collection
de l’école
française
de rome
Quand naissent les dieux
Fondation des sanctuaires antiques :
motivations, agents, lieux
sous la direction de Sandrine aguSta-Boularot, Sandrine HuBer
et William Van andringa
Quelles étaient les circonstances et motivations de la fondation des lieux de culte antiques ? Qu’estce qui présidait au choix des dieux ? Quels étaient les agents et les processus d’exécution de la genèse
des temples ? Quels étaient les critères qui prévalaient dans le choix des sites sacrés ou les modalités
d’installation d’un temple sur des structures existantes ? L’enquête proposée dans cet ouvrage sur la
naissance des dieux dans l’Antiquité méditerranéenne, à forte tonalité archéologique et présentant
des dossiers inédits pour une grande part, permet de proposer un bilan collectif sur les multiples
implications de la formation des lieux de culte dans l’Antiquité, en partant de la documentation
fournie par les sanctuaires compris non pas seulement comme des lieux de culte, mais également
comme des lieux de cristallisation de la mémoire collective des sociétés antiques. Un tel sujet, exploré
dans le cadre d’un colloque organisé à Rome en 2015, se prêtait particulièrement bien au programme
de recherches commun des Écoles françaises d’Athènes et de Rome qui proposait de réfléchir sur
les lieux de culte. En partant des fouilles et études menées par les deux Écoles depuis le XIXe siècle,
l’objectif annoncé de ce programme est avant tout de faire dialoguer l’Est et l’Ouest méditerranéen, souvent séparés par les cloisonnements disciplinaires de l’histoire et l’archéologie grecque et
romaine, voire provinciale.
QUAND
NAISSENT
LES DIEUX
FONDATION
DES
SANCTUAIRES
ANTIQUES :
MOTIVATIONS,
AGENTS, LIEUX
Sandrine Agusta-Boularot est professeur d’archéologie et d’histoire de l’art des mondes romains à
l’université Paul Valéry-Montpellier 3 (UMR 5140 – Archéologie des sociétés méditerranéennes).
Sandrine Huber est professeur d’archéologie classique à l’université de Lorraine (EA 1132 –
HisCAnt-MA).
William Van Andringa est professeur d’archéologie romaine à l’université de Lille (HALMA,
UMR 8164 du CNRS) et à l’Institut universitaire de France, directeur de recherches au Helsinki
Collegium for Advanced Studies.
www.publications.efa.gr
ISBN978-2-8695-8287-3
www.publications.efrome.it
ISBN978-2-7283-1266-5
057,00
534
Quand naissent les dieux
Fondation des sanctuaires antiques :
motivations, agents, lieux
sous la direction de Sandrine aguSta-Boularot,
Sandrine HuBer et William Van andringa
c o l l e c t i o n d e l’ é c o l e f r a n ç a i s e d e r o m e
534
QUAND NAISSENT LES DIEUX
FONDATION DES SANCTUAIRES ANTIQUES :
MOTIVATIONS, AGENTS, LIEUX
sous la direction de Sandrine AGUSTA-BOULAROT,
Sandrine HUBER et William VAN ANDRINGA
ÉCOLE FRANçAISE DE ROME
ÉCOLE FRANçAISE D’ATHÈNES
2017
Ce travail a bénéicié du soutien du LabEx ARCHIMEDE
au titre du programme «Investissement d’Avenir » ANR-11-LABX-0032-01
This project is supported by LabEx ARCHIMEDE from “Investissement d’Avenir”
program ANR-11-LABX-0032-01
Quand naissent les dieux : fondation des sanctuaires antiques : motivations,
agents, lieux / sous la direction de Sandrine Agusta-Boularot, Sandrine Huber
et William Van Andringa
Rome : École française de Rome ; Athènes : École française d’Athènes, 2017
(Collection de l’École française de Rome, 0223-5099 ; 534)
ISBN 978-2-7283-1266-5 (EFR)
ISBN 978-2-86958-287-3 (EFA)
1. Sanctuaires -- Grèce -- Antiquité -- Actes de congrès 2. Sanctuaires -- Rome
-- Antiquité -- Actes de congrès 3. Sanctuaires -- Italie -- Antiquité -- Actes de
congrès 4. Sanctuaires -- Gaule -- Antiquité -- Actes de congrès
5. Architecture religieuse -- Antiquité -- Actes de congrès 6. Archéologie et
religion -- Antiquité -- Actes de congrès
I. Agusta-Boularot, Sandrine, 1965- -- II. Huber, Sandrine, 1963- -III. Van Andringa, William, 1965CIP – Bibliothèque de l’École française de Rome
∞
ISO/CD 9706
© - École française d’Athènes - 2017
ISBN 978-2-86958-287-3 (EFA)
© - École française de Rome - 2017
ISSN 0223-5099 (EFR)
ISBN 978-2-7283-1266-5 (EFR)
CATHERINE VIRLOUVET
PRÉFACE
Ce livre, issu de la rencontre homonyme tenue
à Rome du 18 au 20 juin 2015, est une des réalisations importantes du programme de recherche
« Des espaces et des rites : pour une archéologie
du culte dans les sanctuaires du monde méditerranéen » mené par les Écoles françaises d’Athènes
et de Rome entre 2012 et 2016. Il y a là un premier motif de réjouissance pour qui dirige un de
ces deux établissements : voir l’aboutissement,
dans des délais rapides, d’une œuvre commune
qui témoigne du dynamisme des échanges scientiiques au sein du réseau des écoles françaises
à l’étranger, réseau dont on perçoit ainsi l’atout
qu’il représente pour l’ouverture – géographique,
chronologique, disciplinaire – et le rayonnement
international des recherches en sciences humaines
et sociales.
Placé sous la direction de Sandrine Huber
(université de Lorraine) et de William Van Andringa
(université de Lille 3), le programme partait des
fouilles et études sur les sanctuaires menées par
les deux écoles depuis le XIXe siècle, en les revisitant avec des questionnements renouvelés sur les
activités rituelles et les cérémonies, l’examen des
espaces et des équipements, les liens avec l’espace
environnant… C’est à une tentative d’approche
globale sur le sujet que se sont livrés les responsables de cette recherche et tous ceux qui ont
accepté de travailler à leurs côtés, telle Sandrine
Agusta-Boularot (université de Montpellier-Paul
Valéry) dans le cas présent, en faisant dialoguer
l’Est et l’Ouest méditerranéen, trop souvent séparés par un cloisonnement stérile entre archéologie
et histoire grecques et romaines.
Étudier le processus de fondation des cultes
antiques, auquel s’intéresse cet ouvrage, représentait une étape indispensable au sein d’une
telle recherche. Les spécialistes réunis à Rome en
juin 2015, sous l’égide de l’EFA, de l’EFR et du
Labex Archimède, ont ainsi réléchi aux multiples
implications de la formation des lieux de culte,
depuis la Grèce archaïque jusqu’au Haut-Empire
romain, en partant de la documentation fournie
par les sanctuaires compris non pas seulement
comme des lieux de culte, mais également comme
des lieux de cristallisation de la mémoire collective des sociétés antiques. Pris sous cet angle, les
sanctuaires constituent ainsi des observatoires
privilégiés de notre connaissance des sociétés
anciennes et de leurs transformations, c’est sans
doute la raison principale qui explique l’intérêt
qu’ils suscitent de longue date chez les archéologues et les historiens de l’Antiquité. C’est pourquoi ce livre marquera, à n’en pas douter, un jalon
d’importance dans notre connaissance du monde
gréco-romain antique.
REMERCIEMENTS
Le colloque organisé à Rome les 18-20 juin 2015 et sa parution rapide sont l’occasion de
remercier en premier lieu les trois institutions qui ont accompagné le projet, l’École française
de Rome, l’École française d’Athènes et le LabEx Archimède de Montpellier ainsi que leurs
responsables respectifs, Catherine Virlouvet et Stéphane Bourdin pour l’EFR, Alexandre Farnoux
et Julien Fournier pour l’EFA, ainsi que David Lefèvre pour le LabEx Archimède. Notre gratitude
va également à Giulia Cirenei, assistante scientiique, et à l’équipe administrative de l’École
française de Rome, qui ont permis le bon déroulement logistique du colloque. Nous n’oublions pas
de remercier le service des publications de l’EFR et Virginie Teillet qui ont assuré la préparation de
cet ouvrage, également les intervenants à la manifestation et les auteurs des communications pour
leur collaboration sans faille, malgré les délais courts imposés par le calendrier éditorial.
Sandrine AGUSTA-BOULAROT, Sandrine HUBER et William VAN ANDRINGA
TABLE DES MATIÈRES
Pages
Préface, par Catherine Virlouvet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
VII
Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
IX
Sandrine AGUSTA-BOULAROT, Sandrine HUBER et William VAN ANDRINGA, Introduction. La
fondation des sanctuaires antiques : motivations, agents, lieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1-9
* * *
François DE POLIGNAC, Cités et sanctuaires dans le monde grec : de l’intérêt des décalages . . . . . .
11-18
Roland ÉTIENNE, La naissance des dieux dans les Cyclades . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
19-32
Anne JACQUEMIN, La fondation de l’oracle de Delphes et les fondations du temple d’Apollon . . . .
33-45
Sandrine HUBER, Érétrie. La naissance des lieux de culte et des pratiques cultuelles dans une
cité-mère grecque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
47-68
Arthur MULLER, Thasos. L’installation du panthéon d’une cité coloniale . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
69-82
Nuran ŞAHIN, Claros. Aux origines du culte d’Apollon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
83-97
Laurence CAVALIER et Jacques DES COURTILS. Transfert de cultes au Létôon de Xanthos : religion
et politique en Lycie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
99-112
François QUANTIN, La notion de « divinité poliade » à l’épreuve d’une étude de cas : Artémis
et Apollon à Apollonia d’Illyrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
113-133
Virginie MATHÉ, Quand un dieu s’installe : la monumentalisation du sanctuaire d’Asklépios
à Épidaure (IVe-IIIe siècles av. J.-C.) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
135-149
Arnaud COUTELAS, Thomas CREISSEN et William VAN ANDRINGA, avec la collaboration de
Christophe LOISEAU et Anne-Sophie VIGOT, Un chantier pour les dieux : la construction du
temple de Fortune Auguste à Pompéi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
151-172
Filippo COARELLI, Le origini dei santuari laziali. Satricum, Lanuvium, Lucus Aricinus . . . . . . .
173-181
Vincenzo D’ERCOLE, Gli Dei degli Italici : luoghi e forme di culto tra protostoria e storia nell’Italia
medio-adriatica . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
183-199
Olivier DE CAZANOVE, L’apparition d’une architecture religieuse dans le monde italique : le cas de
la Lucanie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
201-218
Pierre GROS, Aedium principia : modalités et signiication du maintien ou de la modiication
des plans initiaux dans le domaine de l’architecture sacrée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
219-238
John SCHEID, Quelques données sur les rites de fondation des temples romains . . . . . . . . . . . . .
239-245
426
QUAND NAISSENT LES DIEUX. FONDATION DES SANCTUAIRES ANTIQUES
Sylvia ESTIENNE, Fonder un sanctuaire romain : droit et pratiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
247-257
Françoise VAN HAEPEREN, Installation des cultes et sanctuaires publics d’Ostie, port de Rome
(IVe av. - IIIe siècles apr. J.-C.) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
259-275
Réjane ROURE, Aurélien CREUZIEUX et Benjamin GIRARD, Fonder un lieu de culte en Gaule à l’âge
du Fer : l’exemple du site du Cailar (Gard) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
277-298
Sandrine AGUSTA-BOULAROT, Quand naissent les dieux en Transalpine. Apparition
des lieux de culte, des pratiques cultuelles et des divinités italiques en Gaule du Sud
(IIe-Ier siècle avant notre ère) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
299-336
William VAN ANDRINGA, Mémoire des cités et redéinition des paysages sacrés en Gaule romaine
337-349
Thomas G. SCHATTNER, Projet d’étude des cultes et des sanctuaires de l’ouest de la péninsule
Ibérique à l’époque romaine : rélexions sur les nouvelles fondations . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
351-381
Francesco CAMIA e Athanase RIZAKIS, Cambiamenti, adattamenti e novità : la fondazione
dei luoghi di culto nelle province romane di Acaia e Macedonia . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
383-396
* * *
Enzo LIPPOLIS, Fondare un luogo di culto e costruire un luogo di culto e costruire un sistema
sociale. Alcune osservazioni conclusive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
397-410
Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
411-422
Liste des contributeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
423-424
SANDRINE AGUSTA-BOULAROT, SANDRINE HUBER
ET WILLIAM VAN ANDRINGA
INTRODUCTION.
LA FONDATION DES SANCTUAIRES ANTIQUES
MOTIVATIONS, AGENTS, LIEUX
Les procédures juridiques, mal décrites par les
textes avouons-le, ne sufisent pas à rendre compte
de l’acte exceptionnel que constitue la fondation
d’un sanctuaire. Dans ce domaine, les données
archéologiques constituent un apport indéniable,
rendant compte de processus variés qui touchent
tout autant la religion, la fabrique du divin, que
l’organisation humaine, la vie politique et économique des communautés ou la perception des territoires. Les formes prises par l’acte de fondation
sont multiples, qui dépendent de la société concernée, des contextes, de la chronologie et de l’arc
géographique considérés. Fonder un temple était
d’abord un acte exceptionnel qui mettait en œuvre
un écheveau complexe de motivations et d’agents
divers tout autant que de relations choisies dans le
paysage, avec les habitats et les territoires puisqu’il
s’agissait au premier chef d’installer un dieu dans
un lieu propice1. Fonder un autel – c’est lui qui
donne son sens au dispositif cultuel et qui précède
ainsi souvent le temple – procédait de même. La
question de l’institution d’un lieu de culte implique
un examen attentif de son environnement archéologique – proximité de marqueurs paysagers,
d’une villa à la campagne, d’un quartier urbain ou
suburbain d’une ville –, essentiel pour caractériser
les modalités de son organisation et ainsi identiier
la communauté gestionnaire du culte.
