique, etc.)
des intuitions pures ou empiriques
(en tant que représentations obtenues par
intuition)
Liste des oppositions conceptuelles utilisées dans l’esthétique transcendantale:
– être donnés // être pensés, en parlant des objets (81.1;
– être donnés par la sensibilité // être pensés par l’entendement
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–
–
–
–
matière du phénomène // forme du phénomène (81.3); matière donnée a posteriori, forme donnée a
priori;
intuition empirique // intuition pure
esthétique (transcendantale) // logique (transcendantale) (82.3)
exposition métaphysique // exposition transcendantale
La relation de représentation : le phénomène est l’objet de l’intuition empirique.
Les 23 premières lignes du premier paragraphe de la ‹§2.— Exposition métaphysique du concept de l’espace›
valent, comme introduction, pour les expositions concernant l’espace et le temps, donc pour les §2-§6 incl.:
– au sens extérieur correspond la représentation des objets dans l’espace
– au sens intime correspond la représentation des objets dans le temps.
3.3
A.1
Reconstruction des «expositions» des concepts d’espace et de temps
Les quatre propositions qui constituent l’exposition métaphysique du concept de l’espace; les quatre traits
correspondants
E1.— Il faut que j’aie une représentation de l’espace et qu’elle soit à l’oeuvre pour que je puisse faire
l’expérience du caractère extérieur des phénomènes, c’est-à-dire
• «rapporter certaines sensations à quelque chose d’extérieur à moi [je souligne]; sans la
représentation préalable, je ne ferais pas de différence entre moi et l’extérieur de moi et je
rapporterais ma sensation qu’à moi-même.
• «me représenter les choses comme en dehors et à côté les unes des autres»; sans la représentation
préalable, je me les représenterais seulement comme différentes.
La dernière phrase du paragraphe est: «Demnach kann die Vorstellung des Raumes nicht aus den
Verhältnissen der äußern Erscheinung durch Erfahrung erborgt sein, sondern diese äußere
Erfahrung ist selbst nur durch gedachte Vorstellung allererst möglich.» (Wei III, 72.2.5f)
E2.— On peut se représenter qu’il n’y ait pas d’objets dans l’espace mais on ne peut se représenter qu’il n’y
ait pas d’espace; cela confère à la représentation de l’espace une nécessité. En d’autres mots, la
représentation des objets ne peut pas être la condition qui détermine la représentation de l’espace; c’est
l’inverse: c’est la représentation de l’espace qui fonde les intuitions externes, les phénomènes [en tant
qu’]extérieurs. Donc la représentation de l’espace est a priori.
E3.— On ne peut se représenter qu’un seul espace, et cette unité n’est pas celle d’un concept discursif ou
concept universel <allgemein>, car:
• quand on parle de plusieurs espaces, ce ne sont jamais que «les parties d’un seul et même espace»;
«le divers que nous y reconnaissons et par conséquent le concept universel <allgemeine> d’espaces
en général ne reposent finalement que sur des limitations»
• lesdites parties ne sauraient préexister à cet espace unique (et le constituer par leur assemblage);
elles ne sont au contraire pensées qu’en lui.
Donc, une intuition de l’espace sert de fondement à tous les concepts que nous en formons (par exemple,
les concepts géométriques de ligne, de triangle).
E4. — L’espace est représenté comme une grandeur infinie qui contient en soi une multitude infinie de
représentations à savoir les représentations de ses parties (lesquelles coexistent à l’infini). Ce rapport
d’une grandeur infinie à l’infinité de ses parties est différent du rapport (de subsomption) qu’entretient un
concept avec les représentations dont il exprime le «caractère commun».
Résumé:
il est antérieur à l’expérience de l’espace
sa nécessité: on ne peut concevoir qu’il n’y ait pas d’espace
son unité n’est pas celle d’un concept discursif mais celle d’une intuition
son infinité n’est pas celle d’un concept par rapport aux représentations qu’il subsume.
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A.2 Exposition transcendantale du concept de l’espace
Par définition, une exposition transcendantale doit satisfaire les deux conditions mentionnées en 85.3.
–
Re: condition 1. [Cette proposition sert de majeure au raisonnement.] La géométrie contient des
jugements synthétiques a priori concernant les propriétés de l’espace. Exemples:
• l’espace n’a que trois dimensions (86.1)
• deux lignes droites ne peuvent enfermer aucun espace (100.1)
• avec trois lignes droites on peut former une figure (100.1)
–
Re: condition 2 . [Première mineure du raisonnement.] Cette science n’est possible que «sous la
supposition d’un mode d’explication donné [et tiré] du [concept de l’espace]»:
• il faut que l’espace soit originairement une intuition (et non un concept)
car il est impossible de tirer d’un simple concept des propositions qui le dépassent.
• il faut que cette intuition soit a priori, «c’est-à-dire antérieurement à toute perception d’un objet, et,
par conséquent, être pure et non empirique»
[Deuxième mineure du raisonnement.] Ces deux conditions ne sont réalisables, à leur tour, que si «cette
intuition a son siège dans le sujet, comme la capacité formelle qu’il a d’être affecté par des objets […]»,
donc, que si elle est la forme même du sens externe de ce sujet. (CRPu, Bar 86.2)
–
B.1 Exposition métaphysique du concept du temps
Les quatre idées qui constituent l’exposition métaphysique du concept du temps, plus une cinquième
(numérotée «3°» dans le texte) qui appartient à l’exposition métaphysique et à l’exposition transcendantale.
Les quatre premières idées appliquent au concept du temps les propriétés déjà dégagées pour le concept
d’espace:
– son antériorité (1°). La «perception» même de la simultanéité ou de la succession ne serait pas possible
sans la représentation du temps qui sert de fondement à cette perception.
– sa nécessité (2°). On ne peut penser la suppression du temps bien qu’on puisse penser la suppression des
phénomènes.
– son unité (4°). Son unité n’est pas celle d’un concept général [<allgemein>; dans l’exposition
métaphysique du concept d’espace, Barni traduisait allgemein par «universel», sans doute pour éviter la
double occurrence du mot «général»; mais il s’agit toujours de allgemein] qui subsumerait des temps
différents; la raison en est que «Les temps différents ne sont que des parties d’un même temps.» En
d’autres mots, le temps est un seul objet <Gegenstand>. «Or, une représentation qui ne peut être donnée
que par un seul objet est une intuition.»
• puisqu’un concept est nécessairement donné par plusieurs objets, à savoir les objets qu’il subsume.
Die Vorstellung, die nur durch einen einzigen Gegenstand gegeben werden kann, ist aber
Anschauung. (KrV, Wei 79.2.4-5)
–
De plus [il s’agit donc d’un second argument], la proposition que des temps différents ne peuvent exister
simultanément, ne saurait dériver d’un concept général, puisqu’elle est synthétique. Il faut donc qu’elle
soit «immédiatement contenue dans l’intuition et dans la représentation du temps.»
son infinité (5°). Toute grandeur déterminée du temps n’est possible que par des délimitations d’un temps
unique qui lui sert de fondement.
alle bestimmte Größe der Zeit nur durch Einschränkungen einer einigen zum Grunde liegenden
Zeit möglich sei.
Kant dit-il que pour qu’une représentation soit donnée comme illimitée il faut qu’elle soit donnée
dans l’intuition?
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L’ARGUMENTATION DE LA 5E PARTIE DE L’EXPOSITION MÉTAPHYSIQUE DU TEMPS
Objection hypothétique:
a) [on pourrait penser que] l’infinité du temps (le nombre infini de ses «grandeurs déterminées») est un
indice du fait que le temps est un concept général (allgemein), c’est-à-dire que la représentation du
temps est données par un concept général.
M
Réfutation:
b) [mais il n’en est rien:] la représentation du temps ne peut être donnée par les concepts;
au contraire, il y a nécessairement une intuition immédiate qui sert de fondement à ses concepts, et c’est
par elle que la représentation du temps est donnée.
~M
&Q
c) en effet, l’infinité du temps dont il s’agit ici est simplement le fait que la représentation originaire du
temps est nécessairement donnée comme illimitée
N
d) car toute grandeur déterminée du temps n’est possible que circonscrite par un temps unique qui lui sert
de fondement; en d’autres mots: les parties mêmes et toutes les grandeurs du temps ne peuvent être
représentées qu’au moyen d’une limitation (appliquée au temps unique et illimité)
P
e) or, quand il en est ainsi
P
c’est-à-dire quand les parties mêmes et toutes les grandeurs du temps ne peuvent être représentées qu’au
moyen d’une limitation
la représentation entière de cette chose ne peut être donnée par les concepts
~M
f) car ceux-ci ne contiennent que des représentations partielles
elle doit être donnée par une intuition immédiate
Q
g) l’intuition immédiate dont il s’agit est celle qui sert de fondement aux concepts en question
h) et il y a nécessairement une telle intuition
La structure logique de ce raisonnement peut donc être représentée par le schéma suivant:
M
~M & Q
P —> (~M & Q)
N&P
La cinquième idée (numérotée 3° dans l’énumération kantienne) énonce, à propos du concept du temps
a) son caractère de condition de possibilité de connaissances pures: le concept du temps rend possibles,
«fonde la possibilité de», certains principes apodictiques concernant les rapports du temps, principes
tels que:
– le temps n’a qu’une dimension
– des temps différents ne sont pas simultanés mais successifs…
À leur tour ces principes ont «la valeur de règles qui rendent l’expérience possible en général».
L’affirmation du caractère de condition de possibilité fait partie de l’exposition transcendantale.
51
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_____________________________________________________________________________________________
b) le caractère a priori du concept du temps. L’énoncé est fait sous la forme négative («ne peuvent pas être
tirés de l’expérience») et indirecte (le caractère a priori est attribué aux principes apodictiques et par là
au concept de temps qui y est contenu). L’affirmation du caractère a priori fait partie de l’exposition
métaphysique.
B.2 Exposition transcendantale du concept du temps
Kant réfère à l’idée numéro 3 de l’exposition précédente, mais ajoute encore un exemple de connaissances
synthétiques a priori rendues possibles par notre concept du temps qui représente une intuition originaire: celles que
contient la théorie générale du mouvement. Kant pense ici sans doute aux lois du mouvement de Newton.
C. Le §7 «Explication» de l’esthétique
Concernant le débat sur la réalité du temps. Thèse:
Partie affirmative
le temps a une réalité empirique (93.3)
Partie négative
n’a pas de réalité absolue,
transcendantale
«il faut admettre l’idéalité
transcendantale du temps en ce sens que,
si l’on fait abstraction des conditions
subjectives de l’intuition sensible, il
n’est plus rien» (93.2)
le temps est quelque chose de réel; c’est
en effet la forme réelle de l’intuition
interne; il a une réalité subjective par
rapport à l’expérience intérieure (94.1.811)
Cette réalité que j’attribue à l’espace et
au temps laisse intacte la certitude de la
connaissance expérimentale
[Erfahrungserkenntnis]
Thèse finale de la §7. L’esthétique transcendantale ne peut rien contenir de plus que ces deux éléments, à
savoir l’espace et le temps
puisque tous les autres concepts appartenant à la sensibilité supposent quelque chose d’empirique.
D. Le §8.
I. Rappel des positions acquises ayant valeur de résumé ou d’explicitation par des exemples.
II. Thèse: tout ce qui dans notre connaissance appartient à l’intuition […] ne contient que de simples rapports,
rapports de lieux dans une intuition (étendue), rapports de changement de lieu (mouvement), et des lois qui
déterminent ce changement (forces motrices).» (101.2)
Lorsqu’on applique cette thèse au sens interne, elle a pour conséquence que le sujet, par le sens intime, ne se
représente lui-même que comme phénomène, «et non comme il se jugerait lui-même si son intuition était purement
spontanée, c’est-à-dire intellectuelle.» (102.25-27) Autre formulation: «[L’esprit] se perçoit intuitivement, non
comme il se représenterait lui-même immédiatement et en vertu de sa spontanéité, mais suivant la manière dont il es
intuitivement affecté, et par conséquent tel qu’il s’apparaît à lui-même, non tel qu’il est.» (102-103)
III. L’idéalité des intuitions sensibles ne signifie pas que les objets soient une simple apparence. «Je ne dis
pas que les corps semblent simplement exister hors de moi, ou que mon âme semble simplement être donnée dans la
conscience que j’ai de moi-même, lorsque j’affirme que la qualité de l’espace et du temps, d’après laquelle je me les
représente et où je place ainsi la condition de leur existence ne réside que dans mon mode d’intuition et non dans ces
objets en soi.» (103.2)
52
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3.4
Résumé de l’esthétique transcendantale
Les premières lignes du §22 de l’Analytique transcendantale (dans le chapitre II-De la déduction des concepts
purs de l’entendement de l’Analytique des concepts) peuvent servir de résumé de l’Esthétique transcendantale.
«§22.— La catégorie n’a d’autre usage dans la connaissance des choses que de s’appliquer à des
objets d’expérience.
Penser un objet et connaître un objet, ce n’est donc pas une seule et même chose. La
connaissance suppose en effet deux éléments: d’abord le concept, par lequel, en général, un objet est
pensé (la catégorie), et ensuite l’intuition, par laquelle il est donné. S’il ne pouvait y avoir d’intuition
donnée qui correspondît au concept, ce concept serait bien une pensée quant à la forme, mais sans
aucun objet, et / nulle connaissance d’une chose quelconque ne serait possible par lui. En effet, dans
cette supposition, il n’y aurait et ne pourrait y avoir, que je sache, rien à quoi pût s’appliquer une
pensée. Or, toute intuition possible pour nous est sensible (esthétique); par conséquent la pensée
d’un objet en général ne peut devenir en nous une connaissance, par le moyen d’un concept pur de
l’entendement, qu’autant que ce concept se rapporte à des objets des sens. L’intuition sensible est ou
intuition pure (l’espace et le temps), ou intuition empirique de ce qui est immédiatement représenté
comme réel par la sensation dans l’espace et le temps. Nous pouvons acquérir par la détermination
de la première des connaissances a priori de certains objets (comme dans les mathématiques), mais
ces connaissances ne concernent que la forme de ces objets, considérés comme phénomènes; s’il
peut y avoir des choses qui doivent être saisies par l’intuition dans cette forme, c’est ce qui reste à
décider. Par conséquent les concepts mathématiques ne sont pas des connaissances par eux-mêmes;
il ne le deviennent que si l’on suppose qu’il y a des choses qui ne peuvent être représentées que
suivant la forme de cette intuition sensible pure. Or les choses ne sont données dans l’ espace et dans
le temps que comme perceptions (représentations accompagnées de sensation), c’est-à-dire au
moyen d’une représentation empirique.
(CRPu, Bar 162.3.1-163.1.25)
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K
<> T h è m e # 4
<>
K
4 . L ’ A n a l y t i q u e tr a n s c e n d a n t a l e
I F o n c t i o n s l o g i q u e s et ca t é g o r i e s
4.
L’Analytique transcendantale ....................................................................................................................53
4.1 (Introduction) — Généralités concernant l’analytique................................................................................53
4.2
L’analytique des concepts...................................................................................................................56
4.2.1
Les fonctions logiques du jugement et la table des catégories ..................................................56
4.1 (Introduction) — Généralités concernant l’analytique
A. Le passage de l’esthétique à la logique
Les thèses de l’esthétique concernant la réalité empirique et l’idéalité transcendantale de l’espace et du temps
constituent une première partie de la réponse aux questions de la possibilité des connaissances a priori:
◊ comment la mathématique est-elle possible?
◊ comment la physique pure est-elle possible?
◊ comment la métaphysique est-elle possible en tant que disposition naturelle?
Selon la formulation de Kant, l’espace et le temps, en tant qu’intuitions pures a priori, constituent «une des données
requises pour la solution» (CRPu, Bar 105.2.1-2; première phrase de la «Conclusion de l’esthétique transcendantale») de ces problèmes.
La toute première articulation conceptuelle que Kant nous donne pour penser le passage de l’esthétique à la
logique est celle qu’il fait entre «la réceptivité des impressions» et «la spontanéité des concepts»; on trouve cette
articulation — appelons-la «Arti 1» — dès la première phrase de l’introduction à la Logique transcendantale. Cette
articulation première, exprimée dans les termes des propriétés dynamiques des deux facultés qui sont les «sources
principales» de notre connaissance, s’accompagne des oppositions correspondantes habituelles
SENSIBILITÉ —
Capacité de recevoir les
représentations
Arti 2. en termes d’action, ou
fonction, des facultés
ENTENDEMENT — Faculté de
connaître un objet au moyen de
ces représentations
Un objet nous est donné Un objet est pensé dans son
rapport à cette représentation
Arti 3. en termes des propriétés
de l’objet de connaissance
Sensible Intelligible
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Arti 4. en termes de produit des
facultés, ou éléments de notre
connaissance
Intuition.
Intuition empirique: lorsqu’une
sensation est contenue dans la
représentation
Concept.
Concept empirique: lorsqu’une
sensation est contenue dans la
représentation
Intuition pure: lorsque aucune Concept pur: lorsque aucune
sensation ne se mêle à la sensation ne se mêle à la
représentation représentation
Arti 5. en termes des sciences qui
étudient les règles des facultés
Esthétique Logique
Retenons que c’est dans le deuxième paragraphe de l’introduction à l’Analytique transcendantale que se
trouvent les deux célèbres métaphores qui énoncent l’idée de la nécessaire coopération entre sensibilité et
entendement, entre intuition et concept, dans le processus de la connaissance:
[…] Sans la sensibilité, nul objet ne nous serait donné; sans l’entendement, nul ne serait pensé. Des
pensées sans matière sont vides; des intuitions sans concepts sont aveugles. Aussi est-il tout
aussi nécessaire de rendre sensibles les concepts (c’est-à-dire d’y joindre l’objet [donné] dans
l’intuition), que de rendre intelligibles les intuitions (c’est-à-dire de les soumettre à des concepts).
Ces deus facultés ou capacités ne sauraient non plus échanger leurs fonctions. L’entendement ne
peut avoir l’intuition de rien, ni les sens rien penser. La connaissance ne peut résulter que de leur
union.
(CRPu, Bar 110.1.5-14; accentuation en gras due à NL)
Il existe donc une opposition conceptuelle entre phénomène et connaissance.
C’est cette opposition qui était exprimée dans la préface par la métaphore de l’«objet [qui] (comme objet de
connaissance) se règle sur la nature de notre faculté intuitive» (CRPu, Bar 42.1.13-14), imitant en cela le soleil dont
le mouvement apparent dépend du fait que nous, Terriens, nous déplacions; la nature de notre faculté intuitive est la
condition a priori de laquelle dépend la manière dont l’objet nous apparaît.
B. La spécificité de la logique transcendantale
Voir le schéma donné dans la section 2.2.1.2 ci-dessus du thème 2, là où j’explique l’articulation entre
l’Esthétique et la Logique transcendantale. C’est le rapport entre la logique générale et la logique transcendantale
qu’il convient d’expliquer plus avant ici.
La logique générale pure, et qui est également formelle en ce qu’elle ne s’occupe que de la forme de la
pensée, abstraction faite de ses contenus, regroupe la logique aristotélicienne (y compris la théorie des syllogismes)
de même que la logique de tradition cartésienne, exemplifiée par la logique de Port-Royal. (Caygill, dans l’article
«logic, general/transcendental» esquisse une description des traces des deux traditions, telles qu’on les observe dans
la Critique de la raison pure; voir Cay, KD 280-281.) Il s’agit maintenant pour Kant de «refondre la ‘logique
générale’ de la tradition et d’en faire une ‘logique transcendantale’ moderne» (Cay, KD 281.2.6-7), entendons postcartésienne.
La logique transcendantale va différer de la logique générale pure sur deux points:
– elle ne se limitera pas à être formelle, comme l’est la logique générale pure. Au lieu de faire abstraction
de tout contenu de la connaissance, la logique transcendantale «rechercherait […] l’origine de nos
connaissances des objets, en tant qu’elle ne peut être attribuée à ces objets mêmes» (CRPu, Bar
112.2.m12-10).
– elle fera une différence entre certains contenus de connaissances et certains autres, alors que la logique
générale pure édicte ses principes purs a priori sans égard à cette différence possible entre contenus:
• «quel qu’en soit d’ailleurs le contenu (qu’il soit empirique ou transcendantal)» (CRPu, Bar 111.1.1214);
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•
•
«elle se borne à examiner les représentations, qu’elles soient en nous originairement a priori, ou
qu’elles nous soient seulement données empiriquement» (CRPu, Bar 112.2.m8-5);
[la logique transcendantale] «ne se rapporterait qu’à des objets a priori, et non, comme la logique
générale, aux connaissances empiriques ou pures sans distinction.» (CRPu, Bar 113.2.3f)
La définition programmatique de la logique transcendantale est donnée dans le premier et le dernier
paragraphe de «II. De la logique transcendantale», CRPu, Bar 112.113.
Le passage de la logique générale pure traditionnelle à la logique transcendantale est très clairement expliqué
par Caygill:
Avec le développement d’une logique moderne, transcendantale, Kant n’entend pas rejeter les
acquis de la tradition logique. Bien plutôt, il prend les analyses du jugement tirées de la tradition et
les utilise comme indicateurs pour découvrir les opérations de l’entendement en logique
transcendantale. Les concepts qu’il utilise pouf effectuer la transition de la logique traditionnelle à la
logique moderne sont ceux d’“unité” et de “synthèse”. Les jugements de la logique générale,
abstraction faite de tout contenu, sont des “fonctions de l’unité” (première section du chap. I «Du fil
conducteur servant à découvrir tous les concepts purs de l’entendement» de l’«Analytique des
concepts»); une fois traduits dans les termes de la logique transcendantale ils signifient les synthèses
d’un sujet spontané, aperceptif, confronté à un “divers de la sensibilité a priori”. Les synthèses
transcendantales dérivées des fonctions logiques de la logique générale forment la table des
catégories ou “la / liste de tous les concepts purs originaux de la synthèse que l’entendement
contient en lui a priori” (…) Avec ces synthèses Kant allait donner satisfaction à la fois à la logique
traditionnelle basée sur les formes du jugement et de l’inférence et à la logique moderne enracinée
dans le Cogito cartésien et basée sur la conscience de soi et l’aperception.
(Cay, KD 281.f-282.1)
C. Concernant le sens de l’adjectif «transcendantal».
Concernant la définition de «transcendantal», à l’occasion de l’explication de ce qu’est la logique
transcendantale. «Imgleichen würde der Gebrauch des Raumes von Gegenständen überhaupt
auch transzendental sein: aber ist er lediglich auf Gegenständen der Sinne eingeschränkt, heißt er
empirisch.» (CRPu, Bar 113.2; avant-dernier paragraphe de la division II de l’Introduction de la
Logique transcendantale) S’agit-il de l’usage de l’espace d’objets en général, ou de l’usage de
l’espace par des objets en général, ou de l’emploi qu’on fait de l’espace à propos d’objets en
général… Trémesaygues & Pacaud disent: «De même, l’emploi qu’on ferait de l’espace pour des
objets en général serait aussi transcendantal; mais il est empirique, quand on le limite uniquement
à des objets des sens.» (CRPu, T. & P. 1950, 80.1) Mon hypothèse: l’emploi de l’espace [pour
parler] d’objets en général…
Voir, pour un traitement plus systématique, le plan d’un essai sur ce thème, que j’ai joint comme
Appendice 1 du présent ouvrage.
D. De la division de la logique (aussi bien générale que transcendantale) en analytique et dialectique.
Section III de l’introduction à la Logique transcendantale [CRPu, Bar 113.3-116.2]: La logique générale se divise en
Analytique et Dialectique.
– Admettons la définition nominale: la vérité est l’accord de la connaissance avec son objet. [CRPu, Bar 113.f114.1]
– Il est absurde de chercher un critérium à la fois suffisant et universel de la vérité [CRPu, Bar 114.2-3]
– Le critère simplement logique (formel) de la vérité n’est qu’une condition sine qua non de la vérité. [CRPu, Bar
114.4-115.1]
– Il existe deux usages de la logique générale:
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•
•
si on s’en sert comme d’un canon pour la pensée, sans prétendre en tirer des jugements sur la «vérité
matérielle (objective) de la connaissance», elle donne lieu à l’Analytique, qui permet de juger de la forme
de toute connaissance. [CRPu, Bar 115.2.1-m11]
si on s’en sert comme d’un organon, la logique générale prend le nom de dialectique, et cet usage est
«contraire à la dignité de la philosophie» (CRPu, Bar 116.2.1-2). [CRPu, Bar 115.2.m11-116.2.f]
Section IV de l’introduction à la Logique transcendantale [CRPu, Bar 116.3-117.1]: La logique transcendantale se
divise également en Analytique et Dialectique.
4.2
L’analytique des concepts
La détermination ontologique première de l’objet en général, du point de vue transcendantal n’est
ni l’extériorité, ni la position devant (contenue dans l’étymologie du mot «objet»), ni l’altérité (tout au
contraire! puisque c’est l’action du sujet qui fait advenir l’objet); c’est l’unité. (Del, PCK 25.2)
4.2.1
Les fonctions logiques du jugement et la table des catégories
Kant expose rondement, dans la section §9, la table des fonctions logiques et l’assortit de 4 remarques
concernant des détails relativement techniques:
– les remarques 1 et 2 justifient chacune une différence que la table kantienne fait entre deux fonctions,
différence que les logiciens, en logique générale, peuvent se permettre de ne pas faire; Kant allègue ainsi
qu’en prévision de l’interprétation transcendantale à donner aux fonctions logiques, il lui faut distinguer
• entre jugement universel et jugement singulier
• entre jugement affirmatif et jugement indéfini.
– la remarque 3 donne des explications sur les items du groupe des relations. L’explication concernant la
relation de conséquence (deuxième item) comporte une mise en garde: on pense ici le rapport de principe
à conséquence et seulement ce rapport, sans égard à la question de savoir si les deux propositions
impliquées sont vraies. Concernant la troisième relation (la disjonction), Kant interprète déjà l’opposition
logique qui s’y trouve dans les termes qui seront pertinents, eu égard à la logique transcendantale: les
propositions réunies dans une disjonction déterminent une «sphère de la connaissance possible» (133.1.1)
relativement à quelque objet, ainsi que des rapports entre les parties de cette sphère.
– la quatrième remarque est également explicative; Kant y précise seulement que la modalité concerne non
pas le contenu des jugements mais la valeur de la copule.
TERMINOLOGIE COMPARÉE DE LA LOGIQUE GÉNÉRALE PURE
ET DE LA LOGIQUE TRANSCENDANTALE
I. L’ACTE DE L’ENTENDEMENT
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Logique générale pure
Logique transcendantale
L’acte de l’entendement «consiste à réunir diverses
L’acte de l’entendement consiste à parcourir, recueillir et
représentations sous une représentation commune»
lier de quelque façon la diversité des éléments
(CRPu, Bar 129.1.12-13); cette dernière est un
sensibles a priori que la sensibilité lui fournit [selon
concept.
les résultats déjà obtenus par l’esthétique
transcendantale]. «J’appelle cet acte synthèse.»
L’acte de l’entendement consiste à JUGER.
(CRPu, Bar 135.1.2f) «J’entends donc par synthèse,
«L’entendement ne peut faire de ces concepts
dans
le sens le plus général de ce mot, l’acte qui
d’autre usage que de juger par leur moyen […] nous
consiste
à ajouter diverses représentations les unes
pouvons ramener tous les actes de l’entendement à
aux
autres
et à en réunir la diversité en une
des jugements» (129.f.f-130.1.1)
connaissance.»
(CRPu, Bar 135.2.1-4)
– l’entendement est une faculté de penser
– or penser c’est connaître par concepts
– tout concept est le prédicat d’un jugement possible.
Kant distingue entre «synthèse, dans le sens le plus général de ce mot» (CRPu, Bar 135.2.1-2) et la synthèse
pure: «Cette synthèse est pure, quand la diversité n’est pas donnée empiriquement, mais a priori (comme celle qui
est donnée dans l’espace et dans le temps).» (CRPu, Bar 135.2.4-6) Seule la synthèse pure intéresse l’Analytique
transcendantale.
Kant distingue également entre «la synthèse en général [laquelle] est le simple effet de l’imagination»
(135.3.1-2) et «l’acte qui consiste à ramener cette synthèse à des concepts [lequel] est une fonction qui appartient à
l’entendement, et par laquelle il nous procure d’abord la connaissance dans le sens propre de ce mot.» (CRPu, Bar
135.3.5f) «Allein, diese Synthesis auf Begriffe zu bringen, das ist eine Funktion, die dem Verstande zukommt, […] »
(KrV, Wei 117.2.m4-2)
Logique générale pure
L’acte de l’entendement est considéré seulement
comme produisant les propriétés formelles des
jugements.
L’acte de l’entendement, dans son usage logique,
pourrait peut-être aussi être désigné par le mot
«analyse» (voir III, ci-dessous).
Logique transcendantale
L’acte de l’entendement est considéré comme produisant
le contenu des connaissances, c’est-à-dire ce qu’il y a
d’objectif dans la connaissance;
et, en particulier, dans le cas de la synthèse pure, ce
qu’il y a d’objectif dans la connaissance a priori d’un
objet quelconque.
II. L’UNITÉ DE L’ACTE DE L’ENTENDEMENT EST SPÉCIFIÉE PAR SA FONCTION
Au début de la première section, il n’est pas clair si la définition donnée là de la fonction, vaut seulement pour
l’usage logique de l’entendement, et donc seulement pour le contexte de la logique générale (non transcendantale).
Mais plusieurs indices, par la suite, montrent que le mot «fonction» est également utilisé dans le contexte de la
logique transcendantale et sert à préciser le principe d’unité de l’acte de l’entendement dont il est question. On peut
donc vraisemblablement considérer que la fonction définie comme «l’unité de l’acte qui consiste à réunir diverses
représentations sous une représentation commune» (CRPu, Bar 129.1.11-13) vaut en un sens spécifique pour l’acte
de juger et en un sens générique pour l’acte de synthèse. Ce qui serait cohérent avec le fait que le discours qui
encadre immédiatement la définition concernée vaut évidemment pour les deux contextes: «les concepts supposent
des fonctions», «Les concepts reposent sur la spontanéité de la pensée […] ».
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Logique générale pure
Logique transcendantale
– La fonction «donne l’unité aux diverses
représentations [qui se trouvent] dans un jugement»
136.2.1-2)
– La même fonction donne «l’unité à la simple
synthèse des représentations diverses [qui se
trouvent] dans une intuition, et c’est cette unité qui,
prise d’une manière générale, s’appelle un concept
pur de l’entendement» (136.2.2-5), aussi appelé
catégorie.
– Dans ce contexte, la fonction est spécifiée par
l’expression «unité de la synthèse».
– Dans ce contexte, la fonction est spécifiée par
l’expression «fonction logique».
– l’entendement «au moyen de l’unité analytique, […]
produit dans les concepts la forme logique du
jugement» (136.2.6-7)
– l’entendement «introduit aussi, par la même opération
<durch eben dieselben Handlungen>, au moyen de
l’unité synthétique des éléments divers de l’intuition
en général, un contenu transcendantal dans ses
représentations, et c’est pourquoi elles s’appellent des
concepts purs de l’entendement, qui s’appliquent a
priori à des objets.» (136.2.m7-2)
– Le fait de ramener la synthèse à des concepts est une
fonction de l’entendement (voir citation CRPu, Bar
135.3.5f, ci-dessus).
III. L’ARTICULATION ENTRE ANALYSE ET SYNTHÈSE.
Analyse – unité analytique
Synthèse – unité synthétique
La logique générale «attend que les représentations lui
«Nos représentations doivent être données
soient données d’ailleurs, d’où que ce soit, pour les
antérieurement à l’analyse qu’on en peut faire, et
convertir d’abord en concepts, ce qu’elle fait au
aucun concept ne peut se former analytiquement
moyen de l’analyse» (CRPu, Bar 134.2.1-5; début de
quant à son contenu.» (CRPu, Bar 135.2.6-9) Les
§10)
concepts se forment donc d’abord synthétiquement,
quant à leur contenu; ils résultent de la «synthèse
d’une diversité (qu’elle soit donnée empiriquement
ou a priori)» (CRPu, Bar 135.2.9-11) Et cette
synthèse «est la première chose sur laquelle nous
devions porter notre attention lorsque nous voulons
juger de l’origine de notre connaissance.»
«C’est par le moyen de l’analyse que diverses
représentations sont ramenées sous un concept»
(traduction N. L. au lieu de : CRPu, Bar 135.5.1-2).
«Analytisch werden verschiedene Vorstellungen
unter einen Begriff gebracht» (Wei 3, 117.4.1-2)
L’unité ainsi produite peut donc tout naturellement être
qualifiée d’«analytique»; et c’est elle qu’exprime un
jugement. C’est par l’analyse des diverses
représentations des corps, et la découverte du prédicat
‘divisible’ en chacun, que l’on peut ramener lesdites
représentations sous le concept de divisibilité — ce
qu’on exprime en disant «Les corps sont divisibles».
[Suite immédiate de la citation donnée à gauche]
«mais ce ne sont pas les représentations, c’est la
synthèse pure des représentations que la logique
transcendantale enseigne à ramener à des concepts [à
savoir] les concepts qui donnent l’unité à cette
synthèse pure et qui consistent uniquement dans la
représentation de cette unité synthétique nécessaire»
(CRPu, Bar 135.f.m3-136.1.m3)
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Remarquons que le concept d’unité utilisé pour construire l’opposition conceptuelle entre unité analytique et
unité synthétique, ci-dessus, n’est pas le concept d’unité qui figure dans la table des catégories. C’est probablement
cette idée que Kant exprime explicitement, plus loin, à propos de «la représentation de l’unité synthétique de la
diversité», bien que le rapport entre la catégorie et ladite unité y soit un peu plus médiatisé:
[…] Cette unité qui précède a priori tous les concepts de liaison, n’est pas du tout la catégorie de
l’unité (§10); car toutes les catégories se fondent sur des fonctions logiques de nos jugements, et
dans ces jugements est déjà pensée une liaison, par conséquent une unité de concepts donnés. La
catégorie présuppose donc la liaison. Il faut donc chercher cette unité (comme qualitative, §12) plus
haut encore, c’est-à-dire dans ce qui contient le principe même de l’unité de différents concepts au
sein des jugements, et par conséquent de la possibilité de l’entendement, même au point de vue de
l’usage logique.
(CRPu, Bar 154.1.3-f)
IV. LE RAPPORT ENTRE FONCTION LOGIQUE ET CATÉGORIE
[…] Les catégories sont des concepts d’un objet en général, au moyen desquels l’intuition de cet
objet est considérée comme déterminée par rapport à l’une des fonctions logiques des jugements.
Ainsi la fonction du jugement catégorique est celle du rapport du sujet au prédicat, comme quand je
dis: tous les corps sont divisibles. Mais au point de vue de l’usage purement logique de
l’entendement, on ne détermine pas auquel des deux concepts on veut attribuer la fonction de sujet,
et auquel celle de prédicat. En effet, on peut dire aussi: quelque divisible est un corps. Au contraire,
lorsque je fais rentrer sous la catégorie de la substance le concept d’un corps, il est décidé par là que
l’intuition empirique de ce corps dans l’expérience ne peut jamais être considérée autrement que
comme sujet, et jamais comme simple prédicat. Il en est de même des autres catégories.
(CRPu, Bar 152.3.2-f; dernier paragraphe de §14, du
‹Chap. II. De la déduction des concepts purs de l’entendement.›)
Les formes des jugements sont identifiées par des
adjectifs (universel, particulier, singulier, etc.) qui
qualifient les jugements.
Les concepts purs de l’entendement sont identifiés par
des substantifs; qui désignent la forme de la
détermination conférée à l’objet (qui désignent donc
la manière de le penser): unité, pluralité, totalité…
Pour se souvenir de ce modèle conceptuel par lequel on passe de la logique générale à la logique
transcendantale, on peut donc le résumer ainsi:
– Dans la logique générale pure, tout comme dans la logique transcendantale
• il s’agit de décrire la pensée par concepts ou pensée conceptuelle;
• il s’agit d’identifier le principe qui confère de l’unité à l’acte de l’entendement qui est mis en cause;
• on peut concevoir ce principe comme la fonction de l’acte concerné — c’est ce que fait Kant dans
l’introduction à la table des catégories, p. 136.2; mais Kant emploie aussi le mot «fonction» en un sens plus
spécifique quand il l’assortit de l’adjectif «logique» et selon cet emploi l’expression «fonction logique» (du
jugement, ou dans les jugements) s’oppose à «concepts purs de l’entendement» — opposition que fait Kant
en 136.3.
Kant utilise «Handlung», au singulier ou au pluriel, pour signifier l’acte de l’entendement; Barni
traduit par «acte» dans la première section («J’entends par fonction l’unité de l’acte qui consiste
à…»; «nous pouvons ramener tous les actes de l’entendement à des jugements», p. 129-130) et
au début de la troisième section («J’appelle cet acte synthèse. / J’entends donc par synthèse, dans
le sens le plus général de ce mot, l’acte qui consiste à…». p. 135.) Mais en 136.2 (deuxième
paragraphe avant la table des catégories), Barni traduit «Handlungen» (pluriel) par «opération» (au
singulier).
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–
–
–
En logique générale, l’acte de ramener des représentations à un concept s’effectue par la production de
jugements et l’unité de cet acte, celle aussi de son produit, est donnée par la fonction logique; l’unité du
jugement produit est analytique car c’est par l’analyse de représentations déjà données que l’entendement peut
les ramener à un concept (les unifier sous un concept) et un jugement peut toujours être interprété comme
l’expression d’un résultat d’une telle analyse.
En logique transcendantale, l’acte de ramener des représentations à un concept s’effectue par la synthèse des
représentations fournies par l’intuition. Pour les fins de la logique transcendantale, seule la synthèse pure est à
examiner, puisqu’il s’agit d’identifier des conditions de la possibilité des jugements synthétiques a priori.
L’unité de l’acte de l’entendement, celle aussi de son produit, est donnée par le concept pur de l’entendement;
l’unité de la connaissance a priori ainsi produite est une unité synthétique, puisqu’elle est obtenue par la
synthèse «des éléments divers de l’intuition en général» (CRPu, Bar 136.2.m5).
La synthèse qui produit l’unité synthétique des représentations est considérée comme antérieure à celle qui
produit l’unité analytique car l’analyse ne peut procéder que sur des représentations déjà données.
Dans la logique générale pure, tout comme dans la logique transcendantale, il faut distinguer deux niveaux de
concepts et de production de concepts:
• le niveau des concepts qui surviennent dans les exemples tels que «Les corps sont divisibles» et qui sont les
représentations sur lesquelles l’entendement exerce son acte, sa fonction, au cours de son travail pour
produire des jugements et des connaissances; ces concepts sont ceux des sciences.
• le niveau des concepts au moyen desquels le logicien exprime, dans le vocabulaire de la logique (générale
ou transcendantale) l’unité des actes de l’entendement dont il fait la théorie; en logique générale, ces
concepts sont les fonctions logiques (12 concepts) ; en logique transcendantale, ces concepts sont les
catégories (12 concepts, si l’on considère chaque doublet du groupe ‘Relation’ comme un concept de
relation; et chaque doublet du groupe ‘Modalité’ comme un concept de modalité). Ces concepts sont ceux
de la théorie de l’entendement et on peut les considérer comme des métaconcepts, dans la mesure où la
théorie de l’entendement tient un métadiscours relativement au discours des sciences.
61
K
<> T h è m e # 5
K
<>
L ’ A n a l y t i q u e tr a n s c e n d a n t a l e
I I . La d é d u c t i o n d e s ca t é g o r i e s
4.2.2
4.2.2.1
4.2.2.2
4.2.2.3
4.2.2.4
4.2.2.5
4.2.2.6
4.2.2
La déduction transcendantale des catégories.............................................................................61
Les principales coupures...................................................................................................61
Reconstitution de la démarche et des thèses.....................................................................65
Plan logique de la déduction transcendantale (§16-26, 2e édition)..................................72
Exposé de la première version..........................................................................................75
Comparaison entre la version de la première édition (DT1) et celle de la deuxième
(DT2) ................................................................................................................................77
Idées générales pouvant servir de résumé ou de vue d’ensemble de la déduction
transcendantale..................................................................................................................79
La déduction transcendantale des catégories
4.2.2.1
Les principales coupures; le plan thématique correspondant
Coupure 1.
«il est clair, d’après ce qui a été dit plus haut, que la première condition [c’est-à-dire
l’intuition], celle sans laquelle nous ne saurions percevoir par intuition des objets, sert en réalité a priori dans
l’esprit de fondement aux objets, quant à leur forme. Tous les phénomènes s’accordent donc nécessairement
avec cette condition formelle de la sensibilité, puisqu’ils ne peuvent apparaître, c’est-à-dire être
empiriquement perçus et donnés que sous cette condition. Il s’agit maintenant de savoir s’il n’y a pas aussi
des concepts a priori qui ont une antériorité en tant que conditions qui seules permettent, non pas, certes,
d’apercevoir par intuition mais néanmoins de penser quelque chose comme un objet en général, auquel cas
toute connaissance empirique d’objets se conforme nécessairement à de tels concepts puisque sans eux rien
n’a plus la possibilité d’être un objet d’expérience.» (CRPu, Bar 150.1.m23-7, la coupure est indiquée en gras
par NL.)
Premier thème
Deuxième thème
Coupure
L’intuition (et ses formes a priori)
comme condition de la possibilité des
phénomènes, comme condition du fait
qu’ils apparaissent, qu’ils soient
donnés. L’intuition comme fondement a
priori des objets, quant à leur forme.
Réfère à la déduction transcendantale
effectuée pour l’espace et le temps dans
l’esthétique; cette déduction est
rappelée en §13, p. 148.2-149.1.
Les catégories comme conditions de la
possibilité d’objets en général, de
l’«objet d’expérience», de
«l’expérience (quant à la forme de la
pensée)» (150.1.f-151.1.1»; comme
«fondement objectif de la possibilité
de l’expérience» (CRPu, Bar 151.2.67)
§14. —
Passage à la
déduction
transcendantale des
catégories
62
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Coupure 2.
«je dois faire abstraction de la manière dont est donné ce qu’il y a de divers dans une intuition
empirique, pour ne considérer que l’unité que l’entendement y ajoute dans l’intuition au moyen de la
catégorie. Dans la suite (§26) / on montrera, par la manière dont l’intuition empirique est donnée dans la
sensibilité, que l’unité ce cette intuition n’est autre que celle que la catégorie prescrit […] et que par
conséquent le but de la déduction n’est vraiment atteint qu’autant que la valeur a priori de cette catégorie est
expliquée relativement à tous les objets de nos sens.» (CRPu, Bar 161.2.9-162.2.f)
Amélioration de traduction
162.1.5sqq
«et par conséquent, du fait qu’on a une explication de la validité a priori de cette
catégorie relativement à tous les objets de nos sens, c’est alors que le but de la déduction
sera pleinement atteint.» Le texte de Barni contient un «que» de trop, celui placé devant
«par conséquent le but».
Coupure 3.
«Dans la déduction métaphysique, nous avons prouvé en général l’origine a priori des
catégories par leur accord parfait avec les fonctions logiques universelles de la pensée; dans la déduction
transcendantale, nous avons exposé la possibilité de ces catégories considérées comme connaissances a
priori d’objets d’intuition en général (§20-21). Il s’agit maintenant d’expliquer comment, par le moyen des
catégories, les objets qui ne sauraient se présenter qu’à nos sens peuvent nous être connus a priori, et cela
non pas dans la forme de leur intuition, mais dans les lois de leur liaison, et comment par conséquent nous
pouvons prescrire en quelque sorte à la nature sa loi et même la rendre possible.» (CRPu, Bar 170.2.1-13; la
coupure est indiquée en gras par NL.)
Premier thème
«la possibilité de ces catégories
considérées comme connaissances a
priori d’objets d’intuition en général
(§20-21).»
Deuxième thème
les catégories considérées comme
connaissances a priori des objets «non
pas dans la forme de leur intuition,
mais dans les lois de leur liaison»
Coupure
170.1
§26
la division entre déduction métaphysique et déduction transcendantale a pour effet de nous faire voir que
les §9-10 constituaient la déduction métaphysique
les §20-21 constituent l’essentiel de la déduction transcendantale accomplie jusque là. Les §13-19
fournissent, à titre de préparation, tous les éléments qui permettront de compléter très brièvement
l’argumentation décisive du §20.
le §26 complète la déduction transcendantale des concepts purs de l’entendement.
RECONSTITUTION DU PLAN THÉMATIQUE CORRESPONDANT
L’opposition (DV/OS) entre «divers de l’intuition sensible (pure ou empirique)» et «objets des sens». Dans le
premier alinéa du §26, cette opposition est énoncée entre «objets d’intuition en général» et «objets qui ne sauraient
se présenter qu’à nos sens»; le premier terme de cette opposition contient le mot «objets» bien que la formulation de
la thèse §20 à laquelle il réfère ne contienne pas encore le mot «objet».
L’opposition (OSFI/OSLL) entre «objets des sens connus dans la forme de leur intuition» et «objets des sens
connus dans les lois de leur liaison».
1.
Les catégories comme conditions rendant possible la synthèse du divers des intuitions sensibles en général,
en tant que cette synthèse repose exclusivement sur l’entendement et abstraction faite «de la manière dont est
donnée ce qu’il y a de divers dans une intuition empirique» (CRPu, Bar 161.2.m4-3; §21.1). [Autre
formulation: les «catégories considérées comme connaissances a priori d’objets d’intuition en général» —
170.2.5-6; §26.1.]
[§13-21]
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2.
Les catégories comme conditions rendant possible la connaissance d’objets de l’expérience; ou: la valeur a
priori des catégories expliquées en tenant compte «de la manière dont l’intuition empirique est donnée dans
la sensibilité» (CRPu, Bar 162.1.1-2)
[§22-26]
2.1 connus de nous dans la forme de leur intuition
[§22-25]
2.1.1 en une synthèse qui repose uniquement sur l’entendement et sans distinction entre objets du sens
interne et objets des sens externes
[§22-23]
2.1.2 en une synthèse de l’entendement médiatisée par la synthèse de l’imagination et en tenant compte de
la distinction entre objets du sens interne et objets des sens externes mais en la subsumant sous le
concept d’«objets des sens en général» (dans l’intitulé de §24)
[§24-25]
2.2 connus de nous dans les lois de leur liaison, ces lois étant pensées comme lois de la nature et ainsi
opposées aux lois de notre entendement.
[§26]
Revue des principaux concepts
Le concept d’aperception (pure et empirique…)
«Aperception est un terme mis en usage par Leibniz dans les Nouveaux Essais (1765) tiré du
français s’apercevoir de [— to be aware of —] qui avait été utilisé par Pierre Coste, le traducteur de
Locke, pour traduire ‘perceive’ (Leibniz, 1976, p. 553) Il l’utilisa dans la Monadologie (écrite en
1714, publiée en 1720) pour reprocher au cogito cartésien de ne pas prendre en compte les
perceptions inconscientes, ou “perceptions qui ne sont pas aperçues” (1720, §14). Il définit la
perception comme “L’état transitoire qui englobe et représente une multiplicité dans une unité”
(§14) ou, dans le texte de 1714 des Principes de la nature et de la grâce, comme “l’état interne de la
monade représentant les choses extérieures” (1976, p. 637). L’aperception “est la conscience ou la
connaissance réflexive de cet état interne lui-même, état qui n’est pas donné à toutes les âmes ou à
une âme quelconque tout le temps” (p. 637) Ce concept a joué un rôle central dans la philosophie
théorique de Kant, et constitue l’une des raisons pour lesquelles il a pu décrire la CRPu comme “la
véritable apologie de Leibniz” contre “ses partisans” (Sur une découverte d’après laquelle toute
nouvelle Critique de la raison pure serait rendue inutile par une plus ancienne, ou: Réponse à
Eberhard, 1790. Cité ici dans la traduction en anglais faite par Henry E. Allison: On a Discovery… ,
1973, p. 160).
Kant a adopté la distinction de Leibniz entre perception et aperception, la transposant
approximativement sur la distinction entre intuition et entendement. Mais il a considérablement
étendu la fonction de l’aperception, la rendant ainsi à plusieurs égards mieux adaptée au cogito
auquel elle devait initialement s’opposer. L’aperception leibnizienne proprement dite figure dans la
CRPu à titre de “aperception empirique” ou de “sens intime” qui est “la conscience de soi-même à
considérer les déterminations de notre état dans la perception intérieure” (CRPu, Bar 647.f.f648.1.6) L’aperception empirique, comme c’est le cas avec la version leibnizienne, est épisodique et
“par elle-même éparpillée et sans relation avec l’identité du sujet” (CRPu, Bar 155.2.5-6). En tant
que telle elle forme une partie mineure de la psychologie, tandis que sa partenaire l’“aperception
transcendantale” est l’une des pierres angulaires de la philosophie critique, son importance étant
particulièrement centrale dans la déduction du caractère universel et nécessaire a priori des
catégories.
(Cay, KD 82.3-83.1; début de l’article «Apperception»; traduit par NL)
L’aperception, la manière dont Kant en rend compte, a joué un rôle crucial dans le
développement de l’idéalisme allemand. L’accent sur la conscience de soi a été infléchi vers
l’idéalisme subjectif de Fichte dans lequel la conscience de soi subjective fondait la dérivation des
intuitions, concepts et idées (Science of Knowledge, 1794). Cependant, chez Kant, l’aperception
servait seulement de base à la liaison dans le jugement: elle faisait que les intuitions appartiennent
au sujet et constituait la source des concepts a priori tout en fournissant le fondement de leur liaison
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—
dans le jugement. Mais elle ne pouvait pas être elle-même déterminée davantage; Kant était
cependant très soucieux de la distinguer de toute forme d’intuition intellectuelle.
(Ibid., 83.2)
L’aperception pure: c’est la représentation «je pense», en tant que représentation pouvant accompagner toutes
mes représentations, en tant que représentation du fait que toutes mes représentations sont miennes.
Les synthèses
–
synthèse de l’appréhension (CRPu, Bar 170.3); appréhension: «l’acte qui consiste à admettre [les
phénomènes, en tant que représentations] dans la synthèse de l’imagination.»
–
synthèse figurée; synthèse transcendantale de l’imagination
• déterminer le sens intime conformément à l’unité synthétique de l’aperception, c’est effectuer la synthèse
figurée.
–
synthèse intellectuelle <Synthesis des Verstandes, intellectuale Synthesis, Verstandesverbindung>; une
synthèse reste purement intellectuelle:
• quand elle se rapporte uniquement à l’unité de l’aperception (CRPu, Bar 165.2.6-8); elle fournit un
principe de la possibilité de la connaissance a priori, mais seulement en tant que celle-ci repose sur
l’entendement (il y a aussi des conditions de possibilité telles que la possibilité repose sur la
sensibilité…) (CRPu, Bar 165.2.8-10)
◊ la synthèse intellectuelle est celle mise en évidence par le principe suprême de l’usage de
l’entendement (§16 et §17), sauf qu’elle est conçue par rapport au divers d’une intuition sensible en
général.
• quand il y a application simplement d’une catégorie [einer bloßen Kategorie] au divers d’une intuition
sensible en général (et pas nécessairement la nôtre).
• quand l’imagination n’est pas utilisée pour effectuer la synthèse mais que seul l’entendement l’est.
(CRPu, Bar 166.1.20-23)
Le principe de l’unité originairement synthétique de l’aperception
–
§16 «Le je pense doit pouvoir accompagner toutes mes représentations; car autrement il y aurait en moi
quelque chose de représenté, qui ne pourrait pas être pensé, ce qui revient à dire ou que la représentation
serait impossible, ou du moins qu’elle ne serait rien pour moi.» (CRPu, Bar 154.1.1-5)
Autre façon de dire cette phrase: Le concept de représentation implique relation à une conscience, sinon
actuelle, du moins possible. (Ce qui est une proposition analytique.)
Verneaux interprète la première phrase du §16 comme:
le je pense doit pouvoir accompagner toutes mes représentations, sinon elles sont en moi sans
pouvoir jamais constituer une connaissance
(Ver, VK-II 142.3)
–
La suite de l’argumentation serait:
• pour qu’elles constituent une connaissance, il faut qu’elles soient liées
• pour qu’elles puissent être liées, il faut qu’elles appartiennent au moi capable de les lier, c’est-à-dire au
moi qui pense
◊ car la conscience sensible, étant passive, en est incapable, de sorte qu’elle est diversifiée selon la
diversité des représentations.
–
Autre formulation du principe de l’«unité nécessaire de l’aperception» (principe considéré par Kant comme
analytique):
L’unité synthétique de la conscience est donc une condition objective de toute connaissance; non
seulement j’en ai besoin pour connaître un objet, mais aucune intuition ne peut devenir un objet
pour moi que sous cette condition; autrement, sans cette synthèses, le divers ne s’unirait pas en une
conscience.
(CRPu, Bar 158.1)
65
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L’alinéa suivant (158.2) contient une autre formulation:
[…] toutes mes représentations, dans quelque intuition que ce soit, sont nécessairement soumises à
la seule condition qui me permette de les attribuer, comme représentations miennes, à un moi
identique, et en les unissant ainsi synthétiquement dans une seule aperception, de les embrasser sous
l’expression générale: je pense.
«…daß alle meine Vorstellungen in irgend einer gegebenen Anschauung unter der Bedingung
stehen müssen, unter der ich sie alleinals meine Vorstellungen zu dem identischen Selbst rechnen,
und also,
als in einer Apperzeption synthetisch verbunden, durch den allgemeinen Ausdruck Ich denke
zusammenfassen kann.
et donc de les concevoir, en tant qu’unies synthétiquement dans une aperception, sous
l’expression générale Je pense .
Verneaux risque la formulation : «mes représentations sont miennes». Je dirais: pour “être mes représentations” il est nécessaire et suffisant que des représentations soient unies par et dans le je pense.
ou encore: des représentations sont les miennes si et seulement si existe un je pense en tant que représentation
originaire de l’unité synthétique de ces représentations dans une conscience.
4.2.2.2
Reconstitution de la démarche et des thèses
J’identifie ci-dessous les procédés discursifs et explicite les thèses, pour les sections §13 à §24. Ces
explications préparent la construction du plan logique.
§13.
13.1
13.2
13.3
13.4
13.5
K a n t m o n t r e qu e l e s ca t é g o r i e s de l ’ e n t e n d e m e n t po s e n t un pr o b l è m e s p é c i a l de
d é d u c t i o n t r a n s c e n d a n t a l e et po u r q u o i i l fa u t do n n e r ce t t e dé d u c t i o n . Le s
c o n t r a s t e s ét a b l i s fo n t re s s o r t i r ce qu e ce t t e dé d u c t i o n do i t av o i r de s p é c i f i q u e .
Les définitions. [145.1-146.1]
— Déduction de droit, déduction de fait.
— Déduction empirique, déduction transcendantale; cette dernière est une déduction de droit et s’applique
à des concepts a priori. «Elle consiste à expliquer comment des concepts a priori peuvent se
rapporter à des objets» (CRPu, Bar 146.1.2-3).
[146.2-147.1] Nous avons déjà —suite à l’Esthétique transcendantale et au premier chapitre de
l’Analytique transcendantale — deux espèces bien distinctes de concepts «qui se rapportent entièrement a
priori è des objets; ce sont les concepts de l’espace et du temps, comme formes de la sensibilité, et les
catégories, comme formes de l’entendement.» (CRPu, Bar 148.2.2-5)
Pour ces concepts, il ne peut y avoir qu’une déduction transcendantale, par opposition à une «déduction
empirique» (146.1.5-6; 146.2.6), à une «dérivation physiologique» (146.3.m3-2) qui expliquerait «la
possession d’une connaissance pure» (147.1.1-2) plutôt que sa légitimité, sa valeur objective, etc., caractères
qui relèvent de questions de droit.
[147.2-148.1] Une telle déduction transcendantale est nécessaire; non pas absolument, puisque certaines
sciences s’en passent (la géométrie par exemple), mais du moins dans le cas des concepts purs de
l’entendement.
[148.2] Nous avons accompli déjà — dans l’Esthétique transcendantale — cette déduction pour les
concepts d’espace et de temps. [R a p p e l : ] La synthèse qui s’y opère a une valeur objective car ces
concepts se rapportent «nécessairement à des objets et rendent possible une connaissance synthétique de ces
objets indépendamment de toute expérience» (CRPu, Bar 148.2.3-5)
[148.3-149.1] Pour ce qui est des catégories, leur valeur objective n’est pas encore acquise et elles posent
une difficulté propre à elles car
—
(à la différence des concepts d’espace et de temps) elles «ne nous représentent aucunement les
conditions sous lesquelles des objets sont donnés dans l’intuition;
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—
conséquemment des objets peuvent sans doute <allerdings> nous apparaître, sans qu’ils aient
nécessairement besoin de se rapporter à des fonctions de l’entendement et sans que celui-ci par
conséquent en contienne les conditions a priori.» (148.3.1-7)
Bien insister sur le fait qu’il s’agit d’une hypothèse que la déduction transcendantale entend
réfuter.
—
En bref, la difficulté est «celle de savoir comment des conditions subjectives de la pensée peuvent
avoir une valeur objective.» (CRPu, Bar 148.38-9)
[ 1 4 9 . 2 ] K a n t ex h o r t e l e l e c t e u r à ne pa s m ê m e «p e n s e r s ’ a f f r a n c h i r de l a pe i n e
q u e co û t e n t ce s re c h e r c h e s » et m o n t r e l e u r i n é l u c t a b i l i t é en pr e n a n t po u r
e x e m p l e l e co n c e p t de ca u s e .
§14.
K a n t én o n c e l a co n d i t i o n à l a q u e l l e l a dé d u c t i o n t r a n s c e n d a n t a l e ré u s s i r a ,
a u t r e m e n t di t : l e pr i n c i p e s u r l e q u e l el l e de v r a s e ré g l e r .
14.1 Thèse: «la valeur objective des catégories, comme concepts a priori, reposera sur ceci, à savoir que seules
elles rendent possible l’expérience (quant à la forme de la pensée).» (CRPu, Bar 150.1.m3-151.1.1)
Maj1 «Il y a donc des concepts d’objets en général qui servent, comme condition a priori, de fondement à
toute connaissance expérimentale.» (CRPu, Bar 150.1.m5-3)
Maj1.1 «Il s’agit maintenant de savoir s’il ne faut pas admettre aussi antérieurement des concepts a priori
comme condition qui seules permettent, non pas de percevoir intuitivement, mais de penser en
général quelque chose comme objet
Maj C’est la relation «la représentation rend l’objet possible» qu’il convient d’étudier ici, et non la
relation «l’objet rend la représentation possible».
Maj «Il n’y a pour une représentation synthétique et ses objets que deux manières possibles de
coïncider, de s’accorder d’une façon nécessaire […]. Ou bien c’est l’objet qui rend possible
la représentation, ou bien c’est la représentation qui rend l’objet possible.» (CRPu, Bar
150.1.1-6)
Min Or, le premier cas ne s’applique pas aux représentations a priori et ne concerne donc pas la
difficulté que nous avons soulevée à propos des catégories, lesquelles sont des
représentations a priori.
Puisque dans ce cas le rapport entre la représentation et ses objets est strictement
empirique. «Tel est le cas des phénomènes, relativement à ceux de leurs éléments
qui appartiennent à la sensation.»
Min Or, il y a deux conditions qui seules rendent possible la connaissance d’un objet: l’intuition et le
concept.
Min Or, pour ce qui est de l’intuition, nous avons déjà montré plus haut [entendons: dans
l’Esthétique transcendantale] qu’elle «sert en réalité a priori dans l’esprit de fondement aux
objets, quant à leur forme.» (CRPu, Bar 150.1.21-23)
[En d’autres mots, la question de la déduction transcendantale a été réglée pour ce qui est de
l’intuition, en tant que représentation qui rend possible l’apparition des phénomènes, le fait
qu’ils soient donnés.]
Maj1.2 s’il existait des concepts a priori ayant le statut de «conditions qui seules permettent […] de
penser en général quelque chose comme objet […] alors toute connaissance empirique des objets
serait nécessairement conforme à ces concepts, puisque sans eux il n’y aurait rien de possible comme
objet d’expérience.» (CRPu, Bar 150.1.m14-8)
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Ici deux problèmes d’exégèse:
1) trouver l’interprétation qui évite de présenter cette proposition comme une tautologie;
2) trouver le bon sens de la relation logique d’implication.
Si un objet d’expérience (donc déterminé) est donné, alors il existe des conditions permettant de
penser en général quelque chose comme objet. Il suffit que des objets d’expérience soient pensés
sous quelque concept pour que l’on puisse affirmer l’existence de concepts permettant de penser
quelque chose comme objet en général. Si A est une condition nécessaire de B, la conditionnelle
qui exprime cette relation est «B implique A». Ici, c’est B qui est affirmé par la mineure qui suit.
Min1.3 «Or toute expérience contient, outre l’intuition des sens, par laquelle quelque chose est donné, un
concept d’un objet donné dans l’intuition ou nous apparaissant.» (CRPu, Bar 150.1.m8-6)
Il s’agit là du pivot du raisonnement. Kant énonce cette proposition comme si elle exprimait un fait
évident, d’observation courante…
Min2
Les catégories sont de tels concepts: «Elles se rapportent […] nécessairement et a priori, à des objets
d’expérience, puisque ce n’est que par elles en général qu’un objet <irgend ein Gegenstand> de
l’expérience peut être pensé.» (CRPu, Bar 151.1.1-f)
Problème d’exégèse: Pourquoi la thèse qui domine §14 ne constitue-t-elle pas la déduction
transcendantale. Parce que Maj1 est programmatique, Maj1.2 est hypothétique et Min1.3 une
observation de fait (qui n’affirme pas encore la fonction transcendantale des concepts visés). De
plus, Min2 n’est qu’une définition nominale.
§14 sert à donner une sorte de «définition» de ce que veut dire «avoir une valeur objective»? Et si
la signification de «avoir une valeur objective» se trouve précisée en §14, est-ce que les
formulations suivantes s’équivalent toutes: être la condition
— qui seule permet «de penser en général quelque chose comme objet»
(CRPu, Bar 150.1.m12-11)
— qui seule permet que quelque chose soit possible «comme objet d’expérience»
— qui seule permet «la possibilité des expériences (soit de l’intuition qui s’y trouve, soit de la
pensée)» (CRPu, Bar 151..2.4-6)
— «qui sert de fondement à toute connaissance expérimentale <Erfahrungserkenntnis> »
(CRPu, Bar 150.1.m4-3)
— «qui fournit le fondement objectif de la possibilité de l’expérience» (CRPu, Bar 151.2.6-7)
?
14.2 Conséquence pratique tirée de la thèse: «La déduction transcendantale de tous les concepts a priori a donc
un principe sur lequel doit se régler toute notre recherche, c’est celui-ci: il faut que l’on reconnaisse dans ces
concepts autant de conditions a priori de la possibilité des expériences (soit de l’intuition qui s’y trouve, soit
de la pensée).» (CRPu, Bar 151.2.1-6)
Paraphrase: il nous faudra, pour réaliser la déduction transcendantale, trouver quelque chose qui
nous permette de reconnaître…
À l a fi n de l a s e c t i o n §1 4 , Ka n t an n o n c e l a dé d u c t i o n t r a n s c e n d a n t a l e .
«Nous sommes maintenant en mesure de rechercher si l’on ne peut pas conduire la raison entre ces
deux écueils [l’extravagance de Locke, le scepticisme de Hume] et lui fixer des limites déterminées,
tout en laissant ouvert le champ de sa légitime activité.» (CRPu, Bar 152.2.4f)
(Dans la première édition, il identifie les 3 «sources primitives (capacités ou facultés de l’âme) qui
contiennent les conditions de la possibilité de toute expérience […] : […] le sens, l’imagination et
l’aperception» (CRPu, Bar 151.note a) et annonce les 3 synthèses correspondantes.)
§15.
D é b u t de l a dé d u c t i o n t r a n s c e n d a n t a l e . Dé b u t de l a t h é o r i e de l a s y n t h è s e . Ka n t
p a r t de l a no t i o n de l i a i s o n et ef f e c t u e un e ré g r e s s i o n ex p l i c a t i v e , c. - à - d . un e
e x p l i c a t i o n de l a l i a i s o n pa r un e co n d i t i o n de s a po s s i b i l i t é .
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La liaison (dont on postule la nécessité et la réalité)
– est un acte (appelé «synthèse»} de l’entendement, de la faculté de représentation, et ne peut jamais nous
venir des sens.
– est la représentation de l’unité synthétique de la diversité.
– est la seule représentation qui ne puisse nous être fournie par des objets.
Thèse: la représentation de cette unité
– «ne peut résulter de la liaison»
– «rend possible le concept de la liaison»; «précède a priori tous les concepts de liaison». On peut penser
ici aux diverses «synthèses» dont Kant introduira le concept: synthèse intellectuelle, figurée, de
l’imagination, de l’appréhension…
Où faudra-t-il aller pour trouver cette unité? Dans ce qui contient le principe de l’unité de différents concepts
au sein des jugements, «principe même de la possibilité de l’entendement, même au point de vue logique» (CRPu,
Bar 154.1) Cette phrase sert de transition et annonce la définition de l’unité qui sera donnée en §16. Remarquons
l’emploi que fait Kant de la relation de condition de possibilité; il l’utilise comme règle d’inférence pour compléter
une explication.
Commentaires sur §15.
– Kant définit négativement le principe de l’unité de la diversité dans la synthèse. C’est §16 qui va donner
la définition positive et qui nous placera d’emblée au niveau le plus élevé de la synthèse (ou des
synthèses).
– Il semble éclairant de faire intervenir l’idée de la reproductibilité des phénomènes pour faire comprendre
l’idée de l’unité synthétique de la diversité.
– la théorie de la synthèse commence en attribuant la synthèse à l’entendement, et n’introduit pas d’emblée
la séquence graduée des synthèses (synopsis, appréhension, synthèse figurée, unité de la synthèse…)
§16.
S u i t e de l a t h é o r i e de l a s y n t h è s e . Ka n t dé f i n i t l e co n c e p t ce n t r a l de l a dé d u c t i o n t r a n s c e n d a n t a l e : l ’ u n i t é or i g i n a i r e m e n t s y n t h é t i q u e de l ’ a p e r c e p t i o n UO S A .
16.1 [CRPu, Bar 154.2-155.1] Position du fait de l’aperception comme condition nécessaire de la pensée de mes
représentations, soit sous l’appellation d’«aperception pure, ou originaire», soit sous l’appellation
d’«aperception transcendantale».
16.2 & 16.3 Conséquence. L’idée que l’aperception pure doit accompagner toutes mes représentations me fournit
une solution à la question: comment m’est-il possible de «me représenter l’identité de la conscience» (CRPu,
Bar 155.2.12-13) compte tenu de la diversité des représentations données dans l’intuition et du caractère
forcément éparpillé de la conscience empirique de soi? Comment puis-je me représenter «l’identité du sujet»
(155.2.6)? D’où me vient ma conscience d’un moi identique» (CRPu, Bar 156.2.m10)?
le fait de pouvoir lier en une conscience une
diversité de représentations
rend possible
que je me représente l’identité de la
conscience dans ces représentations mêmes
[Reformulation:] Le fait qu’existe telle chose
qu’une unité originairement synthétique de
l’aperception accompagnant toutes mes
représentations (=thèse dominant §16.1)
rend possible
[Reformulation:] que je me représente que la
conscience qui se retrouve dans ces
représentations, d’une fois à l’autre, est la
même conscience
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…quelque unité synthétique [de la
rend possible –
conscience] doit être supposée si
l’on veut
comprendre –
l’unité analytique de l’aperception (le fait
que ce soit le même je pense qui se retrouve
d’une occurrence à une autre de représentations données dans l’intuition, de sorte que
je puisse produire le concept de ce moi, à la
façon dont je produis analytiquement le
concept de ‘rouge’ en l’abstrayant des
choses rouges)
Explication de la différence entre unité analytique et unité synthétique. Pour comprendre l’unité analytique,
on se représente la situation classique (en logique) dans laquelle plusieurs individus logiques ont un trait commun,
par exemple le trait ‘rouge’, que l’on conçoit au moyen du concept commun ‘rouge’, à l’issue d’un processus
d’abstraction. L’abstraction présuppose que je peux reconnaître par analyse la présence de ce trait en chaque
individu et que je peux me représenter ce trait comme liable. En subsumant les individus rouges sous la classe des x
rouges j’unifie ces représentations sous la représentation du rouge; le jugement: «Les x sont rouges» exprime cela,
entre autres…; les représentations ramenées au concept de rougeur possèdent une unité analytique. Pour comprendre
l’unité synthétique, on se représente le rouge, le végétal, le comestible, la taille, etc., en somme les propriétés que
l’on regroupe dans le concept d’un objet qui les possède. Dans la représentation d’une tomate mure, j’unifie
synthétiquement plusieurs représentations de propriétés; dans la représentation du rouge, j’unifie analytiquement
tous les objets qui ont, entre autres, la propriété rouge.
x
unité
analytique
X Y Z
M X N
A B X
unité
synthétique
\ /
`
|
´
–
/ –
La figure ci-dessus permet de voir à la fois la différence entre les deux actes d’unification et en quel sens
l’unité analytique présuppose, comme le dit Kant, l’unité synthétique.
§17.
D e §1 7 à §2 5 , i l s ’ a g i t po u r Ka n t de pa r t i r du pr i n c i p e s u p r ê m e (l a co n d i t i o n
U O S A ) et de pr o u v e r l a va l e u r ob j e c t i v e de s ca t é g o r i e s .
Formulation du principe: «…tous les éléments divers de l’intuition [sont] soumis aux
conditions de l’unité originairement synthétique de l’aperception.» (CRPu, Bar 157.1.3-5)
L’unité originairement synthétique de l’aperception est ce qui seul constitue la valeur objective des
représentations (CRPu, Bar 157.2.m5-3).
L’unité originairement synthétique de l’aperception est une condition objective de toute connaissance. (CRPu,
Bar 158.1.4-6)
§18.
D é f i n i t i o n de l ’ « u n i t é ob j e c t i v e » , no t i o n qu i s e r a ut i l i s é e da n s l a m i n e u r e à
v e n i r (e n §1 9 ) .
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Seule l’unité transcendantale de la conscience a une valeur objective; l’autre unité de la conscience,
l’empirique, n’a de valeur que subjective.
§19.
G r â c e à un e dé f i n i t i o n ap p r o p r i é e du j u g e m e n t , Ka n t fa i t l e l i e n en t r e l ’ u n i t é
d e s j u g e m e n t s t e l l e qu e t h é o r i s é e en l o g i q u e gé n é r a l e pa r l a no t i o n de fo n c t i o n
l o g i q u e (§ 9 ) et l ’ u n i t é ob j e c t i v e de l ’ a p e r c e p t i o n pu r e .
Ce lien sera utilisé dans les trois mineures de §20.
Le jugement «n’est autre chose qu’une manière de ramener des connaissances données à l’unité objective de
l’aperception» (CRPu, Bar 160.2.6-8), c’est-à-dire à l’unité originairement synthétique de l’aperception.
Autre formulation: les représentations, dans un jugement, «se rapportent les unes aux autres dans la synthèse
des intuitions grâce à l’unité nécessaire de l’aperception» (CRPu, Bar 160.2.17-19)
§20.
K a n t fa i t l e l i e n en t r e l ’ u n i t é or i g i n a i r e m e n t s y n t h é t i q u e de l ’ a p e r c e p t i o n et l e s
c a t é g o r i e s et ét a b l i t ai n s i l a pr o p o s i t i o n do n t Ka n t di r a en §2 1 qu ’ e l l e co n s t i t u e
« l e po i n t de dé p a r t d’ u n e d é d u c t i o n de s co n c e p t s pu r s de l ’ e n t e n d e m e n t »
(161.2.9-10)
C’est par la catégorie que le divers présent dans une intuition est ramené à l’unité originairement synthétique
de l’aperception.
§21.
K a n t ré s u m e l e ch e m i n pa r c o u r u , an n o n c e l a fo n c t i o n de s §2 2 - 2 5 et do n n e un e
p r é c i s i o n de t y p e m i s e en ga r d e , en 16 2 . 2 .
21.1La première phrase est composée de deux propositions:
– la première est la première majeure du raisonnement de §20.
– la deuxième (à savoir: «cela arrive par le moyen des catégories») est la conclusion de §20, une
évocation du résultat de §20.
Toute la première phrase de §21 est donc une sorte de résumé-synthèse de §20.
21.1 La deuxième phrase. Thèse: «[La catégorie] montre donc que la conscience empirique d’une diversité
donnée dans une intuition est soumise à une conscience pure a priori, de même que l’intuition empirique est
soumise à une intuition sensible pure qui a également lieu a priori.» (CRPu, Bar 161.2.5-8)
intuition sensible pure
conscience pure a priori
intuition empirique
conscience empirique
La dernière phrase de §21.1 annonce la poursuite de la déduction au §26 et le rôle des sections suivantes §22-25
comme compléments de ce qui vient d’être affirmé des catégories; il faut montrer, dit Kant, avant de passer à la
section §26, que la catégorie a une valeur a priori «relativement à tous les objets de nos sens» (CRPu, Bar
162.1.2f)
21.2
[162.2] Rappel de la condition d’antériorité et d’indépendance du divers donné dans l’intuition — l’entendement ne jouit pas d’une capacité d’intuition intellectuelle. L’entendement ne fait que lier.
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§22.
L e s s e c t i o n s §2 2 - 2 5 fo r m e n t ce t t e pa r t i e de l a dé d u c t i o n t r a n s c e n d a n t a l e qu i ,
s e l o n 17 0 . 2 . 1 0 (§ 2 6 . 1 ) , ex p l i q u e co m m e n t l e s ob j e t s de no s s e n s pe u v e n t no u s
ê t r e co n n u s a pr i o r i pa r l e s ca t é g o r i e s «d a n s l a fo r m e de l e u r i n t u i t i o n » .
