Donald Trump est-il le « Prince » de Machiavel ?
Par Pierre Souq
Enseignant agrégé de philosophie
Clermont-Ferrand (63), France
Après plus d’une semaine à la Maison Blanche, ne faudrait-il pas remplacer le terme de
« président » par celui de « prince » au regard des actions et de la politique engagées par Donald
Trump ?
Alors que la République règne à Florence, à la fin du XVème siècle, le retour des Médicis entraîne
sa chute en 1512 et le retour à une politique aristocratique et familiale. En 1513, une fois élu pape,
Giovanni, second fils de Laurent, fait de Florence son bien personnel et charge les divers membres
de sa famille de son administration.
Outre ses trois enfants, Eric, Donald Jr. et Ivanka, c’est son gendre, Jared Kushner, que Donald
Trump souhaiterait voir officier à la Maison Blanche, et ce, en dépit de la Federal Anti-Nepostism
Law (loi fédérale contre le népotisme) de 1967 qui interdit aux titulaires d’une charge fédérale
d’employer les membres de leur famille. Aussi, dans l’esprit des Médicis qui multipliaient les
filiales bancaires, avec un gouvernement pesant plus de 20 milliards de dollars, il concentre une
majorité de millionnaires travaillant ou ayant travaillé pour des banques ou des entreprises, sans
parler de sa carrière à lui en tant qu’homme d’affaires milliardaire.
Lorsque Nicolas Machiavel écrit Le Prince en 1513, l’Italie de la Renaissance est en crise face aux
politiques locales des diverses familles qui assurent leur règne au sein des villes : les Sforza du
duché de Milan, les Médicis à Florence, les Este à Ferrare et Modène, les Doria à Gênes, les
Montefeltro à Urbin et les Borgia à Rome. Aux États-Unis, non seulement la scission majeure entre
le social démocrate Bernie Sanders et l’homme d’affaire Donald Trump, mais aussi la rapidité avec
laquelle Trump a balayé les mesures emblématiques de l’administration démocrate de Barack
Obama, sont les symptômes d’une crise politique profonde et des différences entre les mentalités au
sein même du peuple américain. De la même façon, le développement massif des discours visant
des communautés particulières, qu’elles soient ethniques (latine, noire, maghrébine, etc.),
religieuses (juive, musulmane, catholique, etc.), sexuelles (hétérosexuelle, LGBT, etc.) et les
tensions autour des droits à la vie (le mouvement pro-life, l’avortement, la contraception,
l’euthanasie, la peine de mort, la torture, etc.), manifestent un véritable choc des mentalités où
l’issue, aujourd’hui, n’est jamais la négociation ou le compromis, mais l’épreuve de force et la
protestation.
Ayant voyagé partout en Europe comme légat, et ayant notamment appris auprès de César Borgia,
ce sont les rouages d’une véritable politique de réunification que Machiavel propose alors au
Prince, lesquels s’appuient sur une connaissance précise des différents États, les moyens permettant
de les conserver ou de les renverser, le développement d’une armée nationale, des principes visant à
assoir et maintenir un gouvernement fort. Dans ce sens, la vertu du Prince ne se trouve pas dans la
morale ou dans l’obligation qui vise à défendre le bien commun mais dans l’esprit d’initiative et la
capacité de saisir des opportunités afin de garantir son pouvoir et le maintien de son autorité
souveraine. Alors, quelles sont les stratégies reprises par Donald Trump, dès le début de son mandat
?
Selon Machiavel, « il y a deux façons de combattre : l’une avec les lois, l’autre avec la force ; la
première est propre à l’homme, la deuxième aux bêtes. Mais, parce que très souvent la première ne
suffit pas, il convient de recourir à la seconde. » (1) L’armée donc et l’usage de la « force ». Trump
s’est déjà engagé en décembre 2016 à renforcer et développer la capacité nucléaire des États-Unis,
en réponse notamment aux propos de Monsieur Poutine. De plus, il s’est engagé récemment à
reconstruire les forces armées, juste après la cérémonie de prise de fonction de son nouveau
secrétaire à la Défense, l'ancien général James Mattis. Aussi, il a déjà décrété la création d’un plan
visant à éradiquer le groupe État islamique sous trente jours. Il a montré son soutien pour l’emploi
de la torture si nécessaire. Il a signé un décret en matière d'immigration prévoyant des contrôles
renforcés aux frontières destinés à stopper l'entrée d’éventuels terroristes. Il a lancé la construction
d’un mur le long de la frontière avec le Mexique. Et en effet, « il ne peut y avoir de bonnes lois là
où il n’y a pas de bonnes armes » (2) Et ces lois, ne sont plus démocratiques dans le sens où elles
émanent de l’autorité d’un seul. Si elles doivent encore passer par le Congrès américain, leur
création ne provient que de Donald Trump qui les a décrétées librement. Et d’ailleurs, ces lois,
avant son élection étaient mal faites ; preuve en est leur détournement pendant près de vingt ans et
l’absence de paiement de l’impôt fédéral. Alors, il s’agit d’une entrée au pouvoir musclée et
pragmatique qui vise à imposer la crainte plus qu’à s’attirer l’amour de ses sujets afin de fonder la
base et les murs d’une autorité solide et toute souveraine. Et Machiavel nous dit : « vaut-il mieux
être aimé que craint, ou l’inverse ? On répond qu’il faudrait être l’un et l’autre ; mais, parce qu’il est
difficile de les assembler, il est beaucoup plus sûr d’être craint qu’aimé. » (3)
Ensuite, la « ruse ». Chez Donald Trump, elle vise non seulement à manipuler les esprits mais aussi
à donner l’apparence du progrès social à partir d’un discours nationaliste et purement économique.