Motivations
Le premier thème abordé dans ce volume
concerne les motivations qui sont à l’origine de
la création des lieux de culte. La fondation des
1
Voir Golosetti 2016.
sanctuaires intervient bien souvent dans un
contexte d’afirmation ou de structuration communautaire des sociétés antiques. À quel moment est
fondé un sanctuaire ? Le moment correspond-il à
une évolution particulière, politique, de la communauté gestionnaire du lieu de culte ?
Le parallèle étroit que l’on traçait, suivant F. de
Polignac, entre la formation des sanctuaires grecs
et l’avènement de la cité grecque n’apparaît plus
aussi clair ; ici, le discours se confond souvent avec
la question de la rupture et de la continuité entre
âge du Bronze et âge du Fer. En découlent également, toujours dans le monde grec, la question
de l’organisation des « panthéons » locaux2, de la
ixation des calendriers héortologiques auxquels
les poleis ont recours et dans lesquels transparaît
leur identité cultuelle, mais aussi, selon les cas,
des rectiications du calendrier cultuel (réajustements à Mykonos à la in du IIIe siècle avant J.-C.).
Les lieux de culte du monde grec accueillaient des
séquences rituelles complexes et d’une richesse
extraordinaire, selon un facteur à croissance exponentielle. Les Grecs n’ont que très progressivement
la conscience d’appartenir à une même communauté culturelle et la polis, la cité-État, ne constitue sans doute pas l’échelle de rélexion aussi tôt
qu’on le pensait3. Les procédures mises en œuvre
pour la fondation d’un sanctuaire dépendent de
plusieurs facteurs, qui s’enchevêtrent souvent :
la personnalité de la divinité et la communauté
gestionnaire du culte, enin la période à laquelle
le culte est fondé puisque la fourchette chronologique s’étend au moins sur toute la durée du
Ier millénaire avant J.-C. et remonte désormais
2
3
S. Huber, A. Muller et F. Quantin, infra.
F. de Polignac, infra.
2
SANDRINE AGUSTA-BOULAROT, SANDRINE HUBER ET WILLIAM VAN ANDRINGA
plus haut. On a inalement peu avancé dans les
rélexions sur la fondation des sanctuaires grecs
et ses rapports spatiaux et fonctionnels avec la
cité depuis l’ouvrage fondateur de F. de Polignac,
La naissance de la cité grecque. Cultes, espace et
société, VIIIe-VIIe siècles avant J.-C., paru en 1984.
Des explorations récentes, notamment dans l’arc
géographique eubéo-thessalien4 (Kalapodi en
Phocide, Lefkandi en Eubée, etc.), mais aussi
dans d’autres régions du monde grec5, ont révélé
une évolution des pratiques sacriicielles qui fait
remonter plus haut dans la chronologie des gestes
que l’on associe traditionnellement à l’émergence
de la cité grecque au VIIIe siècle ; la documentation
archéologique associée aux rites de fondation y
remonte sans interruption jusqu’à l’âge du Bronze
Récent. De plus, de nouveaux éléments en divers
endroits du bassin méditerranéen où les Grecs se
sont installés apportent un nouvel éclairage sur les
cultes célébrés dans ces régions6, mais aussi souvent par corollaire dans les cités-mères. Il est dès
lors très à propos de reprendre la discussion sur
la fondation et la consécration des sanctuaires, du
côté grec, là où C. Rolley l’avait laissée dans son
article emblématique sur les aphidrumata7, à la
lumière des découvertes archéologiques récentes
– qui révèlent une fourchette chronologique de
plus en plus vaste, mais aussi des rites de plus en
plus variés en raison des évolutions récentes de
l’archéologie permettant désormais la mise en évidence de gestes – et du renouveau des rélexions
sur les nombreuses réglementations édictées par
les cités grecques8.
Moins connue est l’évolution mise en évidence
récemment dans certaines régions de l’Europe celtique, entre l’implantation des lieux de culte et la
structuration des états. Il a été proposé de mettre
en relation l’apparition des sanctuaires communautaires avec le développement des états gaulois, l’exemple de Gournay-sur-Aronde chez les
Bellovaques ayant fourni une sorte de prototype.
Le sanctuaire est mis en place au IIIe siècle av.
J.-C., qui correspond à la période d’installation des
peuples belges dans le nord de la Gaule. Le site de
Corent, publié récemment, fournit un autre cas
marquant puisque l’apparition de ce lieu de culte à
la in du IIe siècle av. J.-C. sur l’oppidum du Puy de
Corent intervient à un moment de réorganisation
des Arvernes, comme de l’ensemble des peuples
de la Gaule, autour de centres politiques désignés
comme des villes gauloises9. L’organisation des provinces occidentales par Auguste et ses successeurs
constitue de la même façon un événement privilégié dans la fondation des lieux de culte10. Cette
émergence d’un nouveau paysage religieux est
intervenue dans le cadre d’une organisation politique inédite, fondée sur des relations institutionnelles fortes établies entre l’empereur et les cités
autonomes ; elle fut entérinée par la fondation d’un
sanctuaire provincial à Lyon / Lugdunum en 12 av.
J.-C., dédicacé à une entité forgée pour l’occasion,
Rome et Auguste. Les civitates promues ont alors
répondu en échafaudant une nouvelle mémoire
collective à partir de mythologies recomposées et
articulées sur le système étiologique romain. De là
l’intronisation des grands Mars gaulois, de là l’association des dieux locaux avec des formes diverses
du pouvoir impérial divinisé, de là la création de
ces « grands sanctuaires » qui sont autant de lieux
d’expressions de la nouvelle mémoire civique des
peuples gaulois intégrés dans le système municipal. C’est ce modèle qui fut abandonné au lendemain des grandes crises politiques du IIIe siècle au
proit d’une nouvelle conception de l’état et d’une
nouvelle place donnée à la religion11.
Dans la fondation d’un temple et l’installation d’un culte, les motivations sont évidemment
aussi variées que les événements historiques euxmêmes. On sait que c’est une épidémie, et donc
un prodige, qui sont à l’origine de l’introduction
d’Esculape à Rome en 293 av. J.-C., mais l’intervention du dieu n’est qu’un élément du processus
qui a monopolisé les plus hautes autorités de l’État
romain dans la consultation des Livres Sibyllins et
l’envoi d’une ambassade à Épidaure qui ramène le
dieu à Rome, sous la forme d’un serpent12. Le dieu
Lemos 2012 ; Lemos 2014.
Huber sous presse.
6
Voir notamment Muller, infra ; à l’échelle méditerranéenne, Huber sous presse.
7
Rolley 1997 ; A. Jacquemin et A. Muller, infra.
8
Citons la préparation du nouveau corpus Collection
of Greek Ritual Norms/Recueil de normes rituelles grecques
(projet CGRN), sous la direction de V. Pirenne-Delforge,
J.-M. Carbon, S. Peels.
Sur Gournay-sur-Aronde, Brunaux – Méniel – Poplin
1985. Sur l’organisation des sanctuaires celtiques, Brunaux
1991 ; sur Corent, Poux – Demierre 2016.
10
Voir désormais Reddé – Van Andringa 2015.
11
Van Andringa 2014.
12
Ovide, Met. XV, 622-744 ; Valère Maxime, I, 8, 2, Liv.,
X, 47, 6-7 ; Liv., Per. XI, 3 et Aur. Vict., XXII, 1-3. L’arrivée
du dieu est également mentionnée par Liv., XXIX, 11, 1 ;
Strabon, Geogr. XII, 5, 3 et Orose, III, 22, 5. Sur l’instal-
4
5
9
INTRODUCTION. LA FONDATION DES SANCTUAIRES ANTIQUES
étranger prend alors place à l’extérieur du pomerium, sur l’île Tibérine. Une autre installation
célèbre est celle de Mater Magna, invitée à Rome
pour favoriser la in de la 2e Guerre Punique en
204 av. J.-C., selon un processus identique impliquant la consultation des Livres Sibyllins et la
consultation de l’oracle delphique avant l’arrivée
triomphale de la déesse sous la forme d’un bétyle13.
La puissance de Rome fait que ces exemples sont
très nombreux et l’alignement des temples du
Largo Argentina constitue un témoignage tout
aussi éclatant de la profonde imbrication entre
l’histoire politique républicaine de Rome et l’introduction de cultes nouveaux14. Si à Athènes et
à Rome, l’introduction des cultes est documentée
par les sources textuelles, dans la plupart des cités,
les temples ne sont guère identiiés qu’archéologiquement, le contexte de leur fondation restant
bien souvent mystérieux. La faute à des datations
peu assurées ou à l’impossibilité de pouvoir identiier le dieu titulaire, même dans des endroits
aussi bien documentés que Pompéi où les modalités d’évolution du paysage religieux se laissent
encore mal saisir15. L’organisation des complexes
religieux démontre parfois la subtilité des stratégies divines mises en œuvre. Ainsi à Herculanum,
le sanctuaire suburbain donnant sur la place est-il
composé non pas d’un mais de deux temples dédicacés à la même déesse, Vénus, l’un étant plus précisément lié à la protection du domaine maritime
de la déesse vésuvienne16.
Cela dit, rappelons que la naissance d’un sanctuaire n’implique pas forcément un temple. Le
culte d’une divinité se manifeste en premier lieu
par un geste, un acte rituel : on a donc besoin d’un
espace consacré et d’un marqueur topographique,
sans lequel la relation entre l’oficiant et la divinité
ne peut se faire. Ce marqueur initial n’est pas le
temple, de fait la demeure du dieu, mais la structure qui rendra possible la communication. Dans
tous les cas, c’est ainsi que cela fonctionne dans le
monde grec17. La question est plus complexe dans
le monde romain.
lation du dieu dans l’île Tibérine, il existe une thèse de
doctorat récente, Moreau 2014.
13
Ovide, Fast. IV, 247-348 ; Liv., XXIX, 10.4-11.8 et 14.5.
14
Sur l’identiication des temples du Largo Argentina,
Coarelli et alii 1981, p. 11-51.
15
On trouvera un état de la question dans Van Andringa
2013a, ainsi que dans D’Alessio 2009.
16
Guidobaldi – Camodeca – Balasco 2009.
17
F. de Polignac et S. Huber, infra.
3
Agents
Dans le processus de fondation, un élément
fondamental est évidemment constitué par le
choix des dieux. Certes, les dieux de la mythologie
choisissent souvent l’emplacement des lieux qui
leur sont consacrés comme le serpent d’Esculape
venu s’établir sur l’île Tibérine. Le choix du lieu
peut donc relever de l’initiative divine (rencontre
des aigles lancés par Zeus à Delphes, Létô choisissant Délos pour accoucher d’Apollon et d’Artémis,
foudroiement), d’un sentiment de présence divine
en un lieu naturel (source, grotte, bois, etc.), d’une
précaution à l’encontre de certaines divinités (Héra
à Délos par exemple) ou d’une planiication urbanistique, comme dans le cas des colonies. De nouveaux éléments alimentent le débat sur le faciès
religieux entre cité-mère et colonies (par exemple
à Érétrie avec la colonie de Dikaia en Grèce du
Nord18 ou dans la colonie parienne de Thasos19),
voire dans des réseaux d’inluences (comme au
sanctuaire grec extra-urbain du Timpone della
Motta à Francavilla Marittima en Sybaritide20).
On revient ici, dans le monde grec, aux questionnements liés à la mise en place des cultes dans
une cité. Comment associer polythéisme panhellénique et polythéisme local ? Par exemple à Délos,
où la pratique du polythéisme se manifeste dans
deux cadres, le sanctuaire panhellénique et la cité
des Déliens, ce qui permet de déinir la répartition
des domaines d’action et de compétences dans
un « panthéon » construit à une échelle locale et
de comparer des fondations de sanctuaires à des
échelles distinctes dans une même cité21. On arrive
ainsi à la dificile question de la déinition d’un
sanctuaire de divinité poliade, dossier éclairé par
la question de la fondation du sanctuaire d’Apollon
Daphnéphoros à Érétrie22. Enin, comment un dieu
grec s’installe-t-il dans un lieu déjà occupé par une
divinité indigène (par exemple Apollon Clarien et
Apollon Pythios à Claros23, la triade apollinienne
au Létôon à Xanthos24) ? Que peut-on dire, enin,
de la fondation du sanctuaire d’Apollon Pythien
S. Huber, infra.
A. Muller, infra.
20
Notamment Kleibrink – Kindberg Jacobsen –
Handberg 2004 ; Kindberg Jacobsen – Handberg 2012.
21
Durvye 2008.
22
Verdan 2013 et S. Huber, infra.
23
N. Şahin, infra.
24
L. Cavalier et J. des Courtils, infra.
18
19
4
SANDRINE AGUSTA-BOULAROT, SANDRINE HUBER ET WILLIAM VAN ANDRINGA
à Delphes ? Comment un sanctuaire passe-t-il de
l’ordre d’un sanctuaire local à un sanctuaire panhellénique, et même « oikouménique » à Delphes ?
Dans le monde romain, la mythologie tenait
un rôle tout aussi fondamental dans la genèse des
cultes comme dans la construction mémorielle des
communautés qui fréquentaient le sanctuaire. À
Pompéi, la combinaison des statues dans les lieux
de culte et les nombreuses images divines rencontrées sur la façade des maisons renvoient à des
trames narratives complexes constituées comme
autant de prolongements de la grande mythologie
méditerranéenne dont chaque temple donnait
inalement un témoignage.