Les formes de l’intuition entre lesquelles il s’agit de distinguer sont au nombre de deux: l’intuition pure et
l’intuition empirique. La pertinence de la distinction tient à l’intérêt de distinguer entre les objets mathématiques et
les objets capables de fournir des sensations.
– Les premiers sont des déterminations de l’intuition pure,
– les seconds, des déterminations des intuitions empiriques.
Kant utilise le mot «chose» en un sens plus concret que le mot «objet».
Thèse: «Les catégories n’ont d’usage relativement à la connaissance des choses qu’autant que ces choses sont
regardées comme des objets d’expérience possible.» (CRPu, Bar 163.1.4f)
Maj Elles servent seulement à la connaissance empirique
Les choses ne sont données dans l’ espace et dans le temps que comme perceptions, c’est-à-dire
au moyen d’une représentation empirique. [Pour rendre cette proposition plausible, Kant montre
qu’elle est vraie même s’il existe des connaissances mathématiques, car celles-ci ne concernent
que la forme des objets. — CRPu, Bar 163.1.14-15] Cependant le statut des concepts
mathématiques n’est pas élucidé ici: Kant laisse en suspens la question de savoir s’il existe des
choses «qui ne peuvent être représentées que suivant la forme de cette intuition sensible pure»
(CRPu, Bar 163.1.m19-18)
Min «Or c’est cette connaissance que l’on nomme expérience.» — CRPu, Bar 163.1.m5-4. [Noter:
l’expérience, en tant que connaissance, est donc un produit de l’entendement et non de la sensibilité.]
§23.
C o m m e n t a i r e s u r l a di f f é r e n c e en t r e us a g e (d e l a ca t é g o r i e ) l i m i t é au x ob j e t s
« d e l ’ i n t u i t i o n en gé n é r a l » et us a g e l i m i t é à ce u x «d e n o t r e i n t u i t i o n » .
Cette différence ne nous sert de rien. [Kant fait allusion à la pensée d’un être qui ne pourrait pas être donné à
mon intuition.]
§24.
I n t r o d u c t i o n de l a di f f é r e n c e en t r e UO S A co m m e s y n t h è s e pu r e m e n t i n t e l l e c t u e l l e et s y n t h è s e fi g u r é e (o u s y n t h è s e t r a n s c e n d a n t a l e de l ’ i m a g i n a t i o n ) .
24.1 Différence entre sens intime et UOSA
Amélioration de traduction 165.2.12-f, §24.1 : «Mais comme en nous l’intuition sensible a priori a pour
fondement une certaine forme qui repose sur la réceptivité de notre capacité représentative (la sensibilité),
l’entendement peut alors, en tant que spontanéité, en agissant sur le divers des représentations données,
déterminer le sens intime conformément à l’unité synthétique de l’aperception et ainsi concevoir l’unité
synthétique de l’aperception du divers de l’intuition sensible a priori comme la condition à laquelle tous les
objets de notre intuition (l’intuition humaine) sont nécessairement soumis; en effet, c’est par là, par cette
condition, que les catégories, en tant que simples formes de pensée, reçoivent une réalité objective, c’est-àdire une application aux objets qui peuvent être donnés dans notre intuition, mais donnés seulement à titre de
phénomènes; car nous ne sommes capables d’intuition a priori que par rapport aux phénomènes.»
24.2 Thèse sur la connaissance du moi comme cas particulier:
—
je ne me connais que «tel que je m’aperçois» (CRPu, Bar 168.1.15)
—
«nous ne connaissons notre propre sujet que comme phénomène» (CRPu, Bar 168.f.f-169.1.f)
72
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_____________________________________________________________________________________________
—
24.3
«le sens intime ne nous présente nous-mêmes à la conscience que comme nous apparaissons et non
comme nous sommes en nous-mêmes, parce que notre seule intuition de nous-mêmes n’est autre que
celle de la manière dont nous sommes intérieurement affectés.» (CRPu, Bar 166.2.3-8)
Le sens intime est autre chose que l’unité originairement synthétique de l’aperception. [167.1.13f]
La démarche précédente de la déduction transcendantale est évoquée rétrospectivement par Kant dans un
passage de la dialectique: «Il nous faut suivre ici le chemin que nous avons pris plus haut dans la déduction
des catégories, c’est-à-dire examiner la forme logique de la connaissance rationnelle, et voir si par hasard la
raison n’est point par là source de concepts <ob nicht etwa die Vernunft dadurch auch ein Quell von
Begriffen werde> qui nous font regarder des objets en eux-mêmes comme synthétiquement déterminés a
priori par rapport à telle ou à telle fonction de la raison.» (CRPu, Bar 326.2).
§26.
N o u s ve n o n s de vo i r co m m e n t , pa r l e s ca t é g o r i e s , l e s ob j e t s de s s e n s pe u v e n t
n o u s êt r e co n n u s a pr i o r i d a n s l a fo r m e d e l e u r i n t u i t i o n et i l no u s re s t e à
v o i r co m m e n t i l s no u s s o n t au s s i co n n u s a pr i o r i d a n s l e s l o i s d e l e u r
l i a i s o n. (1 7 0 . 2 . 7 - 1 1 )
Les thèses seront détaillées dans le plan logique qui suit.
4.2.2.3
Abréviations:
Plan logique de la déduction transcendantale (§16-26, 2e édition)
UOSA :
DV :
CPE
DT :
unité originairement synthétique de l’aperception (aussi: unité synthétique
originaire de l’aperception).
le divers de l’intuition sensible.
:
les concepts purs de l’entendement.
déduction transcendantale.
PLAN LOGIQUE
A S S O R T I D E R E M A R Q U E S S U R L A D É M A R C H E (les procédés discursifs)
1. «Ce qu’il y a de divers dans une intuition est donc nécessairement soumis Kant rappelle que, dans la
à des catégories» (CRPu, Bar 161.1.3f)
§20
démarche qui en arrive à cette
«Toutes les intuitions sensibles sont soumises aux catégories, comme aux
formulation, il n’a pas encore
seules conditions sous lesquelles DV puisse en être ramené à l’unité de
tenu compte de «la manière dont
conscience.» (intitulé de §20. CRPu, Bar 161)
l’intuition empirique est donnée
dans la sensibilité» (162.1.1-2)
Cette manière, c’est la
sensation; il reste à introduire
les sens, l’expérience avant
d’arriver à la thèse qui concerne
«l’usage expérimental» des
CPE.
– «Tout divers est déterminé par rapport à l’une des fonctions logiques
du jugement et c’est par elle qu’il est ramené à l’UOSA»
§20
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• Il faut que tous les éléments de DV soient soumis aux conditions
Tel est le PRINCIPE SUPRÊME de
de UOAS
la possibilité de toute intuition,
§17
par rapport à l’entendement;
CRPu, Bar 157.1.2-5.
◊ l’unité de l’intuition n’est possible que par UOSA
Postulat initial.
§16
• L’acte de l’entendement par lequel DV est ramené à une
aperception en général est la fonction logique des jugements
§19
– «Or les catégories ne sont pas autre chose que ces mêmes fonctions
[logiques], en tant que la diversité d’une intuition donnée est
déterminée par rapport à ces fonctions.» (CRPu, Bar 161.1.m6-3;
accentuation due à NL)
§10
2. «La catégorie n’a d’autre usage dans la connaissance des choses que de
Cette thèse remplace DV par une
s’appliquer à des objets d’expérience.» (intitulé de §22)
conceptualité plus spécifique.
«Les catégories n’ont donc d’usage relativement à la connaissance des
Elle introduit la relation des
choses, qu’autant que ces choses sont regardées comme des objets
catégories aux objets, et par la
d’expérience possible.» (conclusion de §22 dans le texte; 163.1.4f)
notion d’objet des sens, intro§22
duit la notion d’expérience, puis
celle d’expérience possible.
C’est la première thèse qui concerne le rapport des catégories aux
objets de l’expérience.
– «Les catégories ne nous fournissent donc de connaissances des
choses au moyen de l’intuition, qu’autant qu’elles sont applicables à
l’intuition empirique, c’est-à-dire qu’elles servent seulement à la
possibilité de la connaissance empirique.» (163.1.m9-5)
– «Or c’est cette connaissance que l’on nomme expérience.»
(163.1.m5-4)
[Le §23 n’est qu’un commentaire de §22.] La thèse 2 «détermine les
La thèse précédente a une formulalimites de l’usage des concepts purs de l’entendement» (163.2.1-2).
tion purement négative, ou limitative; et le §23 ne fait rien
d’autre que souligner ce fait.
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3. «L’entendement peut […], en tant que spontanéité, déterminer le sens
Les verbes au passé contenus dans
intime, conformément à l’unité synthétique de l’aperception, par les
la 2e phrase du §24 semblent
éléments divers de représentations données, et penser ainsi l’unité
faire référence à ce que nous
synthétique de l’aperception des éléments divers de l’intuition sensible a
avons fait jusqu’ici dans la DT:
priori comme la condition à laquelle sont nécessairement soumis tous les
nous n’avons considéré que la
objets de notre intuition (de l’intuition humaine). C’est ainsi que les
synthèse intellectuelle contenue
catégories, ces simples formes de la pensée, reçoivent une réalité
dans les catégories.
objective, et s’appliquent à des objets qui peuvent nous être donnés dans
Voici la première formulation posil’intuition, mais seulement à titre de phénomènes» (CRPu, Bar 165.2.14tive (et non seulement limitative)
f).
de la valeur objective des
catégories eu égard à leur usage
§24
expérimental; la formulation liIl s’agit des «objets des sens en général» (cf. l’intitulé), y compris ceux du
mitative du tout dernier membre
sens intime.
de phrase («mais seulement à
Paraphrase: la synthèse, tout en continuant d’être l’oeuvre de
titre de phénomènes») rappelle
l’entendement conformément à UOSA, commence dès l’intervention de
la thèse §22).
l’imagination productrice dans le processus, en tant que faculté
déterminante (et pas seulement déterminable).
3.1 «Je ne me connais nullement comme je suis, mais seulement comme Cette thèse résulte d’une
je m’apparais à moi-même. La conscience de soi-même est donc bien
application de la thèse 3 au cas
loin d’être une connaissance de soi-même, malgré toutes / les
particulier de la représentation
catégories qui constituent la pensée d’un objet en général, en reliant
de moi que j’ai dans le sens
le divers en une aperception.» (CRPu, Bar 170.2.m4-171.1.2)
intime, représentation qui ne
doit pas être confondue avec la
dernière partie de §24, plus §25
représentation je pense
(=UOSA).
4. Les catégories rendent possible notre connaissance a priori des objets des Cette thèse introduit pour la
première fois dans DT la notion
sens, non seulement dans la forme de leur intuition (comme il a été
de «la nature». Il s’agit ici
montré dans les thèses 2 et 3 ci-dessus) mais encore «dans les lois de leur
spécifiquement des intuitions
liaison» (CRPu, Bar 170.2.m7.5).
empiriques et de la synthèse déjà
§26
contenue dans les perceptions.
Autre formulation: «toutes les perceptions possibles, par conséquent aussi tout ce qui peut arriver à la conscience
empirique, c’est-à-dire tous les phénomènes de la nature doivent être, quant à leur liaison, soumis aux catégories. Et
la nature (considérée simplement comme nature en général, ou en tant que natura formaliter spectata) dépend de ces
catégories comme du fondement originaire de sa conformité nécessaire à des lois.» (173.2.25-32)
4.1 Toute synthèse par laquelle la perception même est possible est
soumise aux catégories» (CRPu, Bar 171.2.m7-5)
Dans le premier exemple (celui de la maison), «la synthèse de
l’appréhension, c’est-à-dire la perception, […] doit […] être
entièrement conforme [à la catégorie de la quantité, comme catégorie
de la synthèse de l’homogène dans une intuition en général]». (172.1)
Dans le second exemple, celui de la congélation de l’eau,
«l’appréhension dans un événement de ce genre, et par conséquent cet
événement lui-même, relativement à la possibilité de la perception, est
soumis au concept du rapport des effets et des causes.» (172.2)
75
Cette prémisse est donnée comme
une nouvelle façon de dériver la
thèse déjà posée à propos des
objets des sens en général; ce
que cette nouvelle façon a de
particulier, c’est qu’elle fait
commencer la synthèse avec la
perception.
Cette prémisse ne permet pas
encore de dériver la thèse 4.
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4.2 Les phénomènes «ne sont soumis à aucune autre loi de liaison qu’à
celle que prescrit la faculté qui relie» (173.2.16-17)
4.3 «Or la faculté qui relie les éléments divers de l’intuition sensible est
l’imagination» (173.2.18-19)
4.4 «Or, puisque toute perception possible dépend de la synthèse de
l’appréhension
4.5 la synthèse de l’appréhension dépend des catégories
La thèse 4.3 a été posée en §24
(thèse 3)
=thèse 4.1
Commentaire restrictif (précaution): «Des lois particulières, concernant des
phénomènes donnés empiriquement, sont sans doute soumises à ces
catégories, mais elles ne peuvent pas en être tirées complètement.»
(173.2.m5-3)
5. [Proposition-résumé.] «Les catégories contiennent, du côté de
l’entendement, les principes de la possibilité de toute expérience en
général.» (CRPu, Bar 174.3.m4-2)
6. [Proposition-transition.] «Mais comment [les catégories] rendent-elles
possible l’expérience, et quels principes de la possibilité de l’expérience
fournissent-elles dans leur application à des phénomènes?»
Noter l’articulation entre concepts
et principes; c’est elle qui articule l’analytique des principes à
l’analytique des concepts.
En introduisant l’idée d’une action de l’entendement sur le sens intime — c’est cela qui caractérise la
synthèse figurée, ou synthèse de l’imagination —, Kant peut généraliser la thèse de la valeur objective des
catégories aux «objets des sens en général» jusqu’au point de pouvoir tenir compte aussi bien du sens intime (ou
interne) que des sens externes. Le bénéfice obtenu est que je peux maintenant compter moi-même parmi les objets
dont les catégories rendent la connaissance possible, puisque c’est dans le sens intime et selon les formes du temps
que se trouve la diversité des intuitions que je suis susceptible d’avoir de moi-même, intuitions par lesquelles seules
je peux obtenir une connaissance de moi-même.
4.2.2.4
Exposé de la première version
Kant annonçait lui-même dans la Préface à la première édition que son texte sur la déduction transcendantale
comportait deux parties. Il employait lui-même pour les qualifier l’opposition conceptuelle entre subjectif et
objectif:
La déduction subjective
La déduction objective
«[Cette partie] se propose de considérer l’entendement par lui-même au point de vue de sa
possibilité et des facultés de connaître sur
lesquelles il repose — par conséquent, au point de
vue subjectif.»
«[Cette partie] se rapporte aux objets de ,
l’entendement pur, et il faut qu’elle montre et fasse
comprendre la valeur objective de ses concepts a
priori; aussi tient-elle essentiellement à mon but.»
(CRPu, Bar 33.3.9-12)
Cette partie examine «comment la faculté même
de penser est possible» et «bien que cet examen ait
une grande importance relativement à mon but
principal, il n’y appartient pourtant pas
essentiellement» (CRPu, Bar 33.3.6f)
La «question capitale», traitée par la première
partie, est «de savoir ce que l’entendement et la
raison, indépendamment de toute expérience,
peuvent connaître» (33.3.m4-2)
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«cette dernière question est en quelque sorte la
recherche de la cause d’un effet donné, et […]
sous ce rapport, elle contient quelque chose de
semblable à une hypothèse (bien qu’en réalité il en
soit tout autrement, comme je le montrerai dans
une autre occasion)» (Ibid., 34.1-5). Cela pourrait
inciter le lecteur à penser que je me permets, dans
cette partie, «des opinions» (33.1.6) seulement.
«… dans le cas où ma déduction subjective
n’aurait pas produit en [le lecteur] l’entière
conviction que j’en attends, la déduction objective,
qui est surtout le but de mes recherches, n’en
aurait pas moins toute sa force.» (CRPu, Bar
34.1.m5-2)
Commentaire.
Il s’agit d’une «déduction subjective et
psychologique»; elle cherche à montrer comment
les facultés de la connaissance s’organisent pour
constituer une totalité unifiée». (Phi, OK I
149.1.8f)
Il s’agit d’une «déduction objective et
transcendantale»; elle cherche à montrer comment
a priori catégories et phénomènes peuvent se lier
dans la détermination du donné fourni par la
sensibilité.» (Phi, OK I 149.1.8f)
«Le problème, posé de manière psychologique, est
donc initialement: comment la synthèse est-elle
possible?» (Phi, OK I 152.1.1-3)
«Kant pose son problème en une perspective
psychologique tout d’abord. De là le début du Æ14
de la Critique de la raison pure […]. De là aussi la
question: “Comment des conditions subjectives de
la pensée peuvent-elles avoir une valeur objective,
c’est-à-dire fournir les conditions de la possibilité
de toute connaissance des objets?”»(Phi, OK I
154.2.1-9)
«La déduction objective, qu’on la considère sous
sa forme de 1781 ou de 1787, est dominée par
deux problèmes: premièrement réfuter les thèses
de Hume — secondement fixer la fonction exacte
de l’imagination. Ce second problème lui-même
trouve son prolongement dans le schématisme
transcendantal. » (Phi, OK I 164.2.1-6)
Concernant la fonction de la déduction subjective et le passage à la déduction objective.
[…] Prise à la lettre cette question [«comment des conditions subjectives de la pensée…»] nous
détourne du criticisme en nous renvoyant à la problématique dogmatique du “sujet” et de l’“objet”,
qu’il dépasse en substituant à ce dualisme celui du phénomène et du noumène et en montrant que la
connaissance comme méthode est première par rapport à l’objet et au sujet qu’elle permet seule de
poser. Néanmoins cette question exprime l’approche psychologique nécessaire du problème de la
déduction […] et elle doit comme telle être limitée, ne pouvant jamais signifier qu’il s’agit de
montrer comment l’objet se ramène au sujet mais seulement que la liaison effective du sujet et de
l’objet — comme factum — renvoie au principe suprême de la méthode, qui permet de les poser l’un
et l’autre. Le but fondamental de la déduction subjective est donc le passage définitif de l’a priori
métaphysique à l’a priori transcendantal , par le dévoilement du principe méthodique qui rend
possible comme dérivée et non originaire la dualité du sujet et de l’objet. C’est pourquoi l’on peut
dire que la déduction subjective est l’“Aufhebung”, le dépassement de la subjectivité.
(Phi, OK I 154.2.m5-155.1.1-20)
Les trois premières sections de la déduction transcendantale de 1781 sont respectivement:
«1.— De la synthèse de l’appréhension dans l’intuition.» (CRPu, Bar 643)
«2.— De la synthèse de la reproduction dans l’imagination.» (CRPu, Bar 644)
«3.— De la synthèse de la récognition dans le concept.» (CRPu, Bar 645)
Et c’est au milieu de cette troisième section que Kant demande «Qu’est-ce donc qu’on entend quand on parle d’un
objet correspondant à la connaissance et par conséquent distinct de cette connaissance?» (CRPu, Bar 646.3.7-9)
77
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C’est à ce tournant que Philonenko situe le passage de la déduction subjective à la déduction objective. Kant fournit
la réponse là, immédiatement après la question posée:
Il est aisé de voir que cet objet ne doit être conçu que comme quelque chose en général = X,
puisqu’en dehors de notre connaissance nous n’avons rien que nous puissions y opposer comme y
correspondant.
(CRPu, Bar 646.3.9-f)
Cette réponse est la première thèse de la déduction objective, laquelle sera poursuivie et achevée dans le quatrième
paragraphe ‹4. Explication préliminaire de la possibilité des catégories comme connaissances a priori..› (CRPu, Bar
649) Le contenu de ces quatre paragraphes sera représenté «réuni et lié» — plutôt que «séparément et isolément»
(CRPu, Bar 652.3.1-3) dans la troisième section de la déduction, section intitulée «Du rapport de l’entendement à
des objets en général et à la possibilité de les connaître a priori.» (Ibid., 652)
Voici comment Philonenko interprète la transition entre le moment subjectif et le moment objectif de la
déduction:
Mais tandis que l’aperception transcendantale est dévoilée comme le point en lequel les
synthèses découvrent leur unité, de telle sorte que l’aperception transcendantale, le pur concept en
son unité, est par la médiation des synthèses de l’imagination le principe de détermination du sens
interne, désormais posé comme le déterminable, nous découvrons en même temps le sens de
l’objectivité, et de subjective la déduction devient transcendantale. Car le rapport du sens interne à
l’aperception transcendantale est le même que celui de l’objet à la conscience comme connaissance.
(Phi, OK I 161.1.1-12)
La rédaction de 1781 peut se résumer dans ce que Philonenko appelle «le syllogisme de la déduction
transcendantale»:
Kant vient de démontrer, en la conclusion de la déduction subjective où l’unité de l’aperception
constitue la référence qui permet la détermination des phénomènes, la proposition suivante: “Les
conditions a priori d’une expérience possible en général sont en même temps <zugleich> les
conditions de la possibilité des objets de l’expérience.” [CRPu, Bar 650.3.1-3] C’est la majeure que
nous pouvons admettre en considérant é le résultat de la réfutation de Hume. La déduction
métaphysique […] nous permet de présenter la mineure: “Les catégories… ne sont pas autre chose
que les conditions de la pensée dans une expérience possible…” [CRPu, Bar 650.3.3-7] D’où suit la
conclusion: les catégories sont “donc des concepts fondamentaux qui servent à penser des objets en
général correspondant aux phénomènes, et elles ont, par conséquent a priori une valeur objective.”
[CRPu, Bar 650.3.m5-2] Kant ajoute: “… c’est là proprement ce que nous voulions savoir.” [Ibid.,
650.3.2f]
(Phi, OK I 166.2.3-167.1.10)
Philonenko reformule cette conclusion de façon éclairante en commentant:
Et, en effet, la déduction transcendantale atteint ainsi son véritable but: elle montre comment des
“conditions subjectives” de la pensée peuvent avoir une valeur objective et dépasse définitivement la
problématique du sujet et de l’objet, tandis qu’elle fait voir comment les conditions qui permettent
de constituer en une totalité nécessaire les représentations, sont aussi les lois qui permettent
d’élever les phénomènes à la dignité d’objets en les fondant dans la connaissance. Les lois de
l’objet sont aussi les lois de la connaissance et l’on peut dire que l’essence de la connaissance est
aussi l’essence de l’être.
(Phi, OK I 167.1.10-22)
Il faudrait dresser un tableau montrant comment une synthèse empirique et une synthèse pure est conçue par
Kant pour chacune des trois synthèses: celle de l’appréhension, celle de la reproduction, celle de l’aperception.
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4.2.2.5
Comparaison entre la version de la première édition (DT1) et celle de la
deuxième (DT2)
—
La première version commence avec la déduction subjective et se termine avec la déduction objective. La
deuxième version n’élimine sans doute pas la distinction entre la déduction subjective et la déduction
objective; Kant, en effet, la maintient dans une remarque telle que la suivante:
Mais en cherchant [à déterminer] plus exactement le rapport des connaissances données dans
quelque jugement, et en distinguant ce rapport, propre à l’entendement, de celui [qui se fait] suivant
les lois de l’imagination reproductrice (lequel n’a qu’une valeur subjective), je trouve qu’un
jugement n’est autre chose qu’une manière de ramener des connaissances données à l’unité objective
de l’aperception. La fonction que remplit dans ces jugements la copule est est de distinguer l’unité
objective des représentations données de leur unité subjective.
(CRPu, Bar 160.2.1-10)
Cependant, l’opposition conceptuelle entre déduction subjective et déduction objective n’est certainement
plus celle dont Kant se sert pour ordonner les parties de son texte. Cette opposition ne figure plus comme
telle dans la structure thématique.
—
En DT1, la notion de «reproductibilité des phénomènes» (CRPu, Bar 645.1.14-15) semble jouer un rôle plus
important qu’en DT2, dans l’explication de la notion d’unité de la synthèse.
À étudier: si l’unité de la synthèse est une condition définie seulement pour l’entendement (donc au
niveau de la synthèse de l’aperception) ou si elle est définie pour chacune des trois synthèses
(celle de l’appréhension, celle de l’imagination reproductrice, celle de l’aperception). En DT1
(«Troisième section»), immédiatement après avoir posé «le principe transcendantal de l’unité du
divers de nos représentations» (CRPu, Bar 653.3.m5-4), principe qui semble instituer, établir
l’aperception pure, Kant utilise plusieurs formules où figure la notion d’unité:
Or l’unité des éléments divers dans un sujet est synthétique; l’aperception pure fournit donc un
principe de l’unité synthétique du divers dans toute intuition possible./
Mais cette unité synthétique suppose une synthèse ou la renferme; et, si la première doit
nécessairement être a priori , la seconde aussi doit être une synthèse a priori. L’unité transcendantale
de l’aperception se rapporte donc à la synthèse pure de l’imagination, comme à une condition a
priori de la possibilité de tout assemblage des éléments divers en une même connaissance. Or la
synthèse productive de l’imagination peut seule avoir lieu a priori; car celle qui est reproductive
repose sur des conditions expérimentales. Le principe de l’unité nécessaire de la synthèse pure
(productive) de l’imagination est donc, antérieurement à l’aperception, le fondement de la possibilité
de toute connaissance, particulièrement de l’expérience.
Or nous nommons transcendantale la synthèse du divers dans l’imagination, quand,
abstraction faite de la différence des intuitions, elle n’a trait a priori à rien d’autre chose qu’à la
liaison des éléments divers; et l’unité de cette synthèse s’appelle transcendantale, quand,
relativement à l’unité originaire de l’aperception, elle est représentée comme nécessaire a priori.
Comme cette dernière sert de fondement à la possibilité de toutes les connaissances, l’unité
transcendantale de la synthèse de l’imagination est la forme pure de toute connaissance possible, et
elle est par conséquent la condition a priori de la représentation de tous les objets d’expérience
possible.
L’unité de l’aperception relativement à la synthèse de l’imagination est l’entendement, et
cette même unité, relativement à la synthèse transcendantale de l’imagination, est l’entendement
pur.
(CRPu, Bar 653.3.m3-654.3.4)
Noter aussi, dans la rédaction de 1787, l’occurrence de la tournure «unité synthétique de la
diversité» (CRPu, Bar 153.2.f) à côté des tournures plus habituelles «unité de [c’est-à-dire donnée
à] la synthèse pure [de l’imagination]» CRPu, Bar 136.1.6) et «unité transcendantale de la
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conscience de soi» (CRPu, Bar 154.2.m5), unité de l’aperception, unité de la conscience de soi,
etc.
La question du rôle que joue éventuellement la notion de reproductibilité dans DT2 me conduit à
m’interroger sur les sources et sur l’exactitude de l’interprétation que donne Philonenko de la
notion d’unité de la synthèse, dans le passage suivant: «Nous voici donc en présence de deux
totalités — les intuitions et les concepts — ou bien encore — le divers et les synthèses pensées
comme achevées. Or pour qu’une synthèse soit pensée comme achevée, il faut qu’elle puisse être
pensée comme reproductible <Wiederholbarkeit>, ou, si l’on préfère une synthèse n’apparaît
nécessaire à l’esprit que s’il est toujours / assuré de pouvoir la recommencer. Ainsi tandis que les
synthèses empiriques, simple fruit de l’association des idées, ne sont pas nécessairement
reproductibles, les synthèses mathématiques et physiques sont indéfiniment reproductibles,
comme l’est par exemple une expérience qui confirme une loi. Or on voit clairement qu’il convient
par delà la synthèse d’ajouter une opération qui assurera la reproductibilité de cette synthèse. Kant
la nomme unité de la synthèse. C’est le moment proprement conceptuel où la synthèse jusque là
contingente est élevée à la nécessité, et ce moment s’accomplit dans le concept qui fonde l’infinie
reproductibilité de la synthèse, car la synthèse ne devient vraiment universelle, donc une
connaissance, que lorsqu’elle est par le concept déterminée comme reproductible indéfiniment
(Note: Cf. J. G. Fichte’s [sic] Antwortsschreiben an Herrn Professor Reinhold, in Sämtliche Werke,
herausgegeben von J. H. Fichte, Bonn, 1845-56., Bd. II, p. 511)» (Phi, OK I 152.2-153.1)
Je n’ai pas réussi à trouver le mot «Wiederholbarkeit» dans DT2; ce mot vient probablement du
texte de Fichte auquel Philonenko réfère dans sa note.
—
—
—
«la deuxième rédaction […] consiste à ramener autant que possible l’imagination transcendantale à
l’entendement» (Phi, OK I 174.1.3-6).
DT2 place l’explication de l’unité originairement synthétique de l’aperception au tout début de l’exposé. En
DT1, l’exposé culminait avec cette explication.
En DT1, les synthèses attribuées à l’imagination sont:
• la synthèse de l’appréhension (§1)
• la synthèse de la reproduction dans l’imagination (§2)
• la «synthèse productive de l’imagination» (dans la troisième section; CRPu, Bar 654.1.7-8)
• la synthèse transcendantale de l’imagination (dans la troisième section; CRPu, Bar 654.2 et 654.3)
En DT2, on a:
• la synthèse de l’appréhension (§26; CRPu, Bar 170.3)
• la synthèse figurée, qui est aussi transcendantale et qui est attribuée à l’imagination productrice (§24;
CRPu, Bar 165.3-164.1)
• à l’imagination reproductrice est attribuée une synthèse «soumise simplement à des lois empiriques,
c’est-à-dire aux lois de l’association» (CRPu, Bar 166.1.m6-5). Cependant, on lit avec une certaine
surprise que l’imagination reproductrice «ne concourt en rien [par sa synthèse] à l’explication de la
possibilité de la connaissance a priori et [que], de ce fait, [elle] n’appartient pas à la philosophie
transcendantale, mais à la psychologie.» (CRPu, Bar 166.1.4f)
En DT2, la synthèse figurée est introduite avant la synthèse de l’appréhension.
• On ne trouve plus dans DT2 une exploitation systématique et explicite de la notion d’un «objet en
général = X» qui est abondamment exploitée dans DT1. DT2 introduit la notion d’objet des sens (en §2223) avant d’introduire la synthèse figurée et la synthèse de l’appréhension.
Il n’y a cependant pas de changement important dans les positions théoriques de Kant. Une façon de le
montrer est de comparer les triplets de concepts qu’on trouve dans les deux versions. (Voir le tableau de la page
suivante.)
– [en 1781] «Il y a trois sources primitives (facultés ou pouvoirs de l’âme) qui renferment les conditions de
la possibilité de toute expérience et qui ne peuvent dériver elles-mêmes d’aucun autre pouvoir de l’esprit:
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_____________________________________________________________________________________________
–
–
4.2.2.6
ce sont les sens, l’imagination et l’aperception. Là-dessus se fondent: 1° la synopsis du divers a priori
par les sens; 2° la synthèse de ce divers par l’imagination; enfin 3° l’unité de cette synthèse par
l’aperception primitive.» (CRPu, Bar 151.n)
[en 1781] «Il y a trois sources subjectives de connaissance, d’où dérive la possibilité d’une expérience en
général et de la connaissance de ses objets: le sens, l’imagination et l’aperception. Chacune d’elles peut
être regardée comme empirique, dans son application à des phénomènes donnés; mais toutes sont aussi
des éléments ou des fondements a priori, qui rendent possible cet usage empirique même. Les sens
représentent les phénomènes empiriquement dans la perception; l’imagination, dans l’association (et la
reproduction); l’aperception, dans la conscience empirique de l’identité de ces représentation reproductives avec les phénomènes par lesquels elles ont été données, par conséquent dans la récognition.
Or tout ensemble de la perception repose a priori sur l’intuition pure (qui, pour la perception
considérée comme représentation, est le temps, forme de l’intuition interne); l’association, sur la synthèse
pure de l’imagination; et la conscience empirique, sur la pure aperception, c’est-à-dire sur l’identité
universelle de soi-même dans toutes les représentations.» (CRPu, Bar 652.3.3-653.2.f)
[en 1787] Les trois termes sont maintenus: rien n’est changé en ce qui concerne les sens comme source
primitive des intuitions; ce qui concerne l’Imagination est introduit en §24 sous le nom de «synthèse
transcendantale de l’imagination» et Kant qualifie cette synthèse de «figurée» pour la distinguer de la
synthèse intellectuelle de l’entendement; et le caractère primitif de l’aperception est réaffirmé avec autant
de force dans les §16 et §17. J’en conclus qui a varié, c’est l’ordre d’exposition des opérations de la
synthèse et peut-être l’importance relative du rôle de l’imagination en tant que «source primitive».
Idées générales pouvant servir de résumé ou de vue d’ensemble de la
DÉDUCTION TRANSCENDANTALE
Le problème critique se définit donc ainsi: expliciter la possibilité de l’expérience, c’est-à-dire
dégager l’essence universelle de la connaissance comme unité des formes de la sensibilité et des
formes catégoriales. Ce problème est celui de la déduction transcendantale, qui établit la
signification des structures constituant l’a priori métaphysique.
(Phi, OK I 116.2)
[…] démonstration des opérations qui constituent la connaissance comme une essence unifiée. Cette
démonstration est la déduction transcendantale à laquelle Kant s’appliquait encore en 1780.
(Phi, OK I 119.1.5f)
Nous sommes donc parvenus au point où les éléments étant réunis, il faut opérer leur intégration et
la décrire, et ce problème est celui de la déduction transcendantale, comme logique de la vérité.
(Phi, OK I 124.2.1-4)
On remarquera que la question de la Déduction transcendantale comme question sur l’essence de la
connaissance écarte le problème de l’innéité: ce dernier n’a de sens qu’au niveau de la recherche
génétique de fait. La Critique de la Raison pure dépasse le problème de l’innéité dans la mesure où,
s’interrogeant sur l’essence, il lui est indifférent (fondamentalement) que le concept soit acquis dans
l’expérience ou possédé (d’une manière ou d’une autre) avant l’expérience. Le problème de
l’essence reste entier que le concept doive son existence à l’expérience ou à la constitution
psychologique innée du sujet.
(Phi, OK I 146.1.m18-7)
Deuxième version (1787)
Faculté
Première version (1781)
Processus et produit
(Indications p. 135-136)
Processus et produit
81
Faculté
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_____________________________________________________________________________________________
sensibilité
Présentation de la diversité des
intuitions
a) empiriques
Synopsis
sensibilité
(les sens)
imagination
SA — Synthèse de
l’appréhension: «réunion des
éléments divers d’une intuition empirique qui rend possible la
perception, c’est-à-dire la
conscience empirique de cette
intuition comme phénomène).»
(CRPu, Bar 170-171; §26)
1.
imagination
b) pures
=Condition 1 de la conn. a priori
d’un objet quelconque OQ
si SA est pure, «elle est la synthèse
de la première dimension du temps:
le présent»
imagination
?
2. SR — Synthèse de la
reproduction dans l’Imagination
imagination
Synthèse figurée (165.3); «synth.
transcend. de l’imagination» (§24)
=Condition 2 de la conn. a priori
d’un OQ
SP — Synthèse de l’imagination
productive; synthèse
transcendantale de l’imagination
«faculté
transcendantale
de l’imagination»
Ramener la synth. de l’imagination
à des concepts
a) soit des concepts discursifs
généralisés à partir de l’expérience
3.
entendement
SRC — Synthèse de la récognition
dans le concept
ou unité de la synthèse dans
l’aperception
b) soit des concepts purs de
l’entendement; c’est la synthèse
pure qui est ramenée à des
concepts;
=Condition 3 de la conn. a priori
d’un OQ
SRC pure.
(CRPu, Bar 645.3-649.2)
sensibilité
imagination
entendement
SA — Synthèse de l’appréhension
Si SA est «empirique, elle
correspond à la sensation»
entendement?
(Phi, OK I 159.2-160.1)
82
entendement
K
<> T h è m e # 6
<>
K
L ’ A n a l y t i q u e tr a n s c e n d a n t a l e
I I I . Sc h é m a t i s m e — P r i n c i p e s m a t h é m a t i q u e s
4.3
L’analytique des principes..................................................................................................................81
4.3.1
Pré-introduction et introduction.................................................................................................81
4.3.2
Chapitre I. Le schématisme........................................................................................................82
4.3.2.1
Le problème et sa solution................................................................................................82
4.3.2.2
Commentaires de Philonenko du point de vue .................................................................85
4.3.3
Chapitre II. Système de tous les principes de l’entendement pur..............................................87
4.3.3.1
Généralités........................................................................................................................87
4.3.3.2
Les principes mathématiques............................................................................................90
4.3
4.3.1
L’analytique des principes
Pré-introduction et introduction
A. La séparation entre la théorie (analytique) des jugements et la théorie (dialectique) des raisonnements
Dans la pré-introduction il s’agit pour Kant d’expliquer (à nouveau) pourquoi l’analytique transcendantale (en
tant que chapitre de la logique transcendantale) comprend seulement les deux premières des trois parties que
comporte la logique générale: l’analytique transcendantale peut traiter des concepts et des jugements mais doit
renvoyer le traitement des raisonnements à une partie spéciale qui sera la dialectique.
La raison en est qu’à l’occasion des raisonnements, un usage transcendantal de la raison est possible et que
cet usage n’a pas de valeur objective. On distinguera donc logique de la vérité et logique de l’apparence; la première
donne lieu à l’analytique, la seconde à la dialectique.
L’Analytique transcendantale peut se diviser comme la logique générale en théorie des concepts et théorie des
jugements.
La logique générale
L’analytique transcendantale
peut servir de canon pour l’entendement et la
raison, mais seulement en ce qui concerne la
forme de la pensée en général
L’entendement et le jugement y trouvent le
canon de leur usage objectivement valable
(CRPu, Bar 179-180)
ne peut donner de préceptes au jugement,
n’enseigne pas à «décider si quelque chose
rentre ou non sous une règle donnée (casus
datae legis)» (CRPu, Bar 181.1.1-3-4)
«a pour fonction propre de corriger et
d’assurer le jugement par des règles
déterminées dans l’usage qu’il fait de
l’entendement pur.» (182.2.3-5)
83
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L’avantage de la logique transcendantale sur la logique générale est qu’elle peut indiquer a priori, non
seulement la condition générale des règles (contenue dans le concept pur de l’entendement) mais aussi «le cas où la
règle doit être appliquée». Cet avantage est dû à deux raisons:
– les concepts dont elle traite (et les principes qui en découlent) «doivent se rapporter a priori à leurs
objets» (CRPu, Bar 183.2.8-9); elle s’évite donc les incertitudes des démonstrations a posteriori.
– «elle expose les conditions sous lesquelles peuvent être donnés des objets en harmonie avec ces
concepts» (Ibid., 183.2.m6-4). C’est la théorie du schématisme.
B. L’analytique des principes considérée comme «doctrine transcendantale du jugement»
Au début de l’Analytique des principes, Kant présente à deux reprises cette théorie comme étant la doctrine
du jugement:
L’analytique des principes sera donc simplement un canon pour le jugement; elle lui enseigne
à appliquer à des phénomènes les concepts de l’entendement, qui contiennent la condition des règles
a priori. C’est pourquoi, en prenant pour thème les principes propres de l’entendement, je me
servirai de l’expression de doctrine du jugement, qui désigne plus exactement ce travail.
(CRPu, Bar 180.2)
«Cette doctrine transcendantale du jugement contiendra donc deux chapitres […].
(CRPu, Bar 183.3.1-2)
Il est cependant opportun de faire remarquer que ladite doctrine du jugement ne va théoriser que le jugement
déterminant, limitation qui ressortira plus tard avec plus d’évidence lorsque Kant consacrera sa Critique de la
faculté de juger à construire la théorie du jugement réfléchissant, désormais toujours soigneusement distingué du
jugement déterminant. Le jugement déterminant sera alors clairement défini comme celui qui opère une
détermination:
[…] la détermination, comme subsomption sous une règle universelle, est l’opération schématique
de l’imagination qui a parte subjecti réunit entendement et sensibilité et a parte rei réunit l’universel
et le singulier.
(Philonenko, A., CFJ, Pko 9.4)
C. Idées générales pouvant servir de résumé de l’analytique
Tout ce que l’entendement tire de lui-même, sans l’emprunter à l’expérience, ne [peut] avoir pour lui
aucun autre usage que celui de l’expé / rience. Les principes de l’entendement pur, qu’ils soient
constitutifs a priori (comme les principes mathématiques), ou simplement régulateurs (comme les
principes dynamiques), ne contiennent rien que le pur schème pour l’expérience possible; car celleci ne tire son unité que de l’unité synthétique que l’entendement attribue originairement et de luimême à la synthèse de l’imagination dans son rapport à l’aperception, unité avec laquelle les
phénomènes, comme data pour une connaissance possible, doivent être a priori en rapport et en
harmonie.
(CRPu, Bar 265.2.1-266.1.10)
4.3.2
Chapitre I. Le schématisme
4.3.2.1
Le problème et sa solution
Pourquoi y a-t-il un problème?
– la relation entre concepts purs de l’entendement et intuitions sensibles ne satisfait pas la condition
d’homogénéité exigée par la subsomption. [CRPu, Bar 187.1-2]
– il faut expliquer que les concepts purs de l’entendement s’appliquent néanmoins!
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[…] il doit y avoir un troisième terme / qui soit homogène, d’un côté, à la catégorie, et de
l’autre, au phénomène, et qui rende possible l’application de la première au second. Cette
représentation intermédiaire doit être pure (sans élément empirique), et pourtant il faut qu’elle
soit d’un côté intellectuelle, et de l’autre sensible. Tel est le schème transcendantal.
(187.3.1-188.1.f)
Concept pur
de l'entendement
Intuition
en tant
que représentation
sensible
Schème
en tant
que représentation
intellectuelle
Thèse solution: C’est au moyen de la détermination transcendantale du temps que le concept pur de l’entendement
sera applicable au phénomène, que le phénomène sera subsumable sous le concept pur de l’entendement.
(Thèse dominant CRPu, Bar 188.2.)
1.
Nous avons au départ, en présence l’un de l’autre, un concept et une intuition pure:
–
le concept de l’entendement contient l’unité synthétique pure de la diversité en général;
–
«le temps, comme condition formelle des représentations diverses du sens intime, et par conséquent
de leur liaison, contient une diversité a priori dans l’intuition pure».
2.
Or le temps est capable de détermination, conformément au paragraphe §23 de la déduction transcendantale (deuxième édition).
3.
une détermination transcendantale du temps est homogène à la catégorie (qui en constitue l’unité)
en tant qu’elle est universelle et qu’elle repose sur une règle a priori.
4.
elle est homogène au phénomène,
en ce sens que le temps est impliqué dans chacune des représentations empiriques de la diversité.
5.
C.Q F. D.
Cette détermination du temps, considérée comme «la condition générale qui seule permet à la catégorie de
s’appliquer à quelque objet», considérée comme la «condition formelle et pure de la sensibilité, à laquelle le concept
de l’entendement est restreint dans son usage, nous l’appellerons le schème de ce concept de l’entendement, et la
méthode que suit l’entendement à l’égard de ces schèmes, le schématisme de l’entendement pur.» (CRPu, Bar
188.3.m4-189.1.f)
Résumons le schématisme, en tant que théorie de l’Analytique transcendantale, au moyen des cinq thèses
suivantes:
1.
Thèse concernant LA FONCTION DU SCHÈME DANS LA THÉORIE DES CONCEPTS PURS DE L’ENTENDEMENT
2.
la fonction du schème est de résoudre le problème (logique) de la subsomption de la représentation
sensible (de l’intuition) sous la représentation intellectuelle (du concept pur de l’entendement).
Thèse concernant LA POSITION DU SCHÈME DANS LE MODÈLE DES FACULTÉS
le schème est un produit de la sensibilité (plus spécifiquement: de l’imagination transcendantale dans sa
fonction productrice) et n’est rien d’autre qu’une détermination de la représentation pure du temps.
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3.
Thèse concernant LA NATURE PHÉNOMÉNOLOGIQUE (comme on le dirait en langage contemporain) OU
PSYCHOLOGIQUE DU SCHÈME
le schème est la représentation d’un procédé de la pensée, et non la représentation d’une classe d’objets.
EXPLICATION. Le schème n’est pas une image. Dans la déduction transcendantale de 1781, Kant mentionnait
l’image ainsi: «L’imagination doit […] réduire en une image le divers qu’il y a dans l’intuition; il faut donc qu’elle
commence par recevoir les impressions dans son activité, c’est-à-dire par les appréhender.» (CRPu, Bar 655.2.4f)
Mais il faut distinguer entre l’image, qui est un produit occasionnel, et le procédé général mis en oeuvre pour la
produire; seul ce dernier est un schème et peut être considéré comme une disposition que possède l’imagination:
«c’est cette représentation d’un procédé général de l’imagination servant à procurer à un concept son
image, que j’appelle le schème de ce concept» (CRPu, Bar 189.2.3f).
Et Kant développe cette idée par des exemples qui ont une valeur argumentative:
—
l’exemple des cinq points considérée comme image du nombre 5, par opposition à la pensée d’un
nombre en général;
—
l’exemple du triangle [189.3] et la thèse: «Il n’y a pas d’image d’un triangle qui puisse être jamais
adéquate au concept d’un triangle en général. […] aucune [image] ne saurait atteindre la généralité
du concept […] Le schème du triangle ne peut exister ailleurs que dans la pensée, et il signifie une
règle de la synthèse de l’imagination relativement à certaines figures pures [conçues par la pensée
pure] dans l’espace.» (CRPu, Bar 189.3.2-11)
—
l’exemple du concept de chien (189.3.m15-5), considéré comme exemple de concept empirique.
4.
La thèse concernant LA GENÈSE DU SCHÈME
le schème «est un produit et en quelque sorte un monogramme de l’imagination pure a priori au moyen
duquel et d’après lequel les images sont d’abord possibles» (CRPu, Bar 190.1.3-5). Par opposition, les
images sont des produits de l’imagination empirique. «Le schème d’un concept pur de l’entendement est
quelque chose qui ne peut être ramené à aucune image; il n’est que la synthèse pure opérée
conformément à une règle d’unité suivant des concepts en général et exprimée par la catégorie, et il est
un produit transcendantal de l’imagination concernant la détermination du sens intime en général, selon
les conditions de sa forme (du temps)» (CRPu, Bar 190.1.8-15).
5.
La thèse concernant LA CONTRIBUTION DU SCHÈME À LA CONSCIENCE DES OBJETS
le schème est la condition de la signification des concepts purs de l’entendement (CRPu, Bar 192.2.710).
TABLEAU DES SCHÈMES
Catégorie concernée
Schème
1. Quantité
Le nombre (en tant que représentation de l’addition successive de l’unité à l’unité).
2. Quantité
— réalité
— négation
Production de la réalité dans le temps avec accroissement et décroissement du degré
(intensité) de la sensation.
Pour ce qui est de la catégorie de limitation, est-ce qu’il lui correspond un schème
spécifique? La notion psychologique de «seuil de perception», en tant que
commencement non-nul d’un degré de sensation suppose-t-elle un schème
particulier?
3. Relation
— l’inhérence
— la causalité
— la communauté
La permanence du réel dans le temps
La succession des éléments du divers, en tant qu’elle est soumise à une règle.
La simultanéité des déterminations d’une substance (phénoménale) par les autres, et
réciproquement, suivant une règle générale.
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4. Modalité
— la possibilité
— l’existence
— la nécessité
«L’accord de la synthèse de représentations diverses avec les conditions du temps en
général» (CRPu, Bar 191.5.1-3)
«L’existence dans un tout déterminé.»
«L’existence d’un objet en tout temps.»
TABLEAU DES DIFFÉRENTS SCHÈMES ÉNONCÉS DANS UN VOCABULAIRE
QUI SPÉCIFIE LES DÉTERMINATIONS TRANSCENDANTALES DU TEMPS CHAQUE FOIS IMPLIQUÉES
1. La série du temps
La production (synthèse) du temps lui-même.
2. Le contenu du temps
La synthèse de la sensation et du temps: le fait de
remplir le temps lui-même.
3. L’ordre du temps
Le rapport qui lie les représentations successives dans le
temps.
4. L’ensemble du temps
Le temps comme corrélatif de l’acte de déterminer, par
la pensée, si et comment un objet existe au temps.
4.3.2.2
a)
b)
Commentaires de Philonenko du point de vue
de l’histoire de la philosophie.
Quelle est la «perspective» dominante propre à Kant?
Celle d’une description phénoménologique: «décrire l’opération complète de l’intelligence» (Phi, OK I
177.2.10); «une psychologie, plus exactement une phénoménologie de la formation des concepts» (Phi, OK I
178.1.2)
Cette perspective est adoptée pour combattre l’empirisme dans les questions concernant les concepts, et a
fortiori, les concepts purs a priori.
[…] le problème que pose l’empirisme à Kant est particulièrement difficile. Non seulement
l’empirisme nie qu’il existe des concepts purs et a priori, tout concept procédant selon lui
uniquement de l’expérience, mais encore il nie qu’il existe en fait des concepts: “Existence, étendue,
etc., dit Berkeley, sont des abstraits, c’est-à-dire que ce ne sont pas des idées. Ce sont des mots,
inconnus du peuple et pour lui sans usage” (Oeuvres choisies de BERKELEY — Paris, 1944, tr. G.
Leroy, T. I, p. 142 - n° 790). On parle de l’idée générale et abstraite de triangle, mais que l’on songe
seulement que le triangle représenté “ne doit être ni obliquangle, ni rectangle, ni équilatéral, ni
isocèle, ni scalène: mais à la fois tout cela et rien de tout cela.” (LOCKE, Essai sur l’entendement
humain, L. IV, ch. VII, §9.) C’est dire que l’idée générale et abstraite est selon l’empirisme à la fois
une impossibilité psychologique et un monstre logique. Une impossibilité psychologique: “Si
quelqu’un a le pouvoir de former, déclare Berkeley, dans son esprit une idée de triangle telle qu’on
la décrit ici, il est vain de chercher à la lui enlever par la discussion et je ne m’en charge pas. Tour
mon désir, c’est que le lecteur se rende pleinement et certainement compte s’il a ou non, une pareille
idée. À mon avis, ce n’est une tâche difficile à accomplir pour personne. Qu’y a-t-il de plus aisé que
de jeter rapidement un regard sur ses propres pensées et d’éprouver si l’on a, ou si l’on peut parvenir
à avoir, une idée qui corresponde à la description qu’on vient de donner de l’idée générale de
triangle, qui n’est ni obliquangle, ni rectangle, ni équilatéral, ni isocèle, ni scalène, mais à la fois tout
et rien?” (BERKELEY, op. cit., T. I, pp. 187-189.) Impossibilité logique ensuite: l’idée générale et
abstraite qui est à la fois tout et rien est contraire au principe logique du tiers exclu: il faut qu’une
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chose soit ou noire ou blanche, ou grande ou petite, ou rectangle ou isocèle, mais elle ne saurait être
l’un et l’autre.
(Phi, OK I 178.2.1-179.1.6)
c)
Les thèses de Kant.
c.1) Concernant la difficulté logique.
«À la rigueur la difficulté n’embarrasse pas trop Kant: la logique transcendantale montre suffisamment
qu’on peut la résoudre en établissant la nécessité de jugements synthétiques.» (Phi, OK I 179.1.6-10)
D’autre part, Kant «accepte de reconnaître les difficultés logiques que dénonce l’empirisme et dans sa
lettre à Tieftrunk du 11 décembre 1797, il admet que la subsomption du divers sous la catégorie serait une
contradiction contraire à la logique si elle s’effectuait immédiatement.» (Phi, OK I 181.2.2-7) Mais il va
résoudre cette difficulté dans le schématisme.
c.2) Concernant la difficulté psychologique.
– Négativement. Kant concède aux empiristes que l’image ne peut fonder le concept. «De l’image au
concept, il n’y a aucune voie.» (Phi, OK I 181.1.m6-5) «Dans le fait nos concepts sensibles purs n’ont pas
pour fondement des images des objets, mais des schèmes. Il n’y a pas d’image d’un triangle qui puisse être
jamais adéquate au concept d’un triangle en général.» (CRPu, Bar 189.3.1-4)
– Positivement.
P1. Kant évite de réifier l’intelligence et ce qu’elle contient, y compris les images, en concevant le
schème comme «une méthode, ou si l’on préfère une opération.» (Phi, OK I 182.2.11-12)
«Or l’idée de méthode résout d’un seul coup les difficultés relatives à l’universalité du concept et à la
particularité de l’image à laquelle il doit s’appliquer. D’une part la méthode est en elle-même, comme
le souligne Kant, le principe de construction général de l’image ou de la figure et il est absurde de
concevoir le principe de construction des triangles comme étant lui-même triangle! D’autre part
l’image construite concrètement, si nous prenons l’exemple d’un triangle, correspond au concept, à
l’idée générale et abstraite, non parce qu’elle lui ressemble comme une chose à une autre chose, mais
parce qu’elle enveloppe en tant que telle la règle de construction, qui est précisément la méthode, le
schème en tant qu’il rend possible l’application du concept. C’est donc dire, comme le souligne
Cassirer, que “tous nos concepts purs se fondent sur des fonctions et non sur des affections…” (E.
CASSIRER, Das Erkenntnisproblem…, Bd II, p. 715.) » (Phi, OK I 183.1.1-f)
P2. «dans le schème le concept devient la règle de l’objet» (Phi, OK I 183.2.1-2)
P3. «Le schème peut être développé à trois niveaux:
• empirique (“Le concept de chien signifie une règle d’après laquelle mon imagination peut
exprimer en général la figure d’un quadrupède” — CRPu, Bar 189.3.m11-8)
• mathématique et pur (“Le schème d’un triangle ne peut jamais exister que dans la pensée et il /
signifie une règle de la synthèse de l’imagination relativement à des figures pures dans l’espace”
— CRPu, Bar 189.3.8-11)
• transcendantal: étant donné la nécessaire relation de l’intuition au concept, en laquelle celle-ci
devient claire et celui-là rempli.» (Phi, OK I 183.2.m6-184.1.5)
d) Conclusion. La triple signification du schématisme [Phi, OK I 184.2-186.1] :
– «Le schématisme a une signification psychologique: puisque le schème est méthode et non une chose
intermédiaire entre la réalité sensible et la “réalité” conceptuelle, il fait apparaître l’erreur de l’empirisme
qui choséifie l’esprit» (Phi, OK I 184.2.7-12).
– «Le schématisme a une signification métaphysique: il résout par l’idée d’une construction méthodique les
apories platoniciennes concernant les relations de l’essence intemporelle et universelle et de la diversité
des phénomènes donnés dans le temps; le schématisme est la mise en lumière concrète de la participation
et du rapport de la pensée et du temps.
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_____________________________________________________________________________________________
–
Enfin le schématisme possède une signification transcendantale : les catégories sont les expressions de la
pensée (les essences formelles) qui est pensée de ce qui est; or cette pensée ne peut s’accomplir en soi,
mais aussi pour elle-même (devenir pour elle-même pensable) qu’en se schématisant, en se remplissant, en
se réalisant dans le temps et, à travers celui-ci, l’espace: donc la métaphysique (connaissance de ce qui est)
n’est possible comme science que comme une physique et ainsi le schématisme rend possible l’application
de la mathématique pure (les formes de l’intuition) aux phénomènes, subsumés sous les catégories .» (Phi,
OK I 184.2.7-185.1.f)
4.3.3
Chapitre II. Système de tous les principes de l’entendement pur
4.3.3.1
Généralités
D’une façon générale, l’Analytique des principes «enseigne à appliquer à des phénomènes les concepts de
l’entendement qui contiennent la condition requise pour formuler des règles a priori.» (Riv, HP-Vl 125.2). Les
règles obtenues de cette façon constituent ce qui, dans les connaissances scientifiques et dans les connaissances
métaphysiques, est déjà déterminé a priori, du simple fait de la structure de notre esprit.
Le système de tous les principes (voir le tableau de la page suivante) commence, au premier niveau
d’articulation, par tenir compte de la distinction entre les jugements analytiques et les jugements synthétiques.
Première section. DU PRINCIPE SUPRÊME DE TOUS LES JUGEMENTS ANALYTIQUES
C’est le principe de contradiction.
Deuxième section. DU PRINCIPE SUPRÊME DE TOUS LES JUGEMENTS SYNTHÉTIQUES
Introduction. La question «Comment des jugements synthétiques a priori sont-ils possibles?» signifie :
Comment est-il possible que des jugements synthétiques a priori aient une valeur objective?
1.
Thèse 1. Il faut chercher la possibilité des jugements synthétiques a priori dans la manière dont le sens
intime met en rapport l’imagination et l’entendement.
Maj Il faut un troisième terme pour produire la synthèse des deux concepts dans un jugement synthétique
(a priori ou non) — à la différence de ce qui se produit dans les jugements analytiques, lesquels
n’ont pas besoin d’un troisième terme.
Min Or, ce troisième terme est le sens intime et sa forme a priori le temps (201.2.7-8] car il faut bien que
ce soit un ensemble [Inbegriff] qui renferme [subsume…] toutes nos représentations (empiriques,
pures, …)
Min Or, s’ajoutent à la forme a priori du temps la synthèse faite par l’imagination et l’unité de cette
synthèse (fondée sur l’unité de l’aperception) et ces trois termes renferment toutes les sources de nos
représentations a priori.
Les «trois termes» évoqués par Kant ne sont pas immédiatement perceptibles quand ils sont
désignés comme ils le sont en 201.2.7-11; la raison en est que le vocabulaire utilisé est
hétérogène: en partie celui des facultés («sens intime», «imagination»), en partie celui des
opérations («synthèse», «unité de cette synthèse»), en partie celui des représentations
(«ensemble de nos représentations» — il s’agit alors d’un contenu; «sa forme a priori le temps» —
il s’agit alors d’une représentation du genre intuition pure ; «l’unité de l’aperception» — il s’agit alors
d’une représentation, tout à fait unique en son genre, attribuée à l’entendement et susceptible
d’accompagner toutes les autres.
La plus claire formulation des «trois termes» n’est pas celle de 201.2
mais celle de 202.f.m2-203.1.2. Les trois termes sont :
1° :les conditions formelles de l’intuition a priori; 2° la synthèse de l’imagination; 3° l’unité
nécessaire de la synthèse au sein d’une aperception transcendantale.
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Dans cette formulation, on voit mieux comment le terme-milieu correspond au schématisme.
LA TABLE DES PRINCIPES DES JUGEMENTS SYNTHÉTIQUES DE L’ENTENDEMENT PUR
Les principes
des jugem ents
synthétiques de
l'entendem ent
pur
Le Principe suprêm e de
tous les jugem ents
synthétiques
Les principes
dérivés
Les principes
m athém atiques
2.
3.
Les principes
dynam iques
A xiom es de
l'intuition
A nticipations de
la perception
A nalogies de
l'expérience
L'intuition
com m e
grandeur
extensive
La grandeur
intensive de
l'objet de
sensation
La
succession
dans le
tem ps
selon la loi
de la
causalité
La perm anence de la
substance
Postulats de la
pensée
em pirique
La sim ultanéité
suivant la
loide
l'action
réciproque
La
condition
de ce qui
est
em piriquem ent
possible
La
condition
de ce qui
est
em piriquem ent
réel
La
condition
de ce qui
est
em piriquem ent
nécessaire
Thèse 2. Les principes de l’entendement pur, en tant que règles de l’unité synthétique de l’expérience en
général, ont une valeur objective. [CRPu, Bar 201.3-202.2]
Maj La possibilité de l’expérience, en tant que celle-ci donne l’objet, est ce qui donne la réalité objective
à toutes nos connaissances a priori (CRPu, Bar 201.4.1-2).
Maj Pour qu’une connaissance puisse avoir une réalité objective, c’est-à-dire se rapporter à un objet
et y trouver sa valeur et sa signification, il faut que l’objet puisse être donné de quelque façon.
Min Or donner un objet, c’est en rapporter la représentation à l’expérience (que celle-ci soit réelle ou
simplement possible). (CRPu, Bar 201.3.7-11)
Min Or l’expérience repose sur (est rendue possible par) les principes de l’entendement pur, en tant qu’ils
sont «des règles générales de l’unité de la synthèse des phénomènes.» (CRPu, Bar 202.1.9-11)
Thèse 3. «tout objet est soumis aux conditions nécessaires de l’unité synthétique des éléments divers de
l’intuition au sein d’une expérience possible.» (CRPu, Bar 202.4.2-f) Tel est le principe suprême de tous les
jugements synthétiques. [202.3-203.1]
Maj Les principes de l’entendement pur ont une valeur objective.
90
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Min
L’expérience est le seul mode de connaissance qui donne de la réalité à tout autre synthèse (jusque,
et y compris, la synthèse a priori de l’aperception). (Lire 202.3.)
Comme on le voit, le principe de la démarche de preuve est de montrer que «les conditions de la possibilité de
l’expérience en général sont en même temps celles de la possibilité des objets de l’expérience» (CRPu, Bar 203.1.24).
La relation de condition nécessaire , caractéristique de l’argumentation transcendantale, on le voit à nouveau
ici, joue dans les deux sens:
– Le jugement synthétique a priori, en tant que principe de l’entendement pur, est condition nécessaire de
la possibilité de l’expérience et donc des objets de l’expérience; (note: puisqu’une condition de la
possibilité d’une chose est toujours une condition nécessaire, l’adjectif «nécessaire», dans l’expression
précédente, est redondant et on l’omet habituellement). La thèse 3 dit que les objets sont soumis aux
conditions nécessaires de l’unité synthétique…. etc.
– L’expérience, en tant que connaissance qui donne les objets, est condition nécessaire du caractère
objectif des jugements synthétiques a priori . En d’autres termes, il faut que les concepts et principes de
l’entendement pur soient appliqués à l’expérience, et en reçoivent des objets, pour avoir une valeur et
une signification comme instruments de connaissance. La thèse 2 dit que les principes satisfont la
condition nécessaire sans laquelle ils ne sauraient être objectifs.
TABLEAU DES PROPRIÉTÉS GÉNÉRALES DES PRINCIPES PURS DE L’ENTENDEMENT.
Classes
Principes mathématiques
Principes dynamiques
1er terme du nom
Axiomes
Anticipations
Analogies
Postulats
2e terme du nom
de l’intuition
de la perception
de l’expérience
de la pensée
empirique en général
Aspects des
phénomènes
Type de liaison
considérés comme objets d’une expérience
possible
considérés dans leurs rapports d’existence
Composition de l’homogène
Connexion de l’hétérogène
agrégation
Type de certitude
Caractère des
principes eu égard à
leur fonction vis-àvis l’expérience
Corrélat scientifique
(en langage
contemporain)
coalition
connexion (nexus)
physique
connexion (nexus)
métaphysique ou
épistémologique
intuitive
discursive
Les principes sont constitutifs
Les principes sont régulateurs
Problèmes de l’applicabilité des
mathématiques, notamment des géométries,
aux phénomènes physiques.
Les référentiels, les métriques…
Théorie de la
matière, du
mouvement, de la
causalité…
L’hypothèse, le fait,
la loi
Observons d’abord que le vocabulaire présente une incertitude intéressante, concernant l’identité des propositions qui appartiennent à la classe des «principes purs de l’entendement» — appelons-la «PPE». Peut-on dire
qu’un axiome de l’intuition est un PPE? Je pense que non, et qu’on peut seulement dire qu’il existe un PPE qui
concerne les axiomes de l’intuition: c’est celui qui affirme «toutes les intuitions sont des grandeurs extensives»
(CRPu, Bar 206). De la même façon, il existe un PPE qui concerne les anticipations de la perception; mais il est
douteux qu’on puisse dire qu’une anticipation de la perception est un PPE. De même, l’Analytique nous donne
91
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quatre PPE qui concerne les analogies de l’expérience; aucun d’eux n’est une analogie et aucune des analogies n’est
un PPE. En revanche, il me semble tout à fait plausible que les trois «postulats de la pensée empirique en général»
puissent être considérés comme trois PPE.
4.3.3.2
Les principes mathématiques
L E S AXIOMES D E L’INTUITION
La marche générale de l’argumentation est résumée dans le premier paragraphe de la section (CRPu, Bar
206.1), lequel est un ajout de la deuxième édition.
Concept préalable, nécessaire à la compréhension du principe qui va être énoncé ici: la détermination de
l’espace et du temps. L’articulation entre une conscience pure et une conscience empirique correspond à
l’articulation entre les représentations générales et les représentations déterminées du temps et de l’espace:
Conscience pure
Temps et espace en tant qu’intuitions
pures a priori
Conscience empirique
Un temps et un espace déterminés
Thèse. Toutes les intuitions sont des grandeurs extensives. [=Principe des axiomes de l’intuition.]
[Formulations plus explicites: ] a) Pour qu’un objet soit perçu comme phénomène, il faut que la composition
de ses divers éléments homogènes soit pensée comme une unité dans le concept de grandeur.
b) Les phénomènes sont tous des grandeurs extensives, puisqu’ils sont nécessairement représentés, comme
intuitions dans l’espace ou dans le temps, au moyen de cette synthèse (c’est-à-dire l’unification de l’agrégat
dans le concept de grandeur) par laquelle l’espace et le temps sont déterminés en général.
c) Toutes les intuitions sont des agrégats qui résultent de la composition d’un certain nombre de parties
homogènes du divers sensible selon une grandeur.
Cette dernière formulation a l’avantage de mentionner explicitement le schème de la quantité, à
savoir le nombre.
Maj
Les phénomènes ne peuvent donc être appréhendés qu’au moyen de «cette synthèse du divers par
laquelle sont produites les représentations d’un espace et d’un temps déterminés, c’est-à-dire par la
composition des éléments homogènes et par la conscience de l’unité synthétique de ces divers
éléments (homogènes).» (CRPu, Bar 206.1.5-9)
Maj Tous les phénomènes doivent avoir la forme d’une intuition dans l’espace et dans le temps,
c’est là une des conditions de la possibilité de leur appréhension.
Min Or la conscience du divers homogène dans l’intuition en général est le concept d’une grandeur (d’un
quantum).
1 K a n t dé f i n i t l a no t i o n de «g r a n d e u r ex t e n s i v e » . [2 0 6 . 2 - 2 0 7 . 1 ]
2
K a n t ex p o s e s a t h é o r i e du fo n d e m e n t de l a s c i e n c e m a t h é m a t i q u e . [2 0 7 . 2 - 2 0 8 . 1 ]
3
K a n t co m m e n t e l e pr i n c i p e de s ax i o m e s de l ’ i n t u i t i o n en en dé v o i l a n t l ’ u t i l i t é
p o u r l a co n n a i s s a n c e [2 0 8 . 2 - 2 0 9 . 1 ] , à s a v o i r :
Ce principe transcendantal de la science mathématique des phénomènes étend beaucoup notre
connaissance a priori. C’est en effet grâce à lui que les mathématiques pures peuvent s’appliquer
dans toute leur précision aux objets de l’expérience […].
(CRPu, Bar 208.2.1-5)
Commentaires:
92
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–
–
Le premier principe de l’entendement pure fonde un nombre indéterminé d’axiomes de l’intuition (il n’est pas
lui-même l’un de ces axiomes). Quels sont ces axiomes? Globalement, ce sont ceux des mathématiques qui
énoncent les principes de la synthèse des espaces et des temps en général. Plus spécifiquement, et à titre
d’exemples:
•
ce sont ceux de la géométrie considérée comme «la science mathématique de l’étendue» (207.2.2-3); par
exemple «entre deux point on ne peut concevoir qu’une seule ligne droite, […] deux lignes droites ne
renferment aucun espace» (207.2.m5-3)
•
peut-être Kant compte-t-il parmi les axiomes de l’intuition la proposition «un triangle se construit avec
trois lignes, dont deux prises ensemble sont plus grandes que la troisième» (208.1.4-6); du moins estimet-il que cette proposition possède le degré de généralité attendu d’un axiome, car il la contraste avec les
«formules numériques», lesquelles n’ont pas le degré de généralité requis d’un axiome.
•
peut-être une proposition telle que: «pour tout nombre a et b, il existe un nombre c tel que a + b = c».
Le principe qui rend possibles les axiomes de l’intuition présuppose ou entraîne la proposition par laquelle
Kant dit très explicitement le rapport nécessaire qu’il conçoit entre la géométrie et la perception de l’espace
dans l’expérience physique: «ce que la géométrie dit de celle-ci [l’intuition pure] s’applique donc à celle-là
[l’intuition empirique]» (CRPu, Bar 208.2.8-10) puisque l’intuition empirique, pour Kant, n’est possible que
par l’intuition pure. La même thèse est ensuite reformulée pour les mathématiques.
LES ANTICIPATIONS DE LA PERCEPTION
Concernant la formulation: dans la première édition Kant disait du principe en question qu’il «anticipait
toutes les perceptions, en tant que telles» (voir la note a de la page 209); dans la seconde édition, il utilise le génitif
et présente le principe comme étant celui des anticipations de la perception — ce qu’on peut expliciter de diverses
façons, en disant par exemple que ledit principe rend compte des anticipations qui accompagnent de fait les
perceptions, ou encore prouve, établit le fait qu’il existe des anticipations a priori au fondement de toute perception.
Pour comprendre l’intitulé même de la deuxième sorte de principes, on doit noter le sens que Kant donne au
mot «anticipation» (voir le deuxième paragraphe de l’exposé, après le paragraphe-résumé ajouté par Kant pour la
seconde édition). Comme il le fera par la suite pour le terme «postulat» il se réfère au grec et évoque la προληπσης
d’Épicure. Pour nous, cette référence n’est pas très éclairante étant donné que le mot «prolepse» n’a été conservé
que dans le vocabulaire de la rhétorique pour désigner la figure par laquelle un orateur anticipe une objection qu’il
attribue à un adversaire.
Deux articulations conceptuelles sont utilisées par Kant pour nous expliquer la différence entre grandeur
extensive et grandeur intensive:
1. L’articulation entre conscience pure et conscience empirique. La différence entre l’une et l’autre peut
être décrite dans les termes d’une métaphore de vidage-remplissage: si l’on vide l’une, on obtient l’autre
— si l’on remplit l’une on obtient l’autre. «[…] il peut y avoir une transformation graduelle de la
conscience empirique en conscience pure où le réel de la première [«c’est-à-dire le réel de la sensation,
considéré comme une représentation purement subjective dont on ne peut avoir conscience qu’autant que
le sujet est affecté» (209.2.8-11) ] disparaisse entièrement et où il ne reste qu’une conscience purement
formelle (a priori) du divers contenu dans l’espace et dans le temps; par conséquent il peut y avoir aussi
une synthèse de la production de la quantité d’une sensation depuis son commencement, l’intuition pure
= 0, jusqu’à une grandeur quelconque.» (CRPu, Bar 209.2.12-20)
2. L’articulation entre appréhension instantanée et appréhension [consistant en une] synthèse
successive. [210.2] L’articulation se fait de la façon suivante:
Concernant la grandeur extensive
Concernant la grandeur intensive
93
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L’appréhension est une synthèse
successive «laquelle procède en allant
des parties à la représentation totale»
(210.2.5-6)
l’appréhension «s’opère en un
moment au moyen d’une simple
sensation et non par une synthèse
successive de plusieurs sensations, et
[…] ainsi elle ne va pas des parties au
tout.» (210.f.m2-211.1.2)
Attention: La différence entre grandeur extensive et grandeur intensive n’utilise pas du tout l’articulation
entre grandeurs continues et grandeurs discontinues (discrètes).
EXPLICATION D E TEXTE
(description des contenus propositionnels, et de certains procédés discursifs)
210.1
S’il y a quelque chose en «chaque sensation, considérée comme sensation en général (sans
qu’une sensation particulière soit donnée» (m8-6) qu’on peut connaître a priori, ce quelque
chose peut être nommé «anticipation». C’est le caractère étrange et surprenant d’une telle
anticipation que Kant souligne; autant le terme «anticipation des phénomènes» pouvait-il
convenir, et sans surprise, aux déterminations pures visées par le principe des axiomes de
l’intuition («déterminations pures conçues dans l’espace et dans le temps, sous le rapport soit
de la figure, soit de la quantité» (11-13), autant de telles déterminations sont surprenantes
lorsqu’elles visent la sensation, et chaque sensation, puisque justement «la sensation est
proprement ce qui ne peut pas être anticipé» (10-11).
210.2-211.2
Limitée à une sensation, l’appréhension ne remplit qu’un instant. La sensation, ainsi
considérée comme quelque chose dont l’appréhension n’est pas une synthèse successive, qui
irait des parties à la représentation totale, n’a pas de grandeur extensive.
Elle a en revanche une autre sorte de grandeur:
– «ce qui correspond à la sensation dans l’intuition empirique est la réalité ]realitas
phænomenon)
– ce qui correspond à l’absence de sensation est la négation = 0»
– le réel dans le phénomène a donc toujours une grandeur [«Größe» devrait être traduit par
«grandeur»]
– cette grandeur «je la nomme grandeur intensive.» (CRPu, Bar 211.2.4)
211.3
Toute sensation a une grandeur intensive.
211.4
Définition de la continuité d’une grandeur.
L’espace et le temps sont des grandeurs continues — quanta continua.
212.1
Commentaire: les deux premiers principes purs peuvent être combinés pour énoncer une
propriété que les phénomènes ont en commun:
«Tous les phénomènes en général sont donc des grandeurs continues, aussi bien quant à
leur intuition, comme grandeurs extensives, que quant à la simple perception (à la
sensation et par conséquent à la réalité), comme grandeurs intensives.» (CRPu, Bar
212.1.1-5)
212.2-213.1
Attention! nous ne pouvons pas tirer du principe de la continuité des phénomènes la thèse
voulant «que tout changement (tout passage d’un état à une autre) est aussi continu» (CRPu,
Bar (212.2.3-4), car la causalité d’un changement en général réside tout à fait en dehors des
limites d’une philosophie transcendantale. Nous ne pouvons, dit Kant, «anticiper sur la
physique générale, qui est construite sur certaines expériences fondamentales» (CRPu, Bar
213.1.3f).