Fermant les frontières sous couvert d’un discours protectionniste et nationalisant les entreprises, le
but est de faire croire qu’en centralisant l’économie américaine les capitaux iront d’abord aux
travailleurs américains : sortie du traité de libre-échange transpacifique (TPP) ; retour sur la
délocalisation des entreprises automobiles chez Fiat-Chrysler, Ford, General Motors et l’annonce de
la création de 100 000 emplois par Amazon sur le sol américain ; relance des projets d’exploitation
des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz de schiste) en dépit des accords de Paris sur le climat (et
par exemple les deux projets d’oléoducs dans le Nebraska et dans le Dakota). Dans ce sens, les
problèmes écologiques sont complètement balayés du revers de la main, considérés comme
mensongers ou des chimères du régime communiste. La Chine n’a-t-elle pas inventé le concept de
« réchauffement climatique » afin de rendre les entreprises américaines non compétitives ? La ruse
toujours donc dans la manipulation des esprits et le développement d’un discours conspirationniste.
S’il a fallu plusieurs semaines à Donald Trump pour reconnaître l’influence de la Russie dans les
élections américaines, une fois reconnue, elle est apparue comme un préjudice à l’électorat
républicain dont le nombre des votes aurait été bien supérieur. De la même façon, les photographies
de l’investiture de Barak Obama montrant une foule bien plus importante à celle de Donald Trump
seraient truquées. Le nombre de spectateurs ayant suivi l’investiture de ce dernier à la télévision
demeure d’ailleurs bien supérieur à celui de son prédécesseur. Enfin, la grande majorité des médias,
selon le président des États-Unis, sont calamiteux et intoxiquent le peuple américain, leurs discours
ressemblant à la propagande de l’Allemagne nazie, comme si la notion de « faits alternatifs »,
avancée par Kellyanne Conway, la conseillère du président, pouvait avoir un quelconque sens ou
une légitimité médiatique (4).
Alors, la politique de Donald Trump après ces premières semaines n’est pas celle d’un président
mais bien celle d’un prince car si le premier « siège en avant » (5), il demeure assis avec les autres,
alors que le second est simplement le « premier » (6), et ne fait qu’utiliser les autres, afin d’assoir sa
puissance. Alors dans ce cadre, il paraît important de questionner la légitimité de Donald Trump
qui, s’il ferait un très bon prince, a été élu président. Si les vices peuvent servir d’outils efficaces
dans le cadre d’une monarchie, ont-ils le droit d’apparaître dans le cadre d’une république ? Si le
paraître et la dissimulation sont des stratégies de pouvoir, combien de temps peuvent-elles servir le
président dans le cadre d’une démocratie ? Et d’ailleurs, Machiavel lui-même n’alerte-t-il pas le
souverain lorsqu’il écrit : « ceux qui grâce à la fortune seulement deviennent princes, de simples
particuliers qu’ils étaient, le deviennent sans grande peine, mais en ont beaucoup pour se maintenir.
Ils n’ont aucune difficulté en chemin, car ils s’y volent ; mais toutes les difficultés naissent quand
ils sont en place. » Donald Trump résistera-t-il longtemps aux contre-pouvoirs qui se mettent alors
en place aujourd’hui et dont la « force » et la « ruse » sont, peut-être, bien supérieures et légitimes ?
Pierre Souq
NOTES
(1) Nicolas Machiavel (1987), Le Prince, traduction de Christian Bec, Classiques Garnier, éditions
Bordas, Paris, p. 88.
(2) Nicolas Machiavel (1987), Le Prince, traduction de Christian Bec, Classiques Garnier, éditions
Bordas, Paris, p. 66.
(3) Nicolas Machiavel (1987), Le Prince, traduction de Christian Bec, Classiques Garnier, éditions
Bordas, Paris, p. 85.
(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Faits_alternatifs
(5) « Président » vient du latin præ (« en avant ») et de sidens (« qui siège »), d'où præsidens (« qui
siège devant les autres »)
(6) « Prince » vient du latin princeps (« premier ») et donc de l’autorité d’un seul.
(7) Nicolas Machiavel (1987), Le Prince, traduction de Christian Bec, Classiques Garnier, éditions
Bordas, Paris, p.43.