Si la mythologie mettait en scène les dieux
dans la fondation des lieux de culte, ce sont bien
évidemment les hommes qui jouaient le premier
rôle25. Qui décidait ? Le père de famille dans l’organisation du paysage sacré domestique, le patron
de l’association, le magistrat et l’assemblée locale
pour l’installation d’un culte public, avec l’assistance des prêtres qui incarnaient l’autorité sacrée
nécessaire : les agents étaient évidemment multiples et la procédure tenait inalement à l’autorité
du décisionnaire sur le groupe. Dans la fondation
d’un lieu de culte, les acteurs interviennent au
gré des stratégies de communication propres à la
sphère familiale ou publique. Ainsi à Pompéi, dans
la grande maison d’Epidius Rufus (IX, 1, 20), ce
sont deux affranchis qui s’occupent de l’installation, dans une aile de l’atrium, du laraire consacré aux Lares et au génie du père de famille, sans
aucun doute en concertation avec le maître de maison (CIL X, 861). Dans le domaine public, la dédicace retrouvée dans la cella du temple de Fortune
Auguste nous assure que c’est un membre de l’aristocratie locale, M. Tullius, qui a pris la décision
de fonder le culte sur sa propriété – il fait abattre
pour cela une maison située à un carrefour bien en
vue – mais la nomination des premiers ministres
du culte en 3 apr. J.-C., à l’initiative du conseil et
des duumvirs en exercice, indique bien que cette
décision a été canalisée par l’ordo local et mise en
application par les magistrats. Quant à la consécration elle-même de l’édiice, celle-ci a sans doute
été facilitée par le savoir-faire de Tullius puisque
25
À propos de « la valeur opératoire de la notion de
mythe au sein des processus par lesquels une cité grecque,
communauté d’hommes et de dieux liés par des rites,
s’approprie symboliquement l’espace sur lequel elle est
établie », voir Jaillard 2007.
celui-ci était augure26. De toute évidence, la fondation d’un culte public se jouait dans le cercle
fermé des grandes familles aristocratiques de la
cité qui fournissaient également les ministres gestionnaires du culte recrutés dans le milieu servile.
Les autorités décisionnaires sont d’ailleurs parfois
présentées dans le sanctuaire sous la forme de statues – c’est justement le cas de M. Tullius qui reçoit
une statue dans la cella de son temple. En Grèce, la
cité de Tanagra désigne une commission de trois
membres âgés de 30 ans au moins pour choisir,
avec d’autres magistrats (polémarques et sundikoi), l’endroit où bâtir un nouveau sanctuaire de
Déméter et Koré, transféré de la campagne à la
ville (LSG 72) : une stèle est érigée dans le sanctuaire, qui transcrit la liste des 98 souscriptrices
ayant contribué à l’édiication du bâtiment et leurs
dons27. Les rélexions sur les dédicaces publiques
et privées trouvent leur place ici.
La question des agents appelle également celles
des participants et des cérémonies de fondation.
Quelle était la procédure, religieuse et institutionnelle, en vigueur ? Dans le monde grec,
des dépôts de fondation ont été retrouvés sous
le fondement de temples, à des endroits choisis,
sans doute pour assurer la stabilité de la demeure
divine (sanctuaire d’Apollon Délien à Naxos, sanctuaire de Déméter et Koré aussi à Naxos, v. infra)
et, parfois, des fêtes de fondation étaient instaurées, puis célébrées en commémoration. Qu’en
était-il à Rome et dans les colonies ? Dans les
cités de l’Empire ? Dispose-t-on de traces archéologiques des rituels célébrés lors de la fondation
des temples ? À Rome, peu de témoignages sont
aussi précis que le récit de Tacite sur la (re)fondation du capitole28. Dans le temple de Sant’Abbondio
à Pompéi, des vases miniatures et des restes carpologiques retrouvés dans les fosses de fondation
du temple de Louir / Dionysos posent la question
d’une participation d’un groupe élargie à la cérémonie de fondation du temple qui intervient au
milieu du IIIe siècle av. J.-C.29. Cette participation
de la population locale à la cérémonie d’accueil
d’un nouveau dieu avait un sens ; elle jouait certainement un rôle dans la légitimation du dieu. Ce
qui explique la présence des habitants du vicus de
Cf. Van Andringa 2015.
Le Guen-Pollet 1991, p. 102-107, no 33.
28
J. Scheid, infra.
29
Van Andringa 2013b.
26
27
INTRODUCTION. LA FONDATION DES SANCTUAIRES ANTIQUES
Tirlemont (Gaule Belgique) lors de l’inauguration
du mithraeum local dans les années 260 apr. J.-C. :
ceux-ci ont banqueté sur le site du nouveau temple
avant que les restes ne soient enterrés30. De même,
la présence de l’évergète était-elle indispensable,
comme en témoigne Pline qui offre un temple à
la ville dont il est le patron, Tifernium Tiberinum
(Ep. IV, 1) : « pour témoigner ma reconnaissance,
j’ai élevé à mes frais un temple qui est tout prêt et
dont par conséquent il serait sacrilège de remettre
la dédicace. Nous y serons le jour de la dédicace
que j’ai décidé de fêter par un banquet […] ». Et
en effet, les inscriptions mentionnent parfois ce
type de réjouissances accompagnées de gâteaux,
de repas ou de spectacles. Si ce type de cérémonie
entérinait l’installation du dieu qui recevait ainsi
son temple en propriété, des rites pouvaient être
célébrés dans le cadre du chantier de construction
des temples comme en témoignent les découvertes
faites à Naxos31 (Déméter et Koré) ou à Pompéi32
(Fortune Auguste). Il ne faut toutefois pas voir des
dépôts de fondation partout, le dossier du célèbre
« dépôt égéen » sous l’Artémision à Délos, qui
s’avère inalement appartenir aux remblais d’installation du premier temple d’Artémis, constitue
un excellent contre-exemple33. On doit souligner
ici l’importance de l’enregistrement des données
archéologiques et de la rigueur dans le raisonnement pour éviter des dérives interprétatives34. 353637
Rien n’était trop beau pour les dieux. Sources épigraphiques et archéologiques permettent
d’aborder la question des agents économiques et
des architectes35. La fondation des temples implique des chantiers de construction, des choix économiques et une logistique particulière. Pour le
temple de Fortune Auguste à Pompéi, édiié à un
carrefour en vue du centre urbain, une série d’observations intéressent l’organisation des équipes,
la planiication d’un chantier à l’intérieur d’un
quartier urbain densément occupé, également la
Martens – De Boe 2004.
À Palatia, à Sangri et à Yria de Naxos : Lambrinoudakis
2002 ; Lambrinoudakis 2005.
32
Van Andringa 2011.
33
Moretti 2012, spéc. p. 419-421 et notes 18 et 22.
34
Sur les dépôts de fondation, Schäfer – Witteyer 2013.
35
V. Mathé et P. Gros, infra.
36
A. Coutelas, Th. Creissen et alii, infra.
37
Amandry – Hansen 2010. Voir A. Jacquemin, CR
dans Gnomon, 86, 2014, p. 350-355 ; Jacquemin – Laroche
2017.
30
31
5
question des choix architecturaux qui, dans ce
cas, sont dictés par la dimension idéologique de
l’édiice36. L’étude architecturale du temple d’Apollon du IVe siècle à Delphes, récemment achevée
par E. Hansen, donne, en suivant la logique du
chantier de construction, une juste idée de ce que
fut l’un des plus importants chantiers de la in de
l’époque classique ; ici, c’est la planiication d’un
chantier à l’intérieur d’un sanctuaire densément
fréquenté qui ressort de l’observation des données
archéologiques, architecturales et épigraphiques37.
Si dans certains cas comme à l’époque augustéenne, l’adoption d’une architecture intervenait
dans le cadre de modèles proposés par l’entourage
impérial et donc de choix politique et religieux
concertés, qu’est-ce qui motivait le choix d’un plan
architectural38 ? D’une façon générale, comment
interpréter les transformations architecturales
propres à toutes les sociétés en phase d’évolution ?
Entre la conservation d’un édiice qui ajoutait au
caractère vénérable d’un culte et sa reconstruction
selon le goût du moment, quel était l’argument
qui prévalait ? Comment expliquer les innovations
architecturales (par exemple les temples à rampe
péloponnésiens, auxquels est apparenté le temple
d’Apollon Pythien à Delphes39) ? Par une évolution
de la liturgie ou par quelque transformation communautaire, politique ? Un autre exemple marquant est donné par le temple à galerie périphérique adopté dans les régions celtiques à partir de
l’époque augustéenne40. Si l’origine d’un tel choix
architectural reste mystérieux (une adaptation
liturgique commandée par les transformations
religieuses ?), sa large diffusion dans les provinces
organisées à partir de l’époque augustéenne (Gaule
Chevelue, Germanie, Bretagne) renvoie à une
époque d’importantes transformations politiques
et religieuses plutôt qu’à un domaine culturel celtique auquel les populations auraient souhaité
s’identiier. Dans d’autres cas, c’est le culte et son
38
Gros 1976 ; également, P. Gros, infra et De Cazanove,
infra.
Roux 1961 ; Sporn 2015.
Répétons une fois encore qu’il n’y a pas, à ce jour,
de temple à galerie périphérique attesté avant l’époque
augustéenne. La datation républicaine parfois donnée au
temple de Vieille-Toulouse tient à la proximité du lieu
de découverte d’une inscription datée de 47 av. J.-C. qui
mentionne un sanctuaire : S. Agusta-Boularot, infra. Le temple de Ribemont-sur-Ancre a été daté des années 30 av.
J.-C., mais cette datation a été réajustée dans les publications postérieures.
39
40
6
SANDRINE AGUSTA-BOULAROT, SANDRINE HUBER ET WILLIAM VAN ANDRINGA
organisation liturgique qui sont à l’origine d’un
choix spéciique de plan, comme avec Mithra qui
est resté idèle à un modèle spéciique de chapelle
jusqu’à la in du IVe siècle apr. J.-C. L’architecture
des mithraea participait manifestement à la représentation du dieu41.
Lieux
Le thème de la fondation des sanctuaires
permet d’introduire la notion essentielle du lieu
choisi pour l’installation des dieux. Quels étaient
les critères qui prévalaient dans le choix du site ?
On n’installe pas les dieux n’importe où. On sait
qu’il existait deux types de sanctuaires, tout du
moins en Grèce et à Rome, les sanctuaires naturels dans le sens où la divinité habitait un élément
naturel, une source, une cavité, un étang, et les
sanctuaires construits et aménagés par l’homme,
selon des règles particulières. La plupart du temps,
ces sanctuaires naturels étaient aménagés par
l’installation d’un temple et d’équipements divers,
également des structures d’accueil comme les hospitalia des sanctuaires de l’époque romaine. On
peut citer à ce propos les exemples remarquables
du Mans (un étang mis en eau lors de la fondation de la ville de Vindinum / Le Mans) ou de la
source de Clitumne en Ombrie, décrite par Pline42
ou encore la résurgence du jardin de la Fontaine
de Nîmes, qui reçut un Augusteum au début de
l’Empire43.44La plupart du temps, le temple est
construit sur une propriété humaine, une maison,
un lopin de terre, en fonction de la visibilité de la
parcelle (temple de Fortune Auguste à Pompéi) ou
d’un choix purement pragmatique. Dans les lieux
communautaires comme le forum, l’emplacement
donné au temple était évidemment choisi avec
soin, dans des mises en scène sacralisantes destinées à mettre la divinité en position de majesté :
les temples à terrasse de Terracine ou de Pompéi
sont des exemples édiiants de ces ancrages monumentalisés, comme les capitoles ou les temples
à Rome et Auguste érigés dans l’axe des places
publiques. À Baelo Claudia, municipe espagnol,
41
Notons toutefois qu’il est souvent dificile de restituer les modalités d’installation du culte de Mithra comme
l’indique le mithraeum récemment découvert à Angers /
Iuliomagus, Molin – Brodeur – Mortreau 2015.
42
Pline Ep. 8, 8, 5 ; Chevet et alii 2014.
43
Gros 1984 ; Roth Congès 1985.
44
Sillières – Fincker 1995.
l’édiication au Ier siècle apr. J.-C. des deux grands
sanctuaires de l’agglomération sur une terrasse
dominant la place publique et ses lieux de réunion
résulte d’une décision programmatique forte du
conseil local44. Parfois, c’est l’empreinte mémorielle d’un lieu qui permet la ixation d’un culte :
en témoignent les temples de Sains-du-Nord chez
les Nerviens autour d’un enclos funéraire abritant sans aucun doute les membres d’une famille
locale inluente. Dans d’autres cas, une tombe
dont le souvenir était certainement conservé
grâce à un marquage de surface est choisie pour
implanter la cella du temple, ainsi à Avenches ou
à Authevernes, deux temples construits sur des
sépultures45. En Gaule du Sud, des dédicaces religieuses d’époque impériale et des mobiliers interprétables comme des offrandes mis au jour dans
différents oppida abandonnés au tournant de l’ère
suggèrent la transformation de ces anciens sites
d’habitat en lieux de culte consacrés à d’anciennes
divinités indigènes : ainsi au Castellar du Cadenet,
sur l’ancien territoire du peuple des Dexiuates,
des ex-voto sont adressés à la déesse Dexiua et aux
Caudellenses46.
Comment interpréter de tels faits archéologiques sinon en terme de reformulation de la
mémoire locale ? Dans le contexte des colonies, en
l’absence de précédents religieux, l’œciste impose
le site du temenos en se fondant sur des critères
rationnels et fonctionnels et selon des critères
d’urbanisme.
La question du lieu ouvre nécessairement sur
la relation des temples avec l’habitat ou le territoire alentour. La monumentalité est très souvent
un indice du statut poliade ou public, mais en
l’absence de documentation écrite, la détermination du statut d’un sanctuaire impose surtout un
examen attentif de l’environnement archéologique
des lieux sacrés, proximité ou insertion dans un
habitat central, installation sur la place publique,
proximité d’un habitat rural comme une villa à la
campagne47, insertion dans un quartier urbain ou
suburbain d’une ville, enin dans le territoire d’une
cité. Identiier l’environnement d’un lieu de culte
45
46
Neaud 2014 ; Michel et alii 2014.