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Comme si Kant, par cette remarque, répondait par avance à l’objection alléguant que la physique
moderne, par la théorie quantique, a montré que les changements des phénomènes sont
effectivement discontinus, lorsqu’on les décrit au niveau de résolution que vise la théorie
quantique. [Kant fait-il une prolepse? Anticipe-t-il…?] Quelle que soit la force avec laquelle
l’intuition pure prescrit ses propres conditions a priori à l’intuition empirique, Kant laisse ouverte,
pour ainsi dire, la possibilité que nous puissions percevoir dans l’expérience des formes du
changement que nous n’anticipons justement pas. La nature et l’étendue de ce que nous
anticipons est extrêmement réduite. (L’autre question, celle de savoir, si la science peut ou doit
admettre au nombre des phénomènes des réalités que nous sommes en principe incapables de
percevoir, reste ouverte et n’est pas touchée par la remarque précédente. La conception
contemporaine de la science accepte allègrement des rapports extrêmement médiatisés entre la
nature et la perception et croit audacieusement à des constructions qui représentent des formes ou
des réalités qui ne sont pas du tout de l’ordre du perceptible.)
213.2-214.1
Néanmoins, notre principe exerce une influence considérable (dans les sciences) en anticipant
sur les perceptions. Par exemple, il nous permet d’affirmer qu’«Il ne peut […] y avoir de
perception, par conséquent d’expérience, qui prouve, soit immédiatement, soit médiatement
(quelque détour qu’on prenne pour arriver à cette conclusion), une absence absolue de toute
réalité dans le phénomène; c’est-à-dire qu’on ne saurait jamais tirer de l’expérience la preuve
d’un espace ou d’un temps vide.» (CRPu, Bar 213.3.4-10)
Kant relate un exemple tiré de l’histoire de la physique.
214.2-215.2
Précaution oratoire de type mise en garde.
Ce que notre principe nous permet d’anticiper, relativement à la sensation, est très limité et ne
concerne pas ce qu’on appelle habituellement «la qualité de la sensation», par exemple la
couleur, le goût, etc. Nous faisons usage du concept de qualité auquel appartient la catégorie
réalité, mais c’est en un tout autre sens:
«Il est remarquable que nous ne pouvons connaître a priori dans les grandeurs en général
qu’une seule qualité, à savoir la continuité, et dans toute qualité (dans le réel du
phénomène) que sa quantité <Quantität> intensive, c’est-à-dire la propriété qu’elle a
d’avoir un degré; tout le reste revient à l’expérience.» (CRPu, Bar 215..2.6f)
Boutroux, concernant les anticipations de la perception: «Il faut que les choses aient un degré d’influence sur nos
sens. C’est la condition requise pour qu’elles puissent nous fournir des sensations.» (BOUTROUX, É., La philosophie
de Kant, 123.f.f-124.1.2)
Commentaire de Philonenko sur l’anticipation de la perception.
L’esprit peut non seulement connaître la forme de la sensation mais encore en prévoir, pour ainsi dire, la
matière; c’est ça la grandeur intensive.
En définissant le degré de la sensation à partir de 0, Kant affirme la réalité dans son opposition à la négation,
c’est-à-dire au nihil privativum et présente une théorie de la genèse du réel. La genèse du réel est, identiquement, la
double genèse du sujet et de l’objet. (Phi, OK I 200.1.1-5)
Où l’on voit que
– réalité ≠ existence
– réalité ≠ essence comme possibilité de l’existence du phénomène donné dans la sensation
• essence formaliter spectata, c’est-à-dire essence mathématique (quantité comprise comme
continuité)
• essence materialiter spectata, constructible jusqu’à ce qu’elle corresponde à la donnée du sens
interne.
95
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Pour la poursuite de la réflexion: quelles sont les diverses interprétations possibles de la thèse
affirmant que la réalité a des degrés? Peut-on transporter cette thèse dans un contexte d’ontologie
contemporaine? Voici quelques-unes des occurrences de l’affirmation de la thèse: «degré de la
réalité» (CRPu, Bar 211.2.m6); «Le réel a donc une grandeur [Größe], mais cette grandeur n’est
pas extensive.» (Ibid., 211.1.2f); «toute sensation, par conséquent aussi toute réalité dans le
phénomène, si petite qu’elle puisse être, a donc un degré» (Ibid., 211. 3.1-2) Pourquoi, dans
l’exemple de la couleur, affirmer, à propos du degré d’une couleur, que «si faible qu’il puisse être,
[il] n’est jamais le plus faible [possible]» (Ibid., 211.3.7-8)?
96
T H È M E # 6 . L ’ AN A L Y T I Q U E — II I . S C H É M A T I S M E — P R I N C I P E S M A T H É M A T I Q U E S
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97
K
<> T h è m e # 7
<>
K
L ’ A n a l y t i q u e tr a n s c e n d a n t a l e
I V . Le s p r i n c i p e s d y n a m i q u e s
V . Sy n t h è s e d e l ’ A n a l y t i q u e
4.3.3.3
Les principes dynamiques..................................................................................95
4.3.3.3.1
Les analogies de l’expérience........................................................................95
4.3.3.3.2
Les postulats de la pensée empirique............................................................107
4.3.3.4
Vue d’ensemble sur les principes......................................................................110
4.3.4
Chapitre III — Du principe de la distinction de tous les objets en général en phénomènes et
en noumènes........................................................................................................112
4.4
Synthèse de la théorie de la connaissance contenue dans l’Esthétique et l’Analytique..................112
4.3.3.3
Les principes dynamiques
Résumé des principes précédents.
Dans les principes mathématiques, nous avons identifié des conditions a priori:
– de l’intuition des phénomènes en tant qu’objets possibles, cette condition étant le principe a priori de la
composition de l’homogène pour former des grandeurs extensives;
– de la perception (ou de la présence d’une matière non-nulle de sensation à percevoir), cette condition
étant le degré que possède le phénomène et par lequel il est capable d’affecter la sensibilité.
Les conditions exprimées par le deux principes assurent:
– l’unité (CPE) quantitative d’objets possibles, unité qui les rend
• susceptibles d’être distingués l’un de l’autre
• comparables entre eux
• mesurables.
– la réalité (CPE) qualitative d’objets possibles, réalité qui les rend perceptibles au sens de
• SUSCEPTIBLES D’ÊTRE DISTINGUÉS DU NÉANT
• RÉELS de part en part (≈denses: possédant en tout point du temps et de l’espace un degré non nul).
À eux deux, ces principes assurent la possibilité d’appliquer les mathématiques aux phénomènes. C’est cette
idée même que Kant exprime en qualifiant ces principes de «mathématiques».
4.3.3.3.1
a)
215.3216.1
Les analogies de l’expérience
L’exposé des AE commence avec l’énoncé du principe qui vaut pour les trois analogies: elles
doivent toutes assurer une représentation de la nécessité des liaisons entre des perceptions. Ce
principe est démontré par le raisonnement de 216.1. Voici sa reconstitution explicite.
98
T H È M E # 7 . L ’A N A L Y T I Q U E — IV. LE S P R I N C I P E S D Y N A M I Q U E S.
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(Thèse) L’expérience n’est possible qu’au moyen d’une représentation de la liaison nécessaire des perceptions.
(Maj) «On ne peut déterminer l’existence des objets dans le temps qu’en les liant dans le temps en général,
c’est-à-dire au moyen de concepts qui les unissent a priori.» (CRPu, Bar 216.1.m6-4)
–
Le rapport d’existence des éléments divers doit être représenté dans l’expérience tel qu’il existe
objectivement dans le temps (et non tel qu’il résulte de la manière dont l’appréhension les assemble
dans le temps)
(Maj) L’expérience est «une connaissance qui détermine un objet par des perceptions» (216.1.1-2) et
renferme à ce titre «l’unité synthétique de la diversité [de ces perceptions] au sein d’une
conscience» (216.1.4-5)
(Min) Or, dans l’expérience, les perceptions ne se rapportent les unes aux autres que de manière
accidentelle (et non nécessaire).
–
Or, le temps ne peut lui-même être perçu, c’est-à-dire le temps en général n’est pas une perception.
(Min) Or, ces concepts impliquent toujours la nécessité.
b)
216.2
[Ce texte constitue un nouveau début de la démarche d’exposition; en effet, c’était ici que
commençait l’exposé dans la première édition; le paragraphe qui précède est un ajout de la
deuxième édition.]
La division en trois analogies est basée sur les 3 «modes du temps»: permanence, succession, simultanéité.
c)
216.3217.1
Énoncé du principe <Grundsatz> qui va guider la démarche d’identification des 3 analogies:
«Toutes les déterminations empiriques du temps sont soumises aux règles de la
détermination générale du temps.» (217.1.m5-3)
Ce principe ne fait qu’expliciter une prémisse déjà utilisée dans le raisonnement d’introduction:
«on ne peut déterminer l’existence des objets dans le temps qu’en les liant dans le temps en
général.» (216.1.m6-5).
Les trois articulations conceptuelles à retenir des paragraphes de présentation (216.2, 216.3, 217.1) sont:
–
l’articulation entre conscience pure (aperception) et conscience empirique (perception).
–
l’articulation entre temps en général (comme dans la déduction transcendantale du temps, faite dans
l’Esthétique) et temps déterminé. Les analogies ne concernent que la détermination du temps, et parmi ces
déterminations, seulement celles qui concernent l’ordre du temps, selon le terme du troisième schème.
–
l’articulation entre «les règles de la détermination générale du temps» — ce sont les trois analogies — et les
«déterminations empiriques » du temps, lesquelles sont soumises aux règles mais ne sont pas connues hors
de l’expérience. (217.1.7f).
d)
217.2
Ce paragraphe n’est qu’une précaution oratoire (ou commentaire négatif). Il s’agit de l’existence
<das Dasein> — à la différence des 2 premiers principes de l’entendement pur; il ne s’agit donc pas
de déterminer la synthèse de l’intuition empirique des phénomènes. «La manière dont quelque
chose est appréhendé dans le phénomène peut être déterminée a priori de telle façon que la règle de sa synthèse
puisse fournir cette intuition a priori dans chaque exemple empirique donné, c’est-à-dire la [cette intuition] réaliser
dans cette synthèse même.» (CRPu, Bar 217.2.4-9) Mais quand il s’agit de l’existence d’un phénomène, une telle
détermination a priori de son intuition empirique n’est pas possible; on ne peut anticiper ce par quoi l’intuition
empirique d’une existence se distingue de d’autres.
e)
217.3218.1
Explication de ce que sont une analogie et un postulat, dans le cadre où l’on oppose les principes
dynamiques aux principes mathématiques qui ont été exposés précédemment.
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–
PREMIÈRE CARACTÉRISTIQUE : L’analogie, en tant que principe dynamique, concerne les rapports
d’existence entre phénomènes et à ce premier titre est un principe régulateur.
•
Kant rappelle d’abord que la différence entre principes mathématiques et principes dynamiques utilise ou
comporte la différence entre principes constitutifs et principes régulateurs.
•
Les principes mathématiques étaient constitutifs en ce qu’ils «se rapportaient aux phénomènes du point
de vue de leur simple possibilité et nous enseignaient comment ces phénomènes peuvent être produits
suivant les règles d’une synthèse mathématique, soit quant à leur intuition [selon les axiomes de
l’intuition], soit quant au réel de leur perception [selon les anticipations de la perception].» (CRPu, Bar
217.3.3-8).
•
Les principes dynamiques, en revanche, concernent, non la simple possibilité des phénomènes mais leur
existence; comme celle-ci ne se laisse pas construire, les règles auxquelles elle peut être soumise a priori
«ne concernent que le rapport d’existence […] il s’agit seulement, quand une perception nous est donnée
dans un rapport de temps avec une autre (qui reste indéterminée), de dire, non pas quelle est cette autre
perception et quelle en est la grandeur, mais comment elle est nécessairement liée à la première, quant à
l’existence, dans ce mode du temps.» (CRPu, Bar 218.1.1-10) À ce titre les principes dynamiques sont
des principes régulateurs.
–
DEUXIÈME CARACTÉRISTIQUE : L’analogie, en tant que règle, indique comment «chercher dans
l’expérience (un terme satisfaisant certains rapports} et un signe pour l’y découvrir» (CRPu, Bar 218.1.20-22)
et à ce deuxième titre, elle est un principe régulateur.
•
l’analogie, en philosophie: elle est «l’égalité de deux rapports, non de quantité, mais de qualité : trois
membres étant donnés, je ne puis connaître et donner a priori que le rapport à un quatrième, mais non ce
quatrième membre lui-même; j’ai seulement une règle pour le chercher dans l’expérience, et un signe
pour l’y découvrir.» (CRPu, Bar 218.1.17-22) Par cette caractéristique, l’analogie, en philosophie
contraste avec l’analogie en mathématiques, laquelle est une égalité entre deux rapports de grandeurs,
égalité telle que, trois termes étant donnés, de même que le rapport de deux d’entre eux, on peut identifier
le quatrième terme qui entretiendra le même rapport avec le troisième donné.
◊
Observons, avec Philonenko, que le «En philosophie» (218.1.10) de Kant, signifie «en philosophie
naturelle», c’est-à-dire «en physique», si on rend l’idée en langage contemporain.
•
plus spécifiquement: «Une analogie de l’expérience n’est donc qu’une règle suivant laquelle l’unité de
l’expérience (non la perception elle-même, comme intuition empirique en général) doit résulter de
perceptions» (CRPu, Bar 218.1.22-25). Elle dirige donc nos propres facultés dans la recherche des
phénomènes et dans le processus de l’unification de notre expérience.
–
TROISIÈME CARACTÉRISTIQUE : C’est simplement comme principes de l’usage empirique de
l’entendement, et non de son usage transcendantal, que ces analogies ont leur signification et leur valeur;
«d’où il suit que les phénomènes ne doivent pas être subsumés sous les catégories en général, mais seulement
sous leurs schèmes.» (CRPu, Bar 218.f.f-219.1.2)
•
Cette caractéristique vaut pour tous les principes synthétiques purs de l’entendement (les PSPE). Et la
démonstration de Kant est très claire à ce sujet. La thèse citée à l’instant est démontrée comme suit:
(Maj) «Les principes ne peuvent donc avoir pour but que les conditions de l’unité de la connaissance
empirique dans la synthèse des phénomènes» [accentuation en gras due à NL]
=
nous cherchons des principes de l’usage empirique de l’entendement et non de son usage
transcendantal
=
«les objets auxquels les principes doivent être rapportés […] ne sont que des phénomènes»
(219.1.3-6)
=
«l’expérience possible n’est que la connaissance parfaite de ces phénomènes» (219.1.6-7
accentuation en gras due à NL).
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(Min)
•
–
«Or cette synthèse n’est conçue que dans le schème du concept pur de l’entendement»
219.1.12-13 accentuation en gras due à NL)
=
elle peut être conçue soit dans le concept pur de l’entendement, soit dans son schème
=
or, elle ne peut être conçue dans le concept pur de l’entendement
>
puisque l’unité de ce dernier, en tant que «celle d’une synthèse en général, se trouve
dans la catégorie [où elle est opérée] par une fonction qui n’est restreinte par aucune
condition sensible.» (219.1.m11-9 accentuation en gras due à NL)
Même si la présence des schèmes dans l’énoncé des PSPE est une caractéristique commune aux 4 sortes
de principes (axiomes, anticipations, analogies, postulats), Kant semble vouloir en tirer une connotation
spéciale pour le terme «analogie» qui désigne seulement la troisième sorte de principes: «Nous serons
donc autorisés par ces principes [tous les PSPE ou seulement les analogies?] à n’associer les phénomènes
que par analogie avec l’unité logique et générale des concepts et, par conséquent, …» (CRPu, Bar
219.1.m9-6, accentuation en gras due à NL)
QUATRIÈME CARACTÉRISTIQUE (dérivée de la conjonction des deuxième et troisième précédentes).
Chaque analogie de l’expérience fait correspondre à la relation exprimée dans la catégorie (de relation) une
relation exprimée dans les termes du schème de ladite relation. Chaque analogie est une structure à quatre
termes et on a trois telles structures. Le principe général en est: La catégorie est à la conscience pure comme
le schème est à la conscience empirique; ou encore: la catégorie est à l’unité de la synthèse en général comme
le schème est à l’unité de la synthèse empirique.
Analyse de la formule
Premier rapport
servant de nom au principe:
Exprime l’unité logique
et générale des concepts
selon la catégorie
Exprime l’association des
phénomènes par analogie avec le
premier rapport
Sert à penser le principe
même
Sert dans l’exécution du principe,
c.-à-d. dans son application aux
phénomènes
Substance
Le X qui persiste au milieu du
changement *
Accidents
Ce qui change dans les
phénomènes
«Principe de…»
Schème (en tant
que «condition
restrictive…»)
…La
permanence
Catégorie
de la substance
=
Deuxième rapport
…la succession
suivant la loi
Cause
Le X qui précède selon une règle
nécessaire ce qui arrive
dans le temps
de la causalité
Effet
Ce qui arrive
…la
simultanéité
suivant la loi de
l’action réciproque
Le rapport de l’action réciproque entre substances
Le rapport entre choses simultanées
en tant qu’elles existent en un seul
et même temps
* La saisie de quelque divers comme un événement ne détermine pas sa cause mais seulement qu’il a
nécessairement un rapport à un «état antérieur comme à un corrélatif, mais indéterminé encore» (CRPu, Bar
231.1.m6-5). Selon cette citation, le quatrième terme de l’analogie est bien celui appelé à jouer la fonction de cause
dans la synthèse en cours; mais il n’est sans doute pas exclu que la relation se fasse dans l’autre sens et que le X
cherché soit appelé à jouer la fonction d’effet, comme je le suppose dans la reconstitution du processus de prédiction
dans le deuxième tableau présenté ci-dessous.
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Note d’exégèse. Dans le tableau ci-dessus, je risque une interprétation des deux articulations conceptuelles faites par
Kant dans la phrase finale de l’introduction aux «Analogies de l’expérience»: «Nous serons donc autorisés par ces
principes à n’associer les phénomènes que par analogie avec l’unité logique et générale des concepts et par
conséquent, à nous servir, dans le principe même, de la catégorie; mais dans l’exécution (dans l’application aux
phénomènes) nous substituerons au principe le schème de la catégorie, comme étant la clef de son usage, ou plutôt
nous placerons à côté d’elle ce schème comme condition restrictive, sous le nom de formule du principe.» (CRPu,
Bar 219.1.8f). Les deux articulations concernées sont:
1. le principe même versus son exécution, son application aux phénomènes;
2. le principe versus la formule du principe.
Sous toute réserve, je propose que l’expression «sous le nom de formule du principe» désigne les syntagmes
nominaux au moyen desquels Kant nomme les principes avant de les énoncer. Cette interprétation fonctionne
minimalement dans la mesure où les syntagmes concernés comportent tous, effectivement, la mention du schème à
côté de la mention de la relation catégoriale correspondante. Cependant, il est curieux que ces appellations soient des
ajouts de la deuxième édition (placées d’ailleurs en sous-titres dans l’édition de Weischedel) et que la phrase
alambiquée que nous cherchons à interpréter soit de la première édition. Il faut dire aussi que la traduction de Barni
est ici plutôt embarrassée… (Fin de la note d’exégèse.)
Philonenko tente lui aussi de reconstituer une analogie de manière à montrer les deux rapports impliqués et à
déterminer le quatrième terme. Ainsi, il explique l’analogie 2 dans les termes suivants:
[…] supposons donné un rapport entre le mouvement régulier d’une planète, la loi de la gravitation,
et une perturbation du mouvement régulier, elle-même déterminée. Trouver la cause de l’écart, c’est
montrer quelle est la quatrième proportionnelle en indiquant ce “quelque chose” qui est par rapport à
la perturbation comme la loi est par rapport au mouvement régulier. Ainsi “s’est réalisée la
découverte de Neptune par l’astronome Galle d’après les calculs faits par Leverrier / pour expliquer
les perturbations d’Uranus” (J. VUILLEMIN, Physique et métaphysique kantiennes, Paris, 1955, p.
338).
(Phi, OK I 203-204)
D’après ce passage, Philonenko reconstitue les quatre termes de l’analogie de la façon suivante:
Loi de la gravitation
universelle
X = Neptune, cause de la
perturbation d’Uranus
↓
↓
Mouvement régulier
d’une planète
Perturbation du
mouvement d’Uranus
Utilisant la terminologie du modèle hypothético-déductif de l’explication par une loi, je reconstitue l’analogie 2
d’une façon légèrement différente; je considère la loi elle-même comme étant le rapport qui se retrouve le même
d’un cas à l’autre (plutôt que de considérer la loi comme une cause, et comme un des termes de l’analogie, ainsi que
Philonenko semble le faire dans sa reconstitution).
Conditions initiales 1
Conditions initiales 2
X = Neptune
Conditions initiales 3
↓Loi
↑Loi
↓Loi
Effets réalisés 1
Mouvement régulier
d’une planète
Effets réalisés 2 (connus
avant leur cause) : Le
mouvement d’Uranus est
perturbé
Effets 3 prédits
(à déterminer à partir
des conditions initiales)
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Cas de la découverte de la
cause
Cas de la prédiction de
l’effet
Postulat. La distinction entre principes constitutifs et principes régulateurs, Kant l’applique aux postulats de
la pensée empirique aussi bien qu’aux analogies de l’expérience. C’est ce qu’il commence à dire en 218.1.m11: «Il
en est de même des postulats de la pensée empirique en général…», mais il remet à beaucoup plus tard, soit à CRPu,
Bar 257.2.m12 une explication de ce qu’il faut entendre par «postulat», dans ce contexte.
La première analogie de l’expérience «Le principe de la permanence de la substance» (CRPu, Bar 219) — (Phi,
OK I 205)
POSITION DU PROBLÈME. Le problème est celui que j’appellerais «problème de la possibilité de la
construction de l’objet» , à partir de la constatation d’un écart flagrant entre ce que fournit l’appréhension simple et
ce que nous croyons concernant la nature d’un objet quelconque.
a) La question initiale: «[C]onsidérons, comme le remarque Kant, que “notre appréhension du divers des
phénomènes est toujours successive et par conséquent changeante.” (CRPu, Bar 220.2.1-2) Comment
partant de cette appréhension toujours changeante parvenons-nous à poser un objet, qui dépasse la simple
multiplicité donnée dans l’appréhension?» (Phi, OK I 206.1.6.12)
b) La nature de l’écart: «En fait lorsque nous parlons d’un objet, nous prétendons savoir plus que nous ne
sommes capables de voir; nous présupposons que l’objet est “plus” que ce qu’il donne de lui-même, ou,
si l’on préfère, qu’il n’est pas exactement limité à ce que nos perceptions nous en donnent. Bien plus! le
changement des représentations possède au moins deux raisons: l’une psychologique et qui est relative
aux fluctuations de mon sens interne et de mon attention — l’autre physique et qui est propre à l’objet.»
(Phi, OK I 206.1.12-22)
c) Les 3 croyances qui en résultent et qui sont à justifier: «1° l’objet possède une unité et il est “plus” que sa
simple représentation immédiate — 2° les modifications du sens interne ne sont pas des modifications de
l’objet — 3° la conscience des modifications de l’objet ne s’oppose pas à la connaissance de l’objet et on
peut toujours distinguer les modifications du sens interne des modifications objectives.» (Phi, OK I
206.1.22-m1)
LE PRINCIPE DE LA PERMANENCE DE LA SUBSTANCE . La réponse kantienne à ce problème est une sorte
de substantialisation du temps. C’est le temps «qui est la vraie substance transcendantale». (Phi, OK I 207.1.m7-6)
– ÉNONCÉ DU PRINCIPE : «La substance persiste au milieu du changement de tous les phénomènes, et
sa quantité n’augmente ni ne diminue dans la nature.» (CRPu, Bar 219.2)
– c’est la catégorie de la relation substance-accident, en tant que schématisée dans le schème de la
permanence qui rend le temps unifié et identique à lui-même. «le temps […] où doit être pensé tout
changement des phénomènes demeure, et ne change pas» (CRPu, Bar 219.3.m4-2)
– la preuve du principe de permanence est donnée, sous l’intitulé «PREUVE», dans l’alinéa CRPu, Bar
219.3.1-220.1.f. Cet alinéa constitue un résumé-synthèse des thèses de la première analogie et fut ajouté
lors de la seconde édition, en remplacement d’un paragraphe de cinq lignes.
– Philonenko la détaille ainsi. Pour rapporter les phénomènes au temps comme permanence, il faut
parvenir à une représentation permanente du temps — laquelle est obtenue de la manière suivante:
• ce qui va représenter le temps comme un et identique, c’est «le monde des phénomènes dans sa
totalité» (Phi, OK I 208.1.14-15)
• cette totalité conserve le même quantum de matière à travers tous les changements;
• la matière prise comme totalité représente donc la permanence;
• la permanence est le schème de la substance;
• la matière est l’intuition qui remplit le concept pur de substance.
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•
[énoncé du résultat d’ensemble de la démonstration:] «[la matière] est l’ensemble des phénomènes
considérés comme une nature constante d’après des lois [réf. à CRPu, Bar 253.2] qui nous fournit le
substratum de la représentation du temps comme quantum permanent […]. On comprend ainsi
comment nous établissons ici aussi un concept synthétique: “Puisqu’on appelle substance ce qui
subsiste comme sujet des modifications et des relations, c’est une vérité analytique que d’affirmer
que ce permanent est nécessairement représenté au moyen du concept de substance. Pour déterminer
des relations d’existence dans le temps, il est donc nécessaire de poser d’abord un objet spatial
comme substance permanente: il s’agit alors d’une proposition synthétique, puisque nous ne nous
contentons pas de dire que la substance est permanente, mais que nous disons que la substance
permanente est nécessairement présente dans l’expérience constituée en connaissance objective.” (B.
ROUSSET, La doctrine kantienne de l’objectivité, p. 240)» (Phi, OK I 208.1.m6-209.1.f)
Philonenko ajoute à cet exposé trois remarques intéressantes:
1- Les systèmes physiques. Puisque nous ne pouvons saisir la nature elle-même comme substance (la
totalité des phénomènes n’étant qu’une idée de la raison), nous devons choisir des «substituts de la nature
— des systèmes physiques relativement clos — qui nous fourniront des éléments invariants, à partir
desquels nous pourrons mesurer le temps (Cf. J. VUILLEMIN, Physique et métaphysique kantiennes,
Paris, 1955, pp. 283-284). Ces systèmes physiques sont les substances phénoménales. Ce qu’il y a de
commun entre ces systèmes et la nature elle-même, c’est qu’ils sont considérés comme constants et
mesurables comme des quantums de matière […]. Grâce à eux “l’existence obtient dans les différentes
parties successives de la série du temps une quantité que l’on nomme durée.” (CRPu, Bar 221.1.2-4)»
(Phi, OK I 209.2)
2- La substance comme relation d’identité. La substance, dans ce cadre conceptuel, est une relation
d’identité en ce sens qu’elle est identique à la totalité de ses accidents. Au lieu d’être «sous» les
phénomènes, elle «l’ensemble d’un système de phénomènes, caractérisé par l’invariant qui est la quantité
de matière» (Phi, OK I 210.1.1.-3). C’est ce lien étroit qui occasionne les allures paradoxales que peuvent
prendre nos expressions, lorsque nous décrivons le changement; Kant mentionne: «on peut dire, au risque
d’employer une expression en apparence quelque peu paradoxale, que seul le permanent (la substance)
change et que le permanent n’éprouve pas de changement, mais une variation» (CRPu, Bar 223..2.m6-2).
La traduction de Barni est ici bien médiocre. La référence à l’allemand est presque nécessaire:
«Daher ist alles, was sich verändert , bleibend, und nur sein Zustand wechselt. Da dieser
Wechsel also nur die Bestimmungen trifft, die aufhören oder auch anheben können: so können wir,
in einem etwas paradox scheinenden Ausdruck, sagen: nur das Beharrliche (die Substanz) wird
verändert, das Wandelbare erleidet keine Veränderung , sondern einen Wechsel , da einige
Bestimmungen aufhören, und andre anheben.» (Weischedel vol. III, 224.3-225.1) Les mots en
caractères gras sont mis en relief par moi, pour montrer ce que la traduction a de la difficulté à
rendre.
3- La pluralité des substances va être entérinée et utilisée comme fondement de la troisième analogie; elle
y sera définie par l’action réciproque, la causalité réciproque. «Le rapport de communauté n’est que la
synthèse de la notion de substance et de la notion de causalité.» (Phi, OK I 211.1.2-4)
Problème à poursuivre: examiner si la reconstitution donnée par Philonenko correspond au
schéma suivant.
Perception 1
(rapport 1, à un
moment t1 antérieur
à t2)
substance
Perception 2
(rapport 2, à un
moment t2 postérieur
à t1)
↔
permanence
104
substance
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état 1 (antérieur)
↔
transformation
état 2 (postérieur)
J’ai tenté, pour ma part, la représentation suivante de la structure conceptuelle de la première analogie de
l’expérience.
état 1 (antérieur)
état 1 (antérieur)
transformations
↓
—————————— SUBSTANCE ————————————
selon l’axe du temps
état 1 (postérieur)
état 2 (postérieur)
Dans cette représentation, la dimension horizontale n’est pas orientée et représente la totalité des cas du monde; elle
représente l’existence du constant et du permanent, laquelle rend possible la différenciation des états, c’est-à-dire la
multiplicité des transformations possibles de ce qui peut inhérer à une substance.
La deuxième analogie de l’expérience «Le principe de la succession dans le temps suivant la loi de la
causalité» (CRPu, Bar 224)
L’exposé de la deuxième analogie commence par rappeler le principe (précédent) de la permanence en le
formulant ainsi: «tout changement d’état (succession) des phénomènes n’est que changement». «Changement
d’état» traduit «Wechsel» et «changement» tout court traduit «Veränderung». Voici un schéma pour aider à
concevoir les deux relations:
Substance
+
État 1
Relation de changement
→→
Veränderung
Substance
+
État 2
Substance
État 1
Relation de changement
d’état
→→
État 2
Wechsel
Le résultat de la première analogie dont Kant a besoin pour établir la deuxième est:
Tous les phénomènes de la succession dans le temps <Erscheinungen der Zeitfolge insgesamt> ne
sont que des changements.
(CRPu, Bar 224.4.1-3)
Ce qu’il s’agit d’écarter, c’est l’apparition et la disparition de substances.
ÉNONCÉ DE LA DEUXIÈME ANALOGIE : « Tous les changements arrivent suivant la loi de la liaison des effets
et des causes.» (CRPu, Bar 224.4)
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L’argumentation qui résume la démarche de preuve de la deuxième analogie est donnée en 225.2 — ce sont
des alinéas ajoutés lors de la 2e édition. Le détail de la démarche de preuve recommence à son début avec 225.3:
«L’appréhension du divers dans le phénomène…». On peut donc, pour faire la reconstitution de la démarche,
commencer avec 225.3; on reviendra au résumé [225.2] à la fin.
PREMIÈRE ÉTAPE DE LA DÉMARCHE DE PREUVE DE LA DEUXIÈME ANALOGIE :
RÉSOUDRE LE PROBLÈME DE LA DOUBLE SUCCESSION
[CRPu, Bar 225.2-229.2]
On peut considérer deux types de succession du divers offert à la perception:
— la succession objective, dans l’objet.
— la succession subjective de l’appréhension
Je n’aperçois ce doublet que si je distingue
— objet
— phénomène désignant un objet
ou encore (c’est une distinction équivalente)
— «ce qu’il y a de divers dans les phénomènes eux-mêmes»
— «la représentation de ce divers […] dans l’appréhension» (CRPu, Bar 226.1.27-29)
Le problème s’énonce ainsi: laquelle de ces deux successions détermine l’autre? Ou encore: sur quoi me baser
pour connaître le rapport de temps (des phénomènes, des états…) «dans l’objet» (CRPu, Bar 226.1.3; 228.2.6;
232.3.m6)
1.1
Kant montre qu’il n’est pas suffisant d’avoir conscience d’une succession de nos représentations
225.3.1pour être assuré de connaître si et comment des choses se succèdent dans l’objet
227.1.2
et qu’il faut
«montrer quelle liaison convient dans le temps à ce qu’il y a de divers dans les phénomènes euxmêmes, alors même que la représentation de ce divers est toujours successive dans l’appréhension»
(CRPu, Bar 226.1.26-30).
Exemple de la maison.
1.2
227.1.2-f
Kant formule le problème ainsi: il s’agit de trouver une règle à laquelle serait soumise
l’appréhension. Il a été établi en [225.3.1-226.1.23] qu’il faut distinguer entre objet et
représentation de l’objet dans l’appréhension.
Explication de 227.1.2-f.
Pour que je puisse distinguer le phénomène maison des représentations que j’en ai dans l’appréhension, et
pour qu’un accord soit possible entre le concept (maison) que je tire de mes représentations et l’objet lui-même —
cet accord étant requis, ne fût-ce qu’à titre de condition formelle, par la notion de vérité empirique d’un jugement,
d’une connaissance —, il faut trouver une règle:
— telle que cette appréhension puisse être distinguée de toute autre (elle doit être individuée)
— et qui fournisse un moyen de lier (selon une liaison nécessaire, et non seulement arbitrairement) le divers
que contient cette appréhension.
Il faut, en d’autres mots, que la règle me permette de déterminer cette appréhension comme étant l’appréhension
d’une maison (et non pas l’appréhension d’un puits, du beau temps, des arbres avoisinants…); peut-être même de
déterminer qu’il s’agit de l’appréhension de cette maison plutôt que de telle autre.
Il s’agit de faire voir
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— que je n’ai pas encore une telle règle dans la seule appréhension; j’ai diverses façons d’ordonner les
diverses représentations que j’ai de la maison
— mais que c’est bien dans l’objet que se trouvera la condition de cette règle nécessaire: «CE QUI DANS LE
PHÉNOMÈNE CONTIENT LA CONDITION DE CETTE RÈGLE NÉCESSAIRE DE L’APPRÉHENSION EST
L’OBJET.» (CRPu, Bar 227.1.3f)
Observons que jusqu’ici le mot «cause» n’a pas encore été utilisé.
1.3
227.2
230.1
Kant décrit en détail la manière dont nous appréhendons «ce qui arrive» <was geschieht>,
explique ainsi la notion d’événement <Begebenheit> et fait ressortir les conditions de la
représentation que nous nous faisons de la succession.
a)
dès le départ, Kant utilise le résultat de la première analogie pour écarter la possibilité qu’on perçoive la
naissance absolue d’une chose ou d’un état, c’est-à-dire la naissance d’un état en l’absence d’un
phénomène qui contenait cet état. Voir CRPu, Bar 227.2.1-8.
[…] une réalité qui succède à un temps vide, par conséquent un commencement que ne précède
aucun état de choses, ne peut pas plus être appréhendé par moi que le temps vide lui-même. Toute
appréhension d’un événement est donc une perception qui succède à une autre.
(CRPu, Bar 227.2.5-10)
b)
[227.2.13-228.2.f] Une fois établi que l’événement implique nécessairement une succession d’états (et non
une création d’états), Kant établit la distinction entre
•
le cas où je ne fais pas la différence entre l’ordre attribuable à mes représentations et l’ordre attribuable à
l’objet de mes représentations — c’est le cas signalé par l’exemple de la maison;
•
et le cas où je fais cette différence: «l’ordre de la série des perceptions qui se succèdent dans
l’appréhension est […] déterminé, et elle-même [l’appréhension] en dépend.» (CRPu, Bar 227.2.m10-8)
À la différence de ce qui se passait avec les diverses représentations de la maison, dans l’exemple cidessus, cet ordre ne peut être autrement. C’est l’exemple du bateau.
Quand quelque chose arrive, la succession des états du divers «rend nécessaire l’ordre des perceptions
(dans l’appréhension du phénomène)» (CRPu, Bar 228.2.3f). Nous avons donc une règle pour ce qui
concerne la succession subjective.
c)
Kant en tire la distinction entre la succession objective et la succession subjective.
d)
[228.3-229.2] Kant donne maintenant une interprétation transcendantale à la succession objective. Ce qui
explique notre incapacité à renverser l’ordre de la succession objective et donc notre capacité de percevoir
quelque chose qui arrive, c’est que nous concevons cette relation comme une relation de condition à
conditionné. (Note: cette idée est reprise telle quelle en 231.1.9-14.)
Puis donc que c’est quelque chose qui suit, il faut nécessairement que je le rapporte à quelque chose
d’autre qui précède et de quoi il suit selon une règle, c’est-à-dire nécessairement, de telle sorte que
l’événement, comme conditionné, nous renvoie sûrement à quelque condition qui le détermine.
(CRPu, Bar 228.3.6f)
C’est donc toujours eu égard à une règle d’après laquelle les phénomènes sont déterminés dans leur
succession, c’est-à-dire tels qu’ils arrivent, par l’état antérieur, que je donne à ma synthèse
subjective (de l’appréhension) une valeur objective, et ce n’est que sous cette supposition qu’est
possible l’expérience même de quelque chose qui arrive.
(CRPu, Bar 229.2.7f)
Toute cette argumentation est reprise à partir de 230.2.
Observations:
1. Le mot «cause» n’est pas encore utilisé. Cependant, le mot «cause» est utilisé dans le commentaire
229.3.1-m4 concernant la théorie inductiviste de la cause, théorie qui s’oppose à la présente.
2. Tout événement est perçu-conçu comme SUIVANT d’un autre. La relation va en remontant.
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3.
4.
La relation de détermination va de l’objet à l’appréhension; une autre détermination va d’un état
antérieur du phénomène à un état postérieur (CRPu, Bar 229.2.m5-4)
Le raisonnement kantien se fait encore une fois sous la forme du raisonnement à partir de la
condition de possibilité
Il faut P pour que Q soit possible
or Q
——————————
donc P
FORMULATION TYPIQUE : «ce n’est que sous cette supposition qu’est possible l’expérience même
de quelque chose qui arrive» (CRPu, Bar 229.2.3f).
1.4
Kant va maintenant généraliser pour montrer le caractère nécessaire du principe de raison
230.2suffisante. La thèse est que nous ne pourrions même pas nous représenter «une succession dans
232.2
l’objet» (CRPu, Bar 230.2.f) si nous n’utilisions pas ce principe comme règle pour déterminer
notre appréhension (c’est-à-dire l’ordre de nos perceptions dans l’appréhension).
La formulation «que le temps qui précède détermine nécessairement celui qui suit» (CRPu, Bar 231.2.3-4) est
donnée
– comme «loi nécessaire de notre sensibilité» (231.2.1). En tant que telle, elle concerne l’aspect subjectif,
elle constitue la condition formelle de toutes nos perceptions.
– comme «loi essentielle de la représentation empirique de la succession dans le temps». (231.2.5-6) En
tant que telle, la loi semble concerner la succession dans l’objet; elle concerne «le phénomène comme
déterminé dans le temps quant à sa place, et par conséquent comme un objet qui peut toujours être trouvé
suivant une règle dans l’enchaînement des perceptions» (CRPu, Bar 232.2.3-6).
Autre formulation de la loi de la représentation empirique de la succession dans le temps, appelée cette fois
«principe de la raison suffisante»:
[…] la condition qui fait que l’événement suit toujours (c’est-à-dire d’une manière nécessaire) se
trouve dans ce qui précède.
(CRPu, Bar 232.2.m6-4)
Noter la formulation «la continuité dans l’enchaînement» (CRPu, Bar 231.2.m2). Cette affirmation de la
continuité sera reprise plus explicitement plus loin, mais dans un vocabulaire de mathématique infinitésimale. Voir
237.2.
1.5
232.3233.1
Résumé (à nouveau) de la preuve du principe de la raison suffisante.
DEUXIÈME ÉTAPE DE LA DÉMARCHE DE PREUVE DE LA DEUXIÈME ANALOGIE:
RÉSOUDRE LE PROBLÈME DE LA CAUSALITÉ SANS SUCCESSION APPARENTE
[CRPu, Bar 233.2-234.2]
Ce deuxième problème peut s’appeler également le problème de L’APPLICABILITÉ DU PRINCIPE DE
CAUSALITÉ À LA SIMULTANÉITÉ DES PHÉNOMÈNES, c’est-à-dire au cas où la cause et l’effet sont simultanés.
La solution du problème consiste à distinguer entre l’ordre du temps et le cours du temps. (CRPu, Bar
233.2.m4-3)
a)
«Le temps entre la causalité de la cause et son effet immédiat peut s’évanouir […], mais le rapport de l’un à
l’autre reste toujours déterminable dans le temps.» (CRPu, Bar 233.2.m2-234.1.3)
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b)
c)
La succession reste «l’unique critérium empirique de l’effet dans son rapport avec la causalité de la cause qui
précède.» (CRPu, Bar 234.2.1-4)
On peut lier la théorie de l’action, qui va suivre, à la solution du problème de la causalité sans succession
apparente de la manière suivante:
si l’on déporte la relation de succession sur les effets (dans le diagramme «C» = cause; «E» = effet)
C
E1
—>succession—>
E2
—>succession—>
E
au lieu de la voir entre la cause et l’effet
C
la théorisation de la relation causale en vient à intégrer une théorie de la relation d’action [Handlung]. On
pourrait considérer que le fait de concevoir la substance comme «dernier sujet» (235.1.8) de l’effet, ou
comme «premier sujet de la causalité» (235.1.m6) est une manière de distinguer la cause et l’effet en
l’absence de succession. Mais ce n’est pas pour résoudre le problème de l’absence apparente de succession
que Kant introduit la théorie de l’action. Son problème est plutôt de savoir si l’action est un critère de la
substance; et ce problème présuppose des relations de succession temporelle du fait qu’il utilise la notion de
changement.
TROISIÈME ÉTAPE DE LA DÉMARCHE DE PREUVE DE LA DEUXIÈME ANALOGIE:
RÉSOUDRE LE PROBLÈME DE SAVOIR
SI L’ACTION EST UN CRITÉRIUM EMPIRIQUE DE LA SUBSTANCE
[CRPu, Bar 234.3-236.1]
Kant
• admet que l’action est «un critérium empirique suffisant pour prouver la substantialité» (CRPu, Bar
235.1.m12-10)
• introduit le «concept d’une substance comme phénomène» (235.1.2f)
• écarte la possibilité d’une création parmi les phénomènes.
QUATRIÈME ÉTAPE DE LA DÉMARCHE DE PREUVE DE LA DEUXIÈME ANALOGIE:
RÉSOUDRE LE PROBLÈME DE LA FORME DU PASSAGE ENTRE ÉTATS OPPOSÉS SUCCESSIFS
[CRPu, Bar 236.2-238.2]
Ce problème est posé en termes seulement de conditions formelles du changement (236.2.m7), et non en
termes de forces. (Note: la notion de changement est plus générale que celle d’événement.)
Kant utilise ici comme prémisse «Tout changement a une cause», en 236.4.m2, pour arriver à la proposition:
«cette cause ne produit pas son changement tout d’un coup (en une fois et en un moment) mais dans le temps, de
telle sorte que…» (CRPu, Bar 237.1.1-7).
La thèse qui résulte de ces raisonnements est celle de «la continuité de tout changement» (CRPu, Bar
237.1.5f; 237.2.1-6).
On trouve une formulation intéressante des trois analogies en CRPu, Bar 242.3.m3-243.1.4.
La troisième analogie de l’expérience «Le principe de la simultanéité suivant la loi de l’action réciproque ou
de la communauté» (CRPu, Bar 238)
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Énoncé du principe : «Toutes les substances, en tant qu’elles peuvent être perçues comme simultanées dans l’espace,
sont dans une action réciproque universelle.» (CRPu, Bar 238.3)
4.3.3.3.2
Les postulats de la pensée empirique
La signification du terme «postulat»:
– en mathématiques: «la synthèse par laquelle nous nous donnons d’abord un objet et en produisons le
concept» (CRPu, Bar 257.2.m12-9)
– ainsi nous nous donnons dans les 3 postulats de la pensée empirique
• un objet possible
• un objet réel
• un objet nécessaire
RÉFUTATION DE L’IDÉALISME
Thèse: «La simple conscience, mais empiriquement déterminée, de ma propre existence, prouve l’existence des
objets extérieurs dans l’espace.»
Donné:
Majeure:
Mineure:
J’ai conscience de mon existence comme déterminée dans le temps.
Ma conscience de mon existence dans le temps est nécessairement liée à la conscience de la
possibilité de cette détermination du temps.
Or la détermination de mon existence dans le temps n’est possible que par l’existence de choses
réelles que je perçois hors de moi.
Maj Toute détermination du temps suppose quelque chose de permanent dans la perception.
Min Or [A] la perception de ce permanent n’est possible que par une chose existant hors de moi
et [B] pas seulement par la représentation d’une chose extérieure à moi.
[Formulation alternative du deuxième membre de phrase ci-dessus: ] Ce permanent ne peut
être une intuition en moi.
[Justification de B: ]
Maj Je n’ai en moi pas d’autres principes de détermination de mon existence que des
représentations
Min Or les représentations ont besoin de quelque chose de permanent, distinct d’elles, et par
rapport à quoi leur changement puisse être déterminé (CRPu, Bar 250.1.3-f)
La mineure de ce raisonnement est typiquement kantienne et célèbre. Pourrait-on la reformuler ainsi: C’est
seulement à la condition que soit possible pour moi une expérience extérieure que devient possible à son tour mon
expérience intérieure en tant que sujet dont l’existence est déterminée dans le temps. Ou encore: il faut que des
intuitions m’aient été données dans le sens externe pour que me soit donnée l’intuition de moi-même dans le sens
interne. [L’expression «l’intuition de moi-même» se trouve en CRPu, Bar 343.2.9-10; on trouve là également, dans
les 4 dernières lignes: «mon intuition intérieure (en tant que le divers qu’elle contient peut être lié conformément à la
condition générale de l’unité de l’aperception dans la pensée)»; mais cette dernière formulation désigne seulement le
«moi déterminable» (pas encore le moi déterminé), dans un contexte où il est contrasté au «moi déterminant».] Ces
deux formulations n’affirment peut-être pas avec assez de force l’existence des choses en tant que distincte des
représentations que je peux en avoir.
Cette thèse concernant la condition de possibilité de la détermination de mon existence dans le temps
reviendra dans la réfutation des paralogismes psychologiques; dans ce contexte, elle fera contraste avec la thèse
affirmant que dans la représentation je pense de l’aperception transcendantale, je n’ai pas conscience de mon
existence comme déterminée dans le temps. Ce sera une des difficultés de la théorie du sujet transcendantal:
110
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concevoir le je pense sous la forme «j’existe pensant» tout en soutenant que mon existence ainsi affirmée reste
complètement indéterminée.
La réfutation de l’idéalisme peut également être reconstituée sous la forme d’une dérivation linéaire comme
en logique des propositions. (Le signe « ⊃» est l’implication matérielle; le terme de droite est lu ici comme une
condition nécessaire du terme de gauche; la condition de possibilité est considérée ici par convention comme une
condition nécessaire. Et on convient que le «je» de la démonstration vaut pour tout sujet, de sorte qu’on n’a pas à
expliciter une inférence qui irait d’une affirmation faite pour tout sujet à une affirmation faite pour «je».)
Propositions
J’ai conscience de mon existence comme déterminée
dans le temps. [«DTj» pour «J’existe comme
déterminé dans le temps»]
#
Propositions symbolisées
1
C(DTj)
Justification
Donnée
Description des relations transcendantales indépendantes de la conscience que j’en ai:
Toute détermination du temps (DTj) suppose quelque
chose de permanent dans la perception, c’est-à-dire
que je perçois (P) quelque chose de permanent (Pjp)
2
DTj ⊃ Pjp
Théorème de
l’esthétique
transcendantale
La perception de ce permanent (Pjp) n’est possible que
par une chose existant hors de moi (Xc), pas seulement
par la représentation d’une chose extérieure à moi
3
Pjp ⊃ Xc
Théorème de
l’esthétique
transcendantale
La détermination de mon existence dans le temps n’est
possible que par l’existence de choses réelles que je
perçois hors de moi. [[«DTj ⊃ Xc» peut être lu comme
«L’existence des choses hors de moi est la condition
de [la possibilité de] la détermination du temps» –
251.1.m5-4 – pour mon existence.]]
4
DTj ⊃ Xc
De 2 & 3, par
transitivité.
Noter que la proposition Xc (Les choses extérieures existent hors de moi) ne peut pas encore être
assertée pour elle-même. Elle le serait si DTj avait été posée pour elle-même, si elle avait été
inférée de C(DTj); mais Kant ne souhaite pas considérer la détermination de mon existence
comme un fait déductible de la conscience que j’en ai. Sa thèse sera plus forte s’il s’en tient aux
contenus de conscience et s’il montre que c’est à leur niveau que se fait le lien nécessaire entre la
perception de mon existence et celle des choses extérieures.
Description des contenus de ma conscience
Cette conscience dans le temps est nécessairement liée
(≡) à la conscience de la possibilité de cette
détermination du temps, c’est-à-dire à la proposition Q
telle que Q est la condition de possibilité de DTj.
5
C(DTj) ≡ C(QDTj ⊃ Q)
où «Q» est une variable de
proposition.
Théorème de logique
transcendantale.
La condition (Q) de la possibilité d’une détermination
d’une existence dans le temps est qu’il existe des
choses extérieures, d’après la proposition 4 ci-dessus.
6
Q = Xc
D’après 4.
«La conscience de ma propre existence [déterminée
dans le temps] est en même temps une conscience
immédiate de l’existence d’autres choses hors de
moi.» (251.1.3f)
7
C(DTj) ≡ C(Xc)
De 5 et 6
Où l’on voit que tout le poids de la preuve (onus probandi) repose d’abord sur la proposition 5 et, en second lieu, sur
la proposition 4, qui permet de poser 6. La proposition 5 attribue à la conscience de soi, en tant que conscience
empirique (donc psychologique?) une capacité de faire la relation transcendantale, c’est-à-dire la relation entre une
chose, voire un état de choses, et la condition de possibilité de cette chose ou état de choses. Cette relation qui
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constitue l’essence même de l’argumentation transcendantale (si y est, et si x est tel que x seul rend possible y, alors
x est) est assurément toujours faite dans la conscience du philosophe critique. Mais est-elle est un attribut de la
conscience en général: est-ce que chaque sujet fait entre ses contenus de conscience les relations que l’idéalisme
transcendantal enjoint ou permet de faire?
Concernant le troisième postulat de la pensée empirique [CRPu, Bar 253.2-255.1]
Le troisième postulat se rapporte à «la nécessité matérielle dans l’existence et non à la nécessité purement
formelle et logique dans la liaison des concepts.» (CRPu, Bar 253.2.2-4)
Thèse: «ce n’est pas de l’existence des choses (des substances), mais seulement de leur état que nous pouvons
connaître la nécessité, et cela en vertu des lois empiriques de la causalité, au moyen d’autres états donnés dans la
perception.» (CRPu, Bar 253.2.m14-10) Le raisonnement qui justifie cette thèse a deux prémisses, qui sont
exprimées dans les deux phrases qui précèdent immédiatement l’énoncé de la thèse.
Commentaire. La deuxième prémisse affirme que «ce n’est pas de l’existence des choses (des substances), mais
seulement de leur état que nous pouvons connaître la nécessité» (253.2.m14-12); on peut aisément rapprocher cette
thèse de celle qui, chez les philosophes des sciences contemporains, notamment Popper, affirme que les propositions
de la forme «Il existe des x», par exemple «Il existe des électrons», sont des propositions métaphysiques et non
scientifiques.
Les 4 aspects de la nécessité
(aspects qui ne concernent «que les rapports des phénomènes suivant la loi dynamique de la causalité» —
CRPu, Bar 254.1.2-3)
1.
Tout ce qui arrive est hypothétiquement nécessaire, c’est-à-dire nécessaire sous la condition de l’occurrence
de l’antécédent qui en contient la condition.
In mundo non datur casus (conséquence de la deuxième analogie).
2.
La nécessité conditionnelle (telle qu’énoncée ci-dessus) s’oppose à la nécessité aveugle.
In mundo non datur fatum. Ce principe appartient aux principes de la modalité.
3.
Le principe de la continuité (de l’enchaînement, de la série) des phénomènes interdit tout saut.
In mundo non datur saltus. Ce principe concerne la condition de la permanence de la substance; voir
l’analogie 1.
4.
Le principe de la continuité interdit également toute lacune entre deux phénomènes.
In mundo non datur hiatus. Ce principe résume les arguments contre le vide; le vide n’ayant pas de degré, il
ne peut être perçu, ne peut donner de la matière à la sensation. Voir la première anticipation de la perception.
Concernant l’un ou l’autre des postulats de la pensée empirique
Remarque critique de Kant concernant la question de savoir si le «champ de la possibilité est plus grand que
celui qui contient tout le réel» et si «celui-ci, à son tour est […] plus grand que celui de ce qui est nécessaire».
(255.2.1-3) — [255.2-256.2]
a)
Interprétation de la question.
La question revient à demander «si toutes choses, comme phénomènes, appartiennent à l’ensemble et au
contexte d’une expérience unique dont toute perception donnée est une partie qui ne peut être liée à d’autres
phénomènes, ou bien si mes perceptions peuvent appartenir (dans leur enchaînement général) à quelque chose
de plus qu’à une seule expérience possible» (255.2.6-12). Ou encore: «Peut-il y avoir d’autres perceptions
que celles qui en général constituent l’ensemble de notre expérience possible, et par conséquent peut-il y
avoir un tout autre champ de la matière?» (CRPu, Bar 255.2.m13-9)
b)
Argument montrant que cette question n’est pas décidable du point de vue de l’entendement.
L’entendement n’a «affaire qu’à la synthèse de ce qui est donné» (255.2.m8) et l’expérience est «la seule
connaissance où les objets nous sont donnés» (255.2.m14-13).
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Il serait intéressant de confronter ces déclarations à celles que contient l’Anthropologie d’une point
de vue pragmatique concernant l’imagination créatrice et la «Dichtung».
c)
d)
Or, les autres formes de l’intuition ou de l’entendement auxquelles fait allusion l’hypothèse d’une expérience
différente de celle théorisée ici n’appartiendraient pas à l’expérience qui nous donne nos objets, à supposer
qu’on parvienne à penser ces autres formes — ce qui est déjà bien douteux.
Argument montrant la pauvreté des raisonnements prétendant que le champ de la possibilité est plus grand
que le champ du réel.
On peut passer validement de l’assertion «Tout réel est possible» à l’assertion «Quelque possible est réel»,
mais rien ne justifie que l’on interprète cette dernière assertion comme signifiant «il y a beaucoup de possible
qui n’est pas réel». En effet, que peut-on ajouter au possible pour qu’il devienne réel?
– «La seule chose qui pour mon entendement puisse s’ajouter à l’accord avec les conditions formelles
de l’expérience, c’est sa liaison avec quelque perception; et ce qui est lié avec une perception suivant
des lois empiriques est réel, encore qu’il ne soit pas immédiatement perçu.» (CRPu, Bar 256.1.6-11)
– on ne peut conclure de ce qui est donné, et encore moins conclure sans que quelque chose soit donné,
qu’il «puisse y avoir une tout autre série de phénomènes, par conséquent plus qu’une expérience
unique comprenant tout» (CRPu, Bar 256.1.13-14).
Commentaire expliquant pourquoi l’hypothèse relative au champ de la possibilité relève de la raison (de
l’usage dialectique de la raison) et non de l’entendement (en son usage empirique).
[…] la possibilité absolue (qui est valable à tous égards [c’est-à-dire indépendamment de la
possibilité de notre expérience] ) n’est pas un simple concept de l’entendement […] elle appartient
uniquement à la raison […]
(CRPu, Bar 256.2.4-7)
4.3.3.4
Vue d’ensemble sur les principes
Je donne à la page suivante un tableau qui donne une vue d’ensemble sur les principes de l’entendement, en
utilisant pour les caractérisations trois des variables kantiennes:
– l’aspect du phénomène auquel le principe s’applique;
– la sorte de synthèse qui résulte de l’application du principe;
– le concept qui constitue le principe d’unité de chaque synthèse.
Jugement de R IVAUD sur les principes :
Ils ne diffèrent pas beaucoup des principes énoncés par Leibniz et Christian Wolff. Le monde y
apparaît comme un, et cette unité se rattache à celle de l’aperception transcendantale. Les notions
premières que le philosophe vient d’énoncer lui semblent a priori; elles résument les directions
nécessaires de notre pensée. Mais Kant les a extraites, en fait, d’une analyse des procédés de la
recherche scientifique. Elles vont lui servir précisément à réfuter les philosophies, grâces [sic]
auxquelles il a pu établir ces principes.
(HP-Vl, Riv 132.1.8f)
113
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TABLEAU-SYNTHÈSE DES PRINCIPES PURS DE L’ENTENDEMENT
Nom du principe
Axiomes de
l’intuition
Aspect du donné (ou du
phénomène)
Forme de l’intuition des
phénomènes dans l’espace
et le temps
Sorte de synthèse
Concept (unité de la
synthèse)
composition de l’homogène de type le concept de GRANDEUR
AGRÉGATION (phénomènes
EXTENSIVE (de
comme agrégats — 207.1.6)
l’intuition)
Anticipations de la — le réel de la sensation
perception
— le degré d’affection
— le réel représente
«quelque chose dont le
concept implique une
existence» (215.2.5-6)
— réel de la perception
(217.3.7-8)
composition de l’homogène de type le concept de GRANDEUR
COALITION
INTENSIVE (de la
sensation)
«synthèse de la production de la
quantité d’une sensation depuis son
commencement jusqu’à une
grandeur quelconque» (209.2.m1411)
«se représenter en un moment une
synthèse de la gradation uniforme
qui s’élève de 0 à une conscience
empirique donnée.» (215.2.m12-9)
Analogies de
l’expérience
— l’expérience en tant
qu’unité synthétique des
perceptions au sein d’une
conscience;
— expérience en tant que
connaissance des objets
des sens;
— rapport des perceptions
en tant que «rapport
d’existence» <Verhältnis
des Daseins>
Ces principes n’ont pour but «que
les conditions de l’unité de la
connaissance empirique dans la
synthèse des phénomènes»
(219.1.10-11)
CONNEXION de l’hétérogène
N’ajoutent pas des
déterminations à l’objet
mais concernent son
rapport avec
l’entendement […] , avec
le jugement empirique et
avec la raison (dans son
application à l’expérience).» (244.4.4f)
Aucune synthèse de l’objet.
Postulats de la
pensée empirique
en général
le concept de SUBSTANCE
et son corrélat le concept
de CHANGEMENT
(comme variation d’état)
le concept de CAUSE;
le concept d’ACTION
le concept d’INTERACTION, ou d’ACTION
RÉCIPROQUE
114
– le concept de POSSIBILITÉ de l’objet et l’accord
avec les conditions FOR MELLES de l’expérience.
– le concept de RÉALITÉ
et l’accord avec les
conditions MATÉRIELLES
de l’expérience.
– le concept de
NÉCESSITÉ et l’accord
avec les conditions
GÉNÉRALES de
l’expérience.
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4.3.4
Chapitre III — Du principe de la distinction de tous les objets en général en
phénomènes et en noumènes
Sommaire des pages 272.3-279.2
L’opposition entre phénomènes et noumènes: 275.1.7-m4
Thèse: «ce que nous appelons noumène ne doit être entendu qu’au sens négatif» (CRPu, Bar
276.1.2f)
Les définitions de «noumène au sens négatif» et «noumène au sens positif» sont données en
275.3.
277.2
Le concept de noumène est un concept problématique
— non contradictoire
— limitatif; nécessaire par cette fonction de limitation
L’entendement s’étend problématiquement.
277.3-279.1
Est-ce que le noumène est un «objet intelligible» (CRPu, Bar 278.1.8)?
— Non, n’est pas un objet intelligible pour notre entendement.
— Un entendement auquel il appartiendrait est un problème.
279.2
Explication de la formule «les objets tels qu’ils apparaissent, et […] tels qu’ils sont».
4.4
Synthèse de la théorie de la connaissance contenue dans l’Esthétique et
l’Analytique
Les aspects respectivement métaphysique et transcendantal de la théorie de la connaissance développée dans la
Critique de la raison pure.
Dans ces questions «le mot de “possibilité” […] signifie l’essence. Donc la question: “Comment la
mathématique pure est-elle possible?” signifie: Quelle est l’essence de la mathématique pure? Et puisque la
philosophie transcendantale s’interroge sur le réel objectif, […] sa question est: Quelle est l’essence du réel?
l’essence étant ce qui rend possible le réel, ce qui fonde la réalité.» (Phi, OK I 109.1.1-11)
L’interrogation sur l’essence est elle-même double: elle est métaphysique d’une part et
transcendantale d’autre part. Elle est métaphysique dans la mesure où elle dégage l’essence, ou si
l’on préfère la structure, […] // montrant que celle-ci n’est pas affectée par la particularité et la
contingence de la simple expérience. Elle est transcendantale lorsqu’elle montre la signification de
la structure, c’est-à-dire comment les essentialités déterminées, par exemple l’espace, le temps, la
causalité, s’unifient en une totalité, qui fonde la légitimité des liaisons par lesquelles les phénomènes
sont élevés à la dignité d’objets dans la connaissance, ou, si l’on préfère la légitimité des jugements.
[…] Par là s’explique enfin la déclaration de Kant si peu comprise: “J’appelle transcendantale toute
connaissance qui, en général, s’occupe moins des objets que de nos concepts a priori des objets.”
D’où l’on voit que la Critique de la raison pure est le développement de l’essence de la
connaissance et, dans la mesure où l’objet n’est que dans la connaissance, le développement de
l’essence du réel.
(Phi, OK I 109.2.1-110.1.f)
115
K
<> T h è m e # 8
<>
K
5 . L a Di a l e c t i q u e tr a n s c e n d a n t a l e
I . L’ a p p a r e n c e t r a n s c e n d a n t a l e .
Le s pa r a l o g i sm e s.
5.
La Dialectique transcendantale...............................................................................................113
5.1
Le passage de l’analytique à la dialectique..........................................................................113
5.2
Problématique et démarche de la dialectique transcendantale (Explication du texte de l’Introduction
— p. 303-312)............................................................................................................114
5.3
Livre premier de la dialectique transcendantale: Des concepts de la raison pure...........................123
5.4
Livre deuxième de la dialectique transcendantale: Des raisonnements dialectiques de la raison.......126
5.4.1
Chapitre I. Des paralogismes de la raison pure............................................................128
5.1
Le passage de l’analytique à la dialectique
De la logique de la vérité à la logique de l’apparence
Caractérisation de l’analytique comme logique de la vérité:
– les jugements accomplis par la faculté de juger — laquelle équivaut, en ce rôle, à l’entendement — sont
DÉTERMINANTS; à ce titre, ils s’opposent aux jugements réfléchissants.
Les jugements auxquels parvient la raison à propos de chacune des trois idées transcendantales
sont-ils des jugements réfléchissants? Kant les décrit-il comme tels? si oui, où?
L’opposition entre jugements déterminants et jugements réfléchissants sert-elle à construire
l’opposition entre analytique et dialectique transcendantales?
–
en tant que logique de la vérité, l’analytique kantienne ne garde, de l’acception aristotélicienne de ce
terme, que l’idée de décomposition (du jugement en ses éléments) et l’idée de valeur objective (en tant
que valeur attribuée aux concepts et, par eux, aux jugements). L’analytique kantienne n’est pas la logique
du raisonnement démonstratif; l’analytique aristotélicienne est la logique du raisonnement démonstratif.
Le passage de l’analytique à la dialectique peut être décrit
– comme un passage d’une théorie des concepts et des jugements à une théorie des raisonnements
– comme un passage d’une théorie qui étudie les éléments de la pensée qui ont une VALEUR OBJECTIVE à
une théorie qui étudie les éléments de la pensée qui ont une APPARENCE DE VALEUR OBJECTIVE . Les
éléments de la pensée qui ont une valeur objective sont les concepts purs et principes purs de
l’entendement. Les éléments de la pensée qui ont une apparence de valeur objective sont les idées
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transcendantales (ou concepts purs de la raison) et les raisonnements dialectiques, c’est-à-dire des
raisonnements qui concluent à des propositions dont le sujet est une IDÉE TRANSCENDANTALE .
C’est seulement sur la base des oppositions conceptuelles précédentes, et donc seulement indirectement et par
dérivation, que l’on peut caractériser le passage de l’analytique à la dialectique de la manière suivante: passage
d’une théorie de l’entendement à une théorie de la raison. Il est vrai que c’est la raison qui est prise à parti dans la
dialectique; mais c’est seulement parce que l’apparence transcendantale se manifeste dans des raisonnements
(certains raisonnements) et que ceux-ci sont l’oeuvre de la raison. Mais cela ne signifie pas que l’édification des
sciences et des connaissances empiriques — dont la possibilité est exposée dans l’analytique — peut se faire sans
raisonnements, ni que tous les raisonnements sont «dialectiques».
L’opposition entre analytique et dialectique n’est donc pas celle entre raisonnement démonstratif et raisonnement probable, bien qu’elle repose en partie sur une différence qualitative entre jugements:
– les raisonnements menés conformément aux règles de l’entendement (attention: on ne dit pas
«raisonnements analytiques», cette expression n’existe pas; elle serait trompeuse car elle ferait penser
aux jugements analytiques, et, partant, à un autre sens du mot «analytique») sont sans doute corrects mais
c’est leur VALEUR OBJECTIVE qui est leur caractéristique distinctive.
– les raisonnements dialectiques sont des sophismes (paralogismes) et c’est à l’APPARENCE TRANSCEN DANTALE définie comme un simulacre de valeur objective qu’ils doivent leur non-validité.
Donc la question de laquelle origine le départage entre l’analytique et la dialectique est bien: les concepts
purs (pensés a priori) sont-ils appliqués, au moment de construire les jugements, à des objets donnés dans
l’expérience, ou non? Autre formulation: existe-t-il des intuitions qui correspondent à la représentation de l’objet à
propos duquel est proféré un jugement?
5.2
Problématique et démarche de la dialectique transcendantale (Explication du
texte de l’Introduction — p. 303-312)
L’objectif de l’introduction est d’identifier la problématique générale de la dialectique. Pour ce faire, Kant
explique la genèse du problème, c’est-à-dire par quel mécanisme inhérent à la raison elle-même est engendré le
PRINCIPE TRANSCENDANTAL SUPRÊME de cette faculté. C’est ce principe qu’il s’agira d’interroger et les
formulations du problème principal sont données à la page 312, à la toute fin de l’introduction.
Et les quatre dernières lignes de cette introduction annoncent la division de la dialectique en ses deux parties:
– «la première traitera des concepts transcendants» — (‹Livre premier. Des concepts de la raison pure.›)
– «et la seconde des raisonnements transcendants et dialectiques.» (CRPu, Bar 312.f.3f) — (‹Livre
deuxième. Des raisonnements dialectiques de la raison.›)
Pour exposer la genèse du problème principal, Kant a besoin
– de préciser la nature de l’apparence transcendantale
– et d’insister davantage qu’il ne l’a fait jusqu’à maintenant sur les différences qu’il établit entre l’entendement et la raison. Et la description des opérations propres à la raison introduira une distinction très
importante entre l’usage logique de la raison et son usage transcendantal (ou usage réel).
I. L’APPARENCE TRANSCENDANTALE [303.1-306.1]
• Apparence ≠ vraisemblance (303.1.2-7)
• Apparence ≠ phénomène.
117
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_____________________________________________________________________________________________
1
T o u t e l ’ I n t r o d u c t i o n co n s i s t e à i d e n t i f i e r l e m é c a n i s m e re s p o n s a b l e de l a
p r o d u c t i o n de l ’ a p p a r e n c e t r a n s c e n d a n t a l e ; l ’ i d e n t i f i c a t i o n du m é c a n i s m e
p r o d u c t e u r s e r t en m ê m e t e m p s de di a g n o s t i c qu i fo u r n i r a l a c l é pe r m e t t a n t
d ’ é c h a p p e r à l ’ i l l u s i o n co r r e s p o n d a n t e . Da n s l a pa r t i e I Ka n t pr é c i s e l a na t u r e
d e ce t t e ap p a r e n c e en l ’ o p p o s a n t à l ’ a p p a r e n c e em p i r i q u e .
L’analyse de la relation entre apparence et phénomène fait ressortir deux oppositions:
a)
L’opposition entre ce qui est dans l’intuition et ce qui est dans le jugement
Du point de vue de cette première opposition, apparence, vérité et erreur sont à placer «uniquement
dans le JUGEMENT, c’est-à-dire dans le rapport de l’objet à notre entendement» (303.1.15-16) et non
dans le PHÉNOMÈNE.
De quoi l’on peut conclure que LES SENS NE SE TROMPENT PAS car ceux-ci ne contiennent aucun
jugement. Autre formulation: «la vérité ou l’apparence ne sont pas dans l’objet en tant qu’il est perçu
intuitivement» (303.1.9-10).
On peut conclure aussi: bien que nous avons dit que le phénomène est ce qui nous apparaît, signifiant
par là ce qui apparaît aux sens, il ne s’agira pas ici, dans la dialectique, de l’apparence prise en ce sens.
b)
L’opposition entre «l’apparence empirique» (304.2.1-2) — et l’erreur qui peut éventuellement en
découler — et l’apparence transcendantale
b.1) Reprenons la prémisse de l’argumentation de Kant:
apparence, vérité et erreur sont à placer «uniquement dans le JUGEMENT, c’est-à-dire dans le rapport
de l’objet à notre entendement» (303.1.15-16).
Kant semble expliciter le fait qu’il s’agit bien d’un rapport et, qu’à ce titre, l’entendement lui-même
n’est pas plus à blâmer que les sens, en ce qui concerne l’origine de l’erreur et de «l’apparence, en tant
qu’elle nous invite à l’erreur» (303.1.m11). C’est sur cette prémisse que Kant insiste en disant que
l’entendement, quand il agit «par lui-même (sans être influencé par une autre cause}» (303..1.m7) ne
se trompe pas et même qu’il «ne le peut pas parce que, dès qu’il n’agit que d’après ses propres lois,
l’effet (le jugement) doit nécessairement s’accorder avec elles.» (303.1.m6-3) Du moins les jugements
ainsi produits sont-ils formellement vrais, puisque «c’est dans l’accord avec les lois de l’entendement
que consiste la partie formelle de la vérité» (303.1.m3-2); noter que Kant ne parle pas de jugements
matériellement vrais.
b.2) Kant reconnaît néanmoins le fait que nous produisons des jugements erronés concernant les
phénomènes et fournit une explication qui ne contredit pas les deux thèses déjà posées (celles voulant
que ni les sens, ni l’entendement, par eux-mêmes, ne se trompent). L’explication de l’erreur est la
suivante:
[…] l’erreur ne peut être produite que par l’influence inaperçue de la sensibilité sur l’entendement, par quoi il arrive que les principes subjectifs du jugement se rencontrent avec les
principes objectifs, et les font dévier de leur destination.
(CRPu, Bar 304.1.2-6)
Et la représentation de cette relation d’influence est donnée par le parallélogramme des forces, utilisé
comme construction figurée (postulat) permettant de calculer la résultante de forces qui s’influencent
l’une l’autre dans la production d’un effet conjoint sur le corps auquel elles s’appliquent:
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Influence de la
sensibilité
Influence de l'entendement
L’apparence empirique (du genre de celles que produisent les illusions d’optique) qui «invite» à
produire des jugements erronés empiriques (tels que ceux dont il vient d’être question) est attribuée
plus spécifiquement à une influence de l’imagination, tandis que l’erreur empirique était plus
généralement attribuée, dans le paragraphe précédent, à la sensibilité, qui égare l’entendement.
Les différences entre l’apparence empirique et l’apparence transcendantale sont:
la première surgit dans «l’application empirique des règles d’ailleurs justes de l’entendement [lorsque]
le jugement est égaré par l’influence de l’imagination» (304.2.3-5) tandis que la seconde «influe sur
des principes dont l’application ne se rapporte pas du tout à l’expérience» (304.2.6-7); l’illusion
produite par la première concerne des propriétés d’objets possibles de l’expérience, tandis que la
seconde «nous entraîne hors de l’usage empirique des catégories et nous abuse par l’illusion d’une
extension de l’entendement pur.» (304.2.9-11). Les principes, ou règles, impliqués dans la production
de jugements empiriques erronés sont des PRINCIPES IMMANENTS; ceux impliqués dans la
production des jugements qui présentent l’apparence transcendantale sont des PRINCIPES
TRANSCENDANTS.
Kant en profite pour souligner que l’apparence transcendantale est donc autre chose que l’erreur
pouvant résulter de «l’usage transcendantal ou abus des catégories <den transzendentalen Gebrauch
oder Mißbrauch der Kategorien>, qui n’est que l’erreur de notre faculté de juger lorsqu’elle n’est point
suffisamment bridée par la critique, et qu’elle ne prête pas assez attention aux limites du terrain où
l’entendement pur peut équitablement s’exercer» (304.2.m9-4). Bien que le mésusage des catégories
puisse nous entraîner hors des limites de l’expérience possible, il reste que les principes transcendants
constituent un tout nouveau groupe de principes, différents des principes immanents déjà introduits
dans l’analytique. Un principe transcendant «repousse [les] limites [de l’expérience] et nous enjoint
même de les franchir» (305.1.4-5); ainsi l’apparence qu’un tel principe produit provient d’une exigence
de la raison — ce qui est tout autre chose que «l’erreur de notre faculté de juger lorsqu’elle n’est point
suffisamment bridée par la critique, et qu’elle ne prête pas assez attention aux limites du terrain où
l’entendement pur peut équitablement s’exercer» (304.2.m8-4).
b.3)
◊
2
E n ca r a c t é r i s a n t l ’ e r r e u r de t y p e «e m p i r i q u e » , l a q u e l l e es t l e co r r é l a t de
« l ’ a p p a r e n c e em p i r i q u e » , Ka n t i n t r o d u i t un e op p o s i t i o n co n c e p t u e l l e en t r e
p r i n c i p e s s u b j e c t i f s et pr i n c i p e s ob j e c t i f s du j u g e m e n t ; i l ré u t i l i s e r a ce t t e
o p p o s i t i o n da n s l ’ e x p l i c a t i o n de l ’ a p p a r e n c e t r a n s c e n d a n t a l e , pa g e 30 5 . 2 .