Agusta-Boularot – Golosetti – Isoardi 2010 ; Golosetti
2014.
47
On pense ici à l’exemple de Pline le Jeune qui restaure
un temple de Cérès, nous dit-il, situé sur ses terres et c’est
bien ici l’élément déterminant, Pline, Ep. IX, 39. Entretenir
un sanctuaire implanté sur son domaine faisait partie des
devoirs de piété d’un notable à l’époque romaine.
INTRODUCTION. LA FONDATION DES SANCTUAIRES ANTIQUES
est essentiel pour caractériser les modalités d’organisation de celui-ci et ainsi identiier la communauté gestionnaire du culte, la famille, un collège,
la cité ou une subdivision de celle-ci.
Quelles sont les modalités d’installation d’un
temple en contexte urbain ? Lorsque par exemple
un lieu de culte est implanté dans un quartier
d’habitations (le temple de Fortune Auguste a
été construit sur des maisons démolies pour
l’occasion) ou lorsque le sanctuaire empiète peu
à peu sur la ville (Delphes et Délos). Autre question posée, lorsqu’un temple remplace un lieu de
culte ou un lieu communautaire préexistant, le
constat de continuité est bien souvent secondaire
comme l’indiquent les reformulations observées
dans les sanctuaires gaulois réoccupés à partir
de l’époque augustéenne ou tibérienne que l’on
doit comprendre comme de véritables (re)fondations48. De même, le choix d’une divinité au nom
indigène ne permet pas de présupposer l’existence
d’un lieu de culte ancestral comme le montrent
de manière éclatante en Hispanie les sanctuaires
d’Endovellicus et du Lar Berobreus, le premier
fondé au Ier siècle, le second en plein IIIe siècle apr.
J.-C.49. Qu’est-ce qui motivait l’évolution d’un paysage sacré ? En Orient, les dieux ancestraux continuent de régner sur les cités grecques de l’époque
impériale comme à Nicaea, la patrie de Dion de
Pruse (Discours, XXXIX, 8). On se contentait alors
d’enrichir ou de maintenir des cultes déjà existants sauf bien évidemment dans le cas des colonies césariennes ou augustéennes qui imposaient
l’installation de nouveaux panthéons. La situation
locale n’était toutefois pas ignorée comme l’indique la migration d’Artémis Laphria, la déesse de
Calydon, dans la colonie augustéenne de Patras50.
Sans oublier qu’à partir d’Auguste, les honneurs
oficiels rendus à l’empereur ont entraîné des
reformulations liturgiques parfois drastiques à
l’intérieur des temples51.
Dans tous les cas, on doit admettre que le
choix du lieu n’était pas toujours associé à une
occupation ancestrale, repère de quelque divinité
locale, ainsi le temple d’Apollon Vatumarus « le
Voir W. Van Andringa, infra.
Th. Schattner, infra.
50
F. Camia, A. Rizakis, infra.
51
Price 1984.
48
49
7
Grand Devin », chez les Viromanduens, en Gaule
Belgique, dont les fouilles récentes ont montré que,
malgré l’épithète gauloise choisie pour Apollon,
le lieu de culte fut installé au début de l’époque
impériale sur un lieu à priori vierge de toute occupation religieuse antérieure52. Dans ce cas, il est
probable que le théonyme fut forgé de manière à
donner au lieu sacré une spéciicité propre. Pour
les Grecs, tout changement du lieu d’habitation
des dieux pouvait être dangereux pour la cité qui
les avait adoptés ; c’est pourquoi, par exemple, la
cité de Tanagra avait consulté l’oracle d’Apollon à
Delphes pour obtenir une garantie suprême en vue
de transférer un sanctuaire de Déméter et Koré de
la campagne à la ville53 (LSG 72).
Pour conclure, la riche documentation archéologique prise à parti dans le colloque montre la
complexité de la fabrique du divin et celle des
sanctuaires, que les deux n’allaient pas toujours de
pair et qu’il est souvent dificile d’associer la naissance des dieux et la naissance des monuments,
du monumental. Dans cette perspective, on voit
bien que le programme architectural dépend des
décideurs, que l’architecture et la religion apparaissent comme un moyen/des moyens au service
des ambitions des décideurs. En témoignent les
travaux de reconstruction de l’Acropole d’Athènes
initiés par Périclès. Le bâtiment le plus grandiose
en dimensions est le Parthénon, qui n’est pas un
temple. Athéna Polias, la déesse poliade, tutélaire des Athéniens, quitte son grand temple dit
Hékatompédon détruit par les Perses et dont les
fondations demeurent visibles un certain laps de
temps, pour être accueillie dans un nouveau temple
en étroite connexion avec son ancienne demeure
détruite par les Barbares. Sa nouvelle maison est
un joyau d’ordre ionique au plan élaboré, un grandiose ensemble architectural sans précédent, qui
restera sans parallèle, que l’on veuille, selon la tradition le rattacher à l’Érechtheion ou le distinguer
selon une nouvelle lecture54. Quoi qu’il en soit, du
point de vue spatial et institutionnel, le Parthénon,
gardien du trésor des Athéniens, est désormais au
centre de l’attention.
Cocu et alii 2013 et Cocu et alii 2014.
Le Guen-Pollet 1991, p. 102-107, no 33.
54
Pirenne-Delforge 2010.
52
53
8
SANDRINE AGUSTA-BOULAROT, SANDRINE HUBER ET WILLIAM VAN ANDRINGA
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SANDRINE HUBER
ÉRÉTRIE. LA NAISSANCE DES LIEUX DE CULTE
ET DES PRATIQUES CULTUELLES DANS UNE CITÉ-MÈRE GRECQUE
Dans la tradition, Érétrie igure en tête de liste
des cités-mères grecques. Ses habitants comptent
parmi les premiers Grecs à s’installer sur d’autres
rivages de la Méditerranée : on connaît le discours.
Si les études historiques discutent depuis longtemps des cultes érétriens à l’échelle du territoire
de la cité1 et à l’échelle méditerranéenne2 dans les
installations eubéennes en péninsule Italique, en
Grèce du Nord et ailleurs, le raisonnement archéologique s’est longtemps concentré sur le site
urbain de l’Érétrie classique-hellénistique3 (ig. 1).
Cela tient, d’un côté, au manque de données
archéologiques hors les murs, dans le territoire
de la cité et outre-mer ; d’un autre côté, à l’exploration archéologique très intensive qu’a connue
la bourgade moderne d’Érétrie depuis 18854. Les
enquêtes historiques, archéologiques et topographiques récentes menées conjointement dans le
site urbain d’Érétrie, dans le territoire de la cité,
dans le reste de l’Eubée, mais aussi dans l’arc géographique eubéo-thessalien et en Méditerranée
permettent d’aller au-delà et se doivent d’être
mises en perspective dans le cadre de notre colloque, dont l’objectif réside dans les apports que
l’archéologie est en mesure de fournir. Les découvertes archéologiques récentes et en cours, ainsi
que de nouvelles lectures des vestiges connus
forcent à revoir l’échelle de l’analyse à Érétrie. Une
synthèse sur les sanctuaires de la cité eubéenne
n’est pas aisée à entreprendre et ce n’est pas l’objectif ici ; toutefois les données se sont enrichies
de manière exponentielle ces dernières décennies
et méritent d’être discutées sous le prisme de nouveaux questionnements, pour les faire interagir,
susciter des recoupements, révéler des cohérences
ou, selon les cas, dégager des spéciicités.4
Retracer les origines de l’histoire de la vie religieuse de la cité eubéenne se heurte au caractère
lacunaire de la documentation archéologique
à notre disposition, cela essentiellement pour
quatre raisons : 1) l’agglomération moderne s’est
développée sur la ville antique, 2) la plupart des
vestiges sont réduits à l’état de fondations, 3) la
chronologie des sanctuaires dégagés est éparse,
s’échelonnant entre le VIIIe siècle avant J.-C. et le
IVe siècle de notre ère, 4) l’attention des archéologues a été focalisée presque exclusivement sur
la partie urbaine de la cité au détriment du territoire. Alors qu’une archéologie (au sens le plus
large) des cultes devrait englober toute l’Érétriade,
car les divinités, dans une cité antique, c’étaient
– comme le disent les inscriptions – “les dieux et
les héros qui occupent la ville et le territoire” »5 ;
encore faut-il connaître l’étendue du territoire de
la cité à haute époque, j’y reviendrai plus loin.
Les fouilles conduites dans trois sanctuaires
urbains ces dernières décennies apportent des
éclairages nouveaux, qui enrichissent grandement
1
Bibliographie chez Huber 2003, p. 150-154, 163164 ; S. Huber, dans Guide d’Érétrie 2004, p. 107-115.
D. Knoepler, ibid., p. 116-117. Dans l’attente de la publication des Testimonia, consulter le Bulletin Épigraphique,
s. v. Érétrie.
2
Voir Boffa – Leone à paraître.
3
Les Anciens distinguaient les lieux de culte dans
l’Érétriade et dans la cité, τῶν ἱερῶν τῶν ἐν ’Ερετρίαι ἤ τῆς
πόλεως, en témoigne une précision gravée sur un décret
pour Timothéos de Macédoine (l. 9-12) trouvée dans le
sanctuaire d’Apollon Daphnéphoros, datable aux alentours
de 319 : Knoepler 2001, p. 175-184.
4
Bref historique des fouilles dans Guide d’Érétrie 2004,
p. 64-65.
5
D. Knoepler, in Bulletin Épigraphique, 2013, p. 494,
no 197.
48
SANDRINE HUBER
SANCTUAIRE
D'ATHÉNA
ACROPOLE
rivière
THESMOPHOREION
THÉÂTRE
GYMNASE
PORTE
DE
L'OUEST
TEMPLE DE DIONYSOS
PORTE
DE L'EST
SÉBASTEION
HÉRÔON
E/600
F/5
MAISON
AUX MOSAÏQUES
O.T. 740
AIRE
SACRIFICIELLE
NORD
QUARTIER
DE L'OUEST
SANCTUAIRE
D'APOLLON
DAPHNÉPHOROS
FONTAINE
PUBLIQUE
BOURATZA
O.T. 689
PALESTRE
SUD
THOLOS
AGORA
ISEION
BAINS
DU PORT
NÉCROPOLE
SUD-OUEST
Fig. 1 – Érétrie, plan des vestiges archéologiques (École suisse d’archéologie en Grèce, T. Theurillat).
ÉRÉTRIE. LA NAISSANCE DES LIEUX DE CULTE ET DES PRATIQUES CULTUELLES DANS UNE CITÉ-MÈRE GRECQUE
49
Tab. 1 – Calendrier restitué de la cité d’Érétrie.
novembre-décembre
Apatouriôn
décembre-janvier
(Posidéôn?)
Poséidon
Lènaiôn
Dionysos
Anthestèriôn
Dionysos
janvier-février
février-mars
fête des Apatouria
mars-avril
Artémisiôn
Artémis
avril-mai
Daphnéphoriôn
Apollon
mai-juin
Thargéliôn
juin-juillet
Hippiôn
juillet-août
(?) Panthéôn
août-septembre
Héraiôn
septembre-octobre
Bouphoniôn
octobre-novembre
(?) Damatriôn
les sources textuelles et permettent d’approcher
la société érétrienne dans les premiers temps de
l’histoire de la cité, à partir du tournant des IXe et
VIIIe siècle avant notre ère, montrant le développement de pratiques cultuelles, certaines spéciiques
à l’un ou l’autre des cultes et d’autres récurrentes,
semble-t-il, à l’ensemble des cultes pratiqués à
Érétrie à l’aube de son histoire. Ces éclairages sont,
en outre, complétés désormais par l’exploration
en cours du sanctuaire d’Artémis Amarysia à
Amarynthos dans le territoire de la cité, ainsi que
par les travaux récents conduits dans l’Érétriade ;
l’établissement de la carte archéologique du territoire d’Érétrie a révélé qu’elle constituait l’un des
plus vastes territoires de cité du monde grec6.7
Artémis
Poséidon
tous les dieux
Héra
Zeus
Déméter et Coré
En préambule, opérons très brièvement une
comparaison contrastive entre le plan des vestiges
connus à ce jour dans le site urbain d’Érétrie (fig. 1)
et un tableau (tableau 1) présentant le calendrier
de la cité d’Érétrie tel qu’il a pu être restitué à partir de divers documents épigraphiques mis au jour
à Érétrie, dans son territoire et dans les colonies
érétriennes de Grèce du Nord (puisqu’il faut noter
une convergence des recherches épigraphiques
menées parallèlement en Eubée et en Macédoine),
calendrier dans lequel le nom de chaque mois
évoque la fête la plus importante célébrée durant
le mois7.8Une série de divinités est ainsi concernée : par ordre alphabétique Apollon, Artémis,
Déméter et Coré, Dionysos, Héra, Poséidon et
Zeus, alors qu’un dernier mois est consacré à tous
les dieux (Panthéôn). Relevons deux grandes divinités absentes : Athéna et Aphrodite. Les noms de
nombreuses autres divinités et de héros sont bien
évidemment rencontrés dans la documentation
épigraphique de la cité, qui laissent penser qu’ils
faisaient l’objet d’un culte, civique pour certains,
privé pour d’autres, domestiques pour d’autres
encore. Le plan traditionnellement publié des
vestiges mis au jour dans le site urbain d’Érétrie
(toutes périodes antiques confondues) marque
l’emplacement de la dizaine de lieux de culte
attestés archéologiquement et dont les divinités
dédicataires ont pu être identiiées ou non (ig. 1) :
sanctuaire d’Apollon Daphnéphoros, aire sacriicielle Nord (dédiée à Artémis ?), Hérôon à la porte
de l’Ouest, sanctuaire d’Athéna au sommet de
l’acropole, terrasse des Thesmophoreia sur le versant sud de l’acropole, temple de Dionysos associé
au théâtre, Iséion et une pièce dévolue au culte
d’Eilithye dans la palestre près des installations
portuaires, peut-être la Tholos sur l’agora, enin
un Sébasteion d’époque impériale à l’intersection
des deux voies de circulations majeures de la ville8.
Fachard 2012 ; Fachard 2016 pour une mise en perspective.
7
Knoepler 1989 ; Knoepler 1990 ; Trümpy 1997,
p. 39-55 ; Voutiras 2008, cf. Knoepler 2008, p. 614-616. Voir
aussi Fachard 2010. Pour le mois Daphnéphoriôn, Verdan
2013, p. 235.
8
Bref état de la question chez Huber 2012, notamment
p. 846-847. Voir aussi Cité sous terre 2010, p. 193-249.
Panthéon de la cité et topographie religieuse de la
ville
6
50
SANDRINE HUBER
a
b
3
4
2
2
1
1
0
500m
c
0
500m
d
3
3
cÈramique
construction
enceinte
5
tombe
6
tombe
rivage gÈomÈtrique
rivage archaÔque
rivage actuel
rivage actuel
8
5
8
0
500m
2
2
1
1
9
7
7
0
1 Apollon Daphnéphoros 3 Athéna
2 Artémis ?
4 Hérôon ?
500m
5 Déméter et Coré ? 8 Dionysos
9 Isis
6 Déméter et Coré
10 Ilithyie
7 Tholos
0
10
500m
céramique
construction
tombe
lieu de culte
rivage ancien
rivage actuel
Fig. 2 – Érétrie, plans de phase avec la localisation des sanctuaires attestés archéologiquement :
a. géométrique, b. archaïque, c. classique, d. hellénistique (École suisse d’archéologie en Grèce, T. Theurillat).
ÉRÉTRIE. LA NAISSANCE DES LIEUX DE CULTE ET DES PRATIQUES CULTUELLES DANS UNE CITÉ-MÈRE GRECQUE
51
Nous avons affaire ici à un écrasement des données, toutes périodes confondues et qui concernent
uniquement le noyau urbain de la cité.
Reprenons les données archéologiques en opérant un phasage (ig. 2), que j’ai déjà proposé ailleurs mais qu’il est nécessaire de reproduire ici9.
Dans l’état actuel de nos connaissances, l’époque
géométrique, considérée comme l’aube de l’histoire de la cité d’Érétrie, n’a livré que deux lieux
de culte dans ce qui constituera son noyau urbain,
implantés au cœur de la plaine alluviale sur
laquelle la ville s’est peu à peu développée (ig. 2a) :
le sanctuaire de la divinité poliade, Apollon
Daphnéphoros, qui conserve des traces d’activités
cultuelles depuis le deuxième quart du VIIIe siècle
au moins10 (1) et l’aire sacriicielle installée vers
730 au nord du sanctuaire d’Apollon, de l’autre côté
d’un torrent aux crues épisodiques qui arrosent
le delta érétrien11 (2). La divinité à laquelle était
consacrée cette aire demeure à ce jour inconnue ;
peut-être s’agissait-il du hiéron urbain d’Artémis,
comme je l’ai proposé ailleurs et que mentionnent
plusieurs témoignages épigraphiques12.
J’insiste sur trois remarques d’ordre général
que j’ai déjà rassemblées ailleurs13. Tout d’abord
Érétrie est la seule cité grecque dont on connaîtrait,
à l’époque géométrique, le sanctuaire urbain du
dieu poliade, Apollon. Ensuite, le sanctuaire de la
divinité poliade est aménagé non pas sur l’acropole, mais au cœur de la plaine, à mi-distance
entre le port et l’acropole qui ferme la plaine au
nord. Enin, si Artémis est bien vénérée sur l’aire
sacriicielle Nord, les cultes des deux divinités les
plus importantes d’Érétrie – Apollon et Artémis –
auraient été les premiers instaurés dans le noyau
urbain de la cité.14
À l’époque archaïque (ig. 2b), toujours dans
l’état actuel de nos connaissances, un nouvel
espace sacré est attesté, qui s’ajoute aux deux
précédents : le sanctuaire d’Athéna fondé au sommet de l’acropole selon toutes probabilités dans
le courant du VIIe siècle14 (3). Évoquons aussi
l’ensemble interprété dès sa découverte comme
un Hérôon, installé au début du VIIe siècle près de
tombes d’époque géométrique que l’on rattache à
des membres de l’élite érétrienne, mais aussi près
de l’emplacement qu’occupera la future Porte de
l’Ouest de la cité15 (4) ; l’état de la documentation
ne permet pas pour l’instant de mettre en relation les activités qui s’y déroulaient aux VIIe et
VIe siècles avec les sépultures géométriques ou
avec le culte de quelque divinité.
À la période classique (ig. 2c), trois nouveaux lieux de culte sont aménagés aux côtés des
sanctuaires fondés aux périodes précédentes et
qui restent toujours fréquentés : sur le versant
sud de l’acropole, un édiice sans doute dédié à
Déméter et Coré (5) ; au pied de la colline, près
de l’entrée nord-occidentale de la ville, un temple
de Dionysos articulé dans la seconde moitié du
IVe siècle avec le théâtre voisin (8) ; en bordure
orientale de l’agora, une Tholos dont l’érection
remonterait au Ve siècle et qui renfermait en son
centre un dépôt de statuettes de terre cuite, selon
Athanassia Psalti dédiées jusqu’au deuxième quart
du IIIe siècle avant J.-C. à une divinité féminine
(Artémis ?)16 (7).
Trois sanctuaires sont assignables à la période
hellénistique (ig. 2d) : sur le versant sud de l’acropole, un deuxième édiice consacré à Déméter et
Coré (6) ; près des installations portuaires dans le
secteur sud-est de la cité, un Iseion fondé, probablement à la in du IVe siècle, en l’honneur d’Isis
et d’autres divinités égyptiennes hellénisées (9) ; à
proximité, une pièce conservant des vestiges d’un
culte d’Eilithyie articulée à une palestre qui fut
construite au IVe siècle (10).
L’époque impériale, quant à elle, a livré un
Sébasteion (ig. 1) que les Érétriens auraient élevé
à Auguste vers 20 avant J.-C. Le culte de la famille
impériale se serait poursuivi jusqu’à la destruction
du temple et des sept statues qui étaient dressées
à l’intérieur de l’édiice et au sud de celui-ci, peutêtre par des chrétiens au IVe siècle de notre ère17.
9
Huber 2012, notamment p. 846-847 et ig. 2 p. 858.
Pour l’époque archaïque, aussi Charalambidou 2006, p. 9991002.
10
Verdan 2013.
11
Huber 2003.
12
Knoepler 2001, p. 134-141 no 9 ; 138 ; 166-169 no 14 ;
Huber 2003, vol. I : p. 154.
13
Huber 2012, p. 847.
14
L’exploration du sanctuaire d’Athéna et de ses abords
sur le plateau sommital de l’acropole a pris in en 2014 ;
l’étude de l’ensemble est en cours, voir déjà Huber 2010 ;
Huber 2015 (avec renvois aux rapports préliminaires
précédents) et Huber – Maillard 2015.
15
Bibliographie et état de la question dans Guide
d’Érétrie 2004, p. 172-175 ; Blandin 2007, vol. I : p. 167-168,
n. 200. L’étude du mobilier est en cours, par une équipe de
chercheurs de l’École suisse d’archéologie en Grèce.
16
Psalti 2010.
17
Schmid 2001a et 2001b ; voir aussi Cité sous terre
2010, p. 236-237.
52
SANDRINE HUBER
Fig. 3 – Au cœur de la plaine, plans des phases d’époque géométrique du sanctuaire d’Apollon Daphnéphoros
et de l’aire sacriicielle Nord (École suisse d’archéologie en Grèce, T. Theurillat).
Installer un dieu dans un lieu propice
Deux autels au cœur de l’habitat
Restons pour l’instant dans le noyau urbain et
tenons-nous en aux premiers témoignages archéologiques (ig. 2a). Il apparaît que les deux premiers
lieux de culte auraient pris forme / auraient été
fondés au cœur de l’habitat, au cœur de la plaine
entre l’acropole et la mer, dans un contexte environnemental dificile, périodiquement inondé
durant toute la période géométrique et au début
de la période archaïque par un des principaux
lits du torrent qui se développait en delta lors des
ÉRÉTRIE. LA NAISSANCE DES LIEUX DE CULTE ET DES PRATIQUES CULTUELLES DANS UNE CITÉ-MÈRE GRECQUE
53
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Tp213
Fig. 4 – Le secteur sud-est du sanctuaire d’Apollon Daphnéphoros, plan pierre-à-pierre des vestiges
(École suisse d’archéologie en Grèce).
périodes hivernales18. Les vestiges les plus anciens
archéologiquement attestés sont, dans les deux
cas, des restes appartenant à deux autels distants l’un de l’autre de ca 60 m (ig. 3-6), le premier (St12) au sud, que l’on associe aux premiers
cultes rendus à Apollon (donc au dieu poliade ?),
le second (St45) au nord, que l’on attribue à l’aire
sacriicielle Nord. Selon les données enregistrées
lors de leurs dégagements respectifs, la structure
St12 serait le plus ancien des deux.
Les dernières fouilles conduites dans le secteur de l’autel St12 en 2000 et 200319 ont montré
18
Verdan 2013, vol. I : p. 43 ; en dernier Ghilardi et alii
2014.
19
Premières fouilles : Konstantinou 1955, p. 126-127,
que des incertitudes subsistent concernant les
différents états de construction de la structure et
leur datation, la structure n’ayant pu être fouillée
dans de bonnes conditions20. Les ultimes observations qui ont pu être réalisées en 2000 et 2003
laissent penser que la structure St12 présente au
moins trois états distincts de construction (ig. 4
et 5). Le plus ancien état (St121) – dont les traces
se limitent à de rares blocs superposés21 marquant
peut-être un parement externe régulier et à des
déchets fauniques issus de la crémation de fémurs
et de queues de caprinés, qui témoignent que le
pl. 41β ; ultimes observations : Verdan 2002, p. 130.
20
Verdan 2013, vol. I : p. 49 ; vol. II : pl. 43.
21
Ibid.
54
SANDRINE HUBER
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
Argile, dépôt en milieu marécageux
Argile sableuse, sommet des dépôts alluvionnaires avec contaminations anthropiques
Idem 2, avec plus de contaminations (céramique, ossements calcinés)
Sables et graviers, dépôt luvial
Remblais ? (construction de St122 ?)
Sables et graviers, dépôts luviaux, phase I
Remblais hellénistiques
Couche perturbée
Autel St12 et niveaux environnants, coupe (sond. 00.15).
Fig. 5 – L’autel St12, zone du sanctuaire d’Apollon Daphnéphoros (École suisse d’archéologie en Grèce, T. Theurillat).
secteur a déjà servi à cette phase primordiale de
lieu de calcination d’ossements d’animaux en
offrande aux divinités 22 – remonterait au tout
début du VIIIe siècle (v. infra) ; il s’agirait d’un
massif circulaire comme celui qui lui succéda,
22
Verdan 2013, vol. I : p. 50 ; Huber – Méniel 2013,
vol. I : p. 248-249.
sans doute de diamètre plus petit (ca 2 m). Le
deuxième état (St122) est constitué d’un muret circulaire présentant plusieurs assises de moellons et
d’un remplissage interne de terre et de pierres ; son
diamètre oscille entre 2,60 et 2,80 m et sa hauteur
ÉRÉTRIE. LA NAISSANCE DES LIEUX DE CULTE ET DES PRATIQUES CULTUELLES DANS UNE CITÉ-MÈRE GRECQUE
55
avoisine 1 m23. Ces deux premiers états correspondraient à la phase I de la fréquentation du
sanctuaire à l’époque géométrique (Géométrique
Moyen II – début du Géométrique Récent I). Le
troisième état (St123) conserve le massif circulaire
précédent, désormais doté d’un entourage rectangulaire de 3,00 × 3,50 m de côté, posé directement
sur les sables et graviers luviaux qui ne cessent
de s’accumuler dans la zone. Soulignons que les
pierres d’angle sont soigneusement taillées et que
certains blocs de l’enveloppe quadrangulaire sont
équarris, un travail qui s’observe rarement sur les
murs géométriques du sanctuaire. Seules deux
assises sont conservées, mais la surface irrégulière
suggère que la structure a été arasée, ce qui permet de restituer un massif plus élevé que ce qui
a été observé à la fouille. On ne sait si l’élément
circulaire restait visible ou s’il était entièrement
recouvert par l’empierrement rectangulaire24. Ce
troisième état daterait, selon Samuel Verdan, de
la phase II de la fréquentation du sanctuaire à
l’époque géométrique25 (Géométrique Récent I-II).
La mise au jour récente de l’édiice 150 au sud
des constructions géométriques fouillées dans le
secteur du sanctuaire d’Apollon (ig. 4) a permis
de comprendre l’importance de l’autel St12 et le
développement du paysage religieux dans le secteur26. De toutes les structures dégagées dans le
secteur du sanctuaire d’Apollon, l’édifice 150 est
le seul bâtiment orienté vers le nord-est (tous les
autres sont ouverts vers le sud, le sud-est pour l’édiice 2) et l’autel St12 se trouve en face de son entrée
(à près de 15 m de distance). L’édifice 150 (long.