Apparence transcendantale ≠ apparence logique [305.2]
– L’apparence logique — c’est celle que l’on rencontre dans les sophismes — est simplement due au fait
qu’on n’a pas suivi les règles de la logique. Elle disparaît lorsqu’on applique les règles pertinentes; aussi
est-elle corrigible. [Attention: Barni utilise «paralogismes» au lieu de «sophismes» pour traduire
«Trugschlüsse», en 305.2.2-3 et en 305.3.m4. Il faut prendre garde, pour ne pas se méprendre: Kant ne
réfère pas, en ces deux endroits, aux raisonnements dialectiques qu’il appellera un peu plus loin les
«paralogismes de la raison pure».]
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_____________________________________________________________________________________________
–
L’apparence transcendantale est au contraire incorrigible. Elle ne porte pas seulement sur la forme du
raisonnement. L’apparence produite par les idées de la raison pure, c’est que les objets de ces idées ont une
APPARENCE DE RÉALITÉ OBJECTIVE
–
–
bien que nous n’ayons pas de concept intellectuel de ces objets («c’est-à-dire de concept qui puisse être
montré et devenir l’objet d’in intuition dans une expérience possible» — 335.1.6-8)
Première formulation de l’apparence transcendantale:
des principes subjectifs «qui ont tout à fait l’apparence de principes objectifs […] font que la
nécessité subjective d’une certaine liaison de certains concepts en nous, exigée par l’entendement,
passe pour une nécessité objective de la détermination des choses en soi.» (305.2.m11-7)
L’opposition entre «dialectique transcendantale» et «dialectique logique» repose sur l’opposition
précédente entre apparence transcendantale et apparence logique. [305.3]
II. DE LA RAISON PURE COMME SIÈGE DE L’APPARENCE TRANSCENDANTALE [306.2-312.1]
«A. La raison en général.» [306.2-308.2]
1
K a n t t h é m a t i s e l a di f f é r e n c e en t r e r a i s o n et e n t e n d e m e n t; i l ex p l i q u e en qu e l
s e n s l a ra i s o n pe u t êt r e dé f i n i e co m m e un e f a c u l t é d e s p r i n c i p e s pr e n a n t po u r
o b j e t l ’ e n t e n d e m e n t co n s i d é r é co m m e f a c u l t é d e s rè g l e s. Au t e r m e de ce
d é v e l o p p e m e n t , l e l e c t e u r do i t s a i s i r «q u e l es t l e co n c e p t gé n é r a l de l a fa c u l t é
d e ra i s o n » .
306.2
La raison a deux usages:
—un usage logique; en cet usage elle est une faculté logique.
—un usage réel; en cet usage elle est une faculté transcendantale et «contient ellemême la source de certains concepts et de certains principes qu’elle ne tire ni des sens,
ni de l’entendement.» (306.2.12-14)
306.3
Convention à
expliquer
Dans la dialectique transcendantale, nous définissons la raison comme la faculté des
principes.
Explication donnée pour justifier l’appellation convenue [307.1-4].
En son sens large — purement fonctionnel —, le mot «principe» désigne une proposition (universelle) utilisée
comme principe, c’est-à-dire pour en subsumer ou en dériver d’autres; nous voudrons entendre «principe», ici en un
sens plus étroit, «absolu» (307.4.2) qui tienne compte non seulement de la fonction d’une proposition mais de son
origine <seinem eigenen Ursprunge nach>.
307.2.1-2
Définition large
de CP
La connaissance par principes, en général = connaissance où je reconnais le
particulier dans le général par concepts.
J’ai une telle connaissance, par exemple, dans le raisonnement: «tout raisonnement est
une forme de l’acte de dériver une connaissance d’un principe.» (307.2.3-4)
Mais le terme «principe» est utilisé là en son sens large. Et c’est seulement en ce sens
large que l’on peut dire des principes de l’entendement (et des propositions
universelles a priori que l’entendement fournit) qu’ils sont des principes.
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307.3
Thèse PE
Cependant, considérés «en eux-mêmes, dans leur origine», les principes de l’entendement ne fournissent pas une connaissance par principe et ne sont pas eux-mêmes des
principes, puisqu’on ne peut les tirer de simples concepts.
Barni dit: «ils ne sont rien moins que des connaissances par concepts.» (307.3.2-3)
dans le sens: il n’y a aucune qualité qu’ils pourraient posséder à un degré moindre; en
d’autres mots, ils sont loin d’être des connaissances par principe.
La raison en est qu’ils «ne seraient même pas possibles a priori, si nous n’y introduisions l’intuition pure (c’est le cas de la mathématique) ou les conditions d’une
expérience possible en général.» (307.3.3-6)
307.4
Définition
étroite de CP
Un principe, «au sens absolu» est une proposition qui nous fournit une connaissance
synthétique par concepts.
Kant remplace la définition large données en 307.2 par une définition beaucoup plus
étroite, qui prend en considération l’origine de la connaissance concernée. C’est
seulement par comparaison avec le sens absolu, que les propositions universelles en
général peuvent être appelées des principes.
307.f-308.1
Si l’on prend le mot principe en ce sens étroit, on peut douter qu’une telle
connaissance existe; sans encore décréter que c’est là quelque chose d’impossible (car
notre recherche là-dessus est à venir), il est en tout cas très contraire à la
vraisemblance que «les objets en soi, que la nature des choses soit soumise à des
principes et doive être déterminée d’après de simples concepts.» (308.1.7-9)
Reformulation
de la thèse PE
Quoi qu’il en soit, «il est clair au moins par là que la connaissance par principes (prise
en elle-même) est quelque chose de tout à fait différent de la simple connaissance de
l’entendement [laquelle] ne repose pas en elle-même (en tant qu’elle est synthétique)
sur la simple pensée, et ne renferme pas quelque chose d’universel par concepts.»
(308.1.7f)
308.2.2-4
Définition FP
«la raison est la faculté de ramener à l’unité les règles de l’entendement sous des
principes.» Cette unité est qualifiée de «rationnelle».
Reprise, en fin d’explication, de la définition initiale.
La conséquence de ce développement est donc la suivante: Kant annonce qu’il va montrer que la raison
produit des principes par simples concepts — il s’agit donc de principes au sens étroit du terme — mais la question
de savoir si de tels principes constituent des connaissances par principes reste posée: Kant laisse entendre que cette
question va recevoir une réponse négative, mais préfère ne pas l’affirmer comme thèse à cet endroit-ci, vu que sa
démarche de recherche est à venir.
«B. De l’usage logique de la raison.» [308.4-310.1]
2
2.1
L e bu t de ce t t e s e c t i o n es t
a ) de fa i r e co m p r e n d r e l ’ o p é r a t i o n s t a n d a r d de l a ra i s o n da n s s o n us a g e l o g i q u e .
C e t t e ét a p e es t i m p o r t a n t e , ca r c’ e s t s u r ce t t e ca r a c t é r i s t i q u e de l ’ u s a g e l o g i q u e
d e l a ra i s o n qu e s e r a ba s é e l a ca r a c t é r i s a t i o n de l ’ u s a g e ré e l de l a ra i s o n .
b ) m o n t r e r l a s o u r c e de l a t r i c h o t o m i e pa r a l o g i s m e / an t i n o m i e / i d é a l .
K a n t an a l y s e l ’ i n f é r e n c e de l a ra i s o n < V e r n u n f t s c h l u ß > , c’ e s t - à - d i r e l ’ i n f é r e n c e
m é d i a t e (s t a n d a r d ) .
121
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_____________________________________________________________________________________________
309.1.3-6
Tout raisonnement contient:
a) la «phrase qui sert de principe»
b) la phrase «qui sert de conclusion»
c) «l’inférence (la relation de conséquence) qui lie indissolublement la vérité de la dernière à
celle de la première.» [Je substitue ici ma traduction à celle de Barni, dont le début est :
«l’intermédiaire (la conséquence)». Le texte de Kant porte: «die Schlußfolge (Konsequenz)».
Commentaire: un peu plus loin, à la dernière ligne de ce paragraphe, Kant utilisera le terme
«Zwischenurteil» et Barni traduit par «jugement intermédiaire». En traduisant «Schlußfolge»,
dans la phrase ci-dessus, par «l’intermédiaire», il fait comme si, pour lui, «Schlußfolge» désigne
la même chose que «Zwischenurteil». Cela me semble une erreur.*
Kant distingue ensuite entre le raisonnement qui contient seulement deux propositions et celui qui
en contient trois.
A) Le raisonnement à deux propositions (inférence immédiate):
Majeure
Tous les hommes sont mortels.
Conclusion Quelques hommes sont mortels.
B) Le raisonnement à trois propositions (inférence médiate):
Majeure
Tous les hommes sont mortels
Mineure
Les savants sont des hommes [jugement intermédiaire;
Zwischenurteil ]
Conclusion Les savants sont mortels.
Le raisonnement qui n’a pas de proposition intermédiaire présente une «inférence […] immédiate
(consequentia immediata). J’aimerais mieux l’appeler inférence de l’entendement.» (309.1.8-10)
Dans le texte de Kant: «Verstandesschluß».
On pourrait aussi bien traduire: «raisonnement de l’entendement». (N.L.)
Les raisonnements à 3 propositions présentent une inférence médiate; Kant convient de l’appeler
«inférence de la raison [ou raisonnement]» (309.1.13) Dans le texte de Kant: «Vernunftschluß».
On pourrait aussi bien traduire: «raisonnement de la raison». (N.L.) Mais Barni veut éviter,
apparemment, ce qui lui semble être un pléonasme.
*Dans le texte de Kant: «und endlich die Schlußfolge (Konsequenz), nach welcher die Wahrheit
des letzteren unausbleiblich mit der Wahrheit des ersteren verknüpft ist.». Dans CRPu, T. & P.
1950, «et enfin la déduction selon laquelle». Barni interprète la «Schlußfolge» comme étant la
mineure. Tremesaygues & Pacaud interprètent «Schlußfolge» comme étant la «déduction», ce qui
constitue une traduction plus littérale (lexicographiquement parlant) et plus facile à réconcilier avec
le contenu de la parenthèse — à savoir: le mot «Konsequenz». Il est possible, tout en acceptant
cette dernière interprétation, de considérer que «Schlußfolge» désigne toujours une proposition,
mais ce n’est plus du tout la mineure; c’est la proposition qui énonce l’ensemble du raisonnement
sous la forme d’une seule conditionnelle, dans laquelle le connecteur est une IMPLICATION
FORMELLE, c’est-à-dire le symbole représentant l’inférence valide: «Si (prémisse P1 & prémisse P2
& …) alors la conclusion C». Dans notre exemple: «Si tous les hommes sont mortels et que les
savants sont des hommes, alors, nécessairement, les savants sont mortels.» Si le terme
«Schlußfolge» désigne cet énoncé inférentiel, le sens de l’adverbe «unausbleiblich» m’apparaît
plus plein et plus naturel, car en effet, l’énoncé inférentiel exprime s a n s r i e n l a i s s e r d e
c ô t é le lien nécessaire entre la conclusion et la phrase qui sert de principe.
2.2
K a n t ét a b l i t un e co r r e s p o n d a n c e en t r e l e s él é m e n t s du ra i s o n n e m e n t et l e s
facultés.
122
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_____________________________________________________________________________________________
309.2.1-6
Trois des éléments mentionnés ci-dessus sont désignés autrement:
a) la «règle (major)». [«Tous les hommes sont mortels»]; cette règle contient une
condition; pour la voir, il suffit d’adopter la formulation que donne la logique
des prédicats: «Pour tout x, si x est un homme, alors x est mortel.» Cependant,
il convient de ne pas utiliser cette forme, car elle brouillera la différence entre
les trois formes possibles de la majeure: catégorique, hypothétique, disjonctive.
Le prédicat de la règle est «mortels».
b) la conclusion, en laquelle «je détermine ma connaissance par le prédicat de la règle
(conclusio) et par conséquent a priori» : Tous les savants sont mortels.
c) la mineure, dans laquelle «je subsume une connaissance sous la condition de la
règle»: «Tous les savants sont des hommes». Je subsume les savants sous la
condition
«hommes».
a) c’est l’entendement qui conçoit la règle;
b) c’est la raison qui détermine ma connaissance, qui conclut;
c) c’est la faculté de juger qui subsume la connaissance sous la règle.
2.3
309.2.6-f
K a n t ex p r i m e l a di s t i n c t i o n en t r e l e s t r o i s s o r t e s de ra i s o n n e m e n t s da n s l e s
t e r m e s de l ’ a n a l y s e qu ’ i l vi e n t de fa i r e du ra i s o n n e m e n t .
La majeure met en rapport les deux éléments suivants:
a) le prédicat (dans notre exemple: «être mortel») par lequel je détermine, dans la conclusion, ma
connaissance (des savants)
b) la condition (dans notre exemple «être homme», la propriété «humanité») de la connaissance que
j’atteins dans la conclusion.
La même idée exprimée dans les termes de Kant: «la majeure comme règle […] représente le
rapport entre une connaissance et sa condition»
C’est la forme de la relation [troisième classe de concepts purs] dans les jugements (ici dans la
majeure prise comme règle), qui exprime la sorte de rapport qu’établit le raisonnement entre la
connaissance et sa condition. Or, il existe trois sortes de telles relations qui constituent la forme
logique de trois sortes de jugements:
a) la relation entre substance et accident dans les jugements catégoriques;
b) la relation de condition à conséquence (alias relation de causalité) dans les jugements
hypothétiques;
c) la relation d’action réciproque dans les jugements disjonctifs.
Des ces trois sortes de rapports qu’on retrouve dans les majeures des raisonnements, découle qu’on
aura trois sortes de raisonnements:
a) les raisonnements catégoriques;
b) les raisonnements hypothétiques;
c) les raisonnements disjonctifs.
Kant n’annonce pas, à cet endroit-ci, pourquoi il pose ce jalon et à quoi servira cette typologie des
raisonnements. Mais c’est ici que se trouve l’origine du fait que les idées transcendantales seront
au nombre de trois, et les raisonnements dialectiques correspondants au nombre de trois groupes
(un groupe par idée transcendantale).
2.4
K a n t ex p r i m e s o u s un e fo r m e gé n é r a l e l e s ré s u l t a t s de s o n an a l y s e ; ce l a do n n e
u n pr i n c i p e qu i én o n c e l e bu t gé n é r a l qu e po u r s u i t l a ra i s o n l o r s q u ’ e l l e fa i t de s
raisonnements.
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_____________________________________________________________________________________________
309.3.1-m2
Raisonner, c’est procéder à la recherche d’une condition que doit satisfaire l’objet (ici:
les savants) et qui permette de dire que la conclusion se trouve dans l’entendement
d’après une règle générale. Quand cette recherche réussit, elle produit, en même temps
que le raisonnement, «une règle qui vaut aussi pour d’autres objets de la
connaissance.» (309.3.m3-2) La majeure «Tous les hommes sont mortels» vaut en
effet pour bien d’autres objets que les savants.
[Noter ici que Kant emploie un langage psychologique, ou intentionnel, pour décrire
le raisonnement.]
309.3.f310.1.f
«La raison, dans le raisonnement, cherche à ramener la grande variété des
connaissances de l’entendement au plus petit nombre de principes (de conditions
générales) et à y opérer ainsi la plus haute unité.» (310.1)
Il reste, pour moi, une incertitude. Lorsque Kant parle d’une connaissance présente dans
l’entendement «d’après une règle», ou tirée d’une autre «d’après une règle», je pense à la règle
d’inférence elle-même, par exemple, au modus ponens. Lorsque Kant assimile directement la règle
à la majeure «Tous les hommes sont mortels» — c’est ce qu’il fait en 309.2.1-2 — et confirme ce
sens en disant que la mineure «subsume la connaissance sous la condition de la règle» — ce qu’il
fait en 309.2.2-3 —, il faut évidemment comprendre que la règle est simplement une connaissance
plus générale utilisée dans ce raisonnement comme principe; le terme «principe» est alors pris en
son sens fonctionnel , qui est le sens le plus faible.
L’interprétation kantienne du raisonnement comme oeuvre et opération propres à la raison
La section expliquée en détail ci-dessus [308.4-310.1] n’est que le premier de quatre passages-sources où l’on
trouve l’interprétation que Kant fait du raisonnement pour les fins de la dialectique transcendantale; les trois autres
passages sont:
– 311.2; nouvelle description (rappel) de l’usage logique de la raison en vue d’en tirer la «maxime
logique», ou principe propre, de cet usage. Petit passage contenu dans la section intitulée «C. De l’usage
pur de la raison.»
[…] la raison, dans son usage logique, cherche la condition générale de son jugement (de la
conclusion) et le raisonnement n’est lui-même autre chose qu’un jugement que nous formons en
subsumant sa condition sous une règle générale (la majeure). Or comme cette règle doit être
soumise à son tour à la même tentative de la part de la raison et qu’il faut ainsi chercher (par le
moyen d’un prosyllogisme) la condition de la condition, aussi loin qu’il est possible d’aller, on
voit bien que le principe propre de la raison en général dans son usage logique est de trouver,
pour la connaissance conditionnée de l’entendement, l’élément inconditionné qui doit en
accomplir l’unité.
(CRPu, Bar 311.2)
– 321.3.1-322.2.6
La fonction de la raison dans ses
raisonnements réside dans l’universalité de la
connaissance par concepts, et le raisonnement
lui-même n’est qu’un jugement qui est
déterminé a priori dans toute l’étendue de sa
condition.
Le raisonnement pris pour exemple est:
(Maj.)
TOUS LES HOMMES SONT MORTELS
(Min.)
CAÏUS EST UN HOMME
(Concl.) CAÏUS EST MORTEL
La proposition: Caïus est mortel, pourrait être
tirée simplement par l’entendement de
l’expérience.
Dans le raisonnement ci-dessus, je tire la proposition
«Caïus est mortel», NON PAS de l’expérience mais de deux
autres propositions.
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Mais je cherche un concept contenant la
condition sous laquelle est donné
C’est à condition d’être un homme que Caïus est mortel.
Autrement dit: dans ce raisonnement, c’est parce que Caïus
est un homme qu’on le déclare mortel
le prédicat (l’assertion elle-même) de ce
jugement
le prédicat est «mortel»; l’assertion est l’acte d’attribuer la
mortalité à Caïus.
(c’est-à-dire ici le concept d’homme},
Le concept d’homme est celui qui contient (on pourrait
aussi bien dire: qui constitue) la condition qui permet
d’attribuer la mortalité à Caïus
et après avoir subsumé sous cette condition
prise dans toute son extension (tous les
hommes sont mortels),
Je subsume sous le concept d’homme quand je dis, dans la
mineure: «Caïus est un homme». Le concept d’homme est
pris dans la mineure avec la même extension que celle
déterminée par la majeure; or dans la majeure, la classe des
hommes est prise dans sa totalité; le concept d’homme est
pris dans toute son extension.
La mineure dit que Caïus appartient à la classe de TOUS
LES HOMMES.
je détermine en conséquence la connaissance
de mon objet (Caïus est mortel).
Voici la connaissance qui est conditionnée; elle est vraie À
CONDITION que les prémisses soient vraies aussi. Une
connaissance qui DÉCOULE d’une autre, est conditionnée
par cette autre.
Nous restreignons donc, dans la conclusion
d’un raisonnement, un prédicat à un certain objet, après l’avoir préalablement conçu dans la
majeure dans toute son extension sous une certaine condition; c’est cette quantité complète
de l’extension, par rapport à une telle condition, qu’on appelle l’universalité
(universalitas).
Le prédicat «mortel» est restreint à «Caïus» dans la
conclusion du raisonnement R. Ce prédicat «mortel» avait
été conçu dans la majeure dans toute son extension sous la
condition «hommes»
— 326.2-327.1. L’analyse donnée ici du syllogisme sert à introduire les notions de «série ascendante» et
«série descendante» des raisonnements, notions qui vont être nécessaires à la déduction transcendantale
des idées transcendantales. (Voir ci-dessous, section 2 du Livre premier de la Dialectique.)
«C. De l’usage pur de la raison.» [310.2-312.1]
3
I l s ’ a g i t m a i n t e n a n t d’ i d e n t i f i e r l e pr i n c i p e t r a n s c e n d a n t a l de l a ra i s o n da n s s o n
u s a g e ré e l (p a r op p o s i t i o n à l o g i q u e ) .
310.4-311.1
311.2
La raison est sans rapport direct, immédiat, à des objets et à leur intuition.
«le principe propre de la raison en général, dans son usage logique, est de trouver pour
la connaissance conditionnée de l’entendement, l’élément inconditionné qui doit en
accomplir l’unité.» (311.2.4f)
Il s’agit encore d’une «maxime logique», mais l’apparition de l’idée d’un «élément
inconditionné» prépare la formulation du principe transcendantal et montre par où va
se faire le passage du logique au transcendantal.
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C ’ e s t t r è s ex a c t e m e n t ap r è s l e pa r a g r a p h e 31 1 . 2 qu e s e fa i t l e pa s s a g e de s
c o n s i d é r a t i o n s co n c e r n a n t l e s pr i n c i p e s l o g i q u e s du fo n c t i o n n e m e n t de l a ra i s o n
à ce l l e s co n c e r n a n t l e pr i n c i p e t r a n s c e n d a n t a l de s o n fo n c t i o n n e m e n t .
311.3-4
La raison pure, non seulement cherche l’inconditionné de la connaissance en
remontant la série des conditions subordonnées, mais «admet qu’avec le conditionné
est donnée aussi (c’est-à-dire contenue dans l’objet et sa liaison) toute la série des
conditions subordonnées, laquelle est par conséquent elle-même inconditionnée.»
(311.3.2-f)
Tel est le principe suprême de la raison pure.
311.5-312.1
Les propositions dérivées de ce principe seront synthétiques, mais transcendantes par
rapport à tous les phénomènes.
D’où l’on voit que le mouvement par lequel la diversité est ramenée à l’unité se retrouve aussi bien dans la
dialectique transcendantale qui fait la théorie de l’usage réel de la raison que dans l’analytique transcendantale qui
faisait la théorie de l’usage empirique de l’entendement.
– dans l’analytique, c’est le divers de l’intuition qui était ramené à l’unité des concepts;
– dans la dialectique, c’est la diversité des règles de l’entendement qui est ramenée à l’unité des principes.
Cependant l’unité que la raison entrevoit et tente de réaliser est telle que la raison l’attribue à ce qui est connu.
Tandis que l’unité que réalise nécessairement (sans intention) mais à un degré qui n’est pas déterminable
l’entendement est telle qu’elle que la faculté suprême (entendement-raison-conscience; quelque chose qui est à la
fois conscience de soi, aperception transcendantale et agent de la «réflexion transcendantale») l’attribue
exclusivement à ce qui connaît.
Fin de la description détaillée de la démarche de l’«Introduction» (303-312).
LA PROBLÉMATIQUE
C’est justement le principe transcendantal de la raison, en son usage réel, qu’il s’agit d’interroger; et les
questions sont les suivantes:
– ce principe a-t-il une valeur objective?
– quelle est la nature et l’autorité relative de cette exigence d’unité par rapport aux pouvoirs et exigences
de l’entendement?
– est-ce un malentendu qui fait chercher l’intégrité des conditions dans les objets eux-mêmes? et si oui,
quelles sont les fausses interprétations et les illusions qui peuvent se glisser dans les raisonnements dont
la majeure est tirée de la raison pure?
Il s’agira donc de
– préciser «si la raison en elle-même, c’est-à-dire la raison pure, contient a priori des principes et des
règles synthétiques et en quoi ces principes peuvent consister» (CRPu, Bar 310.23f),
– juger de la légitimité des idées et raisonnements qu’elle produit sous l’influence de ses principes
d’opération,
– de «déterminer l’influence de la raison pure et [d’]en apprécier la valeur» (CRPu, Bar 320.2.12-13).
5.3
Livre premier de la dialectique transcendantale: Des concepts de la raison pure
Ce livre est divisé en trois sections; les deux premières introduisent et expliquent les notions nécessaires à la
déduction transcendantale effectuée dans la troisième.
Section 1. «Des idées en général»
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_____________________________________________________________________________________________
—
L’introduction [315.1-316.1] thématise l’opposition entre concept de la raison et concept de l’entendement.
Kant introduit la distinction entre conceptus ratiocinati et conceptus ratiocinantes.
—
Les connotations platoniciennes (selon Kant) du terme «idée». Le dépassement de l’expérience est
particulièrement apparent dans deux domaines:
•
«là où la raison humaine montre une véritable causalité et où les idées sont de véritables causes
efficientes (des actions et de leurs objets)» (CRPu, Bar 319.2), c’est-à-dire en morale — exemple: l’idée
de vertu.
•
«c’est aussi dans le spectacle de la nature que Platon trouve et avec raison des preuves évidentes de ce
que les choses tirent leur origine des idées. Une plante, un animal, l’ordonnance régulière du monde (sans
doute aussi tout l’ordre de la nature) montrent clairement que cela n’est possible d’après des idées; qu’à
la vérité aucune créature individuelle, sous les conditions individuelles de l’existence, n’est adéquate à
l’idée de la plus haute perfection dans son espèce (dans la mesure même où l’homme diffère de l’idée
d’humanité qu’il porte en son âme comme modèle de ses actions)» (319.2).
Section 2. «Des idées transcendantales»
—
—
—
Il s’agit d’expliquer plus en détail que dans l’introduction à la dialectique
l’usage logique de la raison qui la conduit à engendrer les idées transcendantales selon le principe
transcendantal suprême de la raison (déjà introduit);
que c’est l’usage logique de la raison qui fournit la clé de la définition de ce qu’est un concept rationnel:
Le concept rationnel transcendantal n’est donc que celui de la totalité des conditions d’un
conditionné donné. Or comme l’inconditionné seul rend possible la totalité des conditions, et que
réciproquement la totalité des conditions est elle-même toujours inconditionnée, un concept
rationnel pur peut être défini en général le concept de l’inconditionné, en tant qu’il sert de principe à
la synthèse du conditionné.
(CRPu, Bar 322.2.10-15)
et le fil conducteur pour identifier tous les concepts rationnels. Cet usage logique renvoie exactement aux
trois catégories de la relation:
[…] autant l’entendement se représente d’espèces de rapports au moyen des catégories, autant il y
aura aussi de concepts rationnels purs; il y aura donc à chercher un inconditionné d’abord pour la
synthèse catégorique dans un sujet, en second lieu pour la synthèse hypothétique des membres d’une
série <Reihe>, en troisième lieu pour la synthèse disjonctive des parties dans un système.
(CRPu, Bar 322.3)
Kant introduit une série de nouvelles notions:
– le sens étendu du mot «absolu» dans les expressions «totalité absolue dans la synthèse des conditions»,
«ce qui est inconditionné absolument, c’est-à-dire sous tous les rapports» (324.3.2-4). On a besoin de cet
adjectif pour définir le concept rationnel transcendantal.
– [324.3] unité rationnelle des phénomènes vs unité intellectuelle des phénomènes. «[…] la raison pure
abandonne tout à l’entendement qui s’applique immédiatement aux objets de l’intuition ou plutôt à la
synthèse de ces objets dans l’imagination. Elle se réserve seulement l’absolue totalité dans l’Usage des
concepts de l’entendement, et cherche à étendre l’unité synthétique qui est pensée dans la catégorie
jusqu’à l’inconditionné absolu. On peut donc désigner cette totalité sous le nom d’unité rationnelle
[Vernunfteinheit] des phénomènes, comme celle qu’exprime la catégorie est appelée unité intellectuelle
[Verstandeseinheit].» (CRPu, Bar 324.3.5-13)
Attention. Le début du 324.3 comporte un contresens. La première phrase doit se terminer ainsi:
«et il ne s’arrête qu’à ce qui est inconditionné absolument, c’est-à-dire sous tous les rapports.»
Connaissant quel type d’unité est propre au concept de la raison, nous pouvons maintenant comprendre
l’idée de la fonction régulatrice de la raison, eu égard à l’entendement, idée que Kant explicitera
abondamment dans l’Appendice à la Dialectique et dans la Critique de la faculté de juger et qu’il énonce
ici déjà succinctement: «Ainsi la raison [se rapporte] à l’usage de l’entendement […] pour lui prescrire
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–
de se diriger en vue d’une certaine unité, dont l’entendement n’a aucun concept et qui tend à embrasser
en un tout absolu tous les actes de l’entendement, par rapport à chaque objet.» (CRPu, Bar 324.3.13-21)
[324.4-326.1] idée transcendantale. Kant établit l’équivalence sémantique entre concept rationnel pur et
idée (de la raison). L’avantage de cette équivalence semble purement terminologique car elle permet,
dans le contexte de la CRPu, de marquer l’opposition entre concept de la raison et concept de
l’entendement, tout en jouant sur la connotation n’être qu’une idée. Kant prend soin cependant de
préciser que cette connotation péjorative ne vaut que dans le contexte de «l’usage simplement spéculatif
de la raison» (325.1.9-10; noter la correction apportée à la traduction); en revanche, «l’idée de la raison
pratique» (325.1.19), «l’idée pratique» (325.1.m10) «peut toujours être donnée réellement, in concreto,
bien que partiellement» (325.1.20-21) lorsqu’il s’agit de guider l’entendement dans son usage pratique,
c’est-à-dire dans l’exécution de ses règles, ce en quoi consiste justement l’usage pratique de la raison.
Dans ce paragraphe, la paire conceptuelle ‘usage pratique / usage spéculatif’ est croisée avec la
paire ‘entendement/raison’ et on trouve au nombre des croisements résultants l’expression
«l’usage pratique de l’entendement», laquelle est plutôt rare dans CRPu; dans le voisinage
sémantique de cette même expression figure l’allusion aux «connaissances pratiques de
l’entendement» (326.1.2-3) que Kant oppose aux «concepts de la nature» (ibid.).
–
[326.2-328.1] Il s’agit pour Kant d’amorcer pour les concepts de la raison l’analogue de la déduction
transcendantale qu’il avait accomplie pour les concepts de l’entendement:
examiner la forme logique de la connaissance rationnelle, et voir si par hasard la raison n’est
point par là source de concepts qui nous font regarder des objets en eux-mêmes comme
synthétiquement déterminés a priori par rapport à elle ou à telle fonction de la raison.
(CRPu, Bar 326.2.6f)
Et il a besoin, pour ce faire, d’encore deux notions préalables, toutes deux basées sur cette interprétation
explicite du raisonnement: «la raison arrive à une connaissance par une série d’actes de l’entendement
qui constitue une série de conditions» (CRPu, Bar 326.3.m16-14; accentuation en gras due à NL). Or il
existe deux telles séries de conditions:
a) la série ascendante: «la série des prosyllogismes, c’est-à-dire des connaissances poursuivies du côté
des principes et des conditions d’une connaissance donnée» (CRPu, Bar 327.2.1-4)
b) la série descendante: «la progression qui suit la raison du côté des épisyllogismes» [CRPu, Bar
327.2.7-8).
C’est sur la première série que va s’effectuer la totalisation des conditions qui aboutit au concept
rationnel de l’inconditionné. Une connaissance ne peut être considérée comme possible a priori que si
elle apparaît en conclusion d’un raisonnement dont «on suppose donnés tous les membres de la série des
conditions (c’est-à-dire la totalité de la série des prémisses)» (CRPu, Bar 327.2.11-13) «il faut que la
série entière soit vraie sans condition, pour que le conditionné, qui en est regardé comme une
conséquence, puisse être tenu pour vrai.. C’est là ce qu’exige la raison qui présente sa connaissance
comme déterminée a priori et comme nécessaire, soit d’elle-même, auquel cas elle n’a pas besoin de
principe, soit, quand cette connaissance est dérivée, comme un membre d’une série de principes qui est
elle-même vraie sans conditions.» (CRPu, Bar 327.f.m5-328.1.f)
Section 3. «Système des idées transcendantales»
—
Nous avons jusqu’ici fait la théorie du «rapport naturel qui doit exister entre l’usage transcendantal de notre
connaissance, aussi bien dans les raisonnements que dans les jugements , et son usage logique» (328.2.10-12).
Connaissant
• le principe de l’usage pur de la raison («trouver pour la connaissance conditionnée de l’entendement,
l’élément inconditionné qui doit en accomplir l’unité» — CRPu, Bar 311.2.3f, partie C de l’introduction à
la Dialectique)
• la différence entre le concept de l’entendement et celui de la raison et la caractérisation de ce dernier
comme «concept de l’inconditionné, en tant qu’il sert de principe à la synthèse du conditionné» (CRPu, Bar
322.2.2f, section 2 du Livre premier de la Dialectique)
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_____________________________________________________________________________________________
•
•
—
•
•
•
—
5.4
qu’il devra y avoir autant de concepts d’inconditionné qu’il y a de catégories de relations: «autant
l’entendement se représente d’espèces de rapports au moyen des catégories, autant il y aura aussi de
concepts rationnels purs» (322.3.1-3)
le mécanisme logique par lequel la raison produit «la totalité absolue dans la synthèse des conditions»
(324.3.2-3), à savoir la série ascendante des raisonnements du côté des prémisses et des principes
nous sommes maintenant en mesure de compléter la déduction (subjective) des idées transcendantales, c’està-dire de les identifier, de dire quel concept rationnel pur correspond à chaque genre de rapports que l’on
rencontre en nos représentations [328.1-329.1]; les idées transcendantales se laissent ramener en trois classes
«dont la première contient l’unité absolue (inconditionnée) du sujet pensant;
la seconde, l’unité absolue de la série des conditions du phénomène;
la troisième, l’unité absolue de la condition de tous les objets de la pensée en général.» (CRPu, Bar
328.4.m3-329.1.f)
et puisqu’elles forment le système des objets de recherche de la raison pure, nous sommes également en
mesure d’esquisser le système (architectonique) des connaissances possibles de la Raison pure [329.2], lequel
comprendra une psychologie transcendantale, une cosmologie transcendantale et une théologie
transcendantale. Le mot «connaissances», dans un tel contexte, est forcément problématique, puisque «de
l’objet qui correspond à une idée, nous ne pouvons avoir aucune connaissance […] nous pouvons en avoir un
concept problématique.» (CRPu, Bar 335.1.4f)
Livre deuxième de la dialectique transcendantale: Des raisonnements dialectiques
de la raison
L’introduction rappelle (335.1-2) le rapport que Kant fait entre concept et raisonnement, rapport qui articule
justement les livres un et deux de la dialectique:
– bien que l’objet des concepts purs de la raison soit quelque chose dont on n’a pas de concept intellectuel
(on ne peut montrer cet objet dans une expérience possible et en tirer une intuition)
– les concepts purs de la raison ont une réalité transcendantale fondée sur des raisonnements nécessaires —
c’est par une inférence nécessaire que nous sommes amenés à eux — et qu’ils sont en ce sens inévitables.
À titre d’explicitation du plan, Kant énumère les 3 sortes de raisonnements dialectiques qui vont correspondre
aux trois idées transcendantales et leur donne un nom.
À la page suivante, je donne un tableau-synthèse intitulé «La système des raisonnements dialectiques selon
les objets, procédés et objectifs de la raison pure».
Commentaire concernant le tableau-synthèse
Remarquons que la deuxième colonne, à partir de la gauche, contient une relation entre un concept de départ
et un concept auquel je (en tant que raison pure…) conclus. Le concept de départ est un concept légitime, en quelque
sorte; on le trouve parmi les concepts introduits par Kant au cours de l’Analytique transcendantale. On peut se
demander, à titre de problème d’exégèse, si ces concepts de départ peuvent être compris, de quelque façon, dans la
description définie «quelque chose que nous connaissons» utilisée par Kant pour décrire les raisonnements
dialectiques en général dans le passage qui précède de peu les formulations de la deuxième colonne ci-dessus:
«Il y a donc des raisonnements qui ne contiennent pas de prémisses empiriques et au moyen
desquels, de quelque chose que nous connaissons, nous concluons à quelque chose dont nous
n’avons aucun concept, et à laquelle nous attribuons pourtant de la réalité objective, par l’effet d’une
inévitable apparence.» (CRPu, Bar 335.2.4-9)
La question se pose du fait que les concepts transcendantaux ne nous représentent, par eux-mêmes , rien que
nous connaissions; en tant que transcendantaux, ils n’ont pas de contenu. On se souvient, par exemple, de la thèse
selon laquelle le je pense de l’unité originairement synthétique de l’aperception ne me fait rien connaître de moimême, mais me représente seulement que je suis (§25 de la déduction transcendantale «La conscience de soi-même
est donc bien loin d’être une connaissance de soi-même…» — CRPu, Bar 169.2.2f).
129
LE SYSTÈME DES RAISONNEMENTS DIALECTIQUES SELON LES OBJETS, PROCÉDÉS ET OBJECTIFS DE LA RAISON
NOM DU RAI-
DESCRIPTION DU
TYPE DE RAI-
OBJECTIF DE LA
LES RAP-
SONNEMENT
DIALECTIQUE
RAISONNEMENT DIALECTIQUE
SONNEMENT
ET DE
SYNTHÈSE
SYNTHÈSE
PORTS PRÉSENTS EN
NOS REPRÉSENTATIONS
[336.2]
[322.4]
[322.3]
TYPE D’UNITÉ
SYNTHÉTIQUE
INCONDITIONNÉ
E
[328.4-329.1]
[328.3]
Paralogisme
transcendantal
Antinomie (de
la raison pure)
Idéal de la
raison pure
Je conclus du concept
transcendantal du sujet, qui ne
renferme point de diversité, à
l’absolue unité de ce sujet luimême
Synthèse
La synthèse tend à
dans un sujet
plus lui-même
prédicat
De ce que, d’un côté, j’ai
toujours un concept
contradictoire de l’unité
synthétique absolue de la série, je
conclus à la vérité de l’unité
opposée, dont je n’ai pourtant
non plus aucun concept
Synthèse
La synthèse tend à
une supposition
qui ne suppose
rien au-delà
Je conclus de la totalité des
conditions nécessaires pour
concevoir des objets en général,
en tant qu’ils peuvent m’être
donnés, à l’unité synthétique
absolue de toutes les conditions
de la possibilité des choses en
général, c’est-à-dire à un être de
tous les êtres
Synthèse
CATÉGORIQUE un sujet qui ne soit
HYPOTHÉTIQUE des
membres d’une
série
La synthèse tend à
un agrégat des
des parties dans membres de la
un système
division qui ne
laisse rien à
demander de plus
pour la parfaite
division du
concept
DISJONCTIVE
Le rapport au
sujet
L’unité absolue
du sujet pensant
Le rapport à la
diversité de
l’objet dans le
phénomène
L’unité absolue
de la série des
conditions du
phénomène
le rapport à
toutes choses
en général
L’unité absolue
de la condition de
tous les objets de
la pensée en
général
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_____________________________________________________________________________________________
5.4.1
Chapitre I. Des paralogismes de la raison pure
Correction: Dans la traduction de Barni, il manque une phrase, au milieu du paragraphe 339.2
entre la phrase qui finit par «…présenter toute pensée comme appartenant à la conscience.» et
celle qui commence par «Moi, en tant que pensant…». La phrase à rétablir se lit ainsi dans la
traduction Trémesaygues et Pacaud: «Néanmoins, si pur qu’il soit de toute empirisme (de toute
impression des sens), il sert pourtant à distinguer deux espèces d’objets d’après la nature de notre
faculté de représentation.» (CRPu, TrPa 279.1.1-4)
La section consacrée aux paralogismes psychologiques se comprendra plus facilement si on découpe sa
démarche de la manière suivante:
– Kant présente la «topique de la psychologie rationnelle» (340.3.m3-2) et ses quatre paralogismes. [339.1341.1; les items numérotés «1°, 2°, 3° et 4° sont considérés comme un tableau, non comme un
paragraphe.]
– [Première démarche de réfutation.] Kant établit que la psychologie rationnelle a pour unique fondement
la représentation vide je pense qui constitue le sujet transcendantal [341.2-343.1] et réfute à tour de rôle
chacun des quatre paralogismes, en défaisant l’inférence qui y est contenue [343.2-345.1].
– [Intermède métadiscursif.] Kant souligne l’importance de la réfutation en cours [345.2].
– [Deuxième démarche de réfutation.] Kant formule en 345.3 le paralogisme dominant qui vaut pour les
quatre paralogismes identifiés auparavant et mène la réfutation en 4 étapes:
• réfutation logique du paralogisme dominant par identification de la faute logique qui y est commise
(à savoir l’utilisation d’un terme en deux sens différents) [345.f-346.f]
• remarque enclavée consacrée à un argument de Mendelssohn [347.1-348.1]
• réfutation (transcendantale?) du paralogisme dominant considéré «comme formant un
enchaînement synthétique» (349.1.1-2), c’est-à-dire un mouvement de synthèse de la conclusion à
partir des prémisses. [349.1]
• réfutation du paralogisme dominant suivant la méthode analytique, c’est-à-dire en partant de sa
conclusion — ici, une proposition qui a pour fondement la modalité d’existence — et en la
décomposant pour en savoir le contenu. [349.2-351.1]
– [Commentaires terminaux.]
• Jugements d’ensemble sur la psychologie rationnelle découlant des réfutations. [351.1-2]
• Enjeux des réfutations précédentes pour la philosophie spéculative et la philosophie pratique. [352.1353.f].
1
I d e n t i f i c a t i o n de l a t o p i q u e de l a ps y c h o l o g i e ra t i o n n e l l e et de s e s pr i n c i p a l e s
thèses.
Note sur l’emploi du «je» et du «nous» dans la critique du paralogisme de la raison pure.
Ces pronoms désignent tantôt des sujets qui, en tant que soumis à l’illusion transcendantale
commettent les inférences injustifiées qu’il s’agit justement de critiquer (dénoncer) et tantôt ces
pronoms désignent des sujets activement impliqués dans leur rôle de critique et se dissociant des
tenants de la psychologie rationnelle. En français le problème se complique encore un peu plus
qu’en allemand, du fait que notre langue préfère les tournures de la voix active à celles de la voix
passive et introduit le pronom «on» pour obtenir des expressions telles que «On ne se demande
pas si…», «On l’envisage au point de vue de…» (342.2) là où l’allemand se contente du passif
impersonnel.
2
P r e m i è r e d é m a r c h e de ré f u t a t i o n . Id e n t i f i c a t i o n du fo n d e m e n t de l a ps y c h o l o g i e ra t i o n n e l l e et cl a r i f i c a t i o n de l a re p r é s e n t a t i o n pr i s e po u r fo n d e m e n t .
Qu’est-ce qui rend possible que nous prétendions fonder sur une proposition qui paraît empirique un
jugement apodictique et universel tel que celui-ci: tout ce qui pense est constitué tel que la conscience de moi-même
<Selbstbewußtsein> déclare que je le suis?
131
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_____________________________________________________________________________________________
Réponse: «nous attribuons nécessairement a priori aux choses toutes les propriétés constituant les conditions
qui seules nous permettent de les concevoir.» (342.2.8-10) Or la conscience de moi-même est une telle condition.
Cependant, quand nous faisons cela à partir de la proposition «je pense», cette proposition n’est prise que
dans un sens problématique, puisque nous ne nous demandons pas «si elle peut impliquer la perception d’une
existence (comme le cogito, ergo sum de Descartes)» (342.2m6-4).
Cette réserve est difficile à interpréter en tant qu’acte discursif (ou procédé rhétorique). Elle peut
être interprétée comme poursuivant la description de ce que nous faisons: nous n’allons pas
jusqu’à tirer des conclusions d’existence de ce que nous trouvons dans la seule conscience de
nous-même; ou elle peut indiquer, plutôt, que le philosophe critique reprend la parole et se dissocie
du nous collectif pour réinterpréter la situation en termes transcendantaux.
Ou bien: nous ne succombons pas nécessairement à l’illusion transcendantale, quand nous
transportons notre propre existence à d’autres objets;
ou bien: le fait que nous fassions cela nécessairement et spontanément ne signifie pas que la
théorie critique a tort de dire que la représentation «je pense» n’est qu’une forme vide, car, en fait
(que nous nous en rendions compte ou non) la proposition «je pense» est alors prise seulement
dans un sens problématique.
Ou la remarque de Kant nous absout; ou elle réaffirme le point de vue de la critique.
La traduction que je ferais du passage «on ne se demande pas» est très différente de celles de
Barni et de T.-P. Je dirais: «La proposition je pense n’est cependant prise ici qu’en un sens
problématique; problématique non pas dans la mesure où elle est susceptible de contenir la
perception d’une existence (ce que fait le cogito, ergo sum de Descartes) mais en ce sens qu’on
veut considérer simplement sa possibilité pour voir quelles propriétés sont susceptibles de
découler d’une proposition si simple pour son sujet (que ce dernier existe ou non).»
Nous ne pouvons fonder notre connaissance rationnelle de l’être pensant sur autre chose que le cogito, sous
peine de passer à la psychologie empirique, à une sorte de physiologie du sens intime. Et c’est bien ce que fait la
psychologie rationnelle.
Mais les conclusions que la psychologie rationnelle va tirer de la proposition je pense renferment un usage
simplement transcendantal de l’entendement. Or cela n’augure pas bien…
3
K a n t i n t r o d u i t l a di s t i n c t i o n en t r e l e m o i d é t e r m i n a n t et l e m o i d é t e r m i n a b l e.
C e t t e di s t i n c t i o n es t pr é s u p p o s é e pa r l a ré f u t a t i o n .
Je ne connais pas un objet par cela seul que je pense. Cela vaut pour moi-même comme objet éventuel de
connaissance: «Je ne me connais pas moi-même par cela seul que j’ai conscience de moi comme être pensant: il me
faut avoir conscience de l’intuition de moi-même, comme déterminée relativement à la fonction de la pensée.»
(343.2.7-11)
Il faut donc toujours distinguer entre le moi déterminant et le moi déterminable. Le moi dont je peux avoir
une connaissance est le moi déterminable et je n’en connais quelque chose que dans la mesure où il est déterminé
par un divers donné et synthétisé dans l’intuition.
4
D i s s o l u t i o n du l i e n d’ i n f é r e n c e pr é s e n t da n s ch a c u n de s qu a t r e pa r a l o g i s m e s .
C’est la réfutation des «prédicaments» de la psychologie rationnelle, le terme «prédicaments» désigne, dans la
terminologie scolastique, les propriétés attribuées à l’âme, telles qu’elles sont identifiées dans chaque paralogisme.
1o –
–
Il est vrai que je suis toujours le sujet déterminant du rapport qui constitue le jugement.
Cela ne signifie pas «que je suis, comme objet, un être subsistant par moi-même ou une substance»
(343.3.m5-3)
132
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_____________________________________________________________________________________________
Barni, à la suite de la citation donnée ci-dessus: «Cette dernière proposition a une bien autre portée.
Aussi exige-t-elle des données qui ne peuvent être trouvées dans la pensée, plus peut-être que je ne
trouverai / partout ailleurs dans l’être pensant en tant que je l’envisage simplement comme tel.»
(343.3.3f-344.1.f)
Tremesaygues & Pacaud, pour le même passage: «Cette dernière proposition va bien loin et c’est pour
cela qu’elle exige aussi des données qui ne se trouvent pas du tout dans la pensée, et peut-être (en
tant que j’envisage l’être pensant comme tel) va-t-elle trop loin pour je puisse jamais les (y) rencontrer.»
(CRPu, TrPa 284.3.4f)
2o –
–
Le moi de l’aperception est logiquement simple, c’est-à-dire singulier. Voilà une proposition analytique.
Cela ne signifie pas que le moi pensant, le «moi dans la pensée», comme dit la psychologie rationnelle, soit
une substance simple.
3o –
L’identité du moi déterminant dans toute diversité dont j’ai conscience est contenue dans les concepts
mêmes. Voilà une proposition analytique.
Mais l’intuition dans laquelle le sujet est donné comme objet ne contient pas cette identité, qui équivaut à
l’identité de la personne.
–
4o –
–
Ma propre existence comme être pensant est distincte des autres choses hors de moi (et dont mon corps
aussi fait partie); et il est vrai que je la distingue comme telle. Voilà une proposition analytique.
Mais cela ne signifie pas que cette conscience de moi-même est possible sans que me soient données des
choses hors de moi, par lesquelles me sont données des représentations. Il n’est pas dit que je puisse exister
simplement comme être pensant (sans être homme) — possibilité qu’affirme la psychologie rationnelle
lorsqu’elle considère l’âme comme quelque chose d’immortel.
Chaque fois, dans chacune des 4 thèses, il s’agit pour Kant
– de distinguer (opposer même) 1° la représentation du moi (=moi déterminant) dans le je pense originaire de
l’aperception et 2° la représentation du moi (= moi déterminable} fournie par l’intuition dans le sens intime.
– d’affirmer que ce que contient analytiquement la première ne signifie pas des propriétés correspondantes de la
seconde.
Le résumé ou résultat des quatre objections se trouve en 345.1.
5
K a n t s o u l i g n e co m b i e n i l es t fo n d a m e n t a l , du po i n t de vu e de t o u t l e s y s t è m e
d e l a C r i t i q u e de l a r a i s o n pu r e de ne pa s l a i s s e r pa s s e r de s j u g e m e n t s
s y n t h é t i q u e s a pr i o r i du ge n r e de ce u x qu e l a ps y c h o l o g i e ra t i o n n e l l e fo r m u l e .
6
D e u x i è m e d é m a r c h e de ré f u t a t i o n . P r e m i è r e ét a p e de l a ré f u t a t i o n du
p a r a l o g i s m e do m i n a n t .
[345.2]
L’argument fait fond sur le fait que l’être dont il est question dans la majeure n’est pas le même que celui
dont il est question dans la mineure. (C’est un argument qui montre un glissement sémantique illégitime dans le
raisonnement étudié. C’est ce à quoi fait allusion l’expression latine per sophisma figuræ dictionis, sophisme de la
forme de l’expression: une expression de même forme est utilisée en deux sens différents.)
Kant, après ce premier énoncé de l’argument nous invite à nous reporter «à la remarque générale
sur la représentation systématique des principes» (346.2.3-4); Cette remarque se trouve en CRPu,
Bar 258-261 et son titre exact est «Remarque générale sur le système des principes». Il nous
réfère également au passage 269.2.10-21 de la «section des noumènes, où il a été prouvé que le
concept d’une chose qui peut exister en soi comme sujet, et non pas seulement comme prédicat,
n’emporte avec lui aucune réalité objective» (CRPu, Bar 346.2.4-8).
L’argument plus explicite [346.2] suit:
133
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_____________________________________________________________________________________________
— le concept je pense «n’emporte avec lui aucune réalité objective; nous n’avons donc aucune connaissance
de l’objet à quoi il devrait ou pourrait correspondre.
◊ (Majeure) pour qu’il ait une réalité objective, il faut qu’il ait pour fondement une intuition constante
◊ (Mineure) or, dans l’intuition intérieure nous n’avons rien de constant, puisque le moi n’est que la
conscience de ma pensée.
— de la réfutation du paralogisme de la substance (le numéro 1 o dans la topique), suit la réfutation du
paralogisme de la simplicité (numéro 2o). (346.2.4f)
7
R é f u t a t i o n de l ’ a r g u m e n t de M e n d e l s s o h n en fa v e u r de l a pe r m a n e n c e de l ’ â m e .
(347-348)
8
T r o i s i è m e e t q u a t r i è m e ét a p e s de l a ré f u t a t i o n du pa r a l o g i s m e do m i n a n t , s e l o n
l a m é t h o d e s y n t h é t i q u e , pu i s s e l o n l a m é t h o d e an a l y t i q u e .
L’ordre selon lequel la réfutation aborde les paralogismes (et par eux les prétendues propriétés de l’âme) varie
d’une méthode à l’autre. Pour décrire l’ordre adopté dans chaque cas, associons conventionnellement à chacun des
paralogismes un symbole littéral qui évoque la catégorie utilisée pour le générer: «L», pour la quaLité; «N», pour la
quaNtité; «R», pour la Relation; «M», pour la Modalité.
– Considérons d’abord que les propositions de la psychologie rationnelle sont agencées selon la méthode
synthétique; elles forment alors un «système» (de propositions) qui part de l’affirmation «tous les êtres
pensants sont des substances» (jugement généré selon la catégorie de relation) pour arriver «à l’existence
de ces êtres» (jugement généré selon la catégorie de la modalité). Tel est d’ailleurs l’ordre que suit le
paralogisme dominant. L’ordre est donc:
R–L–N–M
– Considérons ensuite que les propositions de la psychologie rationnelle sont agencées selon la méthode
analytique, c’est-à-dire en «pren[ant] pour fondement le “je pense” comme une proposition donnée
renfermant déjà en elle une existence, ce qui revient à prendre pour fondement la modalité» (349.2.2-4).
L’ordre est donc:
M–R–L–N
Commentaire. Le rapport entre ce système de propositions et le paralogisme dominant n’est pas
immédiat. Ou bien Kant fait l’hypothèse que le paralogisme dominant pourrait avoir une forme
différente — où l’affirmation d’existence serait placée en prémisse plutôt qu’en conclusion —, ou
bien il lit le paralogisme de bas en haut, en décomposant la conclusion pour en savoir le contenu,
en allant du conditionné à ses conditions.
Cette réfutation conclut cette fois que les explications de la nature du moi, comme sujet simplement
pensant, sont aussi impossibles «par les principes du matérialisme» (350.1.17-18) que par ceux du
spiritualisme.
• La prémisse qui devrait survivre pour que l’explication du moi satisfasse les principes matérialistes
est «il y a dans l’espace un réel simple»; ce serait la condition de la possibilité de mon aperception
de moi-même comme simple. Kant nie ladite prémisse en 350.1.12-16)
• La prémisse qui devrait survivre pour que l’explication du moi satisfasse les principes du
spiritualisme est «quelque chose de permanent m’est donné dans l’intuition interne, en tant que je me
pense»; ce serait la condition de la possibilité que je me perçoive comme substance. Kant nie ladite
prémisse en 350.1.m15-13.
9
C o m m e n t a i r e s co n c l u s i f s s u r l e s ré f u t a t i o n s . [3 5 1 . 2 - 3 5 5 . 1 ]
Concernant le problème de l’union de l’âme et du corps, Kant dit qu’il n’appartient pas proprement à la
psychologie rationnelle dont il est ici question. Le traitement consiste à faire remarquer que l’âme et le corps, en tant
qu’objets de connaissance, sont donnés l’une dans le sens intime et l’autre dans les sens externes et que par
134
T H È M E # 8. L A D I A L E C T I Q U E — I. L ’A P P A R E N C E T R A N S C E N D A N T A L E. L E S P A R A L O G I S M E S.
_____________________________________________________________________________________________
conséquent ces objets «ne se distinguent qu’en tant que l’un apparaît à l’autre extérieurement» (354.2.m10-9). Quant
au problème plus général «de savoir comment est possible en général une union de substances», il subsiste sans
doute, mais il est «sans aucun doute hors du champ de toute connaissance humaine.» (355.1.2f)
135
K
<> T h è m e # 9
<>
K
L a di a l e c t i q u e tr a n s c e n d a n t a l e
I I . L’ a n t i n o m i e d e l a ra i s o n p u r e
5.4.2
5.4.2.1
5.4.2.2
5.4.2.3
5.4.3
5.4.2
Chapitre II. Antinomie de la raison pure....................................................................133
La démarche d’ensemble du chapitre II................................................................133
Description opérationnelle de la section §7. Décision critique du conflit cosmologique
de la raison avec elle-même..............................................................................135
Les solutions des antinomies...........................................................................137
L’Appendice à la Dialectique transcendantale...............................................................141
Chapitre II. Antinomie de la raison pure
En passant des paralogismes aux antinomies, on quitte le groupe des raisonnements dialectiques qui sont
engendrés par la recherche de l’unité inconditionnée des CONDITIONS SUBJECTIVES de toutes nos représentations
en général; on aborde le groupe des raisonnements dialectiques qui sont engendrés par la recherche de l’unité
inconditionnée des CONDITIONS OBJECTIVES des objets
– soit des phénomènes
– soit des objets en général. (CRPu, Bar 361)
La différence entre antithétique et antinomie (CRPu, Bar 336.2.8-16)
ANTINOMIE. C’est «l’état de la raison» (CRPu, Bar 336.2.15) dans la deuxième classe de conclusions
sophistiques. C’est le «conflit des lois». (CRPu, Bar 362.3.2)
ANTITHÉTIQUE. Doctrine ou réflexion qui «n’envisage les connaissances de la raison que dans leur conflit et
dans les causes de ce conflit.» (CRPu, Bar 370.1.7-9) «recherche sur l’antinomie de la raison pure, ses causes,
son résultat.» (CRPu, Bar 370.1.9-10).
Rectification de la traduction en 370.4.3-371.1.f. «Or puisque cette unité de la raison doit d’abord,
en tant que synthèse selon des règles, s’accorder <kongruieren> avec l’entendement et néanmoins
aussi, en tant qu’unité absolue de ladite synthèse, s’accorder avec la raison, l’unité recherchée, si
elle est adéquate à l’unité de la raison, aura des conditions trop grandes pour l’entendement, et, si
elle s’ajuste sur l’entendement, aura des conditions trop petites pour la raison.»
5.4.2.1
La démarche d’ensemble du chapitre II
Quelle est la démarche générale que suit Kant dans le chapitre II du Deuxième Livre de la Dialectique? Je
décris cette démarche dans le tableau intitulé «Les procédés discursifs des neuf sections de l’Antinomie de la raison
pure» et dans les indications plus détaillées que je coiffe du sous-titre «Plan pragmatique tabulaire du chapitre sur
l’Antinomie de la raison pure».
137
T H È M E # 9. L A D I A L E C T I Q U E — II . LE S A N T I N O M I E S.
_____________________________________________________________________________________________
LES PROCÉDÉS DISCURSIFS DES NEUF SECTIONS DE L’ANTINOMIE DE LA RAISON PURE
Procédés
discursifs
§
Intitulés des sections
Position du problème
1
2
Système des idées cosmologiques
Antithétique de la raison pure
Considérations
métadiscursives
sur le problème
3
4
De l’intérêt de la raison dans ce conflit avec elle-même
Des problèmes transcendantaux de la raison pure, en tant qu’il doit absolument y en
avoir une solution possible
Représentation sceptique des questions cosmologiques soulevées par les quatre
idées transcendantales
5
Résolution du
problème
6
7
8
9
L’idéalisme transcendantal comme clef de la solution de la dialectique
cosmologique
Décision critique du conflit cosmologique de la raison avec elle-même
Principe régulateur de la raison pure par rapport aux idées cosmologiques
De l’usage empirique du principe régulateur de la raison par rapport à toutes les
idées cosmologiques
Plan pragmatique tabulaire du chapitre sur l’Antinomie de la raison pure
(Dialectique transcendantale, Livre 2, Chapitre II)
Position du problème.
§1. Dérivation des quatre idées transcendantales à partir des catégories.
§2. Identification des quatre antinomies générées par les 4 idées transcendantales.
Traitement du problème.
Caractérisations métadiscursives du problème.
§3. Identification des enjeux du problème en termes des intérêts qu’y trouvent les parties en conflit (dans
le vocabulaire contemporain, on parlerait probablement d’enjeux idéologiques…).
§4. Caractérisation du rapport Question/Réponse dans les termes de la logique transcendantale.
§5. Description d’un traitement du problème qui, avant de produire des arguments susceptibles de
constituer une solution, se contenterait de faire voir l’absurdité de chacune des assertions d’une
antinomie et ce, pour les quatre antinomies. C’est le traitement sceptique, lequel, en tant que
préalable, a pour utilité de montrer que la question soulevée par chaque antinomie «repose sur une
supposition dénuée de fondement et joue[…] avec une idée qui montre mieux sa fausseté dans son
application et dans ses conséquences que dans sa représentation abstraite» (CRPu, Bar 411..113-16).
(Une alternative dont les deux membres sont faux crée une situation d’indécidabilité; et pour peu qu’on
assume cette indécidabilité, on suspend son jugement, comme le fait le sceptique.)
Résolution du problème.
§6. Rappel des principes de l’Idéalisme transcendantal, lesquels permettent d’interpréter le problème et de
reconstituer son étiologie.
§7. Établissement du diagnostic. Identification de la faute logique présente dans l’argument dialectique sur
lequel repose toute l’antinomie de la raison pure.
• analyse du raisonnement fallacieux: 418.1.5-420.2.f
• établissement de la distinction entre opposition analytique et opposition dialectique, opposition
qui servira à interpréter la relation entre les deux assertions qui s’affrontent dans une antinomie:
420.3-422.1
• application de la distinction aux oppositions (dialectiques) présentes dans les quatre antinomies:
422.1-423.f
138
T H È M E # 9. L A D I A L E C T I Q U E — II . LE S A N T I N O M I E S.
_____________________________________________________________________________________________
Prescription du remède. Formulation des thèses qui vont constituer la solution des antinomies et faire
disparaître le conflit.
§8. Identification du principe de la cure. Il s’agit de donner au principe de la raison (rechercher
l’inconditionné dans les régressions) une interprétation qui en fasse, non plus un principe
constitutif mais un principe régulateur.
• les sortes de régression empirique et la manière de les instituer.
§9. Application du principe de la cure à chacune des antinomies et production des propositions
philosophiques qui énoncent les principes régulateurs dans chaque cas de même que les
propositions qui contiennent les idées cosmologiques sans engendrer un conflit de la raison avec
elle-même.
Note sur la section §4.
Il faut d’abord faire la distinction entre
– une totalisation (des conditions) dont on ne sait pas si elle pourrait être données ou non dans une
expérience possible
– et une totalisation don sait d’avance qu’elle ne peut pas être donnée dans une expérience possible.
La thèse de la 4e section est qu’il existe nécessairement une solution aux problèmes transcendantaux
cosmologiques, mais que c’est une solution purement critique, par opposition à une solution dogmatique.
L’argument est:
– vous savez qu’aune expérience possible ne saurait départager entre les deux modes de totalisation
(synthèse finie, synthèse qui s’étend à l’infini) puisqu’aucune expérience possible ne fournit une
totalisation des séries régressives empiriques dont il s’agit ici.
– la différence que vous faites entre une totalisation infinie et une totalisation finie est tout entière dans
l’idée.
5.4.2.2
Description opérationnelle de la section §7. Décision critique du conflit
cosmologique de la raison avec elle-même.
1
–
–
–
K a n t i d e n t i f i e i c i l ’ e r r e u r s u r l a q u e l l e re p o s e t o u t e l ’ a n t i n o m i e de l a ra i s o n
p u r e . P o u r ap e r c e v o i r l ’ e r r e u r , i l fa u t au pr é a l a b l e di s t i n g u e r en t r e un e s é r i e (d e
t o u t e s l e s co n d i t i o n s ) p r o p o s é e s e u l e m e n t et un e s é r i e p r o p o s é e et do n n é e.
[ S e p t i è m e s e c t i o n . 41 8 - 4 2 3 . ]
D’abord: quand le conditionné est donné, une régression dans la série de toutes ses condition nous est
proposée par là même. (418.2)
Ensuite: si le Conditionné donné est une chose en soi, alors l’inconditionné est aussi donné. Mais ce n’est
pas le cas pour les phénomènes. Je ne peux donc pas conclure à la totalité de la série de leurs conditions.
Une régression est proposée seulement.
Il résulte que le raisonnement cosmologique
• a une majeure qui «prend le conditionné dans le sens transcendantal d’une catégorie pure» (419.2.23);
• a une mineure qui prend le conditionné «dans le sens empirique d’un concept de l’entendement
appliqué à de simples phénomènes» (419.2.3-5).
La reconstitution du raisonnement dialectique en un seul syllogisme et la critique qui en est faite
rappellent celles faites à l’occasion du raisonnement psychologique, p. 345.3-346.2. L’argument de
la réfutation est sensiblement le même et le verdict est le même. Cependant l’antithétique a ceci de
139
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_____________________________________________________________________________________________
particulier que le litige ne se termine pas là [420.2]. Il faut montrer que l’opposition antinomique
elle-même n’est qu’une apparence.
140
LES CONCEPTS ET LES THÈSES DE L’ANTINOMIE DE LA RAISON PURE
La catégorie
concernée
[pp. 364-366]
La totalité
(364.4-365.1)
Intégration produisant les
idées cosmologiques
[p. 367]
‡ le «tout» obtenu
[410.1.6-7]
L’intégrité absolue de
l’assemblage du tout donné
de tous les phénomènes
Le nom du premier
terme des séries
réalisant la totalité de
la synthèse régressive
[p. 368.2]
— Le commencement
du monde
Les antinomies elles-mêmes
(les propositions en relation antithétique:
Th / Ath)
[pp. 373-397]
Questio
(Th.) Le monde a un commencement dans le
temps
Le mond
commen
(Ath.) Le monde n’a pas de commencement; il
est infini dans le temps (373)
‡ Le tout de la quantité
— La limite du monde
(Th.) Le monde est limité dans l’espace
(Ath.) Le monde n’a pas de limite dans
l’espace; il est infini
La réalité (dans
l’espace)
L’intégrité absolue de la
division
(365.2)
‡ Le tout de la division
La causalité
L’intégrité absolue de
l’origine <Entstehung> d’un
phénomène en général.
(366.2)
Le simple
(Ath.) Il n’existe dans le monde absolument
rien de simple
La spontanéité absolue
(liberté)
‡ Le tout de la dérivation
<Abstammung>
La nécessité
comme totalité
des conditions
de l’existence du
contingent
(366.3)
L’intégrité absolue de la
dépendance de l’existence
‡ Le tout de la condition de
l’existence en général
(Th.) Il n’existe absolument rien que le simple
et le composé du simple (379)
(Th.) Pour expliquer les phénomènes, il est
nécessaire d’admettre, en plus de la causalité
déterminée par les lois de la nature, une
causalité libre (386)
Y a-t-il
l’étendu
l’espace
Y a-t-il
dans le m
indivisib
n’y a-t-i
de passa
Suis-je l
comme
conduit
du destin
(Ath.) Il n’y a pas de liberté, mais tout dans le
monde arrive suivant des lois naturelles
La nécessité naturelle
absolue (= l’être
nécessaire) en tant que
nécessité inconditionnée
des phénomènes
141
(Th.) Le monde implique quelque chose qui,
soit comme sa partie, soit comme sa cause, est
un être absolument nécessaire (391)
(Ath.) Il n’existe nulle part aucun être
absolument nécessaire, ni dans le monde, ni
hors du monde, comme en étant la cause
Y a-t-il
monde,
et leur o
dernier o
nous arr
recherch
T H È M E # 9. L A D I A L E C T I Q U E — II . LE S A N T I N O M I E S.
_____________________________________________________________________________________________
2
–
–
–
La thèse et l’antithèse sont dans une opposition dialectique et paraissent être dans une opposition
analytique.
Kant montre comment
• l’opposition contradictoire (quand je suppose le monde comme chose en soi)
• se mue en opposition dialectique lorsque je place le monde dans la régression empirique de la série
des phénomènes. (CRPu, Bar 422.2)
Conséquence: «On fait donc disparaître l’antinomie de la raison pure dans ses idées cosmologiques, en
montrant qu’elle est simplement dialectique, et qu’elle est un conflit produit par une apparence résultant
de ce que l’on applique l’idée de l’absolue totalité, laquelle n’a de valeur que comme condition des
choses en soi, à des phénomènes, qui n’existent que dans la représentation, et, lorsqu’ils constituent une
série, dans la régression successive, mais non pas autrement.» (CRPu, Bar 423.2.1-8)
3
–
–
5.4.2.3
K a n t i n t r o d u i t de u x co n c e p t s : ce l u i d’ o p p o s i t i o n d i a l e c t i q u e et ce l u i
d ’o p p o s i t i o n an a l y t i q u e, pu i s s ’ e n s e r t po u r t h é o r i s e r l a na t u r e de
l ’ o p p o s i t i o n en t r e l a t h è s e et l ’ a n t i t h è s e .
K a n t t e r m i n e l a s e c t i o n en m o n t r a n t qu e l ’ e x i s t e n c e de l ’ a n t i n o m i e , en t a n t qu e
n o u s co n n a i s s o n s ce qu i l a pr o d u i t , a un e ut i l i t é t h é o r i q u e . [4 2 3 . 2 - 3 ]
On peut invoquer le fait de l’antinomie comme argument dans une démonstration indirecte de «l’idéalité
transcendantale des phénomènes» (CRPu, Bar 423.2.12). La démonstration se déroule ainsi:
• «Si le monde est un tout existant en soi, il est ou fini ou infini.
• Or le premier cas aussi bien que le second sont faux (suivant les preuves, rapportées plus haut, de
l’antithèse d’un côté, et de la thèse de l’autre). [Voici le résultat obtenu ci-dessus utilisé ici comme
argument.]
• Il est donc faux aussi que le monde (l’ensemble de tous les phénomènes) soit un tout existant en soi.
[…par modus tollens appliqué sur la première prémisse.]
• D’où il suit par conséquent que les phénomènes en général ne sont rien en dehors de nos représentations, et c’est précisément ce que nous voulions dire en parlant de leur idéalité transcendantale.»
(CRPu, Bar 423.2.10f)
la dialectique transcendantale nous prévient qu’on fait fausse route en supposant «que les phénomènes et
le monde sensible qui les comprend tous sont des choses en soi» (423.3.4-5); on peut bien dire que, ce
faisant, elle vient en aide à la méthode sceptique, mais ce qui n’est pas du tout la même chose que venir
en aide au scepticisme.
Les solutions des antinomies
8e Section: PRINCIPE RÉGULATEUR DE LA RAISON PURE PAR RAPPORT AUX IDÉES COSMOLOGIQUES
Succinctement, on peut énoncer le principe régulateur concerné de la façon suivante:
– chercher le maximum de la série des conditions du monde sensible seulement dans la régression de cette
série, et non dans les choses en soi. (CRPu, Bar 424.1.2-5)
– remonter dans la série des conditions des phénomènes donnés sans jamais «s’arrêter dans un
inconditionné absolu» (CRPu, Bar 424.1.m19-17)
Le principe dit «comment nous devons instituer la régression empirique» (425.2.3-4) et «n’anticipe pas ce qui
est donné en soi dans l’objet antérieurement à toute régression.» (424.1.m6-4)
142
T H È M E # 9. L A D I A L E C T I Q U E — II . LE S A N T I N O M I E S.
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9e Section: DE L’USAGE EMPIRIQUE DU PRINCIPE RÉGULATEUR DE LA RAISON PAR RAPPORT À TOUTES LES
IDÉES COSMOLOGIQUES
I.
SOLUTION DE L ’IDÉE COSMOLOGIQUE DE LA TOTALITÉ DE LA RÉUNION DES PHÉNOMÈNES EN UN
UNIVERS.
II.
SOLUTION DE L ’IDÉE COSMOLOGIQUE DE LA TOTALITÉ DE LA DIVISION D’UN TOUT DONNÉ DANS
L’INTUITION [CRPu, Bar 432.5-435.1]
L’argumentation de Kant porte sur deux points:
– ARGUMENT 1. Le nombre des parties d’un tout donné n’est pas déterminé par le caractère de la
divisibilité d’un corps étendu mais par la division effectuée de ce corps.
– ARGUMENT 2. Le caractère structuré (ou organisé) [gegliedert, organisiert] d’un tout n’est pas la
même chose que son caractère divisible. Les parties d’un tout ne peuvent pas être à la fois déterminées
et en nombre infini. En d’autres termes, si une multiplicité de parties est donnée dans une synthèse la
division régressive qui a déterminé ces parties n’est pas complète, ou totale; et si la division est supposée
complète et totale, les parties ne peuvent être considérées comme déterminées.
Concernant l’argument 1.
Tout corps, en tant qu’étendu, est divisible à l’infini.
– la régression de conditionné à condition va ad infinitum et non pas ad indefinitum comme dans le cas
(précédent, celui de la première antinomie) où les conditions sont situées à l’extérieur du tout considéré.
– cette «règle de la progression à l’infini s’applique sans aucun doute dans la subdivision d’un phénomène,
considéré simplement comme remplissant l’espace» (CRPu, Bar 434.2.1-4). «[L]’infinité de la division
d’un phénomène donné dans l’espace se fonde uniquement sur ce que par ce phénomène est donnée
simplement la divisibilité, c’est-à-dire une multitude de parties absolument indéterminée en soi, tandis
que les parties elles-mêmes ne sont données et déterminées que par la subdivision.» (CRPu, Bar
434.2.13-19)
«Néanmoins il n’est nullement permis de dire d’un tout divisible à l’infini qu’il se compose d’un nombre
infini de parties.
– En effet, bien que toutes les parties soient renfermées dans l’intuition du tout
– elle [cette intuition] ne contient cependant pas toute la division du tout, laquelle ne consiste que dans la
décomposition continuelle, ou dans la régression même, qui rend d’abord réelle la série.»
REFORMULATION. Il est nécessaire de distinguer, lorsqu’on examine le contenu de l’intuition donnée, entre
• la «série entière de la division […] successivement infinie» est potentielle ou virtuelle; et les
membres (parties) auxquels la régression arriverait (si elle allait à l’infini) ne peuvent être contenus
dans l’intuition qu’à titre d’agrégats et non à titre de parties séparées les unes des autres; ce sont des
parties non déterminées.