7 m, larg. 6,40 m), qui occupe par ailleurs une position particulière puisqu’il n’est pas entouré par des
murs, a par conséquent été construit en fonction de
l’autel. Archéologiquement, ce sont donc, aux côtés
de la consommation du vin, les pratiques sacriicielles sanglantes (l’assemblage est caractéristique, qui se différencie aisément des assemblages
strictement alimentaires ou autres dans la société
grecque antique27) qui constituent les premiers
témoignages de la pratique d’un culte dans le secteur du sanctuaire d’Apollon Daphnéphoros. Le fait
que l’édiice 2 – le premier hékatompédon qui se
distingue radicalement des autres édiices par sa
taille monumentale (ca 35 m de long pour 8,40 m
de large) – a été construit dans l’axe de l’autel St12
à la phase II de l’occupation géométrique dans le
secteur du sanctuaire d’Apollon28 ajoute encore à
l’importance de la structure St12.
L’autel St45 mis au jour aux conins septentrionaux du site archéologique dit « du sanctuaire
d’Apollon Daphnéphoros » (ig. 3 et 6), en bordure
d’un quartier de la bourgade moderne d’Érétrie,
présente une structure semblable au deuxième
état de l’autel St12 : un muret de pierres sèches
plus ou moins circulaire (diam. 2,35-2,85 m)
paré à l’extérieur et contenant un noyau constitué d’un mélange de petites pierres et d’argile
sablonneuse29. Il n’a pas été possible de mettre
en évidence d’éventuels états plus anciens dans la
structure ou en dessous. L’autel a été enterré au
fur et à mesure des fréquentations de l’aire sacriicielle Nord (ig. 7) ; l’étude stratigraphique a montré que l’on jetait régulièrement les déchets des
pratiques rituelles sur place, autour de l’autel, que
ce soit la céramique, trouvée concassée en inimes
fragments, les offrandes et les déchets sacriiciels.
L’amoncellement des couches de dépôts autour
de l’autel, depuis le troisième quart du VIIIe siècle
(ig. 7a) jusqu’au VIe siècle en tout cas (ig. 7c) , a
provoqué un rehaussement du niveau de marche
de 0,80 m environ, jusqu’à recouvrir à un certain
moment la structure. Le faciès change dans le
courant du VIIe siècle (ig. 7b), quand l’autel s’est
trouvé entièrement enterré par l’accumulation des
couches de dépôts alentour ; on assiste vraisemblablement à un réaménagement de l’espace à cette
époque, dont nous ne pouvons déterminer ni la
date exacte, ni l’ampleur : la surface restreinte qui
a pu être explorée dans les limites du site archéologique ne l’a pas permis, l’ensemble auquel appartenait l’aire sacriicielle se poursuivant en-deçà30.
Verdan 2013, vol I : p. 50 avec bibliographie ; vol. II :
botaniques ont été mis en œuvre, qui n’ont pas vraiment
permis de repérer des traces d’oblations végétales, voir
Margaritis 2013.
28
Verdan 2013, vol. I : p. 57-58 ; vol. II : pl. 8-16, 53-54.
29
Huber 2003, vol. I : p. 31, 112-115, 160 ; vol. II : pl. 8,
56-58.
30
Huber 2003.
23
pl. 42.
Verdan 2013, vol I : p. 60.
Ibid.
26
Verdan 2013, vol. I : p. 46-47, 56, 62 et passim ; vol. II :
pl. 7-16, 31-35.
27
Huber – Méniel 2013. Peu de prélèvements paléo24
25
56
SANDRINE HUBER
Fig. 6 – L’autel St45, aire sacriicielle Nord (École suisse d’archéologie en Grèce, S. Huber, T. Theurillat).
a
c
b
Fig. 7 – Proposition de restitution du phénomène
de rehaussement du niveau de circulation dans
l’aire sacriicielle Nord, entre la mise en place de
l’autel vers 730 et la deuxième moitié du VIe siècle
av. J.-C. : a. vers 730 av. J.-C. ; b. VIIe s. av. J.-C. ;
c. début du VIe s. av. J.-C. (École suisse d’archéologie
en Grèce, Y. Nakas). N.B. : Les tirets pointés
marquent les limites de la fouille dans la concession
archéologique.
ÉRÉTRIE. LA NAISSANCE DES LIEUX DE CULTE ET DES PRATIQUES CULTUELLES DANS UNE CITÉ-MÈRE GRECQUE
57
Les circonstances du dégagement des deux
structures St12 et St45 empêchent d’aller plus loin
dans la description, dans la comparaison et dans
l’établissement de leurs datations respectives31 ;
toutefois leur mode de construction, leur morphologie, leurs dimensions et la présence dans les
deux cas de restes fauniques caractéristiques des
pratiques sacriicielles sanglantes permettent de
les associer32.
Il n’existe aucun argument direct pour dater le
premier état des deux autels. Les couches étaient
trop abimées alentour. En outre, il n’y a que des
dépôts alluviaux dans le secteur de l’autel St12 à la
période géométrique et au-dessous de l’autel St45 ;
autant dire que ni le matériel, ni la stratigraphie
ne sont d’un quelconque secours pour afiner leur
chronologie. On est donc réduit à des hypothèses
sur le lien entre les deux autels et ce qui se passe
aux alentours lors de leur premier aménagement.
Si l’autel St12 apparaît en même temps que le bâtiment Ed1 (ig. 3-4), le célèbre « Daphnéphoreion »
dont on continue d’ignorer la fonction33, et avant
le bâtiment Ed150, il faut situer sa construction
dans le deuxième quart du VIIIe siècle, plutôt au
début qu’à la fin de ce quart. L’éventualité d’un
autel isolé, antérieur à toute autre construction
dans le secteur du sanctuaire d’Apollon, ne peut
être écartée : dans ce cas, il remonterait au premier quart du VIIIe siècle34.
Revenons sur le fait que les deux autels du sanctuaire d’Apollon Daphnéphoros et de l’aire sacriicielle Nord ont été installés en des secteurs de
la plaine à haut risque d’inondation. La structure
St12 se trouve en effet en dehors de la principale
zone d’occupation délimitée par des murs, à l’est et
à proximité de l’un des plus importants lits du torrent ; elle restait donc exposée au passage de l’eau
et, de fait, les sédiments qui ont progressivement
rehaussé le niveau de marche autour de St12 sont
uniquement des sables32et33graviers34luviaux35. La
structure St45 borde le même lit du torrent, sur
l’autre rive en amont ; rappelons que la structure
était renforcée contre son lanc ouest par trois
gros blocs destinés à la protéger des crues du torrent (ig. 6). J’avais déjà proposé36 que l’emplacement de l’autel au bord du torrent n’était pas
fortuit en associant cet état de fait à la divinité à
laquelle cette aire sacriicielle était consacrée : des
faisceaux d’indices orientent l’identiication vers
Artémis, la sœur d’Apollon, sans toutefois que cela
soit une certitude. La déesse, on le sait, exerce une
fonction régulatrice des forces hydrographiques,
ain que les êtres humains ne manquent d’eau ou
au contraire qu’ils n’en soient submergés par des
inondations ; les pouvoirs d’Artémis sont donc
doubles : la déesse est régulatrice mais aussi menaçante37. Le choix de l’emplacement de l’autel et le
choix de la déesse à laquelle il était dédié auraientils été conjoints dans ce secteur en amont du sanctuaire d’Apollon ?
On se doit d’insister sur l’installation, dans le
courant du VIIIe siècle, de deux autels (les deux premiers de la cité ?) dans un site peu propice, à haut
risque d’inondation. Les deux autels – donc par
leur entremise les divinités auxquelles ils étaient
dédiés – se plaçaient-ils comme gardiens, chacun
sur une rive à quelque 60 m de distance, du lux de
l’un des lits principaux du torrent qui inonde l’habitat, avant que le torrent ne soit canalisé hors de
la zone d’habitat à l’ouest du site occupé, ce qui ne
sera fait qu’au milieu du VIe siècle ? Relevons que,
ni dans le sanctuaire d’Apollon ni dans l’aire sacriicielle au nord, on n’a déplacé les autels à aucun
moment du temps que le torrent n’est pas canalisé
hors de la zone d’habitat ; on aurait pu les faire
glisser, plus à l’ouest dans le sanctuaire d’Apollon
31
Rappelons que l’autel St12 a été fouillé en 1955
par Ioanna K. Konstantinou et nous ne disposons que du
rapport qu’elle publia la même année : Konstantinou 1955.
Ensuite, la structure a fait l’objet de travaux de restauration en 1981 sans qu’une documentation archéologique
soit réalisée (cf. Verdan 2013, vol. I : p. 248). Les ultimes
examens réalisés par Samuel Verdan en 2000 et 2003 n’ont
pu porter que sur des lambeaux de vestiges conservés et
non perturbés par les travaux précédents. L’autel St45 a été
fouillé entre 1978 et 1981 par Antoinette Altherr-Charon et
a été restauré lui aussi en 1981 sans documentation archéologique (cf. Huber 2003, vol. I : p. 25). Lors de la dernière
campagne de fouille que j’ai pu conduire en 1990 sur la
portion de l’aire sacriicielle conservée dans le site archéo-
logique « du sanctuaire d’Apollon Daphnéphoros », tout
raccord stratigraphique avait disparu.
32
J’ai déjà proposé des éléments de comparaison des
deux structures dans Huber 2003, p. 23, 164, pl. 8 ; Huber
2012.
33
Que son inventeur, Claude Bérard, avait proposé
d’interpréter comme le premier temple dédié à Apollon,
Bérard 1971 ; en dernier lieu Verdan 2013, vol. I : index
sélectif p. 283 s. v. 1. Aussi Anne Jacquemin, dans ce volume
p. 38-39.
34
Verdan 2013.
35
Ibid.
36
Huber 2003, vol. I : notamment p. 154-156 ; contra
Bérard 2007, p. 299.
37
Huber 2003, vol. I : p. 156, avec bibliographie.
58
SANDRINE HUBER
d’un culte domestique, voire d’un culte privé : la
distance entre l’autel St12 et le bâtiment Ed150
paraît trop conséquente (ca 15 m de distance). Par
ailleurs, les foyers régulièrement aménagés aux
phases géométriques dans les alluvions au nord
de la structure St12 (ig. 4 : Fy139-149 et 244-245)
et que nous associons à la cuisson de viandes40
se poursuivent sur une distance de plus de 10 m
au nord. Tout cela laisse penser que nous avons
affaire à un espace prévu pour des rites de certaine
envergure.
ou plus à l’est dans l’aire sacriicielle Nord. On ne
déplace évidemment pas comme cela un autel,
mais on peut le concevoir en cas de force majeur.
Cet état de fait laisse penser que l’on avait tenu à
prendre la main sur ce torrent : les deux autels sont
placés à l’aplomb des rives du cours d’eau, surtout
celui de l’aire sacriicielle Nord, dont on a renforcé
l’assise inférieure de la paroi occidentale, contre le
lit du cours d’eau, au moyen de moellons oblongs.
Les restitutions schématiques reproduites ici
(ig. 7) permettent d’éclairer quelque peu la stratigraphie complexe du secteur de l’aire sacriicielle
Nord qui n’a pu être fouillé que dans les limites de
la concession archéologique et son évolution entre
la mise en place de l’autel vers 730 et la deuxième
moitié du VIe siècle ; on y voit bien l’emplacement
de l’autel au bord du lit du torrent saisonnier. Il
est fort probable qu’une protection a été dressée le
long du torrent à cet endroit pour protéger le lieu
de culte, du type palissade – dont nous avons peutêtre décelé une trace dans une poche assignable
à un trou de poteau implantée profondément (ca
0,65 m) dans le sol pour résister à la pression de
l’eau qui pouvait devenir importante selon les
crues saisonnières du cours d’eau –, ou par un mur
en pierres consolidé par des poteaux en bois38.
Pour conclure (provisoirement car il reste
encore beaucoup à dire à leur propos) sur ces
deux autels, insistons sur le fait que les restes fauniques et les autres traces d’activités anthropiques
décelées dans les alluvions du torrent en association avec le premier état résiduel de la structure
St12 conirment l’ancienneté des pratiques sacriicielles, donc de fait, de culte. Certes, mais une
question surgit alors : de quel culte parle-t-on ?
S’agissait-il déjà d’un culte civique en l’honneur
d’Apollon Daphnéphoros ? D’un culte communautaire initié par un membre de l’élite érétrienne
pour reprendre le débat sur la caractérisation des
structures d’époque géométrique dans ce secteur
névralgique de la cité d’Érétrie ? Un culte privé ?
Un culte domestique ? Les données archéologiques
permettent dificilement de trancher39. Un argument topographique, pour ne pas dire paysager, peut être convoqué pour réfuter l’hypothèse
Des fouilles récentes (la dernière campagne de
fouille a eu lieu en 201441) ont révélé au sommet de
l’acropole qui domine la plaine de ses 127 m (ig. 1
et 8) un sanctuaire consacré à Athéna. Ce ’nouveau’ lieu de culte compte parmi les plus anciens
de la ville mais paraît (du moins dans l’état actuel
des données) postérieur aux deux espaces sacrés
installés au cœur de la cité.
Seule l’archéologie permet de restituer l’histoire du culte rendu à Athéna à Érétrie. L’adoration
de la déesse par les Érétriens ne transparaît en
effet ni dans les textes, ni dans le calendrier héortologique eubéen, je l’ai souligné plus haut. Son
culte était toutefois déjà suggéré, avant la découverte de l’Athénaion, par plusieurs documents : un
relief votif de la fin du IVe siècle avant J.-C. qui
représente la déesse conduisant une libation, deux
inscriptions hellénistiques trouvées en remploi
dans la cité (un bloc mentionnant une prêtresse
d’Athéna et une dédicace à la déesse sous l’épiclèse
inconnue d’Alkymonè), ainsi que quelques igurines en terre cuite de la déesse42.
Le sanctuaire consacré à Athéna par les
Érétriens au sommet de leur acropole est conservé
à l’état de lambeaux, victime d’une très forte érosion et de récupérations des éléments architectoniques sans doute dès l’Antiquité. Par ailleurs, un
glissement de terrain dont la datation demeure
inconnue a provoqué l’écroulement de l’angle
nord-ouest du lieu de culte et d’un segment du
rempart classique qui ceignait le plateau sommital
Huber 2003, vol. I : p. 110 (poche 6d).
Voir le bilan des questionnements chez Verdan 2013,
p. 173-198 et 199-229, que je ne suis toutefois pas dans les
discussions sur le rapport entre les vestiges mis au jour
dans le secteur du sanctuaire d’Apollon Daphnéphoros et
l’aire sacriicielle Nord.
Verdan 2013, p. 50 et 210 ; Huber – Méniel 2013,
p. 249.
41
Dernier rapport : Huber 2015 avec références aux
précédents.
42
Liste et référence aux documents dans Huber –
Maillard 2015, p. 159.
38
39
Athéna gardienne de l’acropole et de la cité
40
ÉRÉTRIE. LA NAISSANCE DES LIEUX DE CULTE ET DES PRATIQUES CULTUELLES DANS UNE CITÉ-MÈRE GRECQUE
59
Fig. 8 – Plateau sommital de l’acropole, vestiges archéologiques (École suisse d’archéologie en Grèce, T. Theurillat).
de la colline. Le sanctuaire reposait enin directement sur des vestiges assignables à un habitat
de l’âge du Bronze (Helladique Ancien, Moyen et
Récent).
De temple, aucune trace, pas de traces non plus
d’un autel, de l’autel sur lequel on accomplissait
les sacriices en l’honneur de la déesse Athéna et
dont on a retrouvé les déchets : des ossements calcinés des parties de l’animal immolé en sacriice et
que l’on brûlait pour la déesse à la lamme de son
autel et des ossements résultant des activités de
boucherie qui s’en sont suivis pour la consommation de viande par les participants au culte : bœuf
et ovicaprinés.
Ce que l’on peut dire en bref ici est que le plateau sommital a été l’objet d’un aménagement
monumental à l’époque hellénistique, à une date
qu’il convient encore de préciser, l’étude est en
cours. Les travaux ont consisté en l’aménagement
d’une longue esplanade (env. 30 x 7 m) au moyen
60
SANDRINE HUBER
d’un grand ravalement (env. 20 x 7 m) de la roche
naturelle, qui a été prolongé à l’ouest, à un endroit
où la roche naturelle connaît une forte dépression,
par d’importants remblais de terres contenant
des riches mobiliers qui témoignent d’une quasi
continuité du culte rendu à la déesse jusque dans
la première moitié du IIIe siècle avant J.-C. selon
les datations dont nous disposons à cette étape de
la recherche, soit entre le VIIe siècle et le début
du Ve siècle, puis entre la in du Ve siècle et la
1re moitié du IIIe siècle. Les structures remontant
aux fréquentations du sanctuaire d’Athéna antérieures à l’aménagement monumental à l’époque
hellénistique sont rares et ce sont essentiellement
les mobiliers issus des remblais qui apportent des
lumières sur les rites célébrés à l’époque archaïque
entre le VIIe siècle et le début du Ve siècle, puis
entre la in du Ve siècle et la 1re moitié du IIIe siècle.
Des statuettes en terre cuite représentant
la déesse casquée et portant l’égide avec le gorgonéion, ainsi qu’une dédicace à la déesse gravée sur une statuette de lion en calcaire (ig. 9)
rattachée à une production de petite plastique
« chypro-ionienne » datable de la in du VIIe-début
du VIe siècle avant J.-C. permettent d’identiier la
divinité honorée comme étant Athéna.
Nous avons montré ailleurs, avec Pauline
Maillard, qu’honorer Athéna au sommet de l’acropole permettait aux Érétriens d’afirmer dès
l’époque archaïque l’unité de leur cité, notamment par le biais d’offrandes igurées rappelant
le statut et le rôle de chacun dans le fonctionnement de la cité43. Le système de représentation
exclusivement féminin du corpus de statuettes
mis au jour à l’Athénaion d’Érétrie constitue un
point fondamental. Pour l’époque archaïque
surtout, et jusqu’au IVe siècle av. J.-C., les terres
cuites dédiées dans le sanctuaire offrent une unité
typologique matérialisée en grande partie par
la représentation de femmes en position assise
– dites « dames trônantes » –, lesquelles portent
généralement une coiffe assortie d’un voile sur les
statuettes du VIe siècle av. J.-C. Cette image codiiée vise à désigner très probablement la dédicante
elle-même, dans le cadre d’un statut précis : celui
de femme mariée, épouse, et, à ce titre, membre
de la communauté des citoyens. Les terres cuites
igurant des jeunes illes nubiles jouant du tympanon et des hydrophores, ainsi qu’un petit
43
Huber – Maillard 2015.
Fig. 9 – Statuette de lion en calcaire rattachée à la petite
plastique dite « chypro-ionienne », in du VIIe- milieu du
VIe siècle avant J.-C. avec dédicace à Athéna (École suisse
d’archéologie en Grèce, A. Skiadaressis).
nombre de illettes portant des oiseaux attestent
d’une seconde classe d’âge parmi les statuettes de
l’Athénaion ; ces igurines de illettes, couramment
retrouvées en contexte funéraire, sont sans doute
à voir comme de jeunes participantes aux rites,
l’oiseau qu’elles portent constituant une offrande
pour la déesse. Le sanctuaire d’Athéna est le plus
ancien lieu de culte du noyau urbain – toujours
dans l’état actuel de l’exploration archéologique
du site – qui ait livré à Érétrie d’importants lots de
igurines en terre cuite depuis l’époque archaïque.
Des éléments de décor architectonique en terre
cuite igurant des jeunes hommes à cheval et à
pied, armés de lances, ainsi que des guerriers aux
commandes de biges témoignent que la déesse
était aussi célébrée pour sa fonction universelle de
gardienne de la cité. La plupart des cultes grecs
associaient citoyens et citoyennes d’une manière
ou d’une autre, mais les sources ne permettent pas
toujours de le déinir. À Érétrie, c’est le deuxième
sanctuaire au sein de l’habitat, après l’aire sacriicielle Nord44, dans lequel on parvient à mettre en
évidence qu’il était ouvert à haute époque conjointement aux hommes et aux femmes dans un culte
civique, un éclairage que seule l’étude des mobiliers permet pour l’instant.
44
Huber 2003.
ÉRÉTRIE. LA NAISSANCE DES LIEUX DE CULTE ET DES PRATIQUES CULTUELLES DANS UNE CITÉ-MÈRE GRECQUE
61
B
A
A
A
E
C
C
F
D
0
D
10m
Fig. 10 – L’ensemble à fonction cultuelle dit « Hérôon à la porte de l’Ouest »
(École suisse d’archéologie en Grèce, T. Theurillat).
Un lieu de culte près d’un groupe de tombes
ou/et près de l’emplacement de la future
porte de l’Ouest4546
Ajoutons brièvement au dossier l’ensemble
à fonction cultuelle manifeste désigné dès sa
découverte sous l’appellation d’« Hérôon à la porte
de l’Ouest » (ig. 10). L’ensemble a été installé
semble-t-il au début du VIIe siècle au nord-ouest
de la plaine alluviale, près d’un groupe de riches
tombes de la in du VIIIe siècle et de l’emplacement qui sera occupé par la future porte de l’Ouest
de la cité (le premier aménagement architectural
de la porte remonte au milieu du VIe siècle, au
moment où le cours d’eau saisonnier est canalisé
à l’ouest de l’établissement). Le lieu de culte supposé semble mis en place à la même période que
celle où l’on aménage un grand triangle équilatéral
de dalles massives au-dessus des tombes de la in
du VIIIe siècle et où l’on marque l’espace par une
portion de mur, conservée au sud-ouest et désignée par Claude Bérard comme un péribole ; tous
ces vestiges ont été interprétés dès leur découverte
Bérard 1970.
Léderrey – Reber 2005 ; Verdan – Kenzelmann Pfyffer
– Léderrey 2008, p. 50-51.
45
46
comme un hérôon, dans lequel on aurait célébré,
aux VIIe et VIe siècles, des cérémonies en l’honneur des défunts ensevelis à proximité45. L’étude
des vestiges et des mobiliers recueillis dans cet
ensemble fouillé dans les années 1960 et 1970
reste en grande partie inédite et n’est pas assez
aboutie pour l’associer directement aux autres
lieux de culte examinés ici. Restons prudents,
dans l’attente des résultats d’une analyse exhaustive en cours des données archéologiques, quant à
l’interprétation cultuelle de l’ensemble et sa relation avec les tombes d’époque géométrique et/ou
avec l’emplacement de l’un des futurs accès principaux de la ville.
Mais l’on doit, même si sa fonction et son fonctionnement demeurent encore peu clairs, tenir
compte de l’installation, à cet endroit de la plaine
alluviale, d’un lieu de culte caractérisé par l’édiication d’un ensemble constitué de cinq pièces alignées et d’autres structures, alors que des restes
dispersés d’habitat ont été mis au jour plus au
sud46. Si cet ensemble n’est pas associé aux tombes
géométriques, on ignore à quelle divinité il pouvait
62
SANDRINE HUBER
L’étude du territoire de la cité, l’Érétriade
(ig. 11), entreprise par Sylvian Fachard, qui fournit ainsi l’inventaire et la description des vestiges
conservés en surface sur l’ensemble du territoire,
a montré que la bourgade, qui apparaît cristallisée au VIIIe siècle autour de ses sanctuaires, était
parvenue à posséder au début du IIIe siècle avant
J.-C. près de 41 % de l’île, faisant ainsi partie des
treize plus grandes chôrai du monde grec50. Son
analyse révèle que le maintien de la sécurité reposait essentiellement sur un ensemble d’habitats
fortiiés (dèmes et hameaux). Bien évidemment,
les modalités de l’occupation du territoire eubéen
à l’époque géométrique demeurent encore inconnues51.52Aux périodes classique et hellénistique, des
terres escarpées et montagneuses permettaient
de nourrir de grands troupeaux de chèvres et de
moutons ;53des54pâtures et terres laissées en jachère
assuraient des prairies propices à l’élevage de
bovins, une activité économique lucrative pour les
Érétriens, comme en témoignent leur monnayage
et les sources littéraires52. Les restes ostéologiques
animaux recueillis dans le sanctuaire d’Apollon
Daphnéphoros à l’époque géométrique préigurent
donc le développement économique que connaîtra
la chôra érétrienne aux périodes postérieures, où
l’apport du bovin est apparu important dans les
assemblages fauniques53.
Ce vaste territoire a vu naître quantité de mythes
et de rites, par l’entremise de quantité de dieux et
de héros, qui peu à peu ont participé à la fabrique
de l’histoire religieuse de la cité d’Érétrie. De nombreux lieux de cultes se sont développés dans la
chôra, dont certains peuvent graduellement être
identiiés. La carte inédite reproduite ici (ig. 11)
et généreusement transmise par Sylvian Fachard
envisage d’ores et déjà de positionner quelques
cultes sur ce riche territoire54. Quand on parle
d’Apollon à Érétrie, il ne faut pas penser seulement
à Apollon Daphnéphoros, mais aussi, notamment,
au dieu honoré à Tamynai, dans un sanctuaire
qui devait être, avec sa fête et son concours des
Tamyneia, d’une importance considérable pour
l’ensemble des Érétriens55 ; sans oublier Apollon
Délien, dans le dème de Zarex, où la fouille a révélé
des vestiges d’un temple du VIIIe siècle avant J.-C.56.
Quand on parle d’Artémis, outre ses cultes attestés dans la ville – notamment le petit hiéron à côté
du sanctuaire d’Apollon Daphnéphoros mentionné
par les inscriptions, qui pourrait être l’aire sacriicielle Nord57 – et, surtout, au grand Artémision
d’Amarynthos dont il sera question plus loin, il
faut admettre qu’elle était sans doute honorée en
bien d’autres endroits de l’Érétriade (sur le mont
Olympe d’Eubée et sur le mont Kotylaion notamment). En ce qui concerne Héra, dont l’importance à Érétrie est souvent méconnue, car on ne
la connaît qu’à travers le nom de mois Héraiôn et
la mention des Héraia (donnés comme référence
pour l’organisation de la procession des Artémisia)
dans le règlement sacré IG XII 9, 189, on ignore
encore si son sanctuaire se trouvait intra ou (plus
probablement) extra muras. Et ainsi de suite...
Ghilardi et alii 2014, p. 234 ig. 7D.
En dernier lieu Huber 2013.
49
Huber 2015 et Huber – Maillard 2015.
50
Fachard 2012, p. 33.
51
Fachard 2012, p. 51 et passim.
52
Fachard 2012, p. 116-117.
53
Huber – Méniel 2013, p. 245-246.
54
Je proite de cet excursus pour remercier chaleu-
reusement Denis Knoepler et Sylvian Fachard des riches
échanges sur la reconstitution de l’histoire religieuse de la
cité et de son territoire.
55
Knoepler 2001 ; Fachard 2012.
56
Fachard 2012, p. 332 no 158 avec bibliographie ;
Chatzidimitriou 2015.
57
Knoepler 2001, p. 140 ; Huber 2003, vol. I : p. 154,
160, 167, 169.
être dédié et s’il revêtait un quelconque rapport
avec le domaine funéraire ou avec l’armature de
l’habitat dans un secteur qui apparaît – faussement47 ? – en périphérie de la plaine. Relevons déjà
ici que l’on y a recueilli des assemblages de vaisselles rituelles comparables à ceux qui ont été mis
au jour pour les mêmes périodes (VIIe-VIe siècle)
dans les trois autres sanctuaires discutés plus
haut : hydrisques et cruches à haut col48.