• la série réelle de la division, celle donnée par la régression effectuée, fournit des parties déterminées
mais comme elle ne peut pas se poursuivre à l’infini, elle «ne peut présenter une multitude infinie
[de parties] et une synthèse de cette multitude en un tout.» (CRPu, Bar 433.1.3f)
C’est seulement la série réelle — entendons ‘celle qui a été réalisée’ — qui peut être contenue (donnée)
dans l’intuition.
Commentaire sur la remarque 433.4-434.1. Ma reformulation de la thèse de cette remarque: La
différence qu’une impression superficielle nous suggère entre la divisibilité de l’espace et celle d’un
corps occupant l’espace est illusoire.
1. Énoncé de la présumée différence qui pourrait poser un problème. La décomposition de
l’espace ne peut pas exclure la composition (de ce qu’on a déjà obtenu par décomposition),
puisque l’espace cesserait si on faisait cette exclusion. En revanche, la décomposition du corps
143
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semble différente en ceci: si on exclut la composition, il reste, semble-t-il, quelque chose car, sinon,
le corps ne s’accorderait pas avec le concept d’une substance «laquelle devrait […] subsister dans
ses éléments, encore qu’eût disparu l’union de ces éléments dans l’espace, union par laquelle ils
forment un corps.» (CRPu, Bar 434.1.5-8)
2. Solution. Nous nous trompons si nous pensons que quelque chose d’inconditionné est donné à
l’intuition grâce à la représentation de la substance d’un corps. «il n’en est pas de ce qui s’appelle
substance dans le phénomène comme de ce que l’on penserait d’une chose en soi au moyen d’un
concept pur de l’entendement. Cette substance n’est pas un sujet absolu, mais une image
permanente de la sensibilité; elle n’est qu’une intuition dans laquelle ne se trouve rien
d’inconditionné.» (CRPu, Bar 434.1.7f)
Concernant l’argument 2.
Quand on conçoit un tout comme organisé, on conçoit ses parties comme déterminées.
Quand on conçoit un tout organisé comme ayant des structures à chaque niveau de régression, et ce à l’infini
<bei einem ins Unendliche gegliederten organischen Körper>, on prétend penser à la fois que des parties sont
déterminées et sont en nombre infini; or, ce concept est contradictoire:
– d’une part, «ce développement infini est considéré comme une série qui n’est jamais complète (infinie)
– [d’autre part] il est cependant regardé comme complet dans une synthèse.» (CRPu, Bar 434.2.m5-2)
L’incomplétude de la série régressive découle nécessairement de son caractère infini, selon la thèse déjà contenue
dans l’argument 1; et la détermination des parties dans une synthèse découle du caractère structuré, par hypothèse,
de chacune des parties obtenues par subdivision, au cours de la régression.
Si donc un tout est conçu comme quantum discretum, la division de ses parties ne peut pas à la fois procéder à
l’infini ET donner, à chaque nouvelle division, encore un tout discret, organisé ou articulé <gegliedert>. Dans ce cas
– «la multitude des unités y est déterminée;
– elle est donc toujours égale à un nombre.
– seule l’expérience, donc, peut décider jusqu’où l’organisation peut aller» (CRPu, Bar 435.1.4-7).
Il semble clair qu’on doit faire une différence entre divisible et structuré (ou organisé). Y a-t-il lieu
de faire également une différence entre composé <zusammengesetzt> et structuré <gegliedert,
organisiert, organisch>? Et qu’en est-il du rapport entre divisible et composé : est-il possible que le
simple (en tant que non-composé) soit néanmoins divisible (en tant qu’occupant l’espace, lequel
est a priori infiniment divisible)? En tout cas l’idée que le simple soit divisible ne me semble pas
entrer en contradiction avec la manière dont la divisibilité est expliquée dans le passage suivant:
«La division infinie ne désigne le phénomène que comme quantum continuum, et elle est
inséparable de l’idée de quelque chose qui remplit l’espace, puisque c’est dans cette idée qu’est le
principe de la divisibilité infinie.» (CRPu, Bar 434.2.m2-435.1.2)
Concernant le rapport entre les arguments et les propositions de l’antinomie, du point de vue de la réfutation.
Reste la question de savoir comment les arguments sont reliés à la réfutation des propositions
antinomiques; est-ce que le premier argument invalide la thèse, et le second l’antithèse? ou sontce plutôt les deux arguments pris conjointement qui empêchent le rapport antithétique de se
former?
Est-ce que l’affirmation de la divisibilité à l’infini, pour tout corps étendu, suffit à invalider
l’affirmation du simple? (est-ce seulement le caractère universel de l’affirmation du simple qui est
nié?) Est-ce que l’argument concernant les corps organisés s’adresse seulement à l’antithèse?
Est-ce que la contradiction mentionnée par l’argument 2 est présente dans l’antithèse ou sa
démonstration?
Pour les corps considérés «simplement comme remplissant l’espace», la détermination du nombre des
parties dépend du progrès de la division indépendamment du fait que le corps, en tant qu’étendu, soit divisible à
l’infini. Le principe de la raison qui s’applique ici, et qui est transcendantal, est le suivant: ne «tenir jamais pour
absolument complète la régression empirique dans la décomposition de ce qui est étendu» (CRPu, Bar 435.1.3f). Ce
144
T H È M E # 9. L A D I A L E C T I Q U E — II . LE S A N T I N O M I E S.
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qui suffit à nous empêcher d’affirmer toute proposition qui suppose une régression complète, aussi bien une
proposition voulant que la régression complète révèle toujours le simple et ne procède jamais à l’infini (proposition
telle que la thèse de la deuxième antinomie: il n’existe que du simple et du composé du simple), qu’une proposition
voulant que la régression complète révèle une infinité de la composition (proposition telle que l’antithèse de la
deuxième antinomie: il n’existe pas de simple)
Pour les corps considérés comme organisés, la détermination du nombre des parties est renvoyée à
l’expérience; ce qui nous empêche d’affirmer universellement et a priori aussi bien la proposition voulant que les
parties soient en nombre fini (proposition telle que la thèse de la deuxième antinomie) que la proposition voulant
que les parties soient en nombre infini (proposition telle que l’antithèse de la deuxième antinomie).
AUTRE FORMULATION
On ne peut conclure à l’existence de l’objet simple, car il est illégitime de supposer que la régression est à la
fois complète et finie; il existe au moins un sens dans lequel la division régressive est toujours infinie et, donc,
incomplète: c’est quant le phénomène est conçu comme remplissant l’espace.
On ne peut conclure à la non-existence du simple, car il est illégitime de supposer une infinité de parties
organisées (et donc d’exclure l’occurrence de parties inorganiques, lesquelles seraient simples au sens de nonorganisées <nicht gegliedert> ) avant que ne soit effectuée la régression empirique qui donne les parties dans
l’intuition.
III.
SOLUTION DES IDÉES COSMOLOGIQUES DE LA TOTALITÉ DE LA DÉRIVATION QUI FAIT SORTIR LES
ÉVÉNEMENTS DU MONDE DE LEURS CAUSES. [CRPu, Bar 437.3-452.2]
La troisième antinomie met en présence des assertions qui se prononcent sur la question de la causalité libre
ou de la liberté. La thèse affirme «La causalité déterminée par les lois de la nature n’est pas la seule d’où puissent
être dérivés tous les phénomènes du monde. Il est nécessaire d’admettre aussi, pour les expliquer, une causalité
libre.» L’antithèse, de son côté, affirme qu’«il n’y a pas de liberté» et que «tout dans le monde arrive suivant des
lois naturelles.» (CRPu, Bar 386.a.1 et b.1).
La solution de la troisième antinomie réside dans la fameuse doctrine kantienne de la double causalité. Les
deux premiers paragraphes l’énoncent déjà dans ses termes généraux:
On ne peut concevoir relativement à ce qui arrive que deux espèces de causalité: l’une suivant
la nature, l’autre / par la liberté. La première est la liaison dans le monde sensible d’un état avec le
précédent, auquel il succède d’après une règle. Or, comme la causalité des phénomènes repose sur
des conditions de temps, et que l’état précédent, s’il eût toujours été, n’aurait pas produit un effet qui
se montre pour la première fois dans le temps, la causalité de la cause de ce qui arrive ou commence,
a commencé aussi, et à son tour, d’après le principe de l’entendement, a besoin elle-même d’une
cause.
J’entends au contraire par liberté, dans le sens cosmologique, la faculté de commencer par
soi-même un état dont la causalité ne rentre pas à son tour, suivant la loi naturelle, sous une autre
cause qui la détermine dans le temps. La liberté est en ce sens une idée transcendantale pure, qui
d’abord ne contient rien d’emprunté à l’expérience, et dont ensuite l’objet ne peut même être donné
et déterminé dans aucune expérience, parce que c’est une loi générale, même pour la possibilité de
toute expérience, que tout ce qui arrive doit avoir une cause, et que par conséquent la causalité des
causes qui elles-mêmes arrivent ou commencent d’être, doit aussi à son tour avoir sa cause; ce qui
transforme tout le champ de l’expérience, aussi loin qu’il peut s’étendre, en un champ de pure
nature. Mais, comme de cette manière on ne saurait arriver dans la relation causale à aucune totalité
absolue des conditions, la raison se crée l’idée d’une spontanéité qui peut commencer d’elle-même à
agir, sans qu’une autre cause ait dû précéder pour la déterminer à l’action suivant la loi de la liaison
causale.
(CRPu, Bar 437.f.1-438.2.f)
145
T H È M E # 9. L A D I A L E C T I Q U E — II . LE S A N T I N O M I E S.
_____________________________________________________________________________________________
L’argumentation en faveur de cette solution commence par une question à propos de la proposition «tout effet
dans le monde doit résulter ou de la nature ou de la liberté». Kant demande si cette proposition est «rigoureusement
disjonctive» et, jugeant que non, va plutôt estimer que les deux membres de cette alternative «peuvent se trouver
ensemble, mais en des sens différents, dans un seul et même événement» (CRPu, Bar 440.1.4-8). Sans reconstituer
l’argumentation dans le détail de sa forme, nous pouvons dégager les thèses suivantes qui, ensemble, constituent la
solution du troisième conflit de la raison pure avec elle-même:
–
Puisque les phénomènes sont «de simples représentations qui s’enchaînent suivant des lois empiriques, ils
doivent avoir eux-mêmes des causes qui ne sont pas des phénomènes» (440.1.m18-16). (PRINCIPE DU
FONDEMENT TRANSCENDANTAL DES PHÉNOMÈNES EN GÉNÉRAL.)
–
«une cause intelligible de ce genre n’est point déterminée relativement à sa causalité par des phénomènes»
(440.1.m16-14); «Elle est ainsi avec sa causalité <samt ihrer Kausalität> en dehors de la série, tandis que ses
effets sont dans la série des conditions empiriques.» (m12-10) Attention: cette phrase doit s’interpréter en
tenant compte du fait que le sujet doté d’un tel pouvoir causal est bien «un sujet du monde sensible»
(441.2.m10) et du contraste qu’établira Kant entre ce sujet du monde sensible et l’être nécessaire apparaissant
dans la solution de la quatrième antinomie. «Cette manière [celle qui postule un être nécessaire, en réponse à
la quatrième antinomie] de donner pour principe aux phénomènes une existence inconditionnée se
distinguerait donc de la causalité empiriquement inconditionnée (de la liberté) dont il était question dans
l’article précédent, en ce que dans la liberté la chose elle-même <das Ding selbst> faisait partie, comme cause
(substantia phaenomenon), de la série des conditions et que sa causalité seule était conçue comme
intelligible, tandis qu’ici l’être néces-/saire devrait être conçu tout à fait en dehors de la série du monde
sensible (comme ens extramundanum) et d’une manière purement intelligible […] » CRPu, Bar 453.f.m8454.1.3) Ainsi la chose-cause-libre est en dehors de la série des conditions empiriques mais n’est pas en
dehors de la série des conditions en général.
–
donc, l’effet peut être considéré comme «libre, par rapport à sa cause intelligible, et en même temps, par
rapport aux phénomènes, comme une conséquence de ces phénomènes suivant la nécessité de la nature.»
(440.1.m9-6) (THÈSE DE LA CO -POSSIBILITÉ DES CARACTÈRES LIBRE ET NÉCESSAIRE POUR UN EFFET
DONNÉ.)
–
Il est possible, pour un sujet, de posséder un pouvoir causal à caractère intelligible quant à son action et un
pouvoir causal à caractère empirique, ou sensible, quant à son effet. (441.2.7-10) (THÈSE DE LA COPOSSIBILITÉ DES CARACTÈRES INTELLIGIBLE ET SENSIBLE POUR UN SUJET DONNÉ POSSÉDANT UN
POUVOIR CAUSAL.)
IV.
SOLUTION DE L’IDÉE COSMOLOGIQUE DE LA TOTALITÉ DE LA DÉPENDANCE DES PHÉNOMÈNES
QUANT À LEUR EXISTENCE EN GÉNÉRAL. [CRPu, Bar 452.3-457.1]
Traduction de CRPu, Bar 454.3.m4-2.
Barni dit: «Un être intelligible de ce genre, un être absolument nécessaire fût-il impossible en soi,
c’est du moins ce que l’on ne saurait conclure de la contingence universelle […] »
Je propose: «Aussi impossible que puisse être un tel être intelligible <Verstandeswesen> absolument nécessaire, cette impossibilité ne saurait être conclue de la contingence universelle […] ».
5.4.3
L’Appendice à la Dialectique transcendantale
Le plus grand usage empirique possible de ma raison
– faire de cet être suprême «un schème du principe régulateur du plus grand usage empirique possible de
ma raison» (CRPu, Bar 524.1.3f)
L’unité du système; le caractère systématique de la connaissance
– «L’unité rationnelle est l’unité du système, et cette unité systématique n’a pas pour la raison l’utilité
objective d’un principe qui l’étendrait sur les objets, mais l’utilité subjective d’une maxime qui
l’applique à toute connaissance empirique possible des objets.» (CRPu, Bar 525.2.11-15)
146
T H È M E # 9. L A D I A L E C T I Q U E — II . LE S A N T I N O M I E S.
_____________________________________________________________________________________________
–
–
réinterprétation de l’idée du sujet pensant selon sa fonction de principe régulateur: 526.3; 526.3.m10527.1.4
passage à l’idée d’«unité finale» (CRPu, Bar 529.2.2) comme «unité formelle suprême»: [529.2-530.1] et
[531.1.19-f] «Le principe de l’unité finale peut toujours étendre l’usage de la raison par rapport à
l’expérience, sans lui faire tort en aucun cas.» (CRPu, Bar 531.1.3f)
147
K
<> T h è m e # 1 0
<>
K
6 . L a Cr i t i q u e de la ra i s o n
pratique
6.
La Critique de la raison pratique.............................................................................................145
6.1
De la Critique de la raison pure à la Critique de la raison pratique...........................................145
6.1.1
De la pensée objective à la pensée subjective..............................................................145
6.1.2
Du problème (cosmologique) de la possibilité d’une cause inconditionnée au problème
(pratique) de la détermination de la volonté.................................................................146
6.2
La question de la cohérence et de la compatibilité................................................................148
6.3
Les thèses de la philosophie pratique de Kant.....................................................................148
6.1
6.1.1
De la Critique de la raison pure à la Critique de la raison pratique
De la pensée objective à la pensée subjective
L’articulation principale entre la Critique de la raison pure (désignée par «CRPu» ci-après) et la Critique de
la raison pratique (désignée «CRPa» ci-après) est celle que fait Kant entre l’usage spéculatif de la raison et son
usage pratique. (Cette articulation doit être distinguée soigneusement de celle entre «usage empirique» et «usage
pur» de la raison, dont on trouve un exemple en CRPu, Bar 455.3, à la fin du chap. II de la Dialectique.) En son
usage spéculatif, la raison est impliquée dans les processus de production de la connaissance et son principal rôle est
de fournir des principes à l’entendement; en son usage pratique, la raison est impliquée dans les processus de
production de la moralité, et plus généralement dans les processus qui déterminent les actions humaines.
C’est la même articulation que l’on décrit en opposant la pensée objective à la pensée subjective, le savoir à
la croyance.
Dans ce monde de choses effectivement présentes indépendamment de mes actes, mais qui ne
deviennent objets de perception et de conception qu’en fonction de mes facultés sensibles et
intellectuelles, je ne peux m’empêcher de penser ce qu’elles pourraient, ce qu’elles devraient être en
soi: tel est le champ de la croyance à laquelle le savoir / doit laisser sa place; en effet, selon la
Critique de la raison pure, l’obligation de reconnaître l’existence de la chose en soi suffit pour
fonder la légitimité de cette pensée subjective, privée de toute connaissance objective sur la chose en
soi, qu’on appelle la foi: la doctrine reste vague, la place est vide, mais elle est ouverte, notamment
dans la préface de la seconde édition; il faudra la Critique de la raison pratique, qui nous engagera
dans l’être et non dans la simple connaissance de l’être, pour fonder une doctrine plus ferme de la
croyance portant sur la nature de l’être en dehors des limites de l’expérience possible : ce ne sera pas
l’extension d’un savoir objectif, mais la motivation renforcée d’une confiance subjective utile pour
l’accomplissement du devoir.
(ROUSSET, Bernard. «Présentation», CRPu, Bar, édition de 1976, p. 17-18)
149
Pour connaître la manière dont Kant traite lui-même les rapports entre les principes de la raison pure pratique
et ceux de la raison pure théorique, dans le contexte d’une préoccupation pour la connaissance <Erkenntnis> et en
des termes relativement non techniques, on se référera utilement
– à la Préface de la seconde édition de CRPu. La majeure partie (CRPu, Bar 43.1-51.1) de cette préface est
consacrée par Kant justement à mettre en perspective les enjeux respectifs de l’une et l’autre Critique. La
préoccupation dominante du préfacier est d’assurer son lecteur que les résultats négatifs de CRPu, eu égard
aux limites des facultés de connaissance, loin d’entraîner un désavantage pour la morale et pour la
philosophie qui réfléchit à l’usage pratique de la raison pure, ont «une utilité positive de la plus haute
importance». La thèse principale affirme que CRPu, en limitant la raison dans son usage spéculatif (et en
distinguant finement ce qui relève de cet usage et ce qui relève de l’usage pratique) «supprim[e] du même
coup l’obstacle qui […] limite l’usage pratique [de la raison], ou menace même de l’anéantir» (CRPu, Bar
46.1.15-17), cet obstacle étant justement de tout faire rentrer dans les limites de la sensibilité; la CRPu a
[…] une utilité positive de la plus haute importance. [On le reconnaîtra] dès qu’on sera convaincu
que la raison pure a un usage pratique absolument nécessaire (l’usage moral), ou elle s’étend
inévitablement au-delà des bornes de la sensibilité: car si elle n’a besoin pour cela d’aucun secours
de la raison spéculative, elle veut pourtant être assurée contre toute opposition de sa part, afin de ne
pas tomber en contradiction avec elle-même. Nier que la critique, en nous rendant ce service, ait une
utilité positive, reviendrait à dire que la police n’a pas d’utilité positive, parce que sa fonction
consiste uniquement à mettre obstacle à la violence que les citoyens pourraient craindre les uns des
autres, afin que chacun puisse faire ses affaires tranquillement et en sûreté.
(CRPu, Bar 46.1.17-m12)
– à la section VII de la Critique de la raison pratique intitulée «Comment est-il possible de concevoir une
extension de la raison pure, au point de vue pratique, qui ne soit pas accompagnée d’une extension de sa
connaissance, comme raison spéculative?» (CRPa, Pic 143-151) Cette section fait partie de la Dialectique de
la raison pure pratique.
6.1.2
Du problème (cosmologique) de la possibilité d’une cause inconditionnée au
problème (pratique) de la détermination de la volonté
L’articulation précédente est cependant bien générale et on peut lui donner beaucoup plus de contenu en
spécifiant quel concept fait le pont entre la problématique de CRPu et celle de CRPa. Ce concept est très exactement
celui de la cause intelligible, en tant qu’elle est libre; c’est, pour le dire dans un langage moins technique, l’idée de
liberté. C’est dans la solution de la troisième antinomie — CRPu, §9 III de l’Antithétique de la raison pure — que
se trouvent les thèses et concepts qui conduisent au seuil de CRPa et constituent le passage le plus harmonieux,
conceptuellement, de la problématique de la première critique à celle de la deuxième. (La doctrine de la double
causalité est d’ailleurs rappelée de façon succincte dans la Préface à la seconde édition de CRPu.)
Rappelons les trois thèses qui fournissent la solution de la troisième antinomie (voir §5.4.2 ci-dessus, dans le
fascicule «Thème 9. La Dialectique transcendantale II. Les antinomies.»):
1. Le principe du fondement transcendantal des phénomènes en général.
2. La thèse de la co-possibilité des caractères libre et nécessaire pour un effet donné.
3. La thèse de la co-possibilité des caractères intelligible et sensible pour un sujet donné possédant un
pouvoir causal.
Il conviendrait d’ajouter à ces trois thèses la suivante, à seule fin d’introduire dans la cause intelligible
jusqu’ici conçue comme «chose en soi» ou comme «sujet sensible du monde» une entité de type représentationnel, à
savoir les principes purs de l’entendement.
Parmi les causes naturelles il en est aussi qui ont un pouvoir purement intelligible, en ce sens que ce
qui détermine ce / pouvoir à l’action ne repose jamais sur des conditions empiriques, mais sur de
purs principes de l’entendement, de telle sorte cependant que l’action phénoménale de cette cause
est conforme à toute les lois de la causalité empirique.[…] de cette manière, le sujet agissant, comme
causa phænomenon, [est] enchaîné à la nature, dans tous ses actes, par un lien indissoluble; seul le
150
phænomenon de ce sujet (avec toute sa causalité dans le phénomène) [contient] certaines conditions
qui, si l’on voulait remonter de l’objet empirique à l’objet transcendantal, devraient être considérées
comme purement intelligibles. (THÈSE DE LA DÉTERMINATION DE L ’ACTION LIBRE PAR DES
PRINCIPES DE L’ENTENDEMENT.)
(CRPu, Bar 444.f.m2-445.1.11)
Commentaire. L’exégèse de ce passage est incertaine. Pourrait-on le reformuler en remplaçant
«principes de l’entendement» par «principes de la raison»? Et comment doit-on interpréter l’adjectif
«naturelles» dans l’expression «causes naturelles»? Est-ce que l’opposition entre nature et liberté
continue de valoir ici? Noter que CFJ affirme dès son troisième paragraphe que la volonté «comme
faculté de désirer, est en effet une d’entre les multiples causes naturelles dans le monde, à savoir
celle qui / agit d’après des concepts» (CFJ, Pko 21.3.1-22.1.1).
Les thèses précédentes contiennent tous les concepts qui permettent de passer à la problématique de CRPa, à
savoir celle de la détermination de la volonté. Kant va effectuer lui-même ce passage à l’endroit précis où il écrit:
Appliquons cela à l’expérience. L’homme est un des phénomènes du monde sensible, et à ce titre il
est aussi une des causes naturelles dont la causalité doit être soumise à des lois empiriques. […]
Mais l’homme […] est aussi par un autre [côté], c’est-à-dire relativement à certaines facultés, un
objet purement intelligible, puisque son action ne peut être attribuée à la réceptivité de la sensibilité.
Ces facultés, nous / les appelons entendement et raison […].
CRPu, Bar 445.f.m18-446.1.1)
Le propos de Kant n’est pas de prouver que l’homme est libre, ni même de montrer que la liberté est possible
(ces précautions oratoires se trouvent dans le tout dernier paragraphe de §9 III), mais bien de montrer que la nature
n’est pas en contradiction avec la causalité libre, même dans le contexte particulier où, élargissant les considérations
cosmologiques, nous parlons des deux types de déterminations qui influent sur les actions humaines: les impératifs
associés au devoir et les causes déterminantes de type empirique («conditions naturelles», «mobiles sensibles»,
«circonstances occasionnelles»…). Plus spécifiquement, Kant explicite les quelques relations par lesquelles nous
nous représentons la causalité de la raison, considérée comme «faculté active». Il attribue à la raison les caractères
empirique et intelligible qu’il a précédemment distingués dans la solution de la troisième antinomie (et qu’il
attribuait alors, de façon très générale à un «sujet du monde sensible» ou, plus abstraitement, à une «chose»
possédant un pouvoir causal) et oppose les uns aux autres des traits de la causalité empirique et des traits de la
causalité intelligible; et l’on voit apparaître au nombre de ces derniers:
– un pur concept — c’est le devoir — servant de principe à une action possible (CRPu, Bar 446.3.1-2).
– l’idée que la raison «se crée avec une parfaite spontanéité un ordre propre suivant des idées auxquelles
elle adapte les conditions empiriques et d’après lesquelles elle tient pour nécessaires des actions qui ne
sont pas arrivées et qui peut-être n’arriveront pas, mais sur lesquelles elle suppose néanmoins qu’elle
peut avoir de la causalité» (CRPu, Bar 446.f.6f). [Ce qui laisse penser que les idées peuvent exercer le
pouvoir causal, à l’égard de l’action.]
– «la raison n’étant pas elle-même un phénomène et n’étant nullement soumise aux conditions de la
sensibilité, il n’y a en elle, même relativement à sa causalité, aucune succession, et par conséquent la loi
dynamique de la nature, qui détermine la succession suivant des règles, ne peut s’y appliquer.» (CRPu,
Bar 449.2.6f)
– le caractère empirique d’un acte volontaire humain n’est que le schème sensible du caractère intelligible
de cet acte (CRPu, Bar 449.3.2-6).
En tout ceci Kant s’en tient d’assez près à la liberté en son sens cosmologique nommément attribuée à la
raison:
«[…] si la raison peut avoir de la causalité par rapport aux phénomènes, c’est qu’elle est une faculté
par laquelle commence véritablement la condition sensible d’une série empirique d’effets. Car la
condition qui réside dans la raison n’est pas sensible, et par conséquent ne commence pas ellemême. Nous trouvons donc ici ce que nous cherchions en vain dans toutes les séries empiriques :
151
une condition d’une série d’événements successifs qui est elle-même empiriquement
inconditionnée.» (CRPu, Bar 448.2.m9-449.1.1)
Mais en montrant que cette conception de la liberté fait partie de la justification qu’on peut donner du jugement
d’imputabilité (par exemple, on blâme l’auteur d’un mensonge méchant), Kant amène la réflexion au seuil des
questions qui vont faire l’objet de CRPa:
– Quels principes intelligibles, issus de la raison pure, peuvent servir de fondement et de critère au
caractère moral des actions?
– Quelles conditions de l’action (humaine) vont concerner «la détermination de la volonté elle-même»
(CRPu, Bar 446.3.6-7)?
6.2
La question de la cohérence et de la compatibilité
La structure d’ensemble de la Critique de la raison pratique
Globalement, la structure des deux Critiques est isomorphe sur deux des plus hauts niveaux d’articulation.
C r i t i q u e de l a r a i s o n pu r e
Théorie des éléments
Esthétique transcendantale
Logique transcendantale
Analytique transcendantale
Analytique des concepts
Analytique des principes
Dialectique transcendantale
Des concepts de la raison pure
Des raisonnements dialectiques
Méthodologie transcendantale
C r i t i q u e de l a r a i s o n pr a t i q u e
Doctrine élémentaire de la raison pure pratique
L’analytique de la raison pure pratique
Des principes de la raison pure pratique
Du concept d’un objet de la raison pure pratique
Des mobiles de la raison pure pratique
Dialectique de la raison pure pratique
D’une dialectique de la raison pure pratique en général
De la dialectique de la raison pure dans la détermination du
concept du souverain bien
Méthodologie de la raison pure pratique
«Si maintenant nous comparons à cette analytique <damit> la partie analytique de la Critique de la
raison pure spéculative, un merveilleux contraste nous apparaît entre l’une et l’autre.» (CRPa, Pic
42.2) et pages suiv.
La compatibilité des thèses
La note 3 (p. 178-181) de CRPa, Pic consiste en une compilation de passages extraits des deux Critiques,
passages qui concernent les rapports entre les deux Critiques.
6.3
Les thèses de la philosophie pratique de Kant
On trouve un résumé succinct des «positions pratiques» de Kant dans la fiche 9 (p. 79-84) de BAy, FÉK.
152
K
<> T h è m e # 1 1
<>
K
7.
L e cr i t i c i s m e :
u n e re c o n s t i t u t i o n d’ a p r è s
l a C r i t i q u e de la fa c u l t é de ju g e r
7.
Le criticisme : une reconstitution d’après la Critique de la faculté de juger
.....................................149
7.1
La position du problème................................................................................................149
7.1.1
Les trois principes de classement et leurs typologies respectives.....................................150
7.1.2
Le problème de l’articulation des typologies. La matrice C-P-D ¥ E-J-R («matrice des 6
facultés»).............................................................................................................156
7.2
Les clés de la théorie des facultés contenues dans la Critique de la faculté de juger......................165
7.2.1
La problématique propre à la Critique de la faculté de juger............................................165
7.2.2
La conceptualité de la Critique de la faculté de juger.....................................................169
7.2.3
Les explananda (états de choses à décrire) et les explicanda (concepts à clarifier) eu égard aux
plans d’activité C-P-D............................................................................................177
7.3
Les registres de lecture de la matrice des 6 facultés...............................................................179
7.3.1
Registre 1. Le registre des représentations. Les facultés comme sources ou sièges de
représentations......................................................................................................181
7.3.2
Registre 2. Le registre des processus.........................................................................193
7.4
8.
7.1
La question de l’unité de la Critique de la faculté de juger......................................................205
Le criticisme interprété selon la perspective des abîmes de l’esprit................................................206
La position du problème
Dans l’Introduction à la Critique de la faculté de juger, Kant déclare :
Or, entre la faculté de connaître et la faculté de désirer se trouve compris le sentiment de plaisir, tout
de même que la faculté du juger est comprise entre l’entendement et la raison.
(CFJ, Pko 27.1.10-12)
Dans la présente section §7.1, je me propose d’expliquer cette phrase et de lui donner une interprétation qui fasse
ressortir comment les relations entre les facultés peuvent à elles seules donner à voir l’architectonique de la raison
pure dans toute sa momumentalité.
Pour montrer le caractère systématique de la critique kantienne, je vais d’abord montrer les typologies selon
lesquelles Kant distingue et ordonne les facultés, puis expliciter le réseau des relations qui s’établissent entre ces
facultés à l’occasion des divers processus cognitifs auxquels elles participent. La description de ce système de
rapports et de processus me donnera l’occasion de préciser
153
–
–
7.1.1
les concepts et principes que les facultés possèdent, contiennent, produisent ou appliquent dans l’accomplissement des diverses tâches qui les caractérisent comme agents — une Vermögen étant précisément
cela: une capacité de réaliser certaines actions; et aussi les concepts et principes qui servent de fondement
à une faculté ou son produit, bien qu’ils puissent résider en une autre faculté.
le découpage de la philosophie pure qui résulte des thèses kantiennes, selon Kant lui-même. Je ferai
ressortir les appellations des éléments ainsi découpés: les positions et hypothèses théoriques de même
que les parties de la philosophie pure.
Les trois principes de classement et leurs typologies respectives
Note liminaire: J’ai emprunté à La Philosophie critique de Kant de Gilles Deleuze la manière de distinguer les trois
principes de classement des facultés. À partir de là, j’ai élaboré mes notions de typologie, de matrice C - P - D × E - J R et de registre de lecture (de ladite matrice).
Il existe trois principes de classement des facultés :
– selon la nature du rapport que l’esprit, dans ses fonctions de représentation en général, entretient
avec son milieu (externe ou interne), dans le contexte général de son activité: la pensée. En
m’exprimant ainsi, j’utilise l’idée que Deleuze exprimait dans le passage suivant:
Toute représentation est en rapport avec quelque chose d’autre, objet et sujet. Nous distinguons
autant de facultés de l’esprit qu’il y a de types de rapports.
(Del, PCK 8.2)
– selon la nature de ce que produit ou contient l’esprit au cours des opérations par lesquelles il exerce
ses pouvoirs. Les contenus ou produits de l’esprit sont regroupés par Deleuze initialement sous la notion
«vague» (comme il dit) de représentation:
[…] faculté désigne une source spécifique de représentations. On distinguera donc autant de
facultés qu’il y a d’espèces de représenta/tions. […]
Toutefois la notion de représentation, telle que nous l’avons employée jusqu’à maintenant, reste
vague. D’une manière plus précise, nous devons distinguer la représentation et ce qui se
présente.
(Del, PCK 13-14)
À cette distinction (la première introduite pour préciser la notion de représentation), va correspondre une
distinction entre facultés: «Ce qui compte dans la représentation, c’est le préfixe : re-présentation
implique une reprise active de ce qui se présente, donc une activité et une unité qui se distinguent de la
passivité et de la diversité propres à la sensibilité comme telle.» (Ibid. 15.1) (Commentaire sur le texte de
Deleuze: les idées d’activité et d’unité sont kantiennes à souhait, mais la manière très française de les
amener à partir de la morphologie du mot français «représentation» n’est peut-être pas aussi kantienne,
car le préfixe impliqué dans le terme allemand «Vorstellung» ne connote pas l’idée de reprise active
connotée par le préfixe «re».)
– selon la fonction législatrice qui préside à la construction des rapports de l’esprit avec son milieu
(externe ou interne). Kant, dans l’introduction à la Critique de la faculté de juger, pose le premier
principe de classement (celui selon les types de rapports) et se préoccupe cette fois de la question de
savoir quelle faculté remplit la fonction législatrice eu égard à ce que l’esprit doit produire lorsqu’il
établit chacun des trois types de rapport; la liste des trois facultés législatrices ainsi obtenue constitue le
troisième classement.
Les principes de classement suggèrent des typologies; on obtient une typologie lorsqu’on choisit un principe
de classement et qu’on l’applique à une multiplicité pertinente. Dans notre cas, il s’agit d’appliquer les principes aux
pouvoirs de l’esprit ou de l’âme.
154
A. Le classement des facultés selon le principe des types de rapports
Le classement selon ce principe fournit la typologie
C - P- D
Cette typologie est celle que j’ai mentionnée dans le cours d’ouverture (thème # 1) pour faire comprendre,
dans le contexte d’une première approche, le lien qu’on peut faire entre les titres des trois Critiques. Rappelons-la:
– C: faculté(s) de connaître <Erkenntnisvermögen>; l’esprit est en rapport avec des objets et s’intéresse à
la conformité de ses représentations avec les objets: rapport de conformité. Eu égard aux facultés de
connaître, l’intérêt de la raison est spéculatif.
– P: sentiment de plaisir et de peine <Gefühl der Lust und Unlust>; l’esprit est en rapport avec lui-même à
l’occasion d’une représentation ou d’un processus de représentation. «La représentation est en rapport
avec le sujet, pour autant qu’elle a sur lui un effet, pour autant qu’elle l’affecte en intensifiant ou en
entravant sa force vitale.» (Del, PCK 8.2) Je ne sais pas si le vocabulaire kantien contient une appellation
canonique pour désigner ce rapport que je prendrai la liberté d’appeler «rapport d’attitude», étant
entendu que l’attitude d’un être humain à l’égard de quelque chose est une disposition subjective; Kant
utilise d’ailleurs l’expression «disposition subjective de l’âme <subjektive Gemütsstimmung> » (CFJ,
Pko 146.3.m3-2) Autre formulation possible: «rapport d’implication personnelle».
– D: faculté de désirer <Begehrungsvermögen>; celle-ci est la «faculté d’être par ses représentations cause
de la réalité des objets de ces représentations» (CFJ, Pko 26n1; Intro, §III); l’esprit s’intéresse au rapport
entre la volonté, considérée comme pouvoir de déterminer l’action, et les états de choses (du monde)
susceptibles de réaliser des fins morales, donc au rapport de causalité.
Kant reprendra plusieurs fois cette typologie:
toutes les facultés ou tous les pouvoirs de l’âme peuvent se ramener à ces trois, qu’on ne peut plus
déduire d’un principe commun: la faculté de connaître, le sentiment de plaisir et de peine, et la
faculté de désirer.
(CFJ, Pko 26.3)
Cette énumération est aussi celle qui sert de fil directeur aux trois livres de la «Didactique anthropologique» dans
Anthropologie du point de vue pragmatique (1798) — je reproduis dans l’Appendice 5 le classement des facultés
utilisé dans l’Anthropologie. Bien que le passage suivant n’ait pas subsisté dans le livre publié, il décrit bien les
rapports que Kant établit entre les facultés:
L’esprit <Gemüt> (animus) de l’homme, en tant que c o n c e p t <I n b e g r i f f > [Verneaux:
“ensemble”] de toutes les représentations qui ont lieu en lui a un domaine <Umfang> (sphaera) qui
comprend trois secteurs <Grundstücke> : la faculté de connaître, le sentiment de plaisir et de
déplaisir, et la faculté de désirer, dont chacun se subdivise selon le champ de la sensibilité et celui de
l’intellectualité (celui de la connaissance sensible ou intellectuelle, de plaisir ou de déplaisir, du
désir ou de l’aversion).
(AP, Fou 173.4)
Il s’agit de la fin d’un passage qui n’apparaît pas dans les éditions publiées par Kant, ce dernier l’ayant lui-même
biffé dans le manuscrit de Rostock 1796-97; ce manuscrit est réputé avoir servi à établir le Druckmanuscript final de
l’édition de 1798, la première; le passage entier est à insérer à la page 27, à la fin de la section §7; le paragraphe cité
ici est conçu comme début de la section §8, laquelle avait pour titre, dans le manuscrit, «Vom [sic] dem Felde der
Sinnlichkeit in Verhältnis zum Felde des Verstandes»).
La graphie donnée par l’édition Weischedel, pour la dernière partie de la phrase est la suivante:
«deren jedes in zwei Abteilungen dem Felde der S i n n l i c h k e i t und der
I n t e l l e k t u a l i t ä t zerfällt. (dem der sinnlichen oder intellektuellen Erkenntnis, Lust oder
Unlust, und des Begehrens oder Verabscheuens).» (ApH, Wei 429n, in fine). À l’intérieur de la
parenthèse, on doit comprendre que les deux adjectifs qualifient les cinq substantifs. Le statut du
155
passage entre parenthèses n’est pas clair; ce passage est bel et bien précédé d’un point et
commence avec une minuscule; il semble s’agir d’une autre formulation de l’idée immédiatement
précédente, comme si Kant avait envisagé l’une et l’autre formulations; il ne faut pas oublier que
les passages ainsi reproduits en note par Weischedel sont, dans l’original, écrits à la main (comme
tout le manuscrit de Rostock) et qu’ils peuvent figurer à titre de formulation de rechange, ou de
note écrite dans la marge; Weischedel indique même les ratures.
Cette idée introduit une subdivision applicable à chacun des éléments de C - P - D , à savoir la subdivision entre le
sensible et l’intellectuel. C’est probablement la même division que Kant exprime ailleurs en parlant d’une faculté
supérieure et d’une faculté inférieure; cette division est le plus souvent appliquée à la faculté de connaître, mais on
voit bien ici qu’elle est tout aussi applicable au sentiment de plaisir et de peine, de même qu’à la faculté de désirer
(positivement ou négativement).
B. Le classement des facultés selon le type de représentations qui leur est associé
Ce principe de classement fournit une typologie maîtresse et quatre variantes. D’abord la typologie
maîtresse :
– S : la sensibilité <Sinnlichkeit>
– E : l’entendement <Verstand>
– R : la raison <Vernunft>.
Selon cette typologie, il y a autant de facultés que d’espèces de représentations; les représentations qui
motivent cette tripartition sont
– les intuitions de la sensibilité.
– les concepts de l’entendement, dans la mesure où la synthèse des intuitions par des concepts constitue le
caractère commun à tous les produits de la pensée.
– les idées de la raison, en tant que sous-classe de concepts (concepts rationnels) résultant d’une synthèse
qui outrepasse les limites de l’expérience possible.
L a ty p o l o g i e
L e s fa c u l t é s
S - E- R
L e s re p r é s e n t a t i o n s
S
la sensibilité <Sinnlichkeit>
les intuitions
E
l’entendement <Verstand> les concepts
R
la raison <Vernunft>
les idées transcendantales
Tableau 11.1 La typologie obtenue en classant les facultés
selon le principe des représentations qui leur sont associées.
La manière dont les représentations sont associées à telle ou telle faculté sera indiquée par Kant au moyen de
divers vocables, selon les contextes; les représentations peuvent être produites par la faculté lors de son usage, ou
contenues en elle (en résidence, pour ainsi dire), ou utilisées comme des outils que la faculté applique pour effectuer
sa tâche. (Je n’ai pas procédé à un relevé systématique des relations que Kant établit et du vocabulaire qu’il utilise
pour les exprimer. Les trois relations que je viens d’énoncer ne constituent donc pas une liste ordonnée et complète.)
Or la sensibilité se divise elle-même en deux, à savoir:
a) les sens <Empfindungsvermögen>, qui constituent l’aspect de pure réceptivité de la sensibilité et dont les
produits sont des sensations;
b) l’imagination <Einbildungskraft>, qui constitue l’aspect actif de la sensibilité et dont les produits sont
les synthèses pré-conceptuelles. C’est à elle que Kant attribue la mise en oeuvre des schèmes de même
que la production des idées esthétiques (j’expliquerai plus avant ci-dessous).
156
Tenant compte de cette division, Kant regroupe parfois les facultés en deux classes:
– la faculté passive, celle dont le pouvoir est la réceptivité.
– les facultés actives, celles qui produisent des synthèses au cours de leur activité: l’imagination,
l’entendement et la raison.
De là, je peux tirer deux variantes de la typologie S - E - R . La variante 1 est la typologie qui fournit les
facultés passives aussi bien que les actives : S - I - E - R . La variante 2 est la typologie des facultés actives : I - E R.
Nous devons distinguer, d’une part, la sensibilité intuitive comme faculté de réception, d’autre
part, les facultés actives comme sources de véritables représentations. Prise dans son activité, la
synthèse renvoie à l’imagination; dans son unité, à l’entendement; dans sa totalité, à la raison.
(Del, PCK 15.2)
Variante 1 de S - E - R — on obtient S s - I - E - R
La typologie
Ss
I
E
R
Les facultés
Les sens
L’imagination
L’entendement
La raison
Les sortes de
représentation
Les sensations
Les synthèses
préconceptuelles; les
schèmes
Les concepts
Les idées
transcendantales
Tableau 11.2 Première variante de la typologie Sensibilité-Entendement-Raison (S - E - R).
Variante 2 de S - E - R — on obtient I - E - R
La même que précédemment, sauf qu’on élimine les sens (Ss) pour ne garder que les facultés actives.
Tout de même que la théorisation des processus qui traitent les intuitions a amené Kant à préciser le rôle de
l’imagination, la théorisation détaillée des processus qui traitent les concepts pour en produire des jugements a
amené Kant à préciser le rôle de la faculté de juger, en tant que ce rôle peut, eu égard à certains jugements, être
distinct du rôle de l’entendement. Alors que dans la Critique de la raison pure l’entendement pouvait, du fait que la
problématique était centrée sur les jugements déterminants, être considéré, à toutes fins pratiques comme un bras
exécutif de la faculté de produire des jugements, à savoir le bras qui fournit les concepts, il devient essentiel, dans le
contexte plus élaboré de la Critique de la faculté de juger, d’insister sur certaines distinctions entre l’entendement et
la faculté de juger, le premier étant alors considéré spécifiquement comme faculté qui impose des conditions
nécessaires à la formation des concepts, tandis que la faculté de juger a désormais des usages spécialisés lui
permettant de produire des jugements dont la caractéristique est justement une certaine façon de se passer des
concepts. Il convient alors de distinguer les facultés selon l’usage qu’elles font des concepts dans la production des
jugements — usage déterminant et usage réfléchissant. Et puisque cette distinction concerne au premier chef la
faculté de juger, il faut pour la clarifier avoir admis préalablement une distinction entre l’entendement et la faculté
de juger.
La typologie possède alors une structure analogue à celle à laquelle la logique générale nous a habitués en
distinguant le traitement des concepts, celui des jugements et celui des raisonnements. Kant introduit cette typologie
dès le début de l’Analytique des principes, se fondant sur l’articulation que fait déjà la logique générale lorsqu’elle
passe de la considération des concepts à celle des jugements.
La logique générale est construite sur un plan qui s’accorde exactement avec la division des
facultés supérieures de la connaissance, qui sont l’ entendement, le jugement et la raison. Cette
science traite donc, dans son analytique, des concepts, des jugements et des raisonnements, suivant
157
les fonctions et l’ordre de ces facultés de l’esprit que l’on comprend sous la dénomination large
d’entendement en général.
(CRPu, Bar 179.1)
À cet endroit, cependant, le premier souci de Kant n’est pas d’entériner un certain classement des facultés; son souci
est plutôt de montrer que la logique transcendantale ne suivra pas la tripartition de la logique générale, puisqu’on
aura besoin d’y distinguer entre analytique et dialectique.
La typologie S -E -R est alors modifiée en ce que le E est remplacé par la paire E-J; ce qui fournit la variante
3 (voir le tableau 11.3). Et on obtient une quatrième variante, en faisant, comme pour la variante 2, abstraction de la
sensibilité (S) pour ne considérer que les facultés supérieures. Je présente les quatre variantes simultanément dans le
tableau 11.4.
Variante 3 de S - E - R — on obtient S - E - J - R
C’est la variante qu’on obtient, dès la Critique de la raison pure, lorsque Kant distingue entre l’entendement
et le jugement, entre l’entendement et la faculté de juger. Cette distinction a pour effet de faire apparaître une
différence entre un sens général du terme «entendement» et un sens plus particulier; et c’est à l’occasion de ce
dernier, le sens plus particulier, que surgit la question de savoir quelles sont les fonctions spécifiques de l’une et
l’autre faculté, de même que leurs principes respectifs de fonctionnement.
Mise en garde. Avant d’étoffer par des textes kantiens les propositions qui précisent les rapports entre
l’entendement et la faculté de juger, il faut prendre acte d’un détail philologique utile: le terme allemand
«Urteilskraft» se traduit en français tantôt par «jugement» —ce que fait régulièrement Barni—, tantôt par «faculté
de juger» — ce que fait régulièrement Philonenko.
– Par exemple, l’introduction à l’Analytique des principes s’intitule dans CRPu, Bar 181 «Du jugement
transcendantal en général» et traduit «Von der transzendentalen Urteilskraft überhaupt».
– Par exemple, le titre de CFJ, Pko est «Critique de la faculté de juger» et traduit «Kritik der Urteilskraft».
Je mentionnerai ci-dessous d’autres sens du mot «jugement»; pour l’instant retenons que les mots «jugement» et
«faculté de juger» peuvent être strictement synonymes, dans le contexte qui est le nôtre. (Fin de la mise en garde.)
Voici, à titre d’amorce de la réflexion, comment Kant introduit, dans la Critique de la raison pure, la
différence entre entendement et jugement:
Si l’on définit l’entendement en général la faculté des règles, le jugement sera la faculté de subsumer
sous des règles, c’est-à-dire de décider si quelque chose rentre ou non sous une règle donnée (casus
datae legis ) […] Aussi le jugement est-il le caractère distinctif de ce qu’on nomme le bon sens <des
sogenannten Mutterwitzes>, et au manque de bon sens, aucune école ne peut suppléer.
(CRPu, Bar 181.1).
L’effet provisoire de cette intervention de la faculté de juger est de «donner de l’extension à l’entendement dans le
champ de la connaissance pure a priori» (182.2.6-7). Il nous faudra extraire d’une telle déclaration ce qu’elle
contient d’information utile pour la reconstitution du système des articulations entre les facultés.
La typologie que l’on obtient lorsqu’on divise, pour ainsi dire, le concept de l’entendement en général, pour
faire une place à la faculté de juger, est celle montrée dans le tableau 11.3.
Pour comprendre en première approximation et dans un langage relativement peu technique ce qu’exprime la
typologie E - J - R , il est utile de suivre la «comparaison anthropologique». Lire: AP, Fou 69.1-3. Le passage 69.5
que voici explicite les exemples:
158
Le serviteur de l’état ou de la maison à qui on a donné des ordres formels n’a besoin d’avoir que de
l’entendement; l’officier qui pour la charge qu’on lui a confiée ne s’est vu prescrire que des règles
générales, et auquel on a laissé le soin de déterminer lui-même ce qu’il y a à faire dans les diverses
occurrences, a besoin de jugement; le général qui doit penser les règles qui s’y appliquent a besoin
de raison. — Les talents requis pour ces différentes dispositions sont très différents: “Tel brille au
second rang qui s’éclipse au premier”. [en français dans le texte allemand]
(AP, Fou 69.5)
La typologie
S
E
J
R
Les facultés
La sensibilité
L’entendement
La faculté de
juger
La raison
Les sortes de
représentation
Les intuitions
Les concepts
Les jugements
Les
raisonnements
Tableau 11.3 Troisième variante de la typologie Sensibilité-Entendement-Raison (S - E - R).
Variante 4 de S - E - R — on obtient E - J - R
La même que précédemment, sauf qu’on élimine la sensibilité (S) pour ne garder que les facultés
supérieures.
Typologie
S - E- R
S
Typologies
E
R
dérivées
S s - I - E- R
Ss
I
E
R
les sens en tant
que réceptivité
pure
(faculté passive)
l’imagination
comme source
des synthèses préconceptuelles
l’entendement en général en tant que
faculté dont les synthèses par
concepts peuvent toujours être
ramenées à des jugements; cette
faculté est
la raison en
tant que
source des
idées
⇒
et des schèmes
(faculté active)
assimilée à la faculté de juger dans
l’Analytique des principes (CRPu);
E et J ne sont pas différenciés dans le
contexte des jugements déterminants
transcendantales
⇒
S
E
J
sensibilité en tant que faculté de
connaître inférieure
entendement
réalisant la
synthèse du
concept
faculté de juger
réalisant la
synthèse du
jugement
ou produisant des
concepts
R
raison
⇒
réalisant la
synthèse du
raisonnement
ou produisant des ou produisant
jugements
des raison- ⇒
nements
Tableau 11.4 Tableau synoptique des quatre variantes
de la typologie Sensibilité-Entendement-Raison (S - E - R).
159
(facultés actives et passive)
I - E- R
(facultés actives
seulement)
S - E- J - R
(faculté
inférieure et
facultés
supérieures)
E- J - R
(facultés
supérieures)
C. Le classement des facultés selon la fonction législatrice
La typologie qui résulte de ce classement est E - J - R . C’est celle à laquelle aboutit l’introduction à la
Critique de la faculté de juger ; plus précisément, c’est celle qui figure dans la deuxième colonne du tableau présenté
par Kant à la fin de cette Introduction.
En explicitant la sorte de jugement à l’égard de laquelle les facultés E - J - R sont législatrices, on obtient le
tableau 11.5, qui explicite une partie du message contenu dans le tableau donné par Kant à la fin de son Introduction
à CFJ. Le tableau 11.5 montre que le troisième principe de classement fournit la même typologie que la variante 4
déjà obtenue en appliquant le deuxième principe de classement. La typologie E - J - R possède donc deux
justifications, deux genèses dans la construction de la théorie critique. Ces justifications ne sont pas sans rapport
mais il importe, pour bien saisir la cohérence du système des facultés, de prendre acte aussi bien de ce qui les
distingue que de ce qui les rapproche; on a là un nouvel exemple de l’articulation entre la logique transcendantale
et la logique générale: la distinction entre jugement déterminant et jugement réfléchissant n’appartient pas à la
logique générale mais maintient et utilise d’une façon originale la hiérarchie que la logique générale établit entre les
concepts, les jugements et les raisonnements.
Typologie
E- J - R
E
l’entendement <Verstand> est faculté législatrice par rapport
au jugement théorique ou jugement de connaissance
J
la faculté de juger <Urteilskraft> est faculté législatrice
(quoiqu’en un sens atténué, si l’on compare aux deux autres
législations) par rapport au jugement de goût et au jugement
téléologique
R
la raison <Vernunft> est faculté législatrice par rapport au
jugement pratique
Tableau 11.5 La typologie E - J - R obtenue en classant les facultés
selon leur fonction législatrice.
Quant à la façon de concevoir le caractère législateur des facultés concernées, de même que les concepts
associés de législation, loi, légalité et domaine, j’y reviendrai après avoir introduit la matrice des facultés et la notion
de registre de lecture.
7.1.2
7.1.2.1
Le problème de l’articulation des typologies. La matrice C - P - D × E - J - R
(«matrice des 6 facultés»)
Le tableau des facultés donné par Kant dans l’Introduction à la Critique de
la faculté de juger
La systématisation de la doctrine des facultés pose plusieurs problèmes. Une façon relativement expéditive de
commencer l’énumération des difficultés qu’une telle systématisation rencontre est de reproduire le fameux tableau
que Kant présente à la toute fin de son «Introduction» à la Critique de la faculté de juger (notre tableau 11.6 le
reproduit).
FACULTÉS DE L’ÂME
DANS LEUR ENSEMBLE
Facultés de connaître
FACULTÉS DE
CONNAISSANCE
Entendement
PRINCIPES
a priori
Conformité à la loi
160
APPLICATION
<Anwendung auf>
Nature
Sentiment de plaisir et de
peine
Faculté de juger
Finalité
Art
Faculté de désirer
Raison
But final
Liberté
Tableau 11.6 «Les facultés supérieures dans leur unité systématique» (CFJ, Pko 42).
Ce tableau comporte deux typologies: C - P -D dans la première colonne, E -J -R dans la deuxième. Cela pose
quelques problèmes:
1. L’expression «facultés de connaître» traduit «Erkenntnisvermöge» et l’expression «facultés de connaissance» traduit le même terme allemand; je ne sais pas pourquoi la traduction du terme allemand n’est pas
la même d’une occurrence à l’autre. Ainsi ce tableau contient deux mentions des facultés de
connaissance, et à des niveaux logiques différents (une fois comme classe, une fois comme élément de
classe). Ce qui pose immédiatement un problème d’interprétation car il est impossible (sous peine
d’incohérence flagrante) que les deux expressions aient la même extension.
2. Ce tableau nous oblige à distinguer entre entendement et faculté de juger, puisque ces deux facultés de la
deuxième colonne sont associées à deux facultés distinctes situées dans la première colonne. Nous avons
donc un nouveau problème d’interprétation qui a pour enjeu la cohérence du système car nous nous
rappelons que l’entendement peut lui-même être représenté comme une faculté de juger, — ce que nous
montre la typologie S - E - R du tableau 11.4 —, et que c’est bien ce que l’Analytique transcendantale
nous invitait à faire:
Comme nous pouvons ramener tous les actes de l’entendement à des jugements, l’entendement
en général peut être représenté comme une faculté de juger.
(CRPu, Bar 129-130)
L’analytique des principes sera donc simplement un canon pour le jugement <U r t ei l s k ra f t > ;
elle lui enseigne à appliquer à des phénomènes les concepts de l’entendement, qui contiennent
la condition des règles a priori. C’est pourquoi, en prenant pour thème les principes propres de
l’entendement <G r u n d s ä t z e de s Ve r s t a n d e s >, je me servirai de l’expression de doctrine du
jugement <D o k t r i n de r Ur t e i l s k r a f t > , qui désigne plus exactement ce travail.
(CRPu, Bar 180.2)
Dans quelles conditions pouvons-nous assimiler entendement et jugement (faculté de juger) et dans
quelles conditions cela nous est-il interdit?
3. Le fait que le E de la typologie E - J -R soit associé exclusivement au C de la typologie C - P -D et le fait
que le R de la typologie E - J - R soit associé exclusivement au D de la typologie C - P - D soulève un autre
type de difficulté. Nous comprenons bien que les facultés placées dans la deuxième colonne du tableau
11.6 ont une fonction législatrice à l’égard de celles placées dans la première colonne et que c’est bien
cette relation qui constitue la clé de la systématicité affirmée par le tableau; mais l’entendement et la
raison n’ont-ils pas, à l’égard des éléments de C - P - D , des relations autres que celle déterminée par la
fonction législatrice? Quel lien convient-il de faire entre la fonction législatrice d’une faculté et son
usage? Comment réconcilier avec le tableau 11.6 le pouvoir de synthèse que l’Analytique
transcendantale attribue à l’entendement dans la genèse de tout ce qui est pensé? Si toute pensée procède
par concepts et que la formation de concepts est la spécialité de l’entendement, ne trouvera-t-on pas un
rôle pour l’entendement à l’égard du sentiment de plaisir et de peine (et des jugements qui s’y forment) et
à l’égard de la faculté de désirer (et des jugements qui s’y forment)? Quant à la raison, elle reste
certainement la faculté des raisonnements lors même qu’elle n’a pas un rôle de législatrice; n’a-t-elle pas
aussi un rôle à l’égard du C et du P de C - P - D ? Comment rappeler le fait qu’elle fournit des idées qui ont
un rôle en C et P? Comment rappeler le rôle du «principe régulateur de la raison pure par rapport aux
idées cosmologiques» (Huitième et neuvième sections de l’Antinomie de la raison pure, CRPu, Bar 424457) et «l’usage régulateur des idées de la raison pure» (‹Appendice à la dialectique transcendantale›,
CRPu, Bar 503-518)?
161
4.
Les paragraphes §41-44, incl., de l’Anthropologie du point de vue pragmatique, sous le titre
«Comparaison anthropologique des trois facultés supérieures de connaître» (AP, Fou 68-72; dans
l’édition Weischedel, il s’agit des §38-41) semble présenter une façon d’articuler C - P -D et E - J - R qui
est différente de celle donnée dans le tableau 11.6. Au paragraphe §40, Kant énonce comment il passe
d’un sens plus englobant à un sens plus restreint du terme «entendement»:
L’entendement, en tant que faculté de penser (de se représenter quelque chose par des concepts)
est appelée [sic] faculté supérieure de connaissance (par opposition à la sensibilité, qui est la
faculté inférieure) […]
Mais le mot entendement est pris aussi en un sens particulier: alors, en tant qu’élément
dans une division qui comprend deux autres termes, il est soumis à l’entendement au sens
général; la faculté supérieure de connaître (considérée matériellement, c’est-à-dire non pas en
elle-même mais dans un rapport à la connaissance des objets) consiste en entendement,
jugement, et raison.
(AP, Fou 68.2 et 68.3; §40)
Il me semble que la relation établie dans ces lignes est celle du tableau 11.7.
Facultés de l’âme <Gemüts> dans leur ensemble
«L’entendement, en tant que faculté de penser ,
[…] faculté supérieure de connaissance (par
opposition à la sensibilité, qui est la faculté
inférieure)»
Facultés de connaître
E
J
R
Entendement (au sens
particulier)
Jugement - Faculté de juger
Raison
Sentiment de plaisir et de peine
Faculté de désirer
Tableau 11.7 Les 2 typologies suggérées par la double extension du mot «entendement»,
d’après le §40 de l’Anthropologie.
Ce tableau établit des relations autres que celles du tableau 11.6, puisque la faculté de juger et la raison
sont toutes deux considérées comme des aspects particuliers de l’entendement au sens général et qu’elles
ne sont mises en rapport ni avec le sentiment de plaisir et de peine ni avec la faculté de désirer; ces
nouvelles relations et le classement qui en résulte sont-ils compatibles avec la tableau 11.6? Le
classement donné en 11.7 ne fait-il pas droit à l’impression énoncée dans la remarque 3 ci-dessus, à
savoir que le rôle de la faculté de juger ne se limite pas à légiférer pour le sentiment de plaisir et de
peine; et que le rôle de la raison ne se limite pas à légiférer pour la faculté de désirer? De plus, le fait de
subsumer E, J et R sous l’entendement en général entraîne que la distinction entre E, J et R, dans ce
contexte, doit pouvoir être expliquée sans recourir aux différences entre les fonctions de législation de
ces trois facultés.
Le tableau 11.6 comporte aussi des difficultés liées à l’interprétation des rapports à établir entre les éléments
des colonnes 3 et 4. Si on se rappelle que la liberté est une idée de la raison pure, on se demande quel rapport établir
entre cet item et les deux autres items de la quatrième colonne; car ni l’art ni la nature ne sont jamais présentés
comme des idées de la raison. En ce qui concerne la liberté, c’est la solution de la troisième antinomie de la raison
pure qui donne à Kant l’occasion de l’introduire; et il est éventuellement très explicite sur son caractère d’idée :
La liberté n’est ici traitée que comme une idée transcendantale par laquelle la raison pense
commencer absolument la série des conditions dans le phénomène par quelque chose
d’inconditionné au point de vue sensible […].
(CRPu, Bar 452.2.13-17, à la fin de la remarque ‹Éclaircissement
de l’idée cosmologique d’une liberté unie à la loi générale de la nécessité naturelle.›)
162
7.1.2.2
Proposition d’une matrice à deux typologies croisées
Dans le but de construire une représentation capable de montrer les rapports entre les facultés et entre les
théories kantiennes de ces facultés, je me propose de déployer le tableau du début de la Critique de la faculté de
juger. (CFJ, Pko 42), qui est mon tableau 11.6 ci-dessus.
Puisque le but de ce tableau, selon Kant, est de montrer «l’unité systématique» des «facultés supérieures», on
peut penser, il me semble, que les deux premières colonnes du tableau ont une certaine priorité et que, partant,
chaque ligne de ce tableau tente de fournir deux traits pour caractériser le rapport qui s’établit (au sein du système
kantien) entre les «facultés» occupant les deux premières cases de ladite ligne, de la manière suivante:
Facultés de l’âme
<Gemüts> dans leur
ensemble
(Typologie C - P - D)
Facultés de connaître
(Typologie E - J - R)
Facultés de connaître
Entendement
Sentiment de plaisir et de
peine
Faculté de juger
Faculté de désirer
Raison
Trait 1 du rapport entre les
«facultés de connaître» et
l’«entendement», du point
de vue des principes a
priori qui y sont
impliqués.
Trait 1 du rapport entre le
«sentiment de plaisir et de
peine» et la «faculté de
juger», du point de vue des
principes a priori qui y
sont impliqués.
Trait 1 du rapport entre la
«faculté de désirer» et la
«raison», du point de vue
des principes a priori qui
y sont impliqués.
Trait 2 du rapport entre les
«facultés de connaître» et
l’«entendement», du point
de vue de ce sur quoi le
principe concerné est
appliqué.
Trait 2 du rapport entre le
«sentiment de plaisir et de
peine» et la «faculté de
juger», du point de vue de
ce sur quoi le principe
concerné est appliqué.
Trait 2 du rapport entre la
«faculté de désirer» et la
«raison», du point de vue
de ce sur quoi le principe
concerné est appliqué.
Tableau 11.8 Le tableau 11.6 interprété comme explicitation partielle du système des relations
qui existent entre les typologies C - P - D et E - J - R (colonne 1 et colonne 2).
Cette lecture du tableau de Kant n’est éclairante que si l’on explicite bien les deux typologies que montrent
les deux premières colonnes.
– la première colonne réfère aux facultés d’un point de vue plus global que celui de la seconde; les
éléments de la typologie C - P - D sont en quelque sorte les trois plans de l’activité humaine, les trois
pouvoirs d’agir, à l’égard desquels la réflexion philosophique voudra produire des connaissances; les
facultés de la typologie C - P -D peuvent aussi être désignées par des expressions telles que les suivantes
(dont certaines sont métaphoriques) :
– les facultés considérées selon le type d’activité qu’elles servent à réaliser; dans un vocabulaire plus
moderne que kantien, on dirait peut-être: les facultés cognitives, les facultés émotives, les facultés
morales. En ce sens large, l’expression «les facultés» peut aussi bien être remplacée par des
expressions telles que «les habiletés», «les pouvoirs», «la capacité».
– les facultés qui produisent le savoir, les facultés qui gèrent les attitudes, les facultés qui norment
l’agir;
– les facultés considérées comme des secteurs <Grundstücke> de la pensée. Cette métaphore apparaît
dans le texte de l’Anthropologie cité ci-dessus lors de l’introduction de la typologie C - P -D (§8.1.1
A); le texte comporte les trois métaphores:
163
–
L’esprit <Gemüt> (animus) de l’homme a un domaine <Umfang> (sphaera)
Ce domaine comprend trois secteurs <Grundstücke>
Chaque secteur a deux champs <Felde>.
Le caractère spatial des métaphores indique que la typologie C - P - D sert à délimiter les facultés
seulement comme des espaces à l’intérieur desquels ou sur lesquels travailleront (pour ainsi dire) des
agents qui seront les facultés E - J - R ; ces dernières seront caractérisées tout autrement, on le verra cidessous. Une autre métaphore à caractère spatial serait: les facultés comme sièges des processus (de
pensée).
– les facultés considérées selon les types de résultats qu’elles sont censées procurer: les facultés qui
déterminent ce qui est (ou: ce qu’un sujet peut connaître), celles qui déterminent ce qu’on ressent
(ou: l’attitude qu’un sujet a raison d’exprimer par jugements à l’égard de ses propres artefacts et de
la nature ), celles qui déterminent ce qui doit être (ou : ce qu’un sujet doit faire).
– les pouvoirs de synthèse (des intuitions tirées de l’expérience), les pouvoirs d’utilisation du
sentiment pour juger, les pouvoirs de causalité libre. Selon l’interprétation de Philonenko qui sera
rapportée ci-dessous, les pouvoirs du deuxième groupe peuvent être considérés comme des pouvoirs
de communication (entre humains).
la deuxième colonne considère les facultés comme des agents susceptibles d’accomplir certaines tâches
en raison des forces ou des outils dont ils disposent, en raison des procédures ou mécanismes qu’ils
mettent en oeuvre. Les facultés de cette deuxième colonne
• sont des agents dotés de rôles et de juridictions et les processus de pensée sont les tâches qui leur
sont dévolues.
sont donc caractérisées soit par des représentations instrumentales qu’elles ont et qu’elles
appliquent, soit par des façons de faire (y inclus, ce que Kant appelle leur «usage» <Gebrauch>, soit
par des représentations ET des façons de faire.
• et sont présentées comme des «facultés de connaissance» en ce sens que ce sont elles qui vont
produire les connaissances relatives aux éléments de C- P - D ; ces connaissances consisteront à
déterminer, par exemple, à propos des facultés C - P - D ,
◊ quel est leur fonctionnement normal, quels sont les mécanismes qui y jouent;
◊ comment on résout les problèmes propres à chaque plan d’activité: les problèmes de la
connaissance objective, les problèmes de la connaissance affective ou du rapport vécu au
monde, les problèmes de la connaissance morale;
◊• quelles sont les conditions qui contraignent lesdites activités et qui en favorisent l’heureuse
issue, d’où les aspects de législation, de norme, etc.
Avec cette compréhension de la différence entre les facultés de C - P - D et celles de E - J - R , j’esquisse la
solution, en première approximation du moins, du problème que posait, dans le tableau 11.6, la caractérisation de C
comme «facultés de connaître» et celle de E -J -R comme «facultés de connaissance». La connaissance dont il s’agit
n’a effectivement pas la même extension dans l’une et l’autre occurrences:
– C désigne la connaissance objective des phénomènes de la nature; ce type de connaissance, dans le
cadre de la théorie kantienne de la connaissance, est contrasté avec le sentiment (les représentations
produites sur le plan de la faculté d’éprouver du plaisir ou de la peine) et avec la croyance (les
représentations produites sur le plan de la faculté de désirer). [NOTE. Le terme «sentiment», en langage
contemporain ne me semble pas avoir les mêmes connotations que chez Kant. Il serait peut-être
préférable, aujourd’hui, de traduire le Gefühl kantien par les «connaissances subjectives», l’«attitude»,
le «vécu»… Ce dernier terme fait lui-même problème; s’il est compatible avec le point de vue kantien, ce
sera plutôt en son sens phénoménologique qu’en son sens psychologique.]
Le prototype de la connaissance de type C serait la connaissance scientifique empirique.
– En revanche, quand on dit que E - J - R sont des facultés de connaissance, la connaissance dont il s’agit
comprend à la fois
164
•
•
l’ensemble des représentations au moyen desquelles nous pensons le monde, non seulement
celles qui satisfont les règles de la connaissance objective, mais également celles qui ne les satisfont
pas et qui nous permettent néanmoins de penser le beau, le téléologique (la finalité de la nature)
et le moral. Le prototype de la connaissance du beau est la poésie <Dichtung> ou le discours en tant
qu’oeuvre d’art; celui de la connaissance du téléologique est la technique; celui de la connaissance
morale est le droit.
l’ensemble des représentations au moyen desquelles nous pensons C - P - D . Ce sont les connaissances philosophiques (ou réflexives) par lesquelles nous établissons les propriétés et les limites de
C - P - D ; les prototypes de ces connaissances sont la théorie critique dans son ensemble, et la
philosophie transcendantale.
Muni de cette interprétation des deux typologies impliquées dans les tableaux 11.6 et 11.7, je vois tout
l’avantage que l’on pourrait tirer d’un schème de classement qui croiserait les typologies C - P - D et E- J - R , c’est-àdire qui montrerait à la fois
• quand on lirait les colonnes : ce que chaque élément de E - J -R , pris pour lui-même, fournit ou rend
possible eu égard aux plans d’activités C, P et D, respectivement;
• quand on lirait les lignes: comment chaque élément de C - P - D , pris pour lui-même, nécessite ou
utilise les interactions entre les éléments de E - J - R .
De cette façon, il deviendra possible de montrer, non seulement le rôle législatif assigné à E, à J et à R selon les
trois relations exhibées dans le tableau 11.6 (E - C , J - P et R - D ), mais de montrer également les autres rôles que
jouent les facultés de connaître supérieures E, J et R, eu égard aux trois plans d’activité C - P -D sur lesquels s’étend
la pensée humaine. Il nous sera davantage possible de tenir compte des contenus des trois Critiques pour apercevoir
le caractère systématique de la théorie des facultés dans le criticisme. Le croisement des typologies C - P -D et E -J R donne une matrice à deux entrées 3 × 3 et si on y reporte l’information contenue dans le tableau 11.8 on obtient
le tableau 11.9. (NOTE. Je préciserai dans un moment quels sont les «autres rôles» mentionnés à l’instant, de même
que les «autres traits» mentionnés dans le tableau 11.9, au moyen de mon concept de registre de lecture (de la
matrice C - P - D × E - J - R ).
Il sera possible, sur la matrice des 6 facultés, de distinguer notamment
– en ce qui concerne la raison
• la raison «dans son rapport aux objets de la faculté pure-et-simple <bloßen> de connaître» (CRPa,
Pic 14.1.1-2), à savoir notre C, par l’intermédiaire des «concepts que l’entendement en donne.»
(CRPu, Bar 329.3.5-6) et par l’intermédiaire de ce que la faculté de juger téléologique ramène à
l’unité finale <Zweckmäßig>.
• la raison dans son rapport à la faculté P du plaisir et de la peine; en ce rapport elle détermine la
faculté de juger réfléchissante (téléologique aussi bien qu’esthétique) à juger des objets sur la base
du sentiment par lequel ces objets sont représentés dans la faculté du plaisir et de la peine.
• la raison «dans son rapport, non aux objets, mais à [une] volonté et à sa causalité» (CRPa, Pic
14.2.m9-8), c’est-à-dire à la faculté D.
– en ce qui concerne la faculté de juger
• son rapport à la faculté C de connaissance; en ce rapport la faculté de juger est désignée comme sens
commun, avec des connotations qui réfèrent à la logique naturelle qui constitue la principale force du
«gros bon sens»; la faculté de juger téléologique a également un rapport privilégié à la faculté de
connaître dans la mesure où elle est «la faculté de juger la finalité réelle (objective) de la nature par
l’entendement et la raison.» (CFJ, Pko 39.2.2f)
• son rapport à la faculté P du plaisir et de la peine; en ce rapport la faculté de juger a une double
identité à la mesure de sa double fonction; a) elle est d’abord faculté du goût et, à ce titre, est
désignée à nouveau comme sens commun, mais cette fois avec une connotation tout différente de la
précédente; il s’agit en effet d’affirmer la possibilité de la communication entre les sujets humains,
sur la base de l’identité (postulée) de leur constitution phénoménologique (on dirait aujourd’hui: sur
165
–
la base de leur structure intentionnelle). b) d’autre part, elle est faculté de la systématicité dans la
mesure où elle interprète le sentiment de plaisir en termes de finalité objective de la nature et
détermine pour elle-même, lors de sa réflexion sur les représentations des phénomènes, des maximes
de recherche dont l’effet se traduit par l’unité de la science.
• son rapport à la faculté de désirer; en ce rapport, la faculté de juger rapporte le particulier des actions
à l’universel de la loi en déterminant si l’action particulière est conforme à la loi.
• la double médiation que Kant envisage pour cette faculté lorsqu’il anticipe que
elle réalisera aussi bien un passage de la pure faculté de connaître, c’est-à-dire du domaine
du concept de la nature, au domaine du concept de liberté, qu’elle rend possible dans
l’usage logique le passage de l’entendement à la raison.
(CFJ, Pko 27.1.4f)
Les deux dimensions de la matrice des 6 facultés permettront de montrer ces médiations; la
deuxième, notamment, se lira sur la colonne J, où l’on verra la faculté de juger réfléchissante
aménager justement le passage de la faculté de juger déterminante à la «faculté pratique rationnelle
en nous» (CFJ, Pko 194.2.m3-2).
en ce qui concerne l’entendement
• son rapport à la faculté C de connaître à laquelle il fournit les règles universelles de la synthèse des
intuitions au moyen des concepts.
– son rapport à la faculté P de plaisir et de peine; en ce rapport, c’est l’accord des facultés
représentatives entre elles, nommément l’entendement et l’imagination, qui produit le plaisir comme
représentation de ce qui, dans l’objet, est beau et intelligible (final). Et c’est en ce rôle que
l’entendement participe à la production des jugements esthétique et téléologique.
Facultés «supérieures» de connaître
Entendement
Faculté de juger
Raison
Facultés de
connaître
Traits 1 et 2 du tableau 11.8;
éventuellement d’autres
traits…
Rôles de la faculté de juger eu
égard aux facultés de connaître
Rôles de la raison eu égard aux
facultés de connaître
Sentiment de
plaisir et de
peine
Rôles de l’entendement eu
égard au sentiment de plaisir et
de peine
Traits 1 et 2 du tableau 11.8;
éventuellement d’autres
traits…
Rôles de la raison eu égard au
sentiment de plaisir et de peine
Faculté de
désirer
Rôles de l’entendement eu
égard à la faculté de désirer
Rôles de la faculté de juger eu
égard à la faculté de désirer
Traits 1 et 2 du tableau 11.8;
éventuellement d’autres
traits…
Tableau 11.9 La matrice à deux entrées que j’obtiens en croisant les typologies C - P - D et E - J - R
(des tableaux 11.6 et 11.8). Quand je fais abstraction du contenu des neuf cases où s’intersectent les entrées,
je l’appelle la matrice des 6 facultés.
La matrice des 6 facultés offre neuf cases pour caractériser neuf relations entre les 6 facultés. Il suffirait que
l’on ajoute la typologie E - J - R (de l’entrée horizontale) la sensibilité S, avec ou sans sa subdivision (Ss, I), pour
obtenir une matrice capable de représenter cette autre opposition conceptuelle que fait Kant, dans sa théorie des
facultés, à savoir l’opposition entre les facultés supérieures et les facultés inférieures. (Les matrices C - P -D × S E - J -R et C -P -D × I - E - J - R auraient 12 cases.) Je n’aurai pas le temps ici d’utiliser ces matrices plus complexes,
mais je crois que leur utilité pour l’élaboration de la synthèse du criticisme est aussi grande que celle de la matrice
que je vais développer, laquelle est plus simple en ceci seulement que je n’y représente pas la sensibilité.
Pour que les trois colonnes de droite de la matrice des six facultés logent un maximum d’information, je vais
réduire les entrées verticales à leur plus simple expression (donc écrire «C», «P» et «D») et rétrécir ladite colonne.
166
Par simplification, j’omettrai la mention «Facultés “supérieures” de connaître» dans l’entrée horizontale et je
conviens de désigner les facultés concernées par une seule majuscule, dans le texte des cases de la matrice (donc
j’écrirai «E», «J» et «R»).
7.1.2.3
Les facultés qui ne peuvent pas apparaître dans la matrice des 6 facultés
Il existe deux facultés qui, pour des raisons différentes, sont trop englobantes pour être représentées sur la
matrice des six facultés proposée ci-dessus.
1.
LA RAISON PURE COMME TRIBUNAL ET COMME SOURCE DE TOUTES LES CONNAISSANCES PURES
Dans la recherche des connaissances qu’il est possible d’obtenir a priori au sujet des pouvoirs de l’esprit et de
leurs limites, la raison est dans une relation réflexive avec elle-même car elle occupe à la fois la position de
juge et celle de prévenu: considérée comme tribunal suprême, la raison ne figure pas dans la matrice des 6
facultés; considérée comme prévenu, elle y figure.
Le discours kantien qui explicite le mieux la nature de la raison comme tribunal est celui qui traite des fins et
des intérêts de la raison pure dans l’élaboration de l’entreprise critique elle-même; c’est d’ailleurs cette idée
des fins de la raison que Deleuze prend comme fil conducteur pour exposer l’ensemble de la philosophie
critique dans son petit livre La Philosophie critique de Kant.
a) la raison est la faculté qui produit (écrit) la Critique
b) la raison a des fins, et ce sont les fins «dernières» de l’être humain. «Kant définit la philosophie
comme “la science du rapport de toutes connaissances aux fins essentielles de la raison humaine”; ou
comme “l’amour éprouvé par l’être raisonnable pour les fins suprêmes de la raison humaine” (Critique
de la raison pure, et Opus posthumum ). Les fins suprêmes de la Raison forment le système de la
Culture.» (Del, PCK 5.1) «Bien plus, seules les fins culturelles de la raison peuvent être dites absolument
dernières. “La fin dernière est une fin telle que la nature ne peut suffire à l’effectuer et à la réaliser en
conformité avec l’idée, car cette fin est absolue” (Critique du jugement, §84).» (Del, PCK 5-6)
c) la relation réflexive: «Contre le rationalisme, Kant fait valoir que les fins suprêmes ne sont pas
seulement des fins de la raison, mais que la raison ne pose pas autre chose qu’elle-même en les posant.
Dans les fins de la raison, c’est la raison qui se prend elle-même pour fin. Il y a donc des intérêts de la
raison, mais, en plus, la raison est seul juge de ses propres intérêts. Les fins ou intérêts de la raison ne
sont justiciables ni de l’expérience, ni d’autres instances qui resteraient extérieures ou supérieures à la
raison. Kant récuse d’avance les décisions empiriques et les tribunaux théologiques.» (Del, PCK 7.2)
J’emploie une relation «méta» pour caractériser la relation entre la raison au registre 1 et la raison
au registre 3; le concept de cette relation ne se trouve pas dans Kant; il est postérieur à Kant,
probablement postérieur à 1910, puisqu’on ne le trouve pas encore dans les Principia mathematica
de Russell. Il est explicitement défini chez Carnap…
De ce point de vue le plus englobant, la raison est parfois désignée comme la faculté de connaissance pure
<reines Erkenntnisvermögen> et je crois que Kant la considère à ce titre lorsqu’il la met en charge de l’entreprise
critique elle-même, dans son ensemble, et ultimement, de la réflexion philosophique tout entière; lorsqu’il lui
attribue, par exemple, la décision d’avoir renoncé aux choses en soi :
Sans ces antinomies la raison n’aurait jamais pu se décider à admettre un principe qui restreint à ce
point le champ de sa spéculation, ni à consentir les sacrifices en lesquels tant d’espérances si
brillantes doivent s’évanouir complètement; car maintenant même, alors qu’en compensation de
cette perte un usage d’autant plus grand lui est ouvert au point de vue pratique, elle ne paraît pas se
séparer sans douleur de ces espérances, ni parvenir à se libérer de ce vieil attachement.
(CFJ, Pko 168.2.9-f)
Depuis la préface à la Critique de la raison pure Kant a utilisé de multiples fois cette sorte de dramatisation en
laquelle tout le sort et l’enjeu de l’entreprise critique revient à la raison. Lorsque ce rôle est dévolu à la raison, il ne
convient plus, il me semble, de le distinguer de celui que la théorie critique elle-même attribue aux autres facultés:
167
imagination, entendement, faculté de juger… Kant a conscience de ce décalage; et c’est en partie pour s’en
expliquer, je présume, qu’il précise longuement dans l’Introduction à la Dialectique transcendantale de CRPu en
quel sens il faut alors concevoir la raison.
Les passages suivants constituent un petit échantillon de ceux, nombreux, qui présentent ainsi la raison
simplement comme la faculté de «[…] tout ce qui dans la pensée est a priori, et ne vient pas de l’expérience» :
– «Connaissance par la raison <Vernunfterkenntnis> et connaissance a priori sont une même chose.»
(Critique de la raison pratique, «Préface», paragr. 14; ma traduction). «Connaissance rationnelle et
connaissance a priori sont choses identiques.» (CRPa, Pic 9.2.9-10) <mithin ist Vernunfterkenntnis und
Erkenntnis a priori einerlei.> (KpV, Wei 117.1.1-2)
– «Ich verstehe hier unter Vernunft das ganze obere Erkenntnisvermögen, und setze also das Rationale dem
Empirischen entgegen». Kritik der reinen Vernunft, A 835; B 863, édition faite par Kehrbach, in-16,
Reclam. (Cité par LALANDE, A., Vocabulaire…, 1960, 885b.)
– «De tout cela résulte l’idée d’une science spéciale qui peut s’appeler Critique de la raison pure. En effet,
la raison est la faculté qui nous fournit les principes de la connaissance a priori. La raison pure est donc
celle qui contient les principes au moyen desquels nous connaissons quelque chose absolument a priori.»
(CRPu, Bar 72.2.1-6)
La manière toute particulière dont la raison pure occupe son poste de faculté suprême apparaît avec netteté
dans cette familière et néanmoins surprenante phrase de l’Introduction de CFJ : «la critique de la raison pure […]
consiste en trois parties : la critique de l’entendement pur, de la faculté de juger pure, et de la raison pure, facultés
qui sont dites pures parce qu’elles légifèrent a priori.» (CFJ, Pko 27.2.5f) Où l’on voit, curieusement, la critique de
la raison pure apparaître comme une partie d’elle-même, et la raison aussi, comme un sous-ensemble propre d’ellemême.
2.
LA «FACULTÉ» DE LA NATURE
Il existe, en français comme en allemand, une acception ni philosophique, ni technique, ni même
psychologique du terme «faculté», selon laquelle la faculté (de faire quelque chose) est simplement la capacité (de
faire quelque chose) et constitue ainsi le substantif correspondant à l’un des sens du verbe «pouvoir». L’homme peut
fabriquer des voitures et la nature peut creuser des canyons, activer des volcans, dessiner des orchidées; on exprime
la même idée, quoiqu’en un langage plus relevé, en disant que l’homme a la faculté de fabriquer des voitures et la
nature, la faculté de creuser des canyons. Et tel est bien le terme utilisé par Kant, lorsque, considérant la nature dans
son ensemble, il exprime les deux idées-thèmes de la Critique de la faculté de juger, à savoir que la nature a la
faculté de produire de belles choses et de produire la vie. Cette acception du terme «faculté», je la qualifierais
volontiers d’encyclopédique, évoquant ainsi qu’elle appartient au niveau de langage auquel les dictionnaires
encyclopédiques s’en tiennent assez typiquement, pour énoncer des faits. Et la Critique de la faculté de juger est
tout autant une théorie de cette faculté de la nature qu’une théorie de notre faculté de juger, puisqu’aussi bien c’est la
dernière qui permet et exige que la nature nous apparaisse dotée de sa faculté.
On dit trop peu de la nature et de sa faculté <Vermögen> dans les produits organisés quand on la
nomme un analogon de l’art.
(CFJ, Pko 193.4, §65; KdU, Wei 486.3)
[…] la perfection naturelle interne […] [des] êtres organisés […] ne peut être pensée et expliquée
par aucune analogie avec un pouvoir physique quelconque connu de nous, c’est-à-dire un pouvoir
naturel <Naturvermögens>.
(CFJ, Pko 194.1.m7-3)
Dans la citation suivante, le mot «pouvoir» traduit le même mot «Vermôgen» et donc la même faculté que
dans la citation précédente :
[…] dès que nous avons découvert dans la nature un pouvoir <Vermögen> de réaliser des produits,
qui ne peuvent être pensés par nous que d’après le concept des causes finales […]
CFJ, Pko 199.2; KdU, Wei 494.2.
168
Cet emploi du terme «faculté» <Vermögen> ramène sur le terrain du langage ordinaire mon enquête sur la
théorie kantienne des facultés. Et il n’est pas mauvais que l’enquête aboutisse là, puisqu’on a parfois tendance à
réifier indûment le concept de faculté, même quand il réfère à nos capacités de penser.
3.
LA VOLONTÉ COMME FACULTÉ DE LA NATURE
La volonté considérée comme «faculté naturelle <Naturvermögen> » (CFJ, Pko 22.3.1-11) ne peut pas figurer
dans la matrice des 6 facultés parce que la description et l’explication de ses modes de détermination ne relèvent pas
de la philosophie théorique, à strictement parler. Non pas qu’ils relèvent davantage de la philosophie pratique; ils ont
une certaine relation à la philosophie théorique mais n’en sont que des corollaires. La volonté, ainsi considérée, est
déterminée pour son action technique par des règles techniques-pratiques (règles de l’art, règles de prudence, règles
d’habileté) et par des connaissances scientifiques.
Toutes les règles techniques-pratiques […] ne doivent, dans la mesure où leurs principes
reposent sur des concepts, être comptées que comme des corollaires de la philosophie théorique.
Elles ne concernent, en effet, que la possibilité des choses d’après des concepts naturels, dont
relèvent non seulement les moyens qu’on rencontre pour cela dans la nature, mais encore la volonté
elle-même (comme faculté de désirer, par conséquent comme faculté naturelle <Naturvermögen>,
dans la mesure où elle peut, conformément à ces règles, être déterminée par des mobiles naturels.
(CFJ, Pko 22.3.9-11)
7.2
Les clés de la théorie des facultés contenues dans la Critique de la faculté de juger
Note liminaire. Je signale au lecteur que, du point de vue de mon présent projet de synthèse des trois Critiques sous
la forme d’un système des facultés, j’ai trouvé particulièrement utiles les passages suivants de la Critique de la
faculté de juger :
– ‹Introduction› (CFJ, Pko 21-42).
– ‹§36. Du problème d’une déduction des jugements de goût› (Ibid., 122.3-123.3).
– ‹Remarque I› (CFJ, Pko 166.1-168.1) et ‹Remarque II› (Ibid., 168.2-169.2) insérées à la fin de la section
‹§57. Solution de l’antinomie du goût›. C’est dans la deuxième remarque que se trouve explicitée l’idée:
«Qu’il y ait trois sortes d’antinomies la raison s’en trouve dans <le fait> qu’il y a trois facultés de
connaissance: l’entendement, la faculté de juger et la raison, dont chacune (comme faculté de connaître
supérieure) doit avoir ses principes a priori» (CFJ, Pko 168.3.1-4).
– ‹§76. Remarque› (Ibid., 215.2-218.2) et ‹§77. De la qualité propre de l’entendement humain, grâce à
laquelle le concept d’une fin naturelle et pour nous possible› (Ibid., 219.1-223.1). La section §76 prend
du recul par rapport à l’exposé en cours et rappelle le mode de fonctionnement de l’entendement et celui
de la raison, tels qu’ils ont été posés dans la Critique de la raison pure. Ces modes de fonctionnement
continuent d’être admis, servent de base aux théories spécialisées développées ici pour le jugement de
goût et le jugement téléologique et font donc figure de constantes à travers les trois Critiques, du moins
en ce qui concerne la théorie des facultés.
7.2.1
La problématique propre à la Critique de la faculté de juger
La présente section §8.2.1 propose une description sommaire des problèmes que Kant cherche à résoudre
dans CFJ et plusieurs explications de termes qui expriment les concepts fondamentaux de cette troisième Critique.
J’offre ces diverses remarques comme matériel à lire, à titre préparatoire, avant une lecture attentive de la Critique
de la faculté de juger. Je prends donc ici non pas une attitude d’exégète mais une attitude de pédagogue; il me
semble en effet que le lecteur de Kant peut être libéré de l’obligation d’inférer par lui-même seulement, et à partir du
seul texte kantien, les rudiments des oppositions conceptuelles de base (par exemple, entre finalité subjective et
finalité objective, entre fin subjective et fin objective, entre principe subjectif et principe objectif) et que, s’il est
ainsi libéré, la rapidité de sa progression dans la pensée kantienne sera considérablement accrue.
169
Les définitions simplifiées et/ou commentées que je donne maintenant ne sont donc que des balises pour une
lecture ultérieure.
LE PASSAGE DE LA Critique de la raison pure À LA Critique de la faculté de juger.
Le fil conducteur qui sert à la fois à passer des deux premières Critiques à la troisième et à unifier les parties
de la troisième est la finalité. C’est donc le concept de finalité qui va nous servir à penser ce fil conducteur; et nous
savons déjà, puisque c’est un acquis de la Critique de la raison pure, que nous parlerons aussi à bon droit de l’Idée
de finalité, lorsque nous voudrons souligner le caractère rationnel de ce concept. (Je suivrai la convention adoptée
par Philonenko d’écrire le mot «Idée» avec une majuscule lorsque je parle d’une idée de la raison au sens kantien.)
a) Reportons-nous d’abord à la partie de la section §9 de CRPu: ‹IV. Solution de l’idée cosmologique de la
totalité de la dépendance des phénomènes quant à leur existence en général› [CRPu, Bar 452.3-456.1]. La solution
de la quatrième antinomie consiste 1° à maintenir que tous les phénomènes sont contingents, en raison de leur
dépendance à l’égard de leur cause, quant à leur existence, et ce, aussi loin que l’on remonte dans la série ascendante
de leurs conditions causales; et 2° à poser comme possible un être nécessaire en dehors de la série des conditions.
L’effet de la solution est dans ce cas-ci, comme dans les cas des trois premières antinomies, de convertir
l’exigence d’inconditionné qui sert de principe à la raison, et de considérer ce principe non plus comme un principe
constitutif mais seulement comme un principe régulateur qui adresse à l’entendement les injonctions suivantes
applicables aux recherches portant sur la nature :
– aussi loin qu’on le peut, chercher la condition dans une expérience possible;
– ne pas dériver une existence quelconque d’une condition placée en dehors de la série empirique;
– ne pas nier, pour autant, que toute la série puisse avoir son fondement dans quelque être intelligible
(CRPu, Bar 454.2).
Commentaire. Observons que cette solution diffère de celle apportée à la troisième antinomie, laquelle posait la
possibilité d’une chose-cause (substantia phænomenon) qui faisait partie de la série des conditions en général (pas
des conditions empiriques…) et dont «[l]a causalité seule était conçue comme intelligible» (CRPu, Bar 453.3.3f).
b)Cette solution a un double effet que Kant signale lui-même en CRPu, Bar 454.3 :
– limiter la raison pour qu’elle ne perde pas le fil des conditions empiriques
– restreindre la loi de l’usage de l’entendement, à deux titres:
• l’empêcher de décider de la possibilité des choses en général
• l’empêcher de tenir l’intelligence pour impossible (c.-à-d. l’empêcher de conclure à l’impossibilité
d’un être intelligible nécessaire).
La solution autorise donc deux usages de la raison:
– l’usage empirique de la raison n’est point affecté (CRPu, Bar 455.3.1-3)
– «l’usage pur de la raison (par rapport aux fins)» (CRPu, Bar 455.f.f-456.1.1; accentuation en gras due à
NL) n’est pas exclu. [La citation donnée ici montre la première mention que fait Kant, dans CRPu, d’un
usage de la raison par rapport aux fins; c’est le tout premier jalon de l’explicitation du problème de la
finalité, lequel n’est cependant pas encore posé, encore moins posé comme problème pour une théorie du
jugement.]
Or c’est précisément cet usage pur de la raison par rapport aux fins qui va être explicité dans la deuxième partie de
l’Appendice à la dialectique.
c) La partie de la Dialectique intitulée «Du but final de la dialectique naturelle de la raison humaine» [CRPu,
Bar 519.1-538.1], plus précisément dans le résumé qui commence en 525.2 pour faire le point sur les trois idées
– va développer le lien entre la notion d’intelligence (de l’être nécessaire) et celle de finalité. Le lien est
fait par Kant à l’occasion de son commentaire-résumé sur la troisième idée transcendantale, celle de
Dieu; mais l’être nécessaire supposé dans la solution de la troisième antinomie, l’intelligence déjà
170
–
–
mentionnée là avant même de traiter le chapitre consacré à «l’idéal de la raison pure» se trouvent ici
visés. Le lien se fait exactement dans le passage suivant:
L’unité formelle suprême, qui repose exclusivement sur des concepts rationnels, est l’unité
finale des choses, et l’intérêt spéculatif de la raison nous oblige à regarder toute ordonnance
dans le monde comme si elle était sortie des desseins d’une raison suprême. Un tel principe
ouvre en effet à notre raison appliquée au champ des expériences des vues toutes nouvelles qui
nous font lier les choses du monde suivant des lois téléologiques et nous conduisent par là à la
plus grande unité systématique possible de ces choses. L’hypothèse d’une intelligence
suprême, comme cause unique de l’univers, mais qui à la vérité n’est que dans l’idée, peut donc
toujours être utile à la raison et ne saurait jamais lui nuire.
(CRPu, Bar 529.2.1.1-13; accentuation en gras due à NL)
va construire l’opposition conceptuelle qui reviendra constituer l’antinomie de la faculté de juger téléologique, à savoir:
lien téléologique
/
lien purement mécanique ou physique
(nexus finalis)
/
(nexus effectivus)
ainsi que les problèmes que soulève l’explication en biologie, par exemple le danger de cesser la
recherche des causes physiques des phénomènes psychologiques ou biologiques pour s’en remettre à la
soi-disant «décision souveraine d’une raison transcendante» (CRPu, Bar 531.1.11-12), «aux insondables
décrets de la sagesse suprême» (531.1.24-25).
va affirmer en ultime conclusion «que la véritable destination de cette suprême faculté de connaître est de
ne se servir de toutes les méthodes et des principes de ces méthodes que pour poursuivre la nature jusque
dans ce qu’elle a de plus intime suivant tous les principes possibles d’unité, dont le principal est celui de
l’unité des fins, mais jamais pour sortir de ses limites, hors desquelles il n’y a plus pour nous que le
vide.» (CRPu, Bar 537.3.8-15).
LA PROBLÉMATIQUE ET LA DÉMARCHE GÉNÉRALES DE CFJ
a) Comme les objets principaux des deux parties de la CFJ sont des jugements réfléchissants, l’ensemble de
l’ouvrage poursuit la théorisation de la réflexion transcendantale amorcée dans l’appendice au chapitre III de
l’Analytique ‹De l’amphibolie des concepts de la réflexion résultant de l’usage empirique de l’entendement et de
son usage transcendantal›.
Or, la «réflexion est le procès inverse de celui qui caractérise le schématisme transcendantal. Le schématisme
transcendantal est le procédé de l’imagination pour procurer à un concept (universel) son image (particulier) — la
réflexion est le procédé de l’esprit pour procurer à ce qui est particulier (image) sa signification universelle (son
concept).» (CFJ, Pko 9.4.m6-2) Et Philonenko de renvoyer à la section IV de l’Introduction à CFJ, intitulée «De la
faculté de juger comme faculté législative a priori».
Ce problème de la réflexion transcendantale — non pas celui d’expliquer ce qu’elle est mais bien plutôt celui
posé à elle — Kant l’énonce succinctement, dans la partie V de son Introduction à CFJ, de la façon suivante:
c o n st i t u er u n e ex p é r i e n c e co h é r e n t e à p a r t i r d e s p e r c e p t i o n s d o n n é e s d ’ u n e
n a t u r e co m p r e n a n t u n e mu l t i p l i c i t é ce r t a i n e m e n t i n f i n i e d e s l o i s em p i r i q u e s
(CFJ, Pko 32.2.4-6; accentuation en gras due à NL)
et déclare «que ce problème se trouve a priori dans notre entendement.» (Ibid., 32.2.6-8) L’exposé kantien de ce
problème et la description résumée de sa solution courent sur les deux paragraphes [CFJ, Pko 32.2-33.2]; je vais
tenter d’en reformuler l’essentiel, dans un langage relativement simple.
Devant la tâche d’unifier les multiples lois particulières — donc contingentes — de la nature, l’entendement
maintient le critère d’objectivité et assume la tâche des jugements déterminants; mais les lois empiriques ne sont pas
un genre d’objet à propos desquels il peut déterminer quoi que ce soit; il doit alors se contenter d’un principe adopté
comme fondement de la réflexion (plutôt que comme fondement de la détermination) et passer la main à la faculté
de juger; c’est celle-ci qui aiguille la faculté de connaître dans l’une ou l’autre direction et qui fait la différence entre
171
i
subsumer sous une règle de l’entendement avec application de la règle à l’objet et détermination de
l’objet
et
ii
subsumer sous une règle non donnée par l’entendement (seulement souhaitée par lui) avec application de
la règle à la faculté (principe subjectif, et non pas objectif) et réflexion sur la manière dont la faculté
attribue à la nature une propriété qui permet, ou explique, que la nature soit en accord avec notre faculté
de connaître (comme celle-ci le présuppose).
C’est précisément lorsque la faculté de juger s’engage dans l’option ii qu’elle assume sa fonction de faculté
réfléchissante. Et c’est en tant que telle qu’elle se donne «la loi de la spécification de la nature par rapport à ses lois
empiriques» (CFJ, Pko 33.3.5-6), laquelle consiste précisément à penser la nature selon une finalité. (Le verbe
«spécifier» est à employer ici selon la syntaxe indiquée par Kant: «la nature spécifie ses lois universelles suivant le
principe de la finalité pour notre faculté de connaître» — CFJ, Pko 33.3.11-13.)
b)La Critique de la faculté de juger esthétique. La section ‹§36. Du problème d’une déduction des jugements
de goût› de CFJ contient une formulation particulièrement éclairante du problème initial de la Critique de la faculté
de juger esthétique; cette formulation est éclairante en ce qu’elle est mise en parallèle avec une formulation du
problème correspondant qui a été posé à propos des jugements de connaissance dans la Critique de la raison pure:
Dans CRPu
Dans CFJ
Caractéristiques du - le concept d’un objet en général est lié à
jugement dont la
la perception qui en donne les prédicats
critique doit faire la
empiriques
théorie
- un jugement de connaissance est produit;
- le jugement trouve son fondement dans
des concepts a priori de l’unité
synthétique du divers dans l’intuition,
concepts fournis par l’entendement
- le jugement détermine l’objet, en fournit
une connaissance et relève de l’usage
théorique de la faculté de juger
- un sentiment de plaisir est lié à la
perception de l’objet et lui tient lieu de
prédicat
- un jugement esthétique est produit;
- le jugement a pour fondement un principe
a priori subjectif que la faculté de juger
se donne à elle-même comme loi
(principe de la finalité de la nature)
- le jugement ne détermine pas l’objet,
n’en fournit pas une connaissance, et
relève de «l’usage esthétique de la faculté
de juger» (CFJ, Pko 168.3.m7-6)
Le problème initial
«comment un jugement est-il possible, qui
uniquement à partir du sentiment personnel
du plaisir que procure un objet, indépendamment de son concept, juge a priori ce plaisir
comme dépendant en tout autre sujet de la
représentation de cet objet, c’est-à-dire sans
devoir attendre une approbation étrangère?»
(CFJ, Pko 123.2.1-f)
«comment des jugements de connaissance
synthétiques a priori sont-ils possibles?»
(CFJ, Pko 122.3.m4-3)
Tableau 11.10 Le parallèle établi par Kant entre le problème initial de la Critique de la raison pure et celui de la
Critique de la faculté de juger.
La formulation donnée en §35 du problème initial de la Critique de la faculté de juger esthétique contient sans
doute des expressions dont la compréhension doit être approfondie par la lecture des sections de l’Analytique du
Beau (§1 à 22); mais elle a le grand avantage d’être très explicite et de faire apparaître qu’elle est une spécialisation
du problème général de la philosophie transcendantale auquel la Critique de la raison pure nous avait habitués:
«comment des jugements synthétiques a priori sont-ils possibles?» (CFJ, Pko 123.3.2f)
c) La Critique de la faculté de juger téléologique a pour problème initial: Parmi les objets des facultés de
connaissance s’en trouve-t-il qui possèdent objectivement un caractère de finalité, c’est-à-dire auxquels la faculté de
172
juger peut attribuer une finalité objective au moyen d’un jugement téléologique? En d’autres mots, quels sont les
principes déterminants des jugements téléologiques qui permettraient de comprendre à la fois leur possibilité, leur
inévitabilité et leurs limites de validité?
La réponse de Kant consistera à dire :
– Il est certes permis d’attribuer une finalité objective aux objets dont nous construisons le concept, par
exemple aux figures de la géométrie; mais cette finalité objective n’est bien sûr que formelle et ne nous
dit rien au sujet de la finalité des objets naturels.
– Les objets des sens n’ont pas de finalité objective que nous puissions leur attribuer à bon droit en tant
qu’objets de la nature, puisqu’aucune des intentions (ou buts) de la nature ne peut être connue de nous, si
tant est que la nature ait jamais eu quelque intention. Néanmoins, le jugement téléologique est utilisé à
bon droit dans l’étude que nous faisons de la nature, si nous l’utilisons seulement «selon l’analogie avec
la causalité finale <Kausalität nach Zwecken> » (CFJ, Pko 182.2.3-4) et seulement pour la gouverne de
nos propres facultés au moyen de principes régulateurs.
d)Dans la Critique de la faculté de juger, la manière dont la finalité oriente toute la démarche d’ensemble est
décrite par anticipation dans l’Introduction; les neuf sections de celle-ci résument de façon dense (cela rend le texte
très difficile à saisir en première lecture) la démarche elle-même, les motifs qui en déterminent les étapes et les
principales thèses qui la ponctuent. Occupons-nous ici de la démarche.
l’«Introduction» à la Critique de la faculté de juger, où Kant s’efforce d’articuler l’une sur l’autre la
représentation esthétique et la représentation logique du concept de finalité.
La démarche d’ensemble comporte les trois moments suivants :
— Kant explique d’abord l’Idée de la finalité en général, telle que requise par la raison, dans sa
considération de la nature, pour fonder l’unité de l’expérience qu’elle en a et qu’elle en veut avoir.
[Sections I-V]
— Kant introduit une variante de l’Idée de finalité, ou en dérive une application particulière, en établissant
une «liaison du sentiment de plaisir avec le concept de la finalité de la nature». Cette étape de la
démarche constitue l’esthétisation de la finalité de la nature. [Sections VI-VII] Le concept qui en ressort
est celui de finalité subjective de la nature. Je donne en Appendice 4 une paraphrase de la section VI, en
découpant les principaux moments de la démarche de Kant dans cette section.
— Kant spécifie une deuxième interprétation particulière de la finalité en général, en l’étendant aux fins que
la nature pourrait poursuivre lorsqu’elle produit des «êtres organisés» (les vivants). [Sections VIII-IX].
Le concept qui ressort de cette démarche est celui de finalité objective de la nature.
Les moments de cette démarche sont insérés dans une opération qui leur sert constamment de contexte, à savoir
l’établissement des liens entre la troisième Critique et les deux précédentes, de manière à présenter la théorie de la
Faculté de juger comme le «moyen d’unir en un tout les deux parties de la philosophie» (CFJ, Pko 25; dans le titre
de la section III) et, partant, les diverses parties du système kantien lui-même.
7.2.2
La conceptualité de la Critique de la faculté de juger
7.2.2.1
Le vocabulaire du jugement
Le mot français «jugement» peut signifier :
– ou bien la faculté de juger; dans ce cas il traduit «Urteilskraft», «Beurteilungsvermögen» (CFJ, Pko
197.1.5) ou «Vermôgen zu urteilen». Barni utilise régulièrement le mot «jugement» en ce sens;
Philonenko utilise plutôt «faculté de juger» — je l’ai signalé déjà.
– ou bien l’acte de juger; dans ce cas il traduit «Beurteilung».
– ou bien le résultat de l’acte de juger, résultat qu’on exprime canoniquement par une proposition; dans ce
cas, il traduit «Urteil».
173
Il faudra par conséquent être prêt à tenir compte de cette polysémie, lorsque certains passages s’avéreront
compliqués ou difficiles à comprendre. Comme c’est probablement la deuxième acception qui est la moins fréquente
— celle où le jugement est un acte — j’en présente quelques occurrences susceptibles de nous la rendre plus
familière :
Nous possédons une faculté de […] trouver une satisfaction dans le simple jugement
<Beurteilung> [des formes d’un objet donné dans la représentation].
(CFJ, Pko 132.3.1-3)
La propriété de la nature de contenir pour nous l’occasion de percevoir dans le jugement de certains
de ses produits la finalité interne […]
(CFJ, Pko 172.3.m4-2)
[…] on use à bon droit du jugement <Beurteilung> téléologique, du moins problématiquement, dans
l’étude de la nature; mais ce n’est que pour sa soumettre, suivant l’analogie avec la causalité finale,
aux principes de l’observation et de la recherche, sans prétendre l’expliquer par là.
(CFJ, Pko 182.2.1-5)
[…] la beauté de la nature, c’est-à-dire son accord avec le libre jeu de nos facultés de connaître dans
l’appréhension et le jugement de sa manifestation […]
(CFJ, Pko 198.2.1-3)
il est […] non seulement permis, mais encore inévitable, en ce qui concerne les lois empiriques des
fins naturelles dans les êtres organisés, de faire usage du jugement téléologique <teleologische
B eu r t ei l un g s ar t > comme principe de la théorie de la nature par rapport à une classe particulière
de ses objets.
(CFJ, Pko 200.2.5f)
Quelques productions de la nature matérielle ne peuvent pas être considérées comme possibles
d’après de simples lois mécaniques (leur jugement exige une toute autre loi de causalité : celle des
causes finales).
(CFJ, Pko 203.4.1-f)
7.2.2.2
Le vocabulaire de la finalité
Pour se construire une représentation ordonnée et simple des principaux concepts associés à la finalité, il est
utile de commencer par se replacer dans le contexte de la Dialectique transcendantale de CPu. La solution du
‹troisième conflit des idées transcendantales› est exposée dans la ‹9 e Section : DE L’USAGE EMPIRIQUE DU
PRINCIPE RÉGULATEUR DE LA RAISON PAR RAPPORT À TOUTES LES IDÉES COSMOLOGIQUES› de CPu et
constitue la troisième partie de cette section, à savoir ‹III. Solution des idées cosmologiques de la totalité de la
dérivation qui fait sortir les événements du monde de leurs causes.› Et la simple mention des deux intitulés qui sont
subordonnés à celui de cette partie III suffit à nous rappeler quelle était la solution de la troisième antinomie :
– ‹Possibilité de l’union de la causalité libre avec la loi générale de la nécessité naturelle›
– ‹Éclaircissement de l’idée cosmologique d’une liberté unie à la loi générale de la nécessité naturelle.›
Maintenant si cette Idée d’une cause libre est appliquée au sujet humain avec l’hypothèse qu’il est capable de
déterminer certaines de ses actions, on obtient le concept duquel partira la Critique de la raison pratique. Si cette
Idée d’une cause libre est appliquée à un être qui aurait pu concevoir la nature, on obtient l’Idée d’une finalité de la
nature qui peut justement jouer un rôle positif en servant de fondement à certaines maximes de la raison; les
maximes en question sont celles par lesquelles la raison guide l’entendement dans sa recherche des lois de la nature
et par ce rôle de principes régulateurs que Kant leur fait jouer se trouve rendue possible (et aussi expliquée) cette
unité de la nature que toutes les recherches empiriques postulent et recherchent de fait, alors que la raison, fidèle à
son habituelle recherche d’inconditionné, l’exige comme but final <Endabsicht> de sa propre activité. Cette idée est
exprimée explicitement dans l’‹Appendice à la dialectique transcendantale› — je l’ai citée ci-dessus :
L’unité formelle suprême, qui repose exclusivement sur des concepts rationnels, est l’unité finale
<zweckmäßige> des choses, et l’intérêt spéculatif de la raison nous oblige à regarder toute
174
ordonnance <Anordnung> dans le monde comme si elle était sortie des desseins <Absicht> d’une
raison suprême.
(CRPu, Bar 529.2.1-5; dans le passage intitulé
‹Du but final <Endabsicht> de la dialectique naturelle de la raison humaine›)
À partir de cette Idée de finalité, peut s’élaborer la conceptualité de la troisième Critique.
La liberté, c’est ce qui exprime le caractère inconditionné de la causalité d’une chose en soi. La finalité, c’est
ce qui exprime le caractère intentionnel de la causalité d’une chose en soi. C’est pourquoi Kant désigne souvent la
finalité au moyen d’une spécification du concept de causalité lui-même: «causalité […] des causes finales
<Kausalität der Endursachen> » (CFJ, Pko 206.2.m3); «causalité d’après des fins <Kausalität nach Zwecken> »
(CFJ, Pko 63.2.8); ce type de causalité n’est possible que chez un être (une chose en soi) dont la «faculté d’agir est
déterminée par des concepts» (CFJ, Pko 189.2.3-4); aussi la finalité est-elle également appelée «la causalité par
concepts».
En tant que concept, la finalité est
– soit le rapport causal lui-même (entre une chose en soi capable de cette causalité) et son effet (en latin
dans le texte allemand: «nexus finalis»).
– soit une propriété de ce rapport; «la liaison finale <Zweckverbindung> » (CFJ, Pko 64.1.6).
– soit une propriété de l’être, ou de la faculté, dont la causalité est par concepts. (Le plus souvent,
l’expression «finalité de la nature» désigne une propriété de la nature même s’il nous est absolument
impossible d’affirmer cette propriété comme si c’était quelque chose que nous sommes capables de
connaître et même s’il nous est impossible de connaître quoi que ce soit de la nature comme chose en
soi; nous pouvons cependant penser la nature comme ayant une telle propriété et toutes les Idées ne sont
que cela: des représentations qui n’ont pas de valeur objective, de réalité objective.)
– soit une propriété d’un objet, quand l’unité ou la possibilité de cet objet résulte (est vue comme résultant)
du fait que l’objet ait été pensé; ou encore: quand la convenance de cet objet eu égard à nos facultés de
connaître est vue comme résultant du fait que l’objet ait été pensé.
– soit une propriété de la forme d’un objet. «[…] on nomme finalité de la forme d’une chose l’accord de
celle-ci avec une constitution qui n’est possible que d’après des fins.» (CFJ, Pko 29.1.1-3)
Il faut se familiariser avec les quelques concepts relatifs à la finalité:
a) le prédicat «final <Zweckmäßig> » signifie «relatif à la finalité» ou «relatif à une fin», et la fin dont il
s’agit est toujours le but, sauf dans les expressions où le sème intentionnel et le sème ordinal sont tous
les deux présents; je n’ai présentement en tête que deux expressions où «final» va signifier «dernier» :
• Endabsicht (comme dans la citation donnée 3 paragraphes plus haut, tirée de CRPu) où «End» est le
sème ordinal et «absicht» est le sème intentionnel.
• Endzweck, où «End» est le sème ordinal et «zweck» est le sème intentionnel.
Ces deux expressions sont traduites (chez Barni et Philonenko) par «but final».
b) La cause finale <Endursache> est
• soit l’agent capable de se déterminer à produire son effet par la représentation de cet effet;
généralement, c’est un entendement (le nôtre ou un autre) qui occupe cette position d’agent, puisque
c’est généralement l’entendement qui produit le concept.
• soit le concept qui détermine l’agent à produire son effet, concept qui est une représentation de
l’effet à produire.
c) CFJ contient plusieurs définitions de ce qu’est une fin. En voici quelques-unes.
[…] le concept d’un objet, dans la mesure où il comprend en même temps le fondement de la réalité
de cet objet, se nomme une fin.
(CFJ, Pko 28.4.1-29.1.1)
175
la fin, en général, est ce dont le concept peut être regardé comme le principe de l’objet lui-même
[…]
(CFJ, Pko 69.2.5-7)
d) Les sortes de finalité
Première division. La finalité se divise en finalité subjective et finalité objective :
• la finalité subjective est celle attribuée à des objets de la nature sur la seule base de l’effet de plaisir
éprouvé par nous, le sujet qui perçoit ces objets. La finalité subjective est celle dont l’effet est
ressenti dans le sujet; elle est celle «par laquelle l’objet semble être à l’avance comme déterminé
pour notre faculté de juger» (CFJ, Pko 85.2.6-7). En d’autres termes : pour que notre imagination
puisse s’entendre avec notre entendement lors de la simple appréhension de certains phénomènes, il
faut que la nature soit comme si elle avait été faite dans le but de nous donner le plaisir de cet accord.
Cette finalité est dite «subjective» en ce sens que notre réaction subjective devant le phénomène est
le seul critère de cette hypothétique finalité. C’est la finalité subjective qui est examinée dans la
Critique de la faculté de juger esthétique.
• la finalité objective est celle dont l’effet est aperçu dans l’objet. Cette finalité est attribuée à des
objets de la nature sur la base des propriétés qu’ils ont eux-mêmes et qu’ils pourraient posséder en
raison d’une fin dont ils sont la réalisation, indépendamment de la réaction qu’ils pourraient susciter,
par ailleurs, dans le sujet. Dans le cas de la finalité objective, «non seulement la finalité de la nature
est représentée dans la forme de la chose, mais son produit même est représenté comme fin
naturelle.» (CFJ, Pko 39.1.10-12) La finalité objective concerne «la possibilité de l’objet lui-même
suivant les principes de la liaison finale <Zweckverbindung> » (CFJ, Pko 64.1.5-6). Elle est «la
relation de l’objet à une fin déterminée.» (CFJ, Pko 68.f.2f) C’est la finalité objective qui est
examinée dans la Critique de la faculté de juger téléologique.
Deuxième division. La finalité se divise en finalité formelle et finalité matérielle (ou réelle)
• la finalité formelle est celle attribuée à la forme seule des objets ou phénomènes donnés dans la
perception, donc abstraction faite de la sensation considérée comme matière de l’intuition. C’est elle
qui est souvent qualifiée de «finalité […] sans fin» (CFJ, Pko 63.2.m10). J’explique cette formule
dans la section f) qui suit.
[…] Le moment formel dans la représentation d’une chose, c’est-à-dire l’accord de la
diversité suivant une unité (sans que soit déterminé ce que celle-ci doit être) ne nous fait
par lui-même connaître absolument aucune finalité objective. En effet puisqu’il est fait
abstraction de cette unité comme fin (ce que la chose doit être), il ne subsiste en l’esprit du
sujet intuitionnant rien d’autre que la finalité subjective des représentations. Celle-ci
désigne bien une certaine finalité de l’état représentatif dans le sujet et en cet état une
aisance du sujet à saisir <auffassen> une forme donnée dans l’imagination, mais non la
perfection d’un objet quelconque, qui n’est pas en ce cas pensé par le concept d’une fin.
(CFJ, Pko 69.2.m15-4)
Je ne suis pas parvenu à décider s’il y a un ou deux concepts de finalité formelle; ou plutôt si le
prédicat «formelle» et le prédicat «sans fin» expriment le même concept ou deux concepts
distincts. S’il y avait là deux concepts distincts, ce serait dû à deux emplois du mot «forme»:
1° dans un cas, la forme concernée est celle de l’objet représenté, en tant qu’elle plaît
à mes facultés;
2° dans l’autre cas, la forme concernée est celle de la relation de finalité;
on a une relation de finalité avec des contenus, lorsque les trois termes de cette relation sont
déterminés: à savoir la fin, la cause (qui agit selon la représentation-fin) et l’effet;
mais on n’a que la forme d’une relation de finalité lorsque un ou deux des trois termes de la
relation sont indéterminés, comme c’est le cas lorsque nous pensons la finalité dont l’effet est notre
plaisir sans pourtant parvenir à identifier la fin ni la cause (en tant que volonté déterminée par cette
fin).
NOTE. La finalité intellectuelle peut être considérée comme une sorte de finalité formelle; il s’agit
de «cette finalité observée dans l’essence des choses (en tant que phénomènes)» (CFJ, Pko
176
185.2.m6-5), c’est-à-dire dans les choses dont l’essence est adéquatement représentée dans le
concept que nous en construisons. Typiquement, les choses qui satisfont cette condition sont les
figures géométriques (le cercle, le triangle, etc.) et les «figures mathématiques» (CFJ, Pko 186.2.14).
Cette finalité est toujours une sorte de finalité objective.
• la finalité matérielle est celle attribuée aux objets ou phénomènes considérés dans leur réalité, donc
avec leurs prédicats qui fournissent la sensation; aussi la finalité matérielle est-elle également
qualifiée de réelle. Elle exige comme principe une fin.
Troisième division. La finalité se divise en finalité pratique et finalité naturelle.
• la finalité pratique est celle que l’on attribue à un sujet humain, et, plus spécifiquement, à sa faculté
de désirer (ou volonté), lorsqu’on pense cette dernière comme chose en soi dotée d’une causalité
libre. La causalité libre est à son tour définie comme la capacité de s’autodéterminer par la
représentation de l’effet à produire par l’action — ce qui présuppose la possibilité, pour une telle
chose en soi, d’être l’initiatrice absolue d’une chaîne causale, donc d’être cause sans dépendre
causalement d’une cause antérieure.
• la finalité naturelle est celle que nous attribuons à un objet ou phénomène lorsque nous établissons
entre lui et sa cause la relation complète de causalité finale (telle que d’abord conçue pour un
entendement quelconque) avec ses trois éléments: 1° une fin représentée dans une Idée; 2° une cause
dont la détermination n’est possible que par une fin; 3° un effet qui n’est possible que par cette
cause. On attribue à la nature une finalité naturelle, lorsqu’on pense la faculté d’agir de celle-ci par
analogie avec celle du sujet humain. C’est la finalité que nous concevons «lorsqu’il s’agit de juger
un rapport de cause à effet, que nous ne parvenons à considérer comme légal, que si nous posons au
fondement de la causalité de sa cause l’Idée de l’effet comme condition de possibilité de cette
causalité.» (CFJ, Pko 186.3.3-6) Il n’est légitime de faire cette analogie que dans les contextes où la
faculté de juger se contente de réfléchir (c.-à-d. objectiver son propre fonctionnement).
Quatrième division. La finalité se divise en finalité externe et finalité interne
• la finalité externe (ou «relative» — CFJ, Pko 187.1.5; ‹§63. De la finalité relative de la nature à la
différence de la finalité interne.›) de l’être naturel est celle que l’on attribue à un objet ou phénomène
de la nature lorsqu’on le considère «en tant que moyen pour l’usage final d’autres causes» (CFJ, Pko
187.1.2-3), entendons de causes autres que celle qui l’a produit lui-même; le vocabulaire kantien
distingue deux sortes d’autres causes: cette «finalité se nomme l’utilité (pour l’homme) ou aussi
convenance (pour tout autre créature)» (Ibid., 187.1.4-5).
• la finalité interne de l’être naturel. Une finalité est interne si et seulement si elle est simultanément
objective, matérielle (réelle), légale <gesetzlich> [je traduirais l’adjectif allemand par «nomique»] et
qu’en plus «nous considérons immédiatement l’effet comme production artistique <Kunstprodukt> »
(CFJ, Pko 186.3.2f; §63). Un objet n’est final (relié à une fin) en ce sens interne, que si la fin
entrevue par sa cause se réalise entièrement avec lui et qu’il n’est pas nécessaire, pour réaliser
entièrement cette fin, que cet objet serve en plus à quelque chose d’autre ou à quelqu’un d’autre. La
finalité naturelle interne est celle qui sert à penser la possibilité des êtres naturels organisés, à
savoir les vivants: le produit qui manifeste ce type de finalité «en tant qu’être organisé et
s’organisant lui-même, peut être appelé une fin naturelle <N a t u r z w e c k > » (CFJ, Pko 193.2.2f)
Cinquième division. La finalité pratique se divise en finalité techniquement pratique et finalité
moralement pratique.
7.2.2.3
Les sortes de finalité et la division de la philosophie
Il s’agit de préciser, relativement aux prédicats «pratique» et «théorique», comment se répartissent les
contextes d’emploi des concepts de finalité et de savoir si, au bout du compte, ces contextes appartiennent à la
philosophie théorique ou à la philosophie pratique.
Le concept de finalité a des aspects qui permettent de lui associer des contextes d’emploi de deux sortes:
177
A.
B.
– les contextes qu’on peut faire appartenir à la philosophie théorique
– les contextes qu’on peut faire appartenir à la philosophie pratique.
Lorsque la finalité est considérée comme le principe duquel dépend la convenance entre la forme de la nature
et nos facultés, ses contextes d’emploi sont en philosophie théorique. Dans cette situation, on a alors
l’obligation de spécifier les différences entre
• jugements de connaissance
• et jugements de réflexion.
On doit également spécifier les différence entre les concepts qui permettent la production des connaissances
(ce seront forcément des concepts de la nature) et les concepts qui, sans permettre un accroissement des
connaissances, permettent
• soit la dimension esthétique de l’expérience et la communicabilité des dispositions subjectives dans les
limites d’un sens commun
• soit une systématisation de notre expérience de la nature et de notre science de la nature.
Poussant plus avant la différenciation, la Critique, dans CFJ, aura également pour tâche de montrer que ce
sont justement deux interprétations de la finalité qui fournissent le principe de la distinction entre les
jugements téléologiques et les jugements esthétiques.
Lorsque la finalité est considérée comme le principe duquel dépend la détermination des actions imputables à
des agents, ses contextes d’emploi sont alors des candidats susceptibles d’appartenir à la philosophie
pratique, mais tous ne seront pas retenus. Et la tâche de la Critique est de départager entre
– la finalité entendue en son sens technique (et qui concerne donc ce qui est «techniquement pratique»); la
théorie de ce type de finalité ne relève déjà plus de la philosophie (pure), mais de disciplines empiriques
occupées à identifier des modes naturels de détermination de la volonté (celle-ci étant alors considérée
comme faculté naturelle): la prudence, l’habileté, la connaissance des faits de la nature et des traits de
caractère des personnes, etc.
– et la finalité entendue au sens moral; c’est en ce sens seulement que la finalité est un concept de la
liberté et que la détermination de l’action par des fins concerne le sujet humain et relève de la
philosophie pratique.
7.2.2.4
Concernant la seconde division (formelle/matérielle)
du concept de finalité
Pour expliquer le concept de finalité formelle et de finalité sans fin, je trouve utile de présenter une
paraphrase en langage simple (plus simple que celui de Kant…) de certains passages de §10 et de §11. Ce procédé
présente l’inconvénient d’introduire ici du matériel que ma démarche d’exposition devrait présenter seulement dans
les matrices des registres 1 et 2 de la section E ci-dessous; mais, d’un autre côté, ma démarche prescrit que
j’explique maintenant le sens des concepts kantiens et que je les présente comme le vocabulaire dans lequel seront
énoncées les thèses. Or, je n’ai pas trouvé, pour expliquer ce concept, de moyen plus pédagogique que le suivant.
Il s’agit de savoir quel est le fondement du jugement qui exprime le plaisir intellectuel produit en nous par la
perception des objets beaux, en d’autres termes quel est le fondement du jugement esthétique.
(Paraphrase de ‹§10. De la finalité en général.› ) Pour concevoir la finalité d’un objet, nous plaçons, dans
le cas paradigmatique, une représentation de cet objet, un concept de cet objet, dans une volonté et nous supposons
que ce concept, alors appelé «fin», détermine cette volonté à produire l’objet en question.
L’exemple classique est la finalité de la statue sculptée; on suppose que le sculpteur possède une
représentation (un concept) de la statue à produire et que cette représentation détermine la volonté du
sculpteur: l’objet qui en résulte a la forme et l’existence qui avaient d’abord été pensés dans la représentation
(forma finalis).
Dans le cas du plaisir que nous éprouvons à l’occasion de notre appréhension de certains objets de notre
expérience, voilà un état de notre esprit <Gemütszustand> qui est l’effet de quelque cause; ce serait
178
assurément un effet final (c.-à-d. un effet de type fin, obtenu à la manière d’une fin, selon la relation de
finalité) si nous pouvions en placer la représentation dans une volonté qui s’est laissé déterminer par cette
représentation et qui a agi selon cette représentation. Or, nous ne pouvons placer dans la nature ni une telle
représentation (ni une telle fin; ni, d’ailleurs, aucune fin), ni une telle volonté (ni une volonté comme faculté
en général, ni la volonté déterminée de produire ce plaisir en nous). Parlerons-nous néanmoins d’une finalité
de la nature pour désigner sa causalité relativement à notre plaisir? Kant dit: oui, nous pouvons le faire
pourvu que
1° nous constations l’état de choses suivant :
[…] nous ne pouvons expliquer et comprendre [la] possibilité [de notre plaisir, considéré
comme état de notre esprit] que dans la mesure où nous admettons à son fondement une
causalité d’après des fins, c’est-à-dire une volonté qui en aurait ordonné la disposition d’après la
représentation d’une certaine règle.
(CFJ, Pko 63.2.6-9)
2° et que nous reconnaissions alors que la finalité à laquelle nous recourons est d’une sorte un peu
particulière puisqu’elle est seulement «une finalité au point de vue de la forme», une finalité «sans fin» :
La finalité peut donc être sans fin <Die Zweckmäßigkeit kann also ohne Zweck sein>, dans la
mesure où nous ne posons pas les causes de cette forme en une volonté; bien que nous ne
puisions obtenir une explication compréhensible de sa possibilité, qu’en dérivant celle-ci d’une
volonté. Or il ne nous est pas toujours nécessaire de saisir par la raison (en sa possibilité), ce
que nous observons. Ainsi <Also> nous pouvons tout au moins observer une finalité au point de
vue de la forme, sans mettre à son fondement une fin (comme étant la matière du nexus finalis),
et la remarquer dans les objets, mais, il est vrai, seulement par réflexion.
(CFJ, Pko 63.2.10-f; suite immédiate de la citation précédente.)
(Paraphrase du titre de ‹§11. Le jugement de goût n’a rien d’autre à son fondement que la forme de la finalité d’un
objet (ou de son mode de représentation).› et de son deuxième paragraphe.) Ce que cette finalité a de purement
formel peut s’exprimer aussi par l’expression contenue dans le titre de §11, de sorte qu’on a trois expressions
équivalentes pour expliciter ce qu’est la finalité formelle:
une finalité sans fin
une finalité selon la forme (seulement)
la forme de la finalité.
Le lecteur de Kant voudra bien prendre garde au vocabulaire utilisé pour formuler la thèse dominante de §11 : «[…]
la principe déterminant <du jugement de goût> […] ne peut donc être que la finalité subjective dans la
représentation d’un objet, sans aucune fin (ni objective, ni subjective), c’est-à-dire par conséquent la simple forme
de la finalité dans la représentation […].». Pour interpréter l’opposition objective/subjective survenant ici, il faut se
placer dans le contexte de la section §10, que j’ai longuement paraphrasé ci-dessus. Pour comprendre qu’une finalité
subjective n’implique pas forcément une fin subjective, il faut aller au-delà de l’identité des adjectifs employés ici:
– la finalité est dite subjective parce que la faculté de juger l’attribue à la nature sur la seule base du constat
de plaisir vu comme effet;
– la fin objective est celle qui serait placée dans la volonté de la nature si la faculté de juger parvenait à
identifier une telle fin et une telle volonté — ce qui n’est pas le cas, comme le montre §10.
– la fin subjective est la représentation qui servirait de fin à l’auteur du jugement de goût et qui
déterminerait la volonté de celui qui éprouve le plaisir intellectuel exprimé par ce jugement; et c’est le
premier paragraphe de §11 qui écarte la possibilité qu’une telle fin serve de principe déterminant au
jugement de goût.
– une fin de la nature est définie comme à la fois objective et matérielle :
L’expérience conduit notre faculté de juger au concept d’une finalité objective et matérielle,
c’est-à-dire au concept d’une fin de la nature, mais seulement lorsqu’il s’agit de juger un rapport de
cause à effet, que nous ne parvenons à considérer comme légal <gesetzlich>, que si nous posons au
179
fondement de la causalité de sa cause l’Idée de l’effet comme condition de possibilité de cette
causalité.
(CFJ, Pko 186.3.1-6)
LE CONCEPT DE DÉTERMINATION ET LE PRÉDICAT «DÉTERMINANT»
concept déterminé par opposition à concept indéterminé;
principe déterminant d’un jugement;
jugement déterminant par opposition à jugement réfléchissant.
Kant oppose conceptuellement usage déterminant et usage réfléchissant de la faculté de juger.
– en ce qui concerne l’usage déterminant de la faculté de juger. Voir CFJ, Pko 30.4.
La faculté de juger déterminante sous les lois universelles transcendantales, que donne
l’entendement, ne fait que subsumer; la loi lui est prescrite a priori et il ne lui est pas nécessaire de
penser pour elle-même à une loi pour pouvoir subordonner le particulier dans la nature à l’universel.
(CFJ, Pko 28.2)
– la faculté de juger réfléchissante; la faculté de juger en son usage réfléchissant; les «jugements
réfléchissants» (CFJ, Pko 37.3.m3); un «jugement de réflexion formel <ein formales Reflexionsurteil> »
(CFJ, Pko 122.4.6-7).
[…] la réflexion sur les lois de la nature se règle sur la nature et […] celle-ci ne se règle pas sur les
conditions suivant lesquelles nous cherchons à en acquérir un concept tout à fait contingent par
rapport à elle.
(CFJ, Pko 28.2.4f)
Par ailleurs, Kant utilise aussi les mots «déterminant» et «déterminer» dans des contextes où il s’agit de
savoir quel est le «principe déterminant» d’un jugement, ou qu’est-ce qui détermine (au sens de «fonder») un
jugement. Le texte kantien proposera donc des contextes dans lesquels il sera question
– d’un principe déterminant pour un jugement réfléchissant
– d’un principe déterminant pour un jugement déterminant.
Ainsi nous apprendrons, en CFJ §11, que la finalité subjective dans la représentation d’un objet est le principe
déterminant du jugement de goût, lequel n’est pas un jugement déterminant puisque la faculté de juger esthétique
n’est pas déterminante mais bien réfléchissante. Ce qui montre que le mot «déterminant», dans le syntagme
«principe déterminant <Bestimmungsgrund> » n’a pas le même sens que dans le syntagme «jugement déterminant»;
notamment, on ne peut pas appliquer au syntagme «principe déterminant» l’articulation «déterminant/réfléchissant»
pour former le syntagme «principe réfléchissant».
LE VOCABULAIRE DE L’OBJECTIVITÉ: LA RÉPARTITION DES PRÉDICATS «OBJECTIF» ET «SUBJECTIF»
La présente section concerne une particularité du vocabulaire kantien qui doit absolument être aperçue et
comprise très tôt, au cours de la lecture de CFJ, faute de quoi peut s’installer une confusion conceptuelle qui risque
d’entraver pour longtemps la compréhension du texte. Les prédicats «objectif» et «subjectif» ont deux emplois
distincts et logiquement indépendants :
– selon le premier emploi, il s’agit de spécifier de quelle finalité il s’agit; «objectif» signifie «dont l’effet
est aperçu dans l’objet»; «subjectif» signifie «dont l’effet est ressenti dans le sujet».
– selon le second emploi, il s’agit de spécifier, à propos d’un concept ou d’un principe, s’il est objectif ou
subjectif. Cette propriété est épistémologique et qualifie le rapport que ces représentations (concept ou
principe) entretiennent avec ce qu’elles représentent:
• un concept est objectif s’il détermine l’objet qu’il représente tout en déterminant un état de la faculté
où il apparaît; un concept est subjectif s’il détermine seulement un état de la faculté où il apparaît
sans déterminer l’objet qu’il représente; en ce sens, une «fin subjective» n’est rien de plus qu’une fin
180
•
conçue par le sujet et pour lui: remporter l’élection est une fin subjective du candidat à la fonction de
député.
un principe est objectif quand il fait connaître (au sens théorique) quelque chose de l’objet par le
jugement qu’il fonde; un principe est subjectif quand il fonde un jugement sans faire connaître (au
sens théorique) quelque chose de l’objet visé par ce jugement.
Lorsque Kant pose le problème de savoir quel est le principe déterminant d’un jugement de finalité donné,
de savoir sur quoi un tel jugement est fondé, il en vient à utiliser les deux emplois à peu de distance l’un de l’autre,
notamment lorsqu’il explique
– que le principe de finalité objective est un principe subjectif, que le concept de finalité objective, dans
certains contextes, n’a pas de réalité objective.
– qu’«aucune fin subjective ne peut […] être au fondement du jugement de goût» (CFJ, Pko 64.1.3-4) mais
que la finalité subjective l’est, et peut seule l’être. (CFJ. §11).
Le lecteur doit être conscient de la dualité des emplois pour que de tels énoncés ne soient pas énigmatiques.
Au début de la section ‹§75. Le principe d’une finalité objective de la nature est un principe critique de la
raison pour la faculté de juger réfléchissante.›, Kant énonce à titre d’exemples deux principes affirmant tous deux la
finalité objective de la nature et fait observer que l’un est un principe objectif et l’autre un principe subjectif. Ce
passage montre très clairement les deux emplois de la paire de prédicats «objectif»/«subjectif» et je trouve utile que
le lecteur de Kant prenne conscience de cette dualité bien avant d’être rendu, dans sa lecture de CFJ, à la section
§75. Voici les deux énoncés :
– «La production de certaines choses de la nature ou même de la nature tout entière n’est possible que par
une cause, qui se détermine intentionnellement à l’action»
– «[…] d’après la constitution particulière de mes facultés de connaître je ne puis juger autrement de la
possibilité de ces choses et de leur production qu’en concevant pour celles-ci un cause, qui agit par
intention, par conséquent un être, qui est producteur par analogie avec la causalité d’un entendement.»
(CFJ, Pko 212.2.1-9)
Bien que ces énoncés n’affirment pas la même chose, chacun d’eux peut être appelé un principe de la finalité
objective de la nature (au sens de : affirmant la finalité objective de la nature). En disant que le premier est objectif
et le second subjectif, Kant fait voir que le prédicat «objective» dans l’expression «finalité objective de la nature»
n’est pas employé dans le même sens que le même prédicat dans l’expression «principe objectif pour la faculté de
juger déterminante» (CFJ, Pko 213.1.4-5).
Je signale ici cette différence de sens à titre de particularité importante du vocabulaire kantien et non à titre
d’explication de la thèse dominante de la section §75. Je discuterai plus bas le contenu théorique des affirmations de
Kant évoquées ici.
7.2.3
Les explananda (états de choses à décrire) et les explicanda (concepts à
clarifier) eu égard aux plans d’activité C - P - D
Les liens logiques entre les parties D et E qui suivent sont les suivants:
– j’énonce d’abord les explananda et les explicanda de la philosophie critique kantienne; les deux termes
latins désignent des choses à expliquer, telles qu’on peut les formuler ou identifier à l’étape où elles
représentent des problèmes pour la pensée:
• «explananda» désignent des états de choses, faits et phénomènes en tant que ce sont des objets à
expliquer par des théories;
• «explicanda» désigne des concepts ou notions, en tant ce que sont des objets à expliquer par des
définitions ou clarifications de termes. J’emprunte à Rudolf Carnap ce sens spécialisé de
l’explication philosophique.
181
–
Les termes mentionnés à cette étape-ci appartiennent en principe au vocabulaire pré-théorique et
désignent des réalités qui sont considérées comme admises, quoi non comprises, et des notions qui ont
cours, bien qu’elles requièrent des clarifications.
ensuite, en E, je tente de décrire la production théorique kantienne; je divise à nouveau cette étape :
• d’abord, je réponds à la question: «Quelles sont, d’après la Critique, les représentations qui sont
associées aux diverses facultés en tant qu’outils ou principes de leur activité spécifique?» La réponse
à cette question devrait idéalement constituer une sorte d’inventaire de la conceptualité kantienne, en
termes de concepts a priori et de principes a priori qui ont un rôle transcendantal.
• puis je tente de rappeler les principales thèses du criticisme en les subsumant sous le dénominateur
commun de processus : lorsque Kant résout les problèmes qu’il s’est posés, il dit comment chaque
faculté agit, comment, en particulier, elle utilise les représentations qu’elle possède ou construit pour
produire les types de pensée qui lui conviennent (certaines de ces pensées étant des connaissances).
Les représentations des facultés réapparaissent dans la description des processus mais je leur ajoute
une information plus complexe concernant la manière dont elles sont utilisées pour produire le
résultat à expliquer; la description des processus est dynamique.
• troisièmement, pour faciliter la synthèse et la mise en mémoire, je fais mention, dans les cases
correspondantes de la même matrice des 6 facultés, des principales appellations au moyen desquelles
on étiquette les principales constructions théoriques dont j’ai rappelé certaines thèses dans le tableau
des processus.
Autre façon d’énumérer les thèmes les plus englobants:
– lien entre les lois de fonctionnement des facultés et les lois de la nature
– lien entre finalité et pratique des sciences de la nature (activités de recherche scientifique)
– lien entre finalité et pratique des arts
– lien entre finalité et action morale; ou encore: entre finalité et poursuite du bonheur.
Explananda (états de choses à décrire, expliquer…)
C
les conditions de possibilité du jugement de connaissance <Erkenntnisurteil>,
théorique
l’unité de l’expérience comme source de connaissance
l’unité de la science comme système des lois de la nature
le caractère de nécessité propre aux lois universelles de la nature
les conditions de possibilité du jugement mathématique (Faut-il mentionner le
jugement logique?)
les conditions de possibilité du jugement téléologique sur la nature
la technique de la nature;
«l’unité de la nature suivant des lois empiriques et l’unité de l’expérience
(comme système d’après des lois empiriques)» (CFJ, Pko 31.1.17-19)
l’unité de la «nature en général comme système des fins» (CFJ, Pko 196 §67)
P
Explicanda
(concepts à clarifier)
le Savoir en tant que
connaissance objective;
l’expérience
le moi, le monde, Dieu
le Savoir en tant que
connaissance formelle
(mathématique)
la Nature en tant que
système
la Science en tant que
système
les êtres organisés (la vie)
la coexistence de la causalité naturelle et de la causalité libre
les conditions de possibilité du jugement esthétique ou jugement de goût
le Beau; le Goût; le Sublime
«L’aptitude des hommes à se communiquer leurs pensées» (CFJ, Pko 129.2.1) – dans la nature; dans l’art
– la différence entre le beau
et l’agréable, entre le
beau et le bon
l’accord de l’entendement avec l’imagination (et plus généralement: le plaisir
dû à la synergie des facultés)
182
D
les conditions de possibilité du jugement moral
le Devoir; le bon (ce qui est
moralement bien)
La foi et l’objet de foi; la
croyance
L’espérance et l’objet
d’espérance
le fait de la moralité
Tableau 11.11 Les objets (préthéoriques) de la réflexion critique, répartis selon la typologie C - P - D .
Peut-on associer aux explananda et explicanda un complément circonstanciel qui exprime soit une contrainte
que la problématique impose par avance à une éventuelle solution-explication, soit du moins une attente à l’égard de
l’éventuelle solution-explication? Pour amorcer une réflexion de ce genre, je présente le tableau …
Contrainte — Attente
C
maintenir la physique de Newton et, plus spécifiquement, le caractère universel et nécessaire des lois
newtoniennes du mouvement, tout en expliquant le statut particulier des sciences formelles.
concilier le finalisme (vitalisme?) et le mécanisme dans l’étude scientifique des êtres vivants.
P
D
concilier connaissance rationnelle (par concepts) et connaissance par sentiment tout en sauvant la thèse de la
possibilité de la communication intersubjective.
– respecter l’autonomie de la volonté du sujet (contrainte probablement jugée normale dans l’esprit de la
philosophie des Lumières <Aufklärung> ).
– donner un appui aux conceptions du pouvoir fondées sur le droit (au sens laïc du terme…).
– concilier science et foi, savoir et croyance.
Tableau 11.12 Exemples de contraintes dont pourrait faire mention une description fine
des problématiques initiales des Critiques.
7.3
Les registres de lecture de la matrice des 6 facultés
Une fois qu’on a disposé les six facultés sur une matrice à deux entrées orthogonales, il faut préciser quel type
d’information on veut placer dans les cases de la matrice; plus précisément, on veut préciser par quel type
d’information on caractérisera le rapport que Kant établit entre une faculté du groupe E - J - R et une faculté du
groupe C - P -D . Un tel rapport possède plusieurs aspects et une description homogène doit dire quels aspects sont
pris pour objet lors d’un parcours donné de la matrice. Le concept qu’on va utiliser pour déterminer ce type
d’information, pour identifier l’aspect choisi lors d’une description du rapport, constitue ce que j’appelle un
«registre de lecture», eu égard à la matrice; c’est ce concept, en effet, qui assure une certaine homogénéité logique
et sémantique à l’information qu’on va répartir sur les cases de la matrice, lesquelles représentent, en tant qu’espace
abstrait, le rapport (voire les rapports possibles) entre deux facultés. (Et si on fusionne deux cases, on peut
représenter un rapport entre trois facultés, comme dans le cas où E et J ne sont plus différenciés, et qu’on les met en
rapport avec C; et ainsi de suite.).
Ici le lecteur de Kant a le choix entre plusieurs possibilités selon le niveau de résolution auquel il choisit
d’oeuvrer. Après plusieurs essais, j’ai opté pour deux registres de lecture :
– le registre des représentations. Je vais inscrire sur ce registre les contenus représentationnels des
facultés, contenus considérés dans l’une ou l’autre des fonctions suivantes (qui constituent les divers
emplois du terme «représentation») :
• ce qui, dans la faculté, représente l’objet (par exemple, une intuition);
• ce qui sert d’outil à la faculté dans l’accomplissement de ses fonctions (par exemple, une règle
exprimée par un concept a priori);
• ce que la faculté produit en propre (par exemple, une Idée transcendantale);
183
•
–
ce qui sert de principe ou de fondement à l’opération de la faculté et lui confère son caractère
nomique <gesetzlich> (par exemple, le principe de détermination du jugement de goût).
le registre des processus. Je vais inscrire sur ce registre les opérations imputées aux facultés. Mon
objectif (qui ne sera ici atteint que bien imparfaitement) est de montrer comment Kant conçoit le travail
des facultés, en recensant systématiquement les verbes d’action et, d’une façon générale, le vocabulaire
dynamique que Kant utilise. Ici le choix des niveaux de résolution les plus appropriés pose un problème
de taille car
• il n’est pas sûr que les deuxième et troisième Critiques atteignent des niveaux de résolution aussi
élevés que ceux de la Critique de la raison pure;
• les niveaux de résolution les plus bas, ceux qui identifient les actions les plus globales (par exemple:
l’action «produire un jugement de connaissance») peuvent n’identifier que le thème ou
l’explanandum d’une théorie sans encore identifier des actions conçues spécifiquement par cette
théorie, en ce qu’elle a d’original. De sorte qu’il faut identifier le seuil en-deçà duquel la description
n’est pas encore tout à fait significative, en tant que résultat d’analyse.
Une fois consignées les opérations des facultés, il peut être intéressant, du point de vue de la synthèse, de
répartir sur les cases et régions de la matrice des 6 facultés, les noms des théories que forment les thèses avancées
par Kant lors de sa description des opérations des facultés. Je tenterai don de présenter, à la suite des tableaux
constituant le deuxième registre de lecture de la matrice, une nomenclature des théories constitutives du criticisme
(tableau 11.25).
Entendement (E)
Faculté de juger (J)
Raison (R)
C
Représentations et processus décrits dans CRPu et impliquant la faculté de juger déterminante.
Réalisation de la critique des jugements de connaissance
C
Représentations et processus décrits dans CFJ et impliquant la faculté de juger réfléchissante
dans la production des jugements téléologiques
P
Représentations et processus décrits dans CFJ et impliquant la faculté de juger réfléchissante
dans la production des jugements esthétiques
Coupure entre la philosophie théorique et la philosophie pratique
P
D
Représentations et processus décrits dans CRPa et impliquant la faculté de juger pratique
dans la production des jugements moraux
Tableau 11.13 Représentation, sur la matrice des 6 facultés, des zones que définissent
les rapports entre les facultés du groupe E - J - R et celles du groupe C - P - D .
Dans tous les tableaux de la présente section §7.3, puisque la plupart des citations sont extraites de CFJ, Pko,
je conviens d’omettre les lettres «CFJ, Pko» dans l’indication de ces références — ce qui me fait sauver beaucoup
d’espace. Si une référence mentionne une autre source, celle-ci sera indiquée explicitement.
Avertissement. Tous les tableaux qui composent les deux registres de lecture de la matrice des 6 facultés sont
donnés ci-dessous davantage pour montrer une méthode de travail à l’oeuvre que pour consigner les résultats
détaillés d’une application soutenue de cette méthode. Le lecteur qui trouvera intéressante cette façon de
systématiser la théorie kantienne des facultés et par elle le criticisme lui-même est invité à compléter les tableaux,
car ils ne contiennent présentement que des informations sommaires et bien des vides.
184
7.3.1
7.3.1.1.
Registre 1. Le registre des représentations. Les facultés comme sources ou
sièges de représentations
Les représentations comme outils, fondements ou illusions de l’activité
théorique des facultés
Je ne reprendrai pas ici les explications abondantes contenues dans ma présentation des textes de la Critique
de la raison pure, c’est-à-dire dans les exposés groupés sous les thèmes #1 à #9 du présent ouvrage. Le lecteur s’y
référera au besoin.
Entendement (E)
C Les 12 concepts purs (ou
catégories)de E, regroupés selon la
quantité, la qualité, la relation, la
modalité.
Faculté de juger (J)
Les principes (synthétiques) purs
de l’entendement:
– les axiomes de l’intuition
– les anticipations de la perception
– les analogies de l’expérience
– les postulats de la pensée
empirique en général
Raison (R)
Idées transcendantales de R :
l’unité absolue
– du sujet pensant: le moi
– de la série des conditions du
phénomène: le monde
– de la condition de tous les
objets de la pensée en général:
Dieu.
Le principe de tous les jugements synthétiques: «tout objet est soumis
aux conditions nécessaires de l’unité synthétique des éléments divers de
l’intuition au sein d’une expérience possible.» (CRPu, Bar 202.4.2-f)
–Les principes régulateurs à
l’égard de E : 1) homogénéité du
divers sous des genres plus élevés;
2) variété de l’homogène sous des
Le principe de tous les jugements synthétiques a priori : «les conditions
espèces inférieures; 3) affinité de
de la possibilité de l’expérience en général sont en même temps celles de
tous les concepts.
la possibilité des objets de l’expérience, et c’est pourquoi elles ont une
valeur objective dans un jugement synthétique a priori. (Ibid., 203.1.2-f)
Les concepts de la réflexion transcendantale (identité et diversité,
convenance et disconvenance, etc.)
Raisonnements dialectiques :
– les paralogismes (concernant le
moi)
– les antinomies (concernant le
monde)
– l’idéal de la raison pure
(concernant Dieu)
Le principe régulateur de l’extension maximale de l’usage empirique de l’entendement et de la raison;
poursuite de la régression (Cf. appendice de la dialectique transcendantale)
Tableau 11.14 Registre des représentations, pour les facultés impliquées
dans la production des jugements de connaissance.
7.3.1.2.