Constatons à cette étape de la discussion que
les quatre lieux de culte les plus anciens attestés
archéologiquement dans la plaine alluviale sont,
pour les deux premiers, implantés au cœur du
tissu urbain, pour un troisième dans un secteur
à l’ouest, sans que l’on soit autorisé à parler de
périphérie à si haute époque et pour le dernier au
sommet de l’acropole, sans que l’on puisse déterminer si le plateau sommital était déjà fortiié au
moment de l’installation du culte d’Athéna à cet
endroit49.
Le territoire de la cité
47
48
ÉRÉTRIE. LA NAISSANCE DES LIEUX DE CULTE ET DES PRATIQUES CULTUELLES DANS UNE CITÉ-MÈRE GRECQUE
Péraia
63
MER EGEE
V
Pétra?
Apollon
Kotylaion
IV
Tamynai
Zeus?
Chalcis
Parthénion
Apollon
III
Asklépios?
I
Asklépios?
Héra
Porthmos
Artémis
Amarynthos
Erétrie
Dystos
GOL
F
frontières
E EU
B OÏ
QU
E
ME
R ID
ION
AL
Zarex
Apollon
frontières (variante)
limite de district (I, II, III, IV, V)
II
Grynchai?
sanctuaire
ATTIQUE
site antique
Tamynai
dème
Platauroi
Aphrodite
Styra Asklépios
Artémis?
Zeus
0
25 km
altitude
Apollon
SF2016
Fig. 11 – L’Érétriade (École suisse d’archéologie en Grèce, S. Fachard, carte inédite).
Aux côtés des dieux, les héros occupaient une
place primordiale dans la construction de la cité
et, de fait, de son système religieux ; les cultes
héroïques qui ont fourni les noms aux tribus de
la cité démocratique doivent avoir fait partie des
nomima Eretriaka (Thucydide VI 5,1 à propos
d’Himère). Denis Knoepler a montré que la igure
de Narcisse58, un Narkittos érétrien, occupait
une place en vue dans la mythologie érétrienne.
58
Knoepler 2010.
La lecture des sources antiques invite à voir dans
Narkittos un héros chasseur en contact étroit avec
Artémis Amarysia, la grande déesse des Érétriens.
Dans le mythe érétrien par ailleurs inconnu, c’est
probablement elle qui le punissait et le métamorphosait en narcisse. Denis Knoepler s’attache à
restituer son culte aux côtés d’Artémis Amarysia.
Comme le toponyme Amarynthos, narkissos est
attesté en mycénien. Au moment de la mise en
64
SANDRINE HUBER
place du système tribal à Érétrie, vers 500 av.
J.-C., lors d’un changement de régime identiié au
renversement de l’oligarchie des hippeis qu’Aristote attribue à l’aristocrate Diagoras (Pol. V 6, 14,
1306a), les Érétriens auraient choisi ce héros en
étroite relation avec leur grande déesse comme
éponyme d’une des six tribus que Denis Knoepler
restitue.
depuis l’époque géométrique, mais qu’il est prématuré d’associer ici à la discussion.60
Naissance des dieux, naissance de leurs lieux de
culte, naissance de leur image
Des découvertes marquantes effectuées ces
dernières années au pied de la colline de Paléoékklisiès (lieu-dit en raison de la présence de
plusieurs chapelles byzantines) à l’est de la bourgade moderne d’Amarynthos (ig. 11) ont permis
de localiser enin, avec certitude, le sanctuaire
d’Artémis Amarysia tant recherché depuis plus
d’un siècle, le sanctuaire de la déesse paneubéenne
honorée dans la chôra, dont les Artémisia représentaient les fêtes érétriennes les plus importantes, en
témoignent divers documents épigraphiques et
Strabon. L’ancienneté du culte est attestée notamment par des indices linguistiques (l’épiclèse
même d’Amarysia), par l’existence d’inscriptions
anciennes qui étaient exposées dans le sanctuaire
d’après Strabon (puisant son information indirectement dans la Constitution d’Érétrie de l’école
d’Aristote).
Des programmes de recherche se sont succédé depuis une dizaine d’années dans le secteur à
l’est de la bourgade moderne d’Amarynthos : campagnes de prospections géophysiques conduites
sur plus de 130 terrains privés, fouilles de diagnostic dans divers terrains et relevé architectural
de blocs antiques réutilisés dans les églises alentour59. Les découvertes archéologiques réalisées
durant six campagnes de fouilles60 fournissent un
ensemble d’indices convergents qui permettent
d’assurer sans ambiguïté la localisation du hiéron d’Artémis Amarysia au pied de la colline de
Paléoékklisiès. Elles illustrent également l’ampleur
stratigraphique du secteur investigué, où se sont
succédé plusieurs aménagements d’importance
De modestes aménagements constituent
autant d’éléments nécessaires à la restitution
des premiers temps des sanctuaires. À Érétrie,
les contextes évocateurs concernent essentiellement les hautes époques où l’écriture n’est pas de
mise ou rare, bien que la cité eubéenne ait livré
de riches témoignage d’écriture sur céramique61.
Nous devons donc nous concentrer sur les vestiges archéologiques. L’analyse proposée ci-dessus
concerne des restes archéologiques ténus, mais
d’importance, j’espère l’avoir montré.
La position des quatre seuls lieux de culte assignables aux VIIIe et VIIe siècles dans l’état actuel
des recherches dans le noyau urbain à Érétrie
n’apparaît pas hasardeuse. Les deux lieux sacrés
au cœur de la plaine alluviale semblent prendre
possession de cet espace fertile. Comme si les
premiers habitants de la plaine avaient placé la
plaine – donc leur habitat – sous la protection de
divinités capables de maîtriser les lots du torrent
qui l’inondait. Trois facteurs au moins font que les
deux autels St12 et St45 sont destinés à des divinités distinctes : 1) la distance séparant les deux
ensembles est conséquente, qui dépasse les 60 m ;
2) les deux espaces religieux sont séparés depuis
leur construction par un des lits principaux du
torrent et cette séparation sera renforcée au gré
du temps par l’aménagement de la voie de communication principale nord-sud de la ville, qui
perdurera jusqu’à la période paléochrétienne62 ;
3) le fait que deux autels de même fonction – les
assemblages fauniques associés à chacun d’eux
sont strictement semblables et font référence à
la pratique de la combustion de la part du dieu63
– peuvent dificilement s’expliquer au sein d’un
seul et même sanctuaire, tout au moins dédiés
à la même divinité. On imagine bien Apollon
honoré sur l’autel St12 ; s’agit-il déjà de l’Apollon
poliade ?64, en tout cas un Apollon déjà politique,
Le projet est né à l’instigation de Denis Knoepler, sur
les traces de l’Artémision d’Amarynthos depuis les débuts
de ses travaux en Eubée. Le programme est réalisé sous
sa direction scientiique et mené sous la responsabilité de
l’École suisse d’archéologie en Grèce et de l’Éphorie des
Antiquités de l’Eubée.
En dernier lieu Knoepler et alii 2015 avec renvoi aux
rapports précédents.
61
Kenzelmann Pfyffer – Theurillat – Verdan 2005.
62
En dernier lieu Demierre Prikhodkine 2015.
63
Studer – Chenal-Velarde 2003 ; Huber – Méniel 2013.
64
Voir la discussion intéressante chez Verdan 2013.
Le sanctuaire d’Artémis Amarysia
à Amarynthos
59
60
ÉRÉTRIE. LA NAISSANCE DES LIEUX DE CULTE ET DES PRATIQUES CULTUELLES DANS UNE CITÉ-MÈRE GRECQUE
65
Fig. 12 – Hydrisque de l’aire sacriicielle Nord , musée archéologique d’Érétrie, 16599, scène peinte sur le col,
photographie aplanie (École suisse d’archéologie en Grèce, A. Skiadaressis).
qui rassemble les participants à ses rituels autour
de banquets avec service du vin : un service emblématique, en témoigne le cratère qui devait être
juché sur une base en argile dégagée au fond de
l’édiice Ed15065. Et Artémis reste la candidate
pressentie pour l’autel St45 de l’aire sacriicielle
Nord ; aucun élément tangible ne vient pour l’instant contrebalancer cette hypothèse de lecture.
Les offrandes recueillies dans les deux sanctuaires
présentent des faciès distincts à haute époque :
essentiellement de la céramique liée au banquet,
avec des cratères monumentaux pour Apollon66 ;
des babioles orientales et autres colifichets pour la
divinité (Artémis ?) honorée sur l’aire sacrificielle
Nord67.
Le troisième lieu de culte, à l’écart (?) au nordouest de la plaine, semble baliser le territoire, soit
en rapport avec les défunts enterrés dans la série
de célèbres sépultures d’époque géométrique,
donc de peu antérieures et que l’on associe à des
membres de l’élite érétrienne, soit en rapport avec
un passage ; peut-on déjà parler d’une entrée dans
Verdan 2013.
Verdan – Kenzelmann Pfyffer – Léderrey 2008 ;
Verdan 2013.
l’habitat ? L’étude des données en dira peut-être
davantage.67
Enin, le quatrième sanctuaire, au sommet
de l’acropole, apparaît d’emblée dans sa fonction
défensive, protectrice de l’habitat, mais aussi du
territoire en raison de la vue imprenable dont on
dispose depuis le plateau sommital de la colline.
J’ai montré ailleurs que la problématique liée à la
relation entre le rempart de l’acropole et le sanctuaire d’Athéna est complexe. Les données ont pu
être précisées en 2014, puisqu’un tronçon du rempart archaïque a sans doute été identiié en contrebas de la terrasse au nord68. Toutefois, il n’est pas
improbable que le sanctuaire de la déesse a précédé
la construction d’un système défensif d’envergure.
J’ai rappelé plus haut qu’Athéna était honorée par
les femmes de la cité au vu des offrandes recueillies – non seulement des statuettes sans doute
d’épouses de citoyens représentées en leur qualité de génitrices des futurs citoyens et de jeunes
illes qui plaçaient leur avenir aux mains de la
déesse, mais aussi des instruments liés au travail
65
67
66
68
Huber 2003.
Huber 2015.
66
SANDRINE HUBER
du tissage : pesons, fusaïoles, épinétra, etc. –, mais
aussi par les hommes de la cité dans sa forme
guerrière, dans sa forme de déesse en armes.
Sur les quatre premiers lieux de culte dans
le site urbain en l’état actuel de notre savoir, on
semble connaître avec assurance la divinité dédicataire de deux seulement : Apollon et Athéna, les
deux autres ensembles restant imprécis. La naissance des dieux et celle des sanctuaires n’apparaît
pas de manière claire à Érétrie, peut-être le serat-il un jour à Amarynthos ou dans quelques autres
sites de la chôra.
Terminons cet essai avec une image, où il
semble bien que l’on ait affaire à la première représentation vasculaire de divinité et dont j’ai repris
l’examen il y a peu69 (ig. 12). Le récipient qui porte
l’image est un hydrisque de style subgéométrique
daté du début du VIIe siècle (ca 690-680), voire
au Géométrique Récent II ; il fait partie des milliers d’hydrisques recueillis dans les lieux de culte
érétriens à toutes périodes, surtout géométrique
et archaïque. Il provient de l’aire sacriicielle Nord
et son col est orné d’une scène igurée emblématique, de tracé malhabile. Le récipient, de taille
réduite et déposé dans un sanctuaire, constitue
une offrande assurément plurielle, double, voire
triple : offrande du récipient lui-même, offrande
de son contenu s’il servait à manipuler un liquide
au cours du culte mis en œuvre sur l’aire sacriicielle (mais aussi dans tous les sanctuaires dans
lesquels les hydrisques ont été recueillis), enin
offrande de la scène rituelle peinte sur son col.
Cette scène replace son support, l’hydrie, dans
un cadre de consécration. On offrait le vase (et
son contenu ?), on offrait, enin, le décor du vase.
Huber 2017 ; voir aussi Huber 2003, vol. I : 50-51 cat.
H125, 126-127, 143-144 ; vol II : 16-17, pl. 15, 19, 73.
69
Nous voici dans une mise en abyme. La scène
igurée est dificile de lecture par opposition aux
décors sur le reste du récipient qui présentent
des iles d’animaux (oiseaux, chevaux et caprins),
mettant en scène quatre personnages : le motif à
gauche du tableau est complexe, semblant représenter un personnage juché / assis sur un siège
aux pieds zoomorphes ; il est suivi d’un second
personnage tendant le bras en adoration vers une
igure juchée sur une base – vraisemblablement
une divinité dans la posture d’une statue de culte
érigée sur un socle –, alors qu’un quatrième personnage s’active devant deux triangles, dont le
second est surmonté d’un épais trait de vernis. J’ai
proposé ailleurs de voir dans cette scène une mise
en image d’un culte, avec adoration de la divinité
(celle de l’aire sacriicielle Nord ?) et sacriice ; le
triangle à droite du tableau représenterait alors le
bûcher duquel s’élèverait la fumée du sacriice en
direction de la divinité. Si la lecture est correcte,
nous aurions affaire à la première représentation
d’une divinité sous forme de statue, donc à la naissance de l’image du dieu.
La discussion proposée ici montre que, bien
que les vestiges des premiers cultes érétriens
soient fort modestes, leur caractérisation ne cesse
de progresser. Le regard doit désormais se porter
sur le territoire, où Artémis Amarysia ouvre le chemin et ne manquera pas d’ouvrir des perspectives
qui enrichiront la rélexion. Nous attendons aussi
des éclairages qui viendront sans doute un jour
des établissements eubéens outre-mer, où nous
devrions un jour retrouver des ensembles cultuels
de même nature70.
70
Huber – Méniel 2015 ; Huber sous presse.
ÉRÉTRIE. LA NAISSANCE DES LIEUX DE CULTE ET DES PRATIQUES CULTUELLES DANS UNE CITÉ-MÈRE GRECQUE
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