Les représentations comme outils, fondements ou illusions de l’activité
réflexive des facultés
Concernant le jugement téléologique
En ‹§73. Aucun des systèmes précités ne réalise ce qu’il prétend› (cinquième § de la dialectique de CFJ),
Kant dit de tous ces systèmes: «Ils veulent expliquer nos jugements téléologiques sur la nature» (CFJ, Pko 208.3.12). C’est également ce qu’il veut faire. Cependant, Kant voudra distinguer, parmi les jugements téléologiques,
185
–
ceux qui ont pour objet des choses dont l’essence nous est donnée dans un concept; typiquement, ce sont
les figures géométriques (le cercle, le triangle, etc.) et les êtres mathématiques;
– ceux qui ont pour objet les êtres matériels non organisés;
– ceux qui ont pour objet les êtres matériels organisés (§66);
– ceux qui ont pour objet la nature en général considérée comme un système, c’est-à-dire comme une
multiplicité dont l’unité, pour nous, ne peut que résider dans un rapport à une fin — il s’agira justement
de trouver comment concevoir cette dernière.
La théorie critique se propose de déterminer dans quels cas et en quel sens une finalité peut être affirmée, à bon
droit, de la nature.
Entendement (E)
C
Faculté de juger (J)
Raison (R)
–le concept particulier a priori de
la finalité de la nature; il «a son
origine uniquement dans la faculté
de juger réfléchissante»
–le principe de la finalité de la
nature
–la loi de la spécification de la
nature
«le concept d’une chose comme fin
naturelle en elle-même» (194.2.12)
l’Idée d’un fondement inconditionné de la nature obtenue par
l’analogie avec l’Idée que la raison
se fait de «sa propre causalité
inconditionnée (par rapport à la
nature), c’est-à-dire la liberté»
(217.2.4-5)
«l’Idée de la nature en totalité
comme d’un système d’après la règle des fins» (197.2.5-6)
«Maxime du jugement de la
finalité interne des êtres
organisés» : «Un produit organisé
de la nature est celui en lequel tout
est fin et réciproquement aussi
moyen. Il n’est rien en ce produit,
qui soit inutile <umsonst>, sans
fin, ou susceptible d’être attribué à
un mécanisme naturel aveugle.»
(195.1.1-f; §66.)
Le principe transcendantal d’une
finalité de la nature
Ce principe est dérivé de
l’expérience; mais il doit avoir
pour fondement un principe a
priori
Tableau 11.15 Registre des représentations, pour les facultés impliquées
dans la production des jugements téléologiques.
Les rapports entre la faculté de connaître C et la faculté de juger réfléchissante J.
§75. Le principe d’une finalité objective de la nature est un principe critique de la raison pour la
faculté de juger réfléchissante.
(CFJ, Pko 212; titre de section.)
Or ce principe [dont la faculté de juger réfléchissante a besoin pour remonter du particulier
dans la nature jusqu’à l’universel] ne peut être autre que le suivant: puisque les lois universelles de
la nature ont leur fondement dans notre entendement, qui les prescrit à la nature (il est vrai
186
seulement d’après son concept universel en tant que nature), les lois empiriques particulières,
relativement à ce qui demeure en elles d’indéterminé par les lois universelles, doivent être
considérées suivant une unité telle qu’un entendement (non le nôtre il est vrai) aurait pu la donner au
profit de notre faculté de connaître, afin de rendre possible un système de l’expérience d’après des
lois particulières de la nature. Ce n’est pas que l’on doive pour cela admettre réellement un tel
entendement (car c’est, en effet, à la faculté de juger réfléchissante seulement que cette Idée sert de
principe pour réfléchir et non pour déterminer), mais au contraire cette faculté, ce faisant, se donne
une loi seulement à elle-même, et non à la nature.
[…] le principe de la faculté de juger, en ce qui concerne la forme des choses de la nature
sous des lois empiriques en général, est la finalité de la nature en sa diversité, ce qui signifie que par
ce concept on se représente la nature comme si un entendement contenait le principe de l’unité de la
diversité de ses lois empiriques.
La finalité de la nature est ainsi un concept particulier a priori, qui a son origine uniquement dans
la faculté de juger réfléchissante.
(CFJ, Pko 28.3.1-29.2.3; dans l’‹Introduction›)
Le caractère subjectif du concept de finalité de la nature et du principe qui lui correspond est maintes fois
affirmé par Kant.
[…] ce concept transcendantal d’une finalité de la nature n’est ni un concept de la nature, ni un
concept de la liberté, parce qu’il n’attribue absolument rien à l’objet (à la nature), mais représente
seulement l’unique manière suivant laquelle nous devons procéder dans la réflexion sur les objets de
la nature en vue d’une expérience complètement cohérente, et par suite c’est un principe subjectif
(maxime) de la faculté de juger.
(CFJ, Pko 31.1.m7-2).
[…] Ce principe de la raison ne lui appartient que subjectivement, c’est-à-dire comme maxime : tout
dans le monde est bon à quelque chose; dans le monde rien n’est vain.
(CFJ, Pko 197.2.m6-4)
Le concept de finalité naturelle peut-il dès lors être considéré comme un concept rationnel? Deleuze nous dit
que non. Ce concept «dérive des Idées de la raison (en tant qu’il exprime une unité finale [=conforme à une fin] des
phénomènes) [mais] ne se confond pas avec une Idée rationnelle, car l’effet conforme à cette causalité se trouve
effectivement donné dans la nature.» (Del, PCK 90.2) Pour affirmer que le concept en question n’est pas un concept
rationnel, Kant dit : «Le concept d’une chose, comme fin naturelle en elle-même, n’est pas ainsi un concept
constitutif de l’entendement ou de la raison mais il peut être cependant un concept régulateur pour la faculté de
juger réfléchissante, pour guider la recherche sur les objets de ce genre et réfléchir sur leur principe suprême […] »
(CFJ, Pko 194.2.1-5; accentuation en gras due à NL).
Voici un excellent résumé, pour ce qui est des caractéristiques du concept de fin naturelle.
Le concept d’une chose, comme fin naturelle en elle-même, n’est pas ainsi un concept
constitutif de l’entendement ou de la raison; mais il peut être cependant un concept régulateur pour
la faculté de juger réfléchissante, pour guider la recherche sur les objets de ce genre et réfléchir sur
leur principe suprême d’après une analogie éloignée avec notre causalité suivant des fins en général,
cette réflexion servant moins la connaissance de la nature ou de son fondement originaire
<Urgrund> que celle de la faculté pratique rationnelle en nous, en analogie avec laquelle nous
considérons la cause de cette finalité.
(CFJ, Pko 194.2.1-f)
Pour qu’une chose soit une fin naturelle,
– il faut d’abord que l’existence et la forme des parties soient liées en un tout, et que cette liaison soit une
condition nécessaire de la possibilité du tout. Dans ce cas, la chose elle-même, en tant que tout, est une
fin en général (non pour les parties mais pour l’être qui en a l’Idée.) Cette première condition est
nécessaire mais elle n’est pas suffisante; quand la possibilité d’une chose n’est pensée que de cette façon,
187
on a un artefact <Kunstwerk>, c’est-à-dire quelque chose dont la cause réside dans un être raisonnable
qui est externe à la chose.
– il faut ensuite que les parties de la chose soient à la fois des causes et des effets les unes par rapport aux
autres, c’est-à-dire que chacune, en plus d’être causée par les autres et un outil (organe) pour les autres,
soit également un «organe produisant les autres parties» (CFJ, Pko 193.2.m7).
[…] que les parties de cette chose se lient dans l’unité d’un tout, en étant réciproquement les
unes par rapport aux autres cause et effet de leur forme.
(CFJ, Pko Ibid., 192.4.5-7)
En utilisant le vocabulaire technique de Kant, on peut énoncer plus succinctement ces deux conditions en disant
qu’il faut 1° que la chose elle-même soit une fin en général et 2° que la cause de l’existence et de la liaison des
parties soit interne à la chose. Un produit de la nature qui satisfait ces conditions est un «être organisé et
s’organisant lui-même» (CFJ, Pko 193.2.2f). Cette définition, notons-le en passant, est étonnamment contemporaine
quand on la rapproche des thèses de Varela sur la fermeture organisationnelle et l’autopoïèse des vivants.
À propos du concept de «fins dans la nature comme fins intentionnelles» (CFJ, Pko 214.2.14), Kant réaffirme
à plusieurs reprises qu’il n’a pas de réalité objective; ainsi :
Il nous est même a priori impossible de justifier comme acceptable <als annehmungsfähig zu
rechtfertigen> un tel concept dans sa réalité objective.
(CFJ, Pko 214..2.18-19)
Un problème d’exégèse. S’il est vrai que le concept de fin naturelle est utilisé comme principe subjectif et
régulateur pour déterminer un jugement réfléchissant téléologique, il reste «qu’il vaut avec autant de nécessité pour
notre faculté de juger humaine que s’il était objectif» (CFJ, Pko 218.2.3f; accentuation en gras due à NL). C’est
peut-être pour cette raison qu’il doit avoir pour le moins l’apparence d’une valeur objective ou un certain degré de
réalité objective; c’est ainsi que j’interprète le passage suivant:
Dans la nature les êtres organisés sont […] les seuls, qui, lorsqu’on les considère en euxmêmes et sans rapport à d’autres choses, doivent être pensés comme possibles seulement en tant que
fins de la nature et ce sont ces êtres qui procurent tout d’abord <zuerst> une réalité objective au
concept d’une fin, qui n’est pas une fin pratique, mais une fin de la nature, et qui, ce faisant, donnent
à la science de la nature le fondement d’une téléologie, c’est-à-dire d’une manière de juger ses objets
d’après un principe particulier, que l’on ne serait autrement pas du tout autorisé à introduire dans
cette science (parce que l’on ne peut nullement apercevoir a priori la possibilité d’une telle forme de
causalité).
(CFJ, Pko 194.3.1-f; §65.)
Ou peut-être faut-il penser que le concept de fin de la nature, en tant qu’il est associé à la maxime du jugement de la
finalité interne des êtres organisés (telle qu’énoncée en 195.1, premier paragraphe de §66) et que celle-ci trouve son
occasion <Veranlassung> dans l’observation empirique, donc que le concept de fin de la nature est d’abord <zuerst>
doté d’une réalité objective, et que c’est par la suite, lorsqu’on le généralise dans le concept a priori de finalité de la
nature qu’il devient, cette fois en tant que concept de la raison, un concept subjectif, dépourvu de réalité objective.
(Je ne considère pas entièrement réglé ce problème d’exégèse.)
On pourrait peut-être terminer cet inventaire des représentations associées à la faculté de juger téléologique
en mentionnant les représentations qui, d’après l’Analytique du jugement téléologique, ne peuvent pas assumer la
fonction de fondement eu égard au jugement téléologique :
– la «satisfaction objective» (CFJ, Pko 186.2.f) que procure à la faculté P la «perfection relative […] des
figures mathématiques» (CFJ, Pko 186.2.13-14).
– la finalité pratique de la nature.
– le plaisir et la peine «qui résultent […] de la détermination de [la faculté supérieure de désirer] par la loi
morale» (CFJ, Pko 27.1.m5-4)
188
Concernant le jugement esthétique
Entendement (E)
P E est requis comme faculté de la
détermination de l’objet et de sa
représentation (sans concept),
d’après le rapport de celle-ci au
sujet et à son sentiment interne et
cela dans la mesure où ce jugement
est possible d’après une règle
universelle.
E fournit «un concept déterminé du
produit en tant que fin […], mais
aussi une représentation (bien
qu’indéterminée) de la matière,
c’est-à-dire de l’intuition, pour la
présentation de ce concept»
(147.2.6-8)*
Faculté de juger (J)
«plaisir [éprouvé] devant cet
accord de la nature avec nos
facultés de connaître [accord] que
nous considérons comme
simplement contingent» (38.1.2-6)
le plaisir est le principe de la
détermination du jugement de goût.
le «principe de l’idéalisme de la
finalité» (173.2.1)
«plaisir de la simple réflexion»
(126.3.3-4)
«plaisir pris au sublime de la
nature, comme plaisir de la
contemplation» (126.2.1-5)
Raison (R)
«l’Idée indéterminée du
suprasensible en nous» (165.2.6)
les principes a priori de la
satisfaction ne peuvent être saisis
dans des concepts déterminés»
(170.1.f)
l’Idée du «supra-sensible, comme
principe de la finalité subjective de
la nature pour notre faculté de
connaître» (169.2.m5-3)
«la finalité subjective dans la repré- «Idées intellectuelles» (144.3.4-5)
sentation d’un objet, sans aucune
par opposition à Idées esthétiques
fin (ni objective, ni subjective),
(de l’imagination)
c’est-à-dire par conséquent la
simple forme de la finalité dans la
représentation, par laquelle un
objet nous est donné» (64.1.m8-5)
— «le concept de beauté en tant
que finalité subjective formelle»
(182.2.m5)
«plaisir (dans le sentiment moral)»
(123.4.8) comme conséquence du
jugement moral (125.3)
Tableau 11.16 Registre des représentations, pour les facultés impliquées
dans la production des jugements esthétiques.
* NOTE associée au tableau 11.16. Le «concept déterminé» et la «représentation indéterminée» mentionnés ici ne
sont compréhensibles que si on tient compte du rapport entre l’imagination et l’entendement. Voir des précisions à
ce sujet, ci-dessous.
LES DIVERSES REPRÉSENTATIONS DE LA FACULTÉ DU PLAISIR. Comme elles sont assez nombreuses,
Kant consacre plusieurs développements à montrer comment elles se distinguent les unes des autres ou comment
elles sont associées les unes aux autres. (Je ne systématise pas ces relatons ici.)
«L’agréable, qui en tant que tel ne représente l’objet que par rapport au sens, doit, pour être appelé
bon comme objet de la volonté, être d’abord ramené sous les principes de la raison au moyen du
concept d’une fin.»
(CFJ, Pko 52-53)
«L’agréable, le beau, le bon désignent donc trois relations différentes des représentations au
sentiment de plaisir et de peine, en fonction duquel nous distinguons les uns des autres les objets ou
les modes de représentation. Aussi bien les expressions adéquates pour désigner leur agrément <die
Komplazenz> propre ne sont pas identiques. Chacun appelle agréable ce qui lui FAIT PLAISIR
189
<vergnügt>; beau ce qui lui PLAÎT simplement <gefällt>; bon ce qu’il ESTIME, approuve
<geschätzt, gebilligt>, c’est-à-dire ce à quoi il attribue une valeur objective.»
(CFJ, Pko 54.3 in §5)
THÈSE DU PRINCIPE DÉTERMINANT DU JUGEMENT DE GOÛT. L’unique principe de la faculté de juger
dans le jugement esthétique est l’interprétation idéaliste de la finalité subjective qui consiste en «un accord se
présentant de lui-même, sans fin et par hasard, mais de caractère final pour les besoins de la faculté de juger
concernant la nature et ses formes produites suivant des lois particulières.» (CFJ, Pko 170.2.4f) Kant énonce aussi
cette thèse dans le titre même d’une section, à savoir ‹§75. Le jugement de goût n’a rien d’autre à son fondement
que la forme de la finalité d’un objet (ou de son mode de représentation).› Comme le jugement de goût ne concerne
que «le rapport des facultés représentatives entre elles, pour autant qu’elles sont déterminées par une représentation»
(CFJ, Pko Ibid., 64.1.2f), j’expliciterai ci-dessous en ‹§7.3.2.1 L’interaction des facultés dans la production des
jugements› la nature du rapport entre l’imagination et l’entendement.
Les relations entre le beau comme prédicat du jugement de goût et les représentations contenues dans
l’imagination et la raison :
[…] le modèle suprême, le prototype <Urbild> du beau est une simple Idée que chacun doit produire
en soi-même et d’après laquelle il doit juger tout ce qui est objet du goût, tout ce qui est exemple du
jugement de goût et même le goût de tout un chacun. Idée signifie proprement: un concept de la
raison, et Idéal : la représentation d’un être unique en tant qu’adéquat à une Idée.
(CFJ, Pko 73.2.6-12)
[…] [Ce prototype] ne sera cependant qu’un Idéal de l’imagination, précisément parce qu’il ne
repose pas sur des concepts, mais sur la présentation […].
(Ibid., 73.2.m7-5)
Pour représenter efficacement les diverses représentations qui participent à la production du jugement
esthétique, il faut ajouter à l’entrée horizontale de la matrice des 6 facultés les deux facultés que j’ai convenu
d’exclure au départ, à savoir la sensibilité en tant qu’organe de la sensation et l’imagination. En effet, la
représentation produite par l’imagination est une composante nécessaire de la liste des représentations impliquées
dans le jugement esthétique, puisque c’est le rapport entre l’imagination et l’entendement qui affecte la faculté du
plaisir et de la peine. Cette extension de la matrice des six facultés sera encore plus inévitable, lorsqu’on voudra
représenter les Idées esthétiques que Kant introduit dans l’Analytique du Sublime et montrer la relation qu’elles
entretiennent avec les Idées de la raison. La modification que requiert la matrice est montrée dans le tableau 11.17.
P
Ss
I
E
J
R
la matière de la
sensation
<Vergnügen>
ce qui plaît dans la
sensation
l’Idée esthétique (§49)
le plaisir éprouvé
comme accord des
facultés
représentatives
le concept dont l’Id.
esth. fournit une
présentation; le concept
en tant qu’expression
inadéquate de Id. esth.
le principe
subjectif de la
finalité
subjective
les Idées de R;
le concept pur
rationnel du
supra-sensible
Tableau 11.17 La zone P du registre des représentations, montrant l’extension de la typologie E - J - R
en S s - I - E - J - R , pour tenir compte des représentations fournies par l’imagination,
dans le processus de production des jugements esthétiques.
Voici deux définitions de ce que sont les Idées esthétiques :
190
[…] par l’expression Idée esthétique j’entends cette représentation de l’imagination, qui donne
beaucoup à penser, sans qu’aucune pensée déterminée, c’est-à-dire de concept, puisse lui être
adéquate et que par conséquent aucune langue ne peut complètement exprimer et rendre intelligible.
— On voit aisément qu’une telle Idée est la contrepartie (le pendant) d’une Idée de la raison, qui
tout à l’inverse est un concept, auquel aucune intuition (représentation de l’imagination) ne peut être
adéquate.
(CFJ, Pko 143.f.2-144.1.f)
En un mot : l’Idée esthétique est une représentation de l’imagination associée à un concept
donné, et qui se trouve liée à une telle diversité de représentations partielles, dans le libre usage de
celles-ci, qu’aucune expression, désignant un concept déterminé, ne peut être trouvée pour elle, et
qui donne à penser en plus d’un concept bien des choses indicibles, dont le sentiment anime la
faculté de connaissance et qui inspire à la lettre du langage un esprit <und mit der Sprache, als
bloßem Buchstaben, Geist verbindet>.
(CFJ, Pko 146.2.1-f)
L’ENTENDEMENT DANS LE JUGEMENT ESTHÉTIQUE
[…] bien que l’entendement soit requis pour le jugement de goût, en tant que jugement esthétique
(comme pour tous les jugements), ce n’est point cependant comme faculté de la connaissance d’un
objet qu’il est requis, mais comme faculté de la détermination de celui-ci et de sa représentation
(sans concept), d’après le rapport de celle-ci au sujet et à son sentiment interne et cela dans la
mesure où ce jugement est possible d’après une règle universelle.
(CFJ, Pko 70.f.7f)
JUGEMENT ESTHÉTIQUE ET LÉGALITÉ
La finalité esthétique est la légalité de la faculté de juger en sa liberté.
(CFJ, Pko 107.1.m9-8)
LE JUGEMENT ESTHÉTIQUE EST-IL FONDÉ SUR UN CONCEPT?
La position de Kant est ici très subtile et dispose d’une petite marge de manoeuvre car il s’agit pour lui
– d’un côté, d’insister sur le fait que le jugement de goût ne subsume pas son objet sous un concept — ce
qui permet d’affirmer que «son principe déterminant ne peut être un concept» (CFJ, Pko 70.2.3)
– de l’autre côté, d’insister sur le fait que le jugement de goût a une valeur nécessaire pour chacun, une
valeur universelle, bien qu’il soit personnel <Privaturteil>, et que donc «il doit se ramener à quelque
concept» (CFJ, Pko 164.2.1).
C’est d’ailleurs très exactement la question de savoir si un jugement de goût se fonde sur un concept ou non qui
donne lieu à l’antinomie du goût: la réponse affirmative non critique entrant en contradiction avec la réponse
négative non critique.
Toute l’astuce va consister à «montrer que le concept, auquel on rapporte l’objet dans ce type de jugement,
n’est pas pris dans le même sens dans les deux maximes de la faculté de juger esthétique» (CFJ, Pko 163.f.4f); Kant
va établir une différence capitale entre
– le concept considéré comme règle de l’entendement applicable à l’objet du jugement, règle dont la
fonction est de déterminer l’objet pour le penser (en faisant la synthèse du divers intuitif…)
– et le concept considéré comme Idée applicable à une représentation élargie englobant l’objet et le sujet,
applicable à la situation constituée d’un sujet jugeant un objet sensible; au moyen de cette Idée, il devient
possible de penser ce que la faculté de juger elle-même (donc aussi le sujet ) a d’universel en tant que
faculté de représentation du type sentiment de plaisir et de peine, placée en présence de phénomènes. La
réflexion transcendantale est ici à son meilleur.
Il est donc utile, il me semble, de présenter en regard l’une de l’autre les réponses kantiennes à la question «Quel est
le principe déterminant du jugement de goût?»; en effet, les réponses niant la présence du concept (de
191
l’entendement) doivent être comprises comme étant contrebalancées par celles affirmant la présence du concept (de
la raison). Je montre ces réponses dans le tableau 11.18.
Il faut «nier qu’il se trouve au fondement du jugement
de goût quelque principe a priori» (CFJ, Pko 169.1.78); le goût «juge toujours d’après des principes de
détermination empiriques, tels par conséquent qu’ils ne
peuvent être donnés qu’a posteriori par les sens» (Ibid.,
169.3.2-4)
«son principe déterminant n’est pas un concept, mais le
sentiment (du sens interne) de l’accord dans le jeu des
facultés de l’esprit, dans le mesure où celui-ci ne peut
qu’être senti.» (Ibid., 70.2.m15-13)
Le plaisir est ainsi dans le jugement de goût dépendant
d’une représentation empirique et ne peut être lié a
priori à aucun concept (on ne peut déterminer a priori
quel objet conviendra ou non au goût, il faut en faire
l’expérience);⊇→
Le concept qui «est au fondement de l’objet (et aussi du
sujet jugeant) en tant qu’objet des sens, c’est-à-dire en
tant que phénomène» (164.4.9-11),
qui sert de principe déterminant au jugement de goût et
lui confère «une valeur universelle» (164.4.m6) est
→⊇mais il est cependant le principe de détermination
– «le concept de ce qui peut être considéré comme le
de ce jugement, par cela seul que l’on a conscience qu’il
substrat supra-sensible de l’humanité.» (164.f.2f)
repose simplement sur la réflexion et les conditions
– «l’Idée indéterminée du supra-sensible en nous»
universelles, quoique seulement subjectives, de l’accord
(165.2.6)
de celle-ci avec la connaissance des objets en général,
pour lesquelles la forme de l’objet est finale. (38.1.2-f)
Le concept de l’entendement est :
– déterminé ou déterminable;
– objectif;
– détermine l’objet, en fait connaître quelque chose.
Le concept qui fonde le jugement esthétique est
– indéterminé et indéterminable;
– subjectif;
– ne fait rien connaître de l’objet.
Tableau 11.18 L’explicitation de la thèse énonçant le principe déterminant
des jugements de goût.
D’autres formulations donnent des indications additionnelles sur le concept qui sert de fondement au
jugement esthétique :
– «le substrat supra-sensible de toutes [les] facultés [du sujet] (qu’aucun concept de l’entendement
n’atteint}, donc cela même en rapport auquel c’est le fin donnée par l’Intelligible à notre que d’accorder
toutes nos facultés de connaître.» )CFJ, Pko 168.1.1-4)
– le concept rationnel <Vernunftbegriff> transcendantal du supra-sensible» (CFJ, Pko 164.2.m4-3)
– «Le jugement de goût se fonde sur un concept (un principe en général de la finalité subjective de la
nature pour la faculté de juger), au moyen duquel cependant rien ne peut être connu ou prouvé par
rapport à l’objet, parce qu’il est en soi indéterminable et impropre à la connaissance; toutefois le
jugement reçoit de par ce concept de la valeur pour tous (ce jugement étant d’ailleurs en chacun singulier
et accompagnant immédiatement l’intuition), parce que le principe déterminant du jugement se trouve
peut-être dans le concept de ce qui peut être considéré comme le substrat supra-sensible de l’humanité.»
(CFJ, Pko 164.f.1-f)
192
7.3.1.3.
Les représentations comme outils, fondements ou illusions de l’activité
pratique des facultés
Entendement (E)
D Les 12 catégories de la liberté par
rapport aux concepts du bien et du
mal. (CRPa, 1 ère partie, Livre 1,
Chap. II) — Concepts pratiques a
priori.
Faculté de juger (J)
Raison (R)
Le concept de finalité, en tant qu’il
s’adresse à D: finalité pratique de
la liberté
Le bien et le mal en tant que
concepts de la raison pratique.
Le concept de liberté, en tant que
concept de la causalité propre à une
volonté.
L’impératif catégorique
exprimant le devoir.
Les maximes morales.
Le principe métaphysique de la
finalité pratique, laquelle «doit être
pensée dans l’Idée de la
détermination d’une volonté libre»
(CFJ, Pko 29.f.2f)
Tableau 11.19 Registre des représentations, pour les facultés impliquées
dans la production des jugements moraux.
L’impératif catégorique exprimant le devoir peut être formulé de diverses façons, selon l’aspect de la
volonté auquel il s’adresse (BAy, FÉK 81-82):
a) adressé à la volonté considérée comme faculté d’agir d’après la représentation d’une loi: «Agis en telle
sorte que la maxime de ta volonté puisse toujours valoir en même temps comme principe d’une
législation universelle.» (CRPa, Pic 30.2) La loi morale.
b) adressé à la volonté considérée comme faculté d’agir d’après la représentation de fins: «Agis de telle
sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne d’autrui, toujours comme
une fin, jamais comme un moyen.»
c) énoncé dans une formule qui combine les précédentes: «Agis de telle manière que la maxime de ton
action ait pour fin toi-même comme personne humaine».
Le tableau 11.19 est plutôt lacunaire en son état actuel. Les problèmes reliés à la nature des «représentations»
que l’esprit entretient lors de la détermination des jugements moraux devraient pouvoir fournir des observations à
inscrire dans ce tableau. Je rappelle, par exemple, que le lien entre les concepts pratiques et la faculté P du plaisir
et de la peine est problématique et rend controversée la question de savoir si, ou dans quelle mesure, la philosophie
pratique appartient à la philosophie transcendantale. J’ai évoqué ces problèmes dans la section §1.2.3.2 du ‹Thème
#1. Les contextes de la Critique de la raison pure›. Puisqu’il est pertinent ici de recenser les concepts pratiques, et
de déterminer s’ils se trouvent en D ou en P, je reproduis à nouveau la note de Kant que j’avais citée :
Tous les concepts pratiques se rapportent à des objets de satisfaction ou d’aversion, c’est-à-dire de
plaisir ou de peine, et, par conséquent, au moins indirectement, à des objets de sentiment. Mais
comme le sentiment n’est pas une faculté représentative des choses, mais qu’il réside en dehors de
toute faculté de connaître, les éléments de nos jugements, en tant qu’ils se rapportent au plaisir ou à
la peine, appartiennent à la philosophie pratique, et non pas à l’ensemble de la philosophie
transcendantale, qui ne s’occupe que des connaissances pures a priori.
(CRPu, Bar 600n)
193
7.3.1.4.
Les formulations qui regroupent des représentations et montrent des
rapports entre C, P et D
TROIS FORMULATIONS DE L’IDÉE DU SUPRA-SENSIBLE
Dans la ‹Remarque II› placée à la fin de §57, Kant identifie les Idées de la Raison en faisant varier les
déterminations du supra-sensible:
– le «supra-sensible en général, sans autre détermination, en tant substrat de la nature»
– le «supra-sensible, comme principe de la finalité subjective de la nature pour notre faculté de connaître»
– le «supra-sensible comme principe des fins de la liberté»
– le supra-sensible «comme principe de l’accord [des fins] avec la liberté dans le domaine moral» (CFJ,
Pko 169.2.4-f).
On voit aisément comment chaque version de l’Idée correspond à un ou plusieurs des plans d’activités que j’ai
représentés par des étages de la matrice des 6 facultés.
7.3.1.5.
De l’opportunité de distinguer, ou non, entre faculté de juger et
entendement
Les rapports entre entendement et faculté de juger sont à classer d’abord en deux groupes:
– ceux qui accentuent l’indistinction. Ces rapports exploitent de diverses manières l’idée énoncée dès le
début de l’Analytique transcendantale: «Comme nous pouvons ramener tous / les actes de l’entendement
à des jugements, l’entendement en général peut être représenté comme une faculté de juger
<U r t e i l s k r a f t >.» (CRPu, Bar 129.f.f-130.1.2) Même dans ce contexte, la distinction initiale vaut
toujours, même s’il n’est pas toujours opportun ou pertinent d’en tenir compte: «[L]a faculté de juger ne
se propose que [l’]application [des concepts a priori de l’entendement]» (KANT, CFJ, Pko 18.4.2f)
– ceux qui accentuent la distinction. Ces derniers seront surtout explicités dans la Critique de la faculté de
juger puisque la distinction repose principalement sur la distinction entre l’usage déterminant de la
faculté de juger et son usage réfléchissant (définition: CFJ, Pko 27.3-28.1; première application : ibid.
30.4.1-31.1.m8). L’Anthropologie continue de tenir compte de cette distinction.
Concernant la distinction et les autres relations à établir entre la faculté de juger et l’entendement, voir CFJ,
Pko 30.4; 34.1.10f; 34.3-35.1; 38.4-39.1.
Les paramètres à considérer dans l’établissement de cette distinction:
– le caractère législateur (ou seulement légal, nomique) de la faculté et, plus généralement, sa fonction
dans la production des jugements concernés (esthétique, téléologique);
– si le principe qui sert de loi à la faculté, eu égard à la détermination des jugements, est objectif ou
subjectif; si ce principe est constitutif ou régulateur;
– la production (ou non) d’un concept de l’objet représenté dans les jugements a priori;
– la fonction de la représentation produite (utilisée?) par la faculté: si c’est un concept, il détermine l’objet,
si c’est une intuition, cette dernière ne fait que présenter <darstellen> l’objet et elle peut également
présenter un concept déjà donné.
Les concepts appartiennent à l’entendement mais pour s’en servir il faut produire des jugements. C’est ce
rapport simple entre entendement et faculté de juger que Kant réutilise au début de l’Analytique des principes:
CRPu, Bar 179-183.
L’analytique des principes sera donc simplement un canon pour le jugement; elle lui enseigne à
appliquer à des phénomènes les concepts de l’entendement, qui contiennent la condition des règles a
priori. C’est pourquoi, en prenant pour thème les principes propres de l’entendement, je me servirai
de l’expression de doctrine du jugement, qui désigne plus exactement ce travail.
(CRPu, Bar 180.2)
194
Il est implicite, à ce moment de l’exposé, que les facultés à décrire concourent à la production de connaissances
(puisque tel est le thème circonscrit par la problématique initiale de CRPu) et que la différence entre entendement,
faculté de juger <Urteilskraft> et raison est en corrélation avec la différence que fait déjà la logique générale entre
concepts, jugements et raisonnements, du simple point de vue de la forme des représentations. Est également
présente dans ce contexte l’idée que la «dénomination large d’entendement en général» (CRPu, Bar 179.1)
comprend ces trois facultés.
Cependant, comme il existe des jugements qui ne déterminent pas leur objet, c’est-à-dire dont la fonction
n’est pas de penser l’individualité d’un objet sous l’universel d’un concept mais dont la fonction est plutôt
d’exprimer soit le plaisir intellectuel éprouvé en la représentation de l’objet (cas du jugement esthétique), soit
certaines injonctions que la faculté se donne à elle-même pour produire de l’unité dans l’édifice de ses
représentations (cas du jugement téléologique), il faut bien parvenir à distinguer dans la faculté de juger, des
fonctions spécialisées et faire varier en conséquence, au besoin, le lien de collaboration entre la faculté de juger et
l’entendement; car autant la fonction déterminante de la faculté de juger présuppose et complète celle de
l’entendement, autant la fonction réfléchissante met en oeuvre un mécanisme qui esquive celle de l’entendement et
lui devient étrangère par le but qu’elle vise.
7.3.1.6.
Les facultés comme pouvoirs législatifs
Le pouvoir législatif des facultés s’entend de deux manières
– soit comme pouvoir de se donner sa propre loi, plutôt que de la trouver ailleurs (dans l’expérience ou
dans une autre faculté)
– soit comme pouvoir de se donner sa propre loi ET de la prescrire à quelque chose d’autre (tantôt à l’objet
donné dans l’expérience, tantôt à une autre faculté).
Quand une faculté fonctionne selon une loi qu’elle se donne, elle a une légalité <Gesetzmäßigkeit> et elle est
«légale <gesetzlich; que je préfère traduire par ‘nomique’> ». Quand une faculté prescrit sa loi, elle a un domaine
<Gebiet> et elle est «législatrice <gesetzgebend> ». Donner une loi équivaut à légiférer.
A.
Pour ce qui est des trois facultés C - P - D , il est possible d’établir une correspondance entre la
terminologie dérivée du concept de loi et l’opposition entre faculté supérieure et faculté inférieure.
1. Concernant la faculté de connaître. L’opposition est faite entre la sensibilité et l’entendement; et c’est
seulement l’entendement qui est faculté légale et législatrice.
Tant que la synthèse est empirique, la faculté de connaître apparaît sous sa forme inférieure: elle
trouve sa loi dans l’expérience et non pas en elle-même. Mais la synthèse a priori définit une faculté
de connaître supérieure. Celle-ci, en effet, ne se règle plus sur des objets qui lui donneraient une loi;
au contraire, c’est la synthèse a priori qui attribue à l’objet une propriété qui n’était pas contenue
dans la représentation. Il faut donc que l’objet lui-même soit soumis à la synthèse de représentation,
qu’il se règle lui-même sur notre faculté de connaître, et non l’inverse. Quand la faculté de connaître
trouve en elle-même sa propre loi, elle légifère ainsi sur les objets de connaissance.
(Del, PCK 10.2)
Dans l’Anthropologie du point de vue pragmatique, sous le titre ‹De la faculté de connaître, dans la mesure où
elle est fondée sur l’entendement›, Kant énonce la même relation en remplaçant «loi» par «règle» (dans ce passage,
toutefois, l’accent est mis sur la relation entre «supérieure» et «inférieure» :
§40. L’entendement, en tant que faculté de penser (de se représenter quelque chose par des concepts)
est appelée [sic] faculté supérieure de connaissance (par opposition à la sensibilité, qui est la faculté
inférieure); en effet, tandis que la faculté des intuitions (pures ou empiriques) ne saisit dans les
objets que l’individu, la faculté des concepts saisit l’universalité de leurs représentations, la règle à
laquelle le multiple des intuitions sensible [sic] doit être subordonné pour produire l’unité dans la
connaissance de l’objet. — L’entendement à vrai dire est plus élevé que la sensibilité, mais celle-ci
est plus nécessaire et on peut moins se passer de la sensibilité; avec elle, les animaux sans
195
entendement peuvent se tirer d’affaire en cas de besoin, en suivant des instincts innés; elle est
comme un peuple sans chef; inversement, un chef sans peuple (entendement privé de sensibilité) ne
peut absolument rien. Il n’y a donc pas entre les deux facultés de rivalité de rang, bien qu’on appelle
l’une supérieure, l’autre inférieure.
(AP, Fou 68.2)
NOTE. Dans cette hiérarchie, l’imagination, de laquelle procède la composition du divers de l’intuition, fait partie
de la faculté inférieure de connaître.
2. Concernant la faculté de désirer.
– forme inférieure: la volonté est déterminée de manière «pathologique», par exemple, par l’intermédiaire
d’un plaisir lié à l’objet représenté.
– forme supérieure:
Pour que [la faculté de désirer] accède à sa forme supérieure, il faut que la représentation cesse
d’être une représentation d’objet, même a priori. Il faut qu’elle soit la représentation d’une pure
forme. “Si d’une loi on enlève par abstraction toute matière, c’est-à-dire tout objet de la volonté
comme principe déterminant, il ne reste rien que la simple forme d’une législation universelle.”
(Critique de la raison pratique, Analytique, théorème 3) La faculté de désirer est donc supérieure, et
la synthèse pratique qui lui correspond est a priori, lorsque la volonté n’est plus déterminée par le
plaisir, mais par la simple forme de la loi. Alors, la faculté de désirer ne trouve plus sa loi hors
d’elle-même, dans une matière ou dans un objet, mais en elle-même: elle est dite autonome.
(Del, PCK 12.1)
3. Concernant le sentiment du plaisir et de la peine. Un sentiment supérieur du plaisir sera défini comme le
sentiment du beau et un autre comme le sentiment de l’accord des facultés entre elles.
On peut comparer notre typologie à celle de Verneaux. Cette dernière est basée sur le schème CP-D croisé avec les deux niveaux (VoK, tome 2, p. 19sqq.). La façon dont il dégage les cinq
«sens» du terme «faculté» (Ibid., p. 18) ne donne pas lieu à une typologie.
B.
Pour ce qui est de l’entendement et de la raison, c’est la référence à deux domaines qui exprime le plus
directement leur pouvoir législatif — d’où la commode opposition entre concepts de la nature et concepts de la
liberté.
Notre faculté de connaître en totalité possède deux domaines, celui des concepts de la nature,
et celui du concept de liberté; elle légifère, en effet, a priori par ces deux genres de concepts. La
philosophie se divise donc aussi, en accord avec cette faculté, en philosophie théorique et en
philosophie pratique. Mais le territoire sur lequel elle établit son domaine et sur lequel elle exerce sa
législation, est toujours seulement l’ensemble des objets de toute expérience possible, dans la
mesure où ils ne sont tenus pour rien de plus que de simples phénomènes; s’il en était autrement on
ne pourrait concevoir aucune législation de l’entendement qui les concerne.
La législation par des concepts naturels <Naturbegriffe> s’effectue par l’entendement et elle
est théorique. La législation par le concept de la liberté s’effectue par la raison et elle est simplement
pratique. C’est seulement dans ce qui est pratique que la raison peut légiférer; en ce qui concerne la
connaissance théorique (de la nature) elle ne peut, partant de lois données (dont elle est instruite
grâce à l’entendement), que tirer par des raisonnements des conclusions, qui demeurent toujours
seulement au niveau de la nature. Inversement, là où il y a des règles pratiques, la raison ne légifère
pas pour autant car ces règles peuvent être techniques-pratiques.
L’entendement et la raison ont donc deux législations différentes sur un seul et même
territoire de l’expérience, et celles-ci ne doivent pas s’y gêner l’une l’autre.
(CFJ, Pko 24.2.1-4.3)
Ce sont ces relations qui sont montrées dans le tableau que Kant dessine à la fin de son ‹Introduction› à la Critique
de la faculté de juger. Mais on remarquera que la faculté de juger pose un problème du fait d’être placée dans la
même colonne que deux facultés législatrices possédant des domaines propres; en effet, dans la mesure où la faculté
196
de juger mentionnée là procure des connaissances affectant la faculté de plaisir et de peine et où le principe qui lui
procure sa légalité est la finalité, il ne peut être question de lui reconnaître une législation du genre de celles que la
citation précédente vient d’octroyer à l’entendement et à la raison. Tout l’enjeu de CFJ est là: expliquer comment
(en quoi, pourquoi, moyennant quoi, dans quelles limites et conditions, etc.) la faculté de juger peut être légale
sans être législatrice; à moins que… elle soit législatrice sans être déterminante.
Dans l’Appendice 6, je rappelle les définitions techniques données par Kant des termes «champ», «territoire»,
«domaine» et je construis un tableau montrant comment se répartissent les concepts dont il est question dans la
théorie des facultés, lorsqu’on les compare entre eux selon leur territoire et leur domaine.
Tout de même que la question du pouvoir législatif se pose à propos des facultés, elle peut se poser également
à propos de la critique elle-même qui fait la théorie des ces facultés, en tant que l’auteur ou l’agent de la critique est
aussi une faculté, à savoir la raison pure. «La critique des facultés de connaître, considérées dans ce qu’elles peuvent
a priori, n’a proprement aucun domaine pour ce qui est des objets.» (CFJ, Pko 25.3.1-3) Donc la critique ne
légifère pas eu égard aux objets (c.-à-d. les facultés) qu’elle fait connaître (qu’elle a comme domaine). Elle a un
champ: les prétentions des facultés.
C.
Pour ce qui est de la faculté de juger, l’opposition conceptuelle qui correspond le mieux à l’opposition
entre une faculté législatrice et une faculté qui ne l’est pas est celle entre faculté de juger déterminante et faculté
de juger réfléchissante.
Concernant la faculté de juger: elle légifère exclusivement en son usage déterminant, en lequel elle se
confond avec la législation de l’entendement. Quant à la faculté de juger réfléchissante, elle ne légifère pas, à
proprement parler, mais elle se donne à elle-même sa propre loi et fonctionne de façon nomique <gesetzlich> en
raison du caractère a priori des principes qui fondent ses jugements.
[…] dans la famille des facultés supérieures de connaître il existe encore un moyen-terme entre
l’entendement et la raison. Celui-ci est la faculté de juger, dont on peut supposer avec raison,
suivant l’analogie, qu’elle pourrait bien aussi contenir en soi, sinon une législation qui lui soit
propre, toutefois un principe particulier pour chercher des lois, en tout cas un principe a priori
simplement subjectif, qui, alors même qu’aucun champ d’objets ne lui conviendrait comme domaine
propre, peut cependant avoir quelque territoire et dans des conditions telles que ce principe seul
pourrait y avoir de la valeur.
(CFJ, Pko 26.2)
D.
Pour ce qui est des rapports entre l’imagination et l’entendement, il est question parfois d’une
hiérarchie, mais je ne suis pas sûr qu’il s’agisse d’un pouvoir législatif. Dans le cas du jugement de goût, par
exemple : «l’entendement est au service de l’imagination et non l’imagination au service de celui-ci.» (CFJ, Pko
82.1.2f) On sait que Kant par le volontiers d’une «libre légalité de l’imagination» (Ibid., 80.4.2-4) et aussi de la
légalité de l’entendement; mais l’imagination est-elle législatrice <gesetzgebend>? A-t-elle un domaine?
7.3.2
Registre 2. Le registre des processus
À chaque tableau qui représente une zone du registre des processus, j’ajoute une petite grille, que
j’appelle «grille de contrôle» et qui contient ou non des données à titre d’exemples; elle est fournie
pour permettre au lecteur un exercice d’analyse ou de synthèse.
A. L’exercice d’analyse consiste à prendre les cinq catégories données ci-dessous et à les utiliser
pour interroger le texte kantien au cours de la lecture et de l’étude de la Critique de la faculté de
juger. Les catégories ont alors pour fonction d’attirer l’attention du lecteur sur des aspects de la
théorie qu’il étudie; la grille sert à consigner ce qu’il observe.
B. L’exercice de synthèse consiste à prendre les cinq catégories données pour construire un
résumé ordonné de ce qui a été compris et retenu de la lecture et de l’étude faites auparavant. La
grille sert à consigner ce que le lecteur a retenu de sa lecture.
197
Les catégories suivantes s’appliquent en principe à la description-explication de chacun des
processus pris pour objet par la Critique :
a) nature (et origine?) de la représentation présente en la faculté;
b) nature de l’objet et ce qui lui advient; (je présuppose ici qu’une représentation représente
généralement quelque chose et c’est ce quelque chose que j’appelle l’«objet» de la
représentation);
c) nom du processus et de la faculté qui le réalise; si le processus se décompose en plusieurs
opérations : nom de chaque opération et de la faculté qui en est l’agent;
d) propriétés du jugement lui-même (propriétés du jugement de connaissance; propriétés du
jugement téléologique, etc.)
e) énoncé(s) du principe déterminant de la faculté de juger et/ou du jugement qu’elle produit.
7.3.2.1.
L’interaction des facultés dans la production des jugements
REMARQUES GÉNÉRALES SUR LA POSSIBILITÉ ET LA MANIÈRE DE DISTINGUER LES FACULTÉS ENTRE ELLES
Le registre des processus pourrait également s’appeler «le registre de l’accord des facultés».
[…] tout accord déterminé des facultés, sous une faculté déterminante et législatrice, suppose
l’existence et la possibilité d’un accord libre indéterminé. C’est dans cet accord libre que le
jugement, non seulement est original (ce qu’il était déjà dans le cas du jugement déterminant), mais
manifeste le principe de son originalité. D’après ce principe, nos facultés diffèrent en nature, et
pourtant n’en ont pas moins un accord libre et spontané, qui rend possible ensuite leur exercice sous
la présidence de l’une d’entre elles, selon une loi des intérêts de la raison. Toujours le jugement est
irréductible ou original: ce pourquoi il peut être dit “une” faculté (don ou art spécifique). Jamais il
ne consiste en une seule faculté, mais dans leur accord, soit dans un accord déjà déterminé par l’une
d’entre elles jouant un rôle législateur, soit plus profondément dans un libre accord indéterminé, qui
constitue l’objet dernier d’une “critique du jugement” en général.
(Del, PCK 87.2)
«La faculté des concepts, qu’ils soient confus ou distincts, est l’entendement; et bien que
l’entendement soit requis pour le jugement de goût, en tant que jugement esthétique (comme pour
tous les jugements), ce n’est point cependant comme faculté de la connaissance d’un objet qu’il est
requis, mais comme faculté de la détermination de celui-ci et de sa représentation (sans concept),
d’après le rapport de celle-ci au sujet et à son sentiment interne et cela dans la mesure où ce
jugement est possible d’après une règle universelle.» (CFJ, Pko 70.2.8f)
Entendement et imagination en tant que facultés de connaissance ET facultés de représentation. Voir CFJ, Pko 60.461.2; CFJ, Pko 78.3.m2-79.1.3
Concernant la distinction entre faculté de juger esthétique et faculté de juger téléologique.
La faculté de juger esthétique est […] une faculté particulière pour juger les choses d’après une règle
et non suivant des concepts. La faculté de juger téléologique n’est pas une faculté particulière, mais
seulement la faculté de juger réfléchissante en général, dans la mesure où elle procède, comme
partout dans la connaissance théorique, d’après des concepts, mais en suivant par rapport à certains
objets de la nature des principes particuliers, qui sont ceux d’une faculté simplement réfléchissante
et ne déterminant pas les objets; et ainsi de par son application elle appartient à la partie théorique de
la philosophie et en raison de ses principes particuliers, qui ne sont pas déterminants comme il le
faut dans une doctrine, elle doit aussi constituer une partie particulière de la critique au lieu que la
faculté de juger esthétique ne contribue en rien à la connaissance de son objet et doit donc faire
partie seulement de la critique du sujet qui juge et de ses facultés de connaissance, dans la mesure où
elles sont susceptibles de principes a priori […]
(CFJ, Pko 40.1.m19-3)
198
Ce passage contient ce qu’il faut pour comprendre pourquoi la théorie du jugement téléologique concerne une
faculté qui a un rapport à la faculté C des connaissances théoriques même si elle ne détermine pas ses objets, c’est-àdire même si elle n’est que réfléchissante : c’est qu’elle procède d’après des concepts et contribue à la connaissance
de ses objets (par exemple la connaissance des êtres organisés, la connaissance de la nature dans son ensemble…).
Mais l’entendement et la faculté de juger téléologique sont également en rapport avec la faculté P du plaisir et de la
peine, dans le processus de production du jugement téléologique; en effet l’entendement, eu égard aux lois
particulières de la nature (et non pas les lois universelles…), «cherch[e] avec intention à atteindre l’une de ses fins
nécessaires, je veux dire l’introduction dans la nature de l’unité des principes» (CFJ, Pko 34.1.m5-3) et se trouve
donc en mesure d’éprouver le plaisir lié nécessairement à la réalisation d’une intention lorsque la faculté de juger
attribue à la nature, via le principe subjectif a priori de la finalité de la nature (ou loi de la spécification de la nature
par rapport à ses lois empiriques), l’unité cherchée. Cette idée et cette thèse sont exposées dans la section VI de
l’Introduction à CFJ; c’est cette idée qui justifie que je dessine dans le tableau … une partie du rectangle
représentant la théorie du jugement téléologique dans la partie supérieure de la zone horizontale consacrée à la
faculté P. Mais on voit que cette idée ne sert pas du tout à établir une différence entre faculté de juger esthétique et
faculté de juger téléologique, puisque c’est justement l’idée de finalité qu’elles ont en commun comme principe
subjectif de détermination.
LES CARACTÉRISTIQUES DU JUGEMENT DE CONNAISSANCE
Entendement (E)
C synthèse des intuitions au moyen
des concepts purs de E;
déterminations des objets en tant
qu’unité du divers au moyen de la
règle de E
Faculté de juger (J)
Raison (R)
subsomption des objets particuliers
donnés dans l’intuition empirique
sous des objets universels;
en énonçant les principes purs de
E, J ne fait qu’énoncer les
conditions de cette subsomption
R, en son usage logique, produit les
raisonnements; elle tend à
expliciter les conditions des
jugements.
R, en son usage spéculatif, pose les
objets auxquels aboutit son
exigence de totalisation des
conditions.
synthèse des lois universelles de la
nature dans des jugements
synthétiques a priori
R guide J et E en fournissant des
principes pour la gouverne des
facultés (pr. régulateurs) et non
pour la détermination des choses.
Tableau 11.20 Registre des processus, pour les facultés impliquées
dans la production des jugements de connaissance.
C’est l’Analytique transcendantale de CRPu qui contient les descriptions les plus soignées et les plus longues
de l’interaction des trois facultés I, E et J, lors des processus de synthèses menant à la production des jugements de
connaissance. Comme les neuf premiers thèmes du présent ouvrage sont consacrés à CRPu, il n’est pas nécessaire
que j’y revienne beaucoup ici. Je signale seulement qu’à plusieurs reprises CFJ évoque brièvement les principaux
processus de synthèse décrits dans l’Analytique transcendantale ainsi que les opérations qui y étaient assignées à
l’entendement et au jugement. Dès l’‹Introduction› de CFJ, par exemple, 13 lignes d’une belle densité rappellent
l’interaction entre l’entendement et la faculté de juger déterminante, telle que la théorisait CRPu :
Nous trouvons […] dans les fondements de la possibilité d’une expérience, tout d’abord il est
vrai, quelque chose de nécessaire, je veux dire les lois universelles, sans lesquelles la nature en
général (comme objet des sens) ne peut pas être pensée; et ces lois reposent sur les catégories,
appliquées aux conditions formelles de toute intuition pour nous possible, pour autant que l’intuition
est également donnée a priori . Sous ces lois, ainsi, la faculté de juger est déterminante; en effet, elle
n’a rien d’autre à faire que subsumer sous des lois données. Par exemple, l’entendement dit : tout
changement a sa cause (loi universelle de la nature); la faculté de juger transcendantale n’a rien de
199
plus à faire que d’indiquer la condition de la subsumption sous le concept de l’entendement a priori
proposé; et c’est la succession des déterminations d’une seule et même chose.
(CFJ, Pko 30.f.1-f)
Ainsi Kant rappelle élégamment comment, dans CRPu, à la catégorie «causalité et dépendance» (CRPu, Bar 137) il
faisait correspondre la deuxième analogie de l’expérience ««Principe de la succession dans le temps suivant la loi de
la causalité: Tous les changements <Veränderungen> arrivent suivant la loi de liaison des effets et des causes.»
(CRPu, Bar 224.4.1-f)
GRILLE DE CONTRÔLE
a
b
l’objet est déterminé par un concept de l’entendement.
c
d
e
LES CARACTÉRISTIQUES DU JUGEMENT TÉLÉOLOGIQUE
Entendement (E)
C
Faculté de juger (J)
Raison (R)
production de l’unité dans la
liaison des lois empiriques
particulières de la nature par
l’accord des lois de la nature avec
les facultés
«la représentation de la finalité [objective], puisqu’elle [rapporte] la
forme de l’objet […] à une connaissance déterminée de l’objet sous un
concept donné, n’a rien à voir avec un sentiment de plaisir pris aux
choses, mais s’adresse à l’entendement pour le jugement à porter sur
elles. Si le concept d’un objet est donné, l’opération de la faculté de
juger, dans l’Usage de ce concept en vue de la connaissance, consiste
dans la présentation (exhibitio), c’est-à-dire qu’elle doit placer à côté du
concept une intuition correspondante […] » (38.f.m5-39.1.5)
Nous regardons «les fins naturelles comme présentations du concept
d’une finalité réelle (objective), et nous les jugeons […] par
l’entendement et par la raison (logiquement, d’après des concepts).»
(39.1.5f)
Tableau 11.21 Registre des processus, pour les facultés impliquées
dans la production des jugements téléologiques.
La thèse générale de la critique de la faculté de juger téléologique est
– que nous disposons des concepts requis pour concevoir la finalité objective de la nature,
– que néanmoins nous ne pouvons pas connaître cette finalité faute de pouvoir déterminer la fin que
poursuit la nature et l’entendement qui concevrait cette fin
– que néanmoins nous ne pouvons concevoir les êtres organisés de la nature autrement que comme
possibles exclusivement en raison d’une causalité selon des fins
200
–
que, par conséquent, notre raison nous oblige à concevoir la nature tout entière comme un système selon
des fins, sans quoi ne serait pas possible une unité cohérente de notre expérience de la nature.
C’est dans les sections ‹§75. Le principe d’une finalité objective de la nature est un principe critique de la
raison pour la faculté de juger réfléchissante.› et ‹§76. Remarque› que Kant fait la description la plus explicite de
l’interaction des trois facultés E - J - R dans le mécanisme de production du jugement téléologique.
L’intervention de la raison est décrite, notamment, par un raisonnement à partir du caractère contingent des
lois particulières de la nature :
[…] le concept d’une chose dont nous ne nous représentons l’existence ou la forme comme
possibles que sous la condition d’une fin, est inséparablement lié au concept de sa contingence
(d’après les lois de la nature).
(CFJ, Pko 213.3.1-4; §75)
[suite de la citation précédente] Or comme le particulier, comme tel, contient quelque chose de
contingent par rapport au général, et que cependant la raison exige l’unité dans la liaison des lois
particulières de la nature, c’est-à-dire la légalité (laquelle légalité du contingent se nomme finalité),
alors que la déduction des lois particulières à partir des lois universelles par détermination du
concept de l’objet est impossible a priori en ce qui concerne la contingence que ces lois particulières
comprennent, le concept de la finalité de la nature dans ses production devient pour la faculté
humaine de juger par rapport à la nature un concept nécessaire, mais non un concept portant sur la
détermination des objets eux-mêmes, donc un principe subjectif de la raison pour la faculté de juger,
qui en tant que régulateur (non constitutif) vaut avec autant de nécessité pour notre faculté de juger
humaine que s’il était un principe objectif.
(CFJ, Pko 218.2.15f; §76)
«Le concept d’une finalité par des fins (l’art) possède certes de la réalité objective, comme celui d’une
causalité d’après le mécanisme de la nature» (CFJ, Pko 212.1.m16-14); quant au «concept d’une causalité de la
nature d’après la règle des fins […] sa réalité objective ne peut être garantie par rien, puisqu’il ne peut pas être tiré
de l’expérience et qu’il n’est pas nécessaire non plus pour la possibilité de l’expérience. (Ibid., 212.1.m14-6)
[…] le concept de la finalité de la nature dans ses productions devient pour la faculté humaine de
juger par rapport à la nature un concept nécessaire, mais non un concept portant sur la détermination
des objets eux-mêmes, donc un principe subjectif de la raison pour la faculté de juger, qui en tant
que régulateur (non constitutif) vaut avec autant de nécessité pour notre faculté de juger humaine,
que s’il était un principe objectif.
(CFJ, Pko 218.2.7f)
Le principe de la finalité objective de la nature n’est qu’«un principe de plus pour soumettre les phénomènes de la
nature à des règles» (CFJ, Pko 182.2.8-9): ce n’est pas un principe d’explication de la nature.
Si la causalité de la nature était conçue comme intellectuelle et que ce principe de la dérivation de ses
produits à partir de leurs causes était jugé constitutif (au lieu de régulateur), on aurait le concept de fin naturelle : le
jugement téléologique serait produit par la faculté de juger déterminante, et le concept de fin naturelle serait un
«concept de la raison» (CFJ, Pko 182.2.m3); il n’appartiendrait pas en propre à la faculté de juger.
Thèses négatives
– La finalité naturelle externe (relative) «n’autorise aucun jugement téléologique absolu» (CFJ, Pko
188.3.3f).
– Les fins naturelles internes «ne se trouvent nullement dans une cause efficiente, mais seulement dans
l’idée [sic] de celui qui juge <des Beurteilenden> » (CFJ, Pko 195.2.m4-3)
GRILLE DE CONTRÔLE
a
201
b
l’objet n’est pas déterminé par le jugement
c
d
e
LES CARACTÉRISTIQUES DU JUGEMENT DE GOÛT
Entendement (E)
Faculté de juger (J)
Raison (R)
P production du plaisir dérivé de
J constitue la condition subjective
l’accord de I avec E, à l’occasion
de tous les jugements esthétiques
de la simple appréhension (voir
36.3.1-9). I fournit «l’intuition et la
composition du divers […] [et E
fournit] le concept comme
représentation de l’unité de cette
composition 1 » ((121.2.m4-2)
«la représentation de la finalité [subjective] repose sur le plaisir
immédiat pris à la forme de l’objet dans la simple réflexion sur elle»
(38.4.m7-5)
Nous regardons «la beauté de la nature comme la présentation du
concept de la finalité formelle (simplement subjective), et nous [la]
jugeons […] par le goût (esthétiquement, grâce au sentiment de plaisir)
[…]» (39.1.m7-2)
Tableau 11.22 Registre des processus, pour les facultés impliquées
dans la production des jugements esthétiques.
1 NOTE
1 (du tableau 11.22). Le texte français donne ici par erreur le mot «compréhension» au lieu du mot
«composition».
Le croisement que la matrice des six facultés représente entre J et P est énoncé par Kant de la manière
suivante :
[…] [les jugements esthétiques] appartiennent […] à la faculté de connaître seule et prouvent une
relation immédiate de cette faculté au sentiment de plaisir et de peine suivant un certain principe a
priori, qu’il ne faut pas confondre avec ce qui peut être principe de détermination de la faculté de
désirer.
(CFJ, Pko 19.2.8-12)
Dans cette description, la faculté de connaître est J, le sentiment de plaisir et de peine est P et le principe a priori
origine de R. Tout en affirmant le croisement entre J et P, la remarque de Kant nous prévient qu’il ne faut pas le
confondre avec un autre croisement, celui qui reliera J à D.
La thèse principale de l’esthétique décrit ce que fait le jugement esthétique : «[…] le jugement esthétique
rapporte uniquement au sujet la représentation par laquelle un objet est donné» (CFJ, Pko 70.2.m20-19), étant
entendu que cette représentation n’est pas la même que «celle par laquelle il est pensé» ]Ibid., 72.2.5-6). Le
jugement esthétique
permet de remarquer […] la forme finale dans la détermination des facultés représentatives qui
s’occupent avec cet objet. Aussi bien le jugement s’appelle esthétique parce que son principe
202
déterminant n’est pas un concept, mais le sentiment (du sens interne) de l’accord dans le jeu des
facultés de l’esprit, dans la mesure où celui-ci ne peut qu’être senti.
(CFJ, Pko 70.2.m19-13)
Concernant le rôle de l’entendement dans la production du jugement esthétique, nous en avons une première
indication dès l’‹Introduction› à CFJ, dans la manière dont Kant nous décrit ce que j’ai appelé l’esthétisation de la
finalité (section IV; je paraphrase les thèses et décris la démarche de ce passage dans l’Appendice 4). Notre
entendement cherche avec intention à atteindre l’unité de la nature, et partant l’unité de l’expérience, au moyen de
principes; et c’est parce que cette intention est d’abord présente qu’un plaisir est ressenti, par la faculté P, lorsque
l’entendement découvre «la possibilité de l’union, sous un principe qui les comprend, de deux ou plusieurs lois
empiriques de la nature hétérogènes» (CFJ, Pko 34.3.6-8). Car la réalisation d’une intention, tout comme la
satisfaction d’une attente, est liée au sentiment de plaisir; et si l’intention est intellectuelle, le plaisir qui lui
correspond l’est aussi.
Mais pour comprendre comment l’entendement peut unifier des intuitions ou même y apercevoir quelque
chose au profit de la faculté de juger, alors même qu’il ne les subsume pas sous un concept déterminé — procédé
qui aurait pour effet de déterminer un objet —, il faut être attentif au procédé que Kant appelle «présentation
<Darstellung> » et qu’il impute à l’imagination. «[…] l’imagination est la faculté de la présentation <das
Vermögen der Darstellung> » (CFJ, Pko 73.2.m5-4). En ce sens technique, présenter consiste à placer à côté du
concept une ou plusieurs intuitions correspondantes; et comme les intuitions sont les représentations propres à
l’imagination, c’est par elle que l’esprit peut penser des contenus sans les penser par des concepts; et c’est ce
procédé qui rend possible que la faculté de juger réfléchissante puisse juger par sentiment plutôt que par concept.
Ainsi les êtres qui sont censés correspondre à des idées de la raison, lors même qu’ils ne peuvent être représentés par
des concepts peuvent l’être dans une présentation (l’Idéal du beau, §17, en est un exemple) et des Idées esthétiques
peuvent présenter <darstellen> un concept sans que ce dernier leur soit adéquat, ou sans que ce dernier soit même
déterminé. La présentation est donc un processus nécessaire à la production d’un jugement esthétique et par
conséquent l’imagination se trouve nécessairement impliquée dans la production d’un tel jugement.
C’est dans la section §35 que Kant fait le plus explicitement la description des rôles de l’imagination et de
l’entendement dans le mécanisme de production du jugement esthétique.
Puisque les concepts constituent dans un jugement son contenu (ce qui appartient à la connaissance
de l’objet), et que le jugement de goût n’est pas déterminable par des concepts, il se fondera donc
seulement sur la condition subjective formelle d’un jugement en général. La condition subjective de
tous les jugements est la faculté de juger elle-même ou la faculté judiciaire. L’usage de cette faculté,
par rapport à une représentation par laquelle un objet est donné, requiert l’accord de deux facultés
représentatives: celui de l’imagination (pour l’intuition et la composition du divers) et de l’entendement (pour le concept comme représentation de l’unité de cette composition). Or comme aucun
concept de l’objet ne se trouve ici au fondement du jugement, cet accord ne peut consister que dans /
la subsumption [sic] de l’imagination elle-même (dans une représentation, par laquelle un objet est
donné) sous la condition selon laquelle l’entendement passe en général de l’intuition aux concepts.
C’est-à-dire comme la liberté de l’imagination consiste précisément en ceci qu’elle schématise sans
concepts, il faut que le jugement de goût repose sur une simple sensation de l’animation réciproque
de l’imagination dans sa liberté et de l’entendement dans sa légalité, par conséquent donc sur un
sentiment, qui permet de juger l’objet d’après la finalité de la représentation (par laquelle un objet
est donné) en ce qui concerne l’incitation à l’activité de la faculté de connaître en son libre jeu. Le
goût, en tant que faculté de juger subjective, comprend un principe de la subsumption [sic], non pas
des intuitions sous des concepts, mais de la faculté des intuitions ou présentations (c’est-à-dire de
l’imagination) sous la faculté des concepts (c’est-à-dire l’entendement), pour autant que la première
en sa liberté s’accorde avec la seconde en sa légalité.
(CFJ, Pko 121.f.8-122.1.f)
Les mêmes idées sont rappelées à l’occasion de la définition du génie (§49), le contexte étant celui de la production
d’une oeuvre d’art (par exemple un poème; Kant donne comme exemple un poème de Frédéric le Grand). Les
principales interactions entre les facultés sont:
203
–
–
–
–
à un concept (déterminé) donné par l’entendement l’imagination associe des Idées esthétiques, riches en
contenu mais peu élaborées, du point de vue conceptuel;
«l’imagination (comme faculté de connaissance productive) [tire ces Idées] de la matière <Stoffe> que la
nature réelle lui donne» (CFJ, Pko 144.2.1-3) et transforme librement cette matière selon des principes
qui n’ont pas à être ceux de l’entendement et qui peuvent être ceux de la raison, aboutissant ainsi, le cas
échéant, à des représentations de quelque chose qui se trouve au-delà des limites de l’expérience.
[…] tandis que dans l’usage de l’imagination en vue de la connaissance, l’imagination est
soumise à la contrainte de l’entendement et à la limitation, qui consiste pour elle à être accordée
aux concepts de l’entendement, en revanche dans une perspective <Absicht> esthétique elle est
libre […]
(CFJ, Pko 146.3.3-7)
en introduisant dans la présentation <Darstellung> d’un concept des Idées esthétiques, l’imagination
• «élargit le concept lui-même esthétiquement d’une manière illimitée […]
• et elle met en mouvement la faculté des Idées intellectuelles (la raison)» (CFJ, Pko 144.4.4-7).
l’entendement applique, unifie et exprime (pense, quoique toujours inadéquatement) les Idées esthétiques
non dans le but d’accroître les connaissance mais dans le but «d’animer les facultés de connaître» (CFJ,
Pko 146.3.m9-8) et «le libre accord de l’imagination avec la légalité de l’entendement» (CFJ, Pko
147.2.m4) — qui se réalise spontanément chez le génie, en raison d’un disposition de sa nature — a pour
effet de rendre communicable à autrui la disposition subjective de l’âme <subjektive Gemütsstimmung>
qui accompagne le concept.
Concernant le jugement esthétique: «
– «jugement personnel <Privaturteil> » (CFJ, Pko 164.3.5)
– c’est un jugement dont la représentation est rapportée uniquement au sujet suivant le processus qui
produit le plaisir :
Si le plaisir est lié avec la simple appréhension (apprehensio) de la forme d’un objet de
l’intuition, non rattachée à un concept en vue d’une connaissance déterminée, alors la
représentation se trouve par là rapportés non à l’objet, mais uniquement au sujet et le plaisir ne
peut rien exprimer d’autre que la convenance <Angemessenheit> de cet objet aux facultés de
connaître, qui sont mises en jeu dans la faculté de juger réfléchissante et dans la mesure où elles
s’y trouvent, c’est-à-dire simplement une finalité subjective formelle de l’objet. En effet, cette
appréhension de formes dans l’imagination ne peut jamais s’effectuer, sans que la faculté de
juger réfléchissante, même inintentionnellement, ne la compare, à tout le moins, avec sa faculté
de rapporter des intuitions à des concepts. Si donc en cette comparaison l’imagination (comme
faculté des intuitions a priori) se trouve mise en accord inintentionnellement grâce à une
représentation donnée avec l’entendement, comme faculté des concepts, alors l’objet doit être
regardé comme final <zweckmäßig> pour la faculté de juger réfléchissante. Un tel jugement est
un jugement esthétique sur la finalité de l’objet […].
(CFJ, Pko 36.3.1-f; dans ‹Introduction,
VII. De la représentation esthétique de la finalité de la nature›.)
[…] le jugement s’appelle esthétique parce que son principe déterminant n’est pas un concept,
mais le sentiment (du sens interne) de l’accord dans le jeu des facultés de l’esprit, dans la
mesure où celui-ci ne peut qu’être senti.
(CFJ, Pko 70.2.m16-13)
Kant conceptualise un passage de la satisfaction esthétique (plaisir propre au goût) à la satisfaction d’ordre
moral (plaisir propre au sentiment moral.
Nous possédons une faculté de juger simplement esthétique pour juger sans concepts des
formes et trouver une satisfaction dans le simple jugement <Beurteilung> de celles-ci; nous faisons
de cette satisfaction une règle pour chacun, sans que le jugement se fonde sur un intérêt ou en
204
produise un. — D’un autre côté nous possédons aussi une faculté de juger intellectuelle, afin de
déterminer pour de simples formes de maximes pratiques (dans la mesure où elles se qualifient
d’elles-mêmes comme législation universelle) une satisfaction a priori, dont nous faisons pour
chacun une loi, sans que notre jugement se fonde sur un quelconque intérêt; mais alors il en produit
un. Dans le premier jugement le plaisir ou la peine sont propres au goût et dans le second au
sentiment moral.
(CFJ, Pko 132.3.1-f)
Je crois que nous pouvons représenter cette idée sur la matrice des 6 facultés, en laissant la zone consacrée à la
théorie du jugement moral empiéter vers le haut sur les lignes de la matrice où j’inscris les représentations et
processus propres à la P, la faculté du plaisir et de la peine. Tout comme le jugement téléologique contient (nous
l’avons signalé plus haut) des représentations qui affectent la faculté P du plaisir et de la peine, il se trouve que le
jugement moral, à cause du sentiment moral qui lui est associé, en contient aussi.
GRILLE DE CONTRÔLE
a
le sentiment de l’agréable est l’effet sur P de la représentation de l’objet en tant qu’il fait plaisir <vergnügt>
le sentiment du beau est l’effet sur P de la représentation de l’objet en tant qu’il plaît simplement <gefällt>
le sentiment du bon est l’effet sur P de la représentation de l’objet en tant qu’il est estimé <geschätzt,
gebilligt>
b
L’objet dans le jugement esthétique n’est pas déterminé par un concept
c
d
e
LES CARACTÉRISTIQUES DU JUGEMENT MORAL
Entendement (E)
Faculté de juger (J)
P
D
Raison (R)
R «suscite dans le sentiment moral
un intérêt immédiat [pour les
Idées]» (132.4.2-3)
détermination de la volonté,
comme cause libre (chose en soi)
par les concepts de la liberté :
l’impératif
production des actions morales
détermination de la volonté par des
concepts de la nature: production
des actions à finalité technique
Tableau 11.23 Registre des processus, pour les facultés impliquées
dans la production des jugements moraux.
Le «jugement moral […] par les concepts, sans aucune réflexion précise, subtile et préalable, conduit à
accorder un intérêt égal immédiat» (CFJ, Pko 133.2.11-16) au beau et au bien; l’intérêt «au beau de la nature» (Ibid.,
205
133.3.5-6) «est un intérêt libre, tandis que [l’intérêt au bien moral] est un intérêt fondé sur une loi objective» (Ibid.,
133.2.m12-11).
GRILLE DE CONTRÔLE
a
l’objet est l’action et l’état de choses résultant de l’action
b
l’objet est déterminé par la volonté libre
c
d
e
le principe du jugement est la loi morale
7.3.2.2.
Les théories explicatives et leur articulation comme parties de la philosophie
pure
Les théories explicatives ou descriptives que l’on peut faire correspondre à diverses cases ou régions du
registre des processus peuvent être énumérées sur un tableau dont la structure de base est celle de la matrice des six
facultés. À un niveau de résolution relativement bas, un tel tableau ne montre que les correspondances générales que
laissent apercevoir déjà les tables des matières des trois Critiques. (Voir le tableau 11.24.)
C r i t i q u e de l a r a i s o n pu r e
C r i t i q u e de l a
r a i s o n pr a t i q u e
C r i t i q u e de l a
f a c u l t é de j u g e r
I.– Crit. de la f.j.
esthétique
Théorie des éléments
–Esthétique transcendantale
–Logique transcendantale
• Analytique transcendantale
◊ Analytique des concepts
◊ Analytique des principes
• Dialectique transcendantale
◊ Des concepts de la raison pure
◊ Des raisonnements dialectiques
Analytique de la raison
pratique
◊ Des principes…
◊ Du concept…
◊ Des mobiles…
Dialectique de la raison
pure pratique
Méthodologie transcendantale
II.– Crit. de la f.j.
téléologique
Analytique de la f.j.
Analytique de la f.j.
esthétique
téléologique
◊Analytique du Beau
◊Analytique du Sublime
La Dialectique de la f.j. Dialectique de la f.j.
esthétique
téléologique
◊ l’antinomie du goût
◊ l’antinomie de la f.j.]
Méthodologie du goût
Méthodologie de la f.j.
téléologique
Tableau 11.24 La systématicité de la division en Analytique, Dialectique et Méthodologie,
dans les trois Critiques.
Mais à un niveau de résolution plus élevé, là où il devient possible de faire des divisons et articulations plus
fines entre les théories, le tableau de la nomenclature des théories permet d’évoquer, tout en les ordonnant, les
solutions que Kant fournit et les positions qu’il prend dans l’arène intellectuelle (les «ismes»). Voir le tableau 11.25.
206
C
Entendement (E)
Faculté de juger (J)
Analytique des concepts (CRPu)
Théorie de l’unité originairement
synthétique de l’aperception.
Analytique des principes (CRPu)
Le schématisme.
Théorie de la réflexion
transcendantale
Analytique transcendantale
(une désignation plus spécifique serait
‘Analytique de la faculté de juger déterminante’)
Idéalisme transcendantal — théorie de l’«idéalité des objets des sens»
(173.3.1)
Théorie transcendantale du jugement théorique.
Raison (R)
Dialectique transcendantale (une
désignation plus spécifique serait
‘Dialectique de la faculté de juger
déterminante’; ou ‘Dialectique de
la raison théorique’1 )
Théorie transcendantale du
jugement dialectique.
«La téléologie, comme science, n’appartient à aucune doctrine, mais seulement à la critique» (230.2.1-2; §79).
L’idéologie de la recherche
Analytique de la faculté de juger téléologique
théorie du jugement téléologique
Dialectique de la faculté de juger
téléologique
P
Théorie (de la perception) du beau
Théorie du sens commun
Analytique de la faculté de juger esthétique
Idéalisme de la finalité subjective
théorie du jugement téléologique
D
Dialectique de la faculté de juger
esthétique
Théorie du jugement pratique
Analytique de la raison pure pratique
Dialectique de la raison pure
pratique
La métaphysique des moeurs
Tableau 11.25 Les théories qui composent les Critiques.
1 Note
1. Cette appellation serait cependant peut-être trop peu discriminante si on voulait qu’elle désignât seulement
la dialectique transcendantale contenue dans CRPu, car il semble bien que le terme «raison théorique» doive
comprendre aussi la raison qui construit les raisonnements dialectiques de la téléologie et de l’esthétique, si tant est
que ces deux théories appartiennent à la philosophie théorique. (Fin de la Note 1.)
Si l’on veut tenir compte des différences fines que le criticisme établit entre les concepts de la nature qui
sont construits par la raison pour penser l’objet de ses connaissances pures, on peut suivre le fil directeur qui nous
est déjà fourni dans l’Architectonique de la raison. La raison, dans l’étude rationnelle de la nature,
– a un usage physique, ou immanent : alors la nature est étudiée «en tant que la connaissance en peut être
appliquée dans l’expérience (in concreto); la métaphysique de la nature est alors physiologie rationnelle
immanente et considère «la nature comme l’ensemble de tous les objets des sens, par conséquent telle
qu’elle nous est donnée, mais seulement suivant les conditions a priori sous lesquelles elle peut nous être
donnée en général.» (CRPu, Bar 629.2). Les deux parties de cette physiologie immanente sont 1° la
207
–
physique rationnelle (elle étudie l’ensemble des objets des sens extérieurs, c’est-à-dire la nature
corporelle); et 2° la psychologie rationnelle (elle étudie «l’objet du sens intime, l’âme, et, suivant les
concepts fondamentaux de l’âme en général, la nature pensante» — CRPu, Bar 629.2.m8-6).
a un usage hyperphysique, ou transcendant : alors la nature est étudiée du point de vue de la liaison des
objets de l’expérience qui dépasse toute expérience; la métaphysique de la nature est alors physiologie
rationnelle transcendante et se divise en 1° cosmologie transcendantale (elle étudie la liaison interne
des objets de l’expérience mais au-delà des limites de l’expérience, donc le monde, considéré comme
l’unité inconditionnée de la série des conditions du phénomène) et 2° théologie transcendantale (elle
étudie la nature du point de vue de sa liaison externe à un être élevé au-dessus de la nature).
La Critique fixe des objets, des principes et des limites pour chacune de ces parties de la métaphysique
traditionnelle de la nature
– pour la physique rationnelle dans l’Analytique transcendantale et la Dialectique transcendantale de
CRPu;
– pour la psychologie rationnelle dans la Dialectique transcendantale de CRPu, là où sont résolus les
paralogismes de la raison pure;
– pour la cosmologie transcendantale, dans l’Antinomie de la raison pure (CRPu, Dialectique transcendantale) et dans la Dialectique de la faculté de juger téléologique (CFJ);
– pour la théologie transcendantale, dans l’Idéal de la raison pure (CRPu, Dialectique transcendantale),
dans la Dialectique de la faculté de juger téléologique (CFJ) et, pour partie, dans la section
‹VI. L’existence de Dieu comme postulat de la raison pure pratique.› de la Dialectique de la raison pure
pratique (CRPa).
Quant à la métaphysique qui devrait correspondre à la Critique de la raison pratique et en constituer le
prolongement doctrinal, Kant y réfère sous le nom de «métaphysique des moeurs». Cette discipline comprend
comme parties principales une théorie du droit et une théorie de la vertu, auxquelles Kant apportera d’importants
développements.
L’EXPLICATION DE L’UNIVERSALITÉ DU JUGEMENT DE GOÛT.
Le passage suivant non seulement expose l’argumentation qui aboutit à la thèse de l’universalité du jugement
de goût mais constitue aussi une sorte de résumé de l’Analytique du Beau, dans la mesure où il contient presque
tous les concepts qui ont été mis en oeuvre pour décrire le rôle des facultés dans la production du jugement
esthétique.
Le plaisir pris à la beauté […] n’est ni un plaisir de jouissance, ni celui d’une activité
conforme à une loi, ni celui de la contemplation qui médite d’après des Idées, mais c’est le plaisir de
la simple réflexion. Sans avoir pour guide quelque fin ou quelque principe ce plaisir accompagne
l’appréhension commune d’un objet par l’imagination, comme faculté de l’intuition, en relation à
l’entendement, comme faculté des concepts, par la médiation d’un procédé <Verfahren> de la
faculté de juger que celle-ci doit également mettre en oeuvre au profit de l’expérience la plus
vulgaire; la seule différence est qu’ici il ne s’agit que d’un concept empirique objectif, tandis que là
(dans le jugement esthétique} il s’agit pour elle de percevoir la convenance de la représentation à
l’opération harmonieuse (subjectivement finale) de deux facultés de connaître en leur liberté, c’està-dire de sentir avec plaisir l’état représentatif. Ce plaisir doit nécessairement en chacun reposer sur
les mêmes conditions, parce qu’elles sont les conditions subjectives de la possibilité d’une
connaissance en général, et la proportion de ces facultés de connaître, qui est exigée pour le goût,
l’est aussi pour l’entendement commun et sain, que l’on doit présumer en chacun. C’est pourquoi
celui qui juge avec goût (supposé seulement qu’intérieurement il ne se trompe pas et ne prenne pas
la matière pour la forme et l’attrait pour la beauté) peut attribuer la finalité subjective, c’est-à-dire sa
satisfaction procédant de l’objet à tout autre homme et admettre que son sentiment est
communicable universellement et cela sans la médiation des concepts.
(CFJ, Pko 126.3.1-f; à la fin de ‹§39. De la communicabilité d’une sensation›.)
208
7.4
La question de l’unité de la Critique de la faculté de juger
Les objectifs d’ensemble de la Critique de la faculté de juger sont relativement clairs. CFJ vient répondre à
deux besoins ressentis par Kant.
– Premièrement, le besoin de faire droit à un type de représentation qui se rapporte à l’objet mais qui
échappe à la législation du concept dans la mesure où ce qu’il procure est du plaisir (de la peine) plutôt
que de la connaissance: ce besoin invite à théoriser une sorte d’écart significatif entre cette connaissance
par sentiment et la connaissance par concepts. (Il faut prendre garde cependant de ne pas interpréter trop
rapidement le terme «sentiment» que je viens d’utiliser, selon ses acceptions contemporaines.)
– Deuxièmement, le besoin de faire droit à une Idée de la raison (la finalité de la nature) qui peut posséder
un usage non dialectique (elle doit donc être blanchie du stigmate dévalorisant qui marque les principes
subjectifs prenant des airs de principes objectifs) et qui respecte mal (ou du moins malaisément) la
distinction entre usage pratique et usage spéculatif de la raison, en ce sens qu’elle sert de principe
pratique (injonction) à l’égard de l’entendement (et non de la volonté) en son usage théorique et qu’elle
est applicable à la conduite de la recherche scientifique. Aussi Kant va-t-il préférer parler du concept de
finalité que de l’idée de finalité, dans l’«Introduction», faisant ainsi passer en arrière-plan les
connotations relativement péjoratives associées à l’expression «idées transcendantales».
Devant ces objectifs la question s’est posée de savoir s’ils sont suffisamment articulés pour donner une unité
à la Critique de la faculté de juger. Cet ouvrage n’est-il pas en fait composé de deux parties qui auraient aussi bien
pu être publiées séparément et qui n’ont été liées l’une à l’autre que par un fil conducteur relativement superficiel:
l’idée de finalité de la nature, subdivisée pour les besoins de la cause en finalité subjective et finalité objective.
Plusieurs commentateurs de Kant ont pris position sur cette question et Philonenko rappelle quelques-unes d’entre
elle dans son ‹Introduction› à la traduction française qu’il donne de CFJ.
La position de Philonenko sur ce point vaut qu’on la présente, au même titre que sa traduction, étant donné
que les présentes notes introduisent à la lecture de cet ouvrage.
Philonenko propose deux façons d’apercevoir l’unité de la CFJ, à partir de l’identification de sa «question
capitale» (CFJ, Pko 10.2.3):
– selon un première interprétation, qui «assure en quelque sorte un lien horizontal entre les trois Critiques»
(12.f.2-3), CFJ est une «tentative pour résoudre le problème capital de la philosophie moderne:
l’intersubjectivité.» (CFJ, Pko 10.2.3f).
– selon une deuxième interprétation, on aperçoit «un autre lien que l’on pourrait cette fois nommer
vertical» (12.f.2f), car il établit des rapports hiérarchiques (en un sens à préciser) entre les thèmes de la
réflexion kantienne, considérés comme objets-problèmes. Selon cette approche, la Critique de la faculté
de juger téléologique traite le problème de l’organisation de la nature (microcosme et macrocosme) et
traite ainsi la «problématique du système» (par opposition à celle de la synthèse, qui caractérise plutôt
CRPu). En deuxième lieu, la Critique de la faculté de juger esthétique traite «le problème de la vie ou
plus justement encore le problème de l’individualité» (CFJ, Pko 14.2.2-3 accentuation en gras due à
NL), lequel devient, sous l’un de ses aspects, «le problème de l’intersubjectivité et de la communication»
(14.2.m6-5), le problème de la «synthèse des individualités dans un sens universel» (14.2.2f).
Concernant la première interprétation. Le jugement de goût a pour condition le sens commun; ce dernier
est «la condition nécessaire de la communicabilité universelle de notre connaissance, qui doit être présumée en toute
logique et en tout principe de connaissance qui n’est pas sceptique.» (Kant, CFJ, Pko 79.1.4f) De cette idée,
Philonenko tire le sens de CFJ par rapport aux deux autres Critiques:
209
On voit dès lors apparaître le sens de la Critique de la faculté de juger et sa relation aux deux autres
Critiques. La Critique de la faculté de juger fonde et achève la Critique de la raison pure et la
Critique de la raison pratique en développant l’expérience originelle présupposée en toutes deux
comme réflexions sur la pensée humaine. De là sa haute portée / systématique dans l’ensemble de la
critique. La Critique de la faculté de juger remplit cette tâche systématique en se constituant comme
une logique de l’intersubjectivité, c’est-à-dire comme une logique de la signification.
(Philonenko, CFJ, Pko 11.4.1-12.1.4)
Cette «logique du sens» fournit alors la clé de l’unité de CFJ, pourvu qu’on interprète la théorie de la faculté du goût
comme une «réflexion sur l’expérience de la communication» et la théorie de la faculté de juger en son usage
téléologique comme une réflexion sur «la rencontre significative de l’homme et du monde» (Ibid., 12.1); dans cette
dernière interprétation, la notion de sens est récupérable dans la mesure où l’on considère que l’attribution d’une
finalité à la nature est bel et bien une stratégie qui rend cette nature significative pour nous, et que c’est là son enjeu
principal.
8. Le criticisme interprété selon la perspective des abîmes de l’esprit
LA QUESTION DE L’UNITÉ DES TROIS CRITIQUES
Selon Philonenko, il n’y a pas d’unité systématique véritable entre les trois critiques: «La Critique de la
faculté de juger, en particulier, ne paraît pas avoir été prévue dès le point de départ dans le plan d’ensemble de la
philosophie transcendantale». (Phi, OK I 12) Cet auteur jugera aussi qu’il n’y a pas d’intuition fondamentale
unificatrice du kantisme, considéré comme l’ensemble de la production philosophique de Kant:
L’idée bergsonienne d’une intuition fondamentale soutenant la totalité de la doctrine ne s’applique
pas à la philosophie kantienne. Il n’existe véritablement pas de «fil d’or» qui permette d’enchaîner
dans une seule vision toute la pensée kantienne.
(Phi, OK I 13)
Caygill, dans «Kant and the ‘Age of criticism’», accentue cette idée et appelle de ses voeux une biographie de
Kant qui ne soit pas un «more or less sophisticated teleological narrative of his ‘development’» (Cay, KD, p. 8): «To
use Kant’s own distinction, his thought would then be read less as a definitive body of philosophy than as an openended process of philosophizing, one in which the philosophical tradition was re-invented in the face of changes in
the structures of University, Church and State, as well as in the publishing industry and the reading public.» (Ibid.,
p. 8) À la toute fin de cet essai, Caygill reprend l’idée de non-achèvement en disant que la manière kantienne de
philosopher est caractérisée par de «studied equivocations» et par une «sensitivity to aporia», caractères qu’il oppose
ironiquement aux efforts que firent les post-kantiens de «realize philosophy, whether through the nation, the
proletariat or the overman» et au fait qu’ils ont ainsi «transformed Kant’s philosophizing into philosophy» (Ibid.,
p. 8).
Cependant, il est possible en un autre sens, de concevoir des articulations qui forment système entre les objets
de recherche des trois Critiques, c’est-à-dire leurs problématiques. Une mise en place relativement systématique est
donnée par Philonenko dans sa Préface à CFJ. Elle se fonde sur la notion d’abîme et sur la supposition que les
grands problèmes qui préoccupaient Kant étaient, pour lui, mis en perspective dans une «doctrine des abîmes de
l’esprit»:
Nous trouvons souvent sous la plume de Kant le mot : abîme. Bien qu’il ne l’ait point systématisée
nous pouvons découvrir chez lui une véritable doctrine des abîmes de l’esprit. Deux grandes bornes
marquent le chemin de l’esprit à travers les abîmes. Au point de départ de ce chemin se présente
l’esprit humain pénétré de la puissance de ses jugements mathématiques. […] l’homme qui calcule,
construit son objet et en ce sens l’homme mathématicien est comparable à un entendement
archétype. Cet entendement archétype est le terme du chemin. C’est l’idée d’un entendement pour
lequel le possible et le réel, la pensée et l’intuition seraient une seule et même chose 2 [2. Critique de
la faculté de juger, §§76-77.]; entendement non plus seulement constructeur donc, mais aussi
210
créateur. Entre ces deux entendements, en l’homme et Dieu, se présente une série de problèmes, qui
sont autant d’abîmes de l’esprit. Ces abîmes sont ceux de l’existence objective, de l’organisation, de
l’individualité, de la personnalité.
(CFJ, Pko 13.1)
Les liens que l’hypothèse citée permet à Philonenko d’établir sont résumés dans le tableau que j’intitule «LES
PROBLÉMATIQUES RESPECTIVES DES QUATRE CRITIQUES EN TERMES D’ABÎMES DE L’ESPRIT».
LES PROBLÉMATIQUES RESPECTIVES DES QUATRE CRITIQUES EN TERMES D’ABÎMES DE L’ESPRIT
Abîme
Thème-problème;
problématique
Formulations des problèmes;
commentaires
Ouvrage qui
traite
le problème
L’EXISTENCE OBJECTIVE
Problématique de la synthèse
«Comment puis-je connaître un objet que je ne pose pas?
[…] ce qui, par son existence même, ne dépend pas de moi?
[…] comment puis-je être conscience d’univers et non pas
seulement conscience de soi?
CRPu
L’ORGANISATION
Problématique du système
La nature comme «système des
fins» (CFJ, §67)
Qu’est-ce qui rend possible que les phénomènes, malgré leur CFJ téléologique
extrême diversité, puissent être comparés rationnellement et
reliés de manière à former un système?
L’être organisé est «caractérisé par la finalité interne»; «il
appartient à un ordre de choses que les principes de
l’entendement physicien ne permettent pas de pénétrer»
(14.1.3-5)
L’INDIVIDUALITÉ (en tant que
réalisée dans l’homme)
Partic.: pb de l’intersubjectivité
et de la communication.
« […] comment des individualités [humaines] peuvent se
CFJ esthétique
relier» (14.2.m12-11). L’individualité est considérée comme
ce que l’homme possède de spécifique, eu égard aux
systèmes organisés.
LA PERSONNALITÉ
Quelle est la destination de l’homme?
CRPa
Tableau 11.26 La reconstitution du criticisme en termes d’abîmes de l’esprit,
selon le Professeur Philonenko.
Là où elle est, sur le chemin de l’esprit à travers les abîmes, la CFJ relie nature et liberté, philosophie
théorique et philosophie pratique, «en indiquant le sens de l’individualité humaine dans la réflexion sur la
communication et en permettant de comprendre l’organisation en laquelle elle se dévoile.» CFJ, Pko 15.1.8-11)
211
212
Bibliographie
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ÉDITION ALLEMANDE DE RÉFÉRENCE
Kant, Immanuel, 1981. Werke in zehn Bänden, édité par Wilhelm Weischedel, édition
spéciale de 1981, sur la base de la quatrième réimpression photoreproduite révisée de l’édition
de Darmstadt de 1956. Darmstadt: Wissenschaftliche Buchgesellschaft.
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OUVRAGES DE KANT POUR LESQUELS NOUS AVONS INTRODUIT UN SYMBOLE DE RÉFÉRENCE
AP, Fou
KANT, Emmanuel. Anthropologie du point de vue pragmatique. Traduction de Michel
Foucault. Paris: Librairie philosophique J. Vrin, 1964.
ApH, Wei
KANT, Immanuel. Anthropologie in pragmatischer Hinsicht. P. 395-690 du tome 10 de:
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KANT, Emmanuel. Critique de la faculté de juger. Traduction de A. Philonenko. Paris:
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213
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OUVRAGES DE COMMENTATEURS POUR LESQUELS J’AI INTRODUIT UN SYMBOLE DE RÉFÉRENCE
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BOULAD-AYOUB, Josiane. Fiches pour l’étude de Kant. Troisième édition, revue et mise à
jour. Collection «Symbolique et Idéologie», no S18, de la série «Recherches et Théories».
Montréal: Département de philosophie de l’Université du Québec à Montréal, 1990. 144 p.
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CAYGILL, Howard. A Kant Dictionary. Collection «The Blackwell Philosopher
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DELEUZE, Gilles. La Philosophie critique de Kant. Collection «SUP — Initiation
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FERRY, Luc. «Préface.» Texte qui présente l’édition de 1987 de: KANT, Emmanuel.
Critique de la raison pure. Collection «GF», no 257. Paris: Garnier-Flammarion. P. I-XXIII,
insérées après la p. 8.
Phi, OK I
PHILONENKO, Alexis. La Philosophie pré-critique et la Critique de la raison pure. Tome I
de: L’Oeuvre de Kant: La philosophie critique. Cinquième édition. Collection «À la recherche
de la vérité». Paris: Librairie philosophique J. Vrin, 1993. (Première édition: 1969.) 358 p.
Phi, OK II
PHILONENKO, Alexis. Morale et politique. Tome II de: L’Oeuvre de Kant: La philosophie
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de 1700 à 1850. Tome V de: Histoire de la philosophie. Collection «Logos». Paris: Presses
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[«…Höffe gives a clear, understandable description of Kant’s phiosophical development and
influence, and he sets forth Kant’s main ideas from the Critique of Pure Reason and the ethics
to the philosophy of law, history, religion, and art. In his critical treatment, Höffe shows why
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NAGEL, Gordon. The Structure of Experience: Kant’s System of Principles. Chicago: University of Chicago Press,
1983. vii + 283 p.
[UQAM: Centrale: B2779N3.]
215
PASCAL, Georges. La Pensée de Kant. Paris: Bordas, 1966, 198 p.
ROUSSET, Bernard. «Présentation.» Texte qui présente l’édition de 1976 de: KANT, Emmanuel. Critique de la
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ROVIELLO, Anne-Marie. L’Institution kantienne de la liberté. Paris: Librairie philosophique J. Vrin, 1985.
SERRUS, Charles. L’Esthétique transcendantale et la science moderne. Paris: Alcan, 1930, 196 p.
SPECK, J. (dir. publ.). Handbuch wissenschaftstheoretischer Begriffe. En trois volumes. Collection «UniTaschenbücher», no 968. Göttingen: Vandenhoeck & Ruprecht, 1980. 782 p.
SCRUTON, Roger. «Kant I: The Critique of Pure Reason», chap. 10, p. 137-148 de: «Kant and Idealism»,
troisième partie, p. 135-194 de: SCRUTON, Roger, From Descartes to Wittgenstein.
———.
«Kant II: Ethics and Aesthetics», chap. 11, p. 149-164 de: «Kant and Idealism», troisième
partie, p. 135-194 de: SCRUTON, Roger, From Descartes to Wittgenstein.
———.
From Descartes to Wittgenstein: A Short History of Modern Philosophy. Londres, Boston et
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SWING, Kaecho T. Kant’s Transcendental Logic. New Haven: Yale University Press, 1969, 388 p.
UNIVERSITÉ D’OTTAWA. Les Actes du Congrès d’Ottawa sur Kant. Ottawa: Éditions de l’Université d’Ottawa,
1976, 541 p.
VUILLEMIN, Jules. Physique et métaphysique kantiennes. Paris: Presses universitaires de France, 1955.
WEIL, Éric. Problèmes kantiens. Paris: Vrin, 1963, 198 p.
WIKE, Victoria. Kant’s Antinomies of Reason: Their Origin and Their Resolution. Washington: Washington
University Press of America, 1982.
[Sommaire: «This work analyzes Kant’s antinomies of reason. It considers four points. First,
it shows that there is no univocal definition of kantian antinomy. Second, the theoretical and
practical antinomies are found to arise from an ambiguity common to their highest objects.
Third, the theoretical and practical antinomies are shown to be resolved in different ways in
spite of their common origins. Finally, the practical antinomy is shown to depend on the
theoretical antinomies.]
216
Appendices
Appendice 1.
Ce que veut dire «être transcendantal»
1.
Le terme «transcendantal» qualifie d’abord des actions ou des processus.
1.1 Des actions attribuables au théoricien de la connaissance et, plus généralement, le point de vue duquel il
se place pour théoriser.
1.1.1
En général: le point de vue, l’approche
a–
le point de vue transcendantal est caractérisé par un mode d’argumentation qui utilise le schéma
d’inférence suivant:
«”Le jugement (synthétique) asserté est vrai, car s’il ne l’était pas, alors l’expérience ne serait pas du
tout possible.” Ce schéma d’inférence repose donc sur le fait que l’expérience est possible en
général, mais il n’utilise pas de faits d’expérience particuliers.» (Drieschner, M., article
«transzendental/Transzendentalphilosophie», p-. 653-655 de: Speck, J. (dir. publ.), Handbuch
wissenschaftstheoretischer Begriffe, p. 653.)
b–
la méthode
Ce que signifie «méthode transcendantale». Voir Phi, OK I 119.2-122.1.
«Il existe une difficulté intellectuelle immédiate dont Kant se rendait bien compte, et qui mène à une
explication du mot “transcendantal” (terme technique qui a aussi peu à voir avec la “méditation
transcendantale” qu’avec les Études transcendantales de Liszt). Prenons la question “Comment la
logique est-elle possible?”. Quel argument pourrait nous permettre d’expliquer les principes de la
logique sans les présupposer déjà lui-même? Semblablement, si les principes synthétiques a priori
de l’entendement sont aussi fondamentaux pour la pensée que l’affirmait Kant, la tentative même
d’établir leur validité doit en même temps la postuler. C’est la raison pour laquelle Kant qualifia sa
méthode philosophique de “transcendantale”, puisqu’elle comprenait un effort de transcender par
une argumentation ce que l’argumentation devait présupposer.» (Roger Scruton, From Descartes to
Wittgenstein…, p. 140)
1.1.2
Actions et procédés spécifiques du théoricien
a–
la problématique transcendantale
b–
l’exposition transcendantale (des concepts d’espace et de temps)
c–
la déduction transcendantale (des concepts purs de l’entendement)
1.2 Des actions ou processus attribuables à l’être humain pris comme sujet de la connaissance, ou à l’une de
ses facultés
1.2.1
Actions attribuées au sujet
a–
l’usage transcendantal de l’entendement, (d’une faculté autre?)
L’opposition entre usage transcendantal et usage empirique est donnée et utilisée par Kant dès
CRPu, Bar 113.1.7f (Introduction à la logique transcendantale, «§ II. De la logique transcendantale»): «L’application <Gebrauch> de l’espace à des objets en général serait transcendantale;
mais bornée simplement aux objets des sens, elle est empirique. La différence du transcendantal et
de l’empirique n’appartient donc qu’à la critique des connaissances et ne concerne point le rapport
de ces connaissances à leur objet.»
217
«usage transcendantal de notre connaissance» (CRPu, Bar 328.2.10-11); s’oppose à «usage
logique [de notre connaissance]».
«usage transcendantal [de la raison]» (CRPu, Bar 326.2.4)
b–
l’usage transcendantal d’un principe, d’un concept
c–
l’aperception transcendantale
1.2.2
Actions attribuées aux facultés
a–
la synthèse transcendantale de l’appréhension
b–
la synthèse transcendantale de l’imagination
c–
la synthèse du concept et de l’expérience
«Kant called this synthesis [of concept and experience] ‘transcendental’, meaning that it could never
be observed as a process, but must always be supposed as a result.» (Roger Scruton, 1981, p. 141.1)
2. Le terme «transcendantal» qualifie, en deuxième lieu, des produits d’actions ou de processus
2.1 Des termes métadiscursifs
2.1.1
Des connaissances
«J’appelle transcendantale toute connaissance qui ne porte point en général sur les objets, mais sur
notre manière de les connaître, en tant que cela est possible a priori […]. Un système de concepts
de ce genre serait une philosophie transcendantale.» (CRPu, Bar 73.1.8-12. Section VII de
l’Introduction.)
«connaissance transcendantale» (CRPu, Bar 279.2.12; dans l’Analytique des principes, Chap. III Du principe de la distinction de tous les objets en général en phénomènes et noumènes) a le sens
de «connaissance des noumènes».
2.1.2
Des théories
– l’esthétique, l’analytique et la dialectique transcendantales
– l’idéalisme transcendantal
2.1.3
Des disciplines
– la logique transcendantale
– la philosophie transcendantale
2.2 Des termes discursifs
2.2.1
Les produits de la recherche transcendantale ou les éléments (produits?) des pouvoirs de notre âme
qui ont une fonction de condition de possibilité
–
les concepts purs de l’entendement: voir si une catégorie peut être qualifiée de transcendantale ou si
c’est seulement l’une ou l’autre propriété de catégorie qui est ainsi qualifiée: être une règle
transcendantale, être une condition transcendantale d’unité, etc.
•«concepts transcendantaux de la raison» (CRPu, Bar 325.2.1)
•«concept rationnel transcendantal» (CRPu, Bar 324.3.1)
–
les principes transcendantaux, ceux de l’entendement, ceux de la raison, celui ou ceux de la faculté
de juger
• «Le principe de la finalité formelle de la nature est un principe transcendantal de la faculté de
juger» (titre V de l’«Introduction» à la Critique de la faculté de juger, (CFJ, Pko 29)
• «jugements transcendantaux» (CRPu, Bar 323.1.10)
–
les concepts purs de la raison: «idées transcendantales»
–
«lois transcendantales» (CRPu, Bar 117.1.m3-2; fin de l’introduction à la logique transcendantale)
2.2.2
Les états des représentations ou du matériau de la connaissance dans le processus ou dans le sujet
– l’unité transcendantale de la conscience de soi (CRPu, Bar 154.2)
2.2.3
Certains objets
– l’objet transcendantal = X
218
«L’entendement limite donc la sensibilité, sans étendre pour cela son propre domaine, et, en
l’avertissant de ne pas prétendre s’appliquer à des choses en soi, mais de se borner aux
phénomènes, il conçoit pour lui un objet en soi, mais simplement comme un objet
transcendantal qui est la cause du phénomène (qui n’est pas par suite lui-même un phénomène),
mais qui ne peut être conçu, ni comme quantité, ni comme réalité, ni comme substance, etc.,
(parce que ces concepts exigent toujours des formes sensibles où ils déterminent un objet), et de
qui nous ignorons absolument par suite s’il se trouve en nous ou hors de nous, s’il disparaît en
même temps que la sensibilité, ou si, celle-ci écartée, il subsiste encore.» (CRPu, Bar 297.2.113; dans l’appendice «De l’amphibolie…»)
2.2.4
Des propriétés d’objets
–
la «finalité transcendantale» (CFJ, Pko 32.2.m4), la définition de cette expression étant donnée entre
parenthèses dans le texte: «en relation à la faculté de connaître du sujet»
3. Le terme «transcendantal» qualifie en troisième lieu, mais plus rarement
3.1 Une faculté
a– l’imagination transcendantale (cf. la déduction transcendantale des catégories)
b–«la faculté de juger transcendantale » (CFJ, Pko 30.4.m4-3)
Citations organisées selon la numérotation de la classification précédente
1.
1.1
1.2
1.3
2.
3.
Les oppositions conceptuelles dans lesquelles figure le terme «transcendantal»
Op1.
Transcendantal / empirique
—
l’opposition «usage transcendantal / usage empirique» d’un concept.
Exemple: CRPu, Bar 113.1.7f.
Se rappeler, par exemple, d’une autre opposition où figure le terme «empirique», et qui est
beaucoup plus fréquente: «Mais j’entends ici par raison toute la faculté de connaître supérieure, et
j’oppose par conséquent le rationnel à l’empirique.» (CRPu, Bar 623.1..3f; dans l’«Architectonique
de la raison pure» avant même la définition de la philosophie comme l’un des deux types de
connaissance rationnelle, le type où celle-ci a lieu par concepts.)
Dans cette opposition, le terme «transcendantal» a une connotation péjorative; mais le sème péjoratif ne vient
pas contredire les sèmes que le terme, dans ce contexte, possède en commun avec l’acception originale (p. ex. dans
«esthétique transcendantale»). Le sème commun est bien: «qui est indépendant de l’expérience», avec la double
spécification a) qui n’en a pas été tiré et b) qui ne laisse pas restreindre à l’expérience, dans son application.
L’attitude imputée au sujet humain qui fait un usage transcendantal de son entendement est analogue (peut-être) à
celle adoptée par le théoricien qui construit la philosophie transcendantale — analogue, mais non pareillement
justifiée.
Concernant l’existence ou la non-existence de l’usage transcendantal de l’entendement et/ou des concepts
purs de l’entendement.
«Comme il n’y a point, ainsi que nous l’avons montré plusieurs fois, d’usage transcendantal des
concepts purs de l’entendement, non plus que de ceux de la raison» (CRPu, Bar 428.3.1-3)
«se fonde uniquement sur un usage transcendantal de la raison» (CRPu, Bar 428.3.5-6)
—
l’opposition réalité empirique vs idéalité transcendantale.
219
Op2.
Transcendantal / transcendant
Re: la différence entre «transcendantal» et «transcendant».
C’est une chose de dire que «transcendantal» n’a pas le même sens que «transcendant»; c’est une autre chose
de dire que «transcendantal» s’oppose à «transcendant».
Une opposition conceptuelle fournit un écart sémantique qui fait partie de la définition d’un concept; c’est un
écart sémantique distinctif; il est de premier front.
Il n’existe pas, à ma connaissance, d’opposition conceptuelle définitoire entre «transcendantal» et
«transcendant». Les définitions respectives de ces termes ne contiennent pas une relation qui les opposerait l’un à
l’autre.
Op3.
Transcendantal / synthétique a priori
«Une connaissance transcendantale s’exprime dans un jugement synthétique a priori : l’adjectif
‘transcendantal’ désigne la méthode philosophique, la théorie, l’atgumentaion (“Transzendentalphilosophie”) tandis
que l’adjectif «‘synthétique a priori’ désigne le résultat (“Jugement”) et la connaissance transcendantale se répartit
selon le schéma général analytique/synthétique et a priori/a posteriori .» (Drieschner, M., in Speck, Handbuch…,
p. 654.
Op4.
Transcendantal / métaphysique
—
«transcendantal» s’oppose à «métaphysique» dans le contexte: faire une exposition métaphysique du concept
d’espace vs faire une exposition transcendantale du concept d’espace.
Op5.
Transcendantal / général
—
s’oppose à «général» dans le contexte: logique générale vs logique transcendantale.
Sur le rapport entre logique générale et logique transcendantale, voir Phi, OK I 113.1. Philonenko
mentionne plusieurs commentateurs qui ont cru «que la logique transcendantale était dérivée de la
logique générale» et soutient que «Loin de dépendre de la logique formelle, la logique
transcendantale la conditionne.»
Op5.
Transcendantal / logique
—
«réflexion logique» versus «réflexion transcendantale» (CRPu, Bar 282.2.m4-283.1.f)
Op5.
Philosophie transcendantale / physiologie (rationnelle)
—
noter que dans l’«Architectonique de la raison pure» l’opposé de «philosophie transcendantale» est
«physiologie (rationnelle)», de sorte que la manière dont il faut entendre là le mot «transcendantal» n’est pas
indiquée dans une opposition lexicale explicite.
220
Appendice 2.
Concernant la sémantique (ou l’exégèse) du terme «faculté de juger»
C’est la «doctrine transcendantale du jugement» (en tant que partie de l’Analytique de la Logique
transcendantale) qui va faire la théorie de cette subsomption. Kant rappelle, en passant, que cette partie de la logique
transcendantale qui va traiter de la manière de «prévenir les faux pas du jugement (lapsus judicii ) dans l’usage du
petit nombre de concepts purs que nous fournit l’entendement» (CRPu, Bar 182.2.m2-183.1.1) relève de la
philosophie considérée comme critique (propédeutique) et non de la philosophie considérée comme doctrine. [Le
fait de reprendre le mot «doctrine», dans l’expression «doctrine transcendantale du jugement», est donc un peu
maladroit…] L’analytique des concepts a indiqué «la règle (ou plutôt la condition générale des règles) qui est
donnée dans le concept pur de l’entendement» et maintenant l’analytique des principes va indiquer en plus, et
toujours a priori, «le cas où la règle doit être appliquée.» (CRPu, Bar 183.2.4-5)
La partie qui est consacrée à la faculté déterminante dans la CRPa est intitulée «De la typique <die Typik> du
jugement pur pratique» (CRPa, Pic 70-74; fin du chap. II).
NOTE. Selon Verneaux, il faut distinguer la ‘faculté-de-juger’ <Urteilskraft> de la faculté de juger
<Vermögen zu urteilen> «qui est une des nombreuses définitions de l’entendement.» (Ver, VK-II 249.1). Soit; mais
quelle distinction faire entre Vermögen zu urteilen et Urteilskraft? Sera-ce la même que entre Verstand et
Urteilskraft? Pour suivre Verneaux et découvrir à quoi mène son assertion, il faudrait comparer les deux assertions
suivantes:
Die Urteilskraft ist ein Vermögen zu urteilen
Der Verstand ist ein Vermögen zu urteilen
et déterminer en quoi la première n’est ni une définition de Urteilskraft ni analytique puisque ces deux caractères
doivent lui faire défaut si elle doit se distinguer de la deuxième proposition, laquelle est censée avoir, selon
Verneaux, le type d’analyticité propre à une définition.
Verneaux raisonne comme suit:
Verstand = Vermögen zu urteilen; par définition.
Verstand n’est pas la même chose que Urteilskraft.
Donc, Vermögen zu urteilen n’est pas la même chose que Urteilskraft.
La majeure s’appuie sur des passages tels que le suivant: «Comme nous pouvons ramener tous les actes de
l’entendement à des jugements <Urteile>, l’entendement en général <der V e r s t a n d überhaupt> peut être
représenté comme une faculté de juger <e i n V e r m ö g e n z u u r t e i l e n >. En effet, d’après ce qui a tété dit
précédemment, il est une faculté de penser <Vermögen zu denken>. Or penser, c’est connaître par concepts […]»
(CRPu, Bar 129-130; Analytique des concepts, chap. I, ‹Première section: De l’usage logique de l’entendement en
général.›)
C’est la majeure de ce raisonnement qui me semble erronée; je ne crois pas que le passage cité (ni aucun
autre, d’ailleurs) établisse entre Verstand et Vermögen zu urteilen une relation aussi forte que l’équivalence logique
propre à une définition. Le passage dit seulement que lorsqu’on considère l’entendement à un niveau de généralité
suffisant (Verstant überhaupt) et que l’on considère à quoi il conduit, à savoir penser, on peut se le représenter
comme une faculté de juger. Cette exégèse contient quatre éléments qui empêchent de voir une définition dans le
passage cité: 1° überhaupt; 2° la relation faite entre penser et juger: pour penser on part des concepts mais on va au
jugement, car un concept est virtuellement le prédicat d’un jugement; 3° la relation exprimée par «être représenté
comme»; 4° l’article «une» qui ne peut pas exprimer une relation d’identité entre le sujet et le prédicat de cette
phrase.
À mon avis, c’est à tort que Verneaux laisse croire au lecteur de Kant que la distinction entre Vermögen zu
urteilen et Urteilskraft est lexicalisée — et qu’il faudrait, par conséquent, la lexicaliser aussi dans la traduction en
adoptant, par exemple, une différence de graphie du genre suivant: «faculté-de-juger» pour Urteilskraft et «faculté
221
de juger» pour Vermögen zu urteilen. Les deux passages suivants sont tout à fait probants, il me semble, pour
montrer que la différence entre les deux expressions n’est pas lexicalisée, c’est-à-dire qu’elle ne correspond pas à
une distinction ou opposition conceptuelle :
La condition subjective de tous les jugements est la faculté de juger elle-même ou la faculté
judiciaire <das Vermögen zu urteilen selbst, oder die Urteilskraft>.
(CFJ, Pko 121.2.m8-7; ‹§35. Le principe du goût est le principe subjectif de la faculté de juger
<Urteilskraft> en général.› )
Nous possédons une faculté de juger simplement esthétique pour juger sans concepts des formes
<ein Vermögen der bloß ästhetischen Urteilskraft, ohne Begriffe über Formen zu urteilen> et trouver
une satisfaction dans le simple jugement <Beurteilung> de celles-ci; nous faisons de cette
satisfaction une règle pour chacun, sans que le jugement <Urteil> se fonde sur un intérêt ou en
produise un. — D’un autre côté nous possédons aussi une faculté de juger intellectuelle, afin de
déterminer <ein Vermögen einer intellektuellen Urteilskraft, […] zu bestimmen> pour de simples
formes de maximes pratiques (dans la mesure où elles se qualifient d’elles-mêmes comme
législation universelle) une satisfaction a priori, dont nous faisons pour chacun une loi, sans que
notre jugement <Urteil> se fonde sur un quelconque intérêt; mais alors il en produit un. Dans le
premier jugement le plaisir ou la peine sont propres au goût et dans le second au sentiment moral.
(CFJ, Pko 132.3.1-f; KUk, Wei 397.2.1-f)
La cooccurrence des deux syntagmes (Vermögen zu urteilen et Urteilskraft) dans la dernière citation montre bien à
quelle grammaire logique correspond la différence entre eux; lorsque Kant a besoin de donner un complément
d’objet au verbe «urteilen», il est bien obligé d’utiliser la forme syntaxique qui rend le verbe autonome et capable de
régir ses compléments (quand on lui en donne) ou d’être employé absolument. (Fin de la N OTE.)
222
Appendice 3.
La notion d’a priori
1. «a priori» est d’abord un adverbe de manière.
2. Il peut être employé adjectivement mais c’est par dérivation.
Comme déterminant d’un substantif, par exemple, il forme une tournure qui se laisse généralement
comprendre comme une ellipse:
— «connaissance a priori» signifie généralement: connaissance obtenue a priori;
— «jugement a priori» signifie: jugement affirmé, porté, conclu, énoncé… a priori.
3. Comme substantif, «a priori» est encore davantage dérivé.
Il peut résulter d’une abstraction visant à désigner le concept pensé par Kant lorsqu’il emploie le terme «a
priori» adjectivement ou adverbialement. «L’a priori» signifie alors : le concept, ou la notion, d’a priori . Cette
substantivation est légitime et normale en métadiscours.
Le problème du double niveau de ce qui fonctionne a priori: a) ce qui fonctionne a priori dans la
sensibilité; b) la connaissance a priori de que j’ai de ce qui fonctionne a priori dans la sensibilité.
223
Appendice 4.
Le passage du principe téléologique à l’esthétique (théorie du beau)
Je présente ci-dessous une paraphrase de la section VI de l’‹Introduction› à CFJ. On pourrait appeler ce passage
(33.f-35.2) l’«esthétisation de la finalité», à la suggestion du titre de la section VII de l’«Introduction» de la Critique
de la faculté de juger.
— Kant introduit d’abord la notion d’intention. L’application des lois universelles de l’entendement à la nature
s’effectue sans aucune intention de la part de nos facultés de connaître. En revanche, la recherche d’un «ordre
de la nature selon ses lois particulières» exige une intention: l’entendement cherche «à atteindre l’une de ses
fins nécessaires, je veux dire l’introduction dans la nature de l’unité des principes : fin que la faculté de juger
doit ensuite attribuer à la nature, parce qu’en ceci l’entendement ne peut lui prescrire aucune loi.» (CFJ, Pko
34.1.4f)
— Or, «la réalisation de toute intention est liée au sentiment de plaisir» (CFJ, Pko 34.2.1 accentuation en gras
due à NL).Variante de l’édition de l’Académie: «la réalisation de cette intention est liée au sentiment de
plaisir.» (Attention: ce n’est pas le plaisir de voir se réaliser un désir, car la faculté de désirer n’est pas ici
impliquée. Seul le rapport de l’objet à l’intention de l’entendement est concerné.)
— Troisièmement, Kant définit la nature esthétique d’une représentation d’un objet comme étant la relation de
cette représentation au sujet (non à l’objet), comme étant «ce qui est simplement subjectif» dans la
représentation.
— Or il y a deux espèces d’éléments subjectifs dans la représentation: les éléments qui peuvent être intégrés (ou
qui servent) à la connaissance de l’objet et ceux qui ne le peuvent pas. «L’élément subjectif, qui dans une
représentation ne peut devenir une partie de la connaissance, c’est le plaisir ou la peine qui y sont liés.» (CFJ,
Pko 36.2.1-3)
— Or la finalité est un élément subjectif et «n’est pas une qualité <Beschaffenheit> de l’objet lui-même» (CFJ,
Pko 36.2.5-7) — ne fait pas partie de la connaissance de l’objet. Un objet est dit final «seulement parce que sa
représentation est immédiatement liée au sentiment de plaisir» (CFJ, Pko 36.2.m5-4)
— Donc la représentation d’un objet comme conforme à une fin (comme final) est une représentation esthétique
de la finalité.
— Il faut maintenant passer de la représentation esthétique au jugement esthétique. Ce passage a deux
conditions: a) la forme de l’objet convient aux facultés de connaître (un plaisir apparaît au niveau de la simple
appréhension); b) l’imagination, en tant que faculté de rapporter des intuitions à des concepts, «se trouve mise
en accord inintentionnellement, grâce à une représentation donnée, avec l’entendement» (CFJ, Pko 36.3.m4-3).
Un tel jugement «ne se fonde sur aucun concept existant de l’objet et ne procure aucun concept de l’objet.»
(CFJ, Pko 36.f.f-37.1.1) Ces deux conditions sont réunies dans la formule suivante qui énonce la «condition
universelle, quoique subjective, des jugements réfléchissants» : «l’accord final d’un objet (qu’il soit un produit
de la nature ou de l’art) avec le rapport, exigé pour toute connaissance empirique, des facultés de connaître entre
elles (de l’imagination et de l’entendement).» (CFJ, Pko 37.f.m2-38.1.2)
— La faculté de juger d’après un tel plaisir se nomme le goût.
224
Appendice 5.
Le classement des facultés dans L’Anthropologie du point de vue pragmatique
PREMIÈRE PARTIE. Didactique anthropologique
LIVRE I. De la faculté de connaître
De la connaissance de soi <Vom Bewußtsein seiner selbst> — §1-6
De la sensibilité par opposition à l’entendement — §7-27
De l’imagination — §28-39
Comprend : la faculté de l’invention sensible <das sinnliche Dichtungsvermögen> (§31-33), la faculté de
rendre présent le passé et l’avenir par l’imagination (§34-36), l’invention involontaire dans l’état de santé,
c’est-à-dire le rêve (§37), la faculté de désignation (facultas signatrix) (§38-39).
De la faculté de connaître dans la mesure où elle est fondée sur l’entendement — §40-59
Comparaison anthropologique des trois facultés supérieures de connaître [à savoir: l’entendement, le
jugement (judicium) et la raison] (§41-44)
Des déficiences et des maladies de l’âme en rapport avec la faculté de connaître (§45-53)
Des talents dans la faculté de connaître (§54)
De la différence spécifique de l’esprit qui compare et de l’esprit qui spécule (§55-59)
LIVRE DEUX. Le sentiment de plaisir et de déplaisir — §60-72
Du plaisir sensible
A. Du sentiment de l’agréable ou du plaisir sensible dans la sensation d’un objet (§60-66)
B. Du sentiment du Beau, c’est-à-dire du plaisir en partie sensible, en partie intellectuel dans l’intuition
réfléchie, ou encore du goût (§67-72)
LIVRE TROIS. De la faculté de désirer — §73-88
Des émotions dans leur opposition avec la passion (§74)
Des émotions en particulier (§75-79)
Des passions (§80-86)
Du bien physique suprême (§87)
Du bien physique et moral suprême (§88)
DEUXIÈME PARTIE — Caractéristique anthropologique.
225
Appendice 6.
Comparaison des concepts entre eux selon leur aptitude à légiférer
Une des manières dont Kant conceptualise le pouvoir législatif des facultés est de classer leurs concepts selon
le rapport qu’ils entretiennent avec les objets qu’ils représentent. La spécification de ces rapports lui permet de
définir quatre classes d’objets. On peut alors se servir de ces classes pour demander, à propos de certains concepts
ou sortes de concepts si leurs objets appartiennent ou non à ces classes; en d’autres mots, on peut demander si tel
concept a un territoire, ou non; s’il a un domaine ou non. Pour les principaux concepts impliqués dans la théorie des
facultés, je dresse le tableau A6 qui donne cette information.
VOCABULAIRE TECHNIQUE (convenu dans l’«Introduction» à la Critique de la faculté de juger)
Kant distingue le champ <das Feld>, le territoire <der Boden> — (territorium) et le domaine <das Gebiet> —
(ditio) des concepts, ces distinctions étant basées sur la manière dont les concepts se rapportent à des objets, «afin
d’en constituer, autant que possible, une connaissance» (CFJ, Pko 23.4)
CHAMP. «Des concepts, dans la mesure où ils sont rapportés à des objets, sans que l’on considère si une connaissance de ceux-ci est ou non possible, possèdent leur champ, qui est déterminé seulement d’après le rapport de
leur objet à notre faculté de connaître en général.» (CFJ, Pko 23.5)
TERRITOIRE. La partie de ce champ qu’il nous est possible de connaître constitue un territoire pour ces concepts et
pour la faculté que cette connaissance requiert. (ibid.)
DOMAINE. «La partie de ce territoire où ils légifèrent, est le domaine (ditio) de ces concepts et des facultés de
connaître qui leur conviennent.» (CFJ, Pko 23.5)
DOMICILE. «Les concepts de l’expérience <Erfahrungsbegriffe> ont leur territoire dans la nature, comme ensemble
de tous les objets des sens mais non un domaine (ils n’ont qu’un domicile <Aufenthalt>, domicilium); c’est
parce que s’ils sont en vérité produits de manière nomique <gesetzlich> ils ne légifèrent pas <nicht
gesetzgebend>; [au lieu de cela] les règles fondées sur eux sont empiriques et par conséquent contingentes.»
(CFJ, Pko 24.1) (NOTE. Kant ne donne pas d’exemple de la manière dont les domiciles sont désignés.)
Concepts de
l’expérience
Concepts a priori
de la nature
de
l’entendement
de la raison
Concept de la
finalité
Concept
a priori
de la nature*
de la liberté
Territoire
(objets dont la
connaissance
est possible)
La nature, comme L’expérience
ensemble des
objets des sens.
(Ces concepts ont
a fortiori un
champ : la
nature.)
En tant que principes constitutifs :
aucun.
En tant que pr.
régulateurs, ont
indirectement le
même territoire
que E et J
Domaine
(objets à
l’égard
desquels les
concepts ont
valeur de
règle, ou loi)
Aucun
En tant que prin- Aucun.
cipes constitutifs:
aucun
En tant que principes régulateurs :
la faculté de juger
et l’entendement
La nature, en tant
que phénomène;
le sensible en tant
qu’objet
représenté dans
l’intuition
226
«…peut
cependant avoir
quelque territoire et dans
des conditions
telles que ce
principe seul
pourrait y avoir
de la valeur.»
(CFJ, Pko 26.2)
L’expérience
Le suprasensible**;
le sujet, comme
chose en soi;
n’est pas
représenté dans
l’intuition
Tableau A6. La fonction législatrice des concepts, telle qu’exprimée
dans la terminologie des territoires et domaines.
* NOTE associée au tableau A6. «ce concept transcendantal d’une finalité de la nature n’est ni un concept de la
nature, ni un concept de la liberté, parce qu’il n’attribue absolument rien à l’objet (à la nature), mais représente
seulement l’unique manière suivant laquelle nous devons procéder dans la réflexion sur les objets de la nature en
vue d’une expérience complètement cohérente, et par suite c’est un principe subjectif (maxime) de la faculté de
juger». (CFJ, Pko 31.1.m8-2; dans l’Introduction, avant la distinction entre finalité objective et finalité subjective.)
** NOTE associée au tableau A6. Le supra-sensible constitue un champ illimité mais «où nous ne trouvons pour
nous aucun territoire et en lequel nous ne pouvons avoir de domaine propre à la connaissance théorique ni pour les
concepts de l’entendement, ni pour les concepts de la raison; aussi bien au profit de l’usage théorique que pratique
de la raison nous devons occuper ce champ avec des Idées, auxquelles […] nous ne pouvons attribuer qu’une réalité
pratique, et par là notre connaissance théorique ne se trouve pas étendue le moins du monde au supra-sensible.»
(CFJ, Pko 24-25, Intro, §II)
227
Appendice 7.
Conventions d’écriture adoptées pour le présent ouvrage
La désignation des parties des ouvrages de Kant
–
Le format métalinguistique. Exemple :
…le chapitre intitulé «De la déduction des concepts purs de l’entendement»…
–
Le format doctrine, pour les parties dont le titre est également un désignateur de doctrine: j’écris l’expression
entière avec une majuscule initiale (sans guillemets, sans italique).
Exemple. Pour la Critique de la raison pure, il existe exactement huit tels intitulés :
• l’Esthétique transcendantale
• la Logique transcendantale
• l’Analytique transcendantale
• l’Analytique des concepts
• l’Analytique des principes
• la Dialectique transcendantale
• l’Antinomie de la raison pure
• la Méthodologie transcendantale.
–
Le format référence; la spécification d’une partie dans une référence est inhabituelle; quand l’identification
d’une partie exige que je précise un ou plusieurs emboîtements, la règle est d’aller de l’englobante à
l’englobée. Exemple :
La faculté de désirer est la «faculté d’être par ses représentations cause de la réalité des objets de ces
représentations» (CFJ, Pko 26n1; Intro, §III)
–
Le format titre subordonné. J’entends ici par titre subordonné tout titre subordonné au titre de l’ouvrage tout
entier. Lorsque je ne souhaite pas utiliser les tournures métalinguistiques qui servent à indiquer un titre à la
manière d’une citation, mais plutôt me servir d’un titre comme désignateur de partie, comme je le fais avec
des désignateurs tels que «le Chapitre III» ou «la section §17», je délimite le titre par les signes diacritiques
‹…›. Ces titres sont accompagnés de leur nom de partie chaque fois que celui-ci consiste en une section
numérotée; dans les autres cas, je considère facultative la mention du nom de partie («chapitre», «livre»,
«division», etc.). Exemple :
On trouve, dans les passages ‹Remarque I› et ‹Remarque II› insérés à la fin de la section ‹§57.
Solution de l’antinomie du goût›, des indications précieuses concernant les rapports que les facultés
entretiennent entre elles du point de vue général englobant les trois Critiques.
COROLLAIRE. Les titres peuvent apparaître avec l’un ou l’autre des trois statuts suivants:
– avec le statut de citation, comme n’importe quelle autre partie d’un ouvrage. Dans ce cas, la citation est
soumise aux conventions de format valant pour toute citation: indication graphique et rérérence.
– avec le statut de mention; dans ce cas, les guillemets métalinguistiques suffisent (pas besoin de
référence). Exemple : Si je veux faire remarquer une formulation utilisée dans un titre, je pourrais écrire
On remarque que le titre de la section §65 de CFJ est explicitement l’énoncé de la thèse dominante
et pas seulement l’indication d’un thème: «Les choses en tant que fins naturelles sont des êtres
organisés».
– avec le statut d’indicateur de partie; dans ce cas, le format est celui décrit ci-dessus sous l’appellation
«format titre subordonné».
228
Les citations
Toute citation comporte une indication graphique de son statut de texte emprunté et une référence à la source
de l’emprunt.
Pour ce qui est de l’indication graphique :
– Quand le texte cité est inséré dans le corps du paragraphe où il survient, l’indication graphique est
l’emploi de guillemets. (Voir les conventions concernant les guillemets.)
– Quand le texte cité est retiré, ou séparé, du corps du paragraphe où il survient, c’est cette particularité de
la mise en page (alinéa avant et après, retrait par rapport aux marges de gauche et de droite) qui constitue
l’indication graphique; dans ce cas, je n’utilise donc pas de guillemets (chevrons) pour marquer le début
et la fin de la citation.
Pour ce qui est des références, j’utilise une notation dont la syntaxe complète est «page.paragraphe.lignepage-paragraphe-ligne».
– Par abréviation, la syntaxe peut devenir: «page.paragraphe.ligne-ligne», «page.paragraphe-paragraphe»;
dans ce dernier cas, le passage commence avec la première ligne du premier paragraphe mentionné et se
termine avec la dernière ligne du deuxième paragraphe mentionné.
–
J’utilise également des lettres: «m» pour «moins»; «f» pour «final», «finale» ou «finales»; «n» pour
«note».
– Les exemples suivants devraient suffire à faire connaître la totalité du code :
– «26.2.9-10» signifie: page 26, paragraphe 2, lignes 9-10.
– «26.2.m7-4» signifie: de la ligne 7 à la ligne 4, en comptant les lignes à partir du bas du paragraphe
(verbalisant, on dirait «de moins 7 à moins 4»).
– «26.2.4f» signifie: page 26, par. 2, les 4 dernières lignes.
– «26.2.f» signifie: page 26, par. 2, dernière ligne.
– «26.f» signifie: page 26, dernier paragraphe en entier (lignes 1 à f).
– «26n27.4-7» signifie: page 26, note 27, lignes 4-7.
LES ITALIQUES DANS LES CITATIONS.
Les italiques qui apparaissent dans le texte kantien traduit en français indiquent:
– soit des mots latins
– soit des mots mis en valeur par Kant dans le texte allemand
– soit des titres d’ouvrage.
Les italiques, dans le texte kantien édité par Weischedel, indiquent des variantes entre l’édition prise pour
base et les autres; les sur-espacements indiquent les italiques du texte kantien. Comme je n’ai généralement pas à
tenir compte des variantes dans mes citations, je ne reproduis pas les italiques de Weischedel (sauf mention
expresse) mais je reproduis les sur-espacements. Le texte de Weischedel ne met pas en italique les mots latins qui
figurent dans le texte kantien (par exemple: «a priori», «apprehensio»); mes citations de Weischedel respectent cette
convention. C’est sans doute pour respecter l’usage qui prévaut dans la typographie des textes français que le texte
kantien traduit par Philonenko et publié chez Vrin met les mots latins en italique; et mes citations tirées de là
respectent aussi cet usage.
LES INSERTIONS EN ALLEMAND DANS LES CITATIONS QUE JE DONNE DE BARNI OU DE P HILONENKO.
Si Barni ou Philonenko ont eux-mêmes inséré des expressions allemandes dans le texte français, je reproduis
toujours ces insertions lorsque je cite leur texte. Cependant, je crois moi-même utile parfois de donner l’expression
allemande alors qu’elle ne figure pas dans le texte français; mes raisons sont variées: parfois l’intérêt de l’allemand
229
est philologique et concerne le vocabulaire, parfois je veux justement faire remarquer quelque chose que la
traduction ne rend pas ou rend mal.
Résultat: lorsqu’une insertion allemande apparaît dans une citation que je fais, mon lecteur ne peut savoir si
l’insertion est de moi ou du traducteur que je reproduis. Cette perte d’information me paraît bénigne et vaut mieux,
je pense, que la complication supplémentaire qu’aurait entraînée l’ajout d’une convention graphique marquant mes
insertions.
Les notes
J’ai laissé dans mon texte des notes qui ont diverses fonctions par rapport au texte principal et qui, souvent,
indiquent le caractère inachevé de la rédaction en cours. Je ne me suis pas résolu à donner à ces notes le format
standard des notes infrapaginales justement parce que leur statut et leur fonction, dans bien des cas, ne
correspondent pas à ceux d’une notre infrapaginale standard. De plus, la manipulation et la numérotation des appels
de notes auraient introduit dans le traitement informatisé du texte (réparti en plusieurs documents) des complications
dont j’ai voulu me passer.
Conventions régissant l’écriture des passages en allemand
–
–
–
La citation en allemand. Si je cite un passage en allemand pour lui-même (non à l’intérieur d’une autre
citation mais à l’intérieur de mon discours), j’applique les règles standard
• guillemetée si elle survient dans le corps d’un paragraphe
• non guillemetée si elle est mise en retrait par rapport au corps du paragraphe
• caractère comme dans l’original
Exemple.
Le dispositif de référence au texte-source ou à la langue-source. Si j’insère, dans du texte français, un mot
ou une expression allemands afin d’indiquer quels sont les correspondants allemands des items français
utilisés (que ce soit au cours d’une citation donnée en français ou dans un passage que domine mon propre
discours)
• les délimiteurs sont les parenthèses angulaires: <…>. Il faut éviter les crochets car ils ont déjà un usage,
lequel est différent.
• les caractères sont comme dans l’original allemand de l’édition Weischedel (l’italique indique du texte
qui se trouve seulement dans l’une des deux éditions, le romain indique le texte commun aux deux
éditions; le surespacement des lettres est utilisé pour mettre en valeur).
Exemple. Quand Kant veut préciser en quoi le jugement <Uk> diffère de l’entendement pris en son
sens étroit, dans le schème typologique E-J-R, il dit: «Si l’on définit l’entendement en général la
faculté des règles, le jugement sera la faculté de subsumer sous des règles, c’est-à-dire de décider si
quelque chose rentre ou non sous une règle donnée (casus datae legis) […] Aussi le jugement est-il
le caractère distinctif de ce qu’on nomme le bon sens <des sogenannten Mutterwitzes>, et au
manque de bon sens, aucune école ne peut suppléer.» (CRPu, Bar 181.1)
Les mentions d’items allemands. Si j’insère, dans le texte français, un mot ou une expression allemands qui
ne sont pas une citation et qui font partie de la syntaxe de la phrase en français
• italique
a) Si l’item mentionné est autonyme, je mets des guillemets.
Exemple. Le terme allemand «Urteilskraft» se traduit en français tantôt par «jugement», tantôt par
«faculté de juger».
230
b) Si l’item mentionné n‘est pas autonyme, je ne mets pas de guillemets.
Exemple. Soit; mais quelle distinction faire entre Vermögen zu urteilen et Urteilskraft? Sera-ce la
même que entre Verstand et Urteilskraft? Pour suivre Verneaux et découvrir à quoi mène son
assertion, il faudrait comparer les deux assertions suivantes:
Die Urteilskraft ist ein Vermögen zu urteilen
Der Verstand ist ein Vermögen zu urteilen
et déterminer en quoi la première n’est ni une définition de Urteilskraft ni analytique puisque ces
deux caractères doivent lui faire défaut si elle doit se distinguer de la deuxième proposition, laquelle
est censée avoir, selon Verneaux, le type d’analyticité propre à une définition.
Les références
–
–
Pour les ouvrages désignés au moyen d’une abréviation, je suis la méthode auteur-titre:
•
dans le cas des oeuvres de Kant, l’abréviation réfère d’abord au titre puis au traducteur (Barni, Picavet,
etc.) ou à l’éditeur (Weischedel);
•
dans le cas des oeuvres des commentateurs, l’abréviation mentionne d’abord l’auteur, puis le titre:
«Phi, OK I», «Del, PCK».
Pour les ouvrages désignés sans abréviation convenue, j’utilise le système auteur-date:
•
d’abord le nom de l’auteur (en romain maigre), puis la ou les initiales; la date est placée après une
virgule, la page après une virgule.
231
Appendice 8.
Errata du texte français de CRPu adopté comme référence de base du présent
ouvrage
KANT, EMMANUEL, CRITIQUE DE LA RAISON PURE ,
traduction J. Barni, revue par P. Archambault, éditions Garnier-Flammarion, 1976.
Cette liste d’errata vaut également pour l’édition GF-Flammarion de 1987,
préfacée par Luc Ferry.
Lire
(texte corrigé)
Endroit
Au lieu de
(texte erroné)
32.3.4
sur l’étendue à donner
de l’étendue à donner
33.3.2
que nous nommons entendement et
que nous nommons et
Or si tant est que la raison doive se trouver
en ces sciences, il faut qu’on y connaisse
quelque chose a priori
38.3.5
d’autre part),
d’autre part,
38.3.9
si grand ou si petit que soit
si grande ou si petite que soit
42.1.m2
a priori des choses
a priori les choses
44.n1
de la raison pure a beaucoup
de la raison a beaucoup
45.1.1-2
la méthode suivie jusqu’ici en métaphysique
la méthode suivie en métaphysique
46.1.20
(l’usage moral), où elle
l’usage moral, où elle
52.1.17
éteint), montra comment
éteint, montra comment
64.1.9
un jugement synthétique.
un jugement analytique.
75.2.5-6
la moralité et ses concepts
la moralité et de ses concepts
76.1.2-3
sous lesquelles seules les objets
sous lesquelles seuls les objets
81.3.5
quoi seul les sensations
quoi seules les sensations
85.1.4-5
le concept universel d’espaces en général
le concept universel d’espace en général
89.2.4
ne leur servait
ne lui servait
90.4.6
toutes les grandeurs d’un objet
toutes les grandeurs d’une chose
109.2.m2-110.1.2
ne peut jamais être autrement que sensible,
c’est-à-dire qu’elle comprend seulement la
manière dont nous sommes affectés par des
objets. [la syntaxe «ne peut jamais être que
sensible» peut signifier «ne peut jamais être
seulement sensible»; pour cette raison, elle
est en partie ambiguë.]
ne peut jamais être que sensible [pour nous],
c’est-à-dire contenir autre chose que la
manière dont nous sommes affectés par des
objets.
111.3.3
fournit la règle), elle
fournit la règle, elle
113.1.8
connaissance ou son usage
connaissance et son usage
114.3.14
à la fois suffisant et universel
suffisant à la fois et universel
131.3.14-15
que l’âme est non-mortelle
que l’âme n’est pas mortelle
232
Note: On doit suivre ici la lecture de l’édition de l’Académie («nichtsterblich») qui corrige le «nicht sterblich» de
l’édition originale, car, sinon, le reste de la phrase («j’ai bien réellement affirmé au point de vue de la forme
logique») n’a pas de sens. L’édition Wilhelm Weischedel (Darmstadt, 1956, 1975, 1981) mentionne la correction
apportée par l’édition de l’Académie.
134.2.17-135.1.1
faire de cette diversité une connaissance
faire de cette connaissance une diversité
136.2.4-5
c’est cette unité qui, pour le dire d’une
manière générale, s’appelle un concept pur
de l’entendement
c’est cette unité qui, prise d’une manière
générale, s’appelle un concept pur de
l’entendement
150.1.20
celle sans laquelle nous
celle sous laquelle nous
150.1.m5
Il y aura donc
Il y a donc
150.1.m2
comme concepts a priori, reposera
comme concept a priori, repose
153.1.26
contraire, le suppose toujours
contraire, la suppose toujours
154, titre §16
originairement synthétique
ordinairement synthétique
154.2.8
au je pense dans le même sujet où se
rencontre cette diversité d’éléments. Mais
au je pense. Mais
157.1.12
le: je pense
le: je pense
157.2.2
Celles-ci consistent dans
Celle-ci consiste dans
157.3.3
entièrement indépendante de
entièrement indépendant de
161.1.14
fonctions (§10).
fonctions (§13).
Note: L’édition de l’Académie apporte la correction «(§10)» au lieu du «(§13)» qui semble être un lapsus.
163.1.10
empirique de ce qui
empirique, de ce qui
164.1.10
l’intuition en général, qu’elle soit
l’intuition en général; qu’elle soit
164.2.3
supposition que rien de
supposition, que rien de
166.1.24
productrice et la distingue par là de
limagination reproductrice, dont la synthèse
productrice, dont la synthèse
Note: L’omission du membre de phrase indiqué produit un complet contresens.
172.2.5
phénomène considéré comme
phénomène, considéré comme
173.2.7
et les premières ne sont
et les premiers ne sont
173.2.28-32
soumis aux catégories, catégories dont la
nature (considérée simplement comme
nature en général) dépend comme du
fondement originaire de sa conformité à des
lois (en tant que natura formaliter spectata).
soumis aux catégories, et la nature
(considérée comme nature en général, ou en
tant que natura formaliter spectata) dépend
de ces catégories comme du fondement
originaire de sa conformité nécessaire à des
lois.
174.note.10-11
conséquent à la connaissance
conséquent de la connaissance
174.3.7
les concepts de ses objets
les concepts de ces objets
188.3.6
comme conditions d’une
comme condition d’une
192.4.8-193.1.2
sensatio realitas phænomenon, constans et
perdurabile rerum substantia phænomenon - aeternitas, necessitas phænomena etc.).
sensatio realitas phaenomenon, constans et
perdurabile rerum substantia
phænomenon.— ÆTERNITAS, NECESSITAS,
phænomena, etc.).
233
Note: Je suis l’édition Weischedel, lequel reproduit l’original. Weischedel mentionne que l’édition de l’Académie
change «phænomena», à la fin du passage, pour «phænomenon». La lecture de Weischedel n’est pas dépourvue de
toute ambiguïté, mais elle signale au moins que c’est une erreur d’ajouter une virgule après «NECESSITAS» et que
l’emploi des petites capitales en romain (c’est-à-dire non en italique) ne semble pas résulter de conventions
appliquées systématiquement: si les petites capitales sont censées indiquer lesquels, parmi les mots latins, sont en
italique dans l’original, les mots «sensatio» et «constans» devraient, eux aussi, être en petites capitales.
204.3.13
la pensée empirique
le pensée empirique
210.2.19
grandeur, mais que cette grandeur
quantité, mais que cette quantité
Note: Il s’agit du terme allemand «Größe». Il est traduit par «grandeur» à la fin du même paragraphe (211.1.3).
214.1.17-18
de telle sorte qu’en aucun d’eux
de telle sorte qu’en aucune d’elles
214.1.19
tout réel d’une même qualité a néanmoins un tout réel d’une même qualité a néanmoins
degré de celle-ci
son degré
[Voici la traduction de Tremesaygues &
Pacaud de 214.1.16-23; elle est meilleure
que celle de Barni:] «si deux espaces égaux
peuvent parfaitement être remplis de
matières diverses, de telle sorte qu’il n’y ait
dans aucun d’eux un point où ne se trouve la
présence de la matière, tout réel d’une même
qualité a pourtant le degré (de résistance ou
de pesanteur) de cette qualité, degré qui,
sans que diminue la grandeur extensive ou le
nombre, peut décroître jusqu’à l’infini avant
que cette qualité disparaisse dans le vide et
s’évanouisse.»
217.2.2f
son intuition empirique se distingue
son intuition empirique ne se distingue
219.3.2f
ne peuvent être représentées qu’en lui
ne peuvent être représentés qu’en lui
220.2.14
seul possible
seule possible
223.2.m4
seul le permanent (la substance) subit du
changement,
seul le permanent (la substance) change,
Note: Il s’agit de traduire la forme passive «wird verändert».
224.5.1-225.1.f
(Le principe précédent […] à la preuve.)
Le principe précédent […] à la preuve.
224.5.10-11
Note: Dans l’énoncé du principe, «changement d’état» traduit «Wechsel» et «changement», dernier mot de
l’énoncé, traduit «Veränderung». «Wechsel» contient l’idée de remplacement; «Veränderung» contient l’idée de
transformation. Une paraphrase explicative pourrait se formuler ainsi: «Tout ce qui paraît cesser ou commencer
d’exister n’est en fait que la transformation de quelque chose qui préexiste.»
227.1.6-8
ne peut être représenté comme objet […]
qu’en tant que
ne peut être représenté que comme objet […]
en tant que
228.2.9
de l’un (ce qui arrive) suive selon une règle
celle de l’autre (ce qui précède).
de l’un (qui arrive) suivre selon une règle
celle de l’autre (qui précède).
228.2.11-12
à quelque chose d’autre qui précède et qu’il
suit
à quelque chose d’autre qui précède et qui le
suit
232.3.8
la série des représentations qui se suivent
l’une l’autre
la série de l’une des représentations qui se
suivent
234
235.1.11-12
toute transformation
toute vicissitude
[ou encore: ] tout changement d’aspect
235.1.m7
qu’exigent
qu’exigeraient
238.1.m4
que notre propre appréhension
que notre propre adhésion
239.1.m9
dans l’autre
dans d’autre
244.5.9
à leur réalité
à leur égalité
255.2.m14
n’appartiendraient-elles pas
n’appartiendraient-ils pas
269.2.2
général par exemple
général que par exemple
272.2.13
forme pure de l’usage
forme pure et l’usage
275.2.2-3
ne peut jamais faire plus, s’il opère a priori,
qu’anticiper
ne peut faire a priori en aucun cas
qu’anticiper
282.2.3
représentations sous un seul concept
représentations sous concept
283.2.6
(numerica identitas)
(numerica identitus)
283.2.21
identitatis indiscernibilium)
identibatis indiscernibilium)
287.2.m10-9
concepts de la réflexion empiriques ou
abstraits
concepts de la réflexion, empiriques mais
abstraits
Note: «abstraits» traduit «abgesondert»; il s’agit de concepts tirés de l’expérience par induction généralisatrice.
288.1.1
identiques ou différents
identiques ou indifférents
289.1.16-17
quand un principe réel [«Realgrund»] détruit quand un principal détruit
296.1.8
tout un mode suivant
tout un mode suivant
296.2.3
aucun schème de la sensibilité
aucun schèma de la sensibilité
299.5.8
2. Objet vide d’un concept,
2. Objet vide de concept,
305.3.10
les paralogismes
les paralogiques
307.1.1
L’expression principe
L’expression de principes
Note: En langage contemporain, on dirait «L’expression “principe”». La première occurrence de «principe» traduit
«Prinzip» et la deuxième traduit «Principium».
307.2.1
connaissance par principes
connaissance par principe
307.3.1
principes de l’entendement pur
principes de la raison pure
309.1.4
la relation d’inférence
l’énoncé intermédiaire
Note: Il s’agit de traduire «Schlußfolge». (Voir les notes de cours).
310.2.4
pouvoir subalterne d’imprimer à des
connaissances données une certaine forme
pouvoir subalterne, imprimé à des
connaissances données, une certaine forme,
310.2.18
subjective d’économie
subjective de cette économie
Note: «Économie» traduit «Haushaltung»; on traduirait plus littéralement «économie domestique».
311.1.7
ce qui arrive a une cause
ce qui arrive à une cause
311.1.10
rapport à une expérience
rapport d’une expérience
311.2
le conditionné se rapporte analytiquement, il
est vrai, à une condition
le conditonné se rapporte bien à une
condition
318.1.4
ferait de la vertu
devrait faire de la vertu
235
320.2.m2
(sensatio);
(cognitio);
322.3.4
inconditionné d’abord
conditionné d’abord
323.1.12-13
que quelque chose est considéré en soi et a
par conséquent une valeur intrinsèque
[Tremesaygues et Pacaud)
que quelque chose est considéré d’une chose
en soi, et a par conséquent pour elle une
valeur intrinsèque
que c’est à une chose prise en elle-même
qu’on attribue quelque chose et que cela lui
convient dons intrinsèquement [N.
Lacharité]
323.1.m11-10
et par là cette chose est absolument
nécessaire;
et par là absolument impossible
324.3.3
et ne s’arrête qu’à ce qui est inconditionné
325.1.9-10
spéculatif de la raison
spéculatif de l’entendement
328.1.1
elle n’a pas besoin
il n’est pas besoin
328.1.3
qui est elle-même vraie
qui est en elle-même vraie
328.3.3
aux objets, et ces objets
à l’objet, et ces objets
355.4.1
En revanche, la proposition : je pense,
dans la mesure où elle affirme : j’existe
pensant, n’est pas une simple fonction
logique;
Au contraire, si la proposition : je pense,
signifie j’existe pensant, elle n’est plus une
fonction purement logique;
365.1.9-10
ne sont pas subordonnées, mais coordonnées
ne sont pas coordonnées, mais subordonnées
367.1.7
elles constituent
ils constituent
370.3.7
de même que la proposition qui lui est
contraire
comme la proposition contraire
406.1.13
n’avons point d’obligation
n’avons point d’obligés
410.1
mais tout ce qui peut y être donné n’est pas
lui-même une perception si on le rassemble
en un tout absolu
mais tout ce qui peut y être donné, rassemblé
en un tout absolu, n’est lui-même qu’une
perception
et jamais il ne s’arrête à ce qui est
[ou encore: ] et ne s’arrête jamais qu’à ce qui inconditionné
est inconditionné
Cette correction est suggérée par l’édition de l’Académie, laquelle remplace par «keine» le
«eine» du texte des éditions précédentes.
416.2.9
saurions la percevoir
saurions le percevoir
440.2.9
bien que ses effets
bien que ces effets
456, sous-titre
toute l’antinomie
toute l’autonomie
625.1.m2-1
du droit qu’a la raison de rechercher ces
du droit qu’à la raison de reprocher ces